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Santé 8 Mercredi 27 novembre 2013 s.gauthier@ lesnouvelles.fr www.lesnouvelles.fr 01.30.97.72.43 + La Journée mondiale annuelle de lutte contre le sida se tiendra le 1 er décembre Sida : 7 à 8 000 nouveaux cas chaque année Chaque année, en France, on dénombre 7 000 à 8 000 nouvelles contaminations par le VIH, estime le Conseil national du sida. 28 800 personnes ignoraient leur séropositivité en 2011. Dans les Yvelines, 117 nouveaux cas ont été déclarés en 2009, selon l’Institut de veille sanitaire. L A DOCTEURE ALIX Greder- Belan dirige le service de médecine interne et des maladies infectieuses et tro- picales de l’hôpital André-Mignot, au Chesnay, qui suit environ 560 séropo- sitifs par an. Combien de nouveaux mala- des recevez-vous chaque année ? «Nous voyons une quarantaine de nouveaux cas par an. C’est beaucoup. Il y a une recrudes- cence des contaminations chez les hommes ayant des rela- tions sexuelles avec des hommes. Certains sont très jeunes. Meurt-on encore du sida en France ? Les séropositifs ne meurent plus du sida, au prix d’un trai- tement à vie. Leur espérance de vie a presque rejoint celle de la popula- tion générale. Les cancers sont leur première cause de morta- lité. Ce sont les mêmes que pour les séronégatifs, mais ils se décla- rent plus tôt. Cela est dû à l’action inflammatoire du virus, qui entraîne aussi d’autres complications à long terme (ma- ladies cardio-vasculaires, troubles neurolo- giques, ostéoporose). C’est quelque chose que nous découvrons. Il faut traiter les gens le plus tôt pos- sible pour limiter cette inflammation. Or, il y a environ 30% de diag- nostics tardifs en France (NDLR : parfois au stade de sida déclaré). Nous en rece- vons régulièrement. Certains arrivent dans un état vraiment critique. Comment les traitements agissent-ils ? Les trithérapies empêchent la multiplication du virus, sans le tuer. Il est maintenu dans des “réservoirs”, les ganglions par exemple. Si on arrête le traitement, sa croissance re- prend dans les quinze jours qui suivent. En cas de prise de risque, un traitement postexposition peut bloquer le VIH. Il est donné aux urgences et doit être pris au plus tard quarante-huit heures après “l’accident d’ex- position sexuelle”. Où en est la recherche sur les vaccins ? Le vaccin préventif n’est pas au point car le virus est varia- ble d’une personne à l’autre. Un vaccin thérapeutique per- mettrait de stimuler l’immunité naturelle, qui se- rait alors capable de combattre seule le virus. Mais il ne fonc- tionne que dans un tiers des cas. On ne peut pas l’utiliser. La solution serait de dépister tout le monde pour pouvoir traiter tous les malades. Un traitement efficace réduit le risque de transmission du virus. Et là, nous pourrions éradiquer le VIH.» Propos recueillis par Emilie Lay Johary : «Le séropositif fait peur» «P OUR LA SO- CIÉTÉ, c’est la maladie de la honte.» Johary, 27 ans et séropositif depuis 2006, s’agace tout autant des réac- tions apitoyées, et raconte sa vie avec le VIH avec humour. Le jeune homme, qui travaille à l’associa- tion Aides de Versailles, prend un traitement au quoti- dien. «Il y a très peu d’effets secondaires avec les nouvelles trithérapies. Mais certains les suppor- tent mal et se retrouvent dans une merde pas possi- ble.» Suite à sa probable conta- mination, il repousse le dépistage pendant trois ans. Par terreur des anciens trai- tements. Plus lourds, ceux-ci généraient aussi des stigma- tes apparents : «J’avais vu témoigner des malades, qui avaient le visage émacié et un ventre énorme. C’était super trash. Je préférais mourir jeune, plutôt que de voir mon corps se dégrader et subir la douleur.» Il finit par se faire dépister, et le couperet tombe «le jeudi 30 avril 2009. Ce jour-là, il faisait super beau…» Johary est paradoxale- ment «soulagé» de pouvoir «passer à autre chose». Son compagnon de l’époque le quitte en apprenant sa séroposi- tivité. «Je me suis effondré dans les bras de ma mère, en lui di- sant que ma vie était foutue.» Heureuse- ment, ses parents le soutiennent : «J’avais la hantise de me re- trouver tout seul». Mais sans cesse, il faut recommencer à avouer sa séropositivité. A cha- que nouvelle relation sentimentale, quand le dire ? Comment le dire ? «Même dans la commu- nauté gay, le séropositif fait peur. On te traite de bombe humaine. Dès que je suis célibataire, la peur de la so- litude me reprend.» E. L. Johary, 27 ans, a découvert sa séropositivité en 2009. Alix Greder-Belan voit arriver quarante nouveaux cas de VIH par an. «Certains arrivent dans un état vraiment critique» «I L FAUT ARRÊTER DE croire que les gens se dé- placent pour se faire dépister. C’est au dépistage de venir vers les gens.» Jé- rôme André, président de l’association HF prévention à Trappes, s’exaspère des lacu- nes du système actuel. «Les centres de dépistage ano- nyme et gratuit (CDAG) sont trop éloignés pour les jeu- nes. Il en faut des mobiles.» HF prévention est une spécia- liste de “l’aller vers”. L’association réalise des tests rapides d’orientation diagnos- tic (Trod) sur les lieux de consommation sexuelle mais aussi dans les universités, les centres commerciaux et cer- tains cœurs de cité. Le principe : prélever quelques gouttes de sang au bout du doigt avec un résultat donné en 30 minutes. S’il est positif, il doit être confirmé par un test de dépistage classique. Dans le même esprit, des auto- tests de dépistage devraient arriver sur le marché français en mars 2014. Les personnes pourront se tester elles-mê- mes. Ces tests devraient être distribués aux associations et dans les pharmacies. Au-delà des défauts du dépis- tage, «il y a un grave relâchement de la préven- tion». Celle-ci est d’abord dirigée vers les plus exposés (gays et migrants). «Le VIH concerne aussi les hétéro- sexuels et on ne leur dit pas ! Dans les collèges, les gamins nous disent : “On s’en fout du sida, c’est un truc de p…”» Et «la maladie fait moins peur. Donc la prévention, ce n’est “pas vendeur”.» La po- litique actuelle «génère environ 6 000 nouveaux diagnostics de VIH par an. Si elle s’arrête, on se prépare à un séisme !» E. L. Jérôme André avec un autotest de dépistage du VIH. «Un relâchement de la prévention»

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Santé8Mercredi 27 novembre [email protected]✆ 01.30.97.72.43 +

La Journée mondiale annuelle de lutte contre le sida se tiendra le 1er décembre

Sida : 7 à 8 000 nouveaux cas chaque annéeChaque année, en France, on dénombre 7 000 à 8 000 nouvelles contaminations par le VIH, estime le Conseil national du sida.28 800 personnes ignoraient leur séropositivité en 2011. Dans les Yvelines, 117 nouveaux cas ont été déclarés en 2009, selon l’Institut de veille sanitaire.

LA DOCTEURE ALIX Greder-Belan dirige le service demédecine interne et des

maladies infectieuses et tro-picales de l’hôpitalAndré-Mignot, au Chesnay,qui suit environ 560 séropo-sitifs par an.

Combien de nouveaux mala-des recevez-vous chaqueannée ?«Nous voyons une quarantainede nouveaux cas par an. C’estbeaucoup. Il y a une recrudes-cence des contaminations chezles hommes ayant des rela-tions sexuelles avec deshommes. Certains sont trèsjeunes.

Meurt-on encore du sida enFrance ?Les séropositifs ne meurentplus du sida, au prix d’un trai-

tement à vie. Leurespérance de viea presque rejointcelle de la popula-tion générale. Les cancers sontleur premièrecause de morta-lité. Ce sont lesmêmes que pourles séronégatifs,mais ils se décla-rent plus tôt. Celaest dû à l’actioninflammatoire duvirus, qui entraîneaussi d’autrescomplications àlong terme (ma-ladiescardio-vasculaires,troubles neurolo-giques,ostéoporose). C’estquelque chose

que nous découvrons. Il fauttraiter les gens le plus tôt pos-sible pour limiter cetteinflammation.Or, il y a environ 30% de diag-nostics tardifs en France(NDLR : parfois au stade desida déclaré). Nous en rece-vons régulièrement. Certainsarrivent dans un état vraimentcritique.

Comment les traitementsagissent-ils ?Les trithérapies empêchent lamultiplication du virus, sansle tuer. Il est maintenu dansdes “réservoirs”, les ganglionspar exemple. Si on arrête letraitement, sa croissance re-prend dans les quinze jours quisuivent.En cas de prise de risque, untraitement postexposition peutbloquer le VIH. Il est donné

aux urgences et doit être prisau plus tard quarante-huitheures après “l’accident d’ex-position sexuelle”.

Où en est la recherche sur lesvaccins ?Le vaccin préventif n’est pasau point car le virus est varia-ble d’une personne à l’autre.Un vaccin thérapeutique per-mettrait de stimulerl’immunité naturelle, qui se-rait alors capable de combattreseule le virus. Mais il ne fonc-tionne que dans un tiers descas. On ne peut pas l’utiliser.La solution serait de dépistertout le monde pour pouvoirtraiter tous les malades. Untraitement efficace réduit lerisque de transmission du virus.Et là, nous pourrions éradiquerle VIH.» Propos recueillis

par Emilie Lay

■ Johary : «Le séropositif fait peur»

«POUR LA SO-CIÉTÉ, c’estla maladie

de la honte.» Johary,27 ans et séropositifdepuis 2006, s’agacetout autant des réac-tions apitoyées, etraconte sa vie avec leVIH avec humour. Lejeune homme, quitravaille à l’associa-tion Aides deVersailles, prend untraitement au quoti-dien. «Il y a très peud’effets secondairesavec les nouvellestrithérapies. Maiscertains les suppor-tent mal et se retrouventdans une merde pas possi-ble.»Suite à sa probable conta-mination, il repousse ledépistage pendant trois ans.Par terreur des anciens trai-tements. Plus lourds, ceux-cigénéraient aussi des stigma-tes apparents : «J’avais vu

témoigner des malades, quiavaient le visage émacié etun ventre énorme. C’étaitsuper trash. Je préféraismourir jeune, plutôt que devoir mon corps se dégraderet subir la douleur.»Il finit par se faire dépister, etle couperet tombe «le jeudi30 avril 2009. Ce jour-là,

il faisait super beau…»Johary est paradoxale-ment «soulagé» depouvoir «passer à autrechose».Son compagnon del’époque le quitte enapprenant sa séroposi-tivité. «Je me suiseffondré dans les brasde ma mère, en lui di-sant que ma vie étaitfoutue.» Heureuse-ment, ses parents lesoutiennent : «J’avaisla hantise de me re-trouver tout seul».Mais sans cesse, il fautrecommencer à avouersa séropositivité. A cha-

que nouvelle relationsentimentale, quand ledire ? Comment le dire ?«Même dans la commu-nauté gay, le séropositif faitpeur. On te traite de bombehumaine. Dès que je suiscélibataire, la peur de la so-litude me reprend.»

E. L.

� Johary, 27 ans, a découvert sa séropositivité en 2009.

�Alix Greder-Belan voit arriver quarante nouveaux cas de VIH par an.

«Certains arrivent dans un état vraiment critique»

«IL FAUT ARRÊTER DE croireque les gens se dé-placent pour se faire

dépister. C’est au dépistagede venir vers les gens.» Jé-rôme André, président del’association HF prévention àTrappes, s’exaspère des lacu-nes du système actuel. «Lescentres de dépistage ano-nyme et gratuit (CDAG) sonttrop éloignés pour les jeu-nes. Il en faut des mobiles.»HF prévention est une spécia-liste de “l’aller vers”.L’association réalise des testsrapides d’orientation diagnos-tic (Trod) sur les lieux deconsommation sexuelle maisaussi dans les universités, lescentres commerciaux et cer-tains cœurs de cité. Leprincipe : prélever quelquesgouttes de sang au bout dudoigt avec un résultat donnéen 30 minutes. S’il est positif,il doit être confirmé par untest de dépistage classique.Dans le même esprit, des auto-tests de dépistage devraient

arriver sur le marché françaisen mars 2014. Les personnespourront se tester elles-mê-mes. Ces tests devraient êtredistribués aux associations etdans les pharmacies. Au-delà des défauts du dépis-tage, «il y a un graverelâchement de la préven-tion». Celle-ci est d’aborddirigée vers les plus exposés(gays et migrants). «Le VIHconcerne aussi les hétéro-

sexuels et on ne leur dit pas !Dans les collèges, les gaminsnous disent : “On s’en foutdu sida, c’est un truc de p…”»Et «la maladie fait moinspeur. Donc la prévention, cen’est “pas vendeur”.» La po-litique actuelle «génèreenviron 6 000 nouveauxdiagnostics de VIH par an. Sielle s’arrête, on se prépare àun séisme !»

E. L.

�Jérôme André avec un autotest de dépistage du VIH.

«Un relâchementde la prévention»