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Société de Franche-Comté 546 Arch Mal Prof Env 2006 - la consommation de tabac concerne 29 % des CR (en 1985, elle en concernait 41 %). Les femmes en proportion (39 %) fument plus que les hommes (29 %), même si leur consomma- tion est moindre en quantité de tabac, - la consommation d’alcool concerne occasionnellement 65 % des CR. 25 % des CR disent n’en consommer jamais, - 6 % des CR considèrent que leur sommeil est mauvais ou très mauvais, contre 25 % des femmes CR, - 30 % des CR se disent irritables, les femmes CR le sont à 56 %, - 46 % des CR font du sport et 33 % des femmes CR. Informations sur le matériel Les CR utilisent les différents réglages : • la course des sièges à 93 %, • la hauteur des sièges à 97 %, • l’inclinaison de l’assise à 90 %, • l’appui lombaire à 65 %. Celui-ci est souvent détérioré. Ils considèrent que ces réglages sont faciles à utiliser pour 88 % d’entre eux et sont satisfaits des sièges à 73 %. En dehors du réglage des rétroviseurs extérieurs, qui pré- sente des difficultés pour les femmes CR et du réglage des quelques girouettes manuelles qui persistent, les réglages ne posent pas de problèmes et sont largement utilisés. Certains bus, surnommés « scoudos » par les conducteurs, sont désignés comme à l’origine de lombalgies. Lors de nos observations, nous avons remarqué que les dif- férents réglages ne sont pas réalisés de façon optimale dès la prise de service, certains réglages ne se feront qu’au terminus, notamment les rétroviseurs. Facteurs environnementaux et organisationnels - Tous les facteurs environnementaux (nuit, froid, chaleur, éblouissements, brouillard, humidité, courants d’air, pluie, vibrations) représentent une gêne importante, qui va cres- cendo jusqu’aux vibrations gênantes, pour 84 % des CR. - L’état des routes du réseau urbain n’est jugé satisfaisant que par 36 % des conducteurs et 25 %, des conductrices. - Les temps de parcours sont considérés comme tendus voire très tendus par 80 % du personnel et 86 % des conductrices. - Les informations « avance retard », qui indiquent au CR l’avance ou le retard par rapport aux temps de parcours, sont considérées comme utiles par 53 % du personnel, mais stres- santes pour 41 % des CR et pour 56 % des conductrices. - Les « repos physiologiques » accordés aux terminus sont jugés insuffisants pour 58 % des CR. Contraintes relationnelles, stress et sentiment de sécurité Les relations interpersonnelles sont vécues comme satisfai- santes : • avec les collègues à 94 %, • avec l’encadrement à 84 %, • avec la clientèle à 81 %, • avec les autres usagers de la voie publique à 61 %. 56 % des conductrices se disent stressées au cours du tra- vail contre 35 % des conducteurs. 22 % des conductrices expriment un sentiment d’insécurité contre 17 % des conducteurs. Résultats comparés de la pathologie 1985-2002 En 1985, 57 % des CR présentaient des TMS ou des patho- logies du rachis contre 46 % en 2002. La pathologie cervicale concerne 13 % des CR en 1985 et 12 % des CR en 2002. La pathologie lombaire concerne 38 % des CR en 1985 et 27 % des CR en 2002 (sciatiques 4 % en 1985 et 4 % en 2002, hernies discales 1 % en 1985 et 1 % en 2002). Les pathologies des épaules, des genoux et du canal carpien se situent respectivement à 1 % en 1985 et 5 % en 2002, 0 % en 1985 et 8 % en 2002 et 0 % en 1985 et 1 % en 2002. La pathologie professionnelle n’est reconnue qu’en ce qui con- cerne la pathologie des épaules et du canal carpien (l’origine professionnelle des épaules ayant été particulièrement diffi- cile à faire reconnaître). Les pathologies cervicale et lombaire, qui sont les plus fré- quentes, ne sont toujours pas reconnues comme maladies professionnelles pour les conducteurs de bus urbains de voyageurs. Conclusion Les résultats de la 2 e enquête semblent montrer une dimi- nution de la pathologie lombaire. Celle-ci pourrait être en relation avec l’amélioration du poste de conduite. Ce n’est pas le cas de la pathologie cervicale qui reste stable, et d’autres pathologies qui semblent émerger ou devenir plus importan- tes, comme celles des épaules, genoux et canal carpien. Les études que nous avons menées laissent à penser que les TMS sont d’origine plurifactorielle. La tâche de conducteur- receveur, qui est complexe, à charge mentale élevée et l’orga- nisation du travail sont à prendre en considération. Ce que l’étude suivante va mettre en lumière. Santé et identité au travail chez les conducteurs- receveurs des transports publics urbains V. Gandibleux 1 , M.-F. Dartois 2 1. rue de la Basilique, 25000 Besançon 2. ACIMT, 5, rue Victor Sellier, 25000 Besançon. L’activité des conducteurs de transport public urbain (TPU) implique un grand nombre de tâches liées à la conduite d’un véhicule. Ils sont, par conséquent, exposés à certains facteurs environnementaux, organisationnels et ergonomiques ; tous ces éléments endommageant la santé des conducteurs. C’est pourquoi, disposant de données de 1985, quant aux nombre et qualité de chaque trouble musequlosquelettique (TMS), une investigation sur les TMS actuels et les antécédents des sujets a été réalisée pour comparaison. Nous avons con- sulté la littérature sur le sujet et, de l’existant, avons réalisé un questionnaire à remplir par chaque conducteur. Il a regroupé des questions, quantitatives principalement, sur les précur- seurs des TMS reconnus. Nous les avons regroupées en catégo- ries selon leur nature : ergonomie du poste de travail, gêne ressentie vis-à-vis des contraintes environnementales, con- traintes organisationnelles, contraintes relationnelles, percep- tion du stress, hygiène de vie. L’objectif poursuivi a été d’améliorer la prévention et de faire un état des lieux de la per- ception qu’ont les opérateurs de leurs conditions de travail. Les résultats ont montré des liens étroits entre la pathologie et des éléments de l’environnement du travail-comme la con- gestion du trafic, la position assise prolongée, les vibrations.

Santé et identité au travail chez les conducteurs-receveurs des transports publics urbains

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Page 1: Santé et identité au travail chez les conducteurs-receveurs des transports publics urbains

Société de Franche-Comté

546 Arch Mal Prof Env 2006

- la consommation de tabac concerne 29 % des CR (en 1985,elle en concernait 41 %). Les femmes en proportion (39 %)fument plus que les hommes (29 %), même si leur consomma-tion est moindre en quantité de tabac,- la consommation d’alcool concerne occasionnellement65 % des CR. 25 % des CR disent n’en consommer jamais,- 6 % des CR considèrent que leur sommeil est mauvais outrès mauvais, contre 25 % des femmes CR,- 30 % des CR se disent irritables, les femmes CR le sont à56 %,- 46 % des CR font du sport et 33 % des femmes CR.

Informations sur le matérielLes CR utilisent les différents réglages :

• la course des sièges à 93 %,• la hauteur des sièges à 97 %,• l’inclinaison de l’assise à 90 %,• l’appui lombaire à 65 %. Celui-ci est souvent détérioré.

Ils considèrent que ces réglages sont faciles à utiliser pour88 % d’entre eux et sont satisfaits des sièges à 73 %.

En dehors du réglage des rétroviseurs extérieurs, qui pré-sente des difficultés pour les femmes CR et du réglage desquelques girouettes manuelles qui persistent, les réglages neposent pas de problèmes et sont largement utilisés.

Certains bus, surnommés « scoudos » par les conducteurs,sont désignés comme à l’origine de lombalgies.

Lors de nos observations, nous avons remarqué que les dif-férents réglages ne sont pas réalisés de façon optimale dès laprise de service, certains réglages ne se feront qu’au terminus,notamment les rétroviseurs.

Facteurs environnementaux et organisationnels- Tous les facteurs environnementaux (nuit, froid, chaleur,éblouissements, brouillard, humidité, courants d’air, pluie,vibrations) représentent une gêne importante, qui va cres-cendo jusqu’aux vibrations gênantes, pour 84 % des CR.- L’état des routes du réseau urbain n’est jugé satisfaisant quepar 36 % des conducteurs et 25 %, des conductrices.- Les temps de parcours sont considérés comme tendus voiretrès tendus par 80 % du personnel et 86 % des conductrices.- Les informations « avance retard », qui indiquent au CRl’avance ou le retard par rapport aux temps de parcours, sontconsidérées comme utiles par 53 % du personnel, mais stres-santes pour 41 % des CR et pour 56 % des conductrices.- Les « repos physiologiques » accordés aux terminus sontjugés insuffisants pour 58 % des CR.

Contraintes relationnelles, stress et sentiment de sécurité

Les relations interpersonnelles sont vécues comme satisfai-santes :• avec les collègues à 94 %,• avec l’encadrement à 84 %,• avec la clientèle à 81 %,• avec les autres usagers de la voie publique à 61 %.

56 % des conductrices se disent stressées au cours du tra-vail contre 35 % des conducteurs.

22 % des conductrices expriment un sentiment d’insécuritécontre 17 % des conducteurs.

Résultats comparés de la pathologie 1985-2002En 1985, 57 % des CR présentaient des TMS ou des patho-

logies du rachis contre 46 % en 2002.La pathologie cervicale concerne 13 % des CR en 1985 et

12 % des CR en 2002.La pathologie lombaire concerne 38 % des CR en 1985 et

27 % des CR en 2002 (sciatiques 4 % en 1985 et 4 % en 2002,hernies discales 1 % en 1985 et 1 % en 2002).

Les pathologies des épaules, des genoux et du canal carpiense situent respectivement à 1 % en 1985 et 5 % en 2002, 0 %en 1985 et 8 % en 2002 et 0 % en 1985 et 1 % en 2002. Lapathologie professionnelle n’est reconnue qu’en ce qui con-cerne la pathologie des épaules et du canal carpien (l’origineprofessionnelle des épaules ayant été particulièrement diffi-cile à faire reconnaître).

Les pathologies cervicale et lombaire, qui sont les plus fré-quentes, ne sont toujours pas reconnues comme maladiesprofessionnelles pour les conducteurs de bus urbains devoyageurs.

ConclusionLes résultats de la 2e enquête semblent montrer une dimi-

nution de la pathologie lombaire. Celle-ci pourrait être enrelation avec l’amélioration du poste de conduite. Ce n’est pasle cas de la pathologie cervicale qui reste stable, et d’autrespathologies qui semblent émerger ou devenir plus importan-tes, comme celles des épaules, genoux et canal carpien.Les études que nous avons menées laissent à penser que lesTMS sont d’origine plurifactorielle. La tâche de conducteur-receveur, qui est complexe, à charge mentale élevée et l’orga-nisation du travail sont à prendre en considération. Ce quel’étude suivante va mettre en lumière.

Santé et identité au travail chez les conducteurs-receveurs des transports publics urbainsV. Gandibleux1, M.-F. Dartois2

1. rue de la Basilique, 25000 Besançon2. ACIMT, 5, rue Victor Sellier, 25000 Besançon.

L’activité des conducteurs de transport public urbain (TPU)implique un grand nombre de tâches liées à la conduite d’unvéhicule. Ils sont, par conséquent, exposés à certains facteursenvironnementaux, organisationnels et ergonomiques ; tousces éléments endommageant la santé des conducteurs.

C’est pourquoi, disposant de données de 1985, quant auxnombre et qualité de chaque trouble musequlosquelettique(TMS), une investigation sur les TMS actuels et les antécédents

des sujets a été réalisée pour comparaison. Nous avons con-sulté la littérature sur le sujet et, de l’existant, avons réalisé unquestionnaire à remplir par chaque conducteur. Il a regroupédes questions, quantitatives principalement, sur les précur-seurs des TMS reconnus. Nous les avons regroupées en catégo-ries selon leur nature : ergonomie du poste de travail, gêneressentie vis-à-vis des contraintes environnementales, con-traintes organisationnelles, contraintes relationnelles, percep-tion du stress, hygiène de vie. L’objectif poursuivi a étéd’améliorer la prévention et de faire un état des lieux de la per-ception qu’ont les opérateurs de leurs conditions de travail.

Les résultats ont montré des liens étroits entre la pathologieet des éléments de l’environnement du travail-comme la con-gestion du trafic, la position assise prolongée, les vibrations.

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Séance du 24 juin 2005

Arch Mal Prof Env 2006

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Dans le but de mieux cerner les précurseurs mécaniques,quelques observations et un film, sur l’utilisation théorique etréelle du matériel mis à disposition, ont été réalisés. Cela apermis, également, de décrire la succession des actions que lesopérateurs effectuaient, d’étudier de manière détaillée les pos-tes de travail et leur environnement physique en vue d’appor-ter les éléments de correction nécessaires.

Nous avons constaté que, malgré des aménagementsimportants au poste de conduite, les TMS sont toujours bienprésents.

Une autre étude a donc été effectuée, complémentaire à lapremière. Elle part du postulat que le stress ressenti, l’ébranle-ment de la construction identitaire à l’origine éventuelle desTMS, ont lieu à la confrontation entre ce qui est prescrit parl’entreprise et la situation réelle dans laquelle les conducteursassurent leur tâche. L’activité prescrite est l’objet d’estima-tions préalables et de calculs prévisionnels de la charge detravail du service marketing, du service exploitation et duservice régulation. Ce calcul constitue pour les conducteursde bus une théorisation de leur charge de travail. Ils ont ainsien leur possession un inventaire des opérations à réaliser, les-quelles sont affectées d’un temps théorique.

Il en sort ainsi : lors du transport de voyageurs, le con-ducteur doit prendre son service à heure fixe, après avoirfait monter les voyageurs. Il suit l’itinéraire de la ligne sur la-quelle il est affecté en respectant les arrêts et les horaires. Ilcontrôle les demandes d’arrêt, surveille la monté et ladescente et la progression des voyageurs. Il vend et vérifie lestitres de transport. Il effectue un nombre de tours variable enfonction de la longueur de la ligne, et dispose d’un temps debattement à chaque terminus.

La réalité des situations défie ce qui a été prévue : les varia-tions constantes qui affectent la production de service et lesaléas (retard, pannes, absences à combler…) mettent à défautles prévisions. En effet, la complexité de la tâche varie, parexemple, selon la situation climatique, l’horaire, le jour de lasemaine, les conditions de circulation. Il ressort des observa-tions effectuées dans les bus que l’activité est complexe. Letravail du conducteur receveur associe une fonction de con-duite à haute responsabilité, une fonction commerciale deservices aux voyageurs et une obligation de maintien de lasécurité. C’est un travail à charge mentale forte qui impose laréception, et le traitement permanent d’une foultituded’informations parfois contradictoires. Une vigilance cons-tante est requise pour veiller à la sécurité des voyageurs, pourgérer les aléas du trafic et de l’environnement urbain et/oumétéorologique, pour respecter les temps de parcours et pourassurer les relations interprofessionnelles.

Mais le niveau de vigilance dépend des facteurs endogènes(fatigue, soucis, maladies…) et des facteurs exogènes (bruit,incivilités…). Il existe donc en permanence une nécessitéd’opérer des choix entre les exigences parfois contradictoiresdu métier.

Quelques exemples :En situation d’embouteillage, le conducteur choisit ou non

de se placer contre le trottoir selon qu’il privilégie de fairedescendre ses passagers en sécurité ou de rester sur le circuitpour éviter de se retrouver en difficulté pour se réinsérer sur lavoie et ainsi prendre du retard.

Les conducteurs adoptent des comportements différentsface à des personnes ne présentant pas de titre de transport àleur montée dans le bus :

- soit ils leur demandent leur titre de transport et ne partirontpas tant que les récalcitrants ne se seront pas exécutés ; cettesituation entraîne une perte de temps que les clients n’accep-tent majoritairement pas et peut générer des conflits.- soit ils les laissent montent dans le bus sans rien leurdemander, feignant de ne pas les avoir remarqués pour avoirla paix.

Nous avons constaté que les conducteurs ne restent pasinactifs face à la charge de travail à laquelle ils sont soumis.La plupart des conducteurs saluent d’un signe de tête ou demain leurs collègues également en activité. Le signe amicalentre eux, est peut-être une façon de trouver un mode d’exis-tence possible, en restaurant un faisceau de contacts avecleurs pairs, gratifiants dont ils sont par ailleurs en carence. Ilexiste ainsi, sur le plan des relations interpersonnelles, de« bons » terminus par la possibilité des contacts et des« mauvais » terminus.

Comme il arrive qu’aucun contact n’ait lieu entre conduc-teur et client, un agent nous explique avoir mis au point unetechnique pour établir un lien humain. Il s’agit, lorsqu’il rendla monnaie, de la déposer dans la main du client afin d’obte-nir un remerciement.

D’après les constats des observations menées dans les bus,les contraintes des conducteurs sont donc nombreuses et, pourles gérer, ils peuvent être amenés à se désintéresser des voya-geurs de façon à assurer la ponctualité, à ignorer la fraude pour« ne pas avoir d’histoires », à délaisser les règles de sécuritépour respecter les cadences. La pression imposée par le respectdes horaires, les services à rendre à la clientèle, les conditionsde circulation font partie des nombreux facteurs qui caractéri-sent la situation de travail des conducteurs. Ceux-ci ont deseffets considérables en terme de stress professionnel.

Dans une grande diversité de situations, ils ont à faire faceà des dilemmes : faut-il privilégier l’aspect commercial,l’aspect conduite ou l’aspect sécurité ? Leur résolution exige,souvent, d’identifier dans l’urgence des données et indices, deles interpréter, puis d’effectuer un choix qui conduit àl’action. La question du choix peut se révéler difficile à opérerlorsque coexistent des enjeux ou logiques antagonistes : ainsiles dilemmes ou injonctions contradictoires comme conduite/sécurité ou encore conduite/commerce, placent le salarié dansl’impossibilité de répondre de manière satisfaisante aux deuxlogiques à la fois. Le conducteur doit faire face à ce qui n’estpas prévu par la prescription. Il est amené à tricher pour pou-voir réaliser sa tâche. Le mot tricherie, est celui qui traduit lemieux la situation ambiguë dans laquelle se trouvent les con-ducteurs. En effet, du côté de l’organisation du travail, lescomportements qui relèvent de la prise d’initiatives destinéesà pallier les carences de l’organisation du travail sont consi-dérés comme des transgressions qu’il faut passer sous silence.

D’après le modèle de la psychodynamique du travail, leconducteur est en quête de la confirmation de la reconnais-sance du faire, c’est-à-dire de l’expérience renouvelée du juge-ment porté par autrui sur l’utilité et la beauté de l’action. Lejugement d’utilité, porté par le client, la hiérarchie, et le juge-ment de beauté, porté par les pairs de la communauté d’appar-tenance, permettent de rapatrier l’exécution du geste de travaildans la construction identitaire. Le jugement de beauté com-porte à ce titre deux versants : un versant de conformité dutravail par rapport aux règles de métier, qui conforte l’appar-tenance à un collectif, et un versant d’originalité du gesteaccompli, qui permet de déployer sa singularité identitaire.

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Société de Franche-Comté

548 Arch Mal Prof Env 2006

Les gestes ne sont pas uniquement des enchaînementsmusculaires efficaces et opératoires. Ils sont des actesd’expression de la posture psychique et sociale que le sujetadresse à autrui. L’état physique de l’opérateur, son expé-rience, la perception de son utilité, entre autres, font partieintégrante de son geste. Dans celui-ci nous retrouvons à lafois les caractéristiques du mouvement (amplitude, force,vitesse…), les caractéristiques psychologiques (volonté, inten-tion, émotion…) et sociales.

« La connaissance du travail et du métier est une connais-sance par corps, même si elle n’est pas symbolisée, si elle n’estpas visible, pas aisément transmissible. » (C. Dejours, 2003).

La somatisation apparaît lorsqu’un conflit ne peut trouverd’issue mentale, déclenche dans le corps des désordres pointde départ d’une maladie organique. Les TMS révèlent un con-flit entre le conducteur et l’organisation du travail qui nereconnaît plus les capacités créatrices et sociales des person-nes au travail.

Passage à la pluridisciplinarité dans un service interentreprises avant et après la réforme : inquiétudes, espoirs et conditions de réussitesJ.M. Lamant1, G. Lesieur2

1. Centre de santé au travail, 19 rue de l’Étuve, 25200 Montbéliard2. Centre de santé au travail, ZA Gray Sud, 70100 Gray.

Les deux auteurs veulent évaluer le passage à la pluridisci-plinarité dans leur service avant et après la réforme dejuillet 2004. Ils vont ensuite présenter un projet original demode de financement de la santé au travail et apprécier sesconséquences possibles sur les actions en milieu de travail.

Avant la réformeLe passage à la pluridisciplinarité a été réalisé par l’embauche

de quatre intervenants en prévention de risques professionnels(IPRP) et la participation à la création de deux structures. Notreservice interentreprises a adhéré à Franche-Comté Ergonomie(FCE), liée aux instituts de médecine du travail régionaux. FCE apermis à des médecins volontaires, référents dans leur domaine(ergonomie, toxicologie et psychopathologie) d’apporter à leurcollègues un transfert de connaissances. Il n’y a pas eu dedépossession des actions des médecins du travail. FCE a permisà notre service de réaliser des enquêtes d’une bonne rigueurscientifique. La limite de ce système médico-médical est letemps médical, notoirement insuffisant.

La deuxième structure est commerciale. Elle comprend uncadre chargé de gérer les actions en milieu de travail, et desIPRP. Son financement se fait essentiellement par la mise àdisposition des IPRP du service aux entreprises, adhérentes ounon à notre association. Les actions proposées par les IPRPentrent dans le cadre de la mission d’un service de santé autravail, mais pas seulement : l’évaluation des risques estaussi, par exemple, proposée aux entreprises.

Avec ces moyens, notre service pensait être prêt à répondreaux impératifs de compétence dans les trois domainesd’actions suivants : médical, technique et organisationnel.

Après la réformeToutefois, ce système n’a pas obtenu l’adhésion de la grande

majorité des médecins du travail, pour les raisons suivantes :• Le service de santé au travail est une association à but

non lucratif, et la société chargée de gérer les actions enmilieu de travail est commerciale, avec la possibilité d’avoirun ou des actionnaires. Les intérêts financiers de cette struc-ture ne divergent-ils pas des objectifs de santé au travail ?

• Lorsqu’un IPRP intervient dans une entreprise adhérente,une question se pose rapidement : à quel temps d’action enmilieu de travail donne droit la cotisation de cette entreprise ?

Sachant qu’au-delà de ce temps, il y a une facturation complé-mentaire qui sert, entre autres, à financer la structure commer-ciale.

• La réponse qui a été proposée est la suivante : chaqueentreprise aura droit à un temps de prestations qui sera fonc-tion du nombre de salariés (une demi-heure par salarié). Laprestation sera due annuellement. Elle sera calculée en tempssous forme de visites, d’actions en milieu de travail des méde-cins ou des IPRP. Les prestations non réalisées seront rem-boursées sous forme d’avoir.

• Ce projet original semble difficile à mettre en œuvre pourles raisons suivantes : la prestation dont peut bénéficier uneentreprise sera la même quelle que soit la nature des risques.

Ainsi, une entreprise de 50 jeunes ingénieurs travaillantsur écran aura le même temps de prestation que l’entrepriseindustrielle de 50 salariés vieillissants, exposés au bruit, à desrisques chimiques et à la manutention manuelle.

• Donner le même temps, tous les ans aux entreprises peutempêcher la réalisation d’actions en milieu de travail lorsquedes problèmes de santé apparaissent : par exemple des TMSplus nombreuses. Il y a un non sens à devoir donner le mêmetemps tous les ans à une entreprise sans problème, et à uneentreprise qui a des difficultés. Cela ne peut permettre unepolitique de santé au travail sérieuse.

• Ce système a pour conséquence que, si le médecin du tra-vail juge nécessaire de travailler chez un adhérent plus que letemps qui lui est dû, il devra convaincre l’entreprise de payerune prestation complémentaire.

Mais alors, que ferons nous si cette entreprise ne veut paspayer ? Ou si elle ne peut pas payer ?

• Ce système propose aussi aux entreprises de confondre letemps d’action en milieu de travail de l’IPRP et du médecin dutravail. Les médecins se sentent ainsi dépossédés de leurs150 demi-journées promises par la réforme.

• Il est aussi envisagé que chaque médecin ait un budgetd’intervention qui, pour être réalisé, nécessite qu’il accom-plisse ses 150 demi-journées (ou en laisse aux IPRP) et fassela maximum de visites prévu par la réglementation.

Ce système semble aux auteurs contraire à un des principesde la réforme qui indique que les valeurs de 3 200 visites soitun plafond, pas un objectif.

• Enfin ils craignent aussi que les médecins ne se trouventconfrontés à une injonction paradoxale :

- soit ils essaient d’atteindre ce budget d’intervention(dont dépend la bonne santé financière de leur service) endonnant aux entreprises un temps « Action en milieu detravail » (AMT) annuel non mutualisé, entreprise par entre-prise. Ils passeront alors du temps dans des entreprises sansproblèmes, tout en sachant que leur place devrait être entoute logique dans les entreprises où les salariés sont en