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Sommaire Santé publique 5 Septembre-Octobre 2010 Éditorial Les Listes Médecin Traitant, un nouveau levier d’aide à l’activité soi- gnante et à la production de connaissances indispensables en soins primaires ? .................................................. 489 J.-L. Gallais, V. Capron, P. Lombrail Études Habitat dégradé et santé perçue : une étude à partir des demandes de logement social ........................................... 493 L. Ginot, C. Peyr Perceptions et comportements face au bruit dans les zones urba- nisées : l’exemple de l’Île-de-France ............................ 505 D. Grange, E. Chatignoux, I. Grémy Connaissances, attitudes et pratiques de jeunes handicapés sur le VIH/sida à Maputo (Mozambique).............................. 517 C. Lefèvre-Chaponnière Soins somatiques et autisme, lever les obstacles pour réduire les inégalités ................................................... 529 S. Acef, P. Aubrun Facteurs prédictifs de la malnutrition chez les enfants âgés de moins de cinq ans à Lubumbashi (République démocratique du Congo (RDC))...................................................... 541 W.-M. Abdon-Mukalay, P. Kalenga La fibromyalgie : du problème public à l’expérience des patients . . . 551 A. Nacu, D. Benamouzig Mutilation génitale féminine et complications de l’accouchement dans la province de Gourma (Burkina Faso) ...................... 563 P. Ndiaye, M. Diongue, A. Faye, D. Ouedraogo, A. Tal Dia Politiques Des pôles d’activités hospitaliers entre gestion de la crise et mise en œuvre d’une politique de santé publique........................ 571 P.-H. Bréchat et al. Modalités d’application du « disease management » de l’organi- sation et la rémunération des professionnels aux USA, en Allemagne et en Angleterre : perspectives pour la France.................... 581 L. Morin, C. Foury, P. Briot, A. Perrocheau, J. Pascal Lectures.................................................. 593

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Éditorial

Les Listes Médecin Traitant, un nouveau levier d’aide à l’activité soi-gnante et à la production de connaissances indispensables en soinsprimaires ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489J.-L. Gallais, V. Capron, P. Lombrail

Études

Habitat dégradé et santé perçue : une étude à partir des demandesde logement social. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 493L. Ginot, C. Peyr

Perceptions et comportements face au bruit dans les zones urba-nisées : l’exemple de l’Île-de-France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505D. Grange, E. Chatignoux, I. Grémy

Connaissances, attitudes et pratiques de jeunes handicapés sur leVIH/sida à Maputo (Mozambique). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517C. Lefèvre-Chaponnière

Soins somatiques et autisme, lever les obstacles pour réduire lesinégalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529S. Acef, P. Aubrun

Facteurs prédictifs de la malnutrition chez les enfants âgés de moinsde cinq ans à Lubumbashi (République démocratique du Congo(RDC)). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541W.-M. Abdon-Mukalay, P. Kalenga

La fibromyalgie : du problème public à l’expérience des patients . . . 551A. Nacu, D. Benamouzig

Mutilation génitale féminine et complications de l’accouchementdans la province de Gourma (Burkina Faso). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563P. Ndiaye, M. Diongue, A. Faye, D. Ouedraogo, A. Tal Dia

Politiques

Des pôles d’activités hospitaliers entre gestion de la crise et mise enœuvre d’une politique de santé publique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 571P.-H. Bréchat et al.

Modalités d’application du « disease management » de l’organi-sation et la rémunération des professionnels aux USA, en Allemagneet en Angleterre : perspectives pour la France. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 581L. Morin, C. Foury, P. Briot, A. Perrocheau, J. Pascal

Lectures. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 593

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Santépublique5September-October

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Editorial

Lists of patient-declared Primary Care Physicians: a new tool to sup-port health care and the production of critical primary careknowledge for practice? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 489J.-L. Gallais, V. Capron, P. Lombrail

Etudes

Housing conditions and perceived health: a study based on applica-tions for social housing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 493L. Ginot, C. Peyr

Perceptions and attitudes regarding noise in urban areas: the exam-ple of the Ile-de-France region . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 505D. Grange, E. Chatignoux, I. Grémy

Knowledge, attitudes and practices regarding HIV/AIDS amongstdisabled youth in Maputo (Mozambique). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 517C. Lefèvre-Chaponnière

Somatic care and autism: removal of barriers to reducing inequalities 529S. Acef, P. Aubrun

Factors associated with malnutrition in children aged under fiveyears in Lubumbashi (DRC). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541W.-M. Abdon-Mukalay, P. Kalenga

Fibromyalgia: from public issue to the patient experience . . . . . . . . . 551A. Nacu, D. Benamouzig

Female genital mutilation and complications in childbirth in the pro-vince of Gourma (Burkina Faso) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563P. Ndiaye, M. Diongue, A. Faye, D. Ouedraogo, A. Tal Dia

Politiques

Hospital Activity Poles : between crisis management and implemen-tation of public health policy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 571P.-H. Bréchat et al.

Application of “disease management” to the organization and com-pensation of professionals in the USA, Germany and England: pros-pects for France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 581L. Morin, C. Foury, P. Briot, A. Perrocheau, J. Pascal

Lectures. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 593

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Éditorial

Les Listes Médecin Traitant, un nouveau levier d’aide à l’activité soignanteet à la production de connaissances indispensables en soins primaires ? (1)

Depuis le 11 juillet 2009, la Loi Hôpital Patients Santé Territoire (HPST) endéfinissant et officialisant les soins de premiers recours et les missions des médecinsgénéralistes, est venue conforter le dispositif du médecin traitant et du parcours desoins mis en place par la loi du 13 août 2004 de reforme de l’Assurance Maladie.

À la notion très générale de patientèle, il est maintenant possible d’associer uneliste nominative précise de patients assurés sociaux qui ont désigné leur médecingénéraliste comme médecin traitant. À la notion de file active annuelle (en moyenne1 500 à 1 600 assurés par médecin généraliste et aux données statistiques du RelevéIndividuel d’Activité du Praticien (RIAP) fournies par l’assurance maladie, voila lapossibilité d’adjoindre une « Liste Médecin Traitant » (LMT). Cette opportunité couvrel’essentiel de la population si on souligne qu’en 2009, selon la CNAMTS plus de85 % des assurés avaient désigné un médecin traitant, un médecin généraliste dansplus de 98 % des cas.

Ce changement peut être l’occasion de dépasser la logique du RIAP à viséecomptable et fiscale pour passer à une approche plus clinique et populationnelle. Ildevient possible de relier des données de l’Assurance Maladie, notamment sur lesactes et prestations remboursés, à une population identifiée et de répondre à laquestion aussi classique qu’essentielle « Quel est le dénominateur ? ». Mais cettevisibilité permet également à chaque praticien de savoir « qui » il soigne et« comment » ; c’est-à-dire de consolider au niveau de la clientèle qui se déclarecomme telle, le résultat des décisions individuelles accumulées au cas par cas au fildes consultations et visites.

Depuis des décennies de nombreux pays européens ont l’expérience de ce librechoix organisé et régulé avec l’affiliation de la population à un médecin généralisteou à une structure de soins primaires. En Grande-Bretagne, ceci a permis deconstruire un système d’information permettant à chaque praticien (ou groupe depraticiens) de connaître son activité et sa performance. Indépendamment de l’objectifaffiché, de moduler la rémunération des praticiens ou des groupes en fonction de leurperformance relativement à celle de l’ensemble [1], il devient possible pour desprofessionnels d’avoir une visibilité sur leur niveau d’atteinte d’objectifs acceptéscar négociés par les organisations professionnelles.

Cette lisibilité potentielle nouvelle en France de la population consultante estsusceptible d’avoir des impacts dans l’ensemble des champs du soin, de laprévention et de la santé publique [2]. En matière de soins, le médecin généralistetraitant peut et doit disposer d’informations nouvelles utiles pour son exercice.Quelle est la part de la patientèle pour laquelle son engagement professionnel estclairement défini ? Quelles répartitions par âge, sexe ou territoire géographique desactivités curatives et préventives recommandées ? Qui sont ceux ayant étéhospitalisés ? Quelles consommations et quels parcours de soins dans le territoired’exercice et au delà ?

L’approche populationnelle et territoriale se dégagera d’autant mieux que la LMTsera progressivement accompagnée d’informations pertinentes intégrant des données

(1) Cet éditorial émane de la réflexion du groupe de travail Médecine générale et santé publique SFSP-EPITER.

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médicales (issues du SNIIRAM et d’autres systèmes d’informations disponibles) et desindicateurs sociaux ou de protection sociale (ALD, CMU, RMI). Ainsi, le professionnelpourra avoir un regard réflexif et distancié sur les facteurs favorisant ou limitant sonexercice et le recours aux soins. Mais il aura surtout une identification facilitée despersonnes concernées. Il lui deviendra possible de distinguer au sein de la file active deses patients, les personnes (ou les groupes de personnes) pour lesquels une attentionmédicale est plus particulièrement nécessaire et d’identifier ceux qui relèveraientd’actions spécifiques visant notamment à éviter ou réduire les inégalités socialesd’accès aux soins primaires.

Le médecin pourra également (comme avec le RIAP actuel) avoir des comparaisonslocale et régionale avec ses pairs, mais aussi des comparaisons entre les assurés desa file active selon leur affiliation ou non au dispositif du médecin traitant. Ceparamètre « Médecin Traitant » pourra être intégré dans les systèmes d’informationsdes données de soins et de prévention car il témoigne de l’alliance thérapeutique etde la confiance qui servent de levier dans la communication santé éducative,préventive et soignante. Il est ainsi déjà démontré que les taux de vaccination contrela grippe ou le taux de participation au dépistage organisé du cancer du sein ou ducolon étaient plus élevés dans les populations ayant un médecin traitant, surtoutquand ce dernier est associé à la conduite de ces actions de santé publique.

Au-delà des approches centrées sur le prescripteur à travers les Contratsd’Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI) dans lesquelles s’engageactuellement l’Assurance Maladie, il serait possible de favoriser une approchecentrée sur des LMT actualisées et informatives utiles d’abord aux médecins traitantspour d’avoir des outils nouveaux et un regard systématique sur leur pratique et leurpatientèle. Elles permettraient ensuite d’envisager de nouvelles perspectives pour lamise en œuvre du développement professionnel continu, l’amélioration de la qualitédes soins et la déclinaison de nombreuses stratégies de santé publique. Ces logiquesde santé des populations ont déjà été évoquées depuis longtemps au sein de lacollectivité généraliste [3] et par des institutions [4].

Ces approches peuvent en plus être envisagées à l’échelle de cabinets de groupeou de maisons de santé pluri-professionnelles qui s’inscrivent dans la dynamique demodernisation d’une offre de soins de proximité.

Enfin, si les bénéfices en termes de délivrance de soins de qualité sontpotentiellement majeurs, la disponibilité de LMT peut aussi contribuer à développerla recherche sur les soins primaires. Facilitant par exemple l’étude des phénomènesde variabilité de pratique individuelle afin de mieux comprendre ce qui relève desmédecins, des malades et des conditions d’exercice au niveau d’un territoire.

Que la vision soit locale et individuelle, ou populationnelle et territoriale impliquantles Agences Régionales de Santé, l’avenir de l’usage des LMT est à construire avecles acteurs concernés. De l’accès au terrain à l’accès aux méthodes, les LMTimpliqueront des partenariats multiples, soignants, organisationnels ou deproduction de connaissances. C’est à partir de ce fil rouge que se développera lacontinuité relationnelle et la continuité informationnelle indissociable du bon usageet de l’efficience des l’organisation de santé et de soins [5] mais en restant toujoursprioritairement une aide à l’exercice pour les professionnels concernés. Les limites dela LMT imposeront à prendre explicitement en compte la partie de chaque patientèlenon incluse dans ce dispositif du médecin traitant.

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LES LISTES MÉDECIN TRAITANT, UN NOUVEAU LEVIER D’AIDE À L’ACTIVITÉ SOIGNANTEET À LA PRODUCTION DE CONNAISSANCES INDISPENSABLES EN SOINS PRIMAIRES ?

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Ainsi, après les Tableaux Statistiques d’Activité des Praticiens (TASP), les RIAP, lesLMT participeraient à la transition officielle et explicite d’une logique de profil depraticien à celle de profils de patientèles et de territoires. Ce changement s’inscritnaturellement dans les besoins de système d’informations pertinents, de régulationet d’efficience associés au développement des soins primaires et aux approches desanté publique en France, à l’instar des autres pays européens.

Jean-Luc Gallais,Spécialiste en Médecine générale

Vanessa Capron,Chef de clinique en Médecine générale,

Faculté de Médecine, Nantes (44)

Pierre LombrailVice-Président de la SFSP

Président du Conseil d’administration du CUESP

BIBLIOGRAPHIE1. Bras PL, Duhamel G. Rapport sur Rémunérer les médecins selon leurs performances : les enseignements

des expériences étrangères. IGAS RM 2008 – 047 P. Juin 2008.

2. Bourdillon F, Mosnier A, Godard J, le comité de pilotage et le collectif. Des missions de santé publique pourles médecins généralistes. Santé Publique, 2008;5:489-500.

3. Gallais JL. Médecine générale individuelle et santé publique. Deux disciplines et pratiques indissociables.Rev Prat Med Gen 1992;181:1378-82.

4. ENA. Questions Sociales. Promotion René Char. Le rôle du médecin généraliste en matière de santépublique, 1995 : 390 p.

5. Pineault R, Levesque JF, Roberge D, Hamel M, Couture A. Les modèles d’organisation des services de premièreligne et l’expérience des soins de la population. Québec : Agence de la santé et des services sociaux deMontréal. Institut National de Santé Publique. Centre de Recherche de l’Hôpital Charles Le Moyne. Juillet2008 http://www.inspq.qc.ca/publications/notice.asp?E=p&NumPublication=816 (consulté le 2 septembre2010).

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Correspondance : L. Ginot Réception : 04/01/2010 – Acceptation : 10/05/2010

Habitat dégradé et santé perçue :une étude à partir des demandesde logement socialHousing conditions and perceived health:a study based on applications for social housing

Luc Ginot (1), Catherine Peyr (1)

Résumé : L’habitat dégradé est un déterminant social de la santé important. Ce travailexamine les éléments relatifs à la santé et aux facteurs de risque liés à l’habitat tels qu’ilsapparaissent dans les lettres de demande de logement social de locataires du parc privéd’Aubervilliers (93). Ont été analysées 234 lettres, dont 50,4 % évoquent un problème desanté en lien avec l’habitat. Les problèmes de santé somatique et les problèmes de bien-êtreou de santé psychique sont chacun présents dans un quart des dossiers. La moitié des lettresmentionnent un problème d’insalubrité ; la sur-occupation est présente de façon massive.Les problèmes somatiques semblent liés au signalement d’une insalubrité ; ceux de santépsychique et de bien-être à la présence d’une sur-occupation. Malgré le caractèrepréliminaire et empirique du recueil de ces données, elles confirment la nécessité d’aborderle lien entre habitat, demande de logement et santé perçue.

Mots-clés : Déterminants sociaux de santé - habitat insalubre - inégalités sociales de santé -santé mentale - santé perçue - sur-occupation.

Summary: Poor living conditions and insanitary housing are important social determinants ofhealth. This study examines health-related elements and risk factors linked to deterioratedhousing as they appear in applications and requests for social housing from the tenants inAubervilliers (93). 234 letters were analyzed, of which 50.4% mentioned a health problemrelated to habitat or housing. Somatic health problems and mental health problems, as wellas problems related to well-being, are each present in at least a quarter of the cases. Half ofthe letters mention a sanitation problem; over-occupancy is abundant. The physical healthproblems seem to be linked to the unhealthy conditions and sanitation issues, while those ofmental health and well-being are more closely related to the presence of high rates of over-occupancy. Despite the preliminary and empirical nature of this data collection process, thedata confirm the necessity of addressing the link between housing conditions, requests forhousing, and perceived health.

Keywords: social determinants of health - insanitary housing - social inequalities in health -mental health - perceived health - over-occupancy.

(1) SCHS ville d’Aubervilliers - 31-33 rue de la Commune de Paris - 93300 Aubervilliers.

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IntroductionL’accès à un logement et les conditions d’habitat sont des facteurs

déterminants des inégalités sociales de santé [8, 16, 17, 20]. En France, cettereconnaissance se traduit difficilement dans des stratégies opérationnelles etdes priorités de recherche [1]. Le lien entre habitat et santé, complexe, passepar un faisceau de mécanismes [13]. Or, les politiques publiques s’attachentsouvent à des impacts d’apparence univoque tels que celui qui associeplomb dans la peinture et saturnisme. L’absence de données de routine,d’études ad hoc d’ampleur, freine l’analyse des interactions entre, parexemple, bâti, occupation, pauvreté, insertion sociale ou scolaire, etc. Si, enlien avec la Politique de la Ville, des travaux ont été engagés sur la santéen Zones Urbaines Sensibles [5], un abord généraliste ou compassionnelprédomine encore s’agissant de l’habitat ancien dégradé ou insalubre. Lespolitiques réglementaires très actives menées ces dernières années [3, 6, 7, 12]l’ont donc été malgré un certain déficit scientifique. Par ailleurs, elles se sontconcentrées sur l’amélioration du bâti (conditions physiques d’habitat).Enfin, le point de vue des usagers est peu analysé, à la différence d’autreschamps de la santé environnementale [14].

Ce travail vise à décrire la fréquence des problèmes de santé évoqués dansles demandes de logement adressées au Maire d’Aubervilliers par deshabitants du parc privé, et de mieux comprendre le lien entre dégradation del’habitat et santé perçue, à travers l’analyse de ces lettres.

Population d’étude et méthodesLa ville d’Aubervilliers (93) se caractérise par l’importance d’un parc

d’habitat privé dégradé, surpeuplé, ou insalubre, abritant une population engénéral extrêmement pauvre. La demande de logement social y est massive.

La base de travail a consisté en toute lettre adressée au Maire ou à un deses adjoints entre avril 2008 et mars 2009, portant sur une demande delogement social. Ces lettres recevaient une ou plusieurs réponses, classéesavec la lettre du pétitionnaire. C’est à partir de cette base de réponses quel’on a recensé les lettres « entrées ».

Ont été exclues a) les lettres provenant de locataires du parc social ouassimilé (FTM, FJT…) souhaitant changer de logement, de personneshébergées dans ce parc, domiciliées dans une autre commune, de personnesSDF ; b) les lettres de relance, sauf en cas d’informations complémentaires(le dossier n’était alors compté qu’une fois) ; c) les quelques demandes parmail, la ville d’origine du pétitionnaire étant inconnue. Seules les lettresd’habitants sont retenues. La majorité des demandes entraînant une réponseécrite du maire-adjoint s’effectue cependant désormais au cours despermanences d’élus, sans nécessiter de courrier du demandeur : cesdemandes « retranscrites » par une tierce personne n’ont pas été intégrées àce travail.

L’identification des champs « santé » et « risques perçus » a été faite parlecture de chaque lettre par un médecin de santé publique. Plusieurs itemsrelatifs à la santé étaient identifiés : les principaux champs de la santésomatique, mais aussi certains paramètres de santé psychique, les troubles

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du sommeil, les difficultés en matière de socialisation, de respect del’intimité, etc. Pour ces dernières catégories, on s’efforçait de repérer le typede personnes concernées (enfants, adolescents, adultes). Le principe était dene pas mettre en cause la réalité des allégations de santé transcrites.L’appréciation par le pétitionnaire du lien habitat/santé était égalementrepérée à travers la description des éléments de risque ressentis et desindicateurs de sur-occupation. La présence d’un certificat médical était notée.

Les données (anonymes irréversibles) ont été informatisées sous Epi-info 6.04et traitées (Chi2, test de Fischer) sous Epi-info et SPSS 17.0.

RésultatsLe tableau I indique le nombre de lettres inclues et les motifs d’exclusion.

On relève l’importance des demandes issues d’autres communes, ainsi quele nombre de demandes issues de personnes hébergées en habitat social.

Au final, le travail porte sur les seules 234 lettres issues (avril 2008-mars 2009) de demandeurs domiciliés à Aubervilliers, dans le parc privé.Le tableau II donne la fréquence des items « santé » retenus : tous âgesconfondus, des problèmes somatiques sont signalés dans 27,4 % desdossiers, de santé mentale dans 9,8 %, liés au sommeil dans 8,1 %, de bien-être, intimité, socialisation dans 19,7 % des dossiers. Santé mentale,sommeil, socialisation/intimité/bien-être représentent ensemble 63 lettres,soit 26,9 %. Ces 4 types de motifs cumulés, donc la totalité des motifs horssaturnisme, représentent 103 lettres, soit 44,0 %. Si l’on inclue les 15 lettres(6,4 %) mentionnant un risque saturnin (hors celles signalant simplement laprésence de plomb en peinture), ainsi que les 4 dossiers qui ne mentionnentpas eux-mêmes une inquiétude en matière de santé dans leur courrier maisjoignent un certificat médical, on constate que 50,4 % des dossiers évoquentun enjeu de santé lié à l’habitat. Le tableau II donne ensuite la fréquence decitation de paramètres liés au logement lui-même, hors sur-occupation.L’insalubrité et ses stigmates divers (humidité, moisissures, etc.) sontprésents dans un dossier sur deux. L’hétérogénéité de ces facteurs interditles regroupements plus globaux.

Tableau I : Lettres inclues et exclues de l’analyse

Motif d’inclusion/exclusion Nb de lettres sur la période

En logement social à Aubervilliers : demande de changement 67

En logement social à Aubervilliers : hébergement chez un tiers 54

Résidence dans autre ville 137

2e demande 16

SDF 7

TOTAL EXCLUSIONS 281

LETTRES INCLUSES DANS L’ANALYSE 234

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La question fondamentale de la sur-occupation des logements (ousurpopulation) est mesurée par deux types d’indices. D’une part, on repèreles courriers où ce problème est identifié par les pétitionnaires, à travers lenombre de personnes dans le logement, la surface du logement rapportéeau nombre de personnes, ou un impact explicite de la sur-occupation :124 lettres (soit 53,0 % des dossiers) mentionnent un logement trop petit enregard du nombre d’occupants. Mais de nombreux pétitionnaires précisentle nombre de personnes, de pièces, surface, ce qui permet de situer cesdossiers en regard des indicateurs classiques de surpopulation. Si l’on seréfère aux seuils retenus dans le cadre de la base FILOCOM [3] ou par l’ANAH,basés sur la surface disponible, 69 dossiers sont caractérisés. Parmi eux,5 (7,2 %) ne montrent pas de sur-occupation au sens de l’ANAH, 15 (21,7 %)montrent une sur-occupation légère (< 16 m2 pour une personne, plus 11 m2

par personne supplémentaire), et 49 (71 %) une sur-occupation lourde(< 9 m2 par personne). La répartition du nombre de personnes par pièce estdisponible pour 83 dossiers (Figure 1). Deux distributions semblent exister :l’une caractérisée par des taux de sur-occupation importants, maisclassiques en habitat ancien (2,5 personnes/pièce ou moins), l’autre par unesur-occupation majeure, à partir de 3 personnes/pièce. 58 dossiers (70 %)répondent au seuil INSEE de sur-occupation (Nb occupants > Nb piècesprincipales + 1).

Tableau II : Fréquence d’occurrence des items portant sur les aspects médicaux du lienhabitat/santé

Item Nb de lettresavec mention

% sur le totaldes lettres

Items portant sur les aspects médicaux

Asthme, allergies 32 13,7

Autres pneumo 17 7,3

Dermato 2 0,9

Cardio-vasculaire 7 3,0

Problème de handicap 27 11,5

Autre problème somatique, somatique sans précision 39 16,7

Santé mentale d’un enfant 5 2,1

Problème liés au sommeil chez un enfant 14 6,0

Problème de bien-être, socialisation, etc. chez un enfant 18 7,7

Santé mentale d’un adolescent 4 1,7

Problème liés au sommeil chez un adolescent 3 1,3

Problème de bien-être, socialisation, intimité, etc. chez un adolescent 24 10,3

Santé mentale d’un adulte 16 6,8

Problème liés au sommeil chez un adulte 9 3,8

Problème de bien-être, socialisation, intimité, etc. chez un adulte 14 6,0

Items portant sur les risques perçus en lien avec l’habitat

Rats, cafards, nuisibles 18 7,7

Froid, problèmes de chauffage 26 11,1

Bruit 10 4,3

Plomb en peintures 19 8,1

Risque d’accident, électrocution, chute… 18 7,7

Insalubrité générale, humidité, stigmates d’humidité 115 49,1

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Des certificats médicaux sont joints dans 23 cas (9,8 %).Les données transmises en matière de santé ont été étudiées en fonction

des données d’insalubrité (indicateur d’insalubrité générale, tableau III) et desur-occupation perçue (Tableau IV). Les données liées au saturnisme ne sontpas intégrées, en raison de la spécificité de cette question (liaison « cause/effet » d’apparence évidente), et de la forte diffusion sur la commune d’uneinformation publique sur le sujet. Il existe un lien très significatif entre lamention d’une insalubrité générale et celle de troubles somatiques, et un lienentre les troubles du sommeil, les problèmes de socialisation, ou la globalitédu champ santé mentale/sommeil/socialisation, et le signalement d’unesurpopulation.

Figure 1 : Répartition des lettres en fonction du nombre de personnes par pièce principale.

Tableau III : Indicateurs de santé et signalement d’une insalubrité

Indicateur de santé% (Nb)

si insalubritégénérale = 1

% (Nb)si insalubritégénérale = 0

P

Asthme, allergies 27,0 (31) 0,8 (1) < 0,001

Tous problèmes somatiques 40,0 (46) 15,1 (18) < 0,001

Santé mentale 12,2 (14) 7,6 (9) 0,16 NS

Problèmes liés au sommeil 10,4 (12) 5,9 (7) 0,15 NS

Problèmes de bien-être, socialisation, intimité, etc. 22,6 (26) 16,8 (20) 0,17 NS

Tous problèmes santé mentale, sommeil, socialisation… 31,3 (36) 22,7 (27) 0,09 NS

Total santé hors saturnisme 56,5 (65) 31,9 (38) < 0,001

Effectifsobservés

Nb de personnes par pièce

30

25

20

15

10

5

0≤ 1 ]1;1,5] ]1,5;2,0] ]2,0;2,5] ]2,5;3,0] ]3,0;3,5] ≥ 4

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On ne peut comparer statistiquement les lettres témoignant d’une sur-occupation lourde avec celles « sur-occupation légère ou absente »(dissymétriques : 49 et 20 dossiers), non plus qu’aux lettres pour lesquellesla surface n’est pas disponible : la figure 2 compare donc simplement lafréquence de certains indicateurs en présence de surpopulation lourde àcelle dans l’ensemble des effectifs : les principaux items sont beaucoup plusfréquents dans les lettres avec sur-occupation lourde calculée. 70 % desdossiers avec sur-occupation lourde mentionnent des problèmes de santé(hors saturnisme).

Tableau IV : Indicateurs de santé et signalement d’une surpopulation

Indicateur de santé

% (Nb)si

surpopulationsignalée

% (Nb)sans

surpopulationsignalée

P

Asthme, allergies 16,1 (20) 10,9 (12) 0,17 NS

Tous problèmes somatiques 30,6 (38) 23,6 (26) 0,14 NS

Santé mentale 12,1 (15) 7,3 (9) 0,15 NS

Problèmes liés au sommeil 13,7 (17) 1,8 (2) < 0,01

Problèmes de bien-être, socialisation, intimité, etc. 32,3 (40) 5,5 (6) < 0,001

Tous problèmes santé mentale, sommeil, socialisation… 40,3 (50) 11,8 (13) < 0,001

Total santé hors saturnisme 57,3 (124) 29,1 (32) < 0,001

Figure 2 : Comparaison de l’occurrence de certains items de santé chez les familles avec sur-occupation lourde et au sein de la totalité des dossiers.

80

70

60

50

40

30

20

10

0

Asthme, allergies

Tousproblèm

essomatiques

Santé m

entale

Problèm

esliés au sommeil

Problèm

esdebien-être, …

Touspbs santémentale, …

Total santéhorssaturnism

e

tous dossiers

dossiers avec surpopulation lourde

%d’occurence

del’item

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DiscussionL’importance des demandeurs extérieurs à la commune est à relier à la

crise du logement en région parisienne. Par ailleurs, 23 % des demandeursvivent en logement social ou assimilé. La différence entre hébergés etpersonnes demandant à changer de logement social, n’est pas toujoursnette, notamment dans le cas des enfants souhaitant dé-cohabiter. Le survolde ces dossiers (exclus de l’étude) montre que les questions de santé sontcitées en particulier à travers l’impact de la surpopulation. Les personnesSDF, enfin, exposent souvent leurs enjeux de parentalité : dans plusieurs cas,elles ne peuvent exercer les droits de visite/garde en l’absence de domicile.

Quatre questions ayant trait à la qualité des données doivent être abordées.

Les données sont-elles exhaustives ?

Le nombre de lettres étudiées peut sembler faible, rapporté à la prégnancede l’habitat indigne sur la ville d’Aubervilliers. La procédure impliquant unretour systématique, il est pourtant probable que les lettres étudiéesreprésentent la totalité de celles parvenues au titre d’une demande delogement. Par contre, les nombreuses demandes ne passant plus par uncourrier, mais par un entretien lors d’une permanence d’élu(e) sont, parnature, exclues de cette étude.

La qualification des données est-elle précise ?

Identifier des problèmes de santé à partir d’une description par l’usager, engénéral peu précise, implique une part d’arbitraire, qui augmente lorsque latypologie se veut plus fine. Outre le codage par un médecin ayant unecertaine habitude de l’insalubrité et de ses corollaires, le choix a donc été faitd’une approche globalisante. Des identifications de champ ont étéabandonnées : par exemple la séparation entre le champ du bien-être et del’intimité et le champ de la vie sociale et relationnelle chez l’adolescent ; cesthématiques, distinctes dans l’expression orale des usagers, sont nonsécables dans l’expression écrite. L’agrégation des données psychiques, desocialisation et de bien-être, et des données somatiques, relève à la fois d’unchoix pragmatique (la frontière entre problème de santé psychique et debien-être est difficile à établir à partir de lettres) et d’une référence auxprincipes de l’OMS. Mais il est certain que la qualité du recueil des donnéesaurait pu être nettement améliorée par des méthodes précises d’analyse decontenu, et/ou un processus de double lecture. Ces techniques n’ayant paspu être mises en œuvre ici, le travail doit être considéré comme une premièreapproche de nature empirique. Par ailleurs, on s’est limité ici à une approchequantitative, à la différence de travaux d’analyse des demandes d’usagersincluant une analyse qualitative poussée [10].

Quelle est la perte de précision liée à une analyse des données menée à l’échellede la famille ?

La séparation des impacts sur la santé décrits à l’égard des enfants, desadolescents et des adultes, s’est révélée peu systématisable, notammentdans le champ somatique : l’âge des enfants n’est pas toujours précisé, et

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nous n’avons pas souhaité croiser les données avec le dossier administratif ;la notion d’enfant dans le courrier s’entend souvent comme celle de ladescendance cohabitant, et non comme un âge défini. D’autre part, ladescription des impacts sur la santé est fréquemment indifférenciée, mêmesi, dans de nombreux cas, c’est l’impact sur la santé des enfants et/ouadolescents, qui est mis en avant. Cette perte de précision est incontestable.Une difficulté supplémentaire vient du flou sur la notion de famille etsur celle de cohabitation. Nombre de lettres mentionnent des problèmesde cohabitation entre jeune couple et parents ou fratrie. La codification del’impact décrit (le demandeur est souvent le jeune couple, mais peut aussiêtre la fratrie) s’est faite au cas pas cas, entraînant perte d’information et/ouerreurs de classements.

Le contenu des lettres est-il le reflet réel des problèmes des familles,ou le reflet d’une stratégie de ces familles ?

Ce point central regroupe trois questions, touchant à de possibles biais desurestimation de la fréquence et de la gravité des pathologies évoquées :

– La mise en exergue des questions de santé relève-t-elle d’une« stratégie » des familles pour peser sur l’attribution du logementsocial ?

– La mise en exergue des questions de santé est-elle amplifiée par lapratique politique locale ? La période d’étude suit celle d’une alternancepolitique municipale. Les deux équipes successives ont fait de la luttecontre l’habitat insalubre une priorité revendiquée, aux enjeux sociauxautant que sanitaires : les pétitionnaires ont-ils tendance à s’inscriredans ce qui est ressenti comme localement « porteur » ?

– La mise en exergue des questions de santé est-elle liée à un discoursmédical focalisé sur la notion de relogement ?

Ces trois hypothèses ne peuvent être totalement réfutées à partir desseules données présentées. Sous réserve de précautions méthodologiques,la santé perçue est un bon indicateur de la santé réelle [2, 15] ; ici, laquestion est de savoir si la santé perçue est reflétée par la santé décrite, ousi des biais liés à la stratégie des usagers ont perturbé ce lien. Plusieurséléments tendent – sans les exclure – à minorer l’impact de ces biaiséventuels. D’une part, des arguments autres que de santé (risqued’expulsion, incapacité à assumer un loyer privé, etc.) apparaissent dans lescourriers comme plus pressants, porteurs d’un sentiment d’urgence (saufpathologies spécifiques). Bien que l’on ne puisse exclure une non-exhaustivité, les certificats médicaux sont peu nombreux y compris dans lesdossiers avec consonance santé, alors même que les praticiens n’ont aucuneréticence à en rédiger : ceci ne plaide pas en faveur d’une utilisation« d’opportunité » de l’argumentaire sanitaire. Une adaptation à ce qui estressenti comme la culture politique dominante est plus difficile à évaluer. Onnote qu’il n’existe pas de variation temporelle significative des proportionsde lettres avec item « somatique » « tous items santé » ou « insalubrité » : lemaximum de lettres déposées est effectivement atteint lors du trimestre quisuit immédiatement l’alternance municipale, avec 73 contre 61 au maximumdans les trimestres suivants, mais le taux maximal de lettres avec item santéou insalubrité est atteint lors du troisième trimestre d’analyse : si le nombre

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de demandes de logement peut être influencé par le calendrier politique,l’exposition des questions de santé semble non liée à ce calendrier. Enfin,un argument semble plaider pour la solidité des données : leur relativecohérence interne, et leur cohérence avec une logique « triviale » desquestions abordées. On constate en effet que les problèmes de sommeil etde bien-être social sont davantage liés aux questions de surpopulation, et lesquestions somatiques davantage à la mention d’une insalubrité, unesurpopulation majeure semblant aller de pair avec des fréquences plusimportantes de l’ensemble des indicateurs. Cette cohérence interne desdonnées doit cependant être relativisée : étant toutes recueillies par unmême observateur, un biais de codage (interprétation plus facile d’unemention relative au sommeil en cas de surpopulation, par exemple) ne peutêtre exclu, en l’absence de double lecture.

Ces données confirment, sur une période d’un an, plusieurs constatsempiriques.

Premièrement, les questions de santé sont très importantes dans ladescription par les usagers des motifs de demande d’un logement social. Ces« enjeux de santé » sont identifiés par un pétitionnaire sur deux. Les autresmotifs de demande ne faisaient pas l’objet de cette étude, et ne sont doncpas détaillés. Mais la lecture des lettres montre l’importance des demandesliées à des raisons dramatiques (expulsion, cessation de bail), ainsi qu’à lacherté des loyers et la crainte de se retrouver en impayé.

Deuxièmement, ces enjeux sanitaires sont pluriels : pathologieshabituellement associées à l’insalubrité (allergie, problèmes pulmonaires…)et problèmes relevant du champ de la santé mentale, du sommeil, del’intimité ou de la socialisation, sont retrouvés avec des fréquencescomparables, ce qui fait écho à l’interaction entre habitat dégradé, santépsychique et santé somatique, classique dans la littérature en santéurbaine [16, 17, 21]. Les lettres décrivent trois grands liens ressentis entresanté et habitat : dans la majorité des cas, l’hypothèse développée est celled’une causalité (« les enfants sont malades de l’humidité »). Ailleurs, lapathologie semble considérée comme indépendante du logement, maisincompatible avec celui-ci, car aggravée par l’état du logement : personnessignalant des pathologies cardiovasculaires, ou des handicaps. Dansquelques cas enfin, au caractère parfois dramatique, le logement est identifiécomme incompatible avec les soins. Au vu de cette pluralité des mécanismeset des enjeux, la réponse de santé publique devrait éviter de se focaliser surles seules questions somatiques ou allergiques. La notion de « conseiller enenvironnement intérieur » connaîtra des limites importantes si ces conseillers(que le Plan National Santé Environnement 2 – action 23 semble dédierprincipalement à l’asthme et à l’allergie) ne sont pas aussi compétents enéconomie familiale, dans le champ éducatif ou de la santé mentale.

Troisièmement, la question de la surpopulation est centrale : qu’elle soitdétaillée dans ses conséquences sanitaires ou sociales, ou qu’elle nesoit abordée que par le nombre de pièces et de personnes, cette question estplus fréquemment citée que celle de l’insalubrité. Les éléments d’objectivationsont partiels mais convergent vers le fait que cette surpopulation est réelle,atteignant souvent des proportions considérables et le seuil réglementaire

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d’indécence. La surpopulation majeure est liée à des fréquences élevées designalements de pathologies ou de dysfonctionnements familiaux. Ce point,là encore conforme à la littérature [18] et au plaidoyer des associations [11],est d’autant plus important que l’arsenal réglementaire disponible, s’il a étéamélioré ces dernières années, reste assez désarmé à cet égard : laprescription de travaux ne règle rien en la matière, et peut être mal ressentiepar les familles.

Quatrièmement, les lettres montrent deux modes d’interaction entrepauvreté et logement vécu comme pathogène : dans certains cas, ellesdécrivent une atteinte à la santé, mais revendiquent un logement en excipantde revenus jugés suffisants pour un loyer social (ces revenus sont pourtant,très bas). À l’inverse, le niveau de pauvreté peut être l’autre argument (en susde la santé) pour demander un logement social. Ces familles cumulent alorsde façon dramatique les facteurs sociaux d’inégalités de santé. Il n’est pasexclu que la mise en exergue du revenu ou de son absence correspondeaussi à la connaissance, par la famille ou son accompagnement social, descritères réels d’éligibilité au logement social. On retrouve dans certaineslettres le mécanisme classiquement décrit [22] de l’insalubrité facteurd’appauvrissement à travers le coût du chauffage.

Enfin, on sait que l’évaluation de l’impact sanitaire des politiques derequalification et/ou de relogement est complexe [9, 19, 23] : dans cecontexte, il serait probablement utile à l’avenir de mieux comprendre lesmécanismes d’atteinte à la santé liés au logement dégradé, ceux liés àl’attente d’un meilleur logement, et ceux liés aux autres difficultés sociales.

ConclusionsLa lecture « suivie » de ces courriers produit un sens commun : celui de

souffrances considérables de la part des familles concernées, aussi bienautour de l’enjeu de santé que d’autres dimensions : anxiété du lendemainen cas de menace d’expulsion, sentiment de chances gâchées pour lesenfants. L’analyse de ces lettres adressées au Maire en matière d’insalubritéest conforme à ce que les acteurs locaux ressentent de façon empirique.Les interactions santé/habitat/pauvreté qui apparaissent interpellent parleur ampleur, mais aussi par l’émergence de questions (notamment lasurpopulation) qui sont difficilement traitées dans les politiques publiquesactuelles. Une approche globale de santé urbaine est nécessaire, associantacteurs de santé publique, politique de la construction et de l’habitat, etpolitiques sociales.

REMERCIEMENTSCe travail a bénéficié d’un soutien financier du GRSP Île-de-France. Nous remercions égalementPhilippe Bretin (INVS) et le service municipal du logement d’Aubervilliers.

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Correspondance : D. Grange Réception : 13/03/2009 – Acceptation : 22/04/2010

Perceptions et comportementsface au bruit dans les zones urbanisées :l’exemple de l’Île-de-FrancePerceptions and attitudes regarding noise in urban areas: theexample of the Ile-de-France region

Dorothée Grange (1), Édouard Chatignoux (1), Isabelle Grémy (1)

Résumé : Le bruit est l’objet d’attention croissante de la part des Français, notamment dansles zones fortement urbanisées où les sources sont multiples. Dans ce contexte, cet article,basé sur une exploitation régionale du Baromètre santé environnement 2007 de l’INPES, apour objectif de déterminer en quoi les spécificités de la région Île-de-France influent sur lesperceptions, comportements et attentes de ses habitants à l’égard de cette problématique.Le bruit est avant tout perçu comme une source de gêne, en particulier en Île-de-France, alorsque les préoccupations sanitaires sont de second plan et ne sont pas influencées par le degréd’urbanisation. Par ailleurs, une part importante des jeunes, en particulier franciliens,s’exposent à des niveaux sonores élevés lors de leurs loisirs. Ces résultats permettent demieux comprendre les attentes et les besoins des Franciliens en termes de politiqued’information, de prévention et de réduction des nuisances sonores.

Mots-clés : Attitudes - bruit - perceptions - urbanisation.

Summary: Noise is the subject of increasing attention for the French, especially in highlyurbanized areas where its sources are multiple. In this context, this article aims to gain abetter understanding of the how the specificities of the Ile-de-France region influenceperceptions, attitudes and expectations of its inhabitants with respect to noise. The article isbased on the regional use of results extracted from the national Environmental HealthBarometer 2007 study by the INPES, the French National Institute for Prevention and HealthEducation. First and foremost, noise is perceived as a source of discomfort and inconvenience,in particular in Ile-de-France, while the related consequences of noise exposure for healthwere of secondary importance and not necessarily influenced by the degree of urbanization.The preoccupation with noise was much more important in the Ile-de-France region than inthe rest of the country. Furthermore, a significant proportion of young people, particularly theParis region, are exposed to high noise levels during their leisure time. These results areuseful to better understand the expectations and needs of Parisians in terms of policiesneeded for information and education, prevention and reduction of noise.

Keywords: attitudes - noise - perception - urbanisation.

(1) Observatoire régional de santé d’Île-de-France - 21-23 rue Miollis - 75732 Paris cedex 15.

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Introduction

Les nuisances environnementales prennent une place de plus en plusprégnante dans les préoccupations des Français [26] et dans la mise enœuvre des politiques publiques, notamment via la prise en compte récented’objectifs de développement durable [8]. Le bruit représente unecomposante importante de ces nuisances, en particulier dans lesenvironnements fortement urbanisés où les sources potentielles de bruitsont multiples. C’est le cas de l’Île-de-France, où notamment les grandesinfrastructures de transport (routes, voies ferrées, aéroports) sontd’importantes sources de bruits [17]. De plus, du fait de l’étendue du tissuurbain francilien, il est souvent difficile de se soustraire au bruit. Celui-cientraîne une dégradation de la qualité du milieu de vie et contribue àrenforcer les inégalités environnementales [22, 27]. Nombreux sont lesacteurs, associatifs et politiques, qui dénoncent les nuisances sonores. On nerecense, en Île-de-France, pas moins de 66 associations de lutte contre lebruit (contre 50 pour la qualité de l’air par exemple) [20].

Le bruit est également une source de plaisir lors des loisirs, durantlesquels des expositions à des volumes sonores élevés sont volontairementrecherchées [12]. Ces expositions sont particulièrement fréquentes dans leszones urbaines, où le nombre de salles de concert et de discothèques estimportant, et où des baladeurs sont souvent utilisés du fait notamment duniveau sonore environnant et des longs temps de transports [13].

Ces expositions, subies ou volontaires, sont susceptibles d’entraîner denombreux effets sanitaires concernant tous les aspects de la santé positive,et donc de la qualité de vie. De fait, les expositions sonores engendrentdes effets à la fois physiologiques et psychologiques [2, 6]. Les effetsphysiologiques les mieux identifiés concernent les lésions auditives, lespathologies cardiovasculaires et les perturbations du sommeil. Les effetspsychologiques relèvent avant tout de la gêne, qui altère la qualité de vie etpeut entraîner des effets tels que anxiété, dépression ou diminution desperformances d’apprentissage. Pour ces derniers, les conséquences directesd’une exposition sont particulièrement délicates à mesurer, la gêne étantfortement modulée par les perceptions individuelles des sources de bruit. Lasubjectivité du bruit est d’ailleurs contenue dans sa définition même,puisqu’il est défini comme un « son ou ensemble de sons qui se produisenten dehors de toute harmonie régulière » [2].

Dans ce contexte, afin de répondre aux attentes de la population etprévenir les risques sanitaires, il est essentiel de mieux connaître lesperceptions et comportements de la population à l’égard du bruit. D’une part,une meilleure connaissance du ressenti et des attentes de la populationpermet d’orienter les politiques publiques d’information et de réduction desnuisances. D’autre part, la connaissance de la perception des risques etdes comportements est essentielle à la mise en œuvre des politiques deprévention. En effet, selon les principes du Health Belief Model [29],les deux principaux leviers permettant de renforcer la modification descomportements sont de mettre en évidence, auprès du public, lesconséquences liées à la prise de risque et les bénéfices susceptibles d’êtreobtenus par cette modification. Or, il existe aujourd’hui peu de données sur

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les perceptions de la population à l’égard du bruit, et notamment sur lesspécificités de ces perceptions dans les zones fortement urbanisées.

L’objectif de cet article est de décrire les perceptions et les comportementsà risques concernant la problématique du bruit en Île-de-France, en mettanten évidence les spécificités des Franciliens par rapport aux habitants deprovince, afin de déterminer en quoi le contexte d’une zone fortementurbanisée telle que l’Île-de-France influe sur ces perceptions etcomportements et ainsi pouvoir orienter in fine les politiques publiques.

Méthode

Type d’étude

Ce travail s’appuie sur les données du Baromètre santé environnement2007 (BSE), enquête nationale réalisée par l’Institut national de prévention etd’éducation pour la santé (INPES) dans le cadre du Plan National Santé-Environnement 2004-2008 [25]. L’enquête portait sur les perceptions desFrançais concernant l’environnement et ses effets sur la santé, notamment laperception des risques sanitaires, le sentiment d’information, mais aussi lescomportements à risques et/ou de prévention mis en pratique. Différentesthématiques environnementales ont été abordées, dont la pollution de l’air,de l’eau, des sols, ainsi que le bruit [18]. Un sur-échantillon a été réalisé enÎle-de-France afin d’améliorer la précision des analyses au niveau régional.L’échantillon final sur lequel porte la présente étude comprend 1 898 personneshabitant en Île-de-France et 5 263 en province.

Recueil des données et méthodes d’analyse

Le recueil des données a été effectué de janvier à juillet 2007 à l’aide d’unquestionnaire administré par téléphone auprès d’un échantillon représentatifde la population âgée de 18 à 75 ans résidant en France métropolitaine.L’échantillon a été constitué à l’aide d’un sondage aléatoire à deux degrés(tirage au sort de ménages, puis d’un individu au sein du ménage) [18]. Lesdonnées ont été pondérées et redressées sur le sexe, l’âge, la catégoried’agglomération, le département pour l’Île-de-France, la région pour le restede la France. Des analyses descriptives, univariées et bivariées, ont étéeffectuées à l’aide du logiciel Stata. La robustesse des résultats aux effets decomposition a été confirmée à l’aide de régressions logistiques (résultats nonprésentés ici [14]). La formulation des questions utilisées pour les analysesest disponible dans le tableau I.

Les disparités d’urbanisation sur le territoire français ont été prises encompte à partir de la commune de résidence des enquêtés. Cinq zonesgéographiques ont ainsi été distinguées : Paris, la proche couronne(départements 92, 93, 94), la grande couronne (départements 77, 78, 91, 95),les agglomérations de province les plus urbanisées (100 000 habitants ouplus, appelées ici « province urbaine ») et les autres communes de province(de moins de 100 000 habitants, appelées ici « province rurale »).

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Résultats

Le bruit, une gêne plus importante en Île-de-France

En Île-de-France, 71 % des personnes interrogées se déclarent gênées parle bruit à leur domicile (contre 52 % en province) et 26 % le sont souvent ouen permanence (contre 13 % en province). La circulation routière est de loinla première source de gêne (citée par près de 50 % des Franciliens et desprovinciaux gênés par le bruit), alors que le voisinage et le trafic aérien sontcités respectivement par 39 % et 19 % des Franciliens (34 % et 7 % enprovince). Cette gêne est étroitement liée au degré d’urbanisation (Figure 1),

Tableau I : Questions du Baromètre santé environnement 2007 utilisées pour les analysesconcernant le bruit

Gêne due au bruit ressentie au domicile• À votre domicile, êtes-vous gêné(e) par le bruit ?• Si déclare être gêné par le bruit à son domicile : Parmi les bruits que vous entendez à votre domicile,

pouvez-vous me dire quels sont ceux qui vous gênent ?

Préoccupations sanitaires liées au bruit• Par rapport aux thèmes suivants et leurs éventuels effets sur la santé, avez-vous le sentiment d’être

plutôt bien informé(e), plutôt mal informé(e) ou vous n’en avez jamais entendu parler : le bruit ?• Je vais vous citer différents facteurs environnementaux. Pour chacun d’eux, vous me direz si vous

considérez qu’il présente un risque très élevé, plutôt élevé, plutôt faible ou quasi-nul pour la santé desFrançais en général : le bruit ?

• Avez-vous déjà ressenti les effets du bruit ambiant sur votre santé ?

Lutte contre le bruit• En matière de lutte contre le bruit, qui, selon vous, est le mieux placé pour agir en premier ?

Expositions à des niveaux sonores élevés• Utilisez-vous un baladeur pour écouter de la musique (lecteur MP3, lecteur CD, walkman) ?• Si déclare utiliser un baladeur au moins plusieurs fois par semaine :

– Combien de temps, par jour, utilisez-vous votre baladeur ?– À quelle puissance écoutez-vous, habituellement, de la musique sur votre baladeur ?

• Au cours des douze derniers mois, combien de fois avez-vous eu l’occasion d’aller à un concert ou endiscothèque, ou de jouer de la musique à un volume sonore élevé ?

Figure 1 : Proportions de personnes déclarant être souvent ou en permanence gênées par le bruità leur domicile selon leur lieu de résidence.Source : Exploitation régionale du Baromètre santé environnement 2007

%

60

50

40

30

20

10

0

Paris Prochecouronne

Grandecouronne

Provinceurbaine

Provincerurale

38,7

24,721,8

16,8

10,4

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la gêne ressentie en grande couronne est due à la forte densité de transports,notamment aériens, dans cette zone. Cette gêne est par ailleurs associée aufait d’avoir de faibles revenus et d’être plutôt insatisfait de son logement oude son quartier (Tableau II).

Une préoccupation sanitaire de second plan

Une large majorité des Franciliens (67 %) et des provinciaux (69 %)considère que le bruit présente un risque plutôt ou très élevé pour la santédes Français en général (Tableau III). Toutefois, parmi les nuisancesenvironnementales abordées dans le cadre du BSE, la perception des risquesliés au bruit n’arrive qu’en neuvième position, loin derrière l’amiante, lemonoxyde de carbone ou encore la pollution de l’air. Pour cette dernière parexemple, plus de 85 % des enquêtés considèrent qu’elle représente unrisque plutôt ou très élevé pour la santé des Français en général. Par ailleurs,26 % des Franciliens et 25 % des provinciaux déclarent avoir déjà ressentides effets du bruit sur leur propre santé (Tableau III). À titre de comparaison,58 % des Franciliens estiment avoir déjà ressenti des effets de la pollution del’air extérieur sur leur santé, contre seulement 40 % des provinciaux.

Parallèlement, le bruit n’est pas l’objet d’une demande d’information trèsimportante : une large majorité des Franciliens (60 %) et des provinciaux(67 %) a le sentiment d’être plutôt bien informée sur le bruit et ses effetssur la santé (Tableau III). Si l’on considère les différentes nuisancesenvironnementales du BSE, la proportion de Franciliens ayant le sentimentd’être plutôt bien informés sur le bruit arrive en troisième position derrière

Tableau II : Proportions de personnes déclarant être souvent ou en permanence gênées par lebruit à leur domicile selon leurs revenus et la satisfaction à l’égard de leur logement et de leurquartier

Île-de-France Province

% IC 95 % % IC 95 %

Revenus nets mensuels par unité de consommation

< 900 euros par mois 31,7 25,9-38,0 17,0 14,7-19,6

900–1 499 euros par mois 28,0 23,9-32,5 12,1 10,6-13,9

≥ 1 500 euros par mois 23,3 20,3-26,7 10,1 8,6-11,9

Probabilité (1) * ***

Satisfaction à l’égard de son quartier

Plutôt insatisfait de son quartier 60,4 51,6-68,5 53,3 46,3-60,2

Plutôt satisfait de son quartier 23,0 20,8-25,3 10,3 9,4-11,3

Probabilité (1) *** ***

Satisfaction à l’égard de son logement

Plutôt insatisfait de son logement 53,3 43,9-62,6 42,8 36,5-49,5

Plutôt satisfait de son logement 24,1 21,9-26,4 10,9 9,9-11,9

Probabilité (1) *** ***

(1) Test du χ2, * = p < 0,05, ** = p < 0,01, *** = p < 0,001Source : Exploitation régionale du Baromètre santé environnement 2007

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celles concernant la pollution de l’air et la qualité de l’eau du robinet. Le faitde percevoir un risque sanitaire lié au bruit est par ailleurs très lié ausentiment d’être bien informé sur le bruit et ses effets sur la santé : 71 % desFranciliens considérant être plutôt bien informés sur le bruit estiment qu’ilprésente un risque plutôt ou très élevé (contre 61 % des Franciliens ayant lesentiment d’être plutôt mal informés, p < 0,001).

Les bruits du voisinage moins bien supportés que ceux du trafic aérien

En Île-de-France comme en province, une personne sur quatre déclare avoirdéjà ressenti des effets du bruit sur sa propre santé. En outre, si le ressentides effets est assez naturellement lié à la gêne déclarée (les personnesgênées à domicile déclarent deux fois plus souvent avoir ressenti les effetssanitaires du bruit que les non gênées – 43 % et 22 % respectivement),il semble qu’il faille opérer une distinction selon les sources de gêne. Ilapparaît en effet (Tableau IV) que le fait d’avoir déjà ressenti des effets dubruit sur sa propre santé est indépendant de la gêne due à la circulationroutière et que les personnes gênées par le bruit du trafic aérien déclarentmoins souvent avoir ressenti des effets du bruit sur leur santé, comparéesaux personnes ne citant pas le trafic aérien parmi les sources de leur gêne.En revanche, les personnes gênées par le bruit de leur voisinage déclarentsignificativement plus souvent avoir déjà ressenti ces effets que celles nongênées par leur voisinage, de même que les personnes gênées par le bruitdes deux-roues à moteur, mais de manière non significative.

Tableau III : Préoccupations sanitaires et sentiment d’information concernant le bruit et lapollution de l’air extérieur

Bruit Pollution de l’air extérieur

Île-de-France Province Île-de-France Province

% IC 95 % % IC 95 % % IC 95 % % IC 95 %

Perception des risques pour la santé des Français

Risque plutôt ou très élevé 67,1 64,6-69,4 69,2 67,7-70,6 86,3 84,5-88,0 85,5 84,4-86,6

Risque plutôt faibleou quasi-nul

32,9 30,6-35,4 30,8 29,4-32,3 13,7 12,2-55,0 14,5 13,4-15,6

Probabilité (1) NS NS

Effets ressentis sur sa propre santé

A déjà ressenti des effets 25,9 23,8-28,2 25,1 23,8-26,4 57,8 55,3-60,3 40,1 38,6-41,6

N’a jamais ressenti d’effets 74,1 71,8-76,2 74,9 73,6-76,2 42,2 39,8-44,7 59,9 58,4-61,4

Probabilité (1) NS ***

Sentiment d’information

Plutôt bien informé 60,0 57,5-62,5 66,8 65,3-68,2 75,1 72,8-77,2 68,7 67,2-70,1

Plutôt mal informé 40,0 37,5-42,5 33,2 31,8-34,7 24,9 22,8-27,2 31,4 30,0-32,8

Probabilité (1) *** ***

(1) Test du χ2, * = p < 0,05, ** = p < 0,01, *** = p < 0,001Source : Exploitation régionale du Baromètre santé environnement 2007

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Dans la même optique, les attentes des enquêtés en termes de lutte contrele bruit relèvent avant tout de la responsabilité individuelle (44 % desFranciliens et 49 % des provinciaux considèrent que chacun d’entre nous estle mieux placé pour lutter contre le bruit) devant les pouvoirs publics (citéspar 31 % des Franciliens et 23 % des provinciaux). Les pouvoirs publics sonttoutefois davantage cités en Île-de-France qu’en province, ce qui reflètel’importance du poids des transports dans les sources de gêne liée au bruitdéclarées par les Franciliens.

Des expositions à des niveaux sonores élevés particulièrement fréquenteschez les jeunes Franciliens

Les jeunes âgés de 18 à 25 ans, et en particulier les Franciliens, s’exposentfréquemment à des volumes sonores élevés lors de leurs loisirs : près d’unquart des jeunes Franciliens et près de 10 % des jeunes provinciaux utilisentainsi un baladeur au moins plusieurs fois par semaine à une forte puissance(Figure 2). Près du tiers des jeunes fréquentent aussi régulièrement les sallesde concerts et les discothèques (au moins six fois au cours des douzederniers mois).

Parallèlement, ils perçoivent peu les risques qu’ils encourent pour leursanté : seule la moitié des jeunes âgés de 18 à 25 ans considèrent que lesrisques liés au bruit sont plutôt ou très élevés pour la santé des Français,contre plus de 80 % des 65-75 ans (Figure 2). De plus, chez les jeunesFranciliens, l’exposition volontaire à des niveaux sonores élevés estindépendante de la perception des risques sanitaires liés au bruit : 43 % desjeunes utilisant fréquemment un baladeur à volume sonore élevé perçoiventun risque sanitaire, contre 45 % de ceux qui n’en utilisent pas.

Par ailleurs, le fait de s’exposer volontairement à des niveaux sonoresélevés n’est pas lié au sentiment d’information : 45 % des jeunes utilisantfréquemment un baladeur à volume sonore élevé se sentent bien informéssur les effets du bruit, contre 47 % de ceux qui n’en utilisent pas.

Tableau IV : Proportions de personnes parmi celles gênées par le bruit déclarant avoir déjàressenti des effets du bruit sur leur santé selon les sources de leur gêne

Sources de bruit gênantes

Île-de-France Province

% parmigênés

% parminon

gênésRR p % parmi

gênés

% parminon

gênésRR p

Circulation routière 29,1 28,3 1,03 NS 29,3 28,4 1,03 NS

Trafic aérien 16,7 30,9 0,54 *** 23,0 29,3 0,78 NS

Voisinage 35,1 24,7 1,42 *** 34,0 26,2 1,30 ***

Deux-roues à moteur 30,4 28,4 1,07 NS 32,8 28,0 1,17 NS

Source : Exploitation régionale du Baromètre santé environnement 2007(1) Test du χ2, * = p < 0,05, ** = p < 0,01, *** = p < 0,001

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DiscussionMis en place dans le cadre du Plan National Santé-Environnement 2004-

2008 [25], le Baromètre santé environnement 2007 permet de fournirdes indicateurs quantifiés sur les attitudes, opinions et comportements desFrançais concernant les problématiques environnementales. Cette enquêtes’intéressant en premier lieu aux perceptions des Français concernantl’environnement, son objectif n’est pas de rendre compte de façon objectivedes expositions, du risque sanitaire, ou du niveau réel d’information, mais demieux comprendre les préoccupations et les attentes des Français en matièrede santé environnement. Ces données visent ainsi à mieux orienter lespolitiques d’information, de prévention et de lutte contre les nuisancesenvironnementales.

Une des principales limites de cette enquête est que, pour des raisonstechniques et de coûts, les personnes détenant uniquement un téléphoneportable n’ont pas été interviewées. Or, ces personnes sont susceptiblesde présenter des caractéristiques particulières (il s’agit notamment depersonnes jeunes, d’ouvriers et de personnes ayant de faibles revenus), cequi peut nuire à la représentativité de l’enquête. Toutefois, cette limite est en

Figure 2 : Proportions de personnes déclarant utiliser un baladeur au moins plusieurs fois parsemaine à une forte puissance et proportions de personnes considérant que le bruit présente unrisque plutôt ou très élevé pour la santé des Français en général selon l’âge.Source : Exploitation régionale du Baromètre santé environnement 2007

%

100

80

60

40

20

0

18-25 26-34 35-44 45-54 55-64 65-75

Classes d’âge

Risque – Île-de-France

Risque – Province

Baladeur – Île-de-France

Baladeur – Province

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partie compensée par le fait que les données ont été redressées [18]. Parailleurs, cette enquête porte sur les personnes âgées de 18 à 75 ans et nousne disposons donc pas de données sur les perceptions et comportements desjeunes de moins de 18 ans, qui sont susceptibles d’avoir des comportementsparticuliers, notamment en termes d’expositions à des volumes sonoresélevés.

Cette exploitation du BSE a permis de montrer que le bruit est avant toutperçu comme une question de qualité de vie, avant d’être un objet depréoccupations sanitaires. En effet, le bruit est d’abord ressenti comme unegêne par une majorité des Français, et ce d’autant plus que le degréd’urbanisation est fort. Les Franciliens se déclarent ainsi particulièrementgênés par le bruit, plus du quart d’entre eux l’étant souvent ou enpermanence à leur domicile. Des résultats comparables ont été observésdans d’autres agglomérations [15], ou de manière plus générale dans lespays de l’Union européenne [11]. Cette gêne est un facteur de dégradation dela qualité de vie, et les personnes les plus gênées sont également celles quise montrent les plus insatisfaites de leur logement ou de leur quartier derésidence. Par ailleurs, ce sont les personnes ayant les plus faibles revenusqui se déclarent les plus gênées par le bruit à leur domicile. Le bruitcontribue ainsi à renforcer les inégalités sociales, comme cela a déjà étéconstaté par ailleurs [27]. Ces résultats confortent aussi la part importante dubruit dans les déterminants des inégalités environnementales, en particulierau domicile. Le bruit peut être considéré comme un « creuset des inégalitéssociales et environnementales » [7]. Ces résultats confirment égalementl’importance du développement des politiques publiques visant à améliorerla qualité de vie en limitant les niveaux sonores ambiants. Dans ce sens, laCommission européenne, par l’intermédiaire de la Directive de 2002 [10],exige l’élaboration par les États-membres de plans d’action visant à préveniret réduire, si cela est nécessaire, le bruit dans l’environnement. Pour ce faire,des actions telles que la planification du trafic, l’aménagement du territoire,des mesures de réduction des niveaux sonores émis au niveau des sourcesou des mesures ou incitations réglementaires ou économiques peuvent êtremises en œuvre. Il s’agit donc notamment de prendre davantage en comptela gêne sonore dans l’élaboration des plans locaux d’urbanisme ou dedéplacements urbains.

Cette sensibilité à la gêne trouve un écho relativement limité au niveau despréoccupations sanitaires liées au bruit, comme cela a déjà été constaté [19].Tout d’abord, même si plus des deux tiers des enquêtés déclarent que lebruit représente un risque plutôt ou très élevé pour la santé des Français engénéral, cette proportion est relativement faible comparée à d’autresproblématiques environnementales telles que la pollution de l’air. Parailleurs, et alors même que les expositions sonores sont très dépendantes dudegré d’urbanisation, les Franciliens déclarent en proportion comparable auxprovinciaux avoir ressenti les effets du bruit sur leur santé (26 % vs 25 %).Les résultats sont nettement différents en ce qui concerne la pollution de l’airpuisqu’en Île-de-France comme en province, les proportions de personnesdéclarant avoir déjà ressenti des effets de cette pollution sont beaucoup plusimportantes et en lien avec le degré d’urbanisation (respectivement 58 % et40 %).

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Plusieurs pistes peuvent expliquer cette divergence. D’une part, les effetssanitaires du bruit sont multiples, avec des niveaux d’évidence scientifiquequi varient considérablement selon les effets [2, 6]. Ainsi, les effets sur lesystème cardio-vasculaire et les effets psychologiques sont difficilementquantifiables, et le plus souvent non spécifiques du bruit. Il est ainsi parfoisdifficile d’attribuer ces effets au bruit. Par ailleurs, même si les effets auditifsdu bruit sont clairement démontrés et leurs mécanismes bien connus, unepersonne ayant subi une perte d’audition ne le perçoit pas toujours. D’autrepart, le ressenti des effets est soumis à une forte variabilité individuelle, quis’avère dépendre en partie de la perception des sources. À cet égard, lesanalyses ont montré qu’en Île-de-France comme en province, la déclarationdu ressenti d’un effet sanitaire lié au bruit était plus fréquente chez lespersonnes se déclarant gênées par des bruits provenant de « fauteurs detroubles » facilement identifiables (voisinage, deux roues) que chez cellesgênées par des bruit plus « diffus », dont on perçoit par ailleurs davantagel’utilité des sources (autoroute, avions). La multiplicité des sources et laperception de leurs utilités contribuent ainsi à rendre moins évident aux yeuxdes individus l’établissement d’un lien causal entre bruit et effet ressenti. Demême, la sensibilité individuelle, et d’une manière plus large, des facteurs« non acoustiques » influent sur la gêne ressentie. Dans ce sens, une enquêtepsychosociologique réalisée auprès des riverains de l’aéroport RoissyCharles de Gaulle a montré « le caractère largement subjectif etsociologiquement complexe du bruit, à la croisée de facteurs de naturesdiverses » (acoustique, psychologique, social, économique, culturel) [24].Ainsi, ce sont les personnes fragiles psychologiquement ou en détressefinancière et sociale qui se révèlent les moins tolérantes au bruit des avions,indépendamment de la proximité des aéroports. Dans ce sens, d’autresétudes mettent en évidence l’importance de ces facteurs sociaux etpsychologiques [21, 28, 31]. Une étude montre notamment un lien entre lagêne due au bruit et l’existence d’un sentiment d’injustice à l’égard de cebruit [23]. Ces résultats mettent en évidence l’importance de privilégier uneapproche de la gêne liée au bruit qui ne soit pas limitée à son intensitéphysique et de mettre en place une concertation entre les différents acteursconcernés, y compris les populations riveraines.

Enfin, la faible perception des conséquences sanitaires du bruit estparticulièrement préoccupante chez les plus jeunes, qui se soumettentfréquemment à des expositions à des volumes sonores élevés (fréquentationdes concerts et discothèques, utilisation d’un baladeur à une fortepuissance) [12]. Des résultats similaires ont été observés dans d’autresagglomérations [16]. Or, si une dégradation du système auditif peut survenirà partir de 85 dB, la réglementation ne fixe les niveaux sonores maximauxqu’à 105 dB pour les discothèques et 100 dB pour les baladeurs [3, 9]. Cescomportements à risques s’expliquent en partie par une relative insoucianceface aux effets sanitaires du bruit (seuls 40 % des 18-25 ans considèrent quele bruit peut avoir des effets sur la santé des Français en général). Dans lamême optique, en Île-de-France, la perception des risques sanitaires nesemble pas influencer ces comportements à risques, et un constat similairepeut être dressé en ce qui concerne le sentiment d’information. Les résultatssont toutefois assez différents en province, où les prises de risques sont plus

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directement liées aux niveaux d’information et de perception des risques. Cesdifférences entre l’Île-de-France et la province sont probablement liées àdifférents facteurs dont la contribution est difficile à apprécier dans le cadrede cette étude (niveau sonore ambiant plus important en Île-de-France,sollicitations plus nombreuses, rôle de « peer leaders » (2)…). Ces résultatsmettent en évidence le besoin d’actions de prévention adaptées et ciblées enparticulier vers les jeunes. Des actions en milieu scolaire ou lorsd’événements particuliers tels que des concerts et des festivals ont étédéveloppées : Bruitparif a engagé en Île-de-France des campagnes desensibilisation dans les lycées [4] ou lors de la Technoparade [5]. Des actionssimilaires sont également menées dans d’autres agglomérations [1].

ConclusionCette étude cerne plus précisément les perceptions et comportements de la

population à l’égard du bruit dans une zone fortement urbanisée telle quel’Île-de-France. Prendre en compte ces données s’avère être une étapeessentielle afin de mieux orienter les politiques publiques de lutte contre lebruit, d’information et de prévention. Ainsi, le bruit est une préoccupationforte de la part des Français en général, et des Franciliens en particulier.Source importante de gênes, les nuisances sonores contribuent à ladégradation de la qualité de vie et renforcent les inégalités sociales. Le bruitest aussi avant tout perçu comme une question locale, d’autant moins bienvécue que ses sources sont dues à des incivilités de la part de fauteurs detroubles facilement identifiables. Dans ce sens, comme le juge la majoritédes enquêtés, la priorité de la lutte contre le bruit est une affaire deresponsabilité individuelle. Cette dernière peut néanmoins être encouragéepar des politiques de sensibilisation.

Par ailleurs, les expositions volontaires à des niveaux sonores élevés sontfréquentes, en particulier chez les jeunes franciliens, qui se montrent peuconscients des risques sanitaires. Cette étude confirme ainsi le besoin depolitiques d’éducation et de prévention aux risques associés à l’écoutede musique amplifiée, ciblées notamment envers les plus jeunes et enparticulier en Île-de-France.

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(2) Se dit de personnes « modèles » ou de pairs dont les comportements tendent à être adoptés par les autrespersonnes au sein d’un groupe [30].

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ÉTU

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Correspondance : C. Lefèvre-Chaponnière Réception : 21/05/2009 – Acceptation : 26/02/20106, rue de Bellevue, 45380 La Chapelle-Saint-Mesmin.

Connaissances, attitudes et pratiquesde jeunes handicapés sur le VIH/sidaà Maputo (Mozambique)Knowledge, attitudes and practices regarding HIV/AIDSamongst disabled youth in Maputo (Mozambique)

Céline Lefèvre-Chaponnière (1)

Résumé : L’étude, première du genre au Mozambique, concerne les connaissances, attitudeset pratiques en matière de VIH/sida de jeunes, âgés de 15 à 29 ans, porteurs de handicapmoteur, visuel ou auditif, de Maputo (Mozambique) où le taux de prévalence du VIH est de20,7 % [13]. L’ONG Handicap International souhaite améliorer et réajuster les actions de sonprojet « VIH et Handicap » auprès de cette population-cible vulnérable. Le recueil desdonnées a été fait à travers un guide d’entretien. Une comparaison des connaissances,attitudes et pratiques est proposée, entre les jeunes handicapés de l’étude et des jeunes nonhandicapés de Maputo ainsi qu’entre les 3 handicaps. Les résultats ont montré que le niveaude connaissances en matière de VIH/sida des jeunes de l’étude est plus bas que celui desjeunes non handicapés. La comparaison entre les 3 déficiences a montré que les déficientsauditifs sont en dehors des circuits usuels de sensibilisation et de prévention du VIH/sida.L’étude a analysé les raisons qui expliquent ces écarts et a montré qu’il y a un besoind’améliorer l’accès à l’information, aux conseils et au dépistage relatifs au VIH/sida despersonnes handicapées. Des perspectives d’actions ont été formulées.

Mots-clés : Personnes handicapées - jeunes - VIH/sida - étude CAP - Maputo - Mozambique.

Summary: This study deals with knowledge, attitudes and practices regarding HIV/AIDSamongst disabled youth (motor disabilities, visually or hearing impaired) aged 15 to 29 yearsin Maputo (Mozambique) where the prevalence rate of HIV is 20.7% [13]. The study is the firstof its kind in Mozambique on this subject. The NGO Handicap International would like toimprove and adapt the activities carried out under its project “HIV and Disability” that targetsthis vulnerable group within the population. Data collection was done using an interviewguide. The study sought to present a comparison of knowledge, attitudes and practicesamong the disabled youth who participated in the study and with non-disabled youth inMaputo, and a comparison between the three kinds of disability among the disabled youthwho participated in the study. The results showed that the level of knowledge about HIV/AIDSin the group of disabled youth is lower than that of youth without disabilities. The comparisonbetween the three types of disabilities showed that those who are hearing-impaired are notreached by the usual HIV/AIDS awareness-raising or prevention campaigns, as they are not apart of these communication networks. The study analyzed reasons for these differences andshowed that there is a need to improve access to HIV/AIDS information, counseling andscreening for young people with disabilities. A series of recommendations have beenproposed based on our results.

Keywords: disabled people - youth, HIV/AIDS - KAP survey - Maputo - Mozambique.

(1) Diplômée en Masso-kinésithérapie et en Santé publique.

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IntroductionLe Mozambique, pays d’Afrique australe, a une population de 20,5 millions

d’habitants. Il figure parmi les pays ayant le plus faible indice dedéveloppement humain : 0,384 en 2005 ou 172e rang sur 177. Le produitintérieur brut par habitant était de 450 USD en 2008, le tauxd’alphabétisation était de 48 % [15]. La population de Maputo est de2 millions d’habitants.

Le Mozambique a un taux de prévalence du VIH de 16 %. Il est l’un des dixpays au monde les plus touchés par le VIH/sida et « le niveau de prévalencedu VIH reste exceptionnellement élevé au Mozambique et pourrait mêmen’avoir pas encore atteint son pic » [13]. Le mode de contamination le plusrépandu est la voie hétérosexuelle.

Par ailleurs, le pourcentage de personnes handicapées au Mozambiquen’est pas connu mais est estimé à 10 % [16]. On peut penser que la guerrecivile qui a touché le Mozambique de 1975 à 1992, a augmenté le nombre depersonnes handicapées.

Dans ce contexte épidémiologique, le 2e Plan national de lutte contre lesida [2] géré par le Centre national de lutte contre le sida, a été lancé en 2005pour 5 ans. Ce plan ne mentionne pas les personnes handicapées alors quecette population est vulnérable face au VIH/sida pour différentes raisons : lapauvreté, le non accès à l’éducation, une inaccessibilité aux centres de santé,une impossibilité de communiquer pour les personnes malentendantes et enfinun accès réduit aux messages de sensibilisation et de prévention [4, 10, 17].Malgré cette non-inclusion des personnes handicapées dans le programmenational de lutte contre le sida, il y a une volonté forte, aujourd’hui auMozambique, de les intégrer dans la lutte contre la maladie et de réaliserdes actions de prévention à leur intention. Ainsi la « Campagne africaine surle handicap et le sida » a été lancée officiellement au niveau national le5 mars 2008 à Maputo [12].

Par ailleurs, l’ONG Handicap International a lancé depuis février 2008 unprojet « VIH et Handicap ». Ce projet vient en appui aux Associations dePersonnes Handicapées (APH) présentes au Mozambique, regroupées au seind’une fédération. Pour affiner ce projet Handicap International a souhaitéréaliser une étude qualitative des connaissances, attitudes et pratiques (CAP)de jeunes handicapés de Maputo en matière de VIH/sida. En effet, il n’existeaucune enquête à ce jour réalisée au Mozambique au sein de cettepopulation. La seule enquête s’étant intéressée au VIH/sida et au handicapa été réalisée auprès d’associations et d’organisations mais pas directementauprès de personnes handicapées [3].

L’étude CAP a été menée afin de mieux comprendre les risques etcontraintes de cette population vulnérable et de faire des propositionsd’actions adaptées qui seront mises en œuvre au travers du projet « VIH etHandicap » de Handicap International. Maputo a été choisi comme lieu del’étude parce que le taux de prévalence du VIH y est particulièrement élevé :20,7 % [13].

L’étude, effectuée au deuxième semestre 2008, s’est intéressée à troistypes de déficience : motrice, auditive et visuelle. Elle n’a pas concerné lesdéficients mentaux qui justifieraient une étude propre, les conditions de

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recueil d’information étant différentes. Une comparaison avec les jeunes nonhandicapés a été proposée dans cette étude ainsi qu’une comparaison entreles trois déficiences.

L’objectif général était d’analyser chez des jeunes personnes handicapéesde Maputo le niveau de connaissance sur le VIH/sida et d’identifier leursattitudes et leurs pratiques face à cette maladie. Les objectifs secondairesétaient de faire un état des lieux précis des connaissances de ces jeunes,d’identifier les déterminants des conduites à risque de ces jeunes et enfinde pointer les différences majeures entre les jeunes handicapés et nonhandicapés.

Méthodes

Type d’étude et échantillon

La population cible de cette étude était composée de jeunes handicapés dudistrict de Maputo âgés de 15 à 29 ans. L’échantillon de cette étude était de30 individus. Il s’agissait d’un échantillon par choix raisonné où 3 variablessont contrôlées : le sexe, le handicap et le niveau d’éducation. Ainsi15 individus étaient de sexe féminin et 15 de sexe masculin ; 10 jeunesétaient atteints de déficiences motrices importantes (telles qu’hémiplégie ouamputation d’un membre inférieur), 10 atteints de cécité et 10 atteints desurdité. Seulement 11 jeunes sur 30 avaient atteint le niveau d’instructionsecondaire, proportions identiques à celle de la population du Mozambique.

Le recrutement a été fait sous un mode volontaire parmi des jeuneshandicapés de différents quartiers de Maputo en zone urbaine et périurbaine.Une explication claire sur la finalité de l’entretien a été donnée à chaquepersonne se portant volontaire afin de permettre à chacun de consentir ounon à l’étude. Ces personnes ont été sélectionnées au travers des APHprésentes à Maputo ainsi qu’au sein d’une école spécialisée pour répondreaux critères mentionnés ci-dessus. Un tirage au sort a eu lieu dans les cas oùun nombre important de volontaires se présentait. Les jeunes handicapésfaisant partie de l’équipe d’Handicap International et des équipes dedirection des APH ont été exclus de l’échantillon.

Données collectées, recueil et analyse

L’étude a été réalisée par entretiens individuels en face à face. Un rendez-vous individuel a été donné par SMS ou par oral à chaque volontaire pour unedurée d’une heure. Le recueil de données s’est déroulé en novembre 2008.Six APH ont contribué à l’étude. L’école spécialisée au sein de laquelle desentretiens ont eu lieu est la « Escola Especial 1 » de Maputo. Uneautorisation des autorités scolaires a été obtenue pour la participation desmineurs.

Les données ont été recueillies via un guide d’entretien semi-directif quicomportait 45 questions semi-ouvertes réparties en 5 chapitres : lesconnaissances générales, les attitudes, les pratiques, les donnéesd’identification-inclusion et enfin l’autonomie des jeunes. Le recueil des

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données a été effectué dans une salle calme et neutre, en touteconfidentialité, au sein des bureaux des APH de Maputo ou au sein de l’écolespécialisée. Les entretiens, le mode de stockage et le traitement des donnéesont respecté l’anonymat, la confidentialité ainsi que la vie privée de chaquepersonne interrogée. Les entretiens ont été enregistrés. Un interprète de lalangue des signes était présent pour les entretiens réalisés avec lesdéficients auditifs.

Le guide d’entretien a été testé, au préalable, auprès de cinq personnesafin de le corriger et de l’affiner si nécessaire. Ces 5 entretiens ont été exclusde l’étude. Deux enquêteurs (un jeune-homme et une jeune-femme)expérimentés dans ce type d’étude et parlant les deux dialectes présents àMaputo (le Ronga et le Shangaan), ont été recrutés pour l’étude. Chaqueenquêteur a réalisé les entretiens avec les volontaires du même sexe. Lesentretiens ont été menés en portugais ou en dialecte local.

Les jeunes interviewés avaient la possibilité à la fin de l’entretien dediscuter et de poser des questions à l’enquêteur.

Une analyse de contenu a été réalisée. Il s’agissait dans un premier tempsde retranscrire les données après des écoutes successives des entretiensenregistrés, puis, après lecture des retranscriptions, de mettre en place unegrille de lecture thématique pour cataloguer les réponses pour faire ressortirles dominances, la présence ou l’absence de certains thèmes ou encore leurcooccurrence, et de structurer les réponses en catégories.

RésultatsLes caractéristiques de l’échantillon sont présentées dans le tableau I.Malgré plusieurs années de scolarisation, une majorité de jeunes, 22 sur 30,

ne pouvait pas comprendre un texte simple de quelques lignes. Seulementdeux jeunes de l’étude avaient un emploi salarié. Les handicapés auditifs,contrairement aux autres, sont scolarisés dans des écoles spécialisées.

Tableau I : Caractéristiques démographiques des enquêtés en fonction du handicap

Handicapésmoteurs(n = 10)

Handicapésvisuels

(n = 10)

Handicapésauditifs(n = 10)

Total(n = 30)

Âge

Âge moyen 22,1 22,6 20,2 21,6

Âge min. 17 17 15 15

Âge max. 29 28 26 29

Niveau de scolarité

Jamais été scolarisé 2 2 3 7

Niveau primaire 3 3 6 12

Niveau secondaire 4 4 1 9

Niveau supérieur 1 1 0 2

Sexe

Effectif masculin 5 5 5 15

Effectif féminin 5 5 5 15

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Les connaissances

Tous les jeunes connaissaient l’existence du VIH/sida et, pour la plupart,considéraient cette maladie comme dangereuse et mortelle. Par contre,seulement une minorité de l’échantillon connaissait la signification des mots« VIH » et « sida » ainsi que la notion de « période fenêtre ». La moitié del’échantillon seulement savait qu’une personne en bonne santé peut êtreporteuse du VIH.

Les modes de transmission du VIH cités par les jeunes sont mentionnésdans le tableau II et les modes de prévention dans le tableau IV.

La connaissance par les jeunes du dépistage et des lieux de conseil et dedépistage figure dans le tableau III.

Il apparaît que les connaissances en termes de modes de prévention sontfaibles et que les actions de sensibilisation atteignent peu les déficients. Eneffet, très peu de jeunes avaient connaissance d’actions sur le thème du VIH/sida. Les centres de conseil et de dépistage sont mieux connus mais restentpeu fréquentés.

Les sources d’information relatives au VIH/sida sont présentées dans letableau V. Aucun jeune ne cite les APH comme source d’information sur leVIH/sida. De manière générale, les filles ont un niveau de connaissance plusbas que les garçons.

Tableau II : Modes de transmission du VIH cités par l’échantillon (plusieurs réponses possibles)

Handicapésmoteurs(n = 10)

Handicapésvisuels

(n = 10)

Handicapésauditifs(n = 10)

Total(n = 30)

Par relation sexuelle 7 8 4 19

Par matériel coupant non stérilisé 4 4 1 9

Par le sang : transfusion, seringue 3 4 1 8

Par accolade 1 1 4 6

De la mère à l’enfant 0 1 0 1

Par le partage d’une cuillère 1 0 0 1

Par la toux 1 0 1 2

Ne sait pas 2 1 2 5

Tableau III : Nombre de jeunes connaissant le dépistage du VIH et les lieux de conseil etdépistage (plusieurs réponses possibles)

Handicapésmoteurs(n = 10)

Handicapésvisuels

(n = 10)

Handicapésauditifs(n = 10)

Total(n = 30)

Jeunes connaissant l’existencedu dépistage

10 10 4(*) 24

Jeunes connaissant un centrede conseil et de dépistage

7 5 2 14

* Trois autres handicapés auditifs pensaient connaître l’existence du dépistage du VIH mais il s’est avéré qu’ils confondaient cedépistage avec d’autres tests sanguins faits lors de consultations médicales tels que la recherche hématozoaire.

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Les attitudes face au VIH/sida

À travers les entretiens effectués, deux attitudes sont intéressantes àrelever. En premier lieu, la notion qu’une personne contaminée soitforcément en mauvaise santé est encore présente chez ces jeunes même sielle n’est pas largement répandue. Par ailleurs, il se dégage nettement unbesoin aigu de conseils et d’informations plus accessibles sur le thème duVIH/sida lié au fait que beaucoup de jeunes se sentent à risque etnotamment toutes les filles de l’échantillon. À cet effet, la quasi-totalité del’échantillon a exprimé sa satisfaction d’avoir pu discuter du VIH/sida en find’entretien et en a profité pour poser de multiples questions. Pour la majoritéd’entre eux, cet entretien a été la première opportunité qu’ils aient eud’échanger sur ce thème qu’ils considèrent trop tabou dans leur entourage.

Les pratiques

Deux tiers des jeunes interrogés sont sexuellement actifs avec unerépartition identique entre les deux sexes. La fréquentation des centres deconseil et de dépistage ainsi que l’acte de dépistage ne sont les faits qued’une minorité de jeunes.

Tableau IV : Modes de prévention du VIH cités par les jeunes en fonction du handicap(plusieurs réponses possibles)

Handicapésmoteurs(n = 10)

Handicapésvisuels

(n = 10)

Handicapésauditifs(n = 10)

Total(n = 30)

Utilisation d’un préservatif 7 8 3 18

Stérilisation du matériel coupant 3 2 0 5

Fidélité 1 3 1 5

Abstinence 2 1 4 7

Bonne alimentation 0 0 2 2

Faire le test 1 1 2 4

Ne sait pas 2 0 4 6

Tableau V : Sources d’information du VIH/sida citées par l’échantillon (plusieurs réponsespossibles)

Handicapésmoteurs(n = 10)

Handicapésvisuels

(n = 10)

Handicapésauditifs(n = 10)

Total(n = 30)

Radio 5 6 0 11

École 4 4 4 11

Télévision 2 2 7 11

Débats dans les quartiers 2 1 0 3

Pamphlet/brochures 1 1 0 2

Journal/revue/magazine 1 0 0 1

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Les handicapés auditifs se mettent en couple au sein de leur communautéet ont peu de contact avec les autres communautés. Leur premier rapportsexuel est plus tardif : la moitié d’entre eux le retarde. Les messages qu’ilsreçoivent à l’école à travers le programme « Geração Biz (2) » sont « étudiez,abstenez-vous, ne sortez pas trop ». Ainsi par crainte de contamination etpar absence d’information complémentaire reçue en dehors de l’école, ilsrespectent à la lettre ces consignes. Il s’agit donc d’une stratégie préventive.

Seulement la moitié des filles sexuellement actives a utilisé le préservatiflors de leur dernier rapport. La cause principale de non utilisation est que lepartenaire ne l’a pas proposé. Quasiment toutes les filles sexuellementactives ont rencontré des difficultés à convaincre leur partenaire d’utiliserun préservatif. La majorité de ces filles acceptait facilement des relationssexuelles d’un soir (il existe un terme spécifique en mozambicain pourqualifier cette pratique : « sacar cena »). En effet, par peur de ne pas avoir decompagnon, elles préféraient avoir une relation sans lendemain plutôt quepas de relation du tout.

Les handicapés visuels, quant à eux, ont évoqué leurs difficultés à serendre dans les centres de conseil et de dépistage car ils ont besoin d’êtreaccompagnés. La moitié d’entre eux regrettaient de ne pas avoir unepersonne de confiance pour les y accompagner. Cet élément n’a pas étémentionné par les porteurs d’autres déficiences.

Les profils à risque

Au vu des résultats présentés ci-dessus, deux profils à risque émergent. Lesjeunes filles sexuellement actives étaient les plus exposées au virus en raisonde la multiplicité des partenaires et la faible capacité à imposer l’utilisation dupréservatif ; elles reconnaissaient avoir un faible pouvoir de décision. Parailleurs elles avaient un niveau de connaissance plus faible que celui desgarçons ce qui les plaçait en position de vulnérabilité accrue face au VIH/sida.

En second lieu, les jeunes handicapés auditifs avaient un niveau deconnaissance nettement plus faible et des connaissances davantage erronéesque les jeunes porteurs d’autres déficiences. Ils sont, par ailleurs, en margedes autres communautés, fréquentant des écoles spécialisées, ayant peu decommunication avec les autres communautés. Ils restent plus casaniers, ce quiles éloigne des circuits habituels de sensibilisation et renforce leur vulnérabilité.

Discussion

Les limites et les biais

Les jeunes de l’étude ont un niveau de scolarité et une participation socialeplus élevés que la moyenne des jeunes handicapés de Maputo car notreéchantillon a été choisi au travers des APH et d’une école. Or, les jeuneshandicapés sont souvent moins scolarisés et ont une vie sociale plus limitéeque leurs pairs non handicapés.

(2) Programme national de prévention du sida orchestré par le Centre national de la lutte contre le sidaprésent dans 50 % des écoles mozambicaines.

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En outre, pour la faisabilité de l’étude, les handicapés auditifs sélectionnésdevaient tous connaître la langue des signes ce qui n’est pas le cas de lamajorité de la population des handicapés auditifs. Les individus instruits decette population sont donc surreprésentés. Ce qui constitue un biais pour lesrésultats spécifiques aux handicapés auditifs ; on pourrait donc s’attendre àce que ce groupe d’handicapés soit plus à risque que ce que montre lesrésultats de l’étude. Compte tenu de ces raisons, de la spécificité de notreéchantillon (nombre réduit (30) et local (Maputo)), il n’est pas possible degénéraliser les résultats de notre enquête à l’ensemble du pays. Cependant,les tendances qu’elle dessine sont utiles pour définir des actions deprévention spécifiques.

Comparaison entre les jeunes handicapés et les jeunes non handicapés

Afin de comparer le niveau de connaissance des jeunes handicapés avecleurs pairs non handicapés, trois enquêtes récentes réalisées à Maputotraitant du VIH/sida chez des jeunes non handicapés ont été utilisées [7, 8, 9].D’une manière générale, les jeunes handicapés ont un niveau deconnaissance nettement plus faible et plus de connaissances erronées queles non handicapés. Ainsi, la signification des mots « VIH » et « sida » estbien répandue chez les jeunes non handicapés de Maputo : 60 % deconnaissance lors d’une enquête réalisée en 2006 [8] alors qu’une minoritéde l’échantillon des jeunes handicapés connaissait leur signification. Chez lesjeunes non handicapés, la notion qu’une personne apparemment en bonnesanté puisse être infectée par le virus est très majoritaire, ce qui n’est pasle cas dans l’échantillon des jeunes handicapés. De même, l’idée d’unetransmission du virus par baiser ou même par une simple accolade existedans notre échantillon alors qu’elle est totalement marginale (2 %) chez lesjeunes non handicapés de Maputo [7]. Cette constatation est corroborée pardes enquêtes qui ont été faites auprès de personnes atteintes de surdité auSwaziland [5] et au Nigéria [6], montrant que 40 % des personnes atteintesde surdité pensent que le VIH se transmet par baiser ou par accolade, contre10 % chez les non handicapés.

Parmi les modes de prévention, seulement une petite majorité del’échantillon cite le préservatif contre 88% des jeunes non handicapés [7].Enfin les lieux de conseil et de dépistage sont connus par 71 % des jeunesinterrogés en 2006 à Maputo [7] alors que seule la moitié des jeuneshandicapés les connaissait. Il n’est pas ressorti de l’étude l’idée fausse queles personnes porteuses de handicap ne peuvent pas contracter le sida carelles n’ont pas de relations sexuelles. Cette idée est souvent citée dansd’autres écrits portant sur « le VIH/sida et le handicap » en Afrique [1, 10, 11].

Trois éléments semblent concourir à ce défaut de connaissance des jeuneshandicapés : c’est d’abord une vie sociale moins riche due à une mobilitégéographique réduite et à une forte exclusion. Ainsi les campagnes desensibilisation et de prévention n’atteignent pas les jeunes handicapés et ced’autant plus qu’ils ne sont pas scolarisés. C’est aussi une insuffisanced’école spécialisée pour les personnes handicapées. Sur Maputo, la capitaledu pays, il n’y a que 3 écoles spécialisées pour les handicapés auditifs (avecun effectif total de 250 élèves) et aucune école spécialisée pour les

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handicapés visuels. Or, l’école constitue avec le programme national« Geração Biz » une source d’information importante pour les jeunes nonhandicapés [7]. Enfin, les APH sont insuffisamment actives et touchent peules personnes handicapées elles-mêmes, en particulier dans le domaine duVIH/sida. Ces APH en ont d’ailleurs conscience. Ce qui explique queseulement trois jeunes de notre étude ont connaissance d’actions menéespar les APH dans le domaine du VIH/sida et qu’aucun jeune ne les citecomme source d’information sur ce thème.

Ce défaut de connaissance entraîne une inquiétude plus grande des jeuneshandicapés : deux tiers de l’échantillon se considèrent à risque, par rapportà 53 % des jeunes non handicapés de Maputo en 2006 [8]. Cette attitude pluspessimiste témoigne d’un fort besoin de conseil et d’échange.

Concernant les pratiques, la comparaison la plus intéressante retenue iciconcerne les jeunes filles. Il y a une forte inégalité des sexes face auxpratiques sexuelles et au VIH/sida. Les femmes, qu’elles soient atteintes dedéficience ou non, n’ont pas le pouvoir de décider, sont passives et ne sontpas en mesure de négocier une relation sexuelle protégée [14]. Seuls, lesjeunes hommes ont le pouvoir de décision quant à l’utilisation du préservatifà Maputo [9]. Par contre, ce qui différencie les jeunes filles handicapées decelles qui ne sont pas handicapées est la multiplicité des partenaires puisqueles premières acceptent plus facilement des relations d’un soir. Ceci met lesjeunes filles handicapées en situation de vulnérabilité importante, d’autantplus qu’elles ont un niveau de connaissance plus faible que les garçons, etexige un travail spécifique auprès d’elles pour augmenter leur pouvoir dedécision et leur estime de soi.

Comparaison entre les 3 types de handicap

Compte tenu des très faibles effectifs de notre enquête, les résultats quisuivent sont à considérer avec prudence. Il apparaît que les handicapésauditifs, scolarisés ou non, sont davantage vulnérables face au VIH/sida queles porteurs d’autres déficiences. Leur niveau de connaissances sur le VIH/sida est plus bas que celui des handicapés moteurs et visuels, et ils ontdavantage d’idées fausses. Leurs pratiques peuvent paraître plusprotectrices et donc moins à risque car ils sortent peu et retardent leurpremière relation sexuelle. Cependant, cela ne fait que retarder le moment del’exposition. Il est à craindre que lors de leur premier rapport, ils soientdémunis face au risque.

Cette différence en termes de connaissances et de pratiques entre leshandicapés auditifs et les autres handicapés pourrait être expliquée par troiséléments : en premier lieu, par une impossibilité de communiquer : de ce faitles handicapés auditifs n’échangent pas sur ce thème et n’ont pas accès auxinformations orales basiques de prévention. C’est aussi un non accès à laradio : la radio à Maputo est de loin la source d’information la plus utiliséepar les jeunes pour s’informer sur le VIH/sida [7]. La radio a été aussi lapremière source d’information citée par les handicapés visuels et moteurs denotre étude. Les handicapés auditifs sont donc informés essentiellementpar la télévision. Or, seulement deux programmes hebdomadaires sontinterprétés en langue des signes sur « TV Moçambique ». Les handicapés

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auditifs n’ont donc accès qu’à l’image à la télévision. C’est enfin leur niveaude scolarisation faible : une majorité d’handicapés auditifs déchiffrent leslettres de l’alphabet mais ne comprennent pas un texte simple de 5 lignes,ce qui les empêche d’accéder aux messages écrits de prévention. Cettedifférence est ainsi surtout liée à la nature du handicap (impossibilité decommuniquer et non accès à la radio) et partiellement au niveau d’éducationqui est le plus faible parmi les trois types d’handicap.

Les handicapés auditifs sont donc en dehors des circuits usuels desensibilisation et de prévention et ils ne reçoivent pas les informationsde base. Les mêmes constatations ont été relevées par Nora Groce auSwaziland [5] et au Nigéria [6]. De fait, les structures d’accueil des centres desanté ou de dépistage ne sont pas adaptées à leur handicap. Le personneldes centres de santé ou de conseil et de dépistage ne parle pas le langagedes signes. Ainsi, 3 jeunes handicapés auditifs ont pensé faire un dépistagedu VIH alors qu’il s’agissait d’un test sanguin d’une autre nature et 2 autresont fait le dépistage du VIH sans avoir leur résultat.

En ce qui concerne la déficience visuelle, la principale contrainte est l’accèsaux centres de conseil et de dépistage. En effet, pour se rendre dans cescentres, les handicapés visuels ont besoin d’être accompagnés et il arrivefréquemment que la tierce personne reste pendant le conseil ou le dépistage.Le jeune ne fait alors plus confiance aux conseillers et ne fréquente plus cescentres ; les conseillers devraient assurer la confidentialité et insister pourvoir le jeune en tête à tête.

Points forts

Cette étude est la première étude réalisée directement auprès despersonnes en situation de handicap au Mozambique sur le thème du VIH/sida. Elle constitue une première estimation qualitative des connaissances,attitudes et pratiques des jeunes handicapés de Maputo. Elle a été un succèspar la participation des APH et des bonnes relations qui en ont découlé. LesAPH ont joué un rôle primordial comme moyen de rassemblement des jeuneshandicapés. En raison d’une perception parfois différente de la notionde « personne handicapée », il a fallu à maintes reprises refuser desvolontaires adressés par les associations. Ces dernières ont cependantcontinué à en proposer sans se décourager et toujours dans un esprit decoopération ouvert et constructif. Cet élément est un facteur très positif pourles actions ultérieures.

Perspectives pour l’action

Cette étude avait pour objectif d’action de permettre l’amélioration desprogrammes de prévention et de sensibilisation auprès de la populationhandicapée. Elle a donné de bonnes indications et a ouvert des pistes pouradapter les programmes de sensibilisation et de prévention :

1. Diffuser largement les résultats de l’étude auprès des acteurs impliquésdans la lutte contre le sida au Mozambique.

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2. Intégrer davantage les personnes handicapées dans les programmes deprévention. Afin d’inclure les personnes handicapées dans le futur Plannational de lutte contre le sida, plaider leur cause auprès des acteursimpliqués dans la lutte contre le sida et auprès des responsables descampagnes de sensibilisation sur les personnes handicapées dans lescentres de conseil et de dépistage.

3. Faciliter l’accès aux conseils, au dépistage et aux soins, par unediffusion large de l’existence et de la localisation des centres de conseilet de dépistage, par la formation du personnel de ces centres à l’accueilet aux besoins spécifiques des personnes handicapées, par la créationde centres mobiles.

4. Améliorer le niveau de connaissance des jeunes handicapés, enparticulier des jeunes filles et des handicapés auditifs, par des actionsde proximité au sein des APH telles que des groupes de discussion, desdébats et des formations sur le thème du VIH/sida, et aussi par un effortparticulier sur les handicapés auditifs en formant des volontaires à lalangue des signes, présents lors des groupes de discussion et dans lescentres de conseil et de dépistage.

5. Promouvoir des comportements « sans risque » : travailler auprèsdes jeunes filles et des jeunes hommes pour accroître l’utilisation despréservatifs. Il est primordial d’augmenter le pouvoir de décision etl‘estime de soi des jeunes filles. Il faut travailler auprès des jeuneshommes sur l’importance d’utiliser un préservatif à chaque rapportsexuel occasionnel et sur le fait qu’étant dans la plupart des cas, le« décideur », ils doivent assumer cette position de manière responsableet tenir compte de l’avis de leur partenaire.

L’équipe de Handicap International du projet « VIH et Handicap » a prisconnaissance de ces résultats et perspectives et en a tenu compte dèsl’année 2009 pour réajuster ses actions auprès des personnes handicapées.Par ailleurs, le Mozambique a signé la convention internationale relativeaux droits des personnes handicapées, adoptée par les Nations Unies endécembre 2006. Ainsi, partout des portes s’ouvrent pour intégrer davantagela personne handicapée dans les plans nationaux de lutte contre le sida. LeMozambique est en voie de le faire dans le Plan national de lutte contre lesida 2010-2014 qui se met en place. « A luta continua ! ».

REMERCIEMENTSL’auteure remercie l’équipe de l’ONG Handicap International de Maputo, les associations depersonnes handicapées pour leur aide et leur disponibilité au cours de la réalisation de cetteétude : ACAMO, AJODEMO, AMDV, AMMD, ASUMO et CINFORTECNICA ainsi que le personnelde l’école « especial numero 1 » de Maputo. Elle tient également à remercier les personnes han-dicapées qui ont pris part à l’étude.

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Correspondance : S. Acef Réception : 17/11/2009 – Acceptation : 04/03/2010

Soins somatiques et autisme,lever les obstacles pour réduireles inégalitésSomatic care and autism: removal of barriers to reducinginequalities

Saïd Acef (1), Pascal Aubrun (2)

Résumé : L’autisme est une pathologie complexe et chronique ayant pour conséquence unesituation grave d’inégalité d’accès aux soins somatiques. L’interaction entre les différentsniveaux de vulnérabilité (somatique, psychologique et sociale) liés à l’autisme nécessitele déploiement d’actions conjointes et concertées portant autant sur l’amélioration dela qualité de l’accès aux soins que sur la coordination du parcours de la personne dans lesystème de santé. Faisant suite à l’audition publique organisée en 2008 par la Haute Autoritéde Santé sur le thème de l’accès aux soins des personnes en situations de handicap, il s’agitde présenter les obstacles existants et de proposer des facilitateurs cliniques etorganisationnels. Les préconisations portent à la fois sur l’amélioration de la connaissanceacquise et des recherches scientifiques sur le sujet, la valorisation des savoir-faire parentauxet professionnels et les conditions nécessaires à la réduction des inégalités d’accès auxsoins.

Mots-clés : Autisme - accès aux soins - handicap - obstacles - facilitateurs - réseau -intégration des services - coordination - inégalités - facteurs de risque - vulnérabilité.

Summary: Autism is a complex chronic disease that frequently results in a serious situation ofinequalities in access to somatic care. The links and interactions between the different levelsof vulnerability (somatic, psychological and social) associated with autism requires thedeployment of joint and concerted action bearing equally on the improvement of the qualityof access to care and on the coordination of the patient’s trajectory in the health system.Following the public hearing held in 2008 by the High Authority on Health on the theme ofaccess to care for people with disability, this article presents the existing barriers andsuggests clinical and organizational facilitators. The recommendations focus on improvingthe knowledge-base and scientific research on the subject, the evaluation and developmentof parental and professional skills and know-how, and the conditions necessary for reducinginequalities in access to healthcare.

Keywords: Autism - access to care - disability - barriers - facilitators - network - integration ofservices - coordination - inequalities - risk factors - vulnerability.

(1) Réseau de santé AURA 77 - 8 Mail Barthelemy Thimonnier - 77185 Lognes ([email protected] -www.aura77.org)(2) SESSAD L’Ombrelle ([email protected])

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IntroductionL’autisme est une pathologie complexe et chronique aux conséquences

importantes en termes de handicap. Les personnes avec autisme et leursproches vivent une situation grave d’inégalité d’accès aux soins somatiques.L’interaction entre les différents niveaux de vulnérabilité (somatique,psychologique et sociale) liés aux troubles du spectre autistique plaide pourle déploiement d’actions conjointes et concertées portant sur l’améliorationde la qualité de l’accès aux soins et la coordination du parcours de lapersonne dans le système de santé. C’est le sens du Plan Autisme 2008-2010qui vise à construire une nouvelle étape de la politique gouvernementaledans ce domaine. Une des mesures du Plan vise à élaborer unerecommandation de pratique professionnelle afin de réduire les inégalitésd’accès aux soins somatiques.

Cet article reprend les points-clés de la note de synthèse rédigée pour uneaudition publique organisée par la Haute Autorité de Santé sur lesinsuffisances d’accès aux soins, non directement liées à la pathologie, despersonnes en situation de handicap et de proposer des actions concrètesd’amélioration [22].

La problématique a été abordée à partir des deux questions posées par laHaute Autorité de Santé : 1) Quels sont les dispositifs d’accompagnementpertinents vers l’accès aux soins en situation de vie ordinaire ? 2) Quelle estla répartition des rôles et des enjeux de coordination entre les différentsacteurs concernés par l’accès aux soins ?

La note de synthèse a été élaborée à partir de la méthodologie suivante :– recherche bibliographique sur les bases de données existantes et auprès

des agences et relais institutionnels compétents (Haute Autorité deSanté, Association Nationale des Centres Ressources Autisme) ;

– analyse et synthèse de la littérature scientifique sélectionnée en fonctiond’une liste de mots-clés prédéterminés ;

– confrontation des données de la littérature avec des données issues del’expérience de professionnels et de familles ;

– relecture de la note de synthèse par un comité ad hoc composé d’experts,de professionnels et d’usagers ;

– validation finale de la note de synthèse par la commission d’audition HAS.Cet article s’organise en trois parties : après un rappel succinct des

principales données actuelles sur les troubles autistiques, un inventaire desdifférents problèmes concernant les soins somatiques de cette populationest dressé : vulnérabilités particulières, difficultés spécifiques, obstaclesrelatifs à l’accès aux soins. La troisième partie vise un ensemble depropositions visant à développer les facilitateurs potentiels et à améliorer lacoordination et la qualité des services.

L’autisme et les troubles envahissants du développement,quelques repères utiles

L’autisme infantile est décrit pour la première fois par Léo Kanner, en1943, à partir de l’observation de onze enfants présentant des troubles

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communs associant un isolement relationnel extrême (« aloneness ») et unbesoin impérieux d’immuabilité (« sameness »). Il faut attendre LornaWing [4], et sa conceptualisation du « continuum autistique » pour parvenir,vers la fin des années quatre-vingt, à une description globale et graduéedes différentes formes du spectre autistique. Depuis, l’autisme est intégrédans la catégorie des « troubles envahissants du développement (TED) »(DSM III, IV, IV-RT et CIM-10). Une évolution de la classificationdiagnostique est en cours afin de repréciser les critères cliniques desformes frontières entre autisme de haut niveau et Syndrome d’Asperger. Ladénomination TED pourrait par ailleurs faire place à celle de Troubles duspectre autistique (TSA).

Définition et description cliniqueÀ l’heure actuelle, l’autisme infantile est défini (CIM 10) comme un trouble

précoce débutant avant trois ans, affectant le développement global etcaractérisé par :

– des perturbations qualitatives dans les domaines des interactionssociales réciproques et de la communication ;

– l’aspect restreint et répétitif des intérêts et des activités ;– le caractère envahissant (permanent) de ces troubles sur le fonction-

nement de l’enfant.

L’autisme est un syndrome clinique aux formes très hétérogènes pourlequel il n’existe à ce jour aucun marqueur biologique. L’autisme s’inscritdans un continuum clinique hétérogène comprenant : l’autisme infantiletypique (autisme de Kanner), les autismes atypiques, le syndrome de Rett,les troubles désintégratifs de l’enfance, le syndrome d’Asperger et les autrestroubles « non spécifiés ».

PrévalenceLa prévalence exacte de l’autisme et des autres TED reste mal connue. Elle

semble avoir progressé, sans pour autant que l’on puisse conclure aveccertitude à une réelle augmentation du nombre de cas dans le monde. Cetteprogression peut être mise sur le compte de plusieurs facteurs parmilesquels l’évolution de la définition et des critères diagnostiques, le défaut dedépistage précoce et performant.

Concernant l’autisme typique, la prévalence était de 4 à 5 cas pour10 000 personnes en 1996. Les études épidémiologiques récentes évaluentun taux de prévalence de 2,5/1000. Concernant l’ensemble du spectre del’autisme (TED), la prévalence est actuellement estimée entre 6 et 7 pour1 000, soit en moyenne 1 enfant sur 150. Plus de 70 % des cas d’autismetypique présenteraient une déficience intellectuelle associée, ce tauxdescendant à 30 % si on considère l’ensemble des TED [22]. Le sex-ratio estde 1 fille pour 3 à 4 garçons mais les filles présentent plus souvent unecomorbidité (déficience intellectuelle, troubles neurologiques associés) quiassombrit leur pronostic [22].

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Comorbidités

Bien qu’il soit complexe de définir leurs liens précis avec les troublesautistiques, de nombreuses pathologies ou particularités sont assez souventassociées à l’autisme. Ces comorbidités sont d’ordre génétique (X fragile,Sclérose tubéreuse de Bourneville, Syndromes de Prader-Willi etd’Angelman), métabolique, sensoriel, neurologique (30 % d’épilepsie) oupsychiatrique (déficience intellectuelle, troubles de l’humeur, hyperactivité).Ces pathologies associées restent insuffisamment repérées et traitées etpeuvent être la cause d’une altération rapide et surprenante ducomportement et des capacités de la personne.

Repères étiologiquesLe consensus actuel établit une causalité plurielle et complexe impliquant

notamment un ensemble de facteurs de risque génétiques. Le risquegénétique au sein de la fratrie est 45 fois plus élevé qu’en populationgénérale avec une concordance de plus de 60 % chez les jumeauxhomozygotes contre 3 à 6 % chez les jumeaux dizygotes. Le risqued’apparition chez les apparentés du 1er degré est de 1 pour 50 par rapport à1 pour 500 en population générale. Des résultats d’études génétiquesmulticentriques ont permis de localiser des gènes « candidats » intervenantdans le développement du système nerveux central. Malgré les avancéesscientifiques, les bilans médicaux actuels n’objectivent encore rien de précissur le plan étiologique dans presque 70 % des cas.

Les personnes avec autisme ont des vulnérabilités particulièressur le plan somatique, mais leur accès à des soins performantsest souvent semé d’obstacles

Quelques constats

L’espérance de vie d’une personne avec autisme est réduite en moyennede 4 ans [29, 33]. Il est également évoqué un risque de mortalité deux foisplus élevé chez les personnes avec autisme que dans la populationgénérale [29, 33]. Le risque est majoré chez les filles et les personnesprésentant un autisme sévère incluant une déficience intellectuelleimportante. Il existe une exposition plus importante des personnes avecautisme à des pathologies somatiques telles que les problèmes dentaires,les troubles cardio-vasculaires et gastro-intestinaux, les troubles dusommeil, le diabète, les phénomènes comitiaux typiques et atypiques [24].Les conséquences de l’épilepsie constituent la première cause de mortalitéprématurée chez les personnes avec autisme. Il demeure difficile de faire lapart des choses entre ce qui ferait partie de la « carte somatique » propre del’autisme [4] et des facteurs non spécifiques tels que les effets secondairesdes médicaments, l’hygiène de vie, la déficience mentale souvent associée,les conséquences d’un suivi régulier insuffisant, de retards dans la prise encompte de certains signes d’alerte.

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Pour autant, les témoignages de parents convergent : « l’accès aux soinsgénéraux, quel que soit l’âge des personnes avec autisme, est un véritableparcours du combattant » [3, 15]. Qu’il s’agisse des soins dentaires, d’uneconsultation médicale en ville, ou d’examens médicaux dans un servicehospitalier, les troubles autistiques compliquent tout [28].

Les difficultés spécifiques

Le dépistage des signes d’alerte est compliqué : les difficultés decommunication, le manque fréquent d’expressivité de la douleur (allantjusqu’à l’absence d’attitude antalgique), ou son expression sous un masquetrompeur (troubles du comportement attribués à la pathologie autistique)sont autant d’éléments qui peuvent retarder la détection et la prise encompte d’un possible problème somatique.

Avant l’examen, l’attente est difficile. L’intolérance au changement, lesdifficultés de compréhension et d’anticipation génèrent un stress importantet majorent le risque de troubles du comportement (agitation, cris, auto/hétéro-agressivité…) : l’examen peut se présenter d’emblée comme trèspérilleux alors même qu’il n’a pas commencé !

L’examen clinique rencontre un ensemble d’obstacles. L’hypersensibilitésensorielle (bruits, intolérance tactile…), les angoisses d’intrusion, ladifficulté à comprendre les consignes, à localiser et à décrire la douleur, lesmalentendus ou l’incompréhension des explications et consignes desprofessionnels… sans oublier la perception souvent aiguë, par les patients,de l’état émotionnel (inquiétude, stress, manque d’assurance) desprofessionnels sont autant de précurseurs d’une spirale autoaggravante.

Le manque d’information des professionnels concernant cet ensemble despécificités se double souvent d’une sous évaluation de certains risquesthérapeutiques : la sensibilité particulière de cette population auxpsychotropes doit mobiliser la vigilance du clinicien eu égard notamment aurisque de dyskinésies tardives sous neuroleptiques ou bien aux effetsparadoxaux de certains sédatifs [4, 6]. La gravité des troubles ducomportement peut induire par ailleurs des prescriptions qui cumulentplusieurs psychotropes aux interactions dommageables. La nécessité defenêtres thérapeutiques, permettant d’intégrer le traitement dans laperspective globale des soins, est encore trop fréquemment négligée. Unemise à jour des connaissances sur certaines molécules, comme les IRS (pourl’anxiété) ou la Mélatonine (pour les insomnies d’endormissement) serait trèsutile [6]. Enfin, la surveillance médicale de la personne, sous traitement, estsouvent sous-estimée (prise de poids, troubles digestifs, troubles dusommeil, troubles de l’humeur, agitation, troubles moteurs…).

Autres obstacles institutionnels

Les obstacles institutionnels recouvrent les pratiques professionnelles,l’organisation des soins et des services et les aspects financiers. La formation(initiale et continue) concernant l’autisme tant au niveau des professionnelslibéraux que des services somatiques hospitaliers, demeure insuffisante et peuvalorisée. Il existe par ailleurs un ensemble de difficultés faisant obstacle au

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déploiement de pratiques coordonnées et adaptées : le temps de coordinationdes soins est peu pris en compte. La rémunération des actes (consultationssans soins, soins, prévention) le plus souvent complexes et longs estinsuffisante. La T2A en secteur hospitalier est défavorable aux actes à faibletechnicité ou engageant une durée moyenne trop longue. Le rendementattendu des technologies coûteuses est peu propice à des temps depréparation et d’adaptation du patient à l’examen sans effectuer l’acte médicalprévu. Par ailleurs, les problématiques de santé des personnes avec autismedans les établissements ou services médico-sociaux sont sous-estiméesnotamment dans le secteur adulte. Le personnel médical et paramédical desétablissements est insuffisant. De fait, les problèmes sont souvent traités dansl’urgence et la mise en place d’un protocole de suivi préventif régulier poseproblème [9]. Globalement, il existe un retard important à la prise en chargedes soins somatiques en secteur hospitalier, notamment dans le domaine dessoins dentaires [23], compte tenu du faible nombre de services spécialisés oude dispositifs prêts à accueillir des personnes avec autisme.

Les obstacles liés aux possibilités d’aide et de mobilisation de l’entourage

En aucun cas, il ne s’agit de postuler ici une défaillance ou une incapacitéde l’entourage. Les compétences des proches, mises à rude épreuve auquotidien, doivent être soutenues et valorisées. Mais le manqued’informations transmises à l’entourage limite sa prise de décision. La famillepeut passer à côté de signes d’alerte somatique et sous-estimer l’importancedu suivi de problèmes de santé parfois bénins.

La charge matérielle et psychologique qu’entraîne l’accompagnement auquotidien d’une personne avec autisme, est une dimension insuffisammentprise en compte. De nombreux témoignages de parents évoquent lescontraintes matérielles induites par les différentes démarchesd’accompagnement aux soins (multiplicité des rendez-vous, distance ettemps de parcours, absences au travail voire arrêt de l’activitéprofessionnelle, etc.). Des phénomènes d’épuisement, de « burn-out »des familles confrontées à un niveau de stress récurrent, sont de nature àaltérer la mise en œuvre de l’aide [3, 4, 15]. Le retentissement des troublesautistiques sur la vie quotidienne peut ainsi entraîner une altérationprovisoire des compétences parentales.

Propositions d’amélioration

Aider la personne avec autisme

Compte tenu des grandes difficultés d’anticipation et de l’intolérance auxchangements, la préparation préalable de la séquence de soins estfondamentale. La planification des différents temps de la séquence de soinsau travers de supports visuels (pictogrammes, images, photos, emploi dutemps visuel permettant la décomposition spatio-temporelle des tâches)permet à la personne d’anticiper, de comprendre et de gérer la situationd’examen. Ces supports visuels sont d’autant plus importants que lescapacités de compréhension et le langage sont altérés [36]. L’amélioration de

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l’accueil est à prendre en considération : temps en salle d’attente, matériel àdisposition, neutralisation d’indices visuels négatifs, bruit environnant, etc.L’aménagement des locaux (salle d’attente, cabinet médical, servicehospitalier, matériel, etc.) pourrait s’appuyer sur un « diagnostic »environnemental préalable recommandant des aménagementssimples [5, 36]. Dans de nombreux cas, des consultations sans soins maisnéanmoins rémunérées pour le professionnel devront être proposées pouraider à l’habituation au lieu et à la situation.

Soutenir les professionnels

Il est nécessaire de développer les programmes de formation, des actionsde sensibilisation sur la spécificité du suivi somatique des personnes avecautisme (dont l’évaluation de la douleur) incluant des règles simples depréparation et de déroulement d’une consultation médicale.

La coopération des équipes de soins somatiques avec les professionnelsspécialisés doit être facilitée : consultation hospitalière « soins somatiques ethandicap », protocoles de suivi coordonné, bilan somatique initial, grillesd’évaluation fonctionnelle permettant de repérer les problèmes somatiquessous-jacents aux troubles du comportement [14, 18]. Concernant lessituations complexes, l’articulation entre les interventions nécessite deproposer des réunions de concertation pluri-professionnelle permettantl’identification des différents professionnels, le suivi des préconisations etl’efficience de la coordination des soins. L’organisation de formationscroisées, d’inter-visions ou de stages entre institutions visant une rotationpositionnelle permettant à chaque professionnel d’un secteur donné demieux comprendre les logiques d’intervention de ses interlocuteurs est l’undes leviers essentiels du décloisonnement et de l’anticipation des risques.

Enfin, des évolutions sont attendues concernant le mode (forfait decoordination) et les montants de la rémunération (majoration d’actes) desprofessionnels pour ces actes médicaux longs et complexes.

S’appuyer sur les savoir-faire parentaux

L’information mutuelle entre la famille et les professionnels est essentielleau bon déroulement des soins. Le recueil par le professionnel de santé,préalablement à la consultation, des savoir-faire parentaux permet des’appuyer sur les recommandations issues de la connaissance de leur enfantet leur longue expérience de ces situations (habitudes de la personne,facteurs de stress liés à l’événement et l’environnement, temps d’attentedans la salle, etc.). Ce recueil peut se faire par questionnaire ou lors d’uneconsultation préparatoire sans soins [36].

Renforcer l’intégration des soins et des services en réseau

L’accès aux soins primaires et spécialisés est largement conditionnépar l’évaluation globale et concertée entre les différents intervenants.L’intrication des facteurs biologiques, psychologiques et sociaux participantà la santé globale de la personne avec autisme engage une nécessairecoopération entre les acteurs notamment entre le secteur sanitaire (libéral et

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hospitalier) et médico-social. Ces pratiques en réseau [2, 16, 17, 19] sontd’une importance cruciale pour le suivi des pathologies chroniques etcomplexes dont l’autisme fait partie. L’un des dispositifs innovants, encorepeu répandu sur le territoire dans le domaine du handicap et de la santémentale, est le réseau de santé. Les réseaux de santé ont pour mission defavoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité oul’interdisciplinarité des prises en charge. Ils assurent une prise en chargeadaptée aux besoins de la personne tant sur le plan de l’éducation à la santé,de la prévention, du diagnostic que des soins. Un autre levier possible est lacréation d’équipes dédiées à l’ensemble de la prise en charge etl’accompagnement de la personne avec autisme sur le modèle desprogrammes ACT (Assertive Community Treatment : « suivi actif dans lacommunauté ») ou de disease management dans les pays anglo-saxons [32].En France, les Samsah peuvent correspondre à cette approche intégrée etcomplète du suivi des usagers. La présence de case-managers, référents dela coordination du parcours de l’usager, contribuerait nettement à améliorerl’accès aux soins [32]. Nous avons peu de recul concernant la plus-value desSamsah (Service d’Accompagnement médico-social pour adultes ensituation de handicap) dédiés aux personnes avec autisme car ils sont decréation récente et encore peu répandus [10]. L’enjeu est de densifier lesliens entre les professionnels et les structures pour anticiper les facteurs derisques et gérer l’accès aux soins. L’intégration des pratiques et desorganisations consiste à créer et à maintenir une régulation commune,coordonnée, au niveau clinique et administratif, entre les différents acteursautonomes d’un territoire. Ces acteurs sont co-responsables de l’efficience etde la qualité d’un système et des résultats relatifs à la santé et au bien-êtrede la population cible [16, 17]. Cette meilleure intégration s’appuie surplusieurs outils à la disposition des différentes parties prenantes en fonctiondes défis à relever. Il est possible de définir trois niveaux de pratiques deréseau (liaison/coordination/intégration complète) dépendant du degré dehandicap, de l’importance des besoins de soins des personnes concernées etdes attentes de l’entourage [27]. La graduation des pratiques de réseaupermet donc d’adapter les projets locaux de santé publique en fonction desobjectifs poursuivis. Cela suppose de définir les différents niveaux de recourspertinents compte tenu des problèmes de santé rencontrés par la personneavec autisme. Plus les problèmes sont complexes à résoudre, plus la densitédes liens entre les acteurs et le niveau d’intégration des pratiques devrontêtre importants. Le facilitateur « réseau » peut donc se déployergraduellement autour de mécanismes ponctuels de liaison (fiche de liaison,échanges téléphoniques…), de mécanismes plus réguliers de coordination(réunion de concertation, consultations conjointes, dossier patient partagé)voire d’actions globales et permanentes d’accompagnement des personnes(équipe unique et mobile répondant aux situations complexes et urgentes).

Conclusion et Perspectives

L’élaboration d’une recommandation de santé publique portant sur le suivisomatique des personnes avec autisme en fonction de leur âge et de laspécificité des troubles est un enjeu essentiel. Il persiste un manque de

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l’autisme, et à ses co-morbidités. Le suivi médical doit être renforcé parl’identification et la formation de professionnels ressources, la création deconsultations conjointes ou de dispositifs de soins partagés et la mise enplace de protocoles cliniques adaptés aux différents contextes de pratiques(ville, hôpital, établissements médico-sociaux). L’accès à l’offre de soins depremier recours implique que les professionnels de santé acquièrent un soclecommun de connaissances sur l’autisme. Le recours à des dispositifs d’appuiet de coordination spécialisés contribuerait également à « sécuriser » leurspratiques. Enfin, les nombreux obstacles organisationnels à l’accès aux soinsdes personnes avec autisme supposent le développement de stratégiesd’intégration des services visant l’efficience et dépassant les clivagesinstitutionnels encore nombreux. Le facilitateur « réseau » peut contribuer ausuivi global et coordonné de cette pathologie chronique et complexe que

Tableau I : Stratégies d’intégration des services

Organisation des programmes de soins et de services en réseau

Critères3 niveaux d’intégration des pratiques

1 – Liaison 2 – Coordination 3 – Intégration complète

Détection/Prévention Identifier et évaluerles besoins émergentsen population générale

Repérer les populationscibles nécessitantune attention particulière

Améliorer les référencesnotamment en casde modificationdes besoins de soins

Pratiques cliniques Comprendre et répondreaux besoins spécifiquesdans le domainedes soins primaires,de la prévention,éducation à la santé

Connaître les pratiquescliniques et s’appuyersur les intervenantspour coordonnerl’intervention

Gérer le programmede soins et de servicespar une équipe dédiée

Continuité du suivi/prestations de service

Adresser et Suivre Fluidifier et gérerles passages entreles différents services

Délivrer directementl’ensemble des soinset des servicesdans toutes les phasesdu parcours de soins

Information Fournir de l’informationà la demande ;demander del’information si besoin

Définir et transmettreles informationset les données utilesde façon régulière

Utiliser un recueilcommun des données

Suivi coordonné(Case management)

Aucun Intervenants pivotset équipe de coordination

Équipe complète ou casemanagers expérimentésgérant tout le parcours

Caractéristiques des besoins de la personne

Sévérité des troubles Faible à modérée Modérée à importante Importante

Stabilité Stable Stable Instable

Durée Court à moyen terme Court à long terme Long terme

Degré d’urgence Aucune urgence Situation régulée Urgence fréquente

Etendue des services Faible à Modérée Modérée à étendue Étendue

Capacité d’autonomie Importante Variable Faible

Traduit et adapté par Saïd Acef, à partir de : « Integrating medical and social services » – Walter N. Leutz [référence 29]

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constitue le syndrome autistique. La tâche est complexe mais le défisurmontable à mesure que les pratiques et les organisations seront encohérence avec une vision nouvelle des besoins des personnes autistes et del’attente des familles.

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Correspondance : P. MK Kalenga Réception : 22/08/2009 – Acceptation : 30/03/2010Université de Lubumbashi, 3514, Avenue Mwepu, 243 Lubumbashi Congo

Facteurs prédictifs de la malnutritionchez les enfants âgés de moinsde cinq ans à Lubumbashi (RDC)Factors associated with malnutrition in children agedunder five years in Lubumbashi (DRC)

Abdon W.M. Mukalay (1), Prosper M.K. Kalenga (1), (2), Michèle Dramaix (3), (4),Philippe Hennart (4), (5), Carole Schirvel (4), (5), Lydia M. Kabamba (1),Benjamin I. Kabyla (1), (6), Philippe Donnen (4), (5)

(1) École de Santé Publique, Université de Lubumbashi. [email protected](2) Fondation Mutundu, CEPIMER Centre pilote pour la médecine de la reproduction, [email protected](3) Département de Biostatistique, École de Santé Publique, Université Libre de Bruxelles.(4) Cemubac, Centre Scientifique et Médical de l’Université Libre de Bruxelles pour ses activités de coopération.(5) Département d’épidémiologie et de médecine préventive, École de Santé Publique, Université Libre deBruxelles.

Résumé : L’état nutritionnel des enfants est un indicateur mondial du bien-être de l’enfant etindirectement de sa communauté. Le premier objectif de ce travail consiste à évaluer l’étatnutritionnel des enfants âgés de moins de cinq ans vivant dans un quartier périphérique de la villede Lubumbashi, en RD Congo, à la fin du conflit armé 1998-2003. Le second objectif vise àdéterminer quelques facteurs prédictifs de la malnutrition. Une enquête transversale a été menée,dans des ménages, auprès de 1963 enfants. Outre les variables anthropométriques, lesconditions de vie ont également été relevées. Une régression logistique a été appliquée. On aobservé 33,5 % de retard de croissance et 3,8 % d’émaciation. En régression logistique, le niveaud’étude de la mère (moins de 7 ans), l’absence d’un robinet d’eau potable dans la parcelle, lesexe masculin et l’âge supérieur à 11 mois étaient significativement associés à un risque accru deretard de croissance. Le niveau bas d’étude de la mère, le sexe mâle et l’âge de l’enfant (plus de11 mois) étaient significativement associés au retard de croissance sévère. Par ailleurs, l’appétitdiminué, la diarrhée et l’âge de l’enfant (< 12 mois) étaient les prédicteurs significatifs d’uneémaciation. Comparée à la classification de l’Organisation Mondiale de la Santé, la prévalence deretard de croissance est élevée et celle de l’émaciation basse. Afin de réduire la mortalité et lamorbidité chez l’enfant et contribuer ainsi à son bien-être, il faut, dans toute intervention de luttecontre la malnutrition, intégrer les différents facteurs prédictifs évoqués dans la présente étude.

Mots-clés : Facteurs prédictifs - émaciation - état nutritionnel - retard de croissance - enfants- RD Congo.

Summary: Nutritional status of children is a global indicator of children’s well-being and,indirectly, of the community’s well-being. The first objective of this work is to assess thenutritional status of children under five years-old living in a suburb of the city of Lubumbashi, DRCongo, at the end of the 1998-2003 armed conflict. The second objective aims to identify somepredictors of malnutrition. A multivariate logistic regression was applied to the results of a cross-sectional survey of 1963 children from selected households. In addition to the anthropometricvariables, living conditions were also used. We observed 33.5% stunted growth and 3.8%emaciation. After logistic regression, a low maternal educational level (less than 7 years), theabsence of a drinking water tap available in the house or yard, male gender, and age of children(> 11 months) were all significantly associated with increased risk of stunted growth. Moreover,decreased appetite, diarrhea and age of children (< 12 months) were significant predictors ofemaciation. Compared to the classification of the World Health Organization, our results indicatethat the prevalence of stunting is high and the prevalence of emaciation is low. Interventionsagainst malnutrition should consider the various predictors discussed in this study in order toreduce mortality and morbidity in children and contribute to their well-being.Keywords: predictors - wasting - nutritional status - stunted growth - children - DemocraticRepublic of Congo (DRC).

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IntroductionLe meilleur indicateur mondial du bien-être de l’enfant est sa croissance.

Les infections et les pratiques alimentaires inadéquates, et plus souvent lesdeux associées, constituent les principaux facteurs qui nuisent à sacroissance physique et à son développement mental [12]. Le retard decroissance dans la petite enfance est généralement associé à une pertefonctionnelle importante dans la vie adulte et à une capacité de travaildiminuée qui peut handicaper la productivité économique [9, 10, 15]. Lacroissance représente aussi une excellente mesure des inégalités dudéveloppement humain auxquelles sont confrontées les populations.

Au Katanga, à notre connaissance, aucune étude précédente n’a recherchéles facteurs associés à la malnutrition. En outre, la guerre qui a commencé en1998 en République Démocratique du Congo s’est arrêtée, de façon active,vers 2002 mais l’accord entre belligérants n’est intervenu qu’en 2003, enmaintenant quelques poches d’insécurité et provoquant un nombreimportant de déplacés vers Lubumbashi, chef lieu de la province du Katanga.

Les objectifs de cette étude consistent donc à évaluer, dans ce contexte,l’état nutritionnel des enfants âgés de moins de cinq ans à Lubumbashi et àidentifier des facteurs de risque potentiels de malnutrition.

Méthodologie

Lieu d’enquête et sujets

Ce travail a été mené dans l’Aire de Santé (AS) « Bongonga Suzanella » dela Zone de Santé (ZS) de Kampemba à Lubumbashi dont la population estconstituée, en majorité, des classes socio-économiquement défavorisées.Il s’agit d’une étude transversale qui s’est déroulée du 21 mars 2002 au30 avril 2002 sur toute l’étendue de cette AS, à la fin de la saison de pluie.L’échantillon total est composé de 1963 sujets âgés de moins de cinq ans.Tous les enfants de l’AS répondant au critère d’âge ont été enrôlés avecl’appui du médecin du Centre de Santé Bongonga. Un comité d’éthique del’Université de Lubumbashi, les autorités locales et les chefs de familles ontdonné un accord écrit ou consentement verbal à l’étude.

Variables et appréciation de l’état nutritionnel

L’âge a été vérifié sur un document administratif ou sanitaire (attestationmédicale, carnet sanitaire, carte d’identité des parents). En cas de nondisponibilité de ce document, un calendrier pré-établi d’événements locaux aété employé pour aider la mère de l’enfant à préciser la date de naissance dece dernier. La mesure du poids et de la taille était réalisée par deuxenquêteurs séparément puis comparée. La détermination de l’âge et du sexepuis la mesure du poids ou de la taille ont permis de calculer l’indice poidspour âge (PPA) pour rechercher la malnutrition globale, l’indice taille pour âge(TPA) pour rechercher la malnutrition chronique ou le retard de croissance,

(6) CHUAC, Chaire UNESCO d’Afrique Centrale de l’Université de Lubumbashi.

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puis l’indice poids pour taille (PPT) pour rechercher la malnutrition aiguë oul’émaciation. Ces indices étaient exprimés en « Z-score » qui représente unécart de la mesure de l’enfant par rapport à la médiane de référence divisé parl’écart-type de référence (OMS [12]).

Pour l’enfant présentant des œdèmes de malnutrition, le logiciel exclut sonpoids dans le calcul des z-scores concernés. La malnutrition sévèrecorrespond au seuil du z-score inférieur à – 3 E.T. et la malnutrition modéréeau seuil de moins de – 2 E.T. [12]. Pour le Z-score PPT (ZPPT), le seuil de – 1a été aussi choisi car le nombre de sujets avec ZPPT < – 2 était insuffisantpour effectuer les analyses.

Facteurs prédictifs

Les facteurs prédictifs ont été inspirés du modèle de l’UNICEF [3]. Lesvariables indépendantes se rapportant à l’enfant comprenaient l’âge, le sexe,la durée de séjour dans le quartier, la classe sociale du foyer, le niveaud’étude atteint par la mère (ou tutrice), l’existence et le type d’eau potabledans la parcelle de l’enfant et la « morbidité » de l’enfant durant les deuxsemaines précédant l’interview. La durée de séjour dans la parcelle a étécatégorisée en deux : l’une inférieure à 3 mois et l’autre égale ou supérieureà 3 mois. La durée de 3 mois est considérée comme seuil minimum associé àune influence effective du milieu sur l’état nutritionnel.

La classe sociale a été estimée sur base de la profession, du niveaud’études des parents et de leur revenu. Pour estimer ce dernier, lesenquêteurs recouraient aux indicateurs de substitution suivants : propriétairede sa maison, coût du loyer, coût des études des enfants, type d’habitation(dimension, matériaux, toilettes, courant électrique), équipements, moyensde transport, personnes à charge du foyer, eau potable dans la maison ouparcelle. Un indice avec des valeurs ordonnées a été déterminé puis la classesociale a été définie en niveau bas et élevé [11, 14]. Le niveau d’étude de lamère a été catégorisé en 3 groupes (primaire = 0 à 6 ans, 1er cycle desecondaire = 7 à 9 ans et 2e cycle de secondaire = 10 ans ou plus).

Analyses

Le logiciel Anthro 2005 [26] a permis de déterminer les z-scores, calculés àpartir des standards OMS-2006 [27]. Les analyses ont été effectuées grâceaux logiciels EpiInfo 2004, ver 3.2.2 [4] et STATA 10 [21]. EpiInfo a permisl’encodage par deux personnes, via la fonction « data compare », afind’éliminer les erreurs de saisie. La description de l’échantillon a été effectuéeen utilisant les méthodes usuelles de statistique descriptive [11]. L’analysedes tables de contingence a été effectuée à l’aide du χ2 de Pearson, durapport de cote (OR) et de l’Intervalle de Confiance à 95 %.

Les variables explicatives incluses dans les modèles de régression logistiqueont été sélectionnées par une procédure progressive. Seules les variablesstatistiquement significatives ont été maintenues dans ces modèles. Lesinteractions entre les prédicteurs potentiels de malnutrition ont été testées parle test du rapport de vraisemblance. En présence d’interaction, des modèleslogistiques par strates ont été établis. Le test d’ajustement de Hosmer-Lemeshow a été appliqué pour vérifier l’adéquation des modèles finaux ; il était

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non significatif pour chaque modèle. Les OR, leurs IC 95 % ainsi que la p-valeurdu test de Wald ont été présentés dans la partie consacrée aux résultats.

Résultats

Description des données sociodémographiques et cliniques

À l’examen des données démographiques et anthropométriques des enfants(Tableau I), nous notons qu’environ un quart de leurs mères ont un niveaud’études inférieur à 7 ans, 5 enfants sur 6 vivent dans une parcelle sansrobinet d’eau potable et 19 enfants sur 20 appartiennent à une classe socialebasse. La prévalence approximative des enfants ayant un ZPPT sous – 2 est de3,8 % et celle des enfants avec un ZTPA inférieur à – 2 est de 33,5 %.

Analyse ZPPT (évaluation de la malnutrition aiguë)

Ont plus de risque de présenter un ZPPT < – 1 en association bi-variée, lesenfants âgés de moins de 12 mois (OR = 1,6 ; IC 95 % = 1,3-2,1 ; p < 0,001),les enfants malades (OR = 1,4 ; IC 95 % = 1,1-1,7 ; p < 0,05) et lesanorexiques (OR = 1,6 ; IC 95 % = 1,2-2,3 ; p = 0,005). Les autres variablesétudiées (sexe, classe sociale, durée de séjour dans la parcelle, duréed’études des mères, eau potable dans la parcelle) n’étaient pas associéessignificativement à l’émaciation.

Les modèles logistiques ont montré qu’auprès d’enfants âgés de 12 moisou plus, la diarrhée (OR = 1,6 ; IC 95 % = 1,01-2,45 ; p < 0,05) et l’anorexie(p < 0,05 ; OR = 1,6 ; IC 95 % = 1,05-2,49) étaient significativement associéesà l’émaciation traduisant une malnutrition aiguë (Tableau II).

Analyse ZTPA (évaluation du retard de croissance)

L’association bi-variée significative du retard de croissance (ZTPA < – 2)n’est observée qu’avec les prédicteurs suivants : enfants âgés de moins de12 mois (OR = 0,4 ; IC 95 % = 0,3-0,6), ceux d’une mère avec niveau d’étudesinférieur à 7 ans (OR = 1,9 ; IC 95 % = 1,5-2,5), les garçons (OR = 1,5 ;IC 95 % = 1,2-1,8), les œdémateux (OR = 4,0 ; IC 95 % = 1,3-12,5) et ceux

Tableau I : Données démographiques et anthropométriques des enfants (n = 1963)

Variable Pourcentage

Sexe féminin 50,5

Niveau d’études suivies par la mère ≤ 6 ans 23,2

7 à 9 ans 48,3

> 9 ans 28,5

Classe sociale basse 94,7

Durée de séjour dans parcelle < 3 mois 11,9

Parcelle sans robinet d’eau potable 83,0

Mère déclare que l’enfant souffre 57,3

Anorexie 9,6

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vivant dans une parcelle sans un robinet d’eau fonctionnel (OR = 1,5 ;IC 95 % = 1,2-2,0). Par contre, les autres facteurs de notre étude (classesociale, durée de séjour dans la parcelle, présence d’une maladie, anorexie)n’étaient pas associés significativement au ZTPA < – 2.

Le tableau III présente les OR ajustés par la régression logistique du ZTPAcatégorisé avec le seuil de – 2. Le modèle final montre que les enfants âgésde douze mois ou plus, celui dont la mère a un niveau d’études de moins desept ans, les garçons, ceux vivant dans une parcelle dépourvue de robinetd’eau fonctionnel et ceux qui ont vécu moins de trois mois dans cette parcelleétaient significativement plus à risque de présenter un retard de croissance.Le retard de croissance sévère (ZTPA < – 3 E.T.) est significativement associé,en analyse bi-variée, à un niveau d’études de la mère inférieur à 7 ans, àl’absence d’un robinet d’eau fonctionnel dans la parcelle de l’enfant(OR=1,5 ; IC 95 % = 1,0-2,3), à un âge inférieur à 12 mois (OR = 0,4 ; IC 95 %= 0,3-0,6), à la présence d’œdèmes (OR = 3,8 ; IC 95 % = 1,2-12,0) et au sexemasculin (OR = 1,7 ; IC 95 % = 1,3-2,2).

Les résultats de l’analyse multi-variable indiquent que les enfants de sexemasculin (OR = 1,7 ; IC 95 % = 1,3-2,2), ceux âgés de moins de douze mois(OR = 0,4 ; IC 95 % = 0,3-0,6) et ceux dont la mère a suivi moins de sept ansd’études (OR = 2,3 ; IC 95 % = 1,5-3,4), avaient plus de risque de présenterun retard de croissance sévère.

DiscussionCe travail a évalué l’état nutritionnel des enfants âgés de moins de cinq ans

dans une aire de santé de Lubumbashi ainsi que l’association entre lesz-scores PPT ou TPA et quelques facteurs prédictifs potentiels de lamalnutrition aiguë (émaciation) ou chronique (retard de croissance). Lesrésultats obtenus indiquent que la prévalence de l’émaciation est plutôtbasse tandis que celle du retard de croissance est élevée (selon laclassification de l’OMS [12]).

Émaciation et œdèmes

Dans notre échantillon, on a observé 18 % d’enfants avec ZPPT < – 1 alorsque Delpeuch et al. [5] en avaient observé 25,2 % à Brazzaville pour lesenfants âgés de moins de six ans. La prévalence de l’émaciation de 3,8 % à

Tableau II : Associations entre le ZPPT et diarrhée ou appétit par groupe d’âge(< 12 mois, ou plus) dans un modèle de régression logistique

Prédicteurs

ZPPT (< – 1)

Âge ≥ 12 mois Âge < 12 mois)

OR (IC 95 %) p OR (IC 95 %) p

Diarrhée Oui 1,6 (1,01-2,45) 0,047 0,7 (0,4-1,4) 0,32

Non 1 1

Anorexie Oui 1,6 (1,05-2,49) 0,030 1,4 (0,7-2,7) 0,3

Non 1 1

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Lubumbashi est proche de celle de Brazzaville en 1991 [5] mais faible parrapport à celles retrouvées au Katanga [23, 10], en RDC [23, 10] ou dans desrégions de l’OMS [3] (Tableau IV).

De même, la prévalence de l’émaciation sévère de 0,7 % à Lubumbashi estproche de celle de 1,9 % relevée à Kinshasa [10] mais faible, comparée àcelle d’Afrique centrale qui mélange les prévalences urbaine et rurale [3, 20].Par ailleurs, les œdèmes sont présents chez 0,6 % de nos enfants alors qu’onen observe chez 1,9 % d’enfants dans tout le Katanga selon l’EDS [10].

Donc la prévalence de l’émaciation paraît basse à Lubumbashicomparativement au milieu rural défavorisé sur les plans revenu, instruction,approvisionnement en eau potable, couverture sanitaire et parfois une plusgrave insécurité en milieu rural. Ceci pourrait aussi dépendre des facteursintermittents existants suivants : opérationnalité d’un centre de santé et d’uncentre nutritionnel de supplémentation dans l’AS. En outre, le fait que notreenquête ait coïncidé avec la récolte des champs durant la fin de la saisonpluvieuse pourrait en partie expliquer la faible prévalence del’émaciation [3, 7].

Retard de croissance

La prévalence du retard de croissance de 33,5 % de notre étude estinférieure à celle de RDC [10, 23] mais dépasse celle des pays endéveloppement selon Black et al. [3] (Tableau IV). Dans notre étude, laprévalence du retard de croissance sévère de 11,7 % est inférieure à celle

Tableau III : Analyse multi-variable entre prédicteurs et ZTPA (< – 2) (n = 1963)

Variables OR ajustés IC 95 % p a

Âge de l’enfant (mois) < 0,001

< 12 0,4 0,3-0,5

≥ 12 1 –

Études de la mère (ans) < 0,001

≤ 6 1,9 1,5-2,5 < 0,001

7 à 9 1,6 1,2-2,0 < 0,001

> 9 1 –

Sexe de l’enfant < 0,001

F 1 –

M 1,5 1,2-1,8

Présence d’un robinet d’eaudans la parcelle

0,006

Oui 1 –

Non 1,5 1,1-1,9

Durée de séjour dans la parcelle(mois)

0,015

< 3 1,5 1,1-2,0

≥ 3 1 –

Test de Hosmer-Lemeshow : p = 1,0, OR = Odds Ratio, IC = Intervalle de confiance, aaaa Régression logistique. Les variables nonsignificatives sont : classe sociale, souffrance, diarrhée, fièvre, appétit et œdèmes.

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du Katanga (25,1 %) et celle de la RDC (24,2 %) dans son ensemble [10]. Laprévalence du retard de croissance plus élevée dans la population infantilerurale par rapport à celle du milieu urbain serait liée à une alimentationinadéquate et/ou des maladies infectieuses relativement chroniques ourécurrentes. Celles-ci peuvent être corollaires à l’insécurité alimentaire etsociale dans un contexte de post-conflit ou de faiblesse de l’État, plusprédominante en milieu rural qui est socio-économiquement défavorisé.

Facteurs prédictifs

Notre étude révèle que le niveau d’études élevé de la mère est associé àune prévalence plus basse du retard de croissance de l’enfant. Une mêmeobservation a été rapportée par Delpeuch et al. [5] à Brazzaville, Bhandariet al. [2] en Inde, Pongou et al. [13] au Cameroun, Sakisaka et al. [16] auNicaragua, Sereebutra et al. [19] au Guatemala et Semba et al. [18] en Asie.Cette association pourrait s’expliquer par le fait que le niveau d’étude peutaméliorer le revenu, l’utilisation des services de santé, l’hygiène etl’alimentation [7, 18].

Nous avons constaté dans ce travail une association significative entrel’absence d’un robinet d’eau potable fonctionnel à domicile et uneprévalence plus élevée de la malnutrition. Ce fait est rapporté aussi parPongou et al. [13] et Black et al. [3]. L’eau impropre peut provoquer, parexemple, la diarrhée qui altère l’état nutritionnel. Dans notre travail, ladiarrhée (émission de selles très molles ou liquides, 3 fois par jour et aumoins pendant un jour), est associée significativement à l’émaciation chezles enfants âgés d’un an ou plus. Cette association a également été observée

Tableau IV : Prévalence comparée de malnutrition aiguë et chroniquedes enfants âgés de moins de cinq ans

Sources% Z-score PPT % Z-score TPA

< – 1 < – 2 < – 3 < – 2 < – 3

Notre étude, 2002 18,0 3,8 0,7 33,5 11,7

Delpeuch [5] Brazzaville 25,2 4,2 11,0

MICS II, Katanga, 2001 [23] 15,1 3,1 38,3 19,5

MICS II, Kinshasa, 2001 [23] 14,3 2,7 19,9 8,4

MICS II, RDC, 2001 [23] 13,4 3,1 38,2 20,3

EDS, Katanga, 2007 [10] 12,2 6,4 45,0 25,1

EDS, Kinshasa, 2007 [10] 9,3 1,9 23,4 8,8

EDS, RDC, 2007 [10] 10,0 4,3 45,5 24,2

Indonésie, 2000–03 [18] 33,2

Bangladesh, 2000–05 [18] 50,7

Pays en Dév, 1986-98 [15] 8,3 30,8

Afrique centrale, 2005[3] 5,0 41,5

Pays en Dév, 2005 [3] 10,0 3,5 32,0

PPT = poids pour âge, TPA = taille pour âge, Dév = développement.

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par Tonglet et al. [22] dans la province du Kivu (RDC), Sawadogo et al. [17] en2005 au Burkina Faso, entre 6 et 24 mois d’âge, et Black et al. [3]. Dans uneétude longitudinale, Sawadogo et al. [17] ont tenu compte de la durée de lamaladie et de la diminution d’appétit. Comme nous, Black et al. [3] n’ont pastrouvé d’association entre ZTPA et la diarrhée, mais Sawadogo et al. [17] onttrouvé une association entre diarrhée et un ZTPA mesuré trois mois plus tard.La diarrhée peut découler d’une contamination par les excréments, lesdoigts, les mouches, la boisson, les aliments ou les champs.

Comme signalé par Pongou et al. [13] au Cameroun et Semba et al. [18] enIndonésie (2003) et au Bangladesh (2005), nous avons noté que l’âge estassocié significativement au retard de croissance avec un risque accru chezles enfants de 12 mois et plus. Comme nous, Sawadogo et al. [17] ont relevéaussi, dans une étude longitudinale, que les ZPPT et ZTPA étaient baissés de6 à 24 mois d’âge. L’allaitement maternel améliore le ZTPA et le ZPPT del’enfant, surtout de 0 à 6 mois d’âge ; mais l’introduction d’une alimentationde complément inappropriée ou contaminée, à partir de 6 mois,handicaperait cette bonne croissance. L’anorexie de l’enfant a constitué unprédicteur significatif de l’émaciation dans notre travail et ceci a égalementété rapporté par Sawadogo et al. [17] et Alvarado et al. [1]. Cependant,notons que, dans le marasme, l’appétit exagéré est fréquent vers six moisd’âge.

Dans notre étude, la « classe sociale » n’était pas associée à l’étatnutritionnel mais Black et al. [3], Pongou et al. [13], Frongillo et al. etDelpeuch et al. [5] ont observé que le revenu est significativement associéà l’état nutritionnel. Certaines études ont trouvé qu’il n’y a pas d’écartimportant entre les niveaux (ex. quantiles) inférieurs de la classe [6, 7, 10].L’homogénéité relative des classes socio-économiquement défavoriséespeut expliquer, dans notre étude, cette absence d’association significativeentre l’état nutritionnel et les classes sociales. Celles-ci devraientnormalement être bien déterminées en fonction de l’indice de revenumais nous n’avons pas pu réunir les éléments nécessaires pour sonévaluation [24].

Notre enquête montre que le sexe masculin est significativement associéau retard de croissance comme rapporté par Engebretsen et al. [6], Wamaniet al. [25] et Semba et al. [18]. Sans présentation de test, l’EDS [10] « neconstate pas d’écart important de retard de croissance entre garçons (48 %)et filles (43 %) ». Cette association entre le sexe masculin et l’étatnutritionnel pourrait, selon certains auteurs, être liée à une vulnérabilité plusimportante chez le garçon [25] que chez la fille dans un environnement socio-économiquement défavorisé comme celui de l’AS Bongonga où notre étude aété menée.

L’association significative entre le retard de croissance et le séjour inférieurà trois mois est surprenante. Nous pensons que la majorité d’enfants qui ontemménagé dans ce quartier pauvre étaient préalablement en situationnutritionnelle défavorable. Les résultats de cette enquête transversaleincitent à la mise en route des études plus élaborées (prospectives ouexpérimentales). Il convient de noter que certaines différences de prévalencede la malnutrition pourraient être dues aux courbes de références utilisées ;

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celles de l’OMS-2006 [27] aggravent le retard de croissance par rapport àcelles de NCHS-OMS [10, 18].

ConclusionLa prévalence du retard de croissance dans notre étude est élevée et celle

de l’émaciation basse, selon la classification de l’OMS. Une associationsignificative a été observée entre la malnutrition et les déterminants dumodèle causal de l’Unicef, notamment : le niveau d’étude bas de la mère,l’absence d’un robinet d’eau fonctionnel dans la parcelle, l’anorexie, ladiarrhée et le sexe masculin. Toute intervention de lutte dans ce domainedevrait prendre en compte ces facteurs.

REMERCIEMENTSNous remercions le responsable et les étudiants de la Chaire Unesco d’Afrique Centrale del’Université de Lubumbashi, la Fondation Mutundu et le CEMUBAC – Centre Scientifique etMédical de l’Université Libre de Bruxelles pour ses Activités de Coopération.

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Correspondance : A. Nacu Réception : 28/01/2010 – Acceptation : 04/03/2010

La fibromyalgie : du problème publicà l’expérience des patientsFibromyalgia: from public issue to the patient experience

Alexandra Nacu (1), Daniel Benamouzig (2)

Résumé : La fibromyalgie est un trouble de la santé caractérisé par une fatigue importanteet par des douleurs. Ses contours ne sont pas clairement spécifiés, ni d’un point de vuebiologique ni d’un point de vue clinique. Dans ce contexte d’incertitude, la prévalence de lafibromyalgie est estimée à plus de 1 % de la population. Cet article s’appuie sur des donnéesqualitatives pour explorer en termes sociologiques les relations entre la dynamique desdébats publics sur la fibromyalgie, récurrents depuis les années quatre-vingt, et l’expériencedes patients. La mise en relation de ces deux types d’éléments, collectifs et individuels,éclaire les difficultés de prise en charge.

Mots-clés : Disease mongering - fibromyalgie - médicalisation - problème public - relationpatient-médecin.

Summary: Fibromyalgia is a health condition characterized by significant tiredness and pain.Its contours are not clearly specified, either from a biological point of view or from a clinicalpoint of view. In this context of uncertainty, the prevalence of fibromyalgia is estimated atmore than 1% of the population. This article draws on qualitative data to explore insociological terms the relationship between the dynamics of public debate aboutfibromyalgia, which has been recurring since the 1980s, and the patient experience. Thelinking of these two types of elements, both collective and individual perspectives, highlightsthe difficulties associated with management and care of fibromyalgia.

Keywords: fibromyalgia - medicalization - public issue - doctor-patient relationship.

(1) CSO (CNRS - Sciences-Po) - 12 rue du Roi de Sicile - 75004 Paris.(2) CSO (CNRS - Sciences-Po) - 13 rue de l’Université - 75007 Paris - France.

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IntroductionLa fibromyalgie est un trouble de la santé dont les contours ne sont pas

clairement spécifiés. D’un point de vue médical, elle désigne une fatigueimportante associée à des troubles du sommeil et à des douleurs localisées,identifiées par des points douloureux. Chroniques, ces manifestationssont l’objet d’épisodes plus ou moins intenses. Une constellation detroubles associés se rencontre souvent chez les personnes fibromyalgiques.La particularité de la fibromyalgie – qui en fait souvent un diagnosticd’exclusion – est l’absence de signes radiologiques ou biologiquesanormaux. Sa prévalence serait considérable, allant de 1 % à 4 % de lapopulation, selon les pays [40]. Les femmes comptent pour 90 % despersonnes fibromyalgiques [39]. En raison des incertitudes qui l’entourent, lafibromyalgie est depuis plusieurs années l’objet de questionnementsrécurrents, de la part des patients et de leur entourage, des associations quiles représentent, des professionnels de santé, des firmes pharmaceutiques,des experts et des autorités de régulation. Elle est l’un de ces nouveauxtroubles de la santé que certains souhaitent caractériser comme de « vraiespathologies », tandis que d’autres se demandent si ils ne sont pas l’effetde « constructions sociales » non dénuées d’intentions mercantiles. Sansprendre parti dans ce débat, qu’il s’agit plutôt d’éclairer, cette contributionmet en regard deux dimensions du phénomène, souvent dissociées.

Dans la tradition de la sociologie des problèmes publics, il s’agit d’abordde considérer la fibromyalgie à partir des controverses dont elle est l’objet,et dont on analyse les dynamiques [5, 35]. Il s’agit aussi d’analyserl’expérience de personnes atteintes. Ces deux dimensions permettent decomprendre que la controverse se répercute sous forme d’incertitudes dansla prise en charge. Après avoir présenté la méthode qualitative mise enœuvre, nous présentons les résultats selon deux axes, relatifs à ladynamique du problème public et aux expériences individuelles. Nousdiscutons ensuite ces éléments à partir des principaux points de lacontroverse et de leur impact sur l’expérience des patients.

MéthodeL’étude s’appuie sur une méthode qualitative, habituellement utilisée en

sociologie pour analyser les problèmes publics, notamment dans le domainede la santé [16]. L’originalité de la démarche tient à la confrontation de cetteapproche avec une analyse de l’expérience des patients, qui permetd’identifier une correspondance entre les incertitudes du débat public etcelles dont les patients font l’expérience individuellement.

Le corpus de documents analysés est composé à partir d’une rechercheciblée dans des bases de données scientifiques (Medline et Pascal). Larecherche a été effectuée à partir des mots clés suivants sur la période1975-2010 : « fibromyalgia », seul et associé à d’autres termes : fibromyalgiaAND history/rhumatology/neurology/psychiatry/diagnosis/screening/clinicaltrial/treatment/ACR/WHO/pharmaceutical company/patient group, ainsi queleurs traductions en français. Les éléments bibliographiques extraits desbases de données scientifiques ne permettent cependant pas de cerner à eux

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seuls la dynamique de la controverse. Se concentrant sur les aspectsbiomédicaux, ils doivent être complétés par d’autres données, moinsformalisées : une recherche exhaustive de la littérature de sciences socialessur la fibromyalgie a été menée dans les bases de données JSTOR,ScienceDirect, Cairn et Persée. 45 références ont été identifiées, dont30 incluses dans le corpus après examen des titres et résumés. Ce corpus aenfin été complété par une recherche de documents, d’informations ou detémoignages disponibles sur Internet à partir d’une interrogation du moteurde recherche Google utilisant les mots clés précédemment cités. Les sitesmédicaux gouvernementaux, ceux des associations professionnelles, ceuxdes associations de malades, les forums de discussion, ainsi que les sitesdes principaux quotidiens français et américains ont été explorés. L’analysebibliographique ne vise pas une synthèse de la littérature scientifique, ausens de la médecine des preuves, même pour les éléments qualitatifs [33].Une telle analyse n’aurait pas permis de caractériser les dynamiques dudébat public en prenant en compte les éléments pertinents, ni a fortiorid’établir de correspondances avec l’expérience des patients. L’analysesociologique qualitative du corpus se fonde sur une lecture bibliographiqueclassique, sans analyse quantitative de contenu. Elle a permis decaractériser la dynamique du débat public aux États-Unis et en France, enidentifiant notamment les acteurs, les intérêts et les points de controverseen présence.

L’analyse s’appuie par ailleurs sur des entretiens qualitatifs approfondis.Des entretiens semi-directifs réalisés auprès d’experts en santé publique(n = 4, dont 3 médecins spécialistes et un spécialiste de santé publique non-médecin) ont permis de compléter les données bibliographiques, offrant uneappréciation complémentaire sur la dynamique des controverses et duproblème public. Les experts ont été interrogés sur les séquenceshistoriques, sur les contributions des différentes catégories d’acteurs, sur lespoints de controverse et sur la prise en charge de la fibromyalgie. Lesexpériences individuelles de la fibromyalgie, enfin, ont été explorées à partird’entretiens qualitatifs semi directifs auprès de patients fibromyalgiques(n = 10), sélectionnés par l’intermédiaire d’une association (n = 6), et deforums ou de réseaux personnels, sans lien avec les associations (n = 4). Lesentretiens ont été réalisés en face à face, au domicile des patients, sanslimitation de temps et ont été intégralement retranscrits. Ils ont porté surl’émergence de la fibromyalgie dans le parcours biographique, la relation auxsoignants et les relations avec l’entourage. Les données recueillies lors desdeux phases de l’enquête ont été analysées conjointement, afin de faireapparaître des correspondances thématiques entre les incertitudes du débatpublic et l’expérience des patients. Ces correspondances se rapportent àl’étiologie de la fibromyalgie ainsi qu’aux modalités de diagnostic, de priseen charge et de traitement.

RésultatsL’étude met en évidence les conditions dans lesquelles la fibromyalgie est

apparue comme un problème de santé controversé, d’abord auprès demilieux médicaux, notamment en rhumatologie, puis en impliquant d’autres

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catégories d’acteurs, en particulier des firmes pharmaceutiques et desassociations de patients, pour aboutir à une reconnaissance par les autoritéspubliques dans la plupart des pays occidentaux. L’émergence du problèmede santé éclaire les trajectoires des patients, dont l’expérience individuelles’inscrit dans un processus de reconnaissance marqué par de nombreusesincertitudes.

1. De la question médicale au problème public : vers une épidémie de fibromyalgie ?

La fibromyalgie est apparue récemment sur le devant de la scène médicale,bien que les troubles douloureux chroniques, familiers des médecins depuisdes siècles, aient fait l’objet de tentatives de caractérisation sous différentsnoms [32] (3). Jusque dans les années 1970, les publications hésitent sur ladénomination et la caractérisation de ces troubles [26]. En 1977, deuxmédecins canadiens publient dans une revue de rhumatologie à diffusionlimitée un article qui semble être le point de départ de la diffusion du conceptde fibromyalgie [34]. Il s’agit de caractériser des patients aux troubles nonélucidés, pour lesquels aucun traitement n’est stabilisé, afin de les regrouperdans des études épidémiologiques [14]. Dans les années 1980, cettepublication est citée à de nombreuses reprises dans les revues de spécialité,à mesure que grandit un intérêt pour cette question. Deux points dedéfinition sont notamment retenus : la présence de points douloureux à lapression, et la coexistence de fatigue et de troubles du sommeil [2, 8]. En1992, l’Organisation Mondiale de la Santé reconnait la fibromyalgie etl’inscrit dans la classification internationale des maladies (CIM 10) sous larubrique « Rhumatisme non spécifié » (M.79.7). Cette reconnaissance offredes perspectives de recherche séduisantes en rhumatologie, qui s’ouvrealors à des influences pluridisciplinaires [37]. Plus largement, les évolutionsdu contexte social se prêtent à une prise en compte des troubles : lestransformations des années soixante-dix, en particulier l’évolution du statutet des rôles sociétaux des femmes [24].

À partir des années 1980, la catégorie « fibromyalgie » migre du milieumédical et anglo-saxon vers un espace social plus large. En 1990, à la suited’une recherche clinique [39], l’American College of Rheumatology (ACR)émet des critères et produit une description clinique de référence légitimantla fibromyalgie aux yeux de nombreux soignants, non sans contestationsinternes à la profession [40]. Aux États-Unis, la voie est ouverte à une priseen charge des traitements de la fibromyalgie par les assurances de santé (4).Les firmes pharmaceutiques manifestent un intérêt pour ce nouveau marché :les années 1990 voient apparaître une gamme de médicaments plus fournie,appartenant notamment aux familles des antalgiques et des antidépresseurs.Le nombre des diagnostics augmente, tout comme les publications sur lesujet ([18], voir aussi graphique n° 1).

(3) Si des syndromes comparables ont sans doute été observés sur l’ensemble du globe, cet article porte surl’émergence de la fibromyalgie en Occident avec une focalisation sur les États-Unis et la France (pays oùl’enquête a été menée).(4) Voir par exemple Steve Twedt, “Fibromyalgia patients fight insurers over medication coverage”, inPittsburgh Post-Gazette, 13/07/2008, http://www.post-gazette.com/pg/08195/896544-28.stm, dernier accès1er mars 2010.

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Ces tendances se confirment dans les années 2000, lorsque les firmesdeviennent des agents plus actifs dans la diffusion de la notion defibromyalgie, notamment à travers le financement d’études. Le nombred’essais cliniques enregistrés croît au cours des années 2000, passant demoins de dix essais par an au début de la décennie, à plus de cinquanteessais annuels aujourd’hui (voir graphique n° 2). Les firmes participent aussiaux activités professionnelles, par exemple à travers à l’organisation decongrès médicaux. Des sociétés comme Pfizer et Eli Lilly financent denombreuses conférences médicales sur la fibromyalgie, y compris dessessions du congrès de l’ACR (5). En Europe, le laboratoire Pierre Fabre – quicommercialise le Minalcipran, un antidépresseur utilisé entre autres pour letraitement de la fibromyalgie – sponsorise les conférences de l’EuropeanLeague Against Rheumatism (EULAR) (6). En 2007, Lyrica® (prégabaline),commercialisé par Pfizer, est le premier médicament dont la fibromyalgieest l’une des principales indications. Il bénéficie d’importants budgets,qui familiarisent le grand public à la fibromyalgie et à son traitementmédicamenteux (7). Deux autres laboratoires, Eli Lilly et Pierre Fabre, entrentdans la course en 2008, obtenant l’autorisation de la Food and DrugAdministration pour leurs produits respectifs Cymbalta® (duloxetine) etMinalcipran avec l’indication fibromyalgie (8). Pourtant, les études préalablesà la mise sur le marché sont effectuées sur des périodes brèves, montrantdes bénéfices mitigés lorsqu’on les compare aux placebos, et des effets

Graphique 1 : Nombre de publications scientifiques sur la fibromyalgie, 1950-2009(source : Medline).

(5) http://www.medpagetoday.com/MeetingCoverage/ACR/7350, dernier accès 1er mars 2010.(6) Par exemple http://www.fibromyalgia-pierre-fabre.com/index.php?option=com_content&task=view&id=63&Itemid=2 dernier accès 1er mars 2010.(7) http://www.lyrica.com/content/fibro_homepage.jsp?setShowOn=../content/fibro_homepage.jsp&setS-howHighlightOn=../content/fibro_homepage.jsp, dernier accès 1 er mars 2010. http://www.nytimes.com/2008/01/14/health/14pain.html?scp=2&sq=fibromyalgia&st=cse, dernier accès : 1er mars 2010.(8) http://www.ladepeche.fr/article/2004/01/27/415524-Pierre-Fabre-veut-vendre-le-Minalcipran-aux-USA.html, dernier accès 1er mars 2010, http://www.fiercebiotech.com/press-releases/forest-laboratories-cypress-bioscience-fibromyalgia-drug-delayed-fda, dernier accès 1er mars 2010, Les Échos, 16/09/01 p. 21.

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secondaires importants [1, 4]. Après les autorisations américaines, l’Europesuit le mouvement, avec un décalage temporel et plus de scepticisme enversles traitements médicamenteux [28]. L’agence européenne du médicamentrefuse l’autorisation à Eli Lilly pour Cymbalta® pour le traitement de lafibromyalgie (9).

Parallèlement aux compagnies pharmaceutiques, d’autres acteurscontribuent à inscrire la fibromyalgie sur l’agenda public. Après l’inclusionde la fibromyalgie dans la CIM 10 de l’OMS, de nombreuses associationssont créées et participent au travail de publicisation. Une fédérationd’associations créée en 1997 intervient auprès du National Institute forHealth et des États fédérés. Grâce au lobbying, huit États fédérés proclamentdésormais une « Fibromyalgia Awareness Day » (jour de prise de consciencede la fibromyalgie) [38]. Les associations se structurent avec le soutien del’industrie pharmaceutique. Selon l’agence Associated Press, le budget de laNational Fibromyalgia Association est financé à hauteur de 40 % par descompagnies privées (10). En 2008, toujours aux États-Unis, seuls les donsattribués aux associations intervenant dans le domaine du cancer, du sida etde la dépression dépassent les sommes versées aux associations activesdans le domaine de la fibromyalgie. En Europe, des associations nationalesfédérant des associations locales naissent sur le même modèle dans lesannées 1990. En décembre 2008, le réseau européen des associations depatients fibromyalgiques (European Network of Fibromyalgia Associations)obtient la signature par les députés européens d’une déclaration à l’adressede la Commission et du Conseil invitant les États membres à reconnaîtrela fibromyalgie comme une maladie et à œuvrer à sa prise en charge, à larecherche, au dépistage et dénombrement des malades (11).

Graphique 2 : Nombre d’essais sur la fibromyalgie enregistrés dans le monde(source : FDA, 2010).

(9) http://www.ema.europa.eu/humandocs/PDFs/EPAR/cymbalta/duloxetine%20Q&Afr.pdf dernier accès1er mars 2010.(10) M. Perrone, Drugmakers’ push boosts ‘murky’ ailment, Associated Press, 9 février 2009.(11) http://www.enfa-europe.eu/index.php?id=55, dernier accès 18 décembre 2008.

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2. Des trajectoires de patients longues et ambigües

Les étapes de la publicisation de la fibromyalgie éclairent les trajectoiresdes patients, notamment les conditions de diagnostic, de prise en charge etde traitement. Avant la pose d’un diagnostic, qui intervient parfois aprèsplusieurs années, les patients multiplient les visites chez différentsmédecins, en majorité des généralistes ou des rhumatologues, parfoisd’autres spécialistes. Deux séries de raisons sont rapportées par les patientsinterrogés pour expliquer les délais antérieurs au diagnostic. D’abord, lespatients fibromyalgiques sont souvent des « cas compliqués », associantplusieurs maladies ou syndromes. D’une grande diversité, les plaintesinitiales sont peu spécifiques, laissant parfois les médecins perplexes devantles symptômes évoqués.

En outre, les plaintes des patients sont souvent rapportées à un contextepsycho-somatique qui conduit à les minimiser. Les entretiens montrent unmonde médical où prédomine un fort dualisme corps esprit, qui conduit àdifférencier les plaintes ayant un substrat organique de celles dont l’originepsychosomatique est présumée. En l’absence de signes radiologiques oubiologiques, certains patients font l’expérience de diagnostics lourds,éventuellement infirmés par la suite (spondylartrite ankylosante,polyarthrite rhumatoïde, dégénérescence discale, syndrome de Gougerot-Sjögren ou sclérose en plaques). Les trajectoires individuelles, marquéespar une errance ayant pu durer plusieurs années, trouvent un momentde résolution avec la pose du diagnostic, vécu comme « un momentfondateur » par les malades interrogés. Le manque de temps et deconnaissance sur la fibromyalgie sont parfois à l’origine de problèmes dansl’annonce de la fibromyalgie, dans l’explication du traitement et dans laprise en charge. Réputés exigeants, les patients fibromyalgiques semblentmettre certains médecins en difficulté : leur prise en charge exige uneapproche pluridisciplinaire impliquant la rhumatologie, la neurologie, larééducation fonctionnelle, la psychiatrie ainsi qu’un accès à des ressourcesrares : rééducation, gymnastique ou thérapies comportementales etcognitives [29]. Une certaine frustration est partagée par les soignants etles patients [10].

Majoritairement suivis par des rhumatologues ou des neurologues, lespatients rapportent des traitements variés, articulés autour de prescriptionsmédicamenteuses. Le recours aux médicaments agissant sur le systèmenerveux central (antidépresseurs et antiépileptiques) est important. Laplupart des patients font l’expérience de périodes de tâtonnements, au coursdesquelles les molécules sont prescrites « par essai et erreur », jusqu’à ceque soient trouvées celles qui offrent le plus de soulagement et le moinsd’effets secondaires. Ces médicaments apparaissent souvent comme unesolution temporaire, limitant les plaintes du patient sans toujours permettreune amélioration durable [17]. Plusieurs patients interrogés voient la périoded’essai des prescriptions comme s’ils avaient été l’objet d’uneexpérimentation, parfois ressentie comme une aliénation. Après lastabilisation du traitement, les patients se plaignent de la persistance dessymptômes, d’effets secondaires invalidants, voire d’une dépendance auxmédicaments.

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Au-delà des expériences partagées, il importe de souligner la diversité desparcours individuels. Parmi les patients interrogés, certains semblentbénéficier d’une amélioration de leurs symptômes, tandis que d’autres voientse profiler le spectre de l’invalidité. Une majorité voit son état stabilisé avecl’aide de traitements. Pour autant, le moment du diagnostic fait convergerdes trajectoires initialement diverses autour du modèle commun de lafibromyalgie, de son évolution et de son traitement, que les patients tendentà adopter comme un élément de leur identité [6].

DiscussionDans un contexte où les savoirs sur la fibromyalgie se diffusent à l’échelle

internationale, et où le nombre de diagnostics augmente, la confrontationentre les termes du débat public et l’expérience des patients laisseapparaître une correspondance des incertitudes, relatives à l’étiologieorganique ou psychique de la maladie et aux possibilités de prise en chargeet de traitement.

1. Les incertitudes du débat public

La fibromyalgie est objet d’incertitudes et de controverses, qui sont aucœur de ce qu’un rhumatologue a appelé « les guerres de lafibromyalgie » [38]. Les débats impliquent différents types d’acteurs, dont laparticipation semble simultanément renforcer l’intérêt pour la fibromyalgie etles incertitudes dont elle est l’objet. La fibromyalgie illustre une formecontemporaine et plus générale de médicalisation, dans laquelle lesmédecins sont associés à l’industrie pharmaceutique, renvoyant au conceptde « disease mongering » proposé par Payer pour caractériser le façonnagede nouvelles maladies, comme la calvitie, le syndrome du côlon irritable, laphobie sociale ou le dysfonctionnement érectile, sous l’effet des intérêtsconjugués de l’industrie pharmaceutique, de groupes professionnels, decompagnies d’assurance et d’associations de malades [27]. Sans être àl’origine de la problématique, ces dernières contribuent à sa diffusion dansl’espace public, à sa reconnaissance par les pouvoirs publics, voire àl’obtention de droits d’invalidité [3, 12, 25]. Plus spécifiquement, l’analyse ducorpus a révélé trois principaux points de débat, relatifs à l’origine destroubles et aux réponses susceptibles d’y être apportées.

L’origine du syndrome et la place des facteurs psychologiques etpsychosociaux est une première source de débats. Les troubles psychiquessont-ils la cause ou la conséquence de la fibromyalgie, ou les deux à la fois ?Les explications biomédicales mettent en avant un dérèglement desperceptions de la douleur lié au système nerveux central [10, 13, 23, 30, 31].Bien que des images radiologiques anormales soient mises en évidence chezles patients fibromyalgiques, la controverse demeure : signifient-elles queces anomalies causent la fibromyalgie, ou qu’elles sont une conséquence desdouleurs [10] ?

Se pose aussi la question de savoir si la fibromyalgie est un « syndrome »ou une « maladie », ou, pour reprendre les termes des débats anglo-saxons,si elle est « illness » ou « disease ». Pour ceux qui voient dans la fibromyalgie

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une entité organique, les douleurs et la fatigue sont les manifestations d’unepathologie sensorielle du système nerveux central [42]. Il s’agit alors dese concentrer sur la prise en charge des patients en reconnaissant touteleur place aux traitements médicamenteux. Pour leurs détracteurs, lafibromyalgie est au contraire un ensemble de maux corrélés de manièrefluctuante, une illness (« un mal »). Elle pourrait être la fin d’un continuum deréactions à un environnement stressant ou à une situation de détresse semanifestant par des douleurs. Dans cette perspective, il serait erroné de dire« vous avez des douleurs à cause de votre fibromyalgie », il faudrait dire« vos douleurs, c’est votre fibromyalgie » [14].

Un troisième point de controverse porte sur le diagnostic et ses effets. Pourcertains, nommer la fibromyalgie permet de l’identifier et de la traiter, deprévenir les facteurs aggravants et d’amoindrir les symptômes [1]. D’autrespublications pointent les effets iatrogènes du diagnostic : à nommer lesmaux, les patients gagnent certes une légitimité sociale et un soulagement,mais la focalisation sur certains symptômes empêche des comportementsde coping (adaptation) potentiellement utiles [20-22] en l’absence detraitements permettant une amélioration durable [17]. Les médecinscontestant la catégorie de fibromyalgie soulignent l’importance d’être francavec le malade sur l’état incertain des connaissances, tout en proposant uneprise en charge incluant rééducation à l’effort, thérapie cognitive oupsychothérapie, sans exclure la prescription d’antalgiques [7, 15] (12).

2. Des incertitudes aux difficultés de prise en charge

Les incertitudes de la controverse sur la fibromyalgie se répercutent surl’expérience des patients, dès les phases, souvent longues, qui conduisentau diagnostic et au traitement. Souvent décrite comme une longue phased’errance, la période préalable au diagnostic prend fin avec l’annonce de lamaladie. En tant que catégorie diagnostique, la fibromyalgie présente unavantage pratique : elle permet de nommer un mal complexe dans le tempslimité de la consultation, tout en permettant au patient d’acquérir une prisesur ses problèmes. L’annonce de la maladie comporte cependant une part decontradiction : elle implique l’annonce simultanée d’une « non-maladie », parexclusion de pathologies graves, et quelque chose de néanmoins sérieux,mais sans véritable solution thérapeutique. Le diagnostic et l’annonce de lamaladie semblent eux-mêmes affectés par les incertitudes entourant lafibromyalgie : chez la plupart des patients interrogés, le diagnostic estintervenu à la fin des années 1990, alors que les troubles étaient souventplus anciens, suggérant un lien entre le diagnostic et l’émergence de lafibromyalgie comme problème public (13).

Les relations des patients fibromyalgiques aux médecins sont aussiaffectées par la controverse. Au fil des consultations avec de nombreuxmédecins, les patients développent une stratégie de sélection des médecins

(12) Les limites de l’approche biomédicale des douleurs chroniques ont été soulignées [19].(13) Parmi les personnes interrogées, on observe des trajectoires plus courtes pour les patients dont lessymptômes ont commencé ces dernières années, ce qui laisse penser que la publicisation de la fibromyalgiepourrait favoriser la pose d’un diagnostic. Il est cependant difficile de dire, au vu des données, si le caractèrepublic de la controverse améliore ou non les conditions de prise en charge.

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souhaités : il y a les médecins « qui y croient » et les « sceptiques », semble-t-il majoritaires. Aux dires de patients interrogés, les médecins spécialisésdans la fibromyalgie les orientent vers des confrères eux-mêmes intéresséspar la fibromyalgie. Les visites chez les médecins « qui connaissent »donnent lieu à des récits différents quant à l’étiologie de la maladie, quirelèvent d’une vision plus biomédicale [33].

Les relations avec les médecins sont en outre marquées par des non-dits, quirenvoient au stigmate « psy » et aux rapports de genre. Les patients interrogésrejettent les explications « psychosomatiques », préférant mettre en avant desexplications biomédicales. Au fil de l’entretien, les troubles sont cependantassociés à des causes multiples, avec en toile de fond des difficultéspsychosociales, souvent liées à un événement « déclencheur » (rupturesfamiliales, violence psychologique ou physique). La coexistence de deuxmodèles explicatifs, avec une prédominance du modèle biomédical sur le modèlepsychique, plus implicite, semble témoigner d’une stigmatisation de la maladied’origine psychique.

La dimension du genre, qui se cumule souvent au stigmate « psy », sembleimportante dans les rencontres entre patients et médecins. Souvent, larelation thérapeutique est une interaction hommes-femmes, la plupart desmédecins cités étant des hommes et la plupart des patients interrogés desfemmes. La délégitimation de la souffrance paraît d’autant plus facile qu’ils’agit de femmes [6]. Aux dires des patientes interrogées, les déclinaisons dela figure de la malade imaginaire, affabulatrice, s’inventant des maladiesvoire de la « folle » ou de l’« hystérique », semblent hanter les cabinetsmédicaux. Aux yeux de ces patientes, les femmes paraissent plussusceptibles que les hommes de voir leurs symptômes minimisés par lesmédecins. Ce constat doit être mis en relation avec des situations observéesà propos d’autres maladies chroniques, pour lesquelles des rapports degenre comparables sont décrits [36] : la médicalisation des affectionsconcernant les femmes, co-construite par ces dernières, notamment parl’intermédiaire de forums en ligne, d’associations ou d’une littérature « self-help », contribue in fine à renforcer des inégalités de genre [6]. Dansl’interaction, le fait que les femmes aient été éduquées dans l’idée d’êtreagréables, plaisantes, de ne pas contester ouvertement l’autorité masculine,renforce l’autorité médicale auprès de certaines patientes sous la formed’une acceptation du diagnostic, du refoulement de l’expérience propre, oud’autocensure sur les plaintes [19].

ConclusionL’étude de l’émergence de la fibromyalgie éclaire le caractère controversé

des débats dont elle est l’objet. Au-delà des cercles professionnels, lacontroverse implique différents types d’acteurs, dont la participation soutientl’expression publique d’un intérêt pour la fibromyalgie sans lever lesincertitudes qui l’entourent. Ces incertitudes portent sur son origine et surles possibilités de prise en charge, notamment médicamenteuses. Elleséclairent l’expérience des patients d’une double manière. En premier lieu, lesincertitudes du débat public se répercutent dans les trajectoires individuellesdes patients. Le statut nosologique controversé de la fibromyalgie, dont

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les origines restent controversées, les expose à une errance préalable audiagnostic, marquée par une absence de reconnaissance, et à des parcoursthérapeutiques complexes, ne conduisant pas nécessairement à uneamélioration durable. Dans la relation patient-médecin, les incertitudes sur lerôle des facteurs psychosociaux ainsi que sur l’utilté du diagnosticcontribuent aux difficultés de communication voire à une stigmatisation despatients. En second lieu, de manière en apparence plus paradoxale, cesincertitudes conduisent les patients à s’attacher à un modèle biomédical, àtravers la sélection de médecins privilégiant ce type d’approches et laconstruction d’une étiologie organique mettant à l’écart les aspectspsychosociaux. Si le diagnostic permet au patient d’accéder à une prise encharge médicale et de voir ses demandes reconnues, il risque aussi del’inscrire dans une trajectoire définie, induisant une convergence de parcoursinitialement divers, au risque d’occulter d’autres diagnostics. Cesconclusions incitent à une certaine prudence, tant au niveau du diagnosticindividuel qu’au niveau de la reconnaissance de la fibromyalgie par lesautorités sanitaires. Le précédent américain montre qu’une partie importantede la population, à dominante féminine, est susceptible d’être reconnuefibromyalgique, non sans effet de labellisation, dénoncé par certainsprofessionnels parmi les plus impliqués dans la reconnaissance initiale de lafibromyalgie. En tout état de cause, l’importance de l’interaction médecin-patient, dans laquelle s’inscrit une grande variété de situations, invite àsouligner le caractère singulier des parcours, afin d’envisager des réponsespersonnalisées.

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Correspondance : P. Ndiaye Réception : 01/09/2009 – Acceptation : 10/05/2010

Mutilation génitale féminineet complications de l’accouchementdans la province de Gourma (Burkina Faso)Female genital mutilation and complications in childbirthin the province of Gourma (Burkina Faso)

Papa Ndiaye (1), Mayassine Diongue (1), Adama Faye (1),Drissa Ouedraogo (2), Anta Tal Dia (1)

(1) Médecine Préventive et Santé Publique - Université Cheikh Anta Diop (UCAD) - BP 16 390 Dakar - Sénégal.

Résumé : Pour renforcer les activités de lutte contre la mutilation génitale féminine (MGF),cette étude avait pour objectif d’évaluer la prévalence des complications de l’accouchementdues aux MGF dans la province de Gourma, au Burkina Faso. L’étude, transversale,descriptive et analytique, s’est déroulée du 15 juin au 15 août 2007. L’échantillonnage,exhaustif, intégrait l’ensemble des parturientes des quatre maternités de Fada, chef lieu dela Province. L’enquête comprenait un entretien, un examen clinique et une analysed’archives. Les 354 enquêtées étaient âgées de moins de 25 ans dans 58 % des cas etanalphabètes à 78 %. La MGF était de type I, II ou III pour respectivement 28 %, 28 %, et3 % d’entre elles. Le travail a été dystocique dans 29 % et la césarienne pratiquée dans 7 %des cas. Les accouchements par voie basse comprenaient 24 % d’épisiotomies, 18 %d’hémorragies de la délivrance, 20 % de révisions utérines et 3 % de transfusionssanguines. Parmi les nouveau-nés 5 % ont été réanimés et 4 % mort-nés. L’existence deMGF a augmenté statistiquement la proportion de dystocies (OR = 11,5), de césariennes(OR = 17,6), d’épisiotomies (OR = 6,4), de lâchage de périnées (OR = 10,2), d’hémorragiesde la délivrance (OR = 13,0), de révisions utérines (OR = 14,7), de transfusions (OR = 8,0)et de mort-nés (OR = 10,2). Les parturientes avec MGF de type 2 et 3 étaient plus sujettesà la dystocie (OR = 5,7) et à la césarienne (OR = 5,2) que celles avec des MGF de type 1.La MGF constitue un puissant facteur de risque de complications pour l’accouchement. Elledoit être éradiquée pour une bonne santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant auBurkina Faso.

Mots-clés : Santé de la reproduction - mutilation génitale féminine (MGF) - accouchement -complications - Fada Ngourma - Burkina Faso.

(2) Centre Hospitalier Régional - Fada Ngourma - Burkina Faso.

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Introduction

La mutilation génitale féminine (MGF) est une pratique encore d’actualitédans plusieurs traditions africaines. Elle constitue une atteinte aux droits del’homme, notamment à cause de ses conséquences néfastes pour la santé despersonnes qui la subissent [1, 2, 7, 13, 16]. Dans le monde, la MGF a déjàconcerné plus de 130 millions de femmes, et se pratique encore chaque annéesur plus de deux millions de petites filles [21, 18]. En Afrique, la MGF, souventsous évaluée [3- 5, 9, 14], est estimée être pratiquée dans 28 pays [1, 18], avecune prévalence très disparate : 5 % au Niger [17], 20 % au Sénégal [11] et29 % au Ghana [12]. Ainsi un programme conjoint UNFPA/UNICEF a été financépar le fonds mondial pour réduire de 40 % l’actuelle prévalence des MGF encinq ans (2008-2012) dans 17 pays dont le Burkina Faso [19].

Au Burkina Faso, la pratique de la MGF a connu une recrudescence au seindes populations rurales, avec un taux de prévalence croissant de 72 % en1999 [10] à 77 % en 2003 [19] et 77,5 % en 2005 [6]. Considérant l’ampleur,la persistance et la gravité de la MGF, une série de mesures a été prise :appel à l’abolition de la MGF en 1985, comité provisoire de lutte contre lesMGF en 1988, comité national de lutte contre la MGF en 1990, loi interdisantla MGF en 1996, journée nationale de lutte contre la MGF depuis 2000, etnuméro vert pour dénoncer les MGF en 2005. Malgré cet arsenal juridique, laMGF continue d’être pratiquée dans la clandestinité sur des filles de plus enplus jeunes, et même sur des bébés. Elle est, de ce fait, devenue pluspernicieuse avec, entre autres conséquences, des complications del’accouchement [10, 18].

L’objectif de cette étude était d’évaluer la prévalence des complications del’accouchement dues aux MGF dans la province de Gourma, au Burkina Faso.

Summary: In order strengthen activities against female genital mutilation (FGM), this studyaimed to assess the prevalence of childbirth complications due to FGM in the province ofGourma, Burkina Faso. The cross-sectional study was both descriptive and analytical; it wasconducted between June 15 and August 15, 2007. The sampling was comprehensive,incorporating all of the women who gave birth in the four maternity wards in Fada Ngourma,the provincial capital. The survey included an interview, clinical examination and documentanalysis of archives and records. The 354 respondents were younger than 25 years-old in 58%of the cases, and 78% of all women participating were illiterate. FGM was Type I, II or III for28%, 28% and 3% for them respectively. Obstructed labor occurred in 29% of the cases, and acaesarean section was preformed in 7% of the cases. Of all the normal vaginal deliveries, 24%required episiotomies, 18% experienced obstetric Hemorrhaging, 20% had uterineretroversion and 3% needed blood transfusions. Among the newborns, 5% were resuscitatedand 4% were stillbirths. The existence of FGM has statistically increased the proportion ofdystocia (OR = 11.5), cesarean section (OR = 17.6), episiotomy (OR = 6.4), perineal tears(OR = 10, 2), postpartum hemorrhage (OR = 13.0), retroverted uterus (OR = 14.7), bloodtransfusions (OR = 8.0) and stillbirths (OR = 10.2). Women with FGM Type 2 and 3 were moreprone to dystocia and obstructed labor (OR = 5.7) and cesarean delivery (OR = 5.2) thanthose with FGM Type 1. FGM constitutes an important risk factor for complications duringchildbirth. It should be eradicated for good health of the mother, newborn and child inBurkina Faso.

Keywords: reproductive health - female genital mutilation (FGM) - childbirth - complications -Fada Ngourma - Burkina Faso.

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MéthodesL’étude a été réalisée dans les maternités de Fada Ngourma, chef-lieu de la

province du Gourma qui se situe dans la région de l’Est, au Burkina Faso.Fada Ngourma détient l’un des taux les plus élevés de MGF du Burkina Faso(66,35 %) [10]. Fada Ngourma compte 8 216 ménages, pour 40 815 habitantsdont 49 % de femmes [17].

Cette étude transversale descriptive et analytique s’est déroulée du 15 juinau 15 août 2007. L’échantillonnage a été exhaustif. Étaient inclues toutes lesfemmes reçues pour accouchement dans les quatre maternités de la ville deFada Ngourma durant la période d’étude. Cependant, les cas de refus aprèsinformation éclairée, de hors zone (autre nationalité) et/ou d’impossibilité decommunication par le français ou par les langues locales, n’étaient pas inclus.

Le recueil des données a été effectué par 32 enquêteurs recrutés dans lesquatre maternités. Ces enquêteurs comprenaient 10 sages-femmes etmaïeuticiens d’état, 20 accoucheuses auxiliaires, et 2 infirmières brevetées.Ils ont été formés à l’utilisation du questionnaire ad hoc testé et corrigé.L’étude comprenait un entretien en français ou en langue locale parlée parles enquêteurs, un examen clinique et une analyse d’archives (carnets deconsultations prénatales, registres d’accouchements et des suites decouches).

L’entretien s’est déroulé à l’aide d’un questionnaire comportant desquestions fermées et semi-ouvertes, après l’accouchement, par lesenquêteurs précités. Le questionnaire était axé sur les caractéristiquessociodémographiques : adresse, âge et niveau d’instruction.

L’examen clinique vérifiait l’existence de MGF alors classée en trois types :1, 2 et 3. Le type 1 est l’ablation du capuchon avec l’ablation partielle outotale du clitoris (clitoridectomie). Le type 2 comprend la clitoridectomie plusl’ablation partielle ou totale des petites lèvres. Le type 3 est constitué de laclitoridectomie, de l’ablation des petites et grandes lèvres, et la suture/rétrécissement de l’orifice vaginal (infibulation) [4, 15, 16].

L’analyse d’archives portait sur le déroulement de l’accouchement(dystocie, césarienne, épisiotomie, révision utérine), l’état du nouveau-né(vivant, réanimé ou décédé), et le devenir de la parturiente (sortie, transfert,décès).

Les données ont été saisies sur Excel et analysées avec le logiciel Epi-infoversion 3.2. Nous avons procédé à une description des femmes enquêtéespuis utilisé, pour la comparaison des pourcentages, une analyse bi-variéeavec le test du χ2 ou de Fisher selon leurs conditions d’applicabilité, avec unseuil de significativité fixé à p < 0,05.

La variable dépendante était la complication de l’accouchement et lavariable indépendante, explicative, l’excision. En cas de significativitéstatistique, les odds ratios et leurs intervalles de confiance ont été précisés.

RésultatsSur un total de 358 fiches remplies, 4 (1 %) étaient exclues par insuffisance

ou aberration de remplissage et 354 analysées (99 %).

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Description des femmes enquêtées

Les parturientes étaient âgées de 14 à 44 ans pour un âge moyen de24 ans, avec un écart type de 9 ans. Parmi elles, 75 % résidaient dans la villede Fada et 78 % étaient analphabètes.

La MGF, retrouvée parmi 210 d’entre elles (59 %), était de type I pour99 parturientes (28 %), de type II pour 98 (28 %), et de type III pour 13 (3 %)(Figure 1). Le travail a été marqué par une dystocie dans 102 cas (29 %). Ladystocie était osseuse pour 21 cas (6 %) et dynamique pour 81 autres (23 %).Elle a motivé la césarienne pour 24 parturientes (7 %) ; les 330 autres (93 %)ayant accouché par voie basse. Parmi les nouveau-nés, les non réanimésétaient au nombre de 332 (91 %), les réanimés 17 (5 %), et les mort-nés 15(4 %).

Au terme du séjour, 337 parturientes ont regagné leur domicile (97 %),8 (2 %) ont été évacuées vers le centre hospitalier régional suite à des compli-cations et 3 (1 %) sont décédées (Tableau I). Les seuls 330 accouchementspar voie basse comprenaient 78 épisiotomies (24 %) dont 15 lâchages dupérinée (19 %), 61 hémorragies de la délivrance (18 %), 66 révisions utérines(20 %), et 11 transfusions sanguines (3 %) (Tableau II).

Figure 1 : Répartition des parturientes en fonction de l’absence ou de l’existence des différentstypes d’excision.

Tableau I : Fréquence des problèmes rencontrés en fonction de l’existence ou non d’excision

Issuede l’accouchement

Excisées Non excisées Totalp Odds ratio

N = 210 % N = 144 % N = 354 %

Dystocie 91 43 9 6 102 29 < 10–3 11,5 (5,3-25)

Césariennes 23 11 1 1 24 7 < 10–3 17,6 (2,5-354)

Nouvau-nés réanimés 13 6 4 3 17 5 0,140 –

Nouveau-nés mort-nés 14 7 1 1 15 4 0,01 10,2 (1,4-211)

Évacuations 6 3 2 1 8 2 0,44 –

Décès 3 1 0 0 3 1 0,14 –

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Relation statistique entre MGF et complications de l’accouchement

L’existence de MGF augmentait statistiquement la proportion de dystocies,de césariennes, d’épisiotomies, de lâchages du périnée, d’hémorragies, derévisions utérines, de transfusions, et de mort-nés (Tableaux I et II). Pour laréanimation du nouveau-né, la transfusion sanguine, les évacuations et lesdécès de la parturiente, les fréquences entre les deux groupes (excisées etnon excisées) n’étaient pas statistiquement différentes.

Le type de MGF avait un lien avec le déroulement de l’accouchement parvoie basse. La dystocie et la césarienne étaient statistiquement plusfréquentes parmi les parturientes avec MGF de types 2 et 3. Pour les autresvariables (lâchage du périnée, hémorragie, révision utérine et réanimation dunouveau-né), les différences n’étaient pas statistiquement significatives(Tableau III).

DiscussionNotre étude a montré qu’à Fada Ngourma, les femmes qui subissent la MGF

sont plus exposées aux complications de l’accouchement et à la césarienne.De plus, ces complications sont plus fréquentes chez celles dont la MGF estplus sévère. Cependant, la restriction de l’étude dans les structures de santé

Tableau II : Fréquence des problèmes en fonction de l’existence ou non d’excision

Accouchementpar voie basse

Excisées Non excisées Totalp Odd ratio

N = 187 % N = 143 % N = 330 %

Épisiotomie 68 36 10 7 78 24 < 10–3 6,4 (3,1-13,9)

Lâchage périnée 14 7 1 1 15 5 0,01 10,2 (1,4-210)

Hémorragie 57 30 4 3 61 18 < 10–3 13,0 (4,4-43,4)

Révision utérine 62 33 4 3 66 20 < 10–3 14,7 (5,0-48,7)

Transfusion 10 5 1 1 11 3 0,03 8,0 (1,0-169)

Tableau III : Fréquence des problèmes rencontrés en fonction du type d’excision

Problèmes rencontrés

Excisionde types 2 et 3

Excisionde type 1 p Odds ratio

N = 210 % N = 144 %

Dystocie 69 62 22 22 < 10–3 5,7 (3,0-11)

Césarienne 19 17 4 4 < 10–3 5,2 (1,6-18,8)

Épisiotomie 38 34 30 30 0,543 –

Périnée 8 7 6 6 0,739 –

Hémorragie 31 28 26 26 0,786 –

Révision utérine 33 30 29 29 0,945 –

Transfusion 6 5 4 4 0,643 –

Nouveau-nés réanimés 8 7 5 5 0,59 –

Nouveau-nés mort-nés 5 5 9 8 0,375 –

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occulte celles du niveau communautaire, et la courte période ne permet pasde tenir compte des variations saisonnières. Malgré tout, la rigueurméthodologique a permis l’obtention de résultats dont la qualité permetcommentaires et comparaisons.

La prévalence des MGF dans notre étude, bien qu’importante (59 %), resteplus faible que celle trouvée en 2000 au Burkina Faso (93 % parmi lesquelles14 % avaient eu des complications gynécologiques et 51 % descomplications obstétricales) [10, 19].

La distribution des différents types de MGF trouvée dans notre étude estdifférente de celle trouvée dans la population générale au Burkina Faso(type I : 92 % vs 28 %, type II : 7 % vs 28 % et type III : 1 % vs 3 %) [17], etde celle trouvée par Millogo (type I = 27,75 % ; type II = 69,61 % ; type III =2,64 %) [10, 17]. La période, la durée et l’approche méthodologique peuventexpliquer cette différence.

Le processus cicatriciel des MGF, par la formation d’un tissu moins soupleque le tissu périnéal normal, pourrait provoquer une gêne au processus del’accouchement. Ce processus est lié à certains facteurs comme l’âge, laparité, les catégories socio-économiques et le niveau d’instruction.Cependant, l’effet de la MGF sur le déroulement de l’accouchement a étédémontré par d’autres études qui ont prouvé, comme nous l’avons trouvé,que la gravité des complications augmente avec l’étendue de lamutilation [6, 10, 15]. Les femmes excisées de Fada Ngourma avaient ainsi unrisque statistiquement plus élevé de problèmes d’accouchement : dystocie(OR = 11,5), césarienne (OR = 17,6), épisiotomie (OR = 6,4), lâchage depérinée (10,2), mort-nés (OR = 10,2), et hémorragie de la délivrance(OR = 13,0).

L’épisiotomie, pratiquée pour éviter les déchirures, est plus fréquente chezles femmes avec MGF que chez celles sans MGF [6, 10]. Dans notre étude, elleavait une prévalence (59,33 %) inférieure à l’incidence nationale (66,35 %),et à celle révélée par l’enquête démographique et de santé (77 %) [10]. Lacicatrisation est en plus rendue difficile par la MGF qui complique laréparation et explique la plus grande fréquence de lâchage de périnée chezles femmes excisées (8,1 % pour le type I, 6,3 % pour le type II et 7,7 % pourle type III). Les taux d’épisiotomie et de lâchage ont été moindres au type IIIdu fait de la précocité des interventions par ventouse ou césarienne ; ce quiaurait évité les éventuelles complications.

L’hémorragie de la délivrance, retrouvée chez 18 % de nos parturientes, aune incidence comparable à la moyenne nationale (17 %) et nettement au-dessus de celle retrouvée dans la sous-région (7 %) par l’OMS [17]. Cettehémorragie, d’autant plus grave que la femme aura été anémiée, a été plusfréquente chez les femmes excisées (OR = 13), mais il n’y avait pas dedifférence entre les types de MGF. Elle peut aussi expliquer la plus grandefréquence de révision utérine et de transfusion chez les femmes excisées.

La césarienne, mesure prophylactique permettant de surmonter lesobstacles à la descente du fœtus, avait dans notre étude une fréquencecomparable à celle retrouvée par l’OMS (6,7 % vs 7 %). Selon Omer-Hashi, lacésarienne est pratiquée chez 8,2 % des femmes avec MGF, contre 6,7 %chez celles sans MGF [12]. Elle était plus pratiquée chez les femmes

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excisées à cause de la crainte de lésions périnéales graves lors del’accouchement. En effet sa fréquence était aussi liée à la gravité de la MGF.Les femmes ayant des lésions de type II et III avaient bénéficié de plus decésariennes.

La gravité des complications entraîne décès et évacuations. Chez lesparturientes, l’excision est cause de la mort de 250 000 femmes chaqueannée à travers le monde ; la plupart de ces décès intervenant pendantl’excision ou plus tardivement pendant l’accouchement [17]. La plus grandefréquence des évacuations (2 %) et des décès (1 %) chez les femmesexcisées, même statistiquement non significative, pose la question descomplications plus fréquentes chez les femmes avec MGF que celles sansMGF, respectivement 22,03 et 8,81 pour 1000 naissances selon Millogo [10].

Les nouveau-nés paient un lourd tribut à la pratique de la MGF [2, 10]. Dansle monde, 4 millions de morts de bébés sont chaque année dus à descomplications liées à la MGF de leur mère. Dans le contexte africain, sur1 000 accouchements, 10 à 20 bébés meurent à cause de la MGF [17]. Lamortalité néonatale est de 7 % chez les femmes avec MGF contre 1 % chezcelles sans MGF dans la présente étude et comparativement à l’étude del’OMS la mortalité néonatales était de 150 ‰ pour le Type I, 320 ‰ pour letype II et 550 ‰ pour le type III [20].

L’absence de lien significatif entre les MGF et le faible poids de naissance,trouvée dans notre étude, confirme les résultats d’une étude comparative enmars 2001 et mars 2003 dans les centres obstétricaux de six pays : Burkina,Ghana, Kenya, Nigeria, Soudan et Sénégal [2, 5, 19].

Au total, les complications de l’accouchement sont plus fréquentes chez lesfemmes avec MGF. Ces complications sont d’autant plus graves que la MGFest étendue [2]. Dans notre étude, seules la dystocie et la césarienne avaientune fréquence statistiquement plus élevée chez les femmes ayant subi lestypes II et III. Cette observation pourrait s’expliquer par la plus grandeattention que les prestataires accordent aux MGF étendues [3, 8].

Conclusion

La MGF constitue un facteur de risque accru de morbidité pour les mères etde mortalité pour leurs nouveau-nés qu’il importe de mieux faire connaître ausein de la communauté d’acteurs de la lutte contre sa pratique. Unerestitution a été organisée pour mieux impliquer les élus locaux etl’éducation formelle, et renforcer la sensibilisation par les relaiscommunautaires, les témoignages publics et les campagnes périodiques.Une copie des documents a été adressée au comité provincial de lutte contrela MGF, la direction régionale de la santé de l’Est, le centre hospitalierrégional de Fada Ngourma et les partenaires au développement quiinterviennent dans la santé, pour renforcer les stratégies d’éradication de laMGF au Burkina Faso.

Cependant, au vu de l’augmentation de l’ampleur du phénomène malgré denombreuses campagnes de sensibilisation, la question de la répression avecl’application des textes peut/doit être posée.

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Des pôles d’activités hospitaliersentre gestion de la crise et mise en œuvred’une politique de santé publiqueHospital Activity Poles : between crisis managementand implementation of public health policy

Pierre-Henri Bréchat (1), (2), (3), Antoine Leenhardt (4),Marie-Christine Mathieu-Grenouilleau (5), Roland Rymer (6), (7),François Matisse (8), Denis Baraille (9), Philippe Beaufils (10)

(1) Praticien hospitalier, Policlinique Baudelaire, Pôle « urgences et médecine d’aval généraliste » : UMAG,Hôpital Saint-Antoine, assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP), 184 rue du faubourg Saint Antoine,75571 Paris cedex 12, France.(2) Chercheur et membre du comité de direction du Centre d’analyse des politiques publiques de santé(CAPPS), centre de recherche interdisciplinaire de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) enpartenariat avec la chaire-santé de Sciences Po. À ce titre, il est amené à réaliser des travaux de rechercheset d’enseignements à l’EHESP en tant que Professeur attaché. EHESP, avenue du Professeur Léon Bernard,35043 Rennes cedex, France.(3) Doctorant au Centre d’études et de recherches de science administrative (CERSA), équipe de recherche del’Université Panthéon-Assas - Paris 2 associée au CNRS, 10 rue Thénard, 75005 Paris, France.(4) Professeur des Universités, Praticien hospitalier, chef du service de cardiologie, groupe hospitalierLariboisière Fernand-Widal (APHP), 2 rue Ambroise Paré, 75475 Paris cedex 10, France.(5) Directeur du groupe hospitalier Lariboisière Fernand-Widal (APHP), 2 rue Ambroise Paré, 75475 Pariscedex 10, France.(6) Professeur des Universités, Praticien hospitalier, Chef du service de radiologie viscérale, groupe hospitalierLariboisière Fernand-Widal (APHP), 2 rue Ambroise Paré, 75475 Paris cedex 10, France.(7) Président de l’association nationale pour la formation continue du personnel médical des hôpitaux enadministration et gestion (AFMHA), Hôpital Saint-Louis, 1 avenue Claude Vellefaux, 75010 Paris, France.

Résumé : La mise en œuvre de la Loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à lasanté et aux territoires (loi HPST) vient compléter la réforme de l’organisation et de lagouvernance des établissements de santé, engagée en 2002 par le plan « Hôpital 2007 ».Quels bilans et perspectives peuvent être envisagés pour les pôles d’activités ? Pour apporterdes éléments de réponse à ces questions et témoigner avant l’application de la Loi, nousavons confronté notre expérience avec une revue de la littérature professionnelle etscientifique. Le pôle d’activité hospitalier doit s’efforcer de ne pas remettre en cause lesactivités de référence et l’équilibre financier de son établissement, tout en respectant lecontrat d’objectifs et de moyens qui répond aux besoins de santé de la population de sonterritoire de santé ainsi qu’aux priorités nationales. Si des réussites appréciables maislimitées existent, cinq freins à la réorganisation hospitalière peuvent être dégagés. Ce sont,par exemple, l’absence de délégation de gestion et la centralisation des décisions,l’hétérogénéité de nombreux pôles ou des problèmes de temps. Ils peuvent mettre endifficulté la dynamique des pôles et des établissements de santé. Cela peut montrer quel’État et l’Assurance maladie doivent diriger la politique de santé publique et que ladélégation de gestion aux pôles peut être abordée.

Mots-clés : Nouvelle gouvernance - pôle d’activité hospitalier - réformes hospitalières -management - santé publique.

(8) Attaché d’administration hospitalière, pôle urgences, groupe hospitalier Lariboisière Fernand-Widal,Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP), 2 rue Ambroise Paré, 75475 Paris cedex 10, France.(9) Cadre paramédical, pôle urgences, groupe hospitalier Lariboisière Fernand-Widal, Assistance publique deshôpitaux de Paris (APHP), 2 rue Ambroise Paré, 75475 Paris cedex 10, France.(10) Professeur des Universités, Praticien hospitalier, responsable du pôle urgences, groupe hospitalierLariboisière Fernand-Widal, Assistance publique des hôpitaux de Paris (APHP), 2 rue Ambroise Paré,75475 Paris cedex 10, France.

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Introduction

La Loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative auxpatients, à la santé et aux territoires, dite Loi HPST [17], propose unenouvelle organisation des établissements de santé, publics et privés, pilotéepar des Agences régionales de santé (ARS) [8] créées en remplacement desAgences régionales d’hospitalisation (ARH). Cette réforme de l’organisationet de la gouvernance des établissements de santé complète les quatreréformes hospitalières du plan « Hôpital 2007 » lancé en 2002 qui restent encours de déploiement [3] et qui n’ont fait l’objet, à notre connaissance, quede peu d’évaluations [3, 14] : 1) nouvelle gouvernance avec la création despôles hospitaliers d’activité [1, 9, 11, 18] ; 2) tarification à l’activité (T2A) etétat prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) ; 3) certification V2,mettant l’accent sur la gestion des risques et l’évaluation des pratiquesprofessionnelles (EPP) et 4) schéma régional d’organisation sanitaire detroisième génération (SROS III) [15, 16].

Dans un contexte économique contraint par l’objectif national desdépenses d’assurance maladie (ONDAM), par l’obligation de la convergencerecettes/dépenses qui doit être atteinte au plus tard en 2012 ainsi que parl’évolution rapide du progrès technologique (avec ses conséquences enmatière d’investissement, d’organisation des soins et de dépensesd’exploitation courante), quels bilans et perspectives peuvent être envisagéspour les Pôles hospitaliers d’activité ?

Nous avons choisi de centrer cette étude sur l’élaboration d’une opinionpartagée d’artisans ou non de la nouvelle gouvernance, sur lefonctionnement des pôles, leurs réussites et leurs freins, afin de donnerquelques perspectives d’amélioration à visée générale en fonction descritiques formulées. Ces perspectives se veulent être utiles au moment où laLoi HPST est mise en œuvre.

Summary: The implementation of the recent act to amend the law on hospitals, patient healthand territories (HPST Law) completes the reform of the organization and governance of healthfacilities, which was announced in 2002 by the “Hospital 2007” plan. What kind ofassessments and perspectives can be considered and envisaged for these Hospital ActivityPoles? We compared our experience with a review of the professional and scientific literaturein order to stimulate answers to these questions for advocacy purposes prior to the Act’simplementation. The hospital’s cluster of activities should reinforce - not call into question –the core activities and the financial stability of the facility, while respecting the contract onagreed objectives and the necessary means and resources to meet the health needs of thecatchment population as well as national priorities. Although significant, but limited,successes exist, five obstacles to hospital reorganization can be identified. These include, forexample: lack of delegation of management and centralization of decisions, the heterogeneityof numerous Hospital Activity Poles or problems related to timing. These obstacles may causestrain, or put the Hospital Activity Poles and the health facilities in a difficult situation withrespect to their dynamics. This may show that the State and social health insurance shouldsteer and direct public health policy and that the delegation of management roles andresponsibilities to the Hospital Activity Poles should be addressed.

Keywords: new governance - Hospital Activity Poles - hospital reform - management - publichealth.

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Matériel et méthodesLa recherche s’est appuyée sur le croisement de données issues

d’entretiens avec des « artisans ou non de la nouvelle gouvernance », dedocuments (comptes-rendus, notes, courriers, rapports [2]) disponiblesauprès de l’établissement de santé et du pôle et de la littératureprofessionnelle et scientifique.

Les choix de l’établissement de santé et du pôle étudiés ont répondu à3 critères : être anticipateurs de la nouvelle gouvernance hospitalière ; êtrepublics, hospitalo-universitaires ayant une activité en médecine, chirurgie ouobstétrique (MCO), psychiatrie, soins de suite et de réadaptation ; soutenirl’étude. Le groupe hospitalier Lariboisière – Fernand Widal de l’AssistancePublique – Hôpitaux de Paris (APHP) et son pôle Urgences ont été choisis carils répondaient aux critères de sélection.

Les personnes entendues en entretien ont été choisies afin de constituerun échantillon de l’ensemble des partenaires travaillant à la mise en œuvrede la réforme : le directeur d’établissement de santé, le président du comitéconsultatif médical (CCM), le responsable de pôle, l’attaché d’administrationhospitalière de pôle, le cadre paramédical de pôle, le chef d’un service dumême pôle et le professionnel de santé publique. Ces artisans ont tousparticipé à la rédaction de cet article. Dix entretiens ont été réalisés. Unquestionnaire original a été construit car il n’en existait pas dans lalittérature. Il était composé de trois questions : quel est le fonctionnementdes pôles, quelles sont leurs réussites, quels sont les freins ?

Les données issues de l’analyse documentaire sont venues complétercelles des entretiens. Une recherche sur l’intranet de l’établissement a étéréalisée pour les comptes-rendus des CCM. Une recherche sur l’internet, àl’aide de mots-clés (nouvelle gouvernance, pôle d’activité, planificationsanitaire, hôpital, réforme, hôpital 2007) a été réalisée. Les sites internet duMinistère de la santé (11), de la Banque de données en santé publique (12) etdu moteur de recherche Google (13) ont été consultés.

Cette étude a été réalisée sur une période de 4 années : allant de laparution de la circulaire DHOS/E1 n° 61 du 13 février 2004 relative à la miseen place par anticipation de la nouvelle gouvernance hospitalière et la miseen place des pôles d’activités dans l’établissement de santé choisi jusqu’en2008.

Résultats

Nouvelle gouvernance et planification sanitaire sont complémentaires

La réforme de la gouvernance hospitalière, ou nouvelle gouvernance, estl’aboutissement d’un long processus initié dès les années quatre-vingt [18].Elle a trois objectifs : 1) responsabiliser les professionnels de santé en les

(11) http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/hopital2007/(12) www.bdsp.tm.fr/(13) www.google.fr

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associant à la direction pour la définition et la mise en œuvre desorientations stratégiques de l’établissement ainsi que pour sa gestion, afinde lutter contre les rigidités et les cloisonnements internes à l’hôpital ;2) généraliser la contractualisation externe des établissements de santévis-à-vis des ARH et de l’Assurance maladie ainsi que la contractualisationinterne des pôles vis-à-vis de la direction de leur hôpital et 3) accroîtrel’efficience hospitalière pour optimiser l’utilisation des ressources tout enréduisant les coûts [18].

Pour atteindre ces objectifs, le plan Hôpital 2007 a changé l’organisationdes établissements de santé en créant des Pôles d’activité et un conseilexécutif (CE). Les Pôles regroupent différents secteurs d’activité del’établissement autour d’un projet médical élaboré par plusieurs services etde la mise en commun de leurs ressources humaines et matérielles. Ils sontdirigés par un praticien responsable : il est chargé d’élaborer le projetmédical du pôle en cohérence avec celui de l’établissement, decontractualiser avec le Directeur et le Président de la Commission médicaled’établissement (CME) un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens(CPOM) qui est une déclinaison du CPOM du SROS III signé entre sonétablissement et l’ARH, et de développer les activités du pôle en cohérenceavec ce CPOM et à moindre coût. Cette nouvelle organisation s’appuie surdes tableaux de bord permettant le suivi mensuel de l’activité, des dépenseset des recettes. La gouvernance qui découle de cette nouvelle organisationcomporte une délégation de gestion encadrée dans l’État prévisionnel desrecettes et des dépenses (EPRD) et contrôlée par l’administration del’établissement ; elle prévoit un intéressement du pôle à la réalisation desobjectifs fixés dans le CPOM. Le CE est un organe médico-administratif.Présidé par le directeur qui est le seul détenteur du pouvoir décisionnel, ilrend des avis sur le pilotage stratégique de l’établissement [18]. Il définit lesactivités prioritaires de l’établissement pour répondre aux besoins de santéde la population de son territoire, en concordance avec son CPOM et lespriorités décidées au niveau national [15, 16], en s’efforçant de ne pasremettre en cause les activités de référence et hautement spécialisées quiexistent au sein de l’établissement et qui reflètent l’expertise des équipesmédicales.

Des réussites appréciables mais limitées

À travers un projet médical élaboré en commun, l’objectif prioritaire despraticiens responsables de pôle a été de donner du sens médical à unregroupement d’activités parfois artificiel. La réussite, lorsqu’elle a été aurendez-vous, s’est traduite par l’émergence d’une culture de pôle, d’unsentiment d’appartenance à une collectivité solidaire de chacun de sesmembres. Entre des équipes médicales et paramédicales trop souventrecroquevillées sur leurs propres activités et sur leurs techniques despécialité, une dynamique communautaire a pu se développer en s’appuyantsur la communication et le dialogue, sur une politique de formationnotamment en faveur des paramédicaux, sur la mutualisation deséquipements et sur la création de techniques innovantes bénéficiant desmultiples compétences existantes dans le pôle. L’objectif était de se créer

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des marges de manœuvre pour échapper au carcan économique qui s’imposeaux établissements de santé. Selon les situations locales, desréorganisations se sont mises en place permettant l’ouverture de structuresalternatives à l’hospitalisation classique, ou encore des mutualisations dematériel et de fonctions logistiques ; ailleurs des modifications de l’offre desoins ont vu le jour au sein de l’établissement, qu’il s’agisse de lasuppression de doublons d’activité ou de la création de nouveau secteursd’activité par optimisation des moyens existants ; enfin la recherche demoyens financiers, complémentaires à la T2A, a été une préoccupationconstante, pour valoriser en particulier la production scientifique [2] et lesactivités d’intérêt général auprès des personnes âgées, handicapées ou ensituation sociale précaire [7].

Cinq freins de la réorganisation hospitalière sont rapidement apparus,mettant en difficulté la dynamique des pôles et des établissements de santé.

Premièrement, dans de nombreux établissements, les pôles ont été vidésde leur contenu par l’absence de délégation de gestion et la centralisationdes décisions a pu être ressentie comme une régression par rapport à ce quise faisait avant.

Le deuxième frein est en rapport avec l’hétérogénéité de nombreux pôles.Si certains pôles répondent à une logique médicale évidente, autour d’unepathologie d’organe, de la mise en commun d’un plateau médico-techniqueou de filières de soins, d’autres, et c’est probablement les plus nombreux,apparaissent comme des conglomérats de secteurs d’activité ou despécialités n’ayant quasiment aucun point commun en matièred’organisation des soins, d’expertise médicale et de recours au plateaumédico-technique. Il est évident que, même en l’absence de conflit entreprofessionnels de santé, cette hétérogénéité n’est guère favorable audécloisonnement des structures, à la répartition consensuelle des moyenshumains et matériels ainsi qu’au développement d’une culture de pôle.

Le troisième frein est un problème de temps. Pour régler les multiplesproblèmes générés par le passage d’une organisation et d’une gestion deservice à une organisation et une gestion polaire, il est apparu nécessaired’organiser des groupes de travail et de provoquer des réunions multiples ;l’efficacité de ces groupes de travail et de ces réunions se heurte à un trivialproblème de disponibilité temporelle des professionnels médicaux etparamédicaux qui ont les plus grandes difficultés pour se libérer de leurstâches quotidiennes, dans un contexte de réduction, voire de pénuried’effectifs.

Le quatrième frein résulte de la difficile mise en œuvre de ce qui pourraitêtre la maître-phrase du ministère en charge de la santé, à savoir« réorganisez-vous pour dégager des marges de manœuvre et faire deséconomies ». Vu d’un bureau, le principe paraît sain et d’application simple.Sur le terrain, et tout spécialement dans les hôpitaux publics, l’exercice estdélicat. La révision des postes de travail et des missions du personnel estcontrainte par le respect des statuts et des métiers ; les tentativesd’augmentation de l’offre de soins ne s’envisagent qu’à effectif constant et,dans le cadre contraint de l’ONDAM, toute augmentation généralisée del’activité clinique ou médico-technique se verra rapidement dévalorisée par

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une révision à la baisse du remboursement des groupes homogènes deséjours (GHS) et des gestes techniques, décidée au niveau ministériel [18] ;d’ailleurs le respect du SROS III et des missions de service public, du moinspour les établissements qui y participent, restreint les possibilités de seséparer de certains secteurs d’activité même s’ils sont déficitaires.

Reste le problème financier qui constitue un cinquième frein. Bien que leParlement ait augmenté le budget des établissements de santé de 3 %chaque année, 29 des 31 centres hospitaliers universitaires étaient en déficiten janvier 2009 [21]. Face à l’insuffisance du financement des pôles et desétablissements par la T2A, les recettes d’exploitation complémentaires(fonds national de prévention, d’éducation et d’information sanitaires– FNPEIS, financements des Conseils généraux, des Assurances maladiecomplémentaires, des ménages, des missions d’intérêt général et d’aide à lacontractualisation – MIGAC, etc.) ne constituent certainement pas desressources transparentes, fiables et pérennes pour abonder l’EPRD et surtoutsuffisantes pour atteindre la convergence recettes/dépenses. Les déficitss’accroissent ainsi, année après année, avec des mesures de retour àl’équilibre qui portent sur la masse salariale et l’investissement, aggravant levieillissement ainsi que le retard en équipements modernes. Cela peutcompromettre la continuité de certaines activités et être un frein, surtoutdans les centres hospitaliers universitaires, à l’innovation, à la recherche etaux enseignements. La délégation de gestion, dont les exécutifs des pôlesattendaient qu’elle leur apporte de la souplesse dans la gestion et despossibilités de constituer des marges de manœuvre ne s’est finalementtraduite que par la délégation de la contrainte. Dans certains cas, ladélégation porte sur des enveloppes marginales ne permettant que la« gestion » de l’urgent. De plus, dans nombre d’établissement, et toujourspour des raisons financières, l’intéressement promis n’a pas pu être mis enplace.

Des pôles pour « gérer la pénurie et en assumer la responsabilité »

Dans ces conditions, les acteurs médicaux et paramédicaux qui devraientêtre, au sein des pôles et du CE, les moteurs de la réorganisationhospitalière, se démotivent et se désinvestissent. Des responsables et descadres de pôles ont démissionné. Un nombre croissant considère que lespôles ont été créés pour « gérer la pénurie et en assumer la responsabilité ».Le slogan « faire plus avec moins » s’entend un peu partout et leressentiment s’alimente avec les constats de l’absence d’adaptation deseffectifs à l’augmentation d’activité et de l’absence de l’intéressementpromis aux pôles réalisant ou dépassant leurs objectifs d’activité avec unemaîtrise correcte de leurs dépenses.

Dans ce contexte de dé-crédibilisation des responsables des pôles, il devientdifficile pour ces pôles de se projeter sereinement dans l’avenir et de faire desprojets suscitant l’adhésion de leurs collaborateurs [2]. Cette morosité fragilisetous les pôles, même les plus efficients, et les mesures auxquelles les pôles etles établissements du secteur public se voient parfois contraints risquent deréduire l’offre de soins destinée à la couverture des besoins de la populationsur un territoire de santé [2, 3], de mettre à bas les travaux de planification

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sanitaire et sociale, et d’aggraver les inégalités de santé, notamment pour lespopulations les plus fragiles, âgées ou précaires [7]. Au niveau des CE, onvoit clairement que l’approche économique prédomine sur toute autreconsidération ; elle rend difficile une démarche stratégique de nature médicalevisant à définir une politique de santé [12, 13] basée sur des choix d’offres desoins faits collectivement en fonction des besoins de santé de la population etde l’expertise des équipes médicales [15].

Des pôles d’activités hospitaliers pour mettre en œuvre une politique de santé publique ?

Il semble difficile d’envisager la poursuite de la réforme de la nouvellegouvernance par une complète délégation de gestion aux pôles desétablissements de santé dans les conditions actuelles et au vu des freins quenous venons de passer en revue. Les marges de manœuvre d’évolutions sontdans la recherche d’organisations plus efficientes et respectueuses desbesoins de santé de la population, aussi bien internes qu’externes auxétablissements de santé. Ce travail, à l’intérieur de l’hôpital, est celui despôles et des directions des établissements de santé, et à l’extérieur celui del’Assurance maladie et de l’État [3].

Les premiers doivent réaliser des démarches stratégiques afin d’améliorerle parcours de soins des usagers ce qui devrait pouvoir permettre de cibler,avec pertinence, la suppression des postes dans les activités qui n’ont pasété retenues par les SROS III, pour ne pas mettre en péril les pôles efficients,ni fragiliser l’ensemble des pôles [2].

La garantie de l’accès équitable à des soins pour tous au sein de territoiresde santé, objectifs du SROS III, par des établissements de santé dynamiqueset efficients, doit être au cœur de la mise en œuvre de la Loi HPST [17]. Larecherche d’organisations plus efficientes, aussi bien internes qu’externesaux établissements est la marge d’ajustement à privilégier [6, 9]. Pour cela laréduction des doublons d’offres, les coordinations entre établissements desanté tant publics que privés et la mise en place du continuum comprenantdes réseaux ville-hôpital par priorité et par territoire de santé doivent êtreréalisées de manière plus efficiente par les ARS [2, 3, 14] tout en renforçantl’efficacité et la performance des contrôles sur l’activité (dossiers médicaux,autorisations et volumes des CPOM) et des inspections de mise enconformité. Les outils de pilotage sont à améliorer et à évaluer [8]. Il faut quel’État et l’Assurance maladie, pilotent ou managent la politique de santépublique [4, 5]. Des formations au management pourraient être organisées,comme cela a déjà été fait [4]. Si l’on veut améliorer la santé en France, aprèsles spectaculaires progrès qui ont été accomplis, les ARS doivent pouvoirgarantir la mise en œuvre d’une vraie politique de santé publique à base deprojets médicaux prenant en compte les enjeux économiques et ne pas fairel’inverse en plaçant l’économique en premier.

DiscussionSi cette étude sur le fonctionnement des pôles, leurs réussites et leurs

freins, a été réalisée dans un établissement anticipateur de la nouvellegouvernance, public et hospitalo-universitaire, elle peut offrir quelques

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perspectives d’amélioration à visée générale. Ces éléments pour uneévaluation de la mise en œuvre des pôles peuvent aussi être des exemplesde trois tensions qui s’exercent sur cette réforme. Ces tensions peuvent aussiêtre prises en compte pour que la démobilisation et le découragement despersonnels puissent être levés et que la nouvelle gouvernance qui s’envoulait être une solution, réussisse.

Une première tension entre impératifs budgétaires et objectifs de santépublique peut être identifiée et être la conséquence de l’empilement, au fil dutemps, de réformes et d’instruments de politique publique correspondant àdes référentiels différents.

Entre 1996 et 2004, une tentative de régionalisation du système de santéa été tentée. Des conférences régionales de santé, programmes régionaux desanté (PRS) et schéma régional d’organisation sanitaire de deuxièmegénération (SROS II) soutenus par des programmes nationaux de santé(PNS), ont été mis en œuvre. Les régions ont pu choisir leurs priorités enregard des besoins de leurs populations. Les professionnels de santé, dontceux des établissements de santé ainsi que les usagers ont pu être associésà l’élaboration, à la mise en œuvre et au suivi des actions. Entre 2004 et2008, il y a une première phase de concentration du système de santé. La Loirelative à la politique de santé publique de 2004 limite le nombre de PNS etdonne les objectifs de santé publique. Certaines priorités nationales sontdonnées par le Président de la République. Cette Loi va donner les prioritésdu plan régional de santé publique (PRSP), successeur des PRS. Le SROS IIIva tenter de décloisonner soins et prévention en favorisant des liens entre lesthématiques obligatoires et les priorités des PRSP. Ces thématiquesobligatoires (priorités) sont fixées à la fois pour l’organisation des soins et laprévention. Les marges de manœuvre laissées aux régions pour identifier etse mobiliser sur leurs propres priorités de prévention, sont faibles. Lesusagers sont moins associés. Le plan « hôpital 2007 » introduit lefinancement à l’activité et poursuit la contractualisation des offreurs de soinsamorcée par le SROS II. La Loi HPST de 2009 poursuit une centralisation desautorisations et des volumes d’activité, du financement à l’activité et de lacontractualisation pour les offreurs de santé. Les missions de service publicsont définies [4, 17].

Comme Mossé, nous trouvons que la succession de réformes peut créer untrouble dans l’esprit des responsables de pôles et des professionnels desanté en raison de variation de règles qu’ils ne maîtrisent pas [19]. De même,ces professionnels mettent en œuvre des instruments, comme la T2A, lescontrats, l’information et l’aménagement du territoire, qui sont pris dans unetension frontale entre un référentiel descendant et technique et un autreascendant et politique [19, 20]. La Loi HPST est construite autour du premierréférentiel, descendant (objectifs chiffrés affichés par le ministère en chargede la santé). Elle verticalise et concentre le pouvoir de décision ; dès lors lesSROS comme les CPOM peuvent se trouver en porte-à-faux s’il s’agit, pourl’État et l’Assurance Maladie, d’imposer plus que de négocier [14, 15].

Une deuxième tension peut provenir de la centralisation nationale de ladécision qui risque d’être moins adaptée aux besoins locaux que si elle étaittraitée au plus près du terrain (région et territoire de santé) : Il peut être

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compris que la logique-même des politiques menées depuis au moins ledébut des années 2004, a comme finalité de contourner les logiques etintérêts locaux, perçus comme des freins aux restructurations. Si le but est larestructuration hospitalière, il peut y avoir un dilemme : éloigner la décisionde façon à accélérer les restructurations mais au risque de ne pas prendre encompte les réalités locales ; rapprocher la décision de façon à l’adapter aucas par cas, mais au risque d’enliser les restructurations dans lesnégociations locales. On retrouve la tension entre les deux référentielsidentifiés par Mossé [19]. Depuis la Loi portant réforme hospitalière de 1991et les ordonnances de 1996, il semble y avoir une sorte d’oscillation (ou unmouvement pendulaire) entre ces deux référentiels : à mesure que l’ondécouvre les effets pervers de l’un, on se déplace vers l’autre.

Qui dit centralisation dit risque de prise de mauvaises décisions car tropéloignée du terrain mais si cela n’est pas le cas, il existe aussi un risque à ceque les pôles n’appliquent pas la rigueur. La réponse n’est pas univoque. Ilest clair pour nous, que les décisions doivent être prises au plus près duterrain pour être les plus pertinentes, mais il est clair aussi que lescontraintes doivent s’appliquer pleinement. La délégation ne peut secomprendre qu’à la condition qu’elle soit régulée et pilotée par les ARS, enassociant étroitement aux décisions les directeurs d’établissements de santéavec les professionnels de santé.

Une troisième tension provient d’un paradoxe où semble se situeraujourd’hui l’hôpital public, qui évolue entre une vision « républicaine duservice public de la santé » et une vision plus « entreprise libérale » [3].Comme Cordier, nous trouvons que les tensions ont augmenté parce que lesprofessionnels étaient contraints par des délais courts, des demandesexigeant des réponses immédiates, des contraintes liées au travail collectifen même temps que l’établissement était confronté à la montée del’appauvrissement de ses usagers [10]. Même si « l’hôpital est soustension », la lutte contre la pauvreté par des prises en charge de qualité estune de ses missions historiques [3, 22, 23]. La performance hospitalière doitfaire partie d’une planification sanitaire et sociale qui prend en considérationrationalité économique et réduction des inégalités de santé entre lesdifférents groupes sociaux par territoire de santé [3, 15].

ConclusionLe pôle doit s’efforcer de ne pas remettre en cause les activités de

référence et l’équilibre financier de son établissement, tout en respectant lecontrat d’objectif et de moyen qui répond aux besoins de santé de lapopulation de son territoire de santé ainsi qu’aux priorités nationales. Si desréussites appréciables mais limitées existent, cinq freins à la réorganisationhospitalière peuvent être dégagés. Ils peuvent mettre en difficulté ladynamique des pôles et des établissements de santé et doivent être levéslors de la mise en œuvre de la Loi HPST. L’État et l’Assurance maladie doiventmanager la politique de santé publique pour que les responsables des pôlesd’activités hospitaliers et leurs équipes puissent participer à la mise enœuvre d’une politique de santé publique efficiente sans avoir l’impression degérer uniquement la crise.

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Correspondance : L. Morin Réception : 16/12/2009 – Acceptation : 17/06/2010appt. 24, bd de Verdun35000 Rennes

Modalités d’applicationdu « disease management » concernantl’organisation et la rémunérationdes professionnels aux USA,en Allemagne et en Angleterre :perspectives pour la FranceApplication of “disease management” to the organizationand compensation of professionals in the USA, Germanyand England: prospects for France

Ludovic Morin (1), Christian Foury (2), Pascal Briot (3),Antonin Perrocheau (4), Jean Pascal (5)

(1) Diplômé du Master 2 professionnel de Gestion des Organismes de Protection et d’Assurances Sociales(GOPAS) - Université de Nantes.(2) Chargé de mission recherche internationale - Mission des Relations Européennes, Internationales et de laCoopération (MREIC), CNAMTS.(3) Consultant en qualité, gestionnaire en information médico-économique - Réseau de soins intégré« Intermountain Healthcare ».

Résumé : Le « disease management », développé aux États-Unis dans les années 90, est unedémarche globale qui cherche à intégrer toutes les étapes de la prise en charge de la maladiechronique, de la prévention à l’éducation pour la santé. Sa mise en œuvre se traduit auxÉtats-Unis par le concept de « Medical Home », en Allemagne par des contrats incitant lesmédecins généralistes et les caisses de sécurité sociale à prendre en charge les patientsatteints de pathologies chroniques, et au Royaume-Uni par des dispositifs favorisant ladélégation de tâches et la coopération entre professionnels des soins primaires. Elles’accompagne de la mise en place de nouvelles modalités de rémunération (au forfait, à laperformance…) des médecins et des structures de soins primaires intégrant la mise en placeeffective des principes sous tendus par les programmes de « disease management ». EnFrance, ce concept fait progressivement partie intégrante de la stratégie d’accroissement dela qualité des soins développé par l’Assurance Maladie en promouvant son développementencore expérimental sur les soins de premier recours.

Mots-clés : Maladies chroniques - éducation à la santé - prévention - médecin généraliste -réseaux de soins - maison de santé pluridisciplinaire - financement.

(4) Chargé d’enseignement à l’Université de Nantes, co-responsable du master 2 GOPAS.(5) Praticien Hospitalier - Attaché universitaire - Pôle d’information médicale, d’évaluation et de santépublique, Service d’Information médicale, CHU de Nantes.

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Introduction

En France, le secteur des soins ambulatoires est confronté à des évolutionsimportantes de l’offre et de la demande de soins notamment dans uncontexte de diminution du nombre, de la modification du comportement, dela répartition sur les territoires de santé et de la pratique des médecinsgénéralistes. Une des réponses de la nécessaire régulation de l’offre de soinsambulatoires a été ces dernières années, souvent dans un cadreexpérimental, d’inciter les professionnels médicaux et/ou paramédicauxlibéraux à se regrouper en structures collectives telles que les cabinets degroupe de médecins généralistes, les pôles de santé ou les maisons de santépluridisciplinaires [4]. Plus récemment, la loi du 21 juillet 2009 portantréforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (loiHPST) a, parmi ses objectifs, celui d’inciter les professionnels del’ambulatoire à mieux s’organiser notamment à travers la mise en place destructures médicalisées regroupant les différents professionnels du soinambulatoire et à faire évoluer leurs pratiques en intégrant mieux laprévention et l’éducation thérapeutique. Cependant, elle précise peu lesmodalités de cette nouvelle organisation des soins primaires et surtout lesprincipes de leur rémunération.

Par ailleurs, devant l’importance de la prise en charge des maladieschroniques, de leur suivi et de leur impact sur les dépenses de santé, cesdernières années, de nouveaux modèles de prise en charge ont étédéveloppés en ambulatoire dans les pays étrangers de niveaux socio-économiques comparables prenant appui sur les principes du « diseasemanagement ». En France, il est défini par l’IGAS comme un : « […] modèled’intervention auprès des malades ayant pour objectif une meilleure prise encharge par ces derniers de leur pathologie. Il développe une démarched’éducation thérapeutique visant à améliorer les connaissances etcompétences de chacun. » [6]. Dans les pays anglo-saxons, on parledavantage de « Chronic disease management », défini par le « National HealthService » (NHS) comme un « système coordonné d’intervention de soins

Summary: Disease management, developed in the USA in the 1990s, is a comprehensiveintegrated approach that aims to incorporate all phases of chronic disease management fromprevention to health education. Its main objective is to optimize patient care services bymaking patients more responsible for the management of their chronic disease. Thespecificity of its implementation in different countries is reflected by its translation intovarious concepts, such as: in the United States by the concept of the “Medical Home”, inGermany by establishing contracts that encourage GPs and social security funds to supportpatients with chronic diseases, and in the United Kingdom through programs with measuresthat support the delegation of tasks and cooperation between primary care professionals.Disease management is accompanied by the introduction of new forms of payment for doctorsand primary care facilities that ensure the effective implementation of the underpinningprinciples of disease management programs. In France, the development of the diseasemanagement approach is being promoted and advocated for integration into primary care, asit is gradually becoming an integral part of the French National Health Insurance Fund’sstrategy to enhance and improve the quality of care.

Keywords: chronic diseases - health education - prevention - general practitioner - care net-works - multidisciplinary ‘health-home’ - financing.

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et de communication pour les personnes atteintes de maladies chroniquesdans lequel l’auto-prise en charge du patient est significative » [21].

Face aux évolutions sociales, démographiques et épidémiologiquesvoisines de celles observées en France, le « disease management », qui y estencore peu connu et développé, structure de plus en plus l’organisation dessoins primaires de ces pays afin d’améliorer le suivi des personnesprésentant une maladie chronique, et de répondre au nécessaire besoin derationalisation et de standardisation des soins dans un cadre financiercontraint. Il nous a donc paru pertinent de voir comment étaient appliquéscertains principes des programmes de « disease management » au niveaudes soins primaires dans des pays étrangers, dont les systèmes de santédiffèrent, d’une part dans deux systèmes de santé assurantiels distincts, lesÉtats-Unis et l’Allemagne, et d’autre part dans un système national de santé,le Royaume-Uni. L’objectif de cet article est de présenter les modalitésd’application du concept de « Disease Management » sur l’organisation et larémunération des professionnels aux USA, en Allemagne et en Angleterreainsi que les perspectives de son développement intégré dans le système desoins ambulatoire français.

Application du « disease management » aux États-Unis :le concept de « Medical Home »

Plusieurs compagnies privées de réseaux de soins très intégrés, les« Managed Care Organizations », réunissant les fonctions d’assurance et deproduction de soins au sein d’un même organisme, ont proposé un nouveaumodèle d’accès aux soins primaires basé sur la coordination des traitementspréventifs et curatifs apportés aux patients, le « Medical Home » (ou maisonmédicalisée). Son objectif est de fournir à leurs assurés des soinscoordonnés, continus et globaux tout au long de leur trajectoire de soins etdans le temps, afin d’améliorer leur état de santé et de diminuer lesdépenses [1].

Une nouvelle organisation qui met l’accent sur la qualité des soins

Le concept de « Medical Home » repose sur le passage de la stricte visiondu rationnement des soins, qui correspond au concept du « managed care »développé aux États-Unis dans les années 90 qui avait pour objectif principalla réduction des dépenses de santé et dont les économies éventuellementréalisées bénéficiaient aux plans d’assurance, vers l’accompagnement despatients atteints de maladies chroniques tout au long de leur parcours desoins. Le concept de « Medical Home » met ainsi davantage l’accent sur laqualité des soins et la responsabilisation des professionnels de santé,c’est-à-dire qu’ils bénéficient des économies réalisées. La nouvelleorganisation de la prise en charge du patient qui en découle est présentéedans la figure 1. Elle s’appuie sur une structure médicale ambulatoire, pivotdu dispositif de soins primaires, organisée et animée par le « médecinpersonnel » afin que chaque patient puisse bénéficier d’une relationpermanente et « personnelle » avec ce médecin référent, formé pour établirdes soins globaux et continus reposant sur des standards, référentiels de

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pratique répondant au besoin d’amélioration de la qualité de la prise encharge et de sécurité des soins.

Ce « médecin personnel » généraliste ou spécialiste est chargé decoordonner, en collaboration avec un « Care Manager », le plus souvent uneinfirmière libérale, les soins aigus et chroniques du patient (« tout au long desa vie ») mais également les services de prévention et les soins de fin de vie.Il coordonne l’activité d’une équipe pluridisciplinaire de santé associant selonles structures, infirmières, pharmaciens, travailleurs sociaux, diététiciens maisaussi psychiatres… La valeur ajoutée de ce regroupement pluriprofessionnelest de proposer aux patients un ensemble de services de soins coordonnéspermettant d’améliorer la qualité de la prise en charge, plus globale, tout enréduisant les coûts pour le financeur, le plus souvent assureur du patient.L’accès aux soins est ici amélioré par la mise en place de plages horaires plusflexibles et par le développement d’une meilleure communication desinformations entre le patient et ces professionnels notamment par l’usaged’internet (accès direct du patient à ses informations médicales, convocation

Figure 1 : L’organisation des soins primaires en « Medical Home » (maison médicalisée)aux États-Unis.

Patient

Services de soinsprodigués par

l’équipe médicaleet fondés sur des

preuvesscientifiques

(Soins préventifs,primaires,

secondaires,chroniques,

aigus)

Maison médicaliséespécialisée

Médecin traitant(soins primaires,secondaires ou

tertiaires)

Hôpitaux (soinsd’hospitalisation,

d’urgence)

Les autres prestatairesde soins prolongés

envers des populationsspécifiques :

Pharmaciens,Nutritionnistes,

Dentistes, Travailleurssociaux…

Coordinationdes soins

Orientationmédicale

nécessaire

Coordination par l’intermédiaire du registre électronique de santé

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à un examen). Il s’agit de ce que les anglo-saxons appellent le « coaching ».La prise en charge est intégrée et coordonnée à travers l’ensemble deséléments qui peuvent composer le réseau de soins intégrés d’un « ManagedCare Organizations » (hôpitaux, services hospitaliers, médecine ambulatoire,infirmières libérales…) et son originalité est de chercher à mieux associer lafamille à la prise en charge en particulier en l’informant des résultatsmédicaux par l’intermédiaire d’un site internet interactif [13].

Les pratiques médicales sont basées sur des standards de bonne pratique(« evidence based medicine ») afin notamment de réduire les iatrogéniesmédicamenteuses, d’améliorer les résultats cliniques et surtout d’éviter lavariabilité des pratiques, risque de non qualité des soins. Pour intégrer lapriorité de la qualité des soins, le médecin doit coordonner les actions desdifférents professionnels de santé par l’utilisation d’outils technologiques ensanté. Un de ces outils est le registre électronique de santé standardisé(« electronic health records ») qui intègre une multitude d’informationsissues de sources diverses sur un seul et même support informatique pourles soins primaires. Dans sa version la plus élaborée, ce registre comprendnon seulement des informations sur l’état de santé du patient, la liste demédicaments qu’il prend, les résultats de laboratoire ou radiologiques, maiségalement ses caractéristiques socio-économiques, un historique de sesantécédents médicaux, les ordonnances, ainsi qu’un système d’alerte derappel d’intervention ou de contrôle des soins [16].

De nouveaux modes de rémunération complémentaires

Un autre élément de cette organisation est la nouvelle rémunération desmédecins. Elle se compose de trois systèmes de paiement différents qui,associés, limitent les effets pernicieux propres à chacun : le paiement à l’acteest conservé pour les visites en face-à-face ; le paiement au forfait (oupaiement global pour un ensemble de soins par pathologie chronique) estcréé pour tenir compte de la coordination des soins entre les différentsprofessionnels de santé, pour encourager les médecins à appliquer lesrecommandations de bonnes pratiques et responsabiliser les patients afind’atteindre de meilleurs résultats de santé ou observance possible (uneincitation à la performance est actuellement toujours en discussion) ; lepartage des bénéfices, résultat des économies réalisées à partir del’application des principes du « Medical Home ». En plus de ce nouveau modecombiné de rémunération des médecins, les payeurs (compagniesd’assurance publiques ou privées) financent : le paiement d’honorairessupplémentaires au paiement à l’acte, par personne et par mois selon lagravité de la maladie (méthode la plus usitée) ainsi que l’établissement et lamise en œuvre d’une nouvelle classification des actes médicaux des servicesdu « Medical Home » intégrant l’impact de la mise en place effective de lacoordination des soins, les outils afférents et la prévention. La problématiquede la rémunération des médecins semble plus s’orienter actuellement versune association entre une partie du paiement de la rémunération du médecinau forfait et une partie à l’acte, adaptée à la création de nouveaux codes liésà la mise en œuvre de la nouvelle classification des actes, à l’exemple dupaiement du médecin pour une quotité de temps de 15 minutes consacrée àla révision du dossier médical du patient [12].

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Les premiers résultats de sa mise en œuvre

Plus de trente États ont lancé des projets de « Medical Home » mais trèspeu ont pour l’instant fait l’objet d’une évaluation. Deux expérimentationsont fait l’objet de publication de leurs résultats, mais avec peu de précisionssur la méthodologie et le cadre d’analyse. La première concerne le systèmede soins intégré « Geisinger », développé en 1995 dans le nord-est de laPennsylvanie où certains principes du « Medical Home » ont été développésen 2005 [23]. Après un an de mise en place sur deux sites pilotes, lespremiers résultats montrent une baisse de 20 % des admissions en hôpitalainsi qu’une réduction de 7 % des coûts médicaux [21]. La secondeexpérience a été développée dans l’État de Caroline du Nord, vis-à-vis d’unepopulation relativement pauvre, pionnière dans la mise en place d’unnouveau modèle de soins primaires (« Community Care of North Carolina »)organisé au niveau des régions dans le cadre de réseaux qui rassemblent desmédecins locaux et des représentants de l’État [25]. Ce système a contribuéà une réduction des hospitalisations liées à l’asthme chez les jeunes demoins de 21 ans (le taux est passé de 8,2 ‰ en 2000 à 5,3 ‰ en 2002) ainsiqu’à un meilleur contrôle du taux d’hémoglobine glyquée chez lesdiabétiques. Il a également permis une économie de 160 000 000 € en 2006,pour un coût total de 6 008 409 120 € [21].

Application du « disease management » en Allemagne :nouvelles contractualisations entre les caisseset la médecine ambulatoire, et rémunérations complémentaires

Le système d’assurance maladie allemand est voisin de celui développé enFrance, tout en présentant des différences importantes. Le domaine de lasanté est organisé au niveau des « länder » (régions). L’assuré a la libertéd’affiliation à une caisse d’assurance maladie depuis 1996, ce qui a eu pourconséquence la mise en concurrence des caisses d’assurance maladie avec lavolonté des pouvoirs publics d’inciter les caisses à promouvoir une meilleuregestion du risque. Toutefois, face à l’apparition du risque de sélectiondes assurés, le gouvernement a alors décidé d’instaurer en 2002 desprogrammes de « disease management » en incitant les caisses à mieuxprendre en charge les patients atteints de maladies chroniques. Cesprogrammes ont fait l’objet de contrats communs entre l’ensemble descaisses de sécurité sociale d’un « land », l’association régionale desmédecins libéraux et les établissements de santé. Les caisses en définissentle contenu à partir des recommandations nationales établies par les textesfédéraux [7].

Une refonte globale de l’organisation des soins

Les programmes de « disease management » contiennent des élémentsobligatoires tels que : le choix d’un médecin traitant, médecin généraliste quicoordonne l’ensemble des soins et filtre l’accès aux soins de spécialistes etautres prestataires de soins ; le médecin bénéficie de l’aide d’une assistante– qui n’est pas une infirmière – ayant accès à l’ensemble des informationsmédicales du patient et pouvant effectuer des actes tels que des prises

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de sang ou un suivi téléphonique en matière de prévention ; la définition deprotocoles de soins conformes aux recommandations professionnelles ;l’implication du patient dans le processus de soins (le patient donne sonaccord pour entrer dans le programme et s’engage à suivre lesrecommandations d’éducation thérapeutique) ; la mise en œuvre desystèmes d’information entre les professionnels de santé du secteurambulatoire et hospitalier ainsi qu’entre les professionnels de santé et lescaisses ; une formation des professionnels et des patients au programme ;une évaluation du dispositif par le renseignement d’indicateurs de qualité, enparticulier de l’information, transfert des informations du médecin et del’éducation du patient [14].

Des nouveaux modes de rémunérations supplémentaires pour les médecins

Des différences peuvent exister entre les différents länder quant au niveaude rémunération des médecins, du type de contrat qui les lie aux caissesainsi qu’au niveau des systèmes de retour d’informations vers les caisses. Lemédecin traitant perçoit une rémunération spécifique, environ 1 000 € paran, qui s’ajoute aux budgets versés annuellement par les caisses auxassociations de médecins. Des incitations financières complémentaires leursont versées pour la tenue des dossiers des patients et pour la réalisation deséances d’éducation thérapeutique, de l’ordre de 20 € pour chacune de cestâches. En échange de ces rémunérations supplémentaires, ils doivent enparticulier transmettre aux caisses un certain nombre de donnéesdémontrant le respect des recommandations de bonne pratique et doiventremplir un questionnaire standardisé relevant les facteurs de risque despatients qu’ils prennent en charge [24].

Par ailleurs, une réforme de la classification des actes médicaux enpratique ambulatoire a été mise en place en 2008 afin de promouvoir la miseen place d’une consultation des facteurs de risques cardiovasculaires dont lecontenu est standardisé, identifiée en tant que telle dans la nomenclaturedes actes médicaux. Elle est assortie d’une incitation financière sous la formed’un forfait de consultation approfondie. Le nombre d’actes répertoriés aainsi fortement diminué. Un forfait « patient » a également été créé pour lesmédecins généralistes ainsi que des forfaits cliniques complémentaires pourles actes qui nécessitent une infrastructure technique particulière tel que lesuivi du diabète de type 2 (examen du fond d’œil, suivi d’un patient dialysé).Ces forfaits sont modulés en fonction de l’âge et de la pathologie du patientpar un code, acte traceur, qui permet de connaître les populationsbénéficiaires. Ils permettent de contourner la tarification à l’acte qui devientde fait l’exception car elle ne s’applique plus qu’aux actes techniquescomplexes [18].

Les premiers résultats de sa mise en œuvre

Une évaluation a été mise en place en 2008 au niveau de deux länder. Ellesconcernent 20 000 patients participant à un programme de « diseasemanagement » afin d’en mesurer les résultats sanitaires. Les premiersrésultats indiquent une diminution de la tension artérielle systolique, une

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réduction du nombre de fumeurs ainsi qu’une augmentation de la qualité devie mesurée par l’indice QALY. D’un point de vue financier, les évaluationsde certains fonds de péréquation de régions ont pu montrer une réductionglobale des coûts due à la mise en place de programmes de « diseasemanagement » (9,6 % en 2006 et 5 % en 2007). Une étude a égalementmontré son impact sur la réduction des coûts pour les hospitalisations maisen revanche une augmentation des coûts concernant le volet desprescriptions [24].

Application du « disease management » au Royaume-Uni :délégation de tâches et performance

Le « National Health Service » (NHS) a décidé de mettre en place lesprincipes développés dans les programmes de « disease management » à lafin des années 90, basés sur une coopération en réseau des professionnelslocaux. Ils s’inspirent de l’expérience américaine, en particulier dans le butd’améliorer la qualité des soins, résorber les files d’attente et réduire les tauxd’hospitalisation en améliorant la prise en charge en ambulatoire. Il s’agit dedévelopper la prise en charge des maladies chroniques en renforçant le rôledes services et des professionnels de soins primaires (« Primary healthservice », « Primary care »), en intégrant dans celle-ci les services sociaux etles associations de malades pour un soutien psychologique, et endéveloppant la collaboration [11].

Un rôle renforcé des infirmières pour les soins primaires

Le fonctionnement du « disease management » repose en particulier surdes infirmières expérimentées, les « community matrons » [10]. Elles sontformées à l’identification et à la prise en charge des patients atteints demaladies chroniques, l’évaluation des besoins physiques, psychologiques etsociaux ; la réalisation de prescriptions encadrées ; la coordination dessoins ; et la mise en œuvre de programmes d’éducation thérapeutique. Cesinfirmières prennent en charge en moyenne une cinquantaine de patients etjouent le rôle d’interface avec le médecin généraliste, « General Practionners,GP’s ». Ce dernier est le point de passage obligatoire, « gatekeeper », pourl’accès aux soins secondaires et tertiaires. Ce médecin exerce dans 80 % descas dans un cabinet de groupe (refondation des « GP fundholders, GPf » misen place au début des années 90), ce qui favorise le développement dusalariat ou de contrats avec les autres professionnels des soins primaires :infirmiers, travailleurs sociaux, pharmaciens, opticiens, odontologistes…et, depuis 2000, ces cabinets de groupe sont intégrés dans des réseaux desoins primaires (Primary Care Trust, PCT) en charge du développement desservices de santé primaire pour une population moyenne en 2007 de330 000 habitants [3]. Le PCT fournit directement des services avec dupersonnel salarié notamment pour mettre en place des programmes de suivides maladies chroniques s’appuyant sur le développement de l’éducationthérapeutique (ex. programme « year of care » qui introduit un planpersonnalisé de soins pendant un an pour les patients atteints de maladieschroniques).

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Introduction d’un mécanisme de rémunération des médecins à la performance

Les patients dont le risque est intermédiaire sont pris en charge par lemédecin généraliste. Celui-ci est incité à assurer le suivi des patients par unmécanisme de rémunération à la performance, le « quality and outcomesframework, QOF » [9] en sus de sa rémunération de base à la capitation pourles services essentiels et du paiement à l’acte pour les services avancés.Celui-ci prend la forme d’un ensemble d’indicateurs de procédures etde résultats cliniques qui, en 2007, couvraient la qualité des soins,l’organisation des cabinets, l’attention portée et la satisfaction du patient,ainsi que les services additionnels qui permettent de mesurer l’efficacité del’action du médecin par rapport à ces 4 domaines. Le barème du QOF 2007contient 135 indicateurs, correspondant à un total de 1 000 points où chaquepoint correspond environ à 108,10 euros [3].

Les premiers résultats de sa mise en œuvre

Le modèle de coopération entre le médecin et l’infirmière dans la prise encharge des patients atteints de pathologie(s) chronique(s) (« chronic diseasemanagement ») a été évalué par plusieurs études qui font état d’uneamélioration de la santé et de la satisfaction des patients. Ces résultatss’accompagnent d’une productivité moins importante pour les infirmières, àcoûts égaux, car elles passent plus de temps avec les patients et délivrentdavantage de conseils de prévention, et d’une amélioration certaine de laqualité des soins [22].

Perspectives pour le système de soins ambulatoire françaisDifférentes actions ont été menées récemment dans le cadre d’un

partenariat entre l’État et l’Assurance Maladie pour une meilleure qualité etefficience du système de santé en s’appuyant sur les soins de premierrecours, stratégie préconisée par l’Organisation Mondiale de la Santé [19]. Lapremière étape a été la mise en place en 2008 du programme expérimentalSOPHIA de « disease management », dans le cadre du plan 2007-2011d’amélioration de la qualité de vie des personnes atteintes de maladieschroniques [15]. Ce programme s’inspire directement de l’expérienceaméricaine car il propose également un accompagnement téléphoniquepersonnalisé aux patients diabétiques, à la différence près qu’il est réalisépar une infirmière expérimentée qui aide le patient au quotidien à adapterson comportement face au diabète en complétant les informations pratiqueset concrètes contenues dans les livrets d’informations. L’évaluation de ceprogramme au courant de l’année 2010 devrait permettre d’apprécier lesbénéfices pour le patient, les professionnels de soins et l’Assurance Maladie,promoteur du projet. La seconde étape a été franchie par la loi de finance dela sécurité sociale (LFSS) 2008 qui a créé le contrat d’amélioration despratiques individuelles (CAPI). Cette nouvelle source de rémunération à laperformance, sur le modèle du « quality and outcome framework » anglais,s’ajoute au paiement actuel à l’acte. C’est un programme d’évolution despratiques vers une démarche de qualité et de bon usage des soins quimesure la progression des médecins traitants par rapport à des objectifs

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fixés au préalable tels que la promotion d’actions de prévention, le suivi despathologies chroniques ou l’optimisation des prescriptions de médicaments.Même si ce système reste décrié par une partie des syndicats de médecinsgénéralistes, 12 600 médecins généralistes y ont adhéré en six mois [8]. Latroisième étape est la mise en place actuellement des maisons de santépluridisciplinaires. Ce sont des structures qui regroupent les offreurs desoins de premier recours (professions médicales et paramédicales) d’unemême zone géographique et qui organisent leur activité autour d’un projetmédical commun obligatoire. Cette organisation se rapproche ainsi de lastructure du « medical home » des États-Unis. Il semble d’ailleurs que laqualité du suivi des patients diabétiques de type 2 est meilleure dans cesstructures, malgré la forte hétérogénéité des résultats [5]. L’ensemble desactions que mène l’Assurance Maladie, en collaboration avec lesprofessionnels de l’ambulatoire et en complémentarité avec l’État, devras’inscrire dans le nouveau cadre régional de régulation du système de soinambulatoire, à savoir les Agences Régionales de Santé (ARS). Créées par laloi HPST, elles auront un rôle important à jouer en la matière car ellesdisposeront de compétences élargies au secteur ambulatoire, hospitalier etmédico-social, ainsi que des leviers d’actions tels que la définition desschémas d’organisation des soins ambulatoires ou la permanence dessoins (…). Ce d’autant qu’elles devraient assurer un rôle d’opérateur régionalà l’image des réseaux de soins intégrés aux États-Unis ou de la nouvelleplanification du National Health Service (NHS) mise en place en 2000 enAngleterre.

Conclusion

Au regard des expériences étrangères de la prise en charge des maladieschroniques dans le cadre des programmes de « disease management », ilsemble que même si les modalités d’organisation des soins primaires soientdifférentes, par exemple entre l’Angleterre et les États-Unis où lesprofessionnels de santé sont responsabilisés et bénéficient du retour surinvestissement, et l’Allemagne où le bénéficiaire reste encore principalementl’assureur, on assiste en France à une hybridation de ces modèles. En effet,le système de santé français, faisant plutôt référence à un modèleprofessionnel non hiérarchisé (caractérisé par une organisation des soinsprimaires « sous contrôle indépendant des acteurs » : professionnelslibéraux, structures hospitalières, services de soins infirmiers, EHPAD…),tendrait à s’inspirer désormais d’autres modèles d’organisation des soinsprimaires à travers une approche qui voudrait plus de coordination des soins,dont l’intégration de certains des principes du « disease management » telsque développés à l’étranger, y participerait. Les résultats des évaluationspartielles de ces différents modèles tendent à montrer leur impact surl’amélioration de la qualité de vie des malades atteints d’une maladiechronique, la meilleure prise en compte de la prévention, en particulier dudéveloppement de l’éducation à la santé du patient, pour aller, pour certains,au-delà d’une réponse qui voudrait seulement réduite à l’obtention d’unemeilleure observance, ainsi que le renforcement des coopérations et del’intégration des professionnels des soins primaires, en particulier par la

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délégation de tâches, au sein de regroupements où se mettent en placeprogressivement les principes du « disease management ». En France, unerécente étude a notamment démontré l’efficacité du travail en équipe entredes infirmières et des généralistes dans le cadre de l’expérimentation ASALEE(Action Santé Libérale en Équipe) [17]. Il semblerait donc que ledéveloppement du « disease management » dans le modèle de santéfrançais, promu par l’Assurance Maladie, cherche à donner les moyens aumédecin traitant de mieux assurer son rôle d’initiateur du processus de priseen charge du patient et celui de lien thérapeutique pour la poursuite d’unprocessus de soin pluriprofessionnel et de prévention. Par ailleurs, cettenouvelle démarche chercherait également à mieux consolider l’offre d’avald’éducation thérapeutique du patient (ETP) [2] qui reste à développer dansl’offre de soins ambulatoires.

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Analyses

On ne dira plus « Bon appétit »…L’agriculture - et autres démarches - à l’avenir : contre ou avec la nature ?

Sorti au printemps 2010, le film de Coline Serreau « Solutions locales pour undésordre global » illustre comment, dans diverses parties du monde, des paysanset agronomes ont décidé de tourner le dos aux « merveilles » de l’agrochimie pourse montrer plus respectueux de la terre/de la Terre – et ceci avec succès (1). On selaisse aller à rêver (le pire n’est jamais certain) que ces démarches puissent sepropager plus vite que la promotion des méthodes des multinationales. Méthodesdélétères pour le sol qui devient inerte, qui meurt – avec l’élimination des êtresvivants qui y vivent et y jouent des rôles utiles ; et hautement délétères pour lespopulations concernées : quotidiennement des dizaines de suicides en Inde depaysans ruinés par le recours aux graines commerciales, aux pesticides et auxengrais, puis dépossédés de leur terre.

Coline Serreau se penche sur ces thèmes vitaux pour l’avenir de la planète aprèsavoir donné dans le plus léger ; on se souvient de la comédie « Trois hommes et uncouffin » ! Changement dans ses priorités. Elle a promené caméra et micro surplusieurs continents : tout particulièrement, en plus de la France, au Brésil et enInde (on apprécierait aussi d’avoir des échos de Chine). Ainsi qu’en Ukraine(impressionnant ex-kolkhoze) et au Maroc. J’ai particulièrement apprécié lesinterventions de Vandana Shiva, physicienne et écologiste indienne qui a reçu lePrix Nobel alternatif.

L’évolution agro-industrielle à large échelle a déraciné par dizaines de millions ceuxqui vivaient dans les régions rurales ; elle a aussi déraciné les plantes, dit unagronome montrant un plant de vigne aux racines désorientées ! L’agriculturedevient pour l’essentiel la « gestion de pathologies végétales ». J’ai il y a plus detrente ans travaillé durant deux ans en Inde, à l’époque où on propageait laRévolution verte. Les espoirs étaient grands et ont été déçus : il y a eu desaugmentations de productivité sans doute mais aussi des effets collatérauxdésastreux du point de vue environnemental, humain et (micro-)économique ;spécialement par la création d’une dépendance ligotante des cultivateurs vis-à-visdes semenciers et agrochimiques multinationaux. Il saute aux yeux qu’il importe dechanger d’orientation mais il y a beaucoup de myopes.

Il est judicieux, comme cela est fait, de rappeler que le système mondial actuel deséchanges correspond à une importante assistance des pays du Sud à ceux du Nord(oui, du Sud au Nord) – qui nous permet d’avoir le niveau de vie dont nousbénéficions. Des intervenants soulignent que l’usage croissant des biocarburants,idée superficiellement attrayante, va affamer des populations défavorisées – qui nedisposeront plus de ce maïs, soja, blé ou pommes de terre pour se nourrir.

Introduire une dimension « genre » dans tout ce qui se passe dans nos sociétés aun côté cliché ; il reste que, quand on souligne que la culture « douce »,respectueuse de son environnement et du long terme, a des qualités de respect etde soin qui sont féminines, on a certainement raison. Comment trouver un équilibreentre ce respect et ce soin et les poussées techniques, machinistes (machistes ?),d’efficacité uniformisante, avec les périls associés pour la biodiversité ? … A propos

(1) Solutions locales pour un désordre global, film de Coline Serreau, 2010. A donné lieu à un livre sous lemême titre (Paris, Actes Sud, 2010).

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de la qualité de ce que produit l’agriculture intensive industrielle, ce mot d’unepersonne interviewée : on n’osera plus souhaiter « Bon appétit » à ses convives, onleur dira « Bonne chance » !

Par rapport à certains films-catastrophes, « Solutions locales » a le mérite desouligner qu’il existe des solutions, en montrant les réflexions et surtout les actionsde ceux qui expérimentent des alternatives ; alternatives qui permettent une vie etune santé améliorées tout en garantissant une sécurité alimentaire pérenne.

Je profite de mentionner, à propos de l’évolution de notre monde, un ouvrage dujournaliste scientifique américain Alan Weisman (2). Il approche de manière trèsoriginale les enjeux liés à l’impact de l’espèce humaine sur la vie sur la Terre, touten voulant imaginer ce qu’elle serait sans nous – après nous si l’espèce réussit dansses pulsions suicidaires. « Very well researched », fruit d’un travail de plusieursannées d’études et de voyages en de multiples points du globe. Éclairages forts surl’avenir de la planète, avec ou sans nous.

Dr Jean MartinMédecin de santé publique

La Ruelle 6CH-1026 Echandens – Suisse

Courriel : [email protected]

(2) Weisman A. The world without us. New York : Thomas Dunne Books, St. Martin’s Press, 2007.

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Livres reçus

Développer des pratiques communautaires en santé et développement localB. Goudet

Coll. Comprendre la sociétéChronique sociale, Lyon 2009 : 349 p.ISBN : 978-2-85008-766-0Prix : 16,90 €

Planification stratégique des ressources humaines pour la santé :évaluation des facteurs financiers, éducationnels, administratifs et politiquesT. Bossert, T. Bärnighausen, D. Bowser, A. Mitchell, G. Gedik, Organisation mondialede la santé

OMS, Genève 2010 : 86 p.ISBN : 978-92-4-254731-3

L’observation locale en santé. Du diagnostic au pilotage de la politique de santépublique ; Journée d'étude organisation par « Élus, Santé publique & Territoires »Association nationale des Villes pour le développement de la santé publique « Élus,Santé publique & Territoires »

ESPT, Nanterre, juillet 2010 : 155 p.

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3 303335 300713

Prix 15,00 euros.ISSN 1771-7450.

Imprimerie de laDirection de l’informationDirection de l’informationlégale et administrative

DiffusionDirection de l’informationlégale et administrative

La documentation FrançaiseTéléphone : 0140157000www.ladocumentationfrancaise.fr

actualité et dossier en santé publiquejuin 2010 numéro 71adsp sommaire

3 Recommandationssanitairespour les voyageurs

4 Avis et rapportsdu Haut Conseilde la santé publique

HCSP DIRECT

repères11 brèves internationales

50 organismeBureau de recherchesgéologiques et minières

51 formationMaster santé publique :les fonctions decoordination dans lesystème de santé

52 lectures

54 en ligne

55 lois & réglementation

5 Les expériencesnationaleset internationalespour promouvoir ouaméliorer la sécuritédes patientsAnalyse bibliographiquedes expériences étrangèrespour la sécurité despatients.Jean Pariès, Fanny Rome,Jean Pariès, Fanny Rome,Anne-Sophie Nyssen

9 La réforme de la santéaux États-UnisLes grandes lignes d’uneréforme qui suscite degrands espoirs pour lasanté des Américains.Jacques Drucker

14 Les déterminantsde la politique vaccinale

14 De l’inoculation à la vaccinationAnne-Marie Moulin

16 De l’obligation vaccinaleà la recommandationDidier Torny

18 Procédures aboutissantà une recommandation vaccinale :rôle des différentes institutions,de l’AMM aux remboursementsDaniel Floret

21 De l’utilisation de la modélisation :l’exemple de la varicelleDaniel Lévy-Bruhl, Isabelle Bonmarin,Jean-Claude Desenclos

22 Recherche publique et privéeautour des vaccins en FranceOdile Launay

25 Les bases immunologiquesde la vaccinationBrigitte Autran

27 La rougeole : comparaisonsinternationalesDaniel Floret

31 Perception des médecins etorganisation d’une campagnelocale

31 Perception de la vaccinationpar les médecins généralistesChristine Jestin, Arnaud Gautier

34 Organisation d’une campagne devaccination locale : l’exemple de DieppeSabine Henry, Corinne Leroy, Jean-Philippe Leroy

37 Danger et risques des vaccins :mythes et réalités

37 La pharmacovigilance des vaccinsAlexis Jacquet, Shéhérazade Ouaret, Carmen Kreft-JaïsAlexis Jacquet, Shéhérazade Ouaret, Carmen Kreft-Jaïs

39 Les «périls » associés aux campagnesde vaccinationAnne-Marie Moulin

41 Tribunes41 Se mobiliser pour ou contre les vaccins

Didier Torny43 Comment faire de la pédagogie autour

du vaccin?Daniel Floret

46 Permettre l’accès à la vaccination despopulations des pays en développementKamel Senouci, Alfred Da Silva

48 Bibliographie générale

dossier coordonné par Daniel Floret et Didier Torny p. 13

éditorial2 La vaccination :

première méthodede préventionChristian Perronne

Les vaccinations

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Mise en page et impression

bialec, nancy (France)Dépôt légal n° 74207 - octobre 2010