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Monique Leyrac, la comète devenue diva Page 3 SCIENCES ET CULTURE PRIX DU QUÉBEC Le D r Phil Gold, chercheur et professeur en oncologie Page 5 Marcel Fournier, un sociologue de combat Page 9 CAHIER THÉMATIQUE G › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N OV E M B R E 2 01 3 JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE L’artiste Monique Leyrac, l’économiste Marguerite Mendell et l’ancien ministre Paul Gérin-Lajoie sont parmi les treize Québécois honorés mardi soir dernier. Ces artistes et chercheurs ont façonné ce Québec qui est le nôtre L’État souligne l’apport exceptionnel de 13 Québécoises et Québécois NORMAND THÉRIAULT «L e prix Georges- Émile- L a - palme constitue une motivation à poursuivre ma mission dans la même voie, de façon à apporter une nouvelle contribution dans les années à venir — que je n’essaie pas de compter, mais que je m’efforce de vivre aussi pleinement que possible. » Il a 93 ans, l’auteur de ces mots, et a-t-il déjà été ministre, même le seul survivant d’un cabinet ministériel célèbre, ce- lui d’un Jean Lesage qui fit cette révolution dite « tran- quille », qu’il est toujours à l’œuvre : n’était-il pas à l’UQAM en septembre pour discourir sur ce rapport Pa- rent qu’il a fait écrire et n’est-il pas là toujours présent quand il est question d’une langue française qui soit de qualité ? Le parcours d’un Paul Gérin- Lajoie est, à plus d’un titre, exemplaire. Et que dire de celui d’un Phil Gold ? Il identifie en 1964 un bio- marqueur et, loin de s’asseoir sur ses lauriers, voilà qu’on le retrouve toujours en classe, à McGill, actif et optimiste. Et l’homme de 77 ans a tou- jours l’espérance d’une méde- cine encore meilleure : « Je suis convaincu qu’on y parviendra, que nous finirons par dévelop- per une médecine plus efficace. Et, ce qui nous manque en ce moment, ce n’est pas tant l’ar- gent — bien sûr que l’argent est toujours un problème — mais bien davantage de bonnes idées. Il faut songer à faire les choses autrement, à sortir de notre mode de pensée. Et, pour cela, nous avons quantité de jeunes chercheurs brillants. J’ai par conséquent très confiance en l’avenir ! » Et qui ne connaît pas Mo- nique Leyrac, du moins chez ceux et celles d’une certaine génération ? Celle qui a chanté Vigneault est toujours là, même si elle est plus hésitante, car, à 85 ans, se souvenir ne se fait pas sans risque : « C’est un peu fatigant de se pencher sur son passé, parce que tout re- monte en même temps… » Et si, pour plus d’une et d’un, Refus global, c’est de l’his- toire, pour ce peintre et artiste, c’est un moment de sa jeu- nesse. À 88 ans, Marcel Bar- beau est toujours là, lui qui n’a jamais craint de déranger ni cessé de croire que l’artiste était un être à qui il fallait né- cessairement accorder pré- séance. Reçoit-il le prix Paul- Émile-Borduas qu’il ne peut s’empêcher de considérer cette reconnaissance comme « un peu tardive », lui qui fut de plus d’un combat, accompa- gnant déjà le maître au temps d’une « Grande Noirceur » : «Il fallait s’attaquer aux structures pour que les connaissances nous parviennent. » À voir ces noms cités, on compren- dra que la cuvée 2013 des Prix du Québec comble un certain retard, pour ne pas dire un re- tard certain. En fait, on en arrive même à croire qu’un Da- niel Bertolino serait un « jeunot », alors qu’il pro- mène sa caméra de par le vaste monde depuis près d’un demi- siècle, s’étant donné le Québec pour lieu de base dès l’année d’une certaine exposition inter- nationale qui transforma Mont- réal et ses habitants. De même, peut-on dire de sœur Ju- neau qu’elle est une nouvelle arri- vée, quoique ce ne soit qu’en 1997 qu’elle a pris la di- rection de la Mai- son Saint-Gabriel ? À la vitalité affichée lors du « débarque- ment » cet été des Filles du Roy en cette célébration d’un 350 e anniversaire, on ne pouvait croire qu’il y a long- temps qu’elle fut, de métier, aussi enseignante avant d’être muséologue. Mais d’autres reçoivent hom- mage. Des marginaux. Des poètes, dont un qui rappelle que son option littéraire fut fa- çonnée par un livre déposé sur une tablette de dépanneur, celle du dépanneur Carignan à Lon- gueuil : « À côté de la caisse, il y avait Je, de Denis Vanier, ra- conte Roger des Roches, lau- réat du prix Athanase-David. Ça venait rejoindre ce que j’aimais en peinture, Picasso, je trouvais ça normal de peindre des visages avec deux yeux en plein milieu de la figure, j’avais déjà com- mencé à découvrir les surréa- listes, par hasard. » Quant au lauréat du prix Al- bert-Tessier, nous avons là un cinéaste qui n’a pas craint de « tourner » à contre-courant, ce- lui que trace l’industrie cultu- relle : « Une bonne histoire, ce n’est pas assez pour moi , dira ainsi Robert Morin. C’est du ci- néma conceptuel que je fais. On plante un piquet, on tourne au- tour. Aujourd’hui, la caméra de- vient de plus en plus sharp et on a tendance à oublier que le ci- néma est symbolique, à noyer le film de réalisme. » Découvertes Poètes et cinéastes, des ro- mantiques ? Les économistes savent l’être aussi. Marguerite Mendell ne s’est-elle pas donné pour mission de pro- mouvoir une économie autre que celle que la financiarisa- tion conçoit, avec pour résultat, 30 ans plus tard, qu’il est possi- ble d’affirmer qu’économie et solidarité peuvent aller de pair : « Il y a des forces dans la mon- dialisation qui agissent comme un tsunami, informe la lau- réate du prix Marie-Andrée- Bertrand, et il faut nager très vite pour ne pas être submergé. Mais il y a maintenant une convergence de ceux et celles qui ont une autre vision de l’économie. » Et ainsi se succèdent cher- cheurs et penseurs à qui le Québec accorde en 2013 sa re- connaissance. Et ils le méri- tent, un Marcel Fournier ayant fait carrière de façon exem- plaire en temps que socio- logue (« On ne dirige pas une société en imposant des lois et des règles, sans connaître les réalités sociales en jeu » ), un Roger Lecomte a su être cher- cheur et promoteur industriel avec succès dans l’univers de l’imagerie médicale, au mo- ment où un Michel L. Trem- blay assurait l’essor du Centre de recherche sur le cancer de l’Université McGill. Et James D. West est devenu un « architecte » bien particulier : comment construit-on en fait dans l’univers de la chimie supramoléculaire ? Reconnaissance, donc, avec remise d’une somme au chif- fre moins imposant qu’il y a un quart de siècle, et toujours at- tribution d’une médaille, celle que signe cette année Daniel Moisan, médaille déposée dans un coffret conçu et réa- lisé par le relieur d’art Jona- than Tremblay. Et, mardi soir dernier, l’As- semblée nationale a reçu en son enceinte ces artistes et chercheurs qui ont façonné ce Québec qui est le nôtre. Le Devoir Soirée de reconnaissance, ce mardi dernier, au salon de l’As- semblée nationale du Québec : ministres et députés recevaient les lauréats des prix que le Québec remet annuellement à ces chercheurs et artistes qui façonnent le Québec contemporain. Des hommages mérités. JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE L’ancien ministre Paul Gérin-Lajoie a reçu le prix Georges-Émile- Lapalme pour son parcours exemplaire. La médaille conçue par Daniel Moisan

SCIENCES ET CULTURE - Le Devoir · Il a 93 ans, l’auteur de ces ... solidarité peuvent aller de pair: «Il y a des forces dans la mon- ... sent pour la dictée qui

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Monique Leyrac,la comètedevenue diva Page 3

SCIENCES ET CULTUREPRIX DU QUÉBEC

Le Dr Phil Gold,chercheur etprofesseur enoncologie Page 5

Marcel Fournier,un sociologue de combatPage 9

C A H I E R T H É M A T I Q U E G › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3

JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE

L’artiste Monique Leyrac, l’économiste Marguerite Mendell et l’ancien ministre Paul Gérin-Lajoie sont parmi les treize Québécois honorés mardi soir dernier.

Ces artistes et chercheurs ont façonné ce Québec qui est le nôtreL’État souligne l’apport exceptionnel de 13 Québécoises et Québécois

N O R M A N D T H É R I A U L T

« L e p r i xGeorges-É m i l e -L a -p a l m e

constitue une motivation àpoursuivre ma mission dans lamême voie, de façon à apporterune nouvelle contribution dansles années à venir — que jen’essaie pas de compter, maisque je m’ef force de vivre aussipleinement que possible. »

Il a 93 ans, l’auteur de cesmots, et a-t-il déjà été ministre,même le seul sur vivant d’uncabinet ministériel célèbre, ce-lui d’un Jean Lesage qui fitcette révolution dite « tran-quille », qu’il est toujours àl ’œuvr e : n ’ é ta i t - i l pas àl’UQAM en septembre pourdiscourir sur ce rappor t Pa-rent qu’il a fait écrire et n’est-ilpas là toujours présent quandil est question d’une languefrançaise qui soit de qualité ?

Le parcours d’un Paul Gérin-Lajoie est, à plus d’un titre,exemplaire.

Et que dire de celui d’un PhilGold? Il identifie en 1964 un bio-marqueur et, loin de s’asseoirsur ses lauriers, voilà qu’on leretrouve toujours en classe, àMcGill, actif et optimiste.

Et l’homme de 77 ans a tou-jours l’espérance d’une méde-cine encore meilleure : « Je suis

convaincu qu’on y parviendra,que nous finirons par dévelop-per une médecine plus ef ficace.Et, ce qui nous manque en cemoment, ce n’est pas tant l’ar-gent — bien sûr que l’argent esttoujours un problème — maisbien davantage de bonnes idées.Il faut songer à faire les chosesautrement, à sor tir de notremode de pensée. Et, pour cela,nous avons quantité de jeuneschercheurs brillants. J’ai parconséquent très confiance enl’avenir ! »

Et qui ne connaît pas Mo-nique Leyrac, du moins chezceux et celles d’une certainegénération? Celle qui a chantéVigneault est toujours là,même si elle est plus hésitante,car, à 85 ans, se souvenir ne sefait pas sans risque : «C’est unpeu fatigant de se pencher surson passé, parce que tout re-monte en même temps…»

Et si, pour plus d’une etd’un, Refus global, c’est de l’his-toire, pour ce peintre et artiste,c’est un moment de sa jeu-nesse. À 88 ans, Marcel Bar-beau est toujours là, lui qui n’ajamais craint de déranger nicessé de croire que l’ar tisteétait un être à qui il fallait né-cessairement accorder pré-séance. Reçoit-il le prix Paul-Émile-Borduas qu’il ne peuts’empêcher de considérercette reconnaissance comme«un peu tardive», lui qui fut de

plus d’un combat, accompa-gnant déjà le maître au tempsd’une « Grande Noirceur » : « Ilfallait s’attaquer auxstructures pour que lesconnaissances nousparviennent. »

À voir ces nomscités, on compren-dra que la cuvée2013 des Prix duQuébec comble uncertain retard, pourne pas dire un re-tard certain. En fait,on en arrive mêmeà croire qu’un Da-niel Bertolino seraitun « jeunot », alors qu’il pro-mène sa caméra de par le vastemonde depuis près d’un demi-siècle, s’étant donné le Québec

pour lieu de base dès l’annéed’une certaine exposition inter-nationale qui transforma Mont-

réal et ses habitants.De même, peut-ond i r e de sœur Ju -

neau qu’elle estune nouvelle arri-vée, quoique cene soit qu’en 1997qu’elle a pris la di-

rection de la Mai-son Saint-Gabriel ? Àla vitalité af fichéelors du « débarque-ment » cet été desF i l l es du Roy encette célébrat ion

d’un 350e anniversaire, on nepouvait croire qu’il y a long-temps qu’elle fut, de métier,aussi enseignante avant d’être

muséologue.Mais d’autres reçoivent hom-

mage. Des marginaux. Despoètes, dont un qui rappelleque son option littéraire fut fa-çonnée par un livre déposé surune tablette de dépanneur, celledu dépanneur Carignan à Lon-gueuil : «À côté de la caisse, il yavait Je, de Denis Vanier, ra-conte Roger des Roches, lau-réat du prix Athanase-David.Çavenait rejoindre ce que j’aimaisen peinture, Picasso, je trouvaisça normal de peindre des visagesavec deux yeux en plein milieude la figure, j’avais déjà com-mencé à découvrir les surréa-listes, par hasard.»

Quant au lauréat du prix Al-bert-Tessier, nous avons là uncinéaste qui n’a pas craint de« tourner» à contre-courant, ce-lui que trace l’industrie cultu-relle : « Une bonne histoire, cen’est pas assez pour moi, diraainsi Robert Morin. C’est du ci-néma conceptuel que je fais. Onplante un piquet, on tourne au-tour. Aujourd’hui, la caméra de-vient de plus en plus sharp et ona tendance à oublier que le ci-néma est symbolique, à noyer lefilm de réalisme.»

DécouvertesPoètes et cinéastes, des ro-

mantiques ? Les économistessavent l’être aussi. MargueriteMendell ne s’est-elle pasdonné pour mission de pro-mouvoir une économie autreque celle que la financiarisa-tion conçoit, avec pour résultat,30 ans plus tard, qu’il est possi-ble d’affirmer qu’économie etsolidarité peuvent aller de pair :« Il y a des forces dans la mon-dialisation qui agissent comme

un tsunami, informe la lau-réate du prix Marie-Andrée-Bertrand, et il faut nager trèsvite pour ne pas être submergé.Mais il y a maintenant uneconvergence de ceux et cellesqui ont une autre vision del’économie. »

Et ainsi se succèdent cher-cheurs et penseurs à qui leQuébec accorde en 2013 sa re-connaissance. Et ils le méri-tent, un Marcel Fournier ayantfait carrière de façon exem-plaire en temps que socio-logue (« On ne dirige pas unesociété en imposant des lois etdes règles, sans connaître lesréalités sociales en jeu »), unRoger Lecomte a su être cher-cheur et promoteur industrielavec succès dans l’univers del’imagerie médicale, au mo-ment où un Michel L. Trem-blay assurait l’essor du Centrede recherche sur le cancer del’Université McGill. Et JamesD . We s t e s t d e v e n u u n « architecte » bien particulier : comment construit-on en faitdans l’univers de la chimie supramoléculaire ?

Reconnaissance, donc, avecremise d’une somme au chif-fre moins imposant qu’il y a unquart de siècle, et toujours at-tribution d’une médaille, celleque signe cette année DanielMoisan, médaille déposéedans un cof fret conçu et réa-lisé par le relieur d’ar t Jona-than Tremblay.

Et, mardi soir dernier, l’As-semblée nationale a reçu enson enceinte ces ar tistes etchercheurs qui ont façonné ceQuébec qui est le nôtre.

Le Devoir

Soirée de reconnaissance, ce mardi dernier, au salon de l’As-semblée nationale du Québec : ministres et députés recevaientles lauréats des prix que le Québec remet annuellement à ceschercheurs et artistes qui façonnent le Québec contemporain.Des hommages mérités.

JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE

L’ancien ministre Paul Gérin-Lajoie a reçu le prix Georges-Émile-Lapalme pour son parcours exemplaire.

La médaille conçuepar Daniel Moisan

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3G 2

PRIX GEORGES-ÉMILE-LAPALME

Le système d’éducation québécois est la plus grande fierté deson ancien ministre« Ce prix constitue une motivation à poursuivre ma mission dans la même voie »

Trois qualités essentielles unissent les récipiendaires d’un Prix du Québec : un talent indéniable, une passion insatiable et une persévérance inépuisable. En faisant progresser le savoir dans leur domaine d’activités pendant toute une vie, les lauréates et les lauréats des Prix du Québec ont accompli un parcours hors du commun. Grâce à eux, notre savoir-faire et notre culture rayonnent au Québec et dans le monde.

C’est avec une grande fi erté que nous faisons valoir l’héritage qu’ils lèguent en leur décernant la plus haute distinction gouvernementale dans les domaines de la culture et de la science.

Pour leur contribution à l’avancement culturel, social et scientifi que du Québec, nous tenons à exprimer, au nom de la nation québécoise, notre gratitude et notre admiration à mesdames Madeleine Juneau, Monique Leyrac et Marguerite Mendell, ainsi qu’à messieurs Marcel Barbeau, Daniel Bertolino, Roger Des Roches, Marcel Fournier, Paul Gérin-Lajoie, Phil Gold, Roger Lecomte, Robert Morin, Michel L. Tremblay et James D. Wuest.

Ces femmes et ces hommes représentent des modèles pour les générations actuelles et futures de notre nation.

Le ministre de la Culture et des Communications,Maka Kotto

Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie,Pierre Duchesne

Visionnez les entrevues au :www.prixduquebec.gouv.qc.ca

Madeleine JuneauMUSÉOLOGIE

PRIX GÉRARD-MORISSETJames D. WuestCHIMIEPRIX MARIE-VICTORIN

Monique LeyracCHANSON

PRIX DENISE-PELLETIER

Marcel FournierSOCIOLOGIEPRIX LÉON-GÉRIN

Marcel BarbeauARTS VISUELS

PRIX PAUL-ÉMILE-BORDUAS

Phil GoldMÉDECINEPRIX WILDER-PENFIELD

Daniel BertolinoTÉLÉVISION

PRIX GUY-MAUFFETTE

Michel L. TremblayBIOCHIMIEPRIX ARMAND-FRAPPIER

Robert MorinCINÉMA

PRIX ALBERT-TESSIER

Marguerite MendellÉCONOMIEPRIX MARIE-ANDRÉE-BERTRAND

Roger LecomtePHYSIQUEPRIX LIONEL-BOULET

Paul Gérin-LajoieÉDUCATION

PRIX GEORGES-ÉMILE-LAPALME

Roger Des RochesLITTÉRATURE

PRIX ATHANASE-DAVID

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FÉLICITATIONS AUX RÉCIPIENDAIRES 2013 !

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M A R I E L A M B E R T - C H A N

L es plus jeunes le connais-sent pour la dictée qui

porte ses initiales, et les plusvieux, comme le premier mi-nistre de l’Éducation que leQuébec a connu. D’une façonou d’une autre, Paul Gérin-La-joie peut se vanter d’avoir tou-ché la vie de tous les Québé-cois. Et à son nom est irrémé-diablement associée cette pas-sion pour la langue de Molièredont il s’est fait un ardent pro-moteur tout au long de sa car-rière, que ce soit en créant unsystème d’éducation obliga-toire et accessible à tous enfrançais, en posant les jalonsdes relations internationalesde la province, en participant àla naissance de la Francopho-nie ou en rejoignant chaqueannée plus de cinq millionsd’enfants francophones à tra-vers le monde grâce à la dictéeP. G. L.

Il n’est donc guère étonnantqu’on lui remette aujourd’huil e p r i x G e o r g e s - É m i l e -Lapalme, qui récompense unepersonnalité pour sa contribu-tion exceptionnelle à la qualitée t au rayonnement de l alangue française.

Ce qui est surprenant, parcontre, c’est qu’on ne le lui a pasaccordé plus tôt. «On découvre

depuis peu l’importance que laRévolution tranquille a eue dansle domaine de l’éducation, offreen guise d’explication Paul Bé-langer, ami de longue date dePaul Gérin-Lajoie. Or qui étaitderrière ce mouvement ? Uneéquipe et son chef, Paul Gérin-Lajoie, qui, il faut le préciser, atoujours été d’une grande discré-tion quant au rôle qu’il a jouédans ce virage.»

Un ministre déterminéÉlu en 1960, Paul Gérin-

Lajoie devient ministre de laJeunesse dans le gouverne-ment de Jean Lesage — dont ilest d’ailleurs le seul membreencore vivant — en plus de sevoir confier le Secrétariat de laprovince responsable de l’ins-truction publique. Il s’emploiealors à convaincre la popula-tion de la nécessité d’un sys-tème d’éducation public,« chose qui n’allait pas de soi àl’époque », précise Paul Bélan-ger, qui est aussi membre duconseil d’administration de laFondation Paul-Gérin-Lajoie.

Déterminé et pragmatique,le jeune ministre arrive à sesfins quatre ans plus tard, no-tamment en créant la commis-sion Parent, qui a examinél’état de l’éducation au Qué-bec. Résultat : école gratuite etobligatoire jusqu’à 16 ans, mo-

dernisation de l’enseignementprimaire, instauration d’un ré-gime de prêts et de bourses etcréation des polyvalentes, descégeps, des commissions sco-laires, du réseau de l’Univer-sité du Québec et d’un minis-tère de l’Éducation.

«C’est la plus grande réalisa-tion québécoise à laquelle j’ai pucontribuer», déclare à ce sujet

M. Gérin-Lajoie en entrevueavec Le Devoir. Mais il reste en-core beaucoup à faire, ajoute-t-il.«Plusieurs perdent l’usage de lalangue parlée et écrite parcequ’ils n’ont pas l’occasion de s’enservir ou n’en ont pas besoinpour gagner leur pain. Une fa-çon d’y remédier est d’encoura-ger la lecture, autant chez lesjeunes que chez les adultes.»

Car, dit Paul Gérin-Lajoie,l’évolution du français de-meure « en-deçà de nos espé-rances et de nos vœux ». Il si-gnale particulièrement la pau-vreté de la langue françaisedans les médias parlés. « Lespropriétaires de chaînes de ra-dio et de télévision ainsi que lesanimateurs ont la responsabi-lité de contribuer à l’améliora-tion de l’usage de la langue.» Ilaimerait bien qu’on fasse unexamen de conscience indivi-duel et collectif quant à la qua-lité du français dans l’espacepublic.

Action internationalePaul Gérin-Lajoie est aussi

reconnu pour sa doctrine épo-nyme. Ce grand constitution-

naliste de formation avait émisl’idée, avant-gardiste en 1965,qu’« il n’est plus admissible quel’État fédéral puisse exercer unesor te de surveillance et decontrôle d’opportunité sur lesrelations internationales duQuébec ». À l’international, leQuébec pouvait donc agirdans ses champs de compé-tence internes, comme lasanté, l’éducation et la culture.

Après avoir quitté la poli-tique provinciale, M. Gérin-Lajoie a poursuivi son actioninternationale en devenant lepremier président ef fectif del’Agence canadienne de la

coopération internationale(ACDI), en 1970. Sous son im-pulsion, l’ACDI a vu son bud-get annuel passer de 350 mil-lions à plus d’un milliard dedollars. C’est donc avec regretque Paul Gérin-Lajoie assisteaux nombreuses coupes exé-cutées par le gouvernement fé-déral dans le développementinternational. « C’est très dif fi-cile à vivre», déclare-t-il.

Les aspirations internatio-nales de Paul Gérin-Lajoie nes’ar rêtaient toutefois pas àl’ACDI. C’est pourquoi il acréé en 1986 la fondation quiporte son nom et qui s’est en-tre autres fait connaître par lafameuse dictée P. G. L. L’orga-nisme sensibilise les écoliersd’ici aux réalités des pays en

développement et àla solidarité entre lesp e u p l e s , t o u t e n s’assurant que desmilliers d’enfants enAfrique et en Haïtipuissent avoir accès à

une éducation de base.Au soir de sa vie, Paul Gé-

rin-Lajoie souhaite toujoursréaliser son rêve : une éduca-tion pour tous sur le plan inter-national : « Le prix Georges-Émile-Lapalme constitue unemotivation à poursuivre mamission dans la même voie, defaçon à apporter une nouvellecontribution dans les années àvenir — que je n’essaie pas decompter, mais que je m’ef forcede vivre aussi pleinement quepossible. »

CollaboratriceLe Devoir

Le système d’éducation québécois est la plus grande fierté dePaul Gérin-Lajoie. À 93 ans, Paul Gérin-Lajoie, lauréat du prixGeorges-Émile-Lapalme, travaille toujours à assurer une édu-cation de qualité pour tous, ici et ailleurs dans le monde. Unemission qu’il poursuit inlassablement depuis plus de 50 ans.

REMY BOILY

Paul Gérin-Lajoie est le premier ministre de l’Éducation que leQuébec ait connu.

Paul Gérin-Lajoie souhaite toujoursréaliser son rêve : une éducationpour tous sur le plan international

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3 G 3

PRIX DENISE-PELLETIER

La comète est devenue diva« L’hiver était au départ une pièce musicale de Léveillée que j’aimais beaucoup»

M I C H E L B É L A I R

T out à coup, au début desannées 1960, on semblait

ne plus entendre que sa voixcristalline donnant une exis-tence ô combien palpable auxtextes lumineux d’un certainGilles Vigneault, sur les mu-siques d’un tout jeune ClaudeLéveillée. Un pays de géantsordinaires, de lacs, d’hivers etde forêts surgissait soudain,porté par la voix d’une sirène.

Ce fut le triomphe absolu,unanime. La consécration par-tout d’une interprète d’excep-tion chantant un pays faitd’images neuves et fortes. Lestournées sur toutes les grandesscènes du monde. Des prix enPologne, en Belgique, partout.Invitée par Brassens. Par l’EdSullivan Show et bien d’autres.La comète était devenue diva…

De Piaf à BrechtPour tant, tout avait com-

mencé bien avant. Quelquesannées après la fin de la der-nière grande guerre, on re-trouve déjà Monique Leyracau Faisan doré avec CharlesAznavour, Pier re Roche etJacques Normand animant lesturbulentes nuits de Montréal.Elle tourne en Europe et au Li-ban dès 1950 en chantant sur-tout les succès d’Édith Piaf etelle décroche bientôt uncontrat chez RCA Victor :de 1949 à 1979, elle enregis-trera là des dizaines et des di-zaines de 78-tours puis de 45-tours. Après l’énorme succèsdu premier 33-tours en 1963,une bonne vingtaine de micro-sillons et de CD ont suivi.

En parallèle, elle fait aussi dela radio: à CKAC dès 1943, puisà Radio-Canada en 1951, elle faitdéjà connaître Félix Leclerc,Raymond Lévesque et JacquesBlanchet aux auditeurs de Bap-tiste et Marianne. De 1962à 1964, elle anime Plein soleil,une émission de variétés, avecPierre Thériault, et quelques an-nées plus tard, elle enregistreune série de 39 émissions pourla radio de CBC, à Toronto.

Au cinéma, on la voit dansLes lumières de ma ville, deJean-Yves Bigras (1950), le pre-mier film musical québécois,puis dans le court métrage queClaude Jutra consacre à Félixen 1958 (Félix Leclerc Trouba-dour). Plus tard, elle tourneraavec Paul Almond (Act of theHeart, 1970) et dans un moyenmétrage de l’ONF sur Félix Le-clerc (C’est la première fois queje la chante, 1988).

Quand arrive la télé, on lavoit partout. Dans des téléro-mans et des téléséries, biensûr (Anne-Marie, Prémédita-tion, Les enquêtes Jobidon etmême Les dames de cœur beau-coup plus tard), mais aussi auxBeaux Dimanches et comme

animatrice avec Dominique Michel et Élaine Bédard.

Mais c’est loin d’être tout! Onoublie trop souvent, par exem-ple, à quel point Monique Ley-rac était une comédienne excep-tionnelle. Elle fut de la premièreéquipe du TNM de Jean Gasconet compagnie et on la retrouveen France avec Les trois farces,de Molière, dès 1954, puis avecLe dialogue des Carmélites, deBernanos, Le malade imagi-naire, de Molière, et L’idiote, deMarcel Achard, entre 1955et 1958. Son réper toire estvaste; elle joue tout autant dansRichard II que dans Bérénice ouLe dindon, de Feydeau. Ils’étend même au fil des décen-nies jusqu’en 1995, puisqu’on laretrouve en Alice Gen-dron dans Le voyagedu couronnement , de M i c h e l - M a r c Bouchard.

Mais tout le mondevous dira qu’elleconnaît le plus grandsuccès de sa carrièrede comédienne enPolly Peacham dansl’Opéra de quat’sous,de Brecht ; le TNMprésente ce spectacleexceptionnel — avecun éblouissant JeanGascon dans le rôlede Macheath ! — en1961 au vieil Or-pheum, rue Sainte-Ca-therine, puis à Qué-bec ensuite. Ce fut mapremière sor tie authéâtre professionnelet c’est là qu’est née ma pas-sion pour la scène. Merci.

Des lumières rouges dansle brouillard

Au téléphone, la voix de Mo-nique Leyrac a toujours des ac-cents de soie bordée de ve-lours. À 85 ans, cette grandedame à l’intelligence pétillantese montre vive, drôle, etplonge volontiers dans ses sou-venirs, même si « c’est un peufatigant de se pencher sur sonpassé, parce que tout remonteen même temps…»

Elle qui a reçu une multi-tude de prix tout au long de savie avoue d’abord qu’elle neconnaissait pas le prix Denise-Pelletier. « Je ne peux donc pasêtre jalouse, lance-t-elle d’unevoix souriante. Mais on m’afait comprendre que c’était unprix impor tant et que l’Étatrend ainsi hommage à une car-rière ; alors, je veux bien. »

Elle raconte aussi qu’ellen’est pas vraiment au fait de cequi se passe aujourd’hui dansle secteur de la chanson: «Voussavez, je connais très mal ce quise fait maintenant ; je l’avoue, jeme sens un peu étrangère. C’estprobablement à cause de monâge, mais je ne me reconnaispas tellement dans les textes que

j’entends parfois. La clientèle estdif férente, plus jeune aussi pro-bablement… Et puis, je me suismise à la musique classique,c’est d’abord ce que j’écoutemaintenant.»

N’empêche qu’elle s’allumeen racontant sa première ren-contre avec Gilles Vigneault…«Ça s’est passé à Québec au dé-but des années 1960, dans unrestaurant, après une représen-tation de l’Opéra de quat’sous.Je discutais avec mon marilorsque j’ai vu un grand jeunehomme que je ne connaissaispas s’avancer à notre table pourme féliciter. » C’était Vigneault,bien sûr, qui avait lui aussi as-sisté au spectacle.

Monique Leyrac poursuit.«Après les compliments d’usage, ilm’a dit qu’il voulait venir à Mont-réal pour me rencontrer etme proposer des chansons. Je luiai dit que nous rentrions en villeaprès le repas et qu’il pouvait se

joindre à nous s’il le dé-sirait… et on s’est re-trouvé dans l’auto.C’est moi qui condui-sais et il y avait telle-ment de brouillard quej’ai passé toute la nuità suivre lentement lespetites lumières rougesdu camion qui nousprécédait. Gilles, lui,pendant ce temps, en aprofité pour me chantertoutes ses chansons. J’aiété séduite sur le coup.»

Ensuite, tout est allétrès vite. Quelquesmois plus tard, noussommes en 1962, Ra-dio-Canada propose àMonique Leyrac uneémission spéciale desBeaux Dimanches ;c’est là qu’elle chan-

tera Vigneault et Léveillée en pu-blic pour la première fois. Elletravaille ensuite intensémentavec les deux jeunes hommes àpartir des textes de Vigneault oudes musiques de Léveillée —«L’hiver, par exemple, c’était audépart une pièce musicale de Lé-veillée que j’aimais beaucoup etj’ai demandé à Gilles d’y mettreun texte. Mais, la plupar t dutemps, c’était l’inverse» — et le fa-meux disque Monique Leyracchante Vigneault et Léveillée estlancé en 1963, avec tout le suc-cès que l’on sait.

Bientôt, elle ajoute des textesde Sylvain Lelièvre, ClaudeGauthier et plusieurs autres àson répertoire et, à peine deuxans plus tard, elle se mettait àtourner, ambassadrice d’unQuébec tout neuf, sur les plusgrandes scènes du monde, deParis à Moscou en passant parLondres et New York, sans ou-blier Winnipeg et Yellowknife.Et sans compter tout le restedont on n’a pas parlé ici.

Voilà ce que ça donne quandune petite travailleuse d’usinede Rosemont décide de tout in-vestir, à 15 ans, dans des coursde diction et de théâtre…

CollaborateurLe Devoir

Au moment où l’on commençait à peine à parler de «Révolutiontranquille», Monique Leyrac est arrivée comme une comète dansun monde pas encore éclos. Et aujourd’hui, enfin, le Québec saits’en démontrer reconnaissant avec un prix qu’il lui attribue.

La communauté de l’Université Concordia tient à féliciter Marguerite Mendell d’avoir remporté le prestigieux Prix du Québec Marie-Andrée-Bertrand. Mme Mendell est professeure, économiste sociale, directrice intérimaire de l’École des a!aires publiques et communautaires ainsi que directrice de l’Institut Karl-Polanyi d’économie politique.

La récompense est o!erte à des personnes dont les recherches ont mené à d’importantes innovations sociales et favorisé le mieux-être de la collectivité.

Au cours de ses 30 années au sein de l’Université, la Pre Mendell a travaillé avec passion à des projets économiques locaux et internationaux visant à réduire la pauvreté et à développer de nouvelles formes de création de richesses. Plusieurs ministères ont sollicité ses conseils d’expert au sujet de l’évolution des fonds de développement régional et local au Québec.

MARGUERITE MENDELL, PROFESSEURE À CONCORDIA, LAURÉATE D’UN PRIX DU QUÉBEC LE PLUS GRAND HONNEUR DÉCERNÉ PAR LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC

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SOURCE BANQ

Monique Leyrac a connu une faste carrière de chanteuse et comédienne, entre autres.

Tout le mondevous diraqu’elle connaîtle plus grandsuccès de sacarrière decomédienne enPolly Peacham dans l’Opérade quat’sous,de Brecht

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3G 4

PRIX GÉRARD-MORISSET

Infatigable, la sœur de la Maison Saint-Gabriel« Depuis que je suis ici, on ne m’a jamais dit non»

ENSEMBLE, REPENSONS LE MONDEC A R T O G R A P H I O N S L E S S O U R C E S D E

L A D É P E N D A N C E E T D U D É S I R

C O N C O R D I A . C AG RO U P E D E R EC H E RC H E E N N E U RO B I O LO G I E CO M P O RT E M E N TA L E

É M I L I E C O R R I V E A U

Lorsqu’un ami de longuedate, Luc Noppen, spécia-

liste de l’histoire de l’architec-ture et de la conservation archi-tecturale, lui a annoncé qu’il sou-haitait poser sa candidature auprix Gérard-Morisset, la direc-trice générale de la MaisonSaint-Gabriel s’est spontané-ment exclamée « Pourquoipas ? ». Si elle était heureusequ’on considère que son travailvaut la peine d’être souligné,elle ne s’attendait toutefois pointà recevoir tant d’honneurs.

Lorsqu’elle a reçu l’appel deM. Maka Kotto, ministre de laCulture et des Communica-tions, lui confirmant qu’elleétait bel et bien la lauréate dupr ix , sœur Juneau en es tpresque tombée de sa chaise.

«J’étais dans mon bureau, ici,à la Maison Saint-Gabriel, sesouvient sœur Juneau. On estvenu me dire que M. le ministreMaka Kotto voulait me parler.Je me demandais pourquoi ilvoulait me parler directement.J’avais fait des demandes au mi-nistère pour d’autres dossiers,mais je trouvais ça très étrangeque ce soit le ministre quime rappelle directement pourfixer un rendez-vous !»

En fait, sœur Juneau s’estmontrée tellement surprisequ’elle a pris soin de deman-der au ministre Kotto s’il étaitbien certain de ce qu’il af fir-mait. « Il m’a répondu qu’il nem’appelait pas pour rien », ra-

conte-t-elle en riant.Aussi, c’est seulement après

avoir fini de parler au ministre etavoir raccroché que la sœur s’estrendu compte qu’elle venait deremporter la plus haute distinc-tion honorifique du Québec.«J’étais tout émue, dit-elle encorefébrile. J’étais fière aussi.»

La petite histoireFière, sœur Juneau a de

quoi l’être. Née à Québec dansles années 1940, elle consacrela première par tie de sa car-rière à l’enseignement. Elletravaille quelques années àMontréal, puis elle part pourla région de Hearst (Ontario),où elle passera 10 ans.

Après une année sabbatiquepassée en Nouvelle-Écosse,sœur Juneau rentre au Qué-bec. Sa congrégation lui de-mande si elle peut consacrerune partie de son temps à laMaison Saint-Gabriel, cequ’elle accepte, même si, àl’époque, elle ne connaît pasgrand-chose à la muséologieet encore moi à l’histoire deétablissement montréalais.

Elle entame donc une séried’études en histoire de l’art eten histoire, puis elle conclut letout par un stage de six moisen Suisse. À son retour, elleinstaure le service éducatif àl a Ma ison Sa in t -Gabr ie l .« J’adorais ça, signale sœur Juneau . Ça ren t ra i t dansmes cordes d’enseignement. Jetravaillais avec plein d’écoles,c’était agréable. »

En 1997, la directrice de l’éta-blissement quitte ses fonctionset on demande à sœur Juneaude la remplacer. Heureuse dansson travail, elle refuse polimentl’offre. La congrégation se metdonc à la recherche d’une perlerare, mais elle ne parvient pas àla trouver. Faute de solution,elle insiste auprès de sœur Ju-neau, qui se voit presque obli-gée d’accepter.

« Je me souviens de la soiréedu jour ayant précédé ma ré-ponse of ficielle. J’ai pensé àMarguerite Bourgeoys, qui m’atoujours fascinée parce qu’elleétait avant-gardiste et vision-

naire. Puis, j’ai décidé de direoui», relate sœur Juneau.

Dès son entrée en fonction,elle embauche une agente decommunication à temps pleinpour mieux positionner la Mai-son Saint-Gabriel. À l’époque,l’établissement est méconnudu public et seulement 8000 vi-siteurs par année le fréquen-tent. « Tout le monde pensaitqu’on était un restaurant ; onrecevait constamment des ap-pels pour des réservations », seremémore sœur Juneau.

Dans le même esprit, elles’efforce de trouver des parte-naires financiers. Faisant

preuve de beaucoup d’audace,elle convainc d’abord PaulCôté, président de Via Rail Ca-nada, de lui accorder une com-mandite en lui concoctant untour particulier du lotissementde la Maison Saint-Gabriel.

La réussite«Après ça, les portes ont com-

mencé à s’ouvrir , indiquesœur Juneau. Ça m’a permisd’embaucher une conservatrice.Ça m’a aussi permis d’appro-cher l’historien Jacques Lacour-sière, pour qu’il soit notre porte-parole. Il a accepté parce qu’ila cru en ma vision et a vu ce

dont on était capable ! »En 1998, le site touristique

accueille près de 24 000 visi-teurs, un achalandage trois foissupérieur à celui de l’annéeprécédente. «C’était l’année dutricentenaire, rappelle sœur Ju-neau. Lors du défilé, il y a eu unmonde fou ! […] On a terminéça par une demi-heure de feuxd’artifice, ç’a été fantastique.»

Avec autant de fougue, aprèsce succès, sœur Juneau poursuitson petit bonhomme de chemin.Au fil des ans, elle poursuit le tra-vail entamé, engage de plus enplus d’employés et peaufine ledéveloppement du musée.Grâce à son travail acharné,près de 75000 personnes visi-tent désormais chaque année laMaison Saint-Gabriel.

Mission accomplie, donc,pour la sœur qui, au dépar t,n’avait aucune idée de cequ’elle pourrait bien apporterau musée. Mais pas question des’asseoir tout de suite sur seslauriers, puisqu’à ses yeux ilreste encore beaucoup à faire.

Heureusement, sœur Ju-neau maîtrise l’ar t de la per-suasion. En fait, elle se montresi convaincante que, dans lacommunauté et le monde desaffaires, ceux qui ont croisé saroute la surnomment af fec-tueusement « l’infatigablesœur Juneau ». L’étiquette faitsourire la sexagénaire, qui estloin de manquer d’énergie mal-gré son âge ! « Depuis que jesuis ici, on ne m’a jamais ditnon, ricane-t-elle. Pouvez-vousle croire?»

Sans l’ombre d’un doute,sœur Juneau !

CollaboratriceLe Devoir

Plus haute distinction accordée à une personne pour l’ensem-ble d’une carrière dédiée au patrimoine, le prix Gérard-Morisset est cette année attribué à sœur Madeleine Juneau,directrice générale de la Maison Saint-Gabriel.

REMY BOILY

Avant d’être la directrice générale de la Maison Saint-Gabriel, en 1997, sœur Juneau s’est consacréeà l’enseignement.

James D. Wuest, professeur et chercheur en chi-mie supramoléculaire à l’Université de Mont-réal, est cette année le lauréat du prix Marie-Vic-torin. Cet honneur vient souligner l’exception-nelle contribution de M. Wuest à la compréhen-sion scientifique de l’architecture moléculaire.

P I E R R E V A L L É E

J ames D. Wuest est né dans la ville de Cincin-nati, aux États-Unis. Enfant, il s’intéresse

déjà à la science. « J’ai su très tôt que j’allaisfaire une carrière de scientifique. J’avais un on-cle qui était gérant de laboratoire et, lorsqu’il ve-nait à la maison, il apportait avec lui des échan-tillons. Un jour, il est arrivé avec du soufre, au-quel il a mis le feu. Cela a grandement impres-sionné l’enfant de sept ans que j’étais. »

Cet oncle avait aussi l’habitude d’apporterdes cristaux. À l’adolescence, c’est doncd’abord par la minéralogie qu’il s’intéresse à lascience. Au secondaire, son professeur de chi-mie lui propose un projet en laboratoire. « J’aivu cela comme un défi à relever et c’est ce quim’a amené à la chimie. »

Pourtant, lorsqu’il s’inscrit au baccalauréaten sciences à l’Université Cornell, il ne choisitpas la chimie. « Je ne voulais pas me spécialisertrop vite et je voulais me donner une formationplus large. » Il se spécialisera donc pendant sesétudes supérieures à l’Université Harvard, où ilobtient son doctorat en chimie.

L’arrivée à MontréalSon diplôme en poche, il occupe pendant

quelques années le poste d’assistant professeur àHarvard. «À cette époque, soit dans les années1970, la politique à Harvard était de ne pas donnerde poste permanent à ses jeunes professeurs, l’uni-versité préférant les offrir à des professeurs plus éta-blis provenant d’autres universités. Je devais doncme trouver un emploi dans une autre université.»

Au début des années 1980, il reçoit une offrede l’Université de Montréal. « Je pensais pour-suivre ma carrière aux États-Unis, mais l’of frede l’Université de Montréal était très intéressanteet je l’ai acceptée. D’ailleurs, je connaissais assezbien le Canada pour y avoir voyagé plusieurs foisavec mes parents lors des vacances d’été. »

De plus, il découvre que le système de sou-tien financier canadien et québécois à la re-cherche scientifique convient au genre descience qu’il veut faire. « Il y a évidemment plusd’argent aux États-Unis, mais le soutien finan-cier dépend beaucoup du nombre de publicationsque vous faites. Par contre, au Canada, le finan-cement est plus patient, ce qui me convenait, car,

dans mon domaine, les résultats des recherchesprennent du temps et, par conséquent, on ne peutpas toujours publier. »

S’il maîtrise aujourd’hui parfaitement la languede Molière, ce n’était pas le cas à son arrivée àMontréal, en 1981. «Ce n’était pas évident d’ap-prendre une nouvelle langue au début de la tren-taine, et il a fallu faire des ef forts. L’universitém’avait donné deux ans pour apprendre le françaiset j’ai réussi. Mais, au début, je devais pratiquermes présentations de cours afin d’éviter les erreurs.»

La chimie supramoléculaireLe domaine de recherche scientifique du pro-

fesseur Wuest et son équipe est celui de la chi-mie supramoléculaire. Cette chimie s’intéresseaux interactions moléculaires non covalentes,c’est-à-dire celles qui ne reposent pas sur un par-tage d’électrons. Il existe plusieurs interactionsmoléculaires qui ne sont pas covalentes, parexemple celle qui repose sur un pont d’hydro-gène ou celle entre ions positifs et ions négatifs.On qualifie ces interactions d’interactions faibles.

« En société, les individus sont distincts, maisc’est la communication entre les individus quicaractérise la société, explique-t-il. C’est un peula même chose pour un ensemble de molécules.Les propriétés d’un ensemble de molécules repo-sent sur les éléments qui le composent, maisaussi sur la géométrie de l’ensemble, sur son

PRIX MARIE-VICTORIN

Architecte, certes, mais de la molécule !« Ce n’était pas évident d’apprendre une nouvelle langue au début de la trentaine »

SOURCE ACFAS

Le professeur Wuest consacre son énergie à larecherche en chimie supramoléculaire.

VOIR PAGE G 5 : WUEST

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3 G 5

LAURÉATS !

JAMES D. WUEST Département de chimiePrix Marie-VictorinLes Prix du Québec

MARCEL FOURNIER Département de sociologie

Prix Léon-GérinLes Prix du Québec

Nous sommes très fiers de nos chercheurs et chercheuses, qui pré-parent l’avenir. Tout ce que nous faisons à l’Université de Montréal, nous le faisons en pensant à demain. Et nous le faisons pour toute la société.

Des talents. Une planète.

BRAVO À NOSarchitecture moléculaire. » Letype d’architecture moléculaire,sa géométrie précise, reposesur les interactions faibles.

Les travaux de recherche deJames D. Wuest ont deux ob-jectifs intimement liés : com-prendre pourquoi un ensemblemoléculaire choisit une archi-tecture plutôt qu’une autre etcontrôler cet assemblage mo-léculaire afin de lui donner unearchitecture particulière. Lebut est d’arriver à synthétiserdes molécules ou des ensem-bles moléculaires ayant des ar-chitectures prédéterminées et,par conséquent, des propriétésprédéterminées. Une telle maî-trise permettrait l’élaborationde nouveaux matériaux.

L’architecture tectoniqueD a n s l e s a n n é e s 1 9 8 0 ,

James D. Wuest a mis au pointune nouvelle approche concer-nant l’assemblage moléculaire,qu’il a nommée « architecturetectonique ». Le tecton est unemolécule synthétisée qui, parsa composition, peut favoriserou inhiber les interactions mo-léculaires non covalentes. Encombinant les tectons à d’au-tres molécules, on peut ainsiconstruire un ensemble molé-culaire ayant une géométrieprédéterminée et, par consé-quent, des propriétés spéci-fiques et même nouvelles.

Par exemple, prenons unestructure moléculaire cristal-line. Un cristal est cassant etn’est pas souple. Mais l’équipede Wuest, grâce à l’approchetectonique, a réussi à créer enlaboratoire un cristal qui, sansperdre sa structure cristalline,accepte un cer tain degré dedéformation. Bien que les cris-taux soient au centre de sesrecherches, James D. Wuests’est aussi intéressé à d’autresstructures moléculaires et sonapproche est multidiscipli-naire, faisant appel autant à lascience des sur faces qu’auxnanosciences.

C’est ainsi qu’il a pu réaliserdes travaux sur des ensemblesmoléculaires afin d’en augmen-ter la porosité. Quelles applica-tions pourrait-on en tirer? Pre-nons le cas des matériaux po-reux. On imagine aisément leurintérêt écologique si on arrivaità synthétiser des ensemblesmoléculaires, comme un poly-mère, dont la porosité seraitconçue pour absorber des mo-lécules de dioxyde de carbone.

«Ce n’est pas nécessairementnotre groupe qui accoucherades applications. D’autres le fe-ront. Mais, ce dont je suis fier,c’est que l’approche tectoniqueest aujourd’hui un concept debase utilisé dans l’architecturemoléculaire. »

CollaborateurLe Devoir

SUITE DE LA PAGE G 4

WUEST

PRIX WILDER-PENFIELD

Le jeune homme timide est devenu oncologue émérite

C L A U D E L A F L E U R

C e chercheur de l’Univer-sité McGill est reconnu

mondialement pour avoir réa-lisé, au début des années 1960,la plus importante découverteen oncologue prédictive.

Il a en effet repéré le premierindicateur biologique qui per-met de détecter la présenced’une grande variété de tu-meurs à partir d’un simple testsanguin. Phil Gold a ainsiamorcé une véritable révolutiondans la détection précoce descancers. Son biomarqueur estsurtout le moyen le plus ef fi-cace de détecter la récidive d’uncancer. Bien que cette décou-verte remonte à 40 ans, c’est au-jourd’hui encore l’outil du genrele plus utilisé au monde.

« Vo i l à qu i m ’ é t onne e tme déçoit un peu, lance enriant le chercheur. En ef fet,j’étais convaincu, à l’époque oùnous avons fait notre décou-verte [1964], que par la suiteon trouverait de meilleurs bio-

marqueurs. » Certes, des cher-cheurs d’un peu par tout ontidentifié nombre de biomar-queurs, mais celui du Dr Golddemeure le plus utilisé.

Phil Gold est actuellementprofesseur titulaire aux Dépar-tements de médecine et dephysiologie de l’UniversitéMcGill. Il a été directeur duDépartement de médecine etmédecin-chef de l’Hôpital gé-néral de Montréal, en plusd’avoir fondé le Centre de re-cherche sur le cancer McGill.

Une simple idée…brillante

«It was a lot of fun !», ne peuts’empêcher de lancer l’éminentsavant en repensant à sa longuecarrière. Non seulement conti-nue-t-il d’enseigner, mais il ef-fectue encore des recherchescliniques, toujours avec autantde passion et d’enthousiasme.

À l’école, c’était pourtant unélève timide qui adorait jouerau hockey, tout en passant leplus clair de son temps à la bi-

bliothèque. Élève studieux etbrillant, il apprenait davantagepar lui-même qu’en classe. «Unjour, je suis allé voir le principalpour lui demander la permis-sion de ne plus aller en classe,raconte-t-il. Je préférais étudierà la bibliothèque. Celui-ci m’adit oui. Voilà qui m’a permis delire énormément… De lire destas de trucs en littérature, en his-toire et bien sûr en sciences.»

Lorsqu’il entreprend sesétudes universitaires, à la findes années 1950, c’est l’âge

d’or de la physiologie. Or l’Uni-versité McGill, où il entre, setrouve au cœur de la re-cherche en ce domaine grâceà d’éminents spécialistes. Lejeune Gold a donc la chanced’étudier avec des sommités.

Toutefois, non content de seconsacrer à la physiologie, il en-treprend en parallèle des étudesde médecine! Et, alors qu’il ef-fectue son stage de résidencecomme médecin, il amorce sespropres recherches.

«Un jour, je suis allé voir SamFreedman [un éminent spécia-liste en physiologie] avec uneidée en tête, raconte-t-il. Celui-cim’a demandé de lui dire de com-bien d’espace j’aurais besoinpour faire mes recherches dansson labo… Et il me l’a accordé!Je réalisais donc ma résidence lejour et mes travaux le soir,c’était vraiment l’fun ! », dit-iljoyeusement.

Ce que personne ne savaitalors, c’était que le jeune cher-cheur avait une idée brillante.« Je voulais savoir s’il y avaitune différence particulière entreles cellules normales et les cel-lules cancéreuses», explique-t-il.

Toutefois, à la différence desautres recherches en cours, il al’idée de comparer les cellulesnormales et cancéreuses d’unmême individu, afin de s’assurerque, s’il trouve une différence,celle-ci ne sera pas dû au fait

qu’il s’agit d’individus différents.Or, coup de chance, il repère

une telle différence, un certainantigène, une molécule capabled’engendrer une réponse immu-nitaire. Puis, en poursuivant sestravaux sur des fœtus, il observele même antigène. Il baptise parconséquent celui-ci ACE, pour« antigène carcino-embr yon-naire», soit l’antigène du cancer(carcino) embryonnaire.

En fait, l’ACE est présentchez tout le monde, mêmelorsqu’on est en bonne santé.Toutefois, en temps normal,l’ACE ne se trouve qu’en trèspetite quantité, mais il devientplus abondant lorsqu’apparaîtun cancer. C’est ainsi que leDr Gold a fait une percée ma-jeure dans la lutte contre lecancer, en permettant la détec-tion de la maladie bien avantl’apparition des premierssymptômes.

À l’époque où il effectue sadécouverte et dans les annéessuivantes, ses collègues et luiont la conviction qu’on « ré-glera le cas du cancer d’ici del’an 2000 ». Les recherchesprogressent d’ailleurs rapide-ment, une foule de décou-ver tes s’enchaînent et unemultitude de thérapies sontmises au point. Toutefois, hé-las, le cancer continue de fairedes ravages. Pourquoi donc ?« En réalité, c’est une maladie

beaucoup plus complexe qu’onl’imaginait alors, explique PhilGold. C’est une maladie àcouches multiples ; chaque foisqu’on découvre quelque chose,la Nature nous soumet autrechose», dit-il en riant.

Il se dit pourtant absolumentconvaincu qu’on parviendra àvaincre le cancer, et mêmebientôt. «Comme le dit l’un demes collègues, la question n’estpas tant de savoir quand, maisà quel coût?», dit-il.

De fait, il existe déjà nombrede traitements, mais certainsont un coût exorbitant. « Cer-taines molécules coûtent100000$ par année et par pa-tient, rapporte-t-il. Or il nous fauttrouver le moyen de traiter tout lemonde à un coût raisonnable.»

« Je suis convaincu qu’on yparviendra, que nous finironspar développer une médecineplus ef ficace, dit-il. Et, ce quinous manque en ce moment, cen’est pas tant l’argent — biensûr que l’argent est toujours unproblème — mais bien davan-tage de bonnes idées. Il faut son-ger à faire les choses autrement,à sortir de notre mode de pen-sée. Et, pour cela, nous avonsquantité de jeunes chercheursbrillants. J’ai par conséquenttrès confiance en l’avenir !»

CollaborateurLe Devoir

On croise parfois des personnages qui sont hors du commun,des personnalités fulgurantes et inspirantes. Le Dr Phil Goldest de ceux-là. Non seulement a-t-il réalisé l’une des grandespercées dans le traitement du cancer, mais, à 77 ans, il esttoujours aussi actif et passionné. Il vient de se voir décernerle Prix Wilder-Penfield pour sa longue et fructueuse carrièrede chercheur et d’enseignant.

RÉMY BOILY

Ph i l Go l d a amor c é unevéritable révolution dans ladétection précoce des cancers.

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PRIX ARMAND-FRAPPIER

Et le Centre de recherche sur le cancer de McGill fut« Nos travaux de recherche ont contribué à l’arrivée de nouveaux médicaments sur le marché »

M A R T I N E L E T A R T E

D e retour d’une année sab-batique au Japon, où il a

continué à faire avancer diffé-rents projets, Michel L. Trem-blay travaille entre autres audéveloppement d’un vaccincontre le cancer avec une en-treprise de biotechnologie qu’ilvient de créer. Rien ne semblepouvo i r l ’ a r rê ter, un peucomme lorsqu’il a pris la direc-tion du Centre de recherchesur le cancer de McGill, il y a13 ans. On y trouvait alors sixchercheurs principaux, alorsqu’ils sont aujourd’hui 25 pro-fesseurs et près de 300 étu-diants et techniciens. « J’étaisconvaincu que, pour être compé-titif, le Centre devait avoir unemasse critique de chercheursmultidisciplinaires sur d’impor-tantes plateformes technolo-giques», raconte-t-il.

Pour y ar river, Michel L.Tremblay devait obtenir deslocaux plus spacieux. Il a at-teint son objectif avec l’ouver-ture, en 2008, du Complexedes sciences de la vie, où leCentre s’est installé.

Enthousiaste de s’installerdans son nouveau bureau, Mi-chel L. Tremblay s’y est renduavant que tout ne soit terminé.« J’ai vu deux personnes, jecroyais qu’elles étaient perdues,mais elles ont commencé àme poser des questions sur leCentre, raconte-t-il. Je leur ai ex-pliqué ma vision pendant plusde 30 minutes. Par la suite, j’aisu qu’il s’agissait de Rosalind et

Morris Goodman, qui voulaienten savoir plus sur le Centre pourdécider s’ils allaient y faire undon substantiel. Ils l’ont finale-ment fait et on a rebaptisé leCentre en leur honneur.»

Créneaux de rechercheRapidement, Michel L. Trem-

blay voulait agrandir l’équipe dechercheurs. « Il y avait ungroupe à l’hôpital Royal Victoriaqui faisait presque la mêmechose que nous , a lor s j ’a iconvaincu les gens du Centreuniversitaire de santé McGillque ce groupe devait se joindre ànous. Le nombre de chercheursdu Centre a monté d’un coup àune quinzaine», explique le pro-fesseur aux Départements debiochimie et d’oncologie del’Université McGill.

Il a ensuite formé des équipesmultidisciplinaires de cher-cheurs autour de certains cré-neaux. «L’équipe qui arrivait duRoyal Victoria a continué à tra-vailler sur le cancer du sein.Nous avons créé les créneaux dela biologie du développement ani-mal, de la signalisation cellu-laire, de la mort cellulaire et dumétabolisme.»

Cette dernière équipe ob-tient d’ailleurs beaucoup desuccès, remarque M. Trem-blay. « Elle regarde commentl’énergie, comme les acides graset le glucose, est utilisée par lescellules cancéreuses. Cela per-met de comprendre le rôle dudiabète et de l’obésité dans lecancer, puis de trouver de nou-velles approches thérapeutiques.

Ce fut la première équipe multi-disciplinaire à travailler en on-cométabolisme moléculaire auCanada et peu d’équipes enAmérique du Nord sont aussibien structurées. »

Michel L. Tremblay croitque la force du Centre setrouve largement dans ceséquipes. «Chacune a ses infra-structures, ses bourses et samasse critique de chercheurspour faire avancer ses projetsde recherche ; tout ce qu’il fautpour recruter de bons étudiantset de jeunes chercheurs dans un

milieu de travail où ils serontcompris et soutenus », af firmele professeur, précisant queplus d’une centaine d’articlesscientifiques sont publiéschaque année par 23 cher-cheurs du Centre.

L’établissement organisemême des séances d’informa-tion pour le grand public depuis2009. «Sans recherche fondamen-tale, nous traiterions encore lescancers comme il y a 50 ans, af-firme Michel L. Tremblay. Nostravaux de recherche ont contri-bué à l’arrivée de nouveaux médi-

caments sur le marché. Les scien-tifiques doivent mettre cela enperspective pour le grand public.De plus, le Centre reçoit environ16 millions en fonds de recherchechaque année et la grande majo-rité de cette somme vient descontribuables, alors il y a unsouci de transparence.»

Chercheur prolifiqueLa carrière de Michel L.

Tremblay a commencé sur leschapeaux de roue au débutdes années 1990, alors qu’il fai-sait un postdoctorat au Natio-nal Institute of Health, près deWashington.

« J’ai réalisé la première sou-ris démontrant le phénotyped’une maladie génétique hu-maine par la technique duknock-out (recombinaison ho-mologue dans les cellulessouches), explique-t-il. C’étaitun modèle de la maladie deGaucher, qui a d’ailleurs étéutilisé pour identifier de nou-veaux traitements. »

L’Université McGill a re-cruté immédiatement le jeunechercheur. « J’ai été le premierà faire une souris génétique-ment modifiée par recombinai-son homologue en ce l lu lessouches embryonnaires au Qué-bec», indique celui qui évalue àprès de 850 000 $ en moyenneles fonds de recherche qu’ilobtient chaque année.

En 1999, il a publié un arti-cle dans la revue scientifiqueScience, dans lequel il identi-fiait un gène comme cible thé-rapeutique du diabète de typeII. « Des entreprises travaillenttoujours à amener des inhibi-teurs de cette cible en rechercheclinique de phase II », précisele chercheur.

Michel L. Tremblay conti-nue de travailler sur ce gène etil a découvert que la protéine

agissait aussi comme un onco-gène dans cer tains cancers.« Nous avons obtenu de trèsbons résultats démontrant l’as-sociation du gène avec certainsfacteurs de risque en cancérolo-gie, tel que l’obésité », af firmeM. Tremblay.

Le travail se poursuitIl dirige également une nou-

velle unité au Centre sur lathérapie génique et cellulairepour les maladies génétiques.

À 55 ans, l ’homme origi-naire de Québec, dont le pèretravaillait sur les chemins defer, ne diminue pas le rythme.

Il s’investit aussi énormé-ment dans la réalisation d’unvaccin contre le cancer. « Levaccin réactive le système immu-nitaire du patient cancéreuxpour tuer ses propres cellulescancéreuses. Nous terminons lesétudes précliniques, puis nousirons en phase clinique », ex-plique le professeur, qui a lancétrois entreprises de biotechno-logie au cours de sa carrière.

Il réalise ce projet avec saplus récente, Kanyr : « J’ai créécette entreprise pour amenermes brevets aux étapes supé-rieures, grâce à du capital privé,et éviter ainsi qu’ils restent surles tablettes, précise-t-il. Malheu-reusement, c’est souvent le casen recherche fondamentale.»

Le professeur Tremblay, quia été influencé dans son choixde carrière par le décès de samère d’un cancer du sein pen-dant qu’il réalisait sa maîtrise àl’Université de Sherbrooke,tente ainsi de faire en sor teque l es f r u i t s de ses r e -cherches puissent appor terune réelle contribution au trai-tement des patients.

CollaboratriceLe Devoir

Michel L. Tremblay, directeur du Centre de recherche sur lecancer Rosalind & Morris Goodman de l’Université McGillde 2000 à 2012, a reçu le prix Armand-Frappier pour avoirréussi comme chercheur à favoriser la relève scientifique et àsusciter l’intérêt de la population par sa contribution au déve-loppement d’un établissement de recherche.

PRIX GUY-MAUFFETTE

La caméra de ce Via le monde enregistre toujours« J’ai décidé de débusquer le pire et de mettre en valeur le meilleur »

Félicitationsà soeur Madeleine Juneau, CND

Lauréate du Prix Gérard-Morissettepour sa contribution au patrimoine.

Toutes nos félicitations et notre reconnaissancepour votre dévouement

à l!oeuvre de la Maison Saint-Gabriel,particulièrement en cette année

du 350e anniversaire de l!arrivée des Filles du Roy.

RÉMY BOILY

Quand Michel L. Tremblay a pris la direction du Centre derecherche sur le cancer de McGill, on y comptait que 6 chercheursprincipaux. Treize ans plus tard, ils sont 25.

A N D R É L A V O I E

L e réalisateur et producteurqu’est Daniel Bertolino a

fait plusieurs fois le tour de laplanète, a rapporté des imagesfascinantes pour le bénéfice demillions de téléspectateurs etne semble pas pressé de poserses valises. À l’époque de lapellicule 16 mm, il ne voya-geait pas léger !

Pour plusieurs, les Prix duQuébec constituent le couron-nement d’une carrière. Pas

pour Daniel Bertolino, qui aencore des projets plein la tête,lui qui ratisse tous les conti-nents depuis l’adolescence,alors qu’il vivait encore enFrance. Ce fils d’immigrantsitaliens n’avait pas encore 20ans qu’il visitait déjà l’Égypte,le Cameroun et le Maroc, tra-vaillant pour l’OR TF. « Avecma première émission, Caméra-Stop, j’ai appris mon métier,mais j’ai aussi démontré qu’onpouvait faire de la télévisionavec deux personnes, pas 15 !

J’étais mal vu parce que je bous-culais les habitudes », af firmeDaniel Bertolino avec fierté.

Il va également bousculerles siennes lors de son pas-sage à Expo 67, déterminé às’établir au Québec, une so-ciété riche de possibilités « etsans passé colonial » : « Àl’époque, je supportais dif ficile-ment les idées coloniales fran-çaises. C’était la fin de laguerre d’Algérie. J’avais unnom italien et on n’aimait pasles Italiens à cause de laDeuxième Guerre mondiale. Jeme faisais souvent tabasserdans la cour d’école… J’ai vitecompris ce qu’était l’exclusion. »

Il en a d’ai l leurs t iréquelques leçons. « À force devoyager, je me suis renducompte que la nature humaine

est capable du meilleur et dupire. J’ai décidé de débusquerle pire et de mettre en valeurle meilleur. Et j’en ai fait unecarrière. »

Aux quatre coins dumonde

Daniel Bertolino va non seu-lement multiplier les kilomè-tres à parcourir et les bobinesà trimballer, mais proposerdes émissions qui, ici commeà l’étranger, donneront le goûtde voyager, de s’informer,voire de s’indigner. Et on neles compte plus : Poste frontière(1974-1977), Les amis demes amis (1977-1980), Le défimondial (1986), animé par Pe-ter Ustinov, Contes et légendesdu monde (1984-1987), etc.Chaque titre amène son lot de

souvenirs et, lorsque j’évoquemon admiration d’adolescentpour les aventures de RobertToupin et Ghyslaine Paradisdans À cœur battant (1978-1979), série sur un couple par-courant des contrées loin-taines, dont l’Afghanistan, il nepeut réprimer un sourire. « Àcette époque, je suis allé dansune vallée de la région du Kâfi-ristân [aujourd’hui nommée leNouristan] et Oussama BenLaden s’est sûrement réfugié làplus tard…»

Alors que les télévisions pu-bliques d’aujourd’hui ne pour-raient se passer des sociétésprivées pour garnir leur grille-horaire, leur présence n’étaitpas si importante il y a plus de40 ans. Et pas toujours dési-rée… « Je suis arrivé à Mont-

réal avec des caisses de pellicule16mm en noir et blanc tournéeaux quatre coins du monde ;c’était un vrai capital et c’est làque j’ai pensé à créer Postefrontière. Je n’arrivais jamaisà parler à un des directeurs deRadio-Canada. Après un moisde coups de téléphone sans ré-ponse, j’en ai eu marre et jesuis allé dans son bureau avecmon projecteur pour lui mon-trer ce que j’ai fait. J’ai signépour 26 épisodes ! »

Il reconnaît que sa présenceen a par fois « emmerdé » cer-tains. « J’étais persona nongrata à l’Of fice national dufilm (ONF). Pour eux, je sor-tais de nulle par t et, tout àcoup, on m’offrait des émissions

Pour obtenir une réponse courte, il est plus simple de deman-der à Daniel Bertolino quels sont les pays qu’il n’a jamais visi-tés et filmés. « Je ne suis allé qu’une seule fois au Japon ! »,souligne le lauréat du prix Guy-Mauffette et infatigable globe-trotter, lors de notre chaleureux entretien au Café-bar de la Ci-némathèque québécoise.

VOIR PAGE G 7 : BER TOLINO

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3 G 7

Félicitations!Phil Gold, Marguerite Mendell et Michel L. Tremblay LE PRIX DU QUÉBEC EST LA PLUS HAUTE DISTINCTION octroyée par le gouvernement du Québec à des personnalités ayant connu une carrière exceptionnelle, et les trois lauréats suivants n’auraient pu connaître de parcours plus remarquable.

PHIL GOLD, B. Sc. 1957, M. Sc. et M.D. 1961, Ph. D. 1965 (Prix Wilder-Penfield) est professeur, médecin et pionnier dans le domaine de la recherche sur le cancer. Sa découverte des propriétés de l’antigène carcinoembryonnaire en 1965 a mené à la mise au point du test le plus fréquemment utilisé en oncologie pour dépister des cancers au stade précoce.

La diplômée mcgilloise MARGUERITE MENDELL, Ph. D. 1983 (Prix Marie-Andrée-Bertrand) a contribué à l’amélioration du bien-être de la société québécoise en élaborant des politiques publiques novatrices dans les domaines du développement économique communautaire, de l’économie sociale et du financement social.

MICHEL L. TREMBLAY (Prix Armand-Frappier) a réalisé des découvertes déterminantes ayant mené à la mise au point de médicaments contre le cancer. Sous sa direction, le Centre de recherche sur le cancer Rosalind et Morris Goodman a connu un essor remarquable, passant d’un groupe de six investigateurs à une équipe composée de plus de 25 professeurs et de 300 étudiants et techniciens.

McGill est fière que soient ainsi reconnus ces trois éminents Québécois dont le travail a eu une incidence remarquable au Québec, au Canada et à l’étranger.

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Photos fournies par : Phil Gold, gouvernement du Québec et Nick Lafontaine.

à Radio-Canada, tandis quecertains réalisateurs de l’ONFattendaient encore leur tour. Ilm’a fallu mener cette bataillepour m’enraciner : je n’étais pasde passage, je voulais devenirun Québécois comme les au-tres. » Il avait d’ailleurs plusd’une carte dans son jeu pourimposer son cinéma à la télévi-sion. «Le nom de ma maison deproduction était intrigant : Viale monde, ça sonnait un peucomme une agence de voyages !Mon nom italien évoquait aussiune sorte d’exotisme.»

À vivre sans danger…Daniel Bertolino n’est pour-

tant pas un adepte du tourisme,et, lorsqu’il l’est, c’est dans saforme extrême. Le voyageurreconnaît qu’il a plus d’une foisrisqué sa vie. «J’ai failli y passeren Nouvelle-Guinée. Dans la fo-rêt tropicale, j’ai perdu monéquipe au croisement d’un sen-tier. Je me suis retrouvé seul à lanuit tombée, sans lumière etsans eau, avec autour pleind’animaux sauvages. J’ai perdu

conscience pour me réveiller de-vant un Papou avec son os dansle nez. Il m’a emmené dans sonterritoire, mais la tension étaitvive parce que personne n’avaitjamais vu un blanc ; il régnaitun silence absolu. On m’a offertde l’eau dans un bambou, maiscomme je ne savais pas com-ment la boire, elle est tombéed’un seul coup. Tout le monde arigolé et nous sommes devenusamis.»

Donner à voir des cultures,des pays ou encore des peu-ples qu’on dit parfois « primi-tifs » (« Ces savants de la na-ture dont la connaissance deleur milieu est extraordi-naire»), faire tomber les préju-gés et surtout combattre le ra-cisme, c’est ce qui motive Da-niel Bertolino. À force de par-courir le monde, a-t-il toujoursle goût de le changer? Il ne l’ajamais eu, concède-t-il, et pré-fère plutôt répondre avec lesmots d’Henri Laborit : « Nousavons tous la possibilité indivi-duelle d’agir sur la trajectoiredu monde. » Ses films et ses sé-ries ont toujours traduit cetteambition.

CollaborateurLe Devoir

MARIE-HÉLÈNE TREMBLAY LE DEVOIR

Donner à voir des cultures, des pays ou encore des peuples qu’ondit parfois « primitifs », faire tomber les préjugés et surtout combattrele racisme, c’est ce qui motive le réalisateur Daniel Bertolino.

SUITE DE LA PAGE G 6

BERTOLINO

PRIX ATHANASE-DAVID

«Je ne peux pas vivre sans projet d’écriture»

C A T H E R I N E L A L O N D E

R oger des Roches naît en1950, d’un père boulanger-

pâtissier, « toujours suivi parune odeur de farine et de su-cre », et d’une mère au foyer.Fils unique — fait rare à cetteépoque de familles encorenombreuses — de vieille fille— sa mère s’est mariée à 39ans — c’est en grande partiele dépanneur Carignan, à Lon-gueuil, qui fait son éducationlittéraire. Sur les conseils d’uncopain, il y achète un jour Lechasseur de dinosaures, uneaventure de Bob Morane, plu-tôt qu’une tablette de chocolat.Le premier livre qui déclen-chera sa boulimie de lecture.

Il a le temps de découvrirVerlaine et d’écrire à 13 ansses premiers poèmes, avant dese faire renvoyer du cours clas-sique. Un peu plus tard, tou-jours au dépanneur Carignan,«à côté de la caisse il y avait Je,de Denis Vanier », poète pro-dige qui a alors seulement unan de plus que des Roches.Choc. « Ça venait rejoindre ceque j’aimais en peinture, Pi-casso, je trouvais ça normal depeindre des visages avec deuxyeux en plein milieu de la fi-gure, j’avais déjà commencé àdécouvrir les surréalistes, parhasard», confie l’auteur en en-trevue. Il se met alors à écrireen voulant déclasser celuiqu’on nomme alors « le plusjeune poète canadien-français ».

Ce n’est pas beaucoup plus

tard que ses premiers textesseront publiés, dans la revue # 2, des Herbes rouges, où l’aenvoyé le collègue de classe,ami et futur poète FrançoisCharron. Les frères Héber t,éditeurs, publient Corps acces-soires en décembre 1968. DesRoches a 18 ans. «C’est un mé-lange non réfléchi — je ne suispas un écrivain qui réfléchit àson livre, je le laisse aller pasmal — sur le lien entre l’améri-canité et l’Europe, sur le surréa-lisme de [Tristan] Tzara et [An-dré] Breton, mais aussi sur lerock’n’roll, l’Angleterre, lesÉtats-Unis, les Rolling Stones,les Beatles. »

RencontresAprès cette publication sur-

viennent les rencontres, « ungroupe d’écrivains : André Roy,Normand de Bellefeuille, LucienFrancœur, Hugues Corriveau,Huguette Gaulin. Jean-MarcDesgent est arrivé plus tard. Onpassait des nuits chez les frèresHébert à parler de poésie. Onavait l’impression de vivrequelque chose d’unique, commedans les années 1920 quand lemouvement dada est arrivé.»

Des Roches publie beau-coup, alors. « Cer tains titressont restés accrochés à l’époque— refus du père, psychanalyse,j’étais même rendu à écrire desnotes de bas de page. Il y a unou deux titres qui sont bébelles,accessoires. On peut publiertrop vite. Il faut respecter notrecapacité à produire des choses

originales. Ça prend deux outrois ans. Sinon, on se met àronronner. »

D’autres livres, au contraire,sont des charnières : La vie decouple (1977), Les lèvres de n’im-porte qui (1978), L’imaginationlaïque (1982), où le style et letype d’images changent, où lepoète explore la prose. «Écrirefait par tie de ce que je suis »,poursuit le poète, et il ne s’enéloigne pas beaucoup pour ga-gner sa vie. Typographe de for-mation, celui qui a déjà été cor-recteur d’épreuves et éditeurfait désormais la mise en pageset le graphisme de… livres.

Autre tournant au début desannées 2000 : Nuit, penser(2001) gagne le Grand Prix duFestival international de poésiede Trois-Rivières. « En me re-trouvant à faire des lectures pen-dant 10 jours au Festival, j’aicompris que cer tains poèmesétaient illisibles, impossibles àfaire passer à voix haute. J’ai euenvie de changer ça.»

En parallèle, il se met àécrire un livre jeunesse, en ré-ponse à un défi fait avec la bi-bliothécaire de l’école de safille, où il est bénévole. Le résultat sera Marie QuatreDoigts (2002), populaire sérieen quatre tomes, «que je lisaisen classe. C’est là que j’ai ap-pris à lire. »

LangagesPar un détour du hasard, lui,

fan fini de rock qui ne jure quepar les Stones, découvre lepunk californien et le métal. Ilparle, charmé, de Crack in theSkye, de Mastodon, et d’Aelo,de Rotting Christ. Tous ces dif-férents fils se tressent aprèsun cauchemar « où je m’obsti-nais avec ma mère, me retrou-vant à lui dire “Écoute, tu esmorte” et où elle me répondait

“D’où tu sors ça ?”. Je me suisr é v e i l l é en hur lan t . » E n naissent les deux premierspoèmes de dixhuitjuilletdeux-millequatre (2008), œuvre ma-jeure sur le deuil de la mère,«où j’ai compris que je la détes-tais » et où il cherche à repro-duire le r ythme très rapide,les vers cour ts, de ses mu-siques préférées.

C’est là que des Roches com-mence à pétrir davantage le lan-gage : mots-valises, change-ments du sexe des mots, héré-sie de ponctuation pour créerdes effets de rythme. L’accueila été très chaleureux, le Prixchasse-spleen de poésie ayantété créé pour cette unique occa-sion par des collègues en poé-sie (dont votre journaliste), ou-trés de voir que le recueil netrouvait pas place dans lacourse aux habituels prix.

Ont suivi Le nouveau tempsdu verbe être et La cathédralede tout.

Roger des Roches terminepour l’instant un roman jeu-nesse à la Courte Échelle, LaBoîtàmémoire, et travaille unpoème de 100 pages qu’il veut« complètement déjanté », inti-tulé Le corps encaisse. Il resteattaché à Tzara, Breton, Ver-laine, estime que StephenKing est le plus grand écrivaindu siècle et poursuit en travail-lant toujours ses images à la fa-çon surréaliste, le rythme etune certaine oralité.

« Je ne peux pas vivre sansprojet d’écriture, ça veut direque je ne vaux plus rien, ce quej’ai écrit avant perd sa valeur sije ne peux rajouter une brique àl’édifice. C’est une construction.Et là, je la veux plus forte. Etplus folle. » Que la poésie se letienne pour dit.

Le Devoir

C’est au moment où il célèbre le 45e anniversaire de sa première publication que Roger des Roches reçoit le prixAthanase-David 2013, pour la constellation hybride d’une œu-vre faite de plus d’une trentaine de recueils de poèmes, de romans, de récits et de romans jeunesse. Retour sur un parcours d’écrivain.

RÉMY BOILY

C’est à 13 ans que Roger des Roches écrit ses premiers poèmes.

On peut publier trop vite. Il faut respecter notre capacité àproduire des choses originales. Ça prend deux ou trois ans. Sinon, on se met à ronronner.

Roger des Roches

«»

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3G 8

Le cinéma, il le considère comme un art plas-tique, le scénario, comme une matière vivanteà tripoter. Robert Morin jongle depuis plus de30 ans avec l’audiovisuel, toutes disciplineset tous supports confondus, art démonté etremonté avec un plaisir d’horloger. Des scé-narios, le lauréat du prix Albert-Tessier en aplein ses tiroirs. Des idées surgissent. Il lescouche, les attrape par le chignon du cou oules laisse en dormance. Un jour viendra…

O D I L E T R E M B L A Y

A vant l’heure, il avait arraché les cloisonsentre cinéma, vidéo, nouvelles technolo-

gies : «Le cinéma, ce sont toutes les images inté-ressantes qui grouillent », tranche Robert Morin.S’il a fondé La Coop Vidéo en 1977 avec desamis, c’était pour filmer dans l’urgence en seprocurant un local et des outils. « Je suis arrivéà une époque où les jobs étaient prises à l’ONF,où il n’y avait aucune structure de finance-ment. » Une égratignure à sa signature, une re-cherche brillante en amont. « Je suis brut. Pas desensibilité ! Souvent en huis clos avec des person-nages poignés ensemble. »

Ne comptez pas sur lui pour flatter le specta-teur dans le sens du poil. Avec les rayons X desa caméra, il ausculte la bête humaine à traversses zones d’ombre. De fausses autofictions à laYes Sir ! Madame… aux confessions schizo-phréniques façon Papa à la chasse aux lago-pèdes, en passant par des œuvres captées enmultifacettes. Ses films pénètrent les anglesmorts des mauvaises consciences, en critiquesincisives. Le cinéma québécois, il lui trouvegrosso modo un manque d’audace. «Sauf excep-tions, il est assez propre, ne dérange pas, ne dé-stabilise pas non plus. C’est un cinéma quiconforte. » Pas grand-chose à voir avec le sien.

Rien de plus troublant que son Petit Pow PowNoël, réalisé en 2005 avec son père mourant.Cet homme depuis longtemps malade, devenupersonnage d’un film, à ses propres côtés en

fils acharné contre l’homme af faibli, dans lemouroir sinistre d’un hôpital à Noël. Sans pitié.

Une catharsisAllez vous étonner si le grand public connaît

peu le cinéaste du Nèg’ et de Requiem pour unbeau sans-cœur, si prisé des cinéphiles. Élec-tron libre ? « On ne l’est jamais complètement,répond-il. Disons que je m’autocensure moinsque les autres. »

Né à Saint-Hyacinthe, il précise que c’est lalittérature qui le captivait au départ et le captivetoujours. Autre passion : la peinture, à laquelleil s’est sérieusement remis. Son premier choccinématographique, Robert l’a eu au collège,quand un professeur lui a fait découvrir l’ex-pressionnisme allemand. Puis, il travailla laphoto colorée et, de fil en aiguille, la photo.D’images fixes en images mobiles, Robert Mo-rin devint caméraman. Son premier film, Gusest encore dans l’armée, en 1980, fut réalisé avecdes chutes de pellicule pour une production del’ONF sur l’armée. « C’était une joke ! » Ses

amis, qui l’avaient trouvé bonne, l’ont poussé àcontinuer.

« Une bonne histoire, ce n’est pas assez pourmoi, prévient Robert Morin. C’est du cinémaconceptuel que je fais. On plante un piquet, ontourne autour. Pour la suite du monde, de Per-rault et Brault, c’était un concept aussi. Ils se sontdit : “On va leur faire une cache à marsouins. ”Aujourd’hui, la caméra devient de plus en plussharp et on a tendance à oublier que le cinémaest symbolique, à noyer le film de réalisme.»

Il ne se veut nullement documentariste. Dansle magnifique Quiconque meurt, meurt à douleur(1998), coscénarisé et tourné avec des narco-manes ou ex-narcomanes, les vérités étaient trafi-quées, la descente de police, inventée. Tout était,comme toujours, arrangé avec le gars des vues.

Des concepts, donc. Dans son remarquableRequiem pour un beau sans-cœur (1992), avecGildor Roy à sa proue, il s’était inspiré du Qua-tuor d’Alexandrie, de Lawrence Durrell, enusant de caméras subjectives. L’histoire d’uncriminel était racontée à travers plusieurs voix

différentes, comme dans Rashomon.

À contre-courantLorsqu’il se met lui-même en scène comme ac-

teur, le «je» suit un autre, sa caméra se fait faus-sement candide. Ainsi, dans Journal d’un coopé-rant, il s’était transformé un travailleur humani-taire en Afrique qui égare ses idéaux et se perden route. « Un personnage tragique, qui trahitl’auditoire», précise le cinéaste. Dans Papa à lachasse aux lagopèdes (donnant la vedette à Fran-çois Papineau), huis clos d’un escroc en fuitedans sa bagnole, il cherchait à créer un person-nage qui monologue sur deux plans, dont undouble imaginaire. «Dans Le Nèg’, je variais lesapproches cinématographiques selon les person-nages, dans Les 4 soldats, je faisais un conte.»

Les faux films d’amateur, il n’a pas fini d’enréaliser. «Ça se fait de façon plus artistique queles films d’industrie. On gratte, on recommence.J’en arrache avec les grosses productions, où onn’a pas le droit à l’erreur. »

Morin rame à contre-courant : «Le cinéma estsurtout dramatique, avec des personnages sur quile destin s’acharne. Moi, je préfère les héros tra-giques qui se mettent eux-mêmes dans le trouble,comme chez Shakespeare et Dostoïevski. Mais,quand on fait un cinéma tragique, on poignemoins. Les gens veulent du Amélie Poulin.»

Souvent, il tourne avec les moyens du bord,une bourse du Conseil des arts, livrant autrechose que ce qu’il avait promis. Ici et là, il étirela sauce : « Yes Sir ! Madame… est resté 15, 18ans sur ma table. Mon prochain film, 3 histoiresd’Indiens, a pris trois ans et demi à se tourner,mais Lagopède s’est fait sur un dix cents. »

Tout bouge, le temps, la vie vous entraînent ail-leurs. De plus en plus, le cinéaste a envie de ver-ser dans la dramaturgie contemplative. « Je re-tourne à l’art visuel pur : photo, peinture électro-nique», dit celui qui n’a jamais cessé de se dé-crire comme un artiste, un patenteux, parfoiscomme un artisan, jamais comme un membre del’industrie en quête d’un public, «cette énigme»,comme il dit.

Le Devoir

PRIX ALBERT-TESSIER

L’industrie cinématographique, c’est pour les autres« On a tendance à oublier que le cinéma est symbolique, à noyer le film de réalisme »

PRIX PAUL-ÉMILE-BORDUAS

Liberté est un maître mot pour qui a signé Refus global« Il fallait s’attaquer aux structures pour que les connaissances nous parviennent », dit Marcel Barbeau

PEDRO RUIZ LE DEVOIR

Robert Morin est un réalisateur qui ausculte la bête humaine à travers ses zones d’ombre.

J É R Ô M E D E L G A D O

E ntre joies et déceptions,davantage qu’entre la célé-

bration et la colère, mais néan-moins par tagé : Marcel Bar-beau, un des derniers pion-niers de la modernité picturaleà être encore vivant, connaîtun automne à cheval sur lesémotions. Il reçoit le prix Bor-duas, le plus illustre des hon-neurs dans les arts visuels, aumoment où il échoue à unprestigieux concours d’art pu-blic, à Toronto, de plus d’undemi-million de dollars.

Décoré déjà en mars du Prixdu gouverneur général en artsvisuels et arts médiatiques, puisen mai du prix Louis-Philippe-Hébert, décerné par la SociétéSaint-Jean-Baptiste, Marcel Bar-beau complète un inusité tourdu chapeau en devenant le37e lauréat du prix Borduas.L’année 2013 serait-elle celle desa grande consécration?

Peut-être, mais le peintre etsculpteur ne s’emballe pas tropdans la célébration. «Un peu tar-dive », profère-t-il au sujet decette reconnaissance. À 88 ans,sans cacher l ’ âge qu i l e recourbe et le ralentit, MarcelBarbeau garde toute sa tête, demeure aler te, les grif fes aiguisées.

«Il fallait s’attaquer aux struc-tures pour que les connaissancesnous parviennent», dit-il en ré-

férence à la censure de laGrande Noirceur dans laquelleil a grandi. Aujourd’hui, d’au-tres embûches pourla transmission du sa-voir l’enragent. « ÀRadio-Canada, c’est deplus en plus la hachedans la culture. Nousne sommes presquerien», constate-t-il.

Sa consécration ac-tuelle, mais tardive,ainsi que l’inexis-tence d’une véritablerétrospective de sontravail dans un mu-sée, il les associe à cesilence radio. Lui qui«espère transformer lemonde» par son art, ilarrive difficilement àrejoindre un public.« Ce n’est pas pourmoi que c’est grave,c’est pour la culture »,assure celui dont lapeinture porte un message deliberté depuis des décennies.

À l’œuvreÀ 88 ans, Barbeau n’a pas

encore cessé de le livrer. Dansson a te l ier ba igné par l a lumière en provenance du ca-nal de Lachine, un tableau re-pose sur le chevalet. Il fait par-tie d’un ensemble en fin deréalisation, axé sur la forced’une courbe sur fond mono-chrome. Série actuellement ex-

posée à Paris, à la galerieChauvy, connue pour son pen-chant pour les grands maîtresde l’abstraction.

Pas tellement loin, sur une ta-ble, se trouve la maquette encours de construction d’unesculpture en cèdre destinée à safille Manon. Un cadeau d’ombreet de lumière, haut de 12 pieds,expression sans doute de l’ambi-

valence de ses étatsd’âme. Le laminé desa proposition pour lecomplexe d’habitationConcord Adex Place,à Toronto, repose toutprès. Le concours apris fin il y a deux semaines.

«J’ai voulu faire unesculpture ouverte, paropposition à ces blocsd’étages, fermés. L’œu-vre gagnante est unesérie de blocs, aussi. Lejury était de ce bord»,maugrée l’homme.

Marcel Barbeau asouvent été considérécomme la roue la pluslibre du mouvementautomatiste et de lagrande fami l le del’abstraction. Il est

parmi les premiers, au tour-nant des années 1950, à se ren-dre à New York et à y rencon-trer le milieu artistique. Fidèleau principe de la spontanéitédu geste, il est aussi parmi lespremiers à plonger dans l’aven-ture plus formaliste des an-nées 1960 et devient une desprincipales figures au Canadade l’op art. On dit de lui égale-ment qu’il a décloisonné, parses expériences des années1970 avec des danseurs et des

musiciens, les limites du ta-bleau, bien avant que l’épithètede « multidisciplinaire » nefasse partie du vocabulaire.

Ces changements stylis-tiques, autant sa traverséevers la peinture hard-edge queson retour vers la peinture ges-tuelle dans les années 1970,n’ont pas été programmés, as-sure-t-il. « Je ne décide de rien,dit-il. Je suis influencé, ce n’estjamais volontaire. »

Toute sa carrière, depuis 60ans, il l’a menée dans cet espritde «grande liberté» et d’ouver-ture autant pour l’évolutionque pour le temps présent.

« La pensée, c’est une chosequi se sent, qui évolue. Ce n’estpas une chose fixe, croit-il. Un

tableau est la projection d’unmoment. Un autre tableau, unautre moment. Comme nos vies,faites de moments dif férents. Ilfaut s’exprimer [sur une toile]comme on exprime de la joie oude la colère. Après, ce sont dessentiments mélangés.»

Entre prix et expositionsÀ 88 ans, Marcel Barbeau

n’a pas cessé de peindre nide sculpter. Comment celaserait-il possible, lui qui vientde connaître une année forteen émotions ? On le couvrede prix, mais on ne l’exposepas. Du moins, pas assez àson goût — les galeries Mi-chel-Ange et TD Lounge, à laMaison du jazz, lui ont quand

même ouver t leurs sal lesen 2013 et 2012 respective-ment. L’âme vive qu’il est de-meure à l’af fût de créativité,fréquente encore les sallesde mus ique , no tammentcelles dédiés aux sonoritéscontemporaines.

«L’expression directe existe ennotation musicale. Il y a desruptures, des attentes , des moments de hausse de ton. Deschoses qui rompent avec la mo-notonie », explique Barbeau lemélomane.

C’est un peu ça que lui, pein-tre et sculpteur, a cherché etcherche toujours à faire.

CollaborateurLe Devoir

Quatrième signataire de Refus global à recevoir le prix Bor-duas et probablement le dernier — après Riopelle (en 1981),Marcelle Ferron (1983) et Fernand Leduc (1988) — MarcelBarbeau atteint en 2013 une consécration qui lui était depuislongtemps due.

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

À 88 ans, Marcel Barbeau n’a pas cessé de peindre ni de sculpter.

MarcelBarbeau asouvent étéconsidérécomme la roue la pluslibre dumouvementautomatiste etde la grandefamille del’abstraction

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3 G 9

Un spor t de combat, la sociologie ? La for-mule de Pierre Bourdieu sied plutôt bien àMarcel Fournier, sociologue de profession etintellectuel dans l’âme, lauréat 2013 du prixLéon-Gérin qui couronne chaque année unecarrière en sciences humaines.

A S S I A K E T T A N I

C onsidéré comme le sociologue québécoisayant le plus grand rayonnement interna-

tional, Marcel Fournier a fait ses premiers pasen sociologie à une époque où la discipline étaità son âge d’or, où les sociologues intervenaientdans le débat public et faisaient partie de com-missions d’enquête, à l’exemple de la commis-sion Rioux et du rôle de Guy Rocher dans lacommission Parent.

Né à Plessisville, dans le Centre-du-Québec, ilchoisit l’Université de Montréal plutôt que l’Uni-versité Laval pour faire ses études, attiré par larenommée de celui qui deviendra son directeurde maîtrise : Marcel Rioux. Il poursuivra à Parisoù, sous la direction de Pierre Bourdieu, àl’EHESS, il soutient sa thèse de doctorat en 1974.

Après Rioux, Dumont et RocherRecevoir le prix Léon-Gérin est pour lui un

honneur qui résonne de manière symbolique.Tout d’abord parce que Léon Gérin est le pre-mier sociologue québécois dont il connaît lesœuvres sur le bout des doigts, pour avoir ensei-gné l’histoire de la sociologie québécoise. Etaussi parce que parmi les lauréats figurentMarcel Rioux, Fernand Dumont et Guy Rocher,qui ont tous été ses professeurs.

Dans une carrière qui comporte deux grandsvolets, Marcel Fournier, aujourd’hui professeurà l’Université de Montréal, a consacré ses pre-mières années de chercheur au Québec des an-

nées 20 à 50, une période de tension et de transi-tion pendant laquelle la société était déchirée en-tre le conser vatisme et la volonté d’aller del’avant. «Tout ne s’est pas réalisé au moment de laRévolution tranquille », défend-il dans son ou-vrage intitulé L’entrée dans la modernité. Science,culture et société au Québec. Dans Générationsd’artistes, il dresse le portrait des milieux intel-lectuel, artistique et culturel de l’époque, abor-dant les conditions sociales et les facteurs déter-minants dans l’accès à une carrière artistique.

Sur Mauss et DurkheimMais sa renommée internationale, il la doit à

ses travaux sur l’École de sociologie française,notamment ses deux grands ouvrages biogra-phiques consacrés à Marcel Mauss et ÉmileDurkheim, le père de l’anthropologie et le fon-dateur de la sociologie moderne, respective-ment. Ce qui a déclenché ce virage ? « PierreBourdieu m’a averti un jour que les archives dela famille Mauss venaient d’être reçues. En re-gardant dans les boîtes, je suis tombé sur un tré-sor, auquel j’ai été le premier à avoir accès. J’aisenti que j’avais découvert quelque chose de nou-veau ». Commence alors pour le chercheur untravail en archives, qui donnera lieu à plusieurspublications, dont la biographie de MarcelMauss, les éditions critiques de ses correspon-dances, de ses écrits politiques et, plus récem-ment, de La nation. Il révèle «une personnalitéfascinante, un militant, un vrai intellectuel quiétait dans l’ombre de son oncle, Émile Dur-kheim, et qui était considéré comme le raté de lafamille. Pourtant, Mauss entre au Collège deFrance en 1930. » Devenu un spécialiste de laquestion, Marcel Fournier se lance dans la bio-graphie de Durkheim, publiée en 2007.

Pour Marcel Fournier, le sociologue est un in-tellectuel qui a un rôle à jouer dans la cité. Cettevision ne l’a jamais quitté depuis ses débuts dansla profession, au moment où il choisissait la socio-logie contre le droit, préconisé par ses parents.

En rupture avec le conservatisme de son milieu,il était convaincu qu’il fallait «intervenir comme in-tellectuel et non comme politicien pour pouvoirchanger la société». Sa devise de l’époque? «Dé-mythifier», « faire tomber les mythes», un idéalambitieux auquel il est encore fidèle.

EngagementJeune, il était actif dans les radios et journaux

étudiants et a occupé le rôle de chef de l’opposi-tion au parlement étudiant sous la bannière duNPD. Plus tard, il s’est engagé dans le syndica-lisme universitaire et est devenu le président de laFédération des associations de professeurs desuniversités du Québec (FAPUQ). Pourquoi nes’est-il jamais lancé en politique? La question estécartée, même si elle trotte encore. Ainsi, lorsqu’ilétait compagnon de route de groupes marxistes-léninistes en sa jeunesse et a fait son mémoire demaîtrise sur le communisme au Québec, il ne s’estjamais engagé, déclinant tout dogmatisme.

Comme il l’évoque dans son ouvrage intituléProfession sociologue, le sociologue est celui quioppose une analyse poussée aux débats d’actua-lité, en marge de la complaisance politique et dubombardement d’images médiatiques. «On nedirige pas une société en imposant des lois et desrègles, sans connaître les réalités sociales en jeu.»

Combinant l’engagement social et la connais-sance de la réalité, le sociologue « doit nouséclairer sur les grands problèmes de la société àpartir d’enquêtes et de réflexions». Son rapport àla politique, c’est donc à travers l’écriture qu’ill’a construit, des revues Possibles et Socialismequébécois à Sociologie et société, qu’il dirige, oumême aux pages du Devoir.

Malheureusement, ce rôle du sociologue intel-lectuel se perd au Québec depuis les années 60,déplore-t-il. « Il y a de moins en moins de placepour les spécialistes en sciences sociales dans lesmédias. Ceux-ci ne sont pas ouverts aux interven-tions longues et aux débats approfondis». Pourtant,nombre de sujets d’actualité mériteraient un re-

cul réflexif, à l’exemple des enjeux soulevés parla Charte des valeurs, qui l’amènent à espérer«qu’il y aura de la place pour des prises de positionqui ne sont pas uniquement idéologiques».

Quels seront les impacts des règlements surl’accès à la fonction publique pour les femmes is-sues de minorités?, s’interroge-t-il. Faut-il donnerpréséance aux droits individuels ou aux droitscollectifs? «La sociologie reconnaît la nécessité devaleurs et d’idéaux communs, mais sans oublierque, parmi ces valeurs, il y a l’individualisme, laliberté d’expression», nuance-t-il. Faut-il craindrepour l’avenir de la discipline? À voir les menacesvenant du gouvernement fédéral — l’abandon duformulaire long dans les recensements est «ca-tastrophique pour la recherche», estime-t-il — il ya de quoi s’inquiéter. Mais il en faudrait plus pourdécourager un spécialiste du sport de combat.

CollaboratriceLe Devoir

PRIX LÉON-GÉRIN

Le sociologue est un homme de combat

PRIX LIONEL-BOULET

Le physicien avait à l’œil l’imagerie médicale« Je suis demeuré chercheur universitaire et j’ai décidé de ne pas faire une carrière industrielle»

RÉMY BOILY

Marcel Four nier déplore que le rôle dusociologue intellectuel se perd au Québec.

R É G I N A L D H A R V E Y

Roger Lecomte ne se consi-dère pas comme un mordu

de la science au moment où ilfait ses études, bien qu’il aitconnu beaucoup de facilitédans ces matières: «C’est mêmece qui m’a causé un problème enquelque sorte, car, quand on estbon dans tout, il est parfois diffi-cile de poser un choix, rendu àl’université.» Il opte finalementpour la physique : « Je trouvaisque c’était la science qui allait leplus loin et le plus au fond deschoses ; j’en aimais bien aussi larigueur mathématique. J’ai optépour cette discipline en me di-sant que, en étudiant dans cettevoie, il était possible de fairen’impor te quoi avec de tellesconnaissances par la suite. » Illance, un sourire dans la voix :«Quand je tiens de tels propos,ça frustre en partie les autresscientifiques, mais c’est quandmême un peu vrai…»

En 1974, il obtient son bac,avec spécialisation en biophy-sique, de l’Université de Mont-réal, ce qui laisse voir qu’ilconserve toujours un engoue-ment pour les autres sciences :« J’avais alors certainement unpenchant pour la multidiscipli-narité, dont on ne parlait pasbeaucoup à l’époque; c’était plu-tôt inconscient de ma part, maisc’était ce à quoi j’aspirais.» Il re-çoit du même établissementuniversitaire, tour à touren 1977 et 1981, une maîtriseen physique appliquée et undoctorat en physique nucléaireexpérimentale. Il compte déjà37 publications au terme de saformation doctorale.

Dans le feu de l’actionEn 1981, il gagne l’Univer-

sité de Sherbrooke, où com-mence son parcours de cher-cheur dédié à l’utilisation de laphysique pour les avancées enimagerie médicale. Roger Le-comte décrit son chemine-ment à partir de là : « J’ai choisicet endroit parce que je pouvaism’orienter dans ce sens-là. Avecmes connaissances en physique,en détection et tout cela, je re-gardais les appareils utilisés enimagerie en me disant qu’ilétait probablement possible deles améliorer en utilisant les

technologies semi-conductricesles plus récentes. »

Le hasard fait par fois bienles choses et il découvre qu’ilexiste une entreprise indus-trielle montréalaise, RCA Op-toélectronique à l’époque, quidéveloppe des « photodétec-teurs» semi-conducteurs beau-coup plus sensibles que ceuxd’ordre courant. Il établit desliens avec le docteur Robert J.McIntyre, leur inventeur et leresponsable du dossier chezRCA: «Il a tout de suite vu l’oc-casion d’appliquer dans le do-maine médical cette invention,qui était alors beaucoup utilisée,à 90% sans doute, pour des ap-plications militaires ; il voyait ceprojet-là comme une occasion del’appliquer à quelque chose deplus utile que de faire des sys-tèmes de guidage pour des mis-siles. » Au même moment, lesecteur des télécoms connaîtune phase d’évolution rapide,notamment sur le plan de la fi-bre optique.

Cette entreprise a changé denom plusieurs fois en cours deroute pour s’appeler finalementExcelitas Tecnologies, et le pro-fesseur poursuit sa collabora-tion avec celle-ci encore de nosjours. Mais à quoi servent lesappareils d’imagerie mis aupoint en commun en matièrede santé? «L’application qu’on

appelle “tomographie par émis-sion de positrons” (TEP) en estune de médecine nucléaire dontl’objectif est d’introduire un ra-diotraceur dans la circulationou autrement pour regarderquelle en est la distribution.»

Il en résulte que, «contraire-ment aux résultats plus clas-siques d’imagerie médicale, oùon voit bien l’anatomie, le sque-lette et les organes, on essaie dela sorte de mesurer la fonctiondes organes, de voir commentcela fonctionne ; l’informationest dif férente et beaucoup plusutile pour comprendre le fonc-tionnement de la physiologie. »En raison des coûts prohibitifsencourus qui sont envisagéset impossibles à assumer, lesexpériences sont conduites au-près de petits animaux.

L’équipe en arrive finalement

à la construction d’un prototypedevenu fonctionnel en 1995, quisera utilisé jusqu’en 2009: «Ona développé tout un programmede recherche biomédicale autourde ce dernier et, en parallèle, j’es-sayais d’intéresser des manufac-turiers ou de grandes entreprisesd’équipement médical à adoptercette technologie pour l’ima-gerie. » Il y a peu d’enthou-siasme qui se manifeste : «Ontrouvait que c’était une belletechnologie intéressante, maisqu’elle était trop risquée et tropdispendieuse; on croyait que l’ef-for t technologique à consentirpour en faire un produit com-mercial était trop grand.»

Qu’à cela ne tienne, RogerLecomte s’associe à deux étu-diants en 2002 et lance une en-treprise ; ils réussissent à réu-nir les fonds pour y arriver en2005 : «On aurait pu envisagerd’investir nous-mêmes, mais,seulement pour construire unecaméra comptant plusieurs cen-taines ou milliers de canauxélectroniques, il est nécessairede débourser des fonds substan-tiels. » Il s’agit là d’un marchétrès spécialisé qui génère unpetit volume de ventes et né-cessite une ouverture sur lesexportations : « On est rapide-ment venu à la conclusionqu’on devait fusionner nos acti-vités avec une autre entreprisequi possédait un réseau de dis-tribution, en l’occurrenceGamma Medica. »

Chercheur un jour, pour toujours

Une entente est par la suiteconclue avec un des troisgrands dans la sphère de l’ima-

gerie médicale, GE Healthcare,qui créera une brèche sur lemarché international et assu-rera le fonctionnement des acti-vités jusqu’en 2011 : «À partirde 2009, on occupe à peu près letiers du marché mondial pour cetype très spécifique d’imageriepréclinique. » Malheureuse-ment, GE retire ses billes en2011 : «Elle se positionne de lamême manière que ses concur-rents, parce que, pour eux, c’estun marché trop petit pour êtreintéressant. D’une certaine fa-çon, c’est une déception, mais,d’un autre côté, le marché estmaintenant établi, ce qui a in-cité une petite entreprise à re-prendre les activités ; c’est ce quise passe présentement.»

Entretemps, Roger Lecomten’a jamais cessé de conduire

des travaux de recherche, cequi demeure pour lui le fonde-ment même de sa vie profes-sionnelle. Au moment de l’en-trevue, il s’activait à préparerencore une fois une demandede subvention : « Je suis de-meuré chercheur universitaireet j’ai décidé de ne pas faire unecarrière industrielle. Mes aspira-tions et mon plaisir se retrou-vent dans la recherche plus fon-damentale de l’exploration denouvelles idées et du lancementde projets risqués ; c’est vraimentce que j’aime. » Et c’est ainsiqu’il caresse maintenant le pro-jet d’en arriver à la conver-gence des trois modes d’image-rie préclinique qui existent.

CollaborateurLe Devoir

Physicien de formation et de carrière, Roger Lecomte obtientle prix Lionel-Boulet pour ses travaux de recherche à l’Univer-sité de Sherbrooke qui ont contribué au développement en mi-lieu industriel. Il a utilisé ses connaissances dans le domainede cette science pour l’avancement de l’imagerie en santé etpoursuit ses activités de chercheur dans la même direction.

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LA CINÉMATHÈQUE QUÉBÉCOISE

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Le Théâtre du Nouveau Monde salue la touchante Polly Peachum dans L’Opéra de quat’sous de Brecht, lamystérieuse Alice Gendron dans Le Voyage du couronnementde Michel Marc Bouchard, sans oublier Sarah Bernhardtdans Divine Sarah et l’hilarante Bélise dans Les Femmessavantes de Molière. Femmes aux multiples talents dontle nom brille dans la constellation des plus grandes artistesque le Québec ait connues, Monique Leyrac et sa voix inégalée sont à jamais gravées dans notre mémoire collective !

Monique Leyrac dans L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht, mise en scène Jean Gascon, TNM, saison 1961-1962.

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BRAVO MONIQUE LEYRAC !

RÉMY BOILI

Roger Lecomte s’est intéressé àl’utilisation de la physique pourles avancées de l’imageriemédicale.

P R I X D U Q U É B E CL E D E V O I R , L E S S A M E D I 1 6 E T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 1 3G 10

PRIX MARIE-ANDRÉE-BERTRAND

La « loi » de Mendell lie économie et solidarité« La financiarisation a créé un monde financier complètement détaché de l’économie réelle »

É T I E N N E P L A M O N D O N É M O N D

M arguerite Mendell étaitsouriante en cette jour-

née d’automne. Elle bouclaitdans son bureau les dernierspréparatifs avant de partir enCorée du Sud, où elle était invi-tée par le Seoul Social Eco-nomy Development Centerpour prononcer la conférenced’ouverture du Forum interna-tional sur l’économie sociale.Une preuve, s’il en faut une,du rayonnement internationalde cette chercheuse, qui a en-tre autres souvent travaillé au-près de l’Organisation de coo-pération et de développementéconomiques (OCDE) et l’Or-ganisation internationale dutravail (OIT).

M a i s l a p r o f e s s e u r e àl’École des affaires publiqueset communautaires de l’Uni-versité Concordia souriait sur-tout parce que le secteur del’économie sociale venait de re-cevoir plusieurs bonnes nou-velles. Il y a quelques mois, lesNations unies ont créé ungroupe de travail interinstitu-tions sur l’économie sociale etsolidaire. Au Québec, la loi surl’économie sociale a été adop-tée à l’unanimité le 10 octobredernier. « Il y a beaucoup dechoses qui se passent, a-t-elle re-connu. Comme chercheuse etéconomiste, je trouve que c’est

une période fascinante. Je nesuis pas naïve. Il y a des forcesdans la mondialisation quiagissent comme un tsunami etil faut nager très vite pour nepas être submergé. Mais il y amaintenant une convergence deceux et celles qui ont une autrevision de l’économie. »

Le paradigme économiquedominant semble s’essouffler,montrant tout au plus qu’il estcapable de gérer les crises éco-nomiques, sociales, démocra-tiques et écologiques, sans ar-river à les résoudre. « On par-lait toujours de dualité entre lemarché et l’État. Maintenant,on se rend compte que la sociétécivile a un rôle à jouer et onparle de l’économie plurielle. »

Le rôle des chercheurs danscette période ef fervescente ?«Documenter tout ça pour mon-trer qu’on est capable d’investir,d’avoir un rendement et decontribuer à construire autre-ment la société. »

Théoricienne etpraticienne

Après tout, l’économiste atoujours eu un pied dans lathéorie et un autre dans la pra-tique. Dès le début des années1980, elle a été membre fonda-trice de l’Association d’écono-mie politique, un regroupementqui faisait du «militantisme uni-versitaire et théorique pourcontester les idées dominantes».

Durant cette décennie mar-quée par la récession,Mme Mendell a fait notammentla rencontre de Nancy Neam-tan, actuelle présidente-direc-trice générale du Chantier del ’économie soc ia le , a lors engagé dans le Programme économique de Pointe-Saint-Charles (PEP). La désindus-trialisation entraînait le déclinde plusieurs quartiers ouvriersmontréalais et Mme Mendellavait alors décidé d’étudier lephénomène des Community de-velopment corporations auxÉtats-Unis. «On a vu qu’il étaitpossible d’inventer et de dévelop-per des instruments ayant desimpacts impor tants via la société civile.»

En plus de fonder l’InstitutKarl-Polanyi d’économie poli-tique en 1987, elle a créé, en1990, l’Association communau-

taire d’emprunt de Montréal(ACEM), devenant ainsi la pre-mière à importer au Canada leconcept du microcrédit, popula-risé au Bangladesh par Mo-hammed Yunus. « La créationde l’ACEM a été une école pourmoi», a-t-elle indiqué. Son enga-gement dans le domaine del’économie sociale n’a jamais ra-lenti. Dans les dernières an-nées, elle a entre autres parti-cipé à l’élaboration de la Fidu-cie du Chantier de l’économiesociale et à la fondation d’un ré-seau de finance solidaire et res-ponsable nommé CAP finance.

Arrimer la finance à la réalité

Même dans son travail théo-rique, la membre du Centre derecherche sur les innovationssociales (CRISES) se pencheaujourd’hui sur les enjeux fi-

nanciers. « Il faut enchâsser ànouveau la finance dans l’éco-nomie. La finance est un moyenet non une fin en soi, alors quela financiarisation a créé unmonde financier complètementdétaché de l’économie réelle. »

Au niveau international, elleregarde attentivement l’évolu-tion et l’expansion rapide del’investissement socialementresponsable et de ce que lesanglos nomment l’« impact in-vesting ». Si elle se réjouit del’engouement pour ce phéno-mène, elle craint que la vitesseà laquelle croît ce marché fi-nancier ne le conduise versune demande mal arrimée àl’offre.

«Il faut prendre un peu de re-cul», a-t-elle conseillé, afin d’évi-ter que les produits financiersne soient trop homogènes et netiennent pas compte de la diver-sité des besoins des entre-prises sociales. «Il faut, commeon le fait au Québec, réseauteret travailler avec les regroupe-ments d’entreprises qui ont be-soin d’être capitalisés.»

Concertation et co-construction

Experte consultée au niveauinternational, elle se fait d’ail-leurs un honneur d’expliquer àl’étranger le modèle québécoisde dialogue et de concertation,qui constitue selon elle un ex-cellent terreau pour l’innova-tion. « Ce qu’on peut expor ter,c’est notre façon de travailler en-semble entre chercheurs, prati-ciens et responsables du gouver-nement. Ma grande fierté, c’estd’être une des parties prenantesd’un processus de démocratisa-tion des instruments de dévelop-pement économique», a-t-elle dit.

« Mon souhait et mon espoir,c’est qu’on parle d’une économieplurielle mondiale. Au Québec,cette économie plurielle est com-prise et acceptée. Ce n’est pas lecas dans toutes les régions dumonde. » Elle a louangé le mo-dèle des corporations de déve-loppement économique com-munautaire (CDEC). «C’est unmicrocosme de ce qu’on aime-rait construire plus largement.Il s’agit d’une économie plu-rielle basée et fondée sur un dia-logue social », a dit la membrede la CDEC Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce. Ensomme, les CDEC sont, à sesyeux, emblématiques d’une« réconciliation entre les objec-tifs sociaux et économiques».

À son avis, le Québec consti-tue aussi un modèle dans samanière de bâtir des « réseauxde réseaux » dans le domainede l’économie sociale, commecelui du Chantier de l’écono-mie sociale. « Le Chantier del’économie sociale, c’est un labo-ratoire du possible. On s’em-barque dans des initiatives nonseulement avec de l’audace,mais aussi avec beaucoup d’in-telligence collective. »

D’ailleurs, si elle devait choi-sir un mot pour résumer sacarrière, Marguerite Mendella précisé qu’elle choisirait leterme de « co-construction ». E t l e p r ix Mar ie -Andrée -Bertrand ? «Ça m’inspire pourtravailler plus fort », a indiquéla sexagénaire émue, qui a en-core beaucoup de projets entête. « Donc, j’ai besoin d’êtreentourée, comme je l’ai toujoursété», a-t-elle conclu.

CollaborateurLe Devoir

Depuis quelques années, l’économie sociale et solidaire sevoit accorder une plus grande reconnaissance et gagne ses let-tres de noblesse à travers le monde. L’économiste québécoiseMarguerite Mendell, qui a travaillé, ici comme ailleurs, à l’es-sor de ce modèle, reçoit aussi les grands honneurs. Rencon-tre avec la lauréate du prix Marie-Andrée-Bertrand.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

L’économiste Marguerite Mendell a été la première à importer aupays le concept du microcrédit.