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Santé globale : une santé publique mondialisée

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Page 1: Santé globale : une santé publique mondialisée

Editorial

Sante globale : une sante publique mondialisee

Global health: A globalized public health

P. Buekens a,*,b, G. Breart c, M. Cot d, A. Leveque b, A. Massougbodji e, M.H. Rodriguez Lopez f

a School of public health and tropical medicine, Tulane university, Ste 2430, 1440 Canal Street, Nouvelle-Orleans, LA 70112, Etats-Unisb Ecole de sante publique, universite libre de Bruxelles, B-1070 Bruxelles, Belgique

c Inserm, institut « sante publique », 75013 Paris, Franced Institut de recherche pour le developpement, 13572 Marseille, France

e Faculte des sciences de la sante, Cotonou, Beninf Instituto nacional de salud publica, Cuernavaca, 62100 Morelos, Mexique

Revue d’Epidemiologie et de Sante Publique 59 (2011) 73–75

Les problemes de sante sont devenus mondiaux. Il y a une

convergence accrue entre les problemes prioritaires des pays

« industrialises » et « en developpement », et cette classification

elle-meme est devenue obsolete. Les pays emergents ont

maintenant une place importante, voire dominante, dans la

production industrielle. Ils sont aussi chaque jour plus

urbanises. On utilise donc de plus en plus souvent la

classification de la Banque Mondiale en pays a hauts, moyens

et bas revenus [1]. Cette mondialisation s’accompagne

d’inegalites sociales persistantes.

On assiste dans les pays a revenus moyens et bas a une forte

transition epidemiologique avec une augmentation des

maladies chroniques [2]. L’evolution de l’incidence des

maladies cardiovasculaires [3] et des cancers [4] y est

inquietante et la question des traumatismes y est posee de

facon aigue comme elle l’est dans les pays a hauts revenus [5].

Cette transition epidemiologique s’accompagne d’une transi-

tion nutritionnelle avec une frequence accrue d’obesite de par

le monde [6], et d’une transition demographique avec une

augmentation des populations agees [7]. On assiste au meme

moment a une nouvelle prise de conscience de la place des

maladies infectieuses emergentes ou reemergentes. Le

rechauffement global a mis en evidence de nouveaux risques

de diffusion de maladies transmises par les vecteurs [8]. Le

monde fait aussi face a une croissance de la surmedicalisation,

illustree par des taux de cesariennes sans cesse a la hausse dans

la plupart des pays [9]. Il fait face, consequence de politiques et

de pratiques commerciales agressives, a une tres large

mondialisation de la disponibilite de produits et substances

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (P. Buekens).

0398-7620/$ – see front matter # 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserve

doi:10.1016/j.respe.2010.10.009

nocives pour la sante tels que le tabac. La question des

ressources humaines en sante se pose egalement sous l’angle

de la mondialisation, avec des migrations massives de

personnels de sante des pays a moyens et faibles revenus

vers les pays a revenus eleves [10].

Certaines pratiques de recherche developpees lors des

recentes menaces de pandemies posent egalement des questions

sur l’ethique des choix dans ce contexte de globalisation de

certaines maladies transmissibles : ainsi, apres une premiere

alerte liee au risque d’extension mondiale de la grippe aviaire A

H5N1 dans les annees 2005 a 2006, treize pays africains ont ete

equipes de laboratoires de haut niveau accredites par l’OMS,

capables d’isoler et d’identifier les virus de la grippe.

Parallelement, aucune mesure concrete n’a ete prise pour

proteger efficacement ces pays en cas de dissemination

ulterieure d’une souche particulierement virulente. La recente

pandemie de grippe A H1N1 (2009–2010) a a nouveau mobilise

des moyens considerables en matiere de ressources humaines,

desorganisant les systemes de sante du continent africain ainsi

detournes de leurs priorites traditionnelles (paludisme, mala-

dies diarrheiques et Sida notamment). Par ailleurs, des projets

de recherche inities par les pays a hauts revenus ont ete finances

dans ces regions. Alors que les pays industrialises investissaient

massivement dans l’achat de medicaments et de vaccins,

aucune prevention efficace n’etait prevue pour les pays a bas

revenus, dont les efforts etaient entierement orientes vers la

detection. Ce desequilibre dans les moyens mis en œuvre a

suscite un debat anime sur la pertinence scientifique et sur

l’ethique de choix uniquement guides par les pays a hauts

revenus sans concertation veritable avec leurs partenaires des

pays a faibles ou moyens revenus.

Dans ce contexte de mondialisation des problematiques de

sante, l’Organisation Mondiale de la Sante (OMS) a, des la fin

´s.

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P. Buekens et al. / Revue d’Epidemiologie e74

des annees 1990, adopte une approche de sante globale [11].

Aux Etats-Unis, les Academies (Institute of Medicine) [12] ont

tres tot defini la sante globale comme ayant trait aux problemes

de sante communs a de nombreux pays et necessitant une

approche concertee, brisant le cloisonnement qui avait

auparavant isole la medecine tropicale et la sante

« internationale » du reste de la sante publique. Les

programmes de medecine tropicale ont ete crees il y a une

centaine d’annees et avaient des racines proches du modele

colonial [13]. Les programmes de sante internationale qui leur

ont souvent succede ont sans doute quant a eux leurs origines

dans la guerre froide et les cooperations bilaterales [14]. Les

programmes de sante globale, plus recents, ont, surtout aux

Etats-Unis, suivi la mondialisation de l’economie et des

problemes de sante. Dans certains cas, le label « global » a

simplement ete substitue au label « international », mais dans

d’autres, une veritable globalisation de l’enseignement et de la

recherche ont eu lieu. Cela a souvent mene a de nouveaux

programmes de sante globale organises au niveau des rectorats

et incluant de nombreuses facultes. Les programmes de sante

globale sont multidisciplinaires et mettent l’accent sur la justice

sociale et sur une approche systemique [15]. La transition du

monde academique de la sante internationale a la sante globale

se marque dans les publications. Le nombre de publications de

Global Health est en croissance constante, alors que celles de

International Health ont atteint un plateau [11]. Cela pourrait

cependant etre du en partie a la simple substitution d’un terme

pour l’autre, sans reelle globalisation.

Aux Etats-Unis, les National Institutes of Health (NIH) ont

joue un role moteur en creant de nombreuses opportunites pour

une approche globale de la recherche en sante. Le programme

Framework for Global Health en est une illustration. Il a cree

dans de nombreuses universites americaines, mais aussi en

Chine, au Mexique, et au Perou, des programmes multidisci-

plinaires faisant le lien entre problemes de sante locaux et

internationaux. L’objectif du NIH est que de vraies collabo-

rations equilibrees se creent, et que de plus en plus souvent les

scientifiques du Sud soumettent des projets de recherche en leur

nom propre et les dirigent, tout en collaborant avec leurs

collegues du Nord et du Sud. Au Mexique, l’Institut national de

sante publique a developpe un programme de sante globale et a

joue un role cle dans la creation du nouvel Institut

mesoamericain de sante publique. Le systeme mesoamericain

de sante publique inclut les dix etats du Sud du Mexique, et tous

les pays d’Amerique centrale.

L’Union europeenne (UE) a recemment pris part a ce debat

et la Commission europeenne a appele l’UE a « passer a la

vitesse superieure » sur la question de la sante mondiale. Quatre

axes d’actions sont mis en avant :

� le renforcement de la gouvernance mondiale en matiere de

sante ;

� l’amelioration de la couverture universelle des soins de

sante ;

� la coherence des politiques de l’UE a l’egard de la sante

mondiale et ;

� l’accroissement des connaissances en matiere de sante [16].

Cependant, meme si ces axes ont toute leur pertinence, on

peut regretter que l’objectif vise reste uniquement focalise sur

la volonte de mieux aider les pays en developpement a rattraper

leur retard dans la realisation des objectifs du millenaire relatifs

a la sante, donnant ainsi l’impression que l’usage de la sante

globale/mondiale fait par l’UE se rapproche plus d’un toilettage

semantique que d’une reelle prise en compte de la question de

la mondialisation de la sante et des questions socio-sanitaires.

Malgre tout, l’accent sur le renforcement des systemes de sante

est un point positif, allant dans le sens de ce que souhaite

l’Alliance des instituts nationaux de sante publique [17].

En Belgique, les Ecoles de sante publique francophones se

sont souvent construites en menant de front depuis pres d’un

demi-siecle, des activites d’enseignement et de recherche

orientes vers la Belgique (et l’Europe) et vers les pays en

developpement. Les programmes de formation sont le plus

souvent construits de facon integree, tout en permettant des

declinaisons geographiques. Les chercheurs ont souvent un

parcours professionnel « mondialise ». Cependant, durant la

derniere decennie, la « specialisation » des programmes,

notamment liee aux exigences de plus en plus fortes des

partenaires financiers, n’a pas favorise cette osmose pourtant

historique. Le developpement de plus en plus important de la

sante « mondiale » devrait permettre de reprendre un cap plus

global pour peu que ce mouvement soit soutenu par ceux qui

rendent possible financierement le developpement de la

recherche.

En France, la creation des Instituts thematiques multi-

organismes composant l’Alliance nationale pour les sciences de

la vie et de la sante (Aviesan), est en train d’ouvrir de nouvelles

perspectives pour l’etude de la sante mondiale. En particulier,

l’Institut de recherche pour le developpement (IRD) (et son

agence inter-etablissements de recherche pour le

developpement – AIRD) et l’Institut Pasteur menent depuis

longtemps des recherches en sante dans les pays du Sud. Ces

institutions, qui s’interessent en priorite aux pathologies

infectieuses, ont mis en place des structures perennes

fonctionnant dans les pays a bas revenus, developpe des

actions de formation a destination de leurs partenaires, et ont

ainsi favorise l’emergence d’equipes de recherche autonomes

dans ces regions. Il faudra cependant encore beaucoup d’efforts

pour que ces equipes puissent vraiment participer non

seulement a resoudre les problemes du Sud, mais aussi ceux

du Nord. Le rapprochement avec l’Inserm, le CNRS,

l’universite et l’ensemble des organismes membres de

l’Alliance davantage orientes vers l’etude des problemes de

sante des pays a hauts revenus, permet de tirer profit de la

complementarite de ces etablissements et d’envisager une

politique nationale en matiere de sante globale.

Dans le monde francophone, le terme « Sante Globale » se

refere tres souvent a une approche holistique de la sante. La

terminologie « sante mondiale », plus souvent utilisee, evite

cette confusion mais peut amener a une lecture reductrice du

concept en termes de latitude et de longitude. Il est probable que

l’on retrouve de plus en plus souvent une utilisation plus proche

de l’anglais Global Health. Cette nouvelle sante globale se

devra d’etre solidement ancree dans une vraie volonte de

t de Sante Publique 59 (2011) 73–75

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trouver ensemble des solutions aux problemes de sante que

nous avons maintenant tous en commun.

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