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Silber - Mauss, Veyne, Sociología Histórica Comparada

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Silber - Mauss, Veyne, Sociología Histórica Comparada

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    Article

    Ilana Friedrich SilberSociologie et socits, vol. 36, n 2, 2004, p. 189-205.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/011055ar

    DOI: 10.7202/011055ar

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    Entre Marcel Mauss et Paul Veyne: pour une sociologie historique compare du don

  • 1. introduction

    L essai sur le don (esld) de Marcel Mauss compte parmi les quelques grands classiques dont la lecture continue susciter un riche corpus de recherche etdinterprtation au travers des sciences humaines et sociales2. Je me propose de mettre

    laccent sur un aspect de l Essai qui ne me semble pas avoir reu, malgr les mul-

    tiples analyses et interprtations dont il a fait lobject, toute lattention quil mrite : sa

    contribution la sociologie historique et comparative des socits et des civilisations3.

    ilana friedrich silberDpartement de sociologie et anthropologieUniversit de Bar-IlanRamat Gan 52900, IsralCourriel : [email protected]

    189

    Entre Marcel Mauss et Paul Veyne1Pour une sociologie historique compare du don

    1. Mes remerciements Marcel Fournier, ainsi qu deux lecteurs anonymes, pour leurs commentairesintressants et constructifs, qui auront contribu la version finale de cet article.

    2. Ldition de lesld utilise ici est celle apparue dans Marcel Mauss, Sociologie et Anthropologie, Paris,Presses Universitaires de France ([1950] 1973), p. 145-179.

    3. Si jen suis arrive mintresser l Essai, cela a t tout dabord afin denrichir une sociologie his-torique compare de style wbrien, au sein de laquelle les phnomnes de don savraient avoir t jus-quici fortement ngligs. Jai trait de ce problme de faon extensive, et du point de vue de limportance dudon pour la sociologie des religions en particulier, dans Silber (1995a ; b). Litinraire que je me propose desuivre ici, au contraire, ira en sens inverse, traitant de lintrt quil y aurait appliquer la mthode de socio-logie historique compare la recherche sur le don.

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  • Les rflexions que Mauss mne dans ce clbre Essai touchent en effet non seu-

    lement aux socits dites primitives mais encore, bien que plus succinctement, au don

    dans les systmes de droit de civilisations anciennes (tels que le droit romain, hindou, ger-

    manique, celte et chinois) et sattachent finalement, dans le chapitre de conclusion, au

    don dans la socit moderne. Bien quil puisse sembler manquer de rigueur au regard des

    normes actuelles de ce style danalyse, lEssai possdait donc nanmoins une dimen-

    sion de sociologie historique compare importante. Si cet aspect de lEssai na pour-

    tant jamais t repris par les chercheurs, cest peut-tre simplement d au fait que le

    comparatisme nest actuellement gure de mise parmi les anthropologues. Et quant

    ceux parmi les sociologues qui sont demeurs plus sensibles ce style dapproche, ils

    nont prt que peu dattention au don, et continuent prfrer de grands thmes din-

    trt macrosociologique plus saillanttels que le capitalisme, ltat, la dmocratie, les

    rvolutions politiques, les phnomnes de nationalisme ou de fondamentalisme.

    Lobjet de cet article sera de montrer quen ce domaine comme en tant dautres,

    lapproche historique compare peut offrir une contribution importante, et mrite dtre

    poursuivie au del des efforts pionniers que Mauss y avait brillamment investis. Une

    telle approche, de plus, est en passe dacqurir un intrt tout particulier quant une

    question qui semble maintenant proccuper de plus en plus les spcialistes : celle de

    ltonnante et riche diversit des formes et des expressions du don, et de la remise en

    question que cette diversit implique quant lexistence de toute essence ou unit de

    base qui puisse leur tre commune (p. ex. : Caill, 1996 ; Monaghan, 1996, p. 499-500).

    Bien que cette question ne soit pas indpendante des dbats qui ont depuis long-

    temps marqu la rflexion dans ce domainetels que ceux concernant le dosage pr-

    cis dintrt ou de dsintressement, dutilitarisme ou danti-utilitarisme, de rciprocit

    ou de non-rciprocit attach au donelle marque un glissement certain des centres

    dintrt. Et cest prcisment en ce point critique que la rintroduction de la pers-

    pective historique compare me semble pouvoir tre dune porte distincte.

    Le dilemme auquel nous faisons face actuellement est le suivant: doit-on continuer

    rechercher le noyau essentiel du don tel que lapprhendait Mauss, cest--dire en

    tant que vritable fondation des socits humaines et roc universel sur lequel

    sont bties les civilisations? Ou bien devrait-on plutt renoncer lide dune thorie

    uniforme du don et, ce faisant, peut-tre dcider duvrer un travail ncessaire de dif-

    frenciation typologique; ou doit-on encore dconstruire lide mme du don, comme

    beaucoup sattachent prsent dconstruire nombre de concepts-clefstels que le

    concept de march, en particulier, qui lui est profondment reli et formant jus-

    quici la matire normale de toute analyse sociale? Notre tche, telle que je la perois,

    est de commencer rechercher les outils conceptuels qui pourraient nous aider abor-

    der le don sous langle dune perspective dhistoire compare, et viter, ce faisant, de

    le dfinir de faon trop universelle et essentialisante dun ct, ou de lui dnier toute

    nature distincte en tant que phnomne sociologique sui generis, de lautre.

    Mon propos consistera dabord rvaluer brivement la position de Mauss, et

    la confronter ensuite celle, importante, et pourtant gnralement mconnue dans ce

    190 sociologie et socits vol. xxxvi.2

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 190

  • domaine, que Paul Veyne a dveloppe dans son importante tude du don verg-

    tique dans lAntiquit grco-romaine, intitule Le pain et le cirque.4 Constituant ma

    connaissance lun des trs rares cas sessayant la rencontre explicite des traditions

    maussienne et wbrienne, Le pain et le cirque revt une importance particulire dans

    la mesure o il prsente une antithse radicale et un correctif efficace un trait majeur

    de l Essai : sa tendance se concentrer de faon exclusive sur les caractristiques

    fondamentalement semblables et universelles de la notion de don au travers de priodes

    historiques et de civilisations diverses.

    Comme nous le verrons, cependant, Veyne nous entrane parfois trop loin des

    concepts de Mauss, sans nous rapprocher suffisamment de ceux de Max Weber. Ceci

    mamnera finalement suggrer en quoi une stratgie dhistoire compare plus plei-

    nement wbrienne pourrait peut-tre fournir une approche plus adquate aux questions

    que Veyne me semble avoir t le premier soumettre une rflexion systmatique.

    2. la position de marcel mauss

    Largument de fond de Mauss, dans lEssai, consiste laborer lide que le don est

    une forme ncessaire de lchange, cest dire de la division du travail social elle-mme

    et une forme permanente de morale contractuelle, lun des rocs humains sur lesquels

    sont bties nos socits (esld, p. 148). En dautres termes, laccent est mis sur le don

    comme phnomne universel, faisant preuve dune impressionnante continuit de dve-

    loppement et conservant une mme nature fondamentale au travers des priodes his-

    toriques et des cultures diverses. Mme quand Mauss relve des diffrences, ou fait

    allusion lexistence de diverses formes ou de diffrents types de don, ceci ne vient pas

    rompre leffet de nivellement et dhomognit de son argument. Bien que lEssai

    soit clbr pour avoir, juste titre, dfendu une conception historisante de la notion

    dconomie de march, insistant sur sa formation historique rcente, il contient aussi une

    conception surtout a- ou trans-historique du don. Le don peut ainsi varier dans ses

    dtails et ses expressions spcifiques, ou mme dans son degr dimportance, mais il

    nest pas cens varier pour ce qui a trait son caractre ou principe fondamental.

    Form, comme il ltait, des disciplines telles que lhistoire des religions, leth-

    nologie et la philologie, Mauss tait loin dtre indiffrent la diversit historique et cul-

    turelle, et comme la bien reconnu Camille Tarot en particulier, y tait certainement plus

    sensible qumile Durkheim (Tarot 1996, p. 76-77 ; 1999, p. 103-131)5.

    191Entre Marcel Mauss et Paul Veyne

    4. Parmi les raisons qui puissent expliquer cette mconnaissance du travail de Veyne, malgr son hautprestige intellectuel, se trouvent tout dabord et simplement la difficult et la complexit de son texte, richenon seulement en arguments thoriques et subtils, mais aussi en nombreuses digressions, rptitions etcontradictions ; et le fait quil nait t publi en traduction anglaise, et en format abrg, quen 1990.

    5. Cest prcisment aussi cette sensibilit historique, ou plus exactement, comme la bien peru NickAllen (1985, p. 27), historique-mondiale, qui nourrit chez Mauss non une simple forme dvolutionisme,mais plutt une propensit habituelle jauger cultures ou phnomnes sociaux particuliers dans le cadre delhistoire de lhumanit tout entire, mettant laccent cependant sur un Durkheim plus historique quhabi-tuellement admis, voir Emirbeyer (1995).

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  • Il nest donc pas si surprenant que malgr sa tendance fortement homognisante,

    lEssai nous fournisse quelques indices, si limits soient-ils, de lexistence dun champ

    diversifi des mcanismes du don mme dans le contexte de socits relativement simples

    et archaques. Par exemple, et comme il la dj t bien soulign par dautres, Mauss fait

    allusion une distinction entre les formes de prestations agonistes et non agonistes, ne

    disant traiter dans lEssai que des formes agonistes (comme le potlatch), et laissant de

    ct ce quil appelle, sans jamais vraiment les dfinir, les prestations totales de type

    non agonistes. Une autre distinction importante, suggre par lEssai mais y restant

    tout aussi peu dveloppe, est celle qui spare les processus de don ayant trait au trans-

    fert dobjets prcieux, investis de signification magique ou religieuse spciale (tels que les

    talismans, les blasons cuivrs, les couvertures de peau), de ceux nayant trait qu des

    objets ordinaires sans signification particulire (esld, p. 214-227 esp.). Intimement

    lie, et cependant encore moins labore, est la distinction entre objets auxquels on per-

    met de circuler (par don ou par commerce) et ceux auxquels on ne le permet pas. Ces dis-

    tinctions deviendront tout fait centrales dans les travaux dAnnette Weiner et Maurice

    Godelier en particulier, o elles seront investies de consquences empiriques et concep-

    tuelles majeures (Weiner, 1985, 1992 ; Godelier, 1996).

    Dans la mme perspective, il convient de prter attention la section distincte que

    Mauss consacre au don religieux (esld, p. 164-171). trangement brve et insatisfaisante

    pour un savant fru dhistoire des religions et ayant dj crit, avec Henri Hubert, une

    tude sur le sacrifice en 18986, cette partie de lEssai nen est pas moins significative pour

    notre thme. Elle fait montre dune tension sous-jacente entre la tendance quaffirme

    Mauss traiter du don religieux comme dune sorte de catgorie part, et sa tendance

    contraire, et finalement dominante, lintgrer dans le flot de son argument de base.

    Ce quil appelle des dons aux hommes en vue des dieux ou de la nature est introduit

    dabord et de faon quelque peu trange comme un quatrime thme (la suggestion

    dune quatrime obligation, faisant suite la fameuse srie des trois obligationsdon-

    ner, recevoir, rendre?) sur lequel Mauss ne reviendra jamais ensuite dans le reste de

    lEssai7. Mais son attention, dans les pages qui en traitent, se porte encore une fois

    principalement sur la ressemblance et mme linterpntration entre ce type de dons et

    les autres, plutt que sur leurs proprits distinctes. la base de cette ressemblance, si lon

    en croit Mauss, se trouve le fait que les hommes on d dabord avoir ngocier avec

    lesprit des morts et avec les dieux, puisque ce sont eux, aprs tout, qui sont supposs tre

    les propritaires authentiques de toute possession humaine. Il souligne ainsi les affinits

    existant entre la destruction de richesse qui sopre dans le cadre dinstitutions du don

    de type potlatch et la destruction produite par le sacrifice, et met laccent sur la ressem-

    blance dans lintention des dons aux hommes et des dons aux dieux, ayant pour but

    192 sociologie et socits vol. xxxvi.2

    6. Mauss est le premier en reconnatre linsuffisance : Nous navons pas fait ltude gnerale quilfaudrait pour en faire ressortir limportance... Nous nous bornons donc quelques indications (esld, p. 164).

    7. Mauss prsente ceci comme un thme qui joue un rle dans cette conomie et cette morale desprsents, renforant donc le sens dune relation oprative aux trois autres obligations. Godelier addresse cethme en effet en tant que la quatrime obligation (Godelier 1996, p. 44).

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  • dobtenir la paix avec les uns comme avec les autres, et semblablement fonds sur un

    mme principe de do ut des (donnant-donnant). Le sacrifice contractuel, en somme,

    prsuppose les institutions de don en mme temps quil en est lexpression la plus haute,

    et la diffrence entre don et sacrifice nest conue que comme une diffrence de degr8.

    De plus, bien des crmonies sont prsentes comme polyvalentes, occasionnant tout

    la fois la circulation de dons articulant les relations entre hommes et entre hommes et

    dieux. Ce qui renforce donc limage dune interpntration et mme dune imbrication

    mutuelle profonde entre ces deux formes de processus du don.

    Les quelques remarques que Mauss fait ensuite apparatre sur laumne religieuse,

    quil peroit de formation historique plus tardive, attestent de la mme ambigut : bien

    quil souligne encore la continuit avec les modes archaques de don, il fait aussi brive-

    ment allusion toute une srie de discontinuits et de transformations historiques, quil

    finit cependant par rapidement et compltement ignorer. Laumne est ainsi prsente

    comme le fruit dune notion morale du don et du destin dun ct, et de la notion de

    sacrifice de lautre. Le don sest dabord transform en principe de justice, en obligeant

    les riches se dpouiller dune partie de leur richesse pour compenser lingalit de for-

    tune et de destine entre les hommes; et en obtenant la permission des dieux de donner

    aux pauvres ce qui leur tait auparavant donn eux-mmes sous forme de sacrifice. Plus

    tard encore, avec lexpansion de la chrtient et de lislam, une autre transformation

    survient, celle du don comme principe de justice en don comme aumneque Mauss,

    cependant, ne sattarde ni dfinir ni expliquer.

    Non seulement ces importants dveloppements dans le contexte de ce que Mauss

    appelle les idaux moraux , ne sont gure labors (prvenant donc toute confron-

    tation et contradiction possible avec sa conception de base), mais ils noffrent de plus

    quune image extrmement simpliste et parcellaire de la notion de don dans lespace

    religieux, qui se limite de plus ce que Mauss appelle les religions smites (judasme,

    chrtient, islam)9.

    De fait, les chapitres suivants de l Essai qui traitent des systmes de droit romain,

    hindou, germain, celte ou chinois najoutent aucune perspective particulire. Comme

    lont bien montr Trautmann (1986) et Parry (1986), Mauss a mme nglig, ou (invo-

    lontairement?) occult, un aspect de lidologie brahmanique du donson interdic-

    tion de la rciprocitdont il avait tout fait conscience10 mais qui ne pouvait que

    contredire son insistance sur lobligation de rendre, comme constituant lun des principes

    universels du fonctionnement de la notion de don au travers des priodes historiques et

    des civilisations.

    Il est significatif pour nous, en somme, que Mauss ne sefforce pas du tout de

    reproduire dans l Essai la stratgie conceptuelle quil avait dveloppe avec Henri

    Hubert dans son tude sur le sacrifice, pousse par une attention bien plus grande au

    193Entre Marcel Mauss et Paul Veyne

    8. Refusant au contraire une simple homologie entre don et sacrifice, voir Godelier (1996, p. 46).9. Pour une approche diffrencie du rpertoire du don dans les grandes religions de salut, voir

    Silber (2000).10. Comme en atteste sa remarque ironique, esld, p. 249.

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  • problme de la relation entre diversit concrte et principes constituants unifiants.

    Justement dfinie par Evans-Pritchard (dans son introduction la traduction anglaise

    de l Essai en 1968), comme recherchant une sorte de grammaire du sacrifice,

    dont les lments peuvent apparatre sous forme de combinaisons et de mlanges dif-

    frents, ltude labore par Mauss et Hubert essayait dexposer lunit du sacrifice

    laide dune conception suffisamment souple et abstraite pour pouvoir rendre compte

    de la diversit des formes, des ides et des pratiques qui le sous-tendent.

    Dans l Essai sur le don , linverse, Mauss vise surtout articuler le principe

    unifiant (celui des trois obligations, donner-recevoir-rendre) et ne sattache nullement

    au problme de la diversit. Il ne tente jamais de montrer si ce principe unifiant, quil

    sagisse de grammaire ou pas, serait en mesure de fournir, ni comment il le ferait, les

    ingrdients ou composantes qui aideraient ventuellement interprter les expres-

    sions multiples et diversifies du don dans des contextes culturels diffrents.

    Un accent identique portant sur les ressemblances et les continuits plutt que

    sur les diversits continue marquer les chapitres de conclusion ayant trait au don

    dans les socits modernes. Mauss y prend un ton prescriptif plutt que descriptif,

    encourageant ses contemporains revenir aux coutumes de gnrosit et de rcipro-

    cit anciennes, et au plaisir et lesthtique des formes de dpense noble .

    Concrtement, le genre de pratiques quil envisage et quil voit dj natre de son temps

    semble inclure des formes et des potentialits diversifies : systmes de partage finan-

    cier mutuel dans le cadre de syndicats ou dassociations professionnelles ; systmes

    centraliss de redistribution de la richesse et de la scurit sociale travers ltat ; toute

    sorte de modes de contribution au bien public de type semi-volontaires, semi-obliga-

    toires comme ils sen trouvaient dans certaines civilisations anciennes; et ce quil appelle

    le mode anglo-saxon, en insistant sur les obligations et le rle particulier des riches,

    entendus comme trsoriers de la richesse de leurs concitoyens.

    Ces diffrentes pratiques de don modernes ne sont en tout cas mentionnes

    par Mauss que comme autant dexpressions de processus fondamentalement iden-

    tiques de don. Il nopre aucune distinction, ni ne questionne la relation ou les tensions

    pouvant exister entre eux, et en outre, ne tente pas mme de relever des diffrences

    quant leur mode dopration avec celui du don dans le cadre des civilisations

    archaques ou anciennes11.

    En conclusion, et malgr la relle et prcieuse dimension danalyse historique et

    compare quelle comporte et quelle a t la premire enclencher, luvre de Mauss

    194 sociologie et socits vol. xxxvi.2

    11. Cette conclusion, il est vrai, peut tre lue comme reclant une perception sensiblement diffrente.Comme la remarqu Jonathan Parry, il demeure une certaine ambiguit dans la conception de Mauss du donmoderne, du fait de la prsence dans l Essai de deux arguments contradictoires : lun soutenant la conti-nuit de fond entre le don en contexte prmoderne et moderne, lautre voyant le contrat moderne (plutt quele don) comme lquivalent contemporain de lchange de dons archaque. Mais mme si lon accepte cesconclusions, le fait est que Mauss ne sexplique pas du tout sur ce point dans l Essai, et nclaircit pas larelation quil peroit entre les formes modernes du don et le contrat moderne. En somme, la discussion dudon moderne par M. Mauss napporte rien de spcifique linterprtation du don moderne en gnral, oude la diversit de ses formes possibles dexpression en particulier.

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  • demeure axe sur les affinits et continuits essentielles sous-tendant les expressions

    diverses du don au del des priodes et des civilisations. Mme lorsquil fait allusion

    des types divers de don, cest pour les prsenter finalement comme drivant de thmes

    et de principes fondamentalement similaires et coexistant, voire simbriquant les uns

    dans les autres de manire harmonieuse, sans que nul indice de tensions ou de contra-

    dictions ne soit relevable entre eux. Somme toute assez logiquement, Mauss ne sin-

    terroge donc plus aucunement sur les conditions pouvant favoriser ou freiner le

    dveloppement du don en gnral, et de ses formes et pratiques diverses en particulier,

    dans des contextes historiques et culturels diffrents12.

    3. paul veyne : le don au pluriel?

    Il y aurait grand intrt complter lapproche maussienne qui vient dtre dcrite par

    certaines ides et stratgies de recherche ancres dans la tradition wbrienne de la

    sociologie comparative historique, pourtant couramment perue comme reprsentant

    une tendance trs diffrente, voire mme oppose dans le cadre des sciences sociales13.

    Le bnfice que lon peut retirer dun tel dialogue me semble avoir dj t fortement

    pressenti, il y a de cela presque vingt ans, par Veyne, dans son livre Le Pain et le Cirque

    (lplc), traitant dune forme bien particulire de dons dans lespace du monde grco-

    romainles dons faits par des individus, et par des citoyens des plus riches et haut pla-

    cs en particulier, la collectivit. Regroupant ces dons sous la catgorie

    d vergtisme , et notant bien quil sagit l dun nologisme dj appliqu par

    dautres specialistes avant lui (lplc, p. 9, 21-22), Veyne se donne pour but danalyser la

    bonne volont de nombre de notables ou de personnalits officielles, et ce allant jusqu

    lEmpereur de Rome en personne, faire du bien la cit, en contribuant par leur

    propre richesse personnelle au financement de toute une srie dentreprises vises

    collectives : construction de btiments dintrt public (bains, temples, amphithtres),

    banquets et festivits, campagnes militaires, institutions denseignement, jeux athl-

    tiques, combats de gladiateurs, etc.

    Ds le dbut, Veyne prsente sa recherche sur ces formes de dons comme tant

    autant un travail dhistoire sociologique que de sociologie historique, et il affirme

    195Entre Marcel Mauss et Paul Veyne

    12. lexception cependant dune brve remarque sur le principe de lchange-don correspondant dessocits qui ont dpass la phase de la prestation totale et qui cependant ne sont pas encore parvenues aucontrat individuel pur, et une conomie de march, vente et monnaie (esld, p. 227), et dune note traitant,mais plutt refusant, lide dun lien fort entre potlatch et stratification sociale (esld, p. 269).

    13. Il y aurait cependant beaucoup dire sur bien des points de convergence et daffinit entre Mausset Weber, obscurcis jusque-l par laccent sur les points de contraste entre les coles durkheimienne et wbe-rienne, ainsi que par la tendance ignorer les diffrences entre Mauss et Durkheim, mme si maintenant bienredresse par les travaux de Marcel Fournier (1994), Bruno Karsenti (1997) et Camille Tarot (1999). Mauss,je note, nest gure trait mme dans limportant recueil darticles se proposant de rconcilier Durkheim etWeber, Durkheim, Weber: Vers la fin des malentendus, rassembls par Monique Hirschhorn et Jacques Coenen-Huther (1994). Pour quelques prcieuses indications, cependant, voir Tarot (1996).

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  • quil a t profondment influenc par Weber (Veyne, 1976, p. 11-13)14. Il ne se rfre, par

    contre, que trs peu Mauss, et seulement pour exprimer sa divergence : comme par

    exemple lorsquil critique ce quil considre comme le dsir utopique et mal fond de

    Mauss de voir le mcnat renatre dans la socit moderne (p. 27) ; ou lorsquil refuse

    de voir lvergtisme comme lquivalent des potlatchs primitifs abords par Mauss

    dans son Essai (p. 47).

    De fait, Veyne demeure cependant pour beaucoup dans la ligne de Mauss, dont

    les ides sur le don semblent fonctionner dans son uvre comme une sorte de rfrence

    de base si videmment connue de tous quelle nexige gure dexplication. Ceci est par-

    ticulirement vident quand il dsigne lvergtisme comme un fait social total

    (p. 22), ou bien lorsquil souligne de faon rcurrente le mlange de spontanit et

    dobligation, dintrt et de dsintressement, que lvergtisme comporteaccdant

    donc deux des principes les plus essentiels de la perception maussienne du don mme

    sil ne le mentionne pas explicitement.

    Mais l o Veyne nous importe le plus cest prcisment lorsquecontrairement

    Maussil insiste avec acharnement sur les diffrences, les distinctions et les discon-

    tinuits entre lvergtisme et autres types de don ou phnomnes relis, et entre lver-

    gtisme en contextes historiques diffrents. Loin dtre le fruit du hasard, cette grande

    attention que Veyne porte aux diffrences est ancre dans sa conception fondamen-

    tale du travail historique comme tant un inventaire de diffrences15 , jouant de la

    sorte le rle critique de bloquer la voie aux fausses continuits historiques ; vision de

    lhistoire peut-tre sous linfluence de Weber mais aussi et plus encore de Foucault16.

    Ainsi, Veyne nous incite voir dans lvergtisme un phnomne distinct et mme his-

    toriquement unique, et sattache le distinguer clairement de toute une srie de ph-

    nomnes avec lesquels il risquerait par erreur dtre confondu (et qui eux-mme,

    demandent tre soigneusement distingus les uns des autres), tels que le potlatch, les

    liturgies, les impts, le bakhshish, les dons de clientlisme, les donations pieuses aux ins-

    titutions religieuses, la charit juive ou chrtienne, et toutes les formes de redistribution

    des biens, dpense et consommation ostentatoire, ou gaspillage effrn17. Dissmines

    196 sociologie et socits vol. xxxvi.2

    14. Veyne milite, de plus, contre une distinction stricte et pdante de ces deux domaines. Lapport deWeber semble rester ici plus mthodologique (par exemple quant aux questions de types-idaux) que sub-stantif, bien que Veyne semble, par ailleurs, attribuer lapproche wbrienne, un rle substantif utopiquede cadre ultime dinterprtation historique universelle (Comment on crit lhistoire, p. 69).

    15. Tel est le titre dun livre, Linventaire des diffrences, Paris, Seuil, 1976, que Veyne publia la mmeanne que Le pain et le cirque.

    16. Veyne crira plus tard que sil avait entendu plus tt et mieux le langage des snateurs ou empereursromains, il aurait crit autrement son gros livre sur le pain et le cirque (Foucault rvolutionne lhistoiredans Comment on crit lHistoire, Paris, Seuil, 1978, p. 303). Bien quil nexplique pas en quoi son analyseaurait diffr, il me semble que les modifications nauraient port que sur certains points ayant trait lin-terprtation de la relation symbolique entre vergtes et peuple ou public bnficiaires du don, mais nauraitgure affect le gros de son approche du don telle quelle est prsente ici, et telle quelle nen reste pas moinslourdement affecte par linfluence mthodologique et thorique de Foucault.

    17. En allusion Bataille, le don dvergetisme ou de mcnat est aussi distingu de la part maudite(Veyne, 1976, p. 111-112).

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 196

  • dans son texte se trouvent aussi de nombreuses distinctions entre lvergtisme et ce

    quil appelle le mcnat moderne, laumne inspire par lascse, et la philan-

    thropie altruiste, ou bien encore entre le don de temps et le don dargent. De plus, ces

    diffrences ne sont ni minimes ni marginales : marquant une distinction entre lver-

    gtisme et les bonnes uvres charitables, il se rfre par exemple ple-mle des dif-

    frences didologie, de bnficiaires et dagents, de motivations et de comportement

    (p. 44). On se demande donc bien ce qui pourrait leur rester en commun.

    Il en va galement ainsi dans lordre mme des phnomnes quil accepte de

    regrouper sous la catgorie dvergtisme18. En effet, Veyne distingue entre deux types

    de base : lvergtisme libre et spontan et lvergtisme ab honorem, cest--dire dri-

    vant des obligations associes lacceptation et la dcharge de certaines fonctions

    officielles. Il spare les dons effectus par les notables dans le cadre de la cit grecque de

    ceux effectus par les oligarques et les snateurs Rome, et de ceux concds par

    lEmpereur romainleur consacrant des sections particulires et insistant rgulire-

    ment sur le fait que chacun deux forme une catgorie en soi qui ne devient compr-

    hensible que lorsquelle est remise dans son contexte historique bien prcis.

    Complexifiant encore plus limage du don, Veyne se refuse instituer les motiva-

    tions individuelles comme tant au principe dorganisation applicable cette diver-

    sit crasante. Selon lui, la ralit est trop riche et diversifie pour quun seul type de

    relation entre motivations et actions puisse avoir de lemprise : les mmes pratiques

    peuvent correspondre dans des cas diffrents des motivations diffrentes ; des moti-

    vations semblables peuvent produire des pratiques diffrentes ; et, de toute faon, on ne

    peut jamais se fier aux motivations et idologies exprimes, qui, mme lorsquelles

    sont sincres, ne forment pas forcment un cadre adquat dinterprtation.

    Au del de cette poursuite acharne des diffrences et de la diversit, et mme si cela

    peut nous sembler contradictoire, Veyne nabandonne cependant pas la qute de ce

    quil appelle les invariants. On pourrait mme ajouter que la manire dont il procde

    voque moins l Essai sur le don, que la grammaire du trait dHubert et Mauss

    sur le sacrifice. Lvergtisme, nous dit-il, est la confluence de trois thmes de base, qui

    peuvent apparatre sous forme de combinaisons diffrentes dans des contextes varis.

    Les deux premiers thmes correspondent en fait aux deux sous-types dvergtisme

    que nous avions dj mentionns plus haut : premirement, le thme du mcnat libre

    et spontan, que Veyne rattache la tendance des individus au dploiement le plus

    plein de la personne19 ; deuximement, le thme du don ab honorem, participant de la

    197Entre Marcel Mauss et Paul Veyne

    18. Il y a l dj acte de regroupement conceptuel et typologique conscient, puisque Veyne nous ditquil accepte cette catgorie qui tait inconnue des Grecs anciens eux-mmes et quil aurait pu donc contes-ter. Cette catgorie est un nologisme courant en grec moderne, et comme il la dj t mentionn plushaut, a t utilise par dautres spcialistes de lAntiquit grecque avant lui.

    19. Lide de personne me semble cependant ici plus proche de lide de persona, incluant non seulementpersonnalit individuelle mais aussi prsentation de soi et identit sociale. Mauss lui-mme fera usage de ceconcept dans ses derniers crits sur la catgorie de personne.

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 197

  • relation complexe des hommes au mtier politique, cest--dire la sphre de lac-

    tivit politique ; troisimement, le thme, nettement moins discut dans louvrage, de

    lanxit quant lau-del et de la qute de mmoire et dternit20.

    Veyne est encore amen modrer, voire contredire son extrme insistance sur

    lexistence de diffrences et de discontinuits, lorsquil ritre la diffrence, et lirr-

    ductibilit ultime de lvergtisme non seulement par rapport dautres types de don,

    mais aussi tout intrt utilitariste ou toute fonction sociale ordinaire : tels que pour-

    raient tre la soif de prestige, le besoin des classes gouvernantes de consolider leur lgi-

    timit, de dtourner lattention des classes infrieures et d acheter leur obissance,

    le dsir dtablir ou daugmenter la distance sociale, ou toute autre forme dchange ou

    de manipulation sociopolitique. Comme il le prcise bien, ceci ne veut pas dire que le

    don vergtique ne puisse en effet comporter de tels intrts et de semblables fonc-

    tions sociales (en fait, il les comporte souvent), mais il constitue aussi selon luiet le

    menant contredire ses propres postulats de recherche des diffrencesquelque chose

    dautre et en plus qui ne saurait leur tre totalement rduit, et qui est donc aussi le

    trait commun ses expressions historiques diverses en contextes historiques differents.

    Dans la mesure o Veyne exprime en termes positifs ce en quoi consiste prcis-

    ment ce trait irrductible de lvergtisme, il opte trs clairement pour une version modi-

    fie de son thme premier : celui dune pulsion libre et spontane correspondant avant

    tout limpulsion du donneur pouvoir sexprimer et se faire plaisir. Il enrichit nan-

    moins ce thme de faon importante, lorsquil le dfinit comme ntant pas une simple

    forme de narcissisme, mais plutt comme se fondant avec les attentes et le plaisir dune

    audience diffuse de destinataires potentiels, savoir le don effectivement donn.

    Clairement dfinie dans une section traitant de la sociologie du don o, encore

    une fois, Mauss nest nullement mentionn, cette conception se voit profondment

    enracine dans limportance accorde par Veyne au symbolique dans la vie sociale, et

    la capacit de lacte de don pouvoir oprer comme un symbole de relations entre les

    personnes (p. 81-89). Non seulement le don vergtique est-il ici clairement prsent

    comme une variante particulire du don, mais il semble que le genre de don auquel

    Veyne pense nest que celui qui peut agir de cette faon symbolique et relationnelle,

    autant quirrductible toute forme dchange. (Dans ce sens, Veyne est encore une

    fois dans la foule de Mauss, que je conois aussiet encore plus aprs les rcents tra-

    vaux de Camille Tarot (1999) comme relevant dune conception symbolique-

    relationnelle plutt que simplement changiste du don21. Le dernier chapitre du

    livre, qui traite des modles de la Rome impriale, approfondit et dveloppe cette

    conception au point dancrer lvergtisme dans la symbolique charge daffect des

    198 sociologie et socits vol. xxxvi.2

    20. Il y aurait bien des questions poser, mais que nous devrons laisser de ct pour linstant, quant austatut conceptuel prcis de ces trois thmes ; bien quils semblent parfois se rfrer des types de motiva-tions, Veyne refuserait probablement cette caractrisation, puisquelle contredirait sa position de base, expli-que plus haut, au sujet des motivations dans linterprtation de lvergtisme.

    21. Il faudrait replacer Camille Tarot bien sr, dans la mouvance des nombreux crits dAlain Caill enparticulier, mais aussi nombre dautres colaborateurs la Revue du MAUSS.

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 198

  • relations existant entre gouvernants et gouverns, autrement dit sexerant dans le jeu

    symbolique complexe et relationnel de la hirarchie et du pouvoir de commande.

    La position que lon peut dgager de lanalyse de Veyne est donc probablement

    difficile tenir et parfois contradictoire. Elle opte pour ce qui semble tre une forte

    contextualisation historique du don (rien nest jamais la mme chose), en mme temps

    quelle recherche ses invariants de base. Et elle suggre, comme fait essentiel et carac-

    tristique de lvergtisme, une pulsionle plaisir du donneur sexprimerqui est

    simultanment comprise comme ancre dans la tendance universelle et invitable

    lingalit de pouvoir dans la vie sociale, et nanmoins fondamentalement irrductible

    tout change ou besoin social, et donc finalement indpendante des contextes spci-

    fiques dans lesquels ce type de don merge et se dploie.

    4. pour une approche historique compare : limites et implications

    Dans une certaine mesure, et malgr des divergences certaines quant la dfinition de

    lessence ultime du don, nous pourrions quasiment estimer tre revenus notre point

    de dpart : la dcouverte effectue par Mauss du don et de ses principes tout aussi para-

    doxaux que fondamentaux. Mon argument porte cependant sur le fait que lapproche

    fortement historicisante et contextualisante de Veyne, autant que sa conscience aigu

    des diffrences et des discontinuits, fournissent un contrepoids important la ten-

    dance de Mauss ne mettre laccent que sur les ressemblances et les continuits. Sur cer-

    tains points, cependant, Veyne est peut-tre all trop loin: il me semble par exemple quil

    y a beaucoup plus de points communs entre lvergtisme et certaines formes de don

    religieux quil nest prt ladmettre. (Veyne accepte lui-mme une certaine forme de

    continuit historique entre les deux.) De mme, pourrait-on apercevoir plus de res-

    semblances entre lvergtisme et la philanthropie moderne de style amricain quil ne

    veut le reconnatre22 ; il est possible de voir dans ces deux cas, en fait, une forme de don

    oprant comme vecteur symbolique et relationnel dexpression, constitution et com-

    munication didentits civiques individuelles et de participation la sphre publique

    (Silber, 1998, 2001)23. De ce point de vue, Le pain et le cirque demeure dune impor-

    tance ingale en tant qutude de fond dun mode historique du don prsentant de

    fortes analogies avec une forme de don profane que certains voient appel jouer un

    rle grandissant dans nos socits contemporaines.

    Pour autant, le dfi consiste approcher la diversit elle-mme comme une variable

    empirique et comme un problme conceptualiser, plutt que comme une prsup-

    position mthodologique ou un axiome dhistoriographie thorique. Loin dappro-

    cher le don comme fondation des socits humaines et roc universel sur lequel

    sont bties les civilisations, comme le faisait Mauss, il faudrait accepter de ny voir que

    199Entre Marcel Mauss et Paul Veyne

    22. Bien que je ne puisse prendre le temps de le montrer ici, la position de Veyne se sujet dcoule enpartie de sa comprhension biaise de la philanthropie moderne aux tats-Unis, en un temps o ce sujetntait encore gure tudi.

    23. Je remarque que cette position a t rejointe par la conception du don comme instrument de recon-naissance symbolique telle quelle a t rcemment prsente par Marcel Henaff (2002).

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 199

  • lun des processus symboliquessi puissant et fascinant quil soitgnrant et gn-

    rs par la vie sociale plutt que comme principe gnrateur fondamental. Ceci nous

    mnerait ensuite accepter et essayer de comprendre quil puisse oprer de faon

    diffrente et ingale en contextes historiques et culturels diffrents24.

    Dans cette perspective, il restera distinguer entre deux questions principales qui

    ne sont pas encore explores : la premire, celle de la diversit du don dans le contexte

    de priodes historiques et de cultures diffrentes ; la seconde, celle de la diversit du

    donou en dautres termes, du champ possible de ses formes et pratiques varies

    dans le cadre dun seul et mme contexte historique et culturel dtermin25.

    1. Commenons par la premire : plutt que de permettre au contexte socioculturel

    de se dissoudre en une srie infinie et informe de diffrences incommensurables, le but

    dune stratgie de comparaison configurationnelle dinspiration wbrienne serait

    dessayer dtablir pourquoi le don en gnral et certains types de dons en particulier ten-

    dent mieux se dvelopper dans le contexte de certaines configurations sociohistoriques

    plutt que dans dautres ; ce qui implique galement dessayer disoler les caractris-

    tiques et les variables contextuelles prcises qui pourraient avoir une influence majeure

    cet gard. Une interprtation wbrienne classique serait aussi plus rsolument pluri-

    dimensionnelle, prenant en compte non seulement les structures symboliques-cultu-

    rellesce que Veyne appelle des systmes de pensemais aussi dautres paramtres

    macro-institutionnels, tels que certains aspects de stratification sociale, dorganisation

    conomique et politique26. Ceux-ci apparaissent de fait chez Veynepar le biais de sa

    juxtaposition de trois contextes historiques et politiques diffrents (cit grecque,

    Rpublique, puis Empire romains)mais sans y acqurir le poids conceptuel et expli-

    catif qui pourrait leur tre attribu (voir Andreau, Schmitt et Schnapp, 1978).

    Loin daller vers une telle approche de contextualisation pluridimensionelle, les

    rares rflexions et quelques grandes hypothses touchant la relation entre le don et ses

    contextes sociohistoriques sont demeures dun niveau danalyse extrmement gn-

    ral. Cest le cas notamment de lhypothse, longtemps si influente, dune simple cor-

    rlation ngative entre le don et le dveloppement dune conomie capitaliste de

    march. Les arguments sarticulant sur les notions de don pur, dsintress, ou

    parfait (plutt que sur le don en gnral) ne sont gure plus spcifiques, mme sils

    tendent se rfrer des types de relations plus complexes et dialectiquesprsentant

    par exemple ces notions de don pur ou parfait comme formes de raction ou

    antithse aux forces et notions dconomie de march (par ex. Bourdieu, 1976 ; Carrier,

    1995 ; Gregory, 1982), ou bien (notion encore plus large) un fort degr de diffrentia-

    tion structurelle (Parry, 1986), dont elles sont aussi en fait troitement dpendantes.

    200 sociologie et socits vol. xxxvi.2

    24. Je remercie le lecteur anonyme dont les commentaires mont pousse articuler ici ma position surcette question fondamentale, mme si je ne suis pas sre quil la partage.

    25. Voir cependant les apports de Parry (1986), Silber (1995), Petitat (1995), Caill (1996), Monaghan(1996).

    26. Pour un expos systmatique de la mthode comparative de Weber rcemment traduit en franais, voirKalberg (2002).

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 200

  • Le domaine de la recherche sur le don pur de type religieux, plus particulire-

    ment, a lui aussi eu tendance gnrer des thses de porte fort gnrale, affirmant

    par exemple linfluence dorientations religieuses de type transcendantal et ultra-mon-

    dain, valorisant un type de don pur se refusant toute attente de rciprocit. Visant

    une analyse plus diffrencie du don religieux, jai affirm linfluence dun alliage

    dorientations religieuses mondaines et ultra-mondaines sur un certain type de

    dons religieuxceux effectus aux monastres dans lOccident mdivalcompor-

    tant au contraire une attente de rciprocit idologiquement tout fait explicite ; mais

    aussi associ cette influence celle dune structure politique fortement dcentralise et

    certaines caractristiques organisationnelles des institutions religieuses bnficiaires

    de dons (Silber, 1995b) ; et suggr les configurations idologiques et institutionnelles

    pouvant expliquer le dveloppement dune forme de dons fortement similaires sous

    nombre daspects mais aussi diffrents sous dautres dans lespace des traditions reli-

    gieuses bouddhistes, dans le cadre plus large dune macrosociologie compare des lites

    spirituelles dans le Moyen ge occidental et le bouddhisme theravda (Silber, 1995a).

    Il reste donc un large espace vacant et appelant des hypothses de recherche et des

    enqutes plus spcifiques et diversifies. Ne serait-ce que par rapport aux larges para-

    mtres danalyse qui viennent dtre mentionns, Le Pain et le Cirque apporte en fait

    dimportants matriaux une rflexion plus dtaille et diffrencie. Si Veyne a raison,

    lvergtisme grec constituerait donc une forme de don qui : 1) tait essentiellement non

    religieux; 2) ne se fondait sur aucune symtrie ou rciprocit et tait distincte de toute

    forme dchange; 3) tait facilit par : a) un faible degr de diffrenciation structurelle

    politique (Veyne revient souvent sur labsence dtat) ; b) un haut niveau de dve-

    loppement et de division du travail conomique; c) tait alli lui-mme une valorisa-

    tion relativement faible de lactivit conomique en tant que telle (Veyne, 1976, p. 141-152);

    et d) tait alli la prsence dune idologie de dvouement civique, anti-sectoriel et

    non particulariste au bien public de la cit. Je nai touch l quaux aspects les plus gn-

    raux et les plus vidents de son interprtation; dautres axes de comparaison pourraient

    probablement merger de ses nombreuses remarques comparant lvergtisme dans le

    contexte de la cit grecque et dans ceux de la Rpublique et puis de lEmpire romain (ce

    qui convergerait avec lanalyse perspicace de louvrage de Veyne par Arthur Stinchcombe

    [Stinchcombe, 1980]), ou de la lecture des travaux dautres specialistes de ces mmes

    thmes. Lessentiel, en tout cas, serait davoir plus dtudes contribuant, comme Veyne a

    commenc le faire, lanalyse multidimensionnelle des configurations historiques du

    don, et par l galement une comprhension sociologique du don plus riche et dtaille.

    2. Quant la diversit du don au sein dun seul et mme contexte historique et

    culturelquestion que nous avons dj vue par une lecture fouille de l Essai et qui

    a t particulirement mise en relief par un certain nombre de travaux anthropolo-

    giques rcentsnous devons aller au del de Veyne et commencer explorer le mode

    dinteraction et de tension potentielle entre les formes diverses du don coexistant et ren-

    trant en comptition pour les ressources matrielles et symboliques existantes dans un

    cadre historique et socioculturel determin.

    201Entre Marcel Mauss et Paul Veyne

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 201

  • Bien que soulignant de faon inlassable la prsence dun vaste ventail de modes

    alternatifs du don au travers des huit sicles de civilisation grco-romaine quil a choi-

    sis comme son arne de recherche, Veyne na que trs peu dire sur ce sujet. Dans une

    certaine mesure, et comme Mauss, il a mme tendance prsenter une image de coexis-

    tence et mme dinterpntration par trop harmonieuse. Les mmes notables sont dcrits

    comme engags de faon gale et en toute quanimit en toutes activits diverses de don

    (quelles soient de type vergtique ou autre), sans autre contrainte que les limites de

    leur richesse personnelle. De mme, seules les limites de leur richesse matrielle, et non

    un sens plus profond de dilemme ou de choix, comme Veyne nous lexplique longue-

    ment, pourraient empcher les notables de se comporter la fois comme donneurs ver-

    gtes gnreux et comme managers rationnels des entreprises conomiques qui sont la

    base mme de leur richesse personnelle27. Notables et oligarches nont donc gure besoin

    de trop dbattre des usages alternatifs possible de leur richesse. Et la mme classe de

    notables est mme dpeinte comme passant sans effort du financement paen de ftes

    publiques, temples civiques, ou amphithtres, au financement religieux de lglise chr-

    tienne et des institutions charitables (Veyne, 1976, p. 50), que Veyne avait pris tant de

    peine dautre part prsenter comme des types de don radicalement diffrents.

    la base de cette image trop harmonieuse, il me semble que se trouve ladhsion de

    Veyne une approche bien plus foucaldienne que wbrienne des systmes de pense,

    et sa rticence donner suffisamment de poids aux motivations des agents, ainsi qu

    leurs idaux proclams (de grande importance, comme nous le savons, dans une optique

    wbrienne de limpact des systmes de pense)28. Ainsi, un systme de pense civique

    et dmocratique rendait-il les riches citoyens grecs, mme les mieux intentionns, gn-

    reux seulement envers leurs concitoyens et non envers les pauvres en tant que tels; et cest

    le dveloppement dun nouveau systme de catgories chrtiennes qui mettra soudain

    en relief lexistence du pauvre comme catgorie distincte de bnficiaires de dons cha-

    ritables, et rendra ds lors les riches notables capables de donner une catgorie entire

    dindividus dont ils navaient auparavant simplement pas conscience en tant que tels

    (voir p. 61-62). Dans ce rcit, les agents sont donc prsents comme simplement actua-

    lisant le genre de don qui est rendu possible, et qui semble mme tre dict, par le sys-

    tme de pense dominant du moment. Au prix de perdre tout sens de coexistence et

    mme de comptition entre formes, conduites et styles alternatifs du don, et ce, malgr

    la sensibilit extrme de Veyne la grande complexit et aux diversits du comportement

    humain en gnral, et des comportements de don en particulier.

    Se proposer de rtablir un sens plus fort du choix et de laction des individus ne

    veut pas dire ncessairement nier le poids des systmes culturels, ou des systmes de

    pense. Bien au contraire, tel que je lentends, cela veut dire commencer prter atten-

    202 sociologie et socits vol. xxxvi.2

    27. Ces pages (et surtout p. 127-162) forment une analyse fouille de la relation entre le don, les notionsde luxe et dapparat, et linvestissement conomique rationnel.

    28. Voir p. 59-62 en particulier. Le contraste entre les deux ne devrait cependant pas tre exagr, puisqueWeber non moins que Foucault attribue aux systmes de pense une grande part dautonomie et dinfluenceautonome. Mais ceci est modr chez Weber par une plus grande attention la dynamique dinteraction entresystmes de pense et la qute de sens et motivations individuelles, ainsi que dautres structures sociales.

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 202

  • tion et conceptualiser le rpertoire, ou champ, doptions du don, qui est encourag

    institutionnellement et rendu culturellement plausible ainsi que disponible29. Cest

    dans cet esprit que nous devrions nous proposer de continuer le processus de dialogue

    fcond et mutuel des traditions maussienne et wbrienne, dans le cadre encore

    demeur en friche dune sociologie historique compare du don.

    rsum

    Cet article traite de lhritage de Mauss la sociologie historique et compare du don par lebiais dune comparison entre son clbre Essai sur le don , avec lapproche de Paul Veynedans son tude du don vergtique dans lespace du monde grco-romain, Le pain et le cirque.Alors que Mauss met laccent sur les caractristiques fondamentalement semblables etuniverselles du don au travers des priodes historiques et des cultures, Veyne au contraire insistesur les diffrences, distinctions et discontinuites. De fait, la relation de Veyne Mauss savreambige, et mme restant dans sa ligne sous certains aspects. Un dbut de positiondinspiration wberienne est suggr, qui sans nier les similitudes et continuits possibles,soffrirait aussi dapprocher la diversit du don comme une variable empirique et de la resituerdans une analyse pluridimensionnelle de ses contextes socioculturels et historiques.

    summary

    This paper deals with Mausss legacy to the historical and comparative sociology of the gift bymeans of a comparison between his famous Essai sur le don (Essay on the Gift) with Paul Veynesapproach in his study of the evergetic gift in the Greco-Roman period, Le Pain et le cirque (Breadand Circuses). Whereas Mauss stresses basically similar and universal characteristics of the giftthrough historical periods and cultures, Veyne, on the other hand, insists on differences,distinctions and discontinuities. Indeed, the relationship between Veyne and Mauss is somewhatambiguous and even parallel in certain ways. The beginnings of a Weberian-inspired position issuggested which, while not denying possible similarities and continuities, also tends to approachthe diversity of the gift as an empirical variable and to replace it within a pluridimensional analysisof its socio-cultural and historical contexts.

    resumen

    Este artculo trata de la herencia de Mauss a la sociologa histrica y comparada del don pormedio de una comparacin entre su clebre Ensayo del don, con el enfoque de Paul Veyne en suestudio del don evergtico en el espacio del mundo greco-romano, El pan y el circo.Mientrasque Mauss hace hincapi en las caractersticas bsicamente similares y universales del don atravs de los perodos histricos y de las culturas, Veyne al contrario hace hincapi en lasdiferencias, distinciones y discontinuidades. De hecho, la relacin de Veyne a Mauss se revelaambigua, as queden algunos aspectos en la misma orientacin. Se sugiere un principio de

    203Entre Marcel Mauss et Paul Veyne

    29. Cest prcisment dans cette optique que je comprends ltude magistrale de Nathalie Davies sur ledon dans la France du xvie sicle (Davies, 2000). Il me faut noter que lessentiel de cet article ayant t pr-par pour une confrence sur lhritage de Mauss tenue en mai 1997, il faudrait maintenant enrichir notrethse en y examinant cette contribution importante, ainsi que celle dautres travaux qui sont apparus depuis,entre autres Cohen et de Jong (2001), Algazi, Groebner et Jussen (2003) et les longs changes entre MarcelHnoff, Alain Caill et Jacques T. Godbout rcemment publis dans la Revue du MAUSS.

    Socsoc_v36n02.qxd 4/05/05 11:00 Page 203

  • posicin de inspiracin weberiana, que sin negar las semejanzas y continuidades posibles, seofrecera tambin de acercar la diversidad del don como una variable emprica y de reubicarla enun anlisis multidimensional de sus contextos socioculturales e histricos.

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