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30 Münchhausen Les machineries de l’imaginaire D’après les aventures véritables et véridiques du baron de Münchhausen SALLE DENISE-PELLETIER 11 NOVEMBRE AU 9 DÉCEMBRE 2015 Grand fabulateur devant l’éternel, digne descendant de Don Quichotte et du Capitan de la commedia dell’arte, ancêtre du Capitaine Bonhomme et grand cousin de Cyrano, Münchhausen symbolise la quintessence du pouvoir de faire rêver. Les histoires du Baron sont surnaturelles, extravagantes, impossibles, insensées, et pourtant, à l’écoute de ses exploits, on se laisse envahir par ses idées absurdes et le désir d’y croire l’emporte sur tout le reste. ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE HUGO BÉLANGER UNE PRODUCTION DE TOUT À TRAC AVEC FÉLIX BEAULIEU-DUCHESNEAU, ÉLOI COUSINEAU, BRUNO PICCOLO, CARL POLIQUIN, AUDREY TALBOT ET MARIE-ÈVE TRUDEL en savoir © Mathilde Corbeil

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MünchhausenLes machineries de l’imaginaire

D’après les aventures véritables et véridiques du baron de Münchhausen

s a l l e d e n i s e - p e l l e t i e r 11 n o V e m b r e a u 9 d É c e m b r e 2 015

Grand fabulateur devant l’éternel, digne descendant de Don Quichotte et du Capitan de la commedia dell’arte, ancêtre du Capitaine Bonhomme et grand cousin de Cyrano, Münchhausen symbolise la quintessence du pouvoir de faire rêver. Les histoires du Baron sont surnaturelles, extravagantes, impossibles, insensées, et pourtant, à l’écoute de ses exploits, on se laisse envahir par ses idées absurdes et le désir d’y croire l’emporte sur tout le reste.

a d a p t a t i o n e t m i s e e n s c è n e H u G o b É l a n G e r

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A V E C F é L I x B E A U L I E U - D U C H E S N E A U , é L O I C O U S I N E A U , B R U N O P I C C O L O , C A R L P O L I q U I N ,

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Raconter son histoire ou forger son mythe grâce aux médias sociauxpar Nadia Seraiocco

P O U R q U O I ?

Au XVIIIe siècle, le Baron de la pièce Münchhausen, les machineries de l’imaginaire a forgé son mythe de soupers en salons. Il racontait, embellissait, inventait ses exploits et le tout captivait son public. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’un mythe en 2015 ? Quels sont les outils à notre disposition pour raconter notre propre histoire ? J-S. Traversy

Dans la pièce de théâtre Münchhausen, les machineries de l’imaginaire, un personnage fait irruption en plein spectacle, interrompant les comédiens qui jouent une pièce dédiée au célèbre baron de Münchhausen, pour annoncer qu’il est bel et bien le vrai baron et il entend le prouver par ses récits... Ainsi, il se raconte, revit ses extravagantes aventures et se donne la mission de les rendre crédibles aux yeux de ceux à qui il s’adresse.

Münchhausen, les machineries de l’imaginaire

photo est choisie pour dire quelque chose sur soi – si je choisis une photo de moi avec des verres fumés dans une pose de star, je dis que je veux qu’on me voie comme une fille « cool » – ce qu’on publie aussi. Quelles photos est-ce que je choisis pour me présenter à mes amis Facebook ? Pourquoi celle-là plus que d’autres avec mes parents que peut-être je n’ai pas envie de rendre publiques ?

Qu’est-ce je dis de moi quand je publie sur un réseau social? Est-ce que je peux me construire une personnalité autre que celle que j’ai dans la vie ? Une chose est certaine, je choisis les aventures que je partagerai avec mes amis ou abonnés. Les égoportaits (ou « selfies ») que l’on met, racontent chacun un moment glorieux de la vie de ceux qu’on y voit. L’avatar ou le pseudonyme que l’on choisira sur certains réseaux viendra aussi construire l’image que l’on présente tous les jours aux autres.

Inventer une nouvelle façon de communiquer

En accédant à un réseau social, que ce soit Snapchat, Tumblr, Facebook, Twitter ou Instagram, on accède à

Or, c’est souvent ainsi sur les réseaux sociaux : chacun raconte des événements de sa vie, met même des photos ou vidéos pour « prouver » ses dires et le succès des petits récits se mesure au nombre de « j’aime » ou de « repartages » desdites histoires. Mais pourquoi fait-on cela ? Pour construire sa propre histoire et se dévoiler pour entrer en relation avec les autres utilisateurs qui sont des amis, des connaissances ou tout simplement des abonnés. Peut-être aussi a-t-on besoin de forger son mythe, de construire, une publication à la fois, le récit explicatif de ce que l’on est. Et, bien évidemment pour ce faire, il faut montrer les côtés que l’on trouve les plus

flatteurs de sa personne…

Produire sa vie comme on produirait un spectacle ou une pièce de théâtre

Sur les réseaux sociaux, on peut dire que l’on produit littéralement sa vie, on la met en scène, esquissant ainsi « son histoire », par l’utilisation du langage, des photos, des vidéos et autres « données » que l’on ajoute à son profil. Regardez par exemple votre profil Facebook : la

Avatar de Nadia Seraiocco généré par Bitstrip

Photos de profil de Nadia Seraiocco

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un espace « dématérialisé » qu’on ne peut pas explorer physiquement, seulement en virtuel. On accepte donc d’adhérer à une certaine conception du monde. On accepte une série de conventions, quant à l’espace évoqué (mon mur Facebook, n’est pas un vrai mur comme dans une maison, c’est évident et je le comprends), on accepte le mode de communication proposé (on sait pourquoi on fait un « j’aime » ou pourquoi on republie une photo ou une vidéo) et même, des nouveaux codes de communication liés aux messages échangés.

À propos des nouveaux codes de communication que chaque réseau génère, en 2010, des chercheurs ont étudié les différentes significations d’un tweet ou d’un retweet, sur le réseau Twitter, et ils ont constaté que sur ce réseau, pour communiquer efficacement, il fallait comprendre la « syntaxe1 », ou structure des phrases, propre à Twitter. Cela dit, sur Twitter ou Facebook, on ne republie pas toujours pour dire qu’on aime… Parfois, on ajoute un mot-clic critique et hop ! on dévoile le « #fail » d’une personne. On a tous vu quelqu’un qui arrive sur un réseau social sans comprendre comment cela marche, qui ne connaît pas les codes et les abréviations, et qui par ses actions dérange les autres. Il ne comprend pas les codes entre les utilisateurs et cela peut le mener à être déstabilisé, voire être rejeté ou ignoré des autres utilisateurs.

En ce sens, on peut comparer l’espace du réseau social à celui des « espaces théâtraux » qui sont évoqués sur scène.

On trouve sur scène une évocation du réel, résumé par quelques éléments ou des signes que l’on connaît. On évoque par exemple une maison ou un appartement par quelques éléments réels (une porte, un mur) que le spectateur doit connaître et interpréter. Ce sont donc des conventions théâtrales, comme on disait plus tôt qu’il y a des conventions de communication sur les réseaux sociaux.

Animer un double de soi sur les réseaux

Amber Case, une anthropologue qui étudie comment les humains agissent avec les technologies, disait dans une conférence intitulée We are all cyborgs2 (nous sommes tous des cyborgs), que chacun a maintenant un double qui vit sur le Web. Chaque jour, on prend soin de son double, on change sa photo d’avatar, on lui fait dire quelque chose par un statut et il a parfois une vie indépendante sur le réseau. Pendant que l’on dort, ou qu’on est en pyjama devant la télé, un ami Facebook peut publier un commentaire sur une photo de soi à une fête, interagir avec un message écrit plus tôt.

Or, dit Amber Case, en créant un double de soi dans un réseau social, on met à la portée d’autrui sa vie, son intimité et celle-ci peut-être commentée à tout moment du jour ou de la nuit. Par ce dévoilement ou cette exposition de soi, on se met dans un état « d’intimité ambiante constante ». C’est-à-dire, que l’on vit connecté à son appareil mobile toujours prêt à réagir à une notification d’un réseau. Cette intimité ambiante est ce que le partage d’information sur soi, dans toute sorte de situation de la vie privée, a créé. Mais ce faisant, on a réduit beaucoup d’aspects de ce qui est privé, comme son intimité (des gens qui me connaissent à peine me voient en pyjama, avec mes amis etc.), à une représentation (au sens du spectacle théâtral) sur les réseaux sociaux.

Mon mythe, ma vie

En faisant ressortir ce qui est spécial de soi, on se trouve à en dire toujours plus, parfois même trop. On peut être tenté d’enjoliver les faits, de ne présenter que le plus beau pour paraître mieux que les autres gens de sa tribu. Mais si on admet que l’on est tous tentés de le faire, de se créer un personnage un peu plus heureux sur Facebook que l’on ne l’est vraiment dans la vie, les autres le font donc aussi.

C’est pourquoi, il serait souvent préférable de considérer le contenu des médias sociaux, comme une série d’histoires dans lesquelles nos amis sont les héros, héros de leur profil Facebook, de leur compte Snapchat ou Instagram. Ces médias permettent d’avoir des moments de gloire, d’exprimer ses opinions ou tout simplement de voir ce que les autres font. Un peu comme le Baron qui a tout vu, tout vécu et connu des aventures incroyables, chacun est libre de créer son mythe. Il faut donc, les jours où on a le cafard, prendre les grandes déclarations et le censé bonheur des autres avec un grain de sel… Au risque de voir les mythes de tout un chacun, causer chez soi de petites déprimes passagères3 . Parce que lorsqu’on se sent obligé de prouver quelque chose par des publications sur les réseaux sociaux, ce qui augmente assurément n’est pas la popularité, mais bien le stress que cause la surexposition de soi. Et si le baron de Münchhausen avait un compte Snapchat ou Facebook, il serait sûrement ce contact qui publie sans cesse des photos de lui dans des situations plus extravagantes les unes que les autres !

NADIA SERAIOCCO est conseillère en communication Web et médias sociaux, chroniqueuse, conférencière et auteure.

1 Boyd, Golder et Lotan, « Tweet, Tweet, Retweet: Conversational Aspects of Retweeting on Twitter. » HICSS-43. IEEE: Kauai, HI.Disponible ici.

2 Cette conférence présentée dans un événement TedX, mise en ligne en 2011, a été ensuite transcrite (ici) et utilisée pour l’événement Le corps en question. L’original est ici sur YouTube

3 Est-ce que Facebook nous rend déprimés ? : cliquez ici

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Avatar de Nadia Seraiocco dessiné par elle-même

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De l’autre coté du miroirpar Nicolas Gendron

P O U R q U O I ?

Nicolas Gendron est un ami depuis le Cégep. Il s’intéresse au cinéma depuis toujours. Avec sa curiosité légendaire, il nous présente le personnage du baron de Münchhausen et ses déclinaisons, au cinéma, chez Georges Méliès et Terry Gilliam. J-S. Traversy

Le vrai du faux

De 1720 à 1797 vécut en Allemagne un certain Hieronymus Karl Friedrich von Münchhausen. Ce dernier servit l’armée russe jusque dans les années 1760, alors qu’il prit sa retraite en tant que Baron, un titre de noblesse qui multipliait les invités à sa table. C’est d’ailleurs après de copieux soupers qu’il aurait pris l’habitude de raconter à ses convives, avec un enthousiasme légendaire, ses exploits militaires contre la Turquie et ses aventures en Russie. Le baron de Münchhausen serait probablement aux oubliettes du XVIIIe siècle si les hommes de lettres de son pays n’avaient pas cru bon amplifier sa nature de conteur.

En effet, l’auteur allemand Rudolf Erich Raspe puis le poète Gottfried August Bürger se sont approprié le récit fantaisiste des exploits du Baron, volant soudainement sur un boulet de canon ou marchant sur la Lune. Les versions se propagèrent jusqu’à aujourd’hui dans la littérature allemande, prirent d’assaut le monde francophone dans une traduction de Théophile Gautier fils, puis débordèrent des pages sur scène, à la radio et au cinéma. Souvent dépeint avec un nez à la Cyrano de

Bergerac, ce Baron réinventé est sculpté pour le cinéma, avec son goût marqué pour le merveilleux et, surtout, sa conviction profonde de détenir la vérité, jusque dans la démesure.

Deux de ses incarnations au grand écran ont traversé le temps avec plus de panache, portées par la signature unique de leurs maîtres d’œuvre : Les Hallucinations du Baron de Münchausen 1, de Georges Méliès (1911), et Les Aventures du Baron de Münchausen, de Terry Gilliam (1988).

De la Terre à la Lune

D’abord illusionniste, le Français Georges Méliès2 allait découvrir, avec l’apparition du Cinématographe en 1895, le meilleur véhicule pour démocratiser non seulement ses trucages, mais plus encore son envie de rêver le monde. Plus de 500 courts métrages plus tard, on le considère comme le père des effets spéciaux, lui qui a mis au point ou perfectionné plusieurs procédés encore actuels, que ce soit le ralenti, la surimpression ou le fondu enchaîné. Pour le 150e anniversaire de Méliès, en 2011, le cinéaste Martin Scorsese lui rendait hommage avec Hugo, où se profile la genèse de ses films, dont son célèbre Le Voyage dans la Lune, que n’aurait pas renié le Baron ! En sol québécois, le metteur en scène Robert Lepage convoquait l’homme et son œuvre pour nourrir la trame de fond de sa pièce Cœur.

Ma propre queue me tire d’affaire ainsi que mon cheval que je serrai fortement entre mes genoux. Gravure de Gustave Doré

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1 Le nom de Münchhausen perd souvent un « h » dans sa francisation.

2 Pour en savoir plus sur Méliès, on peut consulter son site officiel www.melies.eu

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La vision de Gilliam et celle du metteur en scène Hugo Bélanger se ressemblent en plusieurs points. Prenant toutes deux appui sur le procédé du théâtre dans le théâtre, leurs adaptations s’ouvrent sur une troupe qui ose présenter la vie du Baron sur scène, avant que le spectacle ne soit interrompu par le vrai personnage ! Si les comédiens doutent d’abord de l’identité du trouble-fête, ils se laissent peu à peu gagner par la vigueur de son récit, jusqu’à entrer dans ses souvenirs pour mieux les (ré)interpréter. Et la Mort le guette non loin de là, prête à tout moment à lui ravir son âme, dès lors qu’il ose douter lui-même de son rôle à jouer dans ce monde gouverné par la raison et le progrès.

Chez Gilliam, cependant, on pousse la nature séductrice du personnage et surtout son implication dans la guerre, dont il sera à la fois cause et dénouement. Des missiles nucléaires au langage irrévérencieux, les anachronismes se fondent dans cette histoire échevelée, tissée d’un tour de montgolfière sens dessus dessous (féminins !), d’une discussion décousue avec la tête du Roi de la Lune (Robin Williams) ou d’un ballet aérien avec Vénus (Uma Thurman). Mais chez Gilliam comme chez Bélanger, c’est le regard d’une enfant qui empêche la raison de tout faire dérailler. Et si l’enfance était la plus précieuse alliée de l’imaginaire ? Comme « le rêve est immortel », aux dires du Baron en visite au Théâtre Denise-Pelletier, il est encore permis de rêver sur nos deux oreilles…

Avec Les Hallucinations du Baron de Münchausen, réalisé vers la fin de sa carrière, qui correspondait à l’âge d’or du cinéma muet, Méliès offre un condensé de son savoir-faire plutôt qu’une adaptation fidèle des aventures du personnage – si tant est qu’on puisse être (in)fidèle aux fantaisistes. Le Baron y est dépeint dans les excès de sa noblesse, plus bon fêtard que grand conteur, sans doute parce que privé de la parole. Au sortir d’un dîner arrosé, son ivresse le confine au sommeil, mais l’imposant miroir adjacent à son lit lui réserve « visions suaves et cauchemars incohérents », comme le suggère un intertitre du film. Par des jeux de trompe-l’œil et des arrêts de caméra décuplant les transformations, le subconscient du Baron prend vie sous nos yeux, son lit se dérobant sous ses pieds. Menacé de toutes parts, qui par des pharaons ou des dragons, qui par une femme-araignée tissant sa toile, il va jusqu’à basculer de l’autre côté du miroir, telle Alice au pays des merveilles. Enfin, quand la Lune elle-même lui tire la langue, c’en est trop, et hop ! la commode fracasse le miroir. À défaut d’un conte en images, ce sommeil agité se veut la preuve d’un imaginaire débridé.

Rêver le présent

Créateur délinquant, Terry Gilliam restera pour toujours associé aux Monty Python, un groupe britannique à l’humour absurde qui sévit au plus fort des années 1970. Au Québec seulement, RBO, les Denis Drolet et les Appendices se réclament de leur univers décapant. Le comique devient également cinéaste et bâtit une filmographie où le temps devient une matière élastique, le futur s’emmêlant au présent pour en esquisser le meilleur et le pire, comme dans ses films Bandits, bandits, Brazil et L’ Armée des 12 singes. L’imaginaire y est échappatoire devant l’adversité (Le Roi pêcheur, Tideland) ou encore la nourriture première des artistes (Les Frères Grimm, L’Imaginarium du docteur Parnassus). Dans le lot, Les Aventures du Baron de Münchausen se présente telle la joyeuse synthèse de ses obsessions.

NICOLAS GENDRON est critique cinéma, metteur en scène et acteur. Il est aussi directeur artistique de la compagnie de théâtre ExLibris.

GEORGES MÉLIÈS (1861-1938) est un réalisateur de films français et est considéré comme l’un des principaux créateurs des premiers effets spéciaux suite à l’invention du Cinématographe (projecteur) par les frères Lumière.

TERRY GILLIAM est un acteur, dessinateur, scénariste et réalisateur. Il se penche tout particulièrement, à travers ses œuvres, sur l’imaginaire et le paradoxe temporel.

Affiche du film Les Aventures du Baron de Münchausen de Terry Gilliam (1988)

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Extrait du film Les Hallucinations du Baron de Münchhausen de George Mélies (1911)

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e n t R e t i e n av e c H u g o b é l a n g e RPropos recueillis et mis en forme par Aurélie Olivier

P O U R q U O I ?

Très bon entretien entre Aurélie Olivier et Hugo Bélanger, tiré du Cahier / numéro 78 (Hiver 2011) du Théâtre Denise-Pelletier, au moment de la création de Münchhausen : les machineries de l’imaginaire. Hugo m’a enseigné au Conservatoire d’art dramatique de Montréal à l’automne 2006. Sa vision du jeu de l’acteur et l’importance qu’il accorde au rythme font de lui un metteur en scène qui m’inspire beaucoup. J-S. Traversy

Les aventures du Baron ont souvent été adaptées et constamment enrichies. Pourquoi les raconter à votre tour ?

Le spectacle relate certes les aventures de Münchhausen, mais la véritable histoire que l’on raconte est celle du Théâtre Gustave Galimard et fils, une troupe foraine fondée en 1797 et qui a survécu jusqu’en 1974 en jouant inlassablement une seule et même histoire : celle du

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et à la mort des idées. La Mort rappelle au Baron qu’il est anachronique, qu’il devrait se résoudre à tomber dans l’oubli. Elle représente les raisonnables, les sceptiques, ceux qui demandent à quoi sert de s’obstiner à raconter des histoires. Je pense qu’une personne est vivante tant qu’on parle d’elle, tant que quelqu’un s’en souvient. Le Baron est mort en 1797, mais la compagnie Galimard a continué à en parler pendant presque 200 ans, alors tout est possible ...

Quelle est l’influence des machineries sur la mise en scène et sur le jeu des acteurs ?

Mon but était que l’on voie les machines et les « trucs », mais que les spectateurs acceptent d’y croire quand même. Sur scène, on joue avec les machines et les objets, on montre les manipulations, la façon dont sont fabriqués les effets, et ainsi on va et vient constamment entre le vrai et le faux. D’une manière générale, j’aime que les comédiens soient toujours

AURÉLIE OLIVIER est collaboratrice à Jeu, revue de théâtre et vice-présidente de l’Association québécoise des critiques de théâtre. Elle est également consultante en communication et rédactrice pigiste.

HUGO BÉLANGER est metteur en scène, auteur, pédagogue et directeur artistique de la compagnie de théâtre Tout à Trac. Il créé plusieurs spectacles récipiendaires de nombreux prix. Au TDP il a mis en scène L’Oiseau vert, La Princesse Turandot, et Münchhausen, les machineries de l’imaginaire. Il signait l’adaptation et la mise en scène du Tour du monde en 80 jours au TNM au printemps 2015.

Fondé en 1998, TOUT À TRAC est déjà bien connu du public adulte et adolescent québécois. C’est l’une des rares compagnies à s’immiscer avec beaucoup de précision et de finesse dans les mondes du rêve, de l’illusion et du faux-semblant.

baron de Münchhausen. Ce qui me fascine dans l’histoire de cette troupe, c’est son côté jusqu’au-boutiste. Raconter la même histoire pendant 200 ans traduit une obstination et une folie qui ressemblent à celles du Baron.

En fait, le discours du baron me rejoint dans tout ce que je défends et revendique en tant qu’artiste : le droit de raconter une histoire, d’emmener les gens ailleurs, de les faire rêver. Être émerveillé au théâtre, ce n’est pas rien. J’adore que les gens sortent d’un spectacle dans cet état. C’est ce que j’appelle l’art populaire non-populiste : il regroupe tout le monde, sans niveler par le bas. C’est ce que j’essaie de faire.

Dans le spectacle, le Baron rencontre plusieurs fois la mort. Pourquoi en avoir fait un personnage ?

Le Baron parle souvent de la façon dont il a vaincu la mort et je trouvais intéressant qu’il la rencontre et jase avec elle. Cela fait référence à la fois à la mort véritable,

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actifs ; c’est le principe du comédien qui fait tout, comme dans les compagnies familiales telles que Galimard & fils. Vu le travail colossal que cela demande, je me suis adressé à des comédiens qui connaissaient mes méthodes de travail. Ce sont des musiciens, ils ont de l’expérience avec les marionnettes, sont habiles de leurs mains et capables de faire plusieurs choses à la fois.

Par ailleurs, il fallait qu’ils soient responsables et qu’ils aient l’esprit de groupe. Les gens que j’ai choisis sont des curieux qui aiment être mis au défi, notamment les concepteurs que je pousse toujours à aller plus loin, à qui je présente des demandes a priori irréalisables, mais qui les forcent à se dépasser et à s’éloigner des idées toutes faites. On a passé beaucoup de temps à travailler techniquement nos rôles de machinistes. Sur scène, la technique de jeu doit être tellement assimilée qu’on doit pouvoir introduire de la folie sans perdre la technique.

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Trucs et machines de scène au xviiie sièclepar Hélène Beauchamp

P O U R q U O I ?

Clin d’œil à Hélène Beauchamp, qui coordonna de main de maître les Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier pendant les cinq dernière années. Elle signe, ici, un dossier complet et passionnant sur les machines au théâtre dans le cadre du Cahier numéro 78 (Hiver 2011), lors de la création originale de Münchhausen : les machineries de l’imaginaire. J-S. Traversy

Le sous-titre du spectacle, « les machineries de l’imaginaire », annonce les intentions du metteur en scène et écrivain scénique Hugo Bélanger. Il est également indicatif des demandes faites au scénographe. Dès le début du texte1, le bâtiment du théâtre est joliment comparé à un bateau, et la didascalie laisse entendre que le spectacle utilisera machines et machineries, comme celles de l’époque – le XVIIIe siècle – où les aventures du Baron ont été racontées par lui-même puis consignées par écrit.

La scène doit faire penser à un vieux rafiot qui a connu les plus grandes tempêtes. Comme pour un voyage en bateau, le voyage théâtral ne se fait jamais sans risque. Le bateau a une cale, la scène a ses dessous et des machines, des cordages, des rideaux qui rappellent les voiles, des poutres qui rappellent de vieux mâts fêlés.

À la scène 7, une des répliques enjoint les comédiens à se faire machinistes de plateau : « Tout le monde à son poste ! Hissez le rideau ! Préparez les accessoires ! Actionnez les soufflets à fumée ! Machinistes, à vos machineries ! Comédiens à vos répliques ! Public à vos sièges ! ». Et à la scène 9, alors que le Baron entraîne Sarah dans une de ses folles envolées, les indications scéniques contenues dans sa réplique laissent entrevoir l’utilisation d’une « machine à vent », et le consentement à l’illusion de l’envol par l’incrédule Sarah.

Baron

Il faut se concentrer un peu. Monte sur mon dos. Accroche-

toi à moi. Ferme tes yeux. Sens le vent qui se lève

tranquillement... La brise devient peu à peu bourrasque...

Entend le vent qui siffle dans tes oreilles... Nous prenons de

l’altitude... (Les comédiens créent les effets que raconte le

Baron.)

(Le Baron et Sarah sont soulevés dans les airs par une

planche manipulée par les acteurs.)

Sarah

On vole, monsieur le Baron ! On vole !

1 Selon la version consultée.

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Hugo Bélanger aime le théâtre et son mentir-vrai, il sait que raconter une histoire exige toujours une part importante d’invention, voire de rêve. Dans ce sens aussi, il fait sienne l’attitude du conteur Münchhausen dont la préoccupation première est toujours de s’éloigner le plus rapidement possible de la réalité... pour mieux y faire croire... Ce qu’exprime très clairement la dernière réplique de la pièce que le Baron adresse à la fonctionnaire qui voudrait bien faire démolir le théâtre.

« Vous pouvez démolir ce théâtre, il y en aura toujours un

autre qui se redressera pour le remplacer. Vous pouvez

tenter de faire taire les rêveurs mais le rêve est immortel

et sans fin. Vous pouvez tenter de l’étouffer, il ressuscitera

toujours ne serait-ce que dans une chansonnette, un air de

flûte ou une histoire racontée au coin d’un feu. Les histoires

continueront malgré vous, malgré votre cynisme et votre

ennui. Nous ne disparaîtrons que le jour où l’humanité ne

voudra plus d’elle-même. Car sans les rêveurs, plus rien

n’existe, pas même vous, madame la faucheuse d’idées,

embaumeuse de rêves... »

Qu’en était-il donc des machines, machineries et trucs scéniques ainsi que du bâtiment de théâtre à l’époque où vécu Karl Friedrich Hieronymus, baron de Münchhausen ?

Questions d’architecture

Le Baron raconte ses aventures au moment où les représentations théâtrales quittent les tréteaux des places publiques et les amphithéâtres de plein air.

Les architectes et les scénographes 2 inscrivent alors la salle et la scène à l’intérieur même d’édifices construits pour les recevoir. Ce grand mouvement a surtout lieu en Italie où l’on tente vraiment d’intégrer la scène et l’amphithéâtre dans un bâtiment. L’exemple le plus probant en est le Théâtre de Palladio à Vicence en Italie. Puis, autant la scène que la salle se transforment sous l’influence de la peinture italienne de la Renaissance et de la découverte de la perspective.

Perspective: art de représenter les objets sur une surface plane, de telle sorte que leur représentation coïncide avec la perception visuelle qu’on peut en avoir, compte tenu de leur position dans l’espace par rapport à l’œil de l’observateur. -Le Petit Robert

Dès lors, les concepteurs ne peuvent plus ignorer que les spectateurs sont assis devant une scène où va se dérouler la représentation d’une action vécue par des personnages et qu’il faut rendre cette représentation le plus crédible possible. Car il faut entraîner chez le spectateur l’adhésion à la fiction de l’œuvre. Et le premier réflexe semble avoir été de prendre tous les moyens pour établir l’adéquation la plus juste possible entre la fiction et la réalité. Ainsi, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le principe de l’illusion de réalité commence à s’imposer

comme but de la représentation théâtrale. La mimèsis cherche une ressemblance identitaire entre le réel et le visible. Le décor planté sur scène doit représenter le mieux possible une rue, l’intérieur d’un palais ou une mer déchaînée ; la scène doit rendre possible les apparitions de fantômes, de divinités ou de phénomènes naturels comme les tempêtes. Les textes dramatiques et les livrets d’opéras demandent souvent de tels effets, voire même des incendies ou l’effondrement de colonnes ou de murs.

La même époque voit la fin d’une deuxième révolution technique, celle des poulies et engrenages, et l’amorce de la troisième, celle du rail et de la vapeur. Nicola Sabbattini, architecte, publie les deux volumes de son Pratica di fabricar scene e macchine ne’teatri en 1637 et 1638. Rappelons que Diderot et D’Alembert publient leur Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers à Paris de 1751 à 1772 dont les articles expliquent les phénomènes et les fonctionnements de façon rationnelle et technique. Et c’est tout au cours du XVIIIe siècle que s’impose dans les cours d’Europe le « théâtre à l’italienne » par l’intermédiaire des scénographes italiens qui y sont appréciés pour leur art et leur savoir-faire en matière d’architecture théâtrale, de scénographie, d’effets de machines et de fêtes éphémères.

2 Rappelons que le mot « scénographie » (1545) vient de « scène » et se définit comme l’art de représenter en perspective. Le Petit Robert

Münchhausen, les machineries de l’imaginaire

Plancher de scène : plans, trappes, châssis.

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Dans son traité de scénographie, l’architecte Pierre Sonrel3 qualifie le Théâtre de Bordeaux, construit de 1774 à 1778, de « type parfait de nos théâtres, tant par la disposition architecturale de la salle que par l’harmonie et l’élégance de ses dégagements ». Le plan de la salle, comme il le décrit, est tracé selon un cercle légèrement ouvert sur la scène. Le plafond est voûté, soutenu par quatre colonnes dont deux encadrent la scène ; il y a trois étages de balcon. La scène, encore très profonde,

comprend 12 plans. C’est que les interminables décors en perspective sont encore en faveur. Il n’y a pas de cadre de scène proprement dit.

Les spectateurs et les acteurs se trouvent donc face à face, tout comme la réalité et la fiction. L’illusion de réalité est posée comme nécessaire et la recherche plastique se fait par les artifices de la perspective frontale avec point de fuite central qui dirige fortement le regard du spectateur vers le lointain. La représentation en perspective peut tromper l’œil au point qu’un observateur ne puisse faire la différence entre la réalité et sa représentation en perspective. Le décor évolue vers une image qui cherche de plus en plus à ressembler au réel.

Perspective, machineries et trucages

Dans le décor à l’italienne, la perspective a pour lieu l’espace de la scène. Elle est réalisée grâce à la série de châssis qui sont disposés de chaque côté de la scène et en parallèle au cadre de scène, où se compose et se décompose l’espace à représenter. Une rue, par exemple, qui part de l’avant-scène et qui se termine en fond de scène, est représentée, selon les lois de la perspective, de façon à faire croire à sa réalité. Les séries de châssis qui limitent le décor sur les côtés peuvent être complétées par un ensemble de frises, suspendues à des perches, qui limitent le décor en hauteur. Les rideaux limitent le décor au lointain.

La scène, plancher sur lequel jouent les acteurs et reposent les décors, fait partie de ce que l’on appelle la cage de scène, verticale, que l’on peut diviser en trois

Münchhausen, les machineries de l’imaginaire

zones qui se superposent. Le plateau est au milieu de cette cage de scène, et il est complété par deux autres volumes, l’un appelé dessus – ou cintre - et l’autre dessous. Ces trois volumes superposés occupent une superficie beaucoup plus grande que celle de la salle – parfois le double – alors que sa hauteur atteint fréquemment trois fois celle de la salle. Les dessus et les dessous sont utilisés pour les changements de décor et les effets de machinerie. La machinerie qui nous intéresse s’y trouve cachée.

Au-dessus se trouvent les cintres : espace aussi vaste que la scène et qui pourrait contenir tout un décor disposé tel que le public le voit. On y trouve les treuils et les tambours, pour des vols complexes (spectres et fantômes par exemple) et les passerelles de service utilisées par les machinistes (les cintriers). La passerelle inférieure est réservée aux électriciens pour y disposer les projecteurs, accéder aux herses et autres appareils suspendus. Au-dessus encore se trouve le gril. Et du gril jusqu’aux dessous, le long d’un des murs de côté de la scène, sont tendus les fils qui permettent toutes les manœuvres.

Sous le plateau se trouve un espace aussi important que la scène et les cintres, capable également de contenir un décor entier. Plusieurs planchers y sont superposés. Le premier est le plus souvent à environ deux mètres sous le plateau, puis le 2e et le 3e dessous. Le premier, sert à la manœuvre des trappes, pour les apparitions et disparitions ; le 2e à la manœuvre des fermes et des treuils ; le 3e à celle des tambours.

Cage de scène

3 Pierre Sonrel, Traité de scénographie, Paris, 1956

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Volerie

En France, c’est dès le XVIIe siècle qu’on présente ce que l’on appelle des « pièces à machines » dont l’action nécessite des changements de lieux spectaculaires : les comédies-ballets, les opéras, les tragédies ou les comédies comme le Dom Juan ou l’Amphytrion de Molière. Machine, traduction de macchina, désigne l’ensemble du dispositif permettant les changements de décor. Grâce à ces machines, les effets pour surprendre et émerveiller sont mis en œuvre : apparitions spectaculaires par les dessus, disparitions inquiétantes par les dessous, vols complexes de dieux et de déesses, changements rapides de tableaux. L’utilisation des machines est associée à une dramaturgie qui les appelle.

Trois principes mécaniques sont à la base de la machinerie théâtrale

Le contrepoids : l’objet à soulever est fixé à l’extrémité d’un fil, on fait passer ce fil dans la gorge d’une poulie et l’on suspend à l’autre extrémité une masse de poids sensiblement égal à l’objet ; le treuil sert à élever verticalement de lourdes charges et se compose d’un cylindre horizontal tournant sur son axe. Les fils auxquels sont suspendus les poids à soulever s’enroulent autour de ce cylindre ; le tambour à démultiplication qui se compose de deux cylindres de diamètre différent.

Les treuils, les tambours, les contrepoids et les porteuses (tubes d’acier de longueurs variées auxquelles on suspend les châssis, les herses d’éclairage et les projecteurs) sont reliés, et le dispositif qui résulte de leur combinaison constitue une équipe : l’équipe d’un décor ou d’un rideau, par exemple.

Le tambourLe treuil

Le contrepoids

Les trucs sont des effets de surprise pendant la représentation. Les chars célestes, les bateaux qui apparaissent en scène, les décors qui sortent du sol sont des machines ; tandis que les trappes au travers desquelles surgissent les acteurs, les transformations rapides de décors ou de personnes relèvent des trucs.

Pour les voleries – de divinités mythologiques par exemple – , les organes moteurs sont disposés dans les cintres. Dès que ces personnages disparaîtront, la machine ne sera plus utilisée. Les gloires étaient des machines descendant des cintres portant parfois un nombre considérable de comédiens ou de chanteurs et qui se modifiaient, se développaient à mesure qu’elles apparaissaient aux spectateurs.

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Le théâtre de Drottningholm

Le théâtre du Château royal de Drottningholm, à quelques kilomètres de Stokholm en Suède, fut inauguré en 1766. À l’extérieur, il est d’une belle simplicité architecturale. À l’intérieur, l’une de ses caractéristiques les plus frappantes est l’extraordinaire unité formée par la scène et la salle, la seconde n’étant en quelque sorte qu’une image inversée de la première. L’impression d’unité qui se dégage des proportions architectoniques est encore renforcée par la lueur de l’éclairage qui plonge la scène et la salle dans une même atmosphère.

Les acteurs y ont joué les grandes œuvres françaises, les vaudevilles et les petits opéras-comiques puis des œuvres qui demandaient des ressources techniques, une décoration spéciale et une machinerie compliquée.

Après 1800, le théâtre tomba dans l’oubli et les couches de poussière s’accumulèrent jusqu’en 1921. Pourtant, une trentaine de décors plus ou moins complets avaient été conservés et la machinerie, construite par le maître italien Donato Stopani, existait toujours dans son état primitif.

Les travaux de remise en état furent entrepris. Le plus difficile fut de pourvoir de fils la machinerie compliquée de Stopani et d’actionner toutes les roues, les chariots et les contrepoids qui interviennent dans les changements de décors, les apparitions de divinités ou les voyages aux Enfers effectués par l’une des nombreuses trappes. Une nouvelle inauguration du théâtre eut lieu en 1922,

Historienne et essayiste, HÉLÈNE BEAUCHAMP s’intéresse à la dramaturgie et à l’évolution du théâtre professionnel au Québec et au Canada français. Elle a aussi agi à titre de coordonnatrice des Cahiers du Théâtre Denise-Pelletier de 2010 à 2015.

Münchhausen, les machineries de l’imaginaire

Salle et scène du théâtre de Drottningholm

et depuis on y présente des opéras, entre autres de Gluck, Händel, Mozart, Pergolèse, Purcell. Il est ouvert aux visiteurs.

Le Théâtre Denise-Pelletier est un théâtre à l’italienne, et son impressionnante cage de scène est pourvue de trappes, de dessous et de cintres... à la mode technologique !