1

Click here to load reader

Sérénité et fin de vie

  • Upload
    charles

  • View
    220

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Sérénité et fin de vie

C O U R R I E R D E S L E C T E U R S

Médecine palliative

102

N° 2 – Avril 2006

Med Pal 2006; 5: 102

© Masson, Paris, 2006, Tous droits réservés

Sérénité et fin de vie

Benjamin Bureau (photo), Psychologue clinicien.

Charles Joussellin, Médecin, Équipe Mobile de Soins Palliatifs du Centre Hospitalier de Seclin.

Réponse à UNE FIN DE VIE SEREINE de Jean Cohen, Med Pall 2005; 4: 73-6.

Plusieurs points nous paraissent discutables.D’abord, on ne peut pas dire que la souffrance et la

perte de dignité peuvent être incurables. En ce qui con-cerne la douleur, il y a pratiquement toujours une réponseantalgique efficace possible. Quant à la douleur morale,elle n’est jamais incurable, même si elle peut être perçuecomme telle par la personne.

Ensuite, Jean Cohen dit qu’en soins palliatifs « la de-mande de mourir n’est pas prise en compte ». Dire celaconstitue un considérable raccourci. La demande demourir est toujours prise en compte. Mais elle est priseen compte d’une autre manière. Cette prise en compteprend la forme d’une tentative de comprendre la de-mande, non pas la forme d’un accès à cette demande.Ce n’est pas parce qu’on ne satisfait pas une demandequ’on la nie ou qu’on ne l’entend pas. Et c’est parce quecette demande est écoutée que, très souvent, elle finitpar disparaître. Les acteurs des soins palliatifs peuventlargement en témoigner.

De plus, Jean Cohen s’appuie sur une lecture discutablede la notion d’estime de soi de Ricoeur, en la présentantcomme devant primer sur d’autres considérations. Or pourle philosophe, l’estime de soi n’est qu’un des trois termesde l’ethos : cette estime de soi est toujours reliée à l’estimede l’autre et l’estime de l’institution. Ne pas préciser cettetriade dénature la pensée de Paul Ricoeur.

De la même manière, Jean Cohen pense justifierl’euthanasie en s’appuyant sur la notion de subjectivité.Selon lui, seul l’individu peut savoir s’il est indigne. Onne peut donc pas décider à sa place, puisque lui seulconnaît son ressenti. En d’autres termes, la subjectivitédoit primer ; en matière de loi… non. Le ressenti, aussisincère soit-il, ne peut faire force de loi. Le droit, ce n’estpas donner raison à celui qui estime être sincère.

Et pourquoi la subjectivité du patient devrait l’empor-ter sur la subjectivité de l’autre ? On n’aurait pas le droit,

selon Jean Cohen, d’interposer notre subjectivité dansl’entente d’une demande d’euthanasie. Comme si c’étaitpossible ! Et comme si l’acceptation – plutôt que le refus– d’accéder à cette demande n’était pas, lui aussi, subjec-tif ! L’ADMD met en avant la nécessité de compassion.Mais la compassion aussi est empreinte de subjectivité.C’est

notre

compassion qui dira oui à une demanded’euthanasie, pas

la

compassion. On est encore dans lasubjectivité.

Plus généralement, ce que nous contestons dans l’ap-proche de l’ADMD, c’est qu’elle donne la priorité non ausoulagement de la souffrance (puisque, selon Jean Co-hen, on ne peut rien savoir de la souffrance de l’autre)mais à la demande du patient, qui, parce que c’est

sa

demande, serait indiscutable. Mais en admettant tout àfait la sincérité de la souffrance du patient, accéder à sademande de mort est sous-tendu par l’idée qu’on ne peutplus rien devant cette souffrance, ce que nous contes-tons. Et qu’est-ce qui empêchera, dès lors, n’importe quide faire n’importe quoi au prétexte que cela lui a étédemandé ?

Enfin, Jean Cohen et l’ADMD continuent de considérerque la dignité est une chose qui peut se perdre, qu’elle n’estpas inhérente à l’être humain quoi qu’il arrive. Les partisansde la légalisation ne voient pas que c’est le regard, celui dupatient, et celui de l’autre, qui « fabrique » de l’indignité. Eton aboutit à un paradoxe : les partisans veulent annihilerune indignité qu’ils auraient été seuls à créer. La dignité nese perd pas, elle est inhérente à l’être humain et si un êtrehumain se sent indigne, il ne le devient pas pour autant.

Alors que faisons-nous devant des situations de souf-france abominable ? Outre que ces situations sont raris-simes, nous ne prétendons pas avoir la solution. Mais aumoins deux principes nous guident : l’idée que toute souf-france recèle en elle la possibilité de sa fin (toute souffranceest provisoire), et l’idée que, face à des situations terribleset infiniment complexes, la seule chose à faire avant dese donner le temps de la réflexion est de ne rien faired’irrémédiable.

Bureau B, Joussellin C. Sérénité et fin de vie. Med Pal 2006; 5: 102.

Adresse pour la correspondance :

Charles Joussellin, EMSP, CH Seclin, Avenue des Marronniers, BP 109, 59471

Seclin cedex.

e-mail : [email protected]