3

Click here to load reader

Scènes de Musée - Le monde 01 06 13 2

Embed Size (px)

DESCRIPTION

En lien avec le blog invisibl.eu http://invisibl.eu/fr/la-scenographie-dans-lactualite/

Citation preview

Page 1: Scènes de Musée - Le monde 01 06 13 2

de Kinga Grzech, dans " La Lettrede l'OCIM n°96 " (2004).

Consultable sur le site de l'Officede coopération et d'informationmuséales, www.ocim.fr

LA CHARTE

DE L'ASSOCIATIONSCÉNOGRAPHES

sur son site www.scenographes.fr

[-] fermer

article suivant 1er juin 2013 Inventer la frugalité

Scènes de musée

L'exposition " Upside down-Les Arctiques ", au musée du Quai Branly en janvier 2009.

JULIEN CHATELIN/DIVERGENCE

Chargés de présenter les oeuvres d'expositions de manière attractive, les scénographesprennent du pouvoir. Quitte, parfois, à produire des effets trop appuyés et à indisposercommissaires et conservateurs

Les scénographes sont des prédateurs de l'architecture publique. Ilsfabriquent du pouvoir. C'est "no limit". " Rudy Ricciotti n'y va pas demain morte. L'architecte du Musée des civilisations de l'Europe et dela Méditerranée (MuCEM), qui ouvrira ses portes le 7 juin àMarseille, et du département des arts islamiques du Louvre, inauguréen 2012, peste contre ceux qui mettent en scène les collections desmusées et les expositions. Il ne digère toujours pas le sous-sol dudépartement des arts de l'islam au Louvre, avec son enfilade devitrines multipliant les reflets parasites et ses panneaux masquantl'escalier qu'il a conçu. " Chaque fois, on glisse vers l'emphase,ajoute-t-il. Il y a une monumentalisation de la scénographie. "

Les scénographes auraient-ils pris le pas sur les conservateurs ? Defait, les institutions se laissent souvent tenter par une mise en scèneoutrancière. La muséographie du Quai Branly, à Paris, avait donné letempo en jouant sur la pénombre et l'esprit " jungle ". Le parcours enzigzag y favorise l'errance, au point que le visiteur en perd parfois son chemin, sortant du musée la têtechargée d'objets dont il ne saisit pas toujours les fonctions. A trop redoubler d'effets, on privilégie lecontenant sur le contenu.

Dans l'exposition " Bohèmes ", organisée en 2012 au Grand Palais, à Paris, une tente installée par le

" LA SCÉNOGRAPHIED'EXPOSITION, UNEMÉDIATION PARL'ESPACE "

Page 2: Scènes de Musée - Le monde 01 06 13 2

metteur en scène canadien Robert Carsen masquait littéralement les oeuvres de Van Gogh et Fantin-Latour. La même année, la scénographie de Dominique Jakob et Brendan MacFarlane pour " LesMaîtres du désordre ", une exposition du Quai Branly consacrée à la notion de chaos, se révélaitpercutante, mais aussi redondante : la beauté convulsive des pièces n'avait guère besoin d'êtresoulignée.

Sylvain Amic, commissaire de " Bohèmes ", réplique aux sceptiques que " les scénographes nes'imposent pas : on va les chercher. Ils arrivent au bon moment ". Jean-Paul Cluzel, président duGrand Palais, va plus loin : " Chez nous, les scénographes ne font pas la loi, ils nous servent. " Pour lui,la mise en scène participe de la pédagogie. Une médiation au prix élevé : 650 000 euros pour " LesMaîtres du désordre ", sur un budget de 1,2 million d'euros ; 500 000 euros pour " Bohèmes ", sur unbudget de 2,5 millions d'euros. Même somme pour " L'Impressionnisme et la mode " au Musée d'Orsay,à Paris, et pour Edward Hopper au Grand Palais - sur un budget d'environ 4 millions d'euros -, dont lascénographie était pourtant d'une grande simplicité.

Toutes les expositions ne sont pas aussi coûteuses : au Musée d'Orsay, la plupart des mises en scène nedépassent pas 150 000 euros ; au Quai Branly, la consigne est de réduire ce poste à 40 % du budget desexpositions ; au Louvre, la muséographie du département des arts de l'islam avoisine les 4 millionsd'euros, une paille dans un budget d'aménagement de 98,5 millions d'euros. La charte de l'associationScénographes réclame en outre un droit de représentation et de reproduction, au titre du droit d'auteur- ce qui, en gros, mettrait le scénographe sur un pied d'égalité avec le commissaire, l'artiste etl'architecte.

Lorsqu'on les interroge, les scénographes affirment travailler main dans la main avec les conservateurs." Nous avons des objectifs communs avec des outils différents, explique Adrien Gardère, scénographede "La Galerie du temps", au Louvre-Lens. C'est quelque chose d'infiniment collectif. Chacun apportesa part, mais modifie aussi la part de l'autre. " Pour son confrère Renaud Piérard, muséographe dudépartement des arts de l'islam, " les conservateurs écrivent le livret, les scénographes la musique ".Hélène Fulgence, directrice du développement culturel au Quai Branly, évoque toutefois des "préséances " et précise les places de chacun : " Il est clair que le commissaire inspire et dirigel'architecture. "

Cependant, l'un prend parfois le dessus sur l'autre. L'agencement choisi pour " La Galerie du temps " aforcément pesé dans la sélection des pièces exposées : rien n'étant accroché aux murs - les modules sonten hauteur, dans l'espace -, certaines oeuvres, notamment les plus petites, ne peuvent pas êtredéployées. Y a-t-il eu bras de fer ? " Chacun a eu des convictions qui pouvaient entrer en friction, maiscela a toujours été en grande intelligence ", indique Adrien Gardère, le scénographe.

Tout est question de souplesse. A la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, à Paris, lascénographie épousait la première esquisse de projet de la conservatrice, mais pas son évolution :entre-temps, le dialogue s'était grippé. Au Louvre Abou Dhabi, les relations entre la scénographeNathalie Crinière, initialement choisie sur concours, et Laurence des Cars, directrice scientifique deFrance-Muséums, ont tourné au vinaigre. Motif ? Un programme scientifique mal ficelé et unecollection encore en constitution. Difficile de mettre la charrue devant les boeufs...

Les tandems conservateur-scénographe ne trouvent pas toujours le bon dosage. Sur "L'Impressionnisme et la mode ", Robert Carsen gratifiait le visiteur d'un final très Disney avec uncalamiteux gazon artificiel agrémenté de gazouillis d'oiseaux. " Les puristes, leur job, c'est d'être purs,explique le scénographe. Le mien, c'est de raconter une histoire et d'aider à concentrer le regard. Ilfaut créer une atmosphère unique, ce qui n'empêche pas l'exposition d'être moins scientifique que lesautres. C'est comme emmener les peintures en vacances. "

En vacances ou en parade ? " Les oeuvres d'art ne sont pas là pour qu'on se prosterne devant ellesmais pour être considérées et regardées, oppose Guy Cogeval, le président du Musée d'Orsay, à ceuxqui critiquent les scénographes. Si j'avais été seul à choisir, je n'aurais pas mis le bleu ciel, le gazon etle chant des oiseaux. J'ai discuté sur les murs en pierre, mais Robert Carsen avait une vision del'exposition et il a rebattu les cartes. "

Page 3: Scènes de Musée - Le monde 01 06 13 2

Sylvain Amic, le commissaire de l'exposition " Bohèmes ", a accepté les artifices kitsch du papier peintdéchiré : le scénographe voulait restituer l'atmosphère d'une mansarde. " On aurait pu se passer d'unou deux effets, reconnaît-il. Mais je préfère oser que ne pas oser. Produire une scénographie épurée,c'est tout ce qu'il y a de plus facile. Mais, si je l'avais fait, le grand public n'aurait pas suivi. Il ne fautpas oublier que nos concurrents, c'est le cinéma et la musique. Avec 8 euros, les gens vont voir Avatar,il faut qu'on ait des arguments à leur proposer. "

Les musées sont en effet de grandes machines à attirer des centaines de milliers de visiteurs. Ils doiventconserver les habitués, qui tiquent souvent devant l'emphase, mais aussi s'ouvrir à d'autres publics.Avec plus de 180 000 visiteurs, l'exposition " Upside down-Les Arctiques ", mise en scène par Jean deGastines, a ainsi fait décoller la fréquentation du Quai Branly en 2008. " Il faut plaire à tout le monde,c'est compliqué, mais c'est le cahier des charges, souligne Nathalie Crinière. Il y a une guerre desexpositions : c'est un business, il ne faut pas se leurrer. "

Certains s'opposent pourtant à cette tentation de l'effet. Nicolas Bourriaud, directeur de l'Ecolenationale supérieure des beaux-arts de la capitale, a ainsi inauguré le 24 avril le Palais des beaux-artsde Paris, le centre d'art de l'établissement, avec un parti pris : utiliser les mêmes cimaises et les mêmesstructures pour toutes ses futures expositions. " La scénographie a pris une place exorbitante dans ledispositif des expositions, estime-t-il. C'est la faillite du commissariat, qui doit intégrer cette questiondans son travail. "

Roxana Azimi

© Le Monde

article précédent article suivant Un roman à 230 mains Inventer la frugalité