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SKI ALPIN ANALYSE ET TRAITEMENT DIDACTIQUE PAR G. GAUTIER La stature olympique du ski nous rappelle l'écart énorme entre sa richesse éducative et sa réalité scolaire. Or, pour une véritable rénovation, l'EPS peut répondre aux voeux des élèves du second degré et intégrer les activités de pleine nature (1]. Dans cette perspective, l'article qui suit est à considérer comme une proposition de cadre théorique du traitement didactique d'une APS (1). Son objectif est de jeter les bases d'une réflexion sur la didactique du ski alpin et des disciplines associées, mono- ski et surf. ANALYSE DIDACTIQUE Logique interne |3] Skier (2) c'est descendre des pentes enneigées à l'aide d'engins sophistiqués fixés aux pieds. Le ski est donc une activité de déplacement de type « pilotage » : - dans le milieu physique et humain de la montagne - sans moteur avec pour seule énergie la gravité - orientée selon une seule direction possible l'aval - et agrémentée de variations de trajectoires. Le skieur est un système complexe puiqu'il est à la fois le « pilote de glisse » et l'engin capable de « tracer des droites et dessiner des courbes » (tableau 1). Après avoir été le moyen de déplacement de certaines populations, le ski est aujourd'hui devenu alpin. Le déplacement est le moyen du ski, son essence est purement hédoniste, on skie pour le plaisir. Enjeu de formation [3] et finalités éducatives Le ski présente de nombreux intérêts au plan éducatif. Par exemple, il peut permettre de : - accéder à une activité valorisante (marque de différenciation sociale), à une culture locale et une pratique directement profitable dans les futurs loisirs de l'adulte, - développer des ressources bio-informationnel- les, psychomotrices et bioénergétiques, - organiser sa motricité à partir de nouvelles données qui nécessitent un changement de repé- rage (ligne de pente), la reconstruction du schéma corporel englobant un matériel (skis, chaussures, bâtons), un équilibre organisé à partir d'un axe mobile, - maîtriser des émotions liées à l'essence de l'activité (la glisse) : griserie, appréhension, et développer son audace, - acquérir des habiletés transférables dans d'au- tres activités de glisse, et une multitude de comportements en réponse à la richesse des situations rencontrées. Problème fondamental Skier, c'est se lancer un défi où l'individu se confronte à un triple problème : - prolonger ses pieds de prothèses de dimensions exceptionnelles, - maintenir la posture érigée alors que l'équilibre est fortement perturbé, - se piloter ainsi sur ou dans la neige selon la trajectoire désirée. Les principes d'action fondamentaux Ils peuvent être formulés ainsi : - s'équilibrer à partir d'appuis spécifiques à chaque type de neige - créer ces appuis en fonction de la forme spa- tiale et temporelle de la trajectoire - élaborer sa trajectoire dans et à partir du contexte (neige, pente, relief, visibilité, présence d'autres skieurs ou d'un parcours matérialisé), ici et maintenant - se piloter par actions motrices de commande des skis qui fournissent des appuis déterminés au skieur. PHOTO : ZOOM EPS 232 - NOVEMBRE-DECEMBRE 1991 59 Revue EP.S n°232 Novembre-Décembre 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

SKI ALPIN - CERIMESuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70232...SKI ALPIN Critères de réussite Quelle que soit la situation considérée (neige non damée, ou neige

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    ANALYSE ET TRAITEMENT DIDACTIQUE PAR G. GAUTIER La stature olympique du ski nous rappelle l'écart énorme entre sa richesse éducative et sa réalité scolaire. Or, pour une véritable rénovation, l'EPS peut répondre aux vœux des élèves du second degré et intégrer les activités de pleine nature (1]. Dans cette perspective, l'article qui suit est à considérer comme une proposition de cadre théorique du traitement didactique d'une APS (1). Son objectif est de jeter les bases d'une réflexion sur la didactique du ski alpin et des disciplines associées, mono-ski et surf.

    A N A L Y S E D I D A C T I Q U E

    Logique interne |3]

    Skier (2) c 'est descendre des pentes enneigées à l 'aide d 'engins sophistiqués fixés aux pieds. Le ski est donc une activité de déplacement de type « pilotage » : - dans le mi l ieu phys ique et humain de la montagne - sans moteur avec pour seule énergie la gravité - orientée selon une seule direction possible l 'aval - et agrémentée de variations de trajectoires.

    Le skieur est un système complexe puiqu ' i l est à la fois le « pilote de glisse » et l 'engin capable de « tracer des droites et dessiner des courbes » (tableau 1). Après avoir été le moyen de déplacement de cer ta ines popula t ions , le ski est aujourd 'hui devenu alpin. Le déplacement est le moyen du ski, son essence est purement hédoniste, on skie pour le plaisir.

    Enjeu de formation [3] et finalités éducatives

    Le ski présente de nombreux intérêts au plan éducatif. Par exemple, il peut permettre de : - accéder à une activité valorisante (marque de différenciation sociale), à une culture locale et une pratique directement profitable dans les futurs loisirs de l 'adulte, - développer des ressources bio-informationnel-les, psychomotrices et bioénergétiques, - organiser sa motricité à partir de nouvelles données qui nécessitent un changement de repé-rage ( l igne de pente) , la reconst ruct ion du schéma corporel englobant un matériel (skis, chaussures , bâ tons) , un équil ibre organisé à partir d 'un axe mobile, - maîtr iser des émotions liées à l 'essence de l 'activité (la glisse) : griserie, appréhension, et développer son audace, - acquérir des habiletés transférables dans d 'au-

    tres activités de glisse, et une mult i tude de compor tements en réponse à la richesse des situations rencontrées.

    Problème fondamental

    Skier, c 'est se lancer un défi où l ' individu se confronte à un triple problème : - prolonger ses pieds de prothèses de dimensions exceptionnelles, - maintenir la posture érigée alors que l 'équilibre est fortement perturbé, - se piloter ainsi sur ou dans la neige selon la trajectoire désirée.

    Les principes d'action fondamentaux

    Ils peuvent être formulés ainsi : - s 'équil ibrer à partir d ' appuis spécifiques à chaque type de neige - créer ces appuis en fonction de la forme spa-tiale et temporelle de la trajectoire - é laborer sa trajectoire dans et à partir du contexte (neige, pente, relief, visibilité, présence d 'aut res skieurs ou d 'un parcours matérialisé), ici et maintenant - se piloter par actions motrices de commande des skis qui fournissent des appuis déterminés au skieur.

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    Revue EP.S n°232 Novembre-Décembre 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

  • SKI ALPIN

    TRAITEMENT DIDACTIQUE

    Niveaux d'apprentissage

    Pour D u p u i s [ 4 ] , la fo rma t ion aux A P P N consiste pour l 'essentiel à « développer la capa-cité à conduire le système corps-engin sur des trajectoires de plus en plus exigeantes ». Pour la plupart des professionnels, la progression dans l 'activité s'effectue selon un continuum et peut être décrite par des niveaux d 'apprent issage. Cette approche globalisante tend à réduire l 'acti-

    vité à une pratique peu variée. Son aspect fonc-tionnel permet cependant de comprendre une partie des t ransformations du compor tement observées (tableau 2). La prise en compte de la variété inhérente au milieu nous amène à considérer chaque pente comme une situation originale. Pour chacune, on peut dès lors proposer les niveaux suivants : - niveau 1 : aller en bas en toute sécurité - niveau 2 : skier en continuité jusqu ' en bas - niveau 3 : descendre en rythme : godiller, en-chaîner des courbes

    - niveau 4 : skier vite ou avec vivacité - niveau 5 : s 'exprimer par la variété de sa trajec-toire. Les habiletés sont évaluées à partir de la trajec-toire réalisée et parfois de la trace laissée sur la neige. Cependant, il est difficile de concevoir une « mise en fiches » de tous les paramètres du milieu. Par pragmatisme, il paraît raisonnable de retenir quatre « familles » de pentes classées à partir d 'un paramètre dominant qui nécessite des comportements moteurs proches (tableau 3). Ces pentes sont hiérarchisées en fonction de leur difficulté, mais outre l 'interférence de ces fac-teurs, d 'autres paramètres interviennent. Le cas de la pente forte est à cet égard révélatrice (encadré).

    Thèmes d'étude

    Aujourd'hui, deux notions répondent à notre préoccupation. La théorie des « éléments techni-ques » de Georges Joubert [5] (3) et le concept d '« habileté motrice », issu des travaux améri-cains (4). C'est l 'activité du skieur qui est dès lors approchée en termes de comportements identifiés et reconnaissables. Ces comportements sont les objets de l 'enseignement. Ils sont à la base d 'un apprentissage conçu comme un en-semble d'acquisitions en réponse aux différentes sollicitations du milieu de pratique. L' intégration des différents paramètres de la pra t ique nous condui t à chois i r les thèmes d 'étude suivants : - glisser en schuss - pivoter skis à plat - pivoter sur les carres - se diriger par effet directionnel à plat - se diriger par effet directionnel coupé - rebondir par prise d 'appui - amortir les reliefs - sauter. Chaque thème traduit une motricité spécifique sous-tendue par des paramètres biomécaniques, bioénergétiques, bio-informationnels, émotion-nels et mentaux particuliers. La technique est approchée comme moyen d'adaptation aux diffi-cultés de la tâche de déplacement et par l 'inter-médiaire de ses aspects essentiels de manipula-tion (ou plus proprement de « pédiculation ») des outils skis.

    Evaluation de la difficulté d'une pente

    Cas d'une pente forte

    En fonction des paramètres décrits dans le tableau 3, les degrés de difficulté suivants peuvent être identifiés : 1er d': neige douce, terrain régulier, large 2e d': - neige dure ou non damée, sur terrain régulier et

    large - neige douce sur terrain irrégulier et large - neige douce sur terrain régulier et couloir étroit

    3 e d': - neige dure ou non damée et terrain irrègulier et large • neige dure ou non damée et terrain régulier et étroit - neige douce sur terrain irrégulier et étroit

    4e d': neige dure ou non damée, terrain régulier et étroit

    En résumé, voici quelques paramètres à prendre en compte: - la nature de la neige - la déclivité - la largeur de la pente - la présence de reliefs : leur taille, leur forme, leur rappro-chement, leur régularité - la visibilité : luminosité, brouillard, intempéries - la présence d'autres pratiquants.

    Tableau 1 : le système skieur-ski

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    Critères de réussite

    Quelle que soit la situation considérée (neige non damée, ou neige dure, et/ou pente forte, et/ou champ de bosses), les critères de réussite sui-vants peuvent être retenus : - niveau 1 : je suis capable de descendre ju s -qu ' au bas de la pente - niveau 2 : je suis capable de descendre en enchaînant mes actions ju squ ' en bas - niveau 3 : je suis capable de descendre la pente selon une trajectoire rythmée, soit sous forme de godille, soit par des virages enchaînés les uns aux autres - niveau 4 : je suis capable de descendre la pente soit à g rande vi tesse soit en godil lant avec vivacité - niveau 5 : je suis capable de varier ma trajec-toire pour m'expr imer en descendant sans frei-nage.

    Situations de référence

    Le nombre des situations de référence ne doit pas dépasser deux ou trois, et il doit être déterminé à partir de la réalité contextuelle de la pratique ; en fonction : - du type d 'organisat ion : stage, cycle, durée effective de pratique - des moyens mis en œuvre : matériel des élèves, encadrement (nombre de personnes, formation, statut, etc.) - du contexte dominant du cycle ou du séjour : station fréquentée, conditions de neige, condi-tions météorologiques. Les situations de référence consistent en une m ê m e tâche de « descente libre » (5) dans la panoplie suivante : - en neige non damée : poudreuse, profonde, lourde, « trafolée », etc. - en neige dure : gelée, glacée, artificielle, vitre, etc. - sur pente forte : mur, couloir (déclivité mesurée ou estimée), type de neige - dans un champ de bosses : forme, taille des bosses, type de neige et déclivité. Chacune des si tuations choisies présente un

    Tableau 2 : niveaux de pratique à ski, à l'exclusion du mono et du surf.

    Tableau 3 : quelques repères pour estimer la difficulté d'une pente.

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  • SKI ALPIN niveau de difficulté suffisant, en regard des capacités réelles des élèves.

    Cette réflexion est limitée par l 'absence d 'ana-lyse d 'une ou des logiques des élèves, celle-ci reste à faire. Ce point essentiel est aussi de la responsabilité des enseignants d 'EPS qui ont la possibilité d 'éprouver cette maxime : « le ski alpin, une véritable chance pédagogique ! ».

    Gérard Gautier Professeur d 'EPS

    UFRAPS Grenoble

    (1) Ce travail a été réalisé en s'appuyant sur les proposi-tions de cadre théorique d'analyse et de traitement d'une APS de J. Dugal [2]. (2) Par simplification, et pour alléger le texte, le terme « skier » englobe ceux de « monoskier » et de « surfer » ; le terme de « ski » ceux de « monoski » et de « surf ». (3) Elément technique : cette notion est de Georges Joubert in « le ski, un art... une technique » (Arthaud 1978). Il la définit comme étant « une unité fondamentale du compor-tement à ski, à l'égal de la molécule, unité élémentaire de la matière ». Un skieur est constitué d'un ensemble d'élé-ments techniques intégrés en un système cohérent. J'ose-rais avancer ici qu'un élément technique est la réponse motrice la plus performante à une situation particulière de pilotage des skis, elle est la partie observable et donc « objectivable » de l'action motrice. (4) Habileté motrice : l'habileté est un élément de l'activité humaine consciente exécutée de façon largement automa-tique et résultant essentiellement de l'exercice. L'habileté est un élément du processus d'action. Lorsque l'habileté concerne des mouvements précis ou des tâches motrices faisant partie d'un élément plus vaste (en sport, par exem-ple : tir en suspension, bascule, flexion-extension, fos-bury-flop), on spécifie habileté motrice. Une habileté motrice est une technique motrice envisagée dans sa réalisation optimale. Elle est synonyme d'adresse-dexté-rité, in « Dictionnaire des Sciences du Sport » (Verlag Karl Hofman, 1987). (5) Descente libre : épreuve normative d'évaluation intui-tive la plus couramment utilisée. Il s'agit pour le candidat de montrer son aisance à descendre une pente donnée devant un jury. Les critères retenus sont difficilement « objectivables », mais les observateurs, comme très sou-vent les observés eux-mêmes, sont remarquablement d'ac-cord sur les jugements portés. C'est l'impression d'ensem-ble qui est retenue ; il faut cependant un peu d'expérience pour se « forger l'œil » et être capable d'évaluer avec une fiabilité suffisante. La pente choisie doit être suffisamment difficile pour « faire la différence ».

    BIBLIOGRAPHIE [1] PARLEBAS, P.: Didactique et logique interne des APS. EPS n° 228, 9-14 ; 1991. [2] DUGAL, J. : Analyse et traitement didactique des APS. L'exemple du tennis. EPS n° 230, 25-28 ; 1991. [3] GAUTIER, G. : Technologie d'une APS : le ski alpin. Document interne UFRAPS Grenoble ; 1991. [4] DUPUIS, J. : La famille APPN. Canoë-kayak - ski -voile. CRDP Toulouse ; 1991. [5] JOUBERT, G. & ROSSI, D. : ski-éléments techniques. Programmation pour un enseignement du ski à des élèves du second degré. Education physique et sport, 137, 51-59 ; 1976.

    RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Briglia, J.-P. & Vallet, B. (1989) : Ski alpin. Editions Revue EPS. Constantin, D. & Missen, F. (1988) : Ski de bosses avec Henri Authier. Edisud. Dupuis, J. (1991) : La famille APPN. Canoë-kayak -ski -voile. CRDP Toulouse. Gallwey. T. & Kriegel, B. (1987) : Ski et psychisme. Robert 1 .Lafont. Gautier. C. & Millot, T. : 1 500 situations et jeux de ski. Vigot (à paraître). Joubert, G. (1985) : Guide pratique pour mieux skier. Arthaud. Mémento de l'Enseignement du ski français (1988). Ski alpin. Edition 89. M.E.N. (1983) : Le ski alpin à l'école élémentaire. Edition Revue EPS. Millot, T. (1987) : A corps et à skis. Roger Faloci. Nerva, J. (1989) : Surf de neige, des premiers virages à la compétition. Go Sport-Glénat. Paccalin, A. & Ducloz, M. (1990) : Surf et monoski. Denoël.

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