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Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (2013) 94, 345—350 LETTRE / Thorax Shunt systémo-pulmonaire rétrograde simulant une embolie pulmonaire A. Lacout a,, M. El Hajjam b , A. Khalil c , P. Lacombe b , P.-Y. Marcy d a Centre d’imagerie médicale, 47, boulevard du Pont-Rouge, 15000 Aurillac, France b Service de radiologie, hôpital Ambroise-Paré, AP—HP, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France c Service de radiologie, hôpital Tenon, AP—HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France d Head & neck and interventional radiology department, Antoine-Lacassagne cancer research institute, 33, avenue Valombrose, 06189 Nice cedex 1, France MOTS CLÉS Shunt systémo-pulmonaire ; Embolie pulmonaire ; Faux positif ; Scanner L’existence d’un shunt artériel systémo-pulmonaire doit être prise en considération chez les patients suspects d’embolie pulmonaire, car source de faux positifs en angioscan- ner. Il s’agit de faux défets artériels pulmonaires provoqués par le flux sanguin émanant des artères broncho-systémiques et contaminant la circulation artérielle pulmonaire. La connaissance de la dualité vasculaire thoracique, de ses communications physiologiques et pathologiques ainsi que la réalisation d’un angioscanner thoracique à la phase aortique, permettent de s’affranchir de ces artefacts et éviter une anticoagulation intempestive. Observation Nous rapportons l’observation d’une patiente âgée de 30 ans, d’origine africaine, admise aux urgences pour dyspnée et hémoptysie soulevant le diagnostic d’embolie pulmonaire. Ses antécédents sont marqués par une tuberculose pulmonaire traitée il y a dix ans. À l’admission, la patiente est apyrétique avec une SaO2 à 96 % en air ambiant. La sérologie VIH est positive avec un taux de CD4 supérieur à 500/mm 3 . La radiographie thoracique a mis en évidence des lésions rétractiles séquellaires du lobe supérieur gauche (Fig. 1). L’angioscanner est réalisé sur un appareil 16 coupes, à un temps artériel pulmonaire (injec- tion de 60 mL d’iobitridol 300 mgI/mL (Xenetix, Guerbet - France) à un débit de 3,5 mL/s, déclenchement automatique de l’acquisition après détection du bolus par une ROI DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.diii.2012.10.006. Ne pas utiliser, pour citation, la référence franc ¸aise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Diagnostic and Interventional Imaging, en utilisant le DOI ci-dessus. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Lacout). 2211-5706/$ see front matter © 2012 Éditions françaises de radiologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.jradio.2012.06.008

Shunt systémo-pulmonaire rétrograde simulant une embolie pulmonaire

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Page 1: Shunt systémo-pulmonaire rétrograde simulant une embolie pulmonaire

Journal de Radiologie Diagnostique et Interventionnelle (2013) 94, 345—350

LETTRE / Thorax

Shunt systémo-pulmonaire rétrograde simulant uneembolie pulmonaire�

A. Lacouta,∗, M. El Hajjamb, A. Khalil c, P. Lacombeb,P.-Y. Marcyd

a Centre d’imagerie médicale, 47, boulevard du Pont-Rouge, 15000 Aurillac, Franceb Service de radiologie, hôpital Ambroise-Paré, AP—HP, 9, avenue Charles-de-Gaulle,92100 Boulogne-Billancourt, Francec Service de radiologie, hôpital Tenon, AP—HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, Franced Head & neck and interventional radiology department, Antoine-Lacassagne cancer research

institute, 33, avenue Valombrose, 06189 Nice cedex 1, France

MOTS CLÉSShuntsystémo-pulmonaire ;Embolie pulmonaire ;Faux positif ;Scanner

L’existence d’un shunt artériel systémo-pulmonaire doit être prise en considération chezles patients suspects d’embolie pulmonaire, car source de faux positifs en angioscan-ner. Il s’agit de faux défets artériels pulmonaires provoqués par le flux sanguin émanantdes artères broncho-systémiques et contaminant la circulation artérielle pulmonaire. Laconnaissance de la dualité vasculaire thoracique, de ses communications physiologiqueset pathologiques ainsi que la réalisation d’un angioscanner thoracique à la phase aortique,permettent de s’affranchir de ces artefacts et éviter une anticoagulation intempestive.

Observation

Nous rapportons l’observation d’une patiente âgée de 30 ans, d’origine africaine, admiseaux urgences pour dyspnée et hémoptysie soulevant le diagnostic d’embolie pulmonaire.Ses antécédents sont marqués par une tuberculose pulmonaire traitée il y a dix ans. Àl’admission, la patiente est apyrétique avec une SaO2 à 96 % en air ambiant. La sérologieVIH est positive avec un taux de CD4 supérieur à 500/mm3. La radiographie thoracique

a mis en évidence des lésions rétractiles séquellaires du lobe supérieur gauche (Fig. 1).L’angioscanner est réalisé sur un appareil 16 coupes, à un temps artériel pulmonaire (injec-tion de 60 mL d’iobitridol 300 mgI/mL (Xenetix, Guerbet - France) à un débit de 3,5 mL/s,déclenchement automatique de l’acquisition après détection du bolus par une ROI

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.diii.2012.10.006.� Ne pas utiliser, pour citation, la référence francaise de cet article, mais celle de l’article original paru dans Diagnostic and

Interventional Imaging, en utilisant le DOI ci-dessus.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (A. Lacout).

2211-5706/$ — see front matter © 2012 Éditions françaises de radiologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.jradio.2012.06.008

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Figure 1. Radiographie thoracique de face : opacité rétractileexcavée du culmen, associée à un épaississement de la coiffe pleu-rale. Réduction du volume pulmonaire gauche et attraction dumm

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Lldes examens dans cette indication pose la question des faux

édiastin vers la gauche. Hypertrophie du poumon droit avec hernieédiastinale antérieure.

lacé dans le tronc de l’artère pulmonaire). L’examenontre une image lacunaire dans le tronc artériel pulmo-

aire et l’absence d’opacification de l’artère pulmonaireauche, évoquant une embolie pulmonaire massive (Fig. 2).’analyse parenchymateuse montre des bronchectasiesara-cicatricielles, une large excavation du culmen combléear du matériel déclive et une hémorragie alvéolaire lobairenférieure gauche (Fig. 3).

Devant la positivité de la sérologie aspergillaire et laégativité des BK directs, le diagnostic d’une aspergil-ose semi-invasive sur séquelles pulmonaires est retenu,xpliquant l’hémoptysie. Se pose alors le problème d’une

embolie » proximale du tronc artériel pulmonaire et dea place du traitement anticoagulant dans ce contexte’hémoptysie.

igure 2. Angioscanner thoracique initial, réalisé à la phase artérielle

ion sagittale oblique (b) lacune hypodense dans le tronc artériel pulmo

psi

A. Lacout et al.

Le contexte infectieux et la discordance radio-cliniquentre une « embolie pulmonaire » paraissant massive et’absence de retentissement clinique ont permis deemettre en question ce diagnostic et retenir celui de shuntystémo-pulmonaire rétrograde.

Afin de confirmer ce diagnostic et avant tout traite-ent, un scanner de contrôle a été réalisé 12 heures après

e premier, cette fois ci à la phase aortique (injection de0 mL d’iobitridol 300 mgI/mL (Xenetix, Guerbet - France)

un débit de 3,5 mL/s, déclenchement automatique de’acquisition après détection du bolus par une ROI placé sura crosse aortique).

Cet examen a permis d’éliminer définitivement le dia-nostic d’embolie devant la disparition de l’image lacunairertérielle pulmonaire (Fig. 4). On en déduit que sur le scan-er initial réalisé à la phase artérielle pulmonaire pure, laacune correspondait à un flux aortique non opacifié emprun-ant les artères systémiques et faisant irruption dans le troncrtériel pulmonaire.

Le diagnostic final est celui d’hémoptysies secondaires une aspergillose nécrosante sur séquelles de tuberculose.e poumon gauche est dit de type systémique, car vascula-isé exclusivement par les artères systémiques via un shuntystémo-pulmonaire rétrograde. Ce shunt est engendré par’hypervascularisation broncho-systémique secondaire à laestruction de l’unité fonctionnelle pulmonaire par le pro-essus infectieux et inflammatoire aspergillaire (Fig. 5).

iscussion

e scanner multi-détecteur est l’examen de référence poure diagnostic d’embolie pulmonaire [1]. La multiplication

pulmonaire (fenêtre médiastinale). Coupe axiale (a) et reconstruc-naire (flèche) évoquant une embolie pulmonaire.

ositifs d’embolie pulmonaire [2]. Chez les patients pré-entant une pathologie pulmonaire extensive infectieuse ounflammatoire, la vascularisation pulmonaire fonctionnelle

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Shunt systémo-pulmonaire rétrograde simulant une embolie pulmonaire 347

Figure 3. Angioscanner thoracique initial, réalisé à la phase artérielle pulmonaire (fenêtre pulmonaire). Coupe axiale (a) et reconstructionreconstruction coronale (b), cavité excavée du culmen, avec du matériel hétérogène déclive (flèche) en rapport avec une greffe aspergillaire.Verre dépoli lobaire inférieur gauche secondaire à l’hémoptysie.

Figure 4. Angioscanner thoracique de contrôle, réalisé à la phase aortique (fenêtre médiastinale). Coupe axiale (a) et reconstructionr un

êdaflecsptlcl

sagittale oblique (b) même plan de coupe que les Figs. 2a et b poupulmonaire.

à basse pression est progressivement détruite. Elle estautomatiquement supplantée par une circulation nourri-cière d’origine aortique à haute pression sous forme d’unenéovascularisation systémique d’origine bronchique et nonbronchique. En effet, le parenchyme pulmonaire patholo-gique recrute les artères bronchiques. Il recrute égalementles artères systémiques de la paroi thoracique dès qu’unesymphyse pleurale est créée. Il s’agit d’un facteur derisque majeur d’hémoptysie. Dans le même temps, lesanastomoses présentes à l’état normal entre les artèresbroncho-systémiques et pulmonaires s’hypertrophient, àtravers lesquelles le flux sanguin aortique (à haute pres-

sion, 120 mmHg en moyenne) fait irruption dans les artèrespulmonaires (à basse pression, 20 mmHg en moyenne). Cesanastomoses créent un shunt systémo-pulmonaire pouvant

np[

e parfaite comparaison : disparition de la lacune du tronc artériel

tre antérograde ou rétrograde selon le niveau d’obstructionu lit artériel pulmonaire (Fig. 6) [3,4]. À la phasertérielle pulmonaire d’un angioscanner, l’arrivée d’unot sanguin broncho-systémique d’origine aortique, nonncore opacifié, dans l’artère pulmonaire via le shunt,rée un phénomène de flux et peut prêter à confu-ion avec une embolie pulmonaire [5]. Pour éviter ceiège diagnostique pouvant conduire à une anticoagula-ion abusive notamment dans un contexte d’hémoptysie,’acquisition doit être réalisée à une phase d’équilibre vas-ulaire permettant une opacification homogène de touteses structures vasculaires médiastinales (artères pulmo-

aires, aorte et ses branches, cœur, coronaires etc.)ar exemple au cours d’un triple rule out angioscanner6].
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348 A. Lacout et al.

Figure 5. Angioscanner thoracique de contrôle réalisé à la phase aortique (fenêtre médiastinale). MIP axial (a) et MIP coronal (b),néovascularisation émanant des artères thoraciques latérales et médiales, et des artères intercostales débouchant directement dans letronc de l’artère pulmonaire (flèches). Le sang circule depuis ces artères (à haute pression) vers l’artère pulmonaire gauche (à bassepression) créant un shunt systémo-pulmonaire rétrograde.

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Shunt systémo-pulmonaire rétrograde simulant une embolie pulmonaire 349

Figure 6. Dualité vasculaire pulmonaire. a : vascularisation pulmonaire et artérielle bronchique normale. L’unité fonctionnelle pulmonairepeut correspondre à un segment ou à un lobe pulmonaire. Le sang pulmonaire non oxygéné (flèches bleues) arrive dans l’unité fonctionnellepulmonaire et ressort oxygéné (flèches rouges) par les veines pulmonaires vers l’atrium gauche. Les artères bronchiques cheminent lelong des axes bronchiques. À l’état normal, il existe deux types d’anastomoses artérielles bronchopulmonaires les unes proximales de VonHayeck et les autres distales pré-capillaires, situées au niveau du lobule pulmonaire. Enfin, il existe des anastomoses dites de Lefort faisantcommuniquer les réseaux capillaires veineux bronchique et pulmonaire ; b : exemple d’un obstacle sur l’artère pulmonaire, par exempleune embolie pulmonaire. Hypertrophie des artères bronchiques avec ouverture des shunts artériels bronchopulmonaires créant un shuntsystémo-pulmonaire antérograde ou à iso-courant vers l’unité fonctionnelle pulmonaire ; c : exemple de destruction du parenchyme et del’unité fonctionnelle pulmonaire. Hypertrophie des artères bronchiques avec ouverture des anastomoses artérielles bronchopulmonaires etapparition d’un shunt rétrograde ou à contre-courant allant jusqu’à une artère pulmonaire irrigant un territoire fonctionnel (flèche courbe)[4].

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Conclusion

L’hypervascularisation broncho-systémique consécutive àtout processus infectieux ou inflammatoire pulmonaireest susceptible d’engendrer un shunt systémo-pulmonaire,pouvant être une cause de faux diagnostic d’embolie pul-monaire. La connaissance de l’intrication des circulationsfonctionnelle et nourricière pulmonaires est indispensableà la compréhension de l’équilibre entre les deux systèmeset des anomalies observées.

Il est classique de dire qu’un angioscanner à la recherched’embolie pulmonaire est techniquement optimal lorsqueseules les artères pulmonaires et les cavités droites sontopacifiées. Cependant, cette phase artérielle pulmonaire

pure peut être source de pièges diagnostiques. Par consé-quent, l’angioscanner réalisé à la phase aortique nousparaît un excellent compromis permettant une analyse

[

ptimale de l’ensemble des structures vasculaires thora-iques.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

1] Vernhet H, Sénac JP. Quand, comment et pourquoi réaliser uneimagerie des artères pulmonaires ? J Radiol 2004;85(6):901—9,

http://dx.doi.org/10.1016/S0221-0363(04)97697-4 [Part 2].

2] Wiener RS, Schwartz LM, Woloshin S. Time trends in pulmonaryembolism in the United States: evidence of overdiagnosis. ArchIntern Med 2011;171:831—7.

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3] Do KH, Goo JM, Im JG, et al. Systemic arterial supply to the lungs

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A. Lacout et al.

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