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Bitcoin : entre économie dangereuse et nouveaux « idéaux »
Par Stéphane Mortier
Résumé
« Bitcoin » est une monnaie virtuelle, électronique, cryptographique
disponible en « peer to peer », créée en 2009. Au vu de sa popularité grandissante, le
taux de convertibilité de cette monnaie augmente et baisse de façon incontrôlée
depuis quelques mois. « Bitcoin », échappant par sa nature à tout contrôle des
autorités financières, pourrait devenir un objet de spéculation, un outil utile aux
« systèmes d’économie dangereuse » mais aussi constituer le ferment de
changements sociétaux d’ampleur. Controversée, elle a fait l’objet de plusieurs
tentatives de déstabilisation.
Abstract
« Bitcoin » is a virtual electronic and cryptographic currency created in 2009
and available in peer to peer. The growing popularity of “Bitcoin” makes its
exchange rate increase and decrease irregularly. “Bitcoin” is out of control of
financial institutions and become an object of speculation, useful to “systems of
dangerous economy”. This kind of currency can contribute to genuine social changes.
“Bitcoin” is controversial and has been the victim of several attempt of
destabilization.
Liminaire
Le bitcoin est une monnaie virtuelle. Aborder ici un sujet tel que celui d’une
monnaie virtuelle peut sembler anecdotique. Il apparaît pourtant que ce type de
monnaie fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années, essentiellement
dans le monde anglo-saxon. Ce sont les communautés de passionnés de
cryptographie, de hackers et parfois même de cette nouvelle génération de férus de
nouvelles technologies communément appelés les « geeks » qui véhiculent nombre
de réflexions, d’avis et de commentaires relatifs à ces monnaies sur la blogosphère.
Il s’agit donc d’informations de première main. En effet, il existe très peu de
littérature scientifique sur le sujet, excepté sur des éléments très techniques tels
que les algorithmes régissant ces monnaies.
Le spectre des aspects sociologiques, psychologiques, politiques, sécuritaires,
etc., reste à explorer. Pour cette raison, les quelques lignes qui suivent n’ont aucune
prétention quant au sujet abordé. Elles ne s’apparentent pas non plus à du
journalisme d’investigation, mais plutôt à une tentative de mise en lumière d’un
phénomène qui reste peu connu et peu abordé en langue française, une réflexion
sur les enjeux et conséquences hypothétiques que peut entrainer une monnaie
virtuelle telle que Bitcoin.
Introduction
« C’est surtout sur Internet que se déploient des tentatives intéressantes,
dont la plus aboutie techniquement est sans doute le projet Open Source Bitcoin qui
propose de gérer un système monétaire Peer to Peer (P2P), où la monnaie peut se
développer de façon totalement décentralisée, via les liens de personne à personne
et où l’ensemble des transactions est stocké sur l’ensemble du réseau dans un mode
crypté. » En d’autres termes, le monde virtuel a engendré une monnaie
cryptographique garantissant l’anonymat de ses utilisateurs.
Mais qu’en est-il exactement ? « Bitcoin » est bien une monnaie virtuelle,
mais d’un type nouveau. Bien que sur la voie de la maturité, ce système monétaire
décentralisé est relativement instable et fragile, il a plusieurs fois été attaqué
violemment. Un système attractif pour tout un panel d’utilisateurs aux objectifs
douteux, voire malveillants, peut-être au détriment et au grand dam des créateurs
et utilisateurs « classiques ». Une imbrication de Bitcoin et des systèmes d’économie
dangereuse défraie la chronique, notamment aux États-Unis où deux sénateurs se
sont saisis de la problématique. Deux types de dérives, endogènes et exogènes, se
distinguent et démontrent le manque de maturité du système Bitcoin.
Quant au profil des utilisateurs, il est difficile à établir. La tendance serait de
voir deux types d’utilisateurs. D’une part, les passionnés d’informatique et, d’autre
part, des individus ou groupe d’individus liés aux systèmes d’économie dangereuse.
La réalité est que la frontière entre ces deux types d’utilisateurs est plus floue qu’il
n’y paraît. Quoi qu’il en soit, une génération de jeunes en quête de libertés
nouvelles est très associée à l’utilisation de Bitcoin.
Avec l’avènement et l’utilisation croissante de ce type de monnaie, c’est le
système actuel de fonctionnement des États qui est remis en cause. Mais dans un
premier temps, il importe de présenter le monde des monnaies virtuelles.
Les monnaies virtuelles
Déjà en 2000, Robert Guttmann, économiste à l’École française de la
Régulation et spécialiste des monnaies, interrogé par Solveig Godeluck (cf. site
http://www.transfert.net), donnait les caractéristiques que devrait avoir une
monnaie virtuelle pour être efficace. Une monnaie virtuelle doit, pour lui, être :
- sûre (protégées des hackers et de la contrefaçon) ;
- anonyme (protection de la vie privée) ;
- transférable sur les réseaux informatiques ;
- pérenne (elle ne peut expirer ou être détruite selon le bon
vouloir de chacun) ;
- acceptée par une masse critique d’utilisateurs (confiance).
Plusieurs expériences de monnaies virtuelles ont été tentées depuis la fin de
la décennie quatre-vingt-dix. Dans un premier temps, des monnaies à logique
lucrative telles que les Miles, les S’Miles et autres points de fidélité cumulable et
convertibles en biens et services de différentes enseignes commerciales
(compagnies aériennes, grande distribution, etc.). Bien qu’il s’agisse effectivement
de monnaies virtuelles, qui plus est entraînant des changements de comportement
des consommateurs, même si ce type de monnaie ne constitue pas un danger en soi.
Deuxième type de monnaie virtuelle, que l’on peut considérer comme
précurseur à Bitcoin : les monnaies relatives aux mondes virtuels. Jeunes et moins
jeunes, « geeks » ou non, passent de plus en plus de temps sur les mondes virtuels
tels que Second Life, The Sims, World of Warcraft, etc. Des mondes virtuels dans
lesquels tout un chacun vit « son autre vie » : on y construit ses personnages, on y
acquiert des biens, on y entretient une vie sociale, le tout en réseau avec d’autres
individus éparpillés partout dans le monde. Ces mondes se sont tous dotés d’une
monnaie, devenue indispensable pour vivre et évoluer dans la virtualité.
Conformément aux législations et règles financières en vigueur, ces
différentes monnaies virtuelles et non officielles ne sont acceptées ou tolérées qu’à
condition de ne pas entrer en concurrence avec les monnaies dites réelles, c’est-à-
dire officielles. « La non-convertibilité en devises nationales, condition sine qua non
pour éviter une rivalité entre monnaies officielles » et non officielles, est la première
condition d’existence de ces dernières. La deuxième condition, dite règle
d’affectation, est qu’une monnaie complémentaire est destinée à fonctionner à
l’intérieur d’une communauté fermée ».
Affectation et non convertibilité sont donc les deux règles à ne pas
enfreindre. Or, force est de constater que ce sont deux règles très vulnérables. La
règle de l’affectation était très certainement la plus pérenne avant l’apparition de
Bitcoin. En effet, selon Valérie Peugeot, « rien n’interdit d’imaginer un système de
change entre ces différentes monnaies, un joueur passant d’un univers à l’autre en
emportant avec lui ses richesses, créant ainsi un vaste territoire monétaire virtuel
unique ». Avec l’augmentation du nombre de participants à ces mondes virtuels et
une population jeune au fait des nouvelles technologies et évoluant au sein de
celles-ci, l’évolution vers une telle situation est de l’ordre du raisonnable. Quant à la
non-convertibilité, elle est aujourd’hui devenue une anecdote. Il suffit de surfer sur
des sites de ventes aux enchères ou de petites annonces en ligne pour trouver
nombre de biens virtuels en vente. Ces biens virtuels sont bien entendu vendus en
monnaies officielles. De plus, certains mondes virtuels, comme Second Life, vendent
directement des biens en dollars américains et affichent ouvertement le taux de
change flottant avec le dollar américain.
Si les règles existent bel et bien, elles sont aujourd’hui désuètes et surtout
largement et facilement contournées. Les monnaies virtuelles sont aujourd’hui
gangrenées par des activités liées aux économies dangereuses (définies supra) et
des règles nouvelles sont parfois prises pour y remédier, bien que cela soit loin
d’être généralisé.
De plus amples digressions sur ces situations et réactions nouvelles seront
développées infra, de façon globale pour les monnaies virtuelles en général et plus
particulièrement pour Bitcoin.
Bitcoin
Le commerce sur Internet repose sur des institutions financières qui servent
de tierces parties pour traiter les paiements électroniques. Bien que le système
fonctionne assez bien pour la plupart des transactions, il souffre encore de
faiblesses inhérentes à la confiance dans le système. En effet, un certain
pourcentage de fraude est considéré comme inévitable. Ce type d’incertitude peut
être évité par les individus en utilisant une monnaie physique. Cependant, aucun
mécanisme ne permet les paiements en ligne sans l’intervention d’une tierce partie.
Une alternative aux paiements classiques en ligne est peut-être née avec
Bitcoin. Créé en 2009 par Satoshi Nakamoto, ce système monétaire cryptographique
est totalement fabriqué virtuellement, sans création de valeur réelle. L’émission de
bitcoins est répartie sur tous les nœuds du réseau, de façon à ce qu’elle ne dépende
pas de la confiance envers un tiers particulier, mais plutôt envers la robustesse des
procédés cryptographiques employés. Bitcoin se dégage alors totalement de l’utilité
de la tierce partie et devient- donc une monnaie totalement libre, échangée en P2P.
Ses instigateurs en ont toutefois limité la création à 21 millions d’unités suivant une
progression temporelle décrite par la courbe ci-dessous [note du copieur : pas de
courbe ci-dessous].
Générer des bitcoins est l’affaire d’un algorithme complexe nécessitant des
ordinateurs relativement puissants. Mais la démarche est simple, il suffit de
télécharger un logiciel sur le site Internet de Bitcoin. Une fois installés, des bitcoins
peuvent être générés (c’est la phase de mining). En d’autres termes, « Bitcoin se
présente comme un logiciel multiplateforme qui une fois lancé se connecte aux
autres logiciels connectés, et commence à générer des blocs cryptés assurant par
leur nombre et leur dissémination dans le réseau, la sécurité du système ». Enfin,
ces bitcoins peuvent être utilisés, à l’instar d’une monnaie virtuelle classique, mais
aux caractéristiques propres. Cependant, il se dit sur les forums spécialisés que
« depuis quelques temps, il est extrêmement difficile de générer des bitcoins quelle
que soit la méthode. Avec l’augmentation des cours, la spéculation va bon train et
de nombreuses ‘‘fermes’’ de serveurs se font concurrence. Les petits particuliers
n’ont plus la moindre chance ». Un attrait grandissant pour cette monnaie semble
donc établi : un attrait proche de la professionnalisation. Bref, « la monnaie n’est
donc pas émise par une autorité centrale et les transactions ne sont pas gérées et
répertoriées par une unique entité. Au lieu de cela, ces tâches sont gérées de façon
collective par l’ensemble des nœuds du réseau ».
Avant d’en venir aux caractéristiques des transactions en bitcoins, il convient
de se pencher quelque peu sur les algorithmes utilisés, sans prétentions techniques
mais à des fins de compréhension du phénomène. Loin du chiffre des Templiers ou
du Traité des chiffres ou Secrètes manières d’écrire (1586) de Blaise de Vigenère, la
monnaie s’appuie sur la fonction mathématique issue de résolutions d’équations de
la fonction SHA256. Cette fonction n’est autre qu’une fonction de hachage
cryptographique conçue par la National Security Agency (NSA) aux États-Unis. Autre
élément d’importance : la signature numérique utilisée par Bitcoin. Il s’agit de
l’ECDSA, algorithme proposé en 1992 par le mathématicien et cryptographe
américain Scott Vanstone (University of Waterloo, Ontario) à la demande du
National Institute of Standards and Telecoms (NIST), agence de l’US Department of
commerce. Le fait que les algorithmes utilisés par Bitcoin soient des algorithmes
créés aux États-Unis et dans un cadre public est-il le fruit du hasard ? Ou est-ce la
haute valeur cryptographique de ceux-ci qui en font les outils de Bitcoins ? Seuls les
protagonistes sont en mesure de répondre à ces questions. Mais il est toutefois
surprenant de voir circuler une monnaie virtuelle utilisant des algorithmes
complexes, mis en place à la demande du gouvernement des États-Unis.
Les bitcoins peuvent bien entendu, en tant que monnaie virtuelle à part
entière, s’échanger. Encore faut-il en fixer la valeur, le cours. Des bourses virtuelles
ont donc vu le jour et déterminent la valeur du bitcoin en argent réel. Ils peuvent
ainsi être échangés contre des marchandises ou des services via le site internet de
Bitcoin par exemple ou même être convertis en une monnaie officielle ayant cours
sur le site internet de Mtgox. Pour qu’une transaction soit valide, il faut qu’elle ait
traversé au moins six nœuds du réseau, c’est-à-dire que chaque bitcoin échangé
devient une liste de personnes par lesquelles le bitcoin a transité. Il s’agit donc d’un
système traçable mais… anonyme ! Un système de transactions avantageux, puisque
celles-ci sont instantanées et sans barrières géographiques, que l’anonymat est
garanti (en effet, chaque bénéficiaire dispose d’un nombre illimité d’adresses de
réception via les six nœuds), et qu’en plus, le bitcoin est sécable sans limite de
décimale et autorise donc les micro-transactions. En effet, huis décimales ont déjà
pris position dans le système. « Il est donc possible d’utiliser des milli- ou micro-
bitcoins, ce qui permet à Bitcoin de continuer à évoluer et à croître ». Cet élan
d’optimisme est le propos de Richard Falkvinge, fondateur du Parti pirate suédois,
mais aussi ancien chef de projet de chez Microsoft et professionnel des technologies
de l’information et de la communication. Pour les créateurs de Bitcoins et ses
partisans, l’initiative semble particulièrement bonne et « change la finance de la
même manière que le web a changé les publications ».
Pour entrer un peu plus en profondeur dans les arguments fréquemment
apportés en faveur des transactions en bitcoins, les partisans en avancent neuf
principaux :
- personne n’est enregistré dans une banque quelle qu’elle soit :
- aucune complication n’a été prévue pour les transactions avec
l’étranger ;
- aucun frais de transfert, ni pour un échange local, ni pour un
échange à l’international ;
- l’immédiateté du transfert ;
- les transactions sont possibles en tout temps et en tout lieu ;
- personne n’est « blacklisté », ni par une banque, ni par un État ;
- aucune possibilité de saisir l’argent en cours de transaction ;
- l’alternative (payante) au transfert traditionnel par l’utilisation
de cartes de crédit telles que Visa ou Mastercard, n’est plus en
soi une alternative ;
- aucune autorité fiscale ou financière n’a la possibilité de voir la
transaction.
Effectivement, tout cela diffère de ce que tout un chacun connait, au
quotidien, en matière de transaction et de transfert d’argent dans les circuits
traditionnels. Cela semble bien entendu attractif, voire révolutionnaire. La réalité et
les enjeux, les risques et les dérives, sont autant de facettes qui donnent à penser
que l’élan de liberté tant attendu, que peuvent voir certains dans les monnaies
virtuelles et plus particulièrement dans les bitcoins, revêt d’autres habits moins
fastueux.
Bitcoin, un type de monnaie virtuelle aux dérives apparentes
Comme le disait Antoine Duvauchelle sur le site d’informations
technologiques Clubic en mai 2009, « les monnaies virtuelles sont souvent l’outil
d’enjeux plus grands ». Encore faut-il déterminer ces enjeux. Il s’agit donc ici de
démontrer en quoi une monnaie virtuelle telle que Bitcoin peut amener à des
dérives, peut-être même plus importantes que les attentes dues à ce type de
monnaie. Deux types ou plutôt deux familles de dérives sont à prendre en compte.
Premièrement, les dérives propres à la monnaie en question, à son système. Ce sont
les dérives internes ou « endodérives ». Deuxièmement, d’autres dérives sont
propres à l’usage fait de la monnaie virtuelle, elles sont le fait des utilisateurs ou
groupes d’utilisateurs. Ce sont les dérives externes ou exodérives. L’usage des
préfixes endo –et exo- est plus précis que l’usage des termes interne et externe pour
aborder ce sujet des dérives relatives aux monnaies virtuelles. En effet, la
cryptographie, les mathématiques, etc. sont du domaine des sciences exactes ou
plus précisément empirico-analytiques. Quant aux usages que les groupes humains
font des monnaies virtuelles, ils se rapprochent plus d’une perspective sociologique,
voire même politique. C’est alors le champ des sciences humaines qui prime, champ
que la précision amène à considérer comme historico-herméneutique. Bitcoin est
aux confins de ces deux champs scientifiques. C’est la raison pour laquelle il est
impératif d’utiliser les préfixes endo –et exo-, eux-mêmes aux confins des deux
types de sciences.
Les endodérives
Bitcoin représente quelque chose de tout à fait particulier. Il s’agit
bien d’une monnaie, mais d’une monnaie aux caractéristiques propres (voir supra).
Ce qui en fait la véritable spécificité, c’est que « la symétrie n’est pas basée sur les
individus adoptant le système, mais sur la capacité machine à générer du calcul
informatique ». C’est à un produit purement technologique que l’utilisateur est
confronté. Or, un produit technologique n’acquiert une totale maturité qu’après un
processus plus ou moins qu’après un processus plus ou moins long. Ce
cheminement d’une technologie vers la maturité a été théorisé par Gideon Gartner,
éminent informaticien américain. Il détermine cinq phases de développement :
- ‘’Technology Trigger’’ : phase de lancement ;
- ‘’Peak of Inflated Expectations’’ : phase de croissance intense ;
- ‘’Trough of Dissilusionment’’ : régression de la
croissance/désenchantement ;
- ‘’Slope of Enlightenment’’ : reprise de la croissance ;
- ‘’Plateau of Productivity’’ : seuil de productivité/maturité de la
technologie.
Ces cinq phrases sont autant de moments que Gartner place sur une
courbe qui représente le « Cycle de Hype », c’est-à-dire le cycle de vie d’un produit,
d’un service ou d’une technologie et sa notion de tendance.
Au fil des évènements et des endodérives relartifs à Bitcoin, il sera
possible de déterminer, avec plus ou moins de précision, où le placer sur le cycle de
Hype. La phrase de lancement est acquise, puisque Satoshi Nakamoto a lancé les
premiers bitcoins sur le réseau en 2009. Pour la suite, les choses se compliquent
quelque peu mais des tendances indiquent la pertinence de la courbe de Hype. C’est
bien de tendances qu’il faut parler ici parque que, aujourd’hui, l’analyse des
tendances peut en dire long et, de plus, elle est facilitée par des outils simples
offerts par Internet.
Voici deux graphes tirés de l’application « Google Trends » le 1er
novembre 2011. Le premier sur le mot-clé « Bitcoin » et le second sur le mot-clé
« bitcoins ». Cette application de Google est un outil intéressant à deux points de
vue. Avant tout, il permet de mesurer le « bruit » qu’engendre une problématique
sur le Web. Ensuite, pour les veilleurs professionnels, c’est un outil de détection des
signaux faibles. Aucune exhaustivité cependant, mais un simple constat au moment
T, intéressant à pus d’un titre et surtout non dénue de pertinence. L’analyse de ces
deux graphes amène plusieurs constats et pistes de réflexion. Premier point, les
deux graphes indiquent les mêmes tendances, à peu de choses près. La monnaie
Bitcoin et les bitcoins échangés revêtent donc la même problématique. En mai/juin
2011, un pic très conséquent apparaît ; Celui-ci n’est autre qu’un « buzz » relatif aux
mots-clés « Bitcoin » et « bitcoins » sur la toile. Pourquoi ? Si l’on se réfère au cycle
de phases de croissance et de désenchantement. Cela est possible mais deux
évènements ont fortement marqué cette période.
Les 14 et 20 juin 2011, Bitcoin est victime de deux attaques : la
première concerne le détournement de 25000 bitcoins, la deuxième le piratage de la
bourse du Bitcoin, Mtgox. L’attaque du 14 mai 2011 s’est déroulée comme suit : un
cheval de Troie, diffusé par mail à des utilisateurs de la monnaie virtuelle, a infecté
leurs ordinateurs. « A la fin du mois de juin, des experts ont détecté un programme
malveillant, composé d’un programme légitime de création de pièces (bcm) et d’un
module de type cheval de Troie (Trojan.NSIS.Miner.a) pour l’administration. Une fois
exécuté sur l’ordinateur infecté, le cheval de Troie commence à produire des pièces
pour les individus malintentionnés ». D’après les lignes de code utilisées, les auteurs
de cette attaque étaient très probablement russophones (présence de caractères en
alphabet cyrillique).
Quant au 20 juin 2001, l’attaque, d’un autre type, a porté sur le site
d’échange Mtgox. Comme explicité supra, il est possible, sur ce site, d’échanger des
bitcoins contre une devise réelle, ayant cours. Le dimanche 19 juin 2011 dans la
soirée, « l’un des comptes de MtGox qui possédait de nombreux bitcoins a été
infiltré frauduleusement. Les pirates ont tenté de vende en quelques minutes
l’intégralité des réserves de ce compte et de les échanger contre des dollars. Devant
l’afflux massif d’ordres de vente, les cours ont plongé de 17 $ par bitcoin à quelques
centimes ». Selon les spécialistes des virus, s’exprimant sur le site Viruslist, c’est
« une vulnérabilité de type Cross Site Request Forgery permettant aux individus
malintentionnés d’utiliser des requêtes spéciales pour amener les utilisateurs à
réaliser des transactions en bitcoin qui avait été détectée ». Un graphique qui a
beaucoup circulé sur le Web montre l’ampleur de cette deuxième attaque : [note du
copieur : pas de graphique].
La courbe indique le cours du bitcoin en dollars et les cercles indiquent
les volumes échangés. L’image parle d’elle-même. N’ayant pas d’instance et de
système de régulation, Bitcoin est très vulnérable à ce type d’attaque. La
traditionnelle loi de l’offre et de la demande constitue la règle et dans ce cas précis,
la règle a entraîné la chute du cours.
En dehors de la chute du cours du bitcoin, plusieurs enseignements
sont à tirer de ces deux attaques. Il semble que, à l’instar des monnaies réelles, les
monnaies virtuelles ont besoin d’un système de transactions boursières (puisque
Mtgox est une bourse à part entière) efficace et sécurisé. Comme le souligne Yury
Nametsnikov, « ce n’est pas un hasard si les institutions financières accordent
autant d’attention à leur protection » et d’ajouter « le monde de l’argent
électronique ne doit pas constituer une exception ». Ce qui indique par conséquent
le manque de maturité de « Bitcoin » et de fait, précise quelque peu la place qu’il
occupe sur la courbe de Hype. Autre constat, et celui-ci n’est pas propre
uniquement aux utilisateurs de bitcoins mais à une majorité d’utilisateurs de
systèmes informatiques quels qu’ils soient : « Beaucoup de personnes sont attirées
par le projet Bitcoin pour des raisons financières mais peu sont sensibilisées sur les
problèmes liées à la sécurité informatique ». En effet, générer des « bitcoins », les
échanger, les utiliser, etc. est l’affaire de personnes averties en nouvelles
technologies. Cependant, les problématiques de sécurité des systèmes semblent
être une de leurs failles. « Si les bitcoins sont sécurisés par la cryptographie
décentralisée, la place de marché MtGox était un site web, comme les autres,
centralisé et vulnérable à des attaques ». À nouveau, on dénote un manque de
maturité du système. De plus, les utilisateurs ne sont ni des financiers ni des
cybercriminels. Ils manquent simplement d’expertise financière pour gérer un tel
système et constituent une cible facile pour la cybercriminalité organisée. Mener à
bien le projet Bitcoin demande donc de l’expertise et une attention toute
particulière aux principes de sécurité informatique. Conscient des ces
problématiques, de nouveaux acteurs tentent d’exploiter ce créneau et de s’y
imposer, à l’instar de Chad Pankewitz, ancien directeur du E-Business chez Citygroup
Private Bank. Suite aux attaques de juin 2011, il a décidé de créer sa propre bourde
du Bitcoin, à laquelle il désire appliquer le niveau de sécurité d’une bourse classique.
Cette nouvelle bourse du Bitcoin est dénommée Ruxum et est consultable sur le site
internet du même nom. La partie Bitcoin n’est donc pas terminée.
Autre problématique, celle de la concurrence du Bitcoin avec les
autres monnaies, réelles. Bitcoin générerait-il une bulle financière supplémentaire ?
Il s’agit toujours d’une endodérive possible, bien qu’elle se rapproche ouvertement
des exodérives dont il sera question infra. En effet, évoquer une bulle financière
pose des questions d’ordre politique. « Rien n’interdit par exemple d’imaginer qu’un
mouvement de panique dans un monde virtuel amène une conversion massive en
dollars ou en euros. Ce risque n’est pas théorique puisque certains gouvernements
s’en sont émus ». Effectivement, deux gouvernements asiatiques (coréens et chinois)
se sont posé la question. Le législateur coréen a tout simplement interdit toute
transaction de monnaie virtuelle issue des jeux en ligne, les transactions internes au
jeu restant toutefois licites. Cette décision a été prise suite au constat suivant : des
bandes organises volaient les identités des tuilisateurs pour s’octroyer de l’argent
virtuel qui était de facto échangé en argent réel, en l’occurrence en Won. Cette
législation est toutefois peu efficace puisque la plupart de ces bandes organisées se
sont établies hors de Corée et échappent ainsi aux poursuites. Dans le cas de la
Chine, il s’agit également d’une problématique liée aux jeux en ligne. En décembre
2006, les autorités chinoises ont lancé de sérieux avertissements à Tencent, le
leader chinois de la messagerie instantanée (équivalent chinois de MSN), « dont la
monnaie virtuelle le Q Coin menacerait la souveraineté de la monnaie chinoise et
ferait peser sur cette dernière un risque déflationniste ». En mars 2007, Pékin a
interdit « les monnaies virtuelles à taux de change variable, bloquant ainsi les
logiques spéculatives, et n’autorise les monnaies virtuelles que pour l’achat de
produits et services virtuels de l’émetteur ». Tout manquement à cette règle de
2007 constitue, en Chine, une infraction financière. Ces deux exemples illustrent le
fait que plusieurs États se sont posés la question des monnaies virtuelles. Le risque
d’une incidence inflationniste ou déflationniste sur une monnaie réelle est toutefois
dérisoire. Mais dérisoire aujourd’hui n’implique pas dérisoire sur le long terme.
Visiblement, certains États ont pris en compte les monnaies virtuelles dans leurs
études prospectives. Au vu des caractéristiques de Bitcoin, sa prise en compte
prospective ne serait pas dénuée de sens, que ce soit dans nos pays occidentaux ou
autres.
A titre plus anecdotique mais évocateur d’un nouveau type de
délinquance, et en totale transition entre les endodérives et les exodérives, un
employé de l’Australian Broadcasting Corporation utilisait les serveurs de la
télévision australienne pour générer des bitcoins. Voilà qui ouvre la porte aux
exodérives.
Les exodérives
Il est évident que Bitcoin n’intéresse pas tout le monde. Une grande
majorité de la population n’en a d’ailleurs jamais entendu parler et quand bien
même, ne s’y serait pas intéressée. Le profil des utilisateurs de ce type de monnaie
sera traité plus loin. Ce qui importe ici, dans une analyse des exodérives liées à
Bitcoin, ce sont les catégories d’utilisateurs. Sans vouloir revenir sur les
caractéristiques de Bitcoin, il faut toutefois rappeler l’anonymat contenu dans
l’usage de cette monnaie et l’absence d’une tierce partie dans les transactions. Ces
deux critères sont plus qu’intéressants pour « les groupes qui opèrent en marge de
la société – les activistes (cyber-ou autres), les libertaires et, bien entendu, les
criminels ». Mais, comme développé supra, une traçabilité est cependant possible,
mais permet néanmoins l’anonymat. L’idée selon laquelle ce système devrait
permettre aux autorités de traquer les organisations ou les individus qui participent
au « marché noir » des transactions en bitcoins s’avère totalement dénuée de sens.
À l’exception d’utilisateurs qui laissent apparaître des adresses mail sur les
différentes bourses du Bitcoin. Encore que l’utilisation d’un logiciel libre tel que Tor
(The Onion Router) permet l’anonymat des utilisateurs. Plusieurs éléments
combinés amènent à l’anonymat presque parfait. Quoi qu’il en soit, les bitcoins
s’échangent et se convertissent en monnaies réelles. Le système est simple.
Les individus peuvent opérer une transaction en bitcoins au profit d’un
destinataire en obtenant la clé publique de celui-ci. C’est le système de transaction
classique : en quelque sorte, il faut le numéro de compte du destinataire pour lui
verser une somme d’argent. Les individus qui seraient tentés d’utiliser des bitcoins
pour réaliser des transactions illégales ont simplement le loisir de changer de clé à
chaque transaction. Ainsi, chaque transaction est associée à une adresse différente,
c’est-à-dire une clé différente. Pour les autorités publiques, financières ou autres,
cela rajoute à une difficulté supplémentaire : relier la clé à un individu, l’utilisation
de Tor permettant l’anonymat de l’adresse IP. Permettre de masquer son identité
est le point fort de la technologie Bitcoin !
Malgré ce constat, certains continuent d’arguer que les bitcoins ne
sont rien d’autre qu’une monnaie fiduciaire comme les autres. Il est vrai que
quiconque peut acheter, par exemple en liquide, un bien, quel qu’il soit, sans
aucune traçabilité. À l’exception près que Bitcoin a été conçu pour ne pas être
bloqué par des autorités nationales ou internationales. Il faut insister sur le fait qu’il
s’agit bien d’une monnaie libre de tout contrôle officiel. Et le développement ci-
dessus indique clairement la possibilité d’anonymiser totalement les transactions.
Entre le 7 février 2011 et le 25 mai 2011, le cours du bitcoin a été
multiplié par 10 (de 0,80 US$ à 8 US$). Le 5 juillet 2011, le cours a fortement chuté.
En cause, le piratage de Mtgox décrit supra. Cette attaque prouve donc que cette
monnaie virtuelle attire les convoitises. Le cours est cependant revenu rapidement à
8 US£. Cette hausse globale est due à un attrait grandissant des internautes.
Cependant, le cours du Bitcoin tournait aux alentours d’ 1 US$ le 1er novembre 2011.
La maturité n’est visiblement pas atteinte et une stabilisation du cours par un
dispositif de régulation n’est aujourd’hui pas encore possible. La stabilisation ne
pourra être possible que lorsque les risques de malveillance seront réduits au
maximum.
Il apparaît également que les internautes qui s’intéressent le plus à la
problématique des bitcoins sont majoritairement issus de la Fédération de Russie et
d’Ukraine (Google trends sur Bitcoin le 15 juillet 2011).
C’est ici que le concept d’économie dangereuse prend tout son sens.
Ce concept, comme annoncé en introduction, recouvre l’implication de bandes
criminelles dans l’économie locale, nationale ou internationale. Ces bandes
criminelles peuvent ou non impliquer des institutions étatiques. Quoi qu’il en soit,
des activités de corruption, de trafic en tout genre, de blanchiment d’argent, de
pression sur les individus, voire d’assassinat, en sont le modèle d’organisation. Ce
que recouvre le concept d’économie dangereuse est également le fait qu’un acteur,
économique généralement, puisse être confronté, à son insu, à un tel type
d’organisation et par là même se trouver en difficulté. C’est bien le cas de Bitcoin :
projet de monnaie cryptographique en P2P, attisant la convoitise d’organisations
ayant pour objectif d’une part l’anonymat et d’autre part l’appât du gain. Il est
inutile de jeter ici la pierre à l’Ukraine ou à la Russie, mais tout analyste se doit
d’admettre que de telles pratiques relevant de l’économie dangereuse ainsi définie
y ont régulièrement cours. Est-ce alors un hasard si les bitcoins présentent un attrait
plus important qu’ailleurs dans ces deux pays ? Il est également intéressant de
souligner que les pays scandinaves ont eux aussi beaucoup de leurs citoyens attirés
par cette monnaie virtuelle, le fondateur du parti pirate suédois étant l’un d’eux.
À nouveau via un outil sur le site internet Silobreaker, il est possible
d’établir une cartographie par agrégation automatique de concepts liés à un mot-clé.
Comme pour les données Google Trends, il s’agit d’un moyen d’évaluation du bruit
circulant sur la toile quant à ce mot-clé. Malgré la non-exhaustivité du système, il
permet de déterminer des orientations, voire de détecter des signaux faibles qui
peuvent se révéler d’une importance cruciale tant pour le chercheur que pour les
autorités publiques.
Cette simple recherche sur l’occurrence « monnaie virtuelle » sur le
site de recherche et d’analyse susmentionné permet l’obtention d’une cartographie.
Le résultat, bien que surprenant, semble totalement cohérent. Les concepts
attachés à celui de monnaie virtuelle sont tous liés de près ou de loin aux systèmes
d’économie dangereuse. Les termes « illicite » et « blanchiment d’argent » sont
directement liés à la monnaie virtuelle. Le registre de la cybercriminalité est lui aussi
associé à ce concept : « cryptage », « hacker », « cheval de Troie », « piratage ». Le
cryptage est évidemment nécessaire à des fins d’anonymat et de « contre-
traçabilité » des transactions. Pour Bitcoin, l’appellation monnaie cryptographique
est ouvertement utilisée et même revendiquée par Satoshi Nakamoto, son créateur.
Il n’est donc pas surprenant de trouver ce concept lié à celui de monnaie virtuelle.
Quant au « piratage » et au « cheval de Troie », les développements sur les attaques
subies par Bitcoin, étant très discret comme système, devient peu à peu une
monnaie de référence chez les cybercriminels. À titre d’exemple, le groupe de
hackers, LulzSec, fait régulièrement appel aux dons… en bitcoins ! Ils affichent
d’ailleurs ouvertement leur clé publique « Bitcoin » sur leur site internet. Se faire
financer via une monnaie garantissant l’anonymat des dons et des transactions
permet aux organisations criminelles de ce type de mettre de sérieux bâtons dans
les roues des autorités publiques quant à leur identification. Quel qu’ait pu être
l’objectif des créateurs de Bitcoin, il est indéniable que ce système est aujourd’hui
utilisé par les réseaux cybercriminels.
Dans le registre des produits stupéfiants, la monnaie virtuelle, sur la
même cartographie, est directement en corrélation avec « cocaïne », « héroïne »,
« LSD » et « médicament ». La causalité n’est pas le fruit du hasard. En effet, à
l’instar de toutes les monnaies, Bitcoin peut être exploité à des fins criminelles. Il
peut être blanchi et utilisé pour soutenir des marchés parallèles. Il est bien connu
que Bitcoin a été utilisé pour se procurer des drogues illégales sur Silk Road, ou son
anonymité protège tant les acheteurs que les vendeurs. Quelques mots sur Silk Road,
sorte de « magasin en ligne spécialisé dans la vente de produits illégaux, accessible
via le réseau (chiffré) d’anonymisation Tor » dont il a déjà été question supra. Ce site
de vente spécialisé a fait l’objet de polémiques, aux États-Unis et, bien entendu,
Bitcoin a été pris dans la tourmente. Charles Schumer et Joe Manchin, deux
sénateurs démocrates, en juin 2011, ont demandé l’interdiction de Bitcoin aux
États-Unis. En raison, Silk Road et les ventes de produits stupéfiants qui s’y
déroulent. Ils ont fait part de leurs griefs contre Bitcoin dans une lettre conjointe
(dont le contenu est reproduit ci-dessous) qu’ils ont adressée au Procureur général
Eric Holder et à Michele Leonhart, chef de la Drug Enforcement Administration,
l’autorité policière de lutte contre le trafic de stupéfiants. « Si les sénateurs veulent
lutter contre la monnaie d’échange plutôt que contre le site, c’est que les moyens
d’actions sont plus importants. Alors que le site peut rouvrir, être hébergé en dehors
du territoire américain, ou réapparaître sous d’autres noms, il faut nécessairement
passer par une transaction d’échange ». En effet, des bourses, comme Mt. Gox ou
bien même Ruxum, seraient plus faciles à viser qu’un site web du type Silk Road. Ce
qui est intéressant et peut-être à mettre en corrélation avec les attaques dirigées
contre Bitcoin les 14 et 20 juin 2011, c’est que la lettre des deux sénateurs
américains y est antérieure de quelques jours.
Autre point à souligner, seules les autorités des États-Unis semblent
s’inquiéter de cette monnaie. Ceteris paribus, puisque d’autres monnaies virtuelles
font l’objet de dispositions législatives ou réglementaires en Chine et en Corée
notamment, Bitcoin n’a été évoqué par aucune autre autorité nationale ailleurs
qu’aux États-Unis.
Quant aux blanchiments d’argent, lui aussi mis en exergue dans la
représentation cartographique supra, il ne fait pas l’entendre uniquement sans son
acception classique, c’est-à-dire la dissimulation d’argent acquis par des activités
illégales et réinjecté dans des activités qui le sont également. Effectivement, une
idée plus large du concept de blanchiment d’argent doit être prise en compte ici. Le
blanchiment d’argent classique bien entendu mais également les revenus non
contrôlables et donc non soumis à fiscalité, et tout ce que cela peut entraîner et/ou
cacher en termes de marchés parallèles, d’économie souterraine et d’exploitation
des individus. « Bitcoin » est un outil, notamment utilisé à cet effet. Par exemple,
« un narco-trafiquant peut ouvrir une quinzaine de comptes dans u jeu, sous autant
de fausses identités, puis procéder à des achats de biens immobiliers virtuels auprès
d’un complice, qui récupère ainsi l’argent sur son compte en banque », les
transactions étant réalisées en bitcoins. En matière fiscale, les revenus engendrés
par les mondes virtuels constituent de sérieux manques à gagner pour les États.
Comme le souligne Valérie Peugeot, « si l’on considère qu’il y a véritablement
échange de biens et de services, assortis d’une transaction financière, alors rien ne
justifie que l’imposition ne pèse pas sur cette activité économique à part entière ».
Certains États ont légiféré sur la question, notamment l’Australie où les rentrées
d’argent issues de mondes virtuels sont taxées. Cependant, comment taxer des
revenus qui ne peuvent être connus puisqu’issus de transactions anonymes.
Un parallèle peut également être fait entre les bitcoins et le gold
farming. Il s’agit d’une dérive relative aux jeux en ligne. Ce phénomène consiste à
faire jouer des individus, des heures durant, afin d’acquérir des biens virtuels qui
sont ensuite revendus soit sur des sites de ventes aux enchères, soit directement au
marché noir. D’après un rapport de la Banque mondiale (cartographie de l’économie
virtuelle du 7 avril 2009), plus de 100 000 personnes (principalement identifiées en
Chine – 80 %) seraient employées à cette tâche pour un marché d’environ 2,1
milliards d’euros. Toujours selon cette étude, 50 % de la monnaie virtuelle ainsi
vendue est produite par des robots, contre 30 % par des individus eux-mêmes. Les
20 % restants proviennent de comptes piratés. Quant aux individus employés à cette
tâche, ils ne bénéficient d’aucune protection. Les fondements du droit du travail, du
devoir de solidarité, etc., sont ainsi remis en cause.
Dernier concept lié à la monnaie virtuelle : « place de marché ». Dans
le cas du gold farming et donc du monde des jeux en ligne, les monnaies virtuelles
ont amené la mise en place de véritables places de marché virtuelles. L’évolution de
ces jeux en places de marché a « ouvert la porte à toutes sortes d’activités
étrangères à ce processus créatif d’origine –publicité, placement de produit,
recrutement, actions promotionnelles autour d’événementiels ». L’esprit ludique
s’est donc peu à peu transformé en logique pécuniaire. Cela pose le problème de la
dématérialisation de la monnaie, de la banque peer to peer. Le risque de l’instabilité
monétaire virtuelle est alors réel. Le système bancaire traditionnel possède cette
capacité stabilisatrice. Il faut donc aujourd’hui, dans un contexte d’évolution
ultrarapide des nouvelles technologies et afin d’éviter des déboires quant à des
phénomènes de récession, de déstabilisations et autres, repenser le système en vue
de le sécuriser, et surtout d’apporter une sécurité relative à son utilisation, aux
transactions Pour Jason J. Campbell, si la monnaie cryptographique permet la
décentralisation des monnaies traditionnelles, elle doit être basée sur des principes
de gestion clairs et sûrs, lesquelles ne peuvent contribuer à des marchés parallèles
et au blanchiment d’argent. S’il existe un espoir de légitimer Bitcoin comme étant
une forme respectable de monnaie cryptographique, des mesures doivent être
prises pour s’assurer que les criminels ou autres comportements déviants n’y
trouvent des niches financières sécurisées issues du système de réseau P2P du
Bitcoin. Toute la difficulté résidant dans le choix des mesures à prendre. Le constat
actuel est que les réseaux d’économie dangereuse utilisent voire s’approprient
Bitcoin, au détriment, d’une première génération d’utilisateurs qui, elle, s’y est
intéressée pour ses qualités cryptographiques en tant que telles ainsi que pour son
côté ludique.
Une nouvelle donne sociétale ?
La monnaie est, d’une part, « considérée comme un bien public, on lui
demande de bien fonctionner, de circuler comme il faut, et d’avoir une valorisation
stable ». D’autre part, « elle sert aussi à distribuer les prestations sociales de sorte
que personne n’en soit exclu ». C’est là la vision traditionnelle de la monnaie.
Aujourd’hui, l’économie est pour une grande part « digitalisée », ce qui pose la
question de la légitimité du système monétaire traditionnel dont les États ont le
monopole. Bitcoin peut être considéré comme un révélateur à ce sujet. L’intérêt que
suscite cette monnaie virtuelle cryptographique amène à se poser de telles
questions. En effet, c’est le « collectif qui accepte la monnaie qui en fait la valeur,
basée sur la confiance mutualisée ». À l’instar de toute autre monnaie, qu’elle soit
réelle ou virtuelle, sa crédibilité ne peut être effective que si elle est partagée par
une communauté donnée et acceptée des autres communautés. À titre d’exemple,
pour que la monnaie euro fonctionne, elle doit être acceptée par les institutions et
les habitants de la « zone euro » d’une part, et être acceptée par les autres
communautés, institutions, États, etc. d’autre part. Dans le cas contraire, elle serait
vouée à l’échec. C’est donc bien l’acception collective qui fait la monnaie. À l’inverse,
un système monétaire qui ne serait accepté qu’à l’intérieur d’une communauté
resterait un système archaïque tel en quelque sorte le système de la « Kula » aux
îles Trobriand si magnifiquement décrit et analysé par Malinowski au début du siècle
dernier dans Les Argonautes du pacifique occidental. La valeur de la monnaie est
alors sociale et non économique. Ce parallèle avec la Kula n’est pas dénué de sens.
En effet, Bitcoin ne serait-il pas une monnaie uniquement partagée par une
communauté sociale, adepte des nouvelles technologies, jeunes, etc. Comme celles
que l’on nomme aujourd’hui « geeks », « génération Y », etc. Une monnaie utilisée à
des fins libertaires, dans un but revendicatif de changement social, de liberté, etc.,
réclamé par ces communautés. Ces dernières sont celles de la mondialisation de
l’économie, des technologies, des idées. Les générations ayant vécu avec les
évolutions technologiques, ayant accompagné la naissance d’un monde de la
communication tout azimuts et surtout au fait de ces différentes évolutions. Est-ce
un hasard si les membres des partis pirates dont il a été question plus haut sont de
fervents défenseurs de Bitcoin ? Et que dire de la communauté, de plus en plus
visible, des « Anonymous », dont le nom ne peut faire abstraction d’une idée de la
liberté, exprimée sur la toile certes, mais dans une forme qui n’est pas admise
aujourd’hui. Bitcoin semble tout à fait être un exemple d’outil et de production issus
de ces « nouveaux idéaux du XXIe siècle ».
Comme le souligne le président du Parti pirate suédois, les
développeurs de Bitcoin sont des techniciens dotés de compétences très pointues
dans leurs domaines. Par contre, il est beaucoup plus difficile de cerner les
utilisateurs. On distingue bien sûr les libertaires, mais aussi des individus qui aiment
l’argent, tout simplement, et beaucoup d’utilisateurs qui s’intéressent aux bitcoins
dans un but purement ludique. La recherche de la facilité, de la simplification des
modèles et processus en place sont généralement une des facettes attractives de
Bitcoin. Toutefois, il s’agit alors, pour Bitcoin et ses utilisateurs, de créer un
écosystème afin de pérenniser le système lui-même. Dans le cas contraire, une
déception des utilisateurs quant à leurs idéaux et par conséquent la confiance qu’ils
ont mis dans cette monnaie virtuelle, annoncerait l’échec. Créer cet écosystème est
donc nécessaire. Pour mener à bien cette création, i est nécessaire de corriger les
imperfections du système et d’aller plus loin. C’est-à-dire entre autres tenter de
stabiliser les cours du Bitcoin, protéger les bourses d’échanges des attaques
informatiques mais aussi permettre une utilisation plus simple en termes de
paiements en ligne. Cela implique également la lutte contre l’incursion des
économies dangereuses dans le système. Ces dernières entraînent avec elles les
utilisateurs idéalistes et nuit par conséquent à leurs idéaux. La boucle serait ainsi
bouclée si cette lutte contre les économies dangereuses n’était une prérogative
exclusive des pouvoirs publics. Mais là encore, la frontière reste floue entre les
utilisateurs dits libertaires et le monde des économies dangereuses. En effet, et à
des fins explicatives, il faut revenir sur la problématique de Silk Road. Ce site de
vente en ligne de produits stupéfiants a représenté la mise en œuvre la plus
complète de « Bitcoin ». Il est indéniable qu’un bon nombre d’utilisateurs de Silk
Road « viennent de la communauté geek de « Bitcoin » et voient dans ce site plus
qu’un endroit où l’on achète des stupéfiants ». Les administrateurs de Silk Road se
disent en effet adeptes de « l’anarchie du marché libre », c’est-à-dire rejetant
l’autorité des gouvernements et prônant une économie libre (donc noire) de toute
fiscalité. Par déduction, admirateurs du Bitcoin, libertaires, anarcho capitalistes,
Anonymous, membres des partis pirates, geeks, etc., tous issus d’une génération
dite Y, seraient les mêmes. Alors comment rendre plus transparentes la frontière
entre ces utilisateurs et les systèmes d’économie dangereuse ? La frontière semble
se trouver entre un modèle politique de l’État, avec ses prérogatives (sécurité,
impôts, etc.) et une jeune génération qui n’accepte plus ces prérogatives et les
contestent par la mise en place de systèmes nouveaux, à l’instar de Bitcoin.
Que ce soit Bitcoin ou le gold farming, une économie virtuelle, hors du
spectre des États souverains semble se mettre en place et s’organiser efficacement
autour d’une communauté d’utilisateurs bien déterminés. Tout laisse à penser que
nous sommes là devant les prémices d’une nouvelle ère économique et sociale dans
laquelle les décideurs ne seraient plus ceux que l’on connaît aujourd’hui mais une
nouvelle élite de la virtualité. Un nouvel environnement, relatif à l’avènement d’une
génération dite Y, comme signal faible de profonds changements sociétaux.
Conclusion
Il est fort probable que la problématique soulevée par une monnaie
cryptographique telle que Bitcoin ne soit qu’ « anecdotique » aujourd’hui. En effet,
les spécialistes ne peuvent confirmer ou infirmer le danger de ce type d’instrument
virtuel : certains y voient une menace potentielle pour l’économie mondiale,
d’autres un simple effet d’annonce. Mais le seul fait de s’y intéresser de près peut
laisser libre cours à toutes les hypothèses d’utilisation. Les bitcoins pourraient
faciliter les transactions des criminels, des joueurs de poker en ligne, des évadés
fiscaux, des pornographes, des trafiquants de drogue, etc. Le risque est bien réel,
probablement sur le plus ou moins long terme, mais très difficile à circonscrire.
Surtout que les utilisateurs « classiques » et les utilisateurs « criminels » se
confondent largement.
Le fait de s’intéresser à cette monnaie a permis de voir les collusions
entre systèmes d’États et systèmes parallèles. Les algorithmes utilisés pour créer et
faire fonctionner Bitcoin ont bien été créés par des services d’État, puis détournés
(peut-être ?) à d’autres fins. Là aussi, la frontière reste floue. Qui des services de
l’État, des systèmes d’économie dangereuse ou des communautés d’utilisateurs
peut prétendre avoir la main sur le système ? En atteste les deux attaques
informatiques dirigées contre « Bitcoin ». Étaient-elles une réaction d’un État
sentant venir la menace, d’un système d’économie dangereuse (Russie ? Ukraine ?)
pour s’approprier une capacité d’action, un simple hacker en mal de hacking ? La
question reste visiblement ouverte.
Quant aux conséquences que Bitcoin pourrait engendrer sur le mode de
fonctionnement de notre société actuelle, elles sont nombreuses et hypothétiques.
Celle qui semble la plus pertinente à retenir est que le système d’organisation et de
fonctionnement des États est de plus en plus contesté. Les dernières générations se
sentent déconnectées de ces systèmes et les contournent aux moyens des
technologies dont elles disposent. Bitcoin en fait partie. Le phénomène n’est certes
pas nouveau, mais tend à croître exponentiellement (partis pirates, Anonymous, etc.)
et, dans un futur plus ou moins proche, demandera des réponses.
Sécurité Globale – Eté 2012, p.115. Revue de
référence française consacrée aux questions de
sécurité intérieure et aux enjeux sécuritaires
internationaux, Sécurité globale offre une plate-
forme de recherche et de débats sur des
thématiques comme le terrorisme, la criminalité
organisée, les crises sanitaires, la gestion des
catastrophes naturelles et industrielles. Son
approche se veut autant conceptuelle
qu’opérationnelle, selon une logique qui vise à éclairer la globalité des
enjeux de sécurité de ce XXIe siècle naissant. http://choiseul-editions.com/revues-
geopolitique-Securite-Globale-23.html
Stéphane Mortier est Chargé d’intelligence économique à la Direction Générale de
la Gendarmerie Nationale.
[Note du copieur : toutes les notes de fin de pages (au nombre de 55) n’ont pas été
recopiées. Consulter la source originale].