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D écryptages Avril - Juin 2019 #10 Santé, un secteur en profonde mutation

Santé, - PwC · 2019. 10. 11. · dues au Moyen-Age, les remèdes pharmaceutiques conçus pour lutter contre les grandes épidémies, la modernisation des instruments utilisés lors

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DécryptagesAvril - Juin 2019

#10

Santé,un secteur en

profonde mutation

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dito

Etre en bonne santé est un luxe, en douter est une erreur, c’est ce que nous rappelle, à juste titre, la célèbre étude « Global Burden of Disease », réalisée par la fondation Bill & Melinda Gates, qui affirme que seulement 4,3 % de personnes dans le monde ne souffre d’aucune maladie, blessure, lésion, dommage ou handicap physique et/ou mental. Nous sommes tous vulnérables. L’accepter avec humilité, c’est comprendre que la vie, la nôtre, est aussi fragile que précieuse.

Si tous les Hommes naissent libres et égaux en droits, force est de constater que dans le domaine de la santé, cela n’est pas le cas. D’un continent, d’un pays, d’une région ou d’un quartier à un autre, l’accessibilité et la qualité des soins varient et créent une fracture entre ceux qui bénéficient pleinement des avantages d’un système médical efficace et ceux qui n’ont pas ce privilège. Dans ce sens, une récente étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met en lumière le fait qu’il existe de fortes disparités en matière d’état de santé entre les différents groupes sociaux. Exemples à l’appui : l’espérance de vie des hommes en Sierra Leone est de quarante-neuf ans alors qu’en Suisse, elle s’élève à quatre-vingt-un ans – soit trente-deux ans de différence. A l’intérieur des villes, le même constat est fait : à Londres, l’espérance de vie des hommes est de soixante et onze ans dans le quartier populaire de Tottenham Green et de quatre-vingt-huit dans la zone huppée de Queen’s Gate – soit une différence de dix-sept ans. D’après les experts du London Public Health Observatory (LPHO), dès lors que l’on s’éloigne du centre-ville, on peut considérer qu’à chaque station de métro, l’espérance de vie diminue de pratiquement un an, la faute à une offre de services sanitaires, sociaux et médico-sociaux moins importante, diversifiée et efficace dans les zones défavorisées que dans celles où « il fait bon vivre ».

La santé ne couvre pas seulement des enjeux sanitaires mais aussi des défis humanitaires, sociétaux, politiques, économiques, commerciaux, réglementaires, technologiques et, entre autres, sécuritaires. Pour tous les acteurs publics et privés impliqués dans ce secteur, il relève d’un enjeu vital que de continuer à placer les intérêts de l’Homme au cœur des recherches, de l’innovation et du développement de la médecine. Pour le bien commun, les aspects financiers et business, bien qu’ils soient capitaux et indispensables pour améliorer la santé de tous, doivent rester au second plan.

Dans cette dixième édition du magazine Décryptages, nous vous proposons de découvrir les différentes facettes, à l’échelle internationale et nationale, du secteur de la santé, un secteur qui fait couler beaucoup d’encre partout dans le monde et qui nous concerne tous, sans exception.

Bonne lecture !

Agnès Hussherr Clients, Market & Innovation Managing Partner

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ommaireSpécialistes de santé : les garants de l’humanité depuis la préhistoire 3

Système de santé français : un modèle trop inégalitaire pour perdurer ? 10

Burn-out : les soignants ont besoin d’être soignés 15

Sport en entreprise : une activité qui rend les collaborateurs heureux ? 22

EHPAD : le public fléchit et le privé performe 26

L’Empire du Milieu est-il en passe de devenir la plus grande pharmacie de la planète ? 34

Biotechs : les pousses françaises ont-elles les moyens de marcher sur le toit du monde ? 40

Médecine : une discipline vitale réservée aux populations les plus riches ? 44

E-santé : un remède efficace pour guérir un continent en état d’urgence ? 49

Intelligence Artificielle : une révolution technologique initiée par et pour les Hommes 55

Intelligence Artificielle et robotisation : quel impact sur le secteur de la santé ? 62

Santé connectée : plus de contrôles pour plus de confiance ? 66

Cybersécurité : un pour tous, tous pour un 71

A quoi ressemblera la médecine de demain ? 76

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Spécialistes de santé : les garants de l’humanité depuis la préhistoire

L’histoire de la médecine n’est qu’une facette de l’Histoire avec un grand H. Elle accompagne les grands mouvements de la pensée, elle s’immisce dans les guerres et la politique de son temps et elle subit les mythes que lui impose la société. Depuis que l’Homme est sur Terre, il a toujours cherché à soigner ses maux. Se préserver soi-même, c’est préserver un bout de l’humanité.

Bien qu’aujourd’hui la médecine soit reconnue comme une véritable science dont l’Homme ne peut se passer, cela n’a pas toujours été le cas. Pour mieux comprendre ce phénomène, voyager dans le temps est nécessaire. Retour à la préhistoire : à en croire les spécialistes, à cette époque, la plupart des sociétés humaines ont recours à des croyances médicales relevant de la magie, du mythe et de la superstition pour expliquer la naissance, la mort et la maladie. Les problèmes de santé sont alors souvent attribués à la sorcellerie, aux démons, aux influences astrales contraires ou à la volonté des dieux. Malgré le fait que plusieurs essais de

rationalisation de la médecine soient effectués, en vain, par différents penseurs visionnaires, ces théories se heurtent, au fil des siècles, aux puis-sants mythes successifs portés par la société, comme les croyances alchi-miques, les dogmes chrétiens ou encore les créations symboliques de l’inconscient.

De discours en discours, les secrets médicaux survivent et parviennent à ne pas se perdre dans le temps. De l’éloquence au rédactionnel, il faut attendre l’Antiquité pour voir les pre-mières traces écrites et iconogra-phiques faisant référence à la médecine. C’est dans le Code de

Hammurabi, un texte juridique babylo-nien gravé sur une stèle 1 750 av. J.-C, que les archéologues retrouvent un code réglementant l’activité du méde-cin – exercée le plus souvent par des personnalités religieuses – dans lequel apparaissent ses honoraires et les risques encourus en cas de faute professionnelle. D’autres supports comme des sculptures ou encore des peintures sont retrouvées et témoignent de l’évolution de la disci-pline qui, petit à petit, échappe aux élites religieuses et est récupérée, analysée, comprise et développée par la communauté scientifique de l’époque.

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Les sociologues sont unanimes : à travers les années, l’art se fait le média-teur entre la souffrance et la guérison, la pathologie et l’espoir, la mort et la vie, le partage d’expériences et la transmission de savoirs. L’évolution de la médecine occidentale, le rôle de la médecine arabe, les maladies répan-dues au Moyen-Age, les remèdes pharmaceutiques conçus pour lutter contre les grandes épidémies, la modernisation des instruments utilisés lors des opérations, la redécouverte de l’anatomie, les prémices de la chirurgie, l’invention du microscope, le début de la santé publique via la mise en place d’un réseau de surveillance de l'état sanitaire de la population, le tout premier ouvrage sur les maladies professionnelles rédigé entre 1700 et 1714 par Bernardino Ramazzini qui servira de référence durant plus de deux cents ans, l’invention de l’homéo-pathie, l’apparition de l’anesthésie… Depuis la préhistoire jusqu’à la révolu-tion de la médecine moderne au XIXe siècle, aux quatre coins du globe, l’obsession des chercheurs, scienti-fiques, écrivains, philosophes, artistes et médecins est la même : comprendre l’Homme, son organisme, son fonction-nement, ses limites, ses tolérances ainsi que ses besoins et léguer aux successeurs un héritage de savoir médical solide permettant de toujours faire avancer – et de ne jamais faire reculer – le progrès de cette science très ancienne.

XIXe siècle : l’Homme apprend à se connaître

Les avancées en chimie et en tech-nique de laboratoire permettent à l’Homme de mieux comprendre qui il est. En effet, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, le concept de vie, comme nous le connaissons aujourd’hui, n'existe pas. Seul celui d'être vivant est reconnu. Au XIXe siècle, tout change : une césure, expliquée et prouvée scientifiquement, sépare les corps vivants des corps bruts,

inanimés, morts. C'est la vie qui sépare ces deux ordres de corps, c'est-à-dire une propriété cachée, enfouie au plus profond de l'être, que les humains cherchent désormais à découvrir. Les façons de penser, de vivre, de grandir et les relations qu’un Homme entretient avec son corps et son esprit sont chamboulées. Les approches spiri-tuelles de la médecine perdent en crédibilité. Celles liées à la science se retrouvent dans la dynamique contraire.

Au milieu du XIXe siècle, la commu-nauté scientifique assiste à l'élaboration de la théorie cellulaire. Les physiolo-gistes dévoilent les mêmes consti-tuants chimiques fondamentaux dans tous les organismes. Cette découverte marque un tournant important dans l’histoire de la médecine, un tournant qui est principalement amorcé par des savants français. Claude Bernard, un médecin et physiologiste né à Saint-Julien, dans la région du Rhône, devient le fondateur de la médecine expérimentale en mettant en lumière l'existence d'un milieu intérieur dans les organismes les plus évolués.

Par la suite, Louis Pasteur, scientifique français mondialement reconnu comme étant le pionnier de la micro-biologie (la science des microbes), découvre le rôle des micro-organismes (bactéries, virus et autres parasites) et met un terme définitif à la thèse de la génération spontanée, selon laquelle les germes naissent de la matière inerte. « C’est une chimère, et chaque fois qu’on y a cru, on a été le jouet d’une erreur », affirme-t-il. Plus tard, grâce au microscope, il prouve que les minuscules organismes vivants pro-viennent du milieu environnant et se multiplient lorsqu’ils rencontrent des conditions favorables. Le savant en conclut qu’un milieu nutritif stérilisé par chauffage (« pasteurisé ») ne peut pas fermenter. Approfondies par les travaux de Robert Koch, un médecin allemand connu pour sa découverte de la bacté-rie responsable de la tuberculose qui porte son nom (« bacille de Koch »), les

découvertes de Pasteur permettent de remarquables progrès médicaux : l’apparition de l’antisepsie chirurgicale, la découverte de vaccins et, entre autres, la mise au point des antibiotiques.

La fin du XIXe siècle est marquée par d’autres inventions phares comme, par exemple, l’électrocardiogramme – conçu par le célèbre physiologiste britannique Augustus Désiré Waller en 1887 – ou encore la radiologie – pensée en 1895 par le physicien allemand Wilhelm Conrad von Röntgen.

Parallèlement à cette vague d’innova-tion scientifique, une évolution des mentalités est remarquée dans cer-tains pays du globe. La participation des femmes aux soins médicaux (en dehors des professions de sage-femme, d’assistante et de femme de ménage) est initiée. Dans une profes-sion précédemment dominée par les hommes, ces femmes jouent un rôle clé dans les soins infirmiers en contri-buant activement à réduire la morta-lité des patients due à un manque d'hygiène et à un défaut de nutrition. Elizabeth Blackwell, devient ainsi, en 1849, la première femme diplômée en médecine, après 19 refus, avec les honneurs du jury du Hobart and William Smith College de New York.

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Malgré l’obtention de son diplôme, elle peine à se faire une place dans le milieu professionnel. Face à la presque impossibilité d’exercer libre-ment son métier, elle décide de fonder son propre établissement, le New York Infirmary for Indigent Women and Children, ainsi qu’un collège médical réservé aux femmes qui devient rapidement le centre de formation féminin le plus célèbre du pays, juste après celui de Philadelphie. Au-delà de son incroyable parcours professionnel, Elizabeth Blackwell est aujourd’hui reconnue pour le combat féministe qu’elle a su mener et pour le souffle de modernité qu’elle a insufflé dans une discipline très masculine et conservatrice. « Si la société n’ac-cepte pas le libre épanouissement de la femme, alors cette société doit être remodelée », disait-elle.

XXe siècle : la recherche et l’innovation donnent du galon à la médecine

Transfusion sanguine, électroen-céphalogramme, pacemaker, greffe du cœur ou encore fécondation in vitro, la médecine change plus pen-dant les soixante dernières années du XXe siècle que durant les soixante siècles précédents. En industrialisant les découvertes passées et en trou-vant de nouvelles techniques de laboratoire, les chercheurs augmen-tent la qualité des actions de préven-tion, des traitements et du suivi des patients durant les trois grandes vagues successives qui marqueront l’époque : celle des vaccins et des antibiotiques (1920-1960), celle de l’amélioration des diagnostics grâce aux nouvelles technologies comme par exemple le scanner ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM) (1970-1980), et celle des thérapies géniques permettant de lutter contre les maladies dégénératives comme la maladie de Parkinson (1990-2000).

Les scientifiques s’intéressent aussi aux maux psychiques. Une réelle volonté de venir en aide aux individus souffrant de troubles mentaux se fait ressentir. Dans le domaine de la psychiatrie, en à peine cent ans, nous sommes passés d’une prise en charge par la simple isolation du patient, son enfermement, à un accompagnement médicamenteux des personnes placées en asile avec, entre autres, la découverte des neuro-leptiques et des antidépresseurs. Dans l’esprit des gens, la médecine écrit un nouveau chapitre de son histoire. Elle n’est plus uniquement liée aux souffrances physiques et corporelles mais aussi aux douleurs psychologiques.

Dans tous les domaines de la santé, l'accélération des découvertes scien-tifiques tient essentiellement au développement d'institutions telles que les universités et les centres de recherche publics ou privés. Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats investissent massivement dans la formation, l’innovation et la recherche, les organisations non gouvernemen-tales (ONG) et de nombreuses asso-ciations se mobilisent pour récolter des fonds pour moderniser le secteur, les scientifiques ont plus de moyens, plus d’accès aux informations, plus d’outils – technologiques ou non – à disposition, et ils évoluent dans des infrastructures plus modernes leur permettant de redéfinir les contours de la profession. Conséquence

directe : la médecine se professionna-lise rapidement et les progrès sont visibles, ce qui rassure aussi bien les investisseurs publics et privés que les médecins et les patients. L’heure est au renouveau et dans cette transfor-mation globale, le médecin occupe une place centrale. Il étudie, il pense, il analyse, il sait, il dit, il fait, on l’écoute et on le respecte. Longtemps perçus comme des savants et des sauveurs, les professionnels de santé gagnent leurs lettres de noblesse et acquièrent un prestige nouveau.

Durant le XXe siècle, les conditions de vie s’améliorent. En effet, le dévelop-pement de moyens de transport et de télécommunication rapides donne la possibilité aux médecins d'intervenir toujours plus vite auprès des malades et des blessés. Dans ce contexte, l'espérance de vie des populations augmente fortement sous l'impulsion des Etats qui mettent en place d'am-bitieuses politiques de santé publique et des systèmes de sécurité sociale. La prise en charge des malades est améliorée, et des médicaments antalgiques, visant à soulager la douleur, sont développés. Néanmoins, ces politiques et les traitements médicaux modernes sont très coû-teux. Des écarts de santé importants subsistent entre les pays riches et les pays en voie de développement. La santé se politise chaque année de plus en plus et être en bonne santé a un prix, un prix que tout le monde ne peut pas se permettre de payer.

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Hier et aujourd’hui : le digital absorbe une discipline créée par l’Homme

Plusieurs siècles après les prémices de la médecine, ce secteur et le monde dans lequel nous vivons se sont complétement métamorphosés grâce au numérique. De l’internet des objets à la robotique en passant par la géolocalisation, l’automati-sation des tâches répétitives et l'Intelli-gence Artificielle (IA), chaque jour, l’espace de notre réalité vécue devient plus virtuel. De ce fait, toutes les indus-tries de santé se réinventent en profon-deur, qu’il s’agisse de la chirurgie augmentée, de l’automédication à dis-tance, de la e-santé pour apporter une solution aux problématiques des déserts médicaux, ou encore des solutions connectées pour mesurer son état de forme de manière instantanée et en totale autonomie… Le digital n’est pas une discipline, loin de là, le digital transforme et régénère absolument toutes les disci-plines. D’ailleurs, chaque acteur doit opérer sa « disruption digitale » s’il ne veut pas être dépassé. En 2019, une entreprise, une institution, une organisa-tion, une association, un centre de soins ou un patient déconnecté deviennent rares, très rares, presque isolés du monde interconnecté qui les entoure.

Le XXIe siècle est porteur d’immenses progrès que nous pouvons d’ores et déjà constater. En tête de liste : la découverte du séquençage complet de l'ADN du génome humain en 2003, puis celle du potentiel réparateur des cellules souches. D’autres inventions – réalisées dans la plupart des cas grâce à la complémenta-rité entre l’esprit analytique des Hommes et l’efficacité opérationnelle de la techno-logie – voient le jour : des traitements immunologiques qui détruisent les proté-ines bêta-amyloïdes et les particules Tau responsables de la maladie d’Alzheimer, des électrodes cérébrales qui soignent les troubles obsessionnels compulsifs ainsi que la maladie de Parkinson, de la chirurgie réfractive complètement roboti-sée qui corrige tous les défauts visuels,

2018

2003 Séquençage de l’ADN humain

1975 Premières images IRM

1928 Pénicilline

1770 Premiers vaccins

1895 Radiologie

1887 Electrocardiogramme

1885 Vaccin contre la rage

1620 Premiers microscopes

-1750 Le Code de Hammourabiréglemente l’activité médicale

1985 Premiers robots chirurgiens

2017 Robot 50 fois plus rapide qu’un chirurgien

1714 Premier ouvrage sur les maladies professionnelles

1838 Théorie cellulaire

1860 Développement de la microbiologie

1867 Principes d’antisepsie

1967 Première greffe du cœur

1914 Première transfusion sanguine réussie

1957 Premiers antidépresseurs

1020 Canon de la médecine

Capteurs qui explorent le système digestif

un robot capable d’effectuer des opérations chirurgicales complexes cinquante fois plus rapidement qu’un chirurgien humain, avec plus de précision, un coût moins élevé et un risque d’accident limité, ou encore des capteurs faciles à avaler conçus pour mesurer les gaz intesti-naux et diagnostiquer les maladies du tractus gastro-intestinal et le cancer du côlon.

Aujourd’hui, l’écosystème médical fait face à de nouveaux défis : dévelop-pement de l’innovation digitale, intégration du numérique dans les

parcours de soins et dans les struc-tures internes dites traditionnelles, formation des professionnels aux métiers de santé de demain, pédago-gie auprès de la population afin qu’elle comprenne et saisisse pleine-ment les enjeux Tech du secteur, personnalisation des soins de la part de patients chaque jour un peu plus informés et connectés, levées de fonds pour financer cette transforma-tion globale, et sécurisation des e-solutions pensées pour améliorer les relations patients-patients, patients-professionnels et professionnels-professionnels.

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Demain : quels enjeux pour les industries de santé ?

En octobre 2018, lors de la troisième édition du Big Bang Santé, un événe-ment durant lequel quelque sept cent cinquante spécialistes se sont retrou-vés sur Paris pour partager leur vision d’une médecine dont nous peinons à

suivre les évolutions et les enjeux, sans surprise, les spécialistes évoquent l’importance d’implémenter des technologies de rupture dans le parcours de soins et l’urgence de replacer le bien-être du patient au centre du système de santé. Dans l'étude « Global top health industry issues » menée par PwC, les experts poussent la réflexion et identifient huit

enjeux clés qui vont directement impacter le fonctionnement de la médecine du futur. Ces enjeux tournent essentiellement autour de quatre thématiques phares : dévelop-per une approche « patient-centric », conjuguer les technologies et l’hu-main, transformer les business models et créer de la confiance entre l’Homme et la Tech.

Mettre l’expérience patient au premier plan Les attentes des consommateurs évoluent dans le domaine de la santé, sous l’effet de différents leviers selon les zones géographiques : exigence d’amélioration de l’expérience patient, meilleur accès au soin, plus grande efficacité des traitements, etc. Satisfaire toutes ces attentes dépasse souvent la capacité finan-cière des budgets publics. Pour y répondre plus efficacement, il peut être nécessaire de prioriser les projets qui ont le plus de valeur aux yeux des patients. Une étude menée par l’Institut de Recherche en Santé de PwC a, par exemple, permis d’identifier douze éléments du par-cours de soins qui contribuent de façon déterminante à une expérience globale plus satisfaisante, comme « ne pas avoir à répéter les informa-tions », « obtenir des rendez-vous plus tôt », « recevoir des explications claires quant aux frais rembour-sables » ou encore « être reçu par un personnel plus attentif aux besoins et préférences personnels ». Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC, indique : « la généralisation des dossiers de santé digitaux et parta-gés, le déploiement de plateformes numériques axées sur la prévention, le développement de la téléméde-cine, les applications de surveillance des maladies chroniques, sont autant

de nouveaux outils qui vont per-mettre de réinventer l’expérience des patients tout au long du parcours de soins, en complément, et non en remplacement de l’interaction humaine. »

La Tech rend possible une meilleure observance des traitements, des soins plus accessibles, des actes techniques plus sûrs et une diminution des examens redondants.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Utiliser la technologie pour améliorer l’offre de soins et réduire les coûts faire l’impasse sur le tournant tech-nologique pourrait remettre en cause l’avenir des acteurs du système de soins qui, par conviction ou par manque de moyens, décideront de ne pas moderniser leurs structures et services. Cédric Mazill, associé

responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, indique : « le développement de ces technologies est porteur de nom-breuses promesses : meilleure qua-lité des soins et plus grande valeur perçues par les patients, allégement des contraintes budgétaires, etc. Grâce à des dispositifs médicaux connectés, par exemple, une meil-leure surveillance des pathologiques chroniques, comme le diabète, permet de réduire les hospitalisations et d’améliorer la qualité de vie des patients. C’est un fait : la Tech rend possible une meilleure observance des traitements, des soins plus accessibles, des actes techniques plus sûrs et une diminution des examens redondants, autant d’ap-ports qui contribuent à développer un système de santé plus efficace, plus agile et moins coûteux pour les patients. »

L’IA et la robotique sont l’avenir des soins de santé.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Les 8 enjeux pour les industries de santé de demain

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55 % des patients dans le monde se disent prêts à troquer leur médecin traitant et leurs professionnels de santé contre des robots ou de l’IA.Source : Cabinet PwC

Parier sur l’IA Les nouvelles technologies transfor-ment les pratiques professionnelles, favorisent le partage et l’échange d’informations, simplifient l’accès au soin, le tout, au bénéfice de l’effica-cité globale du système de santé et de la réduction des coûts. Cédric Mazill, déclare : « l’IA est l’une des technologies les plus prometteuses, car elle est caractérisée par une précision sans faille, une rapidité d’exécution inégalable, et une dispo-nibilité sans limites. Elle va, entre autres, favoriser le développement de nouvelles thérapies, améliorer la documentation clinique, aider aux diagnostics, recommander des traitements personnalisés, repérer plus vite l’émergence d’une épidé-mie, simplifier la gestion des assu-rances santé et automatiser des tâches routinières. » Ainsi, l’IA va faire gagner du temps aux professionnels de santé tout en améliorant la qualité des soins pour les patients. L’étude « What doctor? Why AI and robotics will define New Health » réalisée par PwC, montre qu’aujourd’hui, 55 % des patients interrogés dans le monde se disent prêts à troquer leur médecin traitant et leurs profession-nels de santé contre des robots ou de l’IA alors que 38 % d’entre eux réfutent catégoriquement cette évolution. Elisabeth Hachmanian, commente : « parmi les publics prêts à intégrer l’IA dans leur parcours de soins, un clivage se dessine entre ceux des pays développés et ceux des pays émergents. Ceux vivant dans des pays dotés d’un système

de santé mature, bien structuré et, par conséquent probablement moins agile, acceptent majoritairement cette idée, certes, mais dans une moindre mesure que ceux vivant dans les pays émergents, où le système de santé manque d’in-frastructures de base. » Cédric Mazill ajoute : « qu’on le veuille ou non, l’IA et la robotique sont l’avenir des soins de santé. L’ambition ultime est l’ac-cès à des soins de qualité à des tarifs abordables permettant ainsi de garantir une meilleure santé pour tous. Intégrer harmonieusement l’IA et la robotique aux systèmes exis-tants, puis créer de nouveaux modèles de soins basés sur ces technologies, peut entraîner des avantages économiques et sociaux considérables. »

Tracer une direction claire vers la e-santé Les patients sont demandeurs de plus d’autonomie dans la gestion de leur santé, tant dans la prévention que dans le soin. Et ils comptent sur la e-santé pour cela. L’offre de res-sources est abondante, mais insuffi-samment lisible. Les patients ont ainsi parfois du mal à s’y retrouver, comme au moment de choisir parmi les dizaines de milliers d’applications mobiles disponibles. Pour tenir toutes les promesses de la e-santé, les acteurs du secteur (régulateurs et fournisseurs de services) doivent favoriser une meilleure connaissance de l’offre disponible et apporter des preuves de son utilité et de son efficacité afin qu’elle soit pleinement adoptée par le grand public.

Développer la cybersécurité de la e-santé Les renseignements médicaux per-sonnels et les documents de recherche (formules de médica-ments, résultats d’essais cliniques, etc.) que stockent les organismes de santé dans le cloud sont des infor-mations très recherchées par les cybercriminels. Un risque qui menace le fonctionnement même de la e-santé, l’intégrité des données

utilisées, la qualité des soins, la régulation du système de santé ainsi que celle des flux financiers affé-rents. Une chose est sûre : plus une structure investit dans la technologie, plus elle devra investir dans la cyber-sécurité. Des ressources et des stratégies dédiées doivent être mises en place par tous les acteurs concer-nés. L’un ne va pas sans l’autre. Cela suppose, notamment, d’évaluer les menaces, de détecter les points de vulnérabilité, de mettre en place une surveillance active des systèmes, d’élever le niveau d’exigence vis-à-vis des fournisseurs, de sensibiliser le personnel et de coopérer pour accroître la résilience du secteur.

Proposer une valeur augmentée du dispositif médical Les fabricants de dispositifs médi-caux ne se contentent plus de livrer des appareils « bruts ». Ils proposent également des services associés qui facilitent leur utilisation (comme une application digitale de suivi associée à un dispositif d’injection d’insuline pour les diabétiques), améliorent la sécurité des patients, réduisent les risques et intègrent le point de vue de l’utilisateur dès la conception du produit afin de pouvoir le personnali-ser au maximum. Les offres de masse appartiennent au présent. A l’avenir, le sur-mesure sera la norme.

Transformer la prochaine géné-ration d’essais cliniques Les technologies numériques et les approches centrées sur le patient, comme les plateformes dédiées et l’utilisation des dossiers de santé digitalisés, facilitent le recrutement et la fidélisation des participants aux essais cliniques. Ces outils per-mettent également de s’affranchir de certains obstacles géographiques, logistiques et financiers pour la réalisation de ces essais. Les recru-tements gagnent en pertinence et en efficacité avec un impact positif direct sur la qualité des thérapies et des traitements (médicaments et dispositifs médicaux) qui en sont issus.

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Tenir compte des déterminants sociaux de la santé Les maladies chroniques sont coûteuses, tant pour les systèmes de santé que pour les individus, dont elles affectent la qualité de vie. C’est pourquoi la prévention est une préoccupation grandis-sante des acteurs du secteur, avec pour objectif de donner à chacun les moyens et les outils néces-saires pour prendre en charge leur bien-être. Elisabeth Hachmanian commente : « les stratégies de prévention doivent tenir compte des déterminants sociaux tels que l'environnement, l’éducation, le revenu, la nutrition et le logement qui ont tous une incidence sur les résultats en matière de santé. Des modalités d’interventions et des prises en charge ciblées des popu-lations concernées sont à élaborer et à déployer. »

8« Le basculement vers la société numé-rique ouvre la voie à de multiples sources d'innovations utiles au système de santé. Il faut s'en saisir rapidement et mettre le progrès au bénéfice, avant tout, du patient et de l'usager et non uniquement au service de la rationalisa-tion », indique Jean-Marie Le Guen, ancien secrétaire d'Etat de François Hollande et conseiller de Paris. Elisabeth Hachmanian ajoute : « la technologie permet d’opérer une trans-formation profonde des systèmes de santé, certes, mais cette révolution sectorielle doit avant tout être menée par l’Homme. Ne l’oublions pas : la Tech n’est qu’un outil, l’humain, lui, est un moteur. »

L’heure tourne et le progrès n’attend pas. Chaque nation effectue la moder-nisation de son système de santé en profondeur. En France, le 19 novembre 2018, Agnès Buzyn, ministre française des Solidarités et de la Santé, lance officiellement le plan « Ma santé 2022 »,

un plan visant à lutter contre les multi-ples inégalités auxquelles peuvent être confrontés les patients et les profes-sionnels du secteur. Cette stratégie nationale vise à apporter des solutions concrètes autour de cinq piliers du système français : la qualité des soins et la pertinence des actes, les modes de financement, le virage numérique du système de santé, les ressources humaines et la formation des profes-sionnels, et l’organisation territoriale des soins. Pour le gouvernement, le changement, c’est maintenant. Pour les bénéficiaires directs et indirects de cette stratégie étatique, l’heure du changement n’est pas encore claire-ment définie. De nombreux experts déplorent le fait que ce plan ne tienne compte ni des enjeux ni des besoins des Français. Entre discours politique et réalité du terrain, un gouffre se creuse. Le dialogue se tend. La com-munauté scientifique gronde. Et elle se fait entendre. ■

Contacts

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Elisabeth Hachmanian Associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée [email protected]

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10 - Santé, un secteur en profonde mutation

Système de santé français : un modèle trop inégalitaire pour perdurer ?

Le droit et l’accès aux soins, tels que reconnus après la seconde guerre mondiale, impliquent de garantir à toutes et à tous un accès égalitaire à la médecine, sans aucune forme de discrimination. La mise en œuvre de ce droit se révèle de plus en plus difficile. Les nombreuses inégalités socioéconomiques et territoriales qui ont vu le jour au fil du temps ainsi que la forte pression pour contrôler l’accroissement et le coût des soins pourraient bien, à terme, remettre en cause le principe sur lequel repose notre système de santé.

Depuis plusieurs années, la France connaît des mutations sociétales et économiques qui mettent le système de soins sous pression et modifient radicale-ment le mode de délivrance et de finance-ment de la santé. Au fur et à mesure que le temps passe, les problématiques s’accumulent : augmentation de la demande de soins sous le double effet du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques ; niveau élevé des dépenses de santé qui pose la question de la soutenabilité finan-cière de notre modèle actuel ; cloisonne-ment entre la médecine de ville et l’hôpital, les secteurs sanitaire, médico-social et social et la mise en place effective d’une médecine de parcours ; complexité du système de santé et de l’organisation des soins où se juxtaposent des offres et dispositifs insuffisamment compréhen-sibles pour les patients (voire même pour les différents institutionnels concernés).

A tous ces défis s’ajoute l’abondance d’informations, parfois contradictoires, diffusées par des publics experts et non experts, qui brouillent la compréhension de sujets autrefois transparents.

Benoît Caussignac, directeur Consulting Santé publique et privée chez PwC, commente : « l’explosion de l’information disponible sur Internet, le plus souvent non structurée et non vérifiée, favorise l’incompréhension des patients quant à l’offre médicale qui leur est proposée. Les opinions en ligne se croisent, les diagnos-tics diffèrent, les actions à mener se contredisent et certains internautes – suivis et écoutés par des audiences grandissantes – s’improvisent profession-nels de santé. Dans ce contexte, il est important de remettre l’église au milieu du village : même si de plus en plus de patients utilisent les nouvelles technolo-gies pour s’informer – en amont et en aval

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des phases de soins – et pour s’impli-quer davantage de manière auto-nome dans la gestion de leur santé, seul un vrai spécialiste est capable de leur proposer un diagnostic et un traitement adaptés. » Il ajoute : « les médecins doivent faire valoir leur savoir-faire et surtout, ils se doivent de prendre le temps d’expliquer les actions qu’ils mènent. Une opération efficace ne relève pas seulement de l’exécution pure et simple d’un acte médical ou médico-technique, mais aussi de la capacité à rassurer, à accompagner et à faire comprendre aux patients le pourquoi et les consé-quences de l’intervention. »

Les Français font-ils confiance à leur médecin ?

En dépit des inquiétudes concernant le fonctionnement de leur système de santé, les Français accordent une forte confiance au corps médical. Même si Internet et l’essor des objets connectés chamboulent le rôle du patient dans son parcours de soin, d’une condition passive à une posi-tion active, la population reste lucide quant à la nécessité de faire appel à un professionnel lorsque cela est jugé nécessaire.

92 % des Français estiment que leur médecin est « compétent, à l’écoute, empathique et très humain. Source : BVA

Selon un récent sondage de BVA, 92 % des personnes interrogées estiment que leur médecin est « compétent, à l’écoute, empathique et très humain ». Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée

chez PwC, commente : « ce score important est étroitement lié au bon niveau d’expertise, à l’efficacité, à l’attention, à la disponibilité et à l’humanisation des services accordés aux patients. » Elle ajoute : « bien que le système de santé soit largement critiqué, les Français ne tiennent pas le corps médical pour responsable des failles du modèle mis en place. Bien au contraire, toutes les études récentes démontrent qu’ils dissocient facile-ment les soignants du système. Les premiers avancent, le second boite, agace et frustre une grande partie de la population. »

Un patient n’est pas un cobaye. Un médecin n’est pas un robot. Les qualités humaines et la confiance réciproque jouent un rôle essentiel dans la relation médecin-patient.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

Autres chiffres à l’appui : d’après le dernier baromètre de Groupe Pasteur Mutualité, les cotes de confiance, une notion clé dans le secteur de la santé, attribuées à chaque profession médicale atteignent des seuils très élevés. Les infirmiers arrivent ainsi en tête du classement – 93 % des Français leur font confiance – suivis des médecins, généralistes et spécia-listes, et des pharmaciens – qui enregistrent un indice de confiance de 91 %. « Un patient n’est pas un cobaye. Un médecin n’est pas un robot. Les qualités humaines et la confiance réciproque jouent un rôle essentiel dans la relation

93 % des Français déclarent faire confiance aux infirmiers, 91 % aux médecins généralistes et spécialistes et 91 % aux pharmaciens. Source : Groupe Pasteur Mutualité

En 2018, près d’1/3 des Français ont cherché un nouveau médecin après une consultation mal-vécue. Source : BVA

médecin-patient. Elles sont très souvent associées à une augmenta-tion de la qualité de la prise en charge, de l'observance du traitement et de la continuité des soins », indique Elisabeth Hachmanian. Martin Winckler, médecin, romancier et essayiste, ajoute : « la relation avec le soignant doit être une relation – pour la simplifier au maximum – dans laquelle le patient se sent mieux en sortant du bureau de son médecin qu'en y entrant. Même s'il n'est pas moins malade, il doit se sentir ras-suré : soulagé d'avoir été entendu, d'avoir pu poser ses questions, de ne plus se sentir seul face à la maladie.

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12 - Santé, un secteur en profonde mutation

Le discours du médecin ne doit pas être offensif, agressif ou discrimi-nant (…) Par exemple, lorsqu’une femme dit : « docteur, depuis que je prends la pilule, je n’ai plus de libido.» Si le médecin répond "allons, c’est dans votre tête", c’est du paternalisme maltraitant ! » Ainsi, en 2018, près d’un tiers des Français ont cherché un nouveau médecin après une consulta-tion mal-vécue1.

Accessibilité aux soins : le talon d’Achille du système français

Selon l'indice d'accessibilité poten-tielle localisée (APL) conçu par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la Santé, dans précisément 11 329 communes de l’Hexagone – soit une commune sur trois – chaque habitant bénéficie de moins de 2,5 consultations médi-cales par an. Ces zones ont un nom : les déserts médicaux. Cédric Mazill, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, commente : « au total, 8,1 millions de Français sont concer-nés par ce phénomène, la faute, principalement, à un nombre de médecins généralistes libéraux en diminution constante depuis neuf ans. De plus en plus de professionnels s’installent dans les grandes métro-poles et leurs alentours, là où la demande est importante. Problème : en agissant de la sorte, certaines communes se retrouvent coupées du monde. A ce jour, hélas, trop peu d’alternatives convaincantes sont proposées pour palier à cette déserti-fication. »

Si la ruralité souffre du manque de soignants, certaines villes et leurs périphéries, elles non plus, ne sont pas épargnées. En effet, les zones à forte densité de population dite défa-vorisée voient le nombre de structures de santé de proximité diminuer. Les médecins libéraux, eux aussi, fuient

Dans 1 commune française sur 3, chaque habitant bénéficie de moins de 2,5 consultations médicales disponibles par an. Source : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

ces endroits où les conditions de vie difficiles conjuguées à l’exclusion sociale génèrent frustration et vio-lence dont les services de santé sont régulièrement victimes. Le renouvelle-ment des médecins âgés dans ces quartiers pose problème et beaucoup partent en retraite sans être rempla-cés, les jeunes médecins ne souhai-tant pas s’y installer. Les causes de ce manque d’envie sont nombreuses : environnement déplaisant et peu valorisant, insécurité réelle, dossiers administratifs lourds à gérer, confron-tation à une misère sociale et écono-mique que la médecine ne peut pas traiter.

Beaucoup de jeunes renoncent aux soins à cause des difficultés à obtenir un rendez-vous ou par manque d’argent (…) Si le système mis en place se dit universel, alors il doit vraiment l’être pour tous les citoyens.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Cédric Mazill indique : « la jeunesse des quartiers les plus défavorisés souffre d’accès difficile aux soins. Ne l’oublions pas : être en bonne santé, ici ou ailleurs, est une chance qui n’est pas donnée à tout le monde. » Il pour-suit : « selon un rapport de la Mutualité Française, l'obésité et la santé dentaire sont les deux indicateurs qui montrent le plus de disparités entre les jeunes des cités et ceux des autres quartiers. Cette même étude souligne le fait qu’une grande partie des Français les plus modestes ont du mal à franchir le seuil d'un cabinet médical. Ils s’y rendent seulement lorsqu’ils sont vraiment malades or sans suivi régulier, les problèmes de santé ne sont pas détectés à temps et ils peuvent s’ag-graver rapidement. Malheureusement, aujourd’hui encore, trop de jeunes renoncent aux soins à cause des difficultés à obtenir un rendez-vous ou par manque d’argent (…) Si le système mis en place se dit universel, alors il doit vraiment l’être pour tous les citoyens. Acteurs publics et privés, nous devons accepter nos responsabi-lités respectives et agir vite pour venir en aide à ces populations mises de côté depuis trop longtemps. »

Renaud Vignon, directeur Consulting Santé et protection sociale chez PwC, ajoute : « la difficulté d’accès aux soins n’est toutefois pas qu’une question géographique. Elle peut également être liée à la bonne connaissance du sys-tème de santé que peuvent avoir (ou pas) les assurés et aux contraintes financières auxquelles ils sont confron-tés. Malgré la progression continue de la couverture des dépenses de santé par l’Assurance maladie et la mise en œuvre d'actions concrètes destinées à limiter les situations de non recours, d’incompréhensions, ou de ruptures dans le parcours de soins (couverture maladie universelle complémentaire, accès à la complémentaire santé, indemnités maladie et invalidité, frais de santé), une partie de la population, notamment les jeunes, n'accède pas pleinement à leurs droits et aux soins dont ils ont besoin. »

1. Sondage BVA, 2019.

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L’Etat tente de rassurer le peupleAujourd'hui, les médecins généralistes libéraux ou mixtes sont 8 % de moins qu'en 2009, à en croire les données de la DREES, « une baisse qui pourrait se poursuivre jusqu'en 2025 », selon les experts. Il y a en effet de quoi être inquiet alors que l’on sait que 47 % des médecins généralistes inscrits à l’ordre des médecins en 2017 ont plus de soixante ans. Des questions de première importance se posent : qui remplacera ces professionnels une fois partis à la retraite ? Et si personne ne se présente avant le départ de ces médecins expérimentés, qu’advien-dra-t-il des communes qui ont tou-jours éprouvé de grosses difficultés à trouver et à garder des talents quali-fiés ? Du nord au sud, de l’est à l’ouest, ces inquiétudes concernent de très nombreuses régions françaises.

Si « les disparités départementales de peuplement médical sont aujourd’hui d’un niveau semblable à celui des années 1980 », informait la DREES dans un document publié l'année dernière, le ministère de la Santé tient toutefois à nuancer ces observations chiffrées : « les inégalités d’accès aux médecins généralistes, selon le dépar-tement où l'on réside, sont à l’heure actuelle d’une ampleur limitée. En effet, 98 % de la population réside à

98 % de la population française réside à moins de 10 minutes de route d’un médecin généraliste et 84 % à moins de 30 minutes d’un service dédié aux urgences. Source : Ministère de la Santé

Mise en place des communautés professionnelles territoriales de santéDéploiement de 400 médecins généralistes dans les territoires prioritairesCréation des assistants médicauxLabellisation des hôpitaux de proximitéRéforme du 1er et du 2ème cyclesdes études médicales

1.

2.

3.4.5.

Les 5 actions prioritaires

moins de dix minutes de route d’un médecin généraliste et 84 % à moins de trente minutes d’un service dédié aux urgences ».

Le plan « Ma Santé 2022 »Pour tenter d'améliorer cette situa-tion, le plan « Ma Santé 2022 », porté par le Président de la République Emmanuel Macron en fin d’année 2018, prévoit de former davantage de professionnels de santé qui, poten-tiellement, pourraient exercer leur profession dans les zones les plus isolées du pays.

Concrètement, le gouvernement souhaite supprimer le numerus clau-sus qui définit le nombre d'étudiants

admis en seconde année d'étude de médecine. A la place, un « mode de sélection rénové », dont les contours doivent encore être précisés, verra le jour. Plus d’entrées, plus de forma-tions, plus de sorties… Et plus de débouchés ! Car en plus de cette manœuvre qui devrait être effective dans trois ans, l’Etat projette de recruter près de 4 000 assistants médicaux pour « dégager du temps aux médecins », le but étant de leur permettre de pouvoir accueillir plus de patients et dans de meilleures conditions. « Un assistant dans un cabinet regroupant trois à quatre médecins permettra de dégager un temps équivalent à un médecin en plus », indique le document de pré-sentation du plan Santé.

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14 - Santé, un secteur en profonde mutation

Les cinq chantiers du plan « Ma Santé 2022 »

Qualité des soins & pertinence des actes

Organisation territoriale

Modes de financement et de régulation

Ressources humaines et formation

Virage numérique

1

2

3

4

5

Enfin, le gouvernement encou-rage également les médecins à s'organiser, à l'avenir, en « com-munautés professionnelles territoriales de santé », pour mieux se répartir le travail dans les déserts médicaux.

Le plan du gouvernement envi-sage aussi une nouvelle vague de rationalisation de l’offre médicale dans les territoires, au grand dam des professionnels de santé. Il sous-entend que les petits hôpi-taux – où l’activité est faible – ne sont pas en mesure de proposer des services de qualité. Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français, se réjouit de cette promesse faite par l’Etat. Il indique : « il est très difficile en maternité, par exemple, de maintenir une équipe de gyné-co-obstétriciens et de pédiatres lorsqu'il y a une faible activité. La qualité n'est pas toujours au rendez-vous, parce qu'on ne fait bien que ce que l’on fait sou-vent. » Dans ce contexte, près de 600 établissements sont concer-nés par une possible réorienta-tion de leur activité et pourraient ainsi voir des services comme la chirurgie ou la maternité migrer vers de plus gros hôpitaux. Certains professionnels comme Hélène Derrien, présidente de la Coordination des comités de défense des hôpitaux et materni-tés de proximité, doutent du bien-fondé de cette rationalisa-tion et craignent une désertifica-tion accrue dans les zones déjà en souffrance. Elle déclare : « en fermant des maternités de niveau 1 parfaitement capables

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de faire accoucher des femmes, on va faire affluer les patientes dans des maternités de niveau 2 ou 3, qui traitent habituellement des problématiques plus complexes. Ces établissements n'auront sans doute pas davantage de moyens qu'aujourd'hui. Le vrai risque de mise en danger des patientes est là. »

Des solutions concrètes sont censées être apportées via les cinq chantiers définis par le plan gouvernemental « Ma Santé 2022 » : qualité des soins

et pertinence des actes, organisation territoriale, modes de financement et de régulation, ressources humaines et formation, et virage numérique. Si toutes les solutions ne sont pas critiquées, beaucoup sont jugées insuffisantes tant par les soignants que par les patients. Si tous font une évaluation plus ou moins semblable des problèmes à surmonter, il semble que l’appréciation des solu-tions faite par l’Etat n’est pas la même que celle faite par les professionnels et les citoyens. ■

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Burn-out : les soignants ont besoin d’être soignés

Objectifs élevés à atteindre, timings serrés, stress constant, horaires à rallonge, équipes en sous-effectif, difficultés financières, bon équilibre entre vie privée et vie professionnelle compliqué à établir, plaintes des patients, perte de sens et déshumanisation de la profession… Selon une récente étude du cabinet Technologia, près de 3,2 millions de Français seraient en risque élevé de burn-out. De nombreux dirigeants ont d'ores et déjà tiré la sonnette d'alarme mais qui est encore en capacité de les entendre ?

Démotivation permanente, irritabilité marquée, colères spontanées, sentiment de frustration, envie d’isolement, difficulté à se concentrer, perte de confiance en soi… Les symptômes annonçant un épuisement émotionnel – plus communément appelé burn-out – sont nombreux et varient d’une personne à une autre mais une chose est sûre : chaque individu a un seuil de tolérance qu’il ne peut pas dépasser sans craquer psy-chologiquement et, parfois, physiquement aussi.

A l’heure où le terme burn-out est utilisé à tout-va dans nos sociétés modernes sous tension, un rappel rapide de ce que signifie réellement ce concept est nécessaire.

Ce phénomène correspond à « un état de fatigue intense et de grande détresse causé par le stress au travail ». Si depuis deux décennies cette théma-tique anime de nombreux débats liés à la santé des

collaborateurs, elle n’est pourtant pas nouvelle pour la communauté scientifique. En effet, le psychiatre français Claude Veill l’évoquait pour la première fois dans l’histoire de la médecine en 1959. Il écri-vait alors dans un article médical : « l’état d’épuisement est le fruit de la rencontre d’un individu et d’une situation. L’un et l’autre sont complexes, et l’on doit se garder des simplifications abusives. Ce n’est pas simplement la faute à telle ou telle condition de milieu, pas plus que ce

n’est la faute du sujet. Tout se passe comme à la banque : tant qu’il y a une provision, les chèques sont honorés sans difficulté, quel que soit leur montant. Mais dès qu’on se trouve à découvert, le tirage, si petit soit-il, devient impossible ». A l’époque, cette analyse innovante fait mouche un temps avant de se perdre dans l’oubli.

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La paternité de l’expression burn-out professionnel revient finalement à Herbert Freudenberger, un scientifique allemand établi à New York qui, en 1971, décrit la perte d’enthousiasme de bénévoles consacrant leur temps à aider des consommateurs de drogues dures. Ces jeunes bénévoles travail-laient dans des « free clinics » pour toxicomanes et finissaient par se décourager, manifestant des troubles émotionnels comme des crises d’an-goisse et des symptômes physiques d’épuisement tels que des vertiges, des vomissements et des endormisse-ments soudains. « En tant que psy-chanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la ten-sion produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’inté-rieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte », écrit-il dans son célèbre ouvrage intitulé « L'épuisement professionnel : La brûlure interne ».

La popularisation du concept naît cinq ans après la parution du livre. En 1976, les deux psychologues Christina Maslach et Susan Jackson s’appuient sur deux cents interviews de profes-sionnels pour définir trois catégories qui, aujourd’hui encore, sont des références majeures dans la définition même du burn-out : l'épuisement émotionnel, à la fois psychique et physique de l’individu (1), la déperson-nalisation, ou cynisme, qui se traduit par un retrait et une indifférence vis-à-vis du travail (2), et le sentiment de perte de l'accomplissement per-sonnel, qui conduit à la dévalorisation de soi (3). En 1981, elles publient un ouvrage accompagné d'une méthode de mesure : le Maslach Burnout Inventory (MIB). En s'appuyant sur les trois catégories déjà identifiées, elles créent un test, en vingt-deux ques-tions, qui permet de mesurer le syn-drome d’épuisement professionnel.

D'abord destiné aux professions de soin à la personne, une seconde version est développée pour les enseignants et éducateurs, avant qu'une troisième version, en 1996, ne voit le jour pour la population générale.

Craquage émotionnel : un mal-être non-reconnu dans l’Hexagone

En France, on ne commence à parler sérieusement de burn-out qu’à partir de 2006, après la vague de suicides qui touche France Telecom. On s'inté-resse alors un peu plus précisément à la question des risques psychosociaux liés à l'environnement professionnel, jusqu'à la signature d'un accord sur la prévention du stress au travail en 2008, qui reconnaît la responsabilité possible de l'employeur dans les maux d'ordre psychologique.

Si les chercheurs éprouvent tant de mal à décrire l’ampleur réelle de l’épuisement professionnel (…) c’est parce que les données factuelles sur ce phénomène sont, à ce jour, très insuffisantes.

Valérie Vezinhet, directrice des ressources humaines chez PwC

D'après l'Agence européenne de sécurité et santé au travail, l’Hexagone enregistre un sérieux retard dans ce domaine de prévention. Ce n'est d'ailleurs pas le ministère de la Santé publique ou l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) qui se sont emparés de la problématique de l'épuisement profes-sionnel, mais le ministère du Travail.

52 % des Français se disent anxieux au travail, 29 % présentent un niveau dépressif assez élevé et 6 % estiment être en dépression. Source : Cabinet Stimulus

42 % des professionnels de santé français se disent stressés par le travail. Source : Cabinet Stimulus

Il faut attendre 2015 pour que la loi Rebsamen sur le dialogue social n'ajoute les pathologies psycholo-giques aux maladies ayant une origine professionnelle. Valérie Vezinhet, directrice des ressources humaines chez PwC, commente : « si les cher-cheurs éprouvent tant de mal à décrire l’ampleur réelle de l’épuisement pro-fessionnel, à l’échelle nationale comme internationale, c’est parce que les données factuelles sur ce phéno-mène sont, à ce jour, très insuffi-santes. » En cause, les instruments de mesure existants, au premier rang desquels le questionnaire de Maslach, ne sont pas des outils de diagnostics scientifiquement établis et fiables.

La grande majorité des études d’opi-nion – basées sur des données sou-vent plus subjectives qu’objectives – indiquent que le mal-être en entre-prise est chaque année de plus en plus présent. D’après Stimulus, un cabinet de conseil en entreprise spécialisé dans le bien-être, 52 % des Français se disent anxieux au travail, 29 % présentent un niveau dépressif assez élevé et 6 % estiment être en dépression. C’est dans le secteur de la

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santé (42 % des actifs), du spectacle (31 %) et des services (29 %) que les professionnels interrogés se disent le plus stressés.

Un secteur sous haute-tension : près d’un médecin sur deux souffre d’hyperstressSi, selon Stimulus, environ un salarié français sur quatre – tous secteurs confondus – souffre d'hyperstress, une compilation de trente-sept études scientifiques menées dans différents hôpitaux entre 2000 et 2017 par l’Assis-tance publique-Hôpitaux de Marseille, démontre que dans le secteur de la santé, près d’un collaborateur sur deux souffre de burn-out. En tête de classe-ment des professionnels qui se sentent le plus fréquemment sous forte pres-sion : les urgentistes et les jeunes médecins.

Concernant les urgentistes, Guillaume Fond, psychiatre à l’hôpital La Conception, explique : « les troubles du rythme provoqués par la répétition des gardes de nuit, l’alternance de périodes calmes et des coups de chaud, ainsi que l’exposition à des situations de violence et de grande détresse sociale contribuent à expliquer leur fragilité. »

68 % des médecins indiquent que leur dernier pic de stress a été provoqué par un incident avec un patient. Source : Assistance publique-Hôpitaux de Marseille

Cédric Mazill, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, ajoute : « le temps passé, de plus en plus impor-tant et très souvent dans des situa-tions urgentes, à chercher des lits dans les services d’aval pour les patients alimente aussi une frustra-tion. Exercer une profession dont l’aboutissement de la mission ne dépend pas de soi peut générer du stress supplémentaire que tout le monde n’est pas en capacité de gérer. »

Pour les jeunes médecins, plus que de la frustration, l’ensemble des études montre que la dévalorisation de leur travail est le facteur qui les affecte généralement le plus. En effet, ces professionnels qui, très souvent, sont les derniers arrivés dans les services se voient confier les « tâches les plus

ingrates » et « les patients les plus difficiles ». Le poids de la hiérarchie prime dans un secteur où, dans cer-taines structures dites traditionnelles, le management vertical est encore d’ac-tualité. « Internes ou médecins assis-tants, les nouveaux arrivés sont statistiquement astreints à des gardes plus fréquentes que leurs confrères qui bénéficient d’une séniorité plus impor-tante », constate Cédric Mazill. Guillaume Fond complète : « moins expérimentés, ils sont en général plus stressés et dans l’incapacité de refuser les tâches qui leur sont confiées. »

Face à un patient fébrile, un professionnel de santé qui sait écouter, rassurer et faire preuve d’intelligence émotionnelle doit être la norme en 2019.

Valérie Vezinhet, directrice des ressources humaines chez PwC

De manière plus générale, pour Didier Truchot, un psychologue qui réalise des recherches sur le burn-out en France depuis le début des années 2000, la relation entre les profession-nels et les patients est le « principal générateur de stress » pour les méde-cins. De fait, lorsqu’on leur demande quelle est leur dernière situation stressante vécue, 68 % font référence à un accrochage avec un patient. Didier Truchot commente : « les méde-cins ne sont pas préparés à avoir des relations compliquées avec des patients pouvant parfois être agres-sifs, non observants, trop exigeants, et qui arrivent en ayant fait leur propre diagnostic », la faute à leur cursus de formation d’après lui. Valérie Vezinhet explique : « durant leurs études, l’accent est principalement mis sur le savoir-faire mais très peu sur les

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compétences comportementales, relationnelles, émotionnelles et humaines – plus communément appelées soft skills – qui sont pour-tant critiques dans l'exercice de leurs métiers, et seront de plus en plus recherchées par les employeurs. Face à un patient fébrile, un profes-sionnel de santé qui sait écouter, rassurer et faire preuve d’intelligence émotionnelle devrait être la norme en 2019 (…) Ce sera de plus en plus essentiel alors que certaines compé-tences techniques deviennent roboti-sables et que déjà certains diagnostics sont plus précis via un robot que via le professionnel de santé. L’enseignement de ces com-pétences transversales est donc un enjeu de taille pour tout acteur aca-démique aspirant à préparer les talents aux défis professionnels qu’ils rencontreront dans leurs missions de demain. »

Offrir aux Français une « expérience patient » humaine et de qualité est un « must ». Mais ne l’oublions pas : prendre soin des soignants l’est aussi ! Avec un taux de burn-out deux fois plus élevé dans les profes-sions de santé que dans les autres métiers, il est clair que « le système médical national, présenté à juste titre comme l’un des plus perfor-mants pour les patients, ne protège pas suffisamment les médecins », alertent plusieurs experts dans le rapport de synthèse réalisé par l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille. Face à ce constat préoc-cupant, l’Ordre des médecins, la Caisse autonome de retraite de la profession (CARMF) et le Centre national de gestion se sont saisis du dossier et ont récemment mis en place un numéro d'appel gratuit pour que les professionnels de santé épuisés puissent se confier…

Une réponse que certains experts jugent comme étant totalement disproportionnée par rapport à la gravité de la situation et qui ne fait qu’aggraver le sentiment de dévalori-sation ainsi que le manque de consi-dération général qui plane au-dessus d’un secteur au bord de l’implosion. Madeleine Lhote, médecin généra-liste, témoigne : « je ne compte plus les collègues qui ont craqué ou qui sont sur le point de craquer. A l’hôpi-tal, c’est pareil, les spécialistes sont débordés, on manque de personnel soignant. On tient parce qu’il faut tenir, mais à quel prix ! Face à cette situation, on a quand même un silence assourdissant des autorités qui semblent ne pas prendre la mesure des problèmes et qui ne nous écoutent pas.»

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A chaque médecin qui craque, c’est plusieurs patients qui s’écroulent

« L’année dernière, ma mère, très malade, ne pouvant plus se déplacer, son médecin traitant effectuait régu-lièrement des visites à domicile. Et un jour, alors que mon père, qui a 88 ans, l’appelait pour lui demander de passer, il s’est mis à fulminer et lui a raccroché au nez en refusant de venir », confie Catherine au journal Le Figaro, une citoyenne parmi tant d’autres qui a décidé de rendre public son témoignage. Ses parents, très troublés, ont appris par la suite que d’autres patients se sont, eux aussi, plaints du comportement du médecin. « Un docteur qui "pète un cable", c’est pour le moins perturbant voire inquiétant », indique-t-elle.

Si pour les parents de Catherine cela n’a pas eu de conséquences impor-tantes, ce n’est hélas pas toujours le cas. En effet, l’épuisement profes-sionnel, outre le risque qu’il fait courir aux médecins (leur taux de suicide est 2,3 fois plus élevé que dans la population générale), peut aussi mettre le patient en péril. Une ana-lyse de plusieurs études publiée dans le Journal of the American Medical Association conclut qu’un médecin en burn-out a deux fois plus de chance de mettre en danger son patient. Cela peut être lié à une erreur de diagnostic ou thérapeu-tique ou encore à des effets indési-rables liés aux soins ou aux médicaments. Toujours selon cette analyse, le burn-out des médecins entraîne deux fois plus souvent des soins de mauvaise qualité, par manque de professionnalisme. Le médecin surmené va notamment se montrer moins empathique, ne pas suivre les recommandations de bonne pratique ou ne pas donner d’informations aux patients.

Bien-être des collaborateurs : un défi humain au service de l’économie de l’entreprise

Sans être aussi grave, la situation dans les entreprises est préoccu-pante. Un collaborateur qui n’est pas au meilleur de sa forme peut-il conti-nuellement être performant sur son lieu de travail ? Les experts sont unanimes : la réponse est non. Benjamin Ribault, associé People chez PwC, indique : « les consé-quences du mal-être au travail sont aussi nombreuses que les causes qui les entraînent. Et le premier à payer les frais de cette démotivation per-sonnelle est le collectif. »

Les collaborateurs heureux au travail sont 6 fois moins absents, 9 fois plus loyaux et 31 fois plus productifs que ceux qui sont malheureux. Source : Massachusetts Institute of Technology

D’après une enquête menée par Malakoff-Médéric, 90 % des diri-geants et de leurs salariés sont d’ac-cord pour affirmer qu’être en bonne santé physique et psychologique contribue à améliorer la performance de l’entreprise. Problème : 85 % des dirigeants affirment que leur structure a mis en place des actions pour développer la sensation de bien-être des collaborateurs sur leur lieu de travail mais seulement 35 % des salariés pensent la même chose. Benjamin Ribault réagit : « entre promesses et réalité quotidienne, il existe parfois un décalage que toute entreprise doit combler si elle veut

être cohérente avec la vision et les valeurs qu’elle promeut en interne (…)Au-delà des enjeux humains, sani-taires et sociaux concernés par le développement du bien-être en entreprise, l’épanouissement des salariés a un impact direct sur la performance de l’organisation. Selon une étude du Massachusetts Institute of Technology (MIT), les collabora-teurs satisfaits de leurs conditions de vie au travail sont statistiquement six fois moins absents, neuf fois plus loyaux et trente-et-une fois plus productifs que ceux qui ne sont pas heureux de retrouver leur poste chaque matin. Investir sur l’épanouis-sement des collaboratrices et des collaborateurs, c’est miser sur leur capacité à donner le meilleur d’eux-mêmes dans l’environnement profes-sionnel qui est le leur. »

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20 - Santé, un secteur en profonde mutation

Qualité de l’air extérieur et intérieur

Accès à la crèche

Conciergerie à disposition

Bureau situé près de fenêtres | Accès aux transports en commun | Vue sur l’extérieur | Ecran d’ordinateur de taille appropriée | Moyen de lutter contrel’éblouissement du soleil | Plan de travail de dimension suffisante

Stationnement sur le site

Niveau de prise en compte du critère

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Vélos en prêt

Espaces verts à l’intérieur des bureaux

Accès à des douches et des vestiaires

Décoration agréable

Espaces verts sur site

Infrastructures sportives et culturelles

Espaces de promenade et de détente à l’extérieur

Restauration avec produits sains et respectueux de l’environnement

Réglage du poste de travail

Espace de travail collectif

Réglage de la température

Espace de travail à distance raisonnable des ascenseurs, escaliers, toilettes

Eclairage artificiel suffisant, homogène, proche du naturel

Hauteur sous plafond suffisante

Suffisamment de lumière naturelle dans les espaces

Espace de travail calme

Source : Observatoire de l’immobilier durable, 2018

Critères de bien-être au travailselon les collaborateurs

Management horizontal, considération et espace de travail : le tiercé gagnant du bonheur

Le bien-être ne s’invente pas, il se crée ! Et cela commence par moderni-ser le pilotage des centres de soins et de son management. « Aujourd’hui, ces structures sont marquées par de profondes rigidités d’organisation », indique le Ministère des Solidarités de la Santé dans un communiqué. Frédéric Petitbon, associé People & Organisation chez PwC, commente : « casser la rigidité de la hiérarchie traditionnelle qui perdure, de manière générale, dans le secteur de la santé, est un passage obligé pour se munir d’une approche renouvelée de la gestion des ressources humaines et de la reconnaissance professionnelle. »

Considération, échange, transpa-rence, travail en équipe, multidisciplina-rité, agilité et confiance sont autant de concepts qui doivent caractériser, dans les faits, l’environnement de travail des profes-sionnels de santé.

Frédéric Petitbon, associé People & Organisation chez PwC

Il ajoute : « ces rigidités s'appuient sur la structuration des métiers, des identi-tés professionnelles. Les hiérarchies – administratives mais aussi et surtout médicales et des professionnels de soins – ont un rôle important à jouer ici. De la même manière qu'il faut s'efforcer de mettre le patient au cœur des processus dans une logique de client bénéficiaire, il faut aussi écouter les équipes, valoriser leur travail et intégrer "l'expérience collaborateur" dans la culture de l’organisation. Cela passe par un dialogue continu dans les services, entre les services et avec les hiérarchies (…) Considération, échange, transparence, travail en équipe, multidisciplinarité, agilité et confiance sont autant de concepts qui doivent caractériser, dans les faits, l’environnement de travail des profes-sionnels de santé. »

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Contacts

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Frédéric Petitbon Associé People & Organisation [email protected]

Benjamin Ribault Associé People [email protected]

Valérie Vezinhet Directrice des ressources humaines [email protected]

En France, l'ensemble de l'activité lié au bien-être représente un chiffre d’affaires de 38 milliards d’euros. Source : Institut national de la statistique et des études économiques

L’espace de travail contribue grande-ment, lui aussi, au bien-être des collaborateurs. D’après une étude menée par l’Observatoire de l’immobi-lier durable, le confort apparaît comme étant l’élément le plus recher-ché par les salariés. Plantes vertes dans les bureaux, infrastructures sportives et culturelles dans les locaux, salles de co-working ouvertes et silencieuses facilitant l’interaction entre différents services, parking dans l’immeuble ou encore luminosité naturelle suffisante dans les couloirs, chaque détail compte. A l’heure où les lieux de travail se transforment en lieux de vie, les dépenses dans le domaine du bien-être – que toutes les

structures ne peuvent pas assumer – explosent ! Selon l’Institut national de la statistique et des études écono-miques (INSEE), en France, ce secteur brasse chaque année plus de 38 mil-liards d’euros.

Une organisation doit avoir une personnalité. C’est cela qui fait son identité, sa différence et une partie de son attractivité.

Valérie Vezinhet, directrice des ressources humaines chez PwC

Psychologues, coachs, consultants, éditeurs de logiciels, cabinets de prévention et d'études se sont engouf-frés dans une brèche béante. En 2019, le bien-être a un prix. Et ceux qui ne paient pas la facture perdent en attrac-tivité en matière de marque employeur.

Valérie Vezinhet commente et conclut : « une organisation qui ne fait pas rêver peut éprouver des difficultés à attirer les meilleurs talents dans ses équipes.Désormais, un candidat ne choisit pas seulement une entreprise ou un centre de soins parce que les missions qui lui sont proposées l’intéressent mais aussi parce que la dynamique de groupe, l’ambiance, les locaux, les avantages financiers et sociaux, les perspectives d’évolution et la culture sont en phase avec ses attentes personnelles. Aujourd’hui, une organisation doit avoir une personnalité. C’est cela qui fait son identité, sa différence et une partie de son attractivité. » ■

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INTERVIEW

Nous en sommes persuadés : le sport a un impact majeur sur la santé, bien-sûr, mais il doit aussi en avoir un sur l’environnement, l’inclusion sociale, la solidarité envers les plus fragiles, et le bien-être général.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

22 - Santé, un secteur en profonde mutation

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Sport en entreprise : une activité qui rend les collaborateurs heureux ?

INTERVIEW

Selon le ministère des Sports, aujourd’hui, seules 18 % des entreprises déclarent mettre en place des activités sportives pour leurs employés. Pourtant, faire du sport pendant ses heures de travail présente bien des avantages. Un constat partagé aussi bien par les dirigeants que par les salariés.

Certains signes ne trompent pas : un corps léger, un esprit serein, le sentiment agréable d’avoir accompli quelque chose... Tous ces éléments correspondent à une sensation agréable de bien-être corporel et mental que beaucoup d’Hommes cherchent à obtenir en réalisant des exercices physiques. Mais en faire régulièrement aide-t-il réellement à se sentir mieux dans sa peau ou est-ce une légende urbaine ? Pourquoi de plus en plus d’entre-prises incitent-elles les collabora-teurs à bouger plus ? Quelles sont leurs motivations, incitations et moyens mis en œuvre pour implé-menter des valeurs « olympiques » dans un environnement corporate ?

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, nous livre son point de vue sur ces questions.

Quels sont les bienfaits du sport pour la santé physique et mentale des Hommes ?

Cédric Mazille (CM) : « Faire du sport, c’est bon pour la santé » est une phrase que chaque individu a entendue au moins une fois dans sa vie. Et pour cause, exercer une activité physique régulière permet, entre autres, de se protéger contre certains cancers, de se défendre contre des maladies cardiovasculaires, de réduire le risque de diabète, de faciliter la stabilité de la pression artérielle, d’améliorer le sommeil, ou encore de lutter efficacement contre le stress, la dépression et l’anxiété. Le sport est donc essentiel pour l’organisme. Mais pas seulement ! Les experts sont unanimes : il procure aussi du plaisir et une sensation de bien-être. Dans ce sens, une récente étude réalisée par les universités d’Oxford et de Yale auprès de 1,2 million de personnes démontre qu’en moyenne, les individus qui pratiquent une activité physique régulière se sentent « bien dans leur peau » 330 jours par an, contre 312 jours pour ceux qui ont un train de vie davantage sédentaire. Mais existe-t-il une raison scientifique expliquant cette observation ? Pour ceux qui en doutent encore, la réponse est oui !

56 % des Français se disent intéressés par la possibilité de réaliser davantage d’activités physiques en groupe, avec des collègues et sur leur lieu de travail.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Cette sensation de bien-être résulte de la libération d’endorphines. Ces hormones, dont les effets s'apparentent à ceux de la morphine, sont produites par l'organisme lors de l'effort physique, entraînant avec elles une sensation d'euphorie. Lorsqu’un individu est en mouvement, il produit également des neurotransmetteurs comme la noradrénaline, la dopamine et la sérotonine qui ont, eux aussi, un impact positif sur notre humeur. C'est la libération de toutes ces substances combinées et leur synthétisation qui procurent à chacun d’entre nous une sensation de bien-être. D’après des chercheurs de l’université du Vermont, seulement vingt minutes de sport suffisent à activer la production de ces neurotransmetteurs. La sensation de bien-être est donc quasiment immédiate.

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Encore faut-il trouver un créneau pour faire du sport... A en croire une enquête menée par l’institut de sondage Harris Interactive, en France, nombreux sont ceux qui aimeraient en faire plus régulièrement mais qui n’y parviennent pas notamment à cause d’un manque de motivation (55 %) et de temps (24 %). Pour pallier à ce problème, 56 % des Français se disent intéressés par la possibilité de réaliser davantage d’activités physiques en groupe, avec des collègues et sur leur lieu de travail. Malheureusement, la plupart d’entre eux (47 %) déplorent ne pas avoir accès aux infrastructures nécessaires à proximité de leur bureau.

Pourquoi est-il important de développer le sport en entreprise ?

CM : Faire du bien-être des collaborateurs une priorité pour l’entreprise ne doit pas être une option mais une obligation. Les inciter à quitter leurs postes de travail, à échanger, à s’amuser, à bouger et à partager des moments de convivialité crée du lien entre les équipes et maintient les troupes en forme. D’après l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), les troubles dus à la sédentarité des salariés représentent 87 % des maladies professionnelles. Il en va de la responsabilité des entreprises de prendre soin, au sens propre du terme, des individus qui les composent. Un collaborateur qui se sent bien dans sa peau et au bureau, c’est un collaborateur qui s’épanouit au travail, qui s’implique activement dans la vie de l’entreprise et qui prend plaisir à le faire.

Les troubles dus à la sédentarité des salariés représentent 87 % des maladies professionnelles.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Le sport est un vecteur de cohésion au sein des organisations. Il rassemble les gens. Il permet à un collectif d’atteindre un certain dépassement de soi. Il véhicule des valeurs qui sont proches de celles que de nombreuses entreprises souhaitent implémenter dans leur culture interne : entraide, engagement, respect des règles, esprit de conquête, performance et persévérance. Un groupe de collaborateurs qui avance ensemble et de manière soudée, c’est un groupe qui ne se disperse pas et qui, avec une bonne organisation et les bons outils, peut réaliser des performances collectives remarquables.

Enfin, pour les entreprises, proposer aux salariés de faire du sport dans les locaux (ou à proximité) permet d’accroître leur attractivité. Le bien-être au travail devient de plus en plus un critère différenciant au moment de la recherche d'un emploi, il faut donc que les entreprises s'adaptent à cette tendance en prenant des initiatives allant dans ce sens. Selon une étude de Gymlib, 66 % des collaborateurs bénéficiant d'une offre de sport en entreprise estiment que « l’ambiance au bureau est très bonne » et que « les salariés sont motivés », contre 9 % dans celles ne proposant pas ces services. Cette motivation a aussi un impact direct sur la productivité des collaborateurs. D’après un rapport du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), les salariés sédentaires qui se mettent à pratiquer régulièrement une activité physique voient leur rendement personnel croître de 6 % à 9 %.

Les salariés sédentaires qui se mettent à pratiquer régulièrement une activité physique voient leur rendement personnel croître de 6 % à 9 %.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

In fine, avoir dans un groupe de travail des salariés dynamiques, en pleine forme, motivés et heureux de retrouver leurs collègues chaque matin permet d’accroître l’efficacité des équipes, de fluidifier les process, de faciliter la communication entre les différents services, de favoriser la prise d’initiative, d’augmenter le niveau de confiance en soi, de contenir des conflits interpersonnels, de réduire le taux d’absentéisme, de turnover et de burn-out, et de développer les potentiels économique et d’employabilité d’une organisation.

Comment développer le sport, sa pratique et ses valeurs, dans un environnement corporate ?

CM : Développer le sport en entreprise ne se fait pas du jour au lendemain. Dans un premier temps, il est nécessaire de co-construire ce projet avec les collaborateurs. Pour cela, dès le début du

INTERVIEW

24 - Santé, un secteur en profonde mutation

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processus, il est essentiel de cerner avec exactitude leurs envies et leurs attentes réelles : quelles activités souhaitent-ils pratiquer ? A quelle fréquence ? A quel moment de la journée ? Quel jour de la semaine ? Avec qui ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Pour qu’un projet de transformation interne aussi important aboutisse, il doit être pensé par tous et pour tous.

Dans un second temps, l’entreprise se doit de marteler, à tous les niveaux de l’organisation, les messages clés qu’elle souhaite porter autour des bienfaits du sport en milieu corporate. Elle doit faire savoir avant de faire. Au-delà de ce travail de communication interne déployé à grande échelle, l’entreprise peut surfer sur les grands événements sportifs, comme par exemple les Jeux Olympiques de Paris en 2024, pour réaliser des piqûres de rappel et fédérer les salariés autour de projets communs : participer à des tournois internes multisports, utiliser des applications mobiles pour suivre ses performances et les partager avec d’autres collaborateurs pour ainsi les inciter à bouger plus, sortir du bureau avec ses collègues et se rendre à de grands événements sportifs, bénéficier d’abonnements pris en charge par le comité d’entreprise, assister à des compétitions caritatives organisées par la direction, suivre des ambassadeurs chargés de motiver les troupes, etc. L’objectif est clair pour l’organisation : informer, rassembler, donner envie et convaincre les collaborateurs qu’exercer une activité physique de manière régulière est bénéfique pour eux, aussi bien sur un plan personnel que professionnel.

Dans un troisième temps, l’entreprise doit donner aux collaborateurs l’accès à des espaces permettant de répondre aux promesses réalisées. Si toutes les organisations n’ont pas les moyens de faire construire une salle de sport dans leurs propres locaux, elles peuvent mutualiser des espaces afin de permettre une pratique sportive au plus grand nombre (équipements, douches, vestiaires, etc.). Des collectivités et des mairies permettent aussi aux entreprises d’avoir accès aux gymnases et aux stades sur le temps de la pause déjeuner, par exemple. Cela permet de réduire les contraintes liées à

l’espace et aux coûts, tout en proposant des infrastructures adaptées aux salariés.

Dans un quatrième temps, l’entreprise doit implémenter les valeurs et l’esprit sportif au cœur même de la culture corporate. A l’évidence, les mondes de l’entreprise et du sport ont fort à gagner à s’inspirer l’un de l’autre, dans un échange gagnant-gagnant : obtenir que chacun donne le meilleur de lui-même, dépasser les individualités pour atteindre un but commun, affronter l’échec pour en tirer les conséquences et le surmonter… Autant de formules que l’on retrouve dans les feuilles de route des grands entraîneurs que dans celles des grands dirigeants d’entreprise.

Quelle place occupe le sport chez PwC ?

CM : Chez PwC, nous avons développé, pour nos équipes, tout un programme autour du concept de « Be well, work well ». Le concept est simple : pour être performant au bureau, un collaborateur doit se sentir bien dans sa peau. Concrètement, ce programme se décline en différentes actions comme, par exemple, l’installation dans nos locaux d'une salle de sport, la négociation au plan national de partenariats avec des réseaux de salles de sport à des tarifs très attractifs, ou encore le lancement d'applications mobiles comme, entre autres, « United Heroes » qui permet de proposer des défis physiques à ses collègues avec pour objectif de gagner le maximum de points pour octroyer une subvention à une association à vocation caritative. Cette dimension sociétale est très importante pour nous ! Nous en sommes persuadés : le sport a un impact majeur sur la santé, bien-sûr, mais il doit aussi en avoir un sur l’environnement, l’inclusion sociale, la solidarité envers les plus fragiles, et le bien-être général. Dans le but de contribuer activement à cette dynamique positive, notre fondation soutient l’association « Sport dans la ville ». L’objectif est de promouvoir l'insertion sociale et professionnelle de jeunes venant de quartiers prioritaires à travers la mise en place de centres sportifs, de programmes éducatifs et d’un accompagnement vers la formation et l’emploi. Il s’agit, à travers le sport et le

partage de valeurs communes, d’accompagner ces jeunes pour mieux les orienter professionnellement. En effet, le sport rapproche et il est de notre responsabilité sociétale de l’utiliser pour créer des relations solides au profit de l’épanouissement de la jeunesse.

Le sport a un impact sur la santé des Hommes, des entreprises et plus largement sur celle de la société et de l’économie.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Enfin, PwC donne l’opportunité à ses collaborateurs de laisser leur empreinte dans le monde du sport. En effet, dans la perspective des Jeux Olympiques de Paris en 2024, plusieurs intrapreneurs ont saisi le comité de direction pour lui faire part d’un projet répondant à trois enjeux ambitieux et complémentaires : accompagner les différents acteurs sportifs (jeunes pousses, grands groupes et pouvoirs publics) vers des Jeux plus innovants, agir plus largement dans la transformation et la digitalisation du sport français, et développer le sport en milieu corporate afin que les entreprises deviennent des acteurs à part entière du développement du modèle sportif dans l’Hexagone. La méthode utilisée : mettre en place un programme baptisé Ambitions 2024 en partenariat avec l’un des premiers incubateurs au monde de start-up dédiés au sport. Leur objectif commun : faire de la France une grande nation du sport, de manière générale, et du sport en entreprise.

Le sport a un impact sur la santé des Hommes, des entreprises et plus largement sur celle de la société et de l’économie. Faire l’impasse sur ce domaine, c’est refuser d’aller de l’avant et de placer le bien-être individuel au cœur du développement d’un collectif, quel que soit sa nature, sa motivation, son ambition ou son objectif. ■

INTERVIEW

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26 - Santé, un secteur en profonde mutation

EHPAD : le public fléchit et le privé performe

Les maisons de retraite publiques, associatives et privées n’avancent pas au même rythme. Alors que certains établissements font quotidiennement face à des crises de tout type, d’autres enchaînent les succès, les acquisitions d’organisation à fort potentiel, les stratégies d’expansion à l’international et les plans de transformation interne à court, moyen et long terme.

Alors que les bilans de l’Institut national de la statistique et des études écono-miques (INSEE) indiquent que la durée de vie moyenne, en France, continue lentement de croître – 85,3 ans pour les femmes et 79,5 ans pour les hommes – la fécondité, quant à elle, poursuit sa baisse pour la quatrième année consé-cutive. Le nombre de naissances sur le territoire est passé de 770 000 en 2017 à 758 000 en 2018 – soit une différence de 12 000. En bref, les Français vivent plus longtemps mais fondent des familles moins nombreuses qu’auparavant.

Cette baisse de la natalité « marquée et rapide qui concerne toutes les catégo-ries sociales » inquiète l'Union nationale des associations familiales (UNAF). Ses experts y voient-là une « preuve pro-bable que les familles ont de moins en moins confiance dans l'avenir et que leur existence au quotidien avec des enfants s'est dégradée (…) Cette

tendance représente un gros risque pour l’équilibre du système de solidarité français (retraites, assurance maladie, etc.) qui repose essentiellement sur la stabilité démographique ». Depuis plusieurs années maintenant, les associations familiales dénoncent les politiques publiques en faveur des parents qui n'ont cessé de se dégrader. « Les familles ont subi à la fois des réductions de leurs prestations moné-taires (prestations d'accueil du jeune enfant, indemnisation du congé paren-tal, allocations familiales), des hausses fiscales (augmentation de la TVA, dégradation du quotient familial de l'impôt sur le revenu) et des augmenta-tions de tarifs pour l'accès aux services locaux (cantines, transports scolaires, accueil périscolaire) », déplorent des porte-paroles de l'UNAF. Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC, complète : « entre réduction et ciblage accentué, ces

orientations des politiques publiques alimentent des frustrations profondes et créent, de manière générale pour les parents, le sentiment d'être mis à contribution, toujours plus, sans com-pensation par rapport aux efforts demandés. »

Résultat des courses : la population vieillit. En 2019, selon l’INSEE, environ 21,7 % des Français ont moins de 17 ans, 52,2 % ont entre 18 et 59 ans et 26,1 % ont plus de 60 ans. Benoît Cambournac, associé responsable de l'activité Santé privée chez PwC, commente : « il est vrai que la popula-tion de la France vieillit mais toutefois, il est bon de rappeler que notre pays n’en est pas pour autant sur le déclin. Ceci étant dit, nous devons nous adapter à cette évolution. Dans un contexte de chômage de masse (8,8 % en février 2019), l’équilibre du régime des retraites est très délicat dans un système par répartition où de

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Petite enfance (moins de 3 ans)

Enfants (3 à 11 ans)

Adolescents (12 à 17 ans)

Jeunes adultes (de 18 à 25 ans)

Adultes (de 26 à 59 ans)

Troisième âge(de 60 à 79 ans)

Quatrième âge(plus de 80 ans)

6,0 % 3,3 %

7,5 %

43,1 %

10,9 %

9,1 %

20,1 %

Source : Institut national de la statistiqueet des études économiques, 2019

Répartition par âge de la population française

moins en moins de personnes actives financent directement les pensions de plus en plus d’individus jugés trop âgés pour travailler. Dans ce contexte, il devient urgent de trouver de nouvelles ressources pour la prise en charge des aînés. »

En attendant, les grands perdants dans cette affaire sont les retraités. Un rapport de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et une étude de l’INSEE montrent que l’Etat souhaite allouer plus d’aides financières aux popula-tions actives qu’à celles qui ont cessé de travailler. Ainsi, en 2019, et ce en réponse au mouvement de contesta-tion sociale des « gilets jaunes », le pouvoir d’achat des ménages devrait augmenter de 850 euros en moyenne (une hausse inédite de 2,5 % par rapport à l’année dernière) alors que celui des couples retraités enregistre une perte sèche de 390 euros. Les auteurs des deux études nuancent toutefois ces résultats obtenus sur « la base d’une inflation à 1,6 % alors

que le gouvernement, dans son projet de loi de finances pour 2019, a retenu une inflation à 1,3 % ». De même, certaines mesures susceptibles de compenser les pertes pour les retrai-tés les plus aisés n'ont pas été prises en compte, comme la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital ou la transfor-mation de l'impôt de solidarité sur la fortune (IFS) qui est devenu en 2018 l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). L'OFCE n'a pas non plus retenu des mesures comme le nouveau mode de calcul des aides personnalisées au logement (APL), la mise en place du chèque énergie, la hausse de la fiscalité écologique ou encore celle sur le tabac. « Cette analyse, non exhaustive, permet tout de même d'éclairer quelque peu le débat », estiment les économistes, à l’heure où un nombre croissant de retraités descend dans les rues pour protester contre l’évolution de leurs finances et de leurs conditions de fin de vie.

Aujourd’hui, 15 millions de Français ont plus de 60 ans (vs 24 millions en 2060) et 1,4 million a plus de 85 ans (vs 5 millions en 2060). Source : Institut national de la statistique et des études économiques

Une population vieillissante qui perd en pouvoir d’achat et en autonomieD’après les projections de l’INSEE, les personnes âgées de 60 ans et plus sont au nombre de 15 millions aujourd’hui. Elles seront 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060. Le nombre des plus de 85 ans, quant à lui, passera de 1,4 million, à ce jour, à 5 millions en 2060.

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28 - Santé, un secteur en profonde mutation

41 % des Français en perte d'autonomie sont dans des EHPAD (…) D’ici 2060, on s’attend à un doublement du nombre de personnes âgées dépendantes.

Thierry Beaudet, président de la Fédération nationale de la mutualité française

Au fur et à mesure qu’un individu prend de l’âge, il perd une partie ou l’intégralité de son indépendance, c’est-à-dire qu’il n’est plus capable d'effectuer par lui-même certains actes de la vie courante (s’alimenter, s’hydrater, bouger, se doucher, etc.) dans son environnement habituel. « Cette perte d’autonomie touche, statistiquement parlant, 8 % des Français ayant plus de 60 ans et 20 % des plus de 85 ans – l’âge moyen de dépendance étant de 83 ans », pré-cise Benoît Cambournac. Un peu moins de la moitié d’entre eux – ceux qui peuvent se le permettre – rejoignent alors, pour un temps déter-miné ou indéterminé, des structures d’accueil pouvant répondre à leurs besoins vitaux. Thierry Beaudet, président de la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), indique : « une des spécificités de notre pays, c'est que 41 % des Français en perte d'autonomie sont dans des établissements d'héberge-ment pour personnes âgées dépen-dantes (EHPAD).

C’est largement au-dessus de la moyenne européenne (32 %), et celles d’autres pays de l’OCDE, comme le Canada où seulement 12 % des personnes âgées devenues dépen-dantes finissent leurs jours dans des établissements spécialisés. » Or, le vieillissement démographique national indique que la population en EHPAD va continuer d'augmenter, et sa prise en charge risque de peser de plus en plus fortement sur les finances publiques.

« D'ici 2060, on s'attend à un double-ment du nombre des personnes âgées dépendantes. On voit bien qu'il faudra faire appel à des financements importants (…) Aujourd'hui, dans notre pays, la prise en charge de la dépendance, c'est 30 milliards d'eu-ros, dont 24 milliards pris en charge par la dépense publique, un chiffre important mais qui est encore loin de couvrir toutes les dépenses aux-quelles sont confrontées les per-sonnes en EHPAD », précise Thierry Beaudet.

Une offre nettement inférieure à la demande qui doit obligatoirement se développer

Du côté des 7 600 EHPAD – dont 53 % sont issus du secteur public, 20 % de l’associatif et 27 % du privé – qui permettent, actuellement, d’ac-cueillir 608 000 Français, « un effort considérable les attend : construction de nouvelles infrastructures, mise à niveau des établissements existants, formation et recrutement de main d’œuvre supplémentaire, modernisa-tion de leur organisation, implémenta-tion des nouvelles technologies dans leur business model, ou encore développement de nouveaux services d’aide à la personne », énumère Benoît Cambournac.

Cette transformation a un prix qui est propre à chaque établissement. Mais qu’adviendra-t-il de ceux qui n’arrive-ront pas à mettre les financements suffisants sur la table ? Seront-ils incapables de répondre aux attentes des patients de demain ?

27 %20 %

53 %

Public Associatif Privé

Source : Logement-Seniors.com, 2018

Le Statut des EHPAD

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Sont-ils voués à la faillite ? Une chose est sûre, dans les quarante années à venir, réaliser des économies et trouver des investisseurs leur permettant d’aborder l’avenir avec sérénité, est un enjeu clé pour les établissements qui souhaitent maintenir ou développer leur attractivité sur le marché.

Pour séjourner dans un EHPAD, chaque individu paie de sa poche, en moyenne, 1 850 euros par mois, une somme supé-rieure à ce que perçoit mensuellement 1 résident sur 2. Source : Fédération nationale de la mutualité française

Un autre défi de taille attend les EHPAD : celui de les rendre plus accessibles à l’heure où le pouvoir d’achat des retraités est en baisse. Selon une étude de la FNMF, pour séjourner dans un EHPAD, chaque individu paie de sa poche, en moyenne, 1 850 euros par mois, une somme supérieure à ce que perçoit mensuellement près d’un résident sur deux. Thierry Beaudet commente : « de notre point de vue, il faut revoir le mode de financement pour rendre les EHPAD accessibles aux concitoyens qui ont les revenus les moins élevés. » Son idée pour parvenir à cette fin : aligner le système sur ce qui se fait déjà dans les crèches, à savoir adap-ter les tarifs en fonction des niveaux de rémunération de chacun. La logique est simple : plus une per-sonne est aisée, plus elle paie. Moins elle l’est, moins elle dépense.

Pour supporter un tel système, les acteurs privés ont besoin d’aides du gouvernement. LA FNMF élabore, dans ce sens, une stratégie commune

visant à mettre en place une « assu-rance dépendance obligatoire » intégrée à la complémentarité santé. « Notre souhait, c'est que naturelle-ment la solidarité nationale puisse jouer pleinement son rôle. Si, par hypothèse, on était dans l'incapacité de dégager un financement public intégral, alors on proposerait une assurance dépendance complémen-taire, généralisée et obligatoire, par exemple à partir de l'âge de quarante ans », explique Thierry Beaudet. Selon ses calculs, une cotisation mensuelle de dix à quinze euros permettrait d'alléger la facture des résidents les plus dépendants de cing cents euros.

Trop d’établissements qui n’arrivent pas à suivre le rythme

Avoir une structure aux normes pour accueillir les résidents, c’est bien. Avoir des Hommes pour s’occuper d’eux, c’est mieux. Problème : de très nombreux EHPAD souffrent d’une pénurie de talents et cela n’est visible-ment pas près de changer. D’après la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), 44 % des maisons de retraite médicalisées éprouvent des difficultés à recruter – les aides-soi-gnants, les infirmiers et les médecins étant les professionnels les plus compliqués à attirer.

44 % des maisons de retraite médicalisées éprouvent des difficul-tés à recruter des talents.Source : Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques

Si 38 % des établissements publics et 49 % des structures privées se retrouvent dans la même situation, c’est avant tout parce qu’il y a « un

problème de moyens financiers et surtout de moyens humains pour attirer de nouveaux professionnels de santé dans ces organisations », indique Georges Fauré, ancien pré-sident de l’université de Picardie Jules Verne et co-fondateur de la revue Ethique et Santé. Benoît Cambournac explique : « les conditions de travail et la valorisation des métiers laissent à désirer dans certaines structures. Les collaborateurs le ressentent ainsi et ils le font savoir. Pour s’en rendre compte, il suffit d’écouter tous les témoignages chocs rendus publics durant les derniers mois, les grévistes qui bénéficient de la lumière média-tique pour faire passer des messages au gouvernement et à leur direction, ou encore les milliers de manifestants qui clament haut et fort dans les rues de l’Hexagone qu’ils sont à bout, cassés et usés par leur travail. Quand ils parlent, ils sont écoutés. Et cela a un impact direct sur l’employabilité des EHPAD. Très peu de talents souhaitent rejoindre des organisations dans lesquelles il se sait, à tort peut-être, que le labeur est trop peu, ou pas du tout, valorisé. »

Pour la période 2019-2021, 360 millions d’euros publics seront alloués aux EHPAD. Source : Ministère des Solidarités et de la Santé

Face à ce mécontentement général, la ministre des Solidarités et de la Santé de la République Française, Agnès Buzyn, concède : « la colère est justifiée et je comprends l’épuisement des personnels. Leurs besoins ont augmenté sans que forcément les financements suivent », avant d’an-noncer que les budgets publics alloués aux EHPAD pour la période de 2019 à 2021, initialement estimés à

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217 millions d’euros, ont été revus à la hausse et atteignent désormais les 360 millions d’euros – dont 18 millions ont été directement débloqués pour 2019. Cette enveloppe est destinée, en priorité, à améliorer l’organisation de la prise en charge de la santé des résidents et à recruter du personnel qualifié avec des salaires plus attrac-tifs. Via ces fonds débloqués, l’objec-tif de l’Etat est de montrer qu’il entend le « ras-le-bol » des professionnels et qu’il souhaite réaliser des change-ments profonds dans le secteur et cela le plus rapidement possible.

Si l’on voulait vraiment mettre les moyens de financer la dépendance des personnes âgées, ce ne sont pas quelques millions d’euros répartis sur plusieurs années qu’il faudrait mettre sur la table, mais 10 à 15 milliards d’euros chaque année.

Romain Gizolme, directeur de l'Association des directeurs au service des personnes âgées

Romain Gizolme, directeur de l'Asso-ciation des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), réagit : « avec 18 millions d’euros pour cette année, on arrivera tout juste à sauver les meubles. » Il ajoute : « que les établissements ne perdent pas de budget, c’est la concrétisation des engagements d’Agnès Buzyn après la réforme du financement des établis-sements votée lors du quinquennat précédent (…) mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en pratique, 18 millions d’euros à partager entre

l’ensemble des EHPAD du territoire, si cela parvient à éviter les baisses de dotations, ça signifiera simplement que l’on maintient une situation qui est déjà extrêmement tendue. Cela évitera que ce soit pire, mais en aucun cas ça ne peut permettre d’aller vers une amélioration des choses. »

Pour le directeur de l’AD-PA, « on reste sur des mesures largement en deçà des besoins réels », regrette-t-il. « Aujourd’hui, il reste tant à faire ! Si l’on voulait vraiment mettre les moyens de financer la dépendance des personnes âgées, ce ne sont pas quelques millions d’euros répartis sur plusieurs années qu’il faudrait mettre sur la table, mais 10 à 15 milliards d’euros chaque année, un investisse-ment certes coûteux, mais qui aurait de larges bénéfices d’abord éthiques, parce que l’on prendrait enfin soin de nos aînés comme ils le méritent (…) et puis économiques, car cela permet-trait d’améliorer les conditions de travail déplorables des salariés. Sur ce plan, cela permettrait des écono-mies en termes d’arrêts maladie, car les personnels sont à bout », explique-t-il.

L’humain est au cœur de la problématique actuelle des EHPAD et les premiers à en payer les frais sont les patients ainsi que les personnels.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Cédric Mazill, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, indique : « l’hu-main est au cœur de la problématique actuelle des EHPAD et les premiers à

en payer les frais sont les patients ainsi que les personnels. Acteurs publics et privés, nous devons réagir et commencer par redonner les moyens nécessaires aux collabora-teurs, revaloriser leurs métiers et introduire des nouvelles technologies qui faciliteront leur travail quotidien dans des environnements plus modernes et interconnectés. Cette transformation – qui a un prix et qui prend du temps – est nécessaire. Elle représente un enjeu socio-écono-mique considérable lorsque l’on sait qu’un quart de la population française sera placé, à un moment ou à un autre, entre les mains de ces soi-gnants. » Il ajoute : « acceptons-nous que des enseignants mal formés, dépréciés, mal rémunérés, occupant des locaux inappropriés et mal entre-tenus s’occupent de nos enfants ? La réponse est non. Il doit en être de même pour les personnes âgées. »

Pendant que l’Etat cherche des fonds, les grands groupes regardent au loinAlors que le secteur public se cherche et marche à son rythme, le privé court et n’a jamais été aussi fructueux, en témoigne le chiffre d’affaires (CA) des principaux acteurs français (Korian, Orpéa, DomusVi, Le Noble Age, Domidep et Colisée) qui brassent tous entre 3,4 milliards et 500 millions d’euros chaque année. Ces rende-ments leur permettent de développer leur base d’infrastructures dans l’Hexagone mais aussi à l’international.

Le groupe Korian, par exemple, déjà numéro un en France, envisage une « nouvelle accélération de la crois-sance de son CA, compte tenu notamment de la contribution des acquisitions réalisées fin 2018 et début 2019 », indique la direction. Dans la foulée, elle annonce le rachat du groupe Omega (CA de 40 millions

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d’euros en 2018) sur le marché fran-çais, de Schauinsland (CA de 17 mil-lions d’euros en 2018) sur le marché allemand, de Seniors sur le marché espagnol (CA de 15 millions d’euros en 2018), et l’acquisition des murs de vingt établissements en Belgique pour une valeur de 153 millions d’euros. Grâce à sa stratégie d’expansion à l’international, le groupe français est aujourd’hui considéré comme étant le leader des maisons de retraite sur le marché européen.

Sophie Boissard, directrice générale de Korian, explique la stratégie d’in-vestissements de son organisation : « on a investi 250 millions l’année dernière dans les huit cents établisse-ments du groupe pour moderniser, transformer, adapter nos installations qui sont à la fois des cliniques, des maisons de retraite, des résidences services (…) et nous investissons aussi de plus en plus dans des ser-vices complémentaires : des soins ambulatoires, de l’aide à domicile, des résidences de colocation pour des seniors dans des zones rurales notamment. Nous voulons donner le plus de choix possibles. » Elle ajoute : « j’ai la chance d’avoir à mon capital des actionnaires de référence qui sont des actionnaires de long terme. Le Crédit Agricole, première banque de détail en France, investit depuis trente ans dans la santé (…) Mes action-naires acceptent que les deux tiers du cash que je dégage soient réinvestis. Ils se projettent dans l’avenir, avant de penser à leurs dividendes. »

Concernant les volets « humain », « recrutement » et « formation » qui font trembler les organisations publiques, Sophie Boissard affirme avoir embau-ché, l’année dernière, onze mille per-sonnes, « des salariés formés, qualifiés, et pour au moins mille d’entre eux des alternants et des apprentis. Nous embauchons en CDI – c’est de l’emploi permanent et à temps complet – et nous sommes aussi un des premiers

groupes du secteur pour la formation : 75 % de nos salariés ont été formés l’année dernière. » Elle estime qu’au-jourd’hui, le groupe n’éprouve plus de difficulté à recruter.

Orpéa, le deuxième acteur le plus important sur le marché français, met en place une stratégie assez similaire à celle de Korian dans les grandes lignes. Comme son concurrent princi-pal, lui aussi, assure un solide déve-loppement à l’international puisque plus de 60 % des implantations du groupe se trouvent hors de l’Hexa-gone. Des acquisitions stratégiques ont été opérées ces dernières années en Allemagne, Autriche, Belgique, Suisse, Italie, République Tchèque, Pologne et au Portugal. Hors Europe, des établissements sont en construc-tion et des participations ont été prises dans des organisations locales au Brésil, Chili, Uruguay ou encore en Chine. Orpéa se diversifie avec, en plus des résidences médicalisées, des cliniques de suite et de réadapta-tion, des résidences avec services, des structures de service à domicile et des cliniques psychiatriques.

« Investissements à l’étranger, acqui-sition d’organisations hors de France, modernisation des infrastructures, recrutement et formation de person-nels, diversification des offres… De grands groupes en grands groupes privés, le même schéma se répète. Mais du côté de l’Etat qui est, rappe-lons-le, l’acteur le plus impliqué dans le secteur, la situation est complète-ment différente. Il est clair que le gouvernement ne développe pas suffisamment son offre d’héberge-ment et que chaque année, le nombre de places créées ne correspond qu’à la moitié des besoins de la population française. Le secteur public doit passer à la vitesse supérieure et débloquer les fonds suffisants pour se permettre d’accueillir convenablement une demande grandissante qui ne peut, principalement pour des raisons financières, avoir accès à des

structures privées », indique Benoît Cambournac. Agnès Buzyn rebondit et tente de rassurer : « nous sommes conscients de l’urgence d’agir (…) Nous ne ferons pas de réforme à la hauteur de l’ambition des Français sans y mettre des financements solides. Je me battrai pour que cette ambition trouve les moyens dont elle a besoin. »

Nous ne ferons pas de réforme à la hauteur de l’ambition des Français sans y mettre des financements solides. Je me battrai pour que cette ambition trouve les moyens dont elle a besoin.

Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé de la République Française

EHPAD du futur : des structures éco-responsables, connectées et ouvertes sur le monde extérieur

Une fois les défis économiques et organisationnels résolus, l’une des priorités pour les acteurs publics et privés sera de ne pas se faire dépas-ser par le progrès et de construire – ou faire évoluer – des EHPAD adap-tés aux attentes des futurs résidents.

A l’instar de nombreux groupes scolaires et de quartiers, selon les experts, l’EHPAD du futur sera écoresponsable. Lors de sa concep-tion, des matériaux renouvelables et non agressifs pour la santé des rési-dents seront privilégiés. Il produira lui-même une partie de ses besoins

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énergétiques grâce à des panneaux photovoltaïques et contrôlera sa consommation d’eau par un traite-ment judicieux des rejets et une récupération des eaux pluviales. L’établissement comprendra aussi des grands espaces ouverts, calmes, interactifs, verts, des salles de repos et de méditation ainsi que des espaces intérieurs et extérieurs dédiés aux activités physiques, aux loisirs et à la restauration – avec à la carte des menus divers, personnali-sables, programmables à l’avance et adaptés aux préférences et aux conditions de santé de chacun. L’EHPAD de demain bénéficiera sans doute d’une salle dédiée au divertis-sement (jeux, spectacles, concerts, projection de films, etc.) dans laquelle se croiseront résidents, visiteurs et personnels. Elle jouxtera un espace unique modulable permettant aux prestataires externes d’enrichir l’offre de l’établissement. Enfin, les chambres de tous les résidents, valides et non valides, comprendront des sols détecteurs de chutes, des mains courantes escamotables, des rails de transfert, un mobilier évolutif et des cloisonnements coulissants.

Les personnels soignant, de gestion, d’entretien, seront formés aux spécifi-cités de la gériatrie mais aussi aux nouvelles technologies qui s’immisce-ront de plus en plus dans la vie en EHPAD, et cela dans le but d’augmen-ter la qualité de service, de confort et de sécurité offerte aux résidents. Ces collaborateurs polyvalents et multidis-ciplinaires seront reconnus pour le travail difficile effectué et pour leur contribution apportée à la société toute entière.

Concernant les équipements numé-riques, les outils connectés et les objets dits intelligents disponibles dans les locaux, ceux-ci permettront de faciliter la communication entre résidents, soignants, aidants, visiteurs et intervenants externes. Les fauteuils roulants seront commandés par le pied, la main ou la voix. Des systèmes de gestion intégrés reliés à des cap-teurs permettront aux collaborateurs d’avoir une vision en temps réel des activités réalisées, des besoins et des habitudes des patients. Certains robots viendront aider les profession-nels de santé à accomplir des tâches pénibles, répétitives et à faible valeur ajoutée. D’autres robots, quant à eux, tiendront compagnie aux résidents. Ils seront capables de les véhiculer ou

de les guider d’un endroit à un autre de l’établissement, d’engager une conversation, de retrouver dans leur mémoire la chanson ou le poème adapté à chaque situation, de faire la lecture et de prévenir les soignants à la moindre anomalie détectée.

Selon les experts, l’EHPAD du futur sera humaniste. Il sera pensé autour des valeurs du partage intergénéra-tionnel, de la proximité et de l’échange continu entre les résidents et les acteurs internes et externes de la structure. L’établissement s’ouvrira sur la vie du quartier qui l’entoure. Il pourra aisément partager son espace vert ainsi qu’un certain nombre de ses équipements médicaux avec le voisi-nage. Il hébergera une unité moderne de soins et de consultation et cette unité pourra profiter au quartier proche ou travailler en liaison avec la maison de santé locale. Enfin, l’EHPAD de demain ne sera pas un EHPAD comme nous le connaissons aujourd’hui, il ne s’apparentera pas à un centre de soins, à un hôpital, à une résidence ou à un hôtel. L’EHPAD de l’avenir sera une grande maison dans laquelle le moindre détail matériel et immatériel sera conçu pour favoriser le bien-être personnel de chaque locataire. ■

Contacts

Benoît Cambournac Associé responsable de l'activité Santé privée [email protected]

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Elisabeth Hachmanian Associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée [email protected]

32 - Intelligence Artificielle, une révolution en marche

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Panneaux photovoltaïques

Matériaux renouvelables

Récupération des eaux pluviales

Grands espaces verts

Mobilier évolutif et personnalisable

Fauteuils roulants intelligents

Robot de compagnie

Robot d’assistance

Rails de transfert

Sol détecteur de chute

Personnel multidisciplinaire

Collaborateurs formés au numérique

Gestion intégrée des activités et de la sécurité

Robot interactif

Menus personnalisables

Salons polyvalents

L'EHPAD de demain, un établissement plus connecté, ouvert et intelligent

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L’Empire du Milieu est-il en passe de devenir la plus grande pharmacie de la planète ?

Avec un marché pharmaceutique local estimé à plus de 119 milliards de dollars l’année dernière, la Chine est le deuxième marché mondial du médicament derrière les Etats-Unis, avec une croissance de 6 % à 10 % par an attendue d'ici 2022, selon le cabinet d'études Iqvia. Décidée à faire bouger les lignes, la première puissance asiatique entend booster l’innovation et améliorer la qualité de ses produits pour faire descendre son principal concurrent de son piédestal.

En novembre dernier, la toute première Exposition internatio-nale d'importation de la Chine (CIIE) s'est tenue à Shanghai, un sommet stratégique annoncé par le président chinois Xi Jinping en mai 2017 qui, un peu plus d’un an après son officialisation, a tenu toutes ses promesses. Pour assister à cet événement organisé dans le but de « montrer au monde extérieur qu’il existe un réel marché pour les produits étrangers en Chine », plus d’un million de participants, 3 600 entreprises et de nombreux dirigeants et hauts responsables du monde entier ont fait le déplacement – le gouvernement américain étant une exception notable.

Sur place, les grands noms de l’industrie pharmaceutique sont présents. Pour la fine fleur du secteur, pas question de rater un tel rendez-vous, car l’Empire du Milieu, 1,4 milliard d’habi-tants, est devenu, en moins de dix ans, le deuxième marché le plus important de la planète. Selon les experts, d’ici à 2030, il pourrait même devenir le premier, devant les Etats-Unis. Leur stratégie pour atteindre

cet objectif ambitieux : investir massive-ment dans la recherche et le développe-ment, innover, augmenter la qualité des produits en réduisant la sous-traitance et la quantité de génériques mis en vente sur le marché et s’ouvrir au reste du monde pour accélérer le développement des activités à l’échelle internationale.

La Chine affiche aussi son intention de régner sur ce secteur qui enregistre, chaque année, un chiffre d’affaires de plus de 1 000 milliards de dollars, en créant ses propres géants pharmaceutiques.

Dans le cadre du plan « Made in China 2025 », Pékin souhaite, ainsi, qu’au moins cent sociétés chinoises puissent exporter des médicaments dans les grands mar-chés de la planète, en atteignant une production au standard international d’ici à 2020. Toujours selon les directives du gouvernement, les entreprises chinoises devront enregistrer entre cinq et dix traite-ments de dernière génération auprès des autorités de certification américaines et européennes. Les attentes sont fixées. Désormais, place à l’action.

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Novartis

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Sanofi

Roche

Merck & Co.

GlaxoSmithKline

Abbvie

GileadSciences

Lilly

Chiffre d’affaires PFHT* du Top 10 des groupes pharmaceutiques en milliards de $

Source : Les entreprises du médicament, 2017 * Prix fabricant hors taxes

Une puissance de l’ombre qui puise le meilleur des firmes locales et étrangères

Dans le secteur pharmaceutique, les plus grands acteurs ne sont pas chinois. Pour s’en rendre compte, il suffit de se pencher sur le classement des leaders de la Big Pharma : Novartis (Suisse), Pfizer (Etats-Unis), Johnson & Johnson (Etats-Unis), Sanofi (France), Roche (Suisse), Merck & Co (Etats-Unis), GlaxoSmithKline (Royaume-Uni), Abbvie (Etats-Unis),

Gilead Sciences (Etats-Unis) et Lilly (Etats-Unis). Mais alors comment la Chine arrive-t-elle à occuper la seconde place du classement mon-dial ? Cédric Mazill, associé respon-sable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, indique : « à ce jour, aucune entreprise chinoise ne rivalise directement avec les gros bras du secteur pharmaceutique. Cependant, les investissements publics et privés se multiplient d’an-née en année, le nombre d’acteurs présents sur le marché explose – leur nombre fait leur force – et la vitesse à

laquelle les firmes locales s’améliorent est assez impressionnante. Les groupes nationaux les plus importants – souvent méconnus du grand public occidental – comme, entre autres, Yangzijiang, Jiangsu Hengrui ou encore Qilu, grandissent dans l’ombre mais cultivent les mêmes ambitions que les mastodontes de la Big Pharma. Ignorer leur potentiel, c’est fermer les yeux sur la croissance accélérée que vit la Chine depuis maintenant plus de vingt ans. »

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La Chine est devenue notre deuxième marché mondial le plus impor-tant après la France (…) Dans les années 90, nous enregistrions un chiffre d’affaires de 13 millions de dollars sur ce marché, en 2017, il s’élevait à 2,3 milliards.

Olivier Charmeil, vice-président exécutif et responsable des marchés émergents chez Sanofi

Cette croissance interne, l’Empire du Milieu la doit aussi aux acteurs interna-tionaux qui misent gros sur ce pays depuis la réforme de son système de santé visant à simplifier les procédures d'approbation des nouveaux médica-ments. Innover, produire et distribuer est donc, sur le papier, moins compli-qué là-bas qu’ici. Olivier Charmeil, vice-président exécutif et responsable des marchés émergents chez Sanofi, indique : « la Chine est ainsi devenue notre deuxième marché mondial le plus important après la France. A titre comparatif, dans les années 90, nous enregistrions un chiffre d’affaires de 13 millions de dollars sur ce marché, en 2017, il s’élevait à 2,3 milliards (…) Nous avions 169 personnes sur place et, en 2018, nous en avions 9 000. » Il ajoute : « nous nous mettons dans les meilleures conditions pour continuer à croître et assurer la pérennité de cette croissance notamment grâce à une présence commerciale, industrielle, en recherche et développement, plus de partenariats avec différents acteurs clés, et le développement d’une straté-gie digitale forte qui est, à ce jour, l’une de nos priorités. »

Si la pratique du moins-disant et le faible prix des produits chinois placent souvent les entreprises étrangères sous pression lors des appels d'offres, l'effet « volume » est colossal dans le pays le plus peuplé du monde. Le vieillissement de la population, la pollution, le tabagisme ou encore les changements de modes de vie en Chine poussent à une augmentation de la demande en soins médicaux. « Ce que nous perdons sur le prix, nous le récupérons sur le volume car nous touchons beaucoup plus de patients », explique Jean-Christophe Pointeau, directeur général de Sanofi en Chine. Mais jusqu’à quand ? Et si les entreprises chinoises étaient en passe de produire plus de médica-ments, pour moins cher, et à une qualité égale à celle du géant pharma-ceutique français ?

Le marché du « low-cost » revoit la qualité de ses produits à la hausse

La Chine veut monter en gamme dans la médication. Historiquement sous-traitants dédiés à la production de principes actifs pour médicaments chimiques, les acteurs locaux sont devenus au fil du temps des fabri-cants de génériques et ils veulent désormais devenir des innovateurs à leur tour. Hélène Rives, associée responsable du China Business Group chez PwC, indique : « en augmentant la qualité des produits conçus par les entreprises nationales,

le gouvernement chinois ambitionne de rattraper le niveau international de santé publique d’ici à 2030. Pour cela, leur stratégie est claire : booster l’innovation locale en accélérant considérablement la mise sur le marché de nouveaux médicaments, en renforçant la protection des bre-vets, et en évitant de gonfler impru-demment ses importations.

En augmentant la qualité des produits conçus par les entreprises nationales, le gouvernement chinois ambitionne de rattraper le niveau international de santé publique d’ici à 2030.

Hélène Rives, associée responsable du China Business Group chez PwC

Cette stratégie semi-protectionniste et semi-ouverte vers le reste du monde apparaît comme étant une stratégie de transition. L’objectif final de cette nation est sans équivoque : l’Empire du Milieu veut devenir la première puissance pharmaceutique de la planète en s’appuyant sur le savoir-faire de ses entreprises et non pas en consolidant sa position de sous-traitant "low-cost" privilégié des entreprises étrangères. »

La transformation est bien en cours. Et pour accélérer ce processus, le gouvernement peut compter sur ses très nombreuses start-up qui, grâce aux nouvelles technologies, repoussent les limites de l’impossible. Hélène Rives commente : « de plus en plus d’entrepreneurs chinois formés à l’étranger reviennent dans leur pays d’origine et se lancent dans la course à l’innovation high-tech, notamment au service de la santé. Dans un

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contexte où la population nationale, particulièrement connectée, vieillit – 241 millions de citoyens ont actuel-lement plus de 60 ans et ils seront 487 millions en 2050 – en même temps qu’elle s’enrichit et souhaite, de manière générale, consommer des médicaments de qualité supérieure, le secteur connaît une dynamique de croissance impressionnante. » Elle poursuit : « de manière historique, son taux de croissance s'affiche à 5 % de plus que la croissance du PIB et cette tendance va se poursuivre. »

De plus en plus d’entrepreneurs chinois formés à l’étranger reviennent dans leur pays d’origine et se lancent dans la course à l’innovation high-tech, notamment au service de la santé.

Hélène Rives, associée responsable du China Business Group chez PwC

Pour convaincre davantage de jeunes entrepreneurs chinois – qui sont au cœur de cette révolution économique – de miser sur leur terre natale pour lancer leur business, l’Etat met toutes les chances de son côté en leur promettant des subventions et des allègements fiscaux importants, la possibilité de toucher plus de clients en innovant plus vite, avec moins de contraintes administratives et moins de restrictions budgétaires que par-tout ailleurs dans le monde.

Pudong : la « Pharma Valley » made in China qui fait rêver les entrepreneurs locaux

Le tramway monorail fend l'air en silence. A droite, la façade en demi-cercle d'un gigantesque immeuble de verre flambant neuf : l'hôpital Shuguang. A gauche, la tour d'acier de l'université de médecine chinoise traditionnelle, dont les arêtes recour-bées vers le ciel évoquent l'architec-ture des temples, trône au centre d'un vaste campus. Dans les rues de Pudong, un immense district de plus de 1 210 km2 abritant environ 5 mil-lions d'habitants, les paysages urbains de ce que certains consi-dèrent comme étant « le Manhattan de Shanghai », transpirent la moder-nité. En l'espace de vingt ans, plus de neuf mille sociétés se sont implantées dans le quartier. D’après les écono-mistes, ce district pas comme les autres, véritable symbole de la modernisation de la Chine, aurait enregistré, en 2018, un PIB de 145 milliards de dollars, soit un tiers de la production économique annuelle de Shanghai.

A l’entrée de cette jungle urbaine, tous les jours, une bouche de métro déverse un flot de jeunes gens pres-sés, lunettes sur le nez, sac d'ordina-teur en bandoulière, smartphone à la main, qui prend la direction du centre des affaires où chaque immeuble arbore le logo illuminé des grands groupes pharmaceutiques internatio-naux. D’après Christian Hoff, un britannique installé dans le pays depuis vingt-quatre ans, actuel direc-teur général de Chi-Med, Pudong est devenu en un temps record « l'épi-centre des biotechnologies en Chine » et deviendra sûrement un jour un pôle mondial majeur du secteur. Wang Lan Zhong, grand patron de l'activité biotech du parc technologique Zhangjiang, déclare : « il y a vingt ans, notre pays avait pour priorité la pro-duction de l'acier. Aujourd’hui, nous

en détenons le record mondial. A présent, les biotechnologies font partie des priorités. Et quand le gouvernement chinois est déterminé, il réussit ! » Il ajoute : « sept des dix plus grands groupes du monde sont déjà établis à Zhangjiang. En tout, 400 entreprises de biotech y ont des activités de veille technologique et/ou de recherche et développement (…) notre objectif désormais est de rem-plir notre nouvel incubateur qui béné-ficie de laboratoires équipés et de subventions extrêmement intéres-santes pour les startuppeurs. »

Pour aller de l’avant, nous devons marier les sociétés chinoises, trop petites, avec des talents étrangers.

Jun Ren, fondateur de New Summit Biopharma

Jun Ren, fondateur de New Summit Biopharma, explique : « la Chine a de l'argent, des ressources scientifiques et des projets clés soutenus par le gouvernement central (…) mais pour aller de l’avant, nous devons marier les sociétés chinoises, trop petites, avec des talents étrangers », car d’années en années, le même refrain se répète : les scandales dus à des actes de négligence humaine – d’ordre opérationnel ou de gouver-nance – ternissent l’image de l’Empire du Milieu. Bertrand Favreau, immuno-logiste français chercheur à l'univer-sité de Shanghai, explique : « les principes appliqués ici sont bons, il faut bien le reconnaître. En pratique, pourtant, les passerelles entre les facs et les entreprises sont loin de fonctionner. En fait, les Chinois ont conscience de manquer de savoir-faire et ils cherchent à rattraper ce retard en faisant soit venir sur leur sol des sociétés et des talents étrangers, soit en rappelant des jeunes chinois

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38 - Santé, un secteur en profonde mutation

diplômés hors de leurs frontières. » Problème : en agissant de la sorte, ce pays qui souhaite baser sa croissance principalement sur des ressources internes est, et reste, dépendant de ressources externes.

Dans ce contexte, une question de fond se pose : est-ce qu’un marché qui s’est construit en s’appuyant continuellement sur ses concurrents peut-il bâtir de ses propres mains la plus grande pharmacie du globe ? Et si ses voisins décidaient de couper les ponts ? Le modèle de fonctionnement sur lequel la Chine mise tout est-il réellement viable sur le long terme ?

La riposte des Etats-Unis : une stratégie offensive très contestée de l’intérieurPris dans une véritable guerre com-merciale XXL avec l’administration chinoise, le Président des Etats-Unis, Donald Trump, a annoncé en mars 2018 un plan d'action visant à contrer l’offensive de son concurrent principal dans le secteur pharmaceutique et ainsi protéger l’industrie, l’économie et la population nationales. Le nerf de la guerre : le prix des médicaments, un paramètre différenciant sur le marché qui représente le principal point fort de la Chine et le principal point faible des Etats-Unis, un pays dans lequel les produits de santé sont vendus à des prix extrêmement élevés par rapport au reste du monde.

Une fracture s’est créée entre les pouvoirs publics et les acteurs privés américains qui ne partagent pas les mêmes intérêts financiers et la même vision stratégique sur le court ainsi que sur le moyen terme.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Le locataire de la Maison Blanche a ainsi déclaré : « nous allons accroître la concurrence et réduire les obsta-cles réglementaires pour que les médicaments puissent arriver sur le marché plus vite et pour moins cher (…) nous allons court-circuiter les intermédiaires qui sont devenus très, très riches », avant d’ajouter : « quand les gouvernements étrangers obtiennent des compagnies pharma-ceutiques américaines des prix dérai-sonnablement bas, les Américains doivent payer plus pour subventionner les énormes coûts de recherche et de développement. C’est ridicule et cela ne peut pas durer ! ».

Sur le papier, cette stratégie paraît simple, très simple, trop simple pour être réaliste. Alors que Donald Trump

fait pression depuis plusieurs mois pour que les industriels baissent les coûts des médicaments, ces derniers ne l'entendent pas de cette oreille et ont augmenté leurs prix en janvier 2019, comme chaque année. « Les affaires continuent comme si de rien n’était. Une fracture s’est créée entre les pouvoirs publics et les acteurs privés américains qui ne partagent pas les mêmes intérêts financiers et la même vision stratégique sur le court ainsi que sur le long terme. Une chose est sûre : plus cette tension interne durera, plus la Chine tirera profit de cette situation qui affaiblit l’économie et la stabilité politique de son concurrent principal », indique Cédric Mazill.

Des promesses aux actes : en début d’année, la société Allergan, a aug-menté le tarif de certains de ses produits de 9,5 % selon Rx Savings Solutions, une société surveillant le cours des prix des médicaments. Abbvie a rehaussé de 6,2 % le prix de l’Humira, son traitement block-buster contre l’arthrite rhumatoïde. Idem pour Pfizer, qui a annoncé l’augmentation de 10 % de son portefeuille, soit 41 médicaments. Face à ce décrochage d’écoute entre les acteurs publics et privés, le président Trump s’est indigné sur les réseaux sociaux : « Pfizer et les autres devraient avoir honte d'aug-menter le prix des médicaments sans raison. Ils tirent simplement profit des pauvres incapables de se défendre eux-mêmes, alors qu'en même temps, ils négocient leurs prix de base avec les autres pays d'Eu-rope et ailleurs dans le monde ».

22,5 %Asie-Pacifique

3,0 %Turquie, Moyen-Orient et Eurasie

20,5 %Europe

0,7 %Afrique

49,4 %Amérique du Nord

4,0 %Amérique

latine

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Contacts

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Hélène Rives Associée responsable du China Business Group [email protected]

- 39PwC

Coincé dans une impasse, le chef d’Etat américain cherche à enterrer la hache de guerre avec la Chine le temps de renouer le dialogue, entre autres, avec les acteurs pharmaceutiques américains majeurs qui, selon Les entreprises du médicament (LEEM), représentent environ 45 % du marché mondial – contre 22,5 % pour l’Asie- Pacifique et 20,5 % pour l’Europe.

Donald Trump le sait, se mettre à dos les tout-puissants de la santé, c’est

mettre l’économie nationale en dan-ger… Une manœuvre qu’il ne peut se permettre d’opérer à l’heure où son administration enregistre un déficit commercial record ! Politiquement, cette situation devient très difficile à gérer pour le gouvernement américain. Scott Paul, président de la Fédération pour l’industrie américaine, conclut : « Donald Trump découvre que les tweets et les fanfaronnades ne vont pas à elles seules réduire significative-ment le déficit commercial. Si le

président veut concrétiser ses paroles par des actes, tout accord avec la Chine devra se focaliser sur les chan-gements structurels de l'économie étatique chinoise (…) Nous ne pouvons pas nous contenter d'un accord qui ne se traduirait pas par un réel change-ment durable », un changement qui se veut équitable, stable, pérenne et gagnant-gagnant pour les deux écono-mies. ■

22,5 %Asie-Pacifique

3,0 %Turquie, Moyen-Orient et Eurasie

20,5 %Europe

0,7 %Afrique

49,4 %Amérique du Nord

4,0 %Amérique

latine

Marché pharmaceutique mondial par zone géographique en prix producteur

Source : Les entreprises du médicament, 2017

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40 - Santé, un secteur en profonde mutation

INTERVIEW CROISÉE

Biotechs : les pousses françaises ont-elles les moyens de marcher sur le toit du monde ? Malgré un écosystème favorable et développé en France, il semble toutefois que toutes les conditions ne soient pas réunies pour que notre vivier de biotechs devienne une grande industrie.

Biotech, biopharma : où en sommes-nous aujourd'hui en France ?

François d’Andigné : Avant de décrypter la situation dans l’Hexagone, prenons le temps de comprendre, dans un premier temps, ce qu’est la biotechnologie. Elle résulte d’un mariage entre la science du vivant – la biologie – et un ensemble de techniques issues d'autres disciplines telles que la microbiologie, la biochimie, la biophysique, la génétique, la biologie moléculaire et l'informatique, entre autres. Depuis les années 90, cette discipline a profondément changé la manière de produire des médicaments et, aujourd’hui, son potentiel de développement est énorme. Au-delà du strict domaine de la santé (humaine et animale), la biotechnologie est aussi applicable dans des procédés industriels et alimentaires, dans le domaine de l’énergie, dans la cosmétologie, etc.

Si nous nous concentrons sur la biotechnologie dans les industries de santé, nous pouvons parler, plus largement, du secteur de la Healthtech. Ce secteur est composé de trois blocs distincts : les biotechs (utilisation du vivant), les medtechs (dispositifs médicaux) et les digitaltechs (Intelligence, robotique, impression 3D, etc.). Dans les prochaines années, la Healthtech connaîtra, sans aucun doute, une transformation extraordinaire qui sera notamment liée au séquençage de l’ADN, au développement de l’Intelligence, aux

progrès en matière d’équipements médicaux, et également à la combinaison de ces innovations entre elles.

En 2019, dans le bloc des biotechs, la France dispose d’un potentiel exceptionnel avec plus de six cents entreprises recensées dans l’écosystème. Selon France biotechs, les vingt sociétés tricolores les plus prometteuses pourraient impacter plus de 11 millions de patients dans l’Hexagone et 250 millions de personnes dans le monde. En terme de chiffre d’affaires, d’ici 2030, l’ensemble des healthtechs nationales devrait générer plus de 40 milliards d’euros et créer 130 000 emplois. Et pour cause, le marché français bénéficie d’une multitude d’atouts : une excellence au niveau de la recherche scientifique avec des centres faisant partie du Top 10 mondial, une forte dynamique entrepreneuriale et un fort soutien public, le tout dans un environnement bénéficiant de l’un des meilleurs systèmes sanitaires au monde. L’intégration de la recherche, de l’enseignement et des soins au sein des centres hospitaliers universitaires (CHU) représente un atout significatif permettant un maillage national de qualité, aussi bien en matière de recherche que d’accès au marché.

Lors d'un colloque organisé en mai 2019 par PwC, plusieurs représentants de la Healthtech se sont réunis pour échanger autour des défis et des enjeux auxquels les biotechs françaises font face au quotidien. Quelles sont, de manière générale, leurs forces et leurs faiblesses ? Comment se démarquent-elles de la concurrence ? Que leur faut-il pour prospérer ?

François d’Andigné, directeur audit et contrôle interne, en charge du secteur des biotechs chez PwC, André Choulika, président-directeur général de Cellectis, Gérard Soula, président-directeur général d’Adocia, Bernard Gilly, président d’IBionext, et David Schilansky, directeur général adjoint chez DBV Technologies, nous livrent leurs avis sur ces questions.

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- 41PwC

En France, chaque année, de nombreuses biotechs aspirent à devenir des biopharmas. Malheureusement, le taux de transformation est, à ce jour, assez faible.

François d’Andigné, directeur audit et contrôle interne, en charge du secteur des biotechs chez PwC

Si, sur le papier, tous les atouts sont réunis pour que les sociétés françaises se fassent une place sur la scène internationale de la Healthtech, trop peu de biotechs parviennent, à ce jour, à se développer convenablement et ainsi devenir des biopharmas. Autrement dit, trop d’entreprises restent bloquées au stade de la recherche et du développement et n’arrivent pas à se transformer en sociétés structurées autour de processus de production et de commercialisation de produits sur les marchés nationaux ou internationaux. Selon les experts, cela s’explique principalement pour deux raisons : les biotechs ont tendance à se coter trop tôt sur le marché et, d’un point de vue réglementaire, les procédures sont plus longues ici que dans d’autres pays. Trouver le juste équilibre entre agir trop vite et trop lentement est un défi majeur que les entreprises nationales doivent relever pour parvenir à grandir et à bousculer la concurrence internationale.

Impossible n’est pas français : Cellectis, une société nationale spécialisée dans le développement d’immunothérapies, est récemment parvenue à passer ce cap biotech-biopharma. Concrètement, quelles actions ont été réalisées pour opérer cette bascule ?

André Choulika : Notre transformation a été amorcée en 2012. En focalisant nos activités sur l'immuno-oncologie, une approche thérapeutique visant à réapprendre au système immunitaire de l'organisme à détruire les cellules cancéreuses, nous avons opéré un profond changement de l’entreprise qui est aujourd’hui une biopharma à part entière. Cette évolution, essentiellement structurelle, ne s’est pas concrétisée du jour au lendemain. Elle a pris plusieurs années.

Tout a débuté avec un changement de prisme qui visait à mettre les patients que nous voulons soigner au cœur des préoccupations de nos équipes. De nouveaux départements spécialisés dans les domaines cliniques, réglementaires et Chemistry, Manufacturing and Controls (CMC) ont alors vu le jour, et nous avons recruté des professionnels aguerris pour développer nos produits candidats de pointe avec leur commercialisation en ligne de mire. En 2019, nous avons passé un cap en annonçant la construction d’une usine de production commerciale aux Etats-Unis alliant, pour la première fois au monde, la thérapie cellulaire à l’édition de gènes. Désormais, nous avons un avantage incontestable sur la concurrence. Nous en sommes intimement persuadés :

l’internalisation de la production des lots cliniques et commerciaux de nos produits nous permettra de garder cet atout stratégique tout en étant plus autonomes et plus flexibles.

C’est la capacité à concevoir des produits commerciaux de qualité qui détermine le succès d’une démarche de transformation d’une biotech-biopharma.

André Choulika, président-directeur général de Cellectis

Selon nous, c’est la capacité à concevoir des produits commerciaux de qualité qui détermine le succès d’une démarche de transformation d’une biotech-biopharma. Afin que cette mutation se réalise dans les meilleures conditions possibles, elle doit, bien entendu, être accompagnée par le développement de processus industriels et par un contrôle interne extrêmement rigoureux.

Avoir un avantage concurrentiel fort et l’entretenir est un facteur de succès important. Mais justement, de quelle concurrence parle-t-on aujourd’hui pour les biotechs tricolores ?

Gérard Soula (GS) : La concurrence pour les biotechs françaises est multiple. Nos premiers concurrents sont nos partenaires eux-mêmes et c’est un aspect contingent au business model de la biotech qui consiste à licencier ses innovations à des partenaires. En effet, les grandes biopharmas, qui sont plus à même de promouvoir et de commercialiser nos innovations, sont aussi celles qui ont le plus de moyens pour développer ou acquérir des produits concurrents. Il revient donc à nos sociétés de développer des innovations suffisamment différenciées pour se faire une place dans le portefeuille des biopharmas, sans jamais perdre de vue la défense de nos intérêts.

INTERVIEW CROISÉE

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INTERVIEW CROISÉE

42 - Santé, un secteur en profonde mutation

La deuxième catégorie de concurrents, ce sont bien sûr nos pairs, c’est-à-dire les autres biotechs qui, en France et à l’international, développent des produits répondant aux mêmes besoins médicaux que les nôtres. Parmi ces sociétés, les concurrents les plus sérieux sont ceux qui ont un accès facilité au capital par rapport aux entreprises tricolores. C’est le cas aujourd’hui, de manière générale, des sociétés américaines, israéliennes et, plus récemment, chinoises.

Comment les biotechs françaises se démarquent-elles de ces acteurs qui bénéficient de fonds plus importants ?

GS : Nos biotechs puisent leur différence, sans nul doute, dans l’esprit d’innovation « à la française ». Nos formations contribuent à une culture de rigueur et d’excellence scientifique et au développement d’un véritable esprit critique, qui sont le terreau de l’innovation.

Un autre avantage, en France, est une forme de fidélité à l’entreprise, d’engagement intense autour d’un projet sur le long terme, que l’on observe peut-être plus ici que dans d’autres pays. Chez Adocia, par exemple, nous avons construit une équipe qui a su relever de nombreux défis et qui a su grandir, scientifiquement et humainement, depuis près de quinze ans. Cela permet d’aborder des projets ambitieux dans une atmosphère de

confiance, de les envisager dans la durée et de développer des expertises approfondies qui ont beaucoup de valeur. Cela permet également de construire sur ces expertises et d’enrichir progressivement les équipes avec les profils adaptés, sans craindre de gâcher les efforts déjà consentis.

Nos biotechs puisent leur différence, sans nul doute, dans l’esprit d’innovation « à la française » (…) elles savent faire beaucoup avec peu.

Gérard Soula, président-directeur général d’Adocia

Enfin, je pense que les biotechs françaises savent faire beaucoup avec peu. Nos business models sont plus frugaux que ceux de certains de nos compétiteurs américains, entre autres. Cela tient à la fois d’une culture agile réelle, mais aussi, peut-être, d’une certaine humilité. Bien sûr, c’est également rendu possible par un environnement favorable, comme, en particulier, le Crédit d’Impôt Recherche, qui est une spécificité française qui permet de soutenir les sociétés innovantes sur la durée.

Aujourd’hui, quels partenaires de l’écosystème peuvent aider les biotechs nationales à se développer rapidement ?

Bernard Gilly (BG) : L’évolution d’une start-up vers une entreprise de taille intermédiaire est un processus complexe qui nécessite des évolutions majeures de l’organisation à tous les niveaux, y compris et avant tout au niveau managérial. Le processus est rendu encore plus compliqué dans les domaines de la biotechnologie du fait de l’hyper-réglementation, des délais entre la soumission d’une autorisation de mise sur le marché et les premières commercialisations, et des besoins financiers liés à cette complexité.

L’évolution d’une start-up vers une entreprise de taille intermédiaire est un processus complexe qui nécessite des évolutions majeures (…) avant tout au niveau managérial.

Bernard Gilly, président d’IBionext

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INTERVIEW CROISÉE

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Evidemment, et heureusement, cette évolution n’est pas un passage obligé pour que l’innovation atteigne le marché puisque, dans bien des cas, les biotechs réussissent à signer des partenariats de développement ou sont rachetées par des grands laboratoires pharmaceutiques qui disposent, eux, de l’ensemble des infrastructures et des moyens nécessaires.

A ce jour très peu d’entreprises françaises ont réalisé et réussi ce cheminement. C’est un paradoxe notable car nous disposons, de fait, de l’ensemble des composantes nécessaires à la réussite de cette évolution : des managers compétents et expérimentés, des entreprises industrielles de fabrication de molécules innovantes, des relais hospitaliers de bon niveau, et un tissu assez dense d’entreprises de services capables de mettre au point et de valider les nouveaux tests nécessaires.

Si toutes les conditions sont réunies pour que les pépites françaises prospèrent sur le marché, pourquoi, selon vous, les « success stories » sont-elles trop peu nombreuses dans l’Hexagone ?

BG : En réalité, en France, le problème le plus important est l’accès au financement de cette phase de transition biotech-biopharma car il n’existe pas réellement d’opérateurs capables de financer la croissance des entreprises technologiques. Ce constat est une réalité depuis des décennies. Il est largement connu et partagé par l’ensemble des acteurs (start-up, laboratoires industriels, investisseurs institutionnels, pouvoirs publics) mais la situation n’a en rien évolué.

Force est de constater que nos concurrents américains ont construit, quant à eux, un secteur économique de la biotech extrêmement puissant grâce à un apport de capitaux massifs venant d’investisseurs institutionnels désireux de financer l’innovation technologique et la croissance de ces entreprises. Les grands laboratoires pharmaceutiques ont également joué leur rôle en achetant, souvent très cher, les start-up les plus avancées et les plus prometteuses. Les biotechs américaines peuvent ainsi

trouver, soit par des investisseurs privés, soit sur le NASDAQ, les 80 à 150 millions de dollars qui sont nécessaires à la mise sur le marché d’un produit de biotechnologie.

Pour permettre l’émergence de biopharmas françaises, il faut mettre en place plusieurs structures de financement indépendantes capables de leur apporter les financements nécessaires en se syndiquant avec d’autres fonds européens ou internationaux. Ces structures doivent être gérées par des équipes professionnelles et indépendantes. Les pouvoirs publics, s’ils souhaitent en effet développer ce secteur industriel extraordinairement rentable et stable, doivent orienter de façon volontariste une partie de l’épargne (assurance vie, retraites, etc..) vers le financement de cette croissance.

Les experts sont unanimes : au-delà du levier financier, les facteurs « humain » et « structure de l’organisation » sont clés dans la phase de transformation biotech-biopharma. Dans ce sens, quelles sont les métiers et l’organisation interne nécessaire à mettre en place pour assurer cette évolution ?

David Schilansky : Le passage biotech-biopharma est principalement une question d’industrialisation des fonctions, des procédés et de l’organisation. Les systèmes et les compétences au niveau compliance, qualité, réglementaire et pharmacovigilance, deviennent des facteurs clés de succès. De même les activités industrielles, de la finance à la chaîne d’approvisionnement aux activités de pré-commercialisation, sont des métiers nouveaux dont l’entreprise doit se doter, et ajouter à sa chaîne de valeur. Ces enjeux sont bien évidemment importants puisqu’il s’agit d’être capable de passer d’un modèle de start-up agile, dont la principale activité est de développer des produits, à une entreprise solide et organisée, capable de commercialiser des produits dans un marché hautement réglementé. Les profils nécessaires à cette transformation sont donc naturellement différents et le nombre de collaborateurs dans l’entreprise évolue de manière significative. Ce tournant s’effectue sur plusieurs mois, au moment où l’entreprise

prépare son premier dépôt de dossier de demande de mise sur le marché auprès des autorités réglementaires.

Certaines fonctions sont appelées à prendre une plus grande ampleur car de nouvelles exigences doivent être satisfaites. A ce moment, les profils recherchés sont, le plus souvent, ceux des « pharmas commerciales », habitués à travailler dans des structures transversales ou matricielles. L’impulsion donnée par les plus hautes instances, le « tone-at-the top », est donc déterminant dans cette transformation : la gouvernance de l’entreprise doit évoluer, prenant en considération ces nouveaux besoins, ces nouvelles exigences et un périmètre élargi.

Le rôle du conseil d’administration doit également être évalué, puisqu’il doit s’assurer d’avoir lui-même les compétences nécessaires pour accompagner ce tournant de la société. Bref, il s’agit de penser à un dispositif de maîtrise des risques adapté à l’évolution de la société. L’industrialisation d’une société pharmaceutique doit donc être effectuée au bon moment, à tous les niveaux de la chaîne de commande. ■

Le passage biotech-biopharma est principalement une question d’industrialisation des fonctions, des procédés et de l’organisation.

David Schilansky, directeur général adjoint chez DBV Technologies

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44 - Santé, un secteur en profonde mutation

Médecine : une discipline vitale réservée aux populations les plus riches ?

Dans tous les pays du globe, il existe de fortes disparités en matière d’état de santé entre les différents groupes sociaux. Moins le niveau socio-économique d’une personne est élevé, plus le risque de tomber malade est grand. Etre en bonne forme est un luxe et « celle ou celui qui a la santé est riche sans le savoir », rappelle, à juste titre, un proverbe bien connu.

Pauvreté et problèmes de santé vont de pair. Toutes les études dans le domaine sanitaire le montrent : les Etats aux économies fragiles tendent à réaliser de moins bons résultats que les nations plus aisées et, à l’intérieur d’un même pays, les populations défavori-sées sont proportionnellement plus souvent malades – et ne sont pas affectées par les mêmes pathologies – que les plus riches. « Cette associa-tion révèle un lien de causalité à double sens », indique Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC. « La pauvreté entretient les inégalités en matière de santé et la

mauvaise santé entretient les difficultés d’ordre social et la pauvreté », ajoute-t-elle.

Plusieurs chiffres très évocateurs, récemment publiés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), viennent affirmer que ce clivage est bel et bien réel et ne relève aucunement de l’imaginaire collectif. L’institution rappelle, à ce titre, que vingt-et-un mille enfants meurent chaque jour avant d’avoir soufflé leur cinquième bougie. Ceux issus de familles rurales et pauvres représentent les deux tiers de ces décès.

La pauvreté entretient les inégalités en matière de santé et la mauvaise santé entretient les difficultés d’ordre social et la pauvreté.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

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21 000 enfants meurent chaque jour dans le monde et les 2/3 sont issus de familles rurales et pauvres. Source : Organisation mondiale de la santé

80 % des maladies non transmissibles se développent dans des Etats aux économies fragiles. Source : Organisation mondiale de la santé

Et si cette jeunesse voit le jour et parvient à grandir dans des condi-tions pas toujours faciles, parfois, elle doit le faire seule, puisque la mortalité maternelle est un autre indicateur qui met en évidence le chaos sanitaire qui persiste dans ces zones géogra-phiques. Les pays en voie de dévelop-pement enregistrent 99 % des décès de femmes en couches dans le

monde. A titre comparatif, lorsqu’elle donne la vie, une femme afghane, par exemple, a une chance sur onze d’y laisser la sienne alors qu’une Irlandaise en a une sur dix-huit mille.

Dans ce même rapport, d’autres faits et chiffres marquants donnent froid dans le dos. Tout d’abord, concernant l’écart qui existe entre les pays : on apprend que 80 % des maladies non transmis-sibles frappent les pays à revenu faible ou moyen, que 95 % des décès par tuberculose proviennent de ces nations économiquement instables, et que l’espérance de vie au Malawi s’élève à quarante-sept ans alors qu’au Japon elle est de quatre-vingt-trois ans – soit trente-six de différence. Cette étude met aussi en lumière les clivages observés au sein des populations qui vivent dans les mêmes Etats mais dans des conditions opposées : aux Etats-Unis, par exemple, les afro-américains ne représentent que 12 % de la popu-lation mais enregistrent la moitié des nouvelles infections par le VIH, ou encore à Londres, où l’espérance de vie des hommes est de soixante et onze ans dans le quartier populaire de Tottenham Green et de

quatre-vingt-huit dans la zone huppée de Queen’s Gate – soit une différence de dix-sept ans. D’après les conclu-sions du London Public Health Observatory (LPHO), dès lors qu’on s’éloigne du centre-ville, on peut consi-dérer qu’à chaque station de métro, l’espérance de vie diminue de pratique-ment un an.

Des soins toujours plus chers pour des populations toujours plus pauvresPlusieurs organisations internationales et donateurs de premier plan se sont fixés comme objectif d’améliorer les conditions sanitaires pour les popula-tions les plus vulnérables. Ce défi, en soi, est un aveu collectif que d’un continent, d’un pays, d’une région, d’une ville ou d’une rue à une autre, l’accès aux soins de qualité est inéqui-table. Elisabeth Hachmanian réagit : « en plus d’être inéquitable, il est humainement parlant injuste. Se soi-gner nécessite de pouvoir payer les soins, ce que certains individus sont dans l’incapacité de faire. Ils sont donc

Générées par :• Manque d’éducation ;• Faiblesse des normes sociales,

faiblesse des institutions et des infrastructures, environnement néfaste ;

• Mauvaise protection sanitaire –difficile d’accès, services inadaptés, qualité médiocre ;

• Exclusion du système de financement de la santé – assurance limitée, reste à charge élevé.

Le cyclede la santé

et de la pauvreté

Comportements généralisés des personnes

à faibles revenusMauvais résultats sanitaires

Revenu amoindri

• Mauvaise santé• Malnutrition• Forte fécondité

• Perte de salaire• Frais de santé• Plus grande vulnérabilité aux

pathologies catastrophiques

• Utilisation insuffisante des services, pratiques alimentaires et sanitaires néfastes, etc.

Source : Organisation mondiale de la santé, 2018

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46 - Santé, un secteur en profonde mutation

mis à l’écart du système puisqu’ils n’y ont pas accès. Malheureusement, au fur et à mesure que les pathologies s’aggravent, le coût de la prise en charge du patient augmente. Ces populations se retrouvent donc, malgré elles, prises dans un cercle vicieux où elles ne peuvent ni financer leur réta-blissement, ni agir – consulter des médecins compétents ou suivre un parcours de soins adapté – pour être en meilleure santé. »

Les dépenses en santé augmentent rapidement partout dans le globe et plus particulièrement dans les pays à revenu faible.

Renaud Vignon, directeur Consulting Santé et protection sociale chez PwC

Pour survivre, certaines personnes malades, celles qui en ont la possibilité, s’endettent en mettant sur la table des sommes qu’elles n’ont pas en banque. D’après une étude publiée en février dernier par l’OMS, l’argent que brasse le secteur de la santé est en pleine explosion. Aujourd’hui, l’augmentation des dépenses en santé, qui repré-sentent 10 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, dépasse même la crois-sance de l’économie internationale. Renaud Vignon, directeur Consulting Santé et protection sociale chez PwC, détaille : « les dépenses en santé augmentent rapidement partout dans le globe et plus particulièrement dans les pays à revenu faible où la hausse observée est de 6 % par an contre 4 % dans les pays à revenu élevé. Ces sommes investies sont assumées, en moyenne, à 51 % par les administra-tions publiques et à plus de 35 % par les populations locales. L’une des principales conséquences de ce phénomène est très inquiétante :

Les dépenses de santé ne doivent pas être considérées comme un coût mais comme un investissement en faveur de la lutte contre la pauvreté, de l’emploi, de la productivité, d’une croissance économique inclusive et de sociétés plus saines, plus sûres et plus justes.

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé

chaque année, 100 millions de per-sonnes plongent dans l’extrême pau-vreté dans l’espoir de s’accrocher à la vie. »

Pour sortir la tête de l’eau, les popula-tions les plus défavorisées ont besoin d’aide. Que ces aides proviennent d'acteurs publics ou privés, peu importe, l’important pour elles, à ce stade, est de ne pas se laisser mourir par faute de moyens. A ce propos, les économistes constatent que le finan-cement public national de la santé augmente dans les pays à revenu faible mais que les sommes affichées ne sont pas assez conséquentes pour passer un cap et améliorer réellement les conditions de vie des plus pauvres. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, commente : « il est essentiel d’accroître les dépenses au niveau national pour atteindre la couverture sanitaire universelle et les objectifs de développement durable liés à la santé. Cependant, les dépenses de santé ne doivent pas être considérées comme un coût mais comme un investisse-ment en faveur de la lutte contre la pauvreté, de l’emploi, de la producti-vité, d’une croissance économique inclusive et de sociétés plus saines, plus sûres et plus justes. »

Les Etats font un premier pas vers les plus démunis, mais un second sera nécessaireDepuis les années 2000, les dépenses des pouvoirs publics en santé, par habitant, ont doublé dans les pays à revenu faible. Sur ces terres, en moyenne, les gouvernements dépensent près de 30 dollars par personne – contre plus de 3 000 dol-lars dans des pays aisés comme la France. Elisabeth Hachmanian com-mente : « ces efforts reconnus doivent être poursuivis si nous voulons éviter une nouvelle crise humanitaire dans

ces zones défavorisées. La logique est simple : si les gouvernements augmentent leurs dépenses, les citoyens diminuent les leurs et risquent donc moins de basculer dans l’extrême pauvreté quand ils doivent recourir à des services de soins. » Elle poursuit : « mais attention, pour que le système soit inclusif et égalitaire, les aides de l’Etat doivent être réparties de telle manière à ce que l’ensemble – et non pas une infime partie de personnes privilégiées – de la popu-lation puisse bénéficier de soins de santé primaires (SSP) », c’est-à-dire de soins de première nécessité qui couvrent la majorité des besoins de santé d’une personne tout au long de sa vie comme, par exemple, la pré-vention, le traitement, la réadaptation ou encore les soins palliatifs.

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Des récentes données partagées par l’OMS dans un communiqué semblent indiquer que dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, plus de la moitié des dépenses générales en santé sont consacrées aux SSP. Paradoxalement, moins de 40 % des dépenses consacrées aux SSP sont assurées par les administrations publiques. Dans ce contexte, de multiples questions de fond se posent : le peuple serait-il en train de régler la facture que certains gouver-nements auraient décidé de laisser de côté ? Dans quels domaines et sous-domaines sanitaires ces Etats investissent-ils réellement et en priorité ? Qui en sont les bénéficiaires directs et indirects ?

Pour que le système soit inclusif et égalitaire, les aides de l’Etat doivent être réparties de telle manière à ce que l’ensemble de la population puisse bénéficier de soins de santé primaires.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

Pour éviter tout dispersement, en adoptant la Déclaration d’Astana en octobre 2018, « les cent quatre-vingt-quatorze Etats membres de l’organi-sation ont reconnu l’importance des SSP », déclare Agnès Soucat, direc-trice du département Gouvernance et financement des systèmes de santé de l’OMS, avant d’ajouter : « mainte-nant, ils doivent agir pour donner suite à cette déclaration et consacrer en priorité les dépenses à des soins de santé communautaires de qualité. »

Quand l’hémisphère nord écrase l’hémisphère sudPour mesurer la différence d’efficacité entre centre quatre-vingt-quinze systèmes de santé dans le monde, la fondation Bill & Melinda Gates a réalisé une étude comparative sur la base d’un indicateur qui détermine la qualité des soins et leur accessibilité. Le score (sur un total de 100 points) attribué à chaque nation est établi en évaluant les taux de mortalité de trente-deux maladies (tuberculose, cancer du sein, leucémie, etc.) pour lesquelles les décès peuvent, norma-lement, être évités si le patient dis-pose d’un accès rapide à des soins adaptés.

Dans ce classement, treize des quinze premiers pays sont situés en Europe de l’Ouest. Sur le podium, la princi-pauté d’Andorre qui enregistre un score de 95 points monte sur la marche la plus haute, suivie de l’Is-lande (94) et de la Suisse (92). Avec 88 points, la France occupe la 15e position, devant le Royaume-Uni (85) et les Etats-Unis (81). En bas du tableau, on retrouve la Somalie (34), l’Afghanistan (32) et, en dernière place, la Centrafrique (29).

L’étude souligne aussi le fait que la moyenne des scores a augmenté de façon significative depuis les années 90, passant de 40,7 à 53,7 points. « cent soixante-sept pays ont vu l’accessibilité et la qualité de leur système de santé augmenter de façon significative », relève la fondation. Bilan : un peu partout dans le globe, la qualité des soins est en hausse, certes, mais des inégalités continuent à se creuser entre les hémisphères nord et sud.

Les populations les plus pauvres manquent d’attention

Là où les infrastructures, la diversité des soins, les bonnes conditions de travail, les évolutions de carrière et la demande manquent, les médecins se font rares. Dans ce sens, selon l’OMS, l’analyse de la densité de profession-nels de santé par pays livre une vision d’ensemble assez fidèle des inégalités de santé dans le monde.

Les pays riches de la planète se caractérisent tous par un nombre de médecins bien supérieur à vingt-cinq pour dix mille habitants : cin-quante-deux en Autriche,

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Rwanda

10 20 30 40 500

OugandaThaïlande

Afrique du SudVietnam

Sri LankaPakistan

Chine

AutricheNorvège

AllemagneRussie

ItalieEspagneAustralie

Pays-BasJordanie

FranceBelgique

Royaume-UniCanada

Mexique

Nombre de médecins pour 10 000 habitants, par pays

Source : Organisation mondiale de la santé, 2018

quarante-quatre en Norvège, qua-rante-deux en Allemagne, quarante en Russie ou encore trente-neuf en Italie et en Espagne. En bas de l’échelle, les pays d’Afrique, et plus particulièrement de l’Afrique de l’Est, se distinguent par un effectif médical très faible, généralement un médecin pour dix mille habitants, comme c’est le cas pour le Rwanda ou l’Ouganda. Cédric Mazill, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, commente : « ces données ne donnent qu’un aperçu très général des inégalités d’accès aux soins. Certes, il existe une proba-bilité supérieure d’être mieux pris en charge dans un pays qui compte cinquante médecins pour dix mille habitants que dans un autre qui en compte dix fois moins, mais la quantité des soins ne fait pas forcément leur qualité. »

Il ajoute : « il faudrait pouvoir observer à la fois le nombre et la géographie de l’implantation des praticiens : certains individus, qui habitent en zone rurale, doivent parcourir des dizaines de kilomètres pour trouver un accès aux soins très réduit (infirmerie avec des soins de base). Cela ne peut pas continuer ainsi. Ces régions doivent disposer de médicaments à des prix abordables et de spécialistes pour les maladies les plus graves, domaines pour les-quels les inégalités sont encore plus grandes. »

Pour remédier à cette situation, les nouvelles technologies ont un rôle important à jouer. Chaque jour, de nouvelles solutions numériques pen-sées pour révolutionner l’accessibilité aux soins, comme par exemple la télémédecine, sont pensées et com-mercialisées sur le marché. Les Hommes créent des machines pour venir en aide à l’espèce humaine. La Tech ne connaît aucune barrière, ni temporelle, ni géographique ; elle incarne aujourd’hui ce que de nom-breux scientifiques ont toujours sou-haité créer : une couverture sanitaire (presque) universelle à un prix relative-ment faible pour les bénéficiaires. ■

Contacts

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Elisabeth Hachmanian Associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée [email protected]

Renaud Vignon Directeur Consulting Santé et protection sociale [email protected]

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E-santé : un remède efficace pour guérir un continent en état d’urgence ?

En 2013, l'épidémie Ebola rappelait au monde l’insuffisance des infrastructures de santé en Afrique de l'Ouest. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu'un système de soin universel et performant peut passer par la e-santé, le continent, quant à lui, ne se transforme que très lentement.

Si dans certaines zones plus avancées d'Afrique, notam-ment dans la région du Maghreb et en Afrique du Sud, le secteur de la santé se modernise à une vitesse effrénée et la plupart des habitants ont accès à des soins de qualité, se soigner reste un privilège dans ce continent victime d’une crois-sance démographique accélé-rée et dans lequel financer le développement de cette industrie n'est pas une priorité pour de nombreux Etats aux économies fragiles.

D’après une récente étude menée par l’Institut français d’études démographiques (INED), alors qu’en 2017 ce continent était peuplé de 1,2 milliard d’habitants (soit un sixième de la population mondiale), en 2050, ils devraient être 2,5 milliards (soit un tiers de la population mondiale) à vivre sur ces mêmes terres.

Problème : les conditions sanitaires offertes à cette population grandissante inquiètent fortement les experts. En effet, selon un

rapport publié par l’OMS, l'Afrique sub-saharienne, par exemple, compte aujourd'hui seulement un médecin ainsi que dix lits d'hôpitaux pour un peu plus de 10 000 habitants alors que les spécia-listes préconisent un ratio d’au moins sept médecins et trente lits d’hôpitaux pour ce même segment de population.

Conséquences : les centres de soins sont saturés, les effectifs complètement dépassés, les infrastructures se dégradent, les médicaments manquent et beaucoup trop de patients attendent des heures avant d'être renvoyés chez eux sans avoir pu consulter un professionnel de santé.

En 2017, la population africaine représentait 1/6 de la population mondiale. En 2050, elle représentera 1/3 de ce même segment. Source : Institut français d’études démographiques

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Au-delà des problèmes d’infrastruc-tures et de personnel, l’accès aux médicaments est une autre faille largement observée dans de très nombreux pays africains. Pour Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine et co-présidente du programme scientifique du Forum Galien, ce phénomène inquiétant freine, à l’échelle locale mais aussi nationale et internationale, la lutte contre la propagation des maladies infectieuses. En effet, depuis plu-sieurs années, en se développant, les infections mortelles comme le VIH, le paludisme, la tuberculose, le choléra, la dysenterie et les fièvres hémorra-giques comme celles d’Ebola et la fièvre jaune, mettent à rude épreuve les systèmes de santé africains. Aujourd’hui, la brusque augmentation des maladies non transmissibles, comme le diabète, le cancer et les maladies cardiovasculaires et pulmo-naires font d’ailleurs peser une charge supplémentaire sur ces systèmes fragiles.

1/3 des Africains n’ont pas accès aux 433 médicaments et vaccins considérés comme essentiels. Source : Organisation mondiale de la santé

A ce propos, l’OMS estime qu'un tiers des Africains n'ont pas accès aux quatre cent trente-trois médicaments et vaccins considérés comme essen-tiels, dont pourtant beaucoup sont des génériques dont le brevet a été amorti. Des multinationales ont même renoncé à certains de leurs brevets dans les pays les plus pauvres. Cet accès difficile tient surtout aux gou-lots d'étranglement dans la distribu-tion. Trop de médicaments vitaux n’arrivent jamais ou arrivent beaucoup trop tard à destination. Et cette ten-sion d'approvisionnement provoque une hausse constante des pénuries et

des risques de rupture de stock de ces produits. En plus du problème de la quantité de médicaments livrés à bon port, se pose la question de la qualité de ces marchandises. Les chaînes de distribution sont souvent fragmentées, avec de multiples inter-médiaires ou des canaux parallèles qui alimentent bien souvent la contre-façon. Eradiquer ce phénomène représente un enjeu majeur pour la santé publique. A titre d’exemple, on estime que près de 60 % des médica-ments achetés dans le golfe de Guinée entrent dans la classification « SF » (qualité inférieure, falsifiés) de l’OMS. Et le problème ne touche pas que l’Afrique puisque 10 % de l’en-semble des médicaments en circula-tion dans le monde pourraient être « SF ».

Ici, lorsqu'une personne victime d'un infarctus est prise en charge dans un hôpital, ce sont cinq autres qui décèdent sans avoir eu accès à une structure spécialisée et adaptée.

Valentin Yameogo, cardiologue à l’hôpital de Ouagadougou

Coincés entre l'urgence d'agir – car les problèmes de santé n'attendent pas – et l'accès difficile aux soins, chaque année, des milliers de patients quittent leurs pays pour se faire soigner à l'étranger. Pour ceux qui n'en n'ont pas les moyens, ils se plient aux règles locales. Dans un continent où être en parfaite santé a un prix fort, Valentin Yameogo, cardiologue burki-nabé qui s'est récemment lancé le défi audacieux de créer une salle de coronarographie au sein de l'hôpital de Ouagadougou pour soigner ses concitoyens dans son pays,

commente : « les maladies cardiovas-culaires constituent la première cause de mortalité dans la population adulte en Afrique subsaharienne. Ici, lors-qu'une personne victime d'un infarc-tus est prise en charge dans un hôpital, ce sont cinq autres qui décèdent sans avoir eu accès à une structure spécialisée et adaptée. Les infrastructures manquent. De ce fait, nous sommes contraints d'évacuer en urgence certains de nos patients vers le Maghreb, le Sénégal et la France. » Il ajoute : « l'ambition de notre projet est donc de mettre en place une structure de prise en charge de ces maladies coronaires à Ouagadougou pour offrir à nos concitoyens un traitement optimal sur place. »

Au-delà des initiatives locales mises en œuvre qui, bien souvent, ont du mal à voir le jour pour des raisons financières, l'Afrique compte sur les nouvelles technologies pour soigner ses patients. Cela fait d'ailleurs plus de douze ans que l'OMS pointe du doigt la nécessité de développer plus rapidement le secteur de la santé numérique – plus communément appelée la e-santé. Selon les experts, le bon usage de la Tech est un facteur clé qui permettra principalement de réaliser un suivi plus efficace et per-sonnalisé des patients, de baisser le nombre de consultations et donc de rendre le suivi moins coûteux, d’opti-miser l’administration des traitements, d’anticiper l’évolution de maladies permettant de diminuer le nombre d’hospitalisations imprévues, et enfin, d’universaliser l’accès aux soins et ainsi de venir en aide aux individus coupés des centres urbains où se trouvent les cliniques et les hôpitaux.

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Réaliser un suivi personnalisé des patients

Baisser le nombre de consultations

Rendre le suivi moins coûteux

Optimiser l’administration des traitements

Anticiper l’évolution de maladies

Diminuer le nombre d’hospitalisations

imprévues

Universaliser l’accès aux soins

1

27

45

6 3

Les principaux avantages de la e-santé

Pouvoirs publics et acteurs privés : une alliance ou rien du tout ?

La e-santé, qui regroupe les disposi-tifs médicaux connectés, la télésur-veillance, la télé-expertise, les téléconsultations, ou encore les dossiers médicaux électroniques, s’apprête à révolutionner les systèmes de santé africains. Nabil Kettani, associé Technology & Digital en Afrique francophone chez PwC, commente : « tous les outils technolo-giques qui permettent le suivi du dossier médical patient, et qui faci-litent la prévention, le maintien à domicile ou encore le suivi à distance des patients atteints de maladies chroniques (diabète, insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire chronique, insuffisance rénale chro-nique, etc.) apportent des solutions concrètes, efficaces et pérennes à des populations isolées et déconnec-tées du reste du monde. »

Avec ces services et outils centrés sur l'usager, le continent africain invente un modèle innovant, agile et économi-quement soutenable. L’Afrique devient un pôle d'attraction pour les entre-prises qui souhaitent y implanter des solutions digitales au service de la population. Mais pour que cela fonc-tionne, selon les experts, il n’existe qu’une option : la réussite globale de ces nouveaux modèles repose sur l'étroite coordination entre les pou-voirs publics et les acteurs privés. Selon eux, cette coopération doit s'inscrire dans un partenariat public-privé volontariste, intégrer toutes les initiatives issues du terrain au sein des politiques nationales de santé et surtout accompagner la professionna-lisation des principaux acteurs du système.

La très grande majorité des communi-cations scientifiques se rejoignent en effet sur ce point : la nécessité d’im-pliquer les pouvoirs publics dans les

projets de e-santé est primordial. Dans ce domaine, le Rwanda, par exemple, fait figure de champion, avec une stratégie nationale adoptée depuis dix ans déjà. Erick Gaju, coordonnateur e-santé national du Rwanda, indique : « grâce à une importante implication des élus, nous avons par exemple développé une application qui fonctionne par SMS dans chaque village. Désormais, les femmes enceintes reçoivent des messages pour leur rappeler les dates des visites médicales puis celles des premiers vaccins de leur enfant. » Il poursuit : « nous avons aussi déve-loppé une plateforme de drones qui permet de livrer très rapidement des poches de sang dans les hôpitaux de l’est du pays. Au Rwanda, il y a des infrastructures et du personnel spé-cialement dédiés aux différents programmes de e-santé. »

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Malheureusement, ailleurs, bien souvent, le développement de projets pilotes à l’échelle du pays relève du parcours du combattant. Tigest Tamrat, consultante au département santé et recherche de l’OMS, constate : « pour développer large-ment la santé numérique, il faut trou-ver des partenaires et ce n’est pas forcément simple (…) tout dépend souvent de la volonté des Etats à s’endetter. Sont-ils prêts à le faire pour un domaine capital comme celui de la santé ? Ce n’est pas toujours le cas ! » Et pourtant, cela est néces-saire !

Pour développer largement la santé du numérique, il faut trouver des partenaires et ce n’est pas forcément simple (…) tout dépend souvent de la volonté des Etats à s’endetter.

Tigest Tamrat, consultante au département santé et recherche de l’Organisation mondiale de la santé

Malgré ce manque de soutien poli-tique flagrant, un nombre croissant d’entreprises et de start-up étran-gères et nationales tentent de tirer leur épingle du jeu et de booster le secteur de la e-santé. S’il est placé entre les bonnes mains, grâce à l’innovation, le numérique est un remède efficace qui peut sauver des centaines de milliers de vies. Les chefs d’entreprise, et plus particulièrement les entrepreneurs, le savent et sont prêts à mettre leurs économies en péril pour venir en aide à un collectif, à une population, à un pays, à un continent placés en état d’urgence.

Implication des start-up : une dynamique positive à reproduire à plus grande échelle ?« Si je n'avais pas lancé ma boîte, je ne vois vraiment pas ce que j'aurais pu faire d'autre », remarque Hamidou, un entrepreneur malien qui a créé son entreprise spécialisée dans la e-santé avec son frère il y a cinq ans. La première motivation des jeunes vient en fait d'un constat d'impuissance : le travail manque, les études ne sont que peu ou pas valorisées, alors, il faut se lancer pour créer de la richesse, développer l’économie locale, ou parfois, pour tout simplement survivre.

D’après Adama Kane, fondateur de la start-up Jokko Santé au Sénégal, en Afrique, miser sur l’entrepreneuriat relève souvent d’une décision prise suite à une situation vécue. Dans son cas précis, durant six ans, sa femme a enchaîné les fausses couches et les traitements, avant la naissance de leur enfant en 2013. « C’est en ran-geant la chambre pour accueillir le futur bébé que nous avons réalisé que nous avions accumulé une quantité incroyable de médicaments non utilisés. La plupart des boîtes n'étaient même pas ouvertes mais périmées. J’ai alors pensé que des voisins ou des cousins avaient certai-nement eu à acheter les mêmes médicaments et s’étaient déjà retrou-vés dans la même situation », raconte-t-il. Rappelons-le : au Sénégal, les médicaments repré-sentent 52 à 72 % des dépenses de santé des ménages. Tout le monde essaie, dans la mesure du possible, de constituer des stocks chez soi en cas de problème. De ce constat et de ce vécu naît finalement le projet professionnel d’Adama Kane. Il décide de mettre en ligne le site jokkosante.org afin de faciliter l'accès à des médicaments de qualité pour tous. Les patients y précisent la référence de la spécialité ainsi que la quantité qu'ils souhaitent déposer et se voient crédités d'un certain nombre de points. Ces derniers peuvent être utilisés pour acheter d'autres médicaments auprès de pharmacies agréées. Ce projet pilote, soutenu par la BNP, Sonatel-Orange et l'ONG Raes, est en cours de déploiement au Sénégal, avec l’ambi-tion d’atteindre cinq autres pays africains dans les mois à venir. Mais Jokko Santé vise également d'autres régions du monde. « Notre système pourrait être utilisé dans les pays riches. On sait qu’en France, 50 % des stocks de médicaments se trouvent chez les particuliers ! », estime le fondateur de la start-up.

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Les sucess stories comme celle de Jokko Santé montrent que la planète entière peut s’inspirer de certains concepts pensés et développés à l’échelle locale en Afrique. En effet, certains problèmes sont universels et certaines solutions sont applicables partout dans le monde à un détail près : pour étendre son activité hors de ses frontières, une idée doit être suivie par des financements conséquents.

En 2017, les start-up africaines ont levé 167,7 millions de dollars. Durant le premier semestre de 2018, elles en ont levé 168,6 millions. Source : WeeTracker

Faute de recevoir des soutiens publics à la hauteur de leurs ambitions, de plus en plus d’entrepreneurs cherchent des leviers de croissance économique en externe. Selon une étude du média spécialisé WeeTracker, l’Africa Tech monte en puissance depuis l’année dernière. Rien que durant le premier semestre de 2018, les start-up afri-caines ont levé 168,6 millions de dol-lars, alors qu’elles en avaient levé 167,7 millions durant tout l’exercice 2017. Cela confirme la très bonne santé de l'écosystème d'innovation africain et l'énorme potentiel de croissance dont il bénéficie.

Cet écosystème continue aussi de se structurer autour d'incubateurs et d'accélérateurs de plus en plus nom-breux. Onze structures ont été créées rien qu'au premier semestre 2018. De plus, les start-up peuvent désormais compter sur le lancement de différents fonds d'investissement, et notamment le Digital Africa initiative, lancé par le Président de la République Française Emmanuel Macron lors de la dernière édition du salon Viva Technology. Ce fonds piloté par l'Agence française pour

le développement (AFD) et doté de 65 millions d'euros intervient auprès de start-up africaines en amorçage.

Seul bémol relevé par les experts : l’entrepreneuriat africain reste forte-ment concentré sur quelques pays seulement, créant ainsi de fortes inégalités d’une région à une autre. Le Nigéria, l'Egypte, l'Afrique du Sud (les trois plus grosses économies du continent) ainsi que le Kenya capita-lisent quatre-vingt-quatorze des cent vingt dernières opérations africaines recensées.

Développement de la e-santé : un enjeu technologique avant d’être un enjeu sanitaire ?Si l’Afrique se différencie des autres régions du monde par la façon dont elle s’accapare et exploite les nouvelles technologies, sur le sol africain, la révolution numérique n’est pas tant caractérisée par la Tech sur laquelle elle s’appuie que par l’utilité des solu-tions qu’elle développe. La technologie ouvre de nouveaux marchés, survole les frontières, crée de l’emploi, enrichit l’offre de choix, accélère les processus d’achat et de vente, apporte de la transparence, casse les habituelles politiques de prix, raccourcit les délais d’attente et vient en aide à des citoyens malades qui, grâce à l’essor de la e-santé, entre autres, peuvent désor-mais avoir accès à des traitements sur mesure. Ici comme partout ailleurs sur la planète, le high-tech révolutionne les modes de vie des populations locales.

Problème : selon une étude de l’Union internationale des télécommunications (UIT), l’Afrique souffre d’un gros souci de connectivité. De fait, c'est la région du monde la moins connectée au réseau, juste derrière l'Asie Pacifique et le Moyen-Orient. Moins de 30 % des Africains ont accès au haut débit mobile (contre 43 % en Asie Pacifique, avant dernier du classement, et 79 % en Amérique, en tête de liste) et

seulement 15 % bénéficient d'un accès à Internet à domicile (contre 46 % en Asie Pacifique et 84 % en Europe).

Plus qu’un simple défi technique, l’implémentation de solutions de e-santé dans le panorama médical africain soulève des enjeux culturels, pédagogiques et de formation.

Nizar Yaiche, associé en charge du digital, télécommunication et nouvelles technologies en Afrique francophone chez PwC

Moins de 30 % des Africains ont accès au haut débit mobile et seulement 15 % béné-ficient d’un accès à Internet à domicile. Source : Union internationale des télécommunications

Nizar Yaiche, associé en charge du digital, télécommunication et nouvelles technologies en Afrique francophone chez PwC, commente : « sans connec-tivité, d’une part, il est très difficile pour les ingénieurs et entrepreneurs de développer des solutions de e-santé, et d’autre part, pour la population locale, utiliser ces services technologiques dans un environnement partiellement connecté demeure compliqué. Dans ce contexte, avant d’espérer pouvoir améliorer les systèmes de santé grâce au numérique, la priorité est de consoli-der la base de ce projet qui consiste concrètement à booster le taux de pénétration d’Internet à l’échelle conti-nentale. »

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Le continent se heurte à un autre problème, là encore, il est question d’argent : comment financer cette phase de transition ? Comment boos-ter la connectivité plus rapidement ? Amel Ouertani, Senior Manager spé-cialisée en télécommunication et digitalisation en Afrique francophone chez PwC, explique : « afin de ne pas se laisser dépasser par le temps, des fonds créés localement se déve-loppent, souvent sous forme de taxe sur les opérateurs téléphoniques. La logique de cette manœuvre est simple : des entreprises comme par exemple Orange, Vodafone, MTN, Tigo ou Vodacom investissent dans la construction d’infrastructures permet-tant de relier au réseau des régions déconnectées. Une fois connectées, ces populations ont accès aux ser-vices de ces entreprises. Comme souvent, les premiers venus sont les premiers servis. » Nizar Yaiche com-plète : « la question de la connectivité entraîne dans son sillage de nom-breuses problématiques connexes comme la sécurité, l'énergie, l'in-frastructure routière… Ce qui amène parfois les opérateurs à renoncer à se développer dans les zones offrant peu ou pas de retour sur investissement à long terme. Face à cette situation, d’autres solutions doivent être envisa-gées. » Il ajoute : « en plus de ce problème majeur, de manière générale, du côté des établissements de soins, plusieurs problèmes importants per-sistent et freinent l’essor de la e-santé

dans le continent : un souci de collecte de données ne permet pas de mettre de nombreuses solutions dites intelli-gentes en place, les équipes ne sont pas suffisamment bien équipées, les applications digitales proposées aux collaborateurs sont souvent trop difficiles à prendre en main par des personnels non-formés au numérique, et une défiance collective par rapport à la valeur ajoutée de la Tech ne faiblit pas d’année en année. Du physique au virtuel, le chemin est encore long dans certaines organisations. Plus qu’un simple défi technique, l’implémentation de solutions de e-santé dans le pano-rama médical africain soulève des enjeux culturels, pédagogiques et de formation. »

Le continent manque de fonds publics-privés pour enclencher sa révolution numérique. Mais bonne nouvelle : persuadés du fort potentiel que représente ce vaste marché dans le secteur du digital, depuis plusieurs mois, des investisseurs étrangers de taille ont déclaré vouloir miser gros sur ce continent : les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

Facebook, Google et les autres géants du numérique n’ont plus de doute : l’époque où ils évoluaient dans un environnement échappant à toute réglementation sera bientôt révolue en Occident. De fait, les pays émergents d’Afrique sont devenus pour ces entreprises des marchés cibles, car

moins matures. « Ils y ont le champ libre », indique Bacely Yoroby, déve-loppeur ivoirien et fondateur du pre-mier réseau Google à Abidjan. Les entreprises du Web le savent : en 2050, la grande majorité de la popula-tion mondiale vivra sur ce continent. Bâtir dès à présent des bases solides avec les décideurs de ce marché gigantesque, c’est miser sur le futur. Dans un marché où beaucoup reste à construire, il est donc logique que les GAFAM y avancent leurs pions. Les réglementations mises en place sont plus souples, la main d’œuvre est moins chère et la concurrence est moins rude que dans le reste du monde.

Entre business et santé, bénéfices et qualité des soins, politiques locales et affaires internationales, investisse-ments publics et investissements étrangers, boost de la médecine connectée mais manque de connecti-vité, ce secteur prendrait-il une dimen-sion plus techno-socio-politico- économique qu’humanitaire ? D'après les experts de PwC, l’humain doit passer avant les enjeux économiques. Ne pas respecter cette consigne simple pourrait être dévastateur aussi bien pour l’Afrique que pour le reste du monde. Plus que dans n’importe quel autre secteur, la santé doit respecter une certaine éthique ainsi que la dignité humaine. Le collectif doit prévaloir sur l’individuel. ■

Contacts

Nabil Kettani Associé Technology & Digital en Afrique francophone [email protected]

Nizar Yaiche Associé en charge du digital, télécommunication et nouvelles technologies en Afrique francophone [email protected]

Amel Ouertani Senior Manager spécialisée en télécommunication et digitalisation en Afrique francophone [email protected]

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Intelligence Artificielle : une révolution technologique initiée par et pour les Hommes

L'Intelligence Artificielle (IA) promet une métamorphose complète du secteur de la santé. Le développement des algorithmes d'apprentissage automatique, la prolifération des données numériques et biomé-triques, l'accélération de la puissance de calcul et les pro-grès dans le domaine médical et biologique concourent d'ail-leurs à cette révolution. Mais les Hommes sont-ils prêts à suivre le rythme imposé par les machines qu’ils fabriquent eux-mêmes ?

En septembre dernier, à Rouen, dans un débat – comme il en existe des milliers par an – portant sur le sujet de l’acharnement thérapeutique, quelques minutes avant de quitter l’amphithéâtre, un spectateur profite de la parenthèse questions-réponses pour interpeller les experts sur scène. Il les interroge : « quelle place vont réellement occuper les Hommes dans la médecine de demain ? Qui va décider quoi pour nous ? », avant d’ajouter que « la seule chose qui m’importe, c’est que celui qui décide soit présent et que ce soit une présence humaine dotée d’une certaine sensibilité ! Et non pas que la décision soit prise par un robot, ou par ce que l’on appelle aujourd’hui un algorithme qui, après analyse de mon dossier, va trancher sur le traitement que je devrai suivre ou sur l’opération que je devrai subir ! ».

En 2018, 60 % des Français ont indiqué avoir peur de l’IA (contre 47 % en 2017).Source : Odoxa

Dans les gradins, les sourires sur les visages des participants témoignent de leur incrédulité. Pourtant, sur l’estrade, les intervenants prennent très au sérieux cette crainte liée à l’importance qu’occupent et que continueront d’oc-cuper les nouvelles technologies, et plus particulièrement l’IA, dans le secteur de la santé. Et pour cause, cette question est loin d’être une interrogation isolée, insolite ou absurde. Elle est représentative d’un état d’esprit de défiance, à grande échelle, vis-à-vis de l’importance grandissante de la Tech dans nos sociétés contemporaines.

Chiffres à l’appui : selon un récent sondage mené par Odoxa, en 2018, 60 % des Français ont indiqué avoir peur de l’IA (contre 47 % en 2017) et 46 % ont déclaré être convaincus que les machines remplaceront au moins partiellement les Hommes au travail dans les années à venir (contre 33 % en 2017).

Et si cette part de la population interro-gée avait vu juste ? Et si, au-delà des défis d’intégration de l’IA dans les infrastructures médicales et dans les parcours de soins, l’acceptation de cette technologie par les humains était finalement le plus gros défi auquel les professionnels de santé devraient faire face dans un futur proche ? Où en sommes-nous réellement en matière d’IA en 2019 ? Quelles sont les oppor-tunités et les menaces que cette tech-nologie présente ?

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56 - Santé, un secteur en profonde mutation

L’IA en 2019, c’est quoi exactement ?

Depuis toujours, l’IA fascine le monde entier. Si cette technologie nourrit les fantasmes des uns et les craintes des autres, de nombreuses études démontrent qu’une grande partie de la population ignore ce qu’est l’IA en réalité. Jean-David Benassouli, asso-cié Data Intelligence chez PwC, commente : « une technologie de rupture qui n’est pas familière à un individu et qui pourtant occupe chaque jour une place de plus en plus importante dans sa vie, c’est une technologie qui peut, à juste titre, l’effrayer. Dans ce sens, pour cesser de craindre l’IA, il faut apprendre à la connaître. »

Pour cesser de craindre l’IA, il faut apprendre à la connaître.

Jean-David Benassouli, associé Data Intelligence chez PwC

En 2019, l’IA est considérée comme étant la science dont le but est de faire réaliser par une machine des tâches que l’Homme accomplit en utilisant son intelligence. Dans la pratique, cela recouvre des missions très variées comme par exemple détecter des mélanomes à partir de photographies, traduire automatique-ment une ordonnance en français vers l’anglais, poser un diagnostic médical à partir d’informations personnelles d’un patient ou encore programmer un drone pour qu’il puisse déplacer en toute autonomie des outils chirurgi-caux depuis un point A jusqu’à un point B dans un environnement inconnu.

Plus une machine enregistre de données, plus elle est capable de s’adapter à son environnement et de prendre des décisions semblables à celles qu’un être humain pourrait prendre.

Marc Damez-Fontaine, directeur Data Intelligence chez PwC

Marc Damez-Fontaine, docteur en informatique spécialité IA et directeur Data Intelligence chez PwC, indique : « de nombreuses personnes associent, à tort, la robotisation à l’IA, or ce sont deux concepts complètement diffé-rents. La robotisation correspond à l'automatisation d'un processus : une machine exécute des tâches que l’Homme lui ordonne d’exécuter, et elle s'améliore grâce à l’Homme qui intègre de nouveaux programmes dans la machine. Son niveau d’autonomie est de zéro. L’IA, quant à elle, correspond à un processus d’apprentissage auto-nome : la machine exécute des tâches en imitant les tâches réalisées par l’Homme au préalable. Elle développe seule son modèle, en apprenant de ses erreurs et peut s’adapter à l’environne-ment qui l’entoure. » Il ajoute : « pour se développer, elle se nourrit de données qui représentent les tâches humaines. Plus une machine enregistre de don-nées, plus elle est capable de s’adapter à son environnement et de prendre des décisions semblables à celles qu’un être humain pourrait prendre. »

Pour cerner les capacités actuelles de cette technologie, il est important de différencier deux types d’IA : la faible et la forte.

L’IA faible vise essentiellement à reprendre le plus fidèlement possible, à l’aide d’algorithmes, le résultat d’un comportement spécifique prévu à l’avance, sans aucune forme d’impro-visation. Cette technologie effectue uniquement des tâches program-mées. Elle n’évolue pas. En d’autres termes, elle fait ce qu’on lui demande de faire, rien de plus. Exemples : repérer des risques de maladies cardiovasculaires en scannant la rétine des patients, rédiger des rap-ports courts à partir d’une analyse sémantique poussée, ou encore répondre oralement à des questions posées par les Hommes grâce à la quantité de questions-réponses enregistrée dans la machine. Jean-David Benassouli commente : « l’IA faible est très performante dans son domaine mais reste confinée dans celui-ci car elle se contente d’appliquer des consignes dictées par l’Homme. Aujourd’hui, c’est cette forme d’IA que les chercheurs déve-loppent principalement. »

A la différence de l’IA faible, l’IA forte correspond à un programme informa-tique capable de raisonner, d'ap-prendre et même de résoudre des problèmes… Comme si elle était « intelligente » en quelque sorte. Marc Damez-Fontaine explique : « ces machines sont capables d’apprendre seules à partir de situations vécues, exactement comme un enfant qui finit par comprendre par lui-même la logique d’un jeu à force d’essayer, de se tromper, de rectifier le tir puis de réussir. » En 2019, l’IA forte se situe encore au stade expérimental.

Même si certaines IA présentes dans l’imaginaire collectif relèvent encore de la science-fiction, force est de constater que cette technologie est déjà en train de révolutionner le monde de la médecine et plus large-ment nos sociétés entières.

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La technologie ne remplace pas l’humain, elle le seconde

Difficile de dresser un tableau com-plet des applications de l’IA dans la médecine tant elles sont nombreuses et de nature variée. De l’élaboration de diagnostics à la prévention, en passant par le traitement, le suivi et la recherche, cette technologie vient en premier lieu aider le corps médical à rendre l’expérience patient plus dynamique, personnalisée, agile, collaborative et continue.

La technologie permet d’automatiser les tâches récurrentes et donc de laisser aux Hommes plus de temps pour se pencher sur des missions à réelle valeur ajoutée.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

Pour Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC, « les nouvelles technologies per-mettent aux citoyens d’accéder à des solutions clés en main pour mieux gérer leur santé et le suivi de leur traitement. » Elle explique : « prenons l’exemple des chatbots : ces outils conversationnels reposant sur l’IA et le Big Data répondent de manière automatique, à toute heure du jour ou de la nuit, aux questions que les patients se posent. Côté utilisateur, l’utilisation de ces agents virtuels sont des aides non négligeables pour les

soins car ils conseillent des astuces et des traitements simples et efficaces afin de ne pas recourir à l’hôpital pour un simple trouble. Côté professionnel de santé, la technologie permet d’automatiser les tâches récurrentes et donc de laisser aux Hommes plus de temps pour se pencher sur des missions à réelle valeur ajoutée. » Une étude récente réalisée par le Think Tank #leplusimportant montre d’ail-leurs que d'ici 2030, le numérique, l’IA et la robotique vont permettre de dégager 45 % de gains de producti-vité pour les professions médicales et paramédicales comme les aides-soi-gnants, infirmiers, cadres de santé, pharmaciens, généralistes, chirur-giens ou encore les radiologues. A elles seules, elles représentent 80 % de l'ensemble des métiers de santé. « Le message est clair : non, l’IA ne va pas remplacer le médecin mais elle va transformer radicalement les condi-tions d’exercice du métier et la relation avec le patient », affirme Elisabeth Hachmanian.

Karine Lévy-Heidmann, responsable du développement des partenariats santé et coordinatrice de la mobilisa-tion Kicking Cancer chez Makesense, partage un autre exemple d’applica-tion de l’IA dans le parcours patient : « hors des murs de l’hôpital, l’amélio-ration de l’observance des traitements et du suivi thérapeutique est permise grâce à l’arrivée sur le marché d’outils contrôlant la prise des traitements, comme la plateforme d’IA AiCure et sa technologie de vérification visuelle. Le médecin peut alors savoir de manière exacte les conditions (heure, quantité, régularité…) dans lesquelles le patient prend ou non son traite-ment, et le patient dispose lui-même d’un outil de suivi rassurant. »

Au-delà de booster la diffusion d’in-formations en temps réel entre les

utilisateurs et les centres de soins, la responsabilisation et l’automédication contrôlée des patients, la réduction des temps d’hospitalisation, l’optimi-sation de la charge de travail du personnel soignant, l’IA permet aussi, à grande échelle, de réaliser des économies qui pourront être investies dans l’innovation, la recherche ou la modernisation des infrastructures.

Une solution pour la désertification médicale

Selon un récent sondage d’Opi-nionWay portant sur la prévention augmentée, 61 % des Français esti-ment que les nouvelles technologies et l'IA aident à surveiller de plus près leur santé, 74 % pensent qu’elles permettent de sauver des vies et 67 % déclarent qu’elles constituent une réponse au problème de la multi-plication des déserts médicaux, une situation qui préoccupe de plus en plus les pouvoirs publics et les « populations isolées » à l’heure où le Conseil national de l’ordre des méde-cins (Cnom) annonce qu’en moins d’une décennie, le nombre de méde-cins en activité régulière – principale-ment des médecins généralistes – a diminué de 10 % (94 261 en 2010 vs 87 801 en 2018) sur tout le territoire et que cette tendance pourrait s’accen-tuer dans les années à venir.

67 % estiment que les nouvelles technologies et l’IA constituent une réponse aux problèmes du système de santé comme les déserts médicaux.Source : OpinionWay

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58 - Santé, un secteur en profonde mutation

Inférieure de plus de 15 %Inférieure de -5 à -15 %Comprise entre -5 et +5 %

Franche-Comté

AlsaceLorraine

Paca

CorseLanguedoc-Roussillon

Midi-Pyrénées

Aquitaine

Poitou-Charentes

Limousin

AuvergneRhône-Alpes

BourgogneCentre

Paysde la Loire

Bretagne

Basse-Normandie

Haute-Normandie

Nord-Pas-de-Calais

Picardie

Ile-de-France Champagne-

Ardenne

En 2006

Supérieure de 5 à 10 %Supérieure de plus de 10 %

Franche-Comté

AlsaceLorraine

Paca

CorseLanguedoc-Roussillon

Midi-Pyrénées

Aquitaine

Poitou-Charentes

Limousin

AuvergneRhône-Alpes

BourgogneCentre

Paysde la Loire

Bretagne

Basse-Normandie

Haute-Normandie

Nord-Pas-de-Calais

Picardie

Ile-de-France Champagne-

Ardenne

En 2019

Guadeloupe Martinique RéunionGuyane Guadeloupe Martinique RéunionGuyane

Evolution de la densité des médecins par rapport à la moyenne nationale, par ancienne région française

Source : Conseil national de l’ordre des médecins, 2019

Le nombre de médecins en activité régulière est passé de 94 261 en 2010 à 87 801 en 2018, soit une baisse de 10 %. Source : Conseil national de l’ordre des médecins

Face à l’inégalité d’accès aux soins, la e-santé – via la télémédecine, l’usage d’objets connectés à Internet ou à l’IA – prend chaque jour un peu plus de place dans le secteur. D’après les experts, l’usage de nouvelles techno-logies est un facteur clé qui permettra l'expansion de la couverture sanitaire universelle en faisant tomber cer-taines barrières comme les coûts, l'accès compliqué ou le manque de

qualité des soins, tout en étendant la gamme des services proposés en particulier dans les régions où les infrastructures et le personnel sont rares ou inexistants.

Karine Lévy-Heidmann, indique : « avec, d’abord, la numérisation progressive des dossiers médicaux, puis la réalisation de consultations à distance grâce à des salles de télé-médecine dotées des technologies dédiées, on imagine sans peine que la prochaine étape sera l’arrivée de robots dotés des bons algorithmes, capables de recevoir et de question-ner les patients, de croiser les infor-mations reçues avec d’immenses bases de données, et de réaliser des pré-diagnostics. » Elle ajoute : « permettre aux patients d’être suivis plus régulièrement, leur faire gagner le temps des déplacements et opérer un

premier tri pour le médecin sont autant de bénéfices à valoriser face au problème de la pénurie de méde-cins et du manque d’infrastructures dans certaines régions françaises. »

Un secteur de plus en plus performant grâce à la Tech

L’IA ouvre les portes d’une médecine personnalisée, adaptée à chaque individu, qui prend en compte l’en-semble de ses données personnelles, allant de son lieu de naissance, ses habitudes de consommation à ses mutations génétiques, les croisant avec les gigantesques bases de données disponibles et permettant aux médecins de choisir le traitement le plus adapté.

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C’est véritablement une médecine sur-mesure qui émerge, où ce qui est soigné n’est plus la maladie ponctuelle dans le corps du malade, mais le malade et toutes ses données, dans une approche globale.

Karine Lévy-Heidmann, responsable du développement des partenariats santé chez Makesense

« Les médecins sont débordés d’in-formations venant de la littérature scientifique, des essais cliniques réalisés ou en cours, mais aussi de leurs patients. Là où l’esprit humain n’est pas adapté pour gérer de telles quantités de données, les algorithmes peuvent désormais prendre le relais. C’est véritablement une médecine sur-mesure qui émerge, où ce qui est soigné n’est plus la maladie ponc-tuelle dans le corps du malade, mais le malade et toutes ses données, dans une approche globale », com-mente Karine Lévy-Heidmann.

Récemment, de l’autre côté de l’Atlan-tique, une étude réalisée par l’univer-sité de San Francisco a bouleversé la communauté scientifique internatio-nale : des analyses pointues ont démontré que l’IA était dorénavant capable de détecter la maladie d’Al-zheimer en moyenne six ans avant les humains. Selon les experts, cette nouvelle pourrait éradiquer en partie cette maladie « qui touche actuelle-ment environ 900 000 personnes dans l’Hexagone et qui représente la quatrième cause de mortalité dans le pays », rappelle l’association France Alzheimer et maladies apparentées. Cédric Mazill, associé responsable du secteur Industries de Santé publique

et privée chez PwC, commente : « les seuls médicaments qui existent aujourd’hui pour lutter contre l’Alzhei-mer servent à enrayer sa progression. Mais pour que ces traitements fonc-tionnent, ils doivent être pris à un stade précoce de la maladie. En 2019, cela est encore impossible, car l’Al-zheimer se diagnostique à un stade très avancé. Quand cet algorithme sera utilisable par les hôpitaux, les médecins pourront soigner des personnes présentant les signes précoces de cette maladie à temps. »

Les experts sont tous d’accord : sans la technologie, cette avancée aurait été impossible. Dans ce contexte, plusieurs questions s’invitent au débat : le secteur de la santé est-il voué à devenir entièrement ou partiel-lement techno-dépendant ? L’IA s’apprête-t-elle à révolutionner la médecine de l’intérieur ? Les hôpitaux de demain seront-ils des lieux où les médecins travailleront quotidienne-ment main dans la main avec des professionnels spécialisés en Data Intelligence ? Quels organismes publics et/ou privés assumeront le rôle de tiers de confiance pour valider et accréditer les informations dématé-rialisées qui circulent sur la Toile ?

Une chose est sûre, à ce jour, dans certains domaines, la technologie commence déjà à s'affranchir de l'Homme. En avril dernier, par exemple, sur le sol américain, la Food and Drug Administration (FDA) a autorisé une IA à formuler un diagnos-tic sans être supervisée par un méde-cin, en l'occurrence pour dépister la rétinopathie diabétique. Clément Goehrs, cofondateur de la start-up Synapse – une société ayant conçu un outil d'aide à la prescription qui fait gagner du temps aux médecins et favorise le bon usage des médica-ments – apporte un second exemple : « l'université de Stanford a démontré que l'IA était meilleure que les derma-tologues pour détecter certains mélanomes. Demain, vous pourrez

prendre en photo un grain de beauté suspect avec votre smartphone et une application vous délivrera immédiate-ment son analyse. »

Il est primordial de sensibiliser les médecins aux enjeux du numérique et de s’assurer de faire évoluer leurs compétences.

Jean-David Benassouli, associé Data Intelligence chez PwC

Pour suivre la cadence et ne pas se faire distancer par le progrès techno-logique, « il est primordial de sensibili-ser les médecins aux enjeux du numérique et de s’assurer de faire évoluer leurs compétences », indique Jean-David Benassouli. Cela devrait passer par un complément à leur formation initiale, mais également des formations internes des praticiens en exercice, en phase avec l’évolution de leur métier et de leurs équipements. Si le secteur évolue, les Hommes doivent s’adapter. Cela concerne le triptyque propre à beaucoup de secteurs : les professionnels, certes, mais également les patients et les régulateurs.

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60 - Santé, un secteur en profonde mutation60 - Intelligence Artificielle, une révolution en marche

Une redéfinition nécessaire du rôle des médecins

Promouvoir l’innovation et le numé-rique, ouvrir les parcours des profes-sionnels de santé, adapter leur formation aux pratiques du futur… Plus que jamais, la « vitesse d'évolu-tion » et la « démocratisation des usages » liées à l'IA en santé obligent les acteurs privés ainsi que les pou-voirs publics à opérer une refonte rapide du secteur médical.

Cédric Villani, célèbre mathématicien français et député de la cinquième circonscription de l’Essonne à l’As-semblée Nationale, indique que si l’humain doit être au centre de cette transformation, « il n'est pas question de remplacer les médecins par la machine (…) mais d'organiser des interactions vertueuses entre l'exper-tise humaine et les apports de l'IA. » Il estime, par ailleurs, que les profes-sions médicales les plus impactées seront « les spécialités basées sur l'analyse de signaux et d'imagerie

médicale, mais que les compétences d'orientation, de coordination, d'expli-cation et d'accompagnement du patient se révéleront probablement plus résilientes. »

Le message est clair : les médecins de demain devront être compétents dans leur domaine de prédilection et aussi maîtriser les technologies dont ils feront usage tous les jours. Dans cette optique, le gouvernement pro-pose de « réorganiser les pratiques médicales » pour intégrer l’IA dans la médecine du futur. Plusieurs priorités sont citées par Cédric Villani : « for-mer les professionnels de santé aux usages de l’IA, de l’Internet des objets et du Big Data (…) de plus, nous devons transformer les voies d’accès aux études de médecine en y inté-grant davantage d’étudiants spéciali-sés dans le domaine de l’informatique et de l’IA. Cela sera possible en créant des doubles cursus ou en étendant la reconnaissance d’équiva-lences. »

Il n'est pas question de remplacer les médecins par la machine (…) mais d'organiser des interactions vertueuses entre l'expertise humaine et les apports de l'IA.

Cédric Villani, mathématicien et député de la cinquième circonscription de l’Essonne à l’Assemblée Nationale

Plus qu’une affaire d’innovation tech-nologique, l’IA est désormais perçue comme un réel défi de changement de culture, d’acceptation du numé-rique dans toutes les couches de la société, d’intégration de solutions intelligentes dans la totalité des com-posantes clés de la médecine (recherche, diagnostic, traitement, analyse, exécution et suivi) et d’évolu-tion des compétences humaines. ■

Contacts

Jean-David Benassouli Associé Data Intelligence [email protected]

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Elisabeth Hachmanian Associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée [email protected]

Marc Damez-Fontaine Directeur Data Intelligence [email protected]

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62 - Santé, un secteur en profonde mutation

INTERVIEW CROISÉE

Intelligence Artificielle et robotisation : quel impact sur le secteur de la santé ?

L’Intelligence Artificielle (IA) est là pour durer. Les entreprises opèrent leur transformation numérique, les organisations de soins et de santé adoptent les innovations technologiques médicales et, par conséquent, l'IA s’insère dans tous les aspects de la vie quotidienne.

Quelle place occupe, aujourd’hui, l’IA dans le secteur de la santé ?

Bernard Hamelin (BH) : Le secteur de la santé est, actuellement, en pleine mutation tant sur le plan de son offre que de son organisation. Par ailleurs, une demande croissante d’efficience est exigée par les autorités afin de contenir une dépense en santé toujours plus conséquente tout en garantissant l’amélioration de la santé des patients.

Dans ce contexte, le numérique et ses externalités vont permettre aux professionnels de santé de pouvoir bénéficier d’une opportunité importante, en France, pour conduire cette transformation. Grâce à l’accès prochain à de grandes quantités de données de santé numérisées combiné à d’importantes capacités de stockage à faible coût ainsi qu’à des outils analytiques puissants comme l’IA, les professionnels de santé, aidés des industriels de santé, pourront progressivement optimiser le suivi des patients tout en réduisant les coûts de structure. Ils seront ainsi capables d’améliorer le diagnostic des pathologies en automatisant les tâches répétitives et le pronostic des patients grâce à un suivi plus personnalisé.

Aujourd’hui, l’essor de l’IA en santé est freiné par la difficulté d’accès aux données.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

La complexité de cette transformation tient, en partie, à des problèmes techniques ainsi qu’à des aspects culturels. En effet, pour conduire les analyses conjointes, il est nécessaire d’intégrer sur un même environnement des données dont le format est très différent et non standardisé (données non structurées du dossier médical, données structurées biologiques et d’imagerie médicale, etc.). Le volume de ces données est considérable et rapidement croissant. Ainsi, il est estimé que les données générées par les patients eux-mêmes dans le cadre de leur suivi médical – données recueillies parfois en continu grâce à des applications digitales – pourraient être dix fois plus importantes que les données présentes dans le dossier médical. La nécessité de conduire ces analyses en combinant des sources très différentes de données impose des règles strictes de respect des conditions d’usage de ces données.

Les machines vont-elles un jour remplacer les Hommes ? Le médecin de demain sera-t-il un robot autonome et multifonctionnel ? Le Big Data donnera-t-il la possibilité aux professionnels de santé de tout savoir sur leurs patients ? D’après les spécialistes, les nouvelles technologies, et plus particulièrement l’IA, combinées avec l’intelligence émotionnelle dont seuls les humains sont dotés, représentent la santé du futur. Mais quelle sera la place des personnes et des organisations qui n’arriveront pas à embrasser le numérique ? Quel avenir les attend ? Sont-elles vouées à être mises sur la touche ?

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC, et Dr Bernard Hamelin, Global Head Medical Evidence Generation chez Sanofi, nous livrent leurs points de vue sur ces questions.

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Elisabeth Hachmanian (EH) : Aujourd’hui, l’essor de l’IA en santé est freiné par la difficulté d’accès aux données, or la logique est simple : sans cette Data, développer des solutions intelligentes est impossible. Une récente étude réalisée par la Direction générale des entreprises (DGE), le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et le syndicat de professionnels du numérique Tech'In France, montre que dans l’Hexagone, le secteur de la santé souffre d’une situation paradoxale avec des données disponibles à la fois « très nombreuses par rapport à d’autres pays » mais « plus difficilement accessibles pour les innovateurs du fait de la législation en vigueur ». Ce même rapport fait état d'un « véritable parcours du combattant » vécu par les structures de recherche publique et les acteurs privés pour accéder aux données. A titre de comparaison, selon les experts, aux Etats-Unis, il faut en moyenne soixante-douze heures à un organisme de recherche pour obtenir des données, contre plusieurs années en France avec un succès plus qu'incertain. Avant de penser à la révolution de l’IA à proprement dit, une bataille doit être menée en amont, celle de la maîtrise et de la bonne exploitation du Big Data.

Justement, comment les industriels de santé français, et notamment Sanofi, se préparent-ils à cette révolution du Big Data et de l’IA ?

BH : A ce jour, tous les industriels ont mis en place des initiatives numériques mais rares sont ceux qui ont une approche intégrée. Beaucoup de ces projets sont fragmentés et n’abordent qu’une phase de la chaîne de valeur. La raison tient, sans doute, à la complexité qu’impose une vision intégrée : concevoir de manière concomitante à la fois l’outil analytique avec les principales applications de cet outil.

Les problèmes d’accès aux données de qualité sont combinés aux difficultés de la mise en place d’un écosystème impliquant à la fois des outils ainsi que des compétences analytiques et fonctionnelles internes et

externes. Ce travail est, par nature, collaboratif et il doit être conduit avec des partenaires spécialisés dans le numérique. Ainsi, par exemple, dans le domaine des études en vie réelle, chez Sanofi, nous avons créé une plateforme appelée DARWIN qui est intégrée dans un écosystème dans lequel se trouvent à la fois les données issues de notre recherche clinique et biologique, les données en vie réelle dé-identifiées de près de 450 millions de patients, ainsi que les outils analytiques puissants que permettent l’IA (Machine Learning, Deep Learning, NLP, simulation, etc.).

A ce jour, tous les industriels ont mis en place des initiatives numériques mais rares sont ceux qui ont une approche intégrée.

Bernard Hamelin, Global Head Medical Evidence Generation chez Sanofi

Pour mener à bien ce projet, nous avons collaboré avec plusieurs partenaires experts dans le digital comme Optum, Palantir, Quantum Black ou encore Quinten. Unir nos savoir-faire nous a permis d’être plus rapides, justes et efficaces dans la concrétisation de cette mission.

Dans la sphère publique, quelle stratégie le gouvernement met-il en place pour que les organisations étatiques ne se fassent pas dépasser par le progrès technologique ?

EH : Il y a un vrai challenge à relever pour que la France tienne son rang et soit à l’état de l’art en matière de numérique en santé. Consciente que la transformation digitale est un enjeu capital pour ce secteur, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a présenté le 25 avril 2019 une feuille de route intitulée « Accélérer le virage numérique ». Ce document met en évidence cinq missions étatiques clés : renforcer la

gouvernance du numérique, intensifier la sécurité et l’interopérabilité des systèmes d’information, accélérer le déploiement des services numériques socles, déployer au niveau national des plateformes digitales performantes, et soutenir l’innovation des acteurs. Autour de ces cinq orientations, vingt-six actions seront menées par l’Etat d’ici à 2022 comme, entre autres, la transformation de l’ASIP Santé en Agence du numérique en santé (ANS) dont le rôle sera d’assurer la mise en œuvre opérationnelle de la stratégie, le lancement de grands programmes d’investissement comme « Hôpital numérique ouvert sur son environnement » (HOP’EN) pour soutenir l’évolution des systèmes d’informations hospitaliers (SIH) vers plus de partage et de décloisonnement au service du patient, la mise en place d’une application Carte Vitale (apCV), l’élaboration d’un Lab e-santé qui sera un véritable guichet de l’innovation numérique destiné à tester et à diffuser de nouveaux concepts ainsi qu’à aiguiller les acteurs dans les dispositifs existants avec un réseau national de structures 3.0 (EHPAD, hôpitaux, pharmacies, maisons de santé, etc.), ou encore la création de la plateforme Health Data Hub qui aspire à multiplier les possibilités d’exploitation des données de santé en particulier dans les domaines de la recherche, de l’appui aux personnels, du pilotage du système de santé, du suivi et de l’information des patients.

Le cadre théorique couvrant les principaux enjeux du numérique est donc posé. Désormais, la phase la plus difficile doit être abordée : le déploiement de la feuille de route. C’est souvent à ce moment clé du processus que les écarts entre les promesses et les actes se font ressentir. Pour aller au bout du projet, au-delà de l’accent mis sur la formation, la recherche, l’innovation, le financement, la gouvernance, la protection et la restructuration de l’écosystème numérique en santé, l’Etat devra également intégrer dans ses stratégies de nouveaux enjeux structurants comme, par exemple, celui du développement d’un système informatique quantique – plus communément appelé

INTERVIEW CROISÉE

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64 - Santé, un secteur en profonde mutation

INTERVIEW CROISÉE

Quantum Computing – et de son usage dans le secteur de la santé. Dans les années à venir, les machines qui bénéficieront d’une puissance de calcul inédite seront capables de décrire des phénomènes physiques à l’échelle atomique et subatomique. Leur impact sur les technologies de rupture comme l’IA, par exemple, sera hors-norme.

Le secteur de la santé se digitalise chaque jour un peu plus, certes, mais concrètement, quelles et comment les professions de santé sont-elles impactées par l’essor des nouvelles technologies ?

EH : De façon générale, toutes les professions médicales sont déjà ou seront prochainement touchées, directement ou indirectement, par les innovations technologiques, dont l’IA. Mais touchées ne veut pas dire supprimées. Les machines ne vont pas remplacer les Hommes. Elles vont les aider à réaliser leurs missions avec plus de justesse, constance et rapidité. Les experts sont unanimes : l’essor de solutions intelligentes contribuera au développement d’une médecine des 4P (précise, personnalisée, prédictive, participante) qui permettra, entre autres, de favoriser la détection plus précoce de maladies à des stades peu avancés, de fiabiliser et de renforcer la précision des diagnostics, et d’améliorer l’aide à la décision et aux traitements. Grâce à la Tech, les humains pourront se concentrer davantage sur des missions à valeur ajoutée.

BH : Pour illustrer cette théorie, penchons-nous sur un exemple pratique, celui du suivi des patients diabétiques. Parmi les examens à conduire régulièrement, l’analyse de la rétine au moyen d’un fond d’œil annuel est importante pour prévenir la survenue d’une cécité. Cette évaluation requiert la compétence d’un médecin ophtalmologue. Si on se focalise sur la situation actuelle des Etats-Unis, les dernières estimations font état d’environ 30 millions diabétiques sur le territoire. Il est matériellement impossible de suivre autant de patients du fait du nombre limité d’ophtalmologues. L’introduction d’un système expert développé par Google et validé par la FDA va permettre d’évaluer avec

une très grande précision l’état d’avancement de la micro angiopathie rétinienne de nombreux patients, permettant ainsi aux experts d’augmenter leur capacité et de fortement réduire la première cause de cécité du pays. La répartition des tâches entre l’infirmière, le médecin spécialiste et le médecin de famille sera sans doute modifiée mais au final, une meilleure prise en charge individuelle du patient permettra une réduction du poids de cette importante complication du diabète au niveau populationnel. L’amélioration des méthodes diagnostiques au moyen de l’outil numérique et de l’IA sera accompagnée par un changement comparable du pronostic de certains malades grâce à un suivi plus personnalisé. Le développement d’outil prédictif de la réponse aux différentes prises en charge possibles renforceront en outre le choix du patient et l’optimisation des ressources.

EH : Nous pourrions citer d'autres exemples de ce type mais nous ne devons pas oublier que dans le monde de demain, l'exercice des métiers ne reposera pas seulement sur le numérique. L'expérience humaine restera au cœur de la relation soignant-soigné, ce qui va aussi créer de nouvelles opportunités.

Toutes les professions nécessitant une interactivité humaine importante ont un bel avenir devant elles.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

Toutes les professions nécessitant une interactivité humaine importante ont un bel avenir devant elles. Les aides-soignants, auxiliaires sanitaires et infirmiers, par exemple, sont des emplois dits de proximité qui représentent une alternative intéressante pour toutes les personnes ne voulant pas, ou n’étant pas en mesure, de se spécialiser dans des métiers profondément impactés par la

Tech comme, entre autres, les chirurgiens, radiologues et biologistes.

Problème : les métiers de proximité sont trop souvent sous-valorisés et ne sont pas rémunérés autant qu’ils mériteraient de l’être, or ce sont précisément ce type de professions qui, de par l’importance qu’occupe la dimension humaine et sociale dans leur activité, échapperont à la robotisation. Aujourd’hui, pour de nombreux employeurs publics et privés, cette dimension n’a pas une grande valeur, à tort. Demain, cela ne fait aucun doute, elle en aura davantage.

Etat et entreprises, nous avons ici une grosse responsabilité que nous devons accepter : valoriser, recruter et rémunérer à leur juste valeur ces profils « non-Tech » ainsi qu’aider tous les professionnels, sans exception, à acquérir des compétences clés – basées sur le savoir-faire et le savoir être – dont ils auront besoin pour exercer leur métier aujourd’hui, demain et après-demain. Cela suppose de mettre en œuvre des politiques publiques volontaristes qui accompagnent ces évolutions, notamment dans le domaine de la formation initiale et continue.

L’IA ne risque-t-elle pas, malgré elle, de créer un déséquilibre entre les structures qui ont les moyens humains, économiques et technologiques d’implémenter l’IA dans leur business model et celles qui ne peuvent pas se le permettre ?

BH : Dans le domaine de la santé, les moyens humains requis concernent essentiellement les compétences en Data Science. En France, il existe un déficit important d’experts capables de développer des algorithmes permettant d’analyser et de développer des solutions répondant aux nombreux types de problèmes posés. Les pays qui ont développé des filières importantes pour répondre à ces besoins sont les Etats-Unis, la Chine et l’Inde. Pour pallier ce problème, chez Sanofi, par exemple, nous avons décidé de mettre en place des collaborations avec plusieurs écoles d’ingénieur ou de médecine françaises pour faciliter l‘orientation, très tôt dans leur carrière, des futurs talents dans ce secteur porteur de transformation.

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INTERVIEW CROISÉE

Les autres moyens économiques et technologiques sont également difficiles à réunir pour toute société mais tout particulièrement pour les start-up. L’aide de l’Etat français demeure donc importante pour le soutien de l’innovation des petites et moyennes entreprises. Sans cela, en effet, un déséquilibre entre les structures pourrait se créer. Pour éviter cette situation, au sein de notre entreprise, nous avons mis en place plusieurs partenariats stratégiques avec de petites sociétés spécialisées en Data Science comme, entre autres, Quinten et Quantum Black. Cela nous permet à la fois d’accélérer leur développement sur une période longue et

de répondre plus efficacement à la demande interne à Sanofi en matière d’analyses avancées.

La santé de demain pourra-t-elle se passer de l’IA pour continuer à innover, à se développer et à répondre aux enjeux sanitaires du XXIe siècle ?

BH : L’action de conduire quelque chose de nouveau dans un domaine aussi complexe que la santé nécessite beaucoup d’intelligence humaine et pas uniquement de l’IA. Tant que le système de soins est guidé par l’amélioration des événements majeurs concernant la santé des patients (mortalité, morbidité, qualité de vie liée l’état de santé du patient), aussi bien les professionnels de santé, les payeurs que les entreprises spécialisées dans ce domaine seront alignés et centrés sur les vrais enjeux.

Cependant, la variabilité des modèles de prise en charge des pathologies dans les différents pays du monde ajoute un degré de complexité supplémentaire pour ceux qui souhaitent développer et commercialiser des solutions innovantes issues de la recherche dans le

domaine de l’IA combinée ou non avec d’autres solutions thérapeutiques. Les modèles économiques supportant ces innovations sont encore à une phase précoce de validation et représentent un challenge pour les autorités en charge du maintien de l’équilibre financier des différents systèmes de soins. Tant que ces nouvelles approches de financement ne sont pas intégrées aux systèmes nationaux de régulation, le développement et la mise en œuvre des solutions multi-technologiques, et en particulier celles reposant sur le digital et l’IA, se verront ralentis et le pays concerné perdra rapidement sa capacité à être attractif pour les entreprises porteuses de ces solutions innovantes. ■

L’action de conduire quelque chose de nouveau dans un domaine aussi complexe que la santé nécessite beaucoup d’intelligence humaine et pas uniquement de l’IA.

Bernard Hamelin, Global Head Medical Evidence Generation chez Sanofi

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66 - Santé, un secteur en profonde mutation

Santé connectée : plus de contrôles pour plus de confiance ?

L'apparition de l’Internet des objets (IdO) est à l'origine d'une révolution profonde du monde médical. Chaque individu a désormais la possibilité d'avoir un contrôle sur sa santé. De manière générale, ces outils, applications, gadgets et plateformes numériques permettent de mieux se connaître, de surveiller et d'améliorer son état physique.

A l’heure où nous comptabilisons plus d’objets connectés que d’humains sur Terre, chaque année, un nombre croissant d’individus font davantage confiance à la technologie pour leur livrer des diagnostics instantanés sur les phénomènes qu’ils souhaitent contrôler en toute autonomie, à n’im-porte quelle heure et depuis n’importe où. En 2019, l’innovation numérique ne connait aucune limite. Imaginez : vous souhaitez surveiller votre poids ? La balance intelligente calcule votre indice de masse corporelle (IMC) et

détermine vos besoins quotidiens en calories. Vous cherchez une solution pour améliorer votre digestion ? La fourchette digitale mesure l’inter-valle de temps entre chaque bouchée et vibre si vous mangez trop vite. Vous souffrez d’une allergie alimen-taire ? Le scanner d’aliments analyse leur composition et vous alerte en cas de danger. Vous dormez mal ? Placés sous votre oreiller, des capteurs décomposent vos cycles de sommeil et vous réveille au meilleur moment.

Les objets connectés sont des outils performants au service des médecins et de leurs patients, rien de plus, rien de moins.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

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Avec des appareils de plus en plus divers et de moins en moins chers, avec la capacité de suivre les patients sur le long terme et d’exploiter intelli-gemment toutes les données person-nelles qu’ils produisent, l’IdO commence à tenir ses promesses et à séduire aussi bien les patients que les professionnels.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC, indique : « depuis plusieurs années maintenant, les médecins préconisent l’utilisation d‘objets connectés pour améliorer la prise en charge de leurs patients. Prenons deux exemples concrets : avec un tensiomètre ou un glucomètre connectés, le malade hypertendu ou diabétique peut suivre l’évolution de sa tension ou de sa glycémie, envoyer les données à son médecin et tester l’efficacité d’un traitement entre deux rendez-vous. Quand les données recueillies l’alertent, il peut réagir immédiatement en contactant son médecin. » Elle ajoute : « l’IdO est plébiscité par certains professionnels de santé car il rend possible un diagnostic précoce des maladies et de ce fait, un meilleur traitement et aussi une meilleure prévention. Mais ne nous méprenons pas : la technologie ne peut en aucun cas remplacer l’humain. Les objets connectés sont des outils perfor-mants au service des médecins et de leurs patients, rien de plus, rien de moins. »

L’irruption massive de ces nouvelles technologies dans notre quotidien soulève un certain nombre d’interro-gations. Les propriétés et les alléga-tions avancées par ces produits sont-elles justifiées ? Les patients sont-ils bien informés des limites de l’automesure ? Quelle est la fiabilité de ces mesures qui prétendent permettre à chacun de devenir acteur de sa santé ?

L’IdO de mieux en mieux accepté par les Français

Selon une récente enquête menée par l'institut d’études GfK, en France, le marché des objets connectés a généré 1,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017 et un tiers de cette somme globale provient du secteur de la santé. Avec 180 000 appareils vendus en seulement 12 mois, à lui-seul, ce segment brasse plus de 330 millions d’euros. Elisabeth Hachmanian commente : « il est évident que ce marché représente un énorme potentiel. Conscients de cette situation, de nombreux acteurs issus de la sphère du high-tech commercia-lisent sans cesse de nouvelles solu-tions innovantes en lien avec l’industrie de la santé. Certains trouvent un public. D’autres non. » Elle ajoute : « force est de constater que pris dans la frénésie de la pro-duction de masse, certains acteurs se heurtent bien souvent à un problème de notoriété, un élément essentiel dans le processus d’achat d’un produit.

En France, en 2017, 180 000 objets connectés liés au secteur de la santé ont été vendus, générant un chiffre d’affaires de 330 millions d’euros. Source : GfK

La logique commerciale est simple : si un produit commercialisé, aussi intéressant soit-il, est méconnu par son public cible, il lui sera impossible de se faire une place dans le marché. En 2019, encore trop peu d’acheteurs potentiels sont au fait des avancées réalisées dans ce secteur.

En bref, la demande ne suit pas l’offre non pas parce que la majorité des Français ne souhaite pas acquérir ces produits disponibles sur le marché, mais surtout parce qu’elle ignore qu’une telle variété de produits existe. De même, on observe que le taux d’utilisation de ce type d’outils décroit rapidement si la preuve de son intérêt et de son utilité n’est pas rapidement avérée. »

8 Français sur 10 associent les objets connectés à des gadgets pas toujours fiables. Source : La Poste et OpinionWay

En plus de la faible notoriété des marques, un autre facteur d’explica-tion vient ralentir l’explosion de l’IdO dans le secteur de la santé en France : le manque de bénéfices perçu par les consommateurs. En effet, selon GfK, près d’une personne interrogée sur trois se montre réti-cente à l’idée d’acquérir un objet connecté lié à la médecine. Une grande partie des Français (80 %) associe ces produits à des « gadgets pas toujours fiables »2.

Pour les spécialistes, ces quelques éléments d’enquête soulignent la nécessité de faire œuvre de pédago-gie auprès des consommateurs, côté fabricants comme distributeurs. Ce n’est qu’en les sensibilisant par des communications régulières sur la valeur ajoutée et les spécificités de ces produits connectés que les marques parviendront à s’implanter durablement dans l’esprit des consommateurs, à créer une relation de confiance avec eux, à les rassurer quant aux bienfaits du numérique, et à libérer des gisements de valeur pour le marché.

2. Etude réalisée par La Poste et OpinionWay, 2017

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Malgré ces deux principaux freins à la croissance, les experts ne sont pas inquiets : le secteur se porte bien, très bien même. L’objectif de fond n’est donc pas de faire plus mais de faire mieux et plus rapidement. Selon Cédric Mazill, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC, « l’explosion de l’IdO dans le domaine de la santé est sur le point d’arriver. Ce n’est qu’une question de temps. La hausse de la moyenne d’âge de la population, la prévalence de maladies nécessitant un suivi régulier (comme par exemple le diabète) et la demande croissante de solutions de remise en forme quantifiables sont autant de para-mètres qui nous laissent à penser que dans les années à venir l’usage d’ob-jets connectés dans la médecine sera monnaie courante. »

La fiabilité de certains appareils connectés inquiète les experts

Dans l’attente de ce grand boom tant attendu par les développeurs de solutions connectées, les spécialistes s’inquiètent de la fiabilité de ces produits mis en vente qui, dans un sens, conditionnent les modes de vie des utilisateurs. Comment s’assurer que les informations émises par ces objets sont les bonnes ? Qui contrôle quelles communications ? Comment protéger toutes les données sensibles qu’emmagasinent quotidiennement ces machines intelligentes ?

Plusieurs institutions reconnues se sont penchées sur ces questions épineuses qui inquiètent les Français. Le dernier rapport en date – qui a fait couler beaucoup d’encre – a été publié il y a à peine quelques mois par la Direction générale de la concur-rence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Cette enquête fouillée avait deux objectifs très concrets : d’une part, s’assurer que les consommateurs ne

sont ni trompés sur la sincérité des informations qui leur sont fournies ni sur la pertinence des mesures effec-tuées, et d’autre part, vérifier si cer-tains de ces objets, au vu des fonctionnalités et bienfaits annoncés sur la santé, ne devraient pas relever de la réglementation sur les dispositifs médicaux qui garantit aux consom-mateurs un niveau élevé de sécurité et de protection.

Pour dresser un état des lieux objectif de l’IdO dans le secteur médical français, des membres de la DGCCRF ont effectué soixante-treize actions de contrôle dans vingt-six établisse-ments de santé, dans des magasins et sur Internet. Les vérifications opé-rées ont montré que les fabricants ont une bonne maîtrise des contraintes juridiques liées à la fabrication et la commercialisation de ces matériels électroniques – dont la plupart des composants proviennent d’Asie. Toutefois, concernant la sincérité des allégations sur la performance de ces objets, même si tous les opérateurs contrôlés ont pu produire des résul-tats de test, les essais sont librement réalisés, hors du champ de toute réglementation. N’étant pas des dispositifs médicaux, ils n’obéissent à aucun protocole et soulèvent, de fait, des doutes quant à la fiabilité des tests réalisés et à la précision des algorithmes utilisés.

Sans plus de transparence de la part des entreprises, il est inenvisageable de créer une relation de confiance pérenne avec les consommateurs.

Jean-François Marti, associé Experience Center chez PwC

En matière de protection économique du consommateur, des infractions à la réglementation sur la vente à distance ont été relevées sur les sites de vente en ligne, de même que des pratiques et allégations susceptibles de carac-tériser des pratiques commerciales trompeuses par omission. L’institution a identifié, par exemple, des balances impédancemètres dont la notice ne précise pas qu’elles mesurent la masse grasse uniquement sur le bas du corps. Autre cas repéré : des capteurs de sommeil dont la notice, là-aussi, n’indique pas qu’ils pro-cèdent à une analyse partielle des cycles de sommeil. Jean-François Marti, associé Experience Center chez PwC, commente : « les manipu-lations frauduleuses et le manque de transmission d’informations – volon-taire et involontaire – de la part des développeurs de solutions Tech n’apportent rien de bon au secteur de la santé connectée. A l’ère du tout-nu-mérique, tout se sait, s’analyse, se commente, se partage et s’amplifie. Si un acteur clé dans un domaine en voie de développement trébuche, c’est tout le secteur qui peut être fragilisé. Sans plus de transparence de la part des entreprises, il est inenvisageable de créer une relation de confiance pérenne avec les consommateurs. » Il ajoute : « s’assu-rer de la bonne qualité des produits commercialisés aussi bien dans les espaces physiques que virtuels est de mise si nous voulons convaincre le grand public de la fiabilité des solu-tions intelligentes créées. Plus d’ac-tions de contrôle doivent se faire. Et plus d’acteurs reconnus dans le secteur doivent le faire savoir. »

Suite à la publication de ce rapport, compte tenu de la multiplication des objets connectés sur le marché, de leur visibilité médiatique croissante et des nombreux manquements relevés, la DGCCRF a estimé nécessaire de poursuivre les contrôles afin de définir un socle commun de caractéristiques essentielles à fournir aux

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consommateurs, de façon à améliorer la transparence sur ces équipements et assurer ainsi une meilleure informa-tion sur les produits commercialisés.

La protection des données personnelles au cœur de toutes les préoccupations

Dans le rapport de la DGCCRF, un dernier point important apparaît, celui du traitement des données person-nelles. Au fur et à mesure que l’IdO se développe, une quantité astronomique de Data se crée et, en principe, est stockée dans de véritables coffres-forts numériques ultra-sécurisés. Ces informations personnelles disent tout sur une personne : son nom, son prénom, son sexe, son âge, sa taille, son poids, son adresse, son numéro de téléphone, ses déplacements réguliers, son régime alimentaire, son historique sanitaire, ses problèmes de santé, la médication qui lui est

77 % des Français déclarent que la peur de partager des données personnelles avec une entreprise qu’ils méconnaissent les pousse à ne pas se procurer d’appareils connectés dans le domaine de la santé.Source : OpinionWay

octroyée, l’avancée de son traite-ment… Autant de données sensibles qui ne peuvent en aucun cas tomber entre les mains de personnes incom-pétentes ou malintentionnées.

Selon une étude réalisée par OpinionWay, 77 % des Français déclarent que la peur de partager ces

1 structure française sur 2 estime exploiter moins de 25 % des données collectées.Source : Cabinet PwC

informations personnelles avec une entreprise qu’ils méconnaissent les pousse à ne pas se procurer d’appa-reils connectés dans le domaine de la santé. Mauvaise nouvelle pour les plus inquiets : selon les experts, d’ici 2020, les entreprises collecteront cinquante fois plus de données qu’aujourd’hui… Encore faudra-t-il savoir les exploiter.

David Cortés, directeur Data Intelligence chez PwC, commente : « collecter des données médicales se présente comme une tâche, techni-quement parlant, relativement facile, mais réglementairement parlant, extrêmement compliquée. Ne sont accessibles actuellement en grand volume en France pour la recherche en Intelligence Artificielle que les données de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM), dont le traitement a permis notamment l’identification d’effets secondaires jusque-là incon-nus de certaines thérapies. La création d’un Health Data Hub national devrait permettre d’aller plus loin en associant acteurs publics et privés autour de l’exploitation maîtrisée des données de santé à caractère personnel et de s’inscrire dans la foulée des pays pionniers en la matière. L’an dernier, Israël a ainsi autorisé l’exploitation de 9 millions de dossiers patients sur un historique de vingt années, pariant sur le fait de pouvoir ainsi capter en pré-curseur 10 % du marché mondial sur ce type d’usage, estimé à quelques 600 milliards de dollars. » David Cortés poursuit son explication : « traiter et analyser de manière précise et efficace ces données une fois obtenues, et notamment celles extrêmement pro-metteuses d’analyses génomiques, peut s’avérer très complexe, que ce

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soit pour des raisons scientifiques ou organisationnelles. Notre dernière étude réalisée avec L’Usine Digitale va dans ce sens et montre d’ailleurs qu’une structure française sur deux estime exploiter moins de 25 % des données collectées. Cela doit changer, notamment grâce à la formation de nos talents aux métiers de la Data. Si nous n’inversons pas la donne, nous risquons d’enregistrer un retard tech-nologique important d’usage sur nos concurrents étrangers qui, pour cer-tains, exploitent déjà beaucoup plus systématiquement le Big Data et l’IA que nous. »

Pour garantir un juste accès aux soins, il est fondamental que les données soient utilisées dans un but médical et non commercial.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Cédric Mazill commente : « pour garantir un juste accès aux soins, il est fondamental que les données soient utilisées dans un but médical et non commercial. Le Big Data doit être mis au service de l’humanité en premier lieu, et de l’économie en second lieu. Pour éviter tout type d’abus, il faut imposer des règles de bon usage et des contrôles réguliers des structures qui manipulent des données sensibles au quotidien. Garantir que seules les personnes accréditées aient accès à ces données, c'est-à-dire le patient lui-même et les professionnels de santé, est primordial. » C'est justement l'un des objectifs du gouvernement qui tente, actuellement, de développer le dossier médical partagé (DMP).

Des objets connectés pour aider les médecins

Si l’IdO ne peut être considéré comme étant la médecine de demain, elle peut néanmoins aider ce secteur à se développer. La complémentarité entre les humains et les machines peut notamment contribuer à amélio-rer la transmission d'informations entre les professionnels de santé et les patients, à assurer un suivi médi-cal continu de bonne qualité grâce à des indicateurs automatisés, à inter-venir plus vite, plus loin et avec des

coûts réduits, à hiérarchiser les consultations via la télémédecine ou encore à apporter une meilleure qualité et une plus grande diversité des soins proposés dans les centres hospitaliers qui aujourd'hui croulent sous la demande trop importante d'une population vieillissante.

Dans ce contexte, entre inquiétudes et espoirs, l'avenir du secteur de la santé semble être contrasté et parfois même contesté par des experts inquiets de l'utilisation de la Data fournie par les patients à des entre-prises privées qui surboostent la digitalisation du secteur pour sauver des millions de vies en échange de millions d’euros. Face à cette révolu-tion numérique, trouver un juste équilibre entre les interventions des humains et celles des machines ainsi qu’entre la santé des patients et les enjeux économiques des centres de soins seront sûrement les deux princi-paux défis des sociétés modernes. Pour le moment le mot d’ordre est simple : innover dans l’IdO, former les professionnels, maîtriser ces innova-tions, les connaître, les sécuriser et les implémenter dans le parcours de soins… Une mission qui ne s’annonce pas simple à accomplir dans un climat de défiance envers le numérique et ses dérives. ■

Contacts

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Elisabeth Hachmanian Associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée [email protected]

Jean-François Marti Associé Experience Center [email protected]

David Cortés Directeur Data Intelligence [email protected]

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La santé est historique-ment l’industrie la plus touchée par les cyberat-taques. Dans un domaine où la connecti-vité a un droit de vie ou de mort sur certains patients, protéger les nouvelles technologies dont ils dépendent est un enjeu prioritaire d’ordre public.

Le réveil sonne. Aujourd’hui, on est le 12 mai 2017. C’est vendredi, la fin de semaine est proche. Il est 6h30 du matin, le jour se lève dans le quartier de Westminster et les londoniens se réveillent tranquillement. En apparence, cette journée commence comme toutes les autres. Et pourtant, l’histoire du numérique est sur le point de vivre ses heures les plus sombres.

Un rançongiciel baptisé WannaCry touche, tôt dans la matinée, plus de deux cent mille ordinateurs dans cent cinquante pays et atteint un tiers des hôpitaux et cliniques d’Angleterre. En une fraction de seconde, ce virus bloque plus de soixante-dix mille appareils connectés dans des centres de soins qui, pour certains, sont essen-tiels à la survie des patients. En utilisant une faille de Windows XP révélée par la fuite de documents de l’Agence

nationale de sécurité (NSA), l’organisme gouvernemental responsable de la sécurité des systèmes d’information du gouvernement américain, la cyberat-taque consiste à couper l’accès aux données stockées dans des serveurs informatiques jusqu’à ce qu’une rançon soit reversée. Un vent de panique souffle alors sur le National Health Service (NHS), le système de santé britannique. Une question anime les réunions organisées dans l’urgence au siège de l’institution : comment contrer cette offensive sans perdre plus de temps ?

La solution est finalement trouvée rapidement par Marcus Hutchins, un jeune britannique âgé de vingt-deux ans qui, en analysant le code source du rançongiciel, découvre que celui-ci contient une URL étonnante et décide alors de mener son enquête avant de

Cybersécurité : un pour tous, tous pour un

Trop d’institutions et de centres de soins restent dans le déni face à la cybermenace (…) Ils attendent d’être attaqués et de constater les dégâts pour ensuite améliorer leur défense.

Fabrice Garnier de Labareyre, associé Cyber Intelligence chez PwC

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neutraliser la menace. Après coup, Tanguy de Coatpont, directeur général de Kaspersky France, déplore : « l’attaque n’était pas vraiment sophisti-quée dans son dispositif. Si elle a pris une telle ampleur, c’est parce que les entreprises mettent beaucoup trop de temps à réagir. » Fabrice Garnier de Labareyre, associé Cyber Intelligence chez PwC, explique : « si tous les systèmes informatiques avaient été mis à jour, les conséquences de cette attaque auraient été extrêmement limitées. En effet, un correctif contre la vulnérabilité EternalBlue avait été publié avant la diffusion de WannaCry, mais malgré les avertissements, un grand nombre de centres de soins rattachés au NHS n'avaient pas appli-qué la mise à jour. » Il ajoute : « trop d’institutions et de centres de soins restent dans le déni face à la cyberme-nace. Pour la majorité d'entre eux, leur perception du risque est très éloignée de la réalité. En conséquence, ils ne se donnent pas les moyens de mettre en place un véritable dispositif de gestion de cyberrisques. Leur dynamique demeure curative au lieu d'être préven-tive. Autrement dit, ils subissent puis réagissent. Ils attendent d’être atta-qués et de constater les dégâts pour ensuite améliorer leur défense. Cela ne peut pas continuer ainsi. Agir de la sorte, c’est accepter de laisser l’avan-tage aux attaquants. »

La cyberattaque WannaCry a coûté 91,5 millions de livres sterling au Royaume-Uni.Source : National Health Service

Plus d’un an et demi après l'incident, le NHS estime le coût financier de WannaCry : entre l’annulation de rendez-vous lors de l'attaque qui représente une perte sèche de 19 millions de livres sterling, les

cinq cent mille livres sterling investis dans le recrutement temporaire de consultants en informatique et en sécurité pour restaurer les données et les systèmes affectés par l’attaque entre le 12 et le 18 mai, et les 72 mil-lions de livres sterling dépensés en juin et juillet 2017 pour réparer et assurer la sécurité des systèmes, cette cyberat-taque aura coûté 91,5 millions de livres sterling au Royaume-Uni.

Pour que cette situation ne se repro-duise plus, le National Audit Office (NAO) a appelé le ministère de la santé et le NHS à « mieux s’organiser » pour protéger les services de santé contre de futures attaques potentiellement plus sophistiquées et dommageables. Le ministre de la sécurité a indiqué être déterminé à mettre tous les moyens en œuvre pour ne pas détériorer davan-tage la confiance des patients et des professionnels de santé qui, par volonté ou par obligation, ont recours à des outils médicaux connectés pour traiter les pathologies. « Nous avons tous un rôle à jouer pour maintenir la sécurité de nos réseaux », a-t-il récem-ment déclaré sur la BBC. Pour lutter contre le cybercrime, le mot d’ordre est clair : unir les savoirs de chacun et collaborer davantage pour mieux anticiper, détecter, analyser et parer les attaques.

Une défense collaborative qui s’organise ?

Le développement de la e-santé, de la télémédecine, des métadonnées de santé (Big Data), de l’Internet des objets et de l’Intelligence rend l’envi-ronnement médical de plus en plus interconnecté. Lecteurs de glycémie, lentilles qui mesurent le taux de sucre dans le sang, moniteurs cardiaques, pompes à insuline, pacemakers réglables à distance ou patchs électro-niques implantés sous la peau pour mesurer des signes vitaux, cette hyperconnectivité multiplie les points

d’entrée pour les attaquants et devient synonyme de vulnérabilité pour les défenseurs de plus en plus dépassés par la multiplication et la complexifica-tion des attaques.

Fabrice Garnier de Labareyre, indique : « les enjeux cybersécuritaires sont transverses à tous les secteurs impac-tés par les nouvelles technologies. Dans le cas de la santé, elle revêt une dimension critique plus forte que dans d’autres domaines en raison de son impact direct sur la vie des patients. Le droit à l’erreur doit donc être le plus proche possible de zéro. Pour cela, il est nécessaire de nous en donner les moyens aussi bien en termes d’inves-tissements réalisés que de développe-ment des nouvelles technologies, de recrutement et de formation des Hommes. » Il ajoute : « la cybersécurité n’est pas qu’une affaire de protection de systèmes informatiques, c’est aussi une affaire de partage des informa-tions et de confiance entre les diffé-rents acteurs engagés dans la lutte active contre le cybercrime. »

Nous devons absolument travailler ensemble (acteurs publics et privés) pour accroître notre résilience, stimuler l’innovation technologique, et renforcer la dissuasion en améliorant la traçabilité et la responsabilisation.

Julian King, commissaire européen pour l’union de la sécurité

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A ce propos, le Président de la République Française Emmanuel Macron rappelait l’été dernier que la France n’arrivera pas à assurer conve-nablement sa cyberdéfense si les acteurs engagés dans cette cause n’avancent pas en bloc organisé. Les experts sont unanimes : une entraide entre Etat-entreprises et entre-prises-entreprises est nécessaire pour récupérer le retard pris sur les atta-quants. En effet, à l’heure où le nombre de centres de soins de toute taille victimes des dérives du Net explose, « le partage des informations et l’avè-nement d’un WhiteNet – plateforme numérique collaborative permettant de livrer une vision prospective sur les nouvelles cybermenaces – sont néces-saires pour lutter efficacement contre les délits cyber », indique Fabrice Garnier de Labareyre. Julian King, commissaire européen pour l’union de la sécurité, ajoute : « nous devons absolument travailler ensemble pour accroître notre résilience, stimuler l’innovation technologique, et renforcer la dissuasion en améliorant la traçabi-lité et la responsabilisation. »

La dynamique à enclencher est on ne peut plus simple : partager et se nourrir du savoir-faire des autres entreprises ou centres de soins – tout en respectant la législation en vigueur concernant le partage d’informations sensibles – pour constituer ensemble un secteur de la santé, et plus large-ment une société, sûrs. Pour que cela fonctionne, tout le monde doit jouer le jeu, un compromis difficile à accepter pour certaines structures qui se montrent réticentes à l’idée de mettre en place des stratégies communes avec leurs principaux concurrents.

Quel rôle joue l’Etat dans cette lutte contre le cybercrime ?

La cybercriminalité est omniprésente et elle n’épargne personne. « La cyber-sécurité est l'affaire de tous », martèle

Guillaume Poupard, président du groupement d'intérêt public ACYMA qui a mis en place le site cybermalveillance.gouv.fr. Des cli-niques de proximité aux plus grands hôpitaux de France en passant par les instituts de recherche, les laboratoires d’analyses ou encore les centres de soins spécialisés, sans oublier les systèmes informatiques personnels des patients qui ont recours à la médecine connectée, nous sommes tous exposés à des cybermenaces – plus ou moins graves – dès lors que nous faisons usage d’appareils connectés.

La lutte contre les risques cyber est devenue une lutte collective (…) Une dynamique se renforce ainsi progressivement entre les institutions, les entreprises et les citoyens eux-mêmes.

Thierry Delville, associé Cyber Intelligence chez PwC

Pour protéger les citoyens français et les organisations publiques ou privées, le gouvernement s’appuie sur un dispositif animé par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’informa-tion (ANSSI) ainsi que sur des services rattachés aux ministères régaliens. Le ministère de l’Intérieur dispose de ressources au sein des grandes direc-tions générales (police, gendarmerie, sécurité intérieure) coordonnés par une délégation ministérielle en charge de la lutte contre les cybermenaces (DMISC). Le ministère des Armées dispose d’un commandement cyber (COMCYBER) et le ministère des Affaires étrangères d’un Ambassadeur en charge du numérique. L’ensemble

des services de l’Etat travaille étroite-ment dans le cadre d’une gouvernance spécifique entre et pendant les périodes de crise.

Au-delà de l’activité de surveillance et de réaction aux menaces repérées par le gouvernement, l’Etat met l’accent sur la responsabilité des centres de soins victimes de cyberattaques. « Il faut faire remonter les informations, c’est le meilleur moyen de trouver une réponse adaptée », estime Thierry Delville, ancien délégué ministériel à la DMISC et désormais associé Cyber Intelligence chez PwC. Il explique : « vis-à-vis de la cybercriminalité, pour chaque délit signalé, c’est une enquête qui s’ouvre. Pour chaque enquête qui s’ouvre, c’est une opportunité de plus d’identifier et d’arrêter les cybermalfai-teurs. La lutte cyber est une lutte collective qui a souvent une dimension internationale. Les spectateurs d’hier doivent devenir les acteurs d’aujourd’hui.

En France, environ 27 cyberattaques par mois sont repérées et déclarées par des infrastructures spécialisées dans le secteur de la santé. Source : ASIP Santé

On ne peut plus tout attendre de l’Etat en terme de réponse à cet enjeu de sécurité et l’Etat a besoin de connaître précisément comment évoluent la menace ainsi que le niveau global de la protection mis en place par les uns et les autres. Une dynamique se renforce ainsi progressivement entre les institu-tions, les entreprises et les citoyens eux-mêmes, c’est un travail de longue haleine qui nécessite un effort constant. » Il ajoute : « en France, pour mieux prendre la mesure de l’augmen-tation du nombre d’attaques, les

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structures de santé ont l’obligation, depuis le 1er octobre 2017, de toutes les déclarer via le portail de signale-ment des événements sanitaires indésirables. Le ministère des Solidarités et de la Santé, en lien avec les agences régionales de santé (ARS) et l’agence française de la santé numérique (ASIP Santé), a mis en place une cellule d’accompagnement opérationnelle pour les aider. Ce n’est qu’à travers cette entraide et cette implication personnelle au service du collectif que la défense parviendra à reprendre le dessus sur l’attaque. »

Depuis la mise en place de ce disposi-tif de signalement, environ vingt-sept déclarations d'incident sont remon-tées, en moyenne, chaque mois aux acteurs compétents. « La déclaration de ces incidents est essentielle pour prévenir les risques encourus, et anticiper toute autre attaque pouvant avoir des répercussions sur des éta-blissements similaires », rappelle l’ASIP Santé sur son site. Cette initiative publique permet, par ailleurs, de cartographier la menace réelle qui plane sur le secteur médical en France.

Enfin, la feuille de route du numérique en santé dévoilée le 25 avril dernier, qui vise à accélérer le virage digital du secteur, consacre une intention parti-culière à l’intensification de la sécurité des systèmes d’information et prévoit, entre autres, le déploiement d’un service national de cybersurveillance pour les industries de santé.

Mais quels sont les établissements les plus touchés ? Pourquoi le sont-ils ? Quelles sont les origines de ces acci-dents ? Quelles sont les principales failles des systèmes informatiques des centres de soins implantés dans l’Hexagone ?

Les établissements publics dans la ligne de mire des attaquants ?

Dans un rapport détaillé de l’ASIP Santé récemment rendu public, l’agence met en avant le fait que la grande majorité des cyberincidents (86 %) qui impacte des structures de soins est déclarée par des établisse-ments de santé. Parmi ces délits, les trois quarts sont escaladés par des établissements publics, 15 % par des établissements privés et 10 % par des établissements de santé privés d'intérêt collectif (ESPIC). Le reste est principalement réparti entre des

établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD, 8 %), des laboratoires de biologie médicale (5 %) et des centres de radiothérapie (1 %).

Dans la moitié des cas (49 %), les problèmes informatiques conduisent la structure à mettre en place un fonctionnement dégradé du système de prise en charge des patients. Sur les 11 % de cas présentant une mise en danger potentielle des patients, trois cas ont entraîné « une mise en danger avérée des patients », précise l’ASIP Santé.

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Enfin, concernant l'origine des inci-dents, l'agence relève que près d’un sur deux (47 %) a une origine malveil-lante, avec comme principales sources des messages électroniques ou des logiciels malveillants de type crypto-virus (logiciel de type cheval de Troie) ou ransomware (logiciel rançonneur).

Il n’est pas dramatique en soi de subir des cybermenaces. Mais ce qui est probléma-tique, c’est soit de ne pas le savoir, soit de ne pas être capable de les parer.Thierry Delville, associé Cyber Intelligence chez PwC

Thierry Delville commente : « un besoin d’accompagnement pour les institu-tions, entreprises et patients victimes de cyberattaques est indispensable. En 2019, nous nous trouvons à un moment charnière où il faut dépasser le partage de la peine. Il n’est pas dramatique en soi de subir des cyber-menaces. Mais ce qui est probléma-tique, c’est soit de ne pas le savoir, soit

de ne pas être capable de les parer. » Il ajoute : « en France, une partie trop importante de la population n’est pas au fait des dangers existants qui sont liés à l’hyperconnectivité médicale. Dans ce sens, des campagnes de sensibilisation, aussi bien en interne qu’en externe, doivent être menées dans le but de préparer les Français à mieux réagir face aux menaces. En effet, toutes les études le montrent : les principales vulnérabilités pro-viennent essentiellement du manque de vigilance et d’une absence de respect des règles essentielles d’hy-giène en matière de sécurité comme, par exemple, être à jour non seulement des bases antivirus mais aussi des systèmes et logiciels installés sur les serveurs et postes de travail. On ne prend pas l’autoroute avec les pneus sous gonflés et des balais d’es-suie-glace totalement usés… C’est la même chose lorsque l’on s’engage sur les réseaux de l’information ! La grande différence, c’est que l’on ne conduit en général pas une mais plusieurs voi-tures en même temps sur Internet : un smartphone, un desktop, une tablette etc. » Il conclut : « la bataille de la cybersécurité, nous la menons contre nos adversaires, certes, mais nous la menons aussi et surtout contre nous-mêmes et contre les erreurs évitables que nous commettons. » ■

Contacts

Thierry Delville Associé Cyber Intelligence [email protected]

Fabrice Garnier de Labareyre Associé Cyber Intelligence [email protected]

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A quoi ressemblera la médecine de demain ?

Patchs connectés, gélules dépliables, lentilles de contact pour les diabétiques, thérapies musicales pour les prématurés, selfies d’aide au diagnostic, membres imprimés en 3D, pacemakers pour le cerveau, révolution de la chirurgie augmentée… Les promesses de progrès dans le secteur de la médecine sont nombreuses. Mais sont-elles toutes réalisables et adaptées à nos systèmes de santé ?

d’objets et de machines jusqu’à main-tenant inconnus du grand public. Pour une population qui n’est pas considé-rée comme étant "digital native", embrasser pleinement cette culture du numérique n’est pas naturel. Cela prend du temps et c’est normal. Se précipiter serait une erreur. Les Hommes ont besoin d’être rassurés quant à la fiabilité et à la valeur ajoutée réelle des innovations que, dans un sens, la société leur impose. »

Le basculement vers la société numé-rique ouvre la voie à de multiples sources d'innovation utiles au sys-tème de santé. La médecine se dote chaque jour de nouveaux outils, applications, et de services destinés à améliorer la recherche, le suivi et la pratique médicale.

Si l’offre et la demande en matière de santé connectée ne cessent d’aug-menter partout dans le monde, para-doxalement, en France, l’usage des innovations digitales déjà disponibles sur le marché est encore très peu exploité par certains professionnels. Exemple : d’après une enquête du Journal International de Médecine, malgré la prise en charge de la télé-consultation par l’Assurance Maladie depuis septembre 2018, 70 % des médecins délaissent, pour le moment, ces solutions Tech auxquelles ils ont accès et restent ainsi dans leur zone de confort. Geoffroy Schmitt, associé Transformation, Change & Innovation chez PwC, commente : « l’évolution du secteur de la santé ne dépend pas uniquement des nouvelles technolo-gies conçues et commercialisées mais aussi et surtout du changement comportemental des individus. Aussi bien les patients que les profession-nels doivent bousculer leurs habitu-des, se saisir du numérique et lui faire confiance, et apprendre à se servir

Un travail important d’information, de sensibilisation et de pédagogie à grande échelle doit être fait, en toute transparence, pour expliquer aux utilisateurs les bénéfices du digital.

Geoffroy Schmitt, associé Transformation, Change & Innovation chez PwC

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Face à ce décalage entre les innova-tions proposées et celles adoptées, force est de constater que l’inertie du système retarde l’adoption de nom-breuses technologies présentées comme l'avenir de la santé. Si dans d’autres secteurs d’activité l’intérêt du public, des grandes entreprises et des financeurs forment le trio gagnant nécessaire à la réussite de la transfor-mation digitale de ces secteurs, il n’en va pas de même en santé. « C’est par et avec la population professionnelle que l’accès du plus grand nombre à ces solutions se fera, car ce sont eux qui ont la confiance des patients et qui seront les prescripteurs des meilleures solutions. Un travail impor-tant d’information, de sensibilisation et de pédagogie à grande échelle doit être fait, en toute transparence, pour expliquer aux utilisateurs les béné-fices du digital. Les convaincre repré-sente, sans aucun doute, la première étape de la construction de la santé numérique de demain », indique Geoffroy Schmitt.

Des outils numériques performants entre les mains des Hommes

Les outils connectés de demain, qui se voudront de plus en plus petits, intelligents, sûrs, non invasifs et performants promettent des actes que certains associent, à tort, à de la science-fiction. Ils seront certaine-ment surpris de voir que le serpent de Technion, un robot téléguidé d'une longueur de vingt centimètres doté de nanoparticules, assiste déjà des chirurgiens lors des opérations sen-sibles de la moelle épinière. Tamanoir, quant à lui, un autre outil chirurgical actuellement en phase d'étude cli-nique, permettra au chirurgien de s’assurer en temps réel, lors des opérations de cancers, que la totalité des cellules cancéreuses du patient ont bien été enlevées – le risque de récidive sera ainsi diminué. Autre exemple, dans le domaine de la

prévention cette fois-ci : le patch DevInnova permet d’ores et déjà de prévoir à l'avance un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral (AVC) ou encore une apnée du sommeil. Après que le patient ait porté ce dispositif pendant une semaine, le médecin obtient les informations concernant la fréquence cardiaque, respiratoire, arythmie, température corporelle, hydratation, électrocardiogramme et autres pres-sions artérielles. Ces données lui permettent d’agir à temps et de rediriger rapidement le patient vers un parcours de soins adapté et person-nalisé. Ça, c’est déjà le présent !

Dans le futur, l’innovation apportera une vague de nouveautés encore plus impressionnante : les bébés pourront être génétiquement modifiés, tous les organes humains seront imprimables, les données numériques guériront les personnes malades, des robots compagnons-assistants-chirurgiens sauveront des vies humaines tous les jours, les patients fabriqueront à domicile certains de leurs médica-ments en toute autonomie, ou encore des maladies seront détectables en trente secondes.

Alphabet : le futur géant de la santé ?

Depuis toujours, le secteur de la santé se nourrit de technologies de rupture pour évoluer. Mais il paraît de plus en plus clair que le cloisonnement des disciplines, des industries, des tech-nologies utilisées n’a plus de raison d’être. « Le distinguo entre une bio-tech, une medtech et une entreprise spécialisée dans la e-santé s’estompe au fil du temps. Aujourd’hui, nous constatons que de plus en plus d’organisations sont multitâches, interdisciplinaires et hybrides », com-mente François d’Andigné, directeur audit et contrôle interne, en charge du secteur des biotechs chez PwC.

Cette évolution est exemplifiée par l’évolution de Google au cours des dernières années. Autrefois simple moteur de recherche sur le Web, la multinationale fondée en 1998 dans la Silicon Valley est devenue, en 2015, une filiale d’Alphabet, un véritable poids lourd dans de multiples secteurs – à commencer par l’industrie médicale – qui enregistre un chiffre d’affaires supérieur à 100 milliards de dollars.

La médecine de demain sera davantage techno-dépendante que ce qu’elle n’est déjà aujourd’hui.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

En 2017, Verily, l’une des principales filiales d’Alphabet spécialisée dans le secteur de la santé, recevait une injection de capital de 800 millions de dollars pour alimenter la bonne quin-zaine de projets menés par l’entre-prise, avec le concours d’acteurs industriels majeurs et à grands coups de joint-ventures. « La liste de ces projets donne le ton, et suffit à convaincre que la médecine de demain sera davantage techno-dé-pendante que ce qu’elle n’est déjà aujourd’hui », indique Cédric Mazill, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC. Conjointement avec le géant pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline (GSK), par exemple, Verily développe actuellement des solutions high-tech destinées à « traiter des maladies par modulation des signaux électriques dans les nerfs périphériques ». En collaboration avec le fabricant japonais d'appareils photographiques et d'optiques Nikon, la filiale d’Alphabet étudie des dispo-sitifs sophistiqués, à base

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d’Intelligence (IA) et d’imagerie de pointe, pour mieux dépister les dia-bètes. Ceux-ci font aussi l’objet d’un partenariat avec Sanofi et Onduo pour créer « des produits combinant appa-reils, logiciels et soins professionnels pour faciliter la gestion de la maladie au quotidien ».

Une autre joint-venture du groupe, Verb Surgical, aspire actuellement à « construire une plateforme de chirurgie numérique qui combine la robotique, la visualisation avancée, l’instrumentation, l’analyse de données et la connecti-vité ». Parallèlement à cela, Calico, la biotech d’Alphabet, s’est fixée pour projet ambitieux de rallonger la vie humaine d’au moins 20 ans. La filiale Cityblock développe un dispositif numérique et humain d’aide sanitaire et sociale destiné aux populations issues des quartiers défavorisés. Les équipes de DeepMind, spécialisées en IA, s’improvisent ophtalmologues en s’appuyant sur une technologie 3D qui leur permet de scanner la rétine et ainsi diagnostiquer des dizaines de maladies de l’œil différentes en un temps record. Enfin, Google, la filiale phare d’Alpha-bet, a récemment mis au point un algorithme capable de donner les probabilités de décès, de sortie ou de réadmission d’un patient à l’hôpital.

Le futur se construit dès à présent. Et être à la pointe de l’innovation implique de s’en donner les moyens, aussi bien en ce qui concerne les ressources humaines que technolo-giques et financières. Dans ce sens, Alphabet a dépensé 1,3 milliard de dollars dans ses différentes sociétés rien que pour le premier semestre de 2019. Son objectif : devenir l’acteur le plus important dans la médecine 3.0 et commencer à esquisser les contours de la médecine 4.0 avant ses concurrents.

Médecine 3.0 : la Tech au cœur de l’innovationLa démarche entreprise par Alphabet et sa myriade de joint-ventures et de filiales illustre parfaitement l’évolution du système de santé. Cédric Mazill explique : « si l’on prend le temps de regarder derrière nous, dans les grandes lignes, la santé et la méde-cine ont d’abord été centrées sur le biologique : les professionnels réali-saient manuellement les différentes interventions opérationnelles tandis que des molécules prévenaient ou traitaient des maladies. L’essor du digital a, par la suite, permis à la médecine 2.0 d’apparaître et de faire ses preuves. C’est à ce moment-là que la e-santé a rendu possible, entre autres, de mieux connecter les patients aux médecins et aux centres de soins, et de démocratiser l’accès à l’information médicale. » Il poursuit : « aujourd’hui, les technologies convergent vers une médecine 3.0 qui regroupe le meilleur des sciences de la vie, des nanotechnologies, de la robotique, des deeptechs de façon générale, et du numérique, au service du patient (…) Pour perdurer, cette forme de médecine connectée doit être fiable, transparente, sécurisée et doit s’intégrer dans le parcours patient de manière éthique et respon-sable. »

Les technologies convergent vers une médecine 3.0 qui regroupe le meilleur des sciences de la vie, des nanotechnologies, de la robotique, des deeptechs de façon générale, et du numérique, au service du patient.

Cédric Mazille, associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée chez PwC

Ce faisant, la médecine de demain n’aura plus grand chose à voir avec celle d’hier. La Tech qui accélèrera le progrès sera, sans aucun doute, l’IA. « Contrairement à ce que certains experts ont pu affirmer par le passé, elle ne remplacera pas les praticiens et ne deviendra pas un docteur omniscient capable d’effectuer des diagnostics instantanés. Elle permet-tra plutôt de mieux comprendre les maladies et leur progression, d’aider à analyser les vastes ensembles de

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données recueillies, et de faciliter la mise en œuvre de technologies dispa-rates pour permettre l’émergence de nouveaux modèles », indique Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC.

Et en France, quelles craintes et quels progrès attendus pour les années à venir ?Dans l’Hexagone – comme partout ailleurs dans le monde – les nouvelles technologies ainsi que les paramètres démographiques et les évolutions des mentalités des citoyens amèneront le système de santé à être repensé.

En 2030, en France, 1/4 de la population aura plus de 65 ans et, en moyenne, chaque individu appartenant à ce segment souffrira de 4 à 6 pathologies. Source : Think Tank Matières Grises

La demande de soins de qualité n’est pas prête de diminuer, bien au contraire, elle s’apprête à exploser.

Elisabeth Hachmanian, associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée chez PwC

En 2030 par exemple, le visage du pays sera foncièrement différent : il sera peuplé de 70 millions d’habitants, dont 80 % vivront en zone urbaine,

selon les experts. D’après une étude du Think Tank Matières Grises, les plus de 65 ans représenteront alors un quart de la population et, en moyenne, chaque individu apparte-nant à ce segment souffrira de 4 à 6 pathologies. « Notre système de soins devra accompagner et prendre en charge 1,4 à 1,7 million de per-sonnes âgées dépendantes, et gérer une augmentation probable de 50 % du nombre de patients en affection longue durée (ALD) par rapport à aujourd’hui. La demande de soins de qualité n’est pas prête de diminuer, bien au contraire, elle s’apprête à exploser (…) Acteurs publics et privés, nous devons dès à présent nous organiser en conséquence si nous ne voulons pas nous faire dépasser par le temps et surprendre par un phéno-mène clairement prévisible », déclare Elisabeth Hachmanian.

Selon un récent sondage mené par Les entreprises du médicament (LEEM), ce que les Français attendent en priorité des communautés scienti-fique et médicale, dans les dix années à venir, n’est pas vraiment de dévelop-per de nouvelles solutions numé-riques mais de mettre fin à certaines pathologies – ce qui implique des efforts en recherche et en développe-ment possibles en partie grâce aux nouvelles technologies. « L’accent est mis sur la finalité et non sur la manière », résume Elisabeth Hachmanian. Elle poursuit : « la guérison est un objectif. La Tech est un moyen. »

Plus concrètement, le rapport du LEEM indique que, pour les Français, les deux enjeux de la médecine du futur sont la capacité à soigner les individus atteints de cancers et ceux touchés par la maladie d’Alzheimer. Et pour cause, à l’échelle nationale, chaque année, 400 000 cancers sont diagnostiqués et 161 000 sont res-ponsables de décès. La maladie d’Alzheimer concerne, quant à elle, 900 000 personnes.

Par rapport aux cancers, sur le plan thérapeutique, la situation devrait évoluer favorablement dans les années à venir. Le LEEM tente de rassurer dans un communiqué : « 2030 verra de nouveaux traitements issus des 3 463 essais cliniques en cours dans le champ du cancer et des 129 essais dans le domaine des maladies neurodégénératives. Même dans l’hypothèse où seul un dixième de ces développements conduirait à un nouveau médicament disponible pour les patients, le rythme et le nombre des innovations seront excep-tionnels dans les prochaines décen-nies ». Dans la médecine du futur, en ce qui concerne la prise en charge des cancers, « de nouveaux algo-rithmes décisionnels issus de l’IA amélioreront de façon certaine la précision des diagnostics. Des asso-ciations d’immunothérapies, de traitements épigénétiques et de traitements ciblés seront proposées au cas par cas aux patients. Et enfin, dans le cadre de la compréhension des mécanismes de développement des cancers, un atlas résumera les connaissances acquises dans une perspective thérapeutique et intégra-tive », précisent les experts du LEEM.

Quant à la maladie d’Alzheimer, « d’ici 2020, grâce aux nouvelles technolo-gies, les professionnels de santé seront capables de la détecter des années avant son apparition. L’amélioration certaine des diagnos-tics de cette pathologie, bien qu’ils puissent devenir encore plus précis et efficaces avec le temps, ne relève pas de la médecine du futur mais de celle du présent », assure Cédric Mazill.

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Au-delà de ces deux principaux points d’inquiétude des Français auxquels les experts apportent des réponses concrètes, le rapport du LEEM permet de préciser les enjeux de transformation du système de soins, d‘en définir les jalons, les obstacles à franchir et surtout les dix principaux chantiers à initier pour que le pays s’inscrive dans la santé du futur.

10 actions à mener pour construire une médecine du futur accessible, durable et équitable

Transformer les méca-nismes d’évaluation et gagner en efficacité administrative pour permettre aux patients d’accéder plus vite aux traitements innovants

Mener la bataille de l’efficience indispensable à la pérennité du système de santé

Mesurer la qualité et prendre en compte le retour des patients pour mieux les soigner

Diversifier les mécanismes de fixation des prix des médicaments innovants pour s’adapter aux profils des innovations et pour concilier accès et efficience

Placer le patient au cœur du système de santé

Réussir le mariage entre données de santé et IA pour améliorer la qualité du diagnostic et des soins

Mettre les technologies de rupture au service de la production des médica-ments innovants pour préserver l’indépendance sanitaire française

Placer les questionne-ments éthiques au cœur de l’innovation pour concilier enjeux de recherche et interrogations de la société

Permettre l’accès le plus précoce possible des patients à l’innovation, en adoptant une approche plus individualisée de la recherche clinique

Anticiper l'arrivée des innovations pour permettre l’adaptation la plus effi-cace du système de soins

Cela ne fait aucun doute, la médecine du futur accordera une large place à l'information, à la prévention et au dépistage des populations afin de permettre de diminuer l'incidence et la prévalence de certaines maladies et donc de limiter la consommation de soins. Philippe Lamoureux, directeur général du LEEM, commente : « ces chantiers sont les briques nécessaires à la transformation du système de

santé (…) Il est urgent de le transformer. En effet, la vague de progrès, source d’espoir pour les patients, est un révélateur des rigidités structurelles de notre système et des difficultés actuelles à absorber ces innovations. » Il poursuit et conclut : « le plus grand défi que nous devrons relever d’ici 2030, c’est de piloter avec tous les acteurs de l’écosystème – chercheurs, cliniciens, autorités de santé, patients,

médecins, pharmaciens, industriels et start-up – la mutation du système de santé vers plus d’efficience, de qualité et surtout d’égalité d’accès aux traite-ments innovants. Ce ne sera plus au patient de s’adapter au système de santé mais au système de s’adapter au patient. » ■

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Contacts

Cédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Elisabeth Hachmanian Associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée [email protected]

Geoffroy Schmitt Associé Transformation, Change & Innovation [email protected]

François d’Andigné Directeur audit et contrôle interne, en charge du secteur des biotechs [email protected]

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Contacts

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SantéCédric Mazille Associé responsable du secteur Industries de Santé publique et privée [email protected]

Benoît Cambournac Associé responsable de l'activité Santé privée [email protected]

Elisabeth Hachmanian Associée responsable de l'activité Consulting Santé publique et privée [email protected]

Benoît Caussignac Directeur Consulting Santé publique et privée [email protected]

François d'Andigné Directeur audit et contrôle interne, en charge du secteur des biotechs [email protected]

Renaud Vignon Directeur Consulting Santé et protection sociale [email protected]

Gestion des talentsFrédéric Petitbon Associé People & Organisation [email protected]

Benjamin Ribault Associé People [email protected]

Ressources humaines Valérie Vezinhet Directrice des ressources humaines [email protected]

China Business Group Hélène Rives Associée responsable du China Business Group [email protected]

Technology & DigitalNabil Kettani Associé Technology & Digital en Afrique francophone [email protected]

Nizar Yaiche Associé en charge du digital, télécommunication et nouvelles technologies en Afrique francophone [email protected]

Amel Ouertani Senior Manager spécialisée en télécommunication et digitalisation en Afrique francophone [email protected]

Data IntelligenceJean-David Benassouli Associé Data Intelligence [email protected]

David Cortés Directeur Data Intelligence [email protected]

Marc Damez-Fontaine Directeur Data Intelligence [email protected]

Experience CenterJean-François Marti Associé Experience Center [email protected]

Cyber IntelligenceThierry Delville Associé Cyber Intelligence [email protected]

Fabrice Garnier de Labareyre Associé Cyber Intelligence [email protected]

Transformation & InnovationGeoffroy Schmitt Associé Transformation, Change & Innovation [email protected]

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© 2019 PricewaterhouseCoopers France et Pays Francophones d’Afrique. Tous droits réservés.

Directrice de publication : Agnès Hussherr

Rédacteur en chef : Martin Lozniewski

Création et Direction artistique : Miguel Sanchez - Véronique Rode Coupeau

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