26
Sciences sociales Céline Borelle Presses des Mines Diagnostiquer l’autisme Une approche sociologique

Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

  • Upload
    others

  • View
    1

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

29 euros

En matière d’autisme, l’errance diagnostique reste un phénomène très fréquent mais aussi très éprouvant pour les personnes concernées et leurs familles. Le diagnostic est devenu depuis le début des années 1990 un enjeu central pour l’activisme des parents, la recherche scientifique et l’action publique.

Mais comment ce diagnostic est-il concrètement produit en pratiques ? Dans une approche pionnière, cet ouvrage porte précisément sur ce maillon peu étudié par les travaux existants en sociologie de la santé. La question est d’autant plus cruciale que l’autisme constitue une réalité à la fois complexe et disputée.

L’analyse s’appuie sur une enquête dans un centre de diagnostic spécialisé, au cœur du monde médical. Elle met notamment en évidence les différentes conceptions de l’autisme, les implications du recours à des outils standardisés, les désaccords entre professionnels et le rôle déterminant des parents.

Scie

nces

soc

iale

s

Céline Borelle

Presses des Mines

Diagnostiquer l’autismeUne approche sociologique

Céline Borelle est sociologue au laboratoire SENSE (Orange Labs). Elle s’intéresse aux pratiques professionnelles d’expertise sur autrui dans les champs de la santé mentale et du handicap.

Diag

nost

ique

r l’a

utis

me

- C. B

orel

le

Page 2: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Céline Borelle, Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique, Paris, Presses des Mines, Collection Sciences sociales, 2017.

© Presses des MINES - TRANSVALOR, 2017

60, boulevard Saint-Michel - 75272 Paris Cedex 06 - France

[email protected]

www.pressesdesmines.com

ISBN : 978-2-35671-475-6

© Photo de couverture : Gilles Mustar

Dépôt légal : 2017

Achevé d’imprimer en 2017 (Paris)

Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays.

Page 3: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme

Une approche sociologique

Page 4: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Collection Sciences sociales

Responsable de la collection : Cécile MéadelCentre de sociologie de l’innovation (www.csi.mines-paristech.fr)

Fabien Granjon, Venetia Papa & Gökçe Tuncel, Mobilisations numériques

Ronan Le Velly, Sociologie des systèmes alimentaires alternatifs

Collectif CSI, Capitalization

Nicolas Auray, L’Alerte ou l’enquête

Patrick Castel, Léonie Hénaut et Emmanuelle Marchal, Faire la concurrence

Mélanie Dulong de Rosnay, Les Golems du numérique

Michel Peroni, Devant la mémoire. Une visite au Musée de la mine « Jean-Marie Somet » de Villars

Alaric Bourgoin, Les Équilibristes. Une ethnographie du conseil en management

Catherine Rémy et Laurent Denizeau (dir.), La Vie, mode mineur

Florian Charvolin, Stéphane Frioux, Méa Kamour, François Mélard et Isabelle Roussel, Un air familier ? Sociohistoire des pollutions atmosphériques

Francesca Musiani, Nains sans géants. Architecture décentralisée et service Internet

Michel Callon et al., Sociologie des agencements marchands. Textes choisis

Emmanuel Kessous et Alexandre Mallard (dir.), La Fabrique de la vente. Le travail commercial dans les télécommunications

Jérôme Michalon, Panser avec les animaux. Sociologie du soin par le contact animalier

Jérôme Denis et David Pontille, Petite sociologie de la signalétique. Les coulisses des panneaux du métro

Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, Sociologie de la traduction. Textes fondateurs

Nathalie Darène, Fabriquer le luxe. Le travail des sous-traitants

Liliana Doganova, Valoriser la science. Les partenariats des start-up technologiques

Geneviève Teil, Sandrine Barrey, Antoine Hennion et Pierre Floux, Le Vin et l’environnement. Faire compter la différence

Dominique Boullier, Stéphane Chevrier et Stéphane Juguet, Événements et sécurité. Les professionnels des climats urbains

Jérôme Bourdon, Histoire de la télévision sous de Gaulle (nouvelle édition augmentée)

Cyril Lemieux, Un président élu par les médias ?

Fabien Granjon et Julie Denouël (dir.), Communiquer à l’ère numérique.

Anne-France de Saint Laurent-Kogan et Jean-Louis Metzger (dir.), Où va le travail à l’ère du numérique ?

Alexandre Mallard, Petit dans le marché. Une sociologie de la Très Petite Entreprise

Madeleine Akrich, Yannick Barthe, Fabian Muniesa et Philippe Mustar (dir.), Débordements. Mélanges offerts à Michel Callon

Page 5: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme

Une approche sociologique

Céline Borelle

Page 6: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Liste des sigles

ABA : Applied Behavioral Analysis

ABA - VB : Applied Behavioral Analysis - Verbal Behavior

ADI : Autism Diagnostic Interview

ADOS : Autism Diagnostic Observation Schedule

AIDERA : Association Ile de France pour le Développement de l’Éducation et de la Recherche sur l’Autisme

ANCRA : Association Nationale de Centres de Ressources Autisme

ANI : Autism Network International

ARAPI : Association pour la Recherche sur l’Autisme et la Prévention des Inadaptations – anciennement Association pour la Recherche sur l’Autisme et les Psychoses Infantiles

ARS : Agence Régionale de Santé

ASAN: Autistic Self Advocacy Network

ASE : Aide Sociale à l’Enfance

ASEH : Aide à la Scolarisation des Enfants Handicapés

ASITP : Association au Service des Inadaptés ayant des Troubles de la Personnalité

AVS : Auxiliaire de Vie Scolaire

CAMSP : Centre d’Action Médico-Sociale Précoce

CATTP : Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel

CCNE : Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé

CDES : Commissions Départementales de l’Éducation Spéciale

CFTMEA : Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent

CIM : Classification Internationale des Maladies 

CMP : Centre Médico-Psychologique

CNSA : Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie

Page 7: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique8

COTOREP : Commissions Techniques d’Orientation ou de Reclassement Professionnel

CRA : Centre Ressources Autisme

CREAI : Centre Régional pour l’Enfance et l’Adolescence Inadaptées

CTRA : Comité Technique Régional de l’Autisme

DSM : Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders

DRASS : Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales

FFP : Fédération Française de Psychiatrie

HAS : Haute Autorité de Santé

IME : Institut Médico-Éducatif

INSERM : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale

MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées

MECS : Maison d’Enfants à Caractère Social

ONU : Organisation des Nations Unies

PMI : Protection Maternelle et Infantile

SATEDI : Spectre Autistique, Troubles Envahissants du Développement - International

SESSAD : Service d’Éducation Spéciale et de Soins à Domicile

TEACCH : Treatment and Communication of Autistic and related Communication Handicapped CHildren

TED : Trouble Envahissant du Développement

TED NS : Trouble Envahissant du Développement Non Spécifié

TSA : Trouble du Spectre Autistique

UNAFAM : Union nationale des familles et amis de personnes malades et handicapées psychiques - anciennement Union Nationale des Amis et FAmilles des Malades mentaux

UNAPEI : Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis - anciennement Union Nationale des Amis et des Parents d’Enfants Inadaptés

USSAA : Unité de Soins Spécifiques Ambulatoires pour l’Autisme

Page 8: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

IntroductionL’autisme comme catégorie socio-politique

La première définition de l’autisme est élaborée par Léo Kanner en 1943 à partir de l’observation clinique de onze enfants. Selon cette définition, l’autisme se caractérise par trois traits marquants : le désir de solitude, l’aspiration à l’absence de changement et l’anormalité du langage. Le pédopsychiatre évoque des raisons biologiques pour expliquer cette incapacité à établir le contact affectif avec les autres. Mais il observe également des problèmes relationnels entre les parents et l’enfant, la mère étant décrite comme froide et le père comme un intellectuel absorbé ayant fait de grandes études.

Ce qui demeure à l’état d’observation empirique chez Léo Kanner est investi d’un principe de causalité par Bruno Bettelheim, qui propose une explication psychanalytique de l’autisme en 1967. Selon lui, la relation parentale, notamment la froideur maternelle, peut expliquer en partie les troubles de l’enfant. C’est par le livre de Bruno Bettelheim, La forteresse vide, traduit seulement deux ans après sa première édition, que les pédopsychiatres français découvrent l’autisme au début des années 1970. Cette conception de l’autisme engendre la préconisation de l’éloignement des enfants « psychotiques » par rapport au milieu familial jugé pathogène et leur orientation vers des hôpitaux de jour.

Cette responsabilité des parents quant aux troubles de leur enfant est progressivement remise en cause à partir de la fin des années 1980. Si les premières associations de parents fondées dans les années 1970 réclamaient la création d’hôpitaux de jour, les associations créées à la fin des années 1980 et au début des années 1990, notamment Autisme France, s’engagent dans une critique de la pédopsychiatrie (Chamak, 2008a ; 2008b). Elles s’élèvent contre un « monde psy »1 fortement marqué par l’approche psychanalytique de l’autisme, considérée comme culpabilisante pour les mères, et encouragent l’adoption d’une conception organique de l’autisme comme étant d’origine neurobiologique.

La psychiatrie redéfinit par ailleurs la place qu’elle accorde à la famille. D’abord considérée comme la source des problèmes, la famille est progressivement envisagée comme une possible solution en tant que soutien émotionnel et social pour les patients. On passe d’un « modèle pathologique » de la famille à un « modèle de compétence » selon les termes de Normand Carpentier (2011).

1 La notion de « monde psy » permet de se référer à l’ensemble des professionnels qui se réclament d’une compétence spécialisée sur les troubles psychiques et apparentés (Dodier & Rabeharisoa, 2006).

Page 9: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique10

La synthèse de l’état des connaissances publiée par la Haute autorité de santé (HAS)2 en janvier 2010 invalide officiellement la possibilité de considérer les parents, et notamment la mère, comme étant responsables des troubles de leur enfant en mentionnant que « les caractéristiques psychologiques des parents ne sont pas un facteur de risque dans la survenue des TED [Troubles envahissants du développement]. La théorie selon laquelle un dysfonctionnement relationnel entre la mère et l’enfant serait la cause du TED de l’enfant est erronée » (p. 10). Dans la CIM 10 (Dixième version de la Classification internationale des maladies), l’autisme entre dans la catégorie des « Troubles envahissants du développement » (TED), « groupe de troubles caractérisés par des altérations qualitatives des interactions sociales réciproques et des modalités de communication, ainsi que par un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif » .

Plusieurs études montrent comment les mobilisations de personnes malades et/ou de leurs proches ont contesté l’institutionnalisation de certains diagnostics tels que l’homosexualité (Kirk & Hutchins, 1998) ou au contraire revendiqué l’institutionnalisation d’autres diagnostics tels que la fatigue chronique et la poly-sensibilité chimique (Dumit, 2006). Ces études montrent qu’un diagnostic médical est toujours une réalité socio-politique susceptible d’être constituée comme un enjeu de conflits dans un contexte donné. Je propose dans cette introduction de saisir le diagnostic d’autisme comme une catégorie socio-politique élaborée au croisement de trois dynamiques : les mobilisations associatives, la controverse scientifique et l’évolution de l’action publique. Par l’étude des rapports entre le monde associatif, le monde psy et le monde politique, je montre comment l’autisme a été progressivement établi comme un enjeu de santé publique qui échappe à la psychiatrie publique.

Le monde psy et Le monde associatif

Brigitte Chamak (2008a ; 2008b) distingue trois générations d’associations de parents dans l’activisme relatif à l’autisme. Une première génération est constituée des associations fondées dans les années 1960 dans le but de créer des institutions pour pallier le manque de structures publiques. C’est l’histoire des associations avant l’autisme. Ces premières associations ne sont pas dédiées à ce problème mais traitent plus généralement du handicap mental ou de la maladie mentale. Elles se caractérisent par une collaboration avec la psychiatrie publique. L’ASITP (Association au service des inadaptés ayant des troubles de la personnalité) crée par exemple en 1963 le premier hôpital de jour3 pour les enfants, Santos

2 Autorité publique indépendante qui contribue à la régulation du système de santé. Elle exerce ses missions dans les champs de l’évaluation des produits de santé, des pratiques professionnelles, de l’organisation des soins et de la santé publique.

3 Service d’un centre hospitalier où les enfants sont généralement accueillis plusieurs demi-journées ou journées entières par semaine.

Page 10: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

L’autisme comme catégorie socio-politique 11

Dumont à Paris, pour empêcher la séparation radicale entre les enfants et leur famille. L’UNAPEI (Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis - anciennement Union nationale des amis et des parents d’enfants inadaptés) est également fondée en 1960 en partenariat avec les pouvoirs publics et le milieu médical. De même, l’UNAFAM (Union nationale des familles et amis de personnes malades et handicapées psychiques - anciennement Union nationale des amis et familles des malades mentaux), fondée en 1963, est soutenue par des psychiatres.

Puis apparait une deuxième génération d’associations dédiées à l’autisme qui nait au milieu des années 1980 pour créer des institutions utilisant la méthode éducative TEACCH (Treatment and communication of autistic and related communication handicapped children)4. L’ARAPI (Association pour la recherche sur l’autisme et les psychoses infantiles), créée en mars 1983 à l’initiative de l’ASITP, rassemble parents et professionnels pour promouvoir la recherche scientifique sur l’autisme et les psychoses infantiles, à la manière de l’AFM (Association française contre les myopathies). Son premier président, François Grémy, est à la fois médecin et père d’un jeune adulte autiste. En 1985, deux associations affiliées à l’UNAPEI, l’AIDERA (Association Ile de France pour le développement de l’éducation et de la recherche sur l’autisme) et Pro-Aid Autisme (association de parents de personnes avec autisme) mettent en place deux institutions, une école et un centre éducatif de jour, orientées vers le programme TEACCH. Cette deuxième génération fait émerger l’autisme comme une cause spécifique en la distinguant des autres formes de handicap mental ou de maladie mentale. Son objectif principal est de créer des établissements adaptés aux personnes autistes, en s’éloignant progressivement de la notion de psychose qui figure dans la CFTMEA (Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent). Lors d’un congrès de l’ARAPI en décembre 1985, un groupe de parents interpelle une partie des professionnels de l’association qui représente la psychiatrie d’inspiration psychanalytique, notamment Serge Lebovici5 et Pierre Ferrari. Cette crise aboutit à la démission des deux psychiatres du Conseil d’administration le 19 avril 1986. L’ARAPI continue avec le soutien des professeurs Didier-Jacques Duché6 et Gilbert Lelord7. L’acronyme ARAPI change de signification pour devenir Association pour la recherche sur l’autisme et la prévention des inadaptations.

4 Programme de diagnostic et d’éducation des enfants autistes, mais également de formation des parents, lancé par le psychologue américain Eric Schopler dans les années 1960 en Caroline du Nord.

5 Serge Lebovici (1915-2000), psychanalyste et professeur de psychiatrie de l’enfant. Il a fondé le service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent à l’Hôpital Avicenne de Bobigny et a enseigné à l’Université Paris 13. Il a notamment développé la psychopathologie du bébé.

6 Didier-Jacques Duché (1916-2010), chef de service en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à La Pitié-Salpêtrière entre 1970 et 1985.

7 Gilbert Lelord (1927-2017), pédopsychiatre pionnier concernant les recherches neurologiques sur l’autisme en France. Il a notamment développé la théorie de l’échange et du développement (TED) avec son équipe au centre hospitalier universitaire de Tours. Cette thérapie vise à exercer

Page 11: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique12

Enfin, une troisième génération rassemble les associations fondées à la fin des années 1980 et au début des années 1990 qui développent une critique virulente de la psychanalyse et un rejet plus général de la psychiatrie. Sur le modèle de la lutte contre le sida, ces associations, qui se radicalisent progressivement, défendent une autonomisation des parents par rapport aux psychiatres. En 1989, la FFAPI connaît une scission à l’origine de la création de l’association Autisme France. Une quarantaine de familles décide « de soulever la chape de plomb des écrits bettelheimiens, et de faire voler en éclats le consensus mortifère et inavoué qui sévissait à l’époque en France, quant à la main mise « psy » sur le domaine de l’autisme »8. L’ASITP prend alors le nom de Fédération française autisme et psychoses infantiles (FFAPI) en 1985 avant de devenir Fédération française sésame autisme en 1990. En février 1989, le premier appel est lancé à la « constitution d’un mouvement pour le droit à une prise en charge éducative et non psychanalytique des personnes autistes ». Cet appel donne lieu à la tenue d’une première assemblée constituante en juin 1989 à Lyon. Un premier « manifeste des parents d’enfants autistiques » est rédigé. En septembre 1989, une deuxième assemblée constituante se tient à Toulouse. Des commissions de travail sont créées et la version définitive du manifeste fondateur est mise au point. En mars 1990, une réunion plénière se tient à Nice. Lors de cette réunion, 245 familles, 107 professionnels et 2571 amis signent le manifeste. En juin 1990, le manifeste d’Autisme France est signé par 310 familles et 4460 amis et professionnels. Cette troisième génération d’associations milite pour l’importation en France des méthodes d’inspiration cognitivo-comportementale américaines et pour l’intégration scolaire en milieu « ordinaire ».

On assiste à la naissance d’une quatrième génération avec la création de nouvelles associations depuis le début des années 2000. Dans un mouvement de radicalisation de la critique formulée par la troisième génération à l’encontre de la psychanalyse, on peut mentionner l’association Léa pour Samy, créée en janvier 2001 et renommée Vaincre l’autisme en 2009, ou encore l’association Autistes sans frontières créée en janvier 2004. Cette rapide histoire montre que l’autisme est traversé par le mouvement plus large de désinstitutionalisation à l’œuvre dans le champ du handicap. Même si « aujourd’hui, tout le monde semble s’accorder sur la priorité de l’accueil dans les structures scolaires et éducatives communes » (Stiker, 2009, p. 165), ce consensus ne doit pas faire oublier qu’avant 1975, les grandes associations de parents n’avaient qu’un discours : développer le secteur spécialisé pour protéger leurs enfants. Dans le domaine de l’autisme, ce processus de désinstitutionalisation est visible par l’évolution du statut des associations, de la création d’associations essentiellement gestionnaires d’établissements (Sésame autisme) à l’avènement d’associations moins gestionnaires (Autisme France), voire pas du tout (Vaincre l’autisme).

des fonctions déficientes, à mobiliser l’activité des systèmes intégrateurs cérébraux, pour opérer des rééducations fonctionnelles.

8 Site Internet de l’association : http://www.autisme-france.fr/577_p_25449/autisme-france-15-annees-d-actions-qui-ont-permis-d-avancer.html

Page 12: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

L’autisme comme catégorie socio-politique 13

Actuellement, le monde associatif relatif à l’autisme se structure autour du clivage entre Autisme France et Sésame autisme. Brigitte Chamak et David Cohen (2003) expliquent l’échec de la tentative de rapprochement entre ces deux associations en juin 2002 par une trop grande divergence concernant l’attitude à adopter vis-à-vis de la psychiatrie, d’une possible collaboration à une méfiance radicale. Les autres associations se positionnent par rapport à ce clivage même si la naissance d’une quatrième génération associative remet en question ce bipartisme et déplace le centre du paysage associatif. L’activisme relatif  à l’autisme se caractérise finalement par un certain morcellement, qui résulte autant de la sédimentation de plusieurs couches successives que de la coexistence d’une pluralité de positionnements dans ce monde associatif à un même moment. Plusieurs associations9 ont néanmoins réussi à se fédérer au sein du collectif « Ensemble pour l’autisme » pour obtenir le label de « grande cause 2012 ».

À travers les mobilisations de la quatrième génération associative, l’autisme cristallise progressivement les tensions qui traversent le monde psy, et plus spécifiquement les rapports de force entre le cognitivo-comportementalisme et la psychanalyse. Avec l’essor des neurosciences, la psychanalyse a en effet perdu l’« évidence de sa position » (Lézé, 2010). La critique de la psychanalyse s’est d’abord structurée autour de l’enjeu de l’évaluation, notamment avec la publication par l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale)10 d’une expertise collective en 2004 qui conclut à la meilleure efficacité de l’approche cognitivo-comportementale dans la plupart des troubles mentaux. Contre la standardisation induite par l’évaluation, la psychanalyse s’érige alors comme le lieu de la défense de la singularité du sujet. Elle met également en œuvre un deuxième mécanisme de défense en déployant un discours anti-sécuritaire. Quand l’INSERM publie en 2005, dans un contexte marqué par la préparation d’un plan de prévention de la délinquance, une deuxième expertise collective sur le dépistage précoce des « troubles de conduites », plusieurs professionnels s’insurgent. Ils sont à l’initiative de la pétition « Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans » lancée le 10 mars 2006. Suite au discours sur l’hospitalisation en milieu psychiatrique prononcé par Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, le 2 décembre 2008, est également créé le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Parmi les références du collectif, on trouve François Tosquelles et Georges Daumezon qui ont marqué les débuts de la psychothérapie institutionnelle, Lucien Bonnafé et Louis Le Guillant à l’origine de la politique de secteur en France, ou encore le psychanalyste Jacques Lacan.

La psychanalyse subit donc d’abord les attaques des tenants du cognitivo-comportementalisme avant de connaître celles, plus redoutables selon Samuel

9 Autisme France, Sésame autisme, Autistes sans frontières, Pro aid autisme, Asperger aide, Fondation autisme.

10 Établissement public à caractère scientifique et technologique, placé sous la double tutelle du ministère de la santé et du ministère de la recherche.

Page 13: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique14

Lézé (2010), des associations de parents. La quatrième génération associative relative à l’autisme encourage notamment la publicisation de la controverse entre cognitivo-comportementalisme et psychanalyse en réclamant que le débat entre spécialistes du monde psy s’ouvre au plus grand nombre. Cette dynamique est particulièrement perceptible à travers deux « affaires »11 très médiatisées : celle autour du « packing » (enveloppement dans des draps froids et humides), pratique érigée en symbole de la psychanalyse sur laquelle Vaincre l’autisme demande un moratoire en avril 2009 ; et celle autour de la diffusion en septembre 2011 par Vaincre l’autisme et Autistes sans frontières du film réalisé par Sophie Robert Le Mur. La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme qui dénonce l’incompétence de la psychanalyse dans la compréhension et le soin de l’autisme12.

Cette publicisation transforme la controverse à travers deux mécanismes : radicalisation de l’opposition entre les deux clans et fragilisation institutionnelle de la psychanalyse par l’entrée dans la justification publique. En effet, la critique du film Le Mur inaugure par exemple le rassemblement d’une trentaine de personnes au sein d’un groupe informel de réflexion baptisé « Lesmuriens ». Ce groupe traite « des pratiques thérapeutiques pour les enfants autistes, avec l’objectif de les faire évoluer », mais également du « thème plus général des pratiques psychothérapeutiques et de la nécessité de leur évaluation »13. De ce groupe émerge le KOllectif du 7 janvier qui est à l’origine du « Manifeste pour une psychiatrie et une psychologie basée sur des preuves scientifiques » publié le 7 mars 2012. L’une des figures importantes de ce collectif est Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS en sciences cognitives. En partant de l’autisme, il élargit sa critique à l’ensemble des « pathologies mal traitées (pour ne pas dire maltraitées) par la psychanalyse »14. Franck Ramus espère de manière explicite que la bataille de l’autisme ne soit qu’un prologue à un mouvement plus vaste de remise en question de la « juridiction » de la psychanalyse, au sens de son territoire de compétences professionnelles (Abbott, 1988).

Les défenseurs de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle peuvent enfin s’allier avec certaines personnes autistes contre les associations de parents. Plusieurs personnes diagnostiquées comme étant atteintes du syndrome d’Asperger15 s’insurgent en effet contre la rééducation des personnes autistes et la normalisation

11   La notion d’affaire est définie comme ce qui entraîne la formation de clans opposés parce qu’elle comporte la production de plusieurs récits incompatibles qui entrent en conflit publiquement (Boltanski, 2009).

12 Pour une étude précise de ces deux affaires, voir Borelle, 2016.

13 Site Internet du KOllectif du 7 janvier : http://kollectifdu7janvier.org/qui-sommes-nous

14 « Pourquoi l’hypothèse neurodéveloppementale s’impose pour l’autisme », entretien avec Franck Ramus publié le 4 avril 2012 dans Le cercle Psy.

15 Sous-catégorie des TSA (Troubles du spectre autistique) dans le DSM V (Cinquième version du Diagnostic and statistical manual of mental disorders) et sous-catégorie des TED dans la CIM 10 et la CFTMEA. Syndrome caractérisé par l’absence de retard ou de déficience dans le développement 

Page 14: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

L’autisme comme catégorie socio-politique 15

systématique des comportements. C’est le cas par exemple de Michelle Dawson qui travaille dans l’équipe de recherche de Laurent Mottron, professeur de psychiatrie, titulaire de la Chaire de recherche en neurosciences cognitives sur l’autisme à l’Université de Montréal. Dans un article publié le 13 mars 2012 dans Médiapart, la psychiatre Loriane Brunessaux développe l’argumentaire suivant : « Ces associations de parents affirment que seules les méthodes comportementalistes ont une efficacité validée scientifiquement. Pourtant, certaines personnes remettent en cause cette validité scientifique des méthodes comportementales dont, fait intéressant, certaines personnes atteintes d’autisme dit d’Asperger. Ainsi, Michelle Dawson, chercheuse à Montréal, a publié en 2004 un plaidoyer sur le manque d’éthique de l’intervention comportementale intensive (ICI), préconisée en Amérique du Nord ».

David Heurtevent, co-fondateur d’Autism Rights Watch en mars 2012, s’insurge contre la formation de cette alliance stratégique inattendue. Il accuse le journal Le Monde d’exploiter, dans un article publié le 16 décembre 2011, les propos de Laurent Mottron qui ne prennent pas le même sens dans le contexte français. Ce dernier encourage une démédicalisation de l’autisme, qui n’est selon lui ni une maladie à soigner, ni un handicap à rééduquer, mais une forme de différence cognitive à respecter (Mottron, 2011). Il rejoint la position des associations de personnes autistes qui émergent à partir des années 1990 aux États-Unis pour se réapproprier la question de l’autisme, et plus précisément sa définition comme enjeu public. En témoigne le slogan de l’association ASAN (Autistic self-advocacy network) créée en 2006 : « Nothing about us without us ».

L’ANI (Autism network international), créée en 1993 par Jim Sinclair, diagnostiqué comme atteint du syndrome d’Asperger, est la plus grande association de personnes autistes. Son objectif initial est de constituer un groupe d’entraide mutuel puis l’association devient progressivement une communauté politique active. Le message lancé par Jim Sinclair en 1993 – « Don’t mourn for us » – est la première prise de position publique contre la perception de l’autisme comme tragédie personnelle véhiculée par les associations de parents. L’ANI s’engage dans la transformation de la honte en fierté, dans le retournement du stigmate (Goffman, 1977). L’association organise des conférences et des actions de visibilisation pour promouvoir une conception de l’autisme moins stigmatisante, faire reconnaitre la diversité des formes cognitives ou « neurodiversité », et éduquer des potentiels alliés dans la population des « non-autistes » ou « neurotypiques ». Elle est par la suite rejointe dans cette entreprise par d’autres associations comme « Aspies16 for freedom » qui lance en 2005 la première « Autistic Pride Day », sur le modèle de la « Gay Pride », dont le thème est éloquent : « Acceptance not cure ».

cognitif et le développement du langage. Le rapport entre ce diagnostic et celui d’autisme, notamment les formes dites « de haut niveau », fait l’objet d’une controverse scientifique. 

16 « Aspie » : diminutif anglo-saxon qui désigne une personne diagnostiquée comme étant atteinte du syndrome d’Asperger.

Page 15: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique16

La publication d’autobiographies de personnes autistes depuis la fin des années 1980 - Temple Grandin (1986), Donna Williams (1992), Daniel Tammet (2007), Joseph Schovanec (2012) - encourage également un mouvement identitaire autour de l’autisme. Les personnes autistes, comme les « survivants de la psychiatrie » (Crossley & Crossley, 2001), forment désormais une communauté internationale, avec ses blagues, ses expressions et ses espaces sociaux communs qui structurent l’expérience individuelle et construisent une appartenance collective.

En France, des personnes autistes se sont également rassemblées au sein d’une association créée en 2010, SAtedI (Spectre autistique, troubles envahissants du développement - International), qui entend aider à la compréhension de l’autisme mais qui se distingue très nettement de l’ANI. Cette organisation beaucoup moins politisée collabore avec certains professionnels de santé et se trouve toujours sous l’influence des associations de parents – là où l’ANI est en conflit ouvert avec l’ASA (Autism society of America) aux États-Unis (Chamak, 2008b).

L’association SAtedI va-t-elle suivre le modèle identitaire américain ? Rien n’est moins sûr. Le 21 mars 2012, Gabriel Bernot, membre de l’association, lance un pavé dans la marre en écrivant un article intitulé « Moi, autiste, face à la guerre des lobbies » publié dans Le Monde. Dans cet article, il déplore que les personnes autistes ne soient pas associées à la production de l’action publique qui les concerne. Il renvoie dos à dos le lobby « pro-psychanalyse » et le lobby « anti-psychanalyse » qui « se rejoignent sur un point : la nécessité de nous soigner ! ». Suite à la publication de cette tribune, Emmanuel Dubrulle, alors président de SAtedI, précise que Gabriel Bernot n’est pas porte-parole de l’association.

Le monde associatif et Le monde poLitique

Les revendications formulées par les associations de parents ont évolué au fil des générations. Si la première génération demande la création d’hôpitaux de jour dans les années 1960-1970, la deuxième génération commence à critiquer ces institutions dans les années 1980 pour leur manque de programme éducatif et l’opacité de leur fonctionnement. Enfin, la troisième génération, et notamment Autisme France, radicalise cette critique en ignorant la volonté d’une partie des associations de maintenir les hôpitaux de jour ouverts pour préserver un dispositif de soin gratuit, accessible à tous. Brigitte Chamak (2008b) explique ce positionnement d’Autisme France par le recrutement socio-économique de ses membres, et plus précisément par la sous-représentation des familles populaires. Cette évolution des revendications, allant dans le sens d’une désinstitutionalisation croissante, s’explique également par un changement progressif du contexte. La troisième génération ne se trouve plus dans une situation de désert institutionnel telle que l’a connue la première génération, venue occuper une place laissée vide (Stiker, 2009). À partir de la seconde génération, les associations identifient le même problème : le monopole 

Page 16: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

L’autisme comme catégorie socio-politique 17

de la psychiatrie sur l’autisme. Mais elles n’attaquent pas ce problème avec la même virulence et n’envisagent pas la remise en cause du monopole de la psychiatrie avec la même radicalité.

En reprenant le cadre d’analyse proposé par William Felstiner, Richard Abel et Austin Sarat (1991) pour décrire l’émergence et la transformation des litiges, on peut analyser la manière dont l’association Autisme France s’est érigée comme entrepreneuse de la cause éducative. Ce modèle qui repose sur l’enchaînement de trois séquences d’action, « naming, shaming, blaming » (nommer, accuser, revendiquer), permet de retracer la transformation de la plainte en revendication. La première étape (« naming ») consiste à transformer une expérience vécue en offense. En l’occurrence, la découverte du programme américain TEACCH sert d’appui pour qualifier la prise en charge psychanalytique de l’autisme comme un préjudice. La deuxième étape (« shaming ») est un moment d’imputation de responsabilité causale pendant lequel l’offense est transformée en grief. L’association Autisme France devient « entrepreneuse de morale » au sens d’Howard Becker (1985) dans la mesure où la psychanalyse, dénoncée comme culpabilisante pour les parents, est tenue responsable du préjudice subi. Enfin, la troisième étape (« blaming ») est le moment où sont exprimées des revendications auprès des pouvoirs publics pour mettre fin au préjudice subi. Autisme France devient alors « entrepreneuse de cause ». Elle demande aux parents d’adresser leur témoignage à Simone Veil, alors ministre des Affaires sociales, et publie ces 255 courriers en octobre 1994 sous la forme d’un Livre blanc intitulé Rapport sur le vécu des autistes et de leurs familles à l’aube du XXIe siècle.

Madeleine Akrich, Cécile Méadel et Vololona Rabeharisoa (2009) ont montré comment Autisme France a encouragé l’ouverture de questions de recherche en dehors du champ psy. Cécile Méadel (2006) a par ailleurs étudié dans quelle mesure les parents d’enfants autistes réordonnent le « spectre psy » sur Internet par leurs échanges dans des cercles de discussion électronique. Quels supports les associations de la troisième génération utilisent-elles pour définir l’autisme comme un enjeu de santé publique ne relevant pas de la psychiatrie ?

Cette génération associative mène d’une part ce qu’on peut appeler une politique du nombre pour faire de l’autisme un enjeu de santé publique. Premièrement, elle s’attaque à la définition de l’autisme. En s’appuyant sur les classifications internationales, le DSM américain et la CIM de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), les associations de troisième génération remettent en question la classification française où figure la notion de psychose qui témoigne d’une conception psychanalytique de l’autisme. Au fil des textes officiels sur l’autisme, on observe une évolution des références en termes de classifications médicales. Dans la première circulaire de 1995, les différentes classifications médicales sont mentionnées et les différentes catégories diagnostiques comparées. En 2003, le rapport Chossy établit qu’il n’est pas souhaitable d’opposer les catégories médicales les unes aux autres. En 2005, une nouvelle circulaire définit l’autisme comme un « Trouble envahissant

Page 17: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique18

du développement » (TED), en référence explicite à la CIM 10. Le recours aux classifications médicales internationales permet un élargissement du problème public. La cible visée par l’action publique évolue au fil des textes officiels, de l’autisme vers les troubles du spectre autistique, en passant par l’autisme et les TED puis les TED. Dans la circulaire du 27 avril 1995, il est question des « personnes atteintes du syndrome autistique » et des « populations atteintes d’autisme et de troubles apparentés ». La circulaire du 8 mars 2005 est relative à la politique de prise en charge des « personnes atteintes d’autisme et de troubles envahissants du développement (TED) ». La circulaire du 8 octobre 2008 établit le deuxième plan autisme comme une « nouvelle étape de la politique en faveur des personnes présentant des TED et en particulier de l’autisme ». La circulaire du 18 décembre 2015 concerne enfin les « personnes avec troubles du spectre de l’autisme) »17.

Deuxièmement, cette génération associative introduit la notion de « droit au diagnostic » (l’un des quatre axes du manifeste fondateur d’Autisme France), ce qui favorise la naissance d’une politique de dépistage précoce, principal enjeu de l’action publique entre 1995 et 2005. Or mieux un problème est diagnostiqué, plus il concerne de monde. La circulaire du 27 avril 1995 fait le constat d’un diagnostic à la fois trop tardif et trop hétérogène en France. En 1999, quatre Centres ressources autisme (CRA) sont créés pour promouvoir le diagnostic précoce. En 2003, le rapport Chossy réitère le constat d’un diagnostic trop tardif. Il abonde dans le sens d’un dépistage précoce des « enfants à risque autistique » et propose d’insérer un questionnaire de dépistage dans le carnet de santé pour détecter les premiers signes de l’autisme. En 2005, des recommandations pour la pratique professionnelle du diagnostic de l’autisme sont publiées de manière conjointe par la HAS et la Fédération française de psychiatrie.

Troisièmement, cette génération associative s’intéresse à la mesure du problème. Elle se saisit notamment du taux de prévalence18 et joue sur l’incertitude des estimations pour appuyer ses revendications. Cet outil de mesure utilisé dans les enquêtes épidémiologiques semble légitime aux yeux des pouvoirs publics car il figure de manière quasiment systématique dans les textes officiels. Jean-François Chossy va même jusqu’à dire que « c’est à partir de ce taux que doit s’envisager le programme de prise en charge et d’accompagnement des personnes autistes » (2003, p 14). En ce qui concerne la France, on passe d’une estimation du taux de prévalence entre 4 et 5,6 pour 10 000 (circulaire de 1995) à 1 pour 150 (troisième plan autisme en 2013). Certains acteurs jouent le rôle de passeurs de savoirs et aident

17 La notion de trouble du spectre autistique (TSA) remplace celle de TED dans le DSM V. Les trois critères diagnostiques du TSA sont : le déficit persistant dans la communication sociale et les interactions sociales ; le caractère restreint et répétitif des comportements, intérêts et activités ; le fait que les symptômes doivent être présents dans la petite enfance mais qu’ils peuvent ne pas s’exprimer avant que les exigences sociales dépassent les capacités limitées de l’enfant.

18 Nombre total de cas dans une population déterminée, à un moment donné. A distinguer du taux d’incidence : nombre de nouveaux cas dans une population déterminée pendant une période donnée.

Page 18: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

L’autisme comme catégorie socio-politique 19

les associations à armer scientifiquement leur politique du nombre. Le psychiatre Éric Fombonne, spécialiste de l’épidémiologie de l’autisme, ancien chercheur à l’INSERM qui exerce désormais à l’OHSU (Oregon health and science University), peut être identifié comme l’un de ces passeurs importants. Invité au congrès d’Autisme France le 20 novembre 2010, il intervient sur le sujet. Il fait d’abord référence aux dernières études internationales, en mentionnant notamment une étude américaine publiée en 2009 selon laquelle la prévalence des TED atteindrait le taux d’1 enfant pour 110. Il s’appuie ensuite sur les données produites par l’INSEE pour estimer la prévalence des TED en France en 2007 à un taux de 70 cas pour 10 000. Enfin, il indique les chiffres que les associations peuvent utiliser « pour jouer sur l’agenda politique » selon ses propres termes : 111 600 personnes âgées de moins de 20 ans et 28 243 enfants de 0 à 4 ans atteints de TED en France. Certains professionnels se scandalisent de cet usage militant des chiffres. Jacques Hochmann19 s’indigne ainsi lors d’une conférence le 28 avril 2009 du fait que l’augmentation des taux de prévalence est présentée par les associations « comme si c’était une victoire ! »

La troisième génération associative entend d’autre part faire sortir l’autisme de la « juridiction » de la psychiatrie au sens d’Andrew Abbott (1988). On peut identifier deux stratégies croisées auxquelles elle recourt : l’usage politique de l’expertise et la dénationalisation du regard porté sur l’autisme.

Le 19 septembre 1994, l’association Autisme France saisit le CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé)20 sur la question des « carences » dans la prise en charge des enfants autistes en France. La lettre de saisine dénonce la difficulté à obtenir un diagnostic précoce et précis, liée à la méconnaissance de l’origine organique de l’autisme chez les pédopsychiatres français. L’argumentation s’appuie sur le constat d’un décalage important entre la France et les autres pays, notamment anglo-saxons, dans la manière d’appréhender l’autisme ; sur le fait que la classification française ne permet pas de poser un diagnostic précis sur l’autisme qui serait noyé dans la catégorie des psychoses infantiles ; et sur l’idée que l’orientation des enfants vers le secteur psychiatrique ne leur permet pas de développer les acquisitions sociales et scolaires dont ils sont capables. Sésame autisme est appelée à se prononcer sur cette saisine. Elle partage le constat d’un diagnostic trop peu précoce et d’un manque de structures adaptées mais refuse de penser que la France est en retard par rapport aux autres pays et d’exclure la prise en charge d’inspiration psychanalytique, qui n’est d’ailleurs pas considérée comme dominante dans l’ensemble des hôpitaux de jour. L’avis n°47 du CCNE du 10 janvier 1996 apporte deux conclusions importantes. Il énonce d’abord qu’« en l’état des connaissances, l’autisme est considéré comme un trouble

19 Pédopsychiatre et psychanalyste spécialisé sur l’autisme, professeur émérite à l’Université Lyon 1 et membre honoraire de la Société psychanalytique de Paris. Il a créé et dirigé pendant plusieurs années l’ITTAC (Institut de traitement des troubles de l’affectivité et de la cognition) à Villeurbanne.

20   Comité créé le 23 février 1983, dont la vocation est de susciter une réflexion sociétale sur les avancées de la connaissance scientifique dans le domaine du vivant. 

Page 19: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique20

du développement du système nerveux central dont les causes sont multiples » (p. 8). Sur la prise en charge, il préconise que toute méthode doit faire l’objet d’une « évaluation scientifique rigoureuse » (p. 12) et que le libre choix doit être laissé aux parents en fonction des résultats de ces évaluations qui doivent être publiés.

Le CCNE est de nouveau saisi le 10 juillet 2005, cette fois par plusieurs associations : Asperger aide, Autistes sans frontières, Fondation autisme, Agir et vaincre et Pro aid autisme. Son avis n°102, rendu public le 8 novembre 2007, prône un diagnostic précoce et une prise en charge de nature éducative. La France est considérée comme étant dans une situation de « déficit » (p. 3) par rapport aux pays anglo-saxons et d’Europe du Nord, ce qui conduit au « non-respect de la dignité humaine des personnes atteintes de syndrome autistique » (p. 16). L’absence de prise en charge adaptée et de diagnostic précoce est considérée comme une « perte de chance pour l’enfant qui constitue une maltraitance par défaut » (p. 7). Le CCNE préconise le développement de la recherche en neurosciences et en génétique, disciplines considérées comme les plus prometteuses du point de vue du diagnostic et des traitements, déplore le manque d’études épidémiologiques envisagé comme un problème éthique et s’appuie sur l’existence d’un « consensus international » (p. 12) pour préciser les bases d’une prise en charge adaptée et conditionnée par le libre choix informé des parents : diagnostic précoce, accompagnement éducatif par le biais de la méthode TEACCH, traitements médicamenteux transitoires et adaptés, droit à la scolarisation effectif, soutien psychologique et social apporté aux familles.

Les associations de troisième génération mobilisent non seulement l’expertise publique mais également les savoirs scientifiques dont l’importance est également soulignée aux États-Unis et au Canada (Orsini & Smith, 2010). À cet égard, les associations ont un rôle d’autant plus crucial dans la définition d’un problème public que la connaissance scientifique n’est pas stabilisée, comme c’est le cas pour l’autisme : « les entrepreneurs de politiques publiques peuvent capitaliser sur le manque de consensus scientifique et utiliser des avis scientifiques ambigus pour soutenir leurs agendas » (Baker & Steuernagel, 2009, p. 245). La troisième génération associative s’appuie sur des personnalités scientifiques non seulement pour armer sa politique du nombre mais également pour assoir scientifiquement sa conception de l’autisme. On peut notamment souligner le rôle de la psychiatre Monica Zilbovicius, responsable à l’INSERM de la recherche en imagerie cérébrale sur les troubles du développement de l’enfant. Cette dernière participe activement à la diffusion des savoirs sur les approches cognitivo-comportementales de l’autisme au sein des associations de parents. Elle intervient par exemple en contrepoint des psychanalystes dans le film Le Mur. La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme et, comme Éric Fombonne, elle figure sur le programme du congrès d’Autisme France en novembre 2010.

Dans leur usage politique des savoirs scientifiques, les associations de troisième génération dénationalisent le regard posé sur l’autisme en s’appuyant sur les

Page 20: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

L’autisme comme catégorie socio-politique 21

connaissances produites à l’étranger. Par le recours à la comparaison internationale, ces associations soulignent l’état d’exception dans lequel se trouve la France en matière d’autisme par rapport au reste du monde. Cette spécificité est transformée en retard au regard d’une évolution générale assimilée à l’ordre nécessaire du progrès scientifique. Ces associations manient également la comparaison internationale pour ériger d’autres pays en modèles, notamment les États-Unis. Elles s’appuient sur le modèle américain de l’autisme – tant au niveau de sa conception que de sa prise en charge – perçu comme moderne et innovant pour dénoncer une France archaïque et en retard.

La deuxième voie de dénationalisation du regard posé sur l’autisme est le changement d’échelle politique, et notamment le recours à l’européanisation de l’action publique. Le 26 juillet 2002, Autisme France est à l’origine d’une réclamation, portée ensuite par Autisme Europe, auprès des instances européennes21. Cette action vise à faire constater par le Conseil de l’Europe que la France ne respecte pas ses engagements internationaux au titre de la Charte sociale européenne révisée, en n’offrant pas aux personnes autistes l’éducation dont elles ont besoin. Le Comité européen des droits sociaux rend son verdict en novembre 2003 : la France ne respecte pas son devoir éducatif  à l’égard des enfants autistes, à cause d’une définition restrictive de l’autisme par rapport aux catégories médicales internationales et d’une insuffisante intégration scolaire. Le Comité conclut que cette situation constitue une violation de trois articles de la Charte sociale européenne révisée. Vaincre l’autisme poursuit sur cette voie en initiant une autre réclamation portée cette fois par l’ONG Action européenne des handicapés et enregistrée le 3 avril 201222. Le Comité européen des droits sociaux rend sa décision en septembre 2013 : La France est condamnée pour discrimination à l’égard des enfants autistes, par défaut d’éducation, de scolarisation et de formation professionnelle.

L’association Autisme France a également recours aux instances de gouvernance mondiale, et notamment à l’ONU (Organisation des Nations Unies). En juin 2015, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU pose une série de questions sur le cinquième rapport périodique envoyé par la France. Plusieurs de ces questions concernent des manquements au respect des droits des enfants autistes (placements abusifs, non-scolarisation en milieu ordinaire, faible degré de désinstitutionalisation, packing, surmédication, etc.). Autisme France en profite pour rédiger un « rapport alternatif » visant à « dénoncer les violations des droits des enfants autistes ». Suite aux réponses apportées par le gouvernement français en octobre, Autisme France envoie également au comité des « observations complémentaires » en décembre 2015. L’association interpelle notamment le comité sur la situation de Timothée D., condamnée par des experts des droits de l’homme de l’ONU un mois avant. Elle s’inquiète du placement de cet enfant autiste âgé de 16 ans en hôpital psychiatrique,

21 Réclamation collective n°13-2002 déposée auprès du Conseil de l’Europe contre la France.

22 Réclamation n° 81/2012 déposée auprès du Conseil de l’Europe contre la France

Page 21: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique22

où lui ont été administrés des traitements médicamenteux sans son accord ni celui de sa mère. En juillet 2015, lors de l’examen de la situation de la France au regard de la mise en œuvre des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, une experte du Comité des droits de l’homme prie la France de confirmer son interdiction du packing. Par la suite, Autisme France réitère la technique du « rapport alternatif » à destination de l’ONU à deux reprises : au Comité contre la torture en avril 2016 et au Comité des droits des femmes en juin 2016.

Comme on l’a vu précédemment, la quatrième génération associative introduit une nouvelle modalité d’action pour interpeller les pouvoirs publics : la publicisation de la controverse entre cognitivo-comportementalisme et psychanalyse. Elle rejoint également la troisième génération dans l’usage d’une autre arme politique : l’« arme du droit » (Israël, 2009). Autisme France et Vaincre l’autisme se dotent d’un service d’aide juridique qu’elles proposent à leurs adhérents. Certaines associations sont également spécifiquement créées pour « défendre les droits » des personnes porteuses de TED (Collectif EgaliTED crée en 2010) ou encore assurer une veille juridique sur l’autisme (Société pour les droits des enfants autistes « Autisme droits » créée en 2012). Les associations déploient notamment leur recours au droit à propos de deux enjeux : le placement des enfants autistes et le défaut de prise en charge adaptée en France.

En juillet 2015, Autisme France publie un rapport sur les dysfonctionnements de l’Aide sociale à l’enfance (ASE)23. Un mois plus tard, un communiqué co-signé par une centaine d’associations – dont Autisme France, Sésame Autisme, EgaliTED ou encore ProAid Autisme – dénonce les placements abusifs de jeunes autistes par décision de justice, suite à une procédure de l’ASE. « Le scandale monte » (titre d’un article publié dans Libération le 11 août 2015) pour se cristalliser autour du cas de Rachel, mère atteinte du syndrome d’Asperger, dont les trois enfants –diagnostiqués par la suite autistes – ont été placés par l’ASE en famille d’accueil et en pouponnière en juillet 2015. L’affaire Rachel mobilise le milieu associatif qui y voit un cas emblématique de placement abusif lié à la méconnaissance de l’autisme. Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, dénonce une « vision préhistorique de l’autisme » basée sur une approche psychanalytique qui implique la responsabilité maternelle. Le 25 janvier 2016, dans le cadre du congrès de l’association, la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Ségolène Neuville, se dit « totalement mobilisée pour que cette maman puisse le plus rapidement possible retrouver ses trois enfants ». Malgré cette mobilisation, le placement est maintenu par décision de la Cour d’appel de Grenoble le 26 février 2016 puis prolongé par un jugement du Tribunal de Grenoble rendu le 7 juillet 2017. Autisme France lance alors une pétition le 12 juillet intitulée « Placement abusif : justice pour Rachel ! » qui est signée par plus d’une centaine d’associations. Lors du lancement de la concertation autour

23 Service de protection de l’enfance géré par le Conseil départemental dont les missions essentielles sont la prévention, la protection et la lutte contre la maltraitance.

Page 22: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

L’autisme comme catégorie socio-politique 23

du 4ème plan autisme à l’Elysée, le 6 juillet 2017, Danièle Langloys déclare qu’« on ne peut pas construire un plan autisme 4 si on ne commence pas par rendre ses enfants à Rachel ».

Les associations de parents ont également recours à l’arme juridique pour dénoncer le manque de prise en charge adaptée en France. Elles s’appuient notamment sur deux arrêts du Conseil d’État : l’arrêt Laruelle du 8 avril 2009 qui établit la responsabilité pour faute de l’État du fait de la non-scolarisation en milieu ordinaire d’un enfant autiste et l’arrêt Beaufils du 16 mai 2011 selon lequel il relève de la responsabilité de l’État que toute personne autiste bénéficie d’une prise en charge adaptée et effective. Certains professionnels du droit se spécialisent également sur l’autisme, comme Sophie Janois par exemple, avocate au Barreau de Paris qui a écrit un guide juridique sur Les droits des enfants autistes. Cette dernière annonce le 2 avril 2015, lors de la Journée mondiale de l’autisme24, qu’un recours contre l’État pour défaut de prise en charge sera déposé par dix familles ayant obtenu une orientation de leur enfant autiste vers un établissement médico-social sans qu’une place ne leur soit attribuée. La première condamnation de l’État par le tribunal administratif de Paris tombe quelques mois après cette annonce, en juillet 2015 : l’État doit verser plus de 200 000 euros de dommages au profit de sept familles soutenues par Vaincre l’autisme dans le dépôt de leurs requêtes en septembre 2014. Deux familles sont indemnisées en raison de l’« exil » en Belgique de leurs enfants non-scolarisés en France. Le jugement reconnaît une faute de l’État et un « préjudice moral » à l’égard de ces familles. Les cinq autres familles sont indemnisées en raison des dépenses engagées pour la scolarisation de leur enfant, l’abandon par les parents de leur activité professionnelle ou encore la mise en place d’un accompagnement ABA (Applied behavioral analysis )25. Le jugement souligne la responsabilité de l’État dans les « carences » de prise en charge de l’autisme. Le président de l’association Vaincre l’autisme, M’hammed Sajidi, affirme que cette décision fait désormais office de « nouvelle jurisprudence » et que « les parents qui vont s’associer à cette plainte vont faire masse, pour une prise de conscience des pouvoirs publics ».

Le monde poLitique et Le monde psy

Dès le moment où l’autisme devient une catégorie d’action publique, sa définition oscille entre handicap et maladie mentale, oscillation dont l’inclinaison varie selon les moments. Cette oscillation n’est pas spécifique de l’autisme, on la retrouve dans le cas de l’hémophilie (Carricaburu, 2000), des myopathies (Barral & Patterson, 2000) ou encore de l’épilepsie (Richard & Salbreux, 2000). L’autisme est institué

24 Journée instaurée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007.

25   Méthode comportementaliste visant à modifier le comportement de l’enfant en utilisant un système de sanctions et de récompenses qui a été initiée dans les années 1960 en Californie par le psychologue Ivar Lovaas.

Page 23: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Table des matières

Liste des sigLes ��������������������������������������������������������������������������������������������������������������7

introduction - L’autisme comme catégorie socio-poLitique �������������������������������9

Le monde psy et le monde associatif �������������������������������������������������������������������������10Le monde associatif et le monde politique ����������������������������������������������������������������16Le monde politique et le monde psy ��������������������������������������������������������������������������23

chapitre 1 - enquêter sur Le diagnostic de L’autisme �������������������������������������33

L’entrée sur le terrain �������������������������������������������������������������������������������������������������33Description du lieu �����������������������������������������������������������������������������������������������������35L’équipe et ses activités ��������������������������������������������������������������������������������������������38La démarche diagnostique �����������������������������������������������������������������������������������������41Observer des consultations ����������������������������������������������������������������������������������������45Trouver et négocier ma place ������������������������������������������������������������������������������������47Enquêter sur les dossiers individuels �������������������������������������������������������������������������51Être à l’interface entre individus et institution �����������������������������������������������������������56

chapitre 2 - L’histoire de L’institut du diagnostic de L’autisme ������������������61

La création du centre de diagnostic ��������������������������������������������������������������������������61L’évolution des pratiques diagnostiques �������������������������������������������������������������������64La création des Centres ressources autisme ���������������������������������������������������������������66Une place difficile à trouver dans la pédopsychiatrie ������������������������������������������������68Faire avec les personnalités locales ��������������������������������������������������������������������������72En quête de légitimité auprès des parents �����������������������������������������������������������������76Harmoniser les pratiques au sein du pôle �����������������������������������������������������������������79Allouer de manière optimale les ressources rares �����������������������������������������������������85

chapitre 3 - accéder au centre de diagnostic ��������������������������������������������������89

Le cas de Benoit F� �����������������������������������������������������������������������������������������������������89Le cas d’Edouardo L� ������������������������������������������������������������������������������������������������92Le cas de Pierre S� �����������������������������������������������������������������������������������������������������95Le cas de Théo C� ������������������������������������������������������������������������������������������������������99Le cas d’Estéban R� ��������������������������������������������������������������������������������������������������101L’accès processuel au centre de diagnostic �������������������������������������������������������������105La formation de présuppositions diagnostiques ������������������������������������������������������107

Page 24: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique252

L’expérience d’un contexte �������������������������������������������������������������������������������������108Obtenir une première consultation ���������������������������������������������������������������������������112

chapitre 4 - L’entrée dans La démarche diagnostique ���������������������������������� 117

Se faire une idée de l’enfant �������������������������������������������������������������������������������������117Se faire une idée des parents ������������������������������������������������������������������������������������120Saisir et recadrer la demande �����������������������������������������������������������������������������������123Retracer le parcours de l’enfant �������������������������������������������������������������������������������125Mesurer le degré pathogénique de la famille �����������������������������������������������������������127La place ambivalente des parents ���������������������������������������������������������������������������131La place secondaire de l’enfant ��������������������������������������������������������������������������������133Le positionnement des parents ���������������������������������������������������������������������������������138Le positionnement de l’enfant ���������������������������������������������������������������������������������140En cas d’hésitation ���������������������������������������������������������������������������������������������������142

chapitre 5 - Le dérouLement du biLan �������������������������������������������������������������� 145

La division du travail diagnostique �������������������������������������������������������������������������145L’observation de l’enfant : l’ADOS ������������������������������������������������������������������������147La place des parents dans l’observation ������������������������������������������������������������������148La place de l’enfant dans l’observation ������������������������������������������������������������������153L’entretien avec les parents : l’ADI �������������������������������������������������������������������������156Le traitement du récit parental ���������������������������������������������������������������������������������158La cotation des outils standardisés ���������������������������������������������������������������������������160La critique des outils standardisés ��������������������������������������������������������������������������165

chapitre 6 - La prise de décision diagnostique ������������������������������������������������ 169

La hiérarchisation des avis professionnels ���������������������������������������������������������������169La hiérarchisation des supports de la qualification �������������������������������������������������172Au-delà de la justesse médicale du diagnostic ��������������������������������������������������������179La méfiance par rapport aux parents informés ��������������������������������������������������������187Évaluer le regard parental ����������������������������������������������������������������������������������������189Évaluer les pratiques parentales �������������������������������������������������������������������������������191Cadrer la compétence parentale ������������������������������������������������������������������������������194

chapitre 7 - L’issue de La démarche ������������������������������������������������������������������� 197

Énoncer un diagnostic ���������������������������������������������������������������������������������������������197Entre autorité et collaboration ���������������������������������������������������������������������������������198Recevoir le diagnostic ����������������������������������������������������������������������������������������������200Négocier le diagnostic ���������������������������������������������������������������������������������������������203

Page 25: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

Table des matières 253

Anticiper l’à-venir ���������������������������������������������������������������������������������������������������204Donner des pistes pour la suite ��������������������������������������������������������������������������������206Une évaluation de la parentalité socialement située ������������������������������������������������208Une épreuve dirigée vers les mères �������������������������������������������������������������������������211Intérioriser, endosser ou exercer la responsabilité prescrite ������������������������������������214L’émergence de critiques ����������������������������������������������������������������������������������������216

concLusion ��������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 221

Le tournant parentaL dans L’autisme ���������������������������������������������������������������� 221

L’avènement d’un nouveau régime de responsabilité parentale �����������������������������221Les ambivalences de l’empowerment ���������������������������������������������������������������������222

bibLiographie ������������������������������������������������������������������������������������������������������������ 225

annexe 1 �������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 233

annexe 2 ������������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 241

gLossaire ������������������������������������������������������������������������������������������������������������������ 245

Page 26: Sciences sociales - Presses des Mines...Collection Sciences sociales Responsable de la collection : Cécile Méadel Centre de sociologie de l’innovation () Fabien Granjon, Venetia

29 euros

En matière d’autisme, l’errance diagnostique reste un phénomène très fréquent mais aussi très éprouvant pour les personnes concernées et leurs familles. Le diagnostic est devenu depuis le début des années 1990 un enjeu central pour l’activisme des parents, la recherche scientifique et l’action publique.

Mais comment ce diagnostic est-il concrètement produit en pratiques ? Dans une approche pionnière, cet ouvrage porte précisément sur ce maillon peu étudié par les travaux existants en sociologie de la santé. La question est d’autant plus cruciale que l’autisme constitue une réalité à la fois complexe et disputée.

L’analyse s’appuie sur une enquête dans un centre de diagnostic spécialisé, au cœur du monde médical. Elle met notamment en évidence les différentes conceptions de l’autisme, les implications du recours à des outils standardisés, les désaccords entre professionnels et le rôle déterminant des parents.

Scie

nces

soc

iale

s

Céline Borelle

Presses des Mines

Diagnostiquer l’autismeUne approche sociologique

Céline Borelle est sociologue au laboratoire SENSE (Orange Labs). Elle s’intéresse aux pratiques professionnelles d’expertise sur autrui dans les champs de la santé mentale et du handicap.

Diag

nost

ique

r l’a

utis

me

- C. B

orel

le