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Carlo Severi

Zoologie ou Anthropologie de la mmoire ?

Rponse Dimitri Karadimas

Zoologie ou Anthropologie de la mmoire ? Rpon... http://ethnographiques.org/2015/Se

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Pour citer cet article :

Carlo Severi. Zoologie ou Anthropologie de la mmoire ? Rponse Dimitri Karadimas, ethnographiques.org,Numro 30 - Mondes ethnographiques [en l igne]. http://www.ethnographiques.org/../2015/Severi (consult le15/09/2015).

La revue ethnographiques.org a reu un article de Dimitri Karadimas, intitul "Lanti-chimre ou la

chimre sans Principe" et a convenu de le publier dans ce numro. Son auteur y met en cause la

pertinence du principe de la chimre labor par Carlo Severi [1] pour rendre compte de

lhybridit composite de certaines formes picturales et rituelles, observables dans les socits

sibriennes et amrindiennes notamment. Aussi avons-nous dcid de donner ce dernier la

possibilit dexercer un droit de rponse, ce quil a accept.

Le comit de direction de la revue

The ethnographiques.org review received a paper from Dimitri Karadimas entitled " The anti-chimera

or the chimera without the principle" and agreed to publish it. The author questions the relevance of

the relevance of the "principle of the chimera" developed by Carlo Severi [2] to account for the

hybridity of different pictorial and ceremonial forms observed in Siberian and Native American

societies. The editorial board decided to grant Carlo Severi a right to reply, which he accepted in the

following article.The review editorial board

Je nai pas lhabitude de rpondre aux jeux de mots, aux ironies dplaces, ou aux attaques

personnelles. Jen viens donc lessentiel de largumentation de Dimitri Karadimas.

Charles Baudelaire crivait que les monstres produits par notre imagination sont parfois si harmonieux

et ralistes, quils pourraient tre rels mme du point de vue de lhistoire naturelle (1968 :1020).

Dimitri Karadimas nous invite passer du conditionnel lindicatif. Les chimres, quon croyait

engendres par un certain type dimagination, existent bel et bien dans ce monde. Inutile, donc, de

chercher identifier le type de pense qui les engendre, puisque, lorsquon les voque, on ne fait que

transcrire des traits du rel.

Pour soutenir cette thse, Karadimas doit procder un certain nombre doprations. Tout dabord, il

doit mutiler lobjet du Principe de la chimre. Il se limite en fait, dans son article, des tres qui

combinent plusieurs espces animales ou vgtales. Ses chimres sont des poissons-serpents, ou des

chevaux-pommes, alors que, dans mon livre, je mentionne bien des reprsentations o des traits

animaux se trouvent associs des caractristiques humaines. Que fera-il de ces exemples-l :

affirmera-t-il devant le masque Hada que janalyse (Figure 1) quil existe bel et bien des

hommes au bec de corbeaux ? Soutiendra-t-il, devant la Mduse des Grecs, quil existe bien des

femmes aux cheveux composs de serpents ?


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Figure 1: Masque Hada, Muse dHistoire Naturelle, New York.

Que fera-t-il, dune manire plus gnrale, de chimres qui associent des traits humains saisis dans des

situations diffrentes comme ce visage dont un masque kwakiutl (Figure 2) reprsente deux formes

dexistence (face et profil) la fois distinctes et co-prsentes ? Que dira-t-il enfin dune crature

comme Dame Sbastienne, cette chimre qui combine (au quatrime chapitre de mon livre) la Mort en

forme de femme, un Christ transperc de flches, et un Saint Sbastien supplici avec limage

implicite dun guerrier Apache ou Tepehuan ?


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Figure 2 : Masque Kwakiutl, Bois peint. Museum fr Vlkerkunde, Berlin.

Photographer : Dietrich Graf.

Dimitri Karadimas annonce donc une grande thse gnrale (cest la fin de la Chimre !), mais il

choisit soigneusement ses exemples, tout en en excluant tacitement dautres. Cette mutilation de

lobjet, un peu commode, va plus loin. Elle concerne aussi les exemples cits dans son article. Prenons

le cas de la chimre Hopi. Il sagit pour Karadimas de dmontrer lexistence dune espce aquatique(le Serpentaire) au milieu dun dsert, ce qui, on ladmettra facilement, est dj fort improbable. Mais,

en ce cas affirme-t-il ce sera au dchiffrement de limage quil reviendra davoir valeur de

preuve. Suivons donc son argumentation. Karadimas crit quon ne voit pas dans ce dessin un tre

complexe form de corps diffrents ( la reprsentation dun hybride nest pas patente ), mais bien

un oiseau rel et non, comme le pensent Warburg et Severi, la figuration dun oiseau/serpent en

chimre .

On connat limportance des travaux dAlexander Stephen sur les Hopi. Son travail est la source de

toute recherche sur lart de ce peuple, depuis les annes 1890. Cest lui qui, le premier, a publi et

comment dans le catalogue de la Keam Collection Tusayan Pottery(1890) le dessin qui fait lobjet de

ce dbat. En transcrivant, avec le soin et la prcision quon lui connat, les commentaires de son

interlocuteur Hopi, Alexander Stephen crit propos de cette reprsentation :

This subject [ ] is the mythic Um-tok-ina, the Thunder. It is depicted with the head of the serpentgenius Baho-li-konga , its body is a rain cloud with lightening darting through it []. The tail is that of

the eagle ; the wings carry storm clouds, and attached to the lower wing are the clouds conveying rain.

The horn-shaped object, upon which the hail annulets are incised, passing behind the neck and curving

over the head, is the source of thunder. (Stephen (1890) in Patterson 1994 :49 et 230-231).

Comme on peut le constater, la chimre Hopi ne se compose pas seulement dun clair inscrit dans le

contour dun oiseau. Le symbole des nuages, sous plusieurs formes, est (parmi dautres) aussi prsent

dans cette reprsentation. Que fera, en ce cas, Karadimas ? Ira-t-il nous trouver des oiseaux, bien rels,

o non seulement un clair mais aussi un nuage sont reprsents dans les plumes, les pattes, ou le bec

de quelque espce peu connue, pour ensuite affirmer que cest bien cet tre-l que les Hopi ont

reprsent ? On verrait donc apparatre, aprs un serpentaire--clair, un serpentaire--nuages ?

Que faire, ensuite, de la tte du gnie du serpent Baho-li-konga, de la queue daigle et du pictogramme

qui dsigne le tonnerre ? Faudra-t-il rpter indfiniment lopration ? Il est clair que la thse soutenue

par Karadimas est non seulement fausse. Elle mne une rgression linfini.

Des considrations analogues sappliquent au cas Wayana. Karadimas choisit, dans ce cas aussi, de ne

mentionner quune seule danse et une seule espce. Il aurait suffi de faire le lien avec les danses

dinitiation masculines pour voir apparatre une figure dinitiant constitue dun tre multiple,

associant non seulement des esprits diffrents (arara, faucon, poisson, soleil et arc-en-ciel) mais aussi

des formes multiples de ces esprits en tant quincarnations de diffrents prdateurs : jaguars,

vautours ou anacondas (Velthem 2003 :212).

On peut donc montrer facilement que la thse soutenue par Dimitri Karadimas est sans fondement

empirique. Point dAnti-chimre lhorizon, donc, avec ou sans principe.

On pourrait sen tenir l. Mais bien que fausse, cette curieuse thse peut nanmoins nous donner

loccasion de formuler quelques rflexions thoriques plus gnrales. Rsumons en quelques mots

lessentiel de ce principe heuristique que jai associ lide de chimre : il sagit de lexercice dune

pense de la condensation lie une certaine exprience de lambigut visuelle. En quoi lexistence

de tel ou tel animal serait-elle susceptible de rfuter ce principe ?

Une premire rponse cette question se trouve dj chez Boas, lequel a tabli, depuis au moins

Primitive Art(1927), que lart quon appelle primitif reprsente le monde tel quil est pens, non

pas tel que nous le montrent les apparences. Lobjet de ce dbat est donc limage et la pense visuelle

quelle mobilise, non lanimal reprsent. Il est, en effet, un peu naf de confondre lun avec lautre.

Mon livre, qui adopte la perspective de Boas, dcrit donc le fonctionnement dun certain type

dimagination. Mais on peut prciser encore. Dans la Critique de la Raison Pure (1969 (1781)), Kant


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propose de distinguer deux sortes dimagination. Limagination productive, qui nous permet de penser

ce qui, tout en tant possible, nexiste pas, et limagination imitative (ou reproductive) qui permet de

rendre prsent notre intuition et dinsrer dans un certain contexte, celui des possibilits

imaginables des choses qui existent (1969 (1781) :145-146). Le rsultat de ce processus est

lengendrement de cratures o des traits du rel et des traits purement imaginaires coexistent. Mme

si le monde nous offrait certains exemples rels de chimres, du point de vue de la pense on

passerait tout simplement de limagination productive limagination reproductive. De limagination

pure lobservation du rel mise au service de limagination. Le contexte qui est ici la dsignation

dtres chargs dinvisible , appartenant un au-del quil sagit de penser ne changeraitnullement.

Lhypothse que certaines chimres existent dans le rel naurait donc aucune influence sur une

exploration des processus de pense, lis lexercice de limagination, qui conduisent

lengendrement de reprsentations saillantes au sein dune mmoire partage. En dautres termes, elle

ne pourrait toucher en rien lexercice du principe de la Chimre.

Nous en concluons que, par manque daxe de pertinence, aucune Zoologie, fantastique ou relle, ne

peut affecter lanthropologie de la mmoire.

Notes

[1] SEVERI Carlo, 2007. Le Principe de la chimre. Une anthropologie de la mmoire. Paris, ENS,

Muse du quai Branly.

[2] SEVERI Carlo, 2007. Le Principe de la chimre. Une anthropologie de la mmoire. Paris, ENS,Muse du quai Branly.

Bibliographie

BAUDELAIRE Charles, 1968. uvres Compltes. Paris, Gallimard La Pliade.

BOAS Franz, 1927.Primitive Art. Oslo, Aschehoug/Cambridge (Mass.), Harvard University Press.

KANT Immanuel, 1969 (1781). Critica della ragion pura. Bari, Laterza.

PATTERSON Alex, STEPHEN MacGREGOR Alexander, HOLMES William Henry, KEAM Thomas


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V., 1994.Hopi Pottery Symbols. Boulder. Johnson Books (livre lectronique et print book publis la

mme anne 1994 sur la base du catalogue de la Keam CollectionPottery of Tusayandit en 1890).

SEVERI Carlo, 2007. Le Principe de la chimre. Une anthropologie de la mmoire. Paris, ENS,

Muse du quai Branly.

VELTHEM Lucia Hussak van, 2003. O belo a fera a esttica da produo e da predao entre os

Wayana. Lisbonne, Museu Nacional de Etnologia.

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