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International African Institute Situation Matérielle, Morale et Coutumière de la Femme Dans l'Ouest. Africain Author(s): Henri Labouret Source: Africa: Journal of the International African Institute, Vol. 13, No. 2 (Apr., 1940), pp. 97-124 Published by: Cambridge University Press on behalf of the International African Institute Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1156952 . Accessed: 14/06/2014 11:14 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Cambridge University Press and International African Institute are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Africa: Journal of the International African Institute. http://www.jstor.org This content downloaded from 188.72.126.198 on Sat, 14 Jun 2014 11:14:15 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Situation Matérielle, Morale et Coutumière de la Femme Dans l'Ouest. Africain

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International African Institute

Situation Matérielle, Morale et Coutumière de la Femme Dans l'Ouest. AfricainAuthor(s): Henri LabouretSource: Africa: Journal of the International African Institute, Vol. 13, No. 2 (Apr., 1940), pp.97-124Published by: Cambridge University Press on behalf of the International African InstituteStable URL: http://www.jstor.org/stable/1156952 .

Accessed: 14/06/2014 11:14

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AFRICA JOURNAL OF THE INTERNATIONAL INSTITUTE

OF AFRICAN LANGUAGES AND CULTURES

VOLUME XIII APRIL 1940 NUMBER 2

SITUATION MATERIELLE, MORALE ET COUTU- MIERE DE LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

HENRI LABOURET

TE but de cette etude est de formuler certaines remarques au sujet de la situation reelle ou supposee de la femme indigene dans les

collectivites de l'Ouest-africain. Une litterature abondante et variee a etC consacree depuis longtemps a cette these qui s'est enrichie recemment de demonstrations nouvelles. Mais, parmi les auteurs qui ont collabore a ces exposes, nombreux sont encore ceux qui s'accor- dent pour peindre avec les memes expressions, les memes traits et les memes exemples la condition miserable des Negresses, vendues contre leur gre, tout au moins sans leur consentement, a des maris qui se conduisent a leur egard comme des brutes sauvages, les traitent en esclaves, les font travailler ainsi que des betes de somme, les mettent en gage pour payer leurs dettes, les louent et les prostituent afin d'en tirer profit. Le veuvage, observe-t-on, ne libere pas ces creatures miserables, puisque la coutume les oblige a demeurer dans la famille de leur defunt mari, a epouser et servir jusqu'a la mort un parent de ce dernier. Elles sont de plus contraintes de supporter la polygamie et ses consequences, sans pouvoir reagir contre des habitudes de- gradantes, sans nourrir meme l'esperance d'ameliorer leur sort, n'ayant point, dans leur malheur indicible, la ressource de constituer, comme leurs sceurs d'Europe, des ligues des syndicats de defense, et de se mettre en greve.

'Africa': the Journal of the International Institute of African Languages and Cultures is published by the Institute, but except where otherwise stated the writers of the articles are alone responsible for the opinions expressed.

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98 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

Cette unanimite singuliere, ce conformisme extraordinaire dans la demonstration comme dans l'expression provoquent l'etonnement. On est fonde a se demander s'il est justifie, lorsque l'on songe a la diversite geographique du continent, a celle des genres de vie qui s'y developpent, et surtout a la variete des civilisations qui se super- posent, s'influencent et se melent depuis le niveau elementaire de la cueillette jusqu'a celui des syndicats urbains. La r6eptition constante d'images 6videmment calquees les unes sur les autres, la regrettable absence de demonstrations pertinentes, basees sur l'etude appro- fondie et prolongee de faits indiscutables, l'emploi de termes iden-

tiques pour reclamer l'intervention immediate et decisive des Puissances tutrices, afin de modifier et d'ameliorer le statut de la femme indigene, tout cela donne trop souvent l'impression que des propagandistes, bien intentionnes et inspires par des sentiments genereux, developpent une these sentimentale dont ils ne possedent pas .tous les elements. I1 est manifeste que les auteurs qui s'efforcent de peindre ainsi la condition de la Negresse ont ete plus ou moins influences par les nombreux travaux publies depuis un siecle sur la situation de la femme arabe ou berbere dans les communautes de l'Afrique de Nord et du Proche-Orient.I Ils l'aper9oivent volon- tiers: Io surchargee de travail; 2? separee dans la societe; 3? subor- donnee dans la maison comme dans la cite. Examinons ces differents points.

LE TRAVAIL

En ce qui touche le travail, Post2 et Steinmetz3 ont exprime depuis longtemps leur opinion motivee. Apres eux, Westermarck a fait un expose a peu pres complet de la question; il observe d'abord tres justement que nous possedons peu de renseignements precis et dignes de foi sur le travail dans les societes attardees. Notre documen- tation est tiree le plus souvent de remarques superficielles, faites par des voyageurs de passage, d'affirmations vagues, qui ne semblent

I R. Maunier, Melanges de Sociologie Nord-Africaine, Paris, I930, Chap. vi, La femme en Kabylie, pp. 109-20.

2 A. H. Post, Studien zur Entwicklangsgeschichte des Familienrechts, Oldenburg, 1890 passim.

3 S. R. Steinmetz, Rechtsverhaltnisse von eingeborenen V/lkern in Afrika und Ozeanien, Berlin, I930 passim.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN 99

pas avoir ete contr6o1es avec le soin desirable. Elle renferme d'ailleurs tant de contradictions, qu'au moyen de citations, empruntees au mmem auteur et convenablement agences, il serait possible de soutenir des theses opposees en appuyant chacune d'elles sur des arguments de valeur egale. Et WestermarckI constate tres justement que ce qui semble surtout frapper les etrangers et les surprendre, ce n'est pas une repartition des taches qui serait accablante pour la femme, mais bien une division du travail a laquelle ils ne sont point accoutumes et qui les etonne.

L'un des faits les plus souvents cites, pour illustrer la condition miserable des epouses et des filles, est l'obligation du portage a

laquelle on les soumet. L'Europeen est choque de rencontrer sur les routes et les sentiers de l'Afrique des femmes peinant sous le faix de corbeilles superposees et lourdement chargees, tandis que l'homme qui les accompagne s'avance d'une allure desinvolte, tenant a la main son baton ou ses armes. Les conceptions des civilises sont boulever- sees par un tel spectacle; un peu de reflexion permet, cependant, de decouvrir la prudence, la sagesse et l'imperieuse necessite de telles habitudes. I1 importe en effet que l'homme, traversant une brousse hantee par ses ennemis et fr6quentee par des fauves redoubtables, soit constamment en alerte, pret a saisir ses armes et a en user. Il ne saurait donc s'embarrasser de fardeaux qui paralyseraient sa defense.

Invoquant d'autres taches en dehors du portage, on repete volon- tiers que la presque totalite du labeur agricole est reservee aux femmes, ce qui est manifestement inexact. L'etude prolongee et detaillee des travaux saisonniers montre assez que les deux sexes collaborent dans ce domaine, chacun d'apres ses capacites. Les hommes assument la plus lourde part en abattant, tronSonnant et brulant les grands arbres, en defrichant le terrain, en le preparant pour les semailles, qui sont effectuees par leurs compagnes, egalement chargees des petits sar- clages. Au contraire les trois ou quatre grands nettoyages, necessaires durant la saison des pluies, sont realises en commun par la seule entr'aide masculine. Trop souvent, l'Europeen, surpris par une

repartition du travail qui lui semble extraordinaire, ne tient compte, au cours d'observations hatives, ni du climat, ni des traditions, ni

E. Westermarck, L'Origine et le Developpement des Idees Morales, edition franSaise, Paris, 1928: i, Chap. xxvi, La Sujetion des Igpouses, pp. 625-65.

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100oo LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

des habitudes, ni des croyances, qui imposent certaines activites aux groupes humains de l'Afrique tropicale. Lorsqu'il traverse un village en saison seche et apergoit de nombreux habitants, inoccupes en apparence, il ne songe point que cette periode de l'annee est celle de l'abondance qui suit la recolte, celle aussi des fetes, des ceremonies religieuses et magiques destinees a remercier les puissances sur- naturelles et a maintenir la faveur de celles-ci. Il n'essaie pas d'etablir un bilan complet des taches multiples dont depend l'existence des chasseurs, des pecheurs, des cultivateurs, des artisans, des commer- pants du village, et qui obligent ceux-ci a deployer a d'autres epoques du cycle saisonnier de l'ingeniosite, de la force, beaucoup de peine et de fatigue. Trop souvent des constatations superficielles et des

generalisations temeraires ont contribue a repandre cette legende que les hommes ne font rien ou presque rien dans les communautes negro- africaines, le travail le plus penible etant accompli exclusivement par les femmes. Certes des taches nombreuses et lourdes sont devolues a ces dernieres, mais n'en est-il pas ainsi dans toutes les communautes

qualifiees d'attardees, et cela dans toutes les parties du monde, meme en Europe? Le labeur coutumier imparti aux meres, aux epouses, aux filles est d'ailleurs hautement revendique par elles. On peut affirmer

que leur situation n'est pas amoindrie par la necessite ou elles se trouvent de l'accomplir, elles en tirent au contraire joie, fierte, prestige et une part non negligeable d'autorite dans le champ de leurs activites domestiques.

LA SEPARATION ET LA SUBORDINATION

Ainsi, de nombreuses observations personnelles, faites pendant de

longues annees dans les diverses zones climatiques de l'Ouest- africain, la lecture de certaines etudes traitant de la position de la femme dans les societes qui les habitent, nous portent a n'admettre

qu'avec de tres grandes reserves la these de ceux qui apergoivent la femme noire comme une esclave ecrasee sous le poids quotidien d'un travail excessif et abusif. Faut-il croire cependant qu'elle est ' separee dans la societe et subordonnee dans la maison et dans la cite '?

A la verite une telle separation existe bien dans les communautes islamisees, elle y est motivee, comme ailleurs, par la religion, mais les effets de celle-ci sont beaucoup moins nets et decisifs qu'en pays arabes

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN IOI

ou berberes. Partout la doctrine du Livre a diu composer avec les croyances et les habitudes locales. Parmi les populations paiennes d'Afrique tropicale et australe se manifeste une division biologique par sexe et une repartition sociale, qui se traduit, avec d'autres phenomenes, par l'existence d'associations masculines et feminines, dont chacune possede sa hierarchie, son administration, sa justice, son tresor, ses croyances et son culte. La communaute d'education, de pensee, d'interets impose aux membres de ces societes une soli- darite qui leur assure une place importante dans le groupe humain. Nous en fournirons plus loin quelques exemples remarquables. Pour ces diverses raisons, il apparait que la femme noire vit et agit dans des conditions tres differentes de celles qui ont etC signalees pour sa sceur musulmane de l'Afrique du Nord. Elle n'est pas non plus subordonnee comme elle.

A cet egard les faits sont peut-etre plus frappants en Afrique orientale ou ils ont ete etudies depuis plus longtemps. East Africa and Rhodesia rappelait le 30 nov. 1939, p. 244, que chez les Barotse une femme, qui peut etre sa sceur ou sa cousine, mais jamais son epouse, partage le pouvoir avec le souverain, sur un pied d'egalite; elle a sa maison, sa suite personnelle et tient sa cour. Au Tanganyika, dans le district du Kilimandjaro, l'autorite etait exercee avec une grande fermete il y a quelques annees par une vieille reine. Elle avait plusieurs maris, qu'elle appelait ' ses femmes' et dominait complete- ment. A Karunde la demi-sceur d'un chef, qui connaissait des em- barras financiers, fut chargee de la regence par le gouvernement local. En pays Unyanyembe, une femme est cheffesse d'une tribu, qu'elle administre avec intelligence.

Dans l'Afrique de l'Ouest, les recits des voyageurs au xvIIe et xvIIIe siecles nous ont familiarises avec les princesses qui jouissaient de nombreux privileges et parmi elles avec la fameuse ' Linguere' des royaumes wolofs et sereres. Ces indications ont ete precisees dans la suite et verifiees pour d'autres contrees. Dans l'Ashanti, R. S. RattrayI nous a rapporte l'existence dans chaque division terri- toriale d'une Reine-mere qui bien que n'ayant pas reellement donne

I Capt. R. S. Rattray, Ashanti Law and Constitution, Oxford, x929, Chaps. xvii, xviii, xix, xx, xxi, xxii, xxiii, relatifs aux constitutions d'Asuegya, de Bekwai, de Juaben, de Kokofu, de Kumawu, de Mampom et de Nsuta.

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I02 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

le jour au chef, n'en exerce pas moins une importante fonction con- stitutionnelle, marquee par des privileges considerables. D'autres auteurs ont signale des faits analogues en Nigeria, parmi eux C. K. MeekI mentionne specialement chez les Jukun l'Angw> Tsi, con- sidere comme une souveraine, possedant une influence egale a celle du roi, ayant une cour aussi importante que celle de ce prince et honoree de titres particuliers. Elle est d'ordinaire la veuve d'un prince decede, on la considere comme regnant sur la population feminine. Dans une certaine mesure son pouvoir fait echec a celui du monarque, puisqu'elle peut recevoir et donner asile dans son

palais a tous ceux qui ont encouru la defaveur du roi. ExerSant encore

aujourd'hui des fonctions sacerdotales, elle avait, il y a peu d'annees, des attributions politiques. A cote de cette princesse privilegiee, Meek cite dans la meme tribu plusieurs autres femmes jouant un role religieux ou social. I1 serait aise de multiplier les exemples analogues. Tous prouvent que leur sexe n'empeche pas les femmes d'exercer la souverainete ou un commandement dans certaines communautes, d'occuper un rang eleve dans la societe, d'y jouir d'un prestige et

d'avantages appreciables. La position des femmes riches n'est pas moins satisfaisante dans les menages ordinaires, elle ne correspond nullement a celle que l'on imagine volontiers. Nous examinerons plus loin cette question, mais auparavant il convient de noter que separation et subordination ne sont pas les seules caracteristiques a signaler dans l'union d'un homme et d'une femme, il y faut encore mentionner un element indispensable: la collaboration.

LA COLLABORATION DANS LE MENAGE

Ces trois phenomenes se sont affirmes des les premieres heures de la vie en commun, ainsi que le rappelle Crawley2 en citant une antique legende de l'Asie, qui merite d'etre resumee ici en quelques mots.

L'Eternel, ayant cree l'Homme, s'apergut qu'il ne lui restait rien pour modeler la Femme. Comme le soir tombait, il reunit en hate ce qui se trouvait a sa portee: l'orbe de la lune, la sveltesse du roseau, le parfum des fleurs, le doux regard de la biche, la gaiete des rayons du

C. K. Meek, A Sudanese Kingdom, An Ethnographical Study of The Jukun-speaking Peoples of Nigeria, London, I93 , p. 340 et suiv.

2 E. Crawley, The Mystic Rose, a Study of Primitive Marriage, London, I912, p. 33.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN I03

soleil, les pleurs des nuages, l'inconstance des vents, la vanite du paon, l'agrement du miel, la durete du diamant, l'ardeur du feu, la cruaute du tigre, le roucoulement de la colombe, l'hypocrisie de la grue, la fidelite du chien. Avec ces materiaux et beaucoup d'autres il crea la compagne de l'Homme. Mais quelques jours plus tard celui-ci vint trouver l'Eternel et lui dit: ' Seigneur, delivrez-moi de cette tyrannie, car elle bouleverse ma vie et ne me laisse point de repos.' Et le Tout Puissant, dans sa bonte, y consentit. Or une semaine s'ecoula et l'Homme supplia de nouveau: 'Seigneur, rendez- moi cette creature que vous m'avez enlevee. Elle etait douce, sa voix etait une musique, elle riait et dansait dans ma maison en me regardant du coin de ses paupieres.' Le couple fut uni de nouveau, mais apres une semaine de vie commune l'Homme vint encore implorer l'Eternel pour qu'il lui accordat la tranquillite dans la solitude. Cette fois le Createur refusa d'acquiescer a cette priere, il ordonna aux epoux de vivre ensemble jusqu'a la consommation des siecles.

II faut admirer la philosophie profonde de ce mythe, qui marque si bien les traits essentiels de la communaute humaine: la separation des sexes; leur opposition fonciere; la collaboration necessaire entre eux.

On ne saurait oublier que mari et femme doivent demeurer en- semble dans la famille etendue et dans le menage. Cela implique une adaptation reciproque, de nombreux sacrifices mutuels afin qu'une pareille existence reste supportable pour les conjoints et leur entourage. En effet, les epoux, leurs parents, leurs enfants forment un groupe d'associes, collaborant, par le moyen d'un travail divise et reparti entre les ages et les sexes, a une entreprise de production et de con- sommation familiale. Mais des considerations purement economiques ne suffisent pas a expliquer l'attention, l'estime, le respect meme que l'on temoigne a la femme, les garanties qui lui sont accordees dans la majorite des societes africaines. On peut soutenir que jamais sa situation n'est aussi pitoyable que l'affirment certains observa,eurs europeens, discutant des phenomenes sociaux encore aussi mal connus que ceux de l'Afrique, et les interpretant suivant leur mentalite d'hommes civilises du xxe siecle. Dans ces collectivites, l'epouse est avant tout une mere. Sa f6condite l'entoure d'une aureole de dignite,

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Io4 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

elle lui assure l'affection accrue de son mari, un prestige certain dans la communaute qu'elle enrichit de nouvelles unites. Enfin, ainsi que le demontre RattrayI pour les Ashanti, elle est un vehicule de droits dans les clans a filiation en ligne maternelle, car elle transmet le sang. Dans les groupements a filiation en ligne paternelle, son role n'est pas moins important puisqu'elle assure la descendance.

Tout ceci explique et justifie les menagements dont on use en general a l'egard de la femme, et les vieux adages de philosophie experimentale qui circulent dans toute l'Afrique pour les recommander. 'Accordez-lui, est-il dit, une nourriture abondante, des vetements pour se couvrir, des pommades pour oindre son corps. Avec elle ne soyez pas trop rude dans votre maison, car il est plus facile de conduire l'epouse par la persuasion que par la violence.'

Si l'on meconnaissait ses droits et prerogatives la femme isole saurait d'ailleurs se defendre, comme le remarque un auteur indigene dans une monographie consacree aux Mossi dont il sera question plus loin.2 I1 ecrit: 'La femme mooaga peut, il est vrai, traduire par quelque paroles desagreables son mecontentement des mauvais traitements qu'elle subit, car les Mossi admettent que la femme n'a d'autre arme que sa langue; c'est ce qu'ils expriment en disant: 'La bouche d'une femme est son carquois.' Cette remarque sous sa forme attenuee ne traduit pas avec exactitude une realite manifeste pour tous ceux qui, traversant des villages, ont assiste a des scenes caracteristiques, montrant que les traits nombreux dont disposent les menageres sont dangereusement empoisonnes. Qui n'a vu mainte fois une epouse vehemente, portant a califourchon sur ses reins un enfant en bas age, apostropher son mari avec violence, cracher son mepris et sa fureur a la face de ce dernier, en lui deniant en public les dons de l'esprit et les apanages de la virilite. Elle salt qu'elle peut agir ainsi sans grands risques, car il existe dans tous les pays negro- africains un sentiment collectif tres fort, qui se traduit par une communaute de sympathie et d'interets, dont nous avons deja parle, entre les representants du meme sexe. Elle est entretenue par les associations f6minines des divers types et les classes d'age. Partout

I R. S. Rattray, Ashanti, London, 1931, pp. 23, 34, 35, 37-9, 4I-4, 45, 46. 2 A. A. Dim Delobsom, L'Empire du Mogho-Naba, coutumes des Mossi de la Haute

Volta, Paris, 1933, p. I83.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN I05

le mari qui bat, sans raison, sa conjointe se volt appliquer par les camarades de celle-ci une sanction ethique: un surnom qui degenere en refrain, puis en chanson repetee jusqu'a satiete. Parmi les Foulbe habitant les territoires orientaux de l'Ouest-africain, on a signale des attaques en masse de femmes, furieuses contre des hommes qui avaient repudie leurs compagnes sans motifs valables aux yeux de la coutume. L'observateur qui rapporte ces faits ajoute: ' Comme les membres d'un clerge, elles se detestent entre elles, mais se protegent mutuellement.'

LE MARIAGE D'APRES LA COUTUME

Cette situation de la femme, les libertes dont elle jouit, les garanties qui lui sont assurees dans la communaute, comme on vient de le voir, ne cadrent pas avec certaines opinions souvent exprimees a propos du mariage en Afrique tropicale. Faute d'avoir etudie ce contrat dans l'ambiance locale et avec toute la prudence desirable, on l'a trop souvent juge du seul point de vue europeen et actuel. Au regard de notre loi, il est nul, declare-t-on, et cela pour deux raisons principales. D'abord il lui manque, dans de nombreuses regions, le consentement de la principale interessee, qui n'est pas appelee a don- ner son avis. Ensuite un tel accord est depourvu de ' cause licite ', puisque le pere ou le chef de famille vend une fille comme une captive. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle est traitee en esclave. Les juristes appuient parfois cette hypothese, en constatant que l'acte intervenu semble bien presenter en effet les caracteres d'une ' vente avec condition resolutoire '. De la a declarer que la femme est la propriMte de son mari, il n'y a qu'un pas, il est vite franchi. Mais les embarras commencent lorsque l'on essaie de definir les modalites de ce droit, car il apparait bientot que l'epouse ne peut jamais etre revendue par son conjoint, qui ne saurait non plus la mettre en gage. Les indigenes insistent tous sur ces impossibilites et signa- lent les vengeances et represailles diverses auxquelles ils s'expose- raient s'ils tentaient d'aliener leurs femmes dans les memes conditions que du betail. Cependant les termes de 'propriete de la femme', de 'mariage par achat', de 'bride-price', de 'purchase-money', de ' Kaufehe ' continuent a etre employes, bien que l'on admette qu'ils ne traduisent pas avec exactitude les expressions indigenes, dont

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io6 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

aucune n'implique l'achat-vente, ainsi que le signalent de nombreux auteursI ayant etudie des populations soudanaises ou bantoues. Cependant cette conception europeenne du contrat indigene garde une etrange faveur dans certains esprits, en raison de sa commodite et de la solution apparente qu'elle semble apporter a un probleme complique. Nous l'avions admise il y a une vingtaine d'annees, mais

pour la rejeter un peu plus tard apres un examen plus approfondi de la question. Aujourd' hui, il nous semble, avec d'autres, que le mariage coutumier d'Afrique tropicale est reste un accord entre deux groupes humains. II a pour but fondamental de creer ou de resserrer une alliance, ou bien encore de maintenir la paix entre deux collec- tivites humaines, tribus, clans, phratries, families. Les contrats de meme type offraient des caracteres identiques dans le droit primitif de l'antiquite comme le montre assez ce que nous savons des lois en

usage dans l'Hellade et dans les Iles de la Grece. Dans ces contrees, l'union de l'homme et de la femme etait avant tout affaire de groupe, elle supposait l'agrement de deux families, imposait l'obligation a certains parents rapproches de s'epouser. La coutume interdisait, au contraire, l'hymen entre habitants de deux cites, qui n'etaient pas liees entre elles par le contrat d' epigamie. Apres la ceremonie, la jeune epouse etait presentee solennellement a la phratrie de son mari.

Lorsque tous les rites avaient ete accomplis, les deux groupes en cause se trouvaient lies par des obligations reciproques bien deter- minees.

La plupart de ces traits se retrouvent aujourd'hui dans les cou- tumes africaines, c'est pourquoi, de meme qu'autrefois en Grece, le consentement de la femme y apparait comme d'importance secondaire aux yeux des indigenes. Pour ceux-ci les convenances personnelles des epoux n'entrent pas en consideration, mais simplement les com- modites des groupes qui recherchent une alliance avantageuse. De telles idees choquent profondement les observateurs europeens,

H. Bazin, Dictionnaire Bambara-Fran?ais, Paris, I906, p. 216; R. P. Alexandre, Dictionnaire More-Fran?ais, Maison Carree, 1935, pp. 325, 326; H. Gaden, Lexique Poular-Fran?ais, Paris, 1914, pp. 104, I05; Rev. G. P. Bargery, A Hausa-English Dictionary, Oxford, 1934, p. 44; R. E. Dennett, At The Back of The Black Man's Mind, London, 1906, p. 3 8; W. M. Morrisson, Buluba-Lulua Language and Dictionary, 1907, p. 179; E. W. Smith and A. M. Dale, The Ila-speaking Peoples of Northern Rhodesia, London, I920, ii, p. 49.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN 107

puisqu'elles consacrent le principe du mariage force et refusent a la femme la liberte de choisir son mari et de disposer d'elle-meme. I1 faut noter cependant qu'elles correspondent a un stade de l'evolution sociale et juridique dans l'humanite. Les peuples qui jouissent pre- sentement de la civilisation occidentale la plus raffinee les ont connues, admises, revendiquees et defendues jusqu'a une epoque recente. Le theme du mariage force n'est-il pas l'un des plus frequemment traites dans le repertoire theatral de l'Europe depuis l'epoque classique jusqu'a la fin du XIXe siecle?

La meme evolution est commencee dans la coutume africaine. Au Congo Belge on reconnait que l'union conjugale actuelle se rapproche de plus en plus du type de mariage pratique dans les societes occi- dentales. Certes elle octroie au chef de communaute des droits nombreux, mais qui excluent en tout cas celui de vendre sa femme. Les elements et le jeu de ce contrat indiquent nettement que les epoux jouissent de prerogatives determinees, sont soumis a des obligations reciproques faisant de la conjointe autre chose qu'un objet passif, pro- priete du mari. Un magistrat belge, M. A. SohierI se refuse a voir, dans les exemples qui sont ordinairement proposes, les caracteres de la vente, de la location, de l'usufruit ou du pret. En ce qui touche le levirat, dont l'usage est presque general, il observe que cette modalite, mieux connue maintenant, ' comprend a la fois une question personnelle (de quelle famille la femme fera-t-elle desormais partie et a quel titre); une question de superstition; une question de rem- boursement de dot; mais en tout cas la femme a partout le droit de refuser de devenir l'epouse du successeur (de son mari defunt), ce qui exclut bien l'idee d'un heritage pur et simple.'

Des phenomenes paralleles et souvent identiques ont ete constates parmi les populations parlant des langues soudanaises. Le levirat sur lequel nous n'avons pas le loisir d'insister ici est a coup sur tres different en realite de ce que pensent certains auteurs.

A. Sohier, La Dot en Droit Coutumier Congolais. fiditions de la Revue Juridique du Congo Belge, flisabethville, p. 23 et suiv. Cette etude qui contient de nom- breuses references, cite notamment dans le meme sens; Rev. P. Colle, 'Les Baluba', i, p. 289, et 'Le Mariage Coutumier Congolais', Bulletin des Juridictions Indigenes et du Droit Coutumier, No. 8, p. I49, ainsi que plusieurs jugements reproduits dans cette revue.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

LES COMPENSATIONS MATRIMONIALES

Si l'on ecarte dans la coutume l'idee de vente de la femme, ce qui est conforme aux idees des interesses, il n'en reste pas moins a ex-

pliquer et a justifier les dons et paiements reciproques effectues a l'occasion du mariage. Suivant Torday,I ils correspondent dans l'esprit des Africains a trois notions distinctes, qui sont: I? la garantie; 2? la remise de biens en echange d'autres biens; 30 des versements proportionnels a la f6condite de la femme.

Tout d'abord, observe cet auteur, on peut admettre que la garantie est double. En effet, en cas de mauvais traitements infliges par le mari a sa femme, celle-ci se rdfugiera chez ses parents et son conjoint perdra ce qu'il a verse. Par contre l'epouse sera surveillee et con- seillee par ses proches, soucieux de maintenir la correction et la bonne harmonie dans le menage, afin que l'union ne soit pas rompue aux torts de la femme, car ils seraient obliges de rendre ce que nous

appelons assez improprement' dot'. Ainsi, aux yeux de la coutume, ces versements, loin d'etre de

veritables paiements, prendraient l'aspect de simples depots, suscepti- bles d'etre reclames dans des cas determines. Ce caractere est re-

marquable chez certaines tribus au sein desquelles il etait interdit, jusqu' a une epoque recente, de disposer des animaux regus a l'occasion du mariage d'une fille.2

On suppose qu'a l'origine la garantie se manifestait sous une forme encore plus simple. L'alliance, base et motif du contrat, se realisait sans doute a ce moment par un simple echange de femmes. Un chef de famille recevait une epouse destinee a l'un de ses fils; en compensa- tion, il donnait a son tour une des sceurs du jeune homme, qui se mariait dans le groupe allie. Mais cette combinaison n'etait pas tou- jours possible pour diverses raisons. Dans ce cas la compensation et la garantie etaient representees non plus par une personne, l'echange n'avait plus lieu corps pour corps, mais contre des biens juges equivalents et qui furent, suivant les regions, du betail, des objets manufactures, des produits alimentaires et plus recemment de la monnaie. Conserves d'abord en qualite de dep6t et de garantie, ils

I E. Torday, 'The Principles of Bantu Marriage', Africa, I929, pp. 254-90. 2 G. St. J. Orde Brown, The Vanishing Tribes of Kenya, London, 1924, p. 72.

Io8

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN o09

furent utilises dans la suite pour payer les compensations necessaires a l'etablissement des hommes de la famille. C'est pourquoi, dans un

grand nombre de peuplades, le frere d'une mariee est appele a discuter la nature, le montant et l'epoque des versements qui seront effectues a l'occasion du mariage de sa sceur, car il en profitera le premier.

Si garantie et compensation interviennent comme des elements essentiels du contrat matrimonial, il en est un autre qui determine

presque toujours les modalites de paiement: la volonte d'obtenir une descendance legitime aussi nombreuse que possible. La coutume, observee par les Soudanais comme par les Bantous, montre que dans un grand nombre de communautes aucun paiement n'est acquitte avant le mariage ou a 1'epoque de sa consommation, mais des regle- ments interviennent a la naissance de chaque enfant. Ces versements ont pour objet d'assurer au pere et a la famille de celui-ci la garde legale et le profit a tirer des enfants issus du mariage. Si cette depense obligatoire n'est pas effectuee, le pere et sa famille n'ont d'ordinaire aucun droit sur cette progeniture.

Dans les societes ou la filiation s'etablit par les femmes, le mari, seul ou avec l'aide de sa famille, paie une garantie de faible valeur, parfois meme il n'en acquitte point. II n'a rien a verser non plus a la naissance de ses enfants. C'est au contraire le groupe de la mere qui doit gratifier le mari de celle-ci pour les soins qu'il donnera dans leur

jeune age aux enfants qu'il a procrees, mais qu'il ne gardera pas. Ces remarques permettent de penser que si l'on pretend malgre tout

introduire en definitive la notion d' 'achat-vente' dans le mariage negro-africain, elle serait plus justifiee en ce qui concerne les enfants

qu'en ce qui touche l'epouse.

MARIAGES SANS COMPENSATION

Certaines populations appliquent le principe, de ce que nous

appelons ici 'compensation', avec une rigueur qui a retenu la sol- licitude des missionnaires et la curiosite des juristes. Une des mieux connues a cet egard est celle des Mossi de la Haute C6te d'Ivoire, qui groupe environ 1.500.000 personnes. Leur societe est fortement hierarchisee et le territoire divise en un grand nombre de provinces ou cantons, places sous l'autorite de chefs appeles Naba. Ceux-ci reSoivent frequemment en cadeau des filles qui leur sont donnees par

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IIO LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

des parents desirant se concilier les bonnes graces de leurs maitres. Cette pratique se nomme pug-siure ou pog-siure (pug ou pog diminutif de pagha, femme et siure derive de siubo, donner dans l'attente d'un

profit ulterieur). Le Naba eleve ces enfants dans sa maison, les nourrit, les entretient et les eduque jusqu'a la puberte. A ce moment il les marie, sans compensation, avec des serviteurs fideles qu'il desire favoriser, ou bien les accorde dans le meme but a d'autres personnes. La premiere fille issue d'une union de ce genre appartient au Naba. Celui-ci lenleve a ses parents, lorsqu'elle est encore en bas-age et la confie a ses propres femmes, qui en prennent soin jusqu'a son ado- lescence. A ce moment le chef la donne en mariage a l'un de ses administres, ainsi qu'il a deja fait pour la mere de la jeune fille. II se reserve la premiere fillette issue de cette nouvelle union, de sorte

que les regles du pog-siure continuent a etre observees durant des

generations. Si le premier ne de ces mariages est un garSon, le Naba

peut le prendre a sa cour et en faire son serviteur, sans que les parents de l'enfant puissent soulever la moindre objection.

Un autre type d'union sans compensation existe encore dans le meme pays; il affecte deux modalites. En premier lieu, quand un Naba sejourne dans un village et qu'une femme y donne naissance a une fille, elle appartient de plein droit a ce chef, s'il a eu connaissance de l'evenement. D'autre part quand un etranger est de passage dans un centre habite, si les vieillards veulent lui temoigner leur sympathie, ils profitent d'un accouchement et invitent ce personnage a creuser le trou (zan-boko) dans lequel sera enfoui, suivant la coutume, le pla- centa de la fillette qui vient de naitre. Cet acte lui donne des droits sur l'enfant et rien ne s'opposera a ce qu'il l'epouse plus tard

lorsqu'elle sera pubere.1 Les P. P. Blancs et les Saeurs Missionnaires de N. D. d'Afrique ont souvent signales les abus qui derivent de cette coutume, dans laquelle ils voient ' une forme de l'esclavage, qui menace l'integrite de la famille et cree un obstacle de plus a l'evan-

gelisation '. Des pratiques analogues au pog-siure et au zan-boko se rencontrent

dans d'autres communautes africaines. Au Dahomey par exemple,

A. A. Dim Delobsom, op. cit., p. I64 et suiv.; Sceur Marie Andre du Sacre Cceur, Docteur en Droit, Communication faite le 3 avril 1937 a Societe d'Ethnographie de Paris sur La femme Mossi.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN III

les meres, les epouses des rois, les princesses agissaient de la meme faSon que les Naba du Mossi a l'egard des jeunes filles qui leur etaient confiees. On pourrait en citer d'autres cas.1

Nous avons observe la meme coutume au Cameroun parmi les populations dites 'Bamileke' de la circonscription de Dschang ou elle est appelee nkap (argent, capital, chose susceptible de rapporter un benefice). En principe elle est reservee aux chefs dans les subdi- visions de Dschang, Bafousam, Bangangte, mais en fait tous les notables et les gens riches la pratiquent encore largement, en depit des sanctions prises par les tribunaux indigenes afin de la faire disparaitre.

Tout d'abord, les chefs jouissent d'un nkap de droit sur les filles des anciens chefs leurs predecesseurs. Ils ont la faculte de les marier sans compensation a une personne de leur choix, mais la progeniture issue de cette union leur appartiendra. Ils agissent de meme avec leurs propres filles et d'autres parentes, qu'ils accordent a des minis- tres, a de hauts dignitaires ou a des serviteurs de confiance. En dehors des femmes de leur propre famille, les chefs disposent encore en nkap de toutes les fillettes ou jeunes filles qui leur sont remises par leurs parents dans les memes cornditions qu'au Mossi ou au Dahomey. Ils les unissent a des hommes de leur entourage dont ils veulent recom- penser les services domestiques, economiques, politiques ou mili- taires. Par ce moyen ils consolident leurs alliances et concentrent entre leurs mains richesse et puissance.

Les notables procedent de la meme faSon a l'egard des filles placees sous leur autorite a un titre quelconque. Ils peuvent encore pratiquer une autre forme de nkap, en payant la compensation matrimoniale d'un homme pauvre, qui ne peut l'acquitter lui-meme. Dans ce cas ils se reservent tous les droits sur les enfants a naitre de l'union. I1 y a quelques annees on estime qu'un tiers environ des mariages etait contracte sous le regime du nkap dans la circonscription de Dschang. Sous l'action energique de l'administration, cette pratique est devenue moins frequente, sans toutefois que l'on puisse affirmer qu'elle a entierement disparu.

Comme son nom l'indique, le nkap est un placement a longue echeance, il manque son but et ne rapporte rien lorsque l'epoux favorise peut rembourser son preteur, qui perd aussit6t ses droits sur

I A. Le Herisse, L'Ancien Royaume du Dahomey, Paris, I9II, p. 2IO et suiv.

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II2 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

les enfants nes ou a naitre. Le mariage devient alors un contrat de

type ordinaire. Si au contraire la compensation n'est pas restituee, le ta-nkap, qui a verse les fonds, jouit sur les filles a naitre de tous les droits d'un pere. Avec le temps ce privilege a paru exagere, la coutume l'a reduit. De nos jours, on estime que le ta-nkap ne saurait reclamer la totalite des filles, il doit se contenter des deux

premieres, les suivantes pouvant etre mariees par leur auteur, qui reooit la compensation coutumiere et en dispose avec l'autorisation du

ta-nkap. I1 arrive que ces remboursements sont partiels, la coutume, qui a

prevu le cas, determine alors les droits de chacun. Si le versement est de moitie par exemple, on partagera les enfants; s'il y a trois filles un accord est conclu qui attribue l'ainee au ta-nkap, le pere garde les deux cadettes, mais s'oblige a donner a son preteur des cadeaux preleves sur les compensations a recevoir lors du mariage des enfants restes avec lui.

Ces explications et ces exemples permettent de mieux comprendre le role exact des paiements matrimoniaux dans la coutume. Ils ne semblent pas affecter la position juridique de la femme et paraissent conditionner surtout, comme on vient de le voir, les droits des

parents sur leurs enfants. Ces versements n'ont sans doute aucun effet sur la situation materielle, morale, ou de droit de l'epouse, qui reste tres particuliere dans tous les cas. Si l'on voulait la determiner a l'aide d'une comparaison, on dirait que la Negresse en se mariant se trouve dans une situation identique a celle de la Grecque ou de la Romaine sous le regime de l'ancien droit, de la Barbare assujettie au mundium. L'accord une fois conclu, elle passe de la garde, ou si l'on veut de la potestas de son chef de famille, sous celle de son con-

joint, mais elle reste une simple alliee pour ce dernier et sa parente, gardant son nom, le cas echeant son totem, ses interdits, sa religion. Sa propre famille la surveille et la protegerait au besoin, elle l'accueille- rait en cas de rupture du contrat.

Sans pretendre nier les abus varies qui se produisent encore a l'occasion du mariage, il faut reconnaitre que la situation des epouses s'ameliore peu a peu avec l'evolution economique provoqu6e par les

puissances tutrices et par l'education qu'elles dispensent de maniere directe ou indirecte.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

LES BIENS DE LA FEMME

Ces changements sont dus a des faits sociaux incontestables et

qui ont pris depuis cinquante ans une importance capitale dans les societes negro-africaines. L'etude du calendrier des activites saison- nieres et l'observation du labeur quotidien montrent que la femme, apres avoir accompli les taches domestiques ou exterieures, que lui impose la coutume, peut employer le temps qui lui reste pour travailler ou commercer a son profit exclusif. Les benefices ainsi realises par elle lui appartiennent, elle en dispose a son gre. I1 faut se rendre a l' evidence, la femme noire est proprietaire, meme chez les Mossi.

L'origine de ces biens est presque partout le ' douaire'. Nous appelons ainsi la contribution versee a l'epouse par les gens de sa parente, afin de contribuer, dans les premiers temps, a l'entretien du nouveau menage. Les dons qui constituent cet apport sont parfois superieurs en nombre et en valeur a la compensation remise par le mari, et meme a tout ce que la famille de la fiancee a pu distribuer et consommer a l'occasion des diverses ceremonies qui ont accompagne ou encadre lunion. Dans le douaire peuvent entrer egalement les dons offerts par le mari et la famille de ce dernier a la future epouse.

Le meilleur moment pour detailler et evaluer le douaire est celui de la deductio uxoris in domuni, lorsqu'elle s'accompagne d'un cortege somptuaire et presque solennel. Les parentes et amies de la jeune fille s'avancent, portant de grands paniers remplis de denrees alimen- taires, d'ustensiles de cuisine, de vetements, de parures. Ses freres conduisent des chevres, des moutons, parfois des vaches. Autrefois des esclaves suivaient, qui etaient destines au service personnel de la mariee. Tout cela representait a peu pres ce que l'on nomme en frangais la ' corbeille' ou le 'trousseau'. I1 convenait d'y ajouter dans certains pays les droits divers, que pouvait posseder l'heroine de la fete, sur des terrains ou des arbres de rapport. Tout cela constituait ses biens propres, qui devaient s'augmenter des profits divers, des heritages, des liberalites consenties par le mari. Certes le douaire n'etait pas toujours aussi important que le laisserait supposer

A. A. Dim Delobsom, op. cit., pp. 258, 259. I

I I 3

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114 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

l'enumeration precedente, mais on le retrouve dans toute l'Afrique tropicale, parfois reduit a quelques mesures de grain, a quelques kilos de graisse veggetale, a une charge de taros ou d'ignames, a des

parures sans valeur. Ainsi la femme proprietaire jouit de la faculte d'acquerir des biens

nouveaux et du droit d'en disposer. La notion n'est pas nouvelle, ayant ete degagee il y a plus de deux cents ans par Bosman,I traitant sur la C6te de Guinee, qui ecrivait en I705 dans sa XIIe lettre: 'les personnes mariees ne sont pas en communaute de biens, mais chacune est maitre du sien '. Plus loin, le meme auteur indique comment dans le pays d'Accra (Gold Coast) qu'il habite, les hommes heritent des hommes et les femmes heritent des femmes. Depuis lors cette obser- vation a ete verifiee; elle s'applique a la presque totalite des peuplades du littoral et de l'interieur. La succession feminine existe chez tous les Soudanais, en particulier chez les Wolof, les Sereres, les Foulbe, les Sarakolle, les Manding, les populations du groupe dit 'voltaique', les Mossi, les Lobi.2 On la retrouve en Afrique centrale chez les Baya;3 Nassau affirme, il est vrai, que les femmes Batanga du Cameroun ne peuvent jouir du fruit de leur travail, mais il ne semble pas que cette opinion doive etre retenue, non plus que celle exprimee par Lips a l'egard de populations assez voisines.4 Au contraire les femmes que nous avons etudiees dans le Cameroun meridional, en particulier les Bamileke, paraissaient avoir une situation assez privilegiee. Elles possedaient des plantations dont elles avaient herite, en cultivaient d'autres pretees par leurs maris, elles avaient enfin la pleine capacite civile pour administrer leurs biens et les transmettre. Mary Kingsley a fait les memes observations sur la C6te de Calabar; elle signale avec raison, dans ce pays, l'existence d'une sorte d'hypotheque familiale, qui pese sur les biens feminins, puisque ceux-ci doivent revenir a la parente de la femme.5

G. Bosman, Voyage de Guinee, Utrecht, 1705, p. 205. 2 Constatations personnelles. Cf. egalement A. A. Dim Delobsom, op. cit.,

p. 259, et H. Labouret, Les Tribus du Rameau Lobi, Paris, 193 I, p. 255. 3 G. Tessmann, Die Baja, die geistige Kultur, Stuttgart, I937, p. 146. 4 R. H. Nassau, Fetishism in West Africa, London, 1904, p. I3; E. Schultz-

Ewerth und Leonhard Adam, Das Eingeborenenrecht, Togo, Kamerun, Sidwvestafrika, Sidsee Kolonien, Stuttgart, 1930, p. 187 suiv.

S Mary H. Kingsley, West African Studies, London, I899, p. 439.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

LA SITUATION DE LA FEMME ET SES DROITS

Les habitants des regions littorales du Golfe de Guinee comptent parmi les Africains qui ont ete les premiers en contact avec les Euro- peens. Ils sont aujourd'hui les plus evolues parmi leurs congeneres, ayant beneficie de la transformation economique et des avantages de l'education qui se sont manifestes depuis le XVIe siecle dans cette region. Tous les auteurs qui les ont etudies au cours de ces dernieres annees sont d'accord pour juger tres favorable le statut des femmes en raison des droits accordes a celles-ci par la coutume.I

P. A. Talbot, resumant les observations qu'il a faites durant de longues annees parmi les tribus de la Nigeria meridionale, s'exprime ainsi: 'La position de la femme est definie de maniere tres precise dans la coutume. Bien qu'on puisse penser qu'etant achetee plus ou moins par son mari, elle se trouve presque dans la situation d'une esclave, et, en depit du fait que, dans quelques groupements, elle

accomplit la majeure partie du travail - situation qui etait due autre- fois a l'obligation pour les hommes de consacrer beaucoup de temps a la guerre et a la chasse - en realite son statut est assure et differe peu de celui de ses sceurs d'Europe ',2 Bien que certaines appreciations de M. Talbot appellent quelques reserves, sa conclusion merite d'etre signalee. Dans un ouvrage anterieur, le meme auteur avait rappele que chez les Ekoi, 'les droits des femmes sont respectes de fagon tellement stricte par les indigenes, qu'il n'est pas rare de voir, meme maintenant, une epouse actionner son mari devant le tribunal, l'accusant par vengeance d'avoir use sans autorisation de ses biens.' II

s'agit parfois d'une poterie ou d'une poele a frire. Un peu plus loin,

I A. G. Leonard, The Lower Niger and its Tribes, London, 1906, p. 215 (Ibo et Ijo); A. K. Ajisafe, The Laws and Customs of the Yoruba People, London, 1924, p. 7; M. Quenum, 'Au Pays des Fons (Dahomey)', Bull. Comitd d'1t. Hist. et Scient. d'A. O. F., Dakar, avril-septembre, 1935, pp. 265, 288; E. Schultz-Ewerth und Leonhard Adam, op. cit., pp. 50, 5 , 52, 58, 59, 60; D. Westermann, Die Glidyi- Ewe in Togo, Berlin, 1935, p. 264 suiv; J. Spieth, Die Ewe-Stdmxme, Berlin, 1906, p. II8; R. S. Rattray, Ashanti, London, 1931, pp. 40, 79, 231; J. B. Danquah, Gold Coast Akan Laws and Customs and the Akim Abuaka Constitution, London, 1928, p. 154 et suiv., p. 209; A. B. Ellis, The Tshi Speaking Peoples of the Gold Coast of West Africa, London, 1887, p. 298; J. M. Sarbah, Fanti Customary Laws, London, 1904, pp. 8, 136.

2 P. A. Talbot, The Peoples of Southern Nigeria, London, 1926, iii, p. 428.

I 5

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116 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN Talbot signale que dans la meme tribu une fillette de huit ans a porte plainte contre son pere, l'accusant d'avoir employe sans sa permission un ustensile de cuisine, dont il lui avait fait present quelques jours auparavant. La juridiction indigene a condamne le pere.I

Ces observations faites parmi des peuplades evoluees confirment les judicieuses remarques de Grosse a propos de la situation de la femme dans les diverses societes. Chez les chasseurs et les pecheurs, leur situation est infdrieure, sans doute parce qu'elles ne collaborent guere aux activites masculines. Elle s'ameliore chez les cultivateurs sedentaires, parce que la femme est une grande pourvoyeuse d'ali- ments dans ces communautes. On peut ajouter qu'elle est generale- ment enviable dans les societes qui se livrent au commerce.2

LA SOLIDARITE] FEMININE, LA GREVE DES FEMMES

Nous avons signale plus haut l'importance et la valeur sociale des

groupements feminins, qui assurent une etroite solidarite entre leurs membres en meme temps que la defense des interets communs. Dans certaines tribus, ecrit encore Talbot, les femmes tiennent la ferule. A cause de l'Akejuju chez les Bini et les Ekpa du bassin moyen de la Cross River, a cause de la societe Nimm chez les Ekoi, les femmes sont a beaucoup de points de vue plus puissantes que les hommes, qui les craignent trop pour les maltraiter. Les deux grandes associa- tions secretes de l'Est, Ekkpe et Idiong, furent fondees par des femmes.3 'L'existence, la force et l'efficacite de ces organismes devaient necessai- rement conduire celles qui en font partie a des manifestations concertees, a la greve et meme a la revolte deliberee pour defendre leurs privileges et leurs droits menaces. Des actes de ce genre ont ete signales des le moyen-age par le voyageur arabe Ibn Batouta, qui visita le Soudan en 1352. Lors de son passage dans la capitale du

Manding, les femmes du palais cesserent d'assurer leur service et pro- testerent violemment contre l'injustice dont le souverain de cette

epoque, Mansa Suleyman, s'etait rendu coupable a l'egard de sa pre- miere femme, la Kasa.4

I P. A. Talbot, In the Shadow of the Bush, London, 19I2, pp. 97, 98, 314. 2 E. Grosse, Die Formen der Familie und die Formen der Wirtschaft, Freiburg,

I896, p. i82. 3 P. A. Talbot, The Peoples of Southern Nigeria, iii, p. 428. 4 Ibn Batouta, Voyages au Pays des Noirs. Traduction MacGuckin de Slane;

Journal Asiatique, mars, I843, pp. 217, 2i8.

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Page 22: Situation Matérielle, Morale et Coutumière de la Femme Dans l'Ouest. Africain

LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN II7

Depuis le XIVe siecle le droit de greve s'est singulierement etendu, en meme temps que l'organisation des femmes se perfectionnait. Malheureusement les quelques faits parvenus a la connaissance des

Europeens dans ces deux domaines n'ont pas retenu suffisamment l'attention des observateurs qualifies. Pour que l'on s'en occupat, il a fallu le mouvement inattendu et d'une ampleur sans precedent, qui s'est developpe dans la Nigeria sud-orientale, au sein de la province c'Owerri et au cceur du pays-Ibo en I929. I1 est designe dans les documents britanniques sous le titre de The Aba riots, les troubles d'Aba.I

A la fin de 1929 le gouvernement local ayant decide d'instituer un

regime d'imp6ts directs dans les provinces d'Owerri et de Calabar, jusque-la soumises uniquement a des taxes indirectes, les autorites

indigenes reSurent l'ordre de recenser les personnes et les biens. En

consequence le chef Okugo, du village d'Oloko, prevint ses ad- ministres de l'operation qui allait etre effectuee. II envoya peu apres un de ses representants pour la commencer chez une nommee

Nwanyeruwa, commertante aisee, comme la plupart des femmes de cette region, qui exercent une sorte de monopole sur le trafic de l'huile de palme et des produits vivriers. Nwanyeruwa, apres avoir insulte le messager d'Okugo, refusa de laisser compter ses moutons, ses chevres et finalement engagea une lutte violente avec cette homme. Les matrones du voisinage aussit6t alertees se reunissent, examinent l'affaire, constatent que des droits d'importation nouveaux frappent tous les articles, alors que le prix de l'huile de palme et celui de tous les produits exportes ne cessent de baisser. La situation devient intolerable. Deja les hommes paient la capitation, il est maintenant

question de taxer les femmes, le moment d'aviser et de reagir est

On peut en trouver la version officielle dans les Sessional Papers of the Nigeria Legislative Council, Nos 12 et 38 de 1930; dans les Minutes of Evidence, en annexe aux precedents qui figurent dans la Gazette Extraordinary du 7 fevrier 1930; dans les Legislative Council Minutes, 9e session 1931, pp. 36-57, ainsi que dans la Despatch ... regarding the Report of the Commission of Enquiry into the Disturbances at Aba, etc., Cmd. 3784, I931. Enfin Miss Margery Perham a magistralement expose la

question dans Native Administration in Nigeria, London, 1937, chap. xiv, pp. 207-20. Plus recemment Mrs. Sylvia Leith-Ross a fait sur place une enquete sur ces faits auxquels elle a consacre les pages I9 a 39 de son livre African Women, London, 1939.

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II8 LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

arrive. Les rapports officiels mentionnent que les congressistes deci- derent alors de prendre comme signe de ralliement une feuille de palmier et qu'elles en envoyerent dans les villages voisins pour pre- venir leurs sceurs et les appeler a la rescousse. D'apres Mrs. S. Leith- Ross cette circonstance ne semble pas nettement etablie, au contraire il est prouve que les femmes composerent sans tarder une chanson, inspiree par les evenements et qu'elles ne cesserent d'employer au cours de leurs manifestations.

Pendant la nuit, des femmes, et rien que des femmes, venues de toutes les agglomerations voisines arriverent en grand nombre a Oloko; elles passerent le temps a se consulter, a danser et a chanter au milieu d'une extraordinaire agitation. Le lendemain matin, cette foule en delire attaque la maison d'Okugo, le chef considere comme responsable des mesures fiscales envisagees, et du recensement qui en est le prelude. Okugo est insulte, frappe, on s'empare de lui pour le conduire a Bende. La le Commissaire de District est entoure par plus de Io.ooo femmes qui reclament un chatiment exemplaire contre ce chef. Afin de sauver la vie de ce dernier, le fonctionnaire organise sur l'heure un simulacre de jugement et condamne publiquement Okugo a deux ans de prison. Cependant l'agitation ne se calme pas, les femmes continuent a camper autour des batiments administratifs et a protester contre le projet de taxation. Elles se refusent a ecouter les conseils de moderation que leur prodiguent les Europeens et les chefs indigenes. Apres en avoir delibere, elles decident de faireune de- marche a Port Harcourt aupres du Resident. Dans ce but une dele- gation, composee de cinquante d'entre elles, prend le train emportant une adresse redigee en termes particulierement energiques. En meme temps, les femmes d'Oloko, qui semblent les plus acharnees, par- courent la region, se rendent dans les Districts voisins et prechent la resistance contre la tyrannie. Des contributions spontanees parvien- nent en grand nombre a Nwanyeruwa, victime d'Okugo et de l'administration.

Dans la seconde semaine de decembre les troubles s'etendent a Aba, centre commercial important, situe sur la voie ferree, les bou- tiques europeennes sont pillees, ainsi que les immeubles du chemin de fer et le siege de la Barclays Bank, la prison est occupee et les detenus sont liberes. En depit de ces manifestations, le recensement

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN I19 s'etait poursuivi dans la province de Calabar, voisine de celle d'Owerri. I1 ne tarda pas a provoquer de ce c6te des incidents violents. Des femmes attaquent de jeunes fonctionnaires europeens qui essaient de les calmer, elles incendient des tribunaux indigenes. Des troupes sont alors envoyees a Opobo ou la situation paralt inquietante, elles sont assaillies et doivent faire usage de leurs armes pour delivrer le Commissaire de District et un lieutenant, entoures par I.500 femmes qui les cherchaient a les frapper. Les deux salves tirees a ce moment tuerent 3 2 des revoltees et en blesserent 3 1. L'agi- tation avait alors gagne un territoire de 600ooo milles carres peuple de plus de 2 millions d'habitants.

Ce brusque soulevement avait surpris les autorites anglaises par sa violence soudaine, par sa discipline et son extension rapide. Sa caracteristique la plus surprenante fut d'avoir ete organise et de s'etre developp6 sans aucune participation masculine; les hommes sont demeures passifs devant ces evenements, comme si les faits graves qui se deroulaient sous leurs yeux ne les regardaient pas. I1 ne pouvait d'ailleurs en etre autrement, si l'on songe aux motifs d'une agitation dont le seul but etait de defendre la situation acquise par les femmes et les privileges de celles-ci. Jusqu'en I929 elles n'avaient jamais ete imposees et entendaient ne laisser taxer ni leurs personnes ni leurs biens propres. Aux termes de la coutume, les hommes n'avaient pas a intervenir dans une question de ce genre, qui interes- sait uniquement leurs epouses et leurs filles. Le phenomene de sepa- ration des sexes et des interets, dont nous avons pris soin de souligner l'importance, s'est manifeste ici avec une ampleur remarquable; il a toute la valeur d'une preuve decisive.

On a suppose que les revoltees avaient ete puissamment aidees dans leur action par la solidarite entretenue au sein de leurs diverses associations et que nous avons mentionnee. Malheureusement il n'a pas ete possible de determiner avec precision la part que ces groupes avait jouee en ce qui touche l'orientation du mouvement, son exten- sion, la transmission des ordres et des consignes. I1 est tres probable que leur role fut important.

D'autres territoires nous offrent des exemples non moins interes- sants d'emancipation feminine. Sans les enumerer tous, on mention- nera specialement ici l'existence dans la province de l'Indenie a la

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CBte d'Ivoire de plusieurs femmes qui exploitent des plantations de cacaoyers, dont elles vendent la recolte a leur profit. A notre con- naissance deux d'entre elles possedent des camions automobiles au moyen desquels elles pratiquent l'industrie du transport qui leur procure des benefices assez eleves. Ailleurs la production de l'arachide assure aux femmes des revenus appreciables. Presque partout les menageres sont des commergantes avisees, qui savent augmenter leurs ressources par un petit negoce ou une modeste industrie, celle de la vannerie, de la poterie, de la teinturerie par exemple.

LES EFFETS DE L'EDUCATION

Les transformations de l'economie et l'amelioration des niveaux de vie, qui en est la consequence, ne sont pas les seuls phenomenes provoquant des changements dans le statut, dans la situation materielle et morale des femmes. L'education directe ou indirecte est aussi un facteur important de cette evolution; on peut donc penser qu'en Afrique comme en Europe et dans d'autres pays, la multiplication des ecoles et des divers enseignements aboutira assez vite a des resultats heureux, d'autant plus rapides que l'effort financier pour repandre l'education au profit des deux sexes sera plus grand. Mal- heureusement il faut constater que le principal obstacle a l'entree des fillettes africaines dans nos etablissements d'enseignement est souleve par les parents eux-memes, surtout par les meres, qui redoutent de perdre de precieux auxiliaires pour les travaux du menage et des champs. Cependant, ecrit Sceur Marie Andre, 'si peu nombreuses qu'elles soient les jeunes filles elevees dans les ecoles frangaises con- stituent une elite et se revelent les meilleures auxiliaires de notre ceuvre civilisatrice. Quelques-unes, devenues infirmieres, institu- trices, employees, se font des situations dans l'Administration ou le commerce. Les autres mariees, font regner a leur foyer plus de bien- etre et une hygiene plus rationnelle '.

Les rapports du Service de l'Enseignement en A.O.F. signalent a juste titre l'heureuse influence exercee par ces jeunes filles dans leur entourage. Ils mentionnent la repugnance des interessees pour la polygynie; presque toutes n'acceptent comme 6poux qu'un evolue,

Sceur Marie Andre du Sacre Cceur, La Femme Noire en Afrique Occidentale, Paris, 193 9, P. 235.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN I2I

un lettre, un fonctionnaire ou un commerSant, gagnant bien sa vie et capable de leur assurer une existence assez large. Cette pretention, jointe a l'elevation du prix de la vie contribuera certainement a faire disparaitre la polygamie au sein de la nouvelle elite indigene. II est certain que les jeunes filles elevees dans les ecoles officielles ou mis- sionnaires, dotees d'un poste, bien mariees et considerees, excitent l'envie. On les imite, elles donnent le ton et contribuent a cette education indirecte, repandue hors des etablissements scolaires par les colons, les commerSants, les fonctionnaires et les missionnaires eux-memes. On se trouve alors en presence d'un phenomene d'ac- commodation ou d'imitation spontane, qui est la marque de l'adap- tation a un nouvel ordre de choses. Tous ceux qui ont eu la faculte d'observer l'Afrique depuis une generation savent qu'elle se trans- forme avec une inconcevable rapidite sous l'influence de faits econo- miques et sociaux. La coutume d'aujourd'hui n'est plus celle du debut de l'occupation et l'on peut affirmer, qu'en ce qui touche le statut personnel, elle tend a se rapprocher de la conception generale europeenne. I1 y a un demi-siecle la famille etait organisee suivant le type agnatique de la Grece antique, elle est devenue avec peu de modifications une communaute ' tacite ' ou ' taisible ', pareille a celle que l'on rencontrait dans le Nivernais jusque vers I86o, et a peine diff6rente de la zadruga serbe qui a subsiste jusqu'a notre epoque dans certaines provinces de la Yougoslavie. Mais on a constate partout la disparition progressive de cette forme d'association familiale sous l'influence de facteurs autrefois inconnus. Le bloc des apparentes tres coherent il y a un demi-siecle parce qu'il devait etre uni pour resister aux influences exterieures generalement hostiles, s'est peu a peu desa-

grege, a mesure que les Puissances tutrices imposaient la paix et 'l'ordre colonial' sur leurs territoires. Les families indivises ou etendues ont vu diminuer ainsi le nombre de leurs membres; dans les contrees ou elles subsistent encore, elles tendent a se reduire a l'association de deux ou trois freres et de leurs descendants. Ailleurs la separation est deja consommee. Les menages, qui sont les elements essentiels de ces groupes, ont repris leur independance et vivent a part. Un autre facteur decisif intervient dans l'evolution de la coutume, il est deter- mine par la facilite actuelle des communications, des voyages, les nombreuses occasions pour les jeunes gens des regions eloignees de

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s'engager dans les entreprises agricoles, industrielles ou commerciales du littoral ou des grandes villes. Ils y prennent des habitudes de liberte qui rendent insupportables pour eux les coutumes et les regles etroites de la morale villageoise, auxquelles ils s'efforcent d'echapper. Ils y parviennent sans peine, puisque la situation economique presente leur permet de se creer des moyens individuels d'existence, de faire des economies, de reunir eux-memes le montant d'une compensation matrimoniale pour s'etablir. Les representants qualifies des collec- tivites indigenes, chefs et notables, signalent depuis longtemps cette evolution qu'ils jugent regrettable et dangereuse, car elle sape les bases de l'autorite et de la famille indivise. Pour le moment et sans doute pour une generation encore la situation va rester confuse du fait de la coexistence de deux coutumes antagonistes, l'ancienne nette- ment conservatrice, la nouvelle resolument novatrice. L'issue du conflit entre les deux ne fait aucun doute, la seconde vaincra, etant mieux adaptee aux conditions nouvelles. En ce qui touche le statut feminin des progres considerables ont ete realises depuis quelques annees comme le prouve assez un exemple, cite en 1934 mais qui se place vraisemblablement vers I924. Dans une communication faite par M. R. Randau au Centre d'Iltudes de Colonisation Comparee de l'Universite d'Alger, la pratique du zan-boko, frequente en pays mossi et que nous signalons plus haut, est evoquee a propos d'une sage femme auxiliaire. Cette jeune fille, rentrant en conge a Ouagadougou fut avisee par son chef de famille qu'elle eut a epouser sans delai un vieillard auquel on l'avait promise depuis son enfance. Mais elle refusa d'executer cet ordre, d'autant plus qu'elle avait decide de se marier avec un medecin auxiliaire indigene de son choix. Le differend fut porte devant l'administration franSaise qui donna raison a la jeune fille. L'opposition entre les coutumes est donc manifeste, elle est naturelle, si l'on admet que la coutume est un ' faisceau d'habitudes publiques communes a une societe, a un groupe social ou a une classe sociale'. Par suite, la coutume, fait d'habitude et d'opinion, ne saurait etre immuable, elle vieillit, tombe en desuetude, elle est remplacee par une nouvelle coutume. C'est precisement le pheno- mene auquel nous assistons en Afrique tropicale.

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LA FEMME DANS L'OUEST-AFRICAIN

CONCLUSIONS

Les Puissances coloniales se sont toutes obligees a respecter les coutumes de leurs ressortissants, sauf lorsqu'il s'agit de pratiques contraires aux principes de la civilisation occidentale, comme l'es- clavage, l'anthropophagie, les sacrifices humains etc. Mais il ne semble pas qu'elles aient toutes accorde la meme attention a l'enre- gistrement de ces coutumes, ni qu'elles aient pris parti lorsqu'il y a conflit entre les habitudes anciennes et les nouvelles. 'D'ailleurs', ecrit le gouverneur Geismar, 'on ne saurait suffisamment souligner la contradiction qu'il y a a vouloir respecter integralement la coutume, juste au moment ou la societe indigene, a la suite de notre contact, parcourt des siecles en des decades.'I

Dans ces conditions, et pour combler les graves lacunes qui sub- sistent encore, il convient de poursuivre une etude precise des cou- tumes, et comme le suggere le Professeur Danel, interroger les indigenes evolues, les missionnaires, les administrateurs et les rares juristes qui se sont interesses a ces problemes, leur demander des avis sur les difficultes qui resultent des regles coutumieres et sur les moyens de remedier a chacune d'elles. Ces etudes pourraient servir de suggestions portant soit sur des textes d'ordre legislatif, soit sur des pratiques administratives, soit sur des solutions de jurisprudence.2

Le Professeur Rene Maunier, de son cote, estime que notre action de droit, touchant la femme en pays noir, doit tendre a lui donner trois bienfaits humains, qui sont les signes de la civilisation: la surete, la dignite, la liberte. Mais pour atteindre ce but il recommande la circonspection et la prudence. ' Ne pas heurter des traditions invete- rees et respectees par l'habitant et qui sont objet de superstitions; proceder, des lors, par evolution et non pas du tout par revolution; proposer d'abord avant d'imposer; preparer donc l'esprit des Noirs au changement par information et consultation des plus eclaires, des plus avances . . . ; et menager, autant qu'on peut, la transition du passe au futur.' Apres avoir propose en exemple la politique coloniale

L. Geismar, 'L'action gouvernementale et les coutumes indigenes en A.O.F.', Outre-Mer, Juin, I934.

2 Prof. Danel, 'La Femme Noire en Afrique FranSaise ', Monde Colonial Illustrg, I939, P. 143.

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de Faidherbe au Senegal, M. Maunier ajoute: ' Tachons que le bienfait ne soit paye par nul mefait, gardons l'ordre en servant le progres.T'

Deux autres auteurs recommandent au contraire une action plus energique des pouvoirs publics, notamment pour lutter contre la poly- gamie et accorder aux femmes les suretes et la liberte dont parle le Professeur Maunier. La campagne qu'ils ont menee avec courage et talent depuis quelques annees a determine le gouvernement frangais a etendre a tous les territoires qu'il contr6le dans l'Ouest-africain certaines mesures deja appliquees au Cameroun et dans des colonies britanniques voisines. Par decret du 15 juin 1939 la validite du mariage a ete subordonnee au consentement de la jeune fille et a celui de la veuve, assurant a cette derniere la libre disposition d'elle- meme.2

Cette legislation nouvelle complete heureusement des instructions et des circulaires qui n'avaient pas suffisamment eclaire les juges des tribunaux indigenes. Elle aura d'excellents effets parmi les nombreuses populations assez eduquees et transformees pour en comprendre la portee. Elle ne changera guere la situation chez les attardes. L'expe- rience prouve en effet que la loi n'est en general qu'une coutume redigee et formellement sanctionnee. Les efforts pour intervertir cet ordre habituel sont d'ordinaire absolument vains. Pour construire socialement le nouveau monde africain oiu la dignite de la personne humaine sera respectee dans la femme comme dans l'homme, laissons la coutume evoluer entre les mains des jeunes generations instruites par nos soins, comme le propose R. Delavignette,3 mais n'oublions pas que la colonisation est une ceuvre de patience. A la brusquer on s'expose au mefait bien plus qu'au bienfait.

HENRI LABOURET.

R. Maunier, 'La Femme Noire en Afrique Frangaise ', Monde Colonial Illustre, 1939, pp. I43 et 144.

2 J. Wilbois, L'Action sociale en Pays de Mission, Paris, I939; Sceur Marie-Andre du Sacre Cceur, La Femme Noire en Afrique occidentale, Paris, I939.

3 R. Delavignette, Les Vrais Chefs de l'Empire, Paris, 1940, p. I81.

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