15 samedi 6 octobre 2018 L’OLJ WEEK-END Elle aurait aimé être vétérinaire, ou encore joueuse de bas- ket. Au lieu de cela, elle s’est retrouvée sur scène à jouer la comédie et à faire rire les gens. On peut la définir comme une activiste du rire… Quand elle entre dans une pièce, elle en impose, par son allure ou par sa voix. Sur son compte Face- book, on peut lire Esperanza et non Fakih. Cette petite gazelle (signification de Shaden) incarne grandement les espoirs et les attentes de ces jeunes qui, comme elle, ne veulent pas at- teindre des sommets de célébrité, mais uniquement découvrir le monde en s’amusant et en le remodelant à leur façon. Pour elle, l’art de jouer et de faire rire n’est pas très compli- qué. C’est même très simple, parce que dans la vie, déjà, elle dit qu’elle est une « joueuse », et que son art est un espace où la vérité absolue n’existe pas. Il se résume uniquement en un plaisir que l’on prend en explorant le beau, l’inédit, le nouveau. Le dépoussiérage des idées reçues fait partie du job description de la comédienne qu’elle veut être, tout comme la prise de risques. Surtout pour les causes qu’elle protège et défend, comme le Permanent Peace Movement, ou en partici- pant au film de Nadine Labaki, Capharnaüm. Née de parents (qu’elle dit adorer en tant que parents, mais surtout en tant qu’êtres humains) sensibles à l’art et entourée d’amis qui privilégient le sensoriel au matériel, la comédi- enne a appris à maîtriser la liberté et ces valeurs impalpa- bles, non écrites ou dictées. Dès son jeune âge, elle a détesté tout l’enseignement académique, « et ce que ça entraîne comme cloisonnements ou étiquettes ». Elle se souvient qu’à l’école, on choisissait les élèves qui avaient les meilleures notes pour jouer la comédie et pour les mettre en avant dans les fêtes de fin d’année. « J’étais toujours considérée comme moyenne, jusqu’à ce que je rentre à la LAU pour découvrir en section graphisme que je ne l’étais pas du tout. » Et elle s’insurge très vite contre le diktat de la pensée unique et refuse de se laisser manipuler par le système. Certes, il est difficile, dit-elle, de ne pas se laisser bouffer par ce système, « mais j’aime aller à contre-courant, et tant que je peux le Shaden Fakih, COMÉDIENNE, 26 ANS Ce qu’elle préfère UN ACTEUR/UNE ACTRICE PRÉFÉRÉ(E) ? Meryl Streep. UN CHANTEUR/UNE CHANTEUSE PRÉFÉRÉ(E) ? Oum Kalsoum. UN ÉCRIVAIN PRÉFÉRÉ ? Murakami. UN PEINTRE PRÉFÉRÉ ? L’art nouveau. UNE COULEUR PRÉFÉRÉE ? Le tyle, entre vert et bleu. UN PLAT PRÉFÉRÉ ? Le riz au poulet et la viande crue (téblé). UN TRAIT DE CARACTÈRE PRÉFÉRÉ ? L’authenticité. UNE VILLE PRÉFÉRÉE ? Barcelone. UN ANIMAL PRÉFÉRÉ ? L’éléphant. UN ÉMOTICON PRÉFÉRÉ ? Celui qui met la main sur la bouche et le bonhomme qui dit yes… UN ALCOOL PRÉFÉRÉ ?  Je n’en aime aucun. UNE TÂCHE MÉNAGÈRE PRÉFÉRÉE ? Je suis celle qui met en désordre, qui salit. UN COMPLIMENT PRÉFÉRÉ ? J’aime ta compagnie. UNE PARTIE DU CORPS PRÉFÉRÉE ? Mes mains et mes yeux. UN OUTIL TECHNOLOGIQUE PRÉFÉRÉ ? Je m’en sers, mais j’essaye de tout faire à l’ancienne. Bane Fakih SA SŒUR JUMELLE Shaden et moi ne nous sommes jamais séparées, sauf récem- ment, car je poursuis mes études d’écriture de scénarios à New York. Nous avons grandi dans un milieu d’entière liberté, et c’est pourquoi Shaden a pu réaliser ses rêves. Quand elle a décidé de faire du stand-up, mes parents avaient peut-être quelques appréhensions, sans qu’on ne le ressente, mais, comme je la comprends jusqu’au fond d’elle- même, j’ai décidé de l’encourag- er jusqu’au bout. Ma mère et moi sommes les premières specta- trices de son show. Elle s’amène avec son cahier où elle a inscrit des notes et, enthousiaste, elle nous lit son texte. Si je ne ris pas, elle sait qu’elle doit corriger son texte car elle sait pertinemment que je ne lui mentirai jamais. Nadine Labaki CINÉASTE Shaden joue quelques minutes dans mon film Capharnaüm car il n’y avait pas vraiment de rôles à remplir dans ce film, et son talent est beaucoup plus grand que ce personnage qu’elle a interprété. J’ai rencontré cette jeune fille pour la première fois dans le cadre de Beirut Madinati et j’ai été très vite fascinée par son intelligence, sa fougue et la passion qu’elle Dans le cadre de Génération Orient, et en partenariat avec la Société Générale de Banque au Liban (SGBL), L’Orient-Le Jour va braquer chaque mois tous les projecteurs (papier et web) sur un artiste (âgé de maxi- mum 35 ans), toutes disciplines confondues (cinéma, musiques, peinture, sculpture, photo, illustration, street art, danse, mode, design, architecture, cuisine, etc.), et lui faire sa campagne sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, Snapchat…) pendant 30 jours, jusqu’à la date de publication du prochain artiste. Chaque année, douze artistes seront en lice pour le prix L’OLJ-SGBL (5000 USD le 1er, 2000 USD le 2e et 1000 USD le 3e). Les lecteurs de L’OLJ voteront à 50%, et le vote d’un jury (L’OLJ, SGBL et grands noms/experts du monde artistique) comptera pour les 50% restants. Ce qu’en dit le mentor - Nahida Khalil Je pense que c’est moi qui lui ai inculqué le franc-dire et le franc-rire… Shaden a grandi dans une grande famille – la mienne –, où il y avait beaucoup de culture artistique, mais aussi beaucoup de rires : ma mère est une femme très drôle. Le rire doit très probablement couler dans nos veines. Il y avait aussi beaucoup de musique à la maison, celle des grands artistes comme Oum Kalsoum, et une grande liberté d’expression. Shaden et sa sœur jumelle Bane ont appris dès leur enfance le respect de l’autre, peu importe la couleur de sa peau, son orientation sexuelle ou son aspect phy- sique. D’ailleurs, l’école Carmel Saint-Joseph a contribué à leur distiller ces valeurs. Très jeunes, elles étaient déjà des activistes. À deux, elles ont formé un groupe du nom de Shaba wal kayl Tafaha, et elles composaient des chansons qui stigmatisaient l’injustice. Shaden se sert de son rire comme d’une arme pour réclamer les droits de chaque être humain, et si je l’ai toujours appuyée dans ses projets, j’essaye par moments de rectifier le tir ; de ne pas trop lui lâcher la bride, sans pour autant la contraindre. Je sens qu’inconsciemment, elle suit mes conseils et ne verse pas dans le vulgaire. Elle sait qu’étant une activiste moi-même, je suis en position de formuler certaines critiques… NAHIDA KHALIL EST LA MAMAN DE SHADEN FAKIH mettait au service des autres. Il est très rare de voir des jeunes s’impliquer totalement dans des causes sociales, pour le bien de leur ville. Puis j’ai été la voir jouer dans un stand-up, et j’ai été épatée non seulement par la finesse des textes qu’elle écrit elle-même, ou par sa façon de faire de l’équilibrisme entre le grave et le drôle, mais surtout par son courage. Shaden Fakih est une magnifique provocatrice. Une femme libre dans sa tête qui ira loin, j’en suis certaine. Lara Balaa SON ANCIENNE PROFESSEURE C’est à la LAU, où j’enseignais il y a cinq ans, que j’ai connu Shaden. Elle est rentrée comme une tornade dans mon bureau et m’a abordée par ces mots : « Je veux suivre un cours dans votre classe, me support- erez-vous ? » Je lui ai répondu : « Je suis une personne très calme, si vous faites l’effort de vous calmer un peu, je vous prendrai dans mon cours. » Elle me dit alors : « Oui je me calmerai, mais je vous préviens, j’aime beaucoup l’ail. » C’était ma première rencontre avec ce personnage qui sort de l’or- dinaire, et je m’en souviendrai toujours. Sa créativité ? C’est relier des sujets qui n’ont rien en commun et son sens aigu de l’improvisation. Madonna Adib SON AMIE J’ai connu Shaden il y a un an et demi. J’ai été très vite étonnée par son intelligence fine et sa manière de porter une cause sur ses épaules. Ce que j’aime en elle, c’est sa spontanéité et sa trans- parence. Cette franchise, unique, est le moteur de son travail, parce qu’elle ne craint pas de tout dire à voix haute. C’est une fille entière qui se donne avec beaucoup de générosité. Si je dois la décrire, elle est comme un ouragan qui souffle tout sur son passage quand elle entre dans une pièce… mais d’une manière si positive. Paola Mounla DIRECTRICE CRÉATIVE À LA J. WALTER THOMPSON Shaden est une fille très drôle, tant dans la vie que sur scène. Même mille fois plus drôle dans la vie. Elle ramenait beaucoup de joie au bureau. En voyant son show pour la première fois, j’ai été surprise de voir quelqu’un de tellement jeune, naturel et ou- vert, oser dénoncer avec autant de force l’homophobie ou le rac- isme. Shaden arrive sur scène avec son rire et sa passion, y installe un vent nouveau et défriche l’ancien. Ses stand-up parlent des jeunes et aux jeunes. Et je pense qu’elle ira loin. CE QU’EN DISENT LES PROCHES Page réalisée par Colette KHALAF faire, pourquoi pas… ». Conquérir le monde Et voilà Shaden Fakih qui quitte son poste dans une boîte de pub- licité et se libère de toute contrainte. L’aliénation, en effet, est son pire ennemi. Elle ne peut pas imaginer être limitée par le temps ou l’espace, ou encore aimer quelqu’un et « l’emprisonner dans une boîte téléphonique » et le transporter toujours avec elle : elle n’aime décidément pas les téléphones portables… C’est sur les planches, face au public, qu’elle trouve son bonheur. C’est dans le sourire qu’esquisse chaque spectateur, devant elle, qu’elle trouve la reconnaissance. Et c’est enfin dans le fou rire qui embrasse la salle qu’elle retrouve son lopin de bonheur, celui qu’elle a toujours recherché et qui lui procure un réconfort douillet. Alors, com- me un oiseau, elle déploie ses ailes, et tel un bateau ivre, elle prend le large. Elle ouvre ses voiles et se laisse emporter par les vents. Il se peut que la coque se brise par instants, mais sa boussole est bien affûtée, elle saura vite reprendre la direction qu’elle s’est fixée. Pourtant les débuts, pour cet électron libre, sont tout simples : des plaisanteries entre amis pour refouler les fantômes de la peur dans les caniveaux. Le rire porté en bouclier, la comédienne ne craint rien. Debout face aux autres, elle décide de tout déballer : ses problèmes de santé qui lui ont empoisonné un jour la vie et son orientation sexuelle qu’elle brandit aux yeux des autres. Étrangement, elle n’aime pas l’autodérision : elle dit qu’elle ne se per- mettrait jamais de se moquer d’elle-même, qu’elle se critique, certes, mais qu’elle ne se détruit pas. Au lieu de cela, il y a une franchise absolue dans cette conversation qu’elle initie avec l’autre, et elle veut croire qu’il le mérite si bien. La manière d’avoir conquis sa liberté est certainement un art, et si Pierre Desproges disait qu’on pouvait rire de tout mais pas avec n’importe qui, Shaden Fakih, elle, essaye, par sa gouaille, de conquérir le monde par le rire. « J’aime aller à contre-courant, et tant que je peux le faire, pourquoi pas… »

samedi 6 octobre 2018 Shaden Fakih,samedi 6 octobre 2018 15 L’OLJ WEEK-END Elle aurait aimé être vétérinaire, ou encore joueuse de bas-ket. Au lieu de cela, elle s’est retrouvée

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Page 1: samedi 6 octobre 2018 Shaden Fakih,samedi 6 octobre 2018 15 L’OLJ WEEK-END Elle aurait aimé être vétérinaire, ou encore joueuse de bas-ket. Au lieu de cela, elle s’est retrouvée

15samedi 6 octobre 2018L’OLJ WEEK-END

Elle aurait aimé être vétérinaire, ou encore joueuse de bas-ket. Au lieu de cela, elle s’est retrouvée sur scène à jouer la comédie et à faire rire les gens. On peut la définir comme une activiste du rire… Quand elle entre dans une pièce, elle en impose, par son allure ou par sa voix. Sur son compte Face-book, on peut lire Esperanza et non Fakih. Cette petite gazelle (signification de Shaden) incarne grandement les espoirs et les attentes de ces jeunes qui, comme elle, ne veulent pas at-teindre des sommets de célébrité, mais uniquement découvrir le monde en s’amusant et en le remodelant à leur façon. Pour elle, l’art de jouer et de faire rire n’est pas très compli-qué. C’est même très simple, parce que dans la vie, déjà, elle dit qu’elle est une « joueuse », et que son art est un espace où la vérité absolue n’existe pas. Il se résume uniquement en un plaisir que l’on prend en explorant le beau, l’inédit, le nouveau. Le dépoussiérage des idées reçues fait partie du job description de la comédienne qu’elle veut être, tout comme la prise de risques. Surtout pour les causes qu’elle protège et défend, comme le Permanent Peace Movement, ou en partici-pant au film de Nadine Labaki, Capharnaüm. Née de parents (qu’elle dit adorer en tant que parents, mais surtout en tant qu’êtres humains) sensibles à l’art et entourée d’amis qui privilégient le sensoriel au matériel, la comédi-enne a appris à maîtriser la liberté et ces valeurs impalpa-bles, non écrites ou dictées. Dès son jeune âge, elle a détesté tout l’enseignement académique, « et ce que ça entraîne comme cloisonnements ou étiquettes ». Elle se souvient qu’à l’école, on choisissait les élèves qui avaient les meilleures notes pour jouer la comédie et pour les mettre en avant dans les fêtes de fin d’année. « J’étais toujours considérée comme moyenne, jusqu’à ce que je rentre à la LAU pour découvrir en section graphisme que je ne l’étais pas du tout. » Et elle s’insurge très vite contre le diktat de la pensée unique et refuse de se laisser manipuler par le système. Certes, il est difficile, dit-elle, de ne pas se laisser bouffer par ce système, « mais j’aime aller à contre-courant, et tant que je peux le

Shaden Fakih, COMÉDIENNE, 26 ANS

Ce qu’elle préfère UN ACTEUR/UNE ACTRICE PRÉFÉRÉ(E) ?Meryl Streep.

UN CHANTEUR/UNE CHANTEUSE PRÉFÉRÉ(E) ?Oum Kalsoum.

UN ÉCRIVAIN PRÉFÉRÉ ?Murakami.

UN PEINTRE PRÉFÉRÉ ?L’art nouveau.

UNE COULEUR PRÉFÉRÉE ?Le tyle, entre vert et bleu.

UN PLAT PRÉFÉRÉ ?Le riz au poulet et la viande crue (téblé).

UN TRAIT DE CARACTÈRE PRÉFÉRÉ ?L’authenticité.

UNE VILLE PRÉFÉRÉE ?Barcelone.

UN ANIMAL PRÉFÉRÉ ?L’éléphant.

UN ÉMOTICON PRÉFÉRÉ ?Celui qui met la main sur la bouche et le bonhomme qui dit yes…

UN ALCOOL PRÉFÉRÉ ? Je n’en aime aucun.

UNE TÂCHE MÉNAGÈRE PRÉFÉRÉE ?Je suis celle qui met en désordre, qui salit.

UN COMPLIMENT PRÉFÉRÉ ?J’aime ta compagnie.

UNE PARTIE DU CORPS PRÉFÉRÉE ?Mes mains et mes yeux.

UN OUTIL TECHNOLOGIQUE PRÉFÉRÉ ?Je m’en sers, mais j’essaye de tout faire à l’ancienne.

Bane FakihSA SŒUR JUMELLE Shaden et moi ne nous sommes jamais séparées, sauf récem-ment, car je poursuis mes études d’écriture de scénarios à New York. Nous avons grandi dans un milieu d’entière liberté, et c’est pourquoi Shaden a pu réaliser ses rêves. Quand elle a décidé de faire du stand-up, mes parents avaient peut-être quelques appréhensions, sans qu’on ne le ressente, mais, comme je la comprends jusqu’au fond d’elle-même, j’ai décidé de l’encourag-er jusqu’au bout. Ma mère et moi sommes les premières specta-trices de son show. Elle s’amène avec son cahier où elle a inscrit des notes et, enthousiaste, elle nous lit son texte. Si je ne ris pas, elle sait qu’elle doit corriger son texte car elle sait pertinemment que je ne lui mentirai jamais.

Nadine LabakiCINÉASTE Shaden joue quelques minutes dans mon film Capharnaüm car il n’y avait pas vraiment de rôles à remplir dans ce film, et son talent est beaucoup plus grand que ce personnage qu’elle a interprété. J’ai rencontré cette jeune fille pour la première fois dans le cadre de Beirut Madinati et j’ai été très vite fascinée par son intelligence, sa fougue et la passion qu’elle

Dans le cadre de Génération Orient, et en partenariat avec la Société Générale de Banque au Liban (SGBL), L’Orient-Le Jour va braquer chaque mois tous les projecteurs (papier et web) sur un artiste (âgé de maxi-

mum 35 ans), toutes disciplines confondues (cinéma, musiques, peinture, sculpture, photo, illustration, street art, danse, mode, design, architecture, cuisine, etc.), et lui faire sa campagne sur les réseaux sociaux

(Facebook, Instagram, Twitter, YouTube, Snapchat…) pendant 30 jours, jusqu’à la date de publication du prochain artiste. Chaque année, douze artistes seront en lice pour le prix L’OLJ-SGBL (5000 USD le 1er, 2000

USD le 2e et 1000 USD le 3e). Les lecteurs de L’OLJ voteront à 50%, et le vote d’un jury (L’OLJ, SGBL et grands noms/experts du monde artistique) comptera pour les 50% restants.

Ce qu’en dit le mentor - Nahida Khalil Je pense que c’est moi qui lui ai inculqué le franc-dire et le franc-rire… Shaden a grandi dans une grande famille – la mienne –, où il y avait beaucoup de culture artistique, mais aussi beaucoup de rires : ma mère est une femme très drôle. Le rire doit très probablement couler dans nos veines. Il y avait aussi beaucoup de musique à la maison, celle des grands artistes comme Oum Kalsoum, et une grande liberté d’expression. Shaden et sa sœur jumelle Bane ont appris dès leur enfance le respect de l’autre, peu importe la couleur de sa peau, son orientation sexuelle ou son aspect phy-sique. D’ailleurs, l’école Carmel Saint-Joseph a contribué à leur distiller ces valeurs. Très jeunes, elles étaient déjà des activistes. À deux, elles ont formé un groupe du nom de Shaba wal kayl Tafaha, et elles composaient des chansons qui stigmatisaient l’injustice. Shaden se sert de son rire comme d’une arme pour réclamer les droits de chaque être humain, et si je l’ai toujours appuyée dans ses projets, j’essaye par moments de rectifier le tir ; de ne pas trop lui lâcher la bride, sans pour autant la contraindre. Je sens qu’inconsciemment, elle suit mes conseils et ne verse pas dans le vulgaire. Elle sait qu’étant une activiste moi-même, je suis en position de formuler certaines critiques…

NAHIDA KHALIL EST LA MAMAN DE SHADEN FAKIH

mettait au service des autres. Il est très rare de voir des jeunes s’impliquer totalement dans des causes sociales, pour le bien de leur ville. Puis j’ai été la voir jouer dans un stand-up, et j’ai été épatée non seulement par la finesse des textes qu’elle écrit elle-même, ou par sa façon de faire de l’équilibrisme entre le grave et le drôle, mais surtout par son courage. Shaden Fakih est une magnifique provocatrice. Une femme libre dans sa tête qui ira loin, j’en suis certaine.

Lara BalaaSON ANCIENNE PROFESSEURE C’est à la LAU, où j’enseignais il y a cinq ans, que j’ai connu Shaden. Elle est rentrée comme une tornade dans mon bureau et m’a abordée par ces mots : « Je veux suivre un cours dans votre classe, me support-erez-vous ? » Je lui ai répondu : « Je suis une personne très calme, si vous faites l’effort de vous calmer un peu, je vous prendrai dans mon cours. » Elle me dit alors : « Oui je me calmerai, mais je vous préviens, j’aime beaucoup l’ail. » C’était ma première rencontre avec ce personnage qui sort de l’or-dinaire, et je m’en souviendrai toujours. Sa créativité ? C’est relier des sujets qui n’ont rien en commun et son sens aigu de

l’improvisation.

Madonna AdibSON AMIE J’ai connu Shaden il y a un an et demi. J’ai été très vite étonnée par son intelligence fine et sa manière de porter une cause sur ses épaules. Ce que j’aime en elle, c’est sa spontanéité et sa trans-parence. Cette franchise, unique, est le moteur de son travail, parce qu’elle ne craint pas de tout dire à voix haute. C’est une fille entière qui se donne avec beaucoup de générosité. Si je dois la décrire, elle est comme un ouragan qui souffle tout sur son passage quand elle entre dans une pièce… mais d’une manière si positive.

Paola MounlaDIRECTRICE CRÉATIVE À LA J. WALTER THOMPSON Shaden est une fille très drôle, tant dans la vie que sur scène. Même mille fois plus drôle dans la vie. Elle ramenait beaucoup de joie au bureau. En voyant son show pour la première fois, j’ai été surprise de voir quelqu’un de tellement jeune, naturel et ou-vert, oser dénoncer avec autant de force l’homophobie ou le rac-isme. Shaden arrive sur scène avec son rire et sa passion, y installe un vent nouveau et défriche l’ancien. Ses stand-up parlent des jeunes et aux jeunes. Et je pense qu’elle ira loin.

CE QU’EN DISENT LES PROCHES

Page réalisée par Colette KHALAF

faire, pourquoi pas… ».

Conquérir le mondeEt voilà Shaden Fakih qui quitte son poste dans une boîte de pub-licité et se libère de toute contrainte. L’aliénation, en effet, est son pire ennemi. Elle ne peut pas imaginer être limitée par le temps ou l’espace, ou encore aimer quelqu’un et « l’emprisonner dans une boîte téléphonique » et le transporter toujours avec elle : elle n’aime décidément pas les téléphones portables…C’est sur les planches, face au public, qu’elle trouve son bonheur. C’est dans le sourire qu’esquisse chaque spectateur, devant elle, qu’elle trouve la reconnaissance. Et c’est enfin dans le fou rire qui embrasse la salle qu’elle retrouve son lopin de bonheur, celui qu’elle a toujours recherché et qui lui procure un réconfort douillet. Alors, com-me un oiseau, elle déploie ses ailes, et tel un bateau ivre, elle prend le large. Elle ouvre ses voiles et se laisse emporter par les vents. Il se peut que la coque se brise par instants, mais sa boussole est bien affûtée, elle saura vite reprendre la direction qu’elle s’est fixée. Pourtant les débuts, pour cet électron libre, sont tout simples : des

plaisanteries entre amis pour refouler les fantômes de la peur dans les caniveaux. Le rire porté en bouclier,

la comédienne ne craint rien. Debout face aux autres, elle décide de tout déballer : ses problèmes de santé qui lui ont empoisonné un jour la vie et son orientation sexuelle qu’elle brandit aux yeux des autres. Étrangement, elle n’aime pas l’autodérision : elle dit qu’elle ne se per-mettrait jamais de se moquer d’elle-même, qu’elle se critique, certes, mais qu’elle ne se détruit pas. Au lieu de cela, il y a une franchise absolue dans cette conversation qu’elle initie avec l’autre, et elle veut croire qu’il le mérite si bien. La manière d’avoir conquis sa liberté est certainement un art, et si Pierre Desproges disait qu’on pouvait rire de tout mais pas avec n’importe qui, Shaden Fakih, elle, essaye, par sa gouaille, de conquérir le monde par le rire.

« J’aime aller à contre-courant, et tant que je peux le faire,

pourquoi pas… »