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1 Sönam Lhundrup Satipatthana, Stage I « Les quatre établissements de la vigilance » et : « Les Cinq Voies » par Gampopa Enseignement basé sur le Satipatthana Sutra de Bouddha Shakyamouni et chapitre 18 du « Précieux Ornement de la Libération » de Gampopa Sixième Stage de Gampopa, Croizet, du 23 juillet au 4 août 2007

Satipatthana, Stage I - Awakening to Sanity Deutsch · Les termes pali « patthana » et « sati » ont été réunis pour donner « Satipatthana », qui signifie : « placer quelque

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Sönam Lhundrup

Satipatthana, Stage I

« Les quatre établ issements de la v ig i lance »

et : « Les Cinq Voies » par Gampopa

Enseignement basé sur le Satipatthana Sutra de Bouddha Shakyamouni

et chapitre 18 du « Précieux Ornement de la Libération » de Gampopa

Sixième Stage de Gampopa, Croizet, du 23 juillet au 4 août 2007

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Table de matière

Introduction : Déroulement du stage.......................................................................................... 3

Premier enseignement ................................................................................................................ 4

Méditation guidée............................................................................................................... 9

Les cinq voies I (Gampopa) ............................................................................................. 11

Deuxième enseignement .......................................................................................................... 16

Méditation guidée............................................................................................................. 22

Les cinq voies II (Gampopa)............................................................................................ 23

Troisième enseignement........................................................................................................... 28

Méditation guidée............................................................................................................. 34

Les cinq voies III (Gampopa)........................................................................................... 36

Quatrième enseignement .......................................................................................................... 41

Méditation guidée............................................................................................................. 47

Les cinq voies IV (Gampopa) .......................................................................................... 48

Cinquième enseignement ......................................................................................................... 56

Méditation guidée............................................................................................................. 61

Sixième enseignement.............................................................................................................. 63

Méditation guidée............................................................................................................. 70

Septième enseignement ............................................................................................................ 72

Méditation guidée............................................................................................................. 77

Huitième enseignement ............................................................................................................ 78

Méditation guidée............................................................................................................. 82

Neuvième enseignement .......................................................................................................... 84

Méditation guidée............................................................................................................. 90

Dixième enseignement ............................................................................................................. 92

Méditation guidée............................................................................................................. 99

Onzième enseignement .......................................................................................................... 101

Méditation guidée........................................................................................................... 107

Douzième enseignement ........................................................................................................ 109

Questions – Réponses..................................................................................................... 119

Treizième enseignement......................................................................................................... 125

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Introduction : Déroulement du stage Bonjour à tous. Avant de commencer l’enseignement, regardons rapidement la structure de no-

tre séminaire. A partir de demain matin 7 heures et durant tout le stage, ceux qui le désirent pourront participer à l’une des deux pratiques proposées : la méditation silencieuse ici dans la grange ou le gou-rou yoga de Gampopa dans le petit temple. De mon côté, j’aimerais observer ce qui vous fait du bien : voir si le matin vous avez plutôt envie de chanter, de prier en faisant des pauses méditatives ou si vous préférez vous asseoir pour pratiquer la méditation silencieuse. A 9 heures débutera l’enseignement sur « Les quatre établissements de la vigilance ». A 11 heures, je resterai avec vous pour la méditation. Je ne suis pas toujours certain de pouvoir bien séparer l’enseignement de la méditation, mais je vais es-sayer. Après la pause de midi, nous reprendrons à 14 h 30, soit avec le gourou yoga de Gampopa en y intégrant des moments de méditation, soit avec un travail de vigilance sur le corps et les sensations basé sur le Satipatthana Sutra, proposé par Henri et Félicité.

Henri : C’est une pratique basée essentiellement sur l’attention au corps. Elle s’inscrit donc dans ce que lama Lhundrup va enseigner. On compte à peu près une heure de pratique, ensuite il sera possi-ble d’échanger un peu si c’est nécessaire. La première partie sera vouée à l’établissement d’une dé-tente préliminaire. Ensuite, nous pénètrerons davantage la pratique par une série de mouvements au cours desquels nous rendrons notre esprit disponible afin de passer des sensations les plus grossières aux perceptions les plus subtiles. C’est donc une méditation guidée. La vocation est d’aller petit à petit vers l’immobilité. Ensuite, nous terminerons la méditation dans la posture assise habituelle et pendant un quart d’heure/vingt minutes environ, nous resterons complètement disponibles aux sensations, que ce soit la respiration ou le mouvement qui domine. Ce n’est pas radicalement différent de ce qui vous a été proposé, mais ici des indications plus précises pour soutenir l’attention vous seront apportées parce que nous nous rendons bien compte que l’attention part dans tous les sens.

Lama Lhundrup : La deuxième partie de l’après-midi sera consacrée à la méditation indivi-duelle, en différents endroits, à l’intérieur comme à l’extérieur. Chacun cherchera le coin où il aimerait s’asseoir pour pratiquer. Vous pouvez aussi la faire en marchant autour du stoupa ou sur le terrain. Les enseignants méditeront également sur place et seront disponibles à tout moment pour répondre indivi-duellement aux questions que vous vous poserez sur votre pratique. Cette formule remplace le travail en atelier et laisse beaucoup plus de temps pour la méditation et pour en acquérir une expérience per-sonnelle avant de rentrer chez vous.

Les quatre premiers soirs je donnerai un enseignement sur le dix-huitième chapitre du Précieux Ornement de la Libération où il est question des « Cinq Chemins » – des cinq étapes – vers l’éveil, de maintenant jusqu’à l’éveil complet. Gampopa a basé son explication sur ce qu’on appelle « les trente-sept facteurs d’éveil » qui seront commentés en parcourant les différentes étapes. Ceci nous donnera une idée de ce que nous allons rencontrer sur le chemin vers l’éveil à partir de maintenant et jusqu’à ce que nous l’atteignions. Cela ne signifie pas que nous allons parcourir tout ce chemin dans cette vie, mais nous en aurons au moins une petite idée.

La deuxième semaine sera également consacrée à la méditation silencieuse. Je considère donc les six jours suivants comme une retraite Satipatthana, soit avec un peu de gourou yoga pour ceux qui le souhaitent, soit avec beaucoup de méditation et de silence pour ceux qui veulent vraiment faire l’expérience d’une retraite. Ce qui m’intéresse aussi c’est de savoir jusqu’où vous pouvez aller.

Pour résumer, la première partie du stage se déroulera normalement, puis à partir du deuxième ou troisième jour, nous intégrerons un peu plus de silence, une attitude un peu plus posée de l’esprit afin que dans la deuxième partie nous trouvions ce qui convient au groupe pour méditer ensemble ici. Il existe des stages Vipassana où l’on doit garder le silence pendant les huit premiers jours et c’est seulement au neuvième ou dixième jour que l’on commence à parler. C’est assez strict mais cela donne aussi des fruits et apporte une expérience de vie différente de celle que nous connaissons. Dans la tradition tibétaine, cette méthode-là n’existe pas. Mais il semble que plus notre monde accélère, plus nous ayons besoin de contraste et donc d’expérimenter davantage de silence. Regardons au niveau individuel et en tant que groupe jusqu’où nous souhaitons mener cette expérimentation. Quant au der-nier jour, ce sera comme à l’accoutumée : il y aura d’abord la grande tsok – le festin d’offrandes – puis la fête d’été en soirée.

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Premier enseignement

Pour commencer nous réciterons la louange au Bouddha Shakyamouni qui se trouve au début du gourou yoga de Gampopa car ce stage va lier l’enseignement de Gampopa avec celui du Bouddha Shakyamouni. C’est notre sixième séminaire prenant Gampopa comme point de référence. Le Boudd-ha avait prédit que Gampopa continuerait son enseignement au Tibet, donc un lien très fort et très per-sonnel existe entre les deux. Cette fois-ci nous nous focaliserons sur le Satipatthana. Mais dans l’immédiat, faisons cette louange au Bouddha Shakyamouni.

Hommage au Bouddha – Prise de refuge – Les quatre pensées illimitées.

Dans le chapitre sur « Les Cinq Chemins », Gampopa commence par le chemin de l’accumulation en disant : « Comme débutant, la première chose à développer sont les quatre place-ments de l’attention (ou les quatre établissements de la vigilance). Ce sont les quatre premiers fac-teurs pour pouvoir obtenir l’éveil. »

Cette remarque est très importante pour nous parce que nous sommes au tout début du chemin et comme tous ceux qui sont allés vers l’éveil dans le passé, nous aurons besoin de cultiver ces quatre formes pour nous établir dans une vigilance. C’est pour cela que le thème principal de ce stage sera « les quatre placements de l’attention ou établissements de la vigilance ». Ces titres, ces termes, sont échangeables.

Le but de ce stage d’été est d’apprendre la méditation du mahamoudra. Comme vous le savez, elle consiste à pratiquer shiné et lhaktong (shamatha et vipassana en sanskrit). La pratique de maha-moudra est la continuation de lhaktong, c’est l’intégration de la réalisation, la compréhension qui se produit dans la méditation, dans une fluidité d’actions. Il ne faut pas penser qu’après shamatha et vi-passana il y aura encore une pratique appelée mahamoudra. Le mahamoudra est l’intégration de ces deux phases dans toutes les situations de notre vie.

Quelles racines de l’enseignement du mahamoudra le Bouddha Shakyamouni a-t-il préconi-sées ? Il a préconisé le Satipatthana : les quatre formes d’établissement de la vigilance. Là nous y trou-vons les bases pour l’enseignement sur la méditation. Toutes les écoles bouddhistes du monde s’appuient sur le Satipatthana Sutra. Dans tous ses discours sur le chemin vers l’éveil, le Bouddha fait référence à la nécessité de cultiver « sati » dont la qualité – vigilance/attention – est mentionnée dans « l’Octuple Sentier », « le Noble Octuple Chemin ». Sati fait partie des « sept ailes » ou des « sept facteurs d’éveil », mentionnés partout où le Bouddha indique ce qu’il faut faire pour se libérer. Il ex-plique les différentes façons de cultiver cette vigilance dans de nombreux soutras dont le Satipatthana Sutra et le Mahasatipatthana Sutra, les deux étant identiques. Dans le Mahasatipatthana Sutra (le Grand Soutra de Satipatthana), à la fin de l’explication sur la manière de méditer les Quatre Nobles Vérités, des informations complémentaires sont données dans l’appendice. Nous l’étudierons dans le stage si nous avons le temps.

Pour expliquer ce soutra, je vais utiliser une méthode très commune dans la tradition tibétaine qui consiste à lire le texte et à en expliquer chaque mot important. Vous pourrez poser des questions après le commentaire de chaque paragraphe. Ainsi nous clarifierons le soutra étape par étape. Pour ce stage, j’ai traduit le texte en trois langues en me basant sur de nombreuses traductions existantes et pouvant être utilisées d’égale façon. Il fallait donc tout harmoniser pour que dans les trois langues ce soit la même chose. Pour cela, je me suis basé sur le commentaire (et il y en a beaucoup) d’un ami allemand qui s’appelle Analayo et qui a rédigé une thèse en anglais sur le Satipatthana. Il est moine Theravada et pratique la vigilance au quotidien. Dans son livre, il explique beaucoup de termes palis, ce qui m’a permis d’identifier le sens racine des mots clés.

Regardons maintenant le texte de l’enseignement du Bouddha sur la manière d’établir la vigi-lance ou de placer l’attention.

« Satipatthana » se traduit par « établir la vigilance ». Les termes pali « patthana » et « sati » ont été réunis pour donner « Satipatthana », qui signifie : « placer quelque chose près de soi », « établir quelque chose à proximité immédiate de soi ». Donc ici, c’est la vigilance, la qualité de sati, cette pré-sence sans jugement qui s’établit tout près, d’instant en instant, qui est toujours présente. Ce terme a

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donné naissance à de nombreuses traductions dont la plus courante, « les quatre fondements de la vigi-lance », n’est pas très bonne. En effet, elle laisse supposer l’existence d’une fondation, d’une base sur laquelle on devrait encore élaborer (échafauder) autre chose. Ce n’est pas du tout l’idée de Satipattha-na. Ce terme décrit combien il est important de cultiver la vigilance dans sa globalité sans qu’il y ait encore autre chose. Traduire Satipatthana comme fondement ou fondation ne vient pas des traducteurs, car d’anciens commentaires Theravada suggéraient déjà cette notion. De plus, cela ne tient pas dans le cadre d’une analyse plus profonde. C’est la raison pour laquelle il faut comprendre qu’il n’y a pas seulement quatre Satipatthana, quatre façons d’établir la vigilance, parce qu’on peut établir la vigi-lance avec n’importe quel support, même s’il ne peut pas être classé immédiatement dans les catégo-ries présentées ici. Dans différents soutras, le Bouddha indique d’autres manières de placer la vigi-lance. Il n’existe pas seulement ces quatre, bien que celles-ci couvrent déjà à elles seules la plupart des situations de la vie. Quant au principe de « comment faire ? », il sera le même pour tout ce qui peut entrer dans notre esprit comme interrogations, observations, expériences.

« Voici ce que j’ai entendu. »

Cette expression débute chaque soutra lorsque Ananda (proche disciple du Bouddha) s’adresse à la Sangha pour rapporter tout ce qu’il a entendu directement du Bouddha.

« Une fois, le Bienheureux se trouvait au pays des Kurus près de la ville de Kammasadhamma. Là, il s’adressa aux pratiquants : « Pratiquants ». Ils répondirent : « Vénérable »

Le pays des Kurus était situé près de la ville de Delhi, aujourd’hui New Delhi. En ce temps-là, le Bouddha enseignait déjà depuis une vingtaine d’années et se déplaçait à pied. Il s’était donc rendu jusqu’à Delhi, dans cette région des Kurus où d’autres soutras ont été également enseignés. Il semble que les gens de Kammasadhamma avaient une très bonne pratique méditative. Le Bouddha trouvait donc que la situation était favorable pour donner un sommaire sur la façon de développer la méditation profonde, ce qu’il n’avait encore jamais fait auparavant. Pour que le Bouddha enseigne, il fallait que les gens soient demandeurs et donc prêts à recevoir l’enseignement. Voilà pourquoi il est dit : « Le Bouddha s’adressait aux pratiquants qui lui répondaient : - Oui, que souhaites-tu nous dire ? » L’expression « Vénérable » signifie : « Oui, nous sommes prêts à écouter ». Ces formulations sont nécessaires parce qu’un bouddha n’enseigne pas sans requête, sans que des gens soient prêts à l’écouter et à recevoir son enseignement. Ici, le terme du texte pali « bhikshu » en sanskrit, ou « gué-long » en tibétain, a été traduit par « pratiquants », alors qu’il désigne habituellement un moine plei-nement ordonné. En effet, parmi ceux qui écoutaient, outre les moines, il y avait la foule des habitants de la ville de Kammasadhamma. Et dans les commentaires de ce soutra comme dans le soutra lui-même, le Bouddha indique clairement que cet enseignement s’adresse non seulement aux bhikshu mais aussi à tous les pratiquants. C’est pourquoi le terme bhikshu est tout simplement traduit par « pratiquants » ou par « pratiquants complètement engagés sur le chemin ». Vient ensuite le passage intitulé « Le chemin unique ». C’est le paragraphe-clé qui résume ce qui va suivre :

« Pratiquants, le chemin unique qui conduit à la purification des êtres, à surmonter les douleurs et les lamentations, à la destruction de la souffrance et du mécontentement, à l’acquisition de la mé-thode juste et à la réalisation du nirvana – c’est le chemin des quatre établissements de la vigilance. »

La formulation « chemin unique » : « ekayanomagga » en pali, « Ekayano, ekayana », veut dire : le seul ou l’unique véhicule. Et « ekayano », dans le sens de « racine », est un chemin qui mène directement à l’éveil. Les commentaires donnent cinq possibilités d’interprétation du mot « eka » qui veut dire « un » :

• Il est « un » parce qu’il est direct et tous ceux qui atteignent l’éveil doivent passer par ce chemin-là.

• Il est « un » parce qu’il était enseigné par celui qui est « un », le Bouddha. • Il est « un » dans le sens aussi d’être unique : seuls ceux qui pratiquent le Dharma, connais-

sent ce chemin.

Je ne me souviens plus des deux autres définitions. Ce terme est parfois traduit par : « le seul chemin », mais ce n’est pas correct car cela sous-entendrait que ce serait le seul chemin par lequel le nirvana pourrait être atteint. Si « seul » est pris dans le sens qu’il n’y a pas d’autres possibilités, ce

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n’est pas juste. Seul l’Octuple Sentier dans sa globalité peut être appelé « le seul chemin ». « Sati » n’en constitue qu’une partie. Même si le chemin est unique dans le sens où il est direct, pour dire de lui que c’est « le seul chemin », il faut que tous les autres facteurs y soient présents.

En développant les quatre formes de sati, ce chemin unique conduit à la purification chez tous les êtres de leur saisie égoïste, de leur identification avec un moi créant la souffrance. On peut dire que tout le Satipatthana Sutra n’a qu’un seul but, celui de nous montrer comment dissoudre la saisie égoïste. C’est le point-clé de tout ce que nous verrons. Chaque élément expliqué est un élément d’investigation, d’observation, pour dissoudre cette notion du moi. Et parce que cette identification sera attaquée à la base et s’effritera jusqu’à la dissolution complète, cela mettra fin aux douleurs, aux lamentations, à la souffrance, aux mécontentements, etc. Donc, tous les aspects de souffrance des six royaumes – des six classes d’êtres – seront surmontés parce que nous aurons développé la méthode juste, celle qui nous aide à nous sortir du samsara et à réaliser le nirvana. Bien sûr, tout le monde a très envie de connaître ces méthodes. Voilà pourquoi le Bouddha dit : « Alors, quelles sont ces métho-des ? Ce sont les quatre formes d’établissement de la vigilance. »

« Quelles sont ces quatre ? « Ici, concernant le corps nous demeurons dans la contemplation du corps - persévérants, plei-

nement conscients et vigilants, écartant envies et soucis mondains. De la même manière, concernant les sensations, nous demeurons dans la contemplation des sensations, concernant l’esprit dans la contemplation de l’esprit et concernant les dharmas dans la contemplation des dharmas - persévérants, pleinement conscients et vigilants, écartant envies et soucis mondains. »

Ce paragraphe-là est la clé pour la pratique de Satipatthana, pour savoir comment méditer. Vous avez remarqué qu’il y a quatre éléments : le corps, les sensations, l’esprit et les dharmas. Ce sont ces quatre qui vont être expliqués. Ils seront tous pratiqués de la même manière. C’est ainsi que nous pourrons faire le lien avec la pratique de mahamoudra. Ce qui est décrit ici, c’est exactement ce que nous pratiquons dans le mahamoudra.

Le premier mot-clé : « persévérants » fait référence au terme sanskrit et pali « vîrya » : la persé-vérance enthousiaste (quatrième paramita). Persévérant veut dire : toujours continuer, surmonter tous les obstacles, ne jamais arrêter la pratique. Dans la persévérance il y a une joie car l’esprit se nourrit toujours de ce qui est bénéfique, ce qui conduit à l’éveil. Ce n’est pas une persévérance dans ce qui est nuisible, c’est une persévérance en tant que paramita qui cultive les facteurs conduisant à l’éveil.

« Pleinement conscients » définit une qualité de présence. C’est savoir, connaître ce qui est ha-bituellement exclu d’un esprit opaque qui ne remarque pas les choses. C’est être pleinement conscients de ce que nous souhaitons voir, c’est examiner l’objet de notre attention. Dans le mahamoudra par exemple, on parle tout simplement de la présence naturelle. Cependant, la mise en garde est de ne pas nous endormir, de ne pas être distraits mais de rester lucides. On parle souvent de lucidité, de clarté. Toutes ces qualités sont contenues dans le terme de « pleinement conscients ». C’est une présence qui ne juge pas et qui est immédiate, donc qui ne s’attache pas au passé et ne se projette pas encore dans le futur. Elle est dans le présent, sans jugement. Elle n’a pas de solidité, mais garde une grande qualité de fluidité.

« Vigilant » c’est « sati ». C’est le terme-clé de la pratique elle-même, avec lequel on explique la qualité de non distraction nous permettant de pouvoir rester avec l’objet sans être perturbés. Sati en pali – comme « dren-pa » en tibétain et « smpti » en sanscrit – a une connotation de mémoire, de rap-pel, de capacité à se souvenir de l’objet en question, donc de toujours pouvoir revenir sur l’investigation – l’observation – que nous sommes en train de mener, de ne pas bouger dans tous les sens. Sati, c’est la stabilité, l’esprit recueilli qui reste là où on le pose. Telle est la qualité de la vigi-lance. Avec sati, nous développons une qualité d’une extrême stabilité, sans jugement, une observation neutre qui ne se mêle pas de ce qui est observé. Ceci en pleine conscience, avec une joie et une assi-duité qui nous portent à persévérer dans les différentes phases d’ennui, de solitude, de distractions diverses qui peuvent s’élever. Nous revenons toujours à la pratique principale.

Pour acquérir une telle stabilité, il faut écarter nos envies et soucis. A ce moment-là le samadhi s’élève. « Samadhi », c’est l’absorption méditative profonde qui s’installe quand nous sortons des attachements, envies et soucis, quand nous laissons les problèmes qui nous préoccupent, basés la plu-

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part du temps sur l’aversion. Envies et soucis sont l’équivalent des termes : espoir et crainte, dans le mahamoudra. Une instruction clé du mahamoudra est d’abandonner l’espoir et la crainte. Ici, le Bouddha parle d’envies et de soucis, c’est absolument la même chose. Tant que nous serons dans les envies et les soucis (les espoirs et les craintes) il n’y aura ni samadhi, ni absorption méditative pro-fonde.

Avec ces quatre éléments nous avons donc la description complète de ce qui est à accomplir dans la méditation. Avec la méditation du mahamoudra nous cultivons toujours les mêmes choses. L’accent est mis surtout sur le fait d’être naturel afin d’équilibrer un excès de volonté (nous mettons trop d’efforts) qui peut s’élever quand nous entendons « persévérants », « vigilants », « pleinement conscients ». Donc, dans les enseignements du mahamoudra, on joint le terme « naturel » pour rassu-rer le pratiquant, pour qu’il se comporte juste comme le Bouddha l’a dit : pleinement conscient et vigi-lant, simplement, sans ajouter encore un effort supplémentaire. C’est être « naturel », confiant que l’esprit possède les qualités nécessaires pour faire cette méditation. Cette manière de méditer sera ap-pliquée au corps, aux sensations, à l’esprit et aux dharmas, c'est-à-dire aux lois de fonctionnement que nous pouvons observer, celles qui parlent de la façon dont apparaît la souffrance et celles qui mènent à la libération du samsara. Avez-vous des questions ?

Question sur le sens du mot « stabilité ».

LL: Quand je parlais de la stabilité, il s’agissait bien de la stabilité méditative, comme dans la cinquième paramita.

Question : Qu’est-ce qui différencie la joie enthousiaste de la bonne humeur ?

LL: La bonne humeur dépend des causes et conditions. Par exemple, il y a des gens qui ne sont pas de bonne humeur quand ils n’ont pas leur café, quand il pleut ou quand ils sont réveillés la nuit par l’enfant qui crie. Donc la joie mondaine – parce que ta question porte là-dessus – est dépendante de causes et conditions, elle est fluctuante. Et quand les causes et conditions changent, la bonne humeur disparaît.

La joie enthousiaste dont il est question ici est une qualité inhérente de l’esprit. Elle est toujours présente quand l’esprit est dirigé sur ce qui est bénéfique, sur le dharma. Bien sûr, elle dépend aussi de la capacité à diriger notre esprit sur le dharma ; mais plus nous entrons dans le dharma, plus nous lâ-chons la saisie égoïste, plus elle est présente naturellement. Chez les grands pratiquants, les grands bodhisattvas, comme chez un bouddha, elle est présente tout au long de leur vie, même dans les pires situations, devant les plus grands obstacles, même quand il n’y a pas eu de café pendant un an… et qu’il a plu toute une vie… ! Elle est toujours présente, parce qu’elle ne dépend pas des conditions ex-térieures. En résumé, pour que la joie mondaine existe (pour être de bonne humeur), des conditions doivent toujours être créées ; c’est donc quelque chose de construit. Alors que plus la saisie égoïste régresse, plus la joie du dharma peut se manifester naturellement. Il n’y a pas de conditions à créer, il suffit d’enlever tout ce qui empêche cette joie de se manifester.

Réflexion : Dès qu’on a perdu la joie, on est dans une attitude égocentrique…

LL: Oui, tu as bien raison, dès qu’on a perdu la joie, cet enthousiasme, c’est le diagnostic de la saisie égoïste.

Question : Quand je pratique shiné intensément, à un moment donné un espace apparaît. Est-ce que c’est le processus naturel de la libération ?

LL: C’est le processus naturel de la libération. Dès que tu pratiques une présence simple, sans intervenir, tu donnes de l’espace à l’esprit et grâce à cela, ce qui n’aurait pas pu se manifester sans cet espace, va pouvoir surgir : agréable et désagréable. Et lâcher nos jugements, nos attachements et aver-sions vis-à-vis de ce qui se manifeste, fait que cela peut se purifier. Sans ce processus dans la médita-tion, il n’y a pas de purification. Il faut que nos empreintes karmiques fassent surface et que nous puis-sions les remarquer sans y ajouter quelque chose, alors dans le lâcher-prise, notre esprit regagne sa clarté.

Question : Est-ce que les maladies physiques se manifestent plus rapidement quand on prati-que ?

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LL: Nos maîtres disent souvent qu’il est possible que des maladies physiques se manifestent plus rapidement quand nous pratiquons. Dans l’Abhidharma il est dit que ce qui se manifeste ce sont des sensations désagréables mais qui ne sont pas toujours une maladie. Si à ce moment-là, nous avons la capacité de vraiment lâcher prise, il se peut qu’une maladie soit traversée beaucoup plus rapidement qu’à l’ordinaire. Si dans une pratique intensive – comme une retraite – nous pouvons expérimenter ces graines karmiques sous forme de symptômes maladifs, si nous ne solidifions pas la maladie comme nous le ferions habituellement, ceci entraîne sa disparition plus rapidement. Il ne faut pas penser que parce que nous méditons, nous allons tomber malade. Non, nous donnons simplement de l’espace. Nous pouvons aussi donner de l’espace pour que du karma très positif se manifeste. Nous ne savons pas ce qui va arriver, il y a un espace et donc, tout ce qui ne s’est pas encore manifesté va pouvoir apparaître.

Question : Pouvons-nous considérer les sensations comme étant déjà des émotions ou restent-elles seulement au niveau du ressenti, tel que le chaud et froid… ?

LL: Ici « sensation » a le sens de ressentir quelque chose comme agréable, désagréable ou ni l’un ni l’autre ; ou encore : j’aime, je n’aime pas, je m’en fous. Il s’agit d’un ressenti rudimentaire. Pour les émotions, c’est plus compliqué parce qu’elles font partie du regard sur l’esprit.

Question sur le terme nirvana. De quel type ou de quelle forme de nirvana s’agit-il ici ?

LL: Dans ce contexte, les trois formes de nirvana sont visées : le nirvana d’un arhat, le nirvana d’un pratyekabuddha et le nirvana d’un samyaksambouddha (un bouddha complet qui a terminé son chemin de bodhisattva). Le Bouddha ne différenciait pas ces différents nirvanas parce que tous les chemins se basent sur la vigilance, sur la pratique de sati.

Question : Est-ce que dans la tradition Theravada on faisait aussi la différence entre ces trois formes de nirvana comme dans un texte de la tradition palie ?

LL: Dans la tradition Theravada, tous les êtres réalisés étaient appelés des arhats. Il y a donc toute une classification des différents niveaux d’arhats :

• l’arhat ordinaire qui a seulement obtenu sa propre libération du samsara, sans plus, et c’est déjà beaucoup ;

• les arhats qui ont plus ou moins obtenu des capacités de clairvoyance, la possibilité de lire l’esprit des autres, de connaître leur karma, etc. Ces capacités supplémentaires leur permet-tent d’être de plus en plus actifs pour le bien des autres ;

• l’arhat appelé un pratyekabuddha qui a suivi un chemin spécifique pour arriver à cette réali-sation lorsqu’il n’y a pas l’enseignement actif d’un bouddha existant et que lui-même n’enseigne pas.

Puis, le bouddha pleinement éveillé est aussi appelé un arhat parce que toutes ses qualités sont pleinement développées. En devenir un prend bien plus de temps, d’énergie et de pratique.

Donc, dans la tradition palie, on connaît également ces différents nirvanas.

Avant de faire la pause, j’aimerais commencer avec la vigilance par rapport au corps que nous allons la pratiquer tout à l’heure.

« Comment, pratiquants, concernant le corps, demeurons-nous dans la contemplation du corps ?

Ici, s’étant rendu dans la forêt, au pied d’un arbre ou dans une cabane isolée, nous nous as-seyons jambes croisées, tenant notre corps droit et posant notre attention devant nous ; vigilants nous inspirons, vigilants nous expirons. »

La première condition à observer est l’isolement du corps. Il faut se retirer dans un endroit situé à l’écart de l’activité mondaine : dans la forêt, sous un arbre, seul dans une cabane, etc., donc dans un lieu sans distraction. Ensuite, si nous le pouvons, nous nous asseyons jambes croisées pour pratiquer. Le Bouddha ne spécifie pas comment les jambes doivent être croisées. Bien sûr, nous pouvons adopter la posture du Bouddha : en vajra ou en lotus. Replier les jambes aide à rassembler nos énergies.

« Tenant notre corps droit » fait allusion à la colonne vertébrale qui doit être rectiligne.

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« Posant notre attention devant nous » : là aussi, le Bouddha n’a jamais spécifié exactement comment faire. Le terme « poser l’attention devant », en pali ou en sanskrit, veut juste dire : avec l’attention rassemblée, que les yeux et l’esprit ne bougent pas dans tous les sens, être simplement pré-sent avec ce qui est là. Par la suite, on a essayé de reconsidérer le sens de « devant soi », qui peut être : regarder par terre, avoir juste le regard un peu posé. Mais notre attention peut être rassemblée en ayant le regard dans le ciel. Le Bouddha n’a pas donné d’instructions précises sur la manière de poser le regard devant soi, ce qui laisse la porte ouverte à différentes possibilités. Dans le développement du mahamoudra et du dzogchen, vous savez que les différentes façons de placer le regard sont en connexion avec les différentes pratiques. Quand on souhaite vraiment rassembler un esprit très distrait, on pose plutôt l’attention sur le sol devant soi et quand l’esprit est déjà calme et qu’on veut pratiquer d’une manière très ouverte et très détendue, on peut regarder dans le ciel et de n’importe quelle autre façon.

Donc, « vigilants nous inspirons, vigilants nous expirons » sera notre premier exercice. Nous se-rons seulement conscients du fait d’inspirer et d’expirer. Et durant la méditation guidée, j’expliquerai probablement davantage les autres façons de pratiquer avec la respiration.

Ensuite, nous ferons la différence entre « savoir si je respire longuement ou brièvement ». Nous observerons dans l’inspiration, à la fois sa longueur et sa durée et nous agirons de même pour l’expiration.

Puis, nous respirerons en connexion avec la conscience du corps entier en ressentant toutes les sensations et pas seulement celles liées à la respiration.

Enfin, nous respirerons en nous détendant, en calmant, en apaisant tous les kayasankhara, c'est-à-dire tous les mouvements, toutes les manifestations physiques. Toute notre expérience physique sera d’amener de la détente et du calme.

Méditation guidée

Pour commencer cette session nous allons lire le soutra en français. Ceux qui ne parlent pas français pourront le lire silencieusement dans leur propre langue.

En principe, nous prenons toujours refuge avant une session de méditation et cette fois-ci, réci-ter le soutra sera la manière de le faire. En s’adressant au Bouddha, nous prenons refuge dans le Bouddha. Le Bouddha parle, explique le dharma, donc nous prenons refuge dans le dharma et c’est la sangha qui écoute. Le refuge Bouddha, dharma, sangha est contenu dans le soutra, il est inutile de trop formaliser les choses. Prendre refuge, c’est se souvenir de l’enseignement du Bouddha et le pratiquer.

Grâce à la sangha, ce texte est toujours vivant aujourd’hui. Quand nous pratiquons un soutra tel que celui-là, un texte du dharma, le mieux que nous puissions faire c’est de nous mettre dans le même état d’esprit que ceux qui l’ont écouté au moment même où le Bouddha l’a donné. Donc, nous nous imaginons être dans cette situation – il ne pleuvait probablement pas, il devait même faire assez chaud, mais ce n’est pas certain. Tout le monde était dehors, rassemblé autour du Tathagata. Pleinement confiants, ils ont reçu l’enseignement pour pouvoir atteindre l’éveil.

Ceux qui le souhaitent peuvent lire lentement avec moi.

« Voici ce que j’ai entendu. Une fois, le Bienheureux se trouvait au pays des Kurus près de la ville de Kammasadhamma. Là il s’adressa aux pratiquants : « Pratiquants ». Ils répondirent « Véné-rable » et le Bienheureux dit :

« Pratiquants, le chemin unique qui conduit à la purification des êtres, à surmonter les douleurs et les lamentations, à la destruction de la souffrance et du mécontentement, à l’acquisition de la mé-thode juste et à la réalisation du nirvana – c’est le chemin des quatre établissements de la vigilance.

Quels sont ces quatre ? Ici, concernant le corps, nous demeurons dans la contemplation du corps – persévérants, plei-

nement conscients et vigilants, écartant envies et soucis mondains. De la même manière, nous demeu-rons concernant les sensations dans la contemplation des sensations, concernant l’esprit dans la

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contemplation de l’esprit et concernant les dharmas dans la contemplation des dharmas – persévérants, pleinement conscients et vigilants, écartant envies et soucis mondains. »

« Comment, pratiquants, concernant le corps, demeurons-nous dans la contemplation du corps ?

Ici, s’étant rendu dans la forêt, au pied d’un arbre ou dans une cabane isolée, nous nous as-seyons jambes croisées, tenant notre corps droit et posant notre attention devant nous ; vigilants nous inspirons, vigilants nous expirons. »

C’est ce que nous allons faire maintenant. Gardez encore le texte devant vous.

Retournons un peu en arrière (comme dans la contemplation) et regardons : les facteurs de per-sévérance, de pleine conscience, de vigilance, d’abandon de l’envie et des soucis mondains, sont-ils présents ? Comment puis-je les nourrir pour que ma méditation soit juste ? Ensuite, plaçons le regard et prenons une posture qui nous permette de ne plus bouger pendant une dizaine de minutes environ, de rester sans aucun mouvement. Puis, méditons en étant simplement conscients de l’inspiration et de l’expiration.

-- Méditation --

Maintenant nous allons suivre les instructions du prochain paragraphe. Il n’est pas facile de maintenir notre attention sur la respiration car nous n’avons peut-être pas l’habitude de le faire. Il nous faut ramener encore et encore notre attention sur le souffle. C’est cela sati, c’est la capacité de se rap-peler l’objet de la méditation. Nous devons nous y entraîner car à cause de notre distraction, nous ne possédons pas cette aptitude. Nous sommes toujours préoccupés par autre chose, nous vivons toujours dans les soucis mondains. Donc, « drenpa » en tibétain, « sati » en pali, c’est la capacité de revenir. Au moment même où nous prenons conscience que nous sommes distraits, nous ne le sommes plus ! C’est déjà le moment où nous revenons. Nous reprenons le souffle et continuons.

Lisons ensemble le prochain paragraphe :

« Inspirant longuement, nous savons : ‘J’inspire longuement’ et en expirant longuement, nous savons : ‘J’expire longuement’. Inspirant brièvement, nous savons : ‘J’inspire brièvement’ et en expi-rant brièvement nous savons : ‘J’expire brièvement’. »

-- Méditation --

Si vous avez des douleurs dans les jambes, vous pouvez méditer debout : inspiration, expiration. La prochaine petite méditation portera sur le paragraphe suivant et ceux qui le souhaitent peuvent inté-grer celui qui se trouve encore après. Nous allons lire ensemble le reste du soutra (page 2) relatif à la vigilance sur la respiration, ensuite vous resterez avec l’exercice qui vous convient (pour le moment).

« Nous nous entraînons ainsi : ‘J’inspire en ressentant le corps entier’ et de même : ‘J’expire en ressentant le corps entier’.

Puis nous nous entraînons ainsi : ‘J’inspire en apaisant le corps’ et de même : ‘J’expire en apaisant le corps’.

Un habile tourneur ou son apprenti savent, lors d’un façonnage long : ‘Je tourne un façonnage long’ et lors d’un façonnage court : ‘Je tourne un façonnage court’. De la même façon, nous savons si nous inspirons ou expirons, longuement ou brièvement. En respirant, nous nous entraînons à ressentir le corps entier et à l’apaiser également.

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation du corps de façon interne, externe ou les deux à la fois. Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant le corps. La vigilance : ‘Il y a un corps’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable et nous demeurons indépendants, sans attachement à rien au monde. » »

Bien sûr cela nécessite de plus amples explications, mais pour le moment nous nous en tenons à ce que nous comprenons.

-- Méditation --

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Les cinq voies I (Gampopa)

Les années précédentes nous avons vu les 17 premiers chapitres du Précieux Ornement de la Li-bération de Gampopa. Nous les avons étudiés dans les ateliers de l’après-midi. Je vous ai enseigné ceux qui traitent de la paramita de la stabilité méditative et de la sagesse. Nous arrivons donc au chapi-tre XVIII : « Les Cinq Chemins », de maintenant jusqu’à l’éveil. Cet enseignement que nous recevrons dans les jours à venir, issu du Paramitayana (le véhicule des paramitas), est aussi appelé le Sutrayana (le véhicule des soutras).

Dans le bouddhisme mahayana, nous avons deux grands chemins : l’un, basé sur les soutras mahayana et l’autre, basé sur les tantras. Il est dit que le Bouddha a enseigné les soutras dans sa forme physique, bien que parfois il l’ait fait dans des visions sans changer d’apparence extérieure et d’autres fois, dans un corps de lumière. Par contre, il a enseigné tous les tantras sous l’apparence d’un corps de lumière (sambhogakaya) en prenant l’aspect de différents yidam, différentes divinités. Ces deux voies sont différentes et je vais vous expliquer un peu en quoi.

La façon de regarder le chemin du dharma diffère selon les voies. Le sutrayana est le chemin de la cause et le tantrayana, le chemin du fruit (basé sur le fruit). Qu’est-ce que cela signifie ? « Cause » veut dire que, basés sur le fait que nous avons tous la nature de bouddha, cause de notre éveil futur, nous pratiquons les six paramitas – générosité, conduite bénéfique, patience, persévérance enthou-siaste, stabilité méditative et sagesse – jusqu’à la perfection. La réalisation de la bouddhéité arrive à la fin de ce chemin de pratique nommé paramitayana. C’est donc une voie basée sur notre nature de bouddha et bien sûr sur la cause d’une accumulation graduelle de mérite et de sagesse. Donc, nous produisons les causes pour arriver un jour à réaliser le fruit.

En ce qui concerne le tantrayana ou le mantrayana, on part d’une autre perspective. On dit : « S’il est possible d’atteindre la bouddhéité, c’est qu’elle doit déjà être en nous. » On ne peut pas « produire » la bouddhéité, elle est déjà présente. Dès l’instant où les voiles qui empêchent la boudd-héité de se manifester disparaîtront, elle sera là. Le fruit est donc déjà présent en nous. Nous n’avons pas besoin de le créer. Par contre, nous avons besoin d’en affirmer la présence en nous. C’est ce que nous faisons quand nous nous visualisons par exemple comme Avalokiteshvara. Nous pratiquons comme si nous étions déjà bouddha. Nous prenons le fruit comme chemin. Prendre le résultat comme étant déjà présent et s’ouvrir à cette présence, est l’approche pour le vadjrayana ou tantra.

Dans son livre, Gampopa a choisi de présenter les choses du point de vue du paramitayana, du chemin progressif, avec des causes et conditions, avec une accumulation de mérite progressive qui conduit à de plus en plus de sagesse. C’est la présentation lam-rim des étapes graduelles d’un chemin. C’est différent dans le contexte du vadjrayana où l’on adopte le point de vue de pratiquer le fruit. Il est très sage d’adopter l’approche plutôt progressive parce qu’il y a très peu de pratiquants qui peuvent utiliser le vadjrayana comme leur véhicule de pratique. Même si beaucoup d’entre nous pratiquons Vajrasattva, Avalokiteshvara ou Tara, etc., cela ne veut pas dire pour autant que nous soyons des pra-tiquants du vadjrayana. Nous sommes toujours dans le paramitayana avec quelques outils du vadjraya-na empruntés pour un chemin, car nous ne croyons pas du tout que nous sommes véritablement des bouddhas : « Oui, je pratique ça, ça me fait du bien, mon esprit va s’ouvrir, je vais développer les pa-ramitas et peu à peu progresser ». C’est la vision de la plupart d’entre nous. Nous sommes donc dans une approche progressive du paramitayana.

Pour commencer un véritable chemin de vadjrayana, il faut avoir une confiance assez forte dans la possibilité de s’éveiller d’un instant à l’autre. Et même si cette confiance n’est pas stable (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on utilise ces méthodes), il faut l’avoir et l’appliquer dans sa pratique. Donc, écoutons ce que dit Gampopa sur les « cinq voies » ou « cinq chemins » (page 275 dans la ver-sion française du livre).

« Après avoir en premier lieu engendré l’esprit tourné vers le suprême Eveil, on pratique assi-dûment les préceptes et on parcourt graduellement les terres et les voies du bodhisattva. Quelles sont ces voies ?

La voie de l’accumulation – la voie de la jonction – la voie de la vision – la voie de la médita-tion – et la voie de l’accomplissement ultime. Dans ces cinq, toutes les voies sont incluses. »

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Avant d’entrer dans ces cinq chemins, il faut déjà avoir pratiqué. Quand nous découvrons le dharma, la plupart du temps nous ne sommes pas encore sur un de ces cinq chemins. Il faut commen-cer avec la pratique de shiné qui permettra de développer une confiance dans le refuge et de stabiliser suffisamment notre esprit pour pouvoir garder cette stabilité dans la méditation. La confiance doit déjà être assez établie afin de pouvoir développer une compassion tournée vers le bien de tous les êtres. Ce sont des qualités à développer avant même d’entrer dans le chemin de l’accumulation.

« Le Flambeau de la voie de l’Eveil » (texte de base) enseigne clairement que dans la voie de l’accumulation, on pose de fermes fondations en méditant sur les enseignements destinés aux êtres ayant des facultés inférieures et moyennes. Puis, on engendre l’esprit d’éveil sous ses aspects d’aspiration et d’engagement et on s’efforce d’obtenir les deux accumulations. Ce texte est un conden-sé du chemin. Il a été écrit par Atisha à la vue des difficultés des pratiquants du dharma au Tibet, qui étaient dans une grande confusion lorsqu’il est arrivé. Ce fut sa réponse sur la façon de pratiquer le chemin du dharma.

Dans ce texte, Atisha mentionne trois types de pratiquants pour lesquels il est nécessaire d’enseigner un peu différemment. Ceux de capacité inférieure cherchent pour eux-mêmes et avec tou-tes leurs capacités, les joies de l’existence cyclique, du samsara. Ils ne font que cela. Nous devons regarder si actuellement, nous-mêmes sommes déjà sortis de cette recherche du bien-être dans cette existence et dans les existences du samsara en général. Demandons-nous : « Est-ce que j’en suis véri-tablement sorti(e) ou est-ce que j’ai encore besoin d’entendre les enseignements destinés à me motiver pour me convaincre d’en sortir et de laisser les joies de cette existence au second plan ? » C’est ce qu’on appelle entrer sur le chemin de l’accumulation. C’est le désir de recevoir ces enseignements, de changer notre esprit et de vraiment vouloir aller vers le dharma. Les quatre pensées qui tournent l’esprit vers le dharma – les quatre pensées préliminaires – et tous les autres enseignements, nous ai-dent à réaliser qu’il n’y a pas de véritable joie dans une existence samsarique.

Au début du chemin de l’accumulation, nous sommes prêts à écouter des enseignements, nous avons envie de tourner notre esprit vers le dharma et nous faisons des efforts pour les contempler pro-fondément et opérer des changements dans notre esprit. Quand nous aurons intégré ces réflexions, nous ne prendrons pas seulement refuge pour nous-même mais pour tous les êtres et nous commence-rons à aspirer à l’éveil pour le bien de tous. Ce sera le début de la bodhicitta qui marque la véritable entrée dans le chemin de l’accumulation. Ici on parle d’un chemin des bodhisattvas, d’un chemin d’entrée sur la voie qui mène jusqu’à l’éveil complet. Au fil du temps, nous lâcherons les aspirations d’une personne motivée par son propre plaisir, par son propre bonheur, et nous deviendrons quelqu’un de capacité moyenne qui souhaite véritablement se sortir elle-même du samsara. Puis, nous développe-rons l’aspiration de faire de même pour les autres et là nous commencerons à devenir une personne de capacité supérieure, d’aspiration supérieure. Ces chemins des bodhisattvas sont enseignés pour ceux qui ont véritablement développé et enraciné en eux la bodhicitta d’aspiration. Je continue la lecture :

« L’explication de la voie de la jonction commence par les mots1 : « Peu à peu on obtient les si-gnes de la chaleur […] ». Et quand on lit : « On atteint Joie Suprême, etc. » ceci se réfère déjà aux voies de la vision, de la méditation et de l’accomplissement final. »

Question sur les trois aspirations.

LL: Dans son aspiration inférieure, la première personne souhaite continuer dans le samsara et en prendre le bon côté. La deuxième personne d’aspiration moyenne, comprend qu’il n’y a pas de véritable bonheur à trouver dans le samsara et veut s’en sortir le plus rapidement possible. Et la troi-sième personne, d’aspiration supérieure, essaie non seulement de se libérer elle-même mais aussi de travailler à la libération de tous les êtres.

Regardons maintenant l’explication de « la voie d’accumulation » : « La voie d’accumulation représente tous les efforts qu’un être doué du potentiel du Grand Véhicule accomplit dans le sens du bien, depuis le moment où il a engendré l’esprit tourné vers le suprême Eveil et reçu les instructions d’un maître, jusqu’à l’apparition des signes de « chaleur » de la sagesse. »

1 C’est une citation aussi de ce même texte d’Atisha, (vers 59).

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Le chemin véritable de la voie de l’accumulation commence quand on développe véritablement l’aspiration de la bodhicitta (aller vers l’éveil pour tous les êtres). Tout ce qui précède est la prépara-tion pour entrer sur cette voie.

On distingue quatre étapes :

« [a] la réflexion mène à [b] l’aspiration engagée, qui se transforme en [c] le désir supérieur, qui conduit à [d] l’obtention [de la fin de cette voie]. »

« La réflexion sur les bienfaits de la bodhicitta » constitue la première étape. Ce sont les bien-faits d’un esprit qui développe l’union de la compassion illimitée et de la sagesse, qui contemple la voie des bodhisattvas et qui commence à déployer une aspiration.

Quand cette « aspiration engagée » devient un engagement ferme, de plus en plus profond, c’est déjà la deuxième étape. Et quand cet engagement devient supérieur, c'est-à-dire complètement stable, c’est le troisième niveau. Cela signifie que même dans les difficultés, quelles qu’elles soient, on n’oublie plus la bodhicitta. Même si quelqu’un nous vise avec une arme, nous restons imperturbables dans notre aspiration de bodhicitta. Evidemment, avec une aspiration fortement enracinée, nous allons rapidement parfaire les qualités de ce chemin et pouvoir obtenir la fin du chemin de l’accumulation. Je vous indiquerai un peu plus loin les signes (mentionnés ici) qui se manifestent à ce moment-là.

Auparavant, j’aimerais vous donner une petite information supplémentaire qui se trouve dans le livre du premier Mipham Rinpotché intitulé « Gateway to knowledge », « L’entrée dans la sagesse ». Dans le deuxième volume il explique les cinq chemins et nous donne un aperçu de ce qu’il faut culti-ver pour traverser celui de l’accumulation. Il nous indique les trois facteurs dont nous avons besoin pour y entrer et le parcourir.

Le premier est un type de mérite qu’il appelle « autre », qui n’est pas ordinaire, un type de mé-rite spécial. Ce mérite est acquis grâce à la production d’actes vertueux basés sur la bodhicitta, sur le souhait de vouloir vraiment amener tout le monde vers l’éveil.

Le second, c’est le recours à la discipline des êtres ordinaires, non réalisés, qui consiste à appli-quer les vœux de conduite éthique : les cinq vœux de base (ne pas tuer, ne pas voler, etc.), et bien sûr le vœu de bodhisattva.

Le troisième facteur, c’est la sagesse qui résulte des trois formes de pratique : étude, contempla-tion, méditation. L’étude, consiste à écouter, entendre ou lire l’enseignement et le comprendre intellec-tuellement. La contemplation, c’est l’application de l’enseignement à soi-même, c’est l’intégrer pro-fondément jusqu’à ce que l’on transforme sa vision des choses. Et la méditation, c’est la pratique non conceptuelle qui fait naître encore d’autres formes de compréhension.

De plus, sur ce chemin d’accumulation Mipham Rinpotché nous conseille de contrôler les jouis-sances sensorielles pour ne pas nous laisser entraîner par le jeu des sensations physiques, visuelles, auditives, etc., de ne pas les suivre mais d’avoir une maîtrise, une retenue. Ensuite, il préconise un régime alimentaire équilibré, c'est-à-dire manger ni trop ni pas assez et manger ce qu’il faut pour avoir un esprit clair. Puis il conseille de ne pas s’allonger pendant la première et la dernière partie de la nuit et donc d’utiliser ce temps gagné sur le sommeil pour cultiver la pratique des quatre Satipatthana (les quatre formes d’établissement de la vigilance). En somme, de faire tout ce que nous pouvons, tout le temps, pour maintenir une présence, une vigilance qui connaît, qui sait ce qui se passe dans l’esprit. Ces conseils de Mipham Rinpotché sont à prendre vraiment à cœur parce que ces chemins-là ne se font pas d’eux-mêmes. Il faut faire des efforts pour développer un profond renoncement, une application assidue à la pratique, une étude profonde du dharma suivie de contemplation et méditation. Tout cela est absolument nécessaire. Il n’existe aucun mécanisme nous permettant de traverser ces voies sans nous y appliquer. Voici la suite :

« Pourquoi donne-t-on à ces différents stades le nom de « voie de l’accumulation » ? Parce qu’on y « accumule » les mérites nécessaires pour devenir un réceptacle convenable à la « chaleur » et aux autres signes de réalisation. »

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« La chaleur » est le premier de ces signes. Il y a la chaleur, le sommet, la patience ou accepta-tion et la qualité suprême mondaine. La chaleur, c’est lorsque l’esprit se stabilise complètement, pro-fondément dans la pratique de shamatha (shiné) et que le pratiquant commence à être vraiment à l’aise avec la pratique. Cette « chaleur » est une aise mentale, l’esprit est complètement familiarisé. Chaud, veut dire « familiarisé », « bien » ; tout tourne rondement, la pratique tourne d’elle-même ; il n’y a plus d’efforts à fournir dans la pratique de shamatha et le pratiquant s’approche de la vraie nature de l’esprit. C’est comme si un petit rideau séparait le pratiquant de la vision directe de la nature de l’esprit. Il commence à comprendre profondément la souffrance, la cause de la souffrance, le non soi c’est-à-dire la fin de la souffrance, la nature illusoire, ce qu’on appelle la vacuité. Il commence à com-prendre comment y aller mais il est encore séparé de la vision directe par des voiles. Il doit encore traverser les trois autres phases et en premier lieu le sommet. Le sommet, dans la pratique de shiné (shamatha), c’est la stabilisation totale de l’esprit dans une clarté permanente, jour et nuit, avec la compréhension inébranlable des Quatre Nobles Vérités, même si cette compréhension n’est pas tout à fait non duelle.

Nous pouvons rester très longtemps avec ces deux signes-là. Il n’est pas dit que nous pourrons aller plus loin rapidement. Quand nous entrons dans la patience ou l’acceptation, à partir de ce mo-ment-là se crée une ouverture d’esprit qui va automatiquement s’enchaîner sur la suprême présence, sur une ouverture d’esprit qui présente les dernières traces de la dualité. Puis, l’esprit va basculer dans le chemin de la vision. Ces deux derniers stades s’enchaînent automatiquement. Donc là, il est prévisi-ble que nous allons entrer dans la réalisation. C’était une courte explication de ces quatre termes. Continuons avec la lecture de ce chapitre :

« On appelle aussi les pratiques de cette voie « sources de bien apparentées à la libération2 ». Ce chemin inclut douze [des 37] auxiliaires de l’Eveil, résumés en trois groupes de quatre :

• les quatre établissements de la vigilance, • les quatre aspects du renoncement total et • les quatre bases des pouvoirs miraculeux. Les quatre établissements de la vigilance consistent à établir la vigilance • sur le corps, • sur les sensations, • sur l’esprit et • sur les dharmas. »

Ces quatre pratiques de vigilance constituent la « petite voie de l’accumulation » et c’est par là qu’il faut commencer. Je résume pour ceux qui ne sont pas là le matin. La pratique de la vigilance sur le corps consiste à être en contact avec le corps dans les différentes situations du jour et de la nuit (sa-voir dans quelle posture se trouve le corps), à être conscients de chaque mouvement, à être toujours présents dans ce qui se passe dans le corps, la respiration incluse. Nous sommes conscients du ressenti intérieur, puis nous méditons le corps comme étant composé de différentes parties et sur le fait qu’il va mourir un jour, se désintégrer jusqu’à devenir un squelette puis de la poussière. Toutes ces contempla-tions feront que nous ne nous attacherons plus à ce corps. L’illusion que le moi existe dans le corps et que celui-ci est une base de joie véritable, sera complètement annihilée par la pratique de la vigilance sur le corps. Nous réalisons que c’est juste un phénomène composé qui se désintégrera un jour et dont il ne restera rien.

Nous procèderons de la même manière avec les sensations. Le ressenti d’abord non conceptuel du corps, est jugé comme agréable, désirable ou désagréable, avec une réaction d’aversion ou neutre quand il revient à la conscience. Ces sensations sont la base d’une identification. Nous pensons : « C’est peut-être cela le moi » et en regardant la nature changeante, en regardant à quel point ces sen-sations sont la base d’un attachement/aversion provoquant de la souffrance, nous créerons une non identification avec ce processus de ressenti sensoriel.

2 C'est-à-dire voie où l’on pratique tout ce qui est bénéfique et qui est sûr de nous amener à la libération.

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Nous ferons la même chose avec l’esprit et les différents états mentaux, les émotions. Nous re-garderons leur nature et verrons que cela change tout le temps, qu’il n’y a pas un moi, un je, à y trou-ver.

Ensuite nous regarderons les dharmas. Les dharmas sont les lois, les relations de causes et effets qui font émerger la souffrance. Grâce à leur contemplation, la libération apparaît. « Si nous pensons de telle manière, si nous nous comportons de telle manière, quel en sera le résultat ? » Nous regardons. Nous utilisons tous les enseignements donnés par le Bouddha qui décrivent la réalité, nous faisons un examen, une investigation pour vérifier nous-même avec notre propre expérience et voir quelle est la voie de la souffrance et celle de la libération.

Nous garderons ces quatre pratiques de la vigilance même si elles n’apparaissent pas dans les qualités à cultiver. En effet, nous aurons besoin de continuer avec cette pratique jusqu’à ce que la vigi-lance devienne automatique. Un bouddha n’a plus besoin de la cultiver parce qu’elle est devenue en-tièrement automatique. C’est la nature de sa présence, comme il n’est plus distrait, il voit les choses clairement. Mais pour en arriver là, nous devons pratiquer la qualité de sati, de vigilance.

Le Bouddha a lui-même continué le Satipatthana. Il était dans cette pratique (peut-être pour donner un exemple) à un point tel que si des bienfaiteurs (même très riches, parfois des rois) venaient le voir lorsqu’il méditait, il ne les recevait pas. Il disait : « Qu’ils attendent jusqu’à ce que j’aie terminé la pratique ». Ceci, pour expliquer que le Bouddha lui-même a adhéré à cette discipline. Il méditait avec ses moines et faisait attendre les hommes les plus illustres de son époque.

Le chemin d’accumulation est le plus important pour nous parce que c’est là où nous nous si-tuons, c’est ce que nous devons cultiver. Il me semble donc essentiel d’en avoir une bonne compré-hension. Pour le reste, il suffit d’avoir une idée un peu générale de ce qui nous attend.

Avez-vous des questions ?

Question : Quels enseignements seront dispensés à une personne d’une aspiration moyenne ?

LL: Une telle personne aurait besoin de comparer la voie de la libération individuelle avec la voie du bodhisattva. Se sortir nous-mêmes du samsara, de la souffrance, c’est très bien car nous serons un de moins dans la souffrance. Mais qu’en est-il des autres ? Est-il possible vraiment de vivre dans le bonheur et dans la joie si les autres souffrent encore ? Doit-on fermer son cœur afin de ne pas ressentir la souffrance des autres ? Et quand nous ressentons la souffrance des autres, y a-t-il une possibilité de les aider et si oui, comment ? A ce moment-là, nous commençons à nous intéresser aux enseignements des bodhisattvas, notamment à l’enseignement sur la bodhicitta dont les explications figurent dans le lodjong (l’entraînement de l’esprit). Nous allons réfléchir au fait que les autres furent nos mères, nos pères, etc., nos proches, dans d’autres vies. Ainsi nous développerons davantage de compassion, de gratitude, un véritable amour. Et petit à petit, l’aspiration à s’occuper des autres comme de soi-même surgira.

Ensuite, nous allons devenir réalistes et voir si nous allons nous en occuper tout de suite ou tra-vailler d’abord sur notre propre esprit (pour ensuite mieux prendre soin d’eux). Donc, l’aspiration sera de ne pas laisser les autres derrière nous. Ce petit point, de l’ordre d’une compréhension plus pro-fonde, va encore s’installer. Actuellement, nous sommes des débutants qui ont besoin de développer le maximum de compassion, mais plus tard, nous regarderons la situation un peu différemment. Nous nous dirons : « Mais qui est celui qui veut aider ? » « Qui est cet être illusoire qui veut aider ? » « Qui sont les autres, ces êtres illusoires que nous voulons amener à l’éveil ? » Ils se croient réellement exis-tants, mais finalement ce n’est pas ainsi.

La notion de ce qu’est un bodhisattva varie un peu avec le temps. Nous essaierons d’amener le plus grand nombre d’êtres sur le chemin de la libération tant que nous sommes encore accessibles. Nous pourrons peut-être ralentir un peu notre départ sur ce chemin pour pouvoir œuvrer le plus long-temps possible pour les autres.

Question : Que reste-t-il comme enseignements pour ceux du troisième groupe ?

LL: Comment devenir un bouddha qui peut aider tous les êtres ? C’est le dernier stade : avoir l’aspiration forte de devenir un bodhisattva, puis un bouddha. Alors, il faut le faire !

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Question sur le sens du mot « réflexion ».

LL: La réflexion consiste à bien étudier et à comprendre correctement l’enseignement avec l’intellect.

Question sur les qualités supra mondaines.

LL: J’ai été un peu rapide sur cette quatrième qualité. C’est un samadhi qui, de par sa nature, va automatiquement s’enchaîner avec le chemin de la vision. Dans le monde, il est appelé « état su-prême » parce que tout de suite après on entre dans le chemin de la vision et on devient un « arya », un être noble, libéré de la notion d’un « moi », d’un « je » véritablement existant. Il ne fait donc plus par-tie des êtres mondains tournant en rond dans le samsara.

Deuxième enseignement

Avant de continuer l’explication du soutra par l’approfondissement des termes clés déjà ren-contrés, nous allons réciter la louange aux « Douze Actes du Bouddha ».

Hommage au Bouddha.

« Ici, concernant le corps, nous demeurons dans la contemplation du corps » (bas de la page 1).

Le Bouddha attribue un sens particulier à cette phrase. « Concernant le corps » fait allusion à ce corps auquel nous sommes tant identifiés, base de l’identification du moi. Nous demeurons alors dans cette contemplation dont la visée, le but, est de montrer que dans ce corps, il n’y a ni un moi, ni un je avec lequel nous pourrions nous identifier. Donc, le Bouddha dit : « Concernant le corps, nous allons demeurer dans la contemplation du corps » parce que grâce à cette contemplation, un changement va se produire, nous allons sortir de la saisie égoïste vis-à-vis de ce corps. C’est la première chose que je voulais ajouter, nous y reviendrons plus tard.

Afin d’expliquer à quoi se réfèrent les quatre termes : « persévérants (ou diligents) », « pleine-ment conscients », « vigilants », « écartant envies et soucis mondains », je me baserai sur le commen-taire du Vénérable Analayo.

« Persévérants » fait référence à la qualité de diligence, d’enthousiasme. C’est la quatrième pa-ramita, la persévérance. C’est l’énergie ou la force qui nous aide à continuer notre pratique dans toutes les conditions, dans toutes les situations.

« Pleinement conscients » est en relation avec la qualité de prajna, la sagesse (sixième parami-ta), capacité de connaître, de savoir des choses. Nous en connaissons de petites qui nous aident et pou-vons en savoir de grandes qui nous sortiront du samsara. Cette qualité est la deuxième à développer en même temps que la « vigilance » (sati). La vigilance elle-même fait partie de la stabilité méditative, de l’absorption méditative profonde (cinquième paramita) parce qu’elle inclut également le fait d’écarter envies et soucis mondains, qui est la qualité de samadhi. Donc, les trois dernières paramitas sont décri-tes par ces quatre termes. Nous les mettons en application ici quand nous pratiquons le Satipatthana.

Dans l’enseignement d’hier soir, trois paramitas ont été énumérées en tant que base du chemin de l’accumulation, afin de nous établir dans la pratique de Satipatthana qui se situe au tout début de ce chemin. Pour cela, il nous faut développer la discipline (deuxième paramita) – c'est-à-dire une conduite bénéfique – en abandonnant les actes nuisibles et en accomplissant des actes bienfaisants. En même temps que la discipline, il nous faut accroître la générosité (première paramita) qui consiste à accomplir tous les actes positifs possibles. Avec la patience (troisième paramita) nous maintenons cette conduite bénéfique dans des situations de tests, de défis, de challenges. Elle nous permet de ne pas arrêter notre pratique de compassion, de générosité, etc. quand des difficultés surgissent. Même si les trois paramitas : discipline, générosité et patience ne sont pas nommées ici, pour le Bouddha Sa-kyamuni elles représentent l’assise de shîla (la discipline), mais incluent la générosité et la patience, bases sur lesquelles se fonde la pratique de Satipatthana. Quand nous commençons à le pratiquer, il faut savoir que nous nous appuyons sur cette base solide et ferme de la conduite éthique et bénéfique.

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C’est très vaste car cela inclut les trois premières paramitas pour en arriver à la pratique de Satipattha-na, c’est-à-dire des trois dernières paramitas.

Je vais ajouter encore quelques remarques sur ce qu’est « sati » (la vigilance). La vigilance est la conscience de l’instant où nous sommes complètement éveillés, c’est-à-dire pleinement présents, sans obscurcissements, sans opacité mentale. C’est la conscience du moment présent, dépourvue de distrac-tion ; c’est l’esprit rassemblé, qui ne fixe pas, qui reste fluide, ouvert, très vaste, qui ne s’attache pas au passé et qui ne se projette pas dans l’avenir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je préfère ne pas utiliser le terme « attention » pour traduire sati, parce que ce mot fait partie des facteurs mentaux ac-compagnant chaque moment de prise de conscience de quoi que ce soit. Donc, l’attention accompagne chaque événement mental. Ce sont de très courts instants où il nous est possible d’être présents à quel-que chose. Sati, c’est la capacité de maintenir cette attention et de l’élargir, de la rendre beaucoup plus vaste. Je fais donc une différence entre attention et vigilance. Le concept d’attention reflète davantage cette notion de petits moments de concentration qui nous permettent de discerner, de cerner un objet. Sati, c’est cette même capacité, mais maintenue longtemps, avec une ouverture plus vaste permettant d’inclure les différentes facettes d’une situation.

Question : Compter sa respiration, avoir cette précision en comptant sa respiration, 1, 2, 3, … être conscient de son corps, est-ce de l’attention ou plutôt de la vigilance ?

LL: Par exemple, quand tu me parles, la capacité d’attention est présente dans le simple fait d’être conscient des sons et de pouvoir les décoder, alors que compter un souffle, c’est déjà de l’ordre de la vigilance.

L’autre question portait sur un terme allemand, qui fait la différence entre « Achtsamkeit » et « Gewahrsein ».

LL: Donc, Gewahrsein est un terme qui conviendra très bien également pour sati parce qu’il veut dire « être conscient de la vérité, de ce qui est réellement ». Seulement, nous avons à traduire un autre terme sanscrit : jñana (yéshé en tibétain) et ce terme-là nécessite d’utiliser le mot Achtsamkeit parce qu’il exprime encore mieux l’idée de connaître la vérité.

Continuons avec la description de sati. Donc ici, en se basant sur différents soutras, l’auteur dé-finit le terme « sati » comme une « relaxed receptivity » (en anglais), une réceptivité détendue. Ceci est important parce que cette détente dans la réceptivité montre qu’être dans sati, ce n’est pas avoir une toute petite ouverture un peu comme une concentration aiguë, mais plutôt être conscients de tout ce qui arrive. Cette ouverture – qui va de pair avec la pratique de vigilance – va se développer. Après avoir étudié le soutra, le Bouddha souhaite, qu’en commençant avec quelque chose d’assez pointu, nous élargissions encore et encore notre conscience, notre capacité de vigilance, pour être capables de maintenir simultanément dans notre esprit la conscience de nombreux éléments et facettes de notre vécu, sans rester dans une réceptivité sélective.

Voici maintenant comment se place sati – la vigilance – dans le contexte du « Noble Octuple Sentier » du Bouddha. Vous savez que la quatrième Noble Vérité enseignée par le Bouddha est celle du chemin pour atteindre l’éveil, pour sortir de la souffrance. Sur cette voie, sati occupe la septième place. Les chemins qui la précèdent sont : avoir la vue, la pensée ou la motivation, la parole, l’action, la subsistance et l’effort justes. Vient ensuite la vigilance juste qui mène à la concentration profonde juste, qui elle-même conduit à une compréhension toujours plus profonde, toujours plus juste. Elle est encore une fois le premier maillon dans le cycle qui nourrit la vue juste.

Ce qu’il faut savoir, c’est que pour pratiquer sati – la vigilance –, il est nécessaire que cette vigi-lance s’intègre d’abord dans un développement de la vue, d’une compréhension juste de la pratique et que celle-ci soit adéquate, c'est-à-dire s’adapte à nous et nous sorte du samsara. La qualité de sati sans vue juste, sans la compréhension de ce que nous faisons, ne nous sortira pas du samsara. Dans diffé-rents soutras, le Bouddha parle de la vigilance erronée. En voici un exemple : quand un voleur veut s’introduire dans une maison, il observe d’abord l’habitation pour avoir une vision claire de la situa-tion, repère l’entrée, établit la liste des outils dont il aura besoin, etc. Il va ainsi utiliser la capacité de Sati pour commettre un acte négatif.

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Il existe de nombreuses façons d’utiliser la vigilance. On peut faire de la Formule 1, être très vi-gilant et gagner les grands prix, mais ce n’est pas cette vigilance-là qui va nous sortir du samsara. Celle dont on parle ici est intégrée dans les sept autres facteurs du Noble Octuple Sentier. N’oublions donc pas que la vigilance n’est pas une faculté, une qualité isolée. Elle doit s’intégrer dans la compré-hension, la vue et la motivation juste c’est-à-dire dans la bodhicitta dont le but est de se libérer et de libérer les autres. La parole juste, la conduite juste, la subsistance juste (les moyens de vie) basées sur un effort juste, c’est-à-dire ni trop motivé par une volonté égoïste, ni trop mou avec un laisser-faire sans application, doivent accompagner la vigilance qui mènera à l’absorption méditative. Sati doit donc être dirigé vers ce qu’il faut pour nous libérer des hypothèses erronées sur la réalité des pensées et des vues fausses qui nous enchaînent dans le samsara. Sati est une qualité de vigilance juste si elle est orientée vers ce qui est vraiment utile pour se libérer. Elle est juste, vraie ou véritable parce qu’elle conduit à la libération, à l’éveil. Les autres formes de sati sont mondaines car elles représentent sim-plement la capacité de maintenir un objectif ou un intérêt.

Reprenons le texte là où nous l’avons laissé hier. Je vous rappelle qu’en ce qui concerne la vigi-lance sur le souffle, la respiration, il existe de nombreuses pratiques possibles. Ici, le Bouddha en nomme seulement quatre. Mais dans le soutra appelé Anapanasati soutra, il parle de seize pratiques différentes utilisant la respiration. Il explique que la méditation de la respiration ne se réfère pas sim-plement au corps mais qu’elle peut inclure les quatre facettes de l’établissement de la vigilance qui seront décrites ici. (L’Anapanasati soutra sera un sujet de stage, pour comprendre qu’avec une seule pratique nous pouvons développer l’ensemble des qualités de la vigilance.) Il existe également d’autres procédés qui nous permettent de développer l’ensemble des aspects de vigilance. Nous pou-vons le constater avec la pratique d’une divinité, par exemple celle de Tchenrézi (Avalokiteshvara), qui développe les quatre aspects de la vigilance avec le seul support d’une visualisation. Il y a d’autres méthodes où nous pouvons tout faire, simplement avec une seule pratique. Par exemple en marchant, nous pouvons développer les quatre aspects de la vigilance : corps, sensations, esprit et dharma. Il faut juste savoir faire. Nous n’avons pas besoin de changer sans cesse d’objet de méditation pour méditer les quatre aspects de la vigilance. Nous pouvons les développer avec un seul support. Mais nous n’allons pas nous étendre là-dessus maintenant, vous allez d’abord recevoir le soutra.

Donc, pour la respiration, nous nous asseyons (c’est le plus facile en général), nous respirons et nous prenons tout d’abord conscience de l’inspiration et de l’expiration. Nous pouvons compter (mais ici le Bouddha ne parle pas de cette étape). Nous pouvons dire : un cycle inspiration/expiration, compte pour 1 ; un deuxième cycle : 2… Ainsi nous ramenons notre conscience encore et encore sur l’acte de respirer, ceci dans le but de ne pas être distraits. Mais comment apprendre à ne pas être dis-traits ? Pourquoi revenir encore et encore sur un objet de méditation pour découvrir des choses que nous n’avons pas encore pénétrées (puisque que nous avons été distraits toute notre vie) ? Parce que si nous n’avons pas développé la capacité de rester de manière non distraite avec l’objet en question, nous ne développerons jamais de sagesse, de compréhension. Imaginez un chercheur qui souhaite étu-dier une chose spéciale. Il la met dans son microscope et regarde. Mais s’il regarde seulement un court instant, si il est distrait par autre chose, boit un café, discute, etc., il ne découvrira jamais quoi que ce soit ! Pour faire des découvertes il doit être bien présent, regarder attentivement, affiner, observer plus près, plus loin, tourner l’objet, observer à nouveau. C’est cette capacité d’application prolongée qui donnera des résultats. Il en va de même dans la méditation, une application prolongée est nécessaire, sinon nous ne découvrirons pas ce que nous cherchons.

Ici notre objet de recherche, d’observation, n’est pas matériel, mais repose sur ces questions : « Est-ce que le moi, le je, existent ? Quelle est la nature du corps, des sensations ? Quelle est la nature de l’esprit ? Quels sont les dharmas, les lois qui nous aident à nous libérer de la souffrance ? » Voilà ce que nous souhaitons découvrir. Il faut donc une application prolongée dans des domaines que nous n’avons pas l’habitude de regarder. Cela nécessite davantage de présence d’esprit que pour un cher-cheur scientifique. Donc la demande est plus grande que dans d’autres secteurs de notre vie. Il ne s’agit pas de faire cela pendant quelques heures, quelques semaines, il faut le faire durant toute une vie, dans les vies futures, vie après vie, jusqu’à ce que nous comprenions entièrement tout ce qui concerne l’esprit, le samsara et le nirvana. Si nous n’avons pas cette persévérance (qui peut nous para-ître sans importance), nous resterons simplement comme nous sommes. Si nous souhaitons devenir

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libres de la souffrance et trouver cette véritable joie de la libération, il faut s’y mettre ! Et cela com-mence avec des choses très simples mais qui ne sont pas aussi faciles que nous le pensons. Rester conscients du souffle n’est pas un exercice aussi facile. Donc, comme Henri le disait hier à juste titre, nous devons développer la curiosité de vouloir rester avec et d’explorer le souffle. Nous devrions nous y intéresser comme si c’était la plus belle chose de notre vie. C’est avec cette forme d’attention qu’il nous faut être présents. Rien d’autre ne compte plus. Quand nous sommes avec un objet de médi-tation, notre esprit reste avec cet objet, rien d’autre ne nous intéresse.

Question : Où est cette curiosité dans le soutra ?

LL : Elle réside dans le fait de se poser des questions. Quand on se pose des questions, on veut savoir et on poursuit le questionnement jusqu’à savoir.

Suite de la question en allemand.

LL: La motivation vient du fait de vouloir se libérer, d’atteindre l’éveil. C’est ce qui canalise notre énergie entière. Nous abandonnons toute autre chose. Nous n’avons qu’un seul souhait : attein-dre l’éveil. C’est ce qui dirige notre énergie et fait que nous nous attachons à explorer totalement les enseignements qui semblent nous être utiles. Donc, nous nous entraînons avec le souffle et dévelop-pons cet intérêt pour arriver à focaliser l’esprit, à l’exclusion de toute autre chose pour le moment.

Dans l’entraînement, nous commençons généralement avec notre respiration et remarquons en-suite : « Là, j’expire encore plus profondément et quand les énergies se calment, cela devient plus bref ». Nous sommes conscients que plus nous nous calmons, plus la respiration se calme aussi. Nous découvrons que ce n’est pas seulement le nez qui respire mais aussi la poitrine, qu’il y a un mouve-ment dans le ventre… Quand nous respirons, nous découvrons le contact des vêtements et observons que cela change un tout petit peu. Nous remarquons que ce n’est pas seulement là-haut que « ça » res-pire, mais que le corps entier fait partie de cette respiration. Nous restons toujours dans la découverte de tout ce processus. Et quand nous continuons, nous voyons que la respiration est l’expression de l’agitation ou du calme de l’esprit. Quand la respiration se calme, le corps aussi. Quand le corps se calme, l’esprit également. Quand l’esprit s’agite, le corps s’agite. Si d’autres sensations apparaissent, la respiration s’accélère. Nous découvrons toutes les connexions entre le mouvement de la respiration, les pensées – c'est-à-dire l’état mental – et le corps. Nous sommes dans un travail intérieur pour ame-ner toujours plus de détente, d’ouverture, de présence, là, dans ce vécu. Quand nous découvrons une fixation, elle peut se dissoudre en posant l’attention dessus. Nous faisons ce travail tout le temps et nous restons fluides, nous ne fixons pas. Lorsqu’un attachement apparaît, nous expirons (long souffle). Quand l’attachement ou l’aversion apparaît sur l’inspiration, nous nous ouvrons au lieu de fixer. Nous nous ouvrons avec l’inspiration, nous nous ouvrons avec l’expiration. Et nous calmons le corps et l’esprit de cette manière.

« J’inspire en calmant le corps », en apaisant le corps. Ce que j’ai traduit ici par « corps », c’est le terme kayasankhara. Ce sont les formations physiques dont deux aspects au moins sont à différen-cier :

• L’aspect actif des formations physiques. C’est l’activité physique, dans le sens de vouloir bouger. Tous les mouvements physiques sont à calmer. Avec la respiration, nous détendons les impulsions qui incitent à nous mouvoir. Nous ne bougeons plus, nous calmons ce jeu-là pour créer une situation très stable permettant des observations plus profondes.

• L’aspect passif, dans le sens où les impressions physiques qui se manifestent sont le retour des actes du passé. Le karma et les actions antérieures créent des impressions physiques qui nous font bouger parce que si nous ne bougeons pas cela peut se traduire par une souffrance, par des sensations désagréables que nous avons envie d’éviter. Ces sensations peuvent aussi être agréables. Il y a les deux.

Donc, nous calmons la fixation sur les sensations physiques qui se manifestent, nous calmons le jeu physique. Nous utilisons l’inspiration et l’expiration pour dissoudre l’attachement aux sensations agréables et l’aversion aux sensations désagréables ; nous calmons le tout. Les samskara (sankhara) sont les formations : tout ce que nous avons créé par le passé et créons dans l’instant, aura des effets

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dans le futur. Nous calmons donc tout cela : le ressenti du passé et le côté actif du présent. « Apaiser le corps » fait donc référence à tout cela.

J’ai oublié de vous expliquer la phrase précédente : « en ressentant le corps entier ». Ici, il s’agit d’élargir la conscience. Il est question du souffle dans le corps entier (les érudits ont beaucoup débattu sur ce sujet). Quand le Bouddha parlait de kaya, il parlait de l’ensemble de la respiration, c’est-à-dire qu’il fallait être conscient de l’ensemble de la respiration qui entre par le nez, remplit les poumons, peut faire bouger l’abdomen. Etait-ce cela qu’il appelait « le corps entier de la respiration » (des com-mentaires y font référence) ou parlait-il du corps en entier ? Pour nous les bouddhistes vadjrayana, cela ne pose pas de problèmes parce que quand nous parlons du pranakaya, du corps de loung (du souffle), nous parlons de toute façon de tout le corps. En effet, dans le bouddhisme tibétain, dans les pratiques subtiles du yoga tibétain, c’est le corps entier qui respire et pas seulement les poumons. C’est une res-piration beaucoup plus subtile connue dans les absorptions méditatives profondes où il n’est même plus nécessaire de respirer avec le souffle, le corps étant maintenu en vie par un échange très subtil de cet ensemble. C’est connu également dans la tradition palie du Theravada. Donc, quand on dit « deve-nir conscient », « ressentir le corps entier », cela signifie être déjà conscient de tout le mouvement du souffle. Mais on peut aller plus loin et ressentir tout le mouvement de prana, des énergies subtiles, dans tout le corps.

Donc, joindre la vigilance sur le souffle en ayant conscience du corps tout en y incluant les mouvements subtils des sensations est pratiqué dans toutes les traditions bouddhistes aujourd’hui. C’est déjà énorme. Quand nous méditons de cette manière, nous sommes assis, nous respirons et « ça » respire. Ce n’est plus moi qui respire, ça respire tout simplement. Et tout va de pair. Nous som-mes conscients du corps entier et en même temps nous ne savons même plus où s’arrête ce corps sub-til. Nous remarquons également comme un échange entre tout ce qui entoure le corps et une multiplici-té de sensations présentes simultanément. Notre conscience est complètement ouverte, elle ne s’attache à rien. L’ensemble de notre être respire.

Nous avons commencé avec une vigilance assez pointue sur le souffle et sommes arrivés à une conscience très large de la respiration. Assis de cette manière-là, conscients de l’ensemble de notre corps qui respire, nous sommes en contact direct avec la vie. Nous vivons pleinement. Ça respire. C’est la vie. Sans respiration il n’y a pas de vie. Le corps ressent beaucoup de sensations qui changent tout le temps et nous sommes absorbés dans l’expérience de la vie.

Je vous lis le dernier paragraphe : « Dans cette expérience-là nous demeurons dans la contem-plation du corps de façon interne, externe, ou les deux à la fois. Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition, ou les deux concernant le corps. La vigilance : ‘il y a un corps’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable et nous de-meurons indépendants, sans attachement à rien au monde. »

C’est « le refrain ». Nous le retrouverons après chaque exercice parce qu’ainsi le Bouddha nous rappelle ces instructions clés, ce qui est absolument à pratiquer. Le plus important dans le soutra est de bien intégrer ce paragraphe-là ainsi que le premier qui comporte les quatre termes clés sur l’établissement de la vigilance.

« Contempler le corps de façon interne » c’est contempler ce qui nous concerne personnelle-ment. « Interne », c’est ce qui nous est propre, ce n’est pas extérieur.

« Contempler le corps de façon externe » peut recouvrir différentes interprétations, mais dans tous les cas, il s’agit de ce qui est considéré comme « autre » : l’autre personne ou des objets externes ayant une forme, un corps, une matière.

Contempler « les deux à la fois » peut être expliqué de différentes manières. Pour l’autre per-sonne, sa contemplation est interne, mais pour nous elle est externe. Donc, si nous méditons sur la personne en face de nous, notre contemplation est interne et externe à la fois. Pour elle, elle est interne, pour nous elle est externe. Ou bien nous disons que nous nous contemplons nous-mêmes, puis faisons la même contemplation sur ce qui semble extérieur et pour terminer nous faisons les deux simultané-ment, de manière équilibrée, afin de nous fixer ni sur nous-même ni sur l’autre. Nous contemplons les mêmes vérités pour dire « tout l’univers ».

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Voici un exemple : d’abord je pratique avec ma propre respiration. J’en découvre tous les as-pects : l’influence de mes pensées sur la respiration, etc. Quand je suis un peu habitué, je peux contempler en regardant l’autre, remarquer s’il respire de la même manière que moi. « Ça » respire sans un moi qui a besoin de respirer ; cette personne respire aussi plus rapidement quand elle a une émotion, elle respire plus calmement quand elle n’en a pas.

Toutes ces contemplations sont les mêmes que pour soi. Nous regardons, nous vérifions si c’est pareil pour les autres. Nous vérifions si ce que nous avons découvert pour nous-même est aussi valable à l’extérieur, si cela peut être généralisé. De plus, dans la contemplation d’autrui, il faut s’entraîner à pouvoir s’ouvrir au vécu des autres. Voici un petit exemple d’application concrète de cette médita-tion : lorsque j’étais à l’hôpital auprès de patients souffrant des crises d’asthme, plongés dans un coma ou autre, du fait de connaître cette pratique, je la faisais avec le patient. Assis à côté de lui, je me joi-gnais à sa respiration, je contemplais « sa » respiration afin de me connecter avec son esprit. C’était une excellente façon de pouvoir entrer en communication, échanger avec ces personnes qui ne pou-vaient pas parler.

Donc ici, le Bouddha équilibre volontairement notre pratique de sati pour qu’elle ne se focalise pas seulement sur l’intérieur, mais qu’elle soit aussi dirigée vers l’extérieur, pour qu’il y ait une ouver-ture afin de pouvoir ressentir l’autre, les autres, tout l’univers et nous-même faisant partie de cet uni-vers. La troisième contemplation : « intérieur et extérieur à la fois », veut dire : intégrer l’ensemble de ce qui respire, de ce qui est présent dans ce monde, de ce qui a une forme, un corps. Pratiquons de manière équilibrée, sur tous les phénomènes.

Dans cette contemplation nous sommes pleinement en contact avec la vie qui change. En prati-quant la vigilance, vous avez dû remarquer que l’intérieur de notre être est en ébullition. Des sensa-tions apparaissent dans tout le corps : la vie se manifeste.

La contemplation à faire ici consiste à remarquer l’apparition des sensations. La première prati-que sera de toujours remarquer ce qui est nouveau, ce qui apparaît dans tout le corps et dans la respira-tion. C’est donc l’apparition des choses. Puis nous regardons ce qui n’est plus : « Là, il y avait une douleur, maintenant elle a disparu. » « Ici, la sensation très forte auparavant, a beaucoup diminué. » Nous constatons la disparition de ce qui dominait précédemment. Ensuite, nous observons l’apparition et la disparition simultanément, c’est-à-dire l’impermanence, le changement. Nous méditons sur le changement continuel : inspiration – expiration. Il n’y a jamais une expiration semblable à l’autre. C’est toujours différent. Il n’y a pas une expiration identique à une autre. Cela change. Cela change au niveau de la respiration, au niveau du vécu, dans le corps, dans l’esprit, nous sommes en prise directe avec la vie qui change tout le temps. Des choses apparaissent, d’autres disparaissent. Nous sommes sans cesse en contact direct avec ce que l’on nomme « impermanence », mais je préfère le terme « changement ». Nous sommes en contact avec le changement continuel de toute chose ; ceci, pour « l’intérieur », pour « l’extérieur » et pour « les deux à la fois ».

Pour chaque mouvement, il y a l’aspect d’apparition et de disparition. Par exemple, le soleil qui se lève et se couche. Il apparaît toujours à un autre endroit mais au même moment disparaît de l’endroit précédent. Il n’y a pas d’apparition sans qu’il y ait de disparition. Donc, quand le soleil change de place dans notre orbite, l’apparition au nouvel endroit et la disparition à l’ancien constituent le même phénomène. Et il en est ainsi pour chaque chose : l’apparition d’une sensation implique la disparition de la précédente ; l’apparition d’une pensée entraîne la disparition de la précédente. Il ne peut pas y avoir d’apparition sans qu’il y ait de disparition.

Certaines personnes s’attachent beaucoup à ce qui apparaît, à la nouveauté, au neuf ! Nous pas-sons d’une situation à l’autre et à un moment donné nous serons choqués de ne pas avoir remarqué que nous avons perdu quelque chose. C’était là et cela a disparu dès l’instant où nous nous sommes focali-sés sur ce qui est apparu. Et de la même manière, nous nous comportons toujours comme un jeune qui va d’une situation à l’autre. Nous ne remarquons pas que le fait d’aller d’une situation à l’autre nous rapproche de la mort. Chaque cycle d’inspiration et d’expiration nous rapproche de la mort, nous sommes un souffle plus proche de la mort. Avec chaque mot prononcé, nous sommes un mot plus proche de la mort. Si nous nous fixons simplement sur le fait que les choses apparaissent, nous serons choqués de constater qu’en même temps autre chose a disparu. Nous ne pouvons pas vivre sans vieil-

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lir ; nous ne pouvons pas naître sans disparaître. Le Bouddha voulait que nous développions un regard équilibré sur les concepts d’apparition et de disparition, sur le changement.

D’autres personnes au contraire, s’attachent toujours à la disparition : « Oh, ça ce n’est plus ! » « Je ne le vois plus un tel ! » « Ma jeunesse a disparu ! « Il n’y a plus le poulet dans le frigo ! » C’est aussi une fixation. Tournons le regard vers ce qui apparaît. Le poulet n’est plus dans le frigo parce que j’ai bien mangé hier ! Etc. Et même si je ne vois plus tel ami, je peux consacrer du temps à d’autres ! Equilibrez donc le regard parce que les préférences sont toujours l’expression d’un attachement ou d’une fixation. De cette manière :

« Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant le corps. » Puis : « La vigilance : ‘Il y a un corps’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe ».

Là, c’est neutre. Il y a « un » corps, ce n’est pas « mon » corps, c’est juste « un » corps. Et je vois que pour moi, pour ce corps qui est appelé « mon » corps, c’est la même chose que pour le corps de l’autre, c’est juste la nature du corps. Un corps, ça vieillit ; un corps, ça respire ; etc.

Je vous expliquerai le reste demain.

Méditation guidée

Aujourd’hui nous allons lire les deux premières pages du soutra (en anglais), puis je donnerai une série d’instructions progressives sur les méditations successives à faire.

« Voici ce que j’ai entendu […] sans attachement à rien au monde. » (Bas de la page 2).

Dans la première méditation nous allons tout simplement respirer et noter l’inspiration comme étant « inspiration » et l’expiration comme étant « expiration ». Juste cela : inspiration – expiration. Nous prenons note mentalement de ces deux manières de respirer : inspiration et expiration.

-- Méditation --

Maintenant, continuons la vigilance sur la respiration en portant un intérêt sur la qualité de notre respiration. L’inspiration est-elle profonde ou superficielle ? Lente ou courte ? Découvrons ainsi la qualité de chaque inspiration et de chaque expiration.

-- Méditation --

Soyons encore plus précis. Demandons-nous quelle est la qualité de l’inspiration : au début, au milieu et à la fin ; la qualité de la pause entre inspiration et expiration : au début, au milieu et à la fin ; et ainsi de suite. Accompagnons l’inspiration tout le long du souffle avec notre vigilance en ressentant le changement dans chaque phase de l’inspiration ; accompagnons le moment de pause entre inspira-tion et expiration avec la vigilance et accompagnons l’expiration dans toute sa durée avec notre vigi-lance pour connaître chaque changement ainsi que tous les aspects constituant une expiration. Mainte-nons cette présence dans la pause et procédons de cette façon-là, cycle après cycle.

-- Méditation --

Maintenant, nous ressentons toute la phase de l’inspiration, puis de l’expiration dans toutes les parties du corps concernées par la respiration. L’air pénètre par les narines, descend jusqu’aux pou-mons, fait s’élever la poitrine, déclenche des mouvements au niveau du ventre. Nous ressentons simul-tanément tout le long du cycle respiratoire l’ensemble de ces mouvements et de ces sensations de contacts, de changements. Essayons de percevoir l’ensemble de l’espace (du trajet) respiratoire.

-- Méditation --

Elargissons encore la vigilance pour inclure tout le corps en dirigeant notre attention sur l’apparition des sensations, sur tout ce qui est nouveau, sur tout ce qui touche notre conscience, sur ce qui apparaît et ce que nous n’avons pas encore perçu.

-- Méditation --

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Ce qui apparaît va aussi disparaître. Pendant les dix prochaines minutes, posons le regard sur la disparition ; puis, simultanément, sur l’apparition et la disparition ; et en étant conscients du change-ment, calmons les impulsions, les formations physiques en ressentant simplement le besoin de nous mouvoir, de bouger. Et quand l’attachement et l’aversion s’élèvent, nous respirons plus profondément, nous expirons, nous nous détendons – inspiration – expiration – détente. Puis, restons dans la détente, le non attachement et la non aversion envers tout ce qui s’élève.

-- Méditation --

De cette manière nous demeurons dans la conscience qu’il y a un corps, bien vivant, avec lequel nous nous identifions, et dans la conscience du corps des autres. Le corps respire, vit. La claire cons-cience remarque tout ce qui se passe et nous demeurons indépendants, sans identification à ce corps, aux sensations, aux pensées, à la méditation, attachés à rien au monde.

Les cinq voies II (Gampopa)

Pour recevoir cet enseignement, il convient de développer encore une fois la motivation de bod-hicitta et celle de mieux comprendre le chemin vers l’éveil afin d’aider soi-même et les autres. Ce chemin est enseigné aux aspirants bodhisattvas souhaitant se donner complètement au bien de tous les êtres. Cette motivation a un peu de mal à se développer en nous parce nous voulons bien nous sentir inspirés par elle, mais concrètement nous hésitons beaucoup à donner vraiment priorité au bien de tous, alors que c’est ce que nous devrions nous efforcer d’accomplir. Pour la plupart d’entre nous, ce chemin est plutôt un chemin d’aspiration. Nous souhaitons le prendre et aimerions savoir quels sont les moyens nécessaires pour nous permettre de traverser tous les obstacles rencontrés sur cette voie.

Hier, nous avons commencé à parler du chemin d’accumulation. « L’accumulation » c’est réunir la force nécessaire pour pouvoir débuter la voie. Et le premier cap énorme à dépasser, sera de voir la nature de l’esprit pour la première fois – d’entrer dans la non-dualité. Ce premier moment décisif im-plique de réunir toute la force et la sagesse nécessaires pour être capables de pénétrer la nature de l’esprit et de s’y détendre. Cela peut se faire de différentes façons. La force dont on parle est souvent appelée « mérite » : nous « accumulons du mérite ». Le mérite est une force bénéfique qui permet de lâcher prise sur la saisie égoïste. Chaque acte qui nous fait accumuler du mérite est un acte qui dimi-nue la saisie égoïste. Et quand la saisie égoïste décroît, la force bénéfique s’accroît. C’est cela le mé-rite : l’esprit naturellement ouvert, sans fixation sur un moi qui doit se défendre et se prouver qu’il existe. Le mérite, c’est cette force naturellement tournée vers la compassion et la sagesse.

« L’accumulation » inclut une multitude de pensées, de paroles et d’actes physiques tournés vers le bienfait de tous. Ces actes laissent des traces. Ils affaiblissent la saisie, augmentent notre com-passion et notre sagesse. Nous avons vu que pour accomplir le bien des autres sur la petite voie de l’accumulation, nous avons besoin de développer les quatre formes de vigilance, parce que sans la vigilance, sans le contact avec ce qui est, nous sommes incapables d’accomplir le bien, de voir ce qui est nuisible et donc de faire le chemin. Nous avons besoin de cette vigilance, de cette attention, de cette présence, pour développer la capacité de faire la différence entre ce qui est bénéfique et ce qui est nuisible, ce qui mène à des états de véritable bonheur et d’ouverture et ce qui mène à la souffrance. Cette sagesse-là, cette faculté de discerner le nuisible du bénéfique, se développe grâce à sati, la capa-cité de vigilance.

Dans la phase suivante – la voie moyenne du chemin de l’accumulation – on applique alors cette sagesse, cette stabilité mentale, cette vigilance, pour accomplir ce qui est bénéfique et abandonner ce qui est nuisible. Cette pratique se nomme « les quatre aspects du renoncement total ». Mais bien d’autres noms sont donnés dans les soutras, tels que « les quatre abandons corrects » ou « les quatre formes de l’effort juste » ou bien encore « les quatre grandes luttes » (lutter contre le mal en faveur de ce qui est positif). Gampopa donne la définition des « quatre aspects du renoncement total » qui consistent à :

• « abandonner les actes nuisibles et non bénéfiques déjà commis ; • ne pas en commettre de nouveaux ;

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• engendrer leurs antidotes, les actes positifs, quand cela n’est pas déjà fait ; et, enfin, • développer les antidotes déjà présents. »

Dans les actes, il faut englober l’ensemble des pensées, paroles et actes physiques. Vous savez que dans le dharma, le terme « acte » inclut : corps, parole et esprit. Donc, la première étape consiste à abandonner tout ce qui est nuisible et non bénéfique. Mais quand nous regardons ce qui est déjà pré-sent dans notre esprit, nous y voyons toutes les tendances émotionnelles qui nous font souffrir et font souffrir les autres, y compris celles qui sont là de manière sous-jacente, latente, toujours prêtes à nous motiver pour aller en direction du désir, de la colère, de l’ignorance, de la jalousie, de l’orgueil, etc. Travailler avec les émotions déjà présentes et les tendances qui sont derrière est un travail énorme qui demande beaucoup de vigilance et de sagesse.

Voilà pourquoi dans cette présentation un peu structurée, on parle de faire ce travail après avoir développé la vigilance. En effet, si nous voulions travailler sur nos émotions et nos tendances émo-tionnelles avant d’avoir développé la vigilance qui donne naissance à la compréhension nécessaire, ce serait sans fin. Nous ne saurions pas nous y prendre. Nous ferions des erreurs telles que refouler des émotions, se donner l’image d’être purs ou ne pas vouloir voir. Nous pourrions nous en tenir simple-ment à des règles mais sans vraiment lâcher à l’intérieur. Ce serait très artificiel. Mais si nous avons la vigilance, la présence nécessaire avec la sagesse qui en résulte, voir ce qui crée de la souffrance de-viendra un processus naturel. Nous verrons ce qu’il est souhaitable de faire pour ne plus créer de la souffrance, pour savoir comment diriger notre esprit vers ce qui est bénéfique parce que cette capacité aura été développée et que cette vigilance de base est bien présente.

On parle ici d’un renoncement total et d’un abandon des tendances auxquelles nous étions com-plètement identifiés. Quand la colère s’élevait, nous y étions bien dedans ! « C’est moi qui ai raison ; toi tu as tort ! » « Vous avez tous tort, c’est moi qui ai raison ! » Nous étions complètement identifiés avec ces tendances de réagir avec colère, de se défendre, de prendre pour soi, et même rester pendant des années avec la rancœur. Tout cela faisait partie de nous, de notre fonctionnement. Et maintenant, c’est ce que nous allons lâcher. Nous allons commencer à nous diriger vers la compassion, l’équanimité, la patience, la contemplation de l’impermanence des choses. Nous nous tournons vers des contemplations qui nous aident à trouver l’ouverture d’esprit qui crée le bonheur et non la souf-france. Mais pour y arriver, il faut abandonner les tendances présentes encore en nous, les attitudes avec lesquelles nous pensions tirer un bienfait.

Prenons l’exemple du désir : si nous n’avons pas bien regardé, si nous n’avons pas la vigilance, nous ne voyons pas que le désir est une source énorme de souffrance. Nous sommes complètement identifiés avec la pensée « Je veux » : « Je veux ceci », « Je veux être avec un tel, une telle » et quand « Je ne veux pas » (c’est juste l’opposé du désir), c’est la colère et nous sommes complètement « col-lés » à elle. Ici, le renoncement, c’est se « décoller », sortir de la glu qui nous tire vers le samsara, c’est se détacher des tendances qui font souffrir. Si nous le voyons et si nous sommes motivés par la com-passion et la sagesse, faisons-le ! Cela ne fonctionnera que de cette façon-là. Si nous suivons des rè-gles sans sagesse et sans compassion, cela ne tiendra pas longtemps. Le désir prendra le dessus.

Donc, peu à peu se développe en nous cette capacité de sagesse et comme nous avons un peu de recul, nous commençons à voir que les émotions fonctionnent toutes de la même manière. Nous pou-vons les observer : elles s’élèvent et nous font agir de telle ou telle manière, ce qui crée beaucoup de situations de tensions avec les autres, dues à la volonté d’avoir, de ne pas avoir ou de repousser les choses (désir et colère, attachement/aversion). Nous voyons comment fonctionnent les différences, le mécanisme de l’orgueil et de la jalousie, de l’ignorance. Nous notons comment toutes ces émotions mènent à la souffrance. Et grâce à la pratique de la bodhicitta, nous avons déjà développé sur ce che-min suffisamment de compassion pour refuser de continuer ainsi. Nous ne voulons plus nuire aux au-tres, ni à nous-même. Nous voyons comment le mécanisme fonctionne et avons assez de discernement pour être capables de nous diriger vers ce qui est véritablement bénéfique. C’est pourquoi nous allons pratiquer la deuxième branche, c'est-à-dire la prévention.

La prévention consistera à ne pas laisser apparaître les actes nuisibles qui ne sont pas encore ap-parus : « Je ne veux pas entretenir de pensées qui feraient émerger la colère ou le désir, qui renforce-raient l’orgueil et la jalousie. Je vais éviter de créer des situations qui feraient naturellement naître en

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moi ces pensées. Je sais que si je regarde tel film ou que si je rends visite à telle personne, je serai en colère. Donc, je vais éviter cette situation. Et si je ne peux pas l’éviter, je pratiquerai la prévention en m’y préparant par la pratique de tonglen par exemple, afin d’avoir une attitude d’esprit différente avant de me rendre auprès de cette personne. Et lorsque je la rencontrerai, je ne serai pas dans la co-lère, mais dans la compassion, dans l’ouverture ». C’est de la prévention active. Il y a aussi la préven-tion passive où l’on évite certaines situations. Il existe de nombreuses méthodes pour éviter les situa-tions difficiles. Il est possible de méditer sur l’impermanence, sur la nature illusoire, prendre refuge, développer la bodhicitta, les quatre pensées fondamentales etc., toutes les pratiques du dharma vont nous aider à nous préparer aux situations difficiles pour que les tendances néfastes ne s’élèvent pas.

La troisième branche consiste à générer l’aspect bénéfique qui n’est pas encore apparu, qui n’est pas présent, en regardant mon esprit que je trouve bien sec, sans compassion. Alors, dans cet état, je peux donner un peu de temps, un peu d’énergie, faire un effort pour développer la compassion. En remarquant mon manque de générosité, je peux en générer un peu plus en développant la gratitude en remerciement de ce que j’ai déjà reçu, j’offre à d’autres un peu de mon temps, de mon énergie, de mes biens. Et ainsi de suite... Des moyens existent pour ouvrir notre esprit pour que ses qualités puissent se manifester. C’est tout à fait possible. Et chaque méthode du dharma ouvre notre esprit pour que ses qualités inhérentes se manifestent puisqu’elles sont naturellement présentes. Nous n’avons pas besoin de les créer, nous avons simplement besoin de leur donner la possibilité de se manifester. Nous avons tous de l’amour dans le cœur, de la compassion, de la générosité, etc. mais souvent (ou parfois), ces qualités sont très cachées et ont du mal à s’exprimer. Les pratiques du dharma visent donc à ouvrir l’esprit et le cœur afin que ces qualités puissent jaillir pour se manifester.

Dans la quatrième étape, la compassion, la sagesse, la patience, la générosité, etc., sont déjà ma-nifestes. Nous ferons en sorte qu’elles ne disparaissent pas mais qu’elles augmentent encore en puis-sance et se développent davantage jusqu’à devenir complètement pures. Par exemple, lorsque la quali-té d’amour est présente, nous remarquons qu’elle est toujours entachée de saisie égoïste. Et la purifier signifie se détendre davantage pour que la saisie égoïste qui l’accompagne diminue. Nous développons les états bénéfiques déjà présents. « Développer » veut dire purifier, augmenter, étendre. Telle qualité peut d’abord être focalisée sur une personne ou sur notre famille, puis nous inclurons progressivement d’autres individus jusqu’à pouvoir englober tous ceux que nous rencontrons, ceux auxquels nous pen-sons et finalement tous les êtres. Pour parler concrètement, ce seront toujours ceux qui se présentent à notre esprit. C’est avec eux que nous avons besoin de développer ces qualités.

Ce qui se passe sur ce chemin d’accumulation est considérable. Dans ce travail, nous renonçons à tout ce qui crée la souffrance pour cultiver tout ce qui est bénéfique. Il est nécessaire d’examiner tous les aspects de notre vie, toutes nos tendances, nos besoins, nos envies, avec un regard méditatif sur ce qui est bénéfique et ce qui est nuisible. Nous maintenons et cultivons ce qui mène vers plus d’ouverture et lâchons ce qui provoque la souffrance. Ceci est un travail de discernement par lequel nous apprenons à diriger notre esprit et à prendre des décisions. « Souhaitons-nous faire telle chose ou pas ? » Et chaque fois que nous prenons une décision, il faut avoir plus de sagesse. Le karma se décide de cette manière.

Le karma est la direction que nous donnons à notre esprit. A quoi va servir notre parole, notre corps ? Ce sont des décisions que nous prenons tout le temps : « Ce soir j’ai décidé de venir ici au lieu de faire autre chose. J’espère que ce choix n’est pas trop nuisible ». Nous décidons toute notre vie de cette manière. Nous faisons des choix qui auront comme résultat une accumulation de mérite dans la mesure où ils seront orientés vers des actes bénéfiques. Le chemin de l’accumulation est donc un cumul des actes de la pensée, de la parole et du corps, toujours davantage dirigés vers ce qui est le plus bénéfique. Cette phase est appelée « les quatre luttes » parce que travailler avec nos émotions ressem-ble souvent à un combat. Il faut être très fort. Nous connaissons la bonne direction mais parfois nous n’avons pas tellement envie de la prendre. La lutte, c’est appliquer ce que nous comprenons déjà et si c’est encore difficile, c’est parce que nous n’avons pas bien compris. Voilà pourquoi cela ressemble parfois à une lutte et lorsque nous avons vraiment compris, la lutte n’existe plus.

Voici l’exemple d’un toxicomane (excellent pour notre état actuel). Nous sommes accros à nos tendances émotionnelles devenues si familières que nous y revenons encore et encore, même si elles

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nous font souffrir. Donc, si comme un toxicomane nous pouvons identifier les situations, les influen-ces qui stimulent ces tendances-là, il faut les couper, se désister, sortir de ces situations et se stabiliser ailleurs dans une ambiance convenable avant de tenter de retourner là où toutes nos faiblesses sont stimulées à fond. Il faut faire très attention. Nous ne pouvons pas aider immédiatement là où nous sommes le plus faible. Il faut d’abord faire un travail sur nous-même. C’est exactement ce qui est re-commandé ici dans la première branche : abandonner ce qui est vraiment nuisible, ce qui crée la souf-france. Il faut être fort pour s’abstenir. Concernant ce travail, je voulais vous donner quelques mots supplémentaires du Bouddha Sakyamuni. Dans un soutra du Angouttara-Nikaya, une collection des divers soutras du Bouddha, il dit :

« Dans celui qui est vraiment dévoué à la pratique, les forces bénéfiques se manifesteront et s’il a développé plusieurs qualités, ce qui est nuisible disparaîtra. En premier lieu, il doit être dévoué. Il doit l’être avec une grande persévérance enthousiaste. Il doit être humble (sans désir de renommée, de louanges). Il doit se contenter de peu, c’est-à-dire ne pas courir après les jouissances sensorielles. Il doit être vigilant et pleinement conscient. Il doit s’attacher à ce qui est bénéfique et non à ce qui ne l’est pas. De plus, il devra avoir de bons amis, de bons exemples à suivre. »

Une personne arrivée à la fin de la voie de l’accumulation sera extrêmement stable dans sa pra-tique de la vertu, de ce qui est bénéfique, et pourra très facilement développer dans sa méditation pro-fonde « les quatre bases des pouvoirs miraculeux » ou les quatre facteurs d’éveil qui constituent la grande voie de l’accumulation. Ces quatre bases sont aussi appelées « les quatre jambes des pouvoirs miraculeux ».

En relation avec le samadhi – absorption méditative profonde – Gampopa utilise ici des abrévia-tions qui signifient : le samadhi lié à l’aspiration, le samadhi lié au courage ou persévérance enthou-siaste, le samadhi lié à l’intention et le samadhi lié à l’analyse. Mais en regardant ce qui se cache der-rière ces termes, nous comprenons qu’il s’agit d’abandonner exactement ce dont il parle ici. Donc, pour arriver à méditer de manière plus naturelle, il faut abandonner :

• la grande force d’aspiration qui cherche à accomplir quelque chose, pour arriver à une médi-tation plus équilibrée ;

• toute forme de persévérance inadéquate. Il faut « laisser méditer » au lieu de « vouloir médi-ter ». Il ne faut pas persévérer et vouloir aller trop loin ;

• l’intention d’obtenir un but. C’est très difficile à faire et très profond. Jusque-là, toute notre force de méditation était de vouloir atteindre cet objectif, d’arriver à voir la nature de l’esprit et maintenant il faut abandonner cette intention parce que tant que nous la maintiendrons nous n’y arriverons pas ;

• l’analyse, c’est-à-dire le regard sur la manière dont nous méditons, mais aussi la méditation analytique dans laquelle le méditant s’analyse lui-même en se posant des questions telles que : « Est-ce que je suis sur la bonne voie ? » C’est très subtil. Il faut lâcher cette analyse.

Ce travail se fait avec une grande finesse parce que seules de petites impulsions se manifestent dans l’esprit, un soupçon de trop d’efforts, de trop de persévérance, une recherche de compréhension, de détente même, une analyse : « Alors, y a-t-il encore un observateur ou n’y a-t-il plus d’observateur ? » Tous ces petits instants, dans l’esprit, très utiles au début pour apprendre la médita-tion, doivent être abandonnés plus tard. C’est le propos des « quatre jambes des pouvoirs miracu-leux ». Quand nous arrivons à stabiliser une méditation complètement recueillie (rassemblée, stable, sans recherche personnelle), des clairvoyances se manifestent. Voilà pourquoi cette méditation pro-fonde de shiné (shamatha) est appelée « base de pouvoirs miraculeux ». Ces pouvoirs ne sont pas sta-bles, ils sont transitoires. Il va de soi que pour développer ces méditations profondes, il faut en même temps faire croître la force de la sagesse, de la compassion et des autres qualités. Ce n’est pas isolé. On ne sépare pas le développement de la méditation des autres qualités. Plus nous développons la stabilité mentale, la compréhension, l’ouverture, la détente, plus nous devenons naturels. – C’était l’explication sur la voie de l’accumulation. Avez-vous des questions à ce sujet ?

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Question : Par rapport à ces quatre pouvoirs miraculeux, si j’ai bien compris, cela devient sa-madhi quand on a abandonné l’aspiration et ainsi de suite…

LL: Samadhi est un terme général pour désigner les absorptions méditatives qui commencent avec le premier samten, le premier dhyâna. Ici, on évoque la capacité de demeurer dans les quatre samten, les quatre dhyânas c'est-à-dire dans une stabilité profonde où l’on n’est plus connecté à cer-tains organes sensoriels. Par exemple, si tu t’approches pour parler à un pratiquant qui est dans un tel samadhi, il ne t’entend pas, il ne te répond pas ; il doit sortir de son absorption pour te répondre. Ce n’est pas simplement une stabilité méditative ordinaire, c’est une stabilité méditative profonde. Est-ce que j’ai répondu à ta question ?

Question (suite) : Est-ce que c’est le fait d’abandonner l’aspiration, le courage etc., qui amène le samadhi.

LL: C’est dans le samadhi même que ce sera abandonné. C’est ce qui va l’approfondir.

Question : Comment fait-on pour sortir du samadhi ?

LL: Comment fait-on ? ! Il faut créer de l’activité mentale.

Suite de l’intervention : S’il n’y a pas de pensées, pas de saisies, pas de volonté ?

LL: Non. Dans ces samadhis, on peut stimuler une volonté parce que ce sont encore des états duels. On a encore une conscience qui peut décider de stimuler davantage d’activité mentale. On ne parle pas ici des absorptions dans le monde de la non forme ou de la forme. Ce sont des absorptions dans le monde du désir. Là, on a encore une conscience qui peut décider dans quelle direction aller. On n’a pas le choix d’aller plus profondément quand on n’a pas encore lâché, que l’on n’a pas le lâcher-prise nécessaire pour aller plus loin.

Question : Est-ce que les pouvoirs transitoires le sont parce qu’il n’y a pas la volonté, ou est-ce que c’est autre chose ?

LL: Il y a moins de volonté et ils sont transitoires parce que cet état d’ouverture ne peut pas être maintenu entre les sessions où il s’affaiblit. Les samadhis eux-mêmes ont encore de petites traces de volonté qui seront abandonnées seulement quand nous entrerons dans les prochaines étapes. Il y a encore une volonté, j’imagine, du point de vue de ceux qui connaissent le samadhi. La différence est encore grande entre maintenant et le chemin de la vision plus tard. Mais du point de vue du pratiquant, c’est déjà un énorme progrès dans le lâcher-prise. Il a l’impression de méditer sans volonté et c’est seulement avec le temps qu’il se rend compte qu’il en reste encore. Donc, même si on parle ici d’une diminution de la volonté, cela va continuer sur le chemin de la jonction. Ce n’est qu’au moment où l’on entre dans le chemin de la vision qu’il n’y a plus d’interférences avec l’état naturel de l’esprit.

Question : Qu’est-ce qu’on entend par « état naturel de l’esprit » ?

LL: C’est l’état non duel, le mahamoudra. On peut utiliser beaucoup d’autres termes, mais cela ne l’expliquera pas mieux.

Suite de la question : Est-ce que tu peux l’expliquer ?

LL: Non, je n’y arrive pas. Même le Bouddha n’a pas donné d’explications !

Suite de l’intervention : Il faut le voir !

LL: Oui, il faut le non voir !

Suite de l’intervention : On ne peut pas donner des qualités ?

LL: Décrire cet état, c’est comme montrer la lune. Tu connais l’exemple. Les mots, les paroles, sont comme le doigt. Et si on regarde toujours le doigt on ne voit pas la lune. Il faut suivre le doigt et regarder dans le ciel pour voir la lune. Donc, si j’en parle, je serai juste capable de semer la confusion, parce qu’il est très difficile de le faire de manière juste. Le Bouddha a préféré dire : « C’est l’absence totale du désir. C’est l’absence totale de l’aversion. C’est l’absence totale de l’ignorance. C’est l’absence totale de toute analyse, etc. » Il a dit : « Voilà ce qui reste. » Bien sûr, il y a d’autres descrip-tions. On parle de la grande joie, de la grande équanimité, etc. Il y a des mots pour ceci. Le plus juste,

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c’est l’absence totale de toute obscurité et de toute souffrance, de tout ce qui ferme l’esprit, de tout ce qui empêche l’esprit d’être complètement ouvert.

D’autres questions ?

Question : « Est-ce que cela signifie qu’il faut passer par tous ces samadhis pour avoir un aperçu de ce qu’est la nature de l’esprit ? »

LL: Oui. Et si nous suivons cette présentation-là, progressive, nous sommes amenés à une réali-sation stable de ce qu’est la nature de l’esprit. Mais quand nous écoutons les explications du maha-moudra, du dzogchen et du vadjrayana, on parle de la possibilité « d’avoir des aperçus » de cet état naturel à n’importe quel moment. Cela peut nous arriver dans une situation assez ordinaire de la vie courante. Cela peut aussi nous arriver dans une méditation sans avoir toute la préparation nécessaire. Par contre, cet aperçu ne sera pas stable. Nous n’aurons pas la capacité de re-contacter à volonté cette dimension. Mais si nous avons parcouru toutes ces étapes-là, quand nous entrerons sur le chemin de la vision, ce sera stable, ce sera une révolution totale de notre être et nous ne retomberons plus parce que nous aurons acquis une totale stabilité sur le chemin de l’accumulation et de la jonction. – Pour être dans la joie de revenir demain, je m’arrête là !

Troisième enseignement

Comme d’habitude, nous allons réciter la louange au Bouddha Shakyamouni.

Avant de continuer le commentaire mot à mot du texte du soutra, j’aimerais vous donner encore quelques explications générales sur la nature de la pratique de vigilance.

Vous avez dû remarquer que dans la pratique de la vigilance posée sur le corps, il y a un encou-ragement à dire : « J’inspire en ressentant le corps, j’expire… » On nomme les choses. Cela semble venir directement du Bouddha Shakyamouni qui utilise ce mode d’expression direct dans le texte d’origine en pali. C’est comme si on utilisait des étiquettes pour dire : « j’inspire », « j’expire » ; « j’inspire longuement », « j’expire brièvement. » On fait la différence et on mentionne ce qui se passe. Ce fait de mentionner l’expérience est plus important que la simple vigilance. On nomme ce que l’on perçoit pour que cela s’ancre dans notre conscience, pour développer un enracinement plus profond. En anglais cela s’appelle « labelling » : étiqueter. Cette technique peut être utile pour rester avec l’observation et aussi pour ramener l’esprit à l’observation. Elle sera donc employée aussi long-temps que nécessaire et sera développée pour remarquer ce qui se passe. Je vais en parler plus lon-guement.

En débutant cette technique, nous disons : « j’inspire », « j’expire ». Nous utilisons le mot « je » comme si un moi inspirait et expirait. Puis nous méditons avec les autres ; il (ou elle) inspire, expire, etc. Il (ou elle) ressent une sensation, il (ou elle) ressent une émotion… Nous remarquons et mention-nons, ensuite nous passons à la compréhension que ces phénomènes se manifestent sans qu’un moi, un je, un autre, le créent. Nous terminons en nous disant : « inspiration », « expiration », « sensation agréable », « sensation désagréable », « colère », « aversion », « attachement »… Nous nommons les choses sans utiliser les pronoms « je », « il », « elle », etc. Avec le temps, nous pouvons les supprimer pour arriver à un constat le plus court et le plus simple possible de ce qui se passe. Ce constat fait le lien entre l’observation, la capacité de savoir et le développement de la sagesse. Quand nous nommons une expérience, elle est comme soulignée. Nous soulignons ce qui se passe parce que c’est un mouve-ment d’esprit supplémentaire qui ajoute une force à ce que nous mentionnons. Donc, quand nous mé-ditons avec la respiration, le fait de penser « inspiration », « expiration », nous aide à rester présents. Quand nous restons présents, sans bouger, sans être distraits, nous n’avons plus besoin de cette éti-quette. Ces étiquettes deviennent de plus en plus importantes quand nous entrons dans l’observation des phénomènes plus subtils comme par exemple l’impermanence, le changement. Donc là, quand nous regardons ce qui apparaît, nous disons « apparition » et quand nous regardons ce qui disparaît, nous disons « disparition ».

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Plus tard, nous dirons : « changement, changement… ». Nous observerons et noterons que cela change : « Tiens, oui, ça change ». Nous remarquerons de façon très basique la réalité du changement : « Oui, encore une fois j’observe que là, ça change ». Nous ne serons plus concernés par l’action d’inspirer, d’expirer, par la présence ou l’absence d’une sensation, mais seulement par le fait que cela change. La vie est constamment en mouvement et nous noterons ce changement. Et une fois que nous serons bien en contact avec ce changement, nous n’aurons plus besoin de dire « ça change ». Les pra-tiquants de la tradition palie répètent « anicca, anicca, anicca… », qui signifie « impermanence », « non permanent ». Ils nomment tout ce qui s’élève pour bien remarquer la réalité de base, la vérité de la vie, que tout change. Et quand nous arrivons à une présence complète avec ce qui change, nous n’avons pas besoin de continuer à nommer les choses.

Je vous encourage à faire comme Bouddha Shakyamouni l’a préconisé, c'est-à-dire de toujours débuter la méditation en étiquetant ce que vous avez choisi comme objet ou support de votre médita-tion. Puis, quand votre esprit sera bien établi dans la méditation, quand il ne sera plus distrait, là vous pourrez aussi lâcher cette méthode préliminaire parce vous n’êtes pas des pratiquants qui passez votre temps à étiqueter. Ce serait une complication supplémentaire. Ici, nous utilisons cette méthode pour que d’autres pensées ne nous entraînent pas ailleurs et ne nous distraient pas de notre observation.

Nous avons parlé de nommer les choses comme « impermanentes » et si nous continuons à re-marquer que rien n’est permanent, nous observons un changement d’attitude dans notre esprit : nous saisissons moins ce qui change. Notre attachement habituel – notre saisie – est basé sur la notion que les choses restent comme elles sont. Nous saisissons fortement – par exemple une personne que nous aimons beaucoup, ou nous-même, ce corps – sans être vraiment conscients du fait que le changement est permanent, qu’une personne très agréable aujourd’hui peut être très désagréable demain et à nou-veau agréable le surlendemain. En voyant que c’est variable nous saisissons moins les moments désa-gréables, tout comme les moments agréables. Il y a donc moins d’identification.

Nous notons aussi que le fait de saisir crée une tension dans l’esprit. Le Bouddha appelait cela « dukkha » : la souffrance. Quand le pratiquant remarque le fonctionnement de son esprit, il nomme le processus d’attachement à une sensation agréable ou l’aversion par rapport à une sensation désagréa-ble : dukkha, base de souffrance. Il l’a identifiée. C’est aussi ce que nous allons faire : identifier que cette forme de fonctionnement ne mène pas au bonheur, à l’ouverture d’esprit. Nous commencerons à voir ce qui se passe et peu à peu nous ressentirons que dans les sensations physiques des cinq sens extérieurs, dans l’esprit avec toutes les pensées qui s’élèvent, il n’y a pas de moi ; cela change tout le temps. L’attachement crée la souffrance, le lâcher-prise crée l’ouverture et nous commençons à sentir peu à peu l’absence du moi, du je, ce que les pratiquants palis appellent encore aujourd’hui : « anatta » ou « an-atman » ce que veut dire : pas de soi, non soi, absence d’une identité durable qu’on pourrait appeler « la personne » pour toujours.

Donc, dans ce changement, dans l’absence de saisie, il n’y a pas de moi stable. Le moi (le je) est un phénomène qui change tout le temps. La personne est en continuelle transformation. Et nous cons-tatons ces vérités de base en utilisant de petits rappels tels que les étiquettes :

• anicca : non permanence donc changement ;

• dukkha : état non satisfaisant, base non fiable pour l’attachement, car s’attacher ou s’identifier sera la cause d’une souffrance ;

• anatta (an-atman) : il vaut mieux voir que tout fonctionne tout seul même en l’absence d’un moi, d’un soi, stable et fixe.

Ce sont les trois étiquettes les plus connues et les plus utilisées dans le bouddhisme Theravada. Cependant, le Bouddha ne conseille pas de commencer avec elles, mais préconise d’abord de nommer simplement ce que nous ressentons et de ne pas nous imposer des étiquettes qui ne nous parlent pas encore. Donc, tant que nous ne voyons pas le changement, il ne faut pas travailler avec l’étiquette « ça change ». Ce n’est qu’à partir du moment où nous discernons ce changement que nous pouvons ren-forcer cette observation. Quand nous notons qu’il n’y a pas une base fiable pour le bonheur, là nous disons : « Attention ! Dukkha ! Base de souffrance si je m’y attache. » Et quand nous voyons vraiment qu’il n’y a pas de soi, là nous pouvons dire : « anatta », mais doucement, sans forcer les choses, en

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soulignant juste un petit peu ce que nous remarquons en disant : « sensation agréable », « sensation désagréable », « aversion », « attachement », « indifférence », « ennui »… De cette manière nous pou-vons simplement mettre le mot sur ce que nous vivons, pour être un peu plus conscients de ce qui se passe.

Dans le passé, j’ai constaté chez certains pratiquants une tendance à vouloir se convaincre que la réalité est exactement la même que celle qui est décrite dans les textes, comme ici par exemple, lors-que l’enseignant nous décrit la vérité. Ils s’asseyaient et méditaient en essayant de se persuader : « D’accord, anatta, anatta ; pas de soi, il n’y a pas de soi. » Cela ne peut pas fonctionner de cette ma-nière. En effet, cela crée encore des tensions, une lutte intérieure avec notre conviction que le moi existe. Il faut nommer seulement ce que nous voyons et arrêter de nommer quand il n’y a rien à nom-mer. C’est extrêmement simple. Il semble que le XVIe Karmapa utilisait aussi cette technique comme moyen pédagogique pour les tulkous (jeunes lamas incarnés) qui voyageaient avec lui. J’ai entendu dire qu’une fois – alors qu’à l’arrière de la voiture se trouvaient Shamar Rinpotché, Sitou Rinpotché, Djamgueun Kongtrul – en les entendant discuter, le Karmapa (assis à côté du chauffeur) s’était retour-né et leur avait dit : « jalousie », « orgueil », « attachement ». Il les aidait ainsi à identifier les émo-tions sur l’instant en leur offrant juste une petite étiquette. Et dès qu’ils entendaient ces mots-là, ils savaient qu’il fallait lâcher prise. Le simple fait de mentionner nous aide donc à appliquer ce qui est nécessaire, soit pour lâcher, soit pour conduire un examen plus approfondi. Il faut juste que la cons-cience soit stimulée pour voir ce qui se passe vraiment. C’est l’utilité des étiquettes.

Dans ma propre pratique je fais de même. Quand l’orgueil s’élève dans mon esprit, une pensée dit : « orgueil », quand s’élève la jalousie : « jalousie ». Il faut juste nommer, le reste se fait tout seul parce que nous ne sommes plus aveugles, nous ne sommes plus aveuglés par notre propre émotion. Dès que nous la voyons – et si nous sommes réellement motivés à ne pas continuer avec –, tout de suite s’installe le réflexe du pratiquant de dissoudre cette émotion en tournant son esprit ailleurs. C’est la pratique avec les étiquettes. Je vous encourage à les utiliser pour bien connaître cette méthode mais n’en faites pas une méthode à vie et pour toutes les situations. Il faut l’utiliser au moment où elle convient le mieux, lorsque vous la ressentez comme une aide.

En général les maîtres tibétains n’aiment pas trop les étiquettes, mais pour les débutants que nous sommes il semble qu’elles nous aident vraiment. Guendune Rinpotché nous a donné d’autres formes d’étiquettes car lui aussi aimait bien que nous travaillions un petit peu avec des rappels de la nature de ce qui se passe.

Regardons maintenant la suite des explications (page 3) : « Les postures ».

« Qui plus est, en marchant nous savons : ‘Je marche’ et en étant debout : ‘Je suis debout’. Etant assis, nous savons : ‘Je suis assis’ et étant couchés : ‘Je suis couché’. Nous connaissons la pos-ture du corps dans toutes ses positions. »

C’est la pratique la plus simple. Dans le commentaire sur le Satipatthana soutra il est dit que si l’on voulait ranger les pratiques par ordre de facilité, celle-ci devrait se trouver au début. La cons-cience de la posture, c’est la conscience toute simple. Elle consiste à rester dans le présent en étant liés avec la posture du corps assis et à ressentir le fait d’être assis (avec tout ce que cela signifie). Nous ressentons par exemple, le point de contact sur le sol comme vous l’avez pratiqué avec Henri ces der-niers jours. Cela peut encore s’affiner en posant le regard sur la façon dont nous sommes assis : où sont les bras, les jambes ? Comment la colonne vertébrale, le dos et le ventre sont-ils positionnés? Nous observons en premier le fait tout simple d’être assis, puis les détails de ce qu’être assis veut dire.

Nous suivons la même procédure quand nous marchons : nous sommes d’abord pleinement conscients de marcher, sans avoir l’esprit ailleurs – je marche –, – ça marche –, puis nous regardons comment nous marchons, que font les bras, les jambes, le corps. Nous commençons à ressentir les détails de ce que marcher veut dire.

De la même manière, quand nous sommes debout, sans bouger, nous ressentons le sol, les pieds. Nous sommes immobiles, debout et nous ressentons le fait d’être debout. Nous ne sommes pas ail-leurs, dans des projets, nous sommes là, dans l’instant présent avec la conscience d’être debout, sur

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nos deux pieds (ou sans pieds ! Qui sait ?) Il faut regarder comment nous sommes positionnés. Que se passe-t-il dans notre corps ? Quelles sensations ressentons-nous ?

C’est la même chose quand nous sommes allongés, couchés. Nous sommes conscients d’être couchés. La journée est passée, la nuit n’est pas encore commencée. Nous sommes là. Comment sommes-nous allongés ? Quels sont les points de contact du corps avec le sol (ou le matelas) ? Com-ment le corps est-il positionné ? Que se passe-t-il dans le corps quand nous sommes couchés ? Donc, être présent à la posture peut devenir quelque chose de très subtil. Il y a d’abord le constat grossier : « Voilà la posture », puis cela s’affine par l’apparition de tous les détails qui accompagnent ce vécu dans cette posture.

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation du corps de façon interne, externe ou les deux à la fois. Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant le corps. La vigilance ‘il y a un corps’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance di-recte et une vigilance stable. Et nous demeurons indépendants, sans attachement à rien au monde. »

C’est le refrain. Il est extrêmement important parce qu’il nous dit tout ce qu’il y a à faire avec le petit exercice donné : « la contemplation du corps de façon interne » avec « mon » propre corps ; et « externe », je regarde, je suis conscient de la posture des autres. Comment sont-ils (ou sont-elles) positionné(e)s ? Puis « les deux à la fois » : interne et externe. Là, je regarde quelle est ma position dans l’espace, celle des autres. J’ai une vision globale de la situation. De cette manière, nous commen-çons à développer une vigilance, une présence qui nous permet par exemple d’être conscients que nous sommes assis, là, et en même temps d’être conscients de la présence des autres dans la salle et de la façon dont ils sont présents. C’est une vigilance qui s’étend pendant toute la durée d’une situation.

Puis, on nous dit de « contempler le phénomène de l’apparition ». « L’apparition » sous-entend le début d’une nouvelle posture : nous étions assis et maintenant nous nous levons (ou bien une per-sonne se tourne), nous remarquons le changement. Une posture apparaît, une autre disparaît. Nous remarquons le changement. Par exemple, en ce qui me concerne, je remarque tout le temps que je bouge, mais en même temps je remarque que vous aussi vous bougez. Et du fait d’être un peu en contact avec vous, je remarque que cela commence à devenir long pour vous parce que vous changez de posture. C’est peut-être l’indication que la posture que vous venez de quitter était devenue un peu désagréable, un peu source de souffrance. On peut spéculer là-dessus. Mais l’observation, la vigilance, c’est de voir par exemple que dans ce coin-là de la salle, il y a davantage de changement de posture que dans cette autre partie. Le remarquer, c’est cela la vigilance. Si nous ne l’observons pas, c’est que la vigilance doit être ailleurs. Si nous le remarquons, nous pouvons ou non en tirer des conclusions, mais si la vigilance fait défaut, nous ne pourrons jamais en tirer des conclusions.

Donc, la vigilance se pose sur soi-même et sur les autres. Elle nous aide à établir une bonne base d’observation pour constater ce qui se passe. Et si nous avons appris simplement à constater, nous nous disons : « Oui, le fait que d’autres changent de posture ne veut pas nécessairement dire qu’ils ne sont pas intéressés par l’enseignement. C’est peut-être seulement que la posture ne leur convient plus. » Nous n’allons pas plus loin que cela. Nous distinguons la partie spéculative, de l’observation toute simple sur laquelle nous pouvons nous baser. Elle est sûre, le reste ne l’est pas. Tout ceci pour apprendre à nommer seulement ce qui se passe sans en tirer des conclusions.

Quand nous voyons les changements constants des corps dans l’espace, nous voyons que notre vie est une série de changements. Combien de fois avons-nous déjà changé d’endroit depuis ce matin ? Et même la nuit nous changeons encore de place, de position. Notre vie est un changement continuel. Et dans cet apprentissage, nous sélectionnons les postures pour en devenir conscients, pour voir que ces postures et tout ce qui semble être stable, est juste temporaire. Nous avons l’illusion d’une stabilité juste un bref moment. De tous petits changements ont lieu constamment et nous en devenons cons-cients. Nous prenons conscience que cet aspect de la réalité aussi est soumis à la loi du changement. Cela n’en fait pas exception.

Dans le refrain il est dit : « La vigilance ‘il y a un corps’, est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable. » Nous remarquons que le corps est debout ou assis ; ou bien nous pensons : « assis », « debout », etc., avec les détails de l’expérience immédiate et nous faisons ce simple constat : phénomène physique ; phénomène corporel. Il s’agit d’un constat dans

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la mesure nécessaire pour une connaissance directe et objective de la situation et non le constat sur des imaginations, des hypothèses de la situation. Nous constatons que cela bouge dans l’espace. Par exemple, quelqu’un regarde sur la droite et redresse la tête : simple constat. Il n’y a pas de constat sur ce qu’il aurait peut-être pensé, de ce qu’il aurait peut-être cherché à faire. Non, il y a juste le constat du mouvement, de la posture. C’est l’entraînement à faire, celui de rester très simple.

Continuons avec le refrain : « Et nous demeurons indépendants ». Selon les commentaires « demeurer indépendant » veut dire deux choses : demeurer indépendant des attachements sensoriels ou de l’expérience sensorielle et demeurer indépendant des vues erronées. Ce sont deux aspects consi-dérables de ce qui mène à des interprétations inexactes sur la réalité. Parce que j’aime, parce que je suis attaché, j’ai une vision faussée de ce qui est là en face de moi. L’attachement aux sensations sen-sorielles voit quelque chose de beau, d’attirant, à la manière d’un zoom qui grossit. On ne voit que cela et cela devient magnifique, énorme dans l’esprit. Cet attachement aux expériences sensorielles fausse la perception des choses. C’est la même chose avec l’aversion. L’aversion envers une douleur dans le genou pendant la méditation peut devenir énorme : « Mais quelle douleur ! Mais quelle dou-leur ! » Et il suffit de bouger un tout petit peu pour que la douleur disparaisse : « Comment une telle douleur peut-elle partir aussi vite ? » Parce que nous avons amplifié la perception de cette douleur avec toute notre aversion, alors qu’elle disparaît dès que nous bougeons. Et nous pouvons voir que sans bouger, en équilibrant simplement la vision des choses, la perception change. C’est donc cela « demeurer indépendant des fixations sur les expériences sensorielles ».

La deuxième clé donnée ici, c’est de rester libre des vues erronées. C’est très profond égale-ment. On pourrait dire : rester libre, indépendant des présuppositions sur la réalité, de toutes les hypo-thèses que nous formulons dans notre esprit sur ce qui devrait être. Bien sûr, le Bouddha souhaitait que nous commencions notre chemin de pratique en abandonnant cette hypothèse qu’un moi, une âme, un je, un atman, quelque chose de solide existe en nous. Il conseillait de se libérer de cette présupposition sur la réalité et d’examiner : « Est-ce que le moi existe ? » ou d’autres idées comme : « Il n’y a pas de lien entre deux situations », « Il n’y a pas de lien entre cause et effet ». Pourquoi dire « Non, cela n’existe pas. Je n’ai même pas besoin de regarder parce que je sais que cela n’existe pas. »

Donc, quand nous méditons, nous essayons de tout mettre de côté, tout ce que nous avons for-mulé comme étant nos propres croyances et nous restons indépendants de celles-ci. Nous sommes des chercheurs véritables, des scientifiques qui n’ont pas de dogmes à prouver mais qui veulent connaître la réalité. C’est ce que veut dire : « rester indépendant des vues erronées ». C’est rester indépendant des vues qui sont des formulations hypothétiques.

Réflexion : Quand j’ai mal aux genoux, j’essaie de diriger intensément mon attention sur autre chose pour décrocher de la fixation portée à ma douleur.

LL: Quand nous travaillons avec une douleur, dans le genou par exemple, nous n’arrivons pas à nous mettre dans la réalisation d’un grand pratiquant qui ne s’identifie plus du tout avec son corps et peut laisser son esprit libre, ailleurs. Il faut avoir beaucoup de patience, avoir plutôt une attitude un peu fluide comme jouer avec les phénomènes et d’abord regarder si la douleur est solide, si nous pou-vons découvrir un mouvement dans la douleur elle-même, si cette douleur est permanente ou si elle est aussi soumise à l’impermanence. De temps en temps, nous pouvons laisser l’esprit se poser ailleurs puis revenir là-dessus. Nous pouvons voir ce qui change quand l’esprit part sur autre chose et puis revient. Est-ce que la douleur augmente entre temps ou est-ce qu’elle s’atténue ? Au cours des années de pratique, nous nous entraînerons avec des milliers, des dizaines de milliers de sensations agréables et désagréables, jusqu’à développer une certitude sur ce qui est créé par le corps, sur ce qui est créé par l’esprit et comment les deux travaillent ensemble. Nous découvrirons et vérifierons encore et encore beaucoup d’observations comme celle-là, ce qui nous aidera à devenir plus assurés dans le constat de ce qui est véritablement. Cela prendra plus de temps que ce que nous pensons habituellement.

Question : Que faut-il faire des sensations désagréables ?

LL: Il n’est pas nécessaire de vouloir se décrocher de la sensation, nous pouvons l’utiliser pour développer davantage de compassion. Nous n’avons pas besoin de fuir les sensations désagréables et d’en faire abstraction, nous pouvons carrément les utiliser pour développer plus de compassion. Nous avons vraiment beaucoup de moyens pour pratiquer avec les sensations.

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Avant de terminer, j’aimerais encore vous expliquer la formulation « sans attachement à rien au monde » parce qu’elle n’a pas moins de profondeur que les autres.

« Sans attachement à rien au monde » veut dire : sans attachement aux cinq skandhas. C’est la connotation primaire de ce terme. C’est être sans attachement à la forme, aux sensations, aux distinc-tions, aux samskaras (les facteurs formateurs) et ensuite à l’esprit lui-même (à la conscience elle-même). Cela signifie que nous restons sans identification envers ce à quoi nous sommes normalement identifiés. Nous sommes donc encouragés à méditer sans identification aucune. Si nous pouvons médi-ter de cette manière, progressivement bien sûr, la méditation s’approfondira parce que tous les obsta-cles sans exception viennent de cette identification. Et quand elle aura disparu, nous serons dans la nature de l’esprit, dans la non identification, dans l’absence d’un moi, d’un je et de tout sentiment égoïste. Pour le pratiquant, cela veut tout simplement dire : « Quand je remarque un attachement, je m’en défais, je lâche cet attachement. » Donc là aussi, nous n’avons pas besoin de brûler les étapes, de toute façon nous ne le pouvons pas, nous travaillons constamment avec l’attachement présent, avec ce que nous identifions.

Le Bouddha nous a fait là un cadeau de simplicité. Il n’a pas dit : « Sans attachement aux cinq skandhas ». Il a dit : « A rien au monde ». Donc, il nous a laissé découvrir par nous-mêmes ce qu’est notre attachement présent et c’est avec cela que nous travaillons et de cette manière nous avançons. Quand nous sommes assis, nous remarquons de petits attachements et même si c’est seulement pen-ser : « J’aimerais bien que ça se termine plus tôt » ou « J’aimerais bien que ça continue », nous le re-marquons et nous nous en libérons. Ainsi, au moment où nous lâchons cet attachement, notre médita-tion s’approfondit. Nous pouvons le voir tout de suite, sans attendre. Quand nous lâchons prise sur un espoir, une crainte ou n’importe quelle forme d’attachement, immédiatement (et pas une seconde plus tard !), nous en ressentons le bienfait car une détente toujours plus profonde s’installe. Nous progres-sons donc de cette manière en approfondissant notre pratique : nous lâchons ce que nous pouvons et nous gardons ce que nous ne pouvons pas lâcher. Là aussi il faut nous accepter avec nos limitations. (Pour ma part, si je pouvais lâcher, je serais déjà un bouddha, mais bon, comme je ne le peux pas, je suis toujours là sur le chemin.) Il faut continuer, il faut apprendre. Ce que le Bouddha appelait dukkha (la souffrance), c’est ce qui est difficile à abandonner et qui nous pose des problèmes, et pourtant il faut le faire sinon nous ne trouverons ni le bonheur, ni la joie. Si notre esprit est ouvert, la joie, le bon-heur, l’ouverture, sont présents, pas besoin de lâcher davantage, mais dès qu’un attachement ou une petite fixation se greffe dessus, dukkha apparaît. Est-ce que ce refrain vous semble clair maintenant ?

Question : Qui fait le constat du non-moi ?

LL: Voilà pourquoi c’est une méthode limitée. Le véritable non-soi, non-moi, ne peut pas être constaté par quelqu’un. Il faut juste constater que tout fonctionne bien sans « moi », sans interférence. Pour que « ça » respire, je n’ai pas besoin de dire « maintenant j’inspire » et « maintenant j’expire ». Cela fonctionne tout seul. Donc, au lieu de dire « anatta », nous pourrions dire « ça marche tout seul ». Nous pouvons trouver des étiquettes plus exactes qui parlent de notre expérience directe au lieu de prendre des termes un peu intellectuels, philosophiques, dont nous n’avons pas une compréhension profonde. Quand j’étais débutant dans la tradition Theravada, on m’a fait pratiquer anicca, dukkha, anatta… Anicca, je comprenais encore, mais pratiquer avec dukkha et anatta, me semblait aller un peu loin. Ces termes ne s’accompagnaient pas encore d’une compréhension intérieure. C’était comme pla-quer des étiquettes et je me posais les mêmes questions que toi : « Mais, qui dit anatta ? » « Pourquoi tout cela ? » « Dukkha ? » « Ce n’est pas si grave que ça ! » « Non, je n’ai pas dukkha, non ! » « Pour-quoi tout appeler dukkha ? Non. » Donc, il ne faut pas utiliser les étiquettes qui n’ont pas encore de sens pour nous. Il faut utiliser vraiment ce qui convient. De cette manière nous éviterons un schisme entre ce qui devrait être (à cause de l’enseignement) et ce que nous sommes véritablement. – Nous terminons là pour ce matin.

Question : Est-ce que le fait de se concentrer sur l’action de marcher ne nous isole pas des autres ou de l’environnement ?

LL: Oui, bien sûr, au début cela peut avoir cet effet mais nous n’en resterons pas là. Nous allons commencer à marcher tout en ressentant la respiration, puis nous allons marcher, respirer, voir – voir, marcher, respirer, voir, entendre – marcher, respirer, voir, entendre – être conscients des autres. C’est

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progressif. Comme avec toute pratique, nous élargissons le champ de notre sati, de notre vigilance, jusqu’à ce que nous puissions être présents dans l’instant même avec une vigilance panoramique, sans être distraits par autre chose. Parce que nous le pouvons bien, nous marchons, nous sommes conscients de toute chose et nous sommes distraits, parfois les pensées sont bien loin. Nous sommes capables de développer une présence qui ne nous ferme pas et c’est le but de la méditation. Nous allons donc ap-prendre à ne pas laisser l’esprit glisser dans des pensées non bienfaisantes et allons garder une pré-sence bénéfique. Quand nous avons quelque chose à penser, nous y pensons et quand il n’y a rien, nous retournons à la présence toute simple. Cet apprentissage est fait pour vous simplifier la vie à l’avenir, même si sur l’instant cela vous semble peut-être compliqué. Il faut penser quand c’est néces-saire et être juste présent quand nous n’avons pas besoin de penser.

Méditation guidée

Au cours de cette session, nous allons pratiquer dans différentes postures. Pour cela, répartissez-vous dans la grange en prévoyant suffisamment de place autour de vous pour pouvoir vous allonger. Je vois que certains sont pressés de méditer dans cette position !

Avant de commencer, nous réciterons le soutra (en allemand aujourd’hui). Ceux qui ne parlent pas allemand, le font simultanément dans la langue qui leur convient. Nous lirons la première page, puis la troisième en incluant même la partie sur les activités que je n’ai pas encore expliquée.

« Voici ce que j’ai entendu. Une fois le Bienheureux se trouvait au pays des Kurus près de la ville de Kammasadhamma. Là, il s’adressa aux pratiquants : ‘Pratiquants’. Ils répondirent ‘Vénéra-ble’, et le Bienheureux dit :

[LE CHEMIN UNIQUE]

[…]

[POSTURES]

[…]

[ACTIVITES]

[…] »

Dans ces instructions, le Bouddha Shakyamouni commence par l’action de marcher, ensuite l’activité se calme. On reste debout, puis on s’assoit, puis on s’allonge. Il y a donc un ralentissement du mouvement. Nous ferons l’inverse de ce processus habituel : nous commencerons par nous allon-ger, puis nous nous assiérons, ensuite nous resterons debout et marcherons un peu (ce qui nous per-mettra de pouvoir aller dehors).

A partir de maintenant et de la posture actuelle, je vous invite à garder la pleine conscience de chaque mouvement. S’allonger est déjà un acte pleinement conscient accompagné de vigilance. Je vais vous guider un peu pour que vous preniez conscience des différentes phases de ce mouvement. (Je pose d’abord mes documents en toute conscience !)

Actuellement, nous sommes assis. Regardons où nous pouvons nous allonger. Nous allons tour-ner le corps, arranger nos vêtements, voir où nous voulons mettre un coussin et nous accompagnerons chacun de nos actes avec la vigilance.

Allongeons-nous lentement…

Puis, allongés sur le sol, nous observons tout d’abord comment le corps est positionné… Quels sont les points de contact avec le sol ?… Comment sont positionnés les pieds ?... Les chevilles ?… Les mollets ?… Les genoux ?… Les cuisses ?… Le bassin ?… Sentons bien tous les points de contact…

Nous continuons avec le dos et le ventre, le bas du dos, le haut du dos… les épaules… les bras, les coudes, les avant-bras, les mains…

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Nous remontons des bras jusqu’aux épaules, à la nuque, au cou, à l’arrière de la tête, au restant de la tête… Nous ressentons la tête entière… la nuque et le cou, ensemble… toute la région des épau-les… les deux bras… le dos entier… le torse (la poitrine et le ventre, ensemble)… le torse entier ; les hanches, les fesses, le bassin, toute cette partie dans son ensemble… la jambe gauche en entier et la jambe droite toute entière… les plantes de pieds… les deux jambes en entier, en même temps… nous y incluons le bassin, toute la partie inférieure du corps… puis toute la partie supérieure du corps, avec la tête… puis le corps entier…

Nous nous promenons dans les différentes régions du corps jusqu’à pouvoir le sentir dans sa globalité… du haut de la tête jusqu’aux plantes de pieds… en le traversant doucement du haut vers le bas, en ressentant le corps allongé dans son entier et quand nous arrivons en bas, nous restons un petit moment dans la présence des plantes de pieds…

Puis nous remontons depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête en faisant le voyage inverse et en ressentant toutes les sensations présentes dans les jambes, le bassin, le bas du corps, le haut du corps, les bras… jusqu’au sommet de la tête. Si vous le souhaitez, vous pouvez poser l’esprit un peu plus longtemps sur les paumes de la main…

Nous remarquons que le corps est allongé et en même temps tout ce qui se passe dans ce corps. Ce corps allongé respire et en même temps de nombreuses sensations surgissent de toutes parts…

Etant allongés, nous inspirons et expirons tout en ressentant le corps entier : inspiration, expira-tion…

« Ca » respire en présence de nombreuses sensations… le corps allongé… le corps vivant, en plein changement tout le temps ; ça vit, ça respire, ça change…

Maintenez cette présence, cette vigilance, pendant quelques minutes de silence encore…

Maintenant, nous allons nous asseoir très lentement. Chaque mouvement sera effectué en cons-cience. Chacun bougera probablement différemment pour rapprocher les jambes ou bouger le corps et s’agenouiller afin de reprendre la posture assise. Peut-être aurons-nous besoin d’un support sur lequel nous appuyer. Tous nos petits mouvements peuvent être interrompus à tout moment pour bien ressen-tir le changement de position et en prendre conscience. Chaque petit mouvement mérite notre atten-tion.

Nous sommes assis (nous connaissons bien cette posture parce que c’est celle que nous adop-tons habituellement pour la pratique). Assis, prenons contact avec le corps entier… avec les points de contact sur le sol, avec les jambes, le bassin, la partie supérieure du corps, la nuque, le cou, la tête… Ressentons le contact avec le sol, la terre et la verticale…

Puis, nous allons nous mettre debout par petites étapes, en pleine conscience, chaque mouve-ment étant accompagné de vigilance. Vous allez rester debout, sur vos deux pieds. Pour cela, vous regarderez comment vous changez de position pour être debout, de quel côté vous allez vous pencher, comment vous allez créer un peu d’espace, balancer le poids du corps… Chacun se mettra debout à sa convenance.

Nous sommes debout, chacun à notre façon, et nous ressentons ce que veut dire « être debout » : le contact avec le sol, les pieds, les chevilles, les mollets, les genoux, les jambes, toute la région du bassin, les hanches, le dos, le ventre, la poitrine, le cou, la nuque, la tête, les épaules et les bras, jus-qu’en bas. Nous sommes debout, en relation avec toutes les sensations à l’intérieur du corps. Il y a de toutes petites corrections, de petites tensions, des lâchers prises, accompagnés par des sensations, juste pour pouvoir rester debout… De la plante des pieds au sommet de la tête, jusqu’aux paumes des mains, nous ressentons le corps entier… Et comme toujours, c’est très vivant ; inspiration, expira-tion… Il y a des petites sensations dans tout le corps…

Maintenant, je vous invite à bouger, c’est-à-dire à marcher. Je vais m’arrêter de parler pour que chacun découvre la méditation en marchant. Restez toujours en contact avec tout ce qui se passe dans le corps, avec la respiration, le visuel et l’auditif (tout ce qu’on peut voir et entendre). Chacun est donc invité à découvrir la vigilance dans chaque instant. A la fin de la session je sonnerai le gong. Alors, bonne découverte.

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Les cinq voies III (Gampopa)

Concernant «La voie de la jonction », Gampopa dit :

« Quand on est parvenu au terme de la voie de l’accumulation suprême, viennent ce qu’on ap-pelle les quatre éléments du discernement certain, lesquels s’apparentent à la réalisation des quatre vérités. Ces quatre degrés portent les noms de ‘chaleur’, ‘sommet’, ‘patience’ et ‘suprême état mon-dain’. »

Dans le point que Gampopa est en train de faire entre « le chemin de l’accumulation » et la ré-alisation des « Quatre Nobles Vérités », il y a un pont, une phase intermédiaire appelée « le chemin de la jonction ». C’est un chemin qui nous fait traverser les quatre étapes encore nécessaires pour arriver à une certitude sur ce que sont les Quatre Nobles Vérités. On l’appelle « chemin de la jonction » ou aussi « chemin de la préparation » parce qu’il nous prépare à la compréhension des Quatre Nobles Vérités.

Tout au long des quatre étapes sur le chemin de la jonction, la compréhension des Quatre No-bles Vérités s’approfondit davantage jusqu’à devenir non conceptuelle, jusqu’à acquérir une compré-hension directe, c’est-à-dire une réalisation. Regardons ce que le texte nous dit :

« Pourquoi cette voie est-elle appelée ‘voie de la jonction’ ? Parce qu’elle fait le lien avec la réalisation parfaite de la vérité. Aux stades ‘chaleur’ et ‘sommet’, on possède cinq ‘facultés’ :

• foi, • courage, • vigilance, • absorption méditative, • sagesse. »

Vous vous rappelez peut-être que le premier jour j’ai fait une petite digression en vous expli-quant déjà les termes « chaleur » et « sommet ». Je vous en redonne le sens.

« Chaleur » fait référence à la chaleur de la flamme de la sagesse. A ce stade, on commence à tellement s’habituer à la pratique que l’esprit est très ouvert et la sagesse très présente. On dit que la flamme de la sagesse commence à développer sa chaleur. On commence à comprendre de mieux en mieux les Quatre Nobles Vérités grâce à des absorptions méditatives profondes qui font naître cette compréhension.

Le « sommet » est un samadhi très profond qui répand la lumière de la sagesse et comprend la Vérité - les Quatre Nobles Vérités - et cette compréhension devient de plus en plus intime, vient de l’intérieur de l’être ; elle n’est pas intellectuelle, mais basée sur des aperçus très profonds dans la mé-ditation.

Dans son œuvre « Gateway to knowledge », Mipham Rinpotché ajoute que celui qui atteint ce « sommet » - cette absorption profonde - n’a plus de vues erronées concernant la personne, ce qu’est une personne et ce que sont les phénomènes. Grâce à sa compréhension intellectuelle, sa méditation conceptuelle est devenue complètement juste, même avant d’avoir atteint la réalisation, même si elle n’est pas totalement non conceptuelle. Cependant, cette personne ne fera plus d’erreurs en parlant des Quatre Vérités ou de la nature des choses. Si vous regardez le texte, on dit que :

« Au stade de la ‘patience’ et du ‘suprême état mondain’, ces cinq facultés deviennent les cinq ‘forces’3 qui sont : foi, courage, vigilance, absorption méditative et sagesse. »

La différence avec les cinq facultés vues précédemment est qu’ici, sur les deux dernières étapes du chemin de la jonction, ces cinq capacités – qui oscillaient encore – deviennent complètement sta-bles au niveau des deux premiers degrés : « chaleur » et « sommet ». Ici, dans l’absorption méditative, elles deviennent complètement stables, ce qui va produire, sans failles, l’entrée sur le chemin de la

3 ou pouvoirs

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vision et la réalisation de la vérité profonde. Ces cinq qualités ne peuvent pas être séparées, nous ne pouvons pas dire : « Un peu plus de foi ou de confiance avec un peu moins de ceci. » Il n’y a qu’un seul état d’esprit. C’est un recueillement dans un samadhi, dans une absorption méditative où la confiance dans les Quatre Nobles Vérités est déjà présente. C’est très fort, nous n’avons plus peur de lâcher, nous n’avons plus peur du néant ou de la vacuité ou d’un abandon total de nous-mêmes.

Bien sûr, il y a une persévérance joyeuse, une joie de méditer qui ne manque pas du tout d’élan. Nous n’avons pas besoin de nous motiver pour pratiquer, ni de chercher des finalités supplémentaires, tout est déjà là, la pratique se fait naturellement. La vigilance est devenue complètement stable : elle remarque tout ce qui se passe dans l’esprit sans exception. Aucune pensée, aucun mouvement de l’esprit ne lui échappe. C’est tout à fait naturel et ne demande aucun effort.

Ici, quand on parle de samadhi, d’absorption méditative, il s’agit d’une qualité d’absorption où l’esprit peut demeurer sans aucune pensée. Aucun mouvement ne se produit si nous ne le souhaitons pas, parce qu’il n’y a plus d’attachement au monde, de besoins personnels etc. Je ne parle que des temps de samadhi, des moments de méditation où la personne est en recueillement, parce que lors-qu’elle sort de ces états, elle peut encore manifester des émotions, etc. Je parle d’une stabilité de ces cinq forces se combinant à ce moment-là pour faire entrer l’esprit dans ce qui va produire la réalisation de la nature de l'esprit : les Quatre Nobles Vérités avec en plus la sagesse, c’est-à-dire : savoir ne pas perturber le lâcher-prise, savoir lâcher, savoir faire confiance, savoir comment gérer l’esprit pour qu’il puisse s’ouvrir davantage.

Donc, toute cette force de mérite – l’accumulation de mérite et de sagesse se créant sur une très longue durée – est rassemblée, cumulée, dans une absorption méditative profonde où ces cinq facteurs deviennent complètement stables. Nous pouvons nous approcher de cette réalisation plusieurs fois ou de nombreuses fois, mais tant que ces cinq facteurs ne deviennent pas complètement fermes, nous ressortons encore, nous n’arrivons pas à faire le pas dans « l’autre monde » pourrait-on dire, le monde de la non dualité. Il faut donc travailler davantage l’absorption méditative qui permettra d’entrer dans la vision directe de la nature des choses.

Quand nous sommes dans les phases « chaleur » et « sommet », nous pouvons nous tromper et nous croire réalisés alors nous ne le sommes pas encore. Nous avons vraiment besoin d’un guide parce que la compréhension intellectuelle de ce que sont les Quatre Nobles Vérités est déjà tellement pro-fonde que nous sommes complètement convaincus de les connaître de l’intérieur.

Question : Est-ce que les quatre dhyânas, les quatre absorptions méditatives profondes sont en relation avec les quatre étapes décrites ici ?

LL: Non, ce n’est pas le cas. On pratique les quatre dhyânas sur ce chemin de la jonction et le quatrième (le plus profond) n’est pas celui qui nous fera véritablement comprendre la nature des cho-ses parce qu’il lui manque un facteur important : la capacité de reconnaître les choses. Cependant, Nous commençons à connaître plus intimement les différents samadhis.

Regardons « La voie de la vision ».

« Après le niveau de ‘suprême état mondain’, vient la voie de la vision, avec le calme mental ayant pour objet les Quatre Nobles Vérités et la vision profonde correspondante4. On distingue seize instants de ‘patience’ et de ‘connaissance’, quatre pour chaque vérité. »

Ne soyez pas effrayés par les descriptions un peu techniques de ce processus qui prêtent à de nombreuses discussions pour décrire comment cela se passe véritablement. Cependant, il existe aussi des descriptions bien plus simples comme celles où le méditant, grâce à la force de l’abandon de lui-même et à la force de la confiance, entre dans la nature de l’esprit. On ne connaît pas la durée de cette absorption car elle est au-delà de la notion de temps puisqu’il n’y a pas de dualité. Le temps n’existe qu’en comparant le passé avec le présent et le futur. En sortant de cette ouverture totale de l’esprit et en reprenant une perception dualiste très subtile, le méditant remarque l’expérience, les traces laissées par cette expérience et comprend intuitivement le sens des Quatre Nobles Vérités. Cela se passe tout

4 Là, il est question de shamatha et vipassana (shiné et lhaktong).

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naturellement, il n’est pas nécessaire de compter si c’est en quatre ou seize instants (ou plus) dans l’esprit. Cette expérience produit une compréhension d’une certitude absolue, inébranlable et cette certitude surtout est le facteur le plus important.

Regardons maintenant ce que dit Gampopa en suivant la description standard. Il prend comme exemple la compréhension de la vérité de la souffrance. D’abord, il parle de

« l’acceptation de connaître la nature de la souffrance », « la connaissance de la nature de la souffrance », « l’acceptation subséquente de la connaissance complète de la souffrance » et « la connaissance complète subséquente de la souffrance. »

Vous devez vous demander : « Mais de quoi est-il question ? » Il y a deux étapes. Cette expé-rience a lieu en tant qu’être humain, donc, première chose : nous voyons ce qu’est la souffrance. On pourrait dire que c’est le moment d’une vision directe qui doit s’intégrer ensuite dans ce qu’on appelle la connaissance. Vient alors un constat : « Ah, oui ! C’est comme ça. » Donc, d’abord la vision, en-suite le constat. Après, la vision s’étend et cherche à vérifier si ce constat est vrai pour toutes les autres formes d’existence parce qu’il n’est pas certain que la vérité soit la même pour les êtres humains, les dieux de la forme et de la non-forme. Puis, la conscience s’étend pour inclure les royaumes supé-rieurs : les dieux de la forme et de la non-forme et nous comprenons que pour eux c’est la même chose. C’est la réalisation subséquente : celle qui s’ensuit. Il y a un élargissement de la réalisation sur d’autres royaumes d’existence, puis le constat et l’acceptation totale de ce que nous avons compris, à savoir que c’est vrai pour tout le monde. Récapitulons : nous voyons et constatons : « Oui, c’est vrai-ment comme cela. » Alors nous élargissons ce constat : « Ce n’est pas seulement comme cela pour les êtres humains, c’est vrai pour tout le monde. »

Réflexion : On doit être capable de pouvoir expérimenter l’état des dieux sans forme.

LL: Oui, tout à fait. Dans cette réalisation, il y a une certitude absolue de ce qu’est la nature de l’esprit et qu’il ne pourrait pas en être autrement. C’est une certitude absolue parce que maintenant nous comprenons comment est l’esprit de par sa nature. C’est grâce à cela que nous pouvons savoir comment c’est pour les autres royaumes. A ce moment-là nous comprenons énormément de choses, par exemple que l’esprit est non né, qu’il ne va jamais mourir. Ici, on parle juste des Quatre Nobles Vérités. Il y a toute une discussion pour savoir si ces seize moments de compréhension se font vrai-ment en seize instants rapides de l’esprit. Par exemple, si je me souviens bien, pour évoquer cin-quante-deux instants mentaux, l’école Theravada disait : « dans un clignement d’œil ». Un seul cli-gnement d’œil ! Mais il y a tout un débat pour savoir combien de temps cela dure. Peu importe. Il faut que cette certitude apparaisse. Donc ici, il semble qu’on parle plutôt d’une réalisation immédiate, di-recte, d’ordre non conceptuel, qui s’intègre ensuite dans la conscience, qui s’exprime aussi par des concepts. Et peu importe le temps que cela prend.

Question : Cet esprit qui sait (cette connaissance conceptuelle) est-il dualiste ? Parle-t-on d’une intégration de la réalisation de la non-dualité dans un esprit dualiste ?

LL: Ce n’est pas le cas ici parce que les moments qui suivent une telle réalisation – une absorp-tion dans le dharmakaya – ne sont pas imprégnés de la notion d’un moi, d’un je. Il y a la capacité de connaître, de savoir, mais sans l’erreur de penser à un moi existant. Donc, la capacité de connaître et de penser est présente sans cette illusion. Il est important de le comprendre.

Je reviens sur les cinq facultés et forces dont on parlait sur le chemin de la jonction. Elles sont appelées « les cinq facultés » ou « forces » qui opèrent la purification complète. Donc, ensemble elles purifient complètement l’esprit des kleshas (skt), ou nyeun mong pa (tib.), de l’obscurcissement émo-tionnel. Pour pouvoir entrer dans la non-dualité, il faut qu’à ce moment-là l’esprit soit complètement libre de tout obscurcissement émotionnel. Donc ces cinq forces5 indiquent qu’elles opèrent la purifica-tion totale nécessaire pour pouvoir entrer dans la non-dualité.

5 Nam yang kyi ouang-po (en tib.)

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Question : Est-ce que cela signifie qu’il faut avoir nettoyé tout son karma ou est-ce indépendant de cela ?

LL: Non. Tu ne peux pas encore avoir nettoyé tout ton karma, ce sera effectif quand tu attein-dras l’éveil complet. Par contre, il faut que dans un moment d’absorption méditative, les traces du karma soient non existantes, c’est-à-dire qu’elles n’opèrent pas, qu’elles ne voilent pas ta conscience dans ce moment-là. Après, oui, c’est bien là le problème. Il y a donc une entrée dans cette dimension et quand on en sort, toutes sortes de compréhensions s’élèvent avec certitude, mais le karma n’est pas encore terminé et les émotions non plus. Donc, tu vois, il y a cette difficulté : d’un côté, ce moment d’expérience qui est une révolution intérieure et d’un autre côté, en sortant de cette expérience, peu à peu on retombe (moins qu’avant, mais on retombe quand même) dans le conditionnement karmique. Il faut appliquer cette réalisation maintenant mais le karma n’est pas encore terminé.

Question : Le fait de pratiquer la dharani d’Amitabha purifie-t-il tous les kleshas (les obscurcis-sements émotionnels) ?

LL: Je ne suis pas expert de cette dharani. Je devrais peut-être en réciter davantage ! Mais je crois qu’il faut en réciter beaucoup pour tout purifier ! Ici, on entre dans une autre explication, tu amè-nes un élément du vadjrayana ou une explication d’un autre ordre de pratique. Si on est dans la des-cription du chemin, juste par la méditation et la purification par les mantras, cette purification s’opère par la force de la confiance (une de ces forces), l’absorption et la vigilance que tu y mets. Donc, si tu réunis ces cinq forces sur la récitation de cette dharani et si cela devient complètement stable, cet effet se produira.

Question : Le terme utilisé ici (le quatrième facteur dans le chemin de la jonction) était « su-prême état mondain » ou « les suprêmes attributs mondains ». Pourquoi est-il appelé ainsi ?

LL: Parce que c’est le dernier moment, la dernière phase que l’on traverse avant que la réalisa-tion arrive. Mais c’est le dernier instant où l’on est encore un être mondain, donc non réalisé. Après, on sera appelé un arya, un être Noble (qui a une réalisation). C’est pour cela que cette phase précédant la réalisation est appelée : la phase des attributs mondains suprêmes.

Continuons avec l’explication de Gampopa : « Pourquoi cette voie est-elle appelée ‘voie de la vision’ ? Parce qu’on y voit une vérité sublime qui nous était jusqu’alors invisible. »

C’est le moment de lhaktong, de la vision profonde. Donc, entrer sur la voie de la vision est le premier véritable moment de lhaktong. Tout ce que nous avons vécu auparavant, toute la soi-disant pratique de lhaktong, était juste faite pour appliquer des méthodes qui visent à nous mener à cette ré-alisation. Le véritable moment de lhaktong a lieu quand la réalisation se produit. Tout ce qui précède est la pratique de shamatha, de shiné, du calme mental. C’est le premier moment d’une véritable vision profonde parce que là nous sommes dans la non-dualité, l’absence de saisie dualiste. Pour la première fois de notre vie nous sommes libres de la saisie égoïste, pour un instant ou pour quelque temps.

Il en est de même au niveau de la sagesse. C’est seulement quand sa réalisation a lieu que l’on peut parler d’une sagesse suprême ou d’une sagesse transcendante (prajna paramita). Jusqu’ici, son développement était toujours lié à l’existence d’un moi, d’un je. Et c’est seulement lors de cette réali-sation que pour la première fois la notion d’un moi est absente ; elle est déracinée. Ce moment est décisif dans notre développement. Quelqu’un qui a obtenu cette réalisation est sûr et certain de ce qu’est la libération. Il n’est pas encore complètement libéré mais il est délivré de l’erreur fondamen-tale, source du samsara.

Sur le chemin de l’accumulation et de la jonction, on peut déjà avoir de nombreux aperçus de la réalité ultime. Cependant, ces aperçus ne produisent pas la certitude dont on parle ici, cette révolution intérieure. Ils nous motivent énormément pour notre chemin, nous donnent déjà une grande confiance, mais ce n’est pas encore la réalisation. Il faut donc bien différencier les aperçus. Par exemple, si vous regardez dehors derrière une vitre sans rideau, vous voyez les arbres, les champs. Imaginez un rideau léger devant vous : vous voyez quand même les arbres et le champ, mais la vision n’est pas claire. Il en est de même pour les aperçus : ce n’est pas faux, mais ce n’est pas complètement direct, il y a en-core une séparation. Cette expérience se fait donc avec une distance d’observateur, elle n’est pas fausse mais nous sommes encore séparés de la vérité ultime.

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Gampopa continue : « A ce stade, sept auxiliaires de l’Eveil sont présents 6 : » :

• l’attention juste, • le discernement juste des dharmas, • le courage juste, • la joie juste, • la maîtrise juste, • l’absorption méditative juste, et • l’équanimité juste. »

Ces quatre membres de l’Eveil font toujours partie des trente-sept facteurs d’Eveil décrivant l’ensemble des cinq voies. Il faudrait tout un enseignement rien que pour expliquer comment ces sept auxiliaires de l’Eveil travaillent ensemble. Mais nous pouvons déjà les pratiquer aujourd’hui, inutile d’attendre le chemin de la vision.

La vigilance mène à la capacité de discerner correctement les dharmas, c'est-à-dire les différen-tes expériences, tout ce qui conduit à la souffrance mais également à l’ouverture d’esprit, au bonheur, à la libération. Grâce à ce discernement, se déclenche l’énergie enthousiaste. Ici, « le courage » doit être remplacé par « la persévérance enthousiaste », qui fait que nous nous engageons toujours plus dans la pratique du dharma, dans ce qui est bénéfique. Ceci donne naissance à une qualité de joie (piti en skt), celle des états bénéfiques. Et cette joie mène à une grande fluidité d’esprit (shin tou djang oua en tib.). La tradition palie parle de cette fluidité comme étant une grande tranquillité d’esprit. C’est un esprit sans résistance. Cet esprit fluide, sans résistance, mène à des absorptions méditatives devenant de plus en plus équanimes. C’est une succession de facteurs qui s’enchaînent vers des méditations profondes, complètement détendues, dotées d’une grande joie naturelle non conditionnée par l’extérieur.

Les sept attributs dont on parle ici sont tous accompagnés de l’adjectif « juste ». Il faut com-prendre « juste », dans le sens « d’authentique », c'est-à-dire qui n’est plus accompagné par un senti-ment de « moi », de « je ». Ici, la vigilance devient juste ou authentique parce qu’elle n’est plus moti-vée par un moi, un je, qui souhaite méditer, qui souhaite être vigilant. Elle est naturellement présente. La discrimination des dharmas, la persévérance joyeuse, la joie, s’élèvent sans faire référence à un moi, à un je. Et, de cette manière, on entre dans des absorptions méditatives complètement naturelles. Il n’y a pas de recherche de résultat. C’est ce qu’on appelle mahamoudra.

Ici, à partir du chemin de la vision, on parle du début de la véritable pratique de mahamoudra. Maintenant, on peut parler du mahamoudra. Ce n’est pas possible avant parce que c’est juste l’entraînement au mahamoudra et celui-ci nous conduit à une équanimité authentique parce que nous ne restons plus dans cette saisie, cette fixation sur les choses. C’est alors que nous réalisons la vacuité de la personne et des phénomènes. Cette réalisation n’est pas toujours présente mais quand elle est présente elle donne une équanimité juste, non forcée, qui n’est plus une patience à l’entraînement de quelqu’un qui s’oblige à lâcher, non. C’est ne plus être dans une relation réactive envers les impres-sions sensorielles et ce qui s’élève dans la méditation. Nous restons dans le calme parce que nous voyons la vacuité de ce qui s’élève, sa non-existence proprement dite. Voilà pourquoi, à partir de maintenant, les différents facteurs décrits seront toujours accompagnés de l’adjectif « juste ». A ce stade-là, il faut être certain d’appliquer la réalisation sans partir dans d’autres formes d’activités et se perdre dans le monde en pensant : « Oui, j’ai vu, j’ai vu ». Mais si nous n’appliquons jamais notre réalisation aux émotions qui s’élèvent, nous pouvons encore nous perdre dans nos émotions et beau-coup souffrir.

Question : Où se situent ces quatre voies par rapport aux bhoumis ?

LL: Ici, le chemin de la vision est l’entrée sur le premier bhoumi.

Question : Comment peut-on faire la différence entre l’expérience de non-forme et l’expérience de non-dualité ?

6 Ce sont les sept « membres » de l’Eveil.

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LL: Dans les expériences de la non-forme on parle de l’esprit vaste comme l’espace ; on parle de l’esprit qui entre dans des états de « ni perception », « ni non-perception ». Ce sont les descriptions des samadhis de la non-forme. Dans ces absorptions il y a toujours un observateur ayant encore la notion que son esprit est aussi vaste que l’espace. Et c’est la différence.

Question : Est-ce que la personne qui entre dans de telles absorptions peut penser elle-même qu’il s’agit d’un état non duel ?

LL: Cela semble tout à fait vrai. On lit des expériences de pratiquants qui ont pris ces états comme étant l’Eveil et les ont enseignés comme la fin de la voie, la libération.

Quatrième enseignement

Pour commencer j’aimerais faire encore quelques remarques d’ordre général sur les passages que nous avons déjà vus.

Au début du soutra, quand on parle du chemin unique, il est dit, entre autre, que ce chemin mène à l’acquisition de la méthode juste. Qu’est-ce que cela signifie profondément ? Dans le sens évident et direct, c’est acquérir le savoir-faire nécessaire pour pouvoir se libérer. Donc, on connaît la méthode juste à partir du moment où l’on connaît le chemin qui mène au-delà de la saisie égoïste.

Souvent dans les soutras, quand le Bouddha parle, le terme « noble méthode » ou « véritable méthode » (méthode authentique), fait plus particulièrement référence à la compréhension de l’origine interdépendante des phénomènes – « Les douze liens d’origine interdépendante » – où sont représentés les douze liens clés, les douze maillons de la chaîne dans lesquels il est dit qu’à cause d’une identifica-tion avec le corps et l’esprit (avec « nama rupa »), des contacts sensoriels apparaissent ; à cause de ce contact naît une sensation ; à cause de la sensation une volonté – une soif – se manifeste, qui saisit (prochaine étape) et cette saisie conduit à effectuer une multitude d’actes : actes de réactions qui mè-nent à davantage de souffrance. Ceci est la partie la plus importante de la chaîne.

Donc, dans un contexte où nous nous identifions avec nos corps et esprit, du fait d’avoir un contact sensoriel et des sensations, nous saisissons et cette saisie mène à toutes formes d’autres pen-sées, de paroles et d’actes physiques qui créent notre monde de souffrance plus ou moins intense. Et pour savoir sortir de cet enchaînement, nous devons connaître la véritable méthode, la méthode au-thentique.

Si une saisie s’élève, commençons déjà par ne pas agir/réagir. Puis, en avançant encore un peu, même si un souhait ou une envie s’élève, ne pas la saisir, ne pas la prendre, ne pas s’y attacher. Si nous pouvons aller encore un peu plus loin, même si des sensations agréables ou désagréables appa-raissent, ne pas réagir avec l’envie d’en avoir plus ou d’en avoir moins. Si nous pouvons avancer en-core, nous remarquerons l’apparition des sensations et saurons comment faire pour ne pas juger « agréable/désagréable », « je veux/je ne veux pas ». En allant encore plus avant, cela peut être : vivre tout ce qu’il y a à vivre, avec toutes les sensations, sans avoir la notion d’un moi, sans que les sensa-tions apparaissent dans un corps et un esprit que j’appelle « moi, le mien ». Il s’agit donc de créer une atmosphère de non-identification et de rester dans cette dimension. Ce sont les différentes méthodes pour sortir de la chaîne des causes et conditions qui font tourner dans le samsara. Donc, parler de « la méthode juste », en profondeur, c’est tout cela. C’était une petite remarque sur le sens profond du mot « noble méthode » ou « véritable méthode ».

Maintenant, j’aimerais amener votre attention sur la méditation sur le souffle. Vous avez dû re-marquer qu’au début nous disons : « Nous savons » ou « Je sais », « J’inspire », « J’expire longuement ou brièvement », ensuite nous utilisons le mot « s’entraîner ». Il y a là une différence intentionnelle. Quand nous disons « Nous savons », cela sous-entend que nous remarquons quelque chose qui doit nous entraîner à utiliser la relation entre souffle, esprit et corps, pour mieux les ressentir et pour mieux les calmer. Donc, le fait de simplement connaître, crée un mouvement vers un entraînement.

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Ensuite, il y a l’exemple de « l’habile tourneur ». Quand un tourneur est en apprentissage, il ré-alise un travail grossier. Puis, avec le temps et l’expérience, il devient de plus en plus précis. Ici, cet exemple sert d’instruction pour nous amener à acquérir davantage de précision dans notre observation et entraînement. Quand un tourneur approche son couteau de l’objet en bois qui tourne à grande vi-tesse, il ne doit pas être distrait (même une fraction de seconde), sinon il fera une marque dans le bois difficile à enlever. Avec cette même finesse et notre capacité d’observation, nous ne raterons pas d’une fraction de seconde ce qui se passe dans la respiration, dans le corps, dans n’importe quel objet de notre vigilance. Voilà pourquoi après avoir mentionné le tourneur, le Bouddha redonne l’instruction de la même façon : comme un tourneur « nous savons » et « nous nous entraînons ». Nous savons ce qui se passe et nous nous entraînons à ressentir le corps entier, à l’apaiser et donc à amener de plus en plus de précision et de douceur dans notre travail.

Hier, nous avons commencé à travailler avec les postures. Le Bouddha a choisi d’en commencer la description par le mouvement, par le fait de bouger en marchant, puis de s’arrêter, d’être debout, puis de s’asseoir et enfin de s’allonger. Cela montre un calme ou un processus de calme progressif. Nous ralentissons et en même temps nous pouvons acquérir de plus en plus de finesse.

J’aimerais également vous donner quelques instructions supplémentaires venant d’autres soutras du Bouddha. Pour le Bouddha, le fait de mentionner les différentes postures représentait un bon en-traînement pour débuter. Il attachait moins d’importance à la vigilance de la posture. Pour lui, le point principal était de pouvoir continuer dans toutes les autres situations de la vie avec la même pratique que celle que nous avions commencée en étant assis. Par exemple, lors de la méditation en marchant, il importe surtout de connaître notre esprit dans cette activité sans nous laisser distraire par tout ce qui se passe dans l’esprit. Le fait de marcher est très important parce que nous nous ancrons dans le présent. Mais nous ne marchons pas seulement pour marcher, nous marchons parce que nous en avons besoin. C’est bon pour la digestion, c’est bon pour ne pas s’endormir dans la méditation, c’est bien d’avoir une activité pour le corps. Et nous maintenons la même vigilance, la même ouverture et précision de l’esprit que celle que nous avons acquise dans la méditation assise.

L’important pour le Bouddha, n’était pas vraiment de découvrir chaque détail de la posture et le processus de lever et de poser un pied (parce que cela se fait naturellement), mais de continuer à ques-tionner notre conscience. Il s’agit de rester très présent à tout ce qui se passe dans le corps et dans l’esprit et autour de nous quand nous marchons, quand nous sommes debout, assis ou allongés, afin de toujours continuer la même pratique. Il devrait en être de même en sortant du temple après une prati-que par exemple. L’instruction clé à garder dans l’esprit est de maintenir la même pratique, de ne pas en changer. Il ne faut pas en commencer une nouvelle, c’est la même qui continue dans une autre pos-ture, une autre activité, une autre façon d’être dans le monde. Ceci permet d’équilibrer un peu la saisie qui peut s’opérer sur la posture ou le mouvement lui-même, comme si le mouvement était le plus im-portant. Le plus important est de purifier notre esprit, de rester hors de la saisie, de ne pas y tomber.

Le but du Bouddha n’était pas de nous faire créer une nouvelle saisie sur la méditation en mar-chant, mais seulement de nous procurer un cadre calme nous permettant de continuer à connaître notre esprit. Pour le dire plus clairement, si en étant assis, notre pratique principale est de ressentir les sensa-tions physiques, cette pratique continuera quand nous nous lèverons et marcherons. Si notre pratique principale est d’être en contact avec le changement, avec l’impermanence, c’est ce qui continuera quand nous nous lèverons et marcherons. Si notre pratique principale est d’être conscient de ce qui se passe dans l’esprit, de voir les saisies qui se manifestent, de les détendre, alors ce sera notre pratique principale. Si notre pratique est de rester tout simplement dans la grande ouverture sans quelqu’un qui médite, c’est exactement ce que nous ferons quand nous nous mettrons debout et sortirons. Nous reste-rons dans cette ouverture complète, dans cette simplicité.

Donc, pour revenir à l’instruction du Bouddha, le premier ancrage est de connaître les postures dans toutes les situations. Mais, comme pour le souffle et tout le reste, la vigilance doit s’étendre, in-clure de plus en plus d’aspects de notre vie, pour devenir véritablement panoramique.

Réflexion : Là, tu sembles parler de « la vigilance ‘il y a un corps’ est établie dans la mesure né-cessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable… »

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LL: C’est exactement cela. Je voulais préciser ce point, à savoir que la vigilance ne devrait pas être portée excessivement sur le corps mais dans une mesure juste nécessaire pour avoir une cons-cience, une vigilance stable. C’est ce qui est appelé « ancrage », l’ancrage dans le présent, et il n’en faut pas énormément. L’esprit est libre pour remarquer bien d’autres choses en même temps.

Regardons maintenant le prochain paragraphe intitulé [ACTIVITES] :

« Qui plus est, nous sommes pleinement conscients en allant et venant, en posant et détournant le regard et en pliant et étendant nos membres. »

Ici commence la section sur les petites activités du quotidien. Il ne s’agit pas d’une méditation recherchée, mais d’être tout simplement conscient de ce que nous faisons, comme nous lever de notre siège pour aller ouvrir la fenêtre, puis retourner nous asseoir et continuer à lire un livre, par exemple. C’est aussi simple que cela. Ce moment-là : aller vers la fenêtre, ouvrir, retourner s’asseoir, est com-posé de plusieurs éléments. Le fait de se lever, d’être debout, de marcher, d’étendre un bras, de tourner la poignée, de retirer le bras, le baisser, retourner s’asseoir sur sa chaise, voilà toute une série de mou-vements pour lesquels le Bouddha donne ici quelques indications. Il y a un courant d’air, nous remar-quons la sensation de froid à la nuque ; nous tournons le regard et voyons que la fenêtre est ouverte, nous nous levons, allons la fermer, puis nous revenons. Les différents éléments dont le Bouddha parle ici sont inclus dans les actions du quotidien. Les activités du quotidien sont composées de tout ce qui va suivre.

L’idée ici est donc d’amener de la vigilance et de la non-distraction dans tous les actes du quoti-dien. Et quand on parle d’être pleinement conscients ou d’agir de manière pleinement consciente, cela ne signifie pas seulement d’être conscients de ce que nous faisons, il faut y ajouter deux autres ques-tions : « Qui fait cela ? » Et « Pourquoi est-ce que c’est fait ? » Nous ajoutons une dimension de lhak-tong : « Qui fait tout cela ? Où est le moi, le je, qui fait tout cela ? » C’est une conscience pleinement lucide. C’est être conscient de tout ce que nous venons de dire déjà sur l’impermanence, sur la non-existence du soi, de tous ces éléments de recherche que nous avons entamés ; nous continuons cette recherche, cette observation : « Y a-t-il quelqu’un qui se lève ? » « Y a-t-il quelqu’un qui ferme la fenêtre ? » Nous pourrions dire que ceci est donc l’instruction sur la réalité ultime de ce qui se passe dans l’instant. La question : « Mais pourquoi faisons-nous cet acte ? » se pose sur la réalité relative : « L’acte que je suis en train d’accomplir a-t-il du sens ? » « Quel est le sens de ce que je fais ? » « Les choses que je fais ont-elles vraiment une utilité ou sont-elles complètement inutiles ? »

Ensuite le Bouddha aborde cette forme de vigilance : si un acte est motivé par l’intérêt d’être bénéfique à la situation (c’est-à-dire à soi-même et aux autres), nous devons être vigilants au début quant à la façon dont nous démarrons l’action, l’activité. Nous maintenons cette conscience et cette vigilance pendant l’activité pour l’accomplir d’une manière qui soit vraiment utile et correcte pour atteindre le but. Et à la fin, une conscience regarde si l’activité a bien été menée au but souhaité initia-lement. Nous pouvons distinguer trois phases : avant, pendant et après l’action, la vigilance se mainte-nant durant tout le processus. Donc, si nous posons la question : « Qui fait tout cela ? » notre esprit s’ouvre à cette dimension et remarque que beaucoup de choses peuvent se réaliser sans nous, peut-être même tout. Puis nous nous demandons : «Quel en est le sens ? » Et ensuite : « Est-ce que j’accomplis vraiment cette action dans le sens désiré initialement ? » Donc, avant de faire quoi que ce soit, je déve-loppe la motivation. Pendant, je maintiens une conscience, une vigilance, pour mener à bien l’activité entreprise. Après, un regard vérifie et me permet d’apprendre encore en vue d’améliorer à l’avenir, la manière de faire cette action. Ce sont certains aspects de la vigilance, de la conscience, à développer sur le chemin.

La vigilance est très simple quand il s’agit de tourner simplement la tête pour regarder quelque part. Mais beaucoup de nos activités sont assez complexes, comme écrire une lettre, un courriel à quelqu'un. L’intention, c’est l’acte lui-même : bien écrire, et exactement comme nous le souhaitons, pour que la motivation du début d’être bénéfique, soit véritablement accomplie. Puis, nous relisons la lettre à la fin avant de l’envoyer (pour la corriger si besoin est) et ensuite nous attendons le retour pour voir si le but a bien été atteint.

Nous sommes toujours assez compliqués lorsqu’il s’agit de communiquer. Nous souhaitons transmettre quelque chose à quelqu'un, par exemple exprimer notre amitié. C’est l’intention. Ensuite

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nous cherchons un cadeau et en l’offrant nous allons essayer de formuler quelques mots. Il faut donc que les paroles et le geste, soient en accord avec la motivation et soient bien compris par la personne qui les reçoit. Si nous sommes maladroits et disons : « Tiens, je t’aime ! » cela ne produira pas l’effet attendu ! Il faut que le geste soit mené avec une vigilance, une conscience, qui se lise sur nous-mêmes, qui transmette à l’autre la signification de notre acte. La façon dont nous tendons la main pour offrir notre présent à cet ami, doit être un acte vigilant, nous n’allons pas étendre brusquement le bras. En-suite, nous regardons son visage et écoutons ce qu’il dit pour voir si le message a bien été compris. Cet exemple illustre ce qu’être pleinement conscient signifie. Donc, toute cette vigilance joue dans tous les actes de notre vie et nous devons nous y entraîner.

En résumé, ce qui est nécessaire dans une situation pour être vigilant, c’est d’être conscient de notre posture. Nous exprimons beaucoup de choses par la posture. Ensuite, de notre gestuelle : les gestes de la main et du reste du corps ; des mimiques ; si nous sourions ou pas ; de toutes les expres-sions du visage. Puis nous sommes conscients des paroles choisies et pas seulement des paroles mais du timbre de la voix, du ton, de la façon de dire les choses. Nous sommes conscients de l’espace que nous laissons ou non entre les mots, entre les phrases, s’il y a une ouverture ou pas pour un retour de l’autre, pour intégrer ce que l’autre nous dit. Tout ceci est une pratique de vigilance du début à la fin, de façon à mener notre action à son terme de manière juste. C’est ce dont parle le Bouddha au travers de ces quelques exemples. Continuons à lire :

« Nous agissons pleinement conscients de notre mise et en portant des objets. »

« Notre mise » ce sont nos vêtements. Je suis habillé(e) d’une certaine manière mais dans le texte d’origine, ce passage se réfère aux habits d’un moine. Vous savez, nous sommes habillés d’un objet qui nous fait pratiquer la vigilance et qui s’appelle le « zen ». Ce zen a pour but de toujours glis-ser ! La seule chose pour laquelle il soit fait est de toujours tomber dans toutes les directions ! Cela oblige à une pratique de vigilance constante. Bien que nous ayons moins besoin de faire attention avec les habits d’aujourd’hui, en occident, la façon de les porter est une pratique de vigilance. On men-tionne aussi le bol d’aumône pour les moines.

Ensuite, voyons l’exercice sur la façon de porter des objets. Par exemple, Guendune Rinpotché faisait très attention à notre manière de porter des livres du Dharma. Est-ce que nous les portons comme ceci ? (LL montre les livres tenus en direction du sol) ou est-ce que nous les tenons comme cela ? (LL tient les livres près de sa poitrine) ou d’une manière exprimant un respect ? Tout a une si-gnification, tout montre où est l’esprit de la personne. A propos des objets, cela peut être tenir une tasse de thé sans la renverser, porter un objet encombrant sans le cogner contre une porte, sans renver-ser autre chose. Toutes ces pratiques de vigilance font partie de notre quotidien. Pour les postures, c’est pareil. Connaître « sa » posture, son corps et les objets dans l’espace (ne pas se cogner contre une table, faire tomber une chaise…), constitue la vigilance dans le quotidien.

« Nous agissons pleinement conscients en mangeant, buvant, mâchant et savourant, de même en urinant et déféquant. »

Le Bouddha fait une description complète, rien n’est exclu : nous commençons par nous nourrir et cela se termine aux toilettes. Afin d’apprendre à manger consciemment, il conviendra de le faire en silence. Nous pourrions peut-être nous organiser ici, pour que les personnes qui décident de manger en silence se groupent pendant un quart d’heure, une demi-heure pour faire cette expérience. Quand j’étais à Bodh-Gayâ dans un « ashram » (skt) bouddhiste, un « vihara » (pali), j’ai fait cette expérience incroyable d’apprendre à manger en silence. Un moine, posté à la porte du réfectoire, surveillait tout le monde à table. Il regardait si nous étions conscients en prenant la cuillère, en la levant, en la portant à la bouche, goûtant, mâchant et déglutissant. Tout devait devenir une pratique de vigilance. Et quand nous étions distraits, il nous lançait des petits clins d’œil. Le maître avait vraiment posté quelqu'un pour nous rappeler que nous étions en train de pratiquer. Vous pensez que vous mangez, mais c’est une pratique ! Et faire cette expérience est extraordinaire car vous pouvez découvrir une multitude de sensations simplement en mangeant.

Donc, si vous souhaitez expérimenter ceci, isolez-vous un peu parce que si vous n’y êtes pas habitués, il vous sera très difficile de le faire au milieu de ceux qui parlent. Souvent, nous pouvons passer tout un repas sans vraiment savourer, sans bien avoir le goût de ce que nous mangeons. Et c’est

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parfois à la dernière petite portion avalée que nous nous rendons compte que nous n’avons même pas remarqué la saveur de ce que nous mangions. Alors, nous faisons un dernier effort (parce que c’est la dernière chance), pour pouvoir au moins complimenter la cuisinière en lui disant que c’était bon. Nous sommes tellement absents que pendant tout un repas nous ne remarquons pas ce qui se passe, nous sommes ailleurs. Quand un maître zen dit : « Quand je bois une tasse de thé, je bois une tasse de thé », c’est très simple et cela veut dire : être dans le présent. Pouvoir rester dans le présent avec ce que nous faisons, contribue à développer une santé mentale.

Intervention d’Henri : Tu as évoqué le fait que lorsqu’on adopte une méditation, on doit la gar-der, comme par exemple être présent, choisir l’impermanence, manger ou rester dans l’ouverture. Le fait d’être pleinement conscient n’est pas forcément de manger lentement, c’est de rester sur le support de méditation qui a été choisi.

LL: Tout à fait. Il s’agit de maintenir la même méditation que celle que nous avons développée ailleurs. Donc, si notre sujet de méditation était l’impermanence ou qui mange, etc. nous continuerons avec cette méditation. Les pratiquants ne sont pas capables de maintenir la conscience de l’impermanence ou qui mange, etc., pendant les activités, parce qu’ils ne peuvent même pas maintenir l’attention sur ce qui est physique. C’est la raison pour laquelle on met tellement l’accent sur le fonc-tionnement ; c’est une expérience que Jigmé Rinpotché vient de souligner. Donc il faut commencer par le corps. Dans la littérature bouddhiste nous trouvons une prolifération de textes concernant la vigilance sur le corps. Le Bouddha en parle très souvent parce que si nous n’acquérons pas la capacité de maintenir ce type de vigilance, nous n’aurons pas l’autre capacité. Dans la tradition tibétaine, cela va très vite : dans ses contemplations nous nous percevons comme la divinité et quand nous man-geons, nous faisons offrande au Lama dans la gorge, etc. Ce sont des pratiques de vigilance sur l’esprit et sur les dharmas. Honnêtement, très peu de pratiquants semblent n’avoir ne serait-ce qu’un petit peu de conscience lors de ces activités. La plupart d’entre nous oublions très souvent et mettons rarement en application les bons conseils. Jigmé Rinpoché a remarqué cela et a demandé à tous les enseignants de Dhagpo de mettre l’accent sur la vigilance sur le corps parce que c’est ce qui nous manque. Il faut d’abord établir les bases et ensuite nous pourrons aller plus loin. Cela n’aurait pas de sens de toujours rester avec le goût, le ressenti physique, etc., si nous pouvons aller plus loin dans le regard.

Nous venons donc d’établir la vigilance sur tous les aspects de l’acte de manger – mâcher, sa-vourer, avaler – et de boire. Puis, quand nous allons aux toilettes nous devons être également complè-tement attentifs. Et ici, la tradition tibétaine apporte un élément de travail sur l’esprit : faire offrande aux yidaks, dédier ce qui sort avec le mantra OM MANI PEME HOUNG ou les mantras spécifiques aux êtres qui peuvent encore en avoir l’utilité. Nous oublions cependant très souvent de faire cette courte dédicace. Comme tout le reste du temps nous sommes inconscients, nous rêvons et sommes ailleurs, nous devons développer une conscience qui accompagne vraiment tout l’acte et qui ajoute en plus la dimension de l’esprit, la dédicace aux êtres, les mantras, etc.

Dans la pratique du mahayana (du grand véhicule), tout est ramené à la bodhicitta. La vigilance suprême est de connecter chaque mouvement, chaque acte avec la bodhicitta. C’est une forme de pra-tique avec l’esprit, nous verrons cela plus tard quand nous en viendrons à l’esprit.

« Nous agissons pleinement conscients en marchant, étant debout ou assis... »

Ici, il ne s’agit pas de la méditation debout ou en marchant, mais juste du fait de se déplacer. Ce sont des postures prises dans les activités du quotidien.

« …en nous endormant et réveillant, en parlant et gardant le silence. »

C’est une grande aide parce que quand nous nous endormons, l’esprit est souvent distrait et il en sera de même quand nous mourrons. S’entraîner à être bien conscients, vigilants au moment de s’allonger, de s’endormir, est une excellente préparation à la mort. Là aussi il y a différents niveaux : celui du corps avec ses sensations et celui de l’esprit avec la motivation et les dimensions plus ultimes de ce qu’est la vigilance à ce moment-là. Au réveil, il faut tout de suite reprendre la pratique de vigi-lance et ne pas laisser s’introduire tout un espace de distraction (non vigilance). Entre le moment où nous nous réveillons et celui où nous nous posons sur le coussin, nous pouvons déjà être vigilants, ou entre le réveil et le moment où nous partons au travail si nous n’avons pas eu le temps de pratiquer. La

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pratique de vigilance sur le corps, les sensations, etc., doit s’établir tout de suite au réveil. La tradition tibétaine dit que la première pensée à avoir en nous réveillant doit être celle du refuge. Ce n’est pas seulement tibétain, c’est la tradition bouddhiste.

Cette prise de refuge est le début de la pratique de vigilance. Nous prenons refuge, nous sommes vigilants toute la journée et à la fin de la journée nous faisons la dédicace. Comme cela, nous faisons de toute la journée une pratique : je me réveille, la conscience revient et ma première pensée cons-ciente est le refuge qui démarre ma pratique du dharma. Ce moment est l’équivalent du réveil dans le bardo. Donc, si nous n’avons pas l’habitude en nous réveillant de mettre immédiatement en œuvre la pratique de la vigilance, nous n’aurons pas cet entraînement en nous réveillant dans le bardo. C’est une habitude à cultiver. En nous reliant au dharma tous les matins, nous nous préparons à être connectés immédiatement au dharma pour le moment où nous nous réveillerons après la mort. C’est une habi-tude, une tendance à cultiver pour ne pas perdre un seul instant de connexion ou de vigilance. Puis nous lisons qu’il faut agir

« pleinement conscients… en parlant et en gardant le silence. »

Parler pleinement conscients, c’est accorder de la vigilance à nos paroles. Les quatre formes de paroles bénéfiques sont : 1) parler de manière honnête, 2) de manière à créer de l’harmonie, 3) de ma-nière gentille, c’est-à-dire calme et qui touche le cœur, 4) et utile, en n’utilisant pas des paroles insen-sées. Un pratiquant du dharma devrait toujours utiliser ces quatre formes de parole de manière juste, utile, bénéfique et éviter le contraire.

Puis, quand nous n’avons rien à dire, nous nous taisons. Ne cherchons pas à remplir l’espace ! Entrons en amitié avec le silence et vivons-le pleinement conscients. Le silence se vit ! C’est une ex-périence intense, surtout en présence des autres. Oui, c’est fort ! Souvent, un peu trop fort, nous aime-rions l’éviter. Mais un pratiquant du dharma sait se taire, il n’a pas besoin de remplir l’espace.

Le Bouddha n’était pas un avocat du silence. Quand on lui posait la question : « Est-ce que le si-lence est une pratique pour un pratiquant du dharma ? » Il répondait : « Le silence ne mène pas vrai-ment à l’éveil, mais les paroles inutiles non plus ! Ce qui mène à l’éveil, c’est la parole juste et savoir se taire quand il n’y a rien à dire. »

Nous avons l’impression de savoir parler, mais c’est trompeur parce que nous avons certaine-ment encore beaucoup à apprendre sur ce sujet. Nous sommes peu habiles à dire des paroles vraiment bénéfiques. Cela se voit très facilement. Quand une difficulté apparaît entre deux, trois, quatre person-nes ou plus, il est facile d’envenimer la situation avec quelques mots. Nous sommes maîtres là-dedans. Cela va très vite. Empirer une situation est donné à tout le monde, mais l’améliorer est extrêmement difficile. Quelles sont les paroles, les attitudes qui vont vraiment aider la situation ? Et entre les deux, il y a le silence. Ne pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas, ne pas ajouter de mots qui créent en-core des problèmes, se taire, attendre jusqu’à ce que la parole juste se présente, c’est tout l’art de la parole. Nous sommes tous en train de l’apprendre depuis longtemps. En conclusion, quand nous ne sommes pas certains d’avoir les mots justes, nous gardons le silence et quand nous savons quoi dire, nous le disons.

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation du corps de façon interne, externe ou les deux à la fois … »

Nous appliquons cette pratique à nous-même, puis nous regardons les autres et maintenons cette vigilance sur la situation entière.

« … Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant le corps ... »

C’est la pratique du changement ; c’est être conscient de l’impermanence.

« La vigilance : ‘Il y a un corps’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable … »

Cette vigilance de ce qui se passe est établie dans la mesure nécessaire à ne pas être distrait et pour savoir ce qui se passe. C’est à nous de voir quelle est la mesure nécessaire, voir jusqu’où nous

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avons besoin d’aller avec notre conscience posée sur le corps pour être bien ancrés dans le présent. Et bien sûr, quand on dit « Il y a un corps », c’est le constat tout simple de ce qui se passe, sans se mêler dans ces idées d’un moi, d’un je, qui compliquent plutôt les choses. Nous observons tout simplement ce qu’il y a. Si jamais vous voyez un je, un moi, vous remarquez qu’il y a un je, un moi, mais tant que vous ne le voyez pas, il ne faut pas le postuler, il ne faut pas le mélanger avec ces observations.

« … et nous demeurons indépendants … » : sans attachement aux sens, c’est-à-dire aux jouis-sances sensorielles et sans vues erronées, c’est-à-dire ‘indépendants’.

« … sans attachement à rien au monde. » : sans identification avec les cinq skandhas, c’est-à-dire que dès qu’un attachement s’élève, nous pratiquons l’ouverture d’esprit, le lâcher-prise, la non-saisie.

Méditation guidée

Installez-vous confortablement. Du fait que ce corps est impermanent, certaines personnes ont des maladies, des problèmes de hanches, de genoux, de dos etc., et ne peuvent pas rester immobiles une heure durant, c’est trop long et trop douloureux. Quand cela se produit, il faut bouger, s’asseoir sur une chaise, peut-être rester debout un petit moment, marcher. Il ne faut pas insister à tout prix et vouloir faire comme ceux dont le corps ne fait pas encore mal. Ce sera pour dans quelques années !

Maintenant, si vous avez bien compris l’enseignement, vous devez savoir que, même si on change de posture, la méditation ne change pas. C’est tout simple. Quelqu’un change de place, ce n’est pas pour autant que sa méditation change !

Nous allons réciter les trois premières pages du soutra, du Satipatthana, en français.

« Voici ce que j’ai entendu. Une fois, […]

[LE CHEMIN UNIQUE]

[…]

[ I. VIGILANCE PAR RAPPORT AU CORPS]

[…]

[RESPIRATION]

[…]

[POSTURES]

[…]

[ACTIVITES]

[…]

Vous êtes libres de méditer comme vous le souhaitez. Ceux qui veulent suivre les instructions guidées peuvent se concentrer cette fois-ci sur le refrain, le prendre tout simplement comme instruc-tion de méditation principale. Il commence toujours par « Ainsi, nous demeurons dans la contempla-tion du corps de façon interne, externe, ou les deux à la fois. » Nous pouvons donc commencer à mé-diter sur notre propre corps en gardant la vigilance sur tout ce qui change, comme la respiration. Mais il y a beaucoup d’autres phénomènes qui changent dans le corps : des sensations qui s’élèvent, qui passent, le va-et-vient des indications de la vie, et nous méditerons ceci d’abord pour nous-même, dans cette investigation de l’impermanence dans le corps. Nous pourrons le faire ensuite avec d’autres.

-- Méditation --

Pour découvrir le changement, vous pouvez poser votre regard intérieur sur ces questions : « Est-ce que le corps est immobile ? » « A propos de l’assise stable comme une montagne, ce corps est-il vraiment immobile ou est-ce que j’y perçois d’infimes mouvements ? »

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-- Méditation --

Dans mon corps, je remarque des mouvements intérieurs et extérieurs. Je ressens les mouve-ments intérieurs de la respiration, des pulsations cardiaques. Je ressens aussi de petits ajustements des muscles du dos, de la nuque. C’est étonnant et cela détruit l’idée de l’immobilité, ce corps ne semble pas totalement immobile. Et même de l’extérieur, je vois que cela bouge un tout petit peu. J’étends le regard pour inclure les personnes en face de moi. Je peux remarquer chez elles que cela bouge visi-blement, même de l’extérieur. Faire ceci, c’est porter l’observation depuis l’intérieur vers l’extérieur. Regardez vous-même si les personnes en face de vous sont immobiles ou si quelque chose bouge. Nous faisons le constat d’un corps en changement, qui n’est pas permanent, dans lequel beaucoup de choses se passent.

Le Bouddha nous encourage maintenant à étendre notre prise de conscience sur d’autres corps existant dans le monde, celui des autres humains, des animaux, puis des formes matérielles. Nous ana-lysons, nous regardons : existe-il un seul corps doté d’un esprit ou non doté d’esprit, qui ne change pas ? La vigilance sur le corps est une contemplation qui fait partie de la méditation sur l’impermanence. Nous regardons s’il y a un corps, une forme, qui échappent à la loi du changement.

Après avoir mené encore et encore cette réflexion sur le corps, quand nous disons maintenant « Il y a un corps », cela prend une connotation différente. En tant que pratiquant du dharma, cela signi-fie que de toute façon cela change tout le temps. L’illusion de la stabilité du corps, du non changement du corps, disparaît avec de telles méditations. Nous perdons cette illusion. En ayant analysé les objets extérieurs, avec tous les supports de notre expérience de vie, nous savons que même une pierre change avec le temps. Elle change plus lentement qu’un corps moins solide, mais tout se modifie sous l’influence des conditions.

Nous pouvons mener cette contemplation encore plus loin. Un corps, c’est quelque chose qui est apparu et qui va disparaître. Le changement que nous ressentons là, maintenant, dans le présent, dure déjà depuis la naissance et même avant et il continuera de cette manière jusqu’à la mort.

Prenons un petit moment pour contempler que toutes ces sensations ressenties maintenant, tout ce changement, le fait de respirer, parfois cela fait mal, parfois c’est agréable, que cela dure déjà de-puis longtemps dans ce corps et continuera jusqu’à la mort. Regardons le processus du vieillissement depuis la naissance jusqu’à maintenant, nous pouvons même dire depuis la conception jusqu’à mainte-nant, en nous projetant dans le futur, jusqu’à la mort. Ce qu’on appelle un corps est un phénomène temporaire. Les contemplations incluent tout ce phénomène du corps depuis sa conception jusqu’à la mort et la décomposition.

Ce changement, c’est ce que nous appelons la vie. En voyant ce changement continuel, nous demeurons indépendants, sans attachement au phénomène temporaire qui s’appelle « corps ». Nous demeurons sans attachement à rien au monde, c'est-à-dire sans identification avec ce corps qui est juste un phénomène temporaire. Qui s’attacherait à un phénomène aussi changeant que ce corps ?

-- Méditation --

Les cinq voies IV (Gampopa)

Dans notre explication des « Cinq chemins », des « Cinq voies », nous en sommes arrivés à la quatrième :

« La voie de la méditation ».

« Elle commence lorsqu’on a assimilé la voie de la vision. »

Elle commence tout de suite après, parce qu’on ne reste pas longtemps sur la voie de la vision.

« Elle se divise en voie mondaine et voie transmondaine.

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La voie de la méditation ‘mondaine’ comprend les première, deuxième, troisième et quatrième concentrations7 mondaines, ainsi que les quatre concentrations sans forme : espace infini, conscience infinie, absence de tout, ni perception ni non perception.

Ces méditations ont trois buts : réduire le pouvoir des émotions négatives qui peuvent être éli-minées par la méditation, permettre d’acquérir les pensées incommensurables et les autres vertus spéciales et, enfin, servir de base à la voie transmondaine. »

Pourquoi y a-t-il ici encore « une voie mondaine » ? Ces pratiquants ne sont-ils pas déjà libé-rés ? Pourquoi évoque-t-on encore un aspect mondain de leur pratique ? La raison en est qu’à ce stade, les pratiquants ont vu la nature de l’esprit, mais ils ne peuvent pas toujours y demeurer parce que cette dimension n’est pas accessible aussi facilement. Donc, la pratique méditative se fait dans des absorp-tions méditatives de l’ordre de shamatha, de shiné, qui mènent à des absorptions de plus en plus sta-bles. Voilà pourquoi on parle ici des deux fois quatre absorptions cultivées qui aident à purifier les derniers attachements, les émotions perturbatrices toujours présentes. Ces absorptions aident à déve-lopper les quatre incommensurables : l’amour, la compassion, la joie, l’équanimité – qualités appelées les « brahma-vihara » – et aussi à développer un profond lâcher-prise lors de ces absorptions-là car elles sont une porte d’entrée dans l’état non duel, appelé aussi la nature de l’esprit. Durant ces états, on retrouve cette dimension qui s’est déjà ouverte à l’esprit mais qui cependant, n’est pas toujours acces-sible. Donc, dans la pratique, on fait la différence entre la voie dite « mondaine » parce que cela se joue toujours dans la dualité, avec la présence légère d’un observateur et les moments d’absorption dans l’ultime où une telle dualité n’existe plus. Regardons ce que dit la suite :

« La voie de la méditation ‘transmondaine’ ou supra-mondaine, c’est le calme mental et la vi-sion profonde, ainsi que ce qui les accompagne, ayant pour objet les deux aspects de la sagesse in-temporelle8. »

On parle de la nature de l’esprit. Sur la base de la stabilité de l’esprit se manifeste cette ouver-ture totale appelée lhaktong (tib.) ou vipassana (skt) : la vision profonde ou pénétrante. Et là, une compréhension de ces doubles aspects de la sagesse intemporelle se développe de plus en plus. Il y a deux façons de les expliquer :

• La première est de se dire : il y a la sagesse intemporelle pendant les sessions de méditation, lors des instants d’absorption dans cette ouverture et il y a la sagesse intemporelle dans la post-méditation (entre les sessions).

• L’autre façon – qui se rapproche davantage de l’idée ici – est de dire : il y a la conscience intemporelle qui perçoit ou qui est en pleine conscience du fait que tout obscurcissement émotionnel est stoppé. Cela s’appelle : la conscience de la cessation, de l’épuisement des kleshas (skt), des nyeun mong pa (tib.), des émotions.

Donc, le deuxième aspect, c’est savoir, c’est la conscience de savoir que ces obscurcissements ne réapparaîtront plus. Quand cette conscience, quand cette connaissance est portée à la purification complète dans l’état de bouddha, c’est la conscience de savoir que toute cause pour renaître est épui-sée. Il n’y aura plus de renaissances et des causes ; les voiles, qui pourraient créer une renaissance, ne peuvent plus réapparaître. Ce sont deux aspects de la conscience définitive. Gampopa continue :

« Parmi les seize moments de l’acceptation et de la connaissance concernant les quatre vérités qui sont décrits dans la voie de la vision9, les huit moments d’acceptation appartiennent à la voie de la vision et suffisent pour celle-ci. Quant aux huit connaissances, elles sont, sur la voie de la méditation, le calme mental et la vision profonde semblables aux quatre concentrations et aux trois premières absorptions de la non-forme10. »

Honnêtement, je ne connais pas bien ces différenciations. Il semble que la compréhension non conceptuelle de ce qu’est la vérité vis-à-vis des Quatre Nobles Vérités en application sur le monde

7 C'est-à-dire samadhi, dhyâna. 8 Jñana en skt, yéshé en tib. 9 Et que nous avons vus hier. 10 Sont approfondies par ceci.

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humain et le monde de la forme et de la non-forme, c’est assurément le chemin de la vision. Et l’intégration de cette compréhension pourrait aussi se faire progressivement sur le chemin de la médi-tation. Il semble que ce soit cela.

Donc, il y a énormément de matériels et d’informations sur les quatre dhyânas dans le monde du désir et dans les mondes dits « sans forme », les obstacles à surmonter, comment peuvent-ils être utili-sés, quelles sont leurs limitations. Je n’ai jamais reçu d’instructions à ce sujet et préfère donc rester un peu vague, mais peut-être cela vous suffit-il. Je voulais simplement vous dire que de très nombreux détails existent à ce propos mais que cela peut s’apprendre peut-être beaucoup plus tard sur le chemin.

Guendune Rinpotché disait ce qui se passe sur le chemin quand le pratiquant a vécu cette révo-lution intérieure d’être passé par le chemin de la vision. Il a obtenu la réalisation. Voir la nature des choses crée une empreinte très forte dans l’esprit du pratiquant. Il lui reste alors à intégrer de plus en plus cette réalité dans tous les aspects de sa vie, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, afin d’être capa-ble de rester connecté en permanence à cette dimension, c'est-à-dire de demeurer continuellement dans la conscience intemporelle dans toutes les situations. Et c’est déjà un travail que pouvoir la re-contacter dans la méditation et ensuite dans l’activité. Lorsque ce chemin d’intégration est mené jus-qu’au bout, on est un bouddha. Un bouddha est en permanence dans cette conscience intemporelle. Pour quelqu’un qui réalise la nature de l'esprit pour la première fois, c’est un moment décisif dans sa vie, mais cela ne dure qu’un instant. Ensuite, il se retrouve dans la conscience dualiste. Bien sûr, la dualité est beaucoup moins forte qu’auparavant, mais ce n’est pas pour autant qu’il pourra facilement re-contacter cette dimension. Pour s’habituer à celle-ci, il faut faire un travail de méditation. Voilà pourquoi ce chemin s’appelle le chemin de la méditation, c’est le chemin qui permet de s’habituer à la réalisation. C’est ce qui se passe donc tout au long de la voie : méditer pour re-contacter cette dimen-sion encore et encore et l’amener dans l’activité.

Question : Quelqu'un qui est sur le chemin de la vision, de la méditation, va-t-il retrouver ce chemin, cette réalisation, dans la vie prochaine ?

LL: Il n’est pas certain qu’un tel pratiquant puisse re-contacter la réalisation dans la renaissance suivante parce qu’il se peut qu’il renaisse dans des conditions non favorables au dharma. Un empê-chement peut survenir à cause d’accidents ou bien il peut naître avec des facultés sensorielles altérées qui empêchent sévèrement la pratique du dharma. Par contre, il est dit que lorsque de tels pratiquants meurent, quand ils se retrouvent dans le bardo (l’état intermédiaire), les corps et esprit se séparent, alors il est facile pour eux de retrouver cette dimension appelée la nature de l'esprit. C’est donc une bonne base pour pouvoir continuer le chemin.

Continuons la lecture : « L’accoutumance aux réalisations de la nature des phénomènes (dhar-mata) relève du domaine de la « connaissance des phénomènes ». La familiarisation avec les réalisa-tions de la conscience intemporelle relève de la « connaissance complète subséquente ». »

Ce sont des définitions de termes. Il semble qu’il y ait une progression dans la compréhension totale de la conscience intemporelle, qu’elle s’élargisse grâce à la pratique et inclue tous les phénomè-nes, toutes les situations et tous les états mentaux. Par exemple (si on se réfère aux vies de Retchungpa et Milarépa), un pratiquant peut avoir la réalisation de Retchungpa, mais celle-ci est encore limitée, sa réalisation de la nature des phénomènes n’est pas encore complète. Lorsque Milarépa se glisse dans la corne du yack et invite Retchungpa à venir chanter avec lui, ce dernier, qui n’a pas une réalisation suffisante pour maîtriser les phénomènes, ne peut y entrer. C’est alors que l’orgueil qui lui faisait obs-tacle est cassé. Vous connaissez l’histoire. Il y a différents niveaux de réalisation concernant les phé-nomènes. On peut être réalisé mais incapable de traverser le mur parce que le mur apparaît encore solide. Cela montre encore une limitation dans la réalisation, c’est ce dont il est question. On parle des réalisations de plus en plus profondes qui ont lieu sur le chemin jusqu’à la bouddhéité, jusqu’à la maî-trise complète, la réalisation complète incluant tous les phénomènes. Ensuite Gampopa ajoute une petite remarque :

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« La concentration11 « ni perception ni non perception » est mondaine, car on y trouve encore un mouvement mental tout à fait imperceptible. »

L’importance de cette remarque, si nous connaissons les autres instructions à ce sujet, c’est que les quatre samten, les quatre dhyânas – dans notre monde – et les trois premières absorptions dans le monde sans forme, peuvent être utilisés pour les buts du dharma, pour développer davantage de réali-sation. Mais il manque à la dernière un élément important : la capacité de connaître. C’est pour cette raison qu’elle n’est pas une base stable de compréhension du dharma. Gampopa continue :

« Pourquoi cette voie est-elle appelée « voie de la méditation » ? Parce qu’on s’y habitue à la méditation de l’ultime réalité qu’on a découverte sur la voie de la vision. »

Le terme traduit ici par « méditation », gom ou gom-pa en tib. et bhâvanâ en skt., ne signifie pas seulement « méditer », mais aussi « s’habituer » et « se familiariser », donc « s’entraîner ». On doit donc s’habituer à la réalisation, à la découverte faite sur le chemin de la vision.

« A ce stade, les huit éléments du ‘Noble Sentier Octuple’ sont présents :

• vue juste, • pensée juste, • motivation juste • parole juste, • action juste12, • subsistance juste, • effort juste • vigilance juste et • absorption méditative juste. »

Ces huit éléments forment le fameux Octuple Sentier enseigné par le Bouddha. Nous les avons regardés un tout petit peu l’autre jour. Rien que pour définir chaque élément, il faut tout un enseigne-ment. Nous devons absolument les étudier, les connaître, car ils sont la base de notre compréhension du dharma.

« La voie de l’accomplissement final » est le chemin qui décrit l’entrée dans la bouddhéité.

« La nature de l’absorption semblable au vajra est le savoir de l’extinction du devenir et le sa-voir de sa non reparution. »

Ce sont les deux mêmes aspects de la sagesse intemporelle évoquée précédemment. Donc ici, celui qui a traversé « le samadhi semblable au vajra » est devenu un bouddha. Sa souffrance est défini-tivement terminée, elle ne peut plus réapparaître dans le futur car toutes les possibilités sont purifiées. Maintenant, nous aimerions savoir ce qu’est ce « samadhi semblable au vajra ».

« L’absorption semblable au vajra est la phase d’affranchissement qui conclut la voie de la mé-ditation. Elle consiste en une voie de jonction et en une voie sans entrave. »

Ne soyez pas trop troublés par tous ces chemins nommés ici. « Chemin » est juste une façon de dire « une phase ». Donc, quand on décrit ce qu’est véritablement le samadhi vajra, on dit : il y a un moment, une phase où l’on entre dans le samadhi. Ensuite, vient la phase où l’on est au-delà de tous les obstacles, on est alors dans le samadhi. Quand nous entrons dans le samadhi, nous laissons les obs-tacles derrière nous et une fois dedans, rien ne peut plus nous atteindre.

Pourquoi est-elle appelée « semblable au vajra » ? Le vajra est un symbole qui constitue un élément d’un sceptre. Ce mot vient de la mythologie indienne. Le dieu Indra a un sceptre avec lequel il peut tout détruire, même le mont Mérou. Cette image, qui représente l’objet le plus puissant au monde, a été tirée de la mythologie indienne par le Bouddha. Elle signifie que rien ne peut détruire, perturber cette absorption que l’on appelle donc « samadhi semblable au vajra ». 11 C'est-à-dire l’absorption méditative dans le monde sans forme qui est appelée « ni perception ni non perception ». 12 ou conduite.

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Dans l’iconographie, dans les thangkas tibétaines, pour représenter le samadhi vajra (semblable au vajra), le Bouddha est peint assis en méditation, une auréole autour de lui et mara (le démon, le diable, qui représente tous les obstacles) se trouve derrière et envoie des armes. On peut voir une mul-titude d’armes s’approchant du Bouddha, mais quand elles entrent dans son aura, elles se transforment en fleurs. On voit aussi de superbes jeunes filles qui, dès qu’elles entrent dans l’aura du Bouddha, deviennent des vieilles femmes toutes décrépites. Tout ce que mara envoie pour perturber un bouddha dans sa méditation, devient sans force, il n’y a plus d’obstacles. Donc, dans l’imagerie bouddhique, ceci est peint de cette manière pour illustrer ce qu’est un samadhi semblable au vajra. Dans cette médi-tation, on n’est probablement pas en contact avec les éléments visuels, auditifs, etc., mais plongé dans une absorption profonde où les dernières forteresses de la saisie sont abolies. Il n’y a plus aucune ré-sistance, peur, ou voiles qui empêchent d’être dans la nature de l'esprit. – Continuons avec la défini-tion de ce qu’on appelle

« semblable au vajra ».

L’absorption est appelée « semblable au vajra » parce que

« Rien ne peut la contrarier : elle est solide, stable, d’un seul goût et pénètre tout ».

Quand on dit : « Rien ne peut la contrarier » (ou perturber), c’est parce que « nul comportement mondain ne saurait la pervertir. Elle est solide, car aucun voile mental ne peut la détruire. Elle est stable, car elle n’est pas perturbée par les pensées. Elle est d’un seul goût, car sa saveur est partout la même. Elle pénètre tout, car elle a pour objet la telléité, la nature commune de tout ce qu’on peut

connaître. Suivant l’absorption semblable au vajra il y a le savoir de l’extinction du devenir : dû à

l’extinction de la cause qui produit tout13, surgit la conscience intemporelle en rapport avec les quatre vérités. Le savoir de la non reparution est la conscience intemporelle en rapport avec les quatre véri-tés, dû à l’abandon de la souffrance qui est le fruit. »

Tout ceci, pour dire simplement que toutes les causes pour une renaissance future et une expé-rience de souffrance sont totalement anéanties.

« On parle alors de l’extinction et de la non reparution parce que la connaissance intemporelle a pour objet l’extinction de la cause et la non reparution du fruit. »

La cause sera une forme de saisie qui pourrait encore produire un devenir, une autre existence ; le fruit sera la souffrance à cause d’une saisie. Les deux n’apparaissent plus, ils sont terminés.

« Pourquoi donne-t-on le nom d’« accomplissement ultime » à cette voie ? Parce que, parvenu au bout de l’apprentissage, on entre dans la cité du nirvana. »

« Nirvana » signifie « paix ». C’est la paix ultime ou « l’au-delà de la souffrance ».

« A ce stade, on possède dix vertus dites « du non apprendre » : les huit éléments du Noble Sen-tier Octuple14 - de la vue juste à l’absorption du non apprendre – auxquels s’adjoignent la libération parfaite et la conscience intemporelle juste du non apprendre. »

La libération parfaite et la conscience intemporelle juste décrivent les qualités supplémentaires d’un être complètement éveillé.

« Ces dix vertus se répartissent en cinq groupes dits « non souillés ». La parole, l’activité et la subsistance justes du non apprendre15 forment le groupe de la

conduite bénéfique. La vigilance et l’absorption justes forment le groupe de l’absorption16.

13 Et dû à cela. 14 Que nous avons déjà vus. 15 Ces trois éléments appartiennent donc à ce premier groupe de la conduite bénéfique ou la discipline. 16 Ce qui permet d’entrer en absorption méditative.

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La vue, la pensée et l’effort justes forment le groupe de la sagesse. La libération parfaite et juste constitue à elle seule le groupe de la libération parfaite. La conscience intemporelle juste constitue de même le groupe de la vision de la conscience de

la libération parfaite. »

Ce sont simplement des termes un peu techniques en relation avec d’autres listes de groupes rassemblant les paramitas et les huit qualités du Noble Sentier, qui permettent de dire que finalement on arrive à cinq caractéristiques de l’éveil :

• la conduite bénéfique parfaite, • l’absorption parfaite, • la sagesse parfaite, • la libération parfaite • la conscience intemporelle parfaite.

On parle des cinq groupes parce qu’on peut rassembler les dix qualités en cinq.

Ainsi, nous avons étudié le chemin depuis la préparation (la voie de l’accumulation) jusqu’à la bouddhéité. Nous avons vu très rapidement la voie de la méditation et de l’accomplissement final. C’est aussi très bref dans le texte lui-même. Gampopa consacre un chapitre entier pour développer les dix bhoumis des bodhisattvas qui exposent exactement cela. Dans un chapitre très extensif, il décrit ce qui s’accomplit, étape par étape. Il subdivise le chemin de la méditation en dix étapes et détaille quel-les qualités apparaissent, ce qu’il faut abandonner à chaque étape, etc.

Nous avons donc fait là un bref parcours. Il faut savoir que lorsque les bodhisattvas passent d’un bhoumi à l’autre, ils ne s’en rendent pas compte. Il n’y a aucun indice dans le cœur ou dans l’esprit qui indique ce moment-là. C’est plutôt un développement qui s’effectue et des compréhensions s’élèvent dans une continuité. Pour pouvoir décrire ce chemin, on fait des coupures un peu artificielles. Ce n’est pas un chemin extraordinaire. Bien sûr, il y a des découvertes extraordinaires, mais extraordinaires de notre point de vue. Tout devient plus naturel, toutes les complications cessent, tout devient plus facile, plus spontané et c’est pour cela que, plus loin sur le chemin, on parle de saveur unique, du non appren-tissage, parce que tout se fait naturellement, le développement devient complètement naturel, sans efforts.

Quant à nous, au début de la voie, nous sommes dans les larmes, puis dans les joies, dans la fas-cination. Nous découvrons les absorptions méditatives, puis nous en ressortons, nous retombons sur terre, nous ne pouvons plus retrouver ce que nous avons déjà connu. C’est le désespoir complet, nous sommes dans des hauts et des bas énormes sur notre chemin. Par moments nous y croyons à fond et à d’autres moments nous sommes pleinement dans le doute. Tout cela se passe au début du chemin et plus l’esprit se stabilise, plus nous lâchons les complications, plus cela devient facile. Déjà, à la fin du chemin de l’accumulation, cela devient très facile. Une fois que nous aurons terminé le chemin de la vision, nous pourrons nous appuyer sur la réalisation que nous avons déjà eue. Bien entendu, il y aura encore de grands défis, de grands challenges, mais un savoir profond de l’absence du soi nous aide, nous fait traverser ces difficultés. Donc il ne faut pas penser que ce chemin de bodhisattva se fait dans de grandes difficultés. Tous les maîtres reconnaissent que le plus difficile est au début. C’est là que nous avons vraiment besoin de faire preuve d’une grande persévérance, d’une pratique vraiment assi-due pour que les qualités qui sont tellement cachées en nous émergent, pour qu’elles puissent se mani-fester. Elles vont nous apporter d’elles-mêmes les qualités de générosité, de compassion, de sagesse. Tout cela rendra la pratique beaucoup plus facile. Le plus difficile est au début, quand elles ne sont pas encore actives. Donc, plus nous avançons, plus nous lâchons la saisie égoïste, moins nous sommes compliqués, plus la confiance due à notre expérience de pratique, s’installe. Ces qualités et l’absence de nombreuses saisies vont nous aider à traverser les orages karmiques. Devant ses difficultés, le pra-tiquant ne réagira plus avec les mêmes tendances, il n’aura plus un bagage aussi lourd à porter. – Avez-vous d’autres questions ?

Question : Quand Gampopa parle de ne plus apprendre, je me demande ce que cela signifie. Je pensais que il n’était peut-être plus nécessaire d’apprendre davantage. Mais quand un bouddha se ma-nifeste dans le monde, dans les conditions des skandhas, des éléments, des différentes conditions qui

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forment un être, il apprend tout naturellement ce qu’il est nécessaire d’apprendre pour un être vivant en ce monde.

LL: Le terme de non apprentissage, sur ce dernier chemin, se réfère aux huit ou dix qualités nommées ici. Un bouddha n’a plus rien à apprendre concernant la vue juste, l’absorption méditative, la vigilance, la conduite. C’est naturellement et spontanément pur et parfait. Par contre, tant qu’il se ma-nifeste encore dans le monde, un bouddha continue d’apprendre, par exemple, comment faire un gâ-teau. Dans le relatif, il continue d’apprendre tout le temps, mais plus dans l’ultime. Là, son apprentis-sage est terminé et il peut se baser sur les qualités naturellement présentes.

Si on prend l’exemple de la vie du Bouddha, il a encore enseigné quarante-cinq ans après son Eveil. Pendant ces quarante-cinq années, sa capacité à méditer, sa réalisation, sa compréhension de la nature de l'esprit n’ont plus augmenté, n’ont plus changé. Ces qualités, ainsi que toutes les autres, étaient complètes, parfaites. Il n’y avait plus de voiles, plus rien qui en empêchait la manifestation complète. C’est pour cela que l’on parle d’état de non apprentissage. Il n’y a plus d’apprentissage, plus d’améliorations nécessitant une certaine forme d’effort ou d’entraînement. Voilà ce que signifie non apprentissage.

Question : Sous quelle forme le Bouddha Shakyamouni existe-t-il depuis qu’il a quitté son corps ?

LL: D’après ma compréhension, Bouddha Shakyamouni n’existe plus. Cependant, quelques mahayanistes lui attribuent une existence. Le parinirvana d’un bouddha c’est la fusion de son courant d’être avec le dharmakaya. A partir de ce moment-là un bouddha ne se manifeste plus en tant qu’individu.

C’est une question très profonde et beaucoup discutée. Je sais qu’il y a bien d’autres façons d’expliquer ceci. Et dans le mahayana surtout, on a toujours envie d’éviter de dire que les bouddhas passent dans l’au-delà et qu’il arrivera même un moment où ils ne se re-manifesteront plus. Ils passe-ront dans la dimension du dharmakaya. Le Bouddha lui-même le décrivait de cette manière et on le trouve dans les écrits de notre tradition ainsi. Quelques-uns parmi vous ont peut-être étudié le soutra et le commentaire sur Amitabha et Déouatchèn. Vous avez peut-être remarqué que pour Amitabha, après tant et tant de kalpas innombrables, incommensurables, où il réside et enseigne en Sukhavati (Déouat-chèn), le moment viendra où il manifestera son parinirvana. Même pour Amitabha, il est dit qu’un jour il entrera en parinirvana et ne se re-manifestera plus. Donc cela devrait nous servir de leçon. Parler du nirvana, c’est parler de l’éveil. Après le nirvana on peut encore enseigner, une manifestation est possi-ble. Quand on parle du véritable parinirvana d’un bouddha, cela signifie la fin de sa manifestation dans les corps de lumière et dans un corps physique. Là on passe uniquement dans la dimension de l’esprit. Parler du parinirvana de Guendune Rinpotché par exemple, est juste une forme de politesse.

Par exemple lundi, nous allons célébrer le parinirvana de Gampopa avec une puja. Mais cela ne voudra pas dire qu’il s’agissait vraiment du parinirvana, de la fin de la manifestation de Gampopa dans tous les univers. Mais comme lui-même l’a prophétisé et d’autres maîtres l’ont confirmé, il se peut qu’il soit encore allé s’occuper des êtres dans une terre pure. Le véritable parinirvana mettra fin à cette activité et donc il ne se re-manifestera plus. Sinon, il s’agit simplement de parler poliment du départ de ce monde d’un maître éveillé. Il ne faut donc pas donner trop d’importance à ce terme « parinirvana » appliqué trop facilement.

Question : Est-ce que l’activité d’un bouddha augmente après avoir atteint le parinirvana ?

Dordjé Dreulma : Guendune Rinpotché nous conseillait de chercher le bouddha dans nos pen-sées et non à l’extérieur de nous. Et lama Lhundrup vient de nous dire que lorsque le Bouddha est entré en parinirvana, il s’est dissout totalement dans le dharmakaya. C’est donc cela que nous pouvons trouver dans notre esprit, c’est le Bouddha.

LL: C’est une réponse magnifique. Vous cherchez le Bouddha, alors, regardez dans votre propre esprit. C’est là où il est allé.

Question : S’il passe dans le parinirvana, il ne fait donc plus du tout le bien des êtres ?

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LL: Oui, le bien des êtres concret. Il n’œuvre donc pas pour les êtres sous forme de corps de lumière ou de corps physique. Après, œuvre-t-il pour un bienfait immatériel ou un bienfait d’être uni avec notre esprit ? Je ne le sais pas.

Question sur cette omniscience du Bouddha et sur la difficulté de comprendre pourquoi par exemple on dit de Guendune Rinpotché qu’il connaissait notre esprit et des situations dont il n’était pas le témoin direct. Est-il possible qu’un bouddha ne connaisse pas toutes les choses que d’autres connaissent dans leur esprit ?

LL: Il est un peu naïf de penser ainsi. Dans son omniscience, un bouddha connaît chaque phé-nomène dans les causes et conditions qui le produisent et connaît la nature véritable de ce qui apparaît dans l’esprit : la vacuité de toute chose. En considérant les deux aspects de cette omniscience, un bouddha ne tombe jamais dans la fixation dualiste, dans la saisie. Il est donc toujours en dehors de la souffrance et jamais dedans. Par contre, le terme « omniscience » que l’on trouve dans les textes, ne requiert pas la connaissance de tout ce qui existe dans le monde. Un bouddha ne pourrait pas aller dans un laboratoire chimique pour trouver les formules permettant de produire le dernier remède à sortir sur le marché pour traiter une maladie, etc. Il le pourrait peut-être s’il était à côté de quelqu'un qui a cette connaissance parce qu’avec sa clairvoyance, il pourrait lire dans l’esprit de l’autre. Mais si l’autre n’y pense pas, il n’aura peut-être pas accès à ce savoir. Par exemple, si un jour vous vous trouvez en voi-ture à côté d’un bouddha et que celle-ci ne démarre pas, le bouddha ne saura peut-être pas comment la faire redémarrer ou comment la réparer, ni même comment gonfler un pneu parce qu’il ne l’aura ja-mais fait. Si nous, nous avons l’expérience, nous saurons comment faire, mais quelqu'un qui ne l’a jamais fait, même en étant bouddha ne le saura peut-être pas. Un bouddha connaît beaucoup plus de choses que nous, mais il connaît surtout ce qui est nécessaire pour l’éveil complet et parfait, pour ne jamais plus retomber dans des saisies, des fixations, dans un esprit fermé. Ce qui est certain, c’est que pour traiter un problème, un bouddha ne s’affolera pas, il n’aura pas d’émotions et n’éprouvera pas de souffrance. Qu’il puisse nous aider à réparer la voiture est une autre question.

La situation que je viens d’évoquer est issue d’une petite histoire. Un jeune tulkou (peut-être Djamgueun Kongtrul Rinpotché) circulait en voiture en Inde et ne connaissait rien à la mécanique. La voiture tombe en panne, loin de tout. Le chauffeur lève le capot, essaie de réparer, mais le véhicule ne redémarre pas. Ce tulkou en sort, se laisse expliquer les différentes parties du moteur, demande ce qui ne marche pas et le chauffeur lui explique où se situe le problème. Le tulkou répond que puisqu’il y a tel et tel problème, étant donné la façon dont les éléments fonctionnent ensemble, la panne devrait se situer à cet endroit-là. Et effectivement, c’était bien cela. Ils ont pu réparer et redémarrer. C’est plutôt de cette façon-là qu’il faut s’imaginer la grande intelligence des êtres très réalisés ou éveillés. Avec peu d’informations mais avec des informations utiles, ils sont capables, grâce à leur grande stabilité d’esprit, de voir rapidement (au niveau relatif déjà) ce que nous n’arrivons pas à discerner.

Question : Pourquoi Gampopa a-t-il décrit toutes ces voies de manière détaillée puisque ceux qui les parcourent ne s’aperçoivent pas qu’ils passent d’une voie dans l’autre ?

LL: Il y a plusieurs raisons. D’une part, c’est pour nous inspirer confiance sur le chemin qui nous reste à parcourir, pour nous montrer qu’il est véritablement possible de le parcourir et même en détail. D’autre part, pour nous rendre moins naïfs et plus réalistes, du fait de savoir que le chemin est long et qu’on ne devient pas un bouddha juste comme cela, que des obstacles nous attendent à chaque étape et qu’il faut donc appliquer la pratique nécessaire pour les surmonter, les dissoudre. Il a décrit les obstacles et les pratiques à parfaire pour pouvoir s’en servir quand c’est nécessaire.

Ce qui est écrit ici est le condensé d’explications extensives sur tous ces bhoumis, ces che-mins, les difficultés rencontrées et les pratiques à faire. Le livre appelé « bodhisattva bhoumi » entre autres, traite des problèmes rencontrés sur le chemin et comment les dissoudre. Gampopa nous fait le cadeau de dire l’essentiel en très peu de mots, pour que nous ne perdions pas trop de temps à vouloir tout étudier alors que ce n’est pas encore le moment. Gampopa a écrit ce livre parce qu’il souhaitait que ses disciples aillent rapidement méditer dans les grottes ; il leur fallait donc les connaissances nécessaires pour le faire.

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Cinquième enseignement

Louange au Bouddha Shakyamouni.

Continuons l’explication du soutra sur la manière d’établir la vigilance. Nous sommes toujours dans le chapitre de la vigilance sur le corps. Vous avez pu observer que si nous rangeons les contem-plations effectuées jusqu’à maintenant dans l’ordre de la facilité, nous commencerons par la deuxième, celle qui concerne la vigilance sur les postures, puis nous intègrerons la vigilance sur les mouvements dans l’activité et ensuite la vigilance sur le corps en étant assis et en utilisant la respiration. Cette clas-sification correspond à l’aspect extérieur parce qu’il est vrai que pour établir une vigilance, la posture assise convient mieux à la plupart des gens, car soutenir l’attention dans les différentes postures et activités du corps n’est pas évident. C’est pourquoi il est nécessaire d’avoir une pratique assise afin de pouvoir maintenir la vigilance dans les autres situations. Si nous voulons maintenir l’attention sur l’impermanence ou sur l’absence du soi dans les différentes postures et activités, il est nécessaire de l’avoir d’abord médité assis en utilisant le souffle, etc.

Continuons avec la méditation sur les différentes parties du corps (page 4). Celle-ci forme un ensemble avec la contemplation des éléments constituant notre corps et la comparaison avec les cada-vres en décomposition. Ces trois méditations/contemplations ont un but très important, celui d’arriver à une vision plus réaliste de ce qu’est le corps. Il faut équilibrer notre vision de ce que pourrait être notre corps, de cette idée du corps comme étant agréable ou attirant. Nous souhaitons le rendre attrac-tif avec les vêtements, le maquillage, etc. ; nous souhaitons faire croire à nous-même et aux autres qu’il est une base de joie et de bonheur. Et ceci amène toutes sortes de pensées et de comportements créant de la souffrance, surtout en remarquant que ce corps se dégrade et vieillit. Un jour, il finira car-rément ailleurs, en décomposition dans la terre ou dans le feu.

Pour équilibrer notre grand attachement vis-à-vis du corps, le Bouddha attire notre attention sur son impermanence, sa nature conditionnée et sur le fait qu’un jour il périra. Il est évident que ce corps qui fut jeune, vieillit, se couvre de rides, les cheveux tombent, il finit comme cadavre et se décompose. Et c’est le cas pour n’importe quel phénomène composé. Tout phénomène conditionné par autre chose change quand les conditions changent. Une personne qui, hier encore, était en bonne santé, peut avoir aujourd’hui de la fièvre, être malade… Elle peut être défigurée, des mauvaises odeurs peuvent émaner de son corps, des signes de maladie, de vieillesse, peuvent apparaître, etc., qui la rendent tout de suite bien moins attirante. Pour réduire nos attachements, nos identifications et donc la souffrance, il est très important de vivre avec la conscience que maintenir une apparence à peu près agréable ou pas trop désagréable, est très fluctuant et dépend de nombreuses conditions. Le Bouddha ne visait pas à créer un dégoût du corps ou à nous le faire détester, pas du tout. Il voulait juste équilibrer notre infatuation, notre identification, avec seulement un aspect de la réalité. Son souhait était d’équilibrer notre vision des choses et non d’avoir une vue sélective de la réalité. Il voyait le corps comme étant indispensable pour pouvoir pratiquer le dharma et pour nous rendre utiles dans le monde. Mais peu importe celui de cette vie puisque nous devrons un jour l’abandonner et en prendre un autre. Et puisque ce sont des maisons différentes, des corps qui s’enchaînent, il ne faut pas s’y attacher. Nous pouvons utiliser au mieux cette enveloppe tant que nous l’avons et quand les signes se manifesteront, nous accepterons sa nature conditionnée et non permanente.

Regardons cette contemplation qui est plus qu’une simple observation parce que l’on n’utilise pas seulement la faculté d'examiner mais aussi celle de comparer et d’analyser. Comme à chaque fois que nous méditons sur l’impermanence – la nature conditionnée des choses –, nous entrons déjà dans le champ de ce qu’on appelle lhaktong, vipassana. Ici, shamatha, vipassana, ne sont pas du tout sépa-rés.

« Qui plus est, en montant de la plante des pieds et en descendant du sommet du crâne, nous examinons ce corps même, enrobé de peau et plein de diverses choses impures : ‘Dans ce corps, il y a des cheveux, poils, ongles, dents, de la peau, de la chair, des tendons, des os, de la moelle osseuse, les reins, le cœur, le foie, la plèvre, la rate, les poumons, le gros et le petit intestin, le contenu de l’estomac, les selles, la bile, du phlegme, du pus, du sang, de la sueur, du gras, des larmes, du gras sébacé, de la salive, du mucus, de la synovie et de l’urine.’

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Tout comme si un sac avec des ouvertures aux deux extrémités, plein de diverses sortes de grains tels que blé, riz, fèves, haricots, millet, sésame et riz décortiqué, était ouvert par un homme à la bonne vue qui le détaille ainsi : ‘Ceci est du blé, ceci du riz, cela des fèves, des haricots, du sésame et du riz décortiqué’, de la même façon nous examinons le corps. »

Le Bouddha nous amène à regarder le corps d’une manière extrêmement détachée. Quand on prend un sac pour semer, on le remplit par une grande ouverture, on le prend sur l’épaule et on laisse échapper les graines par une autre ouverture pour ensemencer le champ en lignes. Le corps physique aussi est un sac avec deux ouvertures ! Une pour le remplir et l’autre pour le vider ! C’est un exemple assez simple, mais très parlant. On regarde de quoi il est fait, en commençant par l’extérieur et on voit les yeux, les oreilles, etc. (Le Bouddha ne faisait pas une liste complète des parties anatomiques mais on peut ajouter ce qui manque.) Ensuite, on regarde les organes internes en commençant par le cer-veau, les poumons, les reins, le foie, les intestins etc., puis on termine en observant les différentes formes de liquides et de fluides qui s’y trouvent, sans rien exclure. Vous examinez le corps à la ma-nière d'un jeune étudiant en médecine et remarquez qu’il est le même pour tout le monde. Il n’y a que de toutes petites différences, résidant par exemple dans l’épaisseur ou la couleur des cheveux, plus foncés ou plus clairs, la forme du nez, certains tournent vers le bas, d’autres vers le haut. Mais tout le monde a un nez ! Il y a des nez plus plats et des nez plus pointus. Tout le monde est équipé des mêmes organes, alors pourquoi faire un tel cinéma avec tout cela ! Nous manifestons notre attachement par des expressions telles que : « J’adore ton nez », « J’adore tes yeux », etc. mais avons-nous bien regar-dé ce qui sort du nez, de la bouche… ? C’est aussi simple que cela.

Le Bouddha nous montre tout ceci pour nous sortir de notre attachement, de notre vision sélec-tive et nous faire voir que les différences entre les êtres humains sont vraiment minimes. Donc, faire toute une histoire à cause de l’apparence extérieure, vouloir cacher aux autres ce qui sort de nos ouver-tures et le faire en secret, toujours se présenter propres, etc. est juste une illusion que nous manifestons devant les autres. Le Bouddha ouvre grand les rideaux. Il dit : « Nous sommes tous pareils. Regardez ce qui sort de tous les orifices et ce qu’il advient à notre corps : la vieillesse, la maladie, la mort. » Il ne faut pas faire tout un « cinéma » de ces petites différences entre les êtres, entre un corps jeune et un corps âgé, tout cela est dans la nature des choses. Il faut l’observer en posant un regard scientifique, neutre, sans jugement. Pour le faire correctement dans notre méditation, il faut jouer le jeu. Mais quand on est encore jeune et beau, on n’a peut-être pas envie de jouer à cela, de s’imaginer vieux et malade, etc. Jouer le jeu va nous coûter quelque chose parce que nous allons perdre des attachements, notre désir va perdre de sa force, nous ne pourrons pas nous attacher autant qu’auparavant.

Il existe d’autres instructions. Je crois que c’est Shantidéva qui disait : « Vous qui aimez tant le corps de votre compagnon de vie, si vous regardez un millimètre sous la peau, le trouverez-vous en-core attirant ? » Ce n’est que du sang. Là, nous abandonnons ce qui nous attire tellement à l’extérieur. Qu’y a-t-il encore dans ce corps ? C’est peut-être l’esprit qui nous attire et qui s’exprime par le corps, mais le corps lui-même est juste un phénomène passager, conditionné, impermanent, qui n’a pas en soi la qualité pour nous donner la joie authentique, la joie qui sert de base à un bonheur véritable et dura-ble. Nous n’aimons pas trop entendre parler de tout cela. Nous ne sommes pas ravis d’entendre ce genre d’enseignement. Nous voulons nous leurrer, croire au bonheur grâce au corps, croire à la possi-bilité de maintenir une attirance. Mais si nous sommes dans la recherche du véritable bonheur, il faut que ce bonheur vienne de l’intérieur et ne dépende pas des conditions extérieures tellement fluctuantes et imprévisibles.

Celui qui cherche véritablement la libération de la souffrance se fera du bien et en fera à d’autres en ne cultivant pas cet attachement au corps et en équilibrant sa vision de façon très neutre. Le Bouddha appréciait aussi les belles formes, mais sans attachement. Ce n’est pas un rejet de la beauté. Quand vous lisez les soutras, il y a beaucoup de descriptions de beauté, mais tout en gardant la cons-cience de la non-permanence de ce qui est si beau. Cela permet de se réjouir sans s’attacher et c’est véritablement un art à développer.

Donc, pour méditer, il convient de faire exactement ce que le Bouddha décrit ici. Nous com-mençons par la plante des pieds et regardons avec l’intellect, comme si nous utilisions un scalpel pour ouvrir le pied et regarder au-dedans. Puis nous montons et examinons toutes les parties du corps. Nous

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le faisons pour nous-même, nous amenons la connaissance que nous avons du corps et regardons afin d’être moins identifié à nous-même. Nous partons du bas vers le haut et descendons du haut vers le bas tel que c’est décrit ici. C’est une méditation analytique. Nous regardons même ce que nous ne pouvons pas voir et ressentir. Si vous n’avez jamais vu les poumons ou le foie d’un être humain, vous devez essayer de vous les représenter à l’aide d’images. Cette méditation peut se faire également en se basant sur ce que nous ressentons. A ce moment-là, nous allons du haut vers le bas et du bas vers le haut ou inversement, en incluant bien sûr les bras. Nous ressentons chaque partie du corps pour voir quelles sensations nous éprouvons. En nous promenant ainsi, nous voyons que le corps est fait de sen-sations multiples et simultanées. Puis, en comparant avec d’autres personnes nous remarquons que c’est exactement pareil. Ce que l’on appelle le phénomène du corps, est quelque chose d’extrêmement vivant, cela change tout le temps. De multiples sensations indiquent ce changement et rien ne peut arrêter le processus de vieillissement qui aboutit à la mort. Et entre les deux, nous expérimenterons aussi un dysfonctionnement des organes qui cause la maladie. Cela arrivera, c’est une évidence. Il y a donc deux manières de faire cette investigation, cette méditation : en amenant notre conscience sur les parties anatomiques du corps et en se basant sur les sensations immédiates de la vie dans le corps. – Nous allons lire le refrain pour en amener la méditation dans cette contemplation.

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation du corps de façon interne, externe ou les deux à la fois. Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant le corps. La vigilance : ‘Il y a un corps’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable et nous demeurons indépendants, sans attachements à rien au monde. »

Donc, « interne » c’est contempler son propre corps ; « externe » c’est contempler le corps des autres ; « interne et externe à la fois » c’est contempler le corps de tout le monde.

« L’apparition, la disparition et les deux ensemble », concernent ce changement que je viens de décrire.

Quand on dit « la vigilance ‘il y a un corps’ », c’est constater que le corps est juste un phéno-mène physique et le mien n’est pas différent de celui des autres. Il n’y a aucune différence entre un corps investi d’identification et un corps sans identification. Il s’agit simplement d’un phénomène objectif identique pour tout le monde ; tous les corps sont constitués des parties anatomiques, qui vi-vent avec un esprit. Et parce que cela vit, des sensations apparaissent indiquant le changement : la vieillesse est programmée et la mort aussi. C’est très simple, n’est-ce pas ? C’est ainsi qu’il faut regar-der le corps.

Derrière cette petite phrase « il y a un corps » il faut voir que dans ce phénomène physique, nous ne trouvons jamais un moi, un je, une personne, un individu. Le corps fonctionne grâce à des conditions qui permettent la vie et quand cela ne fonctionne plus, le corps se désintègre. Il faut prendre contact avec la nature non personnelle de l’existence physique. Elle ne dépend pas de la personne, d’un moi, d’un je, qui se trouverait peut-être dans le cœur ou dans les parties anatomiques. Deman-dons-nous si le moi, le je, est partout. Si je me coupe un bras, est-ce encore moi ou non ? Est-ce qu’une partie de moi a disparu avec le bras coupé ?… Toutes ces analyses font partie de cette médita-tion. Où est le moi, le je, dans tout cela ? Le moi, le je, réside-t-il dans les parties anatomiques, dans les fluides, dans les sensations ? Où se trouve-t-il ? Si trouver les réponses à la question : « Y a-t-il un moi ou n’y a-t-il pas de moi dans le corps ? » vous intéresse, il est très bien de faire ces méditations et de regarder toujours plus profondément jusqu’à développer une certitude. Le véritable sens s’exprime ensuite dans la phrase :

« En méditant dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable et nous demeurons indépendants sans attachement à rien au monde. »

« Demeurer indépendants » signifie : sans désir, sans attachement, sans vues erronées.

« Sans attachement à rien au monde » signifie : sans identification avec les cinq skandhas. Ici, nous sommes concernés par les deux premiers : le corps et ses sensations. Donc, toute la profondeur de l’exercice se révèle. Au début, nous avions l’impression de porter un regard un peu bizarre sur les parties anatomiques mais en creusant un peu l’exercice, en regardant véritablement, nous découvrons que les implications sont énormes.

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J’aimerais attirer votre attention sur un élément du refrain que je n’ai pas beaucoup expliqué :

« La vigilance est établie dans la mesure nécessaire pour une vigilance stable. »

C’est quand même curieux de dire que la vigilance est établie pour la vigilance. Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi le Bouddha parle-t-il ainsi ? La raison en est la suivante : nous méditons le Satipatthana et pratiquons la vigilance pour elle-même, pas pour un but qui serait ailleurs. Le but de la pratique de la vigilance est d’augmenter la vigilance, de la stabiliser avec la connaissance correspon-dante qui s’élève grâce à cette vigilance. Donc, le but de la pratique de Satipatthana n’est pas ailleurs. Nous sommes vigilants parce qu’il est bien d’être vigilant, nous n’avons pas à chercher autre chose. Nous ne méditons pas pour être loués par d’autres, pour atteindre de grands buts ailleurs. C’est être présent en soi qui a une valeur. La raison d’être de la méditation, c’est d’être présent, vigilant, avec des compréhensions qui s’élèvent. Voilà pourquoi le Bouddha a donné cette explication.

Souvent, nous avons tendance à méditer pour autre chose : pour être content de nous-même ou pour que d’autres soient contents de nous, pour trouver du bonheur, pour… je ne sais quoi… Les mo-tivations sont autres qu’être simplement vigilant. C’est ce que le texte nous fait comprendre, il ne faut pas chercher ailleurs. Ce qui est nécessaire, c’est être présent, sans jugement, pleinement conscient, vigilant, et tout le reste se fera grâce à cela. Il est très important de remarquer si l’ennui se manifeste dans la pratique. L’ennui est le signe que nous cherchons quelque chose d’autre que le moment pré-sent. Nous avons envie d’une distraction, envie que quelque chose de plus important se passe, un évé-nement qui nous satisfasse. L’ennui est l’indicateur que nous avons perdu la pratique de la vigilance pour elle-même, pour la présence dans l’instant. Donc, quand l’ennui s’élève, c’est l’indication que nous avons d’autres motivations que d’être simplement présent. A ce moment-là, il faut se faire un rappel : « Tiens, mon cher Lhundrup, tu es attiré par autre chose, tu veux t’échapper de la situation. Regarde l’ennui et prends-le comme support de ta méditation. Regarde de quoi il est fait. Quel est ce phénomène ? Regarde ! » Quand nous avons regardé et qu’autre chose se manifeste, nous continuons à être présents avec simplement ce qui s’élève. Grâce à ce petit rappel, nous revenons au moment pré-sent avec le vécu qui n’a pas besoin d’être autre. Nous travaillons toujours la vigilance avec le vécu de l’instant présent. Il n’y a pas le choix. Nous ne pouvons pas pratiquer la vigilance sur quelque chose qui n’est pas, qui n’est pas encore ou qui n’est plus ; il faut toujours prendre comme support l’expérience momentanée.

Question : Qu’entend-on exactement par vigilance stable ou constante ?

LL: Cet adjectif « stable » sous-entend la pratique de la vigilance dans tous les instants de la vie en étant présents à ce que nous vivons vingt-quatre heures sur vingt-quatre, jour et nuit. C’est pour cette raison que l’on pratique la vigilance.

Regardons la méditation sur les [ELEMENTS].

« Qui plus est, nous demeurons dans la contemplation de ce corps même en termes d’éléments, peu importe où il se trouve et comment il est disposé : ‘Dans ce corps il y a l’élément terre, l’élément eau, l’élément feu et l’élément vent’. – Tout comme un habile boucher ou son apprenti, ayant abattu une vache, s’assiérait à un carrefour pour la débiter, de la même manière nous examinons ce corps. »

La méditation sur les éléments était très facile pour les pratiquants hindous parce que toute leur médecine (l’ayurveda) était basée sur la notion des éléments. Parler de l’élément terre, feu, eau, etc. faisait partie de leur quotidien. En Occident, nous ne sommes pas habitués à cette forme de pensée, cela paraît un peu bizarre. Dans la vision de l’Inde, non seulement le corps est le jeu des éléments, mais tout le monde, tous les phénomènes de la nature sont le jeu de ces mêmes éléments : la terre, c’est la solidité – l’eau, c’est la cohésion, la fluidité – le feu, c’est la chaleur – et l’élément vent, c’est le mouvement. On pourrait dire que ce sont des principes parce que l’élément feu n’a rien à voir avec le feu ; le feu est juste un symbole parce qu’il nous rappelle le va-et-vient de la chaleur. L’élément terre représente symboliquement une solidité, il domine dans les os, par exemple. Par contre dans les muscles, il y a moins de solidité puisque le mouvement est possible. Donc, la fermeté sera l’élément terre, le mouvement celui du vent et la chaleur le feu, auxquels il faut rajouter l’élément eau pour la cohésion de l’ensemble de tous ces éléments. Pour voir le jeu de ces quatre éléments, on peut regarder

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tous ceux de son propre corps ainsi qu’à l’extérieur. Un autre système ajoute un cinquième élément : l’espace, simplement pour dire que tout cela se joue dans un espace.

Nous pouvons donc méditer en regardant les sensations du corps et en remarquant les parties plus denses ou au contraire plus légères ; les parties plus fluides ou au contraire plus solides ; là où il y a plus de chaleur et là où il y en a moins ; là où il y a plus de mouvement et là où il y a en a moins. Et partout nous pouvons remarquer cette combinaison de mouvement, chaleur, solidité, cohésion (ou fluidité). C’est une autre façon de regarder ce corps de manière assez neutre, sobre, d’y découvrir comment tout cela se joue et que cela se joue de la même manière à l’extérieur : parfois, certains élé-ments dominent et d’autres moins, puis cela change. Par exemple, si nous observons cette table, l’élément terre semble dominer, donc la solidité et la stabilité. Mais il y a aussi une cohésion, la pré-sence d’une certaine chaleur, et pour le moment nous ne voyons pas beaucoup de mouvement (nous pourrions le voir si nous examinions la table de plus près). Mais changeons les conditions pour cette table. Mettons-la dans le feu ou dans l’eau. Elle changera énormément d’aspect à cause des conditions. Quand on change les situations extérieures, chaque objet peut montrer d’autres aspects de sa nature. Il en va de même pour notre corps et pour tous les objets extérieurs.

Nous menons donc cette réflexion de façon neutre, comme un boucher qui découpe une vache et qui s’assoit pour vendre les morceaux. Il s’assoit toujours à un carrefour très passager parce qu’il faut absolument vendre toute la viande dans la journée (en Inde il n’y avait pas de frigo). Et à la manière d’un boucher, d’un anatomiste ou d’un pathologiste, nous remarquons que le corps est fait d’éléments et de conditions différentes. La contemplation des éléments aussi nous amène à réaliser qu’il faut très peu de choses pour que les conditions de vie ne puissent pas être maintenues. Par exemple, si nous considérons l’élément feu dans le corps, la chaleur corporelle, notre température est d’environ 37°. Dès qu’elle augmente, la dominance de l’élément feu augmente de un, deux ou trois degrés ; si elle descend, l’élément feu diminue de quelques degrés et toute la vie est mise en danger. Et si cela change trop, c’est la fin. Les conditions de vie ne sont plus présentes. Nous sommes faits de 80 % d’eau ; si l’élément eau diminue (moins d’eau dans le corps), si nous manquons de fluidité, nous sommes dés-hydratés et c’est grave pour le corps. Pour le maintien de la vie, la limite est très étroite. De même, si la solidité augmente, s’il se forme des calcifications, si l’élément terre domine aux endroits où il ne devrait pas se trouver, c’est la fin. Idem pour tout élément. S’il y a trop de mouvement dans le corps, si la circulation intérieure veineuse, les mouvements dans les nerfs, les neurones, si tout cela n’est pas équilibré, la vie est terminée. Donc, la réflexion sur les éléments nous amène à comprendre profondé-ment l’interdépendance des phénomènes, à voir qu’il faut trois fois rien pour obtenir des effets assez importants, voire même considérables, en ce qui concerne la vie ou la mort, l’existence d’un objet ou sa disparition. Nous commençons donc à développer une vision plus équilibrée de ce qu’est le corps.

Dans la nature, un léger déséquilibre peut aussi provoquer des catastrophes. Il suffit d’une sé-cheresse ou d’un excès de pluie pendant quelques mois, d’une baisse ou d’une augmentation de tempé-rature et tout est perturbé. Nous le vivons, vous savez tous de quoi je parle. Dans notre vie, les élé-ments ne sont pas toujours équilibrés. Et c’est exactement ce qui se joue à l’intérieur et à l’extérieur. Cela nous fait prendre conscience que notre vie dépend de peu de choses et que les petites distinctions entre les individus sont très infimes comparées avec ce que nous avons tous en commun. Or, dans notre vie habituelle, nous prenons le peu qui fait la différence et le grossissons comme avec une loupe. Nous nous concentrons toujours sur ce qui fait la différence, nous n’avons pas une vision équilibrée et ne voyons pas ce que nous avons en commun. C’est ce que le Bouddha voulait corriger. Aussi, en regardant avec l’œil neutre de l’observateur, nous sommes moins attachés à ces petits détails qui font la différence et nous sommes davantage conscients de la trame de base de la vie. Grâce à cela, nous prendrons une autre attitude et d’autres décisions vis-à-vis des situations de la vie. Nous dirigerons notre esprit ailleurs et les actes suivront cette nouvelle orientation.

Nous n’avons pas besoin de reprendre le refrain en détail. C’est toujours la même chose : nous faisons cette contemplation avec nous-même et avec l’extérieur (les autres et l’environnement), puis avec les deux dans une vision panoramique. Nous remarquons le changement, établissons la cons-cience qu’il s’agit de phénomènes tout simples d’ordre physique, qu’il y a un corps et que là-dedans rien ne peut justifier notre attachement. Nous restons avec une vigilance constante sur cette trame de fond qui constitue notre existence pour pouvoir demeurer de manière indépendante sans saisie, sans

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s’attacher à rien au monde, sans identification. Cette même instruction devra toujours être appliquée dans les différentes méditations utilisées. – Avez-vous des questions à ce sujet ?

Question : Pourquoi faire ces contemplations si je remarque que je suis plutôt attachée à l’esprit et au phénomène mental ?

LL: C’est pour cela que nous ne nous arrêterons pas au corps. Nous continuerons avec les sensa-tions, l’esprit et les dharmas, pour inclure toute l’existence. Ceci dit, je répète quand même que nous sommes énormément identifiés avec notre corps et que nous ressentons notre corps comme un terri-toire privé. En effet, nous avons tout de suite une réaction d’attachement et d’aversion quand des cho-ses agréables ou désagréables s’y manifestent. Quand ce corps-là (dont je m’occupe si bien) tombe malade, c’est comme une intrusion, comme si l’ennemi était venu me voler ma santé. Je me révolte contre la maladie et la douleur. Pourquoi cela m’arrive-t-il ? J’ai tellement fait attention à bien manger, à faire du sport, à suffisamment dormir, et quand même … Nous nous révoltons immédiatement parce que nous ne voyons pas le conditionnement de ce corps, sa fragilité et que rien ne pourra empêcher un jour sa dégradation. C’est la même chose pour les attachements. Nous sommes tellement investis dans ce corps que nous avons du mal à ne pas nous identifier à une sensation agréable et à ne pas dévelop-per de l’aversion envers une sensation désagréable. Il ne faut donc pas oublier de travailler sur la base physique de notre existence pour en supprimer les attachements très basiques. L’identification avec le corps est tellement profonde et d’une telle évidence que nous ne la remarquons même pas. Il faut de nombreuses situations pour nous la faire remarquer. Quand nous tombons malade, que de beaux hier nous devenons laids à cause de l’âge ou qu’un accident nous a défigurés ou privés d’une partie de notre anatomie, là nous remarquons à quel point nous sommes attachés au corps. Il faut passer par tout un travail de non-attachement envers l’existence physique pour ne plus avoir de réactions de révolte dans de telles situations.

Question : D’où vient tout cet attachement au corps ? Est-ce que c’est dû à l’éducation ?

LL: Oui, entre autre. Depuis de très nombreuses vies nous avons cultivé cette identification, cet attachement. De plus, notre société soutient cette identification.

Méditation guidée

Après avoir récité la prière de refuge, nous méditerons sur [Les parties du corps] (page 4).

Nous allons prendre refuge, sans réciter tout le texte.

Prière de refuge. 17Ressentons bien notre corps, la posture, le contact avec le sol, les jambes, le dos, la verticale,

jusqu’au sommet de la tête. Nous inspirons, nous expirons. Nous sommes conscients de la respiration, du corps entier qui respire et nous détendons, apaisons, calmons le corps et le souffle. Le corps assis respire. Qu’appelons-nous « corps » ? …..

Commençons par l’extérieur. Regardons de quoi est fait ce « sac » avec deux ouvertures, en commençant par la plante des pieds, les ongles, la peau ; puis en remontant : les chevilles, les mollets, les genoux, les jambes ; la peau qui couvre tout ; les poils. Continuons avec le bassin, le corps infé-rieur, les divers orifices qui existent...

Remontons : le ventre, le dos, la partie supérieure du corps ; la peau qui prend différentes for-mes, avec des poils, des boutons, toutes sortes de choses. Nous incluons les bras, les avant-bras, les mains, les ongles. Nous continuons par la nuque, le cou, le menton, les lèvres, la bouche entière, le nez, les yeux, les sourcils, le sommet de la tête, les cheveux, les oreilles. Puis nous développons une vue d’ensemble : l’enveloppe appelée peau avec ses divers attributs ; les différentes ouvertures. C’est l’enveloppe qui contient le reste. Du sommet, nous descendons pour voir la peau de la tête, des épau-les, le buste, l’abdomen, les jambes jusqu’aux plantes des pieds. Puis nous regardons ce qu’il y a des-

17 A partir de là, lama Lhundroup va nous guider très lentement pour nous permettre de bien poser notre esprit sur chaque phase de cette méditation ponctuée par de courtes pauses.

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sous. Que trouve-t-on sous cette enveloppe ? Qu’y a-t-il sous la peau qui couvre le crâne ? Le visage ? Nous découvrons des os des muscles dans la nuque, dans la trachée, dans la gorge. Nous descendons vers les épaules, nous voyons la cage thoracique, le squelette couvert de muscles, c'est-à-dire les os habillés des muscles, des tendons. Ça bouge.

Nous regardons la colonne vertébrale avec les muscles du dos, la partie molle dans le ventre avec les tendons, les muscles qui tiennent l’abdomen dans son ensemble. Nous descendons vers le bassin, les muscles pelviens, les tendons, les ligaments ; les hanches ; les muscles des cuisses avec les fémurs ; les os et les cartilages du genou ; les muscles, les tendons et les os du mollet ; le tibia, la che-ville constituée de tous ses petits os ; le pied, les deux pieds avec le muscle tendon et les os, jusqu’aux orteils.

Puis nous remontons et prenons conscience des artères et des veines qui alimentent et connec-tent tout et qui se trouvent dans le pied, les chevilles, les jambes, la région pelvienne, le ventre, la poi-trine, la nuque, le cou, la tête, le cerveau.

Ensuite nous redescendons en regardant les organes à l’intérieur de cette enveloppe : le cerveau, les organes de la bouche, la langue, la trachée, les poumons ; le trajet alimentaire avec l’estomac, le petit intestin, le gros intestin ; le foie, les reins ; la vessie, les organes pelviens, les organes sexuels… tous les organes à l’intérieur du corps. Comme avec une caméra qui filmerait l’intérieur du corps, pre-nons du temps pour regarder tous les organes. Donc, remontons depuis les organes sexuels, la vessie, l’intestin, les reins, le foie, l’estomac, le cœur, les poumons… jusqu’au cerveau. Puis, regardons le système nerveux. En descendant du cerveau, il y a tous les nerfs qui se connectent avec les yeux, les oreilles, la langue, le palais, la peau. Plus bas nous voyons tous les nerfs qui se connectent avec chacun des muscles. Il y a le système nerveux qui ressent les choses et le système nerveux qui fait bouger les muscles. Descendons le long de la colonne vertébrale pour voir les nerfs qui partent dans les bras et ceux qui vont dans les organes intérieurs. Partout les nerfs sont en contact avec la peau. Descendons jusqu’au bas de la colonne vertébrale, dans la région pelvienne, jusqu’aux nerfs qui connectent les jambes et les pieds.

Remontons encore une fois pour regarder les différents liquides du corps : le sang dans les vais-seaux, la lymphe dans les tissus, tout autour. Remontons depuis les pieds jusqu’aux mollets, regardons les liquides présents sous différentes formes : sang, lymphe. Il y a aussi la graisse.

Nous trouvons les chevilles, il y a du liquide synovial dans les genoux, dans les hanches ; du li-quide dans la vessie, dans les organes sexuels, dans les intestins, dans les reins. Il y a du liquide par-tout entre les organes. Nous retrouvons le sang dans le cœur, les poumons qui sont humidifiés. Nous remontons et nous voyons le liquide cérébral, le liquide dans la colonne vertébrale. Nous trouvons la salive dans la bouche ; du liquide ou des croûtes dans le nez, du liquide dans les yeux. Où que nous regardions, nous trouvons de la matière liquide qui aide à faire fonctionner chaque cellule. Pour un moment, nous restons dans la contemplation de ce corps entier constitué de ses différentes parties ana-tomiques…

Nous ressentons de la chaleur plus ou moins intense, la circulation, de la densité/solidité, une grande variété de sensations. Elles sont l’expression de ces quatre éléments, les quatre aspects de notre vécu qui, ensemble, font que ce corps existe pour le moment, mais change constamment.

Où pouvons-nous trouver un « moi », un « je » dans tout cela ? Ces parties anatomiques ont évolué avec notre croissance, nous étions un embryon, puis un bébé, un enfant, un adolescent, un adulte. Nous commençons à être vieux et un jour nous mourrons et tout cela redeviendra une autre forme de mélange de ces quatre éléments... Nous restons indépendants, sans attachement à rien au monde. …..

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Sixième enseignement

Ces derniers jours nous avons vu la plupart des méditations concernant la vigilance sur le corps. Aujourd’hui, j’aimerais diriger votre attention sur le terme « pleinement conscients » qui se trouve en bas de la page 1. On nous dit de pratiquer de manière

« […] persévérants, pleinement conscients, vigilants, etc., écartant envies et soucis mondains. »

Nous en avons déjà parlé sommairement, mais en voici une explication encore un peu plus dé-taillée. Etre « pleinement conscients » c’est savoir clairement ce que nous faisons. C’est un aspect de la vigilance qui connaît exactement ce que nous sommes en train de faire, mais là il y a différents ni-veaux de compréhension.

Premier aspect Nous avons déjà parlé du fait d’être conscients du sens, c'est-à-dire du but de nos actes. Quand

nous sommes vigilants nous n’effectuons pas des actes qui n’ont pas de sens, nous agissons clairement conscients en direction du but que nous nous sommes fixés. C’est un sens assez large parce que la visée ultime c’est d’aller vers l’éveil, c'est-à-dire de développer un aspect de la vigilance dans lequel nous sommes conscients qu’il faudra trouver la manière d’intégrer nos actions (même les plus mini-mes) dans le chemin vers l’éveil. Pour commencer, le but sera plus réduit, plus direct, ce sera par exemple, vouloir aider quelqu'un à accomplir une certaine tâche. Mais derrière cela, notre motivation à long terme sera d’aller vers l’éveil et d’y amener tous les autres. Ceci est un aspect de ce qu’on appelle « être clairement conscients » ou « pleinement conscients », savoir clairement.

Deuxième aspect Ensuite, il faut regarder si l’acte que nous souhaitons effectuer convient pour produire ce fruit.

Le commentaire anglais utilise le terme « suitability » : « qui convient ». Donc, chaque acte est ac-compagné d’une forme de vigilance, de savoir. Nous menons cette réflexion : « Est-ce que tel acte convient pour atteindre ou accomplir le sens, le but que j’ai dans l’esprit ? Par rapport à mon expé-rience, est-ce que cet acte convient vraiment pour sortir de la souffrance, pour créer du bonheur ? » Nous sommes clairement conscients que tel type d’action conviendra vraiment.

Troisième aspect « Etre clairement, pleinement conscient, savoir clairement », veut dire aussi : savoir clairement

comment intégrer ou maintenir notre pratique spirituelle, notre pratique de méditation pendant cette activité. Donc, être vigilant veut dire : avoir une conscience qui sait. Exemple : « Pour me rendre d’ici au Bost, je prends la voiture. J’accomplis l’acte de conduire la voiture sur quelques kilomètres, mais comment intégrer cette activité sur le chemin vers l’éveil ? » Il faut savoir faire. C’est donc un troi-sième aspect qui est : « savoir clairement ». Si je pratique la vigilance détendue et demeure vigilant sur le corps, les sensations, si j’apaise les tensions qui émergent, ceci est une forme de pratique. Je peux aussi rester dans la compassion en récitant OM MANI PEME HOUNG durant ce petit trajet. Il y a diffé-rentes façons d’amener l’activité sur le chemin, donc de « savoir clairement » comment le faire sur le chemin vers l’éveil. Cet aspect de la pratique pourrait être comparé à un pâturage. Alors, comment faire de chaque activité un « pâturage » pour notre pratique ?

Quatrième aspect C’est la non confusion ou la non ignorance (l’absence d’ignorance). C’est le fait d’être cons-

cient pendant l’activité de la nature véritable, de la dimension ultime, c'est-à-dire de l’absence du soi ; d’être au-delà d’une fixation sur un moi, un je, solide ; d’aller au-delà de ces fixations dans ce qu’on appelle conscience ou nature illusoire des phénomènes.

Vous voyez donc les différents sens que recouvre ce terme « être pleinement conscient ». Ceci nous conduit à une profondeur de compréhension qui s’enchaîne directement avec les pratiques que nous connaissons sur le chemin du bodhisattva, du mahamoudra. Par exemple, dans la voie du bodhi-sattva il faut tout ramener à l’intention juste, c'est-à-dire au désir d’être vraiment bénéfique dans ce monde en vue du but ultime qui est de pouvoir aider tous les êtres à atteindre l’éveil. Pour cela, nous

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devons être conscients de la validité de nos actes par rapport à ce que nous souhaitons accomplir, de la manière de les transformer, de faire des différentes situations et activités une expression de la bodhicit-ta, un chemin de pratique. Et nous ne serons pas seulement conscients de la bodhicitta relative mais aussi de la bodhicitta ultime, de la nature ultime des choses. Donc, toutes ces instructions qui nous sont très familières figurent déjà ici dans les textes d’origine sur la méditation.

Quand on parle de « pâturage », c'est-à-dire d’un champ fertile pour notre pratique, certains sont impropres et ne conviennent pas, comme lorsque nous tombons dans la distraction, l’attachement, le désir, l’aversion. Dans ces cas-là, nous cultivons des obscurcissements, des tendances émotionnelles. Et ce qui stimule et nourrit alors cette forme d’activité et d’attitude d’esprit, ce sont les tendances sam-sariques. Cela ne mènera pas à l’éveil.

Si nous regardons les quatre facteurs dans cet ordre, nous remarquons une progression qui va du plus facile au plus difficile, c’est-à-dire au plus subtil. Dans cette progression, il y a lieu de considérer quatre étapes, quatre aspects ou facettes de la claire conscience. 1) D’abord, considérer la motivation en général ; 2) Regarder si l’acte convient pour atteindre ce but ; 3) S’établir dans la méditation pen-dant l’activité ; 4) S’ouvrir à la dimension au-delà des saisies, au-delà des fixations. Nous avons donc terminé les explications sur toutes les instructions essentielles de cette partie préliminaire, y compris le refrain.

Maintenant, poursuivons avec les explications qui s’enchaînent sur les différents exercices. Nous en sommes à la page 5 avec cette merveilleuse contemplation du :

[CADAVRE EN DECOMPOSITION]. Cet exercice, prolongement direct de notre méditation sur le corps vivant, nous fait prendre conscience de sa fragilité et aussi du fait qu’il n’échappera pas à la mort. Nous allons donc contempler le corps après la mort.

Hier, nous avons établi la conscience que chaque fois qu’il y a naissance, changement d’instant en instant, la mort est programmée. Ce corps ne sera pas éternel et finira un jour par se décomposer. Regardons ce processus. Cette méditation est de l’ordre d’un exercice imaginaire. Nous n’avons pas besoin de nous rendre sur un charnier pour voir les cadavres en décomposition, mais si vous en avez la possibilité vous pouvez le faire. Vous pouvez aussi regarder des cadavres d’animaux que l’on trouve dans la nature et vous en inspirer.

Vous savez peut-être qu’en Inde, au temps du Bouddha, l’usage voulait que les cadavres soient juste posés sur un champ réservé à cet effet. On ne les brûlait pas systématiquement car le bois était rare et coûteux. On abandonnait les corps, et les animaux, le soleil, etc., s’en occupaient. Les grands risques d’épidémies, de maladies étaient rares parce qu’il faisait trop chaud et trop sec.

Je vais lire le texte et voir si des mots doivent encore être expliqués. Nous ferons cette médita-tion plus tard. Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de grandes explications.

« Qui plus est, comme si nous voyions un cadavre jeté dans un charnier – mort depuis un jour, deux jours, trois jours – gonflé, livide et pourrissant, nous le comparions à ce corps même : ‘Mon corps aussi ; telle est sa nature, tel est son avenir, tel sera son destin inévitable’. »

Donc ici, nous faisons un travail de comparaison. Nous observons autre chose. Ce n’est pas no-tre corps mais nous nous rendons compte qu’il en sera de même pour nous.

Le point clé de cette méditation est de comprendre que par sa nature, notre corps ne pourra pas échapper à ce destin. Il est voué à se décomposer. Parce qu’il est un objet conditionné (il s’est formé grâce à des conditions), il se décomposera lorsque ces conditions ne seront plus présentes.

« Puis, comme si nous voyions un cadavre jeté dans un charnier, becqueté par les corneilles, les vautours et les faucons, par les chiens, les hyènes et diverses autres créatures, nous le comparions : ‘Mon corps aussi ; telle est sa nature, tel est son avenir, tel sera son destin inévitable’. »

Maintenant le texte est abrégé, il faudra ajouter chaque fois cette même phrase : « […] nous le comparions : ‘Mon corps aussi […] » etc.

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« Puis, nous contemplons de la même manière un squelette couvert de chair et de sang, raccor-dé par les tendons.

Puis, nous contemplons un squelette sans chair couvert de sang, connecté par des tendons. Puis, nous contemplons un squelette sans chair ni sang, connecté par des tendons. Puis, nous contemplons des os détachés de leurs tendons, éparpillés en toutes directions – ici

l’os d’une main, là l’os d’un pied, ici un tibia, là un fémur, ici l’os d’une hanche, là une vertèbre, ici une côte, là un sternum, là une clavicule, ici une cervicale, ici une mâchoire, là une dent et ici un crâne. »

Ceux qui ont un peu de courage peuvent tout à fait contempler leur propre corps. Pour vraiment faire le point, nous pouvons imaginer que c’est le nôtre qui se décompose. C’est un exercice de visua-lisation. Nous connaissons à peu près notre propre corps et pouvons nous imaginer qu’il meurt et ce qui lui arrive après la mort.

« Puis, nous contemplons les os blanchis, un peu de la couleur des coquillages. Puis, nous contemplons les os empilés depuis plus d’un an. Ou encore, comme si nous voyions un cadavre jeté dans un charnier, les os décomposés en pou-

dre, nous le comparions à ce corps même : ‘Mon corps aussi ; telle est sa nature, tel est son avenir, tel sera son destin inévitable’. »

Si vous faites cet exercice, il est très important d’aller jusqu’à la poussière. Il ne faut pas laisser les os comme dernière base d’identification. C’est la terre qui revient à la terre. Il ne restera plus rien, même si ce processus est très long. On ne trouvera plus rien après, on ne pourra pas dire « voilà ce qui reste de l’ego », il n’y aura rien !

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation du corps de façon interne, externe ou les deux à la fois. »

La contemplation du corps de façon « interne », c’est-à-dire sur soi-même, est très importante. Nous l’avons déjà effectuée. Ensuite, il est nécessaire de le faire pour les autres, surtout pour ceux auxquels nous sommes attachés mais également pour ceux envers lesquels nous avons de l’aversion. Cela change notre vision des choses. Nous devenons très conscients que ces corps-là, ceux des pro-ches, des êtres bien-aimés comme ceux des êtres détestés, sont des phénomènes passagers.

Dans le Bodhicaryavatara, Shantidéva fait une petite remarque sur les grands guerriers. Il dit : « Ceux qui tuent des ennemis avec des armes, tuent tout simplement des cadavres ambulants. » Cela veut dire qu’ils achèvent un être humain qui, de toute façon, finira par mourir. Ce ne sont pas de véri-tables héros. Les véritables héros sont ceux qui achèvent la saisie égoïste. Ces guerriers-là peuvent vraiment être « fiers » parce qu’ils achèvent ce qui représente le problème fondamental du samsara, un problème qui ne meurt pas par lui-même mais doit être travaillé pour trouver son terme. Il joue donc avec le mot « héros », pour montrer que la perspective du monde est complètement différente de la perspective du dharma. Dans le monde, les héros sont beaux, riches, forts, dominants, etc. (Vous connaissez toutes les qualités qu’on peut leur donner.) Dans le dharma, ceux qui deviennent humbles, compassionnés, sages, qui en finissent avec la saisie égoïste, sont des êtres à respecter. C’est assez différent. Il peut y avoir parfois une petite exception, mais si nous regardons vraiment, dans le samsara tout est récupéré par l’ego et dans le dharma la saisie égoïste est travaillée jusqu’à sa disparition. C’est une contemplation qui peut s’enchaîner après celle toute simple de la décomposition des cadavres. Il y a toute une réflexion sur les termes de la phrase suivante :

« Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant le corps de tous les êtres. La vigilance : ‘Il y a un corps’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable. »

Donc, nous sommes en contact avec la réalité : puisqu’il s’agit d’un phénomène corporel physi-que, il ne peut en être autrement. Et c’est ainsi pour tout le monde.

« Une connaissance directe et une vigilance stable » sera ici d’être toujours conscients de notre non-permanence, du changement qui viendra avec la mort, de toujours nous rappeler que nous ne connaissons pas l’heure de notre mort mais qu’elle arrivera avec certitude et que nous devrons aban-donner toutes nos relations, tous nos attachements au corps et aux autres. Donc, l’inévitabilité de la

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mort nous accompagnera dans notre vigilance stable qui s’établira grâce à cette contemplation. Et à la suite de cette méditation sur le changement et la mort :

« Nous demeurons indépendants, sans attachement à rien au monde. C’est ainsi que concernant le corps, nous demeurons dans la contemplation du corps. »

Ceci termine le chapitre sur la contemplation du corps. Avez-vous des questions ?

Question : La seule pensée qui me vient, c’est qu’il y a un corps mangé par les animaux, qui re-tourne en poussière, et que c’est bien. Est-ce que c’est encore l’ego qui se dit que ce corps sert encore à quelque chose ?

LL: Tu peux écrire dans ton testament que tu souhaites un recyclage écologique de ton corps, ainsi il sera utile à quelque chose. Mais ce n’est pas exactement le sujet de cette contemplation. Le Bouddha veut nous dire ici que ce n’est ni mal, ni bien, c’est ainsi et c’est inévitable. La chose impor-tante est juste cela.

Si vous êtes prêts, j’aimerais enchaîner avec le chapitre sur

[LA VIGILANCE PAR RAPPORT AUX SENSATIONS] .

Vous vous souvenez des quatre aspects du placement de l’attention ou de l’établissement de la vigilance : corps, sensations, esprit et dharmas. Nous abordons maintenant le deuxième aspect.

« Et comment, pratiquants, concernant les sensations, demeurons-nous dans la contemplation des sensations ?

Ici, en ressentant une sensation agréable, nous savons : ‘Je ressens une sensation agréable’, lors d’une sensation désagréable, nous savons : ‘Je ressens une sensation désagréable’ et lors d’un sensation neutre, nous savons : ‘Je ressens une sensation neutre’. »

Ici, il s’agit d’abord d’une pratique très simple et assez grossière qui consiste à savoir seulement ce qui se passe. Voilà pourquoi il est dit : « Nous savons » et qu’ensuite nous nommons ce qui se passe. Prenons un moment pour ressentir dans notre corps s’il y a des sensations agréables ou peut-être désagréables à différents endroits. [Méditation]

Vous avez pu prendre contact avec les sensations durant ces quelques instants. Peut-être avez-vous découvert une sensation agréable dans l’estomac du fait d’avoir pris le petit déjeuner, ou peut-être désagréable si vous avez bu trop de café… ou si vous n’avez pas mangé. Des tensions commen-cent peut-être à s’installer du fait que vous êtes assis déjà depuis un certain temps et vous constatez une sensation dans le dos, une fatigue ou un bien-être, une clarté au niveau de la tête ou de la torpeur ; il peut y avoir beaucoup de sensations différentes.

Ici, au niveau primaire, nous ne sommes même pas encore dans la définition de sensation de torpeur ou de sensation de fraîcheur. Ce sera pour un peu plus tard. Nous sommes seulement au stade très simple de : « j’aime/je n’aime pas », « agréable/désagréable » « neutre », c’est-à-dire ni agréable ni désagréable. C’est donc un peu flou et nous ne nous en occuperons pas pour le moment.

Les sensations sont donc le sujet d’une observation qui en s’affinant avec le temps, nous mènera encore plus loin. Finalement, nous entrerons dans la découverte du processus de la perception. Nous découvrirons comment les sensations/perceptions engendrent des réactions émotionnelles et à quel endroit dans cette chaîne, des jugements peuvent ou non prendre place en tant que facteurs décisifs ou pas, d’une chaîne de réactions émotionnelles qui s’ensuivra.

C’est très simple. Vous êtes assis depuis un moment et vous avez mal quelque part. Vous pous-sez un violent cri de douleur, puis : « Il faut que je change de position ! » Ceci est une réaction émo-tionnelle à une sensation désagréable car dès que cette sensation vient à l’esprit : « Je n’aime pas, il faut que ça change ! » tout de suite vous modifiez votre posture avec une expression émotionnelle vers l’extérieur et à l’intérieur. Et tout cela semble être un drame. Après quelques années de pratique, vous direz d’une voix calme : « J’ai mal au genou, je change de posture. » Il n’y aura plus aucune grande réaction émotionnelle. C’est très simple, nous regardons si nous voulons faire ou ne pas faire quelque chose et nous agissons. Fin du cinéma.

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Nous pouvons apprendre cela au travers de ce que nous ressentons tout au long de notre vie, où que nous soyons dans le monde. Il y a donc des sensations auditives, olfactives, gustatives, visuelles, tactiles. Nous les ressentons de toutes parts et pouvons ou non en faire tout un cinéma. C’est notre choix, nous avons un choix et ce choix est à développer.

Regardons d’abord la suite du texte (sur les sensations) pour avoir une vision un peu globale de ce que le Bouddha nous conseille.

« En ressentant une sensation mondaine agréable (désagréable ou neutre), nous savons : ‘Je ressens une sensation mondaine agréable ou une sensation mondaine désagréable ou une sensation mondaine neutre’. Et lors d’une sensation supra mondaine agréable ou désagréable ou neutre, nous savons : ‘Je ressens une sensation supra mondaine agréable ou désagréable ou une sensation supra mondaine neutre’. »

Quel est le sens de « mondaine » et « supra mondaine » ? Les sensations mondaines sont toutes les sensations auxquelles nous sommes habitués. Tout ce que nous vivons là, maintenant dans la salle, sont des sensations mondaines, c'est-à-dire avec une saisie. Nous ne sommes pas dans une absorption méditative mais dans un fonctionnement ordinaire, samsarique.

Donc, les sensations supra mondaines18 sont en lien direct avec la pratique du dharma, comme par exemple les trois premières absorptions méditatives, c'est-à-dire les trois dhyânas. J’ai déjà parlé de ces trois absorptions qui résultent de l’entrée dans un grand calme mental accompagné de bien-être physique et de joie dans l’esprit. Ces expériences, ces sensations font déjà partie de ce qu’on appelle les « sensations supra mondaines » qui mènent vers le dharma, vers l’éveil. Ce n’est pas encore l’éveil, c’est toujours dualiste, mais cela va dans cette direction-là.

On peut aussi parler des sensations subtiles qui s’élèvent quand nous pratiquons les quatre in-commensurables : l’amour, la compassion, la joie et l’équanimité illimitées. Donc, quand nous déve-loppons profondément dans notre être ces quatre qualités illimitées, ces absorptions méditatives de l’ordre du samadhi sont accompagnées de sensations dans le corps et dans l’esprit ressenties comme agréables.

Quelles sont les sensations supra mondaines désagréables ? Ce sont la honte et le remords. Sur le chemin vers l’éveil, les facteurs honte et remords, quand ils sont appropriés, sont absolument néces-saires pour écarter des formes de conduite nuisibles. Ils sont donc utiles sur le chemin de la pratique vers l’éveil, mais le ressenti immédiat est désagréable. On les appelle donc « supra mondaines désa-gréables ».

Ensuite il y a les sensations neutres – ni agréables ni désagréables – de la quatrième absorption, le quatrième samadhi (dhyâna). Parce qu’ici nous avons abandonné le sentiment de joie mentale, le bien-être physique, toutes les identifications avec ces formes de félicité, nous demeurons dans une profonde équanimité au-delà des termes « agréable », « désagréable ». C’est ce qui est appelé une « sensation supra mondaine neutre ».

Faire la différence entre sensations mondaines et non mondaines (supra mondaines) est possible grâce à un travail nous permettant de savoir que l’identification conduit toujours à la souffrance, au samsara. Toutes les sensations mondaines sont des expériences provoquées par un karma qui se mani-feste. Ce sont les traces des saisies du passé. Quant aux sensations sur le chemin de la pratique, elles accompagnent les prises de conscience et la détente progressive. Elles font partie du chemin vers l’éveil. Nous les acceptons mais nous ne nous y attachons pas non plus. Nous ne nous attachons à au-cune sensation, qu’elle soit mondaine ou non mondaine (supra mondaine). Ensuite, le Bouddha donne le refrain :

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation des sensations de façon interne19, externe20, puis les deux21. »

18 Pour vous faciliter les choses, j’ai donné la signification des sensations supra mondaines dans la petite note 17, page 23. 19 C'est-à-dire pour nous-même.

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Comment pouvons-nous contempler les sensations des autres ? Nous regardons et observons. Nous regardons et pouvons remarquer qu’une personne fait une forte saisie lorsqu’en se levant elle exprime par une grimace ses douleurs aux genoux. De cette manière, grâce à notre propre expérience, nous sommes à même d’imaginer ce qui se passe dans le corps et l’esprit d’autrui. Finalement, la contemplation des sensations des autres mène à la compréhension et à la compassion envers eux. C’est « sentir avec ». Nous pouvons nous ouvrir au vécu de l’autre en utilisant toutes les possibilités d’informations visuelles, auditives, etc. L’autre aussi peut nous parler, nous décrire ce qu’il vit. Toutes ces possibilités permettent de s’informer sur ce qui se passe afin de vérifier si le processus de percep-tion avec les jugements émotionnels et l’enchaînement des réactions émotionnelles, est le même pour les autres que pour nous. C’est le but de cette méditation sur ce que vivent les autres. Pouvons-nous dire que les lois de fonctionnement de l’esprit sont vraiment identiques pour soi et pour autrui ?

A la fin, nous contemplons le tout, l’ensemble. Par exemple, quand je médite avec vous et guide la session de méditation, il est évident que je ne vais pas seulement percevoir mes propres sensations et rester dans mon petit monde en me désintéressant de ce que vous vivez pendant ce temps-là. Non, je vais utiliser mes « antennes » pour remarquer un peu ce qui se passe dans la salle. Donc, c’est grâce à ce « peu », que je suis capable de percevoir une partie de « vos » sensations, de votre vécu. Ainsi, je dispose d’un vécu panoramique de la situation, je suis en phase avec ce qui se passe. Si nous ne som-mes pas à l’écoute de l’autre, si nous n’écoutons que nous-même, il y aura un problème. Il faut être dans cet équilibre d’un ressenti de soi-même et des autres.

Question : Dans mon travail d’enseignant, j’ai l’impression que mon ressenti intérieur peut cor-respondre à l’ambiance du groupe et je me base là-dessus pour répondre au plus vite aux besoins du groupe. Je ne suis jamais complètement sûr et me suis demandé si mon ressenti venait de moi ou des autres. Y a-t-il un moyen de savoir cela ? Peut-on par exemple, être comme une page blanche qui re-çoit ce que l’autre ressent pour pouvoir le lire clairement ?

LL: Une partie de la réponse est déjà dans ta question. Si quelqu'un est très vif dans son ressenti intérieur et si cette personne a déjà purifié largement les tendances, les réactions émotionnelles sur le vécu physique, émotionnel, etc., elle aura une grande disponibilité pour ressentir ou voir des petites choses… parce que le nettoyage intérieur est déjà fait et continue à se faire très rapidement. Donc, cette personne n’est pas préoccupée, ce qui est idéal pour remarquer ce qui se passe à l’extérieur.

Si nous voulons aller vraiment jusqu’au bout de cette question, considérons un bouddha qui a donc tout résolu intérieurement, dont les énergies sont en harmonie et toutes les capacités disponibles pour ressentir la situation. Il éprouvera aussi le besoin de changer de posture mais saura rester en contact avec le vécu intérieur. Ce qu’il ressent à l’intérieur ne donnera jamais lieu à une réaction émo-tionnelle perturbant la perception de ce qui l’entoure.

Ceci m’amène à parler des distorsions de la perception par nos propres émotions. Dans notre état actuel, nous sommes sujets à des distorsions permanentes de notre perception. A tout moment nous sommes dans la distorsion, même en étant détendus. Nous n’avons pas encore cette ouverture d’esprit permettant d’être une page blanche. Il ne faut pas rêver. Même détendus, nous projetons tou-jours sur les autres notre propre expérience intérieure du passé ou du présent. Si nous voyons quel-qu'un faire un geste, une mimique ou une expression visuelle, nous interprétons rapidement ce qui se passe. Et cette interprétation est un filtre émotionnel, nous ne pouvons pas être sûrs de sa perception.

Ce filtre de la perception – filtre émotionnel – est constitué des kleshas, des émotions qui voi-lent l’esprit, à commencer par l’ignorance, cette incapacité de connaître la nature véritable de l’esprit, de la situation et des phénomènes qui s’enchaînent dans les schémas de l’attachement et aversion, des plus subtils aux plus grossiers. Tant que nous ne demeurons pas dans un état non duel, absent de saisie égoïste, nous ne sommes pas libres. Tant que nous sommes dans la saisie égoïste, ces filtres sont opé-rationnels. Nous voyons une expression sur le visage de l’autre et pensons : « Ça pourrait être ça », même si nous ne nous disons pas : « C’est ça ». Le filtre est actif immédiatement et il est très rapide.

20 Pour ce qui semble être extérieur, les autres. 21 De manière panoramique.

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Des recherches ont été effectuées sur la manière dont les relations s’établissent entre les gens : « J’aime », « Je n’aime pas ». Une dizaine de personnes sont dans une salle. Une autre entre. En étant très vigilants, nous avons pu constater que dans les premières fractions de secondes, cette personne a déjà identifié celle ou les deux ou trois personnes auprès desquelles elle aimerait s’asseoir. Les autres ne l’intéressent pas beaucoup. Elle peut même développer carrément de l’aversion. C’est très rapide, quelques impressions visuelles suffisent. Voilà comment cela s’enchaîne : nous nous asseyons à côté de la personne que nous semblons préférer et avec une attitude de base plutôt positive, nous commen-çons l’échange. Si nous sommes forcés, obligés de nous asseoir à côté de quelqu’un envers qui nous avons une réaction immédiate d’aversion, cela ira dans cette direction. Ce processus se passe extrê-mement rapidement et il est constamment actif. Cela s’appelle du karma, ce sont les filtres karmiques.

Question : Est-ce le même filtre en ce qui concerne nos propres sensations ou perceptions ?

L. L : Oui, le même filtre agit pour nos propres sensations. Mais, avec la pratique, nous allons essayer d’en sortir peu à peu. Nous allons faire en sorte de ne pas créer autant de distorsions dans notre perception de la réalité en jugeant moins, jusqu’à ne plus juger. Nous allons simplement percevoir ce qui est là, remarquer les choses sans que s’élève ce jugement : « agréable/désagréable » ; « j’aime/je n’aime pas » ; « il faut que j’agisse/il faut que je me défende ». Nous gagnons peu à peu en subtilité et pouvons détendre différents niveaux de ce filtre émotionnel fait de tensions. La nature de ce filtre, ce sont les tensions qui s’élèvent dans l’esprit. En nous détendant, nous atténuons ce filtre ; une personne détendue est moins dans les projections qu’une personne tendue. C’est ainsi que nous approfondissons notre perception.

Dans cette détente, un choix inexistant auparavant apparaît dans notre esprit. Nous étions ten-dus, programmés et prévisibles. Détendus, nous avons différentes options : « Vais-je agir, réagir ou pas ? » ou « Vais-je agir de cette manière ou différemment ? » Du coup, parce que nous sommes dé-tendus et non contraints à réagir immédiatement, un choix d’actions s’installe grâce à cette réactivité obsessionnelle amoindrie à propos de nos sensations agréables ou désagréables. Et c’est cela qui nous permet de faire un choix karmique plus juste et de sortir des tendances karmiques qui, sinon, se répè-tent sans cesse.

Question : Si nous regardons comment nous sommes structurés, par exemple comment notre ré-tine est structurée dans la décodification des informations reçues, nous voyons que la distorsion de la perception de la réalité est extrêmement basique et qu’il n’est peut-être pas possible de s’en défaire. Est-ce qu’il s’agit ici plutôt d’une désidentification avec ce que nous percevons ?

LL: C’est une question très intéressante, assez subtile. Il est vrai que beaucoup de nos tendances en matière de réactions émotionnelles ont déjà créé des structures neuronales et hormonales dans notre corps nous prédisposant à réagir de telle ou telle manière. Il est possible de changer, de défaire quel-ques-uns de ces circuits et de ces façons de réagir au niveau hormonal et neuronal. Cependant, nous ne pouvons pas changer certains mécanismes parce qu’ils sont la base de notre fonctionnement humain. Bien sûr, nous n’allons pas commencer à percevoir le monde comme une souris, c’est impossible. Mais nous avons une grande possibilité de travailler sur les identifications (partie de la question), c'est-à-dire en nous dés-identifiant. En nous identifiant moins avec les images qui apparaissent dans notre conscience, nous gagnons en espace. Et le travail de déconditionnement s’effectuant avec cette prati-que-là, parvient à un niveau de subtilité qui concerne le passage de l’image ou de la sensation non conceptuelle dans le conceptuel. Dans ce transfert-là, au départ, une image visuelle est non concep-tuelle. Ensuite, l’image visuelle est transportée dans un processus conceptuel d’identification, de nommer, etc. A cette étape, nous pouvons déconditionner et créer d’autres conditionnements ou des façons plus habiles de gérer la réalité, source de moins de souffrance.

Question : Quand on constate de plus en plus la souffrance dans laquelle on est soi-même et les autres, quand on se sent impuissant, quand on a ce sentiment d’abattement ou de désillusion, quand on perd l’espoir que tout cela se fasse aussi bien qu’on le voudrait, la tristesse est-elle une autre facette de la compassion en tant que sensation supra mondaine ou est-on rattrapé par quelque chose de très égoïste qui fait que cette tristesse n’est pas forcément signe de compassion ?

LL: Cette tristesse, cet abattement, sont des sentiments mondains. Dans le Satipatthana soutra, tu es déjà dans la catégorie « esprit », avec les émotions. La tristesse est une émotion très compliquée,

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faite de nombreux facteurs et surtout de nombreuses saisies. Il y a beaucoup de saisies dans le senti-ment de dépression, de tristesse, de se sentir abattu et déprimé. Ce n’est pas nécessairement un chemin de compassion mais on peut l’utiliser pour le développer, pour qu’elle devienne une voie de compas-sion. Donc, si nous connaissons le dharma, nous utiliserons ces moments difficiles et dépressifs de notre vie pour penser à ceux qui sont dans des situations un peu analogues, pour nous ouvrir, partager, inviter leur souffrance dans la nôtre, etc. Cela devient alors un chemin de compassion. La souffrance est une base excellente pour la développer mais on n’a pas besoin de toujours souffrir plus pour aug-menter notre compassion. – Demain nous continuerons avec les sensations. Le sujet n’est pas aussi rapidement clos.

Méditation guidée

Vous êtes revenus en grand nombre pour méditer sur les cadavres en décomposition ! Pour commencer, je vais vous lire quelques extraits du soutra.

« Concernant le corps, nous demeurons dans la contemplation du corps – persévérants, pleine-ment conscients et vigilants, écartant envies et soucis mondains. »

Et maintenant, pour faire la méditation sur le corps nous lisons :

« Qui plus est, comme si nous voyions un cadavre jeté dans un charnier, mort depuis un jour, deux jours, trois jours, gonflé, vide et pourrissant, nous le comparions à ce corps même : ‘Mon corps aussi ; telle est sa nature, tel est son avenir, tel sera son destin inévitable’. »

La première contemplation consiste à se rappeler le corps, le cadavre d’une personne morte que nous avons déjà vu et de le comparer avec notre propre corps. Peut-être avons-nous vu quelqu'un mou-rir à la maison ou à l’hôpital et lui avons-nous rendu visite quand son corps était déjà froid. Le nôtre aussi un jour deviendra froid. Souvenons-nous de la sensation que nous avons éprouvée quand nous avons touché ce corps. Il était glacé et tout raide, ce n’était plus du tout la sensation d’un corps vivant. Ceux qui ont vécu l’expérience peuvent se souvenir qu’un cadavre resté plusieurs jours à la maison, même en étant sur un lit réfrigéré, dégage une odeur de putréfaction par la bouche et les autres ouver-tures. Et cette odeur peut être si forte qu’il devient difficile de rester près de la dépouille.

Mon corps aussi aura le même avenir, tel sera son destin parce que sa nature est identique aux corps que j’ai déjà vus. Imaginons-nous dans une procession funèbre pour amener le cadavre d’une personne sur un charnier, le déposer, puis repartir en l’abandonnant là. Bien sûr, nous pouvons aussi nous rappeler ou nous imaginer des corps jonchant un champ de bataille, ou une ville après un bom-bardement.

Le ventre de ces cadavres commence à gonfler. Des liquides sortent par le nez, par la bouche, par l’anus. L’odeur devient très forte à cause des gaz qui se développent à l’intérieur. La flore intesti-nale commence à attaquer le corps de l’intérieur et les animaux, les insectes à le dévorer de l’extérieur.

La même chose arrivera à ce corps qui est le mien aujourd’hui si on le laisse dans les mêmes conditions, parce que c’est cela sa nature, c’est la nature de tous les corps.

Puis le soleil, la pluie, les fourmis, les vers commencent à se rassembler et à faire leur travail. Les oiseaux arrivent, peut-être aussi des animaux plus grands : des chacals, des chiens, etc., des rats aussi… En Inde, les vautours faisaient un grand nettoyage.

Là, le ventre est déchiré ; là, il explose à cause des gaz ; les restes de liquide s’échappent. Bien sûr, le sang stagne, il ne coule plus, mais cette rougeur du sang apparaît de partout. Le corps pue, il pue énormément et on peut déjà le sentir de très loin. C’est une odeur qui rend son approche difficile. A mon corps aussi ce même destin sera assuré si on le laisse dans des conditions identiques.

Ce cadavre devient la demeure d’une multitude d’insectes qui trouvent ainsi à se nourrir. Mon corps aussi deviendra de la nourriture pour une multitude d’êtres qui le mangeront.

Tout est déformé dans ce cadavre. Chez les hommes, la barbe a encore poussé un tout petit peu, les yeux sont vides, les cheveux ne sont plus entretenus, la peau est livide, ridée et déchirée. Le corps

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est nu, rien ne le protège, tout est ouvert. Les os commencent à apparaître ; on peut voir les restes de tendons, de ligaments après que les muscles aient été dévorés. Et si nous observons ce cadavre jour après jour, semaine après semaine, nous verrons un squelette avec quelques tendons non encore disso-ciés. Nous nous rappellerons qu’il y a encore peu de temps, c’était un corps humain. Et nous nous faisons la même réflexion : « Oui, mon corps aussi n’est qu’un squelette un peu étoffé avec des orga-nes et des muscles autour. Rien de tout cela ne durera. »

L’odeur est partie, la plupart des insectes aussi. Les grands animaux ne s’intéressent plus à ce squelette. La décomposition continue avec les bactéries et les petits insectes. Le soleil et la pluie effa-cent les traces visibles du sang et peu à peu les os tombent parce qu’ils ne sont plus maintenus par les ligaments. Les saisons passent, l’hiver, le printemps… D’autres animaux viennent pour quêter encore de la nourriture, ramènent un bout de doigt, un os par ci par là, le tout est éparpillé dans les quatre directions. Tous ces os dispersés, blanchis par le soleil, les changements de température, la pluie, la neige ne permettent plus de reconnaître qu’il s’agissait d’un être humain.

De l’herbe et des plantes poussent tout autour. Peu à peu les os sont intégrés dans la végétation où, avec les années, ils deviendront poussière, terre. Les plantes et les bactéries se grefferont dessus et se nourriront du calcium, magnésium, phosphate, etc.

« Mon corps aussi : telle est sa nature, tel est son avenir, tel sera son destin inévitable. »

Souvenons-nous de nos proches déjà morts, de nos arrières grands-parents par exemple. On vient de nous informer que dans le cimetière on a besoin de leur emplacement pour de nouveaux cer-cueils. En déterrant leurs corps on ne trouve que quelques restes de squelette, parfois même pas. La nature a déjà fait son travail.

Parmi les personnes que je connais, certaines sont déjà décédées, d’autres mourront encore avant moi et d’autres, je ne les verrai pas mourir parce que je serai mort avant eux. Nous allons laisser notre corps derrière nous. Alors, pourquoi s’y attacher toute une vie puisque de toute façon il finira en poussière. – Restons en méditation un petit moment en appliquant les instructions du refrain :

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation du corps de façon interne, externe ou les deux à la fois. Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant le corps. La vigilance : ‘Il y a un corps’ (il y a simplement un corps) est établie dans la mesure néces-saire pour une connaissance directe et une vigilance stable et nous demeurons indépendants, sans attachement à rien au monde. »

-- Méditation --

Nous ne sommes pas encore morts puisque les diverses sensations dans notre corps sont signes de vie.

Regardons ce qui se passe au niveau des cinq sens.

Commençons avec le sens tactile et ce que nous ressentons à l’intérieur du corps. Parcourons-le de haut en bas et de bas en haut, pour entrer dans ses différentes parties et voir ce qui s’y passe. Com-mençons par le sommet de la tête, jusqu’a la plante des pieds. Remontons de la plante des pieds jus-qu’au sommet de la tête, en remarquant simplement ce qui se passe. Essayons de ne pas avoir de ju-gements mais de noter tout simplement ce que nous ressentons. [Méditation]

Maintenant, faisons la même chose avec les sensations visuelles. Sans bouger le regard, et sans juger, notons, prenons conscience de toutes les couleurs et formes différentes se trouvant dans notre champ visuel. [Méditation]

Continuons avec les sensations auditives. Entendre sans jugement ; tout simplement être cons-cients de tout ce qui se passe dans le champ auditif. [Méditation]

Observons maintenant simultanément les différentes sensations des trois perceptions : corporel-les, visuelles, auditives, et regardons si nous avons aussi des sensations olfactives ou gustatives. [Médita-tion]

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Pleinement conscients, sans jugement, dès qu’un attachement ou une aversion s’élève, nous es-sayons de nous détendre. [Méditation]

Pratiquons la même chose pour les pensées qui apparaissent et percevons-les sans jugement. Es-sayons de nous défaire de l’attachement et de l’aversion envers elles. [Méditation]

De cette manière, « nous demeurons indépendants, sans attachement à rien au monde. »

Septième enseignement

Hier, nous avons entrepris la description du travail sur les sensations, travail d’une subtilité croissante commençant par ce qui est évident, facile à voir, pour aller vers des perceptions de ce pro-cessus toujours plus subtiles.

En comparant avec la vigilance posée sur le corps, nous remarquons maintenant une extension du champ de pratique de notre vigilance : non seulement nous méditons sur ce qui peut être contemplé et ressenti dans le corps, mais nous incluons les autres sens. De ce fait, nous sommes avec les cinq sens extérieurs et un sixième sens qui remarque l’apparition des pensées. Donc, en passant de la médi-tation sur le corps à la méditation sur les sensations, davantage d’éléments sont à intégrer. Ainsi, tout notre vécu nous sert de base pour la pratique et en tant qu’être humain, tout apparaît au travers des six sens, à savoir : tout ce que nous vivons avec les cinq sens extérieurs, plus les pensées qui surgissent. Même si dans le soutra la discussion est très brève, au niveau du passage d’une pratique à l’autre, le travail réalisé est énorme.

Le champ d’observation – qui était plus restreint – s’élargit maintenant. Aussi risquons-nous de nous perdre dans cet élargissement du champ de notre vigilance parce que nous disposons de toute l’information nécessaire comme objet de méditation. Quand nous nous focalisions encore sur le res-senti du souffle, de la posture ou d’une activité corporelle, les champs étaient plus restreints. Nous n’étions pas tellement dans un travail prenant en compte toutes les sensations possibles, mais simple-ment avec le corps comme base. En incluant d’autres sens, nous devons être conscients de ce risque de se perdre. Il n’est pas facile de méditer simultanément sur les six sens, c'est-à-dire d’être en contact à la fois avec le corps (avec ce que nous entendons, voyons, goûtons, sentons) et avec les pensées qui s’élèvent dans l’esprit. Donc, pour pouvoir intégrer ces aspects de la pratique, il convient pour com-mencer, de se concentrer sur certains aspects et de se dire : « Maintenant j’inclus tout ce qui est auditif et je travaille avec pendant un bon moment. » Ensuite, nous introduirons d’autres aspects de notre vécu. Et si nous remarquons qu’au lieu de stabiliser notre esprit avec ces méditations, nous devenons de plus en plus distraits, nous revenons alors sur le corps. Il nous faut profiter du grand avantage d’avoir un corps humain et de pouvoir méditer dans ce corps. C’est un ancrage dans le moment pré-sent, c’est la solidité apparente de notre existence comparativement à d’autres états sans corps physi-que où le vécu est ralenti. Donc, dès que nous nous sentons déstabilisés et que nous ne savons pas trop sur quoi méditer, il convient de revenir sur le souffle, la posture, le ressenti du contact avec le sol, le dos (c’est-à-dire la verticale), le contact immédiat avec le corps, les sensations s’élevant grâce au contact du corps avec l’environnement et de rester avec, de se stabiliser. C’est pour cette raison que le Bouddha a souvent parlé de la respiration, parce que parmi les autres objets de méditation, elle excelle par sa grande fluidité, par le mouvement, et en même temps elle nous lie avec la sensation physique ; elle a une position intermédiaire.

Durant ce stage nous allons encore progresser dans nos explications, mais le fait que l’enseignement progresse ne veut pas dire que votre pratique doit nécessairement suivre cette progres-sion. Pendant ces quelques jours et même pendant des années encore, il conviendra tout à fait de rester simplement sur le souffle, les sensations physiques, la posture ou l’activité physique. Vous n’avez pas besoin de « pousser » votre méditation pour vous accorder avec les enseignements que vous recevez. Vous pouvez recevoir les enseignements comme un cadeau, comme une réflexion supplémentaire qui alimente votre compréhension de la méditation sur le corps.

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Le Bouddha semble avoir rencontré cette même question, parce que dans un autre soutra appelé Anapanasati Sutta, il explique que la méditation sur le souffle suffit à elle seule pour méditer les quatre formes de vigilance. Nous pouvons intégrer toute la compréhension de ce que nous allons développer avec les autres explications, dans la méditation sur le souffle et aussi sur d’autres formes de vigilance sur le corps.

En terme de dharma, toute forme de pratique de vigilance, quelle qu’elle soit, sera notre pratique principale. Il conviendra d’y inclure les quatre aspects de la vigilance. J’aimerais vous expliquer ce point-là à la fin du stage (quand vous aurez davantage d’informations sur les différents aspects de la vigilance). Vous verrez comment la pratique de Tchenrézi et la récitation de OM MANI PEME HOUNG par exemple, peuvent devenir une pratique des quatre vigilances, de même pour l’offrande du mandala ou de la méditation sur le souffle.

Ici, la méditation sur les sensations en général, a pour premier but de nous montrer comment apparaissent nos attachements et aversions. Il ne s’agit pas seulement de remarquer l’attachement et l’aversion quand ils sont déjà présents, mais il faut pouvoir discerner très tôt dans cet enchaînement, à quel moment tel attachement et telle aversion apparaissent. C’est très simple, voici un exemple : en sortant de la grange nous éprouvons une sensation de froid. Nous regardons le ciel, il est gris. Diffé-rentes sensations apparaissent : une sensation physique, corporelle et une perception visuelle. Que s’élève-t-il à ce moment-là ? De l’attachement ? De l’aversion ? Ou ni l’un ni l’autre ? Nous pourrions ne pas aimer le ciel gris et nous plaindre. Si nous sommes en train de nous plaindre et donc dans l’aversion, c’est que nous sommes déjà enchaînés à une réaction émotionnelle. Mais si en ressentant un peu plus de froid qu’hier avec un ciel différent, nous pensons : « C’est ainsi ! », nous acceptons et nous continuons notre journée. C’est un peu différent. Nous pouvons faire cela avec tout notre vécu. Donc l’idée de la méditation sur les sensations, c’est de pouvoir arrêter au plus tôt l’enchaînement émotionnel. Au fil du temps, cela peut créer une ambiance émotionnelle dans laquelle nous passons la journée.

Imaginons une autre forme d’impression sensorielle. Prenons par exemple la façon dont nous regarde notre conjoint ou un membre de notre famille. Ce regard – peut-être quelques paroles aussi – fait que nous ressentons quelque chose. Il y a donc une sensation visuelle et auditive. Puis, nous déco-dons cette information, ce vécu, avec notre filtre, notre expérience. Et même s’il n’y a pas de paroles, la façon dont on nous regarde génère quelque chose en nous et l’enchaînement commence. Si à ce moment-là nous pouvons être attentifs et nous détendre, c’est déjà plus facile. Nous sommes déjà moins programmés dans cet engrenage et pouvons donc en sortir ; nous pouvons décider de la manière dont nous souhaitons vivre, si nous voulons y donner suite ou pas, ou bien si nous voulons agir autre-ment. Qu’est-ce qu’un enchaînement émotionnel ? Ce sont les émotions qui créent une souffrance, les kleshas. On ne parle pas de tout l’enchaînement que peuvent produire la joie, la libération, etc.

Grâce au travail avec les sensations, nous faisons un premier constat sur des mois et des années. Nous nous rendons compte à quel point notre façon d’être dans le monde est conditionnée par nos réactions sur les sensations, sur les perceptions. Nous découvrons notre propre conditionnement et nous mesurons le travail qui reste à faire pour nous libérer. Cela devient clair. Nous voyons à quel point nous avons besoin de nous délivrer des automatismes émotionnels produisant la souffrance. Nous comprenons que le chemin est long parce que nos réactions sont profondément enracinées dans notre façon de voir, d’entendre, de réagir. Nous devons donc entreprendre un travail de décondition-nement. Ce déconditionnement accélère le travail de la libération. En faisant consciemment ce travail nous découvrons les espaces de la non réaction, du non jugement ; nous découvrons une perception plus intuitive, moins conceptuelle, qui ne conduit pas à des enchaînements. C’est la simplicité.

La simplification de notre vécu est une simplification dans cet engrenage. C’est le résultat de la déprogrammation, du déconditionnement. Quand la simplicité s’installe, si nous ressentons la fraî-cheur : nous ressentons la fraîcheur. Si nous voyons le ciel gris : nous voyons le ciel gris. Nous rece-vons un certain regard : nous le recevons comme il est. – Simplicité. – Nous buvons une tasse de thé : nous buvons une tasse de thé. Cette simplicité s’installe parce qu’il n’y a pas d’enchaînements émo-tionnels. Nous avons de l’espace pour bien ressentir, bien vivre les choses parce qu’il n’y a plus cette obligation de partir dans une foule de pensées d’attachement/aversion ou d’ignorance sur le vécu,

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Il est nécessaire de développer cette simplicité parce qu’elle nous permet de poser un regard sur notre vécu avec moins de filtres, sans obstructions, sans voiles. Plus notre regard sera libre de cet en-chaînement émotionnel, de toutes ces complications, plus il sera objectif sur la réalité. Et là nous pou-vons aller plus loin, nous pouvons découvrir davantage encore sur la vie, le fonctionnement de l’esprit, le fonctionnement du monde. Donc, ce travail avec les sensations en simplifiant notre vécu, en sortant des enchaînements émotionnels, est une base nécessaire pour développer la sagesse et la compréhen-sion juste de la réalité.

La différence essentielle entre les sensations mondaines et supra mondaines réside dans le fait de voir s’il y a une pratique ou pas, si la sensation s’intègre dans une voie de renoncement – nous re-nonçons à la complication et allons vers l’ouverture et la simplicité – ou si cette sensation s’intègre dans un contexte d’attachement, aversion, ignorance. Quand ces trois derniers éléments sont là, on parle d’une sensation mondaine. Quand il y a lâcher-prise, non-identification, renoncement à l’attachement sensuel, il est question d’une sensation non mondaine, supra mondaine et pour le dire ici avec nos termes : elle devient le lama nous montrant le chemin vers l’éveil. La sensation commence à nous enseigner la nature de la réalité parce qu’elle est vécue pleinement et s’intègre dans le chemin vers l’éveil.

Pour être bien précis dans la définition de ces termes, on peut dire : « Avant qu’il y ait une ab-sorption méditative – c'est-à-dire beaucoup de lâcher-prise permettant d’entrer dans une absorption méditative véritable – il n’y a pas de sensations supra mondaines. » Nous n’allons pas nous leurrer et déjà appeler un petit lâcher-prise entaché de grands attachements, une sensation supra mondaine. Il faut une bonne quantité de lâchers prises, une véritable ouverture, une véritable stabilité d’esprit pour que nous puissions dire que c’est vraiment le lama qui se manifeste dans les sensations. Voilà pour-quoi dans les définitions que je vous ai données hier, on parle des dhyânas, c'est-à-dire des profondes absorptions de shiné, de l’absorption dans les quatre illimités ; pour définir ce qu’est une sensation supra mondaine, on parle des véritables prises de conscience.

Dans les anciennes définitions des commentaires de la tradition palie, les sensations mondaines sont toujours en relation avec la saisie d’un moi. On les appelle les sensations charnelles. Quant aux sensations supra mondaines, on dit que ce sont des sensations liées au renoncement ; donc, sensations liées au côté charnel et sensations liées au renoncement. Ce sont les anciens termes. Pour nous, cela veut dire : sensations reliées à une identification au « moi », à l’attachement aux sensations (désirs, aversion, haine, tous ces groupes-là) et le renoncement, c’est tout le véritable lâcher-prise basé sur une compréhension et sur une non-identification.

Question : Comment savoir si notre renoncement, nos sensations de non-attachement sont purs, c'est-à-dire s’ils ne sont pas mélangés encore avec des impulsions ?

LL: Faire la différence n’est pas si difficile que cela. Il s’agit ici des états de l’esprit que nous aimerions analyser en rapport avec l’existence ou non d’un attachement. Et c’est très facile. Il faut juste être dérangé – ou s’imaginer être dérangé – dans sa méditation, pour savoir s’il y a ou non de l’attachement. Il faut juste s’imaginer – ou le vivre vraiment – être critiqué dans son renoncement, dans sa façon de faire ; et si nous commençons à nous défendre, à nous justifier, etc., alors, c’est signe de l’identification, de l’impulsion. Nous le voyons assez rapidement. Il faut juste soumettre aux tests cet état de renoncement apparent. Donc, pour simplifier, que ce soit pour notre pratique, pour nos sen-sations ou notre façon de vivre une sensation, nous devrons faire la différence entre une sensation mondaine ou supra mondaine.

Revenons avec l’exemple du ciel gris qui n’est pas une expérience qui se fait dans la méditation. Nous sortons de la grange et voyons le ciel. Il est gris. Nous sommes un peu déçus qu’aujourd’hui il ne fasse pas aussi beau qu’hier, alors nous remarquons l’apparition d’une petite aversion. Nous obser-vons donc l’enchaînement : sensations, aversion. Le lâcher-prise qui se produit grâce à cela, l’ouverture d’esprit regagnée, voilà une sensation qui nous a aidés sur le chemin. Et de la même ma-nière nous pouvons voir que d’autres impressions qui n’étaient pas intégrées dans une telle vigilance, donc non utilisées pour le chemin, servent à nous faire tourner dans le samsara. Nous pouvons tout simplement nous réjouir du fait de travailler avec les autres pour amener plus de vigilance. Voici un exemple pertinent : à l’instant, une personne s’est levée pour faire quelque chose sur mon côté gauche

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et la majorité d’entre vous a été distraite par cette activité. Vous avez eu du mal à entendre l’enseignement pendant ce temps-là. C’est une sensation mal utilisée pour le chemin. J’ai eu aussi cette sensation visuelle, mais grâce au fait que j’étais en train d’enseigner exactement sur ce sujet, j’ai pu remarquer que cette sensation visuelle n’avait pas d’importance pour moi parce que la personne ne s’adressait pas à moi. J’ai continué à me concentrer sur l’enseignement et de cette manière ce mouve-ment ne m’a aucunement perturbé. C’est exactement la qualité qu’il faut développer pour traverser le monde, notre vécu, sans être tout le temps perturbé dans nos six champs sensoriels par le vécu des autres. Si nous avons cette capacité, nous pouvons prendre des décisions. Nous pouvons dire : « Tiens, cela m’intéresse vraiment, j’aimerais regarder ce qu’elle fait. Je veux vraiment être avec cette per-sonne dans ce qu’elle fait, donc je me tourne vers son activité. » Mais c’est seulement une liberté et non une obligation. Cette capacité-là est donc à développer pour être libres dans notre vie.

Parlons un peu de la publicité, des spots télévisés, des affiches dans les rues, au bord des routes, des vitrines de magasins, etc. La publicité fait appel au visuel, à l’auditif, parfois à l’olfactif et au gus-tatif. Je n’ai pas évoqué le toucher parce que c’est une sensation plus rarement utilisée. Que souhaitent faire ceux qui veulent vendre leurs produits ? Première chose importante, ils souhaitent qu’il y ait contact. Ils vont placer leurs pubs aux endroits où ils sont sûrs qu’il y aura contact, donc près des rou-tes, devant nos yeux ou au moment où le film est le plus intéressant. Sur les sites d’informations par exemple, de petites affiches publicitaires sont mêlées aux nouvelles à l’endroit où le lecteur va s’attarder, là où il y aura contact. Donc en premier lieu, il faut un contact. Puis il faut que l’attention de la personne se pose dessus pour créer une sensation. Il faut donc capter son intérêt par une sensation immédiate, intéressante, agréable, pour qu’elle la suive. Viendra ensuite une information qui doit plaire et qui est censée stimuler ses tendances habituelles (bag tchag en tibétain, anusaya en pali). Ce sont en principe des tendances de désir, de possession. La publicité est aussi parfois utilisée pour sti-muler l’aversion ou la façon de faire les choses, par exemple de présenter des nouvelles, de vouloir stimuler l’ignorance. Celui qui crée une publicité veillera donc au contact, il essaiera de faire naître une sensation agréable stimulant notre désir et amenant une fascination. Cette fascination conduit à une envie, une soif, qui fera saisir le produit : « Cliquez ici », « Venez acheter chez nous ». C’est cela « saisir ». Et plus ces éléments (contact, sensation agréable et possibilité de saisir par un simple clic) sont rapprochés, plus le vendeur a la possibilité de vendre. La personne ne doit pas prendre beaucoup de temps ni avoir trop d’espace pour réfléchir, sinon elle aura d’autres idées et n’achètera pas. Le but est de faire cliquer immédiatement sur le produit et de le mettre dans la corbeille. Plus c’est rapide, plus on vend.

Ainsi, malheureusement, se joue toute notre vie, partout, dans toutes les situations. Nous som-mes une affiche publicitaire pour les autres. Nous sommes en permanence dans un processus de ges-tion de publicité de la vie actuelle. Chaque impression sensorielle est gérée de trois façons différentes :

1) Intéressant, parce qu’agréable, donc j’aimerais en avoir plus.

2) Pas intéressant, cela ne me concerne pas pour le moment, je n’en ai aucune utilité, donc laissez-moi tranquille (ignorance).

3) Intéressant, oui, parce que désagréable, je n’en veux pas, donc si possible sortir de mon champ d’expériences.

Ces trois façons d’agir sont présentes dans tous les instants de notre vie tant que nous ne som-mes pas dans une vigilance qui ne juge pas et ne se laisse pas entraîner dans cette complication émo-tionnelle. Maintenant, ce que nous faisons en tant que pratiquant du dharma n’est pas de renommer les choses. Quand nous avons une sensation agréable, nous ne dirons pas qu’elle est désagréable pour pouvoir nous détacher, nous n’appellerons pas un ciel gris, un ciel bleu, quelque chose de désagréable comme agréable, nous ne dirons pas non plus que c’est neutre. Un pratiquant du dharma n’a pas be-soin de désigner une douleur comme étant agréable ou neutre, non. C’est une sensation désagréable. Donc, très important, ne prenons pas une grosse brosse pour repeindre notre monde comme neutre. Notre monde n’est pas neutre. Il n’est pas vécu ainsi. Il y a des sensations agréables, désagréables et ni agréables, ni désagréables et nous ne nierons pas ce fait. Il n’est pas agréable de ne pas avoir à manger. Ce n’est pas une sensation neutre. Il n’est pas agréable de ne pas avoir dormi, la nuit, etc., etc. Il n’est pas agréable de perdre un proche, ce n’est pas neutre. Vous pouvez prendre d’autres exemples, vous

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voyez bien qu’il y a une différence, parce que cela nous concerne. Perdre un ami, avoir des sensations de faim, de soif, etc., manquer de sommeil, comment gérer ceci maintenant ? C’est la question.

Nous n’avons pas besoin de nier notre vécu. Tant que nous ressentons une sensation comme étant agréable, nous l’étiquetons comme étant agréable. Tant que nous la ressentons comme désagréa-ble, nous prenons note de cette sensation comme étant désagréable, et pour une sensation neutre, nous agissons de la même manière. Par contre, sur le chemin de la pratique, quand nous purifions, quand nous détendons nos tendances habituelles, une sensation qui dans le passé était jugée comme agréable, peut ne plus être jugée comme agréable parce que la tendance fondamentale a changé. Une sensation désagréable pourrait ne pas être perçue comme désagréable parce qu’une tendance a changé. Remar-quer : agréable, désagréable, neutre, c’est déjà le produit d’un jugement immédiat basé sur les tendan-ces. Ce jugement immédiat peut changer. Mais tant qu’il n’a pas changé, n’essayons pas de nous convaincre du contraire. Il ne faut pas faire cette erreur. Quand une personne vit dans un endroit où il fait chaud et toujours sec et arrive ici un jour de ciel gris avec un peu de pluie, sa réaction immédiate sera : « Que c’est agréable ! Quel soulagement. ! » Et une personne ayant vécu dans une région où il pleut beaucoup et où l’herbe est toujours verte, se sentira très bien dans le Sahara. Sa réaction immé-diate sera : « C’est super ! », jusqu’à ce qu’elle s’y habitue. Alors, les tendances changent, nous avons une autre perception de la réalité et les réactions immédiates changent. La qualité d’agréable, désa-gréable ou neutre n’est pas plaquée sur les sensations, les perceptions. Une sensation est ce qu’elle est. Penser agréable, désagréable ou neutre, c’est déjà une réaction même si elle est extrêmement rudimen-taire et difficile à remarquer. Mais ce n’est pas la nature inhérente de la sensation. Un rayon de soleil n’a pas une qualité inhérente d’agréable, désagréable ou neutre. La qualité serait d’être touchés par un rayon de soleil, avec les sensations ressenties sur la peau. Mais cela n’a pas en soi une qualité « affec-tive » pourrait-on dire.

Une sensation peut être ressentie comme agréable parce qu’elle est en relation avec un vécu, avec des expériences du passé, avec nos buts et l’intérêt que nous portons à cette situation. Pour un paysan qui attend la pluie depuis deux ou trois mois, quand le ciel se couvre, il n’y a aucun doute sur la façon dont il va ressentir le ciel gris. Et de la même manière, tout s’intègre dans le vécu, dans notre champ d’expérience, dans notre mémoire et nos intentions. C’est ce qui fait qu’à un niveau primaire, nous ressentons les choses comme agréables ou désagréables. Il nous faut donc être vraiment précis. Ici le Bouddha souhaite que nous soyons conscients de ce que nous vivons et ne suggère pas de nom-mer les sensations différemment de la manière dont nous les ressentons.

Puis, nous ressentons les sensations comme des sensations. Maintenant l’adjectif « agréable », « désagréable » ou « neutre » est abandonné. Fin du processus, le vécu est simplement vécu. Et ce n’est même pas neutre, c’est juste le vécu en direct. Il y a une neutralité vis-à-vis des sensations, mais les sensations elles-mêmes ne portent pas l’étiquette « neutre ». Il y a une impartialité vis-à-vis de ce que nous vivons. Nous n’avons aucun parti pris envers le vécu qui va se manifester. Nous sommes réceptifs, ouverts. L’important est de développer cette attitude de neutralité envers toutes les sensa-tions. Les sensations agréables et désagréables doivent être amenées dans cette neutralité, dans ce même regard qui est une expression d’ouverture, de non jugement, d’équanimité. C’est le regard qui est neutre, pas la sensation. Donc le regard reçoit, s’ouvre, reste dans cette réceptivité et nous gagnons en équanimité, en paix intérieure, nous sommes donc moins troublés.

Question : Qu’entend-on exactement par « sensation » ?

LL: J’expliquerai mieux ce terme demain ou dans les jours qui suivent. Déjà, il faut savoir qu’il y a deux formes de sensations non conceptuelles et deux formes de sensations conceptuelles. L’Abhidharma décrit ce processus ainsi : Comment une sensation dans les cinq sens extérieurs est intégrée et reçue dans le sixième sens, le sens mental ? C’est donc un terme qui recouvre beaucoup de sens et il est important de décrypter d’abord jusqu’ici le processus pour pouvoir comprendre la suite.

Question : Si j’ai bien compris, dans le soutra du Sattipathana, le mot « sensation » est utilisé pour toutes les perceptions que tu vas expliquer plus tard …

LL: C’est tout à fait correct. Vous pouvez ici définir la vigilance sur les sensations comme étant la vigilance sur le processus de perception. Donc, sensation et perception dans ce contexte, sont utili-sées de manière interchangeable. Par définition, ce qui est exclu ici, ce sont les émotions complexes,

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les émotions au sens propre du mot. Ce sera la vigilance sur l’esprit. Je me demande même si je ne vais pas enseigner d’abord la vigilance sur l’esprit afin de pouvoir parler ensuite de l’ensemble de cet enchaînement.

Question : Quand j’ai pris connaissance de ce soutra avec différents enseignants du Dharma, j’ai entendu et compris qu’en relation avec les sensations corporelles, on parle d’étirements, d’impressions sensorielles très directes, après le jugement, agréable, désagréable, ou neutre, comme étant supplémen-taire, et maintenant c’est un ensemble.

LL: Donc, comme vous avez pu le remarquer, le Bouddha lui-même parle en premier lieu de : « agréable, désagréable et neutre », puis il enchaîne sur « mondaine et supra mondaine ». Il prend en considération le processus de perception en dernier lieu. Comme premier objet de vigilance, il prend ce qui est le plus grossier. Puis on remarque qu’avant « agréable », « désagréable », il y a le processus de nommer : « pressant », « tirant », « chaud », « froid » etc. On nomme les sensations, mais ce n’est pas toujours le cas. Et avant ce stade de nommer, il y a des stades de perception non conceptuels pour lesquels le processus de nommer ou de dire « agréable », « désagréable » n’existe pas. Donc, c’est ce que le Bouddha envisage semble-t-il parce que c’est la façon dont il procède dans chacune des contemplations de ces quatre niveaux : il commence avec ce qui est le plus grossier, c’est-à-dire ce qui se trouve à la fin de la chaîne ; ensuite, il va permettre aux pratiquants – même sans en parler beau-coup ici – de découvrir les couches plus subtiles de ce qui précède le symptôme de ressentir quelque chose comme agréable, désagréable et neutre. Donc pour tout cela, il faut avoir un peu de patience.

Le fait de nommer les sensations comme : « pressant », « tirant », « lançant », « chaud », « froid » et les sous catégories, est quelque chose qui, normalement, n’a pas lieu ou presque pas lieu dans la chaîne, dans l’enchaînement des réactions émotionnelles parce que, pour celui qui ressent, il suffit que ce soit désagréable et déjà l’enchaînement émotionnel est en marche. Quand on demande par exemple à un patient de décrire sa douleur, il a souvent besoin de réfléchir pour dire si c’est une dou-leur brûlante ou piquante ou traçante ou si c’est une pression. Il n’a pas pris le temps de vraiment re-garder ; pour lui, c’est une douleur, donc désagréable et cela lui suffit. Dans notre enchaînement habi-tuel, nous arrivons très rapidement à l’émotion. Certains enseignants de la méditation insistent pour que nous regardions avec plus de précision ce qui s’élève, par exemple quand nous éprouvons une sensation comme un élancement ou une brûlure. Mais pourquoi chercher à décrire de plus en plus pré-cisément la sensation pour remarquer ensuite qu’il s’agit simplement d’une sensation qui ne porte pas vraiment d’étiquette ? Parce que, même dire « sensation », c’est déjà un processus conceptuel et avant ce stade il y a encore des stades non conceptuels.

Question : Comment faire avec les sensations qui ont une forte énergie ? Pour l’exemple du ciel gris, c’est facile parce que c’est une sensation de moindre intensité, mais quand j’ai des sensations d’une grande intensité, est-ce que cela ne prendra pas plus de temps pour remarquer qu’il s’agit juste d’une sensation ?

LL: Tout à fait, tu prendras le temps nécessaire pour contempler cette sensation, comme par exemple un abcès dentaire qui provoque des lancements et de fortes douleurs dans la racine d’une dent, etc. C’est une sensation investie de beaucoup d’énergie et nous avons besoin de prendre le temps pour méditer là-dessus, pour sortir des émotions ‘émotionnelles’. Ce n’est pas pour autant que la sen-sation deviendra agréable.

Discussion sur la pratique de silence pour les jours suivants. Il est défini que la grange est un lieu de silence. Certains espaces aussi sont réservés au silence à certaines heures de la journée.

Méditation guidée

Vous savez comment méditer. C’est toujours la même chose : prenez contact avec le corps, les sensations de la posture, détendez ce qui peut se détendre, respirez, lâchez prise. Ensuite restez dans l’ouverture, aussi naturels que possible.

-- Méditation --

Que le mérite, le bienfait de cet échange de la méditation soit partagé avec tous les êtres.

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Je vous rappelle que dès maintenant cette grange est un endroit de silence.

Huitième enseignement

Aujourd'hui, plutôt que de vous donner d’autres détails sur le thème des sensations, je vais aborder l’établissement de la vigilance sur l’esprit. Le texte du soutra (page 7) commence par

« Et comment, pratiquants, concernant l’esprit, demeurons-nous dans la contemplation de l’esprit ? »

Cette double mention : « concernant l’esprit » et « comment demeurons-nous dans la contem-plation de l’esprit ? » est la formulation indiquant comment nous pouvons regarder l’esprit pour arri-ver à une vue plus juste, c’est-à-dire le voir non comme étant « mon esprit » mais simplement ce qu’il « est » véritablement. Et, comme à chaque fois dans ces exercices, le Bouddha commence par ce qui est le plus évident, par ce qui est le plus facile à faire.

« Ici, nous percevons un esprit désirant comme ‘désir’, et un esprit non désirant comme ‘sans désir’. »

Nous pouvons facilement remarquer comment l’esprit est empli d’une envie de posséder quel-que chose. Le terme « désir », pris dans un sens assez large, désigne toutes les impulsions à vouloir saisir. Puis,

« Nous percevons un esprit en colère comme ‘colère’ et un esprit sans colère comme ‘sans co-lère’. »

C’est aussi facile à concevoir. « Colère » ici, représente l’aversion en général, toutes impulsions dans notre esprit à ne pas vouloir avoir, à vouloir écarter quelque chose de notre expérience. Et puis le troisième poison :

« Nous percevons un esprit aveuglé comme ‘aveuglé’ et un esprit non aveuglé comme ‘non aveuglé’. »

Ici, il faut comprendre qu’il s’agit de toutes formes d’ignorance, d’obscurcissement mental. Être « aveuglé » c’est ne pas pouvoir voir la réalité. Nous pourrions nous arrêter là, avec ces trois contemplations qui couvrent bien le terrain. Il n’est peut-être pas nécessaire de rentrer dans les détails. Cependant, les détails aident parfois à distinguer d’autres états d’esprit. La prochaine paire sera :

« Nous percevons un esprit recueilli comme ‘recueilli’ et un esprit distrait comme ‘distrait’. »

A l’origine, le terme « recueilli » (terme sujet à de nombreuses discussions) en pali, voulait dire : un esprit tourné vers l’intérieur. Il n’est pas certain que l’expression en elle-même signifie un recueillement positif mais peut-être aussi une crispation, une forme de contraction vers l’intérieur, sans ouverture vers l’extérieur. On trouve différentes explications dans les commentaires. Dans celui que Shamar Rinpoché a utilisé pour expliquer le Satipatthana – un « chastra » de la tradition tibétaine – ce terme est clairement défini comme voulant dire « recueilli », donc l’esprit rassemblé, qui contraste ou qui est l’opposé d’un esprit distrait. On pourrait aussi interpréter ces deux termes (recueilli et distrait) comme étant l’esprit tourné vers l’intérieur et l’esprit tourné vers l’extérieur, dispersé ; les deux n’étant pas évalués plus que cela. Mais le texte tibétain est assez clair. Donc, peu importe parce que l’exercice ici n’est pas tellement de définir ce que sont les différents états d’esprit, mais de devenir clairement conscients et sans illusion sur tout ce qui se passe dans l’esprit. La liste que nous allons voir ne donne que quelques exemples importants, mais nous pourrons remarquer qu’il existe des cen-taines d’états d’esprit différents. – Le Bouddha continue :

« Nous percevons un esprit vaste comme ‘vaste’ et un esprit étroit comme ‘étroit’. »

En pali et sanskrit, le terme d’origine pour désigner normalement un esprit « grand » se dit « maha ». Mais tous les commentaires sont d’accord pour que ce « grand » signifie également « vaste », le contraire d’un esprit « petit », c'est-à-dire « étroit », un petit esprit.

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« Nous percevons un esprit surpassable comme ‘surpassable’ et un esprit insurpassable comme ‘insurpassable’. »

Le seul esprit véritablement insurpassable, c’est l’esprit d’un bouddha, l’esprit complètement li-béré. Nous pourrions aussi regarder dans notre propre expérience : « surpassable », ce sont tous les états mentaux d’ordre mondains. Je suis dans le désir, je suis dans l’attachement, je suis dans l’aversion, je suis dans tous ces différents états mentaux clairement en lien avec une saisie. Cette sai-sie, je sais que je peux la lâcher. Il faut le faire. Il faut être motivé et je le sais bien. Je connais d’autres états d’esprit dans ma propre expérience ou en relation avec ma propre expérience, dans lesquels il pourrait y avoir plus de détente, moins de saisie, donc un esprit plus vaste. Cela aussi veut dire « sur-passable ». Mais si je suis aussi ouvert que possible dans les limites de mon expérience personnelle, à ce moment-là je peux dire : « Là, tu as fait ton travail, tu es dans la détente complète qui t’est propre, que tu connais ». Pour le pratiquant, c’est alors un esprit « insurpassable » parce qu’il ne connaît pas encore le chemin pour aller plus loin.

Une troisième perspective peut être : tant que l’esprit est dans la saisie sujet/objet, dans la duali-té, il est surpassable. Quand l’esprit entre dans la non-saisie du sujet et de l’objet, c’est-à-dire dans la non-dualité ou dans la nature de l'esprit, il est insurpassable. Peu importe, il faut juste regarder et voir où se situe notre esprit. Nous n’avons pas tellement besoin de définitions, il faut seulement ne pas se leurrer mais regarder de façon correcte dans quel état se trouve notre esprit maintenant. Donc, ne nous leurrons pas sur le fait que nous allons pouvoir nous détendre davantage, que l’esprit est dans la non-dualité alors qu’il est encore fixé sur un moi, un je. Ne disons pas : « Je suis un bouddha » avant de l’être. Ce sont des conséquences assez simples. – Passons à l’instruction suivante :

« Nous percevons un esprit absorbé comme ‘absorbé’ et un esprit non absorbé comme étant ‘non absorbé’. »

L’absorption est un état de stabilité mentale plus profond encore que le recueillement. C’est un terme plus profond que « recueilli » et « distrait ».

Question : La contemplation du désir et de la colère, c’est reconnaître un état, mais en ce qui concerne l’ignorance, comment la reconnaître ?

LL: Cela veut dire que tu as besoin de développer une compréhension plus profonde de ce qu’est l’ignorance. C’est quelque chose que nous partageons tous. Il nous faut devenir beaucoup plus conscients de ce que sont les voiles de l’ignorance, c’est-à-dire de tout ce qui fait obstruction à la vi-sion directe de ce qui est. Cela commence par la torpeur, la somnolence, l’esprit trop agité, trop obscur ou trop opaque pour voir clair, l’esprit non vigilant. Lorsque nous sommes vigilants, clairs et présents, les voiles qui font qu’à l’intérieur c’est toujours « moi, moi, moi », une fixation sur le sujet et l’objet en face, constituent les différents degrés de « l’aveuglement ». Donc, quand tu remarques ces signes, ces symptômes de l’ignorance pourrait-on dire, tu peux te dire : « Ah, tiens, je suis encore dans l’ignorance ». Avec le temps, tu affines aussi ta compréhension de la présence plus ou moins impor-tante de cet aveuglement dans l’esprit. Cela s’apprend et parmi les émotions, c’est la plus difficile à reconnaître. Elle est tellement profonde, nous y sommes tellement habitués que nous n’avons pas en-core développé d’antennes pour la reconnaître.

Ensuite l’observation continue dans ces états où nous nous sentons un peu plus clairs et où nous remarquons entre autre, la présence du facteur « doute ». Le doute est une oscillation de l’esprit d’ordre névrotique à cause de laquelle nous n’arrivons pas à dire oui ou non, parce que nous sommes toujours dans le peut-être. Et cela continue sans cesse : « Je veux faire/je ne veux pas faire ». Nous sommes toujours entre deux états, nous n’arrivons pas à développer une véritable clarté. C’est comme si nous étions obsédés par l’idée de ne pas laisser l’esprit se stabiliser. Et ce facteur « doute » porte sur une infinité de choses. Le doute n’est pas l’investigation du dharma dotée d’une véritable et saine curiosité de vouloir connaître. C’est un facteur névrotique qui ne laisse pas s’installer l’acceptation claire d’une expérience réalisée. Tel est le doute.

Puis, nous remarquons la présence d’une rigidité mentale qui s’exprime même dans le corps, qui est en lien, en relation avec des vues, des idées, des fixations sur ce que devrait être la réalité en géné-ral, l’esprit, moi, les autres, sur la manière d’être de la méditation, sur ce qu’elle devrait apporter. Pour

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le moment, toutes ces fixations ne sont pas remises en question parce que ce sont des vues, des hypo-thèses sur la réalité, avec lesquelles nous vivons par habitude, par ignorance. Et tout cela se clarifie petit à petit dans la méditation. Nous commençons à nous apercevoir que ce petit blocage s’infiltre partout et qu’il empêche une fluidité, une véritable présence, une ouverture totale. Puis, nous allons encore plus loin. Derrière ces vues, ces opinions, ces fixations, nous touchons la peur : la peur de changer, la peur de la mort, la peur de ne pas exister, etc., mais aussi celle d’ordre émotionnel bien sûr : la peur de ne pas être aimés, de ne pas pouvoir aimer, etc. Il est question ici de peurs profondes, de peurs vis-à-vis de cette dimension dans laquelle nous ne pouvons plus rien saisir. C’est la peur qui nous inspire le lâcher-prise, c’est cela l’ignorance.

Les peurs sont la manifestation de l’ignorance profonde au niveau du vécu personnel. Elles vont peu à peu surgir dans la méditation, quelquefois faiblement et parfois fortement. Elles vont nous me-ner à un travail conscient de lâcher-prise et d’ouverture, d’investigation, de vérification. Le chemin du pratiquant se parcourt en gagnant – pourrait-on dire – de la détente, du lâcher-prise et une ouverture. En même temps il devient moins angoissant. La réduction des peurs accompagne un supplément, une augmentation de la sagesse. Les deux vont ensemble. Là où la sagesse est absente, la peur surgit. Quand la compréhension est présente, la peur n’existe pas. Il faut donc voir les deux en alternance.

En conclusion, il sera peut-être plus facile de voir si nous ne sommes pas aveuglés en nous de-mandant : « Suis-je sage ? » « La sagesse est-elle présente ? » Le Bouddha est un être complètement libéré de toutes les peurs parce chaque aspect de son être, de son esprit, de son expérience est de l’ordre de la sagesse, de la connaissance.

Terminons avec « l’esprit absorbé ou non absorbé » (en bas de la page). Autrement dit, l’esprit est-il entré dans les états profonds de shamatha (de shiné), dans une absorption où il n’est plus pertur-bé par les influences extérieures ? – Le Bouddha continue :

« Nous percevons un esprit libéré comme ‘libéré’ et un esprit non libéré comme ‘non libéré’. »

« Libéré », classiquement veut dire : libéré de la souffrance. A ce moment-là, il faut savoir si des formes de souffrance sont encore présentes dans notre esprit ou pas. Je vous rappelle les trois for-mes de souffrance : 1) La souffrance évidente, désagréable ; 2) La souffrance due à l’attachement aux expériences agréables qui changent ; 3) La souffrance due tout simplement au fait d’avoir un corps/esprit conditionné où toutes les expériences de la dualité s’élèvent.

Ces questions sont faites pour nous motiver à aller plus loin, pour nous ouvrir davantage, pour nous détendre, développer plus de sagesse et persévérer dans notre méditation. Elles sont destinées aussi à poser un regard sobre sur notre état mental, à ne pas rester dans une illusion de bien-être quand ce bien-être n’est pas dû à une véritable absence de désir, d’aversion, etc. Elles permettent de voir s’il y a un esprit recueilli (pour ne pas parler d’un esprit absorbé) ou non et si l’esprit n’est pas encore libéré, s’il est encore surpassable. Nous regardons et grâce à ce regard, nous remarquons les différents états d’esprit. Par moment l’emprise du désir, de l’aversion, de l’ignorance est plus forte et à d’autres moments elle l’est beaucoup moins. Nous commençons à connaître les différents degrés d’aveuglement, de saisie et nous tournons l’esprit vers une ouverture toujours plus grande.

C’étaient quelques repères pouvant vous servir de référence. Le Bouddha ne passe pas toute la palette de nos états mentaux pour nous dire : « Regardez si votre esprit est dans la jalousie ou pas, dans l’orgueil ou pas, dans la peur ou pas … ». Il pourrait énumérer : tristesse, etc. Est-ce que la joie qui naît de la méditation est présente ou pas ? Y a-t-il de l’équanimité ? Y a-t-il de l’amour, de la com-passion ? Il pourrait élaborer, presque sans fin, et passer par beaucoup d’expériences différentes. Notre travail sera d’avoir un regard sur notre esprit et de pouvoir voir et cerner un moment de jalousie comme étant un moment de jalousie, de comparaison, de rivalité, d’ambition. Il est très important de développer cette clarté, mais aussi de remarquer l’absence de la rivalité, de l’ambition. Nous devons remarquer également quand ce n’est pas présent. Nous aurions peut-être la tendance névrotique à tou-jours nous focaliser sur les défauts, mais ce que le Bouddha propose est très équilibré : reconnaître la présence ou l’absence d’un facteur mental. Nous apprenons à voir lors d’un acte de générosité, s’il n’y a pas une ambition personnelle, l’espoir d’un retour, si c’est un acte vraiment désintéressé. Il faut aller dans cette direction, il faut savoir. Nous devons être conscients de l’existence d’un amour, d’une com-passion véritables. C’est important, ce sera notre boussole, la boussole qui nous montre la direction. Et

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nous pourrions peut-être utiliser cette image-là pour la vigilance sur les différents états mentaux : affi-ner notre boussole intérieure, savoir qu’il faut aller dans cette direction, connaître dans chaque instant d’esprit la direction à prendre.

Il en est de même pour les qualités de la méditation. Donc, l’esprit recueilli ou non recueilli ou l’esprit distrait, absorbé, non absorbé, sont des qualités de la méditation. Un pratiquant a besoin de développer un feeling, un ressenti sur la qualité de sa méditation. Il doit savoir où il en est, s’il peut se stabiliser davantage et comment le faire. En effet, si nous n’avons pas cette capacité, nous resterons toujours distraits, nous appellerons la distraction « méditation naturelle » et nous n’avancerons pas sur le chemin. Il faut connaître les différentes étapes de la méditation, savoir comment y accéder et com-ment les approfondir. C’est nécessaire pour développer les formes de sagesse plus profondes qui n’apparaissent pas si l’esprit n’est pas complètement rassemblé.

Ce que je viens de dire sur la profondeur de notre méditation est à préserver dans l’esprit toute notre vie. Par exemple, il serait dommage que ceux qui ont effectué des retraites prolongées de plu-sieurs années, ne continuent pas à approfondir davantage leur méditation. Ils doivent toujours l’approfondir. C’est la même chose pour vous tous qui êtes ici. Si vous voulez méditer, si vous avez cette inspiration en vous, il faut continuer à créer des situations de pratique permettant d’approfondir la méditation, de créer des conditions pour l’absorption méditative et quand elles sont présentes, en faire une priorité. Toute autre chose n’a plus d’importance, seule importe l’absorption méditative véri-table, et ce n’est pas pour se protéger des difficultés de la vie et leur échapper, ou les fuir, etc. Il faut donner priorité à la forme d’absorption méditative qui sert à développer les compréhensions nous per-mettant d’aider tous les êtres. Ceci dit, c’est à chacun de voir, ce sont des priorités personnelles, mais pour atteindre l’éveil c’est une obligation, nous ne pouvons pas y arriver sans cela. Donc, si les condi-tions se rassemblent, la seule chose à faire c’est donner priorité à l’absorption et écarter toutes les dis-tractions, tous les liens qui nous maintiennent encore dans l’agitation.

« Ainsi nous demeurons dans la contemplation de l’esprit de façon interne22, externe… »

Nous regardons également ce qui se passe chez les autres et remarquons leurs différents états émotionnels et les états libres d’émotions « surpassables », « insurpassables ». Nous commençons à développer les capacités de ressentir ce qui se passe chez autrui et vérifions bien sûr ces observations.

Ensuite, nous faisons la pratique des « deux à la fois » (interne et externe) et développons donc la capacité de connaître, non seulement notre propre esprit (savoir où il en est pour le moment) mais aussi celui des autres. Nous savons ce qu’il faut faire pour les aider et voyons comment, grâce à notre propre détente, nous pouvons contribuer à ce qu’ils se détendent davantage. Cette capacité est le résul-tat de cette pratique avec notre propre esprit et l’ouverture vers le vécu des autres.

« Nous contemplons le phénomène de l’apparition, de la disparition ou les deux concernant l’esprit. »

A ce niveau, nous amenons toute notre pratique sur la non-permanence, le changement. Des états mentaux apparaissent : un moment de ceci, trois instants de cela, une grande phase de distraction, puis nous revenons. Nous remarquons ce qui se passe dans l’esprit et cela change tout le temps, sans cesse. Il faut remarquer ces changements, c’est très important. Une émotion qui dure, cela ne s’est jamais vu ! Depuis votre naissance, il n’est pas une seule émotion présente encore aujourd’hui. Il est même très difficile de maintenir une émotion de la veille jusqu’au lendemain. Elle change malgré nous. Même celles qui semblent les plus solides, changent. Même les rancoeurs les plus rentrées dans notre être, quand nous dirigeons l’esprit dessus, sont vivantes, changent, travaillent. Il est donc très important de remarquer ceci, parce que si les états mentaux changent, alors, où est le moi ? Si le chan-gement est permanent, cela ne peut pas être le moi éternel et stable. Voilà pourquoi il faut remarquer la non-permanence des états mentaux pour être certains qu’il n’y a pas un moi permanent dedans.

Donc, la question à nous poser est : « Existe-il dans tous ces états mentaux, y inclus les états d’obscurcissement, de libération, de recueillement mental, méditatif, un je, un moi, un ego, une âme, quelque chose de permanent et d’ordre individuel, qui ferait ma personne à moi ? »

22 Pour nous.

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« La vigilance : ‘Il y a un esprit’ est établie dans la mesure nécessaire pour une connaissance directe et une vigilance stable et nous demeurons indépendants, sans attachement à rien au monde. »

La vigilance s’établit dans la mesure nécessaire pour voir qu’il y a des phénomènes mentaux. Bien sûr, beaucoup de choses se passent et nous le remarquons avec une connaissance directe, sans interprétation, nous le regardons tout simplement avec une vigilance stable. Et parce qu’elle ne juge pas, la vigilance deviendra de plus en plus stable. Devenant de plus en plus stable, elle remarque le fonctionnement de l’esprit et en remarquant que cela se fait tout seul, il y a encore moins d’identification, ce qui nous permet de demeurer de plus en plus indépendants. Nous sommes moins fascinés par ce qui se passe dans l’esprit et pouvons contacter de plus en plus souvent cet état sans attachement à rien au monde. Là, nous travaillons sur notre identification aux skandhas, aux agrégats. Nous avons déjà vu la forme, nous avons travaillé sur les sensations, les distinctions et maintenant nous en sommes au niveau des facteurs mentaux et de la conscience. Ceci couvre tous les terrains de notre base d’identification. Nous regardons de toutes parts si nous trouvons un moi. Nous regardons maintenant tout ce qui constitue le fondement de notre identification, tout ce qui justifie le sentiment d’un moi. D’où cela vient-il ? Quelle en est la base ? De quoi est fait ce sentiment d’être « moi » ? Nous observons pour comprendre davantage et nous libérer des souffrances.

Question : Dans mon expérience, parfois je remarque que mon esprit est comme recueilli, ras-semblé autour de quelque chose. N’est-il pas nécessaire que l’esprit se rassemble autour d’un centre ? Quel serait ce centre ?

LL: Prenons cette hypothèse empruntée à la réalité : si des gens se rassemblent dans une salle, se rassemblent-ils autour de quelque chose ? Pas nécessairement. Si un lac, un étang, un plan d’eau, qui était agité, se calme, est-ce qu’il se calme autour de quelque chose ou pas ? Puis, pour revenir à l’esprit, quand on dit « l’esprit recueilli, rassemblé », il est question d’un esprit calme qui ne part pas dans tous les sens, qui n’est donc pas distrait. Souvent on utilise le mot « concentré » pour dire le contraire de « distrait ». D’ailleurs de nombreux traducteurs préfèrent ne pas utiliser le mot « concen-tré » parce qu’il y a une connotation de « centre ». Nous nous concentrons sur quoi ? Alors que l’esprit de recueillement est un esprit d’ouverture, apaisé, de lâcher-prise où l’idée d’un centre disparaît. Et maintenant notre tâche est de regarder en nous quel est ce centre. Dans notre expérience, dans notre façon de voir la réalité, c’est comme si nous devions avoir un centre. Je contredis cette hypothèse sur la réalité en disant : « Non, d’après mon expérience cela peut se faire sans centre ». Vous n’êtes pas tenus d’adopter ma vision des choses, mais je vous invite à regarder ce qu’est le recueillement. Com-ment se fait-il ? Y a-t-il un centre ? L’absence de centre permet-elle à l’esprit de se stabiliser, de se pacifier, de s’ouvrir, de se détendre, de devenir concentré ? Quelle est donc cette concentration ? Que peut être une concentration avec centre ? Une concentration sans centre ? Il faut regarder. C’est le travail du méditant. Là, il faut acquérir la certitude par sa propre expérience. Donc, cette idée d’un centre est tellement profonde ou enracinée en nous que nous avons l’impression de ne rien pouvoir faire sans lui : nous ne pouvons pas aimer, nous ne pouvons pas parler, nous ne pouvons pas aller d’un endroit à l’autre sans qu’un centre traverse l’espace.

Méditation guidée

Pour débuter cette méditation rappelons-nous le refuge. Pourquoi prenons-nous refuge dans le Bouddha, dans le Dharma, dans la Sangha ?

Prenons refuge pour tous les êtres en nous souvenant que le sens du refuge est de s’engager vé-ritablement sur le chemin vers l’éveil.

Prendre le chemin, signifie s’éveiller. Quand on connaît le chemin on peut le montrer aux au-tres. Vous pouvez développer n’importe quelle motivation de bodhicitta : celle du roi, du passeur ou du berger. Eux, savent, connaissent ; ils savent ce qu’il faut faire pour aider, pour être utiles.

C’est la compréhension juste qu’il faut s’éveiller pour aider les autres à y arriver. Nous pouvons réfléchir encore une fois sur les quatre pensées illimitées : amour, compassion, joie et équanimité illi-mités.

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Comment ces qualités deviennent-elles illimitées ?

Libres de saisie égoïste, elles incluent tous les êtres, c’est ainsi qu’elles deviennent illimitées. Libres de saisie égoïste, il n’y a plus de jugement porté sur les situations, jugement de moi, mes en-vies, mes aversions. Ainsi, elles deviennent illimitées. Parce qu’il n’y a plus de fixations, il n’y a plus de limites.

Développer la vigilance aide à ne pas tomber dans les fixations. Il est nécessaire d’être vigilants pour dépasser, dissoudre les limites de notre saisie égoïste.

Pour le faire, nous commençons chaque session avec ce qui est le plus simple et le plus évident et progressons vers le subtil. Nous commençons par le corps, regardons si la posture assise nous convient pour la garder pendant trois quarts d’heure.

Nous détendons ce que nous pouvons détendre et acceptons ce que nous ne pouvons pas déten-dre. Nous prenons la posture qui convient le mieux en acceptant que dans ce corps humain aucune posture ne convient pour toujours.

En restant dans la même position, ce corps humain finit par faire mal, donc nous bougeons tout le temps pour le soulager et pour soulager l’esprit de ces sensations douloureuses. Pour ne pas tomber dans le piège de changer et rechanger la posture tout le temps, nous en adoptons une et acceptons les quelques sensations désagréables qui vont avec. Nous nous stabilisons jusqu’à ce que nous ressentions le besoin de changer parce que cela devient trop désagréable.

Au début de chaque session, nous faisons un petit scanner de notre corps du haut vers le bas, du bas vers le haut en ressentant le corps entier.

Puis nous développons à nouveau la motivation de méditer pour le bien des êtres. Nous ne sommes pas là pour faire plaisir au « moi ». Nous pratiquons pour nous réveiller – pour nous éveiller. Il n’y a pas seulement le corps, il y a aussi l’environnement : nous entendons des sons, nous voyons des choses. Soyons présents à tout ce qui est là maintenant.

Ce sont les préliminaires de la méditation assise où nous avons établi une bonne présence. Nous décidons maintenant de la direction où nous souhaitons aller avec la méditation et quel travail nous voulons faire. Nous pouvons nous dire : « Je vais pratiquer avec un esprit le plus naturel possible ». Ceci impliquera de tout détendre, de sortir de toutes les fixations et de demeurer sans aucune idée, sans saisie, complètement libres d’attachements, sans aucune fixation.

Cette pratique pourrait être appelée : « rester dans la lucidité de l’esprit ». Si ce n’est pas possi-ble, c’est que nous avons un travail à effectuer. Il nous faut trouver le chemin pour entrer dans cet état naturel lucide, ouvert, sans fixations. Travaillons d’abord sur notre capacité à être non distraits, à avoir l’esprit rassemblé, recueilli. Il existe de nombreuses façons de faire. Parmi les différents supports de la méditation, prenons le souffle : cela respire… Inspiration… Expiration… Sensations de l’inspiration, sensations de l’expiration… Mais nous ne ressentons pas seulement la respiration, nous ressentons également toutes les sensations du corps. Donc, inspiration, expiration, en ressentant le corps en entier.

Il est possible que nous remarquions des tensions, des crispations au niveau du corps, au niveau de l’esprit. Nous pouvons utiliser la respiration pour nous détendre davantage, calmer l’ensemble du corps de la respiration et l’esprit.

Avec l’expiration je lâche, je ne saisis plus. Lâcher prise à l’expiration.

Avec l’inspiration je m’ouvre, j’accueille, je ne saisis pas. Lâcher prise à l’inspiration.

Inspiration, expiration, lâcher-prise, ouverture, sensations partout dans le corps, acceptation, sortir de la lutte.

Lâcher la recherche de la situation la plus agréable, juste accepter ; nous mettons la conscience pour inclure les sensations acoustiques, auditives, etc.

Ressentir sans besoin de nommer. Quand nous nommons et jugeons, nous savons que ce sont déjà des complications. Revenons au ressenti plus simple encore.

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Incluons le visuel. Ce sont juste des couleurs et des formes. Inutile de nommer, d’examiner ce que nous voyons.

Dans cet état-là, tout ce qui se manifeste de l’intérieur, de l’esprit lui-même, c’est le karma qui se manifeste. Ne pas réagir permet au karma de s’épuiser et de ne pas en créer un nouveau. Cause et effet, l’effet se manifeste, on le laisse et on ne crée pas de nouvelle cause.

Selon le Bouddha, tout le karma se manifeste par les sensations : sensations des six sens, l’esprit inclus.

Alors, comment l’esprit est-il ? Comment ressentons-nous cet esprit que nous appelons « no-tre » ? Comment est-il, là, tout de suite ?

Calme ? Agité ? Trouvons-nous la présence d’une émotion ? Laquelle ?

Quelle est l’humeur de cet esprit, maintenant ?

Après avoir un peu regardé, revenons sur le souffle, sur la présence toute simple. Inutile d’insister. Ce regard sur l’esprit se fait seulement de temps en temps, quand c’est nécessaire.

Inspiration – Expiration. Cela se fait tout seul.

« Tiens ! Des pensées. » Regardons s’il y avait un attachement ou une aversion et revenons sur l’inspiration et l’expiration.

Sans attachement à celui qui a médité et à sa méditation, faisons la dédicace de tous les bienfaits à tous les êtres, pour qu’ils puissent atteindre l’état de simplicité qui est celui d’un bouddha.

Neuvième enseignement

Continuons donc avec les explications sur l’établissement de la vigilance. Pour écouter ces en-seignements, gardez toujours à l’esprit la motivation de bodhicitta. « Bodhicitta » veut dire tout sim-plement recevoir ces enseignements, les mettre en pratique avec le souhait d’atteindre l’éveil soi-même et être apte à aider les autres à atteindre l’éveil de la même manière.

J’avais une décision à prendre concernant l’enseignement ; il s’agissait de savoir comment pré-senter les choses dans le temps qui nous reste. Je me suis décidé à vous donner le soutra dans sa totali-té, c'est-à-dire d’utiliser les cinq jours restants pour vraiment voir chaque phase du soutra, même si je ne peux pas expliquer en profondeur ce qu’est la vigilance sur les dharmas, mais au moins vous aurez l’ensemble du soutra et pourrez commencer à travailler avec l’enseignement complet quand vous ren-trerez chez vous. L’autre possibilité était d’approfondir encore le regard sur les sensations, sur l’esprit, de rester avec cela et de réserver le reste du soutra pour l’année prochaine. Mais je préfère expliquer plutôt l’ensemble cette fois-ci et j’approfondirai l’année prochaine. Cela vous permettra d’acquérir déjà une base qui se développera grâce aux prises de conscience dans votre propre pratique.

Entre temps, pour ceux qui souhaitent approfondir les termes et y mettre plus d’énergie, il existe nombre de commentaires sur ce soutra très profond, faciles à comprendre, dont celui de Walpola Ra-hula (en français) commentaire de la tradition palie, et celui de Thich Nhat Hanh. Il en existe peut-être d’autres en français que je ne connais pas. Mais il y a assez de matière pour pouvoir approfondir soi-même. Celui en anglais du Vénérable Analayo que j’utilise ici, résume l’essentiel de ceux existants et amène vraiment une vue de pratiquant. Donc, pour ceux qui lisent l’anglais, ce texte peut être com-mandé, même par Internet. – Continuons aujourd'hui avec la

« VIGILANCE PAR RAPPORT AUX DHARMAS ».

« Et comment pratiquants, concernant le dharma, demeurons-nous dans la contemplation des dharmas ? »

Ce terme « dharma » a tellement de connotations qu’il ne convenait pas de le traduire dans notre langue. J’aimerais vous dire pourquoi. Dans l’expression « concernant le dharma », « dharma » signi-fie « loi », les lois qui gouvernent notre esprit et le monde, donc l’enchaînement de causes et d’effets,

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ce qui crée la souffrance, ce qui crée la libération. « Loi » est une première connotation de ce mot « dharma ».

« Phénomènes » est sa deuxième connotation. Il s’agit d’élargir notre champ de vision, notre vi-gilance, pour inclure tous les phénomènes, c'est-à-dire tout le connaissable, tout ce qui est connaissa-ble dans notre esprit. Dharma veut dire tout simplement « phénomènes », tout ce que nous pouvons ressentir, décrire, percevoir.

Dharma signifie aussi « vérité ». C’est un peu en relation avec le mot « loi », mais dans le sens de découvrir les vérités qui libèrent. Nous sommes dans une recherche de la vérité ou des vérités qui libèrent, qui nous font sortir de la souffrance, des vérités qui furent aussi énoncées par le Bouddha.

L’enseignement du Bouddha aussi est appelé « Dharma ». C’est un enseignement sur ce qui est vrai. Donc, nous ne faisons pas seulement une contemplation sur la vérité mais nous contemplons l’enseignement du Bouddha. Nous avons entendu l’enseignement du Bouddha, le Dharma du Bouddha et nous regardons le dharma qui est notre réalité maintenant. Nous essayons de voir la vérité, la réalité des choses en faisant un travail de confirmation ou de non confirmation : ce que le Bouddha a ensei-gné est-il vrai ? Ce que les maîtres éveillés ont enseigné, est-ce vrai ? Donc, dharma/enseignement, dharma/réalité et vérité profonde, dharma/les phénomènes à observer et les relations entre les phéno-mènes, les lois qui gouvernent les relations entre eux, tout cela représente le champ de notre investiga-tion.

Pour résumer, nous sommes en train de vérifier le Dharma du Bouddha en regardant la réalité qui est le dharma vécu, les vérités que nous pouvons percevoir. Pour le faire, nous avons besoin de regarder tous les phénomènes, tous les dharmas portés à notre connaissance, pour en découvrir les lois, les dharmas qui gouvernent la relation entre les phénomènes et qui, soit nous mènent à l’éveil et vont nous aider à mener les autres vers l’éveil, soit nous enchaînent dans la souffrance. Ceci est donc le terrain de la contemplation sur les dharmas. Pour cette raison, il ne convenait pas de traduire ce mot, parce que nous ne pouvons pas capter autant de significations différentes dans un seul terme de notre langue. La première contemplation, c’est la vigilance par rapport aux

« OBSTACLES ».

« Ici, nous demeurons dans la contemplation des dharmas par rapport aux cinq obstacles. Comment le faisons-nous ? »

« Si du désir sensuel est présent en nous, nous savons : ‘Il y a du désir sensuel’ ; si aucun désir sensuel n’est présent, nous savons : ‘Il n’y a pas de désir sensuel’. Nous savons également comment peut apparaître le désir sensuel non encore surgi, comment le désir sensuel déjà surgi peut être aban-donné et comment une apparition future du désir sensuel abandonné peut être évitée. »

C’est donc le début des cinq obstacles dont le premier est le désir sensuel - l’attachement aux sensations. Pour pouvoir remarquer si le désir sensuel est présent, il faut déjà pouvoir remarquer dans quel état se trouve l’esprit. C’est la suite directe de notre contemplation de l’esprit dans laquelle l’esprit désirant était le premier facteur à remarquer. D’accord, dans l’esprit il y a de l’attachement, du désir, de la saisie portant ici sur des sensations. Dans l’étape précédente, nous avons fait une analyse des six types de sensations : les cinq sens extérieurs et le sens mental (le sixième). C’est la capacité de voir une sensation, une expérience qui s’élève pour mener à une saisie, que cette saisie se solidifie un peu et qu’elle soit maintenue pour créer un désir. Nous avons déjà développé cette capacité à l’étape précédente. Ceci, c’est la continuation directe utilisant donc cette capacité-là. Nous avons besoin des capacités déjà développées pour remarquer la présence d’un obstacle. On parle en premier lieu ici des obstacles qui obscurcissent le fonctionnement propre de l’esprit, qui empêchent son fonctionnement simple, direct et efficace. Ils voilent l’esprit. Ils sont appelés « obstacles », parce que tant qu’ils sont présents, nous ne pouvons pas examiner les dharmas, parce que nous ne voyons pas clair. Donc, la première chose sera de constater la présence d’un tel obstacle et d’apprendre comment le dissoudre ou le surmonter.

Première étape : remarquer dans ce contexte-là, si le désir sensuel est présent en nous ou s’il ne l’est pas. Il est aussi important de le savoir car si le désir n’est pas présent, alors cet obstacle n’est pas

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présent dans notre esprit. C’est une condition nécessaire pour pouvoir développer plus d’absorptions méditatives, plus de clarté dans l’esprit.

Deuxième étape : regarder ce qui fait apparaître ce désir sensuel, quelles sont les causes et conditions qui font que le désir (ou un autre obstacle) se manifeste ? Ce n’est plus simplement regar-der ce qu’il y a. Il faut la capacité d’une mémoire pour pouvoir se rappeler la pensée qui a précédé l’apparition du désir sensuel. Qu’y avait-il encore avant ? Quelle sensation, quelle évaluation, quel jugement sur la sensation a provoqué un état de fixation, de crispation autour d’un désir ? Une analyse, une comparaison, sont nécessaires. Il faut la capacité d’une mémoire pour pouvoir se souvenir des instants précédant l’apparition de l’obstacle, donc une aptitude plus fine et plus large que celle que nous avions lors des méditations précédentes. La capacité va s’étendre pour inclure ensuite l’apparition de l’obstacle du désir sensuel. Nous regardons quelles sont les conditions permettant la dissolution de cet obstacle, de cet état de fixation. Comment une fixation qui semble être très forte peut-elle être dissoute ? Que faut-il pour que cela apparaisse, se manifeste de cette manière ? Nous développons donc la faculté de regarder les causes qui amènent la manifestation d’un certain phéno-mène dans l’esprit et les causes ou les conditions qui aident à la disparition de ce phénomène. Ici on parle toujours de fixation. Quand on parle des obstacles, on parle d’une densité dans l’esprit, de quel-que chose qui obscurcit, qui voile. Quelles sont les conditions qui génèrent le voile et quelles sont les conditions qui aident à le dissiper ? Nous devons donc développer cette capacité de pouvoir remarquer tout un processus de développement : apparition de l’obstacle, disparition de l’obstacle ; causes et conditions qui favorisent les deux, qui sont responsables des deux.

Nous sommes contents qu’un obstacle ait disparu, mais comme nous voulons atteindre l’éveil, nous nous interrogeons sur la manière de faire de la prévention. Comment faire pour ne pas toujours être assujetti à ce même obstacle ? Quelles sont les conditions qui permettent de garder l’esprit déten-du, hors de cette fixation ? Qu’est-ce qui permet d’éviter la manifestation du désir sensuel ? Qu’est-ce qu’il faut comme conditions, comme environnement mental pour que le désir sensuel ne se manifeste pas ? Je suis intéressé par tout ceci parce que je me dirige vers l’éveil, vers des états d’ouverture. Je vois que les états de fixation sont source de souffrance, j’aimerais les laisser derrière et donc savoir comment m’en libérer pour une période bien plus longue qu’un instant. Comment faire pour que ce qui a déjà disparu ne revienne pas tout de suite ? Comme tout le monde, moi aussi j’ai fait de nom-breuses fois cette expérience : l’impression qu’une émotion s’est dissoute alors qu’elle revient tout de suite, l’impression que cette même émotion (ce même obstacle) a disparu alors qu’elle revient avec plus de force. Ce n’est peut-être pas exactement la même, mais elle est du même ordre. Donc, j’avais un désir sensuel, j’ai pu lâcher, mais tac, la fixation revient et je suis encore une fois dedans. Comment faire pour que cela ne se reproduise pas chaque fois ainsi ? Comment stabiliser l’esprit ? C’est une question qu’il faut résoudre pour pouvoir entrer dans la méditation profonde et développer des états d’esprit plus clairs.

J’ai beaucoup parlé en prenant le désir sensuel comme exemple. Regardons la suite pour pou-voir analyser l’ensemble des obstacles.

« Si de la malveillance est présente en nous, nous savons : ‘Il y a de la malveillance’ ; si elle n’est pas présente, nous savons : ‘Il n’y a pas de malveillance’. Nous savons également comment elle apparaît, comment elle est abandonnée et comment éviter son apparition future.

Si indolence et torpeur sont présents en nous, nous savons : ‘Il y a indolence et torpeur’ ; si ils ne sont pas présents, nous savons : ‘Il n’y a pas indolence et torpeur’. Nous savons également com-ment ils apparaissent, comment ils sont abandonnés et comment éviter leur apparition future.

Si agitation et souci sont présents en nous, nous savons : ‘Il y a agitation et souci’ ; si ils ne sont pas présents, nous savons : ‘Il n’y a pas agitation et souci’. Nous savons également comment ils apparaissent, comment ils sont abandonnés et comment éviter leur apparition future.

Si du doute est présent en nous, nous savons : ‘Il y a du doute’ ; si il n’est pas présent, nous sa-vons : ‘Il n’y a pas de doute’. Nous savons également comment il apparaît, comment il est abandonné et comment éviter son apparition future. »

Nous verrons le refrain plus tard.

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Question : Par rapport à cette façon de faire, autant il est facile de remarquer quand quelque chose est présent, autant il est difficile de remarquer quand ce n’est pas présent. Doit-on se poser la question à tout moment ?

LL: Si nous développons la capacité de voir si un tel facteur n’est pas présent, c’est suffisant. Il n’est pas nécessaire de s’en occuper davantage et il est inutile de charger son esprit avec une telle in-vestigation. Quand l’obstacle se présente, il faut le remarquer et quand il n’y en a pas on tourne l’esprit vers l’investigation des dharmas, on regarde la réalité, parce que là il n’y a pas d’obstacles à dissoudre. Donc, on regarde. Par exemple, au début d’une méditation, on s’occupe des obstacles qui sont pré-sents ; quand on est sorti de la méditation, on continue la pratique sans avoir besoin de toujours regar-der s’il y a obstacle. Il faut juste remarquer à quel moment l’obstacle s’élève et cette capacité va s’accroître avec le temps. Quand on commence à poser le regard sur les obstacles, il est un peu diffi-cile d’en cerner la présence ou l’absence. Avec la pratique, par expérience, on remarquera facilement le contraste entre l’esprit détendu, ouvert, très frais, qui peut mener un examen profond de la réalité et la présence d’un obstacle qui crée des états d’agitation, de torpeur, etc. Le contraste sera bien connu et vite remarqué. On travaillera avec une expérience accrue.

Revenons à notre présentation en général. On dit qu’il y a cinq obstacles, mais en réalité il y en a sept. Vous avez remarqué qu’il y a deux paires de deux, donc on parle en tout de sept obstacles. Pour faciliter les choses, le Bouddha en a réuni deux, parce qu’il s’agit de la même catégorie d’obstacles. Dans d’autres listes vous allez tomber sur une énumération de sept.

Question : Doit-on dissocier les observations que l’on a faites dans les jours précédents, ou peut-on se servir des observations précédentes ?

LL: Bien évidemment. Nous nous servons des observations précédentes pour mener cette inves-tigation plus profondément. Nous ne pouvons pas vraiment séparer les quatre formes d’établissement de la vigilance, les unes des autres. Regarde : méditer sur le corps, la posture du corps. Comment re-marque-t-on la posture du corps ? Si c’est par les sensations, nous sommes donc déjà dans la deuxième forme de vigilance. Et remarquer seulement la posture ne sera pas toujours une sensation neutre, il y aura la sensation « agréable » et « désagréable », donc nous sommes tout de suite là-dedans. Quand nous méditons sur le souffle, c’est encore plus complexe parce que chaque état mental a une influence sur le souffle, sur la respiration. Nous remarquerons les connexions entre un état mental et la respira-tion et de ce fait nous sommes déjà dans la vigilance sur les dharmas parce que nous remarquons les lois qui gouvernent la relation entre corps et esprit, c’est-à-dire entre respiration et esprit. Et donc, nous sommes déjà dans la quatrième catégorie de vigilance. On les présente ici sous ces quatre formes pour faciliter la compréhension.

Le Bouddha est pédagogue, il nous fait entrer par ce qui est le plus simple pour nous amener vers le plus subtil. Il a présenté cette succession de quatre formes d’application de la vigilance par souci de nous montrer à quel point la vigilance doit être panoramique et vaste, tout en sachant que nous pouvons nous perdre si nous pratiquons tout le temps la vigilance dans toute sa complexité et ouverture. Il nous faut pouvoir ramener l’esprit sur quelque chose de plus simple, en parlant d’abord de ce qui est simple. Donc, en établissant la vigilance sur le corps, nous offrons au pratiquant un rap-pel : « Alors, tu es en train de te perdre, reviens sur le corps, c’est là où tu as ta base, c’est ce que tu connais le mieux, c’est le plus simple. » Là l’esprit peut s’ancrer. Le mot, « s’ancrer » revient à se demander quel est le centre de notre concentration, de notre pratique de vigilance ? Qu’est-ce qui peut servir d’ancrage à l’esprit ? Cela peut être le souffle, la posture, un objet matériel posé devant nous comme support visuel, un mantra. Ils sont nombreux. Tout peut servir comme point de référence pour la méditation.

Cette pratique-là, consistera donc à rassembler l’esprit à l’aide d’un support qui peut varier. Le support, c’est ce qui se manifeste dans notre esprit ; il peut être le souffle, le corps, un objet visuel. Il y a une progression de sensations, d’expériences mentales, toujours du même ordre, de la même catégo-rie, qui sert pour stabiliser l’esprit quand il aura tendance à s’éparpiller.

Un ancrage ici n’est pas du tout un objet solide tel que l’ancre d’un bateau. Pour l’esprit, une ancre est une succession d’expériences sensorielles du même ordre, de la même famille, donc assez simples, nous permettant de revenir toujours sur la même chose.

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Quand nous regardons plus profondément la question de se rassembler autour de l’idée d’un moi, d’un je, demandons-nous en quoi consiste ce je, ce moi ? Cherchons l’objet. Il n’y a pas d’objet de méditation ; cherchons le centre de notre attention/vigilance. En quoi consiste-t-il ? Nous trouvons peut-être, nous trouvons sûrement des pensées qui disent : « moi », « je ». Mais à part ces pensées qui disent « moi » et « je », est-ce que nous trouvons encore un autre moi, un je, qui serait plus concret que des pensées fluctuantes ? Ce sera donc la recherche d’un objet, cela ne peut pas servir d’ancrage pour stabiliser l’esprit. Il faut le faire quand l’esprit est déjà stable. Regardons si le moi, le je, peut être trouvé dans notre vécu ?

Ensuite, il y a toutes les méditations sans ancrage. Nous pouvons méditer sans nous donner un objet stable sur lequel nous ramenons l’esprit. L’esprit peut être rassemblé, recueilli, sans avoir un objet de référence.

Revenons à notre sujet : « les obstacles ». La première chose à faire c’est de nous demander si nous sommes d’accord pour considérer que ces cinq ou ces sept facteurs sont des obstacles. Sommes-nous convaincus qu’en présence de ces facteurs, l’esprit ne fonctionne pas bien ? Je vois qu’il y a déjà des oppositions. Mais je ne prends pas vos remarques pour le moment. C’est votre travail à faire dans la méditation. – Est-ce que j’aurai le sentiment qu’en présence d’un de ces facteurs on pourrait attein-dre l’éveil ? C’est à vérifier !

Question : Mais sans obstacles, il ne peut pas y avoir d’éveil ?

LL: C’est juste une formule. L’éveil, c’est être libre de tous les obstacles. Donc, il n’y a pas d’éveil avec obstacles.

Suite de la question : Oui mais, là où nous en sommes, s’il n’y a pas d’obstacles, nous ne pou-vons pas faire le travail.

LL: Je suis bien d’accord, mais on ne peut pas être éveillé parce qu’il y a des obstacles.

Suite de la réflexion inaudible.

LL: Merci pour cette remarque parce que c’est exactement le but de cette méditation sur les obs-tacles : poser la vigilance dessus. C’est la première méthode et la méthode suprême pour prendre un obstacle comme base du chemin vers l’éveil. C’est de cette manière que l’obstacle devient lui-même le support de vigilance qui ne juge pas, qui ne dit pas : « C’est grave ! » Lorsqu’une émotion s’élève, il suffit d’être simplement conscients de sa présence, de la regarder de la même manière qu’auparavant dans les sensations des différents états mentaux. Ce sera la première méthode à appliquer quand nous pratiquons la vigilance : être conscients de la torpeur par exemple et rester conscients de la présence de la torpeur. C’est amener l’obstacle sur le chemin. Et grâce à cette pratique, nous allons pouvoir pro-gresser vers l’éveil. Nous dirons peut-être merci aux obstacles, mais nous dirons aussi merci quand ils disparaissent.

Remarque : On peut aller plus loin : s’il n’y a pas d’obstacles, il n’y a pas d’éveil.

L. .L : Non. S’il n’y a pas d’obstacles, l’éveil est déjà là, on n’a pas besoin d’en avoir.

Suite de la remarque : Oui mais il n’y a plus d’éveil à ce moment-là.

LL: Si tu vois les choses de cette façon-là, il n’y a pas de chemin. Il faut être honnête. Quand tu parles ainsi, il n’y a pas de chemin parce qu’à ce moment-là nous sommes déjà éveillés. Nous pouvons adopter cette vue : l’obstacle est l’éveil. Si tu vois la nature même de l’obstacle, l’obstacle est l’éveil. Il n’y a pas de problèmes. Mais il faut le voir ! Si on ne le voit pas, il y a le chemin. Et sur ce chemin, nous devons repérer l’obstacle, le surmonter pour voir ensuite s’installer l’état libre de l’obstacle. Donc, ne jouons pas au plus malin mais sachons voir quel est notre véritable état d’esprit. Quand il y a désir, il y a désir. Quand l’esprit est obscurci, nous ne voyons pas clair. Quand la colère, l’aversion sont présentes, il y a obscurcissement, nous ne voyons pas clair, il faut alors faire une pratique. Et quand cette pratique est correctement faite, elle mène à la disparition de l’obstacle. Un Bouddha, un être éveillé, un être clair, n’est plus dans la colère, le désir, la torpeur, etc. Ces obstacles n’apparaissent plus ; penser que l’éveil dépend des obstacles est une vue erronée. L’éveil n’a pas besoin des obsta-cles. L’éveil, c’est l’état naturel de l’esprit, en l’absence de ces obstacles.

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La présence de l’éveil, c'est-à-dire le dharmakaya, ne dépend pas des causes et conditions. Nous n’avons pas besoin d’obstacles pour nous éveiller ou pour être éveillés. L’obstacle, c’est l’absence de l’éveil. Quand l’éveil est présent, il n’y a plus d’obstacles. Voir la nature même de l’obstacle dissipe l’obstacle. Quand il y a obstacle, il y a souffrance, il y a cause pour la souffrance. Quand nous nous leurrons là-dessus en appelant un obstacle un ami, quand nous glorifions l’obstacle comme étant l’ami nécessaire pour atteindre l’éveil, nous prolongeons la souffrance, nous ne mettons alors pas en oeuvre l’effort nécessaire pour pouvoir le dissiper. Nous aurons tendance à rester plus longtemps dans le désir parce que finalement il n’y a pas de problèmes. Nous demeurerons dans l’aversion, dans la colère, parce que finalement il n’y a pas de problèmes. Donc, en se disant toujours « finalement il n’y a pas de problèmes », nous restons dedans et rien ne change. Nous n’apprenons pas à dissiper rapidement les obstacles parce que nous ne faisons pas l’effort nécessaire pour cela.

Donc, avant d’aller à la vision ultime que l’obstacle est l’éveil, il faut savoir que les obstacles sont des ennemis par excellence. Le Bouddha appelait cela l’activité de mara. Ce sont les forces obs-tructives empêchant l’éveil. Si nous ne les gérons pas bien nous n’atteindrons jamais l’éveil. Il faut être clair. Avant de passer à un niveau supérieur où l’on dit : « Mara n’a pas de substance, mara est vide », il faut d’abord bien intégrer le premier niveau de l’enseignement. C’était un point sur lequel il fallait bien s’attarder parce que le Bouddha a passé énormément de temps à nous expliquer quels sont les obstacles à l’éveil.

LL: La malveillance, c’est facile à comprendre. Elle entre dans la catégorie : aversion, colère ou alors faire du mal.

L’indolence se situe au niveau mental et correspond à la torpeur pour le corps. C’est une paire, dont l’un parle d’opacité mentale et l’autre de paresse, de torpeur physique.

L’agitation et le souci représentent deux formes d’agitation. L’agitation c’est l’esprit sauvage, la distraction, l’esprit qui part dans tous les sens. La racine principale de l’agitation c’est l’envie – ce qu’on appelle dans le mahamoudra « espoir » –, avoir une attente. La contrepartie, c’est la « crainte », c’est avoir des problèmes, se faire du souci, avoir peur. Dans le mahamoudra, cela s’appelle « espoir et crainte » et le Bouddha utilisait « agitation et souci » parce qu’au niveau de l’esprit cela se manifeste de cette manière. L’esprit est agité parce qu’il y a des soucis. Quand nous analysons, nous voyons qu’il y a l’espoir et la crainte.

Question : Quelle différence y a-t-il entre attente et désir ?

LL: Le désir est une attente plus forte, plus soutenue. On peut utiliser différents mots : désir, en-vie, attente.

En ce qui concerne le doute, j’insiste toujours sur le fait que ce qui fait obstacle à l’éveil c’est le doute névrotique, le doute qui n’arrive pas à accepter ce que l’observation de la réalité nous montre. Le doute est une oscillation de l’esprit : « Oui mais…, non mais… ». Oui/non, oui/non, c’est cette alternance. C’est un état d’esprit dans lequel nous sommes tellement confus que nous n’arrivons pas à voir clairement. Il y a ce balancement permanent et nous ne voyons pas bien ce qui se passe dans notre réalité. Derrière le doute se trouvent également des vues erronées qui font que, même si notre expé-rience nous montre que lorsqu’il y a attachement, il y a souffrance, nous ne laissons pas complètement entrer cette compréhension dans notre esprit, quelque chose fait barrage, du genre : « Non, non, écoute, ça ne peut pas être aussi simple que cela. » Et nous maintenons ce doute pour pouvoir mainte-nir l’attachement. Le doute sert à la protection de ce qui nourrit notre identification la plus chère. Et tant que ce fonctionnement sera maintenu nous ne pourrons pas avancer sur le chemin parce que le doute niera toujours l’expérience qui, en elle, est assez claire. Nous pouvons le vérifier maintes fois et dire : « C’est comme ça », mais le doute essaiera toujours de repousser cette évidence.

Le doute positif, constructif, amène tous les arguments qui nous viennent à l’esprit pour en véri-fier chaque aspect et dire : « Alors, est-ce que ça tient ou est-ce que ça ne tient pas ? » Le doute névro-tique ne veut pas de cette vérification et s’appuie sur lui-même pour faire barrage. Il amène les argu-ments sans les mettre en cause, sans essayer de les vérifier. Voilà pourquoi je l’appelle « névrotique » parce que c’est une maladie de l’esprit, l’esprit ne veut pas avancer, ne veut pas changer. Le doute constructif, bénéfique, est une attitude où nous vérifions tout pour avancer peu à peu, en nous basant

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sur une expérience sûre, en étant bien clairs sur notre état d’esprit : « Là j’avance, mais il reste des questions que je n’ai pas encore complètement clarifiées. » Nous ne nous leurrons pas là aussi sur le fait que : « Oui, j’avance, un peu trop peut-être, mais je vais essayer pour voir si ça tient. Il y a des choses pour lesquelles je n’ai pas encore tout bien vérifié. » Nous gardons cela présent dans l’esprit. Il est important de pouvoir agir ainsi : « Je fais confiance au dharma, mais je n’ai pas tout vérifié. Je vais peu à peu amener dans ma propre pratique tout ce que le Bouddha a dit et le vérifier ensuite. Mais déjà je prends refuge dans le dharma ». Le doute bénéfique amène une bonne investigation du dharma, qui est un facteur d’éveil. Le doute névrotique fait obstacle à cette investigation et empêche le regard net et clair sur la réalité.

Après la pause, durant la méditation, je donnerai le reste des explications sur les cinq obstacles. Nous pourrons regarder comment faire un petit examen des facteurs qui précèdent l’apparition de l’obstacle, comment l’obstacle disparaît et comment faire de la prévention. Dans les cinq jours à venir (aujourd’hui inclus), je vais couvrir les cinq aspects du soutra. Vous allez nécessairement rester un peu sur votre faim parce que nous n’allons pas pouvoir clarifier toutes les questions. Ce sera pour l’année prochaine. Nous irons davantage en profondeur.

Question : Par rapport au désir sensuel, et sachant que les obstacles se nourrissent naturellement du doute, j’espère trouver un jour du plaisir dans le désir sensuel, comme un enfant qui ne veut pas voir la réalité, même si on sait par expérience que cela ne marche pas. Est-ce qu’il y a la capacité d’expérimenter, l’amour après le désir, ou faut-il être allé au-delà de l’illusion et avoir lâché le désir pour vraiment aimer ?

LL: Pour aimer les autres, il ne te faut pas attendre d’être complètement pur. Tu peux donc avancer sur le chemin d’amour tout en étant conscient que le désir sensuel est toujours là. Tant que tu le remarques et parce que tu le remarques, tu as la possibilité de tourner ton esprit plutôt vers l’amour que poursuivre le but du désir sensuel. Tu peux développer cette possibilité-là. Dès que nous devenons conscients d’un obstacle, nous découvrons la liberté de diriger notre esprit ailleurs. Tant que l’obstacle n’est pas reconnu, nous sommes sous son emprise. Donc, le désir non reconnu est un véritable obstacle à l’amour et le désir reconnu n’est plus un tel obstacle puisqu’il est conscient. Et en ayant conscience de tout ce désir, tu peux même dire à ta femme, ta compagne : « Oui, j’ai du désir pour toi mais en même temps j’ai aussi de l’amour. » Tu tournes davantage ton esprit vers l’amour, tu donnes priorité à autre chose. Là, une possibilité de décision s’installe.

Méditation guidée

Nous étions dans la post-méditation, c’est-à-dire le temps entre sessions. Dans cette phase, nous avons pu rester vigilants un minimum et nous aurions pu essayer de le rester davantage. En revenant nous asseoir sur le coussin, nous rétablissons complètement notre vigilance ; en pénétrant dans la salle de méditation et en nous asseyant, nous n’avons qu’une seule chose à faire : être pleinement cons-cients de tout ce que nous faisons, de tout ce qui se passe en nous. C’est comme un rituel de vigilance.

Pour commencer notre méditation nous passons à peu près toujours par les mêmes étapes qui peuvent être appelées les préliminaires. Dans ce rituel de préparation, nous faisons d’abord attention à notre posture. Nous vérifions si elle convient pour nous permettre de rester sans bouger pendant quel-que temps. Puis nous scannons notre corps en laissant se promener notre vigilance du haut vers le bas, du bas vers le haut, du sommet de la tête vers les plantes de pieds, pour voir si nous pouvons dissoudre facilement les tensions qui restent. En plus de cela, nous prenons contact avec ce qui se vit dans ce corps, notre expérience présente avec les sensations physiques les plus faciles à remarquer. Nous res-sentons le contact avec le sol, remarquons les différentes zones de densité, de légèreté, les différentes sensations en remontant depuis les pieds, les jambes, les genoux, vers les hanches et le haut du corps, les bras, les épaules, la nuque, le cou, le menton, la mâchoire, le visage, le crâne, jusqu’au sommet de la tête et plusieurs fois, pour bien remarquer ce qui s’y passe. Nous nous établissons dans la perception du vécu du corps entier. [Méditation]

Quand nous surveillons le corps de cette manière, quand nous prenons contact avec toutes les sensations, nous oublions tout ce qui est autour, nous sommes seulement avec le corps. [Méditation]

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Nous remarquons la respiration, le va-et-vient du souffle. Rien de spécial, c’est juste une sensa-tion, une série de sensations parmi d’autres. En inspirant et en expirant, nous ressentons le corps en-tier. [Méditation.]

Nous nous entraînons à ne pas juger les sensations, à ne pas trop tomber dans « j’aime/je n’aime pas », à être simplement présents à ce qui se passe, à observer une neutralité vis-à-vis des sensations qui, bien sûr, sont différentes : plus fortes, moins fortes, parfois difficiles à accepter. Le fait de ne pas juger amène une détente. La neutralité amène une équanimité. Equanimes, nous ressentons le corps entier. Ainsi s’apaise le souffle, le corps, l’esprit . [Méditation]

Ça respire, ça vit, ça change. [Méditation]

Nous demeurons dans la contemplation du corps, indépendants, sans attachement aux sensations physiques. [Méditation ]

Puis, nous élargissons le champ de notre vigilance pour inclure les autres champs sensoriels : tout ce que nous pouvons entendre, voir, percevoir avec les six sens. [Méditation ]

Nous sommes complètement présents à ce qui est, sans l’envie d’être ailleurs. Le vécu présent est tout ce qu’il faut. [Méditation ]

Sans attachement à rien au monde, nous demeurons dans la contemplation des sensations. [Médi-tation]

Nous avons passé un scanner sur les sensations physiques. Nous nous sommes établis dans une vigilance sur les sensations, avons parcouru les différents champs sensoriels pour établir une vigilance sans jugement concernant tous les différents aspects de notre vécu.

La prochaine étape est un scanner sur l’esprit. Passer ce scanner sera tout simplement regarder dans quel état se trouve le vécu mental. Que se passe-t-il dans l’esprit ? L’esprit est-il distrait ou pré-sent ? Est-ce qu’il tombe dans l’attachement ou est-ce qu’il reste libre, sans attachement, dans le lâ-cher-prise ? [Méditation]

Est-ce qu’une émotion est présente, même pour de brefs instants ? Est-ce que l’esprit est libre d’un obscurcissement émotionnel ? [Méditation]

Pour le dire avec une image : est-ce que l’esprit ressemble au ciel, bleu clair, complètement lu-cide ou y a-t-il des nuages ? [Méditation]

L’esprit est-il comme un océan sans vagues, limpide, clair comme un miroir ou plutôt agité, avec des vagues, troublé, turbulent ? [Méditation]

Peu importe. Avec cette même attitude de non jugement, nous percevons tout simplement le fait que c’est comme cela. La vigilance s’établit sans jugement. C’est cela le chemin : être présent, sans jugement. Un regard simple qui se pose sur ce qui est, sans être agité par un souhait, l’espoir d’être ailleurs. Là, maintenant, à cet instant même, être vigilant, attentif à ce qui se passe, c’est cela le che-min et c’est cela l’instant même. [Méditation]

Nous pourrions dire que nous venons de passer le scanner sur la présence des obstacles. Y en a-t-il ? N’y en a-t-il pas ? S’il y en a, nous restons vigilants, présents, avec la présence de ce nuage dans l’esprit. Nous regardons, sans plus, nous faisons connaissance. C’est comme si c’était la première fois que nous regardions la présence de ce facteur mental. Nous faisons connaissance. Il n’y a pas de pro-blèmes, le regard remarque tout simplement les nuances de ce qui se passe dans l’esprit. [Méditation]

Nous détendons l’esprit encore et encore. Il n’est pas nécessaire de chercher tout le temps les nuages, les obstacles, il suffit de rester de manière détendue, pleinement conscients, pleinement pré-sents. [Méditation]

Sensations physiques, sensations mentales. Finalement, tout se joue dans l’esprit et cela change tout le temps. [Méditation]

De nouvelles sensations apparaissent tout le temps, sans cesse. [Méditation]

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Lorsque la session nous semble terminée, commence alors la post-méditation, la vigilance dans les activités. Donc, penser que la session est terminée est juste une illusion. Elle continue dans diffé-rentes postures, en étant debout, en marchant, en s’asseyant avec d’autres, en parlant, en mangeant, en allant aux toilettes. Toutes ces différentes formes d'occupation vont s’enchaîner. A un moment donné nous aurons un instant, un espace où nous pourrons nous asseoir à nouveau dans le silence et appro-fondir cette capacité à rester présents. Pendant tout le temps où nous sommes dans l’activité, nous faisons la même chose que dans la méditation : nous restons en contact avec le corps, les sensations, nous sommes conscients de ce qui se passe dans le champ sensoriel, dans l’esprit. Si un nuage apparaît nous regardons : « Comment se fait-il que le désir sensuel ou l’aversion se soient installés dans l’esprit ? » Nous faisons ce que nous pouvons pour laisser se dissoudre cette fixation et nous tra-vaillons la prévention, c'est-à-dire nous développons des états d’esprit qui ne facilitent pas la manifes-tation de tels nuages, en se rappelant la bodhicitta par exemple. La bodhicitta est là pour prévenir la manifestation des obstacles.

En revenant sur le coussin, nous continuons les mêmes pratiques : posture, sensations physi-ques, les autres sensations, l’esprit, voir les nuages qui apparaissent, comment ils se dissolvent, com-ment faire pour stabiliser l’esprit dans l’ouverture vaste, sans fixation. C’est toujours la même prati-que : méditation/post-méditation, post-méditation/méditation. La différence semble-t-il, c’est juste la capacité d’être vigilants. Elle semble être moindre quand nous sommes dans l’activité et dans la ses-sion de pratique car c’est là où elle développe plus de force. Et avec cette force, nous retournons dans l’activité puis, avant qu’elle se perde totalement, nous revenons sur le coussin. C’est ce mouvement-là. Le travail du pratiquant consiste à développer cette présence ouverte dans la pratique formelle, l’amener ensuite dans l’activité et revenir pour s’entraîner davantage jusqu’à ce qu’il y ait une ouver-ture totale dans la méditation et dans l’activité. C’est ce qu’on appelle un bouddha.

Dixième enseignement

Hier, nous avons étudié le travail avec les obstacles comme première partie de la vigilance sur les dharmas. La place de cette première pratique est tout simplement de créer de l’espace, d’éliminer les obstacles pour ensuite pouvoir regarder de plus près la nature de notre existence. Mais en exami-nant plus profondément le désir sensuel, la malveillance, la torpeur, etc., nous nous demandons pour-quoi ces obstacles apparaissent et quelle est leur nature. Cette réflexion sur la nature des obstacles nous amène à discerner, à voir, que derrière tout cela se trouve la saisie égoïste. C’est une évidence. Vous pouvez considérer n’importe lequel de ces obstacles, que ce soit l’agitation, les soucis, la fatigue, etc., derrière vous trouverez le moi, le je, c’est-à-dire la saisie égoïste (dag dzin en tibétain). Mais alors, de quoi s’agit-il quand on parle de cette saisie égoïste omniprésente constituant le plus grand obstacle pour la méditation ? Pourquoi y a-t-il toujours « moi je veux », « moi je ne veux pas », « moi avec mes espoirs, avec mes craintes, avec toutes mes identifications qui font s’élever tout ce « ciné-ma », qui fait obstruction à une présence toute simple ? Nous remarquons de toutes parts l’étendue de cette saisie égoïste qui semble être la racine même de tous les obstacles.

Le Bouddha nous dit : « Quand ces obstacles ne s’élèvent plus, nous pouvons entrer dans la mé-ditation profonde et les voiles les plus subtils, les derniers voiles, se dissipent, c’est l’éveil ! ». Tous ces voiles, tous ces obstacles, sont constitués de saisie égoïste. Alors, de quoi s’agit-il ? Nous avons déjà acquis une bonne base en regardant le corps, les sensations d’abord physiques, puis les autres, l’esprit avec ses différents états mentaux ; nous avons vu la fluidité de la succession constante des différents instants de l’esprit et nous aimerions mener notre investigation plus loin pour savoir sur quoi se base notre identification. Nous allons donc examiner les cinq agrégats (les cinq skandhas), ce sera juste une autre façon de regarder les choses. C’est seulement la saisie égoïste qui fait obstacle à l’éveil. Le Bouddha dit :

« Puis, nous demeurons dans la contemplation des dharmas par rapport aux cinq agrégats d’attachement. Comment le faisons-nous ? »

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Les « cinq agrégats d’attachement » (nyé-bar len-pai poung-po en tib.) sont un terme précis de l’Abhidharma. Nous nous identifions donc avec les agrégats, les skandhas (poung-po en tib.) Il est question des agrégats d’attachement qui pourraient être appelés aussi agrégats d’identification. Ce terme est donc utilisé pour faire la différence avec d’autres formes, d’autres tas de choses (un tas de bois, etc.) qui ne représentent pas un agrégat d’attachement. « Attachement » veut dire aussi qu’il existe un lien avec ces agrégats-là, un attachement avec un sentiment de moi, donc une identification. Nous allons les regarder, mais comment faire ? En voici la liste :

« Ici, nous savons : Telle est la forme, telle son apparition, telle sa disparition. Telle est la sensation, telle son apparition, telle sa disparition. Telle est la distinction, telle son apparition, telle sa disparition. Telles sont les formations karmiques, telles leurs apparitions, telles leurs disparitions. Telle est la conscience, telle son apparition, telle sa disparition. »

Le Bouddha nous dit de bien les regarder, de les connaître : « telle est la forme…». Qu’observons-nous ? Comment apparaît-elle et comment disparaît-elle ? Regardons le changement dans cet agrégat-là et faisons la même chose pour chacun des autres.

Nous pourrions faire de longs discours sur « la forme », mais en ce qui concerne le méditant, elle représente le corps avec lequel il s’identifie. Bien sûr, cet enseignement n’est pas seulement donné pour les êtres humains car il existe des apparences plus subtiles dans d’autres types d’existence. Nous pourrions nous identifier à une forme d’existence qui n’aurait peut-être pas un corps physique mais un corps de lumière. Il y a des gens identifiés à leur aura, mais cela ne fait pas partie de la forme. Cela ne nous concerne pas pour le moment. Nous allons travailler avec ce que nous avons, c'est-à-dire l’identification à ce corps-là. On trouve toutes sortes d’attachement/identification, mais tout ce qui définit les délimitations de notre existence est appelé « forme ». Donc, laissons les choses simples parce que si nous les compliquons trop, nous perdons de vue la grande simplicité de cet enseignement. Lorsqu’une personne me pince ou me fait mal, tout de suite je dis : « Tu me fais mal, c’est mon corps ! ». Elle pourrait me répondre : « Non, je ne te fais pas mal, je pince juste ce corps qui est en face de moi. Pourquoi t’identifies–tu ? » Nous le sommes et cette identification est la cause de nom-breuses souffrances ainsi que l’attachement, le désir. Voilà donc pourquoi nous avons besoin de tra-vailler sur l’attachement à la forme, au corps.

Qu’est-ce donc que la forme en tant qu’agrégat ? « Agrégat » signifie tas. Le Bouddha parle des agrégats probablement dans le premier soutra. A cette époque, il se trouvait dans une forêt et en face de lui il y avait un tas de bois fait de troncs d’arbres empilés. Il dit alors : « Regardez ce tas de bois ; il est similaire à notre corps. C’est un amalgame de choses mises ensemble, un agglomérat d’organes, de membres : le foie, la vésicule, l’estomac, les poumons, et les différentes autres parties. Voilà l’amas que nous appelons corps ». C’est une image très basique. Le Bouddha prenait l’exemple d’un tas de bois pour nous expliquer en quoi notre existence physique est comparable. Ensuite il faisait la même chose pour autrui. Puis il demandait aux pratiquants qui se trouvaient en face de lui, de bien regarder si dans tout cet assemblage, cet ensemble d’organes, de chair, de cheveux, etc., se trouvait un moi, un je. Le moi est-il moins présent quand on enlève un bras ? Y a-t-il moins de je, de moi, quand il manque un œil ? Où le moi commence-t-il et où se termine-t-il ? Honnêtement, en regardant les agrégats qui se forment à partir de l’embryon, puis de son développement dans la matrice, sa naissance, le bébé, l’enfant, l’adolescent, l’adulte, nous voyons que cet amas, ces agrégats changent tout le temps. Le corps est une forme conditionnée. Tant que les conditions sont favorables, il change, il vit, il continue. A un moment donné les conditions ne peuvent plus être maintenues, la mort survient, le tas retombe, les agrégats se dissolvent. C’est pour cette raison que l’on parle de quelque chose qui est rassemblé temporairement, qui change, qui vit, mais qui n’a pas de réalité permanente.

Le Bouddha disait : « Tout ce qui se réunit, un jour finit par se séparer. Tout ce qui se construit finit par s’écrouler. » Là-dedans, trouvons-nous un « je », un « soi », un « moi » ? C’est la question que le pratiquant se pose en faisant cette contemplation. Il regarde, analyse ce qu’est la forme, porte le regard sur les parties du corps, utilise ce qu’il a appris sur les quatre éléments dont nous avons déjà parlé. Puis, après avoir fait l’analyse pour ce corps physique, il analyse à l’extérieur tout ce qui est

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forme et ensuite le corps des autres : en va-t-il de même pour le corps des autres êtres humains, des animaux, etc. ? Il regarde s’il existe des formes, des organismes qui échappent au changement.

Lorsque nous aurons compris le but de cette analyse, nous serons motivés pour la faire. La visée est de ne laisser aucun coin de notre royaume d’identification qui ne soit examiné, mis sous la loupe pour voir si nous pouvons trouver un « je », un « moi ». Nous avons ici deux possibilités : soit nous trouvons quelque chose qui justifie notre identification, soit nous ne le trouvons pas et dans ce cas, ce sera donc une grande illusion en moins : l’illusion qui crée toute la souffrance.

« La forme » est donc le vécu physique immédiatement lié aux sensations. Mais comme nous l’avons déjà vu, ce sont les sensations au sens large du terme, c’est tout ce que nous pouvons ressentir par nos six sens : les cinq sens extérieurs (normalement tournés vers l’extérieur) et le sens mental. Même investigation : y a-il dans cet agrégat, ce tas appelé champ sensoriel, quelque chose qui dure, qui soit permanent, que l’on pourrait appeler un moi, un je, éternel ?

Prenons l’exemple du champ visuel. Pour le considérer comme un agrégat il faut l’œil – nous estimons le cerveau et la base physique (le corps) comme faisant partie de ce que l’on nomme œil –, un objet visuel et une conscience visuelle qu’il est difficile de bien définir mais c’est elle qui perçoit les formes. C’est ce qui fait la différence avec un corps mort qui, même s’il a toujours son cerveau et ses yeux, n’a plus de conscience visuelle et ne peut donc percevoir les objets. Il est indispensable que ces trois éléments soient présents en même temps. Il en est de même pour tous les autres sens, tels que l’odorat avec le nez, les objets odorants et la conscience olfactive. Il faut donc que l’objet, l’organe et la conscience soient toujours réunis. A un niveau très rudimentaire on parle de plusieurs conditions devant être présentes simultanément pour être un agrégat, mais si nous regardons en détail, nous pou-vons encore affiner cette définition. Au niveau des sensations, il n’y a pas seulement ces trois facteurs à réunir car en observant bien, nous voyons que chacun d’eux est sujet à de nombreuses conditions qui font changer les sensations. Par exemple, quand le regard tombe sur des objets visuels toujours diffé-rents, des influences jouent à tous les niveaux et l’œil peut changer, de même pour le cerveau et la conscience. Cette dernière peut être activée ou non. Tout ceci fait qu’aucune sensation visuelle n’est stable. Cela n’existe pas. Il n’y a pas non plus de sensations auditives stables, c’est pareil pour n’importe quel autre sens. Il n’y a pas de stabilité dans les sensations, cela change tout le temps. Une question se pose : « Dans ces sensations-là en changement constant, y a-t-il quelque chose comme un moi stable, comme un je, que je pourrais appeler « mon âme », une âme qui serait toujours la même ? Y trouve-t-on quelque chose de similaire ? »

A ce stade, vous vous posez probablement la question : « Qui a dit que le moi doit être stable ? » Le moi pourrait peut-être être quelque chose d’instable, de changeant, de fluctuant. Si c’est le cas, ce n’est peut-être pas gênant que cela change tout le temps. Ce point est extrêmement important. C’est ce qui va faire toute la différence entre souffrance et bonheur. Si nous concevons le « je » comme un processus d’adaptation continuelle à différentes situations qui, grâce à la force d’une sagesse et d’une compassion se manifeste dans le monde et opère pour le bien des êtres, il n’y a pas vraiment de pro-blèmes avec cette définition dynamique. Il n’y a rien à défendre là. Il n’y a pas d’identification, il y a une fluidité. Si on appelle cela le « moi », le « je », pas de problèmes. Malheureusement, nous ne pen-sons pas que ce soit cela qui ira d’une vie à l’autre, ce n’est pas cela que nous sentons attaqué quand nous recevons une critique.

S’il y a ce principe de fluidité, d’ouverture, de travail spontané des qualités comme la sagesse, la compassion, etc., il n’y aura pas de souffrance. Voilà pourquoi à la question : « Est-ce que le ‘je’ existe ou non ? » le Bouddha n’a répondu ni oui, ni non, parce que tout dépend de la définition qui lui est donnée. Le Bouddha n’a pas rétorqué catégoriquement : « Non, le ‘je’, le ‘moi’, n’existe pas », parce tout dépend de la définition de ce terme. S’il est défini comme un processus d’adaptation, de manifestation spontanée des qualités, sans identification, il n’y a pas de problèmes. Par contre, si nous avons l’idée d’un noyau – à l’intérieur du soi - à défendre quand quelqu'un nous accuse en disant par exemple : « Toi, tu as fait ça. – Moi, je n’ai rien fait ! », même si intellectuellement nous sommes su-per psychologues et avons des idées de processus d’adaptation, nous sommes dans le « bla bla bla ».

Cette façon de décrire le « moi », le « je » est magnifique, mais émotionnellement nous réagis-sons avec la saisie d’un noyau en nous. Nous pensons que ce noyau était déjà là au moment de notre

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naissance, qu’il est toujours là aujourd’hui, qu’il n’a pas changé et qu’il sera encore là au moment de la mort. Et nous nous demandons ce qui lui arrivera quand nous mourrons. Nous avons peur pour lui. Nous ne savons pas. Ce noyau, cette âme, ce qui ne change pas, nous voudrions bien être assurés qu’il va durer et que « toi » – c'est-à-dire ton âme –, vas bien aller au ciel ! Donc, « aux cieux, tu seras à la droite du Père, etc. » « Tu seras là où il faut et pour toujours et tu seras éternellement heureux, sans changement. » C’est la notion du moi avec laquelle nous vivons. Il faut être honnête, mais dans notre naïveté nous aimerions bien être rassurés (peut-être plus tellement depuis que nous avons commencé ce travail): « N’aies pas peur, rien ne t’arrivera. Là, au centre, ce sera toujours pareil. Toi, être unique, tu seras sauvé contre les tourments de la vie. Tu n’as rien à craindre. » C’est cela que nous voudrions bien entendre.

Je viens de parler en termes un peu chrétiens, mais ces mêmes croyances existaient déjà en Inde il y a 2500 ans. Ce n’était pas différent. Il y avait la notion d’un atman qui dure, qui continue et qui un jour s’unira avec le brahmane, etc. Donc, ces notions sont profondément humaines et semblent être la cause de la souffrance humaine. J’ai dit : « Il semble que ce soit la racine de toute la souffrance », mais j’en suis complètement convaincu. Je vous propose cela parce que c’est le travail à faire ici : trouve-t-on quelque chose d’individuel et de permanent ? Cela existe-t-il ? Nous analyserons donc tous les aspects de notre expérience.

Il faut bien comprendre aussi que l’on ne cherche pas un « moi », un « je », un « soi » universel. Quand on m’attaque, quand on m’accuse et que je dis : « Non, je n’ai pas fait ça ; non ce n’est pas moi », je ne suis pas en train de défendre le moi universel. Je défends le moi subjectif individuel, mon individualité. Donc, cette analyse n’est pas non plus effectuée pour découvrir s’il y a ou non un dieu, un moi universel, un esprit qui nous unit tous. Elle est faite pour détruire, dissiper la notion d’un moi individuel qui durerait, qui serait permanent. Il est important de comprendre cela.

C’était donc deux points très importants. Un quelque chose d’individuel, toujours pareil, qui fait éternellement la différence entre moi et les autres, appelé un « moi », un « je », dans la terminologie utilisée. Lorsque la question « Est-ce que Dieu existe ou pas ? » était posée au Bouddha, il ne répon-dait ni oui, ni non. « Tout dépend ce que vous comprenez par Dieu ». C’est important à savoir. Bouddha n’a pas nié Dieu, Bouddha n’a pas nié le « je » parce que cela dépend des définitions. Il a voulu faire une seule chose : déraciner la souffrance. Il n’a souhaité que cela et n’a enseigné que sur ces points-là. Il n’a pas donné d’enseignements ésotériques ou mystiques sur l’existence ou la non-existence de Dieu. Il s’est consacré uniquement à éradiquer la souffrance pour qu’une véritable joie libre de toute souffrance soit présente. Pour cela, il a dirigé le regard sur les cinq agrégats. Nous en avons vu deux, nous allons voir les autres maintenant.

« Distinction », est une bien meilleure traduction que « perception » parce que « perception » et « sensation » ont un sens presque identique. Sensation veut dire : « comment je ressens les choses » et distinction : « qu’est-ce que je ressens ? ». La distinction, c’est la capacité de nommer, d’identifier, de faire la différence entre une chose et une autre. Quand nous faisons la différence entre les deux, nous pouvons dire que les sensations sont plutôt notre vécu affectif et que la distinction – le coté cognitif – est la possibilité de différencier, de comparer avec des expériences vécues dans le passé, de nommer tout le processus de connaissance (différent de l’affectif) lié au ressenti immédiat, sans pour autant nommer les choses. Dans les discussions de ces derniers jours, je vous ai fait remarquer le développe-ment graduel des sensations par lequel une sensation non conceptuelle devient conceptuelle, puis peut être nommée. Donc, pouvoir nommer la sensation, le vécu, lui donner un nom c’est déjà une distinc-tion. Je peux distinguer une sensation brûlante d’une sensation rafraîchissante par exemple. Cette dis-tinction-là, cette capacité de nommer d’ordre cognitif, est déjà le troisième skandha dans cette descrip-tion.

Question sur les cognitions.

LL: Oui, certains traducteurs utilisent le mot « cognition » pour cela. Mais il y a des cognitions plus élaborées qui s’intègrent dans le quatrième skandha où se trouvent les facteurs mentaux. Il est plus important de comprendre le processus que les mots. Une sensation toute simple, pas encore conceptuelle, nous touche du côté affectif et donne lieu à une perception cognitive. La cognition de-vient ensuite plus complexe. Elle est mise en relation avec d’autres facteurs de notre conscience qui

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développent des états émotionnels affectifs toujours plus compliqués. Ces complications sont le qua-trième skandha. Il faut observer ce processus-là et bien voir comment cela fonctionne. Voici un exem-ple de la manière dont je vis les choses intérieurement : quand je ressens une sensation, loin déjà de pouvoir la distinguer, la différencier avec d’autres sensations, loin de pouvoir mettre un nom dessus, c’est le côté agréable ou désagréable qui est perçu. Dans mon corps, il y a beaucoup de sensations que je n’arrive pas à nommer. Le langage, les mots que nous utilisons sont extrêmement limités pour dé-crire précisément le vécu intérieur. Comment pouvoir trouver le bon terme pour dire si telle sensation est vraiment brûlante ou si elle est plutôt piquante, etc. ? Avant d’y arriver, j’ai dû longuement expé-rimenter la sensation. Elle s’est répétée maintes fois avant que je trouve le mot adéquat pour la nom-mer et pouvoir finalement la classer. Auparavant, quand une sensation me faisait bouger, presque ins-tinctivement (soulever la jambe par exemple), la sensation désagréable déclenchait tout de suite le mouvement parce que le processus de nommer les choses ne s’était pas mis en place. Ce n’est qu’après que j’ai pu décrire ce que j’avais vécu.

Il est aussi très important de comprendre ce que l’on appelle ici « distinction ». Ce troisième skandha n’a pas besoin de mots parce que le processus verbal est bien plus long que les différencia-tions s’opérant sur des sensations agréables et désagréables de manière réactionnelle. Par exemple, dès que nous touchons quelque chose de brûlant, la vitesse avec laquelle nous retirons la main nous mon-tre à quel point les différenciations « agréables/désagréables » ou, « il est possible de rester parce que ce n’est pas dangereux » ou « attention, retire la main, c’est dangereux », s’opèrent rapidement dans notre esprit. Et c’est à ce niveau-là qu’il faut aussi comprendre comment les skandhas opèrent.

Regardons les autres formations karmiques (samskara en sanskrit). C’est un sujet assez com-plexe. Y sont inclus tous les états mentaux : bénéfiques et nuisibles, ainsi que les différents facteurs responsables des capacités de percevoir, être conscients et de maintenir la vigilance sur quelque chose. Tous ces agents, y compris les réactions émotionnelles et les états mentaux équilibrés dit bénéfiques, tout cet ensemble, à la fois simple et complexe est inclus dans les formations karmiques. En effet, à cause de ce que nous vivons présentement, nous allons agir, avoir certaines pensées, dire certaines paroles et accomplir certains actes physiques. C’est pourquoi nous disons : « ce qui nous fait agir ». Les formations karmiques incluent ce qui bouge, ce qui manifeste constamment des actes par le corps, la parole et l’esprit.

Il est question de formations karmiques parce que ce qui se vit dans tout cet amalgame, dans cet amas de différents facteurs mentaux plus ou moins complexes, est le résultat de nos pensées, paroles et actes précédents. Donc, ce qui est formé par le karma ne sera pas seulement la base pour des forma-tions futures mais est le résultat du karma précédent. C’est là que se joue en long et en large notre pro-jection karmique, le ressenti coloré par notre karma qui engendre encore plus de réactions de cet ordre.

Question : Dans d’autres enseignements, tu nous as parlé des cinq facettes de la conscience in-temporelle, des cinq sagesses. Comment se présentera le fonctionnement de ces cinq sagesses, vis-à-vis de ces formations karmiques ?

LL: Cette question est bien fondée mais nous pourrions l’élargir ainsi : comment fonctionnent les cinq agrégats sans la saisie égoïste, si nous vivons dans la conscience primordiale, intemporelle, comme un bouddha ? Tant que le Bouddha est incarné tout continue parce qu’il y a le corps (l’agrégat de la forme), les sensations, les distinctions, toutes sortes de processus plus complexes au niveau de la conscience et la conscience elle-même. Mais ces cinq agrégats sont libres de saisie égoïste, il n’y a donc plus d’attachement à la forme, plus d’identification aux sensations, les distinctions se font sans filtre émotionnel. L’esprit peut fonctionner sans aucun empêchement, aucun obstacle, que la référence à un « moi », un « je », une saisie égoïste, pourrait créer. Tout fonctionne dans sa fluidité totale, sans filtre. Cette description est très facile à comprendre. Quand la saisie égoïste est absente, il n’y a pas la souffrance due à une identification avec la forme, la sensation, les distinctions, des idées, des mouve-ments mentaux et pas d’identification avec une conscience individuelle. Il est donc possible d’être libres d’identification à ces cinq agrégats.

Dans le passé, beaucoup d’autres se sont aussi posés cette question. Je crois que dans l’Abhidharma de l’école mahayana, un sixième skandha (un sixième agrégat) a été formulé, appelé « conscience intemporelle » ou « conscience primordiale ». Ceci pour dire que, même la conscience

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primordiale n’est pas un « je », n’est pas un « moi », n’est pas un lieu d’identification toujours fluide, toujours présent sous différents aspects. Il signifie aussi que le fonctionnement – l’agrégat donc de cette conscience intemporelle – est toujours présent et aussi vrai que tous les autres agrégats déjà nommés. Je pense que cela ne fait pas partie des enseignements d’origine.

Je vous donne encore quelques explications sur les formations karmiques. Donc : désir, colère, ignorance, jalousie, rancœur, etc., sont les formations karmiques classifiées comme nuisibles. Absence de désir, absence de colère, absence d’ignorance, etc. – aujourd'hui on dirait amour, compassion etc. – sont les formations karmiques bénéfiques. Ensuite il y a des états mentaux classifiés comme variables. Par exemple, le sommeil est un état mental qui peut être bénéfique ou nuisible. Il y a donc une classi-fication et cette classification n’est pas du tout complète. L’idée n’étant pas d’énumérer tous les états mentaux, mais simplement de donner des exemples de ceux qui sont toujours bénéfiques et de ceux toujours nuisibles.

Il faut donc apprendre à regarder la nature de notre expérience, où se situe l’esprit, dans quel état il se trouve, et voir que cela change tout le temps. Certains états mentaux durent longtemps. Pre-nons la tristesse par exemple. Quand nous la regardons, en quoi consiste-t-elle ? En une succession de moments de pensées. Donc, quand on parle de formations karmiques, on parle d’une succession d’instants avec des pensées différentes (même si les pensées sont semblables), ce qui crée une humeur. Nous sommes dans cette disposition sur le moment et quelques minutes, voire quelques heures plus tard, nous nous apercevons qu’elle a changé. Une humeur est constituée d’une multitude de petites pensées et chaque pensée est appelée formation karmique. Si on étudie la succession des instants de formations karmiques – certaines persistantes comme la rancœur, la tristesse ou la joie et le non-attachement – chaque instant est coloré différemment et chacun donne la possibilité au suivant d’être différent. Je vous donne l’exemple d’une personne à l’esprit tranquille, dans la joie, à qui le bang vio-lent d’un avion franchissant le mur du son, provoque un instant de frayeur. Donc, l’esprit change d’un instant à l’autre. Les changements sont souvent graduels parce qu’un instant ressemble au précédent. Cependant, il arrive parfois que le changement soit très abrupt parce que dans les formations karmi-ques, le vécu dépend des conditions et quand celles-ci changent radicalement ou dramatiquement, un changement radical ou dramatique de notre vécu mental se produit.

Question : On peut donc partir du principe que ce que l’on est à chaque instant n’est qu’une formation karmique ?

LL: Oui, c’est une succession de formations karmiques. Point à la ligne. C’est assez décevant, n’est-ce pas ? Alors, appliquons-nous à n’être qu’une succession de formations karmiques bénéfiques. Dans celles-ci il n’y a pas de moi, il y a juste un courant d’être demeurant dans des formes d’états bénéfiques. Et cette question nous amène plus loin parce qu’elle nous conduit à comprendre ce qu’est le « moi », le « je ».

C’est la couleur du karma qui fait le « je ». En effet, ces courants d’être ont différentes colora-tions karmiques, différentes formations karmiques. Nous pouvons donc les différencier et dire : « ‘X’ est toujours égale à elle-même », même si elle change. Mais nous la reconnaissons parce que son kar-ma n’est pas encore complètement épuisé. Ce sont les tendances qui colorent celle qu’on appelle « X ». Donc là, c’est le « je », mais parce qu’il y a cette continuité, cette similitude des tendances kar-miques, nous avons tendance à dire : « Voilà, ça c’est moi parce que je suis différent des autres. » Et je vois la différence. Je suis aujourd'hui très semblable à ce que j’étais hier et c’est à cause de cette simi-litude des formations karmiques, des manifestations qui s’opèrent dans notre esprit, dans notre com-portement, que nous avons tendance à dire « moi ». Ce n’est pas faux parce qu’il y a une différence, mais quand nous regardons précisément, nous n’y trouvons rien de permanent. Cela change tout le temps et peut changer encore plus.

Cette notion du « moi » vient du fait que nous nous considérons semblables à ce que nous étions auparavant. Mais si nous observons avec précision, nous ne sommes jamais pareils. Il n’y a pas une identité identique, individuelle, qui se poursuit d’un instant à l’autre. Une similitude d’un instant à l’autre, n’existe que par la continuation des mêmes genres de saisies, d’identifications, de schémas de réactions, de façons à réagir, de penser… pourtant elles ne sont jamais semblables. Et cette non identi-té est due au changement. S’il y a changement, il n’y a pas un « je », un « moi » stable. Voilà pourquoi

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le Bouddha a dit : « Regardez bien si dans vos états mentaux les formations karmiques changent ou ne changent pas, s’il y a une identité ou s’il n’y en a pas. Si vous trouvez quelque chose qui soit un état mental identique d’un instant à l’autre, vous avez trouvé ce que vous cherchiez : votre « je », votre « moi ». Si vous ne le trouvez pas, alors il n’existe pas de « je » continuel, identique, individuel dans toute vie. »

Eclaircissons ce point à propos de ce qui fait que depuis notre naissance jusqu’à aujourd'hui nous avons l’impression d’être un « moi ». Si je vous montre ma photo de bébé, vous n’allez pas vraiment me reconnaître. Par contre, si je mets une série de photos aux différents âges, côte à côte, le peu de différence que vous remarquerez entre elles, vous donnera l’impression d’une continuité et vous pourrez dire : « Celui qui est devant nous maintenant, avec une tête chauve, des rides, fatigué etc., c’était ce bébé bien nourri qui est là sur l’autre cliché ; aujourd'hui maigre, là bien poupon, on dirait la même personne. » Donc une personne, ce sont des facteurs karmiques qui changent tout le temps et c’est la notion de continuité due à la similitude qui crée l’illusion du moi.

Celui qui comprend ce processus de changement ne s’identifiera pas avec celui qu’il était, qu’il est maintenant ou qu’il sera. Ce sont des phénomènes passagers se manifestant d’un instant à l’autre et celui qui s’y identifie est fou, stupide, parce qu’il n’y a pas de solidité, il n’y a pas une réalité vérita-ble. Nous sommes dans l’illusion, c’est l’ignorance, notre ignorance fondamentale.

Question : Comment un être pourrait-il opérer, agir, sans saisie égoïste, avec des formations karmiques ?

LL: Donc, si dans un être libre de saisie égoïste, apparaît une impulsion et des traces karmiques, une formation karmique du passé, une sensation, une pensée, une impression, du fait qu’il n’y a plus de saisie, il ne s’identifiera pas avec ce qui apparaît et donc n’aura aucune réaction karmique. Il ne stimulera pas tout un cycle créant à nouveau un karma. C’est la fin, l’épuisement de ce karma qui vient se manifester parce qu’il y a non-identification. Cet être est libre de toute réaction émotionnelle et peut agir comme il le souhaite ; il n’est pas poussé par l’apparition de cette impulsion karmique, à agir de manière prévisible dans un enchaînement de causes à effets.

Le cinquième agrégat, « la conscience », dernier bastion de notre saisie égoïste, n’est pas telle-ment aisé à prendre non plus ! Etre identifié avec la conscience, c’est dire : « Je ne suis pas le corps, je ne suis pas les sensations, je ne suis pas les distinctions, je ne suis pas mes émotions, mes états men-taux. Je suis celui qui sait, qui connaît, qui perçoit. Je suis cette capacité-là, ça c’est moi. Je suis l’esprit fondamental : la capacité de savoir, de connaître. » Là, il faut mener une analyse très pointue qui considèrera principalement deux choses :

• Nous regarderons si nous trouvons un esprit, ce magicien que nous nommons « notre es-prit », « notre conscience », qui produit plein de formes, le vécu est énorme. Tout notre ci-néma est produit par l’esprit dont c’est l’expression dynamique. Le Bouddha l’avait compa-ré au spectacle, à la présentation d’un magicien qui nous fait croire toutes sortes de choses, mais illusoires. Pourquoi illusoires ? Parce que où trouver cette conscience-là ? Où est l’esprit finalement ? Pour affirmer qu’il y a un « moi », un « je », il faut bien le trouver quelque part. C’est la première grande question qu’il faut regarder : Où est le magicien ? Est-ce que le magicien est dans le corps, dans les sensations, etc. ? Quelles sont ses capaci-tés ? A-t-il une forme, une couleur, un lieu ? Que peut-on dire sur ce magicien appelé « l’esprit » ?

• Et puis, cet esprit qui produit tout cela, cette conscience, est-elle personnelle, individuelle ou universelle ? Cette conscience est-elle « moi », « je » et donc pour toujours éternellement différente de l’esprit de l’autre ? Ou, si jamais je trouve quelque chose comme cela, est-ce l’esprit partagé par tous, le même pour tous, donc par moi ? Il n’y a pas un esprit que je pourrais identifier comme étant « le mien » et c’est la même chose pour les autres.

Donc, en résumé, le cinquième agrégat sert à chercher l’esprit pour tenter de le trouver. Où est l’esprit ? Quelle forme a-t-il ? Etc. Trouvons-nous quelque chose d’individuel, quelque chose qui fera pour toujours la différence avec les autres ? Nous pouvons mener la recherche de cette manière pour

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sortir des identifications avec un esprit dont on a l’impression qu’il est assez solide, personnel, un noyau de notre propre existence.

Pourquoi faut-il aussi dissoudre cette notion-là ? Parce que nous avons peur que notre esprit, no-tre conscience, soient endommagés. Dans certaines situations où nous sommes face à des personnes plongées dans des états émotionnels, nous avons peur que « notre » conscience soit influencée, que « notre » esprit soit attaqué. Nous avons l’impression que notre esprit est agressé ou bien qu’il subit des influences, bénéfiques ou nuisibles. C’est comme s’il y avait quelque chose en nous appelé « mon esprit » qui pourrait changer sous l’influence de ce qui vient de l’extérieur. Il en est de même pour ce qui vient de l’intérieur. Nous avons l’impression que par nos péchés, nos actes nuisibles ou bénéfi-ques, que le « moi », le « je », pourrait devenir pire ou s’améliorer, comme si notre esprit, notre cons-cience étaient atteints par nos actes. Alors, si c’est ainsi, il faut bien trouver cette conscience, la pren-dre et la nettoyer. Cela nous fait réagir. L’identification avec une conscience qui pense être un noyau personnel, a des conséquences sur la manière d’être en relation avec soi-même et l’environnement. Il faut donc enlever également cette racine de souffrance.

La peur de la mort et des situations que nous ne pouvons pas contrôler, ont pour cause l’identification avec un moi, un esprit que nous pensons existant et qui risque quelque chose. Nous ne savons pas exactement quoi, mais il risque d’être inquiété, attaqué, de souffrir quand nous ne le contrôlons plus. Donc, toutes les situations que nous n’arrivons pas à contrôler, que ce soit dans notre vie, dans la mort et dans « l’au-delà », stimulent une peur vis-à-vis de « moi ». Que va-t-il m’arriver ? Et cette peur-là est une souffrance énorme qui sous-tend les autres peurs telles que la peur du noir, de la faim, de la soif, etc. Elles surviennent à cause de l’idée d’un « moi », d’un « je », qui pourrait être atteint. Nous ne savons pas exactement comment, nous n’avons jamais bien vérifié. Donc maintenant, c’est le moment de le faire. Quand cette vérification a été menée jusqu’à son terme, c’est le moment de la réalisation de la nature vide de notre esprit, la fin de la peur de la mort et des situations incontrôla-bles. Des signes très clairs et nets apparaissent quand cette illusion, cette idée d’un « moi » existant est déracinée. Si cette réalisation est stable, qu’elle n’est pas seulement un aperçu mais un accomplisse-ment provoquant cette révolution intérieure, elle nous portera dans toutes les situations et la peur ne reviendra plus lors des va-et-vient des situations de la vie et de la mort sous tous ses aspects.

C’était la présentation des cinq agrégats. Pour bien mener cette contemplation jusqu’au bout, regardons le refrain : nous faisons cette contemplation pour nous-mêmes, pour l’extérieur et les deux à la fois. Il faut mener cette réflexion, cette contemplation, de pair avec le regard sur le changement et arriver au constat : « Oui, des agrégats se manifestent tout simplement et il y a des dharmas, des phé-nomènes, que l’on appelle des agrégats. » Dans la connaissance claire de ce fait, en veillant à ne pas retomber dans les saisies, nous nous installons dans la pratique profonde, indépendants des fixations, sans attachement à rien au monde, sans identification aux agrégats.

Les dernières phrases du refrain sont le résumé de la pratique essentielle à accomplir. Si nous avons bien compris comment le pratiquer, ainsi que ces instructions essentielles sur l’exercice en ques-tion, nous avons la compréhension nécessaire pour mener cette méditation jusqu’au bout pendant toute notre vie. Cela ne changera pas, car ces instructions resteront pour toujours les mêmes, de maintenant jusqu’à l’éveil complet. Il n’y a rien d’autre à méditer. Maintenant, dans votre pratique personnelle, regardez si vous avez bien compris ce qui est à faire ici.

Méditation guidée

Prendre refuge veut dire avoir confiance en l’exemple donné par le Bouddha, avoir confiance en son enseignement, avoir confiance en ceux qui nous aident sur le chemin. Pour prendre refuge, nous n’avons pas toujours besoin de joindre nos mains et réciter une formule. Parfois nous pouvons juste nous rappeler l’exemple du Bouddha, son enseignement et dire merci à l’existence de la sangha (les guides sur le chemin). Prendre refuge peut donc être un acte silencieux.

Dans ce Satipatthana soutra, le Bouddha explique et montre comment lui-même a médité. Se mettre dans l’esprit de ce soutra, c’est méditer comme le Bouddha, méditer jusqu’à ce que nous réali-

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sions l’éveil comme lui, parce que tout cet enseignement a comme seul but de nous ouvrir les portes de la compréhension, les portes pour atteindre l’éveil.

Prenons la page 9 de ce soutra pour méditer comme le Bouddha. Il faut apprendre à faire ce tra-vail. Au début nous sommes comme des apprentis, nous apprenons. Nous apprenons à demeurer dans la contemplation des dharmas. Ce n’est pas quelque chose de si facile.

« Nous demeurons dans la contemplation des dharmas par rapport aux cinq agrégats d’attachement. »

Dans un premier temps, pour pouvoir demeurer dans la contemplation, nous devons calmer no-tre esprit. Il y a donc un travail de préparation à faire. D’abord, rassembler l’esprit, le calmer, pour pouvoir demeurer dans la contemplation de quoi que ce soit. Prenons cinq minutes pour préparer notre esprit. Nous pouvons rester par exemple avec la respiration ou tout autre moyen qui nous aide à ne pas être distraits. Souvenez-vous de ce que nous avons vu hier : le scanner du corps, la respiration ; scan-ner les sensations, l’esprit, les obstacles, tout cela est utilisé comme préparation.

Ensuite, pour tourner notre attention sur le sujet principal de notre méditation, il convient, pour explorer les cinq agrégats, de le faire à travers l’impermanence, le changement. C’est comme si nous faisions une seule méditation, celle sur l’impermanence. Et le changement, nous le regarderons tout simplement en relation avec les cinq agrégats, c'est-à-dire avec différents aspects de notre vécu. Donc, installons-nous dans la conscience du changement. Tout ce qui nourrit cette conscience du changement est bien venu. Prenons donc note du changement dans notre vécu immédiat.

Tout ce qui apparaît dans notre esprit, dans notre conscience, regardons-le sous l’angle de son existence durable au changement.

Si quelque chose capte notre attention, nous regardons si c’est permanent ou impermanent. Les sons entendus sont-ils permanents ou changeants ?

Les sensations physiques, le corps lui-même, changent-t-ils ?

Inspiration – Expiration.

Continuité de ce qui se ressemble et changement, différence, d’un moment à l’autre.

Augmentation et diminution des sensations. Apparition, disparition.

Des concepts, des distinctions apparaissent. Remarquer une différence est possible seulement grâce aux distinctions.

Flot de sensations, flot de distinctions. Flots devenant mentaux.

La conscience n’est qu’un feu d’artifice, un flot d’impressions : notre monde, ce monde coloré par notre karma, nos tendances karmiques, causes et conditions, formations karmiques, le jeu de cau-ses et effets, des causes et des conditions qui mènent à l’apparition des impressions, d’un vécu, des expériences, les causes et conditions qui font disparaître le vécu instantané, qui font apparaître le vécu de l’instant suivant ; le jeu de l’esprit, le jeu de la vie.

Dans ce jeu incessant, dans ce changement, où est le « je », le « moi », le « soi » ? Y en a-t-il un ?

-- Méditation --

Et voilà encore des changements. Et cela continue avec de multiples impressions, des distinc-tions, des sensations, différentes émotions, états mentaux et ici et là, une petite pause, libre de fixa-tions.

Que tous les êtres soient libérés de la croyance à voir un « je » là où il n’y en a pas ; qu’ils soient libérés de l’identification avec ce qui est cause de souffrance ; qu’ils soient tous libérés de la saisie égoïste.

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Onzième enseignement

Continuons avec les explications sur la contemplation des champs sensoriels (page 10). Cette méditation/contemplation est l’approfondissement de ce que nous avons déjà vu lors de l’explication donnée sur les sensations simples. Maintenant, observons de plus près la perception des sensations pour voir à quel point notre vécu (soit la souffrance, soit la libération), est en relation avec notre façon de gérer les sensations. Ecoutons tout simplement le Bouddha :

« Puis, nous demeurons dans la contemplation des dharmas par rapport aux six champs senso-riels, internes et externes. Comment le faisons-nous ?

Nous connaissons l’œil, connaissons les formes et connaissons l’entrave qui surgit en dépen-dance des deux. Nous savons également comment peut apparaître l’entrave non encore surgie, com-ment l’entrave déjà surgie peut être abandonnée et comment une apparition future de l’entrave aban-donnée peut être évitée.

Nous connaissons l’oreille, les sons et l’entrave qui en surgit. Nous savons comment elle appa-raît et comment elle est abandonnée et évitée. »

Nous procédons de la même manière pour « le nez et les odeurs et l’entrave qui en surgit ; pour la langue, les saveurs et l’entrave qui en surgit ; le corps et les sensations physiques et l’entrave qui en surgit. » Et enfin le sixième sens : « l’esprit, les objets mentaux et l’entrave qui en surgit. »

Chaque fois qu’une sensation est présente, nous savons pourquoi, en connaissons les causes, comment l’entrave apparaît, comment elle est abandonnée et comment elle est évitée.

Il y a de nombreuses petites remarques à faire. Ce processus semble assez simple, mais il ne l’est pas vraiment parce que le processus de perception est extrêmement subtil. Il faut d’abord bien comprendre les termes concernant les six champs sensoriels énumérés ici. Un champ sensoriel a trois aspects : l’organe (par exemple l’œil), l’objet sensoriel (les formes visuelles) et la conscience. Donc, les trois, ensemble, constituent un champ sensoriel. L’exemple donné ici est le champ visuel mais il en sera de même pour chaque aspect des six sens.

Quand on dit : « interne et externe », « interne » c’est ce qui nous appartient, ce qui se réfère donc toujours à nous-même, par exemple l’œil, le nez, la langue, etc. Ces organes sont internes parce qu’ils appartiennent à notre corps. Ce qui est « externe », c’est l’objet perçu. On utilise ces termes quand un individu est en relation avec un environnement. Si nous prenons l’exemple des saveurs, même si la nourriture est déjà à l’intérieur de notre corps, du point de vue de la sensation, cet objet gustatif (la nourriture) est externe.

« Interne » et « externe » ont trait aussi à l’expérience, en terme de sujet et d’objet. Ces termes font référence à notre expérience relative.

Quand on dit « connaître l’œil », il n’est pas nécessaire de connaître la structure anatomique de l’œil, non. C’est simplement être conscient qu’il y a l’œil, qu’il y a une base de perception sans la-quelle la perception ne pourrait pas avoir lieu. Sans nez, nous ne pouvons pas sentir ce qu’il y a au-tour… Donc, nous comprenons que pour qu’il y ait sensation il faut un organe, un objet et une cons-cience. Comme vous le savez bien, quand la conscience n’est pas dirigée vers les champs sensoriels – par exemple en étant endormis, même en pleine journée, notre conscience est retirée du champ visuel ou du champ auditif – beaucoup de choses nous échappent. Les sensations ne s’élèvent pas. Pour les percevoir, il faut que la conscience de ce champ sensoriel soit activée et prête à les recevoir.

« Connaître les formes », c’est être conscient du fait de l’apparition d’une forme dans le champ visuel, savoir qu’une forme apparaît. Par exemple, si je regarde la cloche posée devant moi, je n’ai pas besoin d’en connaître les détails, ni de savoir de quel objet visuel il s’agit. Etre conscient de la forme, ou connaître la forme ou l’odeur, la saveur, la pensée, etc., implique d’être conscient du fait de l’apparition d’un objet sensoriel dans le champ sensoriel, ce qui nous permet de devenir conscients ensuite de l’enchaînement, de la façon dont nous allons travailler cette perception.

Question : Quand un orage éclate pendant que nous dormons, l’oreille (en tant qu’organe) per-çoit bien le bruit. Mais qu’est-ce qui fait que nous n’en sommes pas conscients ?

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LL: C’est parce que la conscience est retirée de ces organes sensoriels. C’est le cas des person-nes qui, cette nuit, dormaient profondément et n’ont donc rien entendu. Celles dont le champ sensoriel était activé et avaient donc assez de conscience, ont entendu l’orage. Cela dépend du degré d’activation de la conscience dans ce domaine. C’est la même chose dans le cas de profonds samadhis où rien ne sera entendu. L’absorption est tellement profonde que ce champ sensoriel n’est pas activé.

Ensuite, le point le plus important, c’est de connaître « l’entrave ». Ici, l’entrave, c’est ce qui nous enchaîne, nous lie à la souffrance et aux automatismes du monde samsarique, nous rend prison-niers des tendances, d’un vécu. C’est tout simplement la perte de liberté. Le Bouddha utilise ce terme d’entraves de multiples manières et non comme étant une seule chose. Il existe une liste des dix entra-ves les plus habituelles et qui ne sont pas du même ordre d’importance. Ce sont :

1) la croyance dans un moi substantiel et permanent, 2) le doute, 3) l’attachement dogmatique à des règles et rites, 4) le désir sensuel, 5) l’aversion, 6) le désir d’obtenir des existences dans le monde de la forme, 7) le désir d’obtenir des existences dans le monde de la non-forme, 8) l’arrogance, 9) l’agitation, 10) l’ignorance.

Cette liste n’est ni exhaustive, ni complète. On peut ajouter toutes les autres formes d’entraves qui expriment le fait d’être dans un enchaînement, d’être liées, enchaînées par l’aversion, l’attachement ou l’ignorance. Ces trois grandes classifications avec lesquelles nous travaillons souvent peuvent aussi être appliquées à ce qu’on appelle « les entraves ». Donc, le plus important ici, c’est de voir la force du désir/attachement et la force de l’aversion/irritation.

Pour pouvoir remarquer qu’une entrave surgit, il ne faut pas être totalement pris par le « je ». Si nous sommes complètement dans l’entrave, nous y croyons et nous ne remarquerons donc pas l’attachement ou l’aversion. Il faut du recul. Ce recul sera permis grâce à la qualité de sati, de vigi-lance. La vigilance remarque ce qui se passe dans l’esprit. Par exemple, quand quelqu'un sert un thé, nous entendons le bruit du thé ; l’idée mentale et la pensée d’un thé vert agréable se manifeste dans l’esprit, ce qui donne l’envie d’en boire. Nous devons être conscients de cet enchaînement. Plusieurs sensations ont été condensées dans l’image mentale d’une sensation agréable (du passé bien sûr, puis-que nous n’avons pas encore bu le thé), une idée liée à nos expériences du passé, qui fait surgir une pensée telle que : « Je pourrais utiliser la prochaine petite pause pour en boire. » Donc, si nous som-mes conscients de cet enchaînement, nous pouvons nous en défaire, sinon nous agirons automati-quement. C’est la vigilance qui nous donne la possibilité de connaître et de décider dans quelle direc-tion nous voulons aller.

Chacun d’entre nous a déjà acquis et développé une vigilance suffisante pour ne pas agir de ma-nière automatique, en buvant tout de suite dès qu’on nous verse un liquide intéressant. Maintenant il faut aller plus loin dans les mécanismes qui se jouent à tous les niveaux dans toutes nos expériences sensorielles, dans ce qui crée l’attachement et l’aversion, en contact avec les personnes, avec notre vécu physique, avec des bruits – par exemple, l’orage de la nuit dernière aurait pu par son bruit ou par d’autres aspects désagréables tels que l’humidité dans la tente, susciter des réactions d’aversion ou même d’attachement. Cela dépend de notre état d’esprit agité avec souffrance ou calme faisant juste le nécessaire… ou peut-être ni l’un ni l’autre parce que nous n’avons pas besoin de faire quoi que ce soit. C’est cela la force de la vigilance, cette capacité d’observer sans réagir. L’observation non réactive est utile à ce moment-là.

Dans une situation donnée, pour que nous sachions ce qu’il faut faire ou ce qu’il ne faut pas faire, il est nécessaire que la vigilance coopère avec la sagesse. La vigilance crée l’espace pour que nous puissions réfléchir sagement sur ce qui est nécessaire. Dans mon cas, j’ai dormi sous le toit, c’était comme dormir dans un tambour. Bien sûr, je me suis réveillé, j’ai fermé les velux, etc., j’ai fait mon tour pour faire le nécessaire et je me suis rendormi. Mais j’ai vu qu’il était possible de s’exciter,

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de se faire beaucoup de souci, etc. Donc, il faut calmer l’esprit, donner de l’espace et faire le néces-saire. C’est tout. Nous pouvons utiliser de cette manière une multitude d’exemples concrets qui se passent tout le temps dans notre vie. Autre exemple : si nous sommes en retard pour arriver à l’enseignement, nous faisons le nécessaire pour aller le plus vite possible, mais s’énerver, s’agiter, etc., ne nous fera pas aller plus vite. La vigilance crée l’espace et la sagesse nous indique ce qui est néces-saire et ce qui ne l’est pas. Point final. Alors la simplicité s’installe. Mais là, nous avons envisagé des situations assez grossières. Le Bouddha parle en détails du fonctionnement de deux grandes influences (à chaque instant de perception, des influences font que nous avons tendance à déformer la percep-tion) :

• les tendances habituelles (anusaya en pali/sanskrit et bag tchag en tibétain) qui sont des fa-çons de réagir, d’agir, de différentes natures. Le Bouddha en a donné sept qui incluent : le désir sensuel, l’irritation, les vues erronées, le doute, l’arrogance, l’envie d’exister et l’ignorance. La liste n’est pas très différente de celle que nous venons de voir pour l’entrave qui en surgit. Mais ici il s’agit de ce qui influence déjà notre perception des choses.

• les influences plus profondes encore sur notre processus de perception (« asava » en pali : les influences de base – « zag-pa » en tibétain : influences bien plus profondes encore). Elles sont au nombre de trois : le désir sensuel, le désir d’exister et l’ignorance. Ces trois-là nous influencent de manière complètement inconsciente, ce qui perturbe notre vision et entache notre perception. Elles agissent comme un filtre qui empêche une vision directe. Une per-sonne complètement libérée des tendances habituelles (bag tchag) et des influences fonda-mentales, est un bouddha. Le chemin pour devenir un bouddha consiste à se dégager de l’influence de ses programmations créées depuis des vies et des vies. Donc, sortir de cette programmation, c’est réaliser l’éveil, la libération complète.

Pourquoi ces trois tendances fondamentales s’appellent-elles des « influences » ? C’est parce que nous leur donnons de l’importance à cause de notre envie d’avoir des expériences sensuelles. C’est très basique. L’expérience sensorielle a une grande importance dans notre vie parce que nous la désirons. Si ce n’était pas le cas, nous ne lui donnerions pas une telle place. Ce qui nous intéresse, c’est la distraction, le mouvement dans notre esprit. Nous avons envie de sentir les choses. Parce que nous les ressentons, les vivons, notre existence est confirmée, nous n’avons plus peur de ne peut-être pas exister. Ceci fait le lien avec la deuxième influence : le souhait de vouloir exister, de vouloir s’affirmer dans un corps, dans une existence, avec des expériences. Et ce souhait, cette envie, sont établis sur la troisième forme : l’ignorance. L’ignorance est basée sur l’existence d’un moi et la volon-té de se prouver par l’interprétation de notre vécu, que le moi existe. Cette interprétation de notre vécu comme preuve de notre existence est déjà présente au début de notre perception sensorielle. Cela crée une influence interprétative très tôt, par le fait d’entendre un son, de ressentir une sensation physique, d’avoir une pensée etc. Dans l’expression cartésienne « Je pense donc je suis », le fait de penser est pris pour une preuve d’existence. Le Bouddha parlait exactement de cela, de l’influence dans la ma-nière dont nous regardons notre expérience sensorielle basée sur une hypothèse d’existence (envie d’exister, de vivre des expériences sensorielles) qui fait que tout est interprété dans ce sens-là.

Question : Quelle est la différence entre le désir sensuel et le désir d’expériences sensorielles ?

LL: Le désir sensuel est le désir d’avoir des expériences sensorielles. Ce n’est pas du tout l’envie d’une femme ou d’un homme. C’est avoir des impressions sensorielles, un vécu sensoriel. Quand on regarde ces trois facteurs, s’ils sont actifs après la mort, ils mèneront vers une prochaine existence. Le désir d’expériences, l’envie d’exister, l’idée d’un moi, créent la continuité du cycle des naissances et renaissances. Si ces trois facteurs sont actifs maintenant, pendant toute la vie, ils seront actifs après la mort et induiront donc une continuation de ce cycle.

Question : Ces trois tendances sont-elles liées à une influence de façon continuelle ? Quand on pratique la vigilance, tout ce que l’on va appréhender dans ces moments-là, va être teinté par ces trois facteurs ?

LL: Du fait que ces trois tendances fondamentales ne sont pas perceptibles immédiatement, nous commençons avec des couches plus superficielles. Il faut d’abord prendre conscience des entra-

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ves. Par exemple, en regardant une belle femme, un bel homme, nous pouvons voir l’entrave d’être fixés sur l’idée de beauté, qui est une sensation visuelle, avec tout ce que cela signifie dans le proces-sus de perception. Du coup, nous voyons que nous ne sommes pas complètement libres. L’entrave peut être ressentie au moment même où elle apparaît. Cela peut être assez complexe. Il y a un regard, l’instant de l’apparition d’une sensation visuelle et à cause des bag tchag, des tendances habituelles, nous jugeons comme beau ou laid. Le Bouddha parlait toujours de ce qui crée l’attachement, l’irritation et l’aversion. Il utilisait des termes comme ceux-là. Au début de notre pratique de vigilance nous remarquons ce qui se passe quand c’est déjà allé assez loin. Nous ressentons l’esprit « attrapé » par quelque chose : « Je suis irrité et ne sais plus comment en sortir. Je suis dans un attachement et ne sais pas comment en sortir. J’ai vu un chocolat et de ce fait, je ne peux plus chasser cette idée de cho-colat de mon esprit, j’aimerais le prendre et je dois faire un effort pour me sortir de cette entrave parce que je juge que ce n’est pas le moment pour moi d’en manger ».

Question : Je voulais revenir juste un petit peu en arrière. En fait, on peut être persuadé de se li-bérer quand on est complètement convaincu que tout n’est que souffrance, car actuellement, je ne suis pas complètement convaincu que je vais être malheureux en faisant telle ou telle expérience

LL: Ce n’est pas nécessaire. La pratique de vigilance consiste simplement à remarquer le pro-cessus. S’il n’y a pas souffrance, de toute façon tu ne seras pas motivé pour lâcher quoi que ce soit. Donc, la vigilance doit porter sur le fait de voir si une entrave existe ou n’existe pas. Entrave signifie souffrance. Si tu ne remarques pas l’entrave, la pratique ne peut pas fonctionner. Il faut remarquer la présence de ces chaînes et avoir envie d’en sortir. Donc, la première étape consiste à pratiquer la vigi-lance pour cerner les moments où l’esprit n’est pas libre. Il n’est pas nécessaire d’utiliser des instruc-tions du Bouddha pour couvrir ton expérience et en faire une expérience de souffrance. Non. Reste neutre et pose-toi la question : « Quel est mon vécu ? » Et là où tu te sens prisonnier, c’est là où ton travail commence.

Donc, cette contemplation de base sur l’esprit consiste à remarquer si il est libéré ou pas. Si nous constatons qu’il n’est pas libre, alors demandons-nous : « Qu’elle en est la raison ? Comment l’entrave est-elle apparue ? Que puis-je faire pour qu’il soit libéré ? Comment l’entrave peut-elle dis-paraître ? Comment puis-je faire pour que cet état de manque de liberté, entravé, ne réapparaisse plus ? » C’est maintenant une approche plus subtile basée sur la vigilance sur l’esprit. Quand nous analysons de cette façon : « Mais alors, comment se fait-il qu’à chaque fois que je vois telle chose ou telle personne, une réaction émotionnelle se manifeste ? Je ne me sens pas libre. Qu’est-ce qui déclen-che cette réaction automatique ? », nous commençons à remarquer : « Oui, il y a des jugements, des façons de voir la situation qui entrent en jeu ». Nous voyons les tendances habituelles qui opèrent dans les instants de perception et qui semblent présentes maintenant ; elles étaient déjà là dans d’autres expériences. Et dans notre pratique aussi nous remarquons qu’il se passe la même chose, ce sont les tendances dans l’attente habituelle.

Le Bouddha explique que faire une expérience sensorielle stimule nos tendances habituelles. Les sensations stimulent les habitudes. Quand il n’y a pas stimulation, le bag tchag, la tendance habi-tuelle, ne se réveille pas. Elle peut être stimulée par les cinq sens extérieurs ou par une pensée (sixième sens). Les six sens sont traités de manière égale et sont capables tous pareillement de stimuler des tendances habituelles. C’est ce que nous remarquerons quand notre méditation deviendra plus subtile, mais tout le monde peut le voir. Je reviens sur l’exemple du chocolat : expérience du passé, goût agréable, etc., satisfaction due au fait d’en manger, et une tendance à aller vers ce qui est agréable. Maintenant, la simple vision d’une boite de chocolat stimule notre tendance habituelle. Parce qu’il y a cette tendance habituelle, nous estimons encore une fois que c’est peut-être le moment de manger un chocolat. Et ensuite : « Oh oui, j’aimerais bien ! » Et nous sommes dedans. Donc, nous remarquons le fonctionnement ; nous le remarquons avec toutes les sensations agréables et désagréables lorsque nous prenons le temps de regarder ce qui a amené l’apparition de cette entrave.

Question : Ce qu’on appelle la mémoire, c’est réellement cela, c’est une influence, une tendance qui pré-influence la mémoire.

LL: La mémoire, c’est comme avoir accès à une multitude d’expériences du passé dont chacune serait colorée par un vécu émotionnel. Pour le moment, la mémoire est émotionnelle. Nous ne pouvons

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pas détacher la situation de notre vécu émotionnel. Il se peut donc que si quelqu'un nous dispute au-jourd’hui, cela stimule la mémoire de l’avoir été dans notre enfance et de ne pas avoir pu réagir parce que nous étions sidérés. Par voie de conséquence, aujourd’hui, le fait d’entendre le même genre de sons réenclenche une tendance habituelle et notre interprétation de la situation présente sera du même ordre que celle du passé. Et grâce à la pratique, certains souvenirs peuvent commencer à être moins émotionnels. En étant assis, nous voyons avec le temps que les sensations du corps passent, qu’il n’est pas nécessaire de réagir. Une mémoire des sensations physiques, moins émotionnelle, s’installe, il y a davantage de neutralité dans le vécu. Et quand des sensations semblables apparaissent dans une autre session de méditation, nous savons de mémoire qu’il n’y a pas de danger, nous ne nous angoissons pas, nous laissons passer, cela devient très simple. Là aussi, les tendances habituelles nous aident à sortir d’un processus d’évaluation émotionnel. Quand un avion passe, il est visible que ceux qui n’ont pas encore travaillé sur ce son comme étant juste un son et se sentent agressés, ont un moment de pa-nique. Le corps et l’esprit se crispent immédiatement. Quand il y a une non interprétation émotionnelle de ce son, nous pouvons rester détendus. C’est un travail de déprogrammation, un entraînement cogni-tif. Nous pouvons savoir, nous apercevoir de quelque chose sans qu’une réaction émotionnelle s’enchaîne immédiatement. Il faut un très grand entraînement pour se libérer parce que le condition-nement samsarique se situe dans le vécu sensoriel, dans la façon de réagir sur des pensées et sur des sensations.

Question : J’ai l’impression que lorsque je suis dans une situation, la vigilance ne suffit pas. Je me rattrape par une analyse de la situation quand elle est déjà passée.

LL: Il est normal de se rattraper ensuite avec l’analyse de la situation parce que nous avons sou-vent l’impression que notre vigilance s’installe trop tard ; nous ne sommes pas assez présents avec le vécu. Avec de l’entraînement, progressivement nous allons nous approcher et pouvoir être dans la situation.

Suite de la question : Même dans la situation, ma vigilance ne semble pas être suffisante.

LL: C’est parce que ta vigilance est moins forte que le désir sensuel. A ce moment-là, il convient de tourner la vigilance vers le désir sensuel, vers cette saisie, la prendre comme objet de vigi-lance et ne pas rester avec l’objet qui stimule l’attachement, la saisie sensorielle.

Donc, en travaillant mieux avec notre vécu, nous progressons dans des niveaux subtils. Nous commençons avec ce qui nous enchaîne : les entraves. Ensuite nous continuons à remarquer les causes de l’apparition de l’entrave dans les tendances profondes comme ce qui peut aider à détendre l’esprit une fois que l’entrave a surgi, puis à se libérer. Par la suite, nous allons encore plus en profondeur pour détendre les impulsions à la base, appelées influences fondamentales, qui ne seront désamorcées que si nous commençons à lâcher plus profondément l’envie des expériences sensorielles. Lors de cette contemplation sur les agrégats et sur l’impermanence, nous ne sommes plus dans cette envie de vou-loir nous prouver que nous existons. Alors cette notion du moi commence à s’affaiblir. Cela va nous faire entrer dans une autre façon de percevoir les choses et nous commencerons à voir leur change-ment, le processus, le flux, la progression d’une expérience à l’autre. Nous commencerons à vivre la vie d’une manière beaucoup plus détendue, beaucoup plus réaliste, en contact avec ce qui est, au lieu d’entrer dans toute la prolifération de nos pensées. J’avais oublié de dire que l’entrave n’est pas la fin du processus. L’entrave surgit et provoque une prolifération de pensées, ce sont les projections. Et là nous pouvons nous perdre longtemps dans tout un cinéma. Ce cinéma de notre projection n’est plus l’entrave originelle, ça se mélange avec tout le reste de notre vécu, il n’y a pas de limites.

Donc, notre façon de vivre les situations se simplifie. Nous ne travaillons plus avec autant de vues erronées qui influencent toujours notre perception sur ce qui est. Nous restons toujours plus vigi-lants en portant moins de jugements mentaux sur le vécu immédiat.

Tout ce processus de vigilance nous permet finalement de pouvoir contempler l’impermanence de manière de plus en plus profonde. Nous remarquons que les six champs sensoriels sont en change-ment permanent, continuel, avec des interprétations et tout un cinéma qui s’installe, qui passe. Et dans tout cela rien ne dure. Cette contemplation affaiblit notre saisie sur les expériences sensorielles, nous sort de notre saisie sur une telle existence et avec le temps, de notre sentiment d’un moi, d’un je per-manent. Les trois tendances les plus fondamentales sont ainsi affaiblies puis éradiquées. En définitive,

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comme tous les autres exercices présentés dans le Satipatthana, le regard se pose sur le changement continuel, sur le fait que, dès qu’apparaît une fixation et une mauvaise gestion du processus de percep-tion, il y a souffrance (dukkha), et sur le fait que dans tout cela et les six champs sensoriels y inclus l’esprit, nous ne trouvons pas un moi, un je. Apparition – disparition - apparition, sans cesse. Change-ment, changement… dans tout. Dans les tendances, les influences, les sensations, nous ne trouvons pas un je, un moi. Cette méditation, comme toutes les autres, est donc une méditation sur anicca, dukkha, anatta : sur l’impermanence, les causes de la souffrance et le non-soi dont la réalisation est la fin de la souffrance. C’est une autre approche qui nous aide à voir encore plus clair.

Donc, si nous sommes d’accord pour suivre ce que le Bouddha et les maîtres éveillés nous pro-posent, nous méditons sur anicca, dukkha, anatta. Nous regardons tous les faits essentiels de notre vie, c'est-à-dire le changement que nous pouvons percevoir de toutes parts, la manière dont la souffrance apparaît et disparaît, l’absence du soi. Un autre regard sur le vécu commence à se développer et ce nouveau regard, plus en accord avec la réalité, va nous accompagner aussi dans le quotidien. Quand dans le quotidien (dans la post-méditation), une situation difficile apparaît, nous aurons une autre réac-tion. Nous saurons que cela fait aussi partie des phénomènes qui changent, ils n’échappent pas à l’impermanence. L’autre prise sur le vécu est ce regard en contact avec une réalité profonde qui est : « Oui, tout change. » Ce n’est pas une hypothèse, c’est un fait. Et grâce au fait d’être en contact avec cette réalité fondamentale, nous pouvons nous détendre davantage. Les saisies ne sont pas aussi nom-breuses, il existe d’autres façons de gérer la situation. Quand nous sommes en contact avec dukkha, cela veut dire : « J’ai eu un accident, mais si en plus je me crispe et en fais tout un drame, ce sera une double souffrance. Avoir « plié » ma voiture est suffisant, si j’en rajoute encore avec des réactions émotionnelles, ce sera pire, ce sera davantage de souffrance. Dukkha apparaîtra en plus de la situation difficile. Alors, détends-toi. Ici la saisie ne va pas aider. Repose-toi, prends trois respirations et appelle les gendarmes. » Et là, la vigilance se réinstalle. C’est une autre façon de gérer la réalité parce que nous sommes conscients de la façon dont l’esprit, l’apparition de la souffrance fonctionnent et com-ment elle peut être évitée ou dissipée quand elle apparaît. Par notre méditation, nous avons appris quelque chose qui va jouer dans les situations du quotidien, nous aurons un petit savoir, un petit aper-çu de ce qu’est l’absence du soi. Par exemple, si nous sommes critiqués ou aimés, loués par les autres, si nous avons un peu d’expérience, un peu de saveur de ce qu’est l’absence du soi, nous ne nous pren-drons pas au jeu, nous ne réagirons ni aux louanges, ni aux reproches, ni aux blâmes.

Donc, méditer sur anicca, dukkha, anatta, change notre façon d’être dans la vie et nous sort des complications. Ceci pour dire que, méditer sur les champs sensoriels en appliquant les réflexions sur l’impermanence, les causes de la souffrance, les solutions pour la souffrance et l’absence du soi dans tout cela, sera très utile tout au long de notre vie, au moment de la mort et après la mort. C’est ce qu’il faut faire pour atteindre la libération et l’éveil.

Un aspect que je n’ai pas développé, qui est une autre approche de ce qui a déjà été dit, sont « les douze liens d’origine interdépendante » dans lesquels se trouve notamment le contact, qui mène à une sensation, puis à une volonté, une saisie, un enchaînement dans des proliférations d’actes men-taux, verbaux et physiques, donc du karma. C’est une présentation légèrement différente, mais identi-que dans le sens profond. Nous n’en parlerons pas aujourd’hui pour rester à ce niveau assez simple de pratique.

Question : Depuis que je me fais ces réflexions sur le coussin, je me rends compte que dans ma vie de tous les jours, des choses changent. Tout cela est intuitif et se passe tout simplement. Ce que j’ai remarqué, c’est qu’il y a quelques années j’aurais réagi différemment à tout cela. Et pourtant, mes rêves la nuit me montrent exactement le contraire, c’est le désir ou la colère qui s’élèvent. Comment cela se passe à partir du moment où le contrôle … ?

LL: Cela veut tout simplement dire que les tendances habituelles ne sont pas encore purifiées. Il existe déjà une bonne compréhension intellectuelle qui fonctionne tant que tu es consciente mais dès que ce contrôle est absent, un travail sur les tendances est nécessaire. Les rêves sont un bon miroir pour voir où nous en sommes avec les tendances habituelles.

...Suite de l’intervention inaudible...

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LL: Pour te répondre plus en détail, un bag tchag est une tendance habituelle nourrie par les mil-liers et les milliers d’expériences du passé. Elle est donc bien ancrée. Maintenant, tu connais une di-zaine ou une centaine d’expériences de ce même ordre et tu commences à ne plus réagir de la même manière. Les moments karmiques apparaissent et tu ne réagis plus de cette façon-là, donc tu affaiblis la tendance à réagir ainsi. Mais ce n’est pas parce que tu as lâché une fois ou dix fois, que la tendance habituelle a déjà disparu. Elle a besoin d’être bien travaillée pour se dissoudre. Pour savoir si une ten-dance est vraiment purifiée, il faut la tester. Pas besoin de le faire maintenant, ce sera beaucoup plus tard sur le chemin. Pour savoir si la tendance à la colère s’est purifiée, il faut être mis dans une situa-tion où normalement elle se manifestera à fond. Idem pour toutes les autres tendances. Le test se fait de la même manière que notre vécu habituel : une expérience sensorielle qui stimule les tendances habituelles. Et pour l’effectuer nous prenons une sensation forte qui normalement stimule ce schéma et nous observerons si cela n’apparaît plus dans l’esprit.

Je suis désolé de ne pas pouvoir aborder toutes les questions. Le champ est tellement vaste qu’il est difficile de tout traiter.

Méditation guidée

Pour commencer, j’aimerais que vous me donniez quelques retours sur vos expériences de si-lence et sur la façon dont vous avez vécu les différentes règles établies ensemble, dans le but de pou-voir apporter quelques ajustements, si nécessaire.

Quelles sont vos remarques ? La manière dont le stage a été aménagé vous convient-elle ? De-vons-nous effectuer quelques changements ?

S’il n’y a pas de remarques, c’est très bien, nous nous en tiendrons là.

Remarque : J’ai été ravie, je trouve que c’est super, mais j’ai remarqué que si je reste dans le si-lence ça va et dès que j’ouvre la bouche, c’est fini …

LL: Pour ma part, j’ai simplement observé un petit glissement : hier et même aujourd'hui, vous avez commencé à parler un petit peu dans le temple, vous ne respectez plus vraiment la règle de vous éloigner pour discuter, vous commencez à parler aussi dans l’escalier, le temps de silence de l’après-midi n’est pas toujours tenu, sans que cela dérange vraiment. J’aimerais donc qu’on réinstalle une discipline un peu plus précise sur ce point-là. Je suis désolé de ne pas être un bon exemple moi-même ; en vous recevant en entretien les après-midi, je ne respecte pas le silence. Il ne faut pas vous laisser influencer et faire la même chose.

Remarque : C’est sans doute dû à mon manque de vigilance, je n’arrive pas à me souvenir des endroits et des moments où le silence est obligatoire.

LL: Des tableaux sont affichés à trois endroits et avec les yeux un peu ouverts tu en vois un ici sur la porte de la grange par exemple. Depuis deux jours et demi c’est affiché, tu es probablement très conscient de tes pieds, mais lève un petit peu le regard et tu les remarqueras !

Suite de la remarque : Donc, c’est bien mon manque de vigilance.

LL: Je suis désolé. Regarde, c’est affiché à trois endroits.

Nous allons méditer.

C’est le moment pour reprendre et continuer la pratique de vigilance. Adoptons une posture qui nous convient et passons tout le corps en revue, ainsi que les autres champs sensoriels. Que se passe-t-il dans le corps ? [Méditation]

Que constatons-nous au niveau de notre expérience auditive ? Ecoutons tous les sons que nous entendons. [Méditation]

Demeurons sans jugement vis-à-vis du corps, des sensations acoustiques et auditives. Restons juste dans une perception, une attitude de neutralité. Il n’y a rien à faire avec ce que nous ressentons.

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Puis, ouvrons les yeux et regardons (nous pouvons bouger le regard mais pas la tête) les formes, cou-leurs, impressions visuelles. [Méditation]

Regardons sans tomber dans des réactions d’attachement et aversion. [Méditation]

A quel endroit dans notre expérience sensorielle apparaissent des évaluations « agréable », « désagréable », « j’aime », « je n’aime pas », « beauté », « irritation », « ça c’est beau », « ça c’est laid » ?

Laissez les champs sensoriels ouverts, il y en a beaucoup d’autres : des odeurs, probablement peu de saveurs pour le moment, mais bien sûr des pensées, des pensées qui s’élèvent vis-à-vis des cinq champs sensoriels extérieurs. Il y a aussi des pensées qui s’élèvent toutes seules, sans être en connexion avec une impression sensorielle, ailleurs. [Méditation]

Maintenant vous pouvez regarder où vous voulez. Vous pouvez aussi tourner la tête si vous vou-lez faire l’expérience. Regarder et en même temps être conscients des jugements agréables, désagréa-bles, des pensées qui apparaissent. Voir, entendre, sentir, ressentir le corps, les saveurs, les pensées. Etre pleinement présents. [Méditation]

Agréable, désagréable, j’aime, je n’aime pas, neutre, sans importance spécifique. [Méditation]

Ce que nous avons fait là maintenant, c’est poster la vigilance aux entrées sensorielles appelées « portes sensorielles ». La vigilance est là et tout de suite, dès que s’élève un attachement, une aver-sion, elle nous aide à remarquer et à détendre cette fixation. La vigilance est comme une gardienne de la porte : visuelle, auditive et ainsi de suite, jusqu’à la porte mentale. [Méditation]

Après avoir placé la vigilance comme gardienne des portes sensorielles, l’équanimité s’installe. [Méditation]

La question sera de savoir si nous pouvons maintenir l’équanimité quand les sensations devien-nent plus fortes. Nous pouvons aller dans les différents champs sensoriels en nous imaginant qu’une sensation, qui pour le moment est neutre, va devenir de plus en plus forte. Nous pouvons bien sûr aussi prendre une sensation agréable ou désagréable pour l’augmenter dans sa force. Prenons par exemple une sensation aux genoux, ou ailleurs comme la nuque, en augmentant son intensité dans notre imagi-nation. [Méditation]

Prenons une sensation auditive, acoustique, un son, en nous imaginant que le son s’amplifie de plus en plus. Quelles tendances seront stimulées ? Quelles seront les réactions ? [Méditation]

Prenons une sensation visuelle : agréable ou désagréable, au choix. Pour en augmenter l’intensité, il faudra, soit augmenter les caractéristiques qui nous semblent agréables, attirantes, soit intensifier la présence de ces caractéristiques agréables ou désagréables dans notre conscience. Pou-vons-nous maintenir l’équanimité, la vigilance qu’il s’agit juste du phénomène visuel ? Chez une per-sonne que nous jugeons belle, qui devient de plus en plus belle, nous voyons de plus en plus claire-ment sa beauté. [Méditation]

Pour l’odorat, jouons avec les odeurs, l’imagination des odeurs, des parfums exclusifs que nous trouvons agréables, mais aussi celles que nous n’aimons pas du tout, comme celles des toilettes quand quelqu'un est passé juste avant nous ; intensifions-les, que ce soit un parfum ou une odeur très agréa-ble, comme une odeur désagréable. Vigilance, équanimité. [Méditation]

Les goûts, les saveurs : intensifions les saveurs agréables et celles jugées désagréables. [Méditation]

La neutralité est une attitude intérieure vis-à-vis des différentes saveurs, des goûts qui existent jusqu’aux goûts les plus fades, les plus épicés, les plus amers. Saveurs douces, salées et ainsi de suite. [Méditation]

Le champ sensoriel de la pensée, la conscience de la pensée. Choisissez une idée, une image, une expérience mentale agréable, un rêve très agréable. Augmentez l’intensité de ce rêve, de cette sensation, de cette idée, plaisants, comme la personne la plus aimée, le meilleur voyage de notre vie, la situation la plus agréable que nous ayons pu vivre. Prenons des pensées, des concepts qui nous plai-sent. [Méditation]

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Que faut-il pour maintenir l’équilibre ? [Méditation]

Puis, faisons de même avec des pensées, des concepts, des expériences jugées désagréables, les pires de notre vie. Que faut-il pour maintenir un équilibre dans ce vécu ? [Méditation]

Etre conscient du changement, être conscient de ce qui crée la souffrance et de ce qui fait sortir de la souffrance, être conscient de l’absence d’un moi nourri par les expériences agréables, qui devrait être défendu contre les sensations désagréables. [Méditation]

Après cet exercice imaginatif, nous retournons à la présence de maintenant : le corps et ses sen-sations, les bruits, la perception visuelle et tout le reste. [Méditation]

Avant de faire la pause et d’enchaîner sur l’activité, avec le repas, l’échange, n’oublions pas de bien placer la gardienne près de la porte : la vigilance ; qu’elle soit présente dans toute cette activité, qu’elle nous accompagne et nous fasse remarquer quand nous nous perdons dans nos réactions émo-tionnelles. [Méditation]

Douzième enseignement

Ce matin, nous allons regarder les facteurs d’éveil comme faisant partie de notre pratique de Sa-tipatthana. Ces facteurs d’éveil sont en quelque sorte l’accumulation des enseignements sur la façon de pratiquer et d’utiliser notre esprit. Quand ces facteurs d’éveil sont présents, la sagesse et la compré-hension s’installent, nous comprenons les Quatre Nobles Vérités qui seront le chapitre final du Satipat-thana Soutra. Regardons ensemble de quoi il s’agit. Le Bouddha continue son enseignement en disant :

« Puis, nous demeurons dans la contemplation des dharmas par rapport aux sept facteurs de l’Eveil. Comment le faisons-nous ?

Si la vigilance comme facteur d’éveil est présente en nous, nous savons : ‘La vigilance comme facteur d’éveil est présente’ ; si elle n’est pas présente, nous savons : ‘La vigilance n’est pas pré-sente’. Nous savons également comment le facteur d’éveil non encore surgi de la vigilance peut appa-raître et comment il peut se développer à la perfection. »

La vigilance est donc le premier des sept facteurs d’éveil. Ceci nous enseigne, nous montre que la vigilance est la base de tous les autres facteurs, de toutes les qualités décrites ensuite. Sans vigi-lance, les autres facteurs d’éveil ne peuvent apparaître. Avec le facteur d’éveil appelé « vigilance », les autres facteurs vont se développer. Mais ici ce n’est pas une vigilance ordinaire comme celle d’un chat devant un trou de souris dont la présence est sans distraction, car cette vigilance ne va pas le conduire à l’éveil, elle n’est pas un facteur d’éveil. Dans notre vie humaine, c’est la même chose. Le fait d’être vigilant devant l’ordinateur, dans les travaux ménagers ou dans notre profession en vue d’obtenir des buts mondains, n’est pas ce qu’on appelle une vigilance comme facteur d’éveil. Nous n’atteindrons pas l’éveil de cette manière. Cette différence doit être faite pour chacune des qualités qui seront décri-tes par la suite. Il est important que l’investigation du dharma, la persévérance, la joie, la tranquillité, l’absorption méditative et l’équanimité soient de l’ordre d’un facteur d’éveil. Il ne s’agit pas de n’importe quel type d’équanimité, de n’importe quel type de joie. Lorsqu’il y a de la joie, Nous ne pouvons pas dire que nous sommes proches de l’éveil. Cela ne se passe pas ainsi. Il faut définir plus précisément à quel moment cette qualité devient un facteur d’éveil. Pouvoir discerner les vertus qui se ressemblent mais qui se différencient dans la qualité et dans le résultat à long terme, fait donc partie de la pratique de Satipatthana.

Dans la description de cette pratique, de même que pour celle sur les obstacles, le Bouddha pro-pose d’être conscients de la présence, de remarquer comment cela s’élève et disparaît et ici, concernant les facteurs d’éveil, comment nous pouvons développer davantage ces qualités. Il parle d’une vigilance qui remarque tout simplement la présence ou l’absence, ce qui a amené à la présence ou, pour les obs-tacles, ce qui a amené à leur disparition, et ce qui fait accroître, développer cette qualité. Il ne nous dit pas : « Faites ceci pour enlever l’obstacle », « Faites cela pour accroître les qualités. » Il parle d’une vigilance qui observe les facteurs, qui développe une compréhension, une sagesse. Il ne parle pas d’une intervention au niveau de l’esprit. Toutes les formulations qu’il utilise ne sont pas manipulatri-

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ces. C’est observer, être conscients de ce qui amène le changement. Nous avons vu que le fait de poser le regard sur la présence de l’obstacle, fait qu’il n’est plus nuisible en soi parce que nous en sommes conscients, nous n’en sommes plus la proie. Ici, c’est la même chose : poser le regard sur le facteur d’éveil présent nous fait comprendre ce facteur et par sa nature, ce facteur sera nourri par la vigilance. Nous n’avons rien à faire. Tout comme la vigilance affaiblit les obstacles, elle nourrit les facteurs d’éveil. C’est une loi de l’esprit. Nous n’avons pas besoin d’intervenir pour faire quelque chose avec l’esprit. C’est la nature de la vigilance qui entraîne un tel changement sans vouloir faire plus.

Question : sur le rôle des antidotes selon les traditions.

LL: Non, ce n’est pas une différence parce que dans toutes les traditions les antidotes ne sont pas basés sur un esprit d’attachement et d’aversion. On n’applique pas un antidote pour enlever autre chose. C’est juste un choix vers lequel on oriente l’esprit. L’antidote sera de poser, de diriger la vigi-lance sur un facteur d’éveil comme la compassion ou l’investigation des dharmas, c'est-à-dire sur l’impermanence. Donc, un antidote n’est pas un outil pour enlever un obstacle que l’on pense existant, c’est la direction donnée à l’esprit vers un facteur d’éveil, donc vers ce qui est bénéfique. – Restons avec la vigilance.

Intervention pour demander la traduction d’une explication donnée en allemand.

LL: Il s’agit d’une petite phrase que j’avais déjà dite en français : « On n’a pas besoin de couper la tête des obstacles puisqu’on ne les pense pas comme étant existants. » C’est la seule phrase qui manquait.

Dans notre pratique, nous sommes assis (bruit d’une scie ! – Rires). Nous nous régalons des impres-sions des six champs sensoriels et d’un coup notre vigilance part, nous rêvons. A un moment donné, nous remarquons que la vigilance est absente. Or, c’est au moment même où nous remarquons que la vigilance n’est pas là, qu’elle est présente. Nous n’avons pas besoin de faire autre chose, nous sommes redevenus présents, vigilants. Il s’agit de continuer ainsi, de faire une pratique bien consciente. Il est très important de ne pas passer notre temps de méditation à ne rien faire, dans le sens où nous laissons s’écouler les heures, où nous sommes là, dans une certaine équanimité, où le temps passe, c’est viva-ble. Nous avons médité une heure ou deux. Mais ce n’est pas une pratique qui mène à l’éveil. Ce n’est pas l’équanimité dont parle le Bouddha. Notre esprit était assez absent, un peu rêveur, un peu tran-quille ; il lui manquait le deuxième facteur : l’investigation des dharmas. Rien ne s’est passé, la vigi-lance était peu active et pas utilisée pour regarder vraiment ce qui se passe.

Si je fais une retraite dans la nature pour étudier l’ornithologie par exemple, je regarde les oi-seaux qui passent, picorent, etc., l’herbe qui pousse, les jeux de l’ombre et de la lumière, le temps qui change… Mon attention est là, la vigilance est là, mais elle est complètement dirigée vers l’extérieur. Ce sont de belles vacances mais qui ne vont pas du tout m’amener à l’éveil. Il faut que la vigilance soit dirigée vers ce qui est important à regarder parce que c’est cela qui va nous libérer. Donc, le deuxième point : l’investigation des dharmas, est ce qui définit déjà la vigilance en tant que facteur d’éveil. La vigilance comme facteur d’éveil est intelligente, s’intéresse, veut savoir et veut comprendre. Elle est curieuse, dans le sens où elle veut comprendre comment le monde, notre esprit et les dharmas, les phénomènes du monde des apparences fonctionnent ; et comprendre les dharmas, c'est-à-dire l’enseignement sur la manière d’atteindre l’éveil. La vigilance en tant que facteur d’éveil est donc nécessairement dirigée vers une investigation des dharmas.

Quand la vigilance est absente nous remarquons la différence avec le moment où elle est pré-sente. Et nous apprenons que pour établir la vigilance il faut très peu de choses : remarquer seulement ce qui est. Dès que nous remarquons notre distraction, la vigilance est là. Quand elle est là, nous la dirigeons sur ce que nous souhaitons examiner, sur l’investigation des dharmas. Cela peut consister en premier lieu à revenir sur le souffle. Puis, avec le souffle, à calmer davantage corps et esprit, et là, commencer à regarder l’impermanence, le changement. Le changement est une loi, c’est une qualité de notre existence et un objet de la vigilance de notre investigation des dharmas. Ainsi, lorsque la vigi-lance est perdue nous savons comment faire pour la retrouver. Quand elle est présente – au moment où nous remarquons notre distraction–, nous savons comment ne pas la perdre et la développer davan-tage : nous devons rester proches de l’objet (le souffle par exemple), lui accorder un véritable intérêt de manière à la développer davantage pour qu’elle reste dessus. Quand elle devient plus stable, quand

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nous pouvons rester avec le souffle dans ses variations et qu’en même temps nous regardons le chan-gement s’opérer dans tout le corps, nous apprenons comment la vigilance s’accroît jusqu’à devenir tellement stable qu’il n’y a plus d’efforts à fournir, elle continue toute seule. Ce sont les différentes étapes parcourues jusqu’à ce qu’elle puisse se développer à la perfection. La vigilance parfaite ne connaît plus la distraction, elle reste stable sans efforts.

Donc, ce processus-là sera utilisé maintenant pour tous les autres facteurs d’éveil. L’investigation des dharmas, c’est l’esprit qui souhaite connaître, qui souhaite savoir. Derrière tout cela, de grandes questions s’élèvent : « Qu’est-ce que l’éveil ? » ou « Qu’est-ce que le soi ? », « Qu’est-ce que le non soi ? » « Y a-t-il un ‘moi’, un ‘je’ ou n’y en a-t-il pas ? » Ces grandes questions comme d’autres plus petites, nous intéressent. Et nous observons, poursuivons de manière intelligente une investigation de la réalité, de notre vécu. Nous passons en revue tous les domaines de notre his-toire pour en faire une bonne investigation. Et ce facteur appelé « investigation » va clarifier des ques-tions en relation avec l’éveil. Nous allons comprendre de mieux en mieux ce qu’est le « non éveil » et ce qu’est « l’éveil », ce qui mène à l’éveil et ce qui ne mène pas à l’éveil, ce qui mène à la souffrance. Quand le facteur investigation des dharmas est présent, nous sommes intéressés pour aller vers un regard stable qui nous dirige vers des compréhensions. Et de cette manière, l’obstacle du doute est dissipé. Avec chaque dharma bien examiné, étudié, des doutes disparaissent. On pourrait donc dire que l’investigation des dharmas est l’antidote pour le doute mais cela ne signifie pas que le doute ait be-soin d’être éliminé pour que l’investigation du dharma puisse prendre place. Dès qu’il y a investiga-tion des dharmas avec un regard clair sur ce qui se passe, il n’y a plus de doutes. Dans ce cas-là, le doute est juste la question qui motive notre regard sur la réalité, il n’est pas un obstacle.

Donc, grâce à ce facteur « investigation des dharmas », nous n’allons pas perdre notre temps dans une méditation sans tête, une méditation qui fait juste passer le temps et n’est qu’une perte de temps. Si nous restons simplement assis sans rien faire, voilà une véritable perte de temps, nous pou-vons faire des choses plus utiles. Par contre, en menant une investigation intelligente, des interroga-tions vraiment à la racine de notre questionnement sur la vie, la mort et l’éveil, etc., nous utilisons bien notre temps. Et si nous pouvons maintenir cette investigation des dharmas, alors, méditer longtemps prend du sens. Au début des sessions je vous fais lire le texte et je sais que parfois cela agace certains, mais ceci nous rappelle qu’il faut bien utiliser notre temps et prendre conscience que nous ne nous asseyons pas simplement pour être assis. Nous nous asseyons pour faire une investigation des dhar-mas, pour regarder. En tibétain cela s’appelle lhaktong, en sanskrit : vipassana (pali). La méditation bouddhiste est nécessairement une méditation intelligente. Ce n’est pas un passe-temps. Rester assis, tout le monde peut le faire, cela ne mène pas à l’éveil. Il est dit dans les textes bouddhistes que « cer-ner les facteurs qui mènent à l’éveil – dans ces sept facteurs-là et d’autres en relation avec ces sept –, n’est donné qu’à un bouddha. » Seul un bouddha peut savoir ce qui mène vraiment à l’éveil. Nous trouvons la méditation dans toutes les autres traditions, mais aller vraiment jusqu’à l’éveil, savoir quels sont les facteurs nécessaires pour cela, seul un être éveillé peut les décrire.

Nous pratiquons shiné, – shamatha –, le calme mental, pour développer un outil qui sera mis au service de notre investigation du dharma. Cet outil doit être affûté et bien précis, doté d’un bon équili-bre mental pour mener cette investigation. Mais nous n’utilisons pas l’outil pour le diriger vers toutes sortes de choses. Avec le calme mental nous pouvons regarder le ciel, étudier les étoiles, devenir un bon astronome. Nous pouvons regarder - comme je l’ai déjà dit – les oiseaux, devenir un bon ornitho-logue. Nous pouvons diriger cette capacité de calme mental sur n’importe quoi, mais cela ne mènera pas à l’éveil. Ce qui mènera à l’éveil, c’est seulement si nous dirigeons ce calme mental vers les ques-tions essentielles qui nous préoccupent : « Comment développer la sagesse qui libère ? », « Comment développer l’amour illimité ? », « Comment la compassion s’installe-t-elle dans le cœur ? », « Com-ment arriver à l’éveil ? » C’est cela la véritable méditation.

L’investigation des dharmas n’est pas du tout quelque chose où l’on s’affole tout le temps : « Je dois regarder ça. » « Là, j’ai oublié de regarder l’impermanence. » « Là, j’ai oublié de regarder la na-ture des agrégats ». Et nous tournons dans tout un « bazar » ou bien nous stressons parce que nous avons oublié pendant cinq minutes de faire l’investigation des dharmas. Ce n’est pas le but de cet en-seignement. Mais paisibles, réceptifs, nous ne cherchons pas la tranquillité pour la tranquillité, nous développons la tranquillité pour la compréhension. C’est l’attitude de base. Donc, nous ne sommes pas

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tristes si notre esprit est agité, nous allons utiliser l’esprit agité pour mieux le comprendre. Nous n’avons pas besoin d’être contrariés parce que l’esprit n’est pas comme ceci ou comme cela. N’importe quel état d’esprit sera notre base pour l’observation.

Quand nous avons compris que c’est juste une base, par une attitude intéressée nous sommes prêts à connaître les choses, à les comprendre. Le plus important est d’avoir un esprit vif, prêt à rece-voir de nouvelles informations sur la réalité. C’est un autre état que pratiquer shiné ou shamatha pour la tranquillité car là nous risquons fort de tomber dans ce que Guendune Rinpoché appelait parfois « le shiné, le shamatha des moutons ». Ces moutons broutent, et quand ils ont bien mangé, s’allongent ou s’assoient et méditent ! Comme ils sont bien ! Quelle tranquillité ! Mais cette tranquillité ne mène pas à l’éveil, elle s’appelle « le shamatha, le shiné noir ou shiné du mouton ». Et beaucoup de méditants humains sont là-dedans. Nous le connaissons tous, je l’ai bien connu moi-même. Donc, nous risquons d’y glisser quand nous oublions que toute pratique du dharma est une pratique de shiné et lhaktong combinés, shamatha/vipassana toujours ensemble. Ne faites pas l’erreur de suivre certains grands pé-dagogues du dharma qui différencient le shamatha du vipassana. Dès qu’il y a un peu de vigilance, cette vigilance doit être utilisée pour l’investigation du dharma. Cela ne vient pas beaucoup plus tard parce que la compréhension qui s’élève de l’investigation du dharma stabilise la vigilance, stabilise l’esprit et conduit à plus de shamatha. C’est un point clé de la méditation, c’est quelque chose qui nous fera gagner des années dans notre pratique. Vous n’avez pas besoin d’attendre d’avoir un esprit tran-quille pour mener par exemple l’investigation de l’impermanence. Ce n’est pas nécessaire. Faites-le tout de suite ! En comprenant mieux l’impermanence, vous saisissez moins les impressions sensoriel-les et votre esprit se stabilise davantage. L’effet est instantané, tout le temps.

Vous avez dû remarquer que dans ce discours, le centre même de l’enseignement du Bouddha sur la méditation, aucune différence n’est faite entre shamatha et vipassana. Les termes n’apparaissent même pas. Il faut le noter car dans ce monde bouddhiste, on différencie trop les phases des médita-tions « shiné » et « lhaktong » (shamatha et vipassana). Guendune Rinpotché insistait toujours sur l’union des deux. Quand nous pratiquons comme le Bouddha le décrit ici, déjà dans le premier exer-cice de la vigilance sur le corps, nous posons le regard sur le corps, nous développons l’aspect de tran-quillité, de calme mental en calmant le corps, en étant conscients de tout le corps et nous regardons l’apparition, la disparition, etc. Cette tranquillité est tout de suite mise à l’usage de l’investigation du dharma sans attendre les chapitres suivants. Elle est présente dès le début.

Quand nous développons l’investigation des dharmas, nous clarifions des doutes et grâce à la compréhension qui s’installe, nous sommes mieux motivés, nous avons plus d’énergie à déployer pour pratiquer davantage. L’investigation des dharmas qui mène à des compréhensions débloque notre énergie. Voilà pourquoi la persévérance enthousiaste est en troisième position parce que grâce à la compréhension, les doutes qui bloquent notre énergie sont résolus et l’énergie enthousiaste se mani-feste.

L’énergie enthousiaste – la persévérance – a besoin de savoir vers quoi se diriger. Et cette direc-tion sera donnée par la clarté acquise d’une bonne compréhension des dharmas. Donc là, il s’agit du facteur d’éveil de persévérance enthousiaste parce que cette énergie est dirigée vers le développement de ces facteurs d’éveil. Il existe beaucoup d’autres formes de persévérance dans le monde dotées d’un grand d’enthousiasme. Regardez un joueur de foot ; il court, il court, il s’entraîne tous les jours. Il déploie une persévérance et un enthousiasme énormes, mais il ne va pas s’éveiller pour autant !

Quand la persévérance est présente, elle amène des fruits. En continuant à la cultiver, en s’appliquant avec assiduité d’une manière inébranlable disent les soutras, c’est-à-dire sans jamais dé-vier de sa pratique, alors davantage de certitudes et de compréhensions apparaissent, ce qui apporte une joie.

La joie est le quatrième facteur. C’est la joie de comprendre, la joie de trouver, la joie de s’installer de plus en plus dans le dharma. Ce n’est pas du tout une joie sensuelle basée sur des expé-riences de cet ordre, sur une gratification au niveau des six sens. C’est la joie d’avoir clarifié les dou-tes, la joie de demeurer dans ce qui est bénéfique parce que la persévérance enthousiaste nous fait toujours demeurer dans ce qui est bénéfique et donne naissance à cette joie grâce au dharma. Vous en

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avez déjà eu un peu le goût, mais ce n’est pas une joie enthousiaste. Si elle est trop enthousiaste, elle doit se calmer.

Une joie enthousiaste naît grâce au dharma, mais c’est encore une fixation. En continuant sur le chemin, cette joie va se calmer et se libérer de la fascination, de la saisie qui est encore présente et veut en faire encore quelque chose pour soi : « Oui, maintenant j’ai compris. » « Oui, maintenant, la méditation c’est super. » Cette joie va évoluer et devenir de plus en plus tranquille, de plus en plus calme, sans dépendre de toutes ces saisies. Elle se libèrera de cette saisie et le prochain facteur « la tranquillité », va s’installer.

C’est une tranquillité joyeuse, une joie sereine. C’est très important. C’est un grand signe de stabilité mentale et de compréhension suffisante pour ne plus tomber dans les grosses fixations et aversions. Cette tranquillité – prochain facteur – est traduite différemment en tibétain. C’est la seule distinction dans cette liste des sept facteurs. Les tibétains ont appelé ce facteur : « shin-tu sbyangs-oua », qui signifie fluidité, flexibilité de l’esprit, souplesse. Souplesse est une excellente traduction. Cela signifie qu’il y a moins de rigidité. Et en l’absence de rigidité et de fixation, lorsque des obstacles apparaissent, nous ne luttons plus, nous ne combattons plus ce qui se manifeste comme défis, diffi-cultés ; nous gérons la situation en toute tranquillité, en toute flexibilité. Et c’est cela la tranquillité, c’est la souplesse d’esprit qui accepte les situations comme elles sont sans se buter, mais en travaillant tout en sagesse et vigilance de manière à continuer le chemin d’éveil, à continuer la pratique. Quand cette fluidité est présente, c’est qu’une grande partie de notre saisie égoïste a dû disparaître pour faire place à plus de sagesse, à une plus grande ouverture. Et grâce à cette souplesse tranquille, à cette séré-nité, l’absorption méditative peut s’installer.

Si lors d’une méditation apparaissent des impressions karmiques, des pensées, des défis qui pourraient devenir des obstacles (pour certains), car ils sont les points de démarrage d’une suite d’actions/réactions attachement/aversion, ici, dans une telle absorption méditative, cela n’aura pas lieu. Il y aura seulement la vigilance qui remarque ce qui se manifeste. Le regard se pose plutôt sur la na-ture de ce qui s’élève que sur le contenu et la méditation continue sans être perturbée par l’apparition de pensées, d’impressions karmiques. Cette absorption méditative, à son tour, amène une compréhen-sion de plus en plus profonde de la nature de la manifestation. Elle conduit finalement à ce qu’on ap-pelle une compréhension de la saveur unique de tous les phénomènes, une compréhension que tous les phénomènes sont identiques dans leur nature profonde du fait d’être changeants, non permanents, de ne pas avoir une essence propre, un noyau, que tous les phénomènes ne sont pas substantiels, n’ont pas d’existence propre. La saveur unique commence à se manifester grâce à cette grande tranquillité, flui-dité d’esprit, le regard toujours posé sur les caractéristiques essentielles de tous les phénomènes. Ceci introduit le septième facteur nommé « équanimité ».

Cette équanimité vis-à-vis de tous les phénomènes, cette connaissance de leur nature profonde, c’est la sagesse. L’équanimité ici, c’est le vécu et elle est totale. L’équanimité d’un bouddha, d’un maître éveillé, est le signe de sa sagesse, de sa compréhension. Grâce à sa compréhension de la nature des phénomènes, il est dans une équanimité vis-à-vis de tous les phénomènes.

Question : Suffit-il de connaître la nature non duelle de tous les phénomènes ou est-il nécessaire pour une telle équanimité, de demeurer tout le temps dans cette non-dualité ?

LL: La réponse se trouve presque dans la question. Si on connaît la nature véritable – donc des états non duels – ou nature vide des phénomènes, cela aidera. Mais si cette connaissance est une connaissance du passé, cela ne suffira pas. Il faut la connaissance de maintenant et c’est la même chose que demeurer dans cette dimension de réalisation. En ce qui concerne la compréhension de la nature véritable des phénomènes, on parle d’abord de la compréhension intellectuelle qui aide à nous défaire des saisies ; puis il y a la compréhension basée sur des expériences, des aperçus de cette di-mension, qui mène à une compréhension et un lâcher-prise intérieurs plus profonds ; ensuite, il y a la compréhension grâce à la réalisation. C’est l’expérience directe générant une révolution profonde dans notre être - un profond lâcher-prise - qui ensuite sera stabilisée. Et c’est seulement quand elle est com-plètement stable, c'est-à-dire toujours présente, que la bouddhéité est atteinte. Un bouddha demeure tout le temps dans cette conscience de la nature ultime des phénomènes. Il n’en est jamais séparé.

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Je vais vous donner un petit résumé de ces sept facteurs. Vous avez donc compris que ces sept facteurs s’enchaînent.

« La vigilance » (1) est la capacité de demeurer sans distraction. Elle est utilisée pour regarder sans distraction notre vécu, c’est « l’investigation des dharmas » (2). Nous regardons tous les facteurs nécessaires qui pourraient être en relation avec l’obtention de l’éveil. Quand nous voyons plus claire-ment, quand nous comprenons, les doutes se dissipent, une énergie se libère, c’est « la persévérance enthousiaste » (3). Cette persévérance nous permet de demeurer, de rester de plus en plus dans ce qui est bénéfique, ce qui génère une « joie » (4). Cette joie devient de plus en plus stable, sans fascination, et développe une grande flexibilité de l’esprit, une souplesse appelée « tranquillité ou souplesse » (5), signe de la dissolution progressive de notre rigidité, des rigidités mentales. Avec la tranquillité, l’esprit est devenu docile grâce au détachement qui s’opère et nous pouvons entrer dans « l’absorption médita-tive » (6) qui est d’une telle stabilité que cela nous permet de regarder vraiment le fond des choses, leur nature véritable, sans être distraits par d’autres considérations. Grâce à cette absorption médita-tive, une profonde « équanimité » (7) s’installe parce que nous commençons à comprendre et finale-ment nous comprenons totalement la nature de tous les phénomènes, y inclus la nature de l'esprit bien entendu. Et ceci est le développement de la sagesse. Nous ne travaillons pas une seule fois ces sept facteurs d’éveil, nous les travaillons comme nous le pouvons, nous les expérimentons un peu tour à tour et chaque facteur stabilise les autres. Ce n’est pas un cercle car tous les facteurs sont inter reliés. La présence d’un facteur va nécessairement stabiliser les autres. Ils travaillent en harmonie, dans une combinaison où ils sont tous présents. Ils doivent être tous réunis pour arriver à l’éveil.

Il ne faut pas nous leurrer et penser qu’il existe vraiment sept qualités différentes. Elles ne sont pas vraiment différentes. Elles en décrivent une seule : le lâcher-prise. Chaque facteur est un aspect de ce travail de lâcher-prise. Voici (tiré d’un livre anglais), comment le Bouddha nomme « les quatre attributs de la pratique qui mènent à l’éveil » : en premier nous trouvons la « réclusion », c’est-à-dire l’isolement, la solitude. Ensuite « estomper » (en anglais : « fading away »), le fait que cela s’atténue. Ensuite c’est la « cessation ». Et en quatrième, le point où toutes ces capacités conduisent : c’est le « lâcher-prise (« let it go » en anglais). Donc, 1) se retirer, 2) s’estomper, 3) cesser (ou laisser cesser) et 4) lâcher-prise (laisser aller dans ce sens-là). Et dans cette série des quatre termes, le « lâcher-prise » ou « laisser aller », était pour le Bouddha, l’accumulation des attitudes à développer dans le chemin de la méditation.

Cela semble assez simple : lâcher prise. Et il semble que l’éveil soit aussi simple que cela. Pour cette raison, nous pouvons simplifier des choses. Nous comprenons l’aspect un peu développé, les étapes du chemin et ensuite nous arrivons à des résumés pointant véritablement l’essentiel de la voie. Maintenant, ce terme « lâcher prise » est devenu l’expression essentielle pour la tradition du maha-moudra. Dans le vadjrayana, nous pratiquons exactement les sept facteurs d’éveil. Quand nous médi-tons une divinité, soi-même comme Tchenrézi par exemple, nous nous installons dans les sept facteurs d’éveil et le lâcher-prise complet, dans l’ouverture, dans une connaissance du dharma ; on ne parle même pas d’une investigation des dharmas, nous prenons la fin de toute cette description comme base de notre pratique. Et comme cela ne fonctionne pas tout de suite, on ne parle pas seulement de maha-moudra mais aussi de shiné - lhaktong, car nous avons besoin de nous préparer pour pouvoir rester aussi simples que cela.

La préparation pour le mahamoudra et pour la pratique du vadjrayana, nous amène à pouvoir rester dans cette telléité, dans l’état tel qu’il est, avec les sept facteurs d’éveil et tous les autres qui sont tout simplement présents. Quand on est Tchenrézi, on est la vigilance, la compréhension des dharmas, la tranquillité, l’équanimité. Mais pour pouvoir l’être sans que des saisies nous projettent toujours dans un tout autre monde, il faut une préparation. C’est là où les deux (ou trois) formes de pratique sont liées : celle de la vigilance et l’investigation des dharmas. Et tout cela c’est la base, avec en plus la capacité de rester pleinement ouverts, l’esprit toujours frais, sans se leurrer et sans tomber dans le shi-né des moutons. Rester dans Tchenrézi, ce n’est pas retrouver un shiné des moutons en récitant OM

MANI PEME HOUNG de cette manière : récitation du mantra trop rapide et incompréhensible. Non ! C’est réciter le mantra en toute présence. Nous sommes le Bouddha, et pas juste un mouton qui a ap-pris OM MANI PEME HOUNG.

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Question : D’où vient le terme de « mahamoudra » ?

LL: Il semble que le terme de mahamoudra soit apparu publiquement pour la première fois avec Saraha qui a probablement vécu au IVe siècle. Mais ce n’est pas complètement certain. Il semble que ce terme soit en relation avec d’autres moudras, des gestes appelés « sceaux », que nous pouvons pra-tiquer : « karma moudra », « dharma moudra », « samaya moudra ». Différents moudras étaient connus en Inde et il semble que parler de mahamoudra – de grand sceau ou grand geste – était une façon de dire « attendre », « attendez », « ne parlons pas de toutes ces approches encore relatives », « allons directement à l’essentiel ». L’essentiel étant de demeurer dans le lâcher-prise complet, dans la non-identification totale, dans ce qui est la nature de notre esprit, les qualités inhérentes de l’esprit comme ces facteurs d’éveil présents naturellement quand il n’y a pas de nuages. Donc, demeurons-y, c’est notre pratique. C’était pour pointer l’essentiel de ce que le Bouddha avait déjà décrit. Dans le Satipatthana Soutra, le Bouddha parle de quelque chose comme le mahamoudra à de multiples en-droits. Nous le verrons ensemble après la pause.

Question : Suffit-il d’avoir une attitude de vigilance, sans manipuler ce qui s’élève, pour que tout se fasse tout seul ou faut-il toujours avoir à l’esprit l’idée de l’impermanence ?

LL: Oui, il faut avoir cette idée dans l’esprit, il faut diriger ta vigilance. La vigilance toute seule peut se diriger vers ce qui est utile ou bien ne le peut pas. Certaines traditions disent : « La vigilance toute seule, ne la dirigez surtout pas ». Mais diriger la vigilance sur les questions clés de notre vie, de manière détendue, peut nous aider considérablement sur le chemin. Plus nous entendons d’enseignements sur le dharma, plus notre esprit s’intéresse naturellement à connaître ces choses-là. Donc, il n’est plus nécessaire de diriger autant notre vigilance. Si un débutant ne dirige pas sa vigi-lance, celle-ci peut se fixer sur n’importe quoi. Nous pouvons examiner l’objet de méditation, nous pouvons tout regarder et nous perdons du temps sans regarder les questions essentielles. Donc, ayant reçu des instructions, le débutant est censé se les rappeler dans la méditation afin que sa vigilance se dirige dans l’investigation des dharmas, pour mieux comprendre. Plus tard, après la préparation, la méditation deviendra naturelle, nous ne dirigerons plus rien. Nous n’aurons plus besoin de diriger la vigilance sur quoi que ce soit parce qu’elle sera devenue panoramique et connaîtra les choses dans leur apparition/disparition, etc.

L’état sans souci, demeurer sans préoccupation dans la méditation, peut être confondu avec le mahamoudra. Nous aurons tendance à nous dire : « Là, je suis vraiment naturel, sans souci, tout va bien, cela doit être le mahamoudra ! ». Mais une opacité d’esprit est encore présente ici. C’est ce qu’il faut éviter et trouver la fraîcheur. Dans la fraîcheur, être sans souci et présent, voilà le véritable ma-hamoudra. Le reste, ce sont encore des formes de torpeur, d’opacité, d’ignorance qui font que nous nous sentons sans souci, simplement parce que nous n’avons pas dirigé l’esprit sur les points qui nous tracassent encore. Nous évitons les sujets de préoccupation et nous maintenons l’esprit dans l’au-delà de ces saisies, mais c’est juste une projection de l’esprit.

Nous avons la possibilité de nous installer dans des « bulles » : des bulles de mahamoudra, des bulles de Tchenrézi, de Vajrasattva, Sangyé Menla, etc. Ces bulles sont des espaces de protection de l’ego où nous nous imaginons être dans le lâcher-prise, l’absence de soucis, le mahamoudra… Nous sommes le Bouddha, nous sommes dans les qualités de Tchenrézi, de celles d’un Yidam, mais quand nous sortons de notre bulle – parce que nous n’arrivons pas à la maintenir à cause d’une maladie, de difficultés dans le travail, dans le couple – nous avons du mal à faire face aux problèmes de la vie. Ces bulles éclatent ! La réaction d’un pratiquant du vadjrayana bien futé est de se dire : « J’ai reçu beau-coup d’enseignements, d’initiations… De retour à la maison, vite je rétablis la bulle (ouf…), c’est tellement bien : OM MANI PEME HOUNG… ; le monde et ses souffrances : OM MANI PEME HOUNG… » ; mais en sortant de la bulle : la vaisselle n’est pas encore faite, ma compagne m’engueule et moi j’ai des réactions émotionnelles !

Alors, à quoi sert cette bulle ? Pour la casser, j’ai décidé de vous donner le Satipatthana. C’est la raison de ce stage : que tous nous revenions sur le coussin avec une pratique de vigilance toute simple. Les années précédentes nous avons eu de beaux enseignements, ils sont toujours valides mais risquent de vous installer dans une bulle. Reprenons alors le chemin dès le début avec une pratique de vigilance et si maintenant vous contactez la dimension de Tchenrézi, de mahamoudra, etc., vous avez une com-

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préhension plus juste des facteurs qui y mènent et des facteurs qui sont à maintenir. Ce n’est pas du tout grave de revenir en arrière sur le souffle, le corps, les sensations. Tout cela fait partie de la prati-que du mahamoudra, de celle du vadjrayana.

L’idée était de nous amener à une fluidité d’esprit, à pouvoir être en contact avec les différents aspects de la réalité, la réalité très concrète de notre corps qui vieillit, qui va tomber malade et mourir un jour, ainsi que des sensations désagréables et agréables, de l’attachement aux sensations, sans nous enfuir ; puis de développer le non attachement, la non aversion pour pouvoir demeurer dans l’équanimité, base de la pratique de Tchenrézi, du mahamoudra. Et en pratiquant le mahamoudra ou le yidam, être capable à n’importe quel moment - de manière fluide, sans résistance - de revenir dans le ressenti concret du moment. Il est inutile de nous échapper. Voilà pourquoi en présentant ce soutra du Satipatthana, j’avais envie d’amener un peu plus cette fluidité dans notre pratique et dans la compré-hension de sa signification. – Après la pause, je vous montrerai encore où se trouvent, dans le soutra de Satipatthana, des indications pour la pratique de mahamoudra, en vous mentionnant juste les diffé-rents endroits. Ensuite nous méditerons.

Pause...

Comme promis, je vais parler un peu des passages du soutra touchant le mahamoudra. En fait, c’est un peu drôle de le faire, parce que le Bouddha est le mahamoudra ! Et quand on enseigne la mé-ditation, tout est mahamoudra. Alors, nous pourrions lire tous les soutras avec cette compréhension et nous arrêter là. Cependant nous allons quand même continuer parce que des difficultés de compréhen-sion peuvent s’élever.

Le mahamoudra est la pratique de la sagesse ultime, de la conscience intemporelle. Le Bouddha demeurait dans cette dimension de l’esprit et tous ses enseignements sont issus de cette dimension, de cette compréhension. Par exemple, quand (en première page) le Bouddha parle de la méthode juste menant à la destruction de la souffrance et du mécontentement, ce sont des termes en référence à une méditation sans saisie égoïste, sans identification, nous permettant de nous libérer de toute saisie qui, à cause de l’ignorance, nous fait croire en la réalité des choses. Acquérir la méthode juste, c’est savoir comment rester présent sans manipulation, dans une clarté totale, tout rafraîchi, sans voiles.

Dans les instructions du mahamoudra, il est question de la pratique de la non méditation, de la non saisie et en même temps il est dit d’être libre des entraves. Atisha nous dit également que l’on demeure dans la dimension de la vérité sans limitations, sans centre, libre d’analyse intellectuelle et l’on regarde sans opacité, sans agitation ni torpeur. Donc, la capacité à développer dans le mahamou-dra, est celle de rester sans identification, de ne pas tomber dans des voiles, dans l’obscurcissement de notre esprit et le manque de fraîcheur. C’est exactement ce que le Bouddha dit ici dans le Satipatthana quand il parle de « pleinement conscients et vigilants – sans attachement à rien au monde », c'est-à-dire sans attachement à un « soi », à un « moi », à la notion d’un « je ».

Voici une autre citation : « Qui connaît les cinq agrégats comme illusoires, ne va plus regarder l’illusion et les agrégats comme deux choses séparées. Il va se détacher de la multitude des perceptions et pratiquer la paix véritable. » Ici nous voyons qu’une réflexion est à mener sur les cinq agrégats. Dans notre méditation nous devons comprendre que ce que nous pensons être la forme, les sensations, la distinction, les événements mentaux et la conscience, ne sont que des manifestations illusoires et ne plus faire la différence entre l’illusion et ce qui semble être une réalité. Il faut continuer la pratique pour être en mesure de nous détacher de toutes les sensations et perceptions des champs sensoriels évoqués hier. Puis, grâce à la compréhension de la nature des phénomènes, demeurer dans ce qu’on appelle la paix véritable, la tranquillité et l’équanimité. C’est donc la même chose mais avec d’autres mots. En pratique, nous demeurons dans les facteurs d’éveil en ayant compris la nature véritable des agrégats, en nous détachant de toutes ces impressions des champs sensoriels. Nous venons de le voir au cours de ces deux derniers jours. C’est exactement ce que nous pratiquons aussi dans le mahamou-dra.

Ici, « pleinement conscients » (bas de la page 1), sera la traduction plus directe du terme « rig-pa » dans la tradition « dzogchen » : « être pleinement conscients » ou aussi « présence naturelle qui connaît les choses ». C’est de là que viennent ou s’appuient les termes de la tradition dzogchen et ma-hamoudra.

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« Ecartant envies et soucis mondains », signifie : écartant espoirs et craintes. C’est seulement une autre terminologie.

Regardons ensuite le refrain qui suit chaque exercice (par exemple en bas de la page 2).

« Demeurer dans la contemplation du corps de façon interne, externe ou les deux à la fois. » Ce travail - interne, externe ou les deux à la fois – sert à dissoudre la notion de sujet et d’objet comme étant différents afin d’être capables de développer une conscience panoramique, notion clé de la prati-que du mahamoudra. Quand nous appliquons l’instruction en regardant simplement ce qui est, sans prolifération mentale, sans autres projections, sans filtre, considérant l’inspiration et l’expiration comme un phénomène physique, le fait de voir simplement ce qu’il y a, c’est la pratique de la simpli-cité. « Simplicité » autre mot clé de la tradition du mahamoudra. C’est la simplicité de savoir sans mélange avec autre chose, sans amener encore tout un cirque de projections. C’est demeurer dans la simplicité de l’instant, il suffit d’être conscient, inutile d’en rajouter. C’est l’instruction clé sur la sim-plicité ou rester naturel dans le mahamoudra.

En regardant les instructions du mahamoudra dans la présentation progressive où l’on parle de shiné et lhaktong, nous retrouvons carrément la respiration comme objet de notre pratique. Nous re-trouvons l’analyse de l’esprit, de la conscience, des différents facteurs de la réalité. Tout ce regard analytique sur notre vécu se trouve dans la présentation progressive de shiné, lhaktong, mahamoudra. Là, je n’ai pas besoin de « labourer » parce que vous savez bien que beaucoup de ces éléments sont enseignés dans une présentation progressive du chemin du mahamoudra.

Ce qui nous parvient comme transmission du mahamoudra, c’est un condensé, une façon de ré-unir différentes techniques de méditation amenant les instructions du Satipatthana dans la pratique de celui qui aimerait développer le mahamoudra.

Le point essentiel du mahamoudra est contenu à la fin du refrain : « Demeurer indépendants, sans attachement à rien au monde. » On pourrait presque penser que c’en est une définition. Il semble que les maîtres (après le bouddha Shakyamouni) à l’origine peut-être d’une transmission nommée mahamoudra, soient revenus encore et encore sur cette instruction : « Comment peut-on demeurer indépendants, sans attachement à rien au monde ? » Ils ont présenté toutes les instructions sur la médi-tation de manière à nous amener le plus rapidement possible à cette capacité de demeurer « pleinement conscients », « indépendants » et « sans attachement à rien au monde », sans identification aux skand-has, sans saisie sur des impressions sensorielles, sans vues erronées. C’est le point clé de la transmis-sion du mahamoudra : enlever les vues erronées, se détacher de la saisie de notre vécu et demeurer comme un bouddha, sans attachement, sans saisie.

Pour y arriver, ils se sont appuyés sur l’enseignement, sur ce qui est appelé la base, le chemin et le fruit. Ils ont surtout regardé le Satipatthana soutra et ont constaté qu’en le pratiquant, tout le chemin se fait de manière non manipulatrice et à la fin le résultat est l’éveil. On suit cette voie afin d’enlever ce qui empêche l’éveil de se manifester, comme si l’éveil était déjà en nous. Et nous vérifions encore et encore pour constater (on peut le dire ainsi) que la base de notre pratique, c’est que notre esprit est le même que celui du Bouddha. Le Bouddha, ne fait pas la différence entre lui et nous. Quand il parle de la pratique, il parle de « sa » pratique et nous conseille de faire la même chose. Il n’y a aucune dif-férence entre notre esprit et l’esprit des bouddhas ou la nature de bouddha en nous (pour le dire autre-ment). Nous avons le même potentiel que le Bouddha pour nous éveiller.

La présentation du mahamoudra est « la base » qui permet d’inspirer la confiance : « Oui, tu es aussi capable de t’éveiller que tous les bouddhas du passé. » Ensuite « le chemin » : en s’exerçant à cette nature de bouddha, nous lui donnons la possibilité de se manifester pleinement. Quand elle est pleinement manifeste, c’est « le fruit », c’est-à-dire le résultat. Rien n’a changé, si ce n’est le potentiel peu visible au début qui est maintenant pleinement épanoui. Voilà donc la base, le chemin et le fruit du mahamoudra. Nous voyons aussi que dans sa présentation, le Bouddha commence par la réalité rela-tive en nous donnant confiance : « Oui, vous pouvez le faire, regardez bien. Votre corps, vos sensa-tions, vos distinctions, tout ce que vous vivez dans l’esprit, ce qui semble être des obstacles ou des facteurs d’éveil, ne présente aucune différence avec ceux des autres pratiquants. Comme moi, vous devrez en passer par là et finalement l’éveil s’installera. » Il nous donne cette confiance et nous montre comment éliminer tout ce qui empêche la nature éveillée en nous – ces qualités, ces facteurs d’éveil –

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de se manifester. Pour finir, nous sommes des êtres éveillés comprenant entièrement les Quatre Nobles Vérités.

La différence (si on en cherche une), c’est qu’ici le Bouddha parle simplement : « vigilance pour ceci, vigilance pour cela... » Il nous amène au chemin de la vigilance : « Faites attention à ceci, faites attention à cela ». Il ne donne pas de grands enseignements tels que : « Vous avez tous le même esprit que moi ». Pour lui c’est une évidence, il n’en parle même pas. Ce sont les pratiquants qui, plus tard, ont eu ce doute : « Nous ne sommes peut-être pas capables de faire la même chose que le Boudd-ha ». Alors il a été nécessaire d’affirmer que nous avons tous le même esprit, que le Bouddha n’est pas un dieu doté d’un esprit différent et que nous sommes capables d’arriver au même but.

C’était un petit aperçu des similitudes entre ce chemin et le mahamoudra. Pour moi ils sont identiques, je ne vois pas de contradictions. Lorsque vous entendez ces instructions-là, vous les mémo-risez avec le sentiment de ne pas être suffisamment bons ou purs et donc vous voulez fournir beaucoup d’efforts pour arriver à un but en apparence extérieur. Ici, le Bouddha parle des buts (première page) : l’obtention de la méthode, la disparition, la destruction de la souffrance, le chemin vers la réalisation du nirvana. Mais quand on regarde comment il montre le chemin, il n’y a aucune manipulation à faire, le but est tout simplement le résultat d’avoir lâché des saisies. Il n’est donc pas utile de construire quelque chose, d’amener une pratique artificielle.

Donc ce chemin, appelé ici chemin unique, que tous les éveillés ont traversé, ne mène pas ail-leurs. C’est juste une voie pour se libérer des nœuds, clarifier des questions, sortir du filet des entraves et se libérer. La personne qui le parcourt ne change pas en soi. Elle découvre sa véritable nature : libre, libérée pourrait-on dire d’une prison de l’attachement et de l’aversion, libérée de la saisie égoïste. Et quand on veut présenter ce chemin d’une manière plus compréhensible, avec le langage du mahamou-dra : base, chemin et fruit, ne font qu’un seul, ils ne sont pas différents. C’est une instruction clé du mahamoudra. Et cela tient tout à fait en regardant la présentation du Satipatthana où on y trouve un potentiel, un chemin qui consiste à mieux vivre ce potentiel, et le fruit qui est le potentiel pleinement éveillé.

Question : J’ai rencontré un maître du Theravada qui présentait l’approche du Satipatthana ba-sée sur l’effort, sur beaucoup d’efforts à faire. Est-ce que les choses seront présentées de la même ma-nière dans cette tradition ?

LL: C’est vrai, on va rencontrer ces différences, on va même les rencontrer dans une seule et même tradition. Ce sont des distorsions de l’enseignement, du fait que des écoles, des traditions, ont mis toute leur attention sur des points qui leur semblent être plus bénéfiques ou plus libérateurs. Cela a commencé avec un maître ou un groupe de maîtres qui pensaient qu’à l’époque où ils vivaient il fallait vraiment mettre l’accent sur la discipline, sur la vigilance sur le souffle, etc. et ont accentué ces ensei-gnements-là. Et parce qu’on ne peut pas tout enseigner, d’autres aspects furent un peu laissés de côté. Comme dans l’approche du mahamoudra, la dernière phrase du refrain était prise comme l’objet cen-tral de la pratique et tout était expliqué autour. Si un maître fait cela et obtient des résultats, le disciple agira de même, ainsi se crée une lignée, une école. Dans cette présentation, d’autres aspects de l’enseignement se trouvaient un peu négligés. Voilà pourquoi aujourd’hui des pratiquants venant de la tradition Theravada (mais qui ne s’appelle plus Theravada) se basent tout simplement sur la tradition palie, c'est-à-dire sur les textes provenant directement du Bouddha. Ils évitent de trop s’appuyer sur les commentaires parce qu’ils se sont aperçus que les commentaires créaient déjà une distorsion, une cer-taine façon de comprendre l’enseignement du Bouddha. Le Bouddha lui-même n’était pas allé dans cette direction, ce sont des interprétations ajoutées plus tard. Venant de la tradition tibétaine, je me concentre sur un tel texte en échangeant avec des pratiquants venant de la tradition Theravada. Nous nous retrouvons tous parce que de cette manière, nous sortons du point de vue de nos écoles respecti-ves, nous revenons à la source. Et la source est limpide, claire, on n’y trouve pas des siècles et des siècles d’interprétations et d’explications. Et même si les explications sont très utiles – extrêmement utiles même – pour que tous les bouddhistes s’entendent entre eux, il convient de revenir à la source.

Question sur Thich Nhat Hanh.

LL: Il revient aussi à la source. Venant de la tradition mahayana vietnamienne, très en contact avec le zen, avec davantage de supports que juste ceux-là, il a énormément étudié l’enseignement di-

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rect du Bouddha en s’appuyant sur les textes palis. Actuellement, sa présentation est assez équilibrée parce qu’il s’appuie sur les textes mahayana sanskrits et les traductions. Il se fonde sur les textes palis, revient à l’essentiel et le met en évidence. Il est donc très facile de s’entendre avec un maître comme lui parce qu’il est dans la recherche de l’essentiel et il est sorti des méditations d’une école.

Je vais vous dire un petit mot sur l’école zen. A l’origine, les adeptes pratiquaient après avoir étudié longuement les soutras. Dans l’ancienne tradition Chan, il fallait avoir une excellente connais-sance de tous les soutras traduits en chinois pour pouvoir commencer à méditer profondément. On laissait alors l’étude de côté pour ne se concentrer que sur la méditation. Je ne suis pas un grand érudit, mais je sais que plus tard, des maîtres ont dit : « Ce n’est que la méditation qui compte. La méditation seule va répondre à vos questions. » Et avec cela ils ont eu du succès. Des disciples ont connu l’éveil grâce à cette méthode directe. Du coup ils se sont de plus en plus focalisés uniquement sur la médita-tion, en disant même « il est inutile d’étudier, brûlez le livre du Bouddha. Vous n’en avez pas besoin. La vérité de ce qui est à découvrir est là tout de suite, maintenant, il est inutile de chercher dans les livres. » Cette position n’était pas fausse mais elle n’était pas toujours efficace. Ceci fait que dans la tradition zen on pratique, on pratique, on pratique. Dans certaines formes de zen on reste toujours dans la méditation. L’étude est négligée dans un grand nombre d’entre elles. D’autres maîtres ont essayé de corriger cette distorsion en revenant aux bases de la tradition où un équilibre était trouvé entre étude et méditation. Ils s’aperçoivent aujourd’hui des vues erronées – et pas seulement aujourd'hui, mais déjà au siècle dernier au Japon – que des vues erronées étaient prononcées par certains soi-disant prati-quants zen parce qu’ils n’avaient pas assez regardé l’enseignement profond.

Je vous ai expliqué ceci pour vous montrer comment le processus fonctionne quand on a une loupe et qu’on ne regarde qu’un aspect. Cela semble marcher mais au fil du temps on oublie un peu le reste, ce qui donne une certaine couleur de la tradition et cette tradition n’est peut-être pas assez équi-librée pour pouvoir servir de nombreux pratiquants différents. Il est donc nécessaire de revenir aux sources et d’élargir notre compréhension sur tout ce qui fait la pratique du dharma.

Questions – Réponses

L’espace est à vous.

Question sur l’organisation.

LL: Pour demain, le programme est assez clair : à 7 h la méditation, à 9 h le dernier enseigne-ment. Puis une petite pause pour préparer la poudja. Ensuite, la pratique de Gampopa avec tsok, in-cluant le repas de midi qui clôturera la fin du stage, puis nous préparerons la fête qui commencera aux environs de 17 h, ici dans la cour, avec le spectacle des enfants et des adultes, etc. Après le spectacle, nous partagerons ensemble le buffet du soir. Nous ferons une pratique de Tchenrézi, quelques manis autour du stoupa, peut-être avec des lumières. Plus tard nous allumerons un feu et un groupe de musi-ciens s’installera pour jouer, nous pourrons danser, etc. et la soirée se terminera quand les derniers s’endormiront ou s’en iront.

Remarque : Le groupe de musiciens passera le chapeau.

LL: Très, très bien. Vous avez bien entendu, les musiciens n’ont pas demandé à être payés mais on va passer le chapeau. Donc, préparez vos billets ! C’est le même groupe que l’an passé. Ils joueront treize morceaux de leur composition. On a aussi les textes de chansons pour pouvoir chanter avec eux. Ils s’appellent : Monsieur O, c’est du pop’rock, je crois, dans ce genre-là. Ils ont un très bon esprit.

Remarque : Au niveau des décibels cela va changer avec la retraite.

LL: Les décibels vont tout changer. Notre vigilance va éclater en morceaux et nous allons nous rattraper, il faudra seulement faire attention à notre corps, c’est la vigilance sur le corps.

Intervention : Où le groupe va-t-il s’installer ?

LL: Là, au fond, devant le rideau.

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Réflexion : Dans l’enseignement de ce matin, j’ai vraiment été frappé par le parallèle qui existe entre l’enseignement et les propos de Sempa : « En retraite, on regarde qui on est. » Et c’est exacte-ment tout ce qui a été dit dans l’enseignement.

Question : Je n’étais pas là tout le temps mais est-ce que tu as déjà expliqué comment intégrer cette pratique de Satipatthana avec les autres pratiques personnelles comme Tchenrézi ?

LL: J’ai parlé un petit peu de ce sujet ce matin, mais je peux le faire plus longuement.

J’aimerais commencer par la dimension qui s’ajoute quand on parle de la pratique du mahayana ou du grand véhicule. Comment notre pratique de vigilance change-t-elle à ce moment-là ?

Le point clé dans le mahayana, consiste à placer la vigilance sur le développement de la motiva-tion qu’est la bodhicitta. La vigilance reste donc tout le temps avec ces facteurs clé qui font obstacle à la saisie égoïste. On remarque constamment la présence de la saisie égoïste et l’on encourage tout le temps l’esprit à se tourner vers le facteur d’éveil appelé ici « bodhicitta », terme qui résume toutes les qualités éveillées. Toute notre attention - notre vigilance- est tournée vers la bodhicitta, en remarquant chaque fois quand elle est absente. Donc, au lieu de regarder toute une liste d’obstacles présents ou absents et toute une liste de facteurs présents ou absents, nous simplifions les choses en observant simplement si la saisie égoïste est présente ou absente, si la bodhicitta est présente ou absente. Et nous apprenons à diriger notre esprit en permanence vers elle. Nous savons que bodhicitta sont les « six paramitas », l’union de la compassion et de la sagesse, etc. Nous savons qu’il y a beaucoup de choses derrière les « Quatre Illimitées », mais dans le mahayana, nous utilisons cela comme thème central de la pratique.

Quand on parle de bodhicitta, il faut comprendre bodhicitta relative et bodhicitta ultime. Il y a la compassion, l’amour, qui sont les qualités relatives au niveau de la motivation et la sagesse comme bodhicitta ultime. C’est le point principal de la pratique de vigilance dans le mahayana. Tout le reste est identique et ce n’est même pas vraiment différent de la tradition palie car le Bouddha a tellement répété : « Une fois que vous aurez établi l’esprit dans la vigilance, le samadhi, l’équanimité, à ce mo-ment-là, dirigez votre esprit vers les Quatre Illimitées. Il prend les Quatre Illimitées comme le couron-nement de la pratique. D’autres fois il les utilise comme moyen principal pour entrer dans l’absorption méditative. Il y a deux façons d’en parler. Et plus tard, dans l’enseignement du mahayana, c’est deve-nu le regard sur la bodhicitta. La vigilance sur la bodhicitta se trouve avec le bouddha Shakyamouni et dans les textes palis, il est conseillé chaque fois de se diriger sur les Quatre Illimitées : amour, com-passion, joie et équanimité.

Donc, la pratique de Tchenrézi par exemple, est un moyen d’être conscients en permanence de la pratique des Quatre Incommensurables, des Quatre Illimitées. C’est pratiquer la bodhicitta entière-ment, sans réserve.

Quand nous parcourons les différentes formes de vigilance, celle sur le corps s’obtient dans le vadjrayana en se méditant soi-même comme étant le corps de la divinité. Nous ne méditons pas sur le corps de chair et d’os. Nous nous visualisons sous un corps de lumière, nous méditons le corps sans saisie. Nous nous mettons tout de suite en situation pour pratiquer cette vigilance sans entrer dans l’identification avec le corps physique. Dans cette contemplation (du corps comme étant le corps de la divinité), des sensations physiques de toutes sortes apparaissent quand même. Elles seront pratiquées comme étant les sensations de la divinité, c'est-à-dire libres de saisie égoïste. Donc, nous prenons vraiment la fin de la contemplation sur le corps, quand nous avons compris que le corps est juste le skandha de la forme, qu’il n’y a pas de moi, de je, à l’intérieur. La visualisation de soi-même comme étant un aspect de bouddha, est l’expression de cette compréhension. Nous envisageons la méditation sur le corps par la fin, par le résultat ; nous entrons dans une non-identification avec le corps ordinaire et voyons celui du Bouddha.

Donc, toutes les sensations visuelles, auditives, etc., seront contemplées, méditées sans saisie, comme étant les manifestations dans l’esprit de la divinité, du yidam. Il n’est pas question que ce soit un moi, un je, qui ressente tout cela. Les sensations sont la manifestation spontanée de l’esprit créatif de la divinité et non d’un moi. Là aussi nous prenons la compréhension exprimée dans le Satipatthana par le résultat suprême : la non-identification avec le vécu sensoriel et nous nous plaçons dans un ca-

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dre de référence qui est la pratique du yidam, ce qui nous permet de rester dans cette non-identification de manière beaucoup plus stable que d’habitude. Nous ne sommes plus en train de solidifier nos sensa-tions. Tout ce qui apparaît dans les six sens - le sens mental, toutes les pensées, les concepts – est mé-dité comme étant la manifestation spontanée de la divinité car ce n’est que la manifestation de la cons-cience éveillée. Méditer le corps de la divinité nous rappelle donc une dimension où le moi, le je, n’existe pas en tant que tel. Voir notre environnement comme la terre pure de la divinité nous rappelle que notre monde de projections n’existe pas substantiellement, qu’il n’a pas d’existence véritable, que tout est en mouvement, que tout est finalement de la nature de la lumière et n’existe pas de manière permanente. C’est un rappel constant que le monde est fait de notre vécu mental, de nos projections. Nous le pratiquons comme la terre pure de la divinité parce que dans cette vision il n’y a pas de fixa-tion, de solidification due à des concepts tels que : « Le monde dans lequel moi je vis » ; « Je veux – je ne veux pas ». Tout ce qui apparaît dans cette terre pure est « rencontré » sans saisies. Il n’y a pas de relation d’attachement et d’aversion, une terre pure est libre de ces émotions. Si certaines apparaissent dans l’esprit – ce sont les impressions karmiques du pratiquant –, elles sont prises et amenées dans cette vision pure de la divinité pour s’y dissoudre. Se visualiser soi-même et visualiser les autres comme yidam, visualiser son environnement comme terre pure, permet de lever les fixations habituel-les. Si nous arrivons à stabiliser cette vision, nous pourrons sortir très rapidement de nos fixations.

Lors d’une pratique de yidam, les différents états mentaux karmiques qui se manifestent sont à purifier. Nous avons nos émotions et si nous ne les saisissons pas, si nous ne nous identifions pas avec elles, elles se dissolvent et disparaissent. Elles sont vues dans leur nature ultime, leur nature véritable et c’est là où nous pouvons dire qu’elles sont vues comme étant pures dans leur nature essentielle.

Notre conscience établie comme Tchenrézi est tellement « chaude » pourrait-on dire, tellement omniprésente, que les émotions qui se manifestent ne peuvent pas prendre racine, ne peuvent pas s’installer (comme les flocons de neige fondent sur une pierre chaude). Toutes les fixations se dissol-vent. Dans cette pratique, nous sommes toujours en train de retomber dans la vision ordinaire et de nous relever pour entrer dans ce qu’on appelle la vision pure, sans saisie égoïste. Nous pouvons main-tenir cette vision pure pendant quelque temps puis nous retombons dans une vision ordinaire. C’est le contraste. C’est comme si nous vivions la vision samsarique (le monde, le moi et le je) et que nous regagnions un lâcher-prise, une ouverture d’esprit. Et dans ce contraste-là, nous apprenons quelle est la cause de la souffrance et celle de la liberté, de la libération. Nous le faisons sans le vouloir. C’est seu-lement parce que nous sommes dans l’incapacité de maintenir une vision détachée, ouverte du monde (par le fait de retomber dans des fixations puis d’en sortir), que nous commençons à comprendre ce que sont la fixation, le bienfait du lâcher-prise et la vision du monde sans fixations. C’est le travail du pratiquant dans le vadjrayana.

Ce pratiquant doit avoir la confiance profonde que maintenir la vigilance sur la façon éveillée de regarder les choses, sera l’éveil lui-même. Cette confiance de pouvoir accéder à l’éveil en considérant les choses avec le regard d’un bouddha, doit être présente. Nous nous installons dans la vision d’un bouddha et essayons de regarder le monde de cette manière. Quand nous retombons, nous nous rele-vons et regardons cette dimension. Pour que cela fonctionne, pour avoir assez de confiance en prati-quant la vision éveillée, il nous faut une initiation, un transfert. Dans une initiation, le maître vajra nous montre la vision pure, la vision réelle des choses. Il nous ouvre à la compréhension de ce « qui est » véritablement : un aperçu clair nous inspirant la confiance nécessaire pour ensuite pouvoir le mettre en pratique. S’il n’y a pas cet aperçu – comme une porte qui s’ouvre pour que nous puissions voir – nous perdrons confiance, ou bien celle-ci sera instable, pas assez établie à certains moments pour continuer avec cette pratique.

Dans la pratique de Tchenrézi et du vadjrayana, la vigilance a encore d’autres aspects comme celui de réciter le mantra. C’est une vigilance dans la parole noble, la parole pure. Réciter les textes, c’est la parole des éveillés. Nous nous entraînons à dire des choses profondément bénéfiques, ce qui contraste avec notre parole ordinaire. Quand nous récitons beaucoup de mantras, nous ne pouvons plus dire de méchancetés, cela devient impossible parce que nous avons un tel entraînement à la parole pure que le contraste est trop grand, nous n’arrivons plus à parler de manière ordinaire. Tout notre être est amené à entrer dans la façon de parler et de voir les choses comme le Bouddha. Et il en est de même pour les gestes physiques. Nous nous entraînons à faire les moudras, les gestes des éveillés qui sont

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des gestes symboliques. Nous développons une vigilance sur les gestes de la main, du corps, de la posture. Tout cela exprime la présence du yidam, du Bouddha en nous.

Avec la vigilance sur le corps, il faut également considérer les gestes : les moudras, tels que les moudras d’offrandes, de prières, de prosternations. Ils sont nombreux, mais toute la vie devient mou-dra, tous les gestes deviennent l’expression de la présence éveillée. Rien alors n’est plus ordinaire. La vigilance est constamment présente et accompagne n’importe quel mouvement, n’importe quel geste, tout est digne. Chaque mouvement devient digne : en posant notre montre ou en la mettant, tout est accompagné par la vigilance parce que nous exprimons la présence de bouddha en nous. Cette non-identification, c’est la présence complète. Vous pouvez le constater chez les maîtres éveillés, ils ne font pas de gestes inutiles ou insensés. Tout est imprégné par la conscience éveillée.

La pratique continue sur bien d’autres niveaux et je dois vous parler du samadhi parce qu’il n’y a pas de pratique de vadjrayana sans samadhi. Dans la pratique de Tchenrézi aussi, il faut développer le samadhi. Mantras, moudras et samadhi, sont les trois mots clés du vadjrayana. « Samadhi » veut dire absorption. Ici, en ce qui concerne Tchenrézi, c’est l’absorption dans les Quatre Illimitées. Il faut que notre esprit soit complètement pris par les Quatre Illimitées, qu’il n’y ait plus rien d’autre. Il faut que la compassion et la sagesse emplissent tout notre esprit, que nous nous oubliions nous-mêmes. Nous devons développer ce samadhi car c’est le plus important.

Le vadjrayana est à lui seul une pratique de vigilance de A à Z, sans exception. Si dans le concret du monde relatif nous sommes peu entraînés à la vigilance, nous aurons des difficultés à sou-tenir une pratique de si haut niveau. Il convient donc de bien consolider les bases pour avoir une bonne préparation afin d’entrer dans des pratiques de vigilance plus élevées. Les explications sur la tsok que je vous ai données il y a trois jours, vous ont montré à quel point la vigilance doit être présente. Et c’est tellement facile de ne pas être dedans, de la perdre et de réciter simplement des mantras et des prières, mais il manque la substance, l’unité avec ce que nous faisons. Nous ne sommes pas vraiment dans la vigilance dans laquelle nous devrions être à cause d’un manque d’entraînement.

LLAvez-vous des questions plus précises à ce sujet ?

Question : Que peut-on changer ? Souvent, on récite un mantra sans être conscient, on peut mé-diter en marchant sans être présent, le souffle ne suffit pas, peut-on mélanger tous les moyens ?

LL: En ce qui concerne la vigilance, elle devrait accompagner toutes les pratiques. Une per-sonne pratiquant un yidam, fera la méditation marchée en marchant comme yidam, elle sera le yidam qui se promène : Tchenrézi, Tara, etc. Il ne faut pas créer un problème artificiel entre la vigilance sur le corps, le souffle et la pratique du yidam. Le plus important est d’être vigilant, peu importe par quel moyen. Si on peut respirer en se visualisant comme yidam tout en récitant un mantra, c’est alors le yidam qui respire et c’est encore mieux.

Le plus important est de ne jamais développer d’aversion contre les pratiques de la vigilance. Ce serait vraiment erroné. La vigilance toute simple est une étape intermédiaire permettant d’en dévelop-per une plus subtile, plus fine. Donc, quand nous avons perdu la vigilance parce que nous sommes distraits, il vaut mieux la porter à nouveau sur le corps tout simplement, sur la posture, sur la respira-tion et grâce à cela nous retrouvons l’équilibre et pouvons entrer dans celle plus subtile du yidam.

Mais que signifie la vigilance du yidam ? Cela signifie que personne ne marche, ne mange, ou respire, il n’y a pas de ‘je’, il n’y a pas d’histoire du ‘moi’. C’est cela le yidam. Le yidam, ce ne sont pas les couleurs, les attributs, etc. non. C’est être dans la sagesse ultime, dans l’absence de saisie égoïste. C’est le sens de : « amener la dimension du yidam dans tous les actes du quotidien ». Et la visualisation de sa forme est juste une aide ressurgie de cette conscience subtile, de cette vigilance subtile, comme à la fin de chaque refrain « indépendant, sans attachement à rien au monde ». Sans identification, sans vues erronées, sans désir sensuel, tel est le yidam.

La pratique du yidam est identique au sens du Satipatthana. Il n’existe aucune trace de différen-ces, il ne faut faire aucune distinction. C’est juste une autre méthode pour peut-être accélérer un peu le processus. Donc, concrètement, quand nous récitons, nous le faisons en vigilance et la vigilance se porte sur la bonne prononciation du mantra, sur le sens du mantra, sur l’ouverture d’esprit. Nous veil-

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lons à considérer les différents aspects de la récitation, sans nous autoriser la moindre distraction. Nous ramenons l’esprit dans la pratique véritable.

Question : Quand on nous donne rapidement à faire des pratiques de yidam comme Tchenrézi, est-ce que ce n’est pas comme démarrer une voiture en quatrième vitesse ? N’est-ce peut-être pas trop prématuré ? Pourquoi ne pas commencer avec la vigilance sur le corps ?

LL: C’est vrai, nous démarrons peut-être parfois un peu trop haut. Si cela fonctionne pour cer-tains, c’est peut-être dû au fait que les autres vitesses ont déjà été utilisées dans d’autres vies. Ils ont déjà pratiqué dans d’autres vies et maintenant quand ils rencontrent le vadjrayana, une confiance est déjà présente, une foi s’installe assez rapidement, ce qui rend possible les choses impossibles. Indé-pendamment de leur volonté, ils sont en quelque sorte en train de pratiquer les méthodes du vadjraya-na. Si tel est le cas, on remarque qu’il faut quand même travailler aussi la première, la deuxième et la troisième vitesses ; revenir sur le corps, les sensations, l’esprit, etc.. Il leur faut établir de bonnes bases parce que lorsqu’ils sont tristes, fatigués, bouleversés, ils n’arrivent pas à maintenir la vision du yi-dam. A ce moment-là, il est nécessaire de revenir à quelque chose de plus accessible pour eux afin de pouvoir s’accrocher à une pratique plus simple.

Je voudrais revenir sur l’idée de la vitesse. On dit « quatrième vitesse » pour le vadjrayana, mais ce n’est pas exact. Le vadjrayana n’est pas la méthode la plus rapide. C’est erroné de le dire. Elle est la plus rapide pour ceux à qui elle convient. Pour les autres, elle peut devenir un grand obstacle. Même si nous arrivons à démarrer en quatrième vitesse, si nous n’arrivons pas à prendre le prochain virage, nous allons percuter un mur et nous retrouver à l’hôpital. Celui qui est parti en vélo arrivera longtemps avant nous ! Donc, la vitesse qui convient, c’est celle à laquelle nous pouvons rouler, celle qui stimule notre vécu, qui nous amène à des compréhensions, qui inspire la confiance. C’est celle-là la plus ra-pide. Aucune méthode dans le monde ne peut mériter une étiquette « la plus rapide du monde ». Cela n’existe pas. La plus rapide, c’est celle qui nous donne des compréhensions avec lesquelles nous pou-vons aller loin et jusqu’au but. Et si nous prenons le vadjrayana comme pratique, comme méthode, et que finalement cela nous crée davantage de doutes et d’échecs sur notre chemin, c’est pire que de ne pas avoir pratiqué le vadjrayana. Il faut bien sentir que la pratique qui convient c’est elle la meilleure et la plus rapide.

Question : Est-ce que s’attacher à la notion d’un yidam dans l’activité de tous les jours serait une complication supplémentaire ?

LL: Oui, parce que cela peut devenir une pratique un peu obsessionnelle. Etre toujours en train de se visualiser comme yidam (Dordjé Pamo par exemple) quand nous faisons la vaisselle, peut ame-ner une complication au lieu d’une simplicité. Si nous pouvions pratiquer dans la conscience du non-soi, ce serait déjà l’essentiel de cette pratique. La visualisation de soi-même comme yidam est très utile quand nous n’arrivons pas à lâcher tout de suite, par exemple quand quelqu'un nous crie après. Si à ce moment-là nous nous rappelons être le yidam, nous ne saisirons pas. Si du désir sensuel s’élève en nous et que nous nous rappelons être le yidam, nous ne saisirons pas. Par contre, il est erroné de conti-nuer à réciter le mantra quand nous parlons avec quelqu'un, c’est « morcelé » parce que lorsque l’esprit fait deux choses à la fois, ni la récitation du mantra, ni l’échange avec l’autre ne sont complè-tement installés. Il vaut mieux arrêter la récitation et parler à l’autre comme si nos mots étaient le man-tra. Il n’y en a pas d’autres que la parole pure. Il faut donc continuer à parler en se disant que les OM

MANI PEME HOUNG prennent une autre forme maintenant. C’est notre pratique de vigilance et de com-passion. OM MANI PEME HOUNG s’entend comme des phrases françaises sortant de notre bouche pour communiquer. Et quand la discussion est terminée, nous reprenons OM MANI PEME HOUNG. Mais rien n’a changé au niveau de l’esprit : même motivation, même non-identification. Cela continue donc tout le temps ainsi.

Question : Qu’appelle-t-on « le courant de l’être » ?

LL: Le courant de l’être, c’est la succession en continu des différents moments du vécu senso-riel, c’est un moment de conscience suivi par d’autres moments de conscience. Et comme dans une rivière tu n’as jamais la même rivière devant toi, c’est un fleuve, ça passe, notre courant d’être est pareil, nous ne sommes jamais la même personne, cela change d’un instant à l’autre. Tu ne peux pas définir les instants comme dans une rivière, tu ne peux pas dire : « Là, ça fait clic, clic, clic, clic, clic,

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la rivière passe. » Non, c’est un courant qui passe mais pourtant différent à chaque instant. C’est ce qu’on appelle un courant d’être.

Suite de la question : On parle d’instants de conscience qui sont des courants d’être…

LL: Oui, ce sont des instants sans que tu puisses en définir le début et la fin. C’est le change-ment continuel de l’être dans la conscience. Et ce changement arrive jusqu’à la mort, c'est-à-dire au moment de la séparation du corps et de l’esprit. Le corps va mourir mais l’esprit continuera avec d’autres instants après s’être détaché du corps. C’est comme une cascade dans la rivière qui continue dans un autre lit. Mais le courant n’est jamais coupé.

Le courant d’être d’un bouddha est-il séparé ou pas des autres ? Tant qu’il y a la force du karma ou la force des souhaits qui permet une manifestation individuelle, il y a une forme de séparation, d’individualité, même si l’esprit d’un bouddha est déjà complètement ouvert et plus hermétiquement fermé vis-à-vis des autres. Et lorsqu’un bouddha entre dans le parinirvana, c’est-à-dire quand il n’a plus de manifestation individuelle, à ce moment-là, il est dans la non différenciation des courants d’être.

Il semble que sur les hauts niveaux de réalisation, les huitième, neuvième, dixième bhoumis, ce soit la réalisation de la non différenciation des courants d’être. Il semble que là, les pratiquants réali-sent que finalement ils ne sont pas séparés, même si encore une manifestation extérieure se manifeste.

Question : Lâcher prise sur nos tendances à toujours saisir nos espoirs et nos craintes nous oblige à nous entraîner à la patience. Est-ce que nous pouvons forcer ce lâcher-prise ou faut-il se reti-rer à l’écart pour se mettre en retraite chaque fois que nous sommes sur le point de saisir ? Est-ce que nous devons renoncer perpétuellement à faire quelque chose qui ne va pas dire oui à ce qui va nous apporter au contraire le bonheur ?

LL: Oui, je comprends. Tu sais, pour le lâcher-prise, je ne trouve pas mieux que faire le geste avec la main. Saisir, nous connaissons très bien. Pour lâcher-prise, il ne faut pas de force, au contraire, il faut relâcher la force et ouvrir la main. Idem avec l’esprit : pour saisir, il lui faut de la force. Avec la volonté nous avons du mal à nous convaincre de lâcher prise. Il faut relâcher une tension présente. Une force mal dirigée doit s’équilibrer et ce n’est pas difficile à apprendre. Se retirer c’est bien, renoncer c’est bien, tout cela aide pour accomplir ce mouvement, pour ne pas saisir cet objet, je dois renoncer à cet objet pour que ma main lâche. Mais je pourrais aussi lâcher la main sans même être concerné par le renoncement, etc. Apprendre le geste de s’ouvrir dans l’esprit, c’est tout le chemin de l’éveil. C’est comme si l’esprit avait besoin de faire ce geste, tout le temps. Désolé, mais là je ne peux pas être plus précis que cela.

Nous pouvons contribuer à ce lâcher-prise en créant dans l’esprit une atmosphère qui le favo-rise. Par exemple, il est beaucoup plus facile de lâcher dans l’amour et dans la compassion que dans la haine. Il est plus facile de lâcher dans la générosité que dans l’avarice. Il est plus facile de lâcher dans la sagesse que dans l’ignorance. Il faut comprendre ce qui fait du mal. Quand je ressens la souffrance, il est facile de lâcher à ce moment-là, mais tant que je ne ressens pas la souffrance, je continue à saisir. C’est comme avec la main, si elle saisit un objet qui brûle, il est facile de lâcher immédiatement ; nous ne nous demanderons même pas comment faire, nous lâcherons tout de suite parce que nous avons compris que c’est douloureux. Dans l’esprit, c’est pareil. Dès que nous comprenons que cela fait vrai-ment du mal, nous lâchons, mais tant que nous ne comprenons pas, nous saisissons encore. Il y a en-core une promesse de bonheur. Et parce que cette promesse de bonheur est présente, nous saisissons.

Quant aux expériences sensorielles, nous ne les lâcherons pas tout de suite parce que nous sommes encore convaincus que les rayons du soleil, etc. nous rendent heureux. Nous ne lâcherons donc pas notre attachement pour eux. Nous lâcherons là où nous sommes déjà convaincus que cela procure de la souffrance. Pour le reste, nous déciderons plus tard.

Question : Y a-t-il des aspects qui n’entrent pas dans le courant de l’être ?

LL: Y aurait-il quelque chose dans notre vécu humain qui ne ferait pas partie de ce courant d’être ?

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Suite de la question : Par exemple quand on est dispersé, qu’on n’est pas du tout conscient de ce que l’on fait. Est-ce que cela fait partie aussi du courant ?

LL: Oh oui, cela fait partie du courant d’être. Regarde : là il y a un instant qui réfléchit sur Ha-waï. Après, un autre réfléchit sur ton compagnon, un autre sur ton chien, sur ce que tu veux manger, ou qui se plaint d’avoir mal au genou… Ces instants qui se suivent, en les regardant ensemble, on dirait qu’il s’agit de la distraction. Mais chaque instant représente juste un vécu, ce sont des pensées qui se suivent, ce sont des moments de conscience. C’est ce qui fait le courant d’être, il est constitué de différentes pensées, impressions sensorielles, évaluations. Tout ceci est une succession d’innombrables instants de conscience. Comprends-tu ?

– Je comprends que je ne comprenais pas !

LL: D’accord. Donc, peu importe où se trouve ton esprit en ce moment même, il est là où il est, il pense ce qu’il veut. L’esprit ne s’arrête pas, il fait ce qu’il veut avec le temps qu’il a, mais il ne s’arrête pas. C’est ce qu’on appelle un courant d’être.

Treizième enseignement

Nous voici à la fin du soutra. Après avoir médité les facteurs d’éveil, le Bouddha enchaîne avec une petite explication sur la vigilance par rapport aux Quatre Nobles Vérités.

Regardons ce qu’il nous dit :

« Puis nous demeurons dans la contemplation des dharmas par rapport aux Quatre Nobles Vé-rités. Comment le faisons-nous ?

Ici, nous savons en accord avec la vérité : ‘Ceci est souffrance’. Nous savons en accord avec la vérité : ‘Ceci est la cause de la souffrance’. Nous avons en accord avec la vérité : ‘Ceci est la cessation de la souffrance’. Nous savons en accord avec la vérité : ‘Ceci est le chemin à la cessation de la souffrance’. »

Chaque énumération des Quatre Nobles Vérités est précédée par : « en accord avec la vérité ». Au moment où nous recevons cet enseignement, nous ne savons pas encore ce que cela signifie. Il faut mener une investigation plus profonde pour voir ou savoir ce que cela veut dire.

« Savoir en accord avec la vérité : ‘Ceci est souffrance’. » Le mot souffrance (dukkha) peut être traduit de différentes manières. Il signifie tout simplement que nulle part dans les six royaumes d’existence, il n’y a de bonheur à trouver. Nous pouvons en être choqués parce que ce matin il fait beau et que nous ne sommes pas vraiment dans la souffrance. Mais regardons bien « en accord avec la vérité » : depuis ce matin nous sommes dans la saisie dualiste, nous avons de nombreux espoirs et craintes, beaucoup de pensées ont fait tourbillonner notre esprit. Ceci est en accord avec la vérité qui s’appelle « souffrance ». Je vous rappelle les trois degrés de souffrance :

1. La souffrance évidente : aujourd’hui, peut-être n’est-elle pas très présente pour certains d’entre vous, mais elle l’est pour d’autres.

2. La souffrance due à l’attachement à ce qui change : elle était probablement présente. Soit nous nous sommes attachés au sommeil et il nous a été difficile d’accepter de nous réveiller et donc d’accepter que cela change ; soit nous nous sommes attachés à notre douche et nous avons eu envie de la prolonger ; ou à notre café et nous aurions bien aimé en boire un deuxième mais le gong pour la méditation sonnait déjà. Puis, nous nous sommes peut-être attachés à la méditation et elle s’est terminée trop vite, ou nous avons souhaité la voir se terminer plus rapidement. Vous voyez, les souffrances sont déjà en cours. Nous avons sim-plement à regarder un peu plus subtilement.

3. La souffrance de la saisie dualiste : elle est omniprésente. Elle découle des petites ou gran-des saisies, de fermeture du cœur qui nous accompagnent de manière inconsciente. Nous ne le remarquons même pas tellement nous y sommes habitués.

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En plus des formes de souffrances liées à l’attachement de ce qui est agréable, il en existe d’autres beaucoup plus difficiles à vivre : être séparés de ceux que nous aimons ou des biens que nous aimons ; le chagrin causé par le refus d’accepter la mort - notre propre mort et celle des autres - ; le refus d’accepter que des situations bienheureuses se terminent ; la perte de nos possessions, d’une liberté ; la fin des vacances, etc. Ces petits ou grands attachements créent de la souffrance lorsqu’ils sont attaqués par le changement dans la vie ou qu’ils sont remis en question.

Mais savoir en accord avec la vérité ce qu’est la souffrance, nous arrive seulement quand nous connaissons le contraste entre un esprit dans la saisie égoïste et un esprit libre de la saisie égoïste. Tant que nous ne connaissons pas cette différence, nous ne connaissons pas - en accord avec la vérité - « ceci est souffrance ». C’est seulement à ce moment-là que s’installe la certitude que toutes les for-mes d’existence plongées dans la saisie égoïste sont souffrance. Tout ce qui est conditionné par le moi, le je, « je veux, je ne veux pas », tout ceci est souffrance. Grâce à cette compréhension de la connais-sance en accord avec la vérité : ceci est la cause de la souffrance, nous savons que la cause (de la souf-france) c’est la saisie et c’est le karma, ce sont les tendances accumulées sur la base de cette saisie.

Par l’expérience de l’état d’esprit libre des saisies, nous connaissons ce qu’est la cessation (la fin) de la souffrance. Mais le Bouddha dit : « Voir cela une fois permet, l’espace d’un instant, de connaître déjà la cessation de la souffrance ». Par contre, un être pleinement éveillé connaît la cessa-tion de la souffrance complète, finale, elle ne reviendra plus. C’est la différence avec les autres prati-quants réalisés qui ont connu ou qui expérimentent à certains moments l’état complètement libre de souffrance mais dont les tendances dualistes reviennent. Un bouddha connaît donc la cessation défini-tive de la souffrance et les autres connaissent la cessation temporaire de la souffrance.

Ceux qui connaissent la cessation définitive de la souffrance connaissent aussi tout le chemin qui mène à la fin de la souffrance. En d’autres termes : ils ont parcouru le chemin qui mène à la joie véritable, celui de la vision sur lequel a lieu la compréhension de la différence entre état dualiste et non duel et ont ensuite continué jusqu’à l’éveil complet. Ils connaissent donc tout le chemin qui mène à la cessation définitive de la souffrance. Ils ont accompli cette pratique de vigilance – être toujours pré-sent à ce qui est – et comprennent en accord avec la vérité, où se situe véritablement le problème de tous les êtres, quelle en est la cause, quelle est la solution et comment effectuer la cure, la guérison.

Problème � diagnostic des causes � guérison possible � thérapie (chemin de guérison).

Grâce à l’observation des faits de l’existence, de la réalité, un bouddha connaît la maladie, le diagnostic, la guérison et le chemin de la guérison (la thérapie). J’imagine que c’est pour cette raison que le livre de Thich Nhat Hanh sur le Satipatthana est appelé « Transformation et guérison ». Trans-formation, parce que notre vision de la réalité change. Notre vision des choses se transforme grâce à la vigilance et nous conduit à la guérison. Il est donc très correct d’appeler la pratique de Satipatthana une pratique de transformation et de guérison. Un bouddha peut être considéré comme un être complè-tement guéri.

Comme vous avez dû le voir, l’autre moitié de notre texte est l’explication du Bouddha Sha-kyamouni sur la pratique de la vigilance par rapport aux Quatre Nobles Vérités. Je propose de l’étudier l’année prochaine pour approfondir notre compréhension du Satipatthana et apprendre en même temps tout ce qui concerne les Quatre Nobles Vérités. C’est le cœur du cœur de l’enseignement du Bouddha. Quand on nous demande : « Qu’est-ce que le Bouddha a enseigné ? » Nous répondons : « Les Quatre Nobles Vérités ». Mais il faut aussi prendre le temps d’en étudier le sens et le mettre en pratique. Cette partie se trouve dans le Maha Satipatthana Soutra plus long que le Satipatthana Soutra où le Bouddha ne les explique que sommairement. Il nous amène à une compréhension sur la façon d’appliquer notre pratique de vigilance vis-à-vis du cœur de son enseignement : la compréhension des Quatre Nobles Vérités.

Nous pourrons ainsi approfondir la pratique de vigilance, continuer celle du Satipatthana, clari-fier encore des questions et aller plus loin, jusqu’à une compréhension plus juste des Quatre Nobles Vérités. Nous pourrons en même temps reprendre le livre de Gampopa « Le Précieux Ornement de la Libération » et son explication des Quatre Nobles Vérités, qui est une approche traditionnelle. Et de cette manière faire le lien entre l’enseignement dans la tradition palie et l’enseignement dans notre tradition Kagyu. Pour conclure l’étude du Précieux Ornement de la Libération, j’ai aussi l’idée de

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continuer l’explication de ce que sont la bouddhéité et l’activité d’un bouddha. Je n’en suis pas là, mais il existe heureusement des explications à ce sujet.

Pourquoi enseigner les deux derniers chapitres du Précieux Ornement de la Libération ? Pour expliquer la troisième Noble Vérité : la cessation de la souffrance. Où mène notre chemin ? Quel est le but ? Où allons-nous avec toutes ces pratiques ? Que disent les êtres éveillés sur l’accomplissement complet du chemin du dharma ? Qu’appelle-t-on la libération ?

Pendant ce stage, nous avons pu pratiquer un peu de vigilance. Et à la fin de ce soutra, une pro-phétie nous encourage à aller davantage dans cette direction. Je vais vous la lire puis en faire quelques commentaires.

« Pratiquants, si quiconque développe de cette manière ces quatre façons d’établir la vigilance pendant sept ans, il peut s’attendre à l’un de des deux fruits : soit la connaissance finale ici et mainte-nant, ou – s’il reste encore une trace de saisie – le non-retour. »

La « connaissance finale », c’est la libération complète, la fin de toute saisie. Ce sont toutes les différentes réalisations d’arhats, du premier état d’arhat, à l’état d’arhat suprême. Ils sont tous complè-tement libérés et pour eux ce sera la connaissance finale. Mais s’il leur reste une toute petite trace de saisie, ils renaîtront dans une terre pure et s’ils le souhaitent, ne reviendront plus sur terre. Dans cette terre pure, ils obtiendront la libération complète, appelée le non-retour. Sur le chemin du bodhisattva, il est possible de faire des souhaits pour revenir mais ce retour n’est pas obligatoire.

Quand on entend sept ans, il ne faut pas prendre ce chiffre littéralement. En Inde, le chiffre sept est un chiffre rond – ce pourrait être six ou huit ans – qui signifie un cycle complet (bien moins long que la durée d’une vie humaine), un engagement complet. Et le Bouddha continue :

« Mais, non seulement après sept ans, si quiconque développe une telle vigilance pendant six ans, on peut s’attendre au même fruit23. Mais aussi déjà après cinq ans, après quatre ans, après trois ans, après deux ans, après un an d’une telle vigilance, on peut s’attendre au même fruit. »

Donc, rien n’exclut que nous ne pourrions pas atteindre l’éveil plus tôt. La question est juste de pouvoir comprendre les Quatre Nobles Vérités - en accord avec la vérité.

« Mais, non seulement après un an, si quiconque développe une telle vigilance pendant sept mois, on peut s’attendre au même fruit, mais aussi déjà après six mois, après cinq mois, après quatre mois, après trois mois, après deux mois, après un mois, ou même après juste un demi mois d’une telle vigilance. »

Un demi mois c’est quatorze jours. Nous en avons raté deux. Mais nous avons pratiqué quand même douze jours de vigilance et ce n’est pas encore terminé ! Quand vous regardez les chiffres, ne soyez pas étonnés (comme j’ai pu l’être) qu’après un an on passe à sept mois. On ne parle pas de onze mois, ni de dix. Encore une fois, c’est un chiffre rond. Sept mois, cela ne veut pas dire six, sept ou huit mois, mais un engagement complet. C’est une phase ronde, entière. Cette phase peut aussi être plus courte mais il faut un engagement complet pendant toute sa durée. Et le Bouddha n’exclut pas du tout la possibilité de s’éveiller au bout d’un demi mois seulement. Pour cela, il faut pratiquer la vigilance jour et nuit, être toujours conscient de ce qui est, et de la nature de ce que l’on vit.

« Maintenant, non seulement après un demi mois, si quiconque développe ces quatre façons d’établir la vigilance de cette manière seulement pour sept jours, on peut s’attendre à l’un des deux fruits : soit la connaissance finale ici et maintenant, ou – s’il reste encore une trace de saisie – le non-retour. »

Sept jours, nous les avons faits ! Personnellement j’ai fait sept jours souvent et même sept ans. Cela n’a pas vraiment abouti parce que je crois qu’il y avait un manque d’attention, un manque de présence complète. Mais les fruits de la vigilance sont là, c’est une évidence. Donc, peu importe la durée du cycle, cela portera des fruits même si ce cycle est très bref. Bien entendu, plus nous prati-quons la vigilance, plus ce sera porteur de résultats.

23 C'est-à-dire les deux fruits différents.

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Il faut savoir que certains disciples du Bouddha se sont éveillés grâce à la pratique de vigilance pendant les phases de sept jours, deux semaines ou un mois. D’autres aussi ont trouvé l’éveil durant des périodes supérieures à sept ans. Mais la plupart des disciples ont atteint rapidement l’état d’arhat alors qu’ils pratiquaient près du Bouddha, ce qui est un grand signe montrant combien la présence du Bouddha était inspirante et qu’à son contact la pratique était extrêmement facile. Il faut savoir aussi que ceux qui l’ont rencontré avaient déjà acquis un énorme mérite. Si nous étions auprès de lui, c’était peut-être comme fourmi, sinon nous serions déjà éveillés.

Des disciples tels qu’Ananda, qui ont suivi et servi le Bouddha pendant vingt ou vingt-cinq ans et qui n’avaient pas encore obtenu la libération complète, l’ont atteinte quelques semaines seulement après le parinirvâna du Bouddha. Par la suite, Ananda (auparavant c’était Kasyapa) est resté pendant quarante ans le régent du Bouddha. Pendant tout ce temps il a dirigé la sangha et veillé sur son bon fonctionnement. – Le Bouddha conclut le soutra avec un vers presque identique à celui du tout début :

« Pratiquants, voici le chemin unique qui conduit à la purification des êtres, à surmonter les douleurs et les lamentations, à la destruction de la souffrance et du mécontentement, à l’acquisition de la méthode juste, et à la réalisation du nirvana – le chemin des quatre établissements de la vigi-lance. »

Il dit : « Je vous ai expliqué la méthode et montré le chemin pour obtenir la libération complète. A vous maintenant de pratiquer. »

« C’est là ce que dit le Bienheureux. Gratifiés, les pratiquants prirent grand plaisir à ses paro-les. »

L’étude du soutra est terminée. A nous maintenant d’en faire bon usage. Je souhaite que vous puissiez garder le texte auprès de vous sur votre table de chevet ou de méditation, pour lire de temps en temps des passages et vous en inspirer. Amenez ce texte dans votre pratique, non pas pour la rem-placer, mais pour apporter de la vigilance chaque fois que vous pratiquez et aussi dans les activités du quotidien. Que tout soit maintenant un exercice de vigilance et que cette vigilance accompagne chaque instant de votre vie.

Pour faciliter les choses, le plus important à lire et à relire c’est l’instruction sur le chemin uni-que qui se trouve sur la page 1 (2e §). Il est également très utile de relire tout ce qui concerne la respi-ration, les postures, les activités (page 2 et 3). Et à partir de cela, nous pourrons choisir ce qui nous semble le plus intéressant, le plus stimulant pour notre pratique. Par moments il faut se concentrer sur un des aspects et le méditer jour après jour, par exemple sur les cadavres en décomposition jusqu’à ce que cela entre profondément dans notre compréhension. Puis, nous pouvons laisser cette méditation pour nous concentrer sur autre chose : les agrégats, les éléments… ou aller plus loin dans la méditation sur les dharmas, etc. Mais chaque fois que nous choisissons une méditation, il ne faut pas la faire une fois seulement et l’abandonner. L’effet, le bienfait, d’une telle méditation contemplation ne sera béné-fique que grâce à la répétition pour que cela entre profondément dans notre compréhension. Je vous encourage tous à toujours revenir sur la respiration, le souffle, les activités, les postures, parce que c’est là où nous sommes le plus stable. Si nous perdons tout le reste de la pratique, si nous sommes vraiment dans un ouragan de pensées, ce sera notre base, nous pourrons nous appuyer dessus.

Pour ceux qui veulent avoir une pratique assez équilibrée de la vigilance (qui souhaitent donc en faire une pratique principale), il convient de toujours méditer un des quatre éléments, c’est-à-dire de faire une pratique en relation avec le corps, puis les sensations, regarder l’esprit et faire une investiga-tion des dharmas. Et dans chacune de ces facettes de la pratique de la vigilance, vous pouvez choisir celle qui vous parle le plus. Par exemple avec la vigilance par rapport à l’esprit, nous n’avons pas tou-jours besoin de méditer ces dizaines de formes d’esprit différentes, nous pouvons nous concentrer pendant quelque temps sur le thème qui nous paraît le plus important, par exemple la colère. La co-lère/aversion est-elle présente ou pas ? Comment apparaît-elle ? Comment disparaît-elle ? Que puis-je faire pour que la colère n’apparaisse plus ? Il faut donc amener sur les différents états mentaux toutes ces instructions de la méditation sur les dharmas. Et si la colère n’est pas le thème favori, nous pou-vons choisir l’orgueil parce que nous voulons en être conscients. Nous le prenons tous les jours comme un objet de méditation jusqu’à ce que nous souhaitions changer.

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Celui qui souhaite en faire une pratique complète, devra passer par toutes les étapes et tous les exercices, en faisant véritablement chaque instruction du soutra. Ainsi notre pratique commencera à être plus panoramique.

Ceux qui souhaitent aller plus loin dans le mahayana, devront toujours regarder si la bodhicitta est présente, comment elle peut apparaître, pourquoi elle disparaît, pourquoi elle s’accroît, pourquoi elle devient plus forte dans leur esprit, et comment ils peuvent faire pour qu’elle y soit toujours pré-sente.

Si quelqu'un souhaite joindre la pratique de vigilance à une pratique du vadjrayana, c'est-à-dire en relation avec un gourou yoga ou un yidam ou même avec une pratique de protecteurs (mais cela ne vous concerne pas), il lui faudra amener tout le temps la vigilance sur la vision pure, c'est-à-dire se voir lui-même comme étant le yidam, sans saisie, voir tout l’environnement comme l’expression pure de la conscience intemporelle, voir tous les êtres comme des bouddhas et accomplir ainsi une pratique de vigilance sur la nature véritable des choses.

Pratiquer le mahamoudra voudra dire qu’à ce moment-là, même si nous n’utilisons pas la visua-lisation d’un yidam, nous nous servons toujours de la vigilance pour ne pas saisir, rester dans l’état le plus naturel de notre esprit ; si des saisies s’installent, les remarquer, et pratiquer le lâcher-prise pro-fond dans la conscience du non-soi.

La récitation du mantra stabilise l’esprit dans la non-saisie. Habituellement elle fait partie du vadjrayana et nous amène à moins saisir les phénomènes.

Toutes ces pratiques de vigilance ne sont pas du tout séparées. Si quelqu'un veut simplement faire le refrain du Satipatthana, il sera automatiquement dans le mahamoudra. Le refrain est la partie qui suit chaque exercice, il indique les clés mêmes de la pratique du Satipatthana. Ici, la question de pratiquer la vigilance ne se pose même pas.

Si quelqu'un souhaite atteindre la libération et l’éveil, il doit savoir que sans vigilance il n’y a pas de chemin. La seule question que nous pourrions nous poser serait de comment nous motiver pour être toujours vigilants.

Vous avez dû noter que pratiquer la vigilance n’est pas toujours plaisant parce que nous remar-quons trop de choses. C’est le seul obstacle. Il faut être prêts à devenir conscients de tout ce qui se passe. Finalement il s’agit de se stimuler, de regarder clairement et ne plus se cacher derrière les voi-les. Enlevons les voiles ! Pour cela il faut du courage. Et c’est là où ce courage sera décisif pour notre pratique, la vigilance n’est pas toujours agréable car nous voyons des choses que parfois nous aime-rions ne pas voir. Il faut être courageux pour enlever les voiles. C’est comme le matin quand nous voulons dormir encore un peu et qu’une autre partie de nous dit : « Non, lève-toi et ouvre les ri-deaux. » C’est cette attitude-là qu’il faut avoir vis-à-vis de notre propre vécu. – Ceci termine, pour ce stage, les instructions sur le Satipatthana.

Nous allons faire la pratique de Gampopa avec tsok. Dès que nous serons prêts nous installerons toutes les offrandes. J’ai été très touché par votre pratique pendant ce stage. J’ai pu voir à quel point vous vous êtes appliqués à exécuter les instructions. Cela m’a beaucoup réjoui et me donne confiance pour continuer dans cette direction.

Question : S’il reste encore une trace de saisie, le fruit est le non retour, et tu as dit que l’on pouvait renaître dans une terre pure, mais qu’en est-il des vœux de bodhisattvas, pour quelqu’un qui veut revenir ?

LL: Oui, c’est là où tu peux te décider de revenir, mais ce retour ne sera pas obligatoire.

Dédicace.

Un grand « Merci » à Danièle, Annie et Chantal pour cette transcription !