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J Radiol 2008;89:259-61 © Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2008 Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés fait clinique ostéoarticulaire Sciatique paralysante révélant un phéochromocytome malin extra surrénalien S Jerbi Omezzine (1), C Hafsa (2), R Letaief (3), H Krifa (4), A Gannouni (2) et HA Hamza (1) e phéochromocytome est une tu- meur rare (1-4) développée aux dé- pens des cellules chromaffines de la médullosurrénale (2, 3, 5). Les localisa- tions extra-surrénaliennes sont retrou- vées dans 10 % des cas (2, 5-7). Souvent, elles sont des formes malignes (5, 8). Nous rapportons le cas d’une localisation extra-surrénalienne d’un phéochromocy- tome malin révélé par une sciatique para- lysante. Observation Il s’agit d’une femme âgée de 29 ans, sans antécédent pathologique particulier, qui avait consulté en neurochirurgie pour des sciatalgies gauches de type S1 avec lour- deur des membres inférieurs, évoluant progressivement vers une paralysie complète. Ce tableau était associé à une altération de l’état général, dans un contexte d’apyrexie. L’examen clinique montrait un déficit mo- teur et sensitif des deux membres inférieurs. Les radiographies standard du rachis lombosacré de face et de profil (fig. 1) objectivait un élargissement du premier foramen sacré gauche. Une tomodensitométrie lombaire (fig. 2) réalisée avant et après injection intravei- neuse de produit de contraste a montré une volumineuse masse tissulaire prenant naissance à partir du premier foramen sacré gauche, et s’étendant au niveau de l’espace pré sacré. Cette lésion, hypoden- se, ne contenait ni calcification ni graisse. Elle mesurait 12 cm de grand axe et se re- haussait en périphérie après injection in- traveineuse de produit de contraste. Elle refoulait en avant et à droite les organes de voisinage et les vaisseaux iliaques gauches. À l’IRM, la lésion était en hyposignal en T1 et en hypersignal hétérogène en T2 (fig. 3). Après injection intraveineuse de produit de contraste (fig. 4), elle se re- haussait en périphérie délimitant une pla- ge centrale en hyposignal en rapport avec de la nécrose tumorale. La masse infiltrait le rectum, la vessie et l’utérus. Le bilan biologique et les marqueurs tumoraux étaient normaux. Devant cet aspect le diagnostic de neuri- nome sacré avec une extension endo et extra-canalaire était retenu. La conduite était d’opérer la patiente. En peropératoire, il s’agissait d’une volumineuse tumeur pelvienne rétro-péritonéale présacrée, latéralisée à gauche refoulant et envahis- sant le rectum, l’utérus et la vessie et engainant les vaisseaux iliaques gauches. Une réduction tumorale dans un but de décompression a été réalisée. Key words: Pheochromocytoma. Extraadrenal. Radiology. Mots-clés : Phéochromocytome. Extra surrénalien. Imagerie. L Fig. 1 : Radiographies de face (a) et de profil (b) montrant une opa- cité pelvienne latéralisée à gauche avec élargissement du premier foramen sacré homolatéral. ab (1) Service d’Imagerie Médicale, CHU Taher Sfar, Mahdia, Tunisie. (2) Service d’Imagerie Médicale, CHU Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie. (3) Service de chirurgie Générale, CHU Sahloul, Sousse, Tunisie. (4) Service de Neurochirurgie, CHU Sahloul, Sousse, Tunisie. Correspondance : S Jerbi Omezzine, rue Jaouher Sekkili, nouvelle cité, 5090 Bekalta, Tunisie. E-mail : [email protected]

Sciatique paralysante révélant un phéochromocytome malin extra surrénalien

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Page 1: Sciatique paralysante révélant un phéochromocytome malin extra surrénalien

J Radiol 2008;89:259-61© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2008

Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

fait clinique

ostéoarticulaire

Sciatique paralysante révélant un phéochromocytome malin extra surrénalien

S Jerbi Omezzine (1), C Hafsa (2), R Letaief (3), H Krifa (4), A Gannouni (2) et HA Hamza (1)

e phéochromocytome est une tu-meur rare (1-4) développée aux dé-pens des cellules chromaffines de la

médullosurrénale (2, 3, 5). Les localisa-tions extra-surrénaliennes sont retrou-vées dans 10 % des cas (2, 5-7). Souvent,elles sont des formes malignes (5, 8).Nous rapportons le cas d’une localisationextra-surrénalienne d’un phéochromocy-tome malin révélé par une sciatique para-lysante.

Observation

Il s’agit d’une femme âgée de 29 ans, sansantécédent pathologique particulier, quiavait consulté en neurochirurgie pour dessciatalgies gauches de type S1 avec lour-deur des membres inférieurs, évoluantprogressivement vers une paralysiecomplète. Ce tableau était associé à une

altération de l’état général, dans uncontexte d’apyrexie.L’examen clinique montrait un déficit mo-teur et sensitif des deux membres inférieurs.Les radiographies standard du rachislombosacré de face et de profil

(fig. 1)

objectivait un élargissement du premierforamen sacré gauche.Une tomodensitométrie lombaire

(fig. 2)

réalisée avant et après injection intravei-neuse de produit de contraste a montréune volumineuse masse tissulaire prenantnaissance à partir du premier foramensacré gauche, et s’étendant au niveau del’espace pré sacré. Cette lésion, hypoden-se, ne contenait ni calcification ni graisse.Elle mesurait 12 cm de grand axe et se re-haussait en périphérie après injection in-traveineuse de produit de contraste. Ellerefoulait en avant et à droite les organes devoisinage et les vaisseaux iliaques gauches.

À l’IRM, la lésion était en hyposignal enT1 et en hypersignal hétérogène en T2

(fig. 3)

. Après injection intraveineuse deproduit de contraste

(fig. 4)

, elle se re-haussait en périphérie délimitant une pla-ge centrale en hyposignal en rapport avecde la nécrose tumorale. La masse infiltraitle rectum, la vessie et l’utérus.Le bilan biologique et les marqueurstumoraux étaient normaux.Devant cet aspect le diagnostic de neuri-nome sacré avec une extension endo etextra-canalaire était retenu. La conduiteétait d’opérer la patiente. En peropératoire,il s’agissait d’une volumineuse tumeurpelvienne rétro-péritonéale présacrée,latéralisée à gauche refoulant et envahis-sant le rectum, l’utérus et la vessie etengainant les vaisseaux iliaques gauches.Une réduction tumorale dans un but dedécompression a été réalisée.

Key words:

Pheochromocytoma. Extraadrenal. Radiology.

Mots-clés :

Phéochromocytome. Extra surrénalien. Imagerie.

L

Fig. 1 : Radiographies de face (a) et de profil (b) montrant une opa-cité pelvienne latéralisée à gauche avec élargissement du premier foramen sacré homolatéral.

a b

(1) Service d’Imagerie Médicale, CHU Taher Sfar, Mahdia, Tunisie. (2) Service d’Imagerie Médicale, CHU Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie. (3) Service de chirurgie Générale, CHU Sahloul, Sousse, Tunisie. (4) Service de Neurochirurgie, CHU Sahloul, Sousse, Tunisie.Correspondance : S Jerbi Omezzine, rue Jaouher Sekkili, nouvelle cité, 5090 Bekalta, Tunisie. E-mail : [email protected]

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Sciatique paralysante révélant un phéochromocytome malin extra surrénalien

S Jerbi Omezzine et al.

L’examen histologique a conclu à un phéo-chromocytome malin extra surrénalienrétropéritonéal.La patiente est décédée en postopératoireimmédiat suite à un collapsus cardio-vasculaire.

Discussion

Le phéochromocytome est une tumeur rare(1-4) développée aux dépens des celluleschromaffines de la médullosurrénale, dontla principale caractéristique est la synthèseet la sécrétion des catécholamines (2, 3, 5).Les phéochromocytomes siègent en dehorsdes aires surrénaliennes (phéochromocyto-mes ectopiques ou paragangliomes) dans10 % des cas (2, 5-7). Ils se localisent de la ré-gion cervicale à la région pelvienne le longdes chaînes ganglionnaires sympathiques(5-7). Dans 90 % des cas, ils sont de siège

sous diaphragmatique et dans 10 % des cassus-diaphragmatique (1, 2, 5). La localisa-tion ectopique abdominale para-aortiquesupérieure est la plus fréquente (50 % descas) (4, 5). Les autres localisations abdomi-nales sont représentées, essentiellement, parl’organe de Zuckerkandl (29 %), la vessie(12 %) et la localisation sacrée ou rectale(2 %) (5, 6). Les localisations extra-abdomi-nales (médiastin et cou) sont exceptionnelles(7).Les formes malignes sont rares (10 %) (1,2, 6) et surviennent plus fréquemmentdans les tumeurs extra surrénaliennes (5,8). Le seul critère de malignité est la pré-sence de tissu tumoral secrétant dans destissus normalement dépourvus de celluleschromaffines (2, 4).La tomodensitométrie (TDM) est réaliséesans et avec injection d’iode par voie in-traveineuse. Bien que des poussées hyper-tensives eussent été décrites, l’utilisation

du produit de contraste n’est pas unecontre indication et un traitement pré-ventif des poussées hypertensives lors del’examen par alpha bloquant n’est pasobligatoire (1, 2).Les formes ectopiques ont souvent un as-pect tomodensitométrique identique à ceuxdes phéochromocytomes surrénaliens, maisleur topographie conditionne la difficultédiagnostique (2). L’aspect TDM le plus clas-sique est celui d’une masse bien limitée deplus de 2 cm de diamètre (souvent entre 4 et5 cm) massivement rehaussée par le produitde contraste (1, 2, 5, 9). La présence d’unehypodensité centrale correspond à de la né-crose qui est d’autant plus fréquente que latumeur est plus volumineuse (1, 3). Parfois,l’importance de la nécrose aboutit à un as-pect kystique (2, 5).L’IRM est considérée par de nombreuxauteurs comme supérieure à la TDM dansla caractérisation des phéochromocytomes

Fig. 2 : TDM en coupes axiales en fenêtre osseuse (a) et parenchymateuse (b) avec injection intraveineuse de produit de contraste montrant une masse hypodense, se rehaussant en périphérie avec élargissement et érosion du premier trou sacré.

Fig. 3 : IRM coupes axiale (a) et sagittale (b) pondérées T2 objecti-vant l’hypersignal modéré de la tumeur.

a b

a b

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S Jerbi Omezzine et al.

Sciatique paralysante révélant un phéochromocytome malinextra surrénalien

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(5). Les formes typiques présentent un hy-posignal par rapport au parenchyme hépa-tique sain sur les séquences pondérées enT1 et un hypersignal marqué et homogène(pseudo-kystique) en pondération T2 (5,9). Cet hypersignal est considéré très évo-cateur des phéochromocytomes, il est re-trouvé dans 70 % des cas (1, 2, 7-9). Le re-haussement est le plus souvent intense (1,9). Dans notre cas l’hypersignal en T2 étaitmodéré et les diagnostics évoqués étaient :une tumeur neurogène (schwannome ensablier) et un kyste arachnoïdien, devantl’érosion et l’élargissement d’un trou sacré(10).La scintigraphie à la MIBG radio-iodéepermet de détecter les localisations extrasurrénaliennes et de les caractériser avecune grande spécificité (2, 6, 8).La présence de critères radiologiques évoca-teurs de phéochromocytome (masse en hy-persignal T2) doit contre-indiquer la réali-sation d’une ponction-biopsie car cettedernière peut être à l’origine d’une crise hy-pertensive ou d’un collapsus cardio-vascu-laire (9). Le traitement des phéochromocy-tomes comprend deux aspects : l’un médicalqui doit être instauré dès qu’on suspecte un

phéochromocytome, l’autre curatif repo-sant sur la chirurgie (4, 6, 8, 9). L’anesthésiedoit être confiée à une équipe entraînée afind’obtenir le contrôle de l’excès de catéchola-mines circulantes (8). La morbidité et lamortalité atteignent leur maximum pourles phéochromocytomes découverts en per-opératoire (4, 9), comme s’était le cas de no-tre observation.

Conclusion

Le phéochromocytome rétro péritonéalextra surrénalien est une tumeur rare. Ilfaut savoir l’évoquer devant toute masserétro péritonéale isolée afin d’entrepren-dre les précautions nécessaires pour éviterdes complications graves souvent mortelles.

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10. Merran S, Karila-Cohen P, VieillefondA. Tumeurs rétropéritonéales primitivesde l’adulte. J Radiol 2004;85:252-64.

a bc

Fig. 4 : IRM coupes axiale (a) sagittale (b) et coronale (c) pondérées T1 avec injection de gadolinium montrant le rehaussement hétérogène, l’envahissement de la vessie, de l’utérus et du rectum.