55
SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET DÉGRADATION DE L'ENVIRONNEMENT, NOUVEAUX ENJEUX DES RELATIONS INTERNATIONALES Patrice Bouveret et Luc Mampaey (éd.) Damoclès, la Lettre OBSERVATOIRE DES ARMEMENTS

sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

sécurité collectiveet

environnementchangements climatiques

et dégradation de l'environnement,nouveaux enjeux

des relations internationales

Patrice Bouveret et luc mampaey (éd.)

Damoclès, la Lettreobservatoire des armements

Page 2: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVEET ENVIRONNEMENT

CHANGEMENTS CLIMATIQUESET DÉGRADATION DE L’ENVIRONNEMENT,

NOUVEAUX ENJEUXDES RELATIONS INTERNATIONALES

Page 3: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité)

et Damoclès de l’Observatoire des armements/CDRPC (France). Il contient notamment l’insertion des

textes des exposés des orateurs lors de la conférence « Sécurité collective et environnement »

organisée le 12 juin 2008 à Bruxelles, au Parlement européen par le Groupe Verts/ALE.

Nous tenons à exprimer nos sincères remerciements à Emmanuel Benarrosch et à Clément Dumas,

pour leur précieux travail et leur engagement dans la réalisation de la conférence du 12 juin 2008 et

du présent ouvrage.

© ’

é é

é

©

é

é •

Page 4: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 3

Sommaire

Avant-propos : Sécurité collective et environnementPatrice Bouveret & Luc Mampaey 5

L’environnement, comme cibleJean-Marc Lavieille & Patrice Bouveret 7

Quelle empreinte écologique militaire ?Patrice Bouveret 12

Sécurité collective et environnement

Insertion Actes de la conférence organiséepar le Groupe Verts/ALE au Parlement européen, 12 juin 2008

IntroductionAngelika Beer 15

Table ronde 1 :L’impact du facteur environnemental sur la sécurité collective

Introduction et présidenceIrnerio Seminatore 19

Présentation du rapport « Changements climatiqueset sécurité internationale »Helga Maria Schmid 20

Impact de la dégradation de l’environnementet des changements climatiques sur la sécurité collectiveVictoria Brereton 23

Défense ou sécurité ? Le difficile paradigme européen.Yves Mollard La Bruyère 27

La place des risques environnementauxdans la planification de la défense.Amiral Jacques Rosiers 30

(Débat avec la salle – non reproduit)

Page 5: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

4 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Table ronde 2 :Limiter l’impact des nouvelles armes

et des nouvelles formes de conflit militaires sur l’environnement

Introduction et présidence : Ben Cramer 34

La Convention Enmod et le Programme Haarp,enjeux et portée ?Luc Mampaey 37

Les limites de la légitimation d’un armement éthique.Philippe Grasset 42

Aspects économiques de la prise en comptede l’environnement dans les programmes d’armement.Cédric Paulin 45

(Débat avec la salle – non reproduit)

ConclusionAlain Lipietz 48

Page 6: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 5

AVANT-PROPOS

Sécurité collectiveet environnement

Les guerres « propres » n’existent pas. De touttemps, des conflits ont eu pour enjeu la mainmisesur les richesses d’un territoire. De tout temps, larésolution militaire des conflits s’est traduite parune dévastation de larges territoires qui souventperdurent bien après que les armes se soient tues.De tout temps, la préparation de la guerre a eu unimpact sur l’environnement.

Il y a plus de 5 000 ans, en Mésopotamie, lorsdes premiers conflits entre cités, des diguesétaient démolies pour inonder les terres agricolesennemies. De même la stratégie de la terre brûlée,utilisée depuis l’Antiquité, a entraîné des dégra-dations localisées de l’environnement, les com-bats de la Première Guerre mondiale ont égale-ment ravagé des zones très étendues… Toutefois,ce n’est que récemment — à l’échelle humaine —que la destruction de l’environnement a été utili-sée comme arme tactique ou stratégique.

Les interdépendances sont une réalité centraledu monde contemporain. Les changements clima-tiques et la pression humaine sur l’environnementengendrent des conflits : catastrophes naturelles,raréfaction des ressources (eau, énergie, etc.), pro-voquent déjà insécurité alimentaire, humanitaire eténergétique, migrations. D’autre part les conflitsarmés ont des conséquences irréversibles sur lesécosystèmes, cadre de vie des populations.

L’ONU et l’Union européenne ont commencéà intégrer ces risques dans les politiques de sécu-rité collective et de défense. Mais ces politiquesabordent généralement ces risques comme desmenaces, face auxquelles la seule réponse propo-sée est une réponse de type « sécuritaire », touten refusant de s’attaquer aux causes premières.

Dans ce dossier, après un tour d’horizon desatteintes à la paix porteuses d’atteintes à l’envi-ronnement, nous accueillons l’insertion des actesde la conférence « Sécurité collective et environ-nement » organisée par les députés européens(Verts/ALE) Alain Lipietz et Angelika Beer auParlement européen le 12 juin 2008.

Quelle sécurité environnementale ?Depuis quelques années a émergé le concept

de « sécurité environnementale ». Un concept àpremière vue intéressant, mais ne comporte-t-ilpas certains dangers liés à son utilisation ? N’y a-t-il pas finalement plusieurs interprétations pos-sibles de cette notion ?

L’idée de base semble être celle d’une appro-che globale de la sécurité. Il y a des problèmes,des drames, des menaces liées à l’environnementqui portent ou peuvent porter atteinte à la sécu-rité. D’autre part, certains conflits peuvent avoirdes causes liées à la dégradation de l’environne-ment. Pourquoi donc ne pas prendre en comptedans la détermination d’une politique de défensela dimension « environnementale » ?

Toutefois, à partir de cette idée il y a deuxapproches principales, et finalement deux typesd’utilisation de la sécurité environnementale.

Première conception :une approche productivistede la « sécurité environnementale »

Elle s’inscrit dans une logique puissante. Toutrepose sur le primat de l’économie. L’écologie estconçue comme une bonne gestion du gaspillage,elle est réduite à une forme supérieure de l’effi-cacité, la politique de l’environnement corres-pond à des mesures au coup par coup, extensiblesselon les urgences, les moyens. Il n’y a pas d’in-compatibilité entre un « bon environnement » etune « bonne marche des affaires », entre une pro-tection de l’environnement et les sacro-saintescroissance et compétition.

Dans ce contexte la sécurité environnemen-tale s’articule plus ou moins autour des élémentssuivants : elle a pour objet le territoire étatique,elle est liée à la souveraineté, elle se fait aussi entermes de raisonnement sur la sécurité des paysdu Nord, elle met en avant l’idée que l’insécuritéde l’environnement inscrite dans un cadre d’ana-lyse géostratégique aura en particulier des solu-tions militaires, elle peut conduire sur les che-mins de « l’administration de la peur » (cf. ladénonciation de cette dernière dans l’ouvrage dePaul Virilio L’insécurité du territoire, Stock1976), elle peut suivre les pentes de la désigna-tion du bouc émissaire et — pourquoi pas ? —finir par désigner comme « ennemi », « l’ennemi

PATRICE BOUVERET & LUC MAMPAEY

Page 7: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

6 RAPPORT DU GRIP 2008/6

écologique » dans un contexte violant les droitsde la personne et des peuples. Dans la conceptionproductiviste, le type de défense n’est guèreremis fondamentalement en cause, et des armesde destruction massive, nucléaires ou chimiquespar exemple, peuvent être perçues ? commenécessaires par rapport aux critères d’efficacitémilitaire. De même, l’armée et les industrielspeuvent vouloir intégrer un comportement « éco-logiquement responsable » et développer, parexemple, des programmes de « munitions vertes »,moins toxiques pour l’environnement… Bienentendu, cette première conception peut donnerlieu à des pratiques variables mettant en avantbeaucoup plus tel ou tel de ces aspects. Sa philo-sophe cependant semble tourner autour du prin-cipe selon lequel « la fin justifie les moyens ».

Deuxième conception :une approche alternativede la « sécurité environnementale »

Cette autre logique se veut basée sur un autretype de développement « équitable et durable »,l’économie doit être considérée comme unensemble de moyens et non comme la finsuprême. L’écologie est conçue comme uneremise en cause du productivisme, du culte de lacompétitivité, comme la mise en œuvre demoyens conformes aux finalités que l’on se pro-pose. Une économie écologique veut subordon-ner la croissance au développement, le dévelop-pement économique au développement social, lacourse au peloton de tête à la solidarité interpeu-ples, la main mise sur la nature à la gestion dura-ble des ressources naturelles.

Dans ce contexte, la sécurité environnemen-tale s’articule plus ou moins autour des éléments

suivants : elle a pour objet les éléments de la pla-nète Terre et l’espèce humaine, elle dépasse doncle quadrillage étatique, elle signifie des solidari-tés donc des remises en cause avec les peuples duSud, elle met en avant l’idée qu’il n’existe pas desolutions militaires à l’insécurité de l’environne-ment c’est-à-dire que les guerres participent à ladestruction de l’environnement et que les budgetsdes armements ne vont pas dans le sens de sa pro-tection. Réduire les menaces écologiques contrela sécurité exige donc une redéfinition des priori-tés locales, nationales, internationales. On peutcommencer à faire face à quatre des besoins lesplus urgents (forêts tropicales, eau, désertifica-tion, démographie) avec un mois de dépensesmilitaires mondiales. D’autre part, la peur ne peutêtre à la base d’une véritable paix ; la violencec’est la fausse paix fondée sur la peur. La « sécu-rité » ne peut reposer sur la peur des autres, del’Autre, mais sur la responsabilité de tous. Dansla conception alternative, un système de défensen’est jamais neutre par rapport à une société don-née. On ne peut pas accepter des moyens baséssur des armes de destruction massive qui sont àla fois humanicides et terricides, il faut concevoiret mettre en œuvre des alternatives de défensefondées par exemple sur une dissuasion civile.Bien entendu, cette seconde conception peutdonner lieu à des pratiques variables mettant enavant tel ou tel de ces aspects. Sa philosophiecependant devrait tourner autour de cette penséede Gandhi : « La fin est dans les moyens commel’arbre est dans la semence. »

Bref, il ne suffit pas de dire : je suis pour oucontre la « sécurité environnementale », les véri-tables questions à ce moment-là demeurent : unesécurité environnementale : pour qui ? par qui ?pourquoi ? comment ?

Page 8: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 7

L’environnement,comme cible

La militarisation d’une partie de la rechercheet de l’économie participe à la dégradation del’environnement, de même que les conflitsarmés. Débâcle écologique qui touche lesocéans, les terres, l’air, la faune, la flore et mêmeà un certain point l’espace extra-atmosphéri-que… Petite revue non exhaustive des atteintes àla paix porteuses d’atteintes à l’environnement 1.

Les complexes militaro-scientifico-industrielsporteurs de logiques terricides

— Les armements consomment beaucoupde matières premières et d’énergie

Du point de vue des matières premières : auxdivers stades, (recherche-développement mili-taire, extraction des minéraux, fabrication, trans-ports, manœuvres) l’environnement est plus oumoins pollué, détérioré.

Le pillage en matières premières des pays dutiers-monde a contribué non seulement àl’échange inégal entre pays du Nord et du Sudmais aussi à vider les campagnes, cause doncparmi beaucoup d’autres de l’exode rural.

Du point de vue par exemple de l’énergie, auxÉtats-Unis l’armée consomme en temps de paixautant de pétrole que l’ensemble de l’Afrique. Enpériode moyenne, le secteur militaire absorberait7 à 8 % de la consommation totale d’énergie et5 à 10 % des métaux non ferreux. D’importantesquantités d’énergie sont utilisées aussi pour lesmanœuvres, pour les surveillances de territoires.

— Les armements sont facteurs de pollutionet accroissent l’insécurité environnementale

Les essais atomiques dans l’atmosphère« portaient atteinte au capital génétique de l’hu-manité » (Jean Rostand) mais les essais souter-rains eux aussi font l’objet de rapports inquié-tants et de protestations d’habitants des lieux ouse déroulent ces expériences 2.

D’autre part, si les centrales nucléaires ont étéles filles des bombes, on sait qu’à leur tour elles

contribuent à enfanter une deuxième générationde bombes. Les liens entre le nucléaire civil et lenucléaire militaire participent à l’insécurité envi-ronnementale liée entre autres à la proliférationgouvernementale (et, déjà dans une certainemesure, non gouvernementale) des armes de des-truction massive. « Ils firent le désert et l’appelè-rent la paix » (Tacite).

Les manœuvres militaires peuvent participerelles aussi à la production de diverses pollutions.D’autre part, la multiplication de poudrières(centres de recherches scientifiques militaires,usines d’armements, exportations de matériels)accroît les risques d’incendie. Parmi ces risques :ceux dûs au déclenchement d’une guerre, à lasuite d’erreurs d’interprétations ou d’accidentsnucléaires.

Les pollutions liées aux accidents d’armesnucléaires sont une réalité encore peu connues :accidents arrivés dans les airs, les mers, sur terre,accidents en particulier de sous-marins nucléai-res qui participent à la pollution des océans.

— Les armements sont une des causes de lapénurie des moyens pour sauver la planète

En 2007, les dépenses militaires mondialesétaient de l’ordre de 1 339 milliards de dollars. Lenombre de chercheurs travaillant à des fins militai-res est d’au moins 1 million, le nombre de person-nes employées directement à l’effort militaire del’ordre de 50 millions et au moins autant exerçantune activité en rapport avec la défense nationale.Le budget des Nations unies — y compris en inté-grant le total des contributions aux diverses agen-ces et programmes des Nations unies — nedépasse pas les 20 milliards de dollars !

Or il y a pénurie de moyens pour surveiller l’ap-plication (à travers des secrétariats internationaux)

PATRICE BOUVERET & JEAN-MARC LAVIEILLE

1. Cette contribution reproduit de larges extraits d’un dossierrpublié dans la revue Damoclès n° 52 (février/mars 1992).

2. Cf. sur ce sujet les différents travaux de l’Observatoire desarmements réalisés par Bruno Barrillot sur les conséquences desessais nucléaires : L’Héritage de la bombe (2005) ; Quelle Justicepour les victimes des essais nucléaires ? (2007). Pour en savoir plus :www.obsarm.org/.

Page 9: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

8 RAPPORT DU GRIP 2008/6

des conventions internationales, pour surveillerles changements de climats, les forêts tropicales,les centrales nucléaires existantes, pour recher-cher et mettre en œuvre des énergies renouvela-bles, pour rechercher et produire des technolo-gies alternatives, il y a pénurie de moyens pourprotéger eau, air, terre, faune, flore. Faute dedégager des moyens suffisants (financiers et enpersonnels) les acteurs locaux nationaux, inter-nationaux se retrouveront en aval avec des som-mes beaucoup plus considérables pour réparerdes dommages… lorsque ceux-ci n’auront pasété irréversibles.

— Les liens entre le domaine civilet le domaine militaire sont souvent étroitsce qui ne favorise pas la protectionde l’environnement

Si l’exemple des liens entre les centralesnucléaires et les armes nucléaires est relative-ment connu mais doit toujours être dénoncé,l’exemple relatif aux liens entre les pesticides etles armes chimiques l’est peut-être moins. Ainsi,à la suite des deux guerres mondiales des subs-tances chimiques militaires à base d’azote ont étéutilisées sous forme d’engrais pour l’agriculture,puis apparaissent des produits de traitement sousla forme de pesticides, les uns et les autres pas-sant dans les nappes phréatiques, déséquilibrantles sols, s’accumulant le long de la chaîne ali-mentaire. Pour boucler la boucle : à partir despesticides on fabrique des gaz toxiques, en parti-culier des neurotoxiques. D’où l’idée selonlaquelle « l’agriculture ne doit pas servir de pré-texte aux grandes firmes pour continuer à pro-duire des gaz toxiques. Il devient urgent de déve-lopper des alternatives à l’agriculture conven-tionnelle », c’est « l’agriculture écologiquecontre la guerre chimique 3 ».

Les conflits armésporteurs de crimes écologiques

Les guerres « propres » n’existant pas, lesbatailles sont toutes tragiques pour les êtreshumains et pour l’environnement, on ne pensepourtant pas toujours à ce dernier.

Des atteintes à l’environnement,sources de conflits

« La perturbation de l’environnement peutreprésenter un maillon de la chaîne de causalitéd’un conflit et jouer même parfois le rôle de cataly-seur. […] La pauvreté, l’injustice, la dégradation del’environnement réagissent les uns sur les autresd’une manière complexe et active 1. »

Pollutions transfrontières. Si les États accep-tent peu à peu certains devoirs qui se dégagent,ceux de coopération, d’information, d’assistance, deconsultation, par contre du point de vue de la res-ponsabilité en attendant une convention internatio-nale globale, l’indemnisation des victimes se fait parl’intermédiaire du droit international privé. La meil-leure politique de l’environnement consiste surtout àéviter dès l’origine la création de pollutions plutôtque de combattre ultérieurement leurs effets. La pré-vention consiste en particulier à établir des régle-mentations et des procédures de contrôle préalable.

Pollution à l’intérieur des pays. Il est bienévident qu’au fur et à mesure que les déchetsménagers, industriels ou nucléaires, deviennentplus envahissants, les habitants concernés par lechoix des sites de stockage manifestent leur rejet.Il arrive que des conflits internes apparaissent ouse développent, consistant, au lieu d’exiger de véri-tables politiques des déchets, à entrer en conflitavec d’autres régions des pays donnés pour qu’el-les acceptent les déchets.

Dégradation de l’environnement. La pertur-bation de l’environnement peut jeter sur les routesdes « réfugiés écologiques ». Cette cause d’exodepeut être la cause principale ou une cause parmid’autres du départ, elle s’ajoute alors à des troublespolitiques, à des violences militaires. Trois exem-ples : en 1984, dix millions d’Africains sont devenusréfugiés, ils ont dû fuir la famine et le Sahel en voiede désertification. D’autres pays africains (en parti-culier la Tanzanie) ont dû accueillir un grand nom-bre d’entre eux. Autre situation dramatique : un mil-lion de Haïtiens ont dû fuir leur pays ravagé parl’érosion des sols. Au Salvador le drame est lemême, l’érosion des sols pose le problème del’exode rural et de la répartition des ressources.

Menaces écologiques. Que penser par exem-ple d’un réchauffement des climats qui contribue-rait à multiplier les tensions en perturbant des agri-cultures, en déclenchant des exodes massifs, enperturbant des espèces ? Il faut rappeler qu’aumoins la moitié des 5,5 milliards d’habitants peu-plant la Terre vivent dans les zones côtières basseset pourraient être remis en cause.

1. Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et ledéveloppement, Notre avenir à tous, avril 1987.3. Cf. article de Sylviane Poulenard, Revue Silence n° 139,

mars 1991.

Page 10: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 9

« Un couple d’ennemis brandissant desbâtons se bat au milieu des sables mouvants […]Qui va mourir, disons nous ? Qui va gagner pen-sent-ils et dit-on le plus souvent ? […] Et main-tenant : n’oublions nous pas le monde des choseselles-mêmes, la lise, l’eau, la boue, les roseauxdu marécage ? Dans quels sables mouvantspataugeons-nous de conserve, adversaires actifset malsains voyeurs ? Et moi-même qui l’écris,dans la paix solitaire de l’aube ? […] Qui ditjamais où se battent le maître et l’esclave ? 4 »

À l’époque contemporaine la guerre de 1914-1918 c’est bien sûr l’horreur des millions demorts des tranchées. C’est aussi dans la natureque la guerre a laissé des traces difficiles à effa-cer et dans les terres et dans les forêts. Deschamps de Champagne et de Lorraine ont étélaissés en friches parce que défoncés et parsemésd’éclats d’obus les rendant incultivables. Plus detrois millions d’hectares de terres agricoles ontété temporairement stérilisées. Les forêts desVosges, d’Alsace et de Lorraine témoignent éga-lement des ravages produits par les bombarde-ments massifs, arbres cassés, arbres meurtrispour des années, incendies de forêts dramatiquesen 1919 faute d’hommes pour les combattre. Cesravages écologiques causés par ces quatre annéesde guerre sont trop peu connus.

La Seconde Guerre mondiale terriblement coû-teuse pour les êtres humains l’a été aussi pourl’environnement à travers en particulier deux phé-nomènes : les bombardements des villes, Dresde aété ainsi dévastée sous les bombes, et d’autre part,la construction par les Allemands du Mur del’Atlantique qui témoigne encore de blockhaus enbéton contribuant a défigurer une partie du littoral.Aujourd’hui encore, à l’occasion de travauxpublics, des bombes sont retrouvées, nécessitantmême parfois l’évacuation des habitants de lazone pour procéder à leurs déminages…

Les effets des armes nucléaires à Hiroshimaet Nagasaki (août 1945) ont été épouvantables.Les souffrances et les agonies de l’expérienceapocalyptique de 1945 se poursuivent. L’ouvrageLittle Boy, nom donné par l’armée américaine àla bombe d’Hiroshima, est le témoignage boule-versant d’un médecin, Shuntaro Hida, qui était làau milieu de l’enfer.

La bombe d’Hiroshima du 6 août 1945 :85 000 morts et 80 000 blessés, 60 000 maisons

détruites, 15 km2 rasés. À Nagasaki : la moitiéenviron des drames précédents. À la fin de l’an-née 1945 au total : 200 000 à 210 000 morts. Àla fin de l’année 1950 : environ 500 000 morts.Aujourd’hui 370 000 survivants (Hibakusha)dont 100 000 demandent des soins réguliers.

Les bombes atomiques ont trois types d’effetsLes effets mécaniques : autrement dit la des-

truction par le souffle de l’explosion. Tout futdétruit à Hiroshima sur 15 km2. De nos jours, lebombardement de l’Europe par quelques centai-nes de missiles exterminerait probablement lapopulation urbaine par le seul souffle. Unebombe de 20 mégatonnes, soit 1 400 foisHiroshima, provoquerait la mort à New York de10 millions de personnes. Souffle, signifie mortdes occupants des immeubles, destruction deceux-ci, renversement des forêts.

Les effets thermiques se présentent sous laforme de tempêtes de feu provoquant des brûlu-res à tous les degrés sur les êtres vivants, incen-diant habitations et forêts. Une bombe de20 mégatonnes créerait une température de 800° Csur une superficie cinq fois supérieure à celledévastée, un certain nombre d’abris anti-atomi-ques n’échapperaient pas à la fournaise.

Les effets radioactifs peuvent se faire sentirtrès longtemps après l’explosion d’une bombe A.Il s’agit d’effets provoquant des morts par radia-tions immédiates, par retombées tuant les person-nes à l’air libre ou abritées dans les sous-sols,enfin des morts par leucémies et autres formes decancers en des lieux même éloignés de l’explo-sion. L’étendue de tels effets va de quelques kilo-mètres à plusieurs centaines selon la puissancede la bombe.

Depuis 1945, il y a eu au moins 300 conflitsarmés (interétatiques et guerres civiles) qui ontfait entre 30 et 50 millions de morts. Les arme-ments modernes par leur puissance destructrice,par leur rayon d’action, par leur panoplie impres-sionnante ont fait de toute guerre des atteintesgraves à l’environnement. Deux exemples : laguerre du Vietnam et celle du Golfe. Au Vietnam,c’est sans doute une des premières fois que ladestruction de l’environnement devient un objet

4. Michel Serres, Le contrat naturel, éd. F. Bourin, 1990.

Page 11: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

10 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Compétitions coloniales et néo-colonialespar rapport aux matières premières. « Lapolitique coloniale est fille de la politique industrielle »disait Jules Ferry en 1885. La recherche de matièrespremières a été une des causes de l’expansion colo-niale. Même si les pays lointains n’ont pas révélé tou-tes leurs richesses, il s’agissait de les occuper avantqu’un autre ne le fasse. Colonisation, décolonisationont fait l’objet de multiples conflits en particulier d’en-jeux stratégiques liés aux matières premières. Ladégradation des termes de l’échange au profit duNord et au détriment du Sud implique l’urgence d’unstatut international des matières premières.

Compétitions pour le pétrole. Le pétrole estnon seulement jugé comme un moyen importantpour gagner une guerre (qui reste sans pétrole peutla perdre) mais c’est aussi pour lui qu’ont étémenées un certain nombre de guerres de ce siècle.On se bat pour du pétrole parce qu’il se trouve aucentre d’enjeux politico-économiques mondiaux.Des intérêts contradictoires se heurtent — pays pro-ducteurs, pays industrialisés, compagnies — face àune rente gigantesque. Ainsi pour un auteur commeSamir Amin « la mobilisation militaire massive del’Occident dans la guerre du Golfe a eu un seul vraiobjectif : celui de maintenir inaltéré le statu quo poli-tique et pétrolier du Moyen-Orient. »

Compétitions pour l’eau. « La consommationmondiale d’eau a doublé entre 1940 et 1980, et ons’attend à ce qu’elle double d’ici l’an 2000, les deuxtiers des quantités prévues allant à l’agriculture.Pourtant, 80 pays représentant 40 % de la popula-tion mondiale souffrent déjà de sérieuses pénuriesd’eau. Il y aura une compétition croissante pour del’eau destinée à l’irrigation, à des usages industrielset à l’économie domestique 1. » Des conflits ont déjàsurgi en Amérique du Sud (le Rio de la Plata), en

Asie du Sud et du Sud-Est (le Mekong et le Gange),en Afrique (le Nil), en Amérique du Nord (le RioGrande). Au Moyen-Orient l’eau est un des enjeuxde la région : les sources du Tigre, de l’Euphrate etdu Nil sont dans des pays non arabes et par exem-ple, la Syrie et l’Irak sont dépendants des réalisa-tions et des projets de la Turquie. En 1975, déjàl’Irak avait failli intervenir en Syrie à la suite de laconstruction d’un barrage dans ce pays. Le pro-blème existe aussi en Cisjordanie du point de vued’une inégale répartition des ressources hydrauli-ques : « Non seulement Israël y puise un quart de saconsommation mais surtout la population arabereçoit à peine plus d’un cinquième du volume totalpompé chaque année 2. »

Compétitions pour la pêche. Il ne s’agit passeulement de telle ou telle “guerre de la morue”(1974 Islande, Royaume Uni). Il s’agit bien plus glo-balement de tensions dans les mers japonaises etcoréennes, de tensions dans l’Atlantique Sud, dansle Pacifique Sud. Les différends en matières depêches deviennent plus fréquents et les prises depoissons dépassent les rendements soutenables.

Compétitions pour le patrimoine communde l’humanité. Ce concept s’applique en particu-lier aux fonds marins c’est-à-dire au sol et au sous-sol au-delà des juridictions nationales. Mais enattendant l’entrée en vigueur de la Convention de1982 des Etats ont, par des législations unilatérales,autorisé leurs entreprises à aller prospecter les sitesde modules polymétalliques. La compétition estengagée entre les multinationales intéressés.

1. Rapport Notre avenir à tous, 1987.

2. Le Monde, 11 juillet 1987.

essentiel de la stratégie militaire. Trois moyensont été utilisés : d’abord les bombardements quireprésentent trois fois le tonnage des bombesdéversées pendant toute la Seconde Guerre mon-diale. Les 7,6 millions de tonnes de bombes amé-ricaines détruisirent totalement 170 000 hectares,on estime à 27 000 tonnes les bombes qui n’ex-plosaient pas et qui font courir encore aujour-d’hui des dangers à des paysans (n’oublions pasqu’au Cambodge, encore actuellement, environ30 personnes par mois sont tués du fait des mines

antipersonnel et autres résidus explosifs deguerre !). D’autre part, le lancement de produitschimiques avait un double but : l’empoisonne-ment des récoltes par l’arsenic et la destructiondes forêts pour mettre l’ennemi à découvert par« l’agent orange à la dioxine » (2 millions d’hec-tares détruits, en particulier en 1967). Au-delà dela nature ces 64 millions de litres de produits chi-miques ont atteint l’Homme sous la forme denombreux cancers. Enfin le troisième moyenétait constitué par les incendies des villages.

Des compétitions pour des matières premières,pour des sources d’énergie à l’origine de conflits

Page 12: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 11

Pendant la première guerre du Golfe l’envi-ronnement a lui aussi été bouleversé. Marée noireet incendies de puits de pétrole ont été utiliséscomme politique de la terre brûlée. Ce que l’on acru être « la marée noire du siècle » a été une pol-lution grave des côtes saoudiennes sur une cin-quantaine de kilomètres qui signifie pourtantdestruction d’écosystèmes marins et difficultésd’utiliser les usines de dessalement pour l’ali-mentation en eau potable des populations. Lesabotage par l’armée irakienne de 732 puits depétrole a provoqué une catastrophe écologique,qui évoquait sur le pays une sorte d’hivernucléaire puisque la température tombait dequinze degrés. Ciel noir, nuit artificielle, crasse,suie, fumées, sol noir, marées d’huile, brasiersimmenses, « l’Enfer de Dante reconstitué ».

Cette pollution a entraîné un nombre élevé demaladies respiratoires, de manifestations allergi-ques. Le Koweït ne brûle plus depuis novembre1991, les puits ont été éteints plus rapidementque prévu. Même si le désert n’est pas la forêt, ilgarde des stigmates de la guerre, qui s’appellentles mines qu’il a fallu enlever, les cratères, lesépaves militaires.

Des champs incultivables de 14-18, des lieuxcontaminés d’Hiroshima, des défoliants duVietnam, des marées noires et des puits en feu auKoweït : le prix à payer est lourd pour ces pays,pour les générations victimes de ces drames.Sous diverses formes, il s’agit aussi d’atteintesaux générations futures qui arriveront en ceslieux où l’environnement a été pollué.

Page 13: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

12 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Quelle empreinteécologique militaire ?

Pour essayer de mesurer les prédations que lesactivités humaines imposent à notre biosphère lanotion d’« empreinte écologique » a été déve-loppée dans les années 1990. Il s’agit de quanti-fier pour un individu ou une population la sur-face bioproductive nécessaire pour produire lesprincipales ressources consommées par cettepopulation et pour absorber ses déchets. Elle semesure généralement en surface (hectares parindividu, ou hectares consommés par une ville ouun pays pour répondre à ses besoins).

Comme le lecteur s’en doute, l’empreinte éco-logique varie en fonction du mode de développe-ment et du niveau de vie de chacun des pays. Elleserait passée dans les « pays riches », d’environ1 hectare en 1950 à 5 hectares de nos jours.

L’estimation du nombre d’hectares de terreset de mers productives dans le monde est de11,4 milliards, soit 1,9 hectare pour chacun des6 milliards d’habitants de la planète. La moyennemondiale de consommation des ressources natu-relles est de 2,5 hectares par personne ; soit déjà0,6 hectare de plus que ce qui est naturellementdisponible (voir sur www.wikipedia.org quelquesexemples d’empreintes).

Il serait très intéressant de mesurer la partmilitaire de l’empreinte écologique. Mais, lors-que l’on consulte sur Internet les différents sitesconsacrés à cette question, il est impossible d’ob-tenir des éléments d’information permettantd’étayer de manière un tant soit peu sérieuse lapart de la prédation que les activités militairesimposent à notre biosphère.

Et en France ?

Une fois élu président de la République,Nicolas Sarkozy a ouvert un vaste chantier avecle « Grenelle de l’environnement », dont l’objec-tif était justement de permettre un débat socialsur les différentes initiatives pouvant être prisesafin de diminuer l’empreinte écologique de la

France. Or, l’armée — qui, au travers de sonfonctionnement quotidien, est une grandeconsommatrice de territoires, d’énergie et autresressources naturelles de toutes natures — étaitl’un des grands absents de ce débat (avec lenucléaire !)

Certes, le ministère de la défense a lancé uneopération de communication en présentant à lapresse le 27 novembre 2007 un « plan d’actionenvironnement » qualifié, bien sûr, d’« ambi-tieux ». Sauf que les moyens mis en œuvreconcrètement frisent le ridicule !

Prenons l’exemple de la consommation desproduits pétroliers. Le Service des essences desarmées (SEA) distribue chaque année environ1 200 000 m3 de produits pétroliers. Or, lesmesures proposées concernent essentiellementla formation des 15 000 conducteurs du ministèreà ce qu’il nomme « la conduite souple » ou« l’éco-conduite » visant à réduire les consom-mations de carburant et à acheter des voituresplus économes…

PATRICE BOUVERET

Avion de combat Rafale (Dassault)Rayon d’action : 1 850 kilomètres en mission air-airavec 8 missiles Mica et 6 600 litres de carburant répar-tis dans 5 réservoirs extérieurs.

Temps de patrouille air-air : 3 heures.

Soit : 2 200 litres de carburant par heure de vol !

SOURCES : http://www.avions-militaires.net/

Sans être expert, on peut estimer que même sile ministère est gestionnaire du second parcnational, derrière La Poste, avec près de 70 000véhicules, une réduction sérieuse de sa consom-mation de produits pétroliers et d’émission deCO2 se joue prioritairement au niveau des avionsde combats (Rafale et autre Mirage…) et de l’ar-mement naval…

En fait, la principale mesure de ce « plan envi-ronnement » sera la réalisation chaque année d’unbilan environnemental du ministère. La premièreédition est prévue pour la fin de l’année 2008 etcomportera un « bilan de ses rejets gazeux etliquides dans l’environnement, de ses productionsde déchets, de ses consommations d’énergies etd’eau ainsi qu’un bilan carbone ». Une bonneidée, mais les déchets nucléaires seront-ils aussi

Page 14: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 13

comptabilisé ? Le document du ministère segarde bien de le préciser…

Or, calculer l’empreinte écologique de l’ar-mée nécessite de prendre en compte de tels para-mètres comme l’impact des 210 essais nucléairesréalisés par la France au Sahara et en Polynésie,l’impact des différents essais d’armes et plus glo-balement d’inclure aussi le bilan des entreprisestravaillant pour la production d’armement… Eneffet, le ministère de la défense est le premierinvestisseur de l’État, le premier gestionnaireimmobilier et foncier de l’État (264 000 hecta-res) et le deuxième employeur de l’État (430 000personnes, auxquelles il faut rajouter environ165 000 travailleurs dans l’armement).

Les différents calculs de l’empreinte écologi-que de la France soulignent qu’une généralisa-tion du niveau de vie moyen d’un Français (oud’un Européen) à l’ensemble des habitants

nécessiterait deux planètes supplémentaires.Quelle est la part du aux activités militaires et àleurs conséquences ?

Au côté notamment des différents indicateursenvironnementaux et sociaux, ne serait-il pasimportant de créer également un « indice del’impact militaire » ?

Char Leclerc Nexter (ex-Giat)Capacité en carburant : 1 300 litres sous blindage(1 700 avec carburant externe : fûts largables).

Autonomie maximale sur route : 550 kilomètres aveccarburant externe.

Vitesse maximale : Sur route, 72 km/h ; tout-terrain,> 55 km/h ; en marche arrière, 38 km/h.

Soit : 3,09 litres par kilomètre ou pour comparer àune voiture moyenne, 309 litres au 100 km !

SOURCES : http://www.nexter-group.fr/

Page 15: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

14 RAPPORT DU GRIP 2008/6

6 novembre : « Journée internationale pourla préservation de l’environnement en temps de guerre »

À l’occasion de la Journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environ-nement en temps de guerre et de conflit, le 6 novembre 2007, le secrétaire général des Nationsunies, Ban Ki-moon, a souhaité faire connaître son message :

« Depuis que la guerre existe, l’environnement et les ressources naturelles en sont les vic-times silencieuses. Les récoltes sont incendiées, les puits pollués, les sols empoisonnés et lesanimaux tués. Les objectifs ne sont pas toujours les mêmes : on peut vouloir se procurer unavantage stratégique, démoraliser des populations locales, venir à bout d’une résistance outout simplement nourrir ses soldats. Mais, même lorsqu’elles ne sont pas intentionnelles, lesconséquences sont toujours catastrophiques. Nous assistons à des actes de destruction purset simples, notamment le rejet de polluants et de substances dangereuses. Nous sommestémoins de bouleversements sociaux, comme la création de populations de réfugiés qui, à leurtour, mettent plus rudement les ressources à contribution. Et puisque la plupart des conflits sedéroulent dans les pays pauvres, nous constatons les ravages économiques infligés par lesguerres à des populations vulnérables qui sont les moins outillées pour faire face aux dégâtssubis par leur environnement et pour surmonter un ralentissement du développement.

Pendant la guerre du Golfe de 1991, les puits de pétrole du Koweït ont été délibérémentincendiés et des millions de litres de pétrole brut ont été déversés dans les voies d’eau. AuCambodge, 35 % de la couverture forestière a été détruite pendant les 20 ans qu’ont duré laguerre civile et les troubles. Au cours du conflit en Angola, le nombre des animaux sauvages adiminué de 90 % et, pendant la guerre du Vietnam, des millions de tonnes d’agent orange ontété pulvérisées au-dessus des jungles de ce pays, ce qui a eu pour effet de dépouiller de toutevégétation de vastes zones dont certaines ne peuvent toujours pas être cultivées aujourd’hui.

L’environnement est protégé en temps de guerre par un certain nombre d’instruments juri-diques, notamment la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification del’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (1976), la Convention sur lesarmes chimiques et la Convention sur la prohibition des mines antipersonnel (1997). En outre,le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève interdit l’utilisation de « méthodes oumoyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, desdommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel » et dispose que « la guerresera conduite en veillant à protéger l’environnement naturel contre des dommages étendus,durables et graves ». Mais ce qui fait cruellement défaut, ce sont les mécanismes voulus pourassurer l’application de ces conventions. De fait, il faudra peut-être que nous renforcions lechapitre « vert » des règles du droit humanitaire international.

Au niveau pratique, l’ONU réagit de plus en plus activement lorsqu’une guerre entraîne unedégradation de l’environnement : elle s’efforce d’évaluer les dégâts, de nettoyer les zonescontaminées et d’aider les pays à se doter des moyens voulus pour gérer leur environnementaprès le conflit. C’est ce que le Programme des Nations Unies pour l’environnement a fait dansles Balkans et c’est ce qu’il fait aujourd’hui en Afghanistan, en Iraq, au Libéria et dans le terri-toire palestinien occupé.

Les technologies guerrières et armements modernes continuent à se développer rapide-ment, ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur l’environnement. En mêmetemps, on laisse trop de conflits s’envenimer pendant des années, voire des décennies, et épui-ser petit à petit les ressources naturelles. Au moment où nous célébrons la Journée internatio-nale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflitarmé, prenons conscience du fait qu’aucune guerre et aucun conflit ne se déroule trop loin denous pour avoir un effet sur notre environnement, quel que soit l’endroit où nous habitons. Etprenons l’engagement de faire ce que nous pourrons pour lutter contre cette menace communeet pourtant souvent oubliée qui met en péril nos vies et notre bien-être. »

Page 16: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

ANGELIKA BEER

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 15

Introduction : Sécurité collectiveet politiques de l’énergie

Aujourd’hui, la politique de l’énergie passepar une politique de sécurité, et plus précisément,nous avons besoin d’une politique de paix. AuXXIe siècle, c’est devenu une tâche transversale,qui est tout sauf une politique militaire pure. Auvu des besoins croissants en énergie dans lemonde (par exemple, dans les pays asiatiques endéveloppement), la demande pour les ressourcesnon renouvelables comme le pétrole et le gazaugmentera, et la compétition pour les ressourcesénergétiques s’amplifiera, ce qui peut être sourcede nouveaux conflits. Le gaz et le pétrole sontimportés principalement de régions potentielle-ment en crise : il n’existe pas de réelle alternativepuisque les réserves naturelles sont concentréesdans ces régions. Une forte augmentation desprix, des interruptions ou même des arrêts pro-longés des approvisionnements ne sont que quel-ques-uns des risques. Les longues routes et lessystèmes de transport compliqués sont des ciblesfaciles pour des actes de piratage, de terrorisme,visant par exemple l’interruption des pipelines,ce qui exacerbe l’ensemble des problèmes. Ima-ginons seulement quelles seraient les conséquen-ces, sur les marchés occidentaux de l’énergie, dela fermeture du canal de Suez pendant plusieursmois à la suite d’une attaque terroriste !

Si nous avons, en tant que Verts, débattu de cesujet depuis déjà longtemps, il a fallu bien dutemps avant que ces interconnexions soit finale-ment reconnues, et qu’on comprenne que la sécu-rité énergétique ne peut pas être garantie par desmoyens militaires. La Commissaire aux relations

extérieures, Benita Ferrero Waldner, et le HautReprésentant pour la politique européenne desécurité commune, Javier Solana, ont d’ailleurspublié, en mars, un document sur ce sujet. Ils’agit entre autres de rejeter le principe de la pro-tection des pipelines et des réserves de pétrolepar des moyens militaires. Quiconque croit pos-sible de protéger militairement les pipelines desattaques terroristes se trompe de moyens.

Si ce document est encore relativement géné-ral et ne dessine pas toujours les conséquences dece qu’il prédit, son message est important : lespolitiques environnementales ou relatives auchangement climatique ont une influence déci-sive sur les guerres et les conflits dans le monde.Il est possible de résumer le développement endeux points : d’une part la diminution rapide desressources et les conditions environnementalesqui empirent mènent à des conflits violents, d’au-tre part, l’existence de conflits exacerbe encoreplus profondément les problèmes de ressourceset d’environnement.

C’est exactement l’objet de la conférence d’au-jourd’hui. Nous devrons d’abord affronter la ques-tion des consommations d’énergie et de matièrespremières. Nous ne pouvons plus continuer degaspiller ainsi nos ressources. Encore aujourd’hui,15 % de la population mondiale utilise 60 % dupétrole brut et du gaz naturel, et plus de la moitiédes autres ressources épuisables. De plus, l’appé-tit énergétique des autres pays va en augmentant,pas en diminuant. Aujourd’hui la Chineconsomme déjà 25 % des métaux bruts. Tous lespeuples ont un intérêt légitime identique pour lesressources naturelles et l’énergie, mais un niveaudisproportionné de consommation ne justifie pasun intérêt disproportionné : au contraire, il obligeà économiser des ressources limitées et à minimi-ser leur utilisation au bénéfice de tous.

Insertion des Actes de la conférence organisée par le Groupe Verts/ALEau Parlement européen, 12 juin 2008

Page 17: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

16 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Ensuite, on devra envisager le changementclimatique, qui exacerbe aujourd’hui la pauvretémondiale en détruisant des moyens d’existence,forçant des millions de gens à fuir, intensifiantles discussions relatives à la distribution des res-sources, causant de violents conflits et l’augmen-tation des prix. La disponibilité du pétrole et dugaz se concentre géographiquement et économi-quement dans les mains de pays de moins enmoins nombreux et d’entreprises proches desÉtats. Dans les pays riches en ressources, les pro-fits ne bénéficient généralement pas à la popula-tion mais aux élites corrompues et/ou autoritai-res. Le changement climatique et la crise des res-sources mettent tous deux la paix en danger !

Enfin, on envisagera le problème des armes etdes armées. Récemment encore, les instituts derecherches sur la paix ont montré que le com-merce mondial des armes a augmenté. Le pro-blème des armes mondialement disponibles aug-mente donc en conséquence, ce qui en soi consti-tue déjà un problème. Mais ce que nous devons

désormais considérer, ce sont les effets sur l’en-vironnement : le nombre de missions militaires etciviles dans le monde a énormément augmenté.Une évaluation d’une portée suffisante n’a toute-fois pas encore été menée. Nous disons que nousvoulons des engagements internationaux afin deprotéger les gens, mais nous rendons-nous tou-jours compte des conséquences de nos actions ?Quel impact cela a-t-il sur l’environnement, lors-que des milliers de soldats se déploient dans unpays ? Dans ce cadre, il y a beaucoup d’aspects àconsidérer, qui n’ont pas encore été discutés demanière exhaustive, et de loin.

Les liens entre les effets environnementaux(ressources et changements climatiques) et lapolitique de sécurité ne se reflètent pas encoredans des stratégies cohérentes. Les connaissan-ces ne sont pas non plus utilisées pour coordon-ner efficacement différentes politiques. J’ai doncl’espoir que la conférence d’aujourd’hui nousdonnera une nouvelle impulsion, qui pourra êtreintégrée dans nos actions politiques.

Page 18: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

Intervenants

Angelika BeerMembre du Parlement européen (PE) depuis 2004,Angelika Beer est porte-parole sur la politique desécurité et coordinatrice pour la politique étrangère duGroupe des Verts/ALE, membre de la commissionparlementaire Affaires étrangères et de la sous-com-mission Sécurité et Défense. Elle est également prési-dente de la délégation Union européenne-Iran du PE,membre de la délégation du PE pour les relations avecl’Afghanistan, membre suppléante de la commissionparlementaire mixte UE-Arym (ancienne Rép. yougo-slave de Macédoine). Elle est en outre membre de ladélégation pour les relations avec l’Assemblée parle-mentaire de l’Otan.

Angelika Beer a été présidente fédérale du Parti desVerts allemand de 2002 jusqu’à son élection au PE.Auparavant, elle a été membre du Parlement allemandde 1987 à 1990, puis à nouveau de 1994 à 2002. Elleétait alors porte-parole du groupe des Verts pour lapolitique de défense et membre de la commission surla politique de défense, de la sous-commission sur lecontrôle des armes, le désarmement et la non-prolifé-ration, de la commission des Affaires étrangères et dela commission sur les Affaires européennes. Elle futégalement membre de l’assemblée parlementaire del’Otan et du Conseil de l’Europe et a travaillé pourl’ONG Medico International comme conseillère pourles droits humains ainsi que comme coordinatrice dela campagne internationale contre les mines terrestres(1990-1994). Angelika Beer est enfin membre fonda-trice du Parti des Verts allemand, fondé en 1979.

Victoria BreretonVictoria Brereton est titulaire d’un Master de politi-que internationale, spécialisée en Afrique sub-saha-rienne, de l’Institut d’études orientales et africaine,ainsi que d’une licence en Histoire (Queen’s College,Cambridge). Après avoir occupé le poste de conseil-ler politique au « Cabinet Office » du Royaume-Uni,elle a rejoint en 2007 l’unité de recherche de préven-tion des conflits de l’International Crisis Group. Ausiège bruxellois, elle étudie les régions du Centre, duSud, et de l’Ouest de l’Afrique ainsi que les questionshorizontales.

Ben CramerDétenteur d’un diplôme de la Paix, il a étudié la polé-mologie (sociologie de la Défense) à l’École des hautesétudes en sciences sociales puis à Bradford, auDepartment of Peace Studies. De 1996 et 2002, il pro-duit l’émission « Fréquence Terre », le magazine del’environnement sur les ondes de Radio FranceInternationale (RFI). Il est co-auteur du CD-Rom« L’or bleu », encyclopédie interactive de l’eau, éditépar Strass en coopération avec le Programme hydrolo-gique international de l’Unesco — couronné du PrixMoebius Multimedia, 1999. Après avoir écrit Lenucléaire dans tous ses états. Les enjeux nucléaires dela mondialisation, aux éditions Alias (2002), il chercheà populariser le concept de « sécurité écologique »,comme conférencier (Gipri, Genève) ou commeconsultant (Green Cross International). Vice-présidentde l’Association des journalistes pour l’environnement(AJE, http://www.journalistes-environnement.org), ilest chroniqueur sur le développement durable pourGaïa TV, et participe à un groupe de réflexion sur laprolifération nucléaire au sein du Centre d’étude et derecherche de l’enseignement militaire, le Cerem.

Philippe GrassetPhilippe Grasset est né le 18 mars 1944 à Alger.Installé en Belgique depuis 1967, il y est journalistedepuis la même époque. Depuis 1985, il publie la let-tre d’analyse Dedefensa & eurostratégie (dd&e), et lesite www.dedefensa.org depuis 1999. Philippe Grassetest l’auteur d’études historiques : La drôle de détente,1978 ; Le monde malade de l’Amérique, 1999 ;Chroniques de l’ébranlement, 2003 ; Les âmes deVerdun, 2008 et d’un roman Le regard de Iéjov, 1990.

Alain LipietzÉconomiste, auteur d’une vingtaine de livres d’écono-mie, d’écologie ou de politique sociale, Alain Lipietzmilite avec les Verts français, dont il a été le porte-parole de 1997 à 1998, depuis 1986. Conseiller régiond’Île-de-France de 1992 à 1994, puis conseiller muni-cipal de Villejuif de 1995 à 1997, il est député euro-péen depuis 1999. Au PE, il est membre de la com-mission parlementaire du Commerce international etde la commission des Affaires juridiques ainsi quemembre suppléant de la commission des Affaires éco-nomiques et monétaires. Il est président de la déléga-tion pour les relations avec les pays de laCommunauté andine, de l’Intergroupe commerce etdéveloppement durable, et vice-président de l’assem-blée parlementaire euro-latino-américaine (Eurolat).

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 17

Page 19: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

18 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Diplômé de l’École polytechnique de Paris en 1966 etde l’École nationale des ponts et chaussées en 1971, il aété chercheur à l’Institut de recherche des transports(1971-1973) puis au Centre d’études prospectivesd’économie mathématiques appliquées à la planifica-tion de 1973 à 1999 et directeur de recherche au CNRS.Il travaille principalement sur les dossiers de politiqueéconomique et sociale, de développement durable,d’économie régionale et internationale, et sur la théma-tique de la mondialisation (Forums sociaux mondiaux).

Luc MampaeyÉconomiste et chercheur au Groupe de recherche etd’information sur la paix et la sécurité à Bruxellesdepuis 1993 (GRIP, www.grip.org), Luc Mampaeyest ingénieur commercial (HEC Saint-Louis) et titu-laire d’une diplôme spécialisé en gestion de l’envi-ronnement et aménagement du territoire (ULB-IGEAT), ses travaux portent principalement sur lesenjeux financiers, économiques et technologiques dela configuration contemporaine du « système indus-triel militaro-sécuritaire ».

Yves Mollard La BruyèreYves Mollard La Bruyère est actuellement membrede l’Unité études prospectives à la Commission euro-péenne. Son itinéraire l’a conduit des études politi-ques (doctorat IEP), d’Histoire et de philosophie àune carrière d’abord centrée au ministère de laDéfense (cabinet du ministre) puis au Secrétariatgénéral de la Défense nationale et à l’Otan. Il arejoint la Commission européenne en 1990 au cabinetde Jacques Delors et poursuit depuis un travail d’ana-lyste politique sur les questions de stratégie, de sécu-rité et de politique étrangère européenne. Il a publiéplusieurs articles, notamment dans la revue Défensenationale, Relations internationales, et dans le jour-nal Le Monde.

Cédric PaulinChargé de recherche à la Fondation pour la recherchestratégique de 2004 à 2008, Cédric Paulin a étudiél’économie de la Défense, les stratégies industrielleset technologiques, ainsi que la prise en compte del’environnement dans les programmes et industriesd’armement. Il est titulaire d’un DEA d’Histoirecontemporaine et d’un DEA d’économie à l’EHESS,et est en doctorat d’économie sur les importationsd’armements de la France.

Amiral de division Jacques RosiersNé le 30 mai 1949 à Arlon, l’amiral de division (e.r.)Jacques Rosiers est diplômé ingénieur civil de l’Écoleroyale militaire (1971) et breveté officier de quart« passerelle » (1972). Après avoir été affecté à de nom-breux postes de commandement, il exerce de 1998 à2001, en cumul, la fonction d’Amiral Benelux adjointà Den Helder (Pays-Bas). De 2001 à 2003, il exerce lafonction de chef d’état-major adjoint « Plans & Policy »à l’état-major conjoint/combiné & maritime Otan« Regional Headquarters East Atlantic/HeadquartersAllied Naval Forces North » à Northwood (Royaume-Uni). En 2005 il est nommé, en cumul, sous-chefd’état-major « Stratégie » et directeur national de l’ar-mement (DNA). Il est admis à la retraite le 1er juillet2008 mais il continue à servir dans la réserve jusquefin 2009. De 1985 à 1989, il exerce en cumul de sesfonctions militaires celle d’officier d’ordonnance deSa Majesté le Roi Baudouin. En 1992, il est nomméconseiller de Son Altesse Royale le Prince Philippe. Le1er janvier 2006, il est nommé aide de camp du Roi. Ilporte plusieurs distinctions honorifiques belges.

Helga Maria SchmidHelga Maria Schmid, directrice de l’unité politique duConseil de l’Union européenne depuis janvier 2006,est l’une des plus proches collaboratrices du HautReprésentant pour la Politique étrangère et de sécuritécommune, Javier Solana. Avant de rejoindre l’équipede Solana, la diplomate allemande Helga Schmid étaitchef du Cabinet et du service politique du ministre desAffaires étrangères Joschka Fischer. Mme Schmid arejoint le ministère des Affaires étrangères allemanden 1990 et a travaillé, entre autres, en tant qu’attachéede presse à l’Ambassade d’Allemagne à Washington.

Irnerio S. SeminatoreIrnerio S. Seminatore est président de l’Institut euro-péen des relations internationales de Bruxelles (Ieri),et directeur de l’Academia Diplomatica Europaea(AEDE-Bruxelles). Professeur des universités, doc-teur en droit (It) et docteur en sociologie (Fr), il aenseigné à l’Université de Paris VIII, à l’École deshautes études en sciences sociales (EHESS) de Pariset est l’auteur de nombreuses publications sur le sys-tème international et l’actualité contemporaine.

Page 20: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

TABLE RONDE 1

L’impact du facteur environnemental sur la sécurité collective

IRNERIO SEMINATORE

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 19

Introduction : La sécurité collectiveet le paradigme climatique

L’impact des changements climatiques sur lagéopolitique mondiale, comme multiplicateurs desmenaces à l’échelle globale, paraît incontestable.En effet, la modification du milieu naturel et desconditions de vie environnementales et donc socia-les, pour des populations de plus en plus larges, fai-bles et situées en régions côtières (1/5 de la popu-lation mondiale), influe de manière directe et quo-tidienne sur leurs situations existentielles.

Cette modification, autrefois imprévisible,concerne la pénurie d’eau, la diminution des ter-res arables, la chute de la productivité agricole, larestriction des réserves alimentaires, les inonda-tions récurrentes et dévastatrices et la lente sub-mersion de zones maritimes, principalement lespetits États insulaires mais aussi les mégalopoleset leurs infrastructures de soutien.

Les effets directs de ces phénomènes globauxse déroulent sous les yeux de tous et peuvent êtreainsi énumérés :• course aux ressources, en particulier énergéti-

ques et halieutiques et conflits pour celles-ci ;• litiges frontaliers ;• insécurité alimentaire et pressions migratoires

à grande échelle, à caractère environnemental ;• instabilité interrégionale accrue ;• tensions politiques au niveau national et mon-

dial, ainsi que dans les deux dimensions plané-taires, Nord/Sud et Sud/Sud.

En termes de sécurité interétatique, les consé-quences sont multiples : la première est unetransgression des équilibres mondiaux de sécu-rité représentée par la prolifération nucléaire,masquant ou non des ambitions stratégiques etmilitaires dans le cadre contraignant du régimede non-prolifération.

La deuxième conséquence, à caractère trans-national, est l’extrémisme et la radicalisation

politique, dans le cadre de tensions montantesentre groupes ethniques et religieux. Ainsi, unensemble de tensions locales et parfois régiona-les met en danger la sécurité collective et provo-que des conflits dits de basse intensité, mais delétalité croissante.

Ces affrontements, difficilement maîtrisables,en raison de l’imbrication de forces multiples et del’intervention de puissances extérieures, brisent lesefforts de développement et mettent à dure épreuveles instances et les pays, partisans d’actions concer-tées et d’un multilatéralisme pacificateur. Nousassisterons en conséquence à un accroissementconsidérable de l’anarchie internationale et à desformes chaotiques de violence armée, ayant pourorigine des dérèglements climatiques.

Cette montée des conflits n’est pas destinée àdécroître et force les décideurs politiques à inté-grer ces nouvelles dimensions du risque interna-tional, dans une architecture de sécurité où lestrois critères :• de la gouvernabilité classique,• de la régulation internationale (ou gouver-

nance),• de la prévention des crises,

soient unifiées dans une stratégie multilatérale,aujourd’hui utopique, de surveillance et contrôleenvironnementaux et de stabilisation politique, enparticulier dans les régions les plus proches et lesplus vulnérables aux changements climatiques,l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Arctique.

Ces dynamiques géostratégiques pourraientmodifier les relations de l’Union européenneavec ses partenaires clés, à savoir la Russie, leCanada et les États-Unis.

C’est la raison pour laquelle, l’Union pourraitse faire la promotrice institutionnelle d’uneréflexion internationale pour réexaminer desmenaces et des défis de sécurité des décennies àvenir et cette réflexion à caractère géopolitiquepourrait afficher son ambition, en élaborant etproposant un « Projet global de l’Europe pour leXXIe siècle ».

Page 21: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

20 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Présentation du rapport« Changement climatiqueet sécurité internationale »

Je voudrais remercier les organisateurs de cedébat de m’avoir invitée à ce débat essentiel etd’actualité portant sur l’environnement et lasécurité collective.

Vous n’êtes pas sans savoir que Javier Solana etla Commission européenne ont récemment pré-senté un rapport commun sur les conséquences duchangement climatique sur la sécurité collective.

Le principal argument de ce rapport est que lechangement climatique a déjà un impact profondsur la sécurité internationale, qui s’intensifieraitpendant les années à venir, et que nous avonsbesoin d’une action mise en place rapidementafin de sauvegarder nos propres intérêts.

La stratégie européenne de sécurité de 2003,que nous sommes en train de réactualiser, a déjàsignalé cet aspect, déclarant que la « compétitionpour les ressources naturelles — notammentpour l’eau — sera aggravée par le réchauffementplanétaire dans les années à venir et il est proba-ble que cela créera d’autres troubles et des mou-vements migratoires dans diverses régions.

La manière la plus appropriée de percevoir lechangement climatique dans le contexte de sécu-rité est comme un amplificateur de menace : quiaggrave les tensions et les pressions à l’intérieuret entre les pays. Le changement climatiquemenace de surcharger les pays et régions qui sontdéjà fragilisés et enclins aux conflits. La variableprimordiale étant la gouvernance.

La controverse scientifique est dépassée, lechangement climatique est là et l’activitéhumaine y contribue. Même si nous venionsaujourd’hui à couper le courant pour de bon, lesconséquences des émissions passées seraientressenties demain et nous devons y être préparésdès maintenant. Cela s’applique également surles conséquences en matière de sécurité. Dèslors il ne s’agit pas ici d’un autre rapport sur lechangement climatique ou de développement —la différence étant l’accent mis sur la dimensionde sécurité.

Je me dois d’être claire : dire que le change-ment climatique présente des risques de sécuritérenforce la nécessité de tenir nos engagements àréduire les émissions de gaz à effet de serre.Nous ne pouvons abandonner ni les efforts deréduction ni la recherche pour s’adapter à l’inévi-table changement climatique.

Faire ceci est très important. Mais c’est encoreinsuffisant. La réduction et l’adaptation doiventaller de paire avec notre préoccupation du change-ment climatique sur la sécurité internationale.L’ensemble doit être considéré comme une politi-que de sécurité préventive. L’investissement dansla réduction et l’adaptation constitue aussi unepolitique de prévention de conflit.

Nous ne voulons pas transformer la discus-sion en un débat « sécuritaire 1 » mais simplementdire que le rapport confirme la nécessité deréduire les émissions et reconnaît que la réduc-tion et l’adaptation restent au cœur des effortseuropéens et internationaux (encadré par lesNations unies) pour combattre les effets négatifsdu changement climatique.

Le message de ce rapport est résolument nonmilitaire. Le rapport démontre que le changementclimatique peut conduire à la formation de mena-ces de sécurité alarmantes auxquelles il n’existepas de solutions militaires. Aucun système d’ar-mement ne peut freiner l’avancée d’un ouragans’abattant sur une ville. Aucun système d’arme-ment ne peut arrêter la monté des eaux maritimes.La vérité est que si nous ne réagissons pas mainte-nant nous devrons composer avec des choix diffi-ciles pour l’avenir et pour éviter ceci nous devonsréunir nos capacités dès aujourd’hui.

L’Union européenne est bien placée pour yrépondre. Nous avons à notre disposition unpanel unique d’instruments économiques etd’aide au développement, d’assistance humani-taire, de support pour une bonne gouvernance, enmatière de droits de l’homme et de règles dedroit, pour la réforme en matière de sécurité, etnos capacités de gestion de crise civile, pour n’ennommer que quelques-uns. Ce panel est la valeurajoutée spécifique que l’Union européenne peutaussi apporter au traitement des impacts du chan-gement climatique sur la sécurité.

1. « Sécuritiser le débat », terme original.

HELGA MARIA SCHMID

Page 22: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 21

Permettez-moi juste de souligner trois menaceset de donner quelques exemples géographiques.

Le conflit sur les ressources, spécialement làoù l’accès est politisé pour la nourriture, l’eau etl’énergie.

AfriqueL’Afrique est le continent le plus vulnérable

face au changement climatique et à la pénuried’eau. Beaucoup pensent que l’eau et le manquede terrain sont à la base du conflit au Soudan. Il asouvent été dit que le conflit au Darfour est parbeaucoup d’aspects le premier conflit causé par lechangement climatique. Il y a aussi des conflitspour l’eau dans le bassin du Nil et le lac Tchad.

Proche-OrientLe Proche-Orient est une des régions les plus

arides sur la planète, il accueil 5 % de la popula-tion mondiale mais possède seulement 1 % desressources en eau potable. La quantité et la qua-lité de l’eau disponible dans la région sont endéclin et vont probablement diminuer de moitiéd’ici 2050. Le contrôle des ressources en eau,afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement, aété la principale cause de tension et de conflit auMoyen-Orient.

Asie centraleLes termes eaux et sécurité sont synonymes

particulièrement en Asie centrale. Le Tadjikistana perdu un tiers de la superficie de ses glaciersdurant la seule deuxième moitié du XXe siècle,tandis que le Kyrgyzstan a perdu plus d’une cen-taine de glaciers sur les quarante dernièresannées. Les tensions se font déjà sentir en Asiecentrale, entre les pays en amont qui ont accès àl’eau mais pas au pétrole et les pays en aval quiont le pétrole mais qui dépendent des pays amontpour l’eau.

L’augmentation des migrations entraîne unepression supplémentaire sur les pays de transit etd’accueil. Ceci peut aussi mener à des tensionspolitiques et ethniques.

Des tensions politiques sont à envisager, enraison de l’évolution du littoral, de la disparitiond’îles et de l’ouverture d’un accès à de nouvellesroutes maritimes et de nouvelles ressources.

Nous assistons déjà à la revendication de territoi-res en Arctique, par certains pays.

Je ne détaillerai pas davantage le rapport quevous connaissez certainement déjà. Mais j’aime-rais regarder vers l’avenir et montrer, selon lepoint de vue du Conseil, quelles pourraient êtreles étapes à venir.

Tout d’abord le rapport est un simple tremplinvers l’action future. Je suis contente que les réac-tions initiales du Parlement européen et des Étatsmembres aient été très positives. Comme vous lesavez moi et mon homologue de la Commissionavons informé la sous-commission de défense etde sécurité du Parlement le 31 mars 2008 sur cerapport collectif.

Le Haut Représentant s’est aussi adressé auxparlementaires sur l’importance de cette problé-matique, quand il s’est adressé à la fois à la com-mission des Affaires étrangères du Parlementeuropéen le 8 avril 2008 et lors de la séance plé-nière le mercredi 4 juin 2008 consacrée à la poli-tique étrangère de défense et de sécurité del’Union européenne. Nous devons enchaîner surces initiatives et poursuivre le développement decelles-ci. En effet, il ne s’agit pas d’un aboutisse-ment mais du commencement d’un processus.

Le Conseil européen a donné une date limitepour un suivi adéquat ; en particulier sur la façond’intensifier la coopération avec les régions et lespays en voie de développement. Le délai ultimeest décembre 2008. Ceci sera important afin demaintenir une dynamique.

Le rapport proposeune série de recommandations

Une recherche et une analyse plus précise. Unpartage des documents et des analyses desrégions du monde où la problématique du chan-gement climatique est susceptible d’avoir unimpact important (Afrique subsaharienne,Proche-Orient et Asie centrale).

Un engagement avec les pays en voie de déve-loppement et les organisations internationalescomme nous le faisons déjà dans le domaine dela sécurité énergétique. Le rapport fait désormaispartie de l’agenda de notre dialogue politiqueavec ces pays.

Page 23: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

22 RAPPORT DU GRIP 2008/6

La nécessité de communiquer les incidencessur les revendications territoriales, les zoneséconomiques exclusives et l’accès aux nouvellesvoies de commerces maritimes. Nous devrionsmettre en œuvre les dispositions existantes et, lecas échéant, renforcer l’encadrement légal exis-tant. Le but n’est pas de remettre en question laloi maritime.

Le facteur du changement climatique com-promet nos mécanismes d’alerte préventive.

Établir un lien avec les négociations sur lechangement climatique. Jusqu’à présent le chan-gement climatique a principalement été discutéd’un point de vue scientifique (Giec).

La diplomatie publique : dans toutes nos rela-tions — de l’Afrique au Proche-Orient ; del’Amérique latine à l’Asie centrale et au-delà —nous devrions améliorer la prise de conscience deseffets du changement climatique sur la sécurité.

Intégrer également l’adaptation et la résis-tance au changement climatique dans notre stra-tégie régionale de l’Union européenne commepour l’Afrique et le Proche-Orient. Le rapportpropose aussi une politique de l’Union euro-péenne concernant l’Arctique.

Instaurer un processus de dialogue avec lesacteurs internationaux (organisations et les parte-naires), sur l’approche collective du sujet.J’aimerais souligner en particulier les efforts del’atelier de prévention des conflits de la fonda-tion Madariaga et de l’académie Bernadotte enavril dernier à Bruxelles. Cet atelier a rassembléles gouvernements et les représentants des ONGaussi bien que les organisations régionales etinternationales dans un débat stimulant. Il estprévu de continuer et de renforcer ce dialogue.

Conclusion

Ce rapport n’apporte pas une solution à tout etne prétend pas les avoir. Il ouvre la porte vers uneaction concertée pour l’avenir, à travers des poli-tiques de l’Union européenne. Avec le support dela présidence (présente et à venir), les Étatsmembres et la Commission ciblent ensemble unplan d’action plus détaillé qui devrait être pré-senté en décembre de cette année.

Nous accueillerons volontiers l’opportunitéd’un échange plus approfondi des opinions avecles parlementaires européens.

Page 24: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 23

Conflit et changement climatique

Je voudrais tout d’abord remercier les organi-sateurs de cette conférence, pour l’invitation à cequi s’annonce comme un débat de grande enver-gure. Je pense que ce qu’on peut voir dans le pro-gramme d’aujourd’hui et le débat tenu jusqu’àprésent, est la position centrale que le change-ment climatique occupe au cœur de la politiqueeuropéenne et de la pensée stratégique.

Comme le récent rapport de la Commissioneuropéenne sur le changement climatique et lasécurité internationale l’indique, nous avonscommencé à nous engager avec ampleur sur lesimpacts potentiels — englobant la diminutiondes ressources, la migration massive, la gravetension socio-économique et l’augmentation del’instabilité politique. Dans quelques-uns desÉtats les plus fragiles du monde, il est reconnuque ces menaces nécessitent une réponse interna-tionale concertée.

Bien que j’espère contribuer au débat de cetaprès-midi, j’admets y être venue avec un pointde vue très spécifique. Le mandat et la missionde l’International Crisis Group sont de fournirune analyse de terrain, ciblée par pays, des situa-tions spécifiques de conflits. Nous avons travailléà identifier et à recommander des politiques pouraider à leur résolution.

Ce que j’espère faire aujourd’hui, est dedécrire comment notre organisation de résolutiondes conflits a déterminé les causes et interprété ledébat du changement climatique en ce quiconcerne les conflits meurtriers. Ceci est unaspect important à prendre en compte — uneannée seulement après le quatrième rapport duGiec et la richesse des publications qui suivirent.Nous avons aussi vu l’émergence d’un débat deplus en plus nuancé sur la relation entre change-ment climatique et les conflits violents. Je vousdonnerai quelques conclusions provisoires sur ceque ces débats peuvent apporter à l’analyse géné-rale des conflits. Finalement, je ciblerai briève-ment une région identifiée par certains commepremier conflit au monde causé par le change-ment climatique : la région du Darfour, auSoudan. Non seulement le Darfour est une des

plus sérieuses tragédies humaines auxquelles estconfronté le monde d’aujourd’hui, mais aussil’histoire de ce conflit fournit un cadre utile afind’étudier l’impact du changement climatique etde la dégradation environnementale en relationplus générale avec un conflit violent.

La science du climat :progrès et limites

La recherche sur le changement climatiques’est rapidement développée à travers les dix der-nières années avec des constatations basées surdes données plus solides et détaillées que jamais.Le rapport 2007 du Conseil intergouvernementalsur le changement climatique montrait des pro-grès importants dans notre compréhension duréchauffement de la planète et de la dégradationenvironnementale. Cela nous a ainsi apporté despreuves de poids.

Nous savons, maintenant, que les activitéshumaines sont en croissance rapide et que celava probablement continuer, même si les gaz àeffet de serre sont stabilisés à court terme. Il yavait déjà des changements de volumes de préci-pitations, une augmentation de la sécheresse —entraînant 90 % de risques de conditions clima-tiques extrêmes pour l’avenir. Ce que les conclu-sions du Giec montrent, fondamentalement,c’est l’ampleur historique du changement envi-ronnemental — aussi bien que l’urgence pour lesefforts à le minimiser et aider les sociétés às’adapter.

Mais nous voulons anticiper l’étendue de cesconclusions — afin de prévoir comment ceschangements vont évoluer dans une région parti-culière puis interagir avec d’autres paramètrespour provoquer un conflit mortel. Quelques limi-tes sont à prendre en considération.

D’abord, il existe des lacunes importantes, enparticulier dans les zones touchées par lesconflits, ce qui rend difficile la distinction entreles changements qui sont déjà survenus de ceuxqui sont à prévoir.

Ensuite, il y a l’effet dû aux réactions sur leréchauffement de la planète — les conséquencesde la fonte de la calotte glacière ou les change-ments dans la couverture glacière — qui devraientintensifier ou réduire les processus en cours.

VICTORIA BRERETON

Page 25: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

24 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Les prédictions deviennent plus difficiles auniveau des États et des entités étatiques qu’auniveau régional car les facteurs locaux y sontplus pertinents. Dans un pays aussi grand que leKazakhstan, par exemple, les conditions envi-ronnementales varient considérablement — avecles taux de pollution, l’exposition aux radiationspassées et les pratiques agricoles changeantcontinuellement l’accès et l’approvisionnementen eau.

Ces restrictions — à la modélisation future etrégionale — ont parfois mené à des prévisionscontradictoires. Un rapport de 2005, préparépour un séminaire sur la sécurité humaine et lechangement climatique, utilise un modèle clima-tique pour prédire la chute des pluies en Afriquesubsaharienne entre 2006 et 2059 — l’objectifétant d’évaluer comment l’évolution des précipi-tations peut provoquer un conflit. Ce modèle amontré une possible augmentation de la pluiependant cette période alors que la variabilité res-tait stable. Cela, alors que la relation entre la pré-cipitation et le conflit était prouvée d’après desdonnées passées.

La prévision aurait peu de sens pour les pro-chaines cinquante années si les précipitationsétaient supposées s’améliorer. La conclusion pro-visoire est que « les prédictions cataclysmiquesreliant le changement climatique et la sécuritéhumaine » ne devraient pas s’appliquer àl’Afrique subsaharienne.

Peut-être qu’elles le devraient. Mais nous nele savons pas encore avec certitude — et heureu-sement, davantage de recherches sont menéesafin de rendre les prévisions climatiques plusprécises et d’améliorer notre compréhension surla nature et la périodicité de ces changements.

Mais, au fur et à mesure que la recherchescientifique avance, apparaît un autre vide àcombler dans l’équation climat/conflit : jusqu’aubout nous devons faire de notre mieux pourempêcher les guerres de se déclarer ou reprendre.Nous avons besoin de savoir comment les chan-gements environnementaux peuvent affecter lesactivités humaines — et affecter à leur tour l’ap-parition de conflits.

Comment ces changementsvont-ils toucher la population ?

La recherche récente nous enseigne que beau-coup de pays ont déjà été touchés par le change-ment climatique. Les prédictions du Giec pour lefutur montrent que beaucoup de régions dumonde, particulièrement dans les pays en voie dedéveloppement, vont probablement subir de gra-ves pénuries. Les experts prédisent que certainessociétés verront des chutes significatives dansleur production de vivres, des variations dansleur conjonctures climatiques, une désertifica-tion accélérée, ou la montée du niveau de la mer,inondant les terres arables et augmentant la pro-pagation des maladies.

Mais pour évaluer comment ces insuffisances— en eau, nourriture, santé, causent ou contri-buent à des conflits ravageurs nous devons nousposer deux questions :• premièrement, quelles sociétés connaîtront ces

répercussions socio-économiques ?• deuxièmement, quels facteurs déterminent si le

conflit débutera ou persistera ?Les observateurs ont souligné, à une large

majorité, la question de la vulnérabilité — l’am-pleur à laquelle les sociétés sont dépendantes dela variation climatique des ressources et leurcapacité à s’adapter aux changements climati-ques. Le rapport de Nicholas Stern sur lesaspects économiques du changement climatiquesa prédit certaines constatations du Giec.

Il soutient que les pays en voie de développe-ment sont particulièrement vulnérables — àcause de leur dépendance à l’agriculture, de lacroissance importante de leur population, de lafaiblesse des infrastructures et du manque de res-sources, les conduisant à une baisse des capacitésd’adaptations.

Il poursuit en examinant une large gammed’effets qui pourraient être subis par ces pays —ce qui inclut une augmentation des risques desconflits. Ceci nous amène à la seconde question.En rassemblant quelques scénarios les plus cités,le climat peut contribuer aux conflits de troisfaçons, se chevauchant partiellement.• Une insuffisance provoquée par le climat provo-

quant une migration de population en masse —« les réfugiés environnementaux », potentielle-ment à même de déstabiliser les régions voisines.

Page 26: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 25

• Une défaillance commune pour l’accès à l’eau,le territoire, ou les retours à l’emploi des terresprovoquant une concurrence pour l’accès auxressources, pouvant mener à la violence.

• Une augmentation de la versatilité du climat —sécheresse, inondations, etc. — causant deschocs économiques, réduisant les opportunitésd’emplois et augmentant le recrutement degroupes armés, renforçant ainsi leur capacité àse faire la guerre.

Helga Schmid nous a donné un aperçu decomment ces pressions variées — et d’autres —pouvaient s’intensifier dans différentes parties dumonde.

Mais il est important de rappeler que ces fac-teurs interagiront inévitablement avec d’autres— une gouvernance faible, une instabilité politi-que, une tension ethnique — rendant difficile dejuger comment le changement climatique affec-tera une situation particulière.

L’ensemble des recherches en cours démon-trant le rapport inverse des relations entre conflitet climat nous intéresse également. L’eau en estun bon exemple. L’insuffisance en eau a inspirépar le passé une coopération entre les États — ledialogue interétatique facilité par une diminutionde l’eau peut établir une confiance et, dans l’ab-solu, institutionnaliser la coopération sur unensemble de problématiques plus larges. L’accèsà l’eau entre l’Inde et le Pakistan, par exemple, aservi d’aspect important aux négociations de larésolution du conflit : une des six commissionsétablies afin de résoudre les tensions en 2004, aété exclusivement réservée à la gestion de l’eau.

Ceci nous rappelle que le challenge décisif estd’essayer de dresser une liste complète de fac-teurs qui conduisent aujourd’hui à des conflits deplus en plus violents et impossibles à gérer, etd’identifier ceux qui peuvent être influencés afinde réduire les tensions.

La question clé doit être comment nous tradui-sons ces problématiques difficiles en politiquesrecevables et — pour une organisation commel’International Crisis Group — en action politiqueadaptée aux situations spécifique du conflit.

Quelques propositions générales sont d’unepertinence particulière par rapport aux conflits.Elles tombent dans la large catégorie de l’adapta-tion — c’est-à-dire les pratiques qui cherchent à

réduire les risques climatiques par la limitationde la vulnérabilité des sociétés à quelques consé-quences socio-économiques potentielles que jeviens d’aborder.

Il s’agit notamment : • des initiatives de développement pour réduire

la dépendance dans les activités sensibles auchangement climatique, d’améliorer la gouver-nance et d’investir dans des infrastructuresmatérielles ;

• les efforts pour améliorer l’état d’alerte pré-ventive et d’alarme avancée, incluant une amé-lioration rapide des capacités de réponses ;

• l’incorporation novatrice et sensible de la ges-tion des ressources dans un effort de paix et dereconstruction post-conflit ;

• la diplomatie pour encourager la coopérationsur les ressources avant que les tensions envi-ronnementales n’augmentent encore par lasuite.

Un point intéressant concernant ces proposi-tions est de voir comment elles suivent certainsefforts de prévention du conflit auxquels nousavons tous travaillé à améliorer pendant les der-nières décennies — la bonne gouvernance —l’alerte préventive, la gestion des ressources.Ainsi, une bonne part de la structure visant àintégrer des réponses adaptées aux changementsclimatiques est déjà en place. Le vrai défi,comme toujours, tient dans la mobilisation desvolontés politiques et des ressources nécessairesà la résolution des problèmes donnés.

Prévention de conflit :l’exemple du Darfour

Le cas du Darfour est intéressant pour com-prendre comment les changements climatiques etla dégradation générale de l’environnement peu-vent être considérés comme des facteurs de réso-lution de conflit.

Nombre d’articles parus l’an dernier ont sug-géré que les « véritables racines » du conflit auDarfour résident dans les longues périodes desécheresse qu’a connues la région dans lesannées 1970-80, forçant les communautés noma-des à migrer au sud et menant à des confronta-tions avec les tribus sédentaires Fur et Masalit.Les effets de la sécheresse et de la dégradation

Page 27: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

26 RAPPORT DU GRIP 2008/6

nombreux camps à travers le Darfour. Face àl’augmentation de la taille des camps, les grou-pes rebelles et les forces gouvernementales tra-vaillent avec les autorités locales pour sélection-ner, entraîner et armer des groupes spécifiques— un aspect de la bataille que se livrentKhartoum et les nombreux groupes rebelles duDarfour.

La militarisation et la politisation des campsIDP et de leurs leaders a introduit un nouvelacteur politique imprédictible au conflit, contri-buant potentiellement à l’augmentation future dela violence. La complexité du conflit au Darfourmontre pourquoi il peut être si important demener des politiques de résolution de conflit quisont à la fois efficaces à court et à long termes —de l’assistance aux victimes à la prise en considé-ration des dommages environnementaux. Celanous donne également de bonnes raisons de faireplus et mieux.

En conclusion, les recherches et l’expériencenous ont montré que les changements climati-ques et les dégradations environnementales peu-vent exacerber des tensions existantes et mêmeêtre une importante cause sous-jacente de conflit.Pourtant, ils sont rarement suffisants pour expli-quer les conflits à grande échelle et peuventmême mener à des résultats de coopération inat-tendue. Pour ces raisons, la problématique envi-ronnementale ne devrait pas dominer l’approchede la prévention des conflits. Elle devrait plutôtservir d’agent d’information et d’élan supplé-mentaire pour la négociation de solutions dura-bles et adaptées aux défis d’aujourd’hui.

des ressources prennent la forme de déplace-ments de populations et de radicalisation des dif-férentes identités ethniques. Ceci est un facteurimportant, expliquant les niveaux de violencesans précédent dans les conflits que nous avonsrencontré au cours de la décennie écoulée.

Un facteur critique,mais pas unique

Le Darfour est l’épicentre de cercles concen-triques de conflits superposés. Il y a la guerrevieille de cinq ans entre les groupes rebelles duDarfour et le gouvernement, en partie responsa-ble du morcellement du pays entre son centre (leNCP à Khartoum) et ses périphéries marginali-sées. Il y a la guerre que se livrent — par grou-pes rebelles interposés — le Soudan et le Tchad,et il y a les conflits localisés entre tribus nomadeset sédentaires, basés sur les tensions territoriales.Qui plus est, comme les récents événements àAbyei l’ont démontré, les accords de paix entreNord et Sud sont encore fragiles. Toutes ces ten-sions sont vivifiées par le manque de concerta-tion mondiale et l’absence d’une stratégie glo-bale coordonnée pour la région.

À l’opposé de ce contexte, on trouve les cau-ses apparentes de la guerre. Pour donner unexemple spécifique : pendant une période de 6mois en 2007, on a vu une forte augmentationd’assassinats dans les camps IDP (personnesdéplacées à l’intérieur du pays) autour deZalingei, un schéma qui s’est répété dans de

Page 28: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 27

Sécurité et défense : le difficileparadigme européen

Deux approches sont possibles :1) partir de l’environnement et aboutir à ses

conséquences sur la sécurité. Le texte de JavierSolana et de la Commission de mars 2008 s’ap-puie sur cette logique ;

2) la sécurité et la défense que tente d’édifierl’Union européenne prennent-ils en compte l’en-vironnement ?

Une certaine conception de la sécurité desapprovisionnements (énergie, bois, métaux pré-cieux…), parce qu’ils participent d’une écono-mie mondiale qui pille les ressources naturelles,favorise le travail forcé (mines d’or) ou accroît lapollution (pétrole), joue contre la préservation del’environnement. Mener une grande politiquede réduction du CO2 et une politique de sécu-rité d’approvisionnement énergétique est uneposture troublante.

1. C’est ici que réside l’originalité du para-digme européen. Son passif — historique, insti-tutionnel, politique — impose ce format et offreune opportunité.

Passif historique. Le continent est sorti ravagédes conflits mondiaux. La proximité physique del’anéantissement a obligé à des rapprochementset suggéré l’oblitération du recours à la violence.Le rapport à l’environnement est en filigrane.Les dégâts environnementaux furent colossaux.Ils ont suggéré que l’idée de la défense classiquen’est plus compatible avec la sécurité, avec l’en-vironnement : elle l’anéantit. C’est la logiquedes pacifistes des années 1960 qui affirmaient :« Plutôt rouges que morts ! »

Passif institutionnel. La menace soviétique arepris le rôle du IIIe Reich : l’Otan, investie d’unmandat de front classique a greffé sur lui la dis-suasion — guerre interdite par la terreur — et ladétente dans un rapport d’intensité réciproqueentre effort de défense — apocalyptique (Nuke)— et compromis avec l’adversaire (cf. RapportHarmel, 1967). C’est la conscience que ce conflitferait s’effondrer le cadre environnemental dansson ensemble.

L’Alliance, comme les Communautés euro-péennes se sont constamment disputé le rôle déci-sif sur ce maintien de la paix continentale de 1949à 1991. C’est l’Alliance qui a le plus joué. Paixextrêmement dangereuse certes, pleine de provoca-tions, de malentendus ou plus simplement desnécessités de croissance (10 m chômeurs US en1939, zéro en 1942). On connaît le missile-gap, lessurévaluations de la puissance soviétique, lariposte flexible, graduée ou massive, les avatars duMAD ou du first strike. On l’a échappé belle, affir-ment nombre d’acteurs politiques de ces époques(McNamara, Gl Butler, déclaration internationaledes généraux et amiraux de décembre 1996…).

Là, intervient le troisième passif, le passif poli-tique du paradigme européen. On est frappé par ladiscipline doctrinale des alliés pendant cetteguerre froide. La dissuasion nucléaire a établi unordre sans faille entre alliés pendant cinquanteans. Des pays pacifiques, attachés (par exemple) àl’environnement, ont endossé l’armement nucléaireet les doctrines d’emploi, ont siégé au Comité desplans nucléaires, sans sourciller, presque sansdébat. Je me rappelle certains exercices à l’Otan oùle nucléaire était là, latent. Des officiers et descivils danois, norvégiens, allemands, belges…,participaient sans difficulté à des scénarios de pré-apocalypse de bonne foi, sans état d’âme…

Cet alignement porte en lui l’embryonméthodologique et politique de ce que l’Unioneuropéenne tente de faire 50 ans plus tard avecla Pesc et la Pesd. Les Européens ont fait l’éco-nomie du débat sur leur défense, sur la protectionde leur environnement — sur le nucléaire.

À la fin des années 1970, la virtualité de leursouveraineté éclate à la faveur de l’affaire deseuromissiles qui ont toutes les apparencesd’être européens. Ce sont les pacifistes. C’est lediscours d’un président socialiste — et français— au Bundestag. C’est la dual track decision(Rapport Harmel rénové ?) : on s’arme mais onsouhaite ardemment désarmer… Les Européenssentent le souffle du pouvoir, de la responsabilitérecouvrée sur leurs affaires propres. On est passéà deux doigts de la crise qui, si elle avait explosé,aurait obligé les Européens, vingt ans avantMaastricht, à penser par eux-mêmes.

Le pas politique n’a pas été franchi. La crise aété évitée. Les SS20 n’ont pas anéanti les équili-bres environnementaux et l’Europe a gagnéencore quelques années de calme politique.

YVES MOLLARD LA BRUYÈRE

Page 29: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

28 RAPPORT DU GRIP 2008/6

listes, aient passé leur enfance dans les manifes-tations pacifistes et antinucléaires.

Cette banalité est historiquement significative,car elle nous met face à une interrogation : par quoiallons-nous remplacer la paralysie de la gesticula-tion politico-diplomatique de la guerre froide main-tenant que l’Europe tente son aggiornamento ?

Le président Delors, qui préparait son discoursde Chatham House sur l’Union politique et laPesc, confondait régiments, divisions avec effec-tifs. Il fallut lui expliquer qu’on pouvait être nova-teur sur les principes ; on ne devait pas parler tech-nique, posture de défense, modalités de guerre…

Ce qu’on prenait en réalité pour de la pru-dence conceptuelle ou politique annonçait undébat de fond : quel modèle voulons-nous ? Quelrapport voulons-nous consacrer entre sécurité etdéfense ? Quel paradigme souhaitons-nouscodifier pour l’avenir ?

La Commission participe d’un mouvementnovateur de réappropriation du politique pard’autres moyens : elle ne le fait pas en vertud’un plan établi, elle le fait par défaut — commesans le savoir et sans en avoir obtenu le mandat.

Chaque fois que la Commission intègre dansles enjeux stratégiques une forme d’acquis com-munautaire, une forme de revendication de com-pétence inter-pilier, elle force le paradigme. Elleintroduit dans le dialogue politico-stratégique lanouveauté de ce qui est déjà intégré et qui, enmême temps qu’il relativise la puissance, la coer-cition militaire éventuelle, configure une autrefaçon de régler les rapports entre États, entrecontinents organisés.

Ses initiatives sur le réchauffement climati-que, sur la biodiversité, les pesticides, la démo-graphie, la protection sociale, la politique de voi-sinage, les accords de développement…, imprè-gnent les dossiers diplomatiques et constituent— puisque la Commission est le seul organe exé-cutif intégré — un puissant appel d’air pour uneapproche la plus démilitarisée possible des rela-tions internationales.

Nous sommes au cœur du sujet. LaCommission européenne n’a aucune compétencede défense. Elle ne cesse d’en acquérir enmatière de sécurité : sécurité intérieure, sécuritédes approvisionnements en énergie, sécuriténucléaire, sécurité alimentaire, sécurité des pro-duits industriels, etc. ; sécurité tout court qui

Que nous dit alors le Traité de Maastricht : ilreprend les orientations de l’article 2 du minus-cule Traité de 1949 de l’Atlantique Nord. Ilpose les bases d’un système politique, institu-tionnel et donc d’une histoire qui débute.L’édifice Est-Ouest est remplacé par autre chose.

C’est là que le chantier européen entame sontest de validité : va-t-on, comme on l’a fait avecl’Alliance, oblitérer les souverainetés nationa-les au profit d’une démarche intégrée ?

Voici ce que cela donne : « La politique étran-gère et de sécurité commune inclut l’ensemble desquestions relatives à la sécurité de l’Union euro-péenne, y compris la définition à terme d’une poli-tique de défense commune, qui pourrait conduire,le moment venu, à une défense commune. »

Il n’est pas besoin d’être juriste pour saisir lasubtilité — frisant l’ésotérique — des termeschoisis ! On avance lentement, beaucoup moinsvite qu’en 1949 lors de la signature du Traité deWashington qui stipule (article 5) qu’« une atta-que armée contre l’une ou plusieurs (des parties)survenant en Europe ou en Amérique du Nordsera considérée comme une attaque dirigéecontre toutes les parties ».

La question des contentieux continentaux sem-ble insidieuse : existe-t-il encore des enjeux euro-péens susceptibles, une fois la discipline alliéerelâchée, de créer de réelles tensions en Europe ?

Ma réponse est « oui » et à la lecture desmémoires de quelques grands leaders, c’est uneréponse qui était assez largement partagée dansles chancelleries il y a 15 ans. L’article J.4 duTraité sur l’Union (et non pas d’Union) révèleces tensions : les écoles de pensée atlantistes eteuropéanistes s’affrontent discrètement. Descontentieux locaux ou territoriaux réapparais-sent. Les équipements en armements américainsstigmatisent les positions. Certains pays qui ontlongtemps gardé leur distance avec l’intégrationjouent cette fois l’intégration, mais pour uneambition européenne. On affirme que les deuxécoles (atlantiste et européenne) sont complé-mentaires. On ira jusqu’à la formule « Berlin+ »que vous connaissez bien.

2. Qu’est-ce qu’une une telle démonstra-tion a à voir avec l’environnement ?

La sécurité, la défense, ne se sont jamaispréoccupés de l’environnement. Pas étonnant queles mouvements verts, écologiques, altermondia-

Page 30: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 29

configure ce que le document de 2003 sur laStratégie européenne de sécurité de JavierSolana a tenté intelligemment d’encadrer dansune dynamique distincte du modèle de référenceaméricain, une dynamique qui met la « sécuritéhumaine », autrement dit celle de notre environ-nement large, au centre.

Cette question est complexe, pleine desmalentendus et des contradictions qui ont carac-térisé les premiers pas de la Pesc, écartelée entreatlantistes et européens : va-t-on rentrer sur lechantier de la défense européenne comme onest entré dans l’Otan ? En laissant intacts lesparadigmes de la guerre et de la paix et avec pourespoir que comme le nucléaire pendant la guerrefroide, quelque chose viendra paralyser la gesti-culation politico-stratégique et protéger la Terre,les animaux, les hommes, les plantes…

Le même regard d’horreur posthume sur lecataclysme auquel nous avons échappé pendantla guerre froide sera porté sur notre époque,surarmée, prise dans un tourbillon technologiqueincontrôlable et qui menace, toujours, de déferlersur le monde via le nihilisme versus patriotismede ceux qu’on amalgame faute de mieux avec leterrorisme. Les capacités militaires ubuesquesdes Américains, la fascination que ce modèleproduit, constituent une emprise mentale et sys-témique sans précédent dans l’Histoire.

Ce conformisme, qui jauge les capacités enmatière de sécurité sur des performances techno-logiques déconnectés des enjeux réels — l’Irak etl’Afghanistan en font la démonstration — ou quijuge au prorata du niveau des dépenses militaires,est un conformisme qu’il est urgent de contenir,tant il est réducteur des postures qui comptent.

Exaspéré par les slogans sur les dépenses dedéfense européennes par rapport au Pentagone, j’aifait une recherche : d’où vient l’évaluation partoutânonnée selon laquelle, avec la moitié du budgetdes États-Unis, l’Union européenne n’a pas 10 %de l’efficacité des armées américaines (même pro-blème avec le fameux technological gap). C’est uncolonel du Marine Corps évoquant les polémiquesalliées en Yougoslavie pendant un mariage dans leMinnesota en 1991 qui, le premier, à lancé la bou-tade — avec le succès que l’on sait !

Nos efforts en matière de sécurité sont fonda-teurs, structurants et sont une promesse d’apai-sement international. La distanciation qu’ils

suggèrent d’avec la référence américaine, dans ceque celle-ci comporte de cataclysmique, est unenécessité culturelle, stratégique et historique.

Ce qu’a tenté Javier Solana par le documentde 2003 est un jalon de cette entreprise. Il doitêtre poursuivi, approfondi, par ceux qui appré-hendent les interventions militaires à répétition etla radicalisation des enjeux internationaux qu’el-les suscitent avec anxiété. Entre humanité, sanc-tions, mesures coercitives au sens du titre IV dutraité de Lisbonne, interventions militaires etindifférence, il y a place pour une stratégie et unedoctrine européennes ambitieuses.

L’enjeu est incalculable, presque impossible àjouer, tant notre modèle de développement sem-ble coller aux systèmes américains. Un haut res-ponsable militaire américain, spécialiste de la doc-trine militaire affirma un jour : « Nous ne résol-vons pas les crises ; nous les écrasons… » Nemesurons pas l’efficacité de la sécurité et de ladéfense européennes sur le nombre (croissant) desopérations militaires communes ! Ces opérationssont intéressantes d’un point de vue fonctionnel,mais symptômes d’échecs avant d’être quoi quece soit d’autre. C’est un autre type d’intervention,en amont, avec un paradigme soft ou apaisant, oumultidimensionnel, ou communautaire — ou toutce qu’on voudra — qui constitue le critère de laréussite et de la puissance qu’est en train de perdrele partenaire américain. Il faut formaliser ceparadigme, avec courage et indépendance.

Les alternatives sont une calamité. Les pre-mières étapes sont passées. Il faut les poursuivre,s’émanciper du modèle de référence obligé,construire une autonomie conceptuelle et pour-suivre, en Iran, en Afrique, en Corée, au Moyen-Orient, la démarche tentée en Europe qui donneune chance à l’environnement mondial ; celleque le contraste entre la première phrase del’ESS 2003 et celle du Document de 2006 sur laStratégie de sécurité nationale des États-Unissymbolise le mieux.

Le document européen commence par :« L’Europe n’a jamais été aussi prospère, aussisûre, ni aussi libre »…

… écho plus ou moins conscient de la pre-mière phrase du document américain :« L’Amérique est en guerre. »

Page 31: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

30 RAPPORT DU GRIP 2008/6

La place des risquesenvironnementaux dansla planification de défense

1. Introduction

Une certaine confusion conceptuelle, desdoutes, des peurs, risquent de nous distrairedevant la nature nouvelle des risques et menacesqui touchent notre monde. Cela pourrait mener àun « super-activisme » ou à du fatalisme.

Bien que signant cet article en tant qu’autoritéde la Défense, je demande néanmoins que cespropos, mes propos, ne soient attribués à per-sonne d’autre qu’à ma personne.

2. Quels sont les menaces et risquesauxquels est exposé notre monde ?

Un modèle stratégique belge, défini pourcomprendre les problèmes de sécurité de notremonde global et interconnecté, est un mondereprésenté par un grand « flacon », l’orifice versle haut et obstrué par un bouchon, déposé sur unfeu, type bec « Bunsen ». • Au niveau des menaces 2, nous y avons mis le

terrorisme, les États faillis ou « faillissants »,les armes de destruction massive et la prolifé-ration.

• Au niveau des risques 3, nous y répertorionse.a. les violations des droits de l’homme, l’ex-trémisme, le crime organisé, les trafics illé-gaux, les inégalités, les problèmes écologi-ques, la piraterie, les migrations, les pandé-mies, le sida…

• Au niveau des risques, qui sont aussi desmenaces 4, nous mentionnons la sécurité éner-gétique (le bouchon) et le réchauffement cli-matique (le feu).

Pour maintenir le système en équilibre, il faut :• éviter que les risques ne s’échauffent, ne

« s’emballent » mutuellement, en appliquantdes politiques appropriées, régionales ou mul-tinationales, pour les inhiber (« containmentpolicy ») ou les soulager par la coopération(« cooperation policy ») ;

• mener une politique énergétique appropriée(pour maintenir le bouchon en place), en assu-rant l’accès à l’énergie à tous, avec un usagecorrect et efficient, tenant compte de la péren-nité de celle-ci et de l’effet sur l’emballementclimatique ;

• freiner, pour ne pas dire « arrêter » le réchauf-fement climatique, lié e.a. au bon usage del’énergie, qui « excite » surtout les risques,déstabilisateurs pour le monde s’ils sortent duflacon.

La liste des risques et menaces n’est peut-être pas complète. Ce qu’il faut constater, c’estqu’ils ne peuvent plus être traités nationalement 5

et qu’une approche internationale et globales’impose.

De plus, les conséquences sociologiques de laglobalisation agissent sur le « flacon » commeune tenaille, le compressant 6 jusqu’à l’éclater etlibérer tout ou partie des risques et menaces qu’ilcontient. Ce sont la démographie, de galopante àstagnante ou régressive, les courants migratoiresou l’urbanisation et les déséquilibres sociétauxinduits, l’écart grandissant entre « the haves &the have nots », entre régions, au sein d’unemême région ou d’un pays…

Ce modèle nous montre la complexité 7 et lechangement d’importance relatif permanent deces menaces et risques. Notre environnementde sécurité est donc en évolution permanenteet la défense, qui doit pouvoir aborder les pro-blèmes pro activement, est devenue une organi-sation de connaissance en apprentissage perma-nent. Les militaires parlent de « transformation »permanente.

JACQUES ROSIERS

2. Une menace, c’est une contrainte qui peut appeler uneréponse du type militaire et pour laquelle les militaires planifientdes capacités.

3. Un risque, c’est une contrainte sociétale, touchant notresécurité de vie, à gérer par la politique et a priori par d’autres ins-truments que les militaires.

4. Certains risques sont aussi (partiellement ou occasionnelle-ment) des menaces. Les militaires ne peuvent pas exclure de lesprendre en compte dans leur planification capacitaire.

5. Il ne suffit plus de balayer devant sa porte !

6. Ce qui implique une plus grande interactivité entre les mena-ces et les risques.

7. Beaucoup de facteurs, beaucoup d’acteurs, beaucoup de vic-times potentielles.

Page 32: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 31

3. Quels sont les risquesspécifiquement environnementaux ?

Les risques principaux pour nos écosystèmessont connus 8. Indépendamment de la lutte contrele réchauffement et d’une bonne approche duproblème énergétique, nécessaires pour notresécurité, certains y voient un facteur belligène.C’est ce que nous allons essayer de démystifierun peu.

Les conflits pour des ressources naturellesnon renouvelables 9 ne sont pas neufs mais qu’enest-il pour les ressources renouvelables 10 ? Ladéforestation, la désertification, le manque d’eau(potable), pousseront-ils les « peuples » à se bat-tre pour des ressources renouvelables, tels l’eauet des sols plus fertiles ?

Quel est l’argument de cause ? Pour certains,il y a une relation univoque entre les « manques »environnementaux et les conflits. D’autres disentque le conflit est dû aux migrations engendréespar les « manques » environnementaux. D’autresencore y voient un chemin causal plus complexe.L’environnement peut être la raison d’un conflit 11

ou son amorce, le détonateur, ou même le géné-rateur et le canalisateur.

En étudiant la plupart des conflits, apparem-ment d’origine environnementale (« eau »,« nourriture »), la corrélation trouvée est généra-lement faible. Plutôt que d’un « casus belli », la« dégradation environnementale » sert d’excuse 12.Ces conflits sont aussi surtout intra-étatiques,dans les régions écologiquement sensibles dumonde « en développement ».

Au lieu d’être une cause de conflit, le « man-que » environnemental amorce d’autres événe-ments, engendrant la violence, les migrations,l’appauvrissement et les doléances, vis-à-vis dupouvoir en place ou récupérées par celui-ci, lesvols ou l’élimination de cheptels…, et il estperçu à terme comme un canalisateur de mécon-tentements. Ce lien n’est pas toujours automati-que, mais plutôt complexe. C’est pourquoi il fautprivilégier le « monitoring » de ces situationscomplexes pour prévenir la crise.

4. Quelles sont les implicationspour la sécurité ?

Personne ne peut se soustraire aux effets duréchauffement climatique. Les causes possibles deconflits portent aussi en eux un énorme potentielpour une coopération internationale « renforcée ».

La distinction classique entre ce qui relève dela « défense 13 » et de la « sécurité interne »s’amenuise. L’homme est au centre de la sécurité 14,de sa sécurité, et c’est lui qui est dimensionnant.On parle aujourd’hui de « responsibility to pro-tect ». La façon dont la communauté internatio-nale aborde les problèmes de sécurité démontrequ’il y a une approche plus large et globale deces problèmes.

La guerre aussi est aujourd’hui entreconstance et transformation. La guerre, c’estmalheureusement aussi le reflet des sociétés, quichangent, ce qui incite les acteurs des conflits às’adapter, à de nouveaux enjeux, de nouvellestechniques, de nouvelles armes, et de nouveauxbelligérants 15. Dans le temps long, la « gram-maire » de la guerre se perpétue. L’objectifultime reste le même et c’est la victoire, celle-citrouvant des définitions différentes, en perpé-tuelle évolution.

La guerre de l’avenir n’est déjà plus exclusi-vement militaire. Elle sera plus une question de« leadership » que de « domination », reposantsur la capacité d’influence et de persuasion, uneforme de « soft power ». Le politique a pourdevoir de réfléchir aux champs de bataille et auxappareils militaires du futur.

8. Ils s’appellent e.a. fonte des glaces, désertification, phénomè-nes océaniques, modification de l’atmosphère, problèmes de biodi-versité, crise de la production agricole et alimentation, tempêtes etmoussons, déforestation, accidents naturels et d’origine humaine,problèmes de l’eau, diminution des ressources naturelles…

9. Les « guerres du pétrole », « guerres du diamant »…

10. Les « guerres pour l’eau », « guerres pour des sols »…

11. « Casus belli ».

12. « The reason is the increasing availability of ‘commonbads’ and the discriminated access to scarce ‘common goods’. »

13. Ou « sécurité externe ».

14. Sécurité humaine.

15. La guerre sera plus « asymétrique » et « au milieu des peu-ples », de basse intensité mais violente, même si la compétitionstratégique entre grandes puissances n’est pas totalement à exclure,amenant des relations existantes à s’imposer comme rivalités.

Page 33: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

32 RAPPORT DU GRIP 2008/6

La sécurité et la stratégie sont donc intime-ment liées. Le contexte international actuel, avecde nouveaux risques et (le retour) d’anciennesmenaces impose le retour du stratégique dans lesdébats politiques. On ne peut aujourd’hui décou-pler « sécurité et défense », la défense de plus enplus perçue comme projetée à l’extérieur et lasécurité avec un volet extérieur et intérieur. Lastratégie, réservée à l’extérieur, et la sécurité,confinée au territoire national deviendraientdeux choses distinctes, avec le risque de voir cesdeux approches s’écarter l’une de l’autre. Lanotion de guerre serait alors remise en ques-tion, au bénéfice d’acteurs non étatiques. Il estdonc utile de rappeler le lien indissociable entresécurité et stratégie.

5. Qu’est-ce que la planificationstratégique militaire ?

Notre intégrité territoriale et notre souverainetésont beaucoup moins menacées directementqu’auparavant. Les menaces et les risques deman-dent une approche multilatérale, la condition sinequa non pour l’efficience de celle-ci. Ce constatpeut paraître rassurant, car il en est de même pourles plus grands pays. Nous sommes donc tous for-cés « à contribuer et à collaborer » !

Les caractéristiques des opérations militaireset les conditions d’engagement de la force mili-taire ont changé : nous agissons « hors zone », defaçon conjointe et combinée 16, en coordinationinterdépartementale 17. Celle-ci doit se concevoiret se faire dès (avant) la phase de la planificationd’une intervention internationale.

La montée en puissance d’acteurs stratégi-ques « émergents », les pays dits Bric 18 renfor-cent encore la nécessité d’une dimension euro-péenne et transatlantique pour notre sécurité.Nos intérêts ne seront préservés que s’il y a unestabilité et paix à l’échelle du monde et tout lemonde peut et doit y coopérer, y compris les pluspetits pays.

La diplomatie de défense est une tâche impor-tante dans le panier de nos tâches de défense. Ilfaut donc des capacités pour s’en acquitter. Maisla défense exige aussi d’autres capacités pourexécuter les tâches militaires qui découlent del’analyse de la sécurité globale. Nous parlons

aujourd’hui de capacités : c’est bien plus que dumatériel ou des ressources humaines ! Il faut unedoctrine, un mode et une capacité opératoire, del’instruction et de l’entraînement, des capacitésde commandement et de renseignement, desfinances, de l’infrastructure…

À côté de la planification opérationnelle, quiassure le suivi des opérations militaires en cours, ilfaut une planification stratégique capacitaire, dif-férente de la planification de défense classique 19.La planification capacitaire fait partie de la poli-tique de défense. À partir de choix politico-stra-tégiques, la politique décrite dans la stratégie,des capacités sont développées pour influencer lecours des choses et produire des effets.L’approche holistique de la sécurité montre que lescapacités doivent assurer la continuité de l’actioncivile et militaire. Le militaire n’est qu’un des ins-truments, normalement l’ultime, capable de créerce que nous appelons le « Sase 20 ». Ceci impliqueune posture plutôt « expéditionnaire » et des capa-cités d’observation et d’analyse poussées.

En termes de « management », nous disons dela défense qu’elle est devenue une « learningorganisation ».

16. Interarmées et internationale.

17. Nationale et internationale.

18. Brésil, Russie, Inde, Chine.

19. Traditionnellement uniquement basée sur la déterminationde la menace et de l’action pour la contrer.

20. « Safe and secure environment ».

Page 34: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 33

6. Conclusion

Face aux nouveaux enjeux de sécurité,comme l’énergie, les modifications climatiques,dans un contexte de multiplication des crises,face aux défis partagés par les menaces et ris-ques, il faut aujourd’hui agir ensemble pour notresécurité commune. Il faut savoir se fixer desobjectifs et des orientations. C’est le but d’unestratégie. Mais il faut aussi des moyens pour agiret produire des effets. C’est ce qu’on appelleaujourd’hui les instruments capacitaires.

Face aux risques environnementaux en particu-lier, c’est en s’attaquant aux causes pour produiredes effets qu’on évitera les dérapages belliqueux.Tout l’art est dans la détection et la prévention descrises, ou dans l’intervention ciblée et cohérente.

C’est en termes de « sécurité et de défense » etd’action « civilo-militaire » qu’il faut penser. Tousles instruments, tous les acteurs, doivent agir enconcertation, de manière coordonnée, pour stabili-ser les crises et reconstruire ensemble une sociétéqui puisse vivre en sécurité et en paix.

Le débat sur la sécurité et la défense estouvert. Analyser les nouvelles « menaces et ris-ques », tirer les conséquences de ces change-ments, reconnaître qu’elles sont plus diffuses etincluent des domaines que nous n’incluions pasjusqu’à présent dans les politiques de défense etde sécurité — tels les défis des pressions migra-toires, les risques écologiques, la cybercrimina-lité et les trafics en tout genre —, c’est le travaild’actualisation de la stratégie. Il faudra ensuiteune impulsion politique, des projets relatifs aurenforcement progressif de nos capacités. Il fautouvrir le débat. Tout cela doit être intégré dansune politique. C’est un champ pour la politiquede sécurité et de défense européenne.

Cette conférence, comme d’autres, vient àpoint. Il ne faut pas imposer, mais définirensemble une ambition commune et un effortpartagé, au niveau européen et transatlantique,pour faire de l’Europe un acteur global sur lascène internationale !

Page 35: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

34 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Introduction

Das Schicksal mischt die Karten,und wir spielen

Arthur Schopenhauer(Le destin mêle les carte et nous, nous jouons.)

Dans la salle et à la tribune, parmi les interve-nants et l’assistance, un meilleur équilibre n’apas encore été trouvé entre la composante mili-taire et la composante non militaire des partici-pants. Mais je tiens à préciser de prime abord quedes associations qui mènent un travail d’inspec-teur de dégâts « sur le terrain » — comme l’asso-ciation Green Cross International, GCI —auraient souhaité se joindre à nous. Green Crosss’illustre au fil des ans pour assainir des basesmilitaires, les transformer/convertir à des finsciviles ; ou procéder à des opérations de destruc-tion d’armes et de munitions d’une façon respec-tueuse pour l’environnement (programmeConweap). D’autres représentants associatifs,tels les collectifs qui regroupent des ex-combat-tants victimes de leur propres armes, ont aussi étésollicités pour partager avec nous leurs expérien-ces. Ils ont toute leur place dans ce débat. Bref,tout concourt à affirmer que la société civile tientà s’emparer de cette thématique qui dépasse lesfrontières et transcende les chapelles comme lesopinions politiques. D’ailleurs, rien ne dit quel’institution militaire soit insensible au fait depouvoir démontrer — à tous ceux qui payentleurs impôts pour « être en sécurité » — savolonté et/ou sa capacité à œuvrer en respectantla biosphère, la biosphère de l’Anthropocène 1.

Ayant l’honneur de présider cette deuxièmetable ronde, je voudrais d’abord rendre hommageici à Petra Kelly. Et pour cause : nous siégeonsaujourd’hui dans une salle du Parlement européenqui porte son nom. Cette visionnaire a non seule-

ment marqué toute une génération de militantsécologistes, « verts » ; elle a réfléchi à l’articula-tion entre sécurité et environnement, et ce avantmême la sortie du désormais célèbre rapportBruntland, Notre Avenir à tous ; elle a posé lesjalons d’un « écosystème de la paix ». Bien queleader d’un mouvement de paix paneuropéen,focalisé sur les euromissiles, Petra Kelly avaitentrevu la banqueroute écologique de la courseaux armements ; comme un lanceur d’alerte, elleavait mis en garde, et repris à son compte l’appellancé à l’époque (1986) par son compatrioteWilly Brandt 2 : « Nous nous trompons lorsquenous ne voyons la sécurité qu’en termes purementmilitaires comme si l’explosion démographique,la limitation des ressources et le viol de l’environ-nement étaient des risques de second ordre. » Jecrois que, dans cette enceinte du Parlement euro-péen, nous nous rendons bien compte que ces ris-ques dits « de second ordre » vont devenir lessujets stratégiques du XXIe siècle ; que les enjeuxd’environnement ne seront plus dissociés desquestions géopolitiques ; que la gestion des crisesà dominante environnementale ne passera pas for-cément par des recettes puisées dans les poubellesde la guerre froide ; des recettes qui tentent vaine-ment de combiner, dans une vision peu durable,un discours sécuritaire, une diplomatie qui n’a de« sécurité collective » que le nom.

« Chacun d’entre nous est la sommede ce qu’il n’a pas calculé »

Tom Wolfe

En tant que représentant du Forum du déve-loppement durable (FDD), je voudrais juste direque notre démarche en tant qu’association se situe

TABLE RONDE 2

Limiter l’impact des nouvelles armes et des nouvelles formes

de conflits militaires sur l’environnement

BEN CRAMER

1. Référence au récent ouvrage remarquable de JacquesGrinevald Pétrole et climat, la double menace. Repère transdisci-plinaire 1824-2007. Éditions Médecine & Hygiène, Genève, édi-tions, Georg, 2007, Collection : « Stratégies énergétiques,Biosphère et Société ».

2. Willy Brandt, World Armament and World Hunger, 1986.

Page 36: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 35

dans le prolongement de ce qu’ont échafaudé lesauteurs de cette initiative sous l’impulsiond’Alain Lipietz. To make a long story short, nousestimons aussi qu’une analyse s’impose dans lecadre de la « sécurité collective ». Ce conceptévolue : preuve en est que les aspects écologiquesde la paix et de la sécurité ne figurent pas dans laCharte des Nations unies (d’il y a… 60 ans).Certes, la « sécurité collective » appliquée parl’ONU ne peut prétendre garantir la paix entre lesnations — pas plus que le gendarme n’assure lasécurité routière, ou le port d’armes la sécuritépublique. Nous assistons et participons donc àune évolution qu’il ne faudrait pas sous-estimer :quel que soit le degré de militarisation des espritset des structures, quelle que soit la répartitioninternationale de la menace de mort, la paix et lasécurité sont perçus, de plus en plus, et au regardde la dégradation de nos écosystèmes comme unfléau 3 qui tend à se situer de plus en plus au cœurde tensions nationales et internationales.

Des exigences nouvelles dans des situationsd’insécurité environnementale peuvent-ellesaboutir à des approches qui écartent le recoursaux armes ? On peut l’envisager, non pas parceque le pollueur sera le payeur, non pas parce quela nature souillée et perturbée revendiquera uneforme de « légitime défense », mais parce que,comme dirait Federico Mayor, « signer des trai-tés de paix n’aura plus grand sens quand toutesles terres émergées seront désertiques et lesocéans, stériles 4).

Pour prévenir les menaces que les conflitsfont peser sur notre environnement, on peut déjàconsidérer qu’il faut faire entrer les lois de laguerre dans le XXIe siècle, celui du développe-ment durable, comme le préconisait en 2003 ledirecteur du PNUE (Programme des Nationsunies pour l’environnement)…

Où en est-on aujourd’hui ? Il y a trente et unans, la France signait le Protocole de 1977 addi-tionnel aux Conventions de Genève de 1949.L’article 55 stipule « la guerre sera conduite enveillant à protéger l’environnement naturel contredes dommages étendus durables et graves. Cetteprotection inclut l’interdiction d’utiliser desméthodes et moyens de guerre conçus pour cau-ser, ou dont on peut attendre qu’ils causeront, desdommages à l’environnement naturel, […]. Les

attaques contre l’environnement naturel à titre dereprésailles sont interdites ». À la même époque,d’autres réglementations tentent de se mettre enplace. La convention Enmod — (cf. contributionde Luc Mampaey) — s’inscrit dans cette problé-matique. Elle tente depuis 1977 — quitte à antici-per certaines percées technologiques dans laguerre géophysique — de prévenir certaines déri-ves destructrices. On ne peut que regretter que cetinstrument juridique soit si peu connu dansl’Hexagone, et même malmené puisque boudépar Paris en pleine guerre froide, et toujours pasratifié par la France. On peut le regretter car cetteconvention est assez emblématique. Enmod peuts’enorgueillir d’avoir fait valoir, pour la premièrefois, que la planète Terre et l’Humanité (excusez-moi de mettre un H majuscule) doivent être pré-servées — ce qu’aucun traité de désarmementn’avait mis en relief auparavant. Si cette conven-tion n’est pas l’instrument adéquat pour interdirecertains systèmes d’armes, pour empêcher que lesconflits soient « dénaturés », avec le recours auxarmes dites « inhumaines » tel que l’uraniumappauvri ou d’autres…, Enmod mérite sûrementd’être « ré-actualisée ».

Dans cette perspective, la journée internatio-nale pour la prévention de l’exploitation de l’en-vironnement en temps de guerre devrait figurerparmi les dates qui comptent, au même titre quele 8 mars, le 1er mai ou… le 8 mai. Grâce àl’ONU et au PNUE 5, elle est célébrée chaqueannée — depuis 2001 — le 6 novembre, danstous les pays du monde.

Au-delà du 12 juin 2008En admettant que cette rencontre ne soit que

la première d’une longue série, faisons l’effort denous transposer dans les « prochaine fois ».Imaginons… Nous disposerons d’outils de plusen plus nombreux pour évaluer l’impact — entemps de paix comme en temps de guerre — desactivités militaires sur l’environnement, même si

3. Sans oublier la pauvreté et les droits de l’homme, ces fléauxayant tendance à se combiner.

4. Federico Mayor.

5. Cf. http://www.journee-mondiale.com/textes/6-novembre-guerre.php/ ou encore site officiel http://www.un.org/depts/dhl/dhlf/environment_war/.

Page 37: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

36 RAPPORT DU GRIP 2008/6

le Protocole de Kyoto ne prévoit pas de prendreen compte ces activités-là. Même si des apôtresde la destruction durable feront valoir, à interval-les réguliers, que la guerre est le seul recours à laportée des humains pour réduire la disproportionentre la croissance démographique et les limitesdes ressources disponibles.

Tandis que les activités polluantes des forcesarmées échapperont à tout contrôle — faute decasques verts —, tandis que des critères de déve-loppement inhumain tarderont à se mettre en

place — avec ou sans RSE —, tandis que les res-sources (les biens communs) risquent d’êtreenrôlés dans les tourbillons de la privatisation,nous aurons le devoir de réfléchir sur les moyensles plus appropriés — au-delà d’une taxe sur lesbillets d’avion par exemple — de mettre les res-sources militaires (de plus de mille milliards dedollars dont un quart pour les 27 pays de l’UE)au service de finalités environnementales, ce queMustafa Tolba, alors directeur général du PNUE,avait préconisé au début des années 1990.

Page 38: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 37

La Convention Enmodet le Programme Haarp :enjeux et portée

1. Introduction

Le programme Haarp est l’un de ces program-mes militaires de recherche qui attirent la curio-sité et excitent les imaginations. J’ai rédigé pourle Grip un dossier sur ce programme en 1998 6.Depuis, il se passe rarement un mois sans que jesois interpellé par un journaliste intrigué ou uncitoyen inquiet. Il y a quelques semaines, un cer-tain Laurent me demandait par courriel si je pen-sais que Haarp pouvait être à l’origine du cycloneNargis en Birmanie. Non, bien entendu. Maisune mise au point n’est pas inutile : Internetregorge de rumeurs et d’élucubrations les plusfolles au sujet du programme Haarp. Il est impor-tant de savoir les débusquer et de garder l’espritcritique si nous voulons qu’un débat sérieux soitmené sur ces questions.

Le programme Haarp n’est pas pour autant unprogramme anodin. Certaines inquiétudes sontfondées et, que ce soit directement par les expé-riences menées, ou indirectement par les techno-logies qu’il contribue à mettre au point, sonimpact potentiel sur l’environnement est préoc-cupant. Il y a dix ans, le Parlement européenl’avait d’ailleurs bien compris en organisant, le5 janvier 1998, une audition sur Haarp et lesarmes dites « non létales » à laquelle j’avais par-ticipé, suivie un an plus tard du Rapport sur l’en-vironnement, la sécurité et la politique étrangèrede la députée suédoise Mme Maj Britt Theorin 7.Depuis, c’est le silence radio. J’espère donc quecette journée donnera une occasion au Parlementeuropéen de remettre son travail sur le métier. Jevous renvoie à mon rapport de 1998 pour unedescription plus détaillée du programme Haarp.Je me limiterai ici à en rappeler brièvement lesprincipales caractéristiques. Ensuite, nous évo-querons en quoi ce programme est lié aux recher-ches dans le domaine des « manipulations envi-ronnementales et climatiques » — « Weathermodifications » ou « Weather control » dans lalittérature anglo-saxonne — tant dans le domaine

militaire que civil. Nous ferons ensuite la partdes choses entre ce qui est encore du domaine dela science-fiction, ce qui envisageable dans unavenir proche, et ce qui se fait déjà. Et enfin,nous examinerons ce que disent les normes dedroit international en ce qui concerne l’utilisationde ces techniques dans les situations de conflits.

2. Les ambitions militairesde manipulations climatiques

Le programme Haarp 8, High FrequencyActive Auroral Research Program, est un pro-gramme de l’US Air Force et l’US Navy, en col-laboration avec l’université de l’Alaska, qui adébuté en 1993 par la construction d’une stationde recherche sur les propriétés de l’ionosphèresur un site du département américain de ladéfense (DoD) à Gakona, en Alaska. Dans le rap-port final de l’étude d’impact imposée le Nepa(National Environmental Policy Act) Haarp estdéfini par le DoD comme un « effort scientifiquedestiné à étudier les propriétés de base et le com-portement de l’ionosphère avec un accent parti-culier sur la capacité à mieux le comprendre etl’utiliser pour accroître l’efficacité des commu-nications et des systèmes de surveillance tant àdes fins civiles que militaires ». Très sommaire-ment, Haarp a pour objectif de faire réagir lesparticules chargées de l’ionosphère avec unchamp électrique externe et artificiel. L’élémentcentral de Haarp est un émetteur HF qui envoieun signal de grande puissance vers une région del’ionosphère afin de l’échauffer localement,d’étudier les processus physiques complexes quis’y produisent, d’observer les conséquences deleur perturbation volontaire, et de tenter de repro-duire certains phénomènes artificiellement.

Jusque-là, Haarp est une station assez compa-rable aux autres stations de recherches sur l’io-nosphère, notamment la station européenneEiscat à Tromsø en Norvège. À quelques diffé-

LUC MAMPAEY

6. Disponible sur http://www.grip.org/pub/rapports/rg98-5_haarp.pdf/.

7. Rapport sur l’environnement, la sécurité et la politiqueétrangère, Rapporteur : Mme Maj Britt Theorin, A4-0005/99, 14 jan-vier 1999. Disponible sur http://www.grip.org/bdg/pdf/ccsc/19990114-RapportA4-0005-99.pdf/.

8. Site officiel : http://www.haarp.alaska.edu/.

Page 39: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

38 RAPPORT DU GRIP 2008/6

rences près, cependant : primo, Haarp disposed’un émetteur beaucoup plus puissant ; secundo,Haarp est un programme militaire entièrementcontrôlé par les laboratoires de l’US Air Force etde l’US Navy ; et tertio, outre des objectifs scien-tifiques d’intérêt général, Haarp vise aussi touteune série d’objectifs spécifiquement militairesdont nous ne mentionnerons ici que les plussignificatifs :

• dans le domaine VHF (very high frequency),dans le but garantir la fiabilité des télécommu-nications à très hautes fréquences, mais aussidonner la possibilité d’interrompre, interdire,ou perturber les communications perçuescomme ennemies ;

• dans le domaine des ELF (extremely low fre-quency), Haarp doit notamment permettre degénérer des fréquences extrêmement bassespour les communications avec les sous-marinsen plongée, ainsi que pour l’exploration géo-physique, principalement pour la détectiond’installations militaires souterraines ;

• enfin des applications dans le domaine des fré-quences optiques avec des implications militai-res pour la détection IR (infrarouge), lescontre-mesures et les satellites.

Il existe probablement bien d’autres domainesmilitaires dans lesquels interviendront les tra-vaux scientifiques du programme Haarp.Beaucoup relèvent vraisemblablement du« secret défense » mais il ne fait aucun doute quedes recherches se poursuivent aussi dans ledomaine des manipulations environnementales etclimatiques. Certains documents publics duPentagone sont d’ailleurs assez révélateurs desobjectifs poursuivis par les militaires, par exem-ple le rapport Spacecast 2020, commandé en mai1993 par le chef d’état-major de l’US Air Forceafin d’identifier et développer les concepts tech-nologiques et les systèmes dont les États-Unisauront besoin pour maintenir leur supérioritédans l’air et dans l’espace au XXIe siècle. Ontrouve dans ce rapport une section consacrée à unsystème nommé « Weather C3 System » et définicomme suit :

« A counterforce weather control system formilitary applications. The system consists of aglobal, on-demand weather observation system;a weather modeling capability; a space-based,

directed energy weather modifier; and a com-mand center with the necessary communicationcapabilities to observe, detect, and act on wea-ther modification requirements 9. » Que faut-ilentendre par « directed energy weather modifier» basé dans l’espace, ou par « act on weathermodification » ? Nous n’en saurons pas plus. Ladescription du système est donnée dans la partieCounterforce Weather Control du Volume II de cerapport, l’une des cinq parties « classified » durapport Spacecast 2020.

Une autre étude a été présentée en 1998 àl’Agence spatiale européenne par le physicienaméricain Bernard Eastlund (décédé le 12 dé-cembre 2007). Eastlund est un personnagecontroversé aux États-Unis : il a travaillé plu-sieurs années pour le DoD et, en tant que déten-teur de plusieurs brevets, a été l’un des artisansdu programme Haarp, avant d’en devenir l’oppo-sant en raison des applications militaires poten-tielles dans le domaine environnemental.L’Agence spatiale européenne semble néanmoinslui avoir reconnu une crédibilité suffisante, nonseulement pour l’avoir invité en tant qu’orateur àun Workshop à Cagliari en 1998, mais égalementpour avoir partiellement financé les travaux qu’ila présentés sous le titre System Considerations ofWeather Modification Experiments Using HighPower Electromagnetic Radiation (contratn° 13131/98/NL/MV) 10. Eastlund décrit dans cetarticle un procédé basé sur une technologie sem-blable à celle du programme Haarp, programmequ’il mentionne d’ailleurs explicitement dans sonarticle, qui permettrait de dévier des perturbationssévères (ouragan, cyclone) par un échauffementlocal de la troposphère au moyen d’un puissantrayonnement électromagnétique HF émis à partirdu sol ou d’un satellite. Les énergies nécessairespour mener à bien ces projets sont tellementcolossales — on parle ici de térawatts — qu’ilsresteront sans doute un bout de temps encore aurayon des scénarios de science-fiction. Mais il estcertain que de telles recherches existent, progres-sent, intéressent beaucoup de monde, et pas seu-lement des militaires.

9. SPACECAST 2020, Operational Analysis. Disponible sur lesite de la « Federation of American Scientists » : http://www.fas.org/spp/military/docops/usaf/2020/ops-anal.htm/.

10. Article disponible sur le site du Grip :http://www.grip.org/bdg/pdf/ccsc/19981020-eastlund-esa.pdf/.

Page 40: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 39

3. Les applications civileset les synergies possibles

Voilà pour le futur. Pendant ce temps toute-fois, les techniques de « Weather modifications »héritées de la recherche militaire des années1940 à 1970 ont concrètement trouvé d’intéres-sants débouchés dans le secteur civil, et conti-nuent elles aussi à se développer. Commençonspar un petit rappel historique. À partir des années1940, les recherches militaires ont surtout portésur des procédés susceptibles de perturber les cli-matopes, et on admet généralement que les pre-mières expériences de techniques de modifica-tion de l’environnement sont nées vers la fin desannées 1940 avec le projet Cirrus, premier effortscientifique important de l’armée américainepour provoquer des précipitations par un ense-mencement des nuages ou « cloud seeding ». Lesrecherches gagneront en intensité à la faveur dela guerre du Vietnam. En 1966, les États-Unis selancèrent dans un programme connu sous le nomde projet Popeye. Son objectif était d’inonder lapiste Hô Chi Minh afin de ralentir les mouve-ments ennemis grâce à un accroissement des pré-cipitations provoqué par un ensemencement desmasses nuageuses avec de grandes quantitésd’iodure d’argent dispersées par voie aérienne.Le résultat fut jugé satisfaisant par le Pentagone,et l’opération fut poursuivie de 1967 à 1972. Àl’heure où nous parlons, plusieurs entreprisesciviles utilisent quotidiennement ces technolo-gies initialement développées à des fins de mili-taires, notamment les techniques de « cloud see-ding ». Elles les ont améliorées et ont bâti grâceà elles un business florissant. Je citerai deux exem-ples, l’un aux États-Unis, l’autre en Russie.

La firme « Weather Modifications Inc. 11 »,qui porte donc bien son nom, est installée dans leDakota du Nord et utilise des techniques dérivéesde celles utilisées par l’armée américaine dansles années 1960 et 1970. Plusieurs pays du tiers-monde figurent parmi ses clients (ce qui soulèvenaturellement un autre débat dans lequel nousn’entrerons pas ici), notamment le Burkina Faso,ainsi que le Mali, qui a signé en 2006 avecWeather Modifications Inc. un contrat de 1 mil-liard 592 millions de francs CFA (près de2,5 millions d’euros) pour un programme baptiséSanji, en vue, selon le communiqué du Conseil

des ministres du 31 mai 2006, de « réduire l’im-pact des déficits pluviométriques sur la produc-tion agricole » dans plusieurs régions du pays 12.

La deuxième firme, bien que d’origine russe,nous concerne plus directement. La firme russeAdvanced Synoptics Technologies 13, dont le siègeest à Saint-Pétersbourg mais qui est surtoutimplantée en Nouvelle-Zélande, détient plusieursbrevets que lui ont permis de développer le sys-tème « AST Clear Sky Manager » conçu pourmodifier temporairement les conditions climati-ques locales afin de créer ou intensifier des pré-cipitions de pluie ou de neige ; créer une visibi-lité horizontale sur 1 000 mètres en cas de brouil-lard au sol ou de pollution atmosphérique ;détourner une tempête de neige ou de grêle.

Le dispositif s’appuie sur « la disposition ausol de plusieurs générateurs d’ions à grandevitesse qui créent ou accélèrent des mouvementsascendants ou descendants, entraînant les effetssouhaités sur des surfaces allant de 10 à100 kilomètres de diamètre ». Tout cela sans« aucun effet négatif pour les personnes ni pourl’environnement » affirme l’entreprise, en préci-sant que l’influence électromagnétique du ClearSky Manager ne dépasse pas 20 mètres. Advan-ced Synoptics Technologies est représentée enBelgique par Corporate Technology Services etaurait, selon mes informations, un projet asso-ciant la ville de Charleroi et la Région wallonneafin de tester prochainement une technique dedispersion de la pollution atmosphérique au-des-sus de Charleroi.

Pourquoi pas ?, me direz-vous. Nous serionsparfois bien heureux de bénéficier de ces techni-ques, du moins tant qu’elles restent localisées etoccasionnelles, et en admettant bien entenduqu’elles n’aient pas d’incidence dommageablesur l’environnement et la santé publique. Maispour le savoir, il faudrait l’avis d’experts indé-pendants, de climatologues notamment, et desétudes d’impact qui, à ma connaissance, n’ontjamais été conduites.

11. http://www.weathermod.com/.

12. Communiqué du Conseil des ministres disponible surh t t p : / / w w w. g r i p . o r g / b d g / p d f / c c s c / 2 0 0 6 0 5 3 1 - M a l i -WeatherModInc.pdf/.

13. http://ionframe.com/.

Page 41: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

40 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Mais ce n’est pas non plus l’objet de la dis-cussion d’aujourd’hui. Ce qui doit, selon moi,retenir notre attention, c’est l’évidente fertilisa-tion croisée qui existe entre les programmes etobjectifs militaires d’une part, et les innovationset objectifs industriels des entreprises civilesactives dans ce secteur d’autre part. Ce quinécessite notre vigilance, ce sont les synergiesqui peuvent exister entre des programmes mili-taires tels que Haarp et les ambitions d’un sec-teur industriel en développement, les avancéestechnologiques qui pourraient en résulter, etl’usage que pourraient en faire les militaires dansdes situations de conflits, de manière beaucoupplus intensive, étendue et bien entendu hostile.

4. La Convention Enmodet l’urgence d’un processus de révision

Ce qui nous amène à examiner ce que dit ledroit international à ce propos. Il existe deuxgrands instruments juridiques qui abordent laquestion des modifications environnementales àdes fins militaires. Tout d’abord, le Protocoleadditionnel aux Conventions de Genève du12 août 1949 relatif à la protection des victimesdes conflits armés internationaux (Protocole I),adopté le 8 juin 1977, qui stipule en son article55 que « la guerre sera conduite en veillant àprotéger l’environnement naturel contre desdommages étendus, durables et graves. Cetteprotection inclut l’interdiction d’utiliser desméthodes ou moyens de guerre conçus pour cau-ser ou dont on peut attendre qu’ils causent detels dommages à l’environnement naturel, com-promettant, de ce fait, la santé ou la survie de lapopulation 14 ».

Et plus spécifiquement la Convention sur l’in-terdiction d’utiliser des techniques de modifica-tion de l’environnement à des fins militaires outoutes autres fins hostiles, appelée « ConventionEnmod 15 », adoptée à New York le 10 décembre1976, ouverte à la signature à Genève le 18 mai1977, et entrée en vigueur le 5 octobre 1978. Enratifiant cette convention — 73 pays l’ont ratifiéetandis que 16 autres l’ont seulement signée — lesparties s’engagent « à ne pas utiliser à des finsmilitaires ou toutes autres fins hostiles des tech-niques de modification de l’environnement ayant

des effets étendus, durables ou graves, en tantque moyens de causer des destructions ou despréjudices à tout autre État partie » (article 1er).L’expression « techniques de modification del’environnement », définie à l’article 2, « désignetoute technique ayant pour objet de modifier —grâce à une manipulation délibérée de processusnaturels — la dynamique, la composition de laTerre, y compris ses biotopes, sa lithosphère, sonhydrosphère et son atmosphère, ou l’espaceextra-atmosphérique ». L’article 8 de la Conven-tion prévoit cependant la tenue de conférences derévision à des intervalles non inférieurs à cinqans. La première Conférence de révision eut lieuà Genève en septembre 1984, la deuxième enseptembre 1992. Au moins trois autres auraientdonc dû avoir lieu depuis, or nous attendons tou-jours la troisième. Plus rien depuis 1992 ! LaConvention Enmod souffre pourtant de plusieurslacunes que les deux conférences de révision nesont pas parvenues à résoudre. Une première fai-blesse vient du fait qu’elle ne s’applique qu’àl’utilisation des techniques de modification del’environnement, et seulement contre un autreÉtat signataire. La recherche et le développe-ment ne sont donc pas défendus, pas plus que lerecours à ces techniques contre un État nonsignataire. Une autre lacune, la plus lourde sansdoute, tient au fait que les négociateurs sont res-tés très vagues sur les notions de « étendu »(widespread), « durable » (long lasting) et« sévère » (severe) de l’article premier. L’annexeà la Convention contient bien un « accord inter-prétatif » relatif à l’article premier visant à lespréciser davantage, mais une très large interpré-tation reste possible.

« Étendus » : des effets qui s’étendent à unesuperficie de plusieurs centaines de kilomètrescarrés. « Durables » : des effets qui s’étendent àune période de plusieurs mois, ou environ unesaison. « Graves » : des effets qui provoquent uneperturbation ou un dommage sérieux ou marquépour la vie humaine, les ressources naturelles etéconomiques ou d’autres richesses.

14. Disponible sur http://www.grip.org/bdg/pdf/ccsc/19770608-GeneveProtocoleAdditionnel1FR.pdf/.

15. Disponible sur http://www.grip.org/bdg/pdf/ccsc/19761210-EnmodTexteFR.pdf/.

Page 42: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 41

Au cours des deux Conférences de révision,plusieurs États, en particulier la Suède, laFinlande et les Pays-Bas, ont demandé une clari-fication de ces termes et une couverture pluslarge des techniques prohibées. Sans succès.

L’accord interprétatif relatif à l’article 2 estégalement très intéressant, puisque que le Comitéy fournit une liste, non exhaustive, de techniquesde modification de l’environnement concernéespar la Convention : « tremblements de terre ; tsu-namis ; bouleversement de l’équilibre écologiqued’une région ; modifications des conditionsatmosphériques (nuages, précipitations, cyclonesde différents types et tornades) ; modificationsdes conditions climatiques, des courants océani-ques, de l’état de la couche d’ozone ou de l’io-nosphère ». Il en ressort que si, comme dansbeaucoup d’autres instruments juridiques relatifsaux systèmes d’armes, la Convention Enmodavait interdit aussi la recherche et le développe-ment, la plupart des procédés que nous venonsd’évoquer dans cet exposé, et notamment unepartie des objectifs du programme Haarp,seraient formellement prohibés.

Lors de la première conférence de révision en1984, les Pays-Bas avait formulé une remarquetrès pertinente démontrant bien qu’en l’absence derévisions régulières destinées à prendre en compteles évolutions technologiques, un traité sur lesarmements finit rapidement par perdre toute perti-nence. La délégation néerlandaise a pris l’exemplede la première Conférence internationale de lapaix, tenue à La Haye en 1899, au cours delaquelle fut acceptée, pour une durée de cinq ans,

la « prohibition du lancement de projectiles oud’explosifs quelconques, du haut de ballons oupar des moyens analogues ». Lors de la deuxièmeconférence de La Haye en 1907, les États adoptè-rent une Déclaration qui devait rester en vigueurjusqu’à la troisième Conférence internationale dela paix et qui confirmait « l’interdiction de lancerdes projectiles et des explosifs du haut de ballonsou par d’autres modes analogues nouveaux ».Cette troisième Conférence de la paix n’eut jamaislieu, et la Déclaration tomba dans l’oubli.

Ici on peut se prendre à rêver : un meilleursuivi de cette Déclaration, sa révision régulièreavec la prise en compte des évolutions technolo-giques dans le domaine aéronautique, un travailcontinu de persuasion d’un nombre toujours plusimportant d’États pour les amener à ratifier cetinstrument, tout cela aurait peut-être pu mener àune interdiction pure et simple de tous les bom-bardements…

Je crains toutefois que le sort de laConvention Enmod ne soit pas meilleur que celuide cette Déclaration de 1907. Elle est totalementinadaptée aux évolutions technologiques qui sepréparent dans le domaine des modificationsenvironnementales et climatiques, et aux usagesmilitaires qui pourraient en être faits. Faute derévision urgente et approfondie, elle risque desombrer dans les limbes du droit international,laissant le champ libre aux pires scénarios. LeGrip considère cette révision comme un objectifprioritaire et, dans la foulée de ces deux tablesrondes, nous espérons qu’il soit désormais par-tagé par le Parlement européen.

Page 43: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

42 RAPPORT DU GRIP 2008/6

L’« armement éthique » etles « guerres de survivance »

1) Plutôt que nous attacher à la question desarmements et pour mettre cette question en situ-ation générale, nous nous attachons à la défini-tion du cadre plus large à venir où vont évoluerles armements : la question de la guerre. Dans laperspective des crises de l’environnement qui seprésentent comme des crises eschatologiques,nous serons confrontés à ce que nous nommonsdes « guerres de survivance ». L’idée de « guerrede survivance » commence à apparaître dans lecommentaire courant. Lorsque Martin Wolf, duFinancial Times, écrit le 13 mai à propos de lacrise du pétrole : « …In other words, the globaloil market needs to remain integrated. Nobodyshould use military muscle to secure a privilegedposition within it », l’expression « military mus-cle » implique l’idée de « guerre de survivance ».

2) Une « guerre de survivance » est un conflitsuscité par une nécessité (protection, appropria-tion, etc.) liée à un enjeu hors de notre contrôle :l’instabilité, la rareté ou l’extinction d’une res-source essentielle à notre système de civilisationet même à notre survie, et qu’il faut protéger oumême s’approprier, le plus souvent en interve-nant dans des régions ou des pays politiquementou militairement faibles.

3) Le concept général de guerre, où va s’ins-crire la « guerre de survivance », a évolué defaçon spectaculaire depuis la fin de la guerrefroide. Cette évolution a été successivement mar-quée par de grandes étapes : première guerre duGolfe en 1990-91, guerre du Kosovo en 1999,guerre d’Irak depuis 2003. La guerre du Golfeimpliquait une dimension morale affirmée (lavertu morale du « nouvel ordre mondial ») ; laguerre du Kosovo a été présentée comme presqueexclusivement morale, mais elle fut une guerreinachevée, sans confrontation terrestre. Laguerre en Irak est, elle, le modèle achevé de cettenouvelle forme de guerre.

4) L’évolution s’est faite rapidement — d’unconcept relatif, ou ce qu’il en restait (guerre défi-nie par de multiples références où l’élément poli-tique tenait une place importante, où la morale

avait également sa place) —, à un concept absolu: la guerre définie par la seule morale. Ainsi nedisons-nous pas qu’il y a eu « moralisation dela guerre » mais transformation de la guerreen « un outil de la morale » en même tempsqu’en une « expression de la morale » (moraleoccidentale, cela va de soi).

5) La guerre a acquis en théorie une légitimitéque nous qualifierions de « binaire », qui est unecaractérisation mathématique du « tout ou rien ».Ou la guerre correspond à son inspirateur etmanipulateur moral et elle est absolument légi-time ou elle ne lui correspond pas et sa légitimitétend vers zéro. Ce type de guerre met en cause etdétruit tous les attributs classiques, essentielle-ment politiques, de la légitimité et de l’ordre(telle la souveraineté). Si elle ne les remplace paspar une morale conforme aux faits, donc légitimeet stabilisatrice, elle débouche sur le désordre etl’illégitimité absolus.

6) Bien sûr, on parle ici de la représentationde la chose. Les arrière-pensées, les calculs, lesdesseins secrets et les manœuvres subsistent,mais la présentation a changé complètement. Lapuissance extraordinaire de la communicationfait de cette présentation effectivement quelquechose qui pourrait être perçu comme une nou-velle substance de la guerre. La présentation del’apparence devient une représentation absolue.

7) On a vu cette évolution entre les trois guer-res qu’on a citées. L’Irak est pour l’instant lemodèle achevé. Après des tentatives d’explica-tions ponctuelles assez maladroites, sinon gro-tesques (la farce des armes de destruction mas-sive), la présentation est devenue la représenta-tion absolue d’une guerre pour une morale abso-lue. La chute d’un dictateur, l’installation de ladémocratie universelle, des droits de l’homme,etc., en sont les expressions concrètes.L’évidence de la réalité, elle-même fortementrépercutée par les communications, a démontréabsolument le contraire de cette représentation.L’Irak a été et est le théâtre de l’arbitraire, de laviolence insensée (sans moindre sens politique),du désordre, de l’imposture, de l’illégalité, etcela d’une façon évidente, avec comme causepremière l’action occidentale (américaniste).Rien ne soutient l’idée morale de cette guerre.Sa légitimité est proche de zéro.

PHILIPPE GRASSET

Page 44: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 43

8) Les « guerres de survivance », ce sera pireencore… L’Occident se trouvera face à une réa-lité insupportable : des conflits pour la survi-vance, alors que la modernité que l’Occident pré-tend représenter est un état de civilisation avancéqui a résolu par définition ontologique la ques-tion de la survivance. L’Occident nie implicite-ment que la question de la survivance puisseexister encore selon les normes de la modernité,parce que cela serait une contradiction interneinsupportable. Pire encore : ces guerres serontfaites par un système (le nôtre), pour des matiè-res en extinction dont l’extinction est causée parles excès ontologiques de notre système ; cesguerres seraient faites pour se saisir de matièresen diminution dont la consommation effrénées’apparente à une démarche suicidaire, si l’on enconsidère les conséquences. Nous saisirons etprotégerons des réserves en extinction, pouren accélérer encore l’extinction. Divorce radi-cal entre la vocation morale de la guerre et sa réa-lité, les guerres devenant à la fois des guerresnihilistes et absurdes, par conséquent des guerresde désordre entropique et non pas des guerrespour rétablir l’ordre moral. Leur légitimité esteffectivement au niveau zéro.

9) Quelles seront les conséquences pour nous,qui entreprendrions ces guerres? Essentielle-ment, beaucoup plus psychologiques que militai-res parce que sans véritable effet militaire, parceque notre puissance interdit notre défaite et quenos méthodes et nos conceptions interdisentnotre victoire… Nous nous en tenons au cas amé-ricaniste, qui est l’archétype de notre propos.L’exemple de l’Irak et de l’Afghanistan esteffrayant au niveau de la psychologie. Les suici-des chez les vétérans rentrés de la guerre (autourde 6 000 suicides en moyenne annuelle en 2006et 2007, en accroissement par rapport aux annéesprécédentes) sont très largement supérieurs auxpertes au feu, ce qui est un cas sans précédent(ces guerres causent plus de pertes, indirecte-ment par leurs effets individuels psychologiqueshors de la guerre, que par l’action du feu de l’en-nemi). La Rand Corporation vient de montrerque 300 000 vétérans souffrent de troubles psy-chologiques graves (PTSD ou Post TraumaticStress Disorder), et 320 000 autres de troublespsychologiques consécutifs à des blessures. Celafait 40 % du nombre de vétérans (1,6 million) et

l’on ne parle que des cas recensés. Au feu, lessuicides sont en constante augmentation (115 en2007) et plus de 20 000 soldats prennent officiel-lement des drogues anti-dépressives, simplementpour « tenir » psychologiquement. Plus qu’unproblème militaire grave, c’est une catastrophesociale qui menace essentiellement les sociétésdes pays qui lancent ces guerres (cette menaceconcerne aussi bien le tissu social des pays ayantlancé la guerre que la stabilité de leurs régimes).

10) La cause de cette catastrophe psychologi-que est l’isolement total où sont tenues ces forcespar rapport à l’environnement culturel et humaindes pays où elles opèrent. Littéralement, ces trou-pes sont victimes de la cruauté dont elles sontelles-mêmes les instigatrices et les actrices, parcequ’elles la subissent, mais surtout parce qu’ellesla provoquent et la propagent. Leur isolement,ajouté à l’illégitimité de la guerre, transformentleur psychologie et les chargent d’une culpabilitéinsupportable. La puissance des communica-tions, qui est le facteur essentiel de la puissanceaujourd’hui (nous sommes passés de l’« ère géo-politique » à « l’ère « psychopolitique ») et quiagit dans tous les sens, y compris ceux qui sontdéfavorables aux politiques officielles, joue unrôle de chambre d’écho qui aggrave et multipliele phénomène.

11) Pourquoi cet isolement qui implique unedéshumanisation de la guerre ? D’abord, la doc-trine de « protection des forces », qui passe parune protection excessive et de plus en plus gro-tesque qui est par définition un isolement, visiblemême dans l’équipement et le comportementindividuel des forces, qui implique un premierisolement opérationnel. Il existe aussi un « isole-ment moral » sous la forme d’un « apartheidmoral ». La guerre étant perçue malgré toutcomme exclusivement morale, l’adversaire étantdiabolisé d’une façon absolue depuis l’attaqueterroriste 9/11 (idée du terrorisme comme repré-sentation du Mal), il convient d’isoler les troupesd’un adversaire dont la diabolisation est étendueà tout l’environnement culturel et humain. L’undes fondements d’une guerre légitime, qui estaussi d’entretenir une certaine estime pour l’ad-versaire ou du moins de reconnaître son exis-tence, pour ménager plus tard l’établissement dela paix, est totalement supprimé. L’isolement desforces renforce et complète l’illégitimité de la

Page 45: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

44 RAPPORT DU GRIP 2008/6

guerre, qui devient ainsi ontologique. Le résul-tat est une guerre sans fin, où les notions de vic-toire et de défaite deviennent absurdes ; l’adver-saire, diabolisé et quasiment impossible à identi-fier puisqu’il comprend son environnement civil,culturel et humain, ne pourrait être vaincu quepar la disparition complète de l’espace géogra-phique, culturel et humain où il opère. Dans cesconditions, les responsables de la guerre (nous),subissant la dramatique contradiction entreguerre morale et réalité, deviennent psychologi-quement malades.

12) Il y a toutes les chances pour que ce cas semultiplie et s’aggrave avec la « guerre de survi-vance » et menace ce qui reste d’équilibre à notrecivilisation. La raison se trouve, avec l’illégiti-mité absolue de ces guerres, dans la contradic-tion également absolue entre leur caractère desurvivance et la représentation morale qui en serafaite. Le désordre intérieur (chez nous en plus dupays envahi) et l’effondrement psychologique enseront les principales conséquences.

Appendice : les armementset la question des technologies

13) Comment lutter contre cette situation auniveau des armées et des armements ? En suivantdeux orientations qui sont, plus que militaires,des orientations politiques et psychologiques desarmements, en luttant contre le désordre que nosméthodes actuelles impliquent. Le caractèreéthique d’un armement doit se mesurer à sacapacité à réduire le désordre. Les technolo-gies de l’armement doivent être jugées entechnologies de désordre (déstructurantes) ettechnologies d’ordre (structurantes).

14) La première voie consiste à modifier defond en comble l’approche opérationnelle de cesguerres. Cela suppose l’abandon ou l’atténuationde technologies ou d’équipements favorisant lal’isolement de nos forces, c’est-à-dire la déshu-manisation de nos forces. Les technologies utili-sées à cet égard sont des technologies déstructu-rantes (de désordre), parce qu’elles contribuentobjectivement à la déshumanisation de ces guer-res de survivance. Il faut ramener nos forces àdes buts d’intégration dans la culture et l’envi-ronnement des conflits. Il s’agit moins de

« conquérir les cœurs et les esprits », en généralaprès les avoir américanisés, que de les compren-dre et de les respecter sans se dissimuler à eux.

16) (sic) D’autre part, et c’est la deuxièmevoie, il faudrait chercher à accentuer les missionsqu’on devrait qualifier de « missions de souve-raineté », qui renforcent le facteur d’ordre qu’estla souveraineté des entités nationales. Ces mis-sions concernent des données constantes del’existence des structures souveraines : lecontrôle de l’espace national, la protection desvoies de communication, etc. Ces missions, peuagressives, concourent à une structuration del’ordre international, contre le désordre des« guerres de survivance ». Dans ce cas, l’appel àdes technologies avancées est justifié parce queces technologies deviennent des « technologiesde souveraineté », des technologies structuran-tes (d’ordre) par définition.

Conclusion

17) Tout cela ne résout certes pas le problèmeontologique de notre civilisation, qui s’est placéeelle-même devant la perspective de devoir défen-dre des moyens et des ressources qu’elle juge êtreen réduction accélérée ou en situation d’insécu-rité et qui le sont éventuellement à cause de l’ac-tivité même de cette civilisation. Il s’agit bien sûrd’un autre sujet, une autre crise, d’une bien plusvaste crise — c’est la crise systémique fonda-mentale de notre civilisation —, la crise centralede notre civilisation privée de sens et qui chercheà survivre en affirmant une morale que toute laréalité met en question comme inappropriée,voire faussaire. Le conflit suprême est entre l’af-firmation désespérée de notre civilisation et laréalité du monde — y compris pour nous-mêmes,premiers complices et premières victimes decette contradiction.

Page 46: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 45

Aspects économiques de la priseen compte de l’environnementdans les programmes d’armement

Il s’agit de croiser deux types de disciplines,deux types d’objet : l’environnement et l’arme-ment, et donc retrouver les problématiquesessentielles à ces deux objets, pour réussir à lescroiser. Bien entendu, c’est l’économie de l’envi-ronnement, le droit de l’environnement qui sontde nature à faire évoluer l’économie de l’arme-ment, davantage que l’inverse.

Juste comme rappel bibliographique, je souli-gne que les deux pôles les mieux et les plusanciennement outillés pour cette réflexion sontles États-Unis, avec une étude datant de mai1998, et la Suède avec des études d’une équipede la Swedish Defence Research Agency (FOI)depuis 2004. Les deux pays ont d’ailleurs colla-boré en 1999 pour coécrire un handbook sur laprise en compte de l’environnement dans les pro-grammes d’armement. C’est chez eux que voustrouverez les méthodologies les plus aboutiespour intégrer l’environnement dans l’armement.Cela étant, l’implémentation de l’environnementdans les programmes d’armement ne pourra sefaire qu’en comprenant bien les spécificités de ladéfense. C’est un premier point que je voudraisrapidement rappeler ici.

Les spécificités de la défenseet de l’armement

L’armement est l’outil matériel de la défense.Première contrainte en matière de défense : lacontraction des budgets pour ce qui concerne lespays européens ; or, il n’est jamais évident d’in-tégrer des spécifications supplémentaires dansdes programmes d’armement si elles conduisentà des surcoûts. Mais aussi une opportunité : lebudget d’investissement, d’acquisition de ladéfense est le premier dans l’ordre des budgetsd’investissement de l’État, donc il existe un forteffet de levier possible si ce budget d’investisse-ment verdissait un peu.

Deuxième contrainte pour prendre en comptel’environnement : la défense et l’armement sontconçus pour détruire s’il le faut, et en tout cascontraindre et compliquer la vie des adversaires,dans les limites juridiques du jus in bellum.Donc, un armement se mesure toujours à l’aunedu gain opérationnel, de son efficacité opération-nelle : vous aurez du mal à faire accepter uneperte d’efficacité opérationnelle pour un gainenvironnemental. L’arbitrage ne peut pas se situerdans cette alternative.

Cela nous amène à une dernière caractéristi-que de base de l’armement : ces spécificitésd’usage et d’utilisation, qui d’une certainemanière reprennent les contraintes précédentes.Il s’agit surtout de les présenter dans un autrecontexte, je dirais à trois instants, à trois tempsdifférents :

1. À t moins 5/10 ans, lors de la conception :concevoir un armement est plus long que pourune machine à laver. Comment intégrer descontraintes environnementales qui ne sont pasencore exprimées scientifiquement, socialementet juridiquement ?

2. À t 0, lors de l’utilisation : il existe desconditions d’emploi particulières : atmosphéri-ques, en temps extrême, etc., qui font que cer-tains matériaux, notamment de jointure, de sou-dure, etc., sont difficilement remplaçables.Difficilement, mais pas de manière impossible.Le tout est de trouver des conditions financièresacceptables.

3. À t plus 1 an/40 ans : durée de vie très lon-gue d’un matériel, qui pose le problème desobsolescences et du démantèlement. Commentgérer des contraintes environnementales nonanticipées et surtout non connues ? Ces troistemps en réalité reposent sur une réflexion bienconnue dans la défense, celle de la gestion ducycle de vie, et du point de vue budgétaire etfinancier, celle du coût de possession. Vous trou-vez-là, selon moi, les portes d’entrée pour laprise en compte de l’environnement dans lesopérations d’armement.

CÉDRIC PAULIN

Page 47: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

46 RAPPORT DU GRIP 2008/6

La gestion en cycle de vieet le coût de possession

La gestion en cycle de vie correspond auxphases d’un armement : composants et ressour-ces naturelles, production (en distinguant proba-blement entre la production des sous-systèmes etl’assemblage final), l’acquisition, l’utilisationavec maintenance, et enfin la démilitarisation/démantèlement. Notez que ce n’est pas suffisantpour aller jusqu’aux coûts : pour y arriver, il fautajouter la R&D, qui ne puise pas dans les res-sources naturelles, mais ont un coût certain.

Donc, il vous faut une décomposition chrono-logique de la vie d’un armement afin d’en mesu-rer 1. l’impact environnemental, et 2. les possibi-lités de réduire cet impact ou de mieux internali-ser les coûts. Il faut avoir une approche par lastructure des coûts, qui conduise ainsi à une voieanalytique. Si la gestion en cycle de vie n’est pasnouvelle, elle n’est pas, il est vrai, appliquée demanière systématique. Ainsi, si la problématiquede la prise en compte de l’environnement pouvaitfaire avancer la question, et la systématiser, ducoût de possession, cela serait déjà une trèsbonne chose. C’est un réflexe à avoir.

Ensuite, il faut évaluer le coût de ces phases,d’abord en soi et puis selon les impacts et coûtsenvironnementaux, puis enfin selon les moyensoptimaux d’y remédier. Quelques exemples.

Pour un navire de surface, 40 % du coût glo-bal de possession correspond à la phase deR&D, de production et d’acquisition, tandis que60 % correspond à la phase d’utilisation, demaintenance et de démilitarisation. Pour deshélicoptères, ce sera 20 % pour l’acquisition, et80 % pour l’utilisation/démilitarisation. Ça, cesont des ordres de grandeur à préciser dans lecadre de la gestion du cycle de vie et des coûtsde possession.

Ensuite, pour les coûts environnementaux :principalement lors de la phase d’utilisation (car-burant, peinture, transport, etc.). Le pourcentage,pour un avion de combat, se situe entre 1 et 2 %en coûts environnementaux, sécurité et santé pro-fessionnelles lors de la phase d’utilisation, main-tenance et démantèlement. Autre exemple inté-ressant, à l’intérieur même de la phase de pro-duction pour le Joint Strike Fighter (JSF) : 2 %

des matières dangereuses utilisées lors de la pro-duction le sont précisément lors de l’assemblagefinal, c’est-à-dire pour l’industriel maître d’œu-vre Lockheed Martin. Les 98 autres pourcentssont portés par des sous-traitants, fournisseurs etsous-systémiers. Ce n’est, selon moi, pas assezsouligné : les normes environnementales, lescontraintes environnementales pour les indus-triels de la défense seront en très grande partieportées par les fournisseurs, les sous-systémiers,ceux que l’on évoque moins par rapport auxgrands maîtres d’œuvre classique, qui se sontconcentrés sur la phase à haute valeur ajoutée, àsavoir l’assemblage final. Dans la réflexion surqui porte les coûts ou surcoûts environnemen-taux, il est très important de connaître parfaite-ment la structure de l’industrie d’armement.

Je vous ai cité quelques exemples, il y enaurait quelques autres sur d’autres matériels etsur d’autres phases, mais vraiment pas beaucoupet rarement comparables. Ça veut dire quoi et çaentraîne quoi ?

Perspectives futures

1. Impossible de le dire pour le moment : l’en-vironnement dans un programme d’armement,c’est tant d’euros ou tant en pourcentage. Onpeut toutefois poursuivre les comparaisons de casdont on dispose, et on devrait faire du vrai retourd’expérience en matière d’armement et d’envi-ronnement.

2. Chaque programme d’armement sera spéci-fique quant à l’intégration de l’environnement :s’agit-il d’un bien civil militarisé, d’un bienacheté sur étagère et un peu adapté, d’un bienspécifiquement développé pour les armées,comme exemplaire unique ou comme consom-mables, etc. ?

3. Cela implique des évolutions de modèles decomptabilité et de gestion budgétaire, pour per-mettre l’intégration, et si possible l’internalisation,de certains coûts environnementaux. Et la Défensene part pas de rien, car elle connaît les notions de« cycle de vie » et « temps long », probablementdavantage que d’autres secteurs industriels.

4. Cela implique de commencer le plus tôtpossible à envisager la protection de l’environne-ment, le devenir d’un système ou d’un compo-

Page 48: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 47

sant dans un programme. C’est l’éco-conceptionen matière d’armement évidemment, mais plusque ça : c’est se poser la question « ça fait quoipour l’environnement le système d’arme auquelje pense, qu’il faudra produire, utiliser et déman-teler ? » Quelles seront les pénalités éventuelles,les surcoûts de mise en conformité possibleselon l’évolution de la réglementation environ-nementale, et pourquoi pas les impossibilitésd’utilisation de ce système à moyen/long terme ?L’éco-conception doit intégrer tout cela, et le fait

déjà en ce qui concerne ceux qui en ont la chargeà la DGA.

5. Cela implique un partenariat et un échanged’information entre industriels eux-mêmes etentre industriels et État-client, pour savoir quiporte les surcoûts. Comme toujours, les casconnus d’analyse de la prise en compte de l’envi-ronnement dans certains systèmes d’armes mon-trent tous que la première difficulté est l’absenced’échange de l’information pertinente.

Page 49: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

48 RAPPORT DU GRIP 2008/6

Conclusion

En organisant ce colloque, Angelika Beer etmoi-même avions en tête un schéma assez simple :les crises écologiques, tant du côté des ressources(sources en anglais) que du côté des déchets(sinks en anglais), provoquent des tensions géo-politiques. Ces tensions peuvent provoquer desguerres — que certains intervenants ont quali-fiées de « guerres de survivance ». Et ces guer-res, à leur tour, provoquent des dégâts sur l’envi-ronnement. La première table ronde a porté sur lepremier maillon de la chaîne, qui va de « crise »à « tension », et la deuxième sur le chaînon quiva de « guerre » à « destruction de l’environne-ment ». Le débat a mis en lumière les points qu’ilconviendra d’approfondir.

Il a d’abord été souligné que les guerres pourles ressources ne sont pas nouvelles : de nombreu-ses guerres ont visé la conquête de l’espace vital(le lebensraum, définition même de l’écologie).Encore aujourd’hui, la lutte pour l’eau est un co-facteur de guerres. Et derrière les crises écologi-ques, ce sont des problèmes agricoles, industriels,financiers… Une crise écologique résulte de lamise en valeur, notamment économique, d’undomaine. Par exemple, l’agriculture israélienneconsomme à elle seule plus d’eau qu’il n’en pleutannuellement sur la totalité de la Palestine etIsraël : c’est forcément un problème…

Le cas des « réfugiés climatiques » est plusrécent : Tivalu est un pays du Pacifique, membrede l’ONU, qui disparaît sous la montée des eaux etqui a dû négocier successivement avec l’Australie(qui a refusé) puis avec la Nouvelle-Zélande depouvoir y émigrer en totalité… Viendra ensuite letour des Maldives. J’ai donc été très étonné d’en-tendre aujourd’hui que, dans des universités bel-ges, on enseigne que la dégradation du climatn’est pas un facteur de tension géopolitique !

Ce siècle verra probablement la disparitiond’un tiers du Bengladesh sous les eaux, et vu lacordialité des relations entre le Bengladesh etl’Inde, on imagine bien que les migrations deshabitants du Bengladesh vers l’Inde ne se ferontpas sans tension.

En 1992, dans la préparation de la conférencede Rio, on évoquait « l’effet Gengis Khan » pourexprimer l’idée qu’une crise climatique peut pro-voquer des déplacements de population, et doncdes tensions (c’est d’ailleurs injuste, car il n’yavait pas de crise particulière en Mongolie aumoment de l’intervention des Mongols sur lereste de l’Eurasie…).

Cela dit, une grande modification se mani-feste. Les batailles pour le lebensraum, pourgagner de la terre, de l’eau ou du pétrole, étaientdes batailles pour des ressources. Les crises éco-logiques d’aujourd’hui, comme la crise climati-que, sont d’un nouveau type : elles sont causéespar nos déchets. Nos émissions de gaz carboni-que sont en train de perturber la vie de l’ensem-ble de la planète, pas seulement chez ceux qui enproduisent à l’excès, mais ailleurs. On a évoquéle Sahel : dans ma jeunesse, il y existait un lac,le lac Tchad. Aujourd’hui, il a quasiment disparuavec la mousson africaine à cause de l’effet deserre et de la déforestation au sud du Sahel. Et cen’est pas sans effet sur la situation entreTouaregs et autres peuples du Tchad, du Niger,du Mali ou du Darfour.

La grande nouveauté, c’est que l’environne-ment n’est plus seulement l’espace vital, maisaussi l’espace global de nos déchets : diminuerles tensions mondiales pour éviter les guerresn’est donc plus seulement une question d’accordsur la propriété des ressources. Kyoto aussi est unaccord anti-guerre.

Dans le débat d’aujourd’hui, il est apparuclairement un maillon manquant, celui entre« tension » et « guerre ». Les Verts se battentpour que les tensions ne débouchent pas sur laguerre, ce fut répété plusieurs fois aujourd’hui.Plus largement, la « marque de fabrique » del’Union européenne, qu’elle essaie de diffuserinternationalement, est de montrer que les ten-sions peuvent se réduire sans guerre, avec plus deréglementation négociée, plus de régulation, etnon par la loi du plus fort. L’Europe est kantienne ;les États-Unis sont hobbesiens (selon la formuledu néoconservateur américain Richard Kagan).Et ceci bien qu’Irnerio Seminatore ait rappelél’enseignement de l’École réaliste : « On peutvouloir régler des tensions autrement que par laguerre, mais on n’est pas sûr d’y arriver. »

ALAIN LIPIETZ

Page 50: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

Ainsi, bien que nous soyons contre la guerreet contre les armements, et outre les problèmesmoraux des guerres, notamment les problèmes desurvivance, nous devons reconnaître qu’il y auraencore longtemps des guerres, par réalisme,voire même par idéalisme (après tout, si je suisici, c’est parce que mon père a été sorti du campde déportation de Drancy par les armées de laLibération). Il faut donc s’en préoccuper : ce futl’objet de la deuxième partie de notre débat, quivisait la « limitation » de la guerre et des arme-ments dont l’usage, la maintenance et mêmel’élimination ont des effets sur l’environnement.

Nous assistons en effet à un phénomène nou-veau : une extension des « lois de la guerre »jusqu’à l’environnement. On peut d’ailleursconsidérer que l’écologie politique, mouvementpolitique nouveau, n’est elle-même rien d’autreque l’extension des lois issues du principe de fra-ternité, du « tu ne tueras point », à l’environne-ment. Celui-ci est considéré comme métaphoreou maillon manquant vers les générations futuresou vers les générations présentes mais distantes.

L’humanité a commencé à poser un droit de laguerre, d’abord avec la Croix-Rouge, pour soi-gner les blessés, puis concernant les prisonniersde guerre, puis tous les soldats, puis les civils quicoexistent à côté des armées en guerre, étendantainsi petit à petit le champ des Conventions deGenève. On arrive aujourd’hui à une nouvelleétape, celle de la protection de l’environnementen tant que tel. Examinons cette évolution.

Après les blessés et les prisonniers de guerre,on s’est préoccupé de la détérioration volontairede « l’environnement du soldat en guerre » : cefurent les Conventions de Genève des années1920, prohibant les armes bactériologiques etchimiques, qui furent en gros respectées sur lesthéâtres d’opérations de la Seconde Guerre mon-diale. Puis fut tentée la prohibition ou du moinsla limitation des armes atomiques, avec le Traitéde non-prolifération (qui n’a pas été appliquédans son volet « élimination des armes atomi-ques par ceux qui en possédaient déjà », ce qui aaffaibli son volet « non-dissémination »).

Après ces tentatives de prohibition des armes« A, B, C de destruction massive » apparaissentdes limitations sur les armes conventionnellesdites « inhumaines ». Ce sont deux protocoles,

celui sur les mines antipersonnel (PET, c’est-à-dire passives) et celui sur les bombes à fragmen-tation (armes à munitions multiples) signé lors dela Conférence de Dublin — mais pas encore rati-fié… — 15 jours avant la date de notre colloque !

En quoi de telles armes sont-elles plus « inhu-maines » que la machette, la mitraille, les bom-bes au napalm ou au kérosène ? En ce qu’ellesrendent l’environnement durablement invivable,pour les civils comme pour les soldats vain-queurs, semblant ainsi échapper à toute rationa-lité humaine.

Il y a enfin cette fameuse convention Enmod(modification de l’environnement), qui traînedepuis 1976, et dont plus personne ne parle.Enmod stipulait : « Chaque État partie… s’en-gage à ne plus développer de technique de modi-fication de l’environnement ayant des effets éten-dus, durables et graves, en tant que moyen dedestruction… sur l’environnement. » L’article 2précisait qu’il s’agissait « des manipulationsdélibérées des processus naturels, la dynamique,la composition, la structure de la terre, y comprisses biotes (le nom, à l’époque, des biotopes), salithosphère, son hydrosphère (l’eau), son atmos-phère ou l’espace extra atmosphérique ». On adonné ici l’exemple de Haarp.

Mais quand, la semaine dernière, nous avonsvoté au Parlement européen en faveur du bannis-sement des munitions à uranium appauvri, cettepauvre convention n’a même pas été citée. Nousavons cité un texte onusien plus récent, qui disaitla même chose : « Vu la déclaration du 6 novem-bre 2002 du Secrétaire général des Nations uniesà l’occasion de la journée internationale pour laprévention de l’exploitation de l’environnementen temps de guerre et de conflit armé… » Onoublie Enmod pour fonder la « prévention de ladispersion dans l’environnement d’uraniumappauvri » (non pas en tant que métal radioactif,mais en tant que métal lourd). Enmod est uneconvention en voie de disparition.

Mines antipersonnel, bombes à fragmentationou à uranium appauvri, toutes ont pour caracté-ristique de rendre l’environnement invivable ycompris pour le vainqueur. La guerre a toujoursconsisté à ravager le territoire de l’adversairepour le piller — mais désormais les ravages peu-vent être tels que le vainqueur n’ose même plus

SÉCURITÉ COLLECTIVE ET ENVIRONNEMENT 49

Page 51: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

50 RAPPORT DU GRIP 2008/6

s’aventurer dans le terrain du vaincu. Bombarderun trésor avec des bombes à fragmentation et desmines antipersonnel est absurde : on n’oseraitmême plus aller le récupérer, à moins d’êtreIndiana Jones.

On a donc ce paradoxe : la désuétuded’Enmod alors même que nous sommes en trainde voter ou de signer ce qui pourraient être desprotocoles d’Enmod. À l’issue de cette journée,un premier objectif pourrait être de revivifierEnmod. On l’a signée, mais aujourd’hui 6 paysde l’Union européenne ne l’ont même pas rati-fiée, alors que les États-Unis l’ont ratifiée (ce quine prouve pas qu’ils l’appliquent…). On pourraitessayer de la réarticuler, de la relancer, de l’adap-ter aux armes dites inhumaines, on pourrait met-tre en pratique le TNP, etc.

Cette seconde table ronde a également mis enlumière le problème des « armements nuisibles àl’environnement même si l’on ne s’en sert pas ».Une fois qu’une bombe a explosé, on en est enquelque sorte débarrassée ! Le problème envi-ronnemental est celui des bombes qui n’ont pasexplosé, des porte-avions qui n’ont pas coulé,etc. Il est extrêmement important de souligneraujourd’hui, alors qu’on dépense de l’argent(quand on en a les moyens) pour fabriquer dessous-marins et des porte-avions nucléaires, qu’unjour il faudra les désarmer, et détruire les bombesqui n’auront pas servi.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’idée,émise dans le débat, que cette production d’ar-mes dangereuses même si l’on ne s’en sert passerait l’effet de la régulation marchande. Je dirais

plutôt que c’est l’effet de la régulation bureaucra-tique. S’il y avait eu une régulation marchandesur les porte-avions français, on aurait fait desporte-avions classiques, pas nucléaires évidem-ment : trop chers, pour une autonomie guèreaccrue. Il fallait vraiment que l’administrations’en mêle pour qu’ils soient nucléaires. Cesporte-avions — on s’en est aperçu — ne sontjamais disponibles en cas de tension, le nucléairereprésente 30 % de leur prix, et on n’a pascompté le coût du démantèlement. En outre, leFoch et le Clemenceau sont couverts d’amiantealors qu’on savait dès l’époque de leur construc-tion (en fait depuis 1938), que l’amiante étaitdangereuse. On a « sagement » vendu le Foch auBrésil pour qu’il s’en occupe, quant auClemenceau, il connaît un calvaire de déchetflottant. La prévention environnementale dumatériel militaire est donc un deuxième axe pourla suite de nos travaux.

Enfin, rappelons tout le problème de la priseen compte du caractère générateur de crises géo-politiques que représente la dégradation de l’en-vironnement, et de la prévention, à ce titre, descrises écologiques.

Prévention des crises écologiques génératri-ces de guerre, promotion d’une conventionEnmod rénovée et élargie, prévention des armesnocives même quand on ne s’en sert pas : ça nenous empêchera pas de lutter pour le désarme-ment, c’est à dire contre les armes qui font dumal justement parce qu’on s’en sert, mais cen’était pas le sujet de la journée !

Page 52: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

Deux axes prioritaires

OBSERVATOIRE DES ARMEMENTS / CDRPC187, montée de Choulans - F-69005 Lyon • Tél : +33 (0)4 78 36 93 03 • Fax : +33 (0)4 78 36 36 83 • courriel : [email protected]

site Internet : www.obsarm.org • Banque postale : Observatoire des armements, 3305 96 S Lyon • Association loi 1901

Les armes nucléaireset leurs conséquences

Travaux de recherche dansla perspective de l’élimina-

tion des armes nucléairesconformément au TNP (Traitéde non-prolifération) ; actionspour la reconnaissance desconséquences sanitaires etenvironnementales des essaisnucléaires français.

L’Observatoire des armements met à disposition un certainnombre d’outils pour la diffusion de l’information, l’animationde débats et la formation : études, dossiers de presse,conférences, articles, bibliographies, fiches techniques, etc.

L’industrie etles transfertsd’armements

Recherche sur l’industried’armement, les expor-

tations d’armes, les intermé-diaires, les mines antiper-sonnel, les sous-munitions, etc.,de la France et de l’Unioneuropéenne pour une plusgrande transparence.

OBSERVATOIRE DES ARMEMENTS

L’Observatoire des armementscréé en 1984 sous le nom de Centrede Documentation et de Recherchesur la Paix et les Conflits (CDRPC)est un centre d’expertise etd’information indépendant.

Son objectif est de favoriser la politique detransparence et de contrôle démocratique surles activités militaires de la France et del’Europe dans la perspective d’unedémilitarisation progressive.L’Observatoire est devenu un interlocuteurincontournable — pour la société civile, lesmédias et les responsbles politiques — sur lesquestions de sécurité et de désarmement.

L’Observatoire est animé par une équipede salariés et de bénévoles (journaliste,chercheur, documentaliste, secrétariat)et un conseil d’administration.

La documentation du Centre, tenue à jourdepuis plus de vingt ans, comprend plusieursmilliers d’ouvrages français et étrangers, descollections de revues spécialisées, des étudesd’organismes internationaux, des banques dedonnées, des dossiers thématiques comportantdes coupures de presse, des documentsparlementaires, des rapports techniques, etc.

Pour garantir son indépendance,l’Observatoire des armements assure unepartie de son financement par ses serviceset par la vente de ses publications. Il reçoitégalement le soutien de nombreux donateurs.

Le site Internet, www.obsarm.org, permet de trouver desdossiers d’actualité et des données complètes sur le commercedes armes, le nucléaire militaire, les mines antipersonnel,l’actualité des conflits et les actions pour la paix…

L’Observatoire publierégulièrement des étudesainsi que Damoclès, lettremensuelle d’actualitéet d’analyse pour décrypterles enjeux de l’armementnucléaire et de sesconséquences, des transfertsd’armements, de laprolifération nucléaire,des conflits, et l’implicationde la France dans ces domaines.

CENTRE DE DOCUMENTATION ET DE RECHERCHE SUR LA PAIX ET LES CONFLITS

Page 53: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

❏ Quelle Justice pour les victimes des essais nucléaires ?Bruno BarrillotCo-édition Observatoire, Aven et Moruroa e tatou114 pages, octobre 2007, 12 euros (port compris)

❏ Israël, Iran… Dénucléariser le Moyen-OrientBernard RavenelCo-édition Observatoire et Association France Palestine Solidarité72 pages, septembre 2007, 7 euros (port compris)

❏ Le complexe nucléaire. Des liens entre l’atome civil et l’atome militaireBruno Barrillot144 pages, février 2005, 12 euros (port compris)

❏ L’Héritage de la bombeLes faits, les personnels, les populations. Sahara, Polynésie (1960-2002),Bruno Barrillot304 pages, 3ème réédition, janvier 2005, 21,20 euros (port compris)

❏ Armes légères, destructions massivesco-édition Observatoire des transferts d’armes et Grip (Bruxelles)120 pages, 2004, 13 euros (port compris)

❏ Les Irradiés de la République.Les victimes des essais nucléaires français prennent la paroleBruno Barrillot240 pages, 2003, 18 euros (port compris)

Liste complète des publications sur le site Internet : www.obsarm.org

Les publications de l’Observatoire des armements

Lettre trimestrielle d’actualité et d’analyse pour décrypterles enjeux des transferts d’armements, de la proliférationnucléaire, des conflits, et l’implication de la France dansces domaines.

8 pages

Abonnement 1 an (4 numéros)

❏ France : 10 euros

❏ Étranger : 15 euros

n° 123 : Conflits et migrations : double peine pour les peuples

n° 122 : Commerce des armes : mettre fin aux « zones grises »

n° 121 : Visite du site d’essais français de Reggane au Sahara algérien

n° 120 : À l’heure de la globalisation, les nouveaux visages de la militarisation

n° 119 : Tahiti contaminé. Les retombées catastrophiques de l’essai Centaure (17.07.74)

Spécimen sur simple demande

Page 54: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

Adresse : rue de la Consolation, 70B -1030 BruxellesTél.: (32.2) 241.84.20 Fax: (32.2) 245.19.33Courriel: [email protected] web: http://www.grip.org

(bureaux ouverts du lundiau vendredi de 8h30 à 13h etde 13h30 à 17h)

Directeur : Bernard Adam

coordination : Bernard Adam, Luc Mampaey, Caroline Pailhe, Marc Schmitz, Xavier Zeebroek

recherche : Bernard Adam, Holger Anders, Georges Berghezan, Ilhan Berkol, Claudio Gramizzi, Luc Mampaey, Pierre Martinot, Caroline Pailhe, Cédric Poitevin, Federico Santopinto, Pamphile Sebahara, Marc Schmitz, Xavier Zeebroek

secrétariat et administration :Dominique Debroux, Deyanira Martinez, Chantal Schamp

centre de documentation :Alain Reisenfeld

édition, relations publiques :Denys Detandt, Danièle Fayer-Stern, Sabine Fiévet, Marc Schmitz

informatique : Pascal Derycke, Luc Mampaey

conseil d'administration : Bernard Adam (administrateur délégué), Rik Coolsaet, Laurent Dumont, Jean-Paul Marthoz, Carl Vandoorne, Guy Vaerman.

GROUPE DE RECHERCHEET D'INFORMATIONSUR LA PAIX ET LA SÉCURITÉ

Fondé en 1979 à Bruxelles,le GRIP est un institut de recherche indépendant qui étudie les ques-tions de défense, de sécurité et de désarmement. Par ses travaux, le GRIP veut contribuer à une meilleure compréhension de ces problématiques dans la perspective d'une amélioration de la sécurité internationale en Europe et dans le monde.

les PuBlicAtions Du GriP

Depuis sa fondation, le GRIP est surtout connu pour son travail d’édition. Au fil du temps, les publications ont changé, tant au niveau du contenu, de la présentation que de la périodicité. Depuis l’automne 1997, elles se présentent sous trois formes :

1. les nouvelles du GriPUne lettre d’information trimestrielle de 8 pages : regard sur les grands dossiers du moment, nouvelles insolites, aperçu des activités du centre, etc.Cette lettre est envoyée d’office à tous les membres du GriP en règle de coti-sation de même qu’aux abonnés aux « Livres du GRIP ».

2. les livres du GriPChaque année, le GRIP publie 5 ouvrages en collaboration avec les éditions Complexe, abordant les questions internationales dans les domaines de la géostratégie, de la défense et de la sécurité internationale.Ces 5 ouvrages font partie de l’abonnement aux « Livres du GRIP » ; ils sont également disponibles en librairie et au GRIP.

3. les rapports du GriPCette nouvelle collection (format A4, sans périodicité) valorise des travaux de recherche réalisés pour la plupart au GRIP.Ces rapports sont envoyés d’office à tous ceux qui souscrivent un abonnement de soutien ; ils peuvent aussi être commandés au GRIP.

Tarifs 2008 Belgique Autres Autres Europe Monde

1. cotisation Abonnementaux 15 euros 16 euros 18 euros «NouvellesduGRIP»

2. les livres du GriP Abonnementannuel 80 euros 90 euros 95 euros aux5livres 1et aux«NouvellesduGRIP»

3. Abonnement complet 2 Abonnementàtoutesles 135 euros 150 euros 160 euros publications(Rapportsinclus)

4. Abonnement de soutien 250 euros 250 euros 250 euros 1. L'abonnement couvre 5 livres (équivalant à 10 numéros), plus le trimestriel «Les Nouvelles du GRIP».2. L'abonnement annuel complet inclut la collection des Rapports (non périodiques), avec en moyenne six parutions par année.

Vous souhaitez vous abonner ?Vous pouvez le faire par téléphone (02/241.84.20), par fax (02/245.19.33), par courriel ([email protected]) ou en nous envoyant votre demande d'abonnement, accompagnée de votre paiement, au GRIP, rue de la Consolation, 70 B -1030 Bruxelles.

Modes de paiement : Belgique (virement au compte 001-1711459-67 du GRIP à Bruxelles; virement au CCP 000-1591282-94 du GRIP à Bruxelles; bulletin de virement) / France (chèque barré; mandat postal international) / Luxembourg (soit verser au CCP 86464-37 du GRIP à Luxembourg; soit envoi d'un chèque au GRIP / Autres pays (virement au CCP 000-1591282-94 du GRIP à Bruxelles; mandat postal international / Autre moyen de paiement (carte de crédit - VISA, Eurocard, Mastercard - Précisez votre n° de carte et la date d'expiration.

Page 55: sécurité collectivearchive.grip.org/fr/siteweb/images/RAPPORTS/2008/2008-6.pdf · 2012. 8. 27. · Ce rapport est co-édité par le GRIP (Groupe de recherche et d’information

La liste complète des Rapports est disponible sur www.grip.org

les rAPPorts Du GriP

1/02 La Chine et la nouvelle Asie centrale - De l'in-dépendance des républiques centrasiatiques à l'après-11 septembre, Thierry Kellner, 40p., 8,50 euros.

2/02 L'Union européenne et la prévention des conflits - Concepts et instruments d'un nouvel acteur, Félix Nkundabagenzi, Caroline Pailhe et Valérie Peclow, 72p., 13 euros.

3/02 L'Inde et le Pakistan - Forces militaires et nucléai-res en présence, Françoise Donnay, 40 p., 8,50 euros.

4/02 Les exportations d'armes de la Belgique, Bernard Adam, Sarah Bayés, Georges Berghezan, Ilhan Berkol, Françoise Donnay, Luc Mampaey et Michel Wéry, 72 p., 13 euros.

1/03 Les relations arméno-turques - La porte close de l'Orient, Burcu Gültekin et Nicolas Tavitian, 32p., 7 euros.

2/03 La crise ivoirienne - De la tentative du coup d'Etat à la nomination du gouvernement de réconcilia-tion nationale, Claudio Gramizzi et Matthieu Da-mian, 45p., 9 euros.

3/03 Enfants soldats, armes légères et conflits en Afri-que - Les actions de la coopération au dévelop-pement de l'Union européenne et de la Belgique, Claudio Gramizzi, Félix Nkundabagenzi, Sophie Nolet et Federico Santopinto, 44p.

4/03 Questions juridiques sur la régionalisation des licences d'armes, Nicolas Crutzen, 28p., 7 euros.

1/04 Le contrôle du courtage des armes - Prochaines étapes pour les Etats membres de l'UE, Holger Anders, 34p., 7 euros.

2/04 Bilan d'un an de guerre en Irak - Analyse des coûts et des éléments déclenchants, Caroline Pailhe avec la collaboration de Valérie Peclow et Federico Santopinto, 52p., 9 euros.

3/04 L'Union européenne et le renseignement - Pers-pectives de coopération entre les Etats membres, Thierry Coosemans, 52p., 9 euros.

4/04 Marquage, enregistrement, traçage des armes légè-res et de petit calibre: projet de convention, Ilhan Berkol, 44p., 8,5 euros.

5/04 Qui arme les Maï-Maï? - Enquête sur une situation originale, Charles Nasibu Bilali, 26p., 7 euros.

1/05 RDC - Ressources naturelles et transferts d'ar-mes, Anne Renauld, 33p., 7euros.

2/05 Iran - Regard vers l'Est : la politique asiatique de la république islamique, Mohammad-Reza Djalili et Thierry Kellner, 35p., 7 euros.

3/05 Burundi - Armes légères et violence armée: quel impact sur les femmes, Edward B. Rackley, 27p., 7 euros.

4/05 Afrique de l'Ouest : Vers une Convention sur les armes légères, Albert Chaïbou et Sadou Yattara, 20p., 6 euros.

5/05 Afrique de l'Ouest: L'harmonisation des légis-lations nationales sur les armes légères, Hélène N.V. Cissé, 22p., 6 euros.

6/05 Afrique centrale : l'harmonisation des législa-tions nationales sur les armes légères, Pierre Huybrechts et Ilhan Berkol, 105p., 15 euros.

7/05 Guerres et déficits - Les deux piliers de l'écono-mie des Etats-Unis, Luc Mampaey, 31p., 7 euros.

8/05 Le régime nucléaire - Les efforts de la communau-té internationale en matière de désarmement et de non-prolifération, Céline Francis, 40p., 8 euros.

1/06 Trafics d'armes - Enquête dans la plaine de la Ruzizi (RDC-Burundi), Jacques Ntibarikure, avec la collaboration de Charles Nasibu Bilali, Nicolas Flor-quin et Georges Berghezan, 32 p., 7 euros.

2/06 La Conférence internationale sur l'Afrique des Grands Lacs - Enjeux et impact sur la paix et le développement en RDC, Pamphile Sebahara, 28 p., 7 euros.

3/06 RD Congo - Acquis et défis du processus électo-ral, Pamphile Sebahara, 21 p., 6 euros.

4/06 Trafics d'armes - Enquête de terrain au Kivu (RDC), coordination Georges Berghezan, 46 p., 8,50 euros.

5/06 Dépenses militaires et transferts d'armements conventionnels - Compendium 2006, Luc Mam-paey, 33p., 7,50 euros.

1/07 Agenda humanitaire à l'horizon 2015 - Principes, pouvoir et perceptions, collectif, 54p., 9 euros.

2/07 La Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre - Analyse et recomman-dations pour un plan d'action, Ilhan Berkol, 55p., 9 euros.

3/07 Afrique de l'Ouest - L'harmonisation des législa-tions nationales sur les armes légères - Burkina Faso, Luz Marius Ibriga et Salamane Yameogo, 24p., 6 euros.

4/07 Radiographie de l'industrie d'armements en Belgique, Clément Dumas et Luc Mampaey, 44p., 8 euros.

5/07 Le traité de Lisbonne et l'action extérieure de l'Union européenne, Federico Santopinto, 25p., 6 euros.

6/07 La gestion administrative des armes en Belgique : documents d'exportation, importation, transit et détention, Pierre Martinot, 44p., 8 euros.

7/07 Dépenses militaires et transferts internationaux d'armements conventionnels - Compendium 2008, Luc Mampaey, 38p., 8 euros.

8/07 La législation américaine sur les transferts d'ar-mes. Quels contrôles pour le premier exportateur mondial ?, Caroline Pailhe, 24p., 6 euros.

1/08 La décentralisation en RDC - Enjeux et défis, Mi-chel Liégeois, 20p., 5 euros.

2/08 Côte d'Ivoire - La paix malgré l'ONU?, Xavier Zeebroek, 40p., 8 euros.

3/08 Les munitions au coeur des conflits - État des lieux et perspectives, Pierre Martinot avec la collaboration d'Ilhan Berkol et Virginie Moreau, 34p., 7 euros.

4/08 La problématique destination et utilisation finales dans les exportations d'armement, Damien Callamand, 30p., 7 euros.

5/08 La Mission des Nations unies au Congo - Le laboratoire de la paix introuvable, Xavier Zeebroek, 27p., 6 euros.