RsumLes diffrenciations sexuelles et gnration- nelles tudies travers les sociabilits juvniles rvlentdes solidarits et des relations sociales plus complexes et diversifies qu'il ne semble. Ces relationssociales montrent une organisation de l'espace et des groupes sur les cits sgrgues base sur leclivage homme/femme et sur les classes d'ge. Les sociabilits fminines, moins localises que cellesdes garons montrent une dynamique de promotion sociale plus forte. Les sociabilits masculines, pluslimites spatialement, se btissent sur une hirarchie des classes d'ge. Les rputations, pour les fillescomme pour les garons, restent dterminantes pour ngocier les statuts personnels. Les logiquesd'identification et de prsentation de soi dans ces "enclaves" sont donc primordiales pour saisir lesrapports complexes qui s'instaurent entre jeunes d'une mme cit.

ZusammenfassungJugendliches qemeinschaFtsqeFhl in den Vorstdten : Beispiel der Beziehungen Mann / FrauDie sexuellen und generationsbedingten Differenzierungen, die anhand der jugendlichenGemeinschaftsgefhle studiert werden, zeigen Solidaritten und soziale Beziehungen, die vielkomplexer und unterschiedlicher sind als es scheint. Diese sozialen Beziehungen zeigen eineOrganisation des Raumes und der Gruppen in den abgesonderten Stdten, die auf der TrennungMann/Frau und der Altersklassen beruht. Die weiblichen Gemeinschaften, die weniger als die derJungen lokalisiert sind, entwickeln eine strkere soziale Fortschrittsdynamik. Die rumlich begrenzterenmnnlichen Gemeinschaften bauen auf der Hierarchie der Altersklassen auf. Der Leumund bleibt frMdchen wie fr Jungen entscheidend, um ihre persnliche Stellung durch Verhandlungen zu erlangen.Die Identifikationslogik und die Selbstdarstellung in diesen Enklaven sind also ausschlaggebend, umdie komplexen Beziehungen zu verstehen, die zwischen Leuten derselben Vorstadt entstehen.

ResumenSociabilidad juvenil en las aFueras : El ejemplo de las relaciones hombre / mujer.Las diferenciaciones sexuales y generacionales estudiadas a travs de la sociabilidad juvenil, revelansolidaridades y relaciones ms complejas y diversificadas de lo que podra suponerse. Estas relacionessociales muestran una organizacin del espacio y de los grupos en las poblaciones perifricassegregadas, basada sobre la diferenciacin hombre/mujer y sobre las categoras de edad. Lasociabilidad femenina, menos localizada que la de los jvenes varones, muestra une dinmica depromocin social ms fuerte. La sociabilidad masculina, ms limitada en el espacio (desde un punto devista psicolgico), se construye sobre una jerarqua de las categoras o grupos de edad. La reputacin,tanto para las nias como para los varones, es aun determinante para lograr una situacin socialpersonal. Las lgicas de identificacin y de presentacin de s mismo en esos " enclaves " son, por lotanto, primordiales para captar las complejas relaciones que se instauran entre jvenes de una mismabarriada.

AbstractThe social patterns of suburban youth Example of male / female relations.The sexual and generational differentiations studied through youth behaviourisms bring to the fore morecomplex and varied loyalties and social relations than expected. These social relations reveal anorganisation of space and of groups in segregated inner cities based upon the male/female cleavageand age ranges. Female social patterns, less localised than those of boys, demonstrate a strongertendency towards social advancement. Male social patterns, more territorially restricted, are based uponage group hierarchy. Reputation both for girls and boys remains a determinant factor in negociatingpersonal status. The logics of self identification and presentation within these enclaves are essentialto the complex relations which occur amongst young people from the same inner city.

lieux de jeunes

Sociabilit juvnile

en banlieue L'EXEMPLE DES RAPPORTS HOMME/FEMME par Sylvain Aquatias et Kamel Rarrbo

Sylvain AQUATIAS : Sociologue, charg de recherches au RESSCOM.

Kamel RARRBO : Sociologue, charg de recherches au RESSCOM et collaborateur l'Institut Maghreb-Europe (Universit de Paris VIII).

Les diffrenciations sexuelles et gnration- nelles tudies travers les sociabilits juvniles rvlent des solidarits et des relations sociales plus complexes et diversifies qu'il ne semble. Ces relations sociales montrent une organisation de l'espace et des groupes sur les cits sgrgues base sur le clivage homme/femme et sur les classes d'ge. Les sociabilits fminines, moins localises que celles des garons montrent une dynamique de promotion sociale plus forte. Les sociabilits masculines, plus limites spatialement, se btissent sur une hirarchie des classes d'ge. Les rputations, pour les filles comme pour les garons, restent dterminantes pour ngocier les statuts personnels. Les logiques d'identification et de prsentation de soi dans ces "enclaves" sont donc primordiales pour saisir les rapports complexes qui s'instaurent entre jeunes d'une mme cit.

Banlieue et lien social La concentration dans le mme lieu de per

sonnes ayant un statut social plus ou moins identique, renforce par le dpart des classes moyennes durant les annes 1970, a faonn ces habitats bien particuliers que l'on dsigne sous le terme gnrique de banlieue. Avec le dveloppement de la crise conomique et du chmage, on assiste un renforcement de la relgation sociale qui se superpose une relgation spatiale. Dans ces zones d'habitat se dveloppent de nombreuses tensions : surpeuplement dans les grands ensembles, importance de la population juvnile et des familles d'origine trangre, chmage massif qui atteint toutes les couches d'ge et diminue les chances d'insertion professionnelle des jeunes, violences urbaines pisodiques, monte du sentiment d'inscurit et dveloppement de l'conomie souterraine. . .

Les priphries urbaines sont ainsi dsignes comme des antichambres de la ville : la zone, les cits dortoirs, le ghetto, etc. . . Les noms des grands ensembles sont devenus des symboles de la dangerosit l, du quart-

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1 Les mdias vhiculent quotidiennement cette image de dangerosit des banlieux: "crise, loi, urgence, fivre, rodos, chasse, flics, mort, gchis, guetto, explosion, galre, drogue,...".

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monde, de l'invasion immigre (les 4 000 de la Courneuve, Sarcelles et la sarcellite, etc.). Le centre, dominant symboliquement et socialement, apprhende avec angoisse des explosions suburbaines et souhaite loigner et contrler encore plus ces zones : politiques de la ville, tentatives de matrise de l'ordre public, "contrle" par le travail social.

Les banlieues face aux nouvelles questions de l'intgration sociale renvoient un changement radical de la conception mme de celle- ci. D'abord parce que comme le fait remarquer Alain Touraine 2, il y a passage d'une problmatique de l'ascension sociale, de la mobilit verticale une sgrgation horizontale, un rapport centre-priphrie o les positions sociales sont dfinies par le rejet hors des espaces riches, riches en quipements, en transports, en activits sociales. Ce n'est pas seulement entre villes centrales et villes priphriques que joue ce rapport, mais aussi depuis l'intrieur des villes elles-mmes o les quartiers se dfinissent par leur position vis--vis d'un centre-ville o sont concentrs commerces et activits, services administratifs et vie culturelle. Mais, au- del des problmes mmes d'espace gographique, c'est la notion d'espace social qui semble tre en cause avec la rupture des relations sociales traditionnelles, relations familiales, relations au travail, etc.. Cette fragilisation sociale se dveloppe dans un contexte gnral de redfinition des statuts sociaux et du lien au travail, au salariat (nouvelle stratification en cours des couches sociales) 3.

Deux modes explicatifs dominent dans les approches des manifestations sociales de la jeunesse suburbaine. L'un, en attribuant aux jeunes des sociabilits exacerbes, bases sur les phnomnes de bande, privilgie une vision de la violence et des meutes urbaines,

proche par ses explications d'une sociologie de la dviance. L'autre constate la dsorganisation de ces espaces, l'appauvrissement des relations sociales. Elle conclut une dsagrgation du lien social, l'anomie.

Entre ces deux schmas explicatifs, il reste trouver comment du dsordre nat de l'organisation, comment de l'anomie nat du lien social.

Etudier les sociabilits des jeunes de banlieue, c'est, bien sr, postuler que les cits de banlieue sont des lieux de vie bien plus que des dserts relationnels et qu'il reste montrer les logiques qui articulent ces relations sociales.

Notre propos, ici, n'est pas tant de dfinir la jeunesse ou de proposer de nouvelles frontires gnrationnelles que d'analyser ces rapports sociaux que les jeunes dveloppent entre eux, l'intrieur des cits. Ces relations sont mouvantes, complexes et dynamiques. Elles se btissent cependant en rfrence deux critres principaux: le sexe et l'ge. Il s'agira aussi de tenir compte de cette inscription territoriale qui est plus un lment en jeu dans l'identification socio-culturelle des jeunes que la simple marque d'une identit spatiale.

Les jeunes qui nous intressent n'habitent pas n'importe quelles cits de banlieue4 : ce sont celles que l'on trouve gnralement loin des centre-villes, dont les btiments, pour la plupart HLM, ne sont pas ravals, dont la

2 TOURAINE A.,"Face l'exclusion" in Esprit "La France des banlieues", numro spcial. Fvrier 1991. 3 Voir le dernier ouvrage de R. Castel Les mtamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat. Ed. Fayard, Coll. L'espace du politique, 1995. 4 Nous avons travaill essentiellement en banlieue parisienne, dans le dpartement de Seine Saint-Denis. Si nous ne donnons pas ici le nom des communes ou des cits, c'est simplement qu'il nous semble inutile d'accrotre la stigmatisation de celles-ci.

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rputation fait que le passant s'y aventure peu. Il s'agit essentiellement de cits considres comme difficiles, dont les habitants sont vous aux maigres ressources de l'aide sociale et aux emplois faible qualification et o les activits illicites sont une source de revenus pour certains. La confiance des jeunes y est difficile gagner et on ne peut certes pas esprer saisir la totalit des rapports sociaux qui se jouent devant les btiments, dans les cages d'escalier et encore moins dans les appartements. Est-ce dire que tous les jeunes que nous y avons rencontrs sont conditionns par ce territoire dgrad, fruit de la sgrgation urbaine ? Ici, comme ailleurs, derrire la catgorisation jeunes de banlieue se cache une ralit sociale plus complexe et diversifie.

Les variables des sociabilits des jeunes de banlieue

Avant tout, il nous semble important de montrer comment, l'intrieur mme de cette jeunesse, des rfrences multiples et diversifies jouent et rgulent l'espace des lieux et des sociabilits et des enjeux s'y droulant.

Parlant des jeunes des cits sgrgues, il semble impossible de ne pas considrer ce que le passant dnonce quand il dit : L-bas, ce ne sont que des noirs et des arabes. Les populations de ces cits sont effectivement composes par de fortes proportions de familles issues de l'immigration. La diversit des origines va bien sr jouer sur les sociabilits des jeunes, mais elle n'est pas uniquement lie une culture irrductible, mais aussi l'exprience migratoire et la dvalorisation sociale qui en dcoule. Deux choses sont bien diffrencier ici : d'une part, les valeurs transmises par les parents, qui se rattachent un environnement et des conditions de vie

autres, d'autre part, le sentiment de dvalorisation li la position sociale des parents et leur statut. La dvalorisation sociale s'exerce ici, par ailleurs, tout autant sur les familles franaises. Ces deux rfrences vont jouer galement dans l'tablissement des codes et des systmes de sociabilit, qui sont totalement lis aux manires d'occuper l'espace. La diversit des origines va donc tre le creuset de langages, de valeurs, de liens prfrentiels qui influenceront profondment les modes de vie des jeunes, qu'ils soient d'origine franaise ou non.

Mais, en dehors de ces influences dues l'exprience migratoire et la dvalorisation sociale, il nous faut bien remarquer que le sexe partage les jeunes et divise les sociabilits. La faible visibilit des filles sur l'espace des cits s'oppose la prsence massive des garons. A une poque o la mixit s'est impose dans la socit globale, les jeunes des cits semblent pratiquer dans leurs activits courantes une sparation des sexes qui s'impose au regard. Enfin, seconde grande distinction, tout aussi vidente que la premire, les classes d'ge fondent des affinits, des regroupements, des sociabilits enfin qui ne sont pas les mmes selon les ges. A partir de ces constatations, nous avons essay de repenser le systme de variables qui rgissait l'occupation des espaces collectifs par les jeunes des cits.

L'identit territoriale Les jeunes, travers d'une part le partage

d'une exprience de vie commune et d'autre part leur vcu dans un systme de reprsentations o les cits, la leur en particulier, sont fortement stigmatises, voient l'ventail des sociabilits souvent restreint une proximit immdiate. Le sentiment d'tre rejet est trs fort. Comme le

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Les jeunes des cits semblent pratiquer dans

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sexes qui s'impose au regard.

note Franois Dubet, tre d'une cit sgr- gue, c'est dj tre exclu. Les jeunes en sont pleinement conscients lorsque, cherchant un emploi, ils travestissent ou dissimulent leur adresse.

Personne, pour ces jeunes, n'est capable, a priori, de comprendre leur situation sans la partager. Il s'agit bien l d'un type de sociabilit contrainte, o seul le partage, depuis l'enfance, d'une situation et d'expriences communes, permet de parler et d'tre compris. C'est ce qui dfinit cette identit territoriale. Hyperterritoriale, pourrait-on dire, puisqu'il s'agit ici d'une appartenance la cit mme, bien plus qu' la commune. C'est ce sentiment d'exclusion qui explique l'unanimit des ractions des habitants face une descente de police ou de C.R.S., les solidarits se renouant alors spontanment face l'intrus. L'enclave partielle, telle que la dcrit Jean-Franois Lae 5 est une des manifestations de cette prcarit relationnelle o jouent les liens isolants et protecteurs par lesquels la communaut des semblables amortit les effets du jeu social et conomique quand ceux-ci ne semblent plus supportables.... Cette enclave, en dfinissant un ensemble restreint de solidarits, renforce l'isolement et lgitime certains niveaux des modes de vie que la socit globale considre comme dviants. C'est aussi ce qui provoque, de la part des jeunes, cette mfiance de l'tranger, de celui qui vient l alors qu'il n'a rien y faire. Pas une voiture qui ne passe dans les cits sans que l'on

s'interroge sur l'identit du conducteur. Mais la cohsion sociale qui apparat forte, vue de l'ext

rieur, ne doit pas masquer les envies de partir. Partir, ici, c'est un peu le rve de tout le monde. Partir le plus loin possible, l'tranger de prfrence 6. Les gars en parlent, ils rvent de vacances, loin de la cit. Quelques-uns ont russi partir. Pourtant, on les revoit encore. Dans une cit, on raconte une blague sur les gars qui partent, en rfrence un feuilleton amricain, Le Prisonnier. Quand un gars parti n'a pas t vu depuis longtemps, on dit :

Tiens, la boule l'a pas encore trouv, elle va le ramener bientt, c'est sr, c'est vrai, les mecs, on dirait qu'ils sont obligs de revenir, ils peuvent pas s'empcher, ils partent, mais ils reviennent quand mme, c'est des prisonniers, pareils !

Car le systme d'appartenance est trs fort : quand il y a un relogement, un dmnagement et qu'une famille s'en va un peu plus loin dans une autre banlieue, une semaine aprs, on voit les jeunes revenir sur leur ancienne cit retrouver les copains. Ils sont capables de faire des trajets importants, presque tous les jours pour passer revoir leurs amis. Certes, cet attachement variera en fonction des situations et des dures. Il n'en reste pas moins la trace d'une appartenance profonde.

5 LAE J.-F., "Crise des banlieues : le bton n'est pas en cause" in Regards sur l'actualit, Juillet 1991 6 A l'image du fameux "bateau d'Australie" des jeunes algriens. La signification sociale se situe plus dans le rejet de la condition sociale que d'une esprance relle d'vasion. Voir Kamel RARRBO L'Algrie et sa jeunesse. Marginalisations sociales et dsarroi culturel. A paratre prochainement aux ditions l'Harmattan. Paris.

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Garons et filles sur les cits. Les rapports entre filles et garons sur une

cit de banlieue rvlent de forts clivages. Il y a peu de relations amoureuses ou peu de cas de jeunes couples issus d'une mme cit. L'observation ethnographique rvle une sociabilit masculine beaucoup plus visible que celle des filles. La mixit est peu frquente et s'inscrit souvent dans des rapports de moqueries ou de collaborations piso- diques, pour une fte par exemple. Encore faut-il ici pondrer notre propos. La mixit n'est pas rare chez les plus petits. Ce n'est que vers dix-douze ans que garons et filles se dtachent. Il semble ici que les pr-adolescentes, les adolescentes et les jeunes filles restent mfiantes vis--vis des garons habitant la mme cit qu'elles.

Ainsi, la description qui suit est le rsum d'une observation ralise lors d'une soire dansante organise par l'animateur d'un centre social. Il montre bien comment se manifestent, travers la rpartition spatiale, les clivages entre sexes et classes d'ge.

La soire commence par un repas organis dans les locaux du centre social. Tout au fond de la salle, les filles sont installes une table part. Elles ont rserv leur table l'avance exprs pour se retrouver entre elles. .. (...)

On fait enfin rentrer les jeunes. Il y a environ 20 25 petits (de 8 12-13 ans), une douzaine de grands (de 14 18-20 ans), et une dizaine de filles, qu'on peut diviser en deux groupes: celles qui ont mang l, qui sont surtout des blacks (14-16 ans) et un autre groupe qui comporte des jeunes filles franaises, un peu plus ges, environ dix-sept, dix- huit ans, quatre ou cinq, qui restent l, discuter entre elles. . . L'une d'entre elles est venue avec son petit ami, un Franais de dix-huit ans

environ. Il doit tre le seul Franais d'origine de la soire. Il reste avec les filles, ne se mlange pas avec les autres garons, n'a salu aucun d'eux. . .

Les jeunes se sont regroups tout de suite: les petits au fond, les grands le long de l'estrade, les filles l'entre, position stratgique entre les deux portes, celle qui va dehors et celle qui mne aux toilettes. Ces positions serviront de base, toute la soire aux diffrents groupes. . . Toutes les filles sont sur leur trente et un, trs apprtes. . . Les mecs sont habills comme tous les jours. . . Ils n'enlvent surtout pas leurs blousons, suent grosses gouttes en discutant. Les petits sont les premiers commencer danser, entrans par l'animateur. Au centre, l'amie de celui-ci tourbillonne seule, elle essaie d'entraner les filles venir danser, mais en vain. . . Seul un des grands danse, un jeune maghrbin. La sono diffuse prsent de la soul, et les filles commencent danser, en groupe, pas tout fait au centre de la salle. Elles sont tournes les unes vers les autres, prsentant leurs dos l'assemble. C'est d'abord le groupe des jeunes filles blacks qui danse, puis les franaises, mais restant leur base. Un autre grand s'est mis danser. . . Puis, c'est le rap. . . Tous les jeunes se mettent danser, les petits, qui dansent trs bien, les filles, et quelques grands. Les deux danseurs se sont approchs du groupe de filles et dansent prsent face elles. . . Mais les filles font celles qui ne sont pas intresses. Les mecs s'loignent. Durant toute la soire, nous ne verrons pas une seule tentative d'approche entre garons et filles. A noter aussi l'absolue absence de toute jeune fille maghrbine, hormis l'amie de l'animateur...

Cette soire nous a laiss l'impression d'une parade o chacun des groupes se prsente, se donne voir, sans tablir rellement

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Les rapports entre garons et Filles sur la cit Les gars, is n'aiment , . ,, ., pas trop que ce soit une

prennent alors parFois 1 aspect d une concurrence fille quis>occupe de ces trucs-l, regarde, lui,

quand il a fait animateur, c'tait un peu pour a qu'il est descendu en bas (au centre social), c'est parce qu'il ne voulait pas que ce soit moi qui y aille. 8

On veut monter un projet, tu sais un sjour, parce que c'est un peu une demande d'indpendance, tu sais des sjours. On en a dj fait, mais on est toujours accompagnes, il y a le petit frre, ou le grand frre, bon, jamais toutes seules, alors l, c'est un peu une revendication, c'est toujours les mecs dans ce genre de truc, on s'occupe toujours d'eux. Mais l, tu vois, il faut sortir de a, on a notre ducation, bon, je connais leurs parcours, je suis d'origine maghrbine, alors je connais a aussi, mais l, elles veulent bouger, alors tu vois, c'est bien. Mme, vis--vis des garons, on est un peu en situation de concurrence, pour eux, c'est drle de voir les filles faire quelque chose. 9

Sociabilits fminines. Certes, l'autorit familiale, et notamment

pour les filles de familles d'origine trangre, s'exerce encore beaucoup plus sur elles que sur leurs frres. Le contrle de leur sexualit dtermine encore souvent l'honorabilit de la famille. Cet honneur qui est une des richesses de la famille est exacerb et ici tout est question d'vitement et de visibilit publique des ventuelles transgressions des schmas identificatoires des parents et notamment du pre et/ou du frre an. Le

de contacts individuels. Il s'agit l davantage d'une sance de prsentation collective o le seul fait que les jeunes prsents soient de la cit empche toute relation plus pousse qu'un simple regard. La rputation agit cet gard comme un vritable contrle social.

Cette mfiance des filles vis--vis des garons condamne ceux-ci, sur les petites cits, sortir de ces enclaves pour pouvoir accder aux femmes. La frustration sexuelle des jeunes, sur certaines cits, peut tre assez forte et provoquer des ressentiments, voire des techniques d'approche particulire quand une fille de l'extrieur vient sur la cit. Les exemples suivants illustrent ces situations.

Un des gars jette un regard entendu vers la fille et dit : Qui c'est qui va la serrer ? Son copain l'interroge du regard : II y a dj quelqu'un dessus ? Non, je crois pas, tu vois, il y a des nanas, elles sentent bon, quand elles sont passes, tu sens comme a, mais elle, c'est dj pas a... tu sens la sueur et tout, c'est pour a...

Il y a aussi dans le coin prs de la porte une fille, trs apprte. Elle a, tout casser, dix- huit ans, mais probablement moins. Des joints passent. Un des jeunes, derrire moi, passe la consigne son copain. Fais fumer la gadgi. .. L'autre va s'asseoir ct d'elle et lui passe le joint. Les autres feront encore de mme, un peu plus tard, tirant peine sur le joint, le refilant tout de suite la fille. 7

Les rapports entre garons et filles sur la cit prennent alors parfois l'aspect d'une concurrence :

7 Extraits de deux comptes rendus d'observation participante dans un local de jeunes. 8 Entretien avec une jeune fille de 1 7 ans, d'origine maghrbine. 9 Entretien avec une jeune fille de 23 ans, d'origine maghrbine.

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controle de la sexualit et donc de la visibilit des filles sur l'espace de la cit est alors un enjeu de respectabilit. Le comportement des filles vis--vis des garons semble bien confirmer cela.

Le dbut, c'est que je sortais avec un mec de la cit, je suis sortie avec lui, j'avais 13 ans, juste en sortant dfinitivement de l'cole, j'tais amoureuse de lui, on est rest ensemble 3 ans. C'est avec lui surtout que j'ai tran, j'ai connu les galriens, j'aurais pu mal tourner. Et puis 18 ans, j'ai couch avec lui, il n'arrtait pas de me le demander, et j'ai fini par dire oui. Aprs j'ai t dgote, je voulais plus le voir, il est mme venu voir ma mre pour dire que c'tait lui qui avait fait a, qu'il m'avait pris ma virginit, il a dit ma mre qu'il voulait bien m' pouser. Et c'est moi qui ai dit non, je voulais pas, je me sentais sale d'avoir couch avec un mec. Et pendant 6 mois, a a t l'horreur dans la cit, c'est depuis l queje suis malade des nerfs. Comme je suis pas reste avec lui, bien sr, il a dit tous ses copains qu'il m'avait eue, enfin qu'il avait couch avec moi. Alors l, y' a d'autres mecs qui ne se sont pas gns pour dire que, eux aussi, ils avaient couch avec moi, bref, j'avais une rputation de salope dans la cit. Et l, avec mon frre surtout, a a plus march, il me trouvait en bas, il me disait de monter, qu'est ce qu'il m'a tape cette priode, maintenant a va beaucoup mieux. Mais c'est aussi parce que j'tais vachement nave, moi, les filles de la cit, je les considrais comme des copines, alors que derrire mon dos, qu'est-ce qu'elles ont pu parler, elles aussi, elles en ont rajout, elles disaient aussi que je couchais droite gauche. Une fois que t'es plus vierge et qu'ils le savent, ils peuvent dire que t'as eu un tas de mecs et c'est ce qui s'est pass. 10

Les dangers de salir sa rputation et les difficults vivre ds lors que celle-ci est ternie font que les filles sont extrmement prudentes dans leurs relations avec les garons de la cit.

Bon, videmment, il y en a, des garons et des filles qui sont ensemble, bon, oui, mais pas beaucoup, vaut mieux pas, les garons que tu connais, c'est un peu comme des frres, tu vois, il faut mieux que a reste comme a. C'est des gens, on a grandi avec eux, on prfre les avoir comme amis ' '

Si elles veulent sortir ou avoir des aventures, elles iront de prfrence sur d'autres cits, plus loignes, o personne ne les connat. Cette mfiance, par ailleurs, se transmet de gnrations en gnrations. Sur une autre cit, une jeune fille de 19 ans d'origine maghrbine, qui s'occupait des enfants disait ainsi une des petites :

Les mecs, c'est comme a, quand tu es avec eux, ils te disent qu'ils t'aiment et tout, mais ds que tu as le dos tourn, c'est plus pareil, tu n'existes plus...

Si les filles sont peu visibles sur les espaces collectifs de la cit, c'est aussi qu'elles ont davantage investi d'autres lieux. Le domicile des parents o celui des copines de classe ou de la cit, le collge, le centre commercial du coin sont les endroits o on peut les retrouver. L'intensit de cette ouverture vers l'extrieur reste cependant tributaire du statut social, du type d'ducation et des ngociations avec l'instance parentale.

Cet investissement sur d'autres lieux montre assez que les choix et les objectifs ne sont pas les mmes que ceux des garons.

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10 Entretien avec une jeune fille de 21 ans d'origine maghrbine. "Entretien avec une jeune fille de 17 ans, d'origine magnrbine.

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Tout d'abord, elles ont une scolarit beaucoup plus longue que les garons et russissent davantage. Cette russite, que l'on remarque aussi bien pour les jeunes filles d'origine maghrbine que pour les autres 12, se place dans une volont d'affranchissement du milieu familial, mais aussi social, culturel, voire spatial (quitter la cit). Ainsi, les collgiennes et lycennes ont de l'cole une reprsentation beaucoup plus positive que leurs condisciples masculins 13. Cette scolarit prolonge les dirige vers des circuits de sociabilit diffrents, moins lis la proximit immdiate.

Les tensions qui rsultent de ces choix sont plus visibles pour les jeunes filles issues de l'immigration. Mais la famille reste le lieu de la socialisation primaire, le rfrent identitaire fondamental qui concourt au processus de reconnaissance sociale et dans la construction tensionnelle de l'identit individuelle de la jeune fille. Cette famille transmet et reproduit des bribes de la culture d'origine exacerbe par la transplantation migrante. Ici, les traditions familiales et culturelles s'accompagnent de referents religieux qui sont, pour le cas maghrbin, issus d'un cadre religieux monothiste fortement valoris par les parents et charg d'une longue histoire de rencontres et de reconnaissances conflictuelles avec l'Occident. L'influence de la famille peut tre, selon les cas, plus ou moins forte et dpend aussi de la nature et de la frquence de la sociabilit familiale. Les parents ont dvelopp et dveloppent encore de fortes attentes quant la russite scolaire des enfants, mais beaucoup plus pour les garons que pour les filles. Car, pour ces dernires, le mariage et l'ducation restent les projets les plus rpandus, notamment en cas d'checs scolaires des jeunes filles.

Ces valeurs culturelles et sociales qui dominent dans les familles d'origine trangre reposent encore sur des schmas avec lesquels les sorties nocturnes, la poursuite des tudes, la recherche d'un travail ou le choix d'un conjoint sont parfois difficilement conciliables, en tout cas difficilement compris par les parents. Elles dveloppent alors une stratgie base sur l'amnagement des aspirations opposes afin de grer la situation au mieux en vitant les conflits avec les parents et/ou le frre an.

Sociabilits masculines : les classes d'ge Les sociabilits masculines se dfinissent

d'abord entre garons, travers les classes d'ge. La dfinition des classes d'ge pose des problmes. D'abord, parce que celles-ci reposent sur une logique des sociabilits, mais ne les figent pas. Il faut donc viter de rduire les sociabilits des jeunes ce seul aspect. D'autre part, les classes d'ge, en tant que support des sociabilits, sont lies la scolarit et par consquent une seule anne de diffrence peut jouer dans le cadre des affinits affectives. On peut nanmoins saisir, partir d'observations ethnographiques, comment les diffrents vcus de l'ge, c'est--dire du statut attach l'ge, jouent. Ces vcus, extrmement variables selon les individus, montrent nanmoins l'existence d'un certain nombre de rites d'interaction qui permettent d'valuer le statut de chacun dans le cadre des interactions globales entre jeunes sur la cit. C'est ce que nous allons essayer de montrer prsent partir d'exemples concrets tirs d'un de nos terrains.

12 Voir R. Establet et C. Baudelot, Allez tes filles .', Ed. Points actuels, 1992. 13 Rsultats issus d'une enqute auprs de jeunes scolariss d'une commune de Seine-Saint-Denis. 1 994.

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Les classes d'ge dfinissent de larges catgories laissant une marge importante aux individus pour s'y exprimer. Ainsi, chaque jeune est mme de ngocier son statut et le pouvoir qui s'y rattache selon ses capacits. Les diffrents lieux collectifs de la cit montrent bien les enjeux de ces statuts. Dans une des cits observes, les jeunes avaient obtenu, grce une association, que soient rouvertes trois salles en rez-de-chausse, afin d'y avoir des activits. La premire avoir t rouverte fut celle des grands o se runissaient les jeunes de 14 30 ans, voire plus. Ce local permettait aux jeunes de se retrouver. L'association avait achet une tl, un des jeunes avait descendu sa chane hi-fi et le soir, ils restaient l jouer aux dames et regarder la tl, discuter et fumer tard dans la nuit. Le second local ouvert fut celui des petits dont une jeune fille s'occupait. Par extension, ce local devint aussi celui des filles. Enfin, un troisime local fut ouvert pour les 10-13 ans.

Les rivalits et les problmes entre les diffrents groupes d'ge commencrent partir de ce moment. Les grands faisaient irruption dans les locaux des petits et des pr-adolescents quand ils le dsiraient et occupaient ainsi la totalit des espaces. Les ractions des pr-ados et des filles taient au contraire d'avoir un espace priv o ils pouvaient tre libres de faire ce qu'ils voulaient. Une des premires dcisions des pr-ados fut de concevoir un rglement interne rgissant leur comportement et interdisant notamment aux "grands" de rentrer dans le local. Le rglement, affich au tableau, tait visible de tous. Le lendemain de son affichage, la ligne stipulant l'interdiction des grands tait dchire, visiblement d'un coup de couteau. Les

grands n'acceptrent jamais d'tre exclus de ce local et de nombreux incidents eurent lieu.

Un autre exemple. Les pr-ados se runissent, un jeune de 14 ans rentre :

H, s'il te plat, on a runion l, laisse nous! Je m'en fous, moi, de ta runion ! Le ton monte, les insultes pleuvent. Le grand et un des pr-ados s'empoignent.

Un dernier exemple : la tl a t dplace dans le local des pr-ados afin qu'ils puissent jouer avec la console de l'un d'entre eux. Un groupe de grands arrive. Ils s'installent, monopolisent le jeu, ne laissant les plus petits jouer qu'aprs de longs moments d'attente. Comme l'un d'entre eux se lasse des jeux disponibles, il envoie un des pr-ados chercher d'autres jeux chez un gars qui n'habite pas trs loin.

Ce qui se joue ici est bien, travers l'occupation des locaux, l'affirmation d'une hirarchie des ges. Les pr-ados se battent pour faire respecter leurs droits, mais ils sont malgr tout soumis l'autorit des grands, quels que soient leurs ges.

Par contre, entre les classes d'ge suprieures, se jouent de la mme manire des enjeux de pouvoir. Les ados testent continuellement les plus grands en les insultant sur le mode de la plaisanterie pour voir jusqu'o ils peuvent aller. Ils ne se retirent du jeu qu'au moment o il y a risque d'affrontement physique. Ce mode de test est assez bien accept par les plus grands qui voient bien travers les plaisanteries hargneuses qu'il ne s'agit pas de remettre en cause leur statut, mais bien celui du plus jeune qui ne teste pas tant l'an que sa capacit lui faire face.

Les ges jouent aussi dans les types de groupes qui se forment. Les pr-adolescents forment assez souvent de petites bandes alors que, partir de 14-15 ans, ce sont des trios

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ou des duos qui apparaissent chez les garons. Ces amitis se basent rarement sur la fratrie et peuvent durer trs longtemps.

D'autre part, la fratrie joue continuellement un rle rgulateur dans ces sociabilits codes. Les solidarits intraf familiales sont, en gnral, plus fortes que les sociabilits de classe d'ge, ce qui fait qu'un grand frre pourra tre amen dfendre son cadet contre des jeunes de son ge. Ceci dit, sur les petites cits, la parfaite connaissance que chacun a des fratries limite les erreurs.

Les pr-ados qui n'ont pas de grand-frre, par contre, peuvent tre soumis aux humeurs des grands sans pouvoir se dfendre. C'est alors que la solidarit de classe d'ge remplace les solidarits intrafamiliales. Ce sera le copain de l'enfant menac qui interviendra pour le faire bnficier de sa couverture familiale. On voit bien comment les sociabilits sont alors rgules par des codes familiaux et statutaires bien prcis. Plus encore, la rputation du grand-frre va jouer sur la considration que l'on porte tel pr-adolescent. Si celui-ci est particulirement rput pour une raison o une autre, c'est--dire, si il a une bonne rputation, l'enfant est bien protg. Au contraire, si le grand-frre est mal vu, qu'il a fait une embrouille, son petit-frre risque fort d'en faire les frais. L encore, la rputation, l'information sur ce qui se passe sur la cit sont indispensables pour pouvoir voluer travers les diffrents groupes de jeunes.

Or, cette information n'est disponible que lorsqu'on frquente avec intensit les jeunes

le soir et pendant la journe, que lorsqu'on est accept parmi eux, qu'ils s'expriment

sans mfiance. Ce n'est certes pas le cas des adultes qui ne peuvent pntrer ce monde qui leur est en partie au moins tranger. Ils n'ont ni le temps, ni les moyens de pntrer ces groupes. D'autre part, les enfants, ds l'ge de neuf ou dix ans et parfois plus tt, passent la plupart de leur temps dehors avec leurs amis. Leurs premires expriences dans ce cadre ne seront que rarement partages avec les parents qui sont petit petit exclus d'un monde dont les rfrences ne leur sont pas comprhensibles.

L'autorit des parents ne se perd pas tant travers la dvalorisation sociale, qu'elle soit ou non lie l'exprience migratoire, qu' travers ce non-partage de valeurs communes. D'autre part, le rtrcissement des perspectives d'avenir, le mal-tre et l'ennui qui naissent de cette situation d'attente et d'indtermination sociale rendent impossible le partage de situations radicalement diffrentes. A la famille et son espace s'oppose l'espace de la jeunesse. La sphre familiale est alors limite l'appartement, il s'agit d'un espace intrieur et priv. Au contraire, la jeunesse va se jouer sur les espaces publics et extrieurs, en occupant les zones visibles, s'assurant ainsi de dtenir les cls de l'espace. Certainement, il existe aussi des espaces intrieurs qu'occupe la jeunesse, mais qui sont alors lis, eux aussi, la sphre du priv, concernant alors des activits illgales. Si celles-ci peuvent cependant occuper l'espace public, visible de la cit, cela est d davantage la banalisation de ces activits qu' une volont de s'afficher.

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Les sociabilits des cits de banlieue : des rapports de pouvoir ?

Pour Georges Balandier, le sexe, domaine de la parent et de l'alliance, organise la premire loi du pouvoir. Pouvoir qui est, ensuite, consolid par d'autres lois sociales : celles rgissant les classes d'ge, puis le domaine politique, enfin l'instance conomique. Partant et s'appuyant sur les terrains des socits anthropologises, il aboutit ce constat : C'est la transformation des femmes en vritables oprateurs sociaux par le moyen desquels se fixe la Loi (prohibition de l'inceste), que se constituent des rapports sociaux primaires (parent et alliance) et la premire forme du pouvoir (capacit reconnue d'effectuer l'allocation des pouses). 14

Aujourd'hui, l'alliance et la parent sont en crise et les relations traditionnelles qui les sous-tendent disparaissent ou, du moins, se rarfient et s'amenuisent en se concentrant sur la famille restreinte ou nuclaire. Il y a transformation de l'organisation familiale et mutation des modles de relations intra et interfamiliales. D'autre part, la premire forme du pouvoir dont parle G. Balandier (possibilit d'allouer des pouses) est srieusement branle. La rengociation des statuts fminins et masculins qui s'ensuit de par la matrise du choix du compagnon par la femme et par la matrise des moyens de contraception change singulirement les donnes du problme et permet de penser que le schma classique d'un pouvoir masculin est amen se redfinir dans nos socits. On peut alors s'interroger sur la manire dont le contrle social de la femme garde une telle importance dans ces cits sgrgues dont nous parlons.

De mme, la redfinition des classes d'ge, dont on peut penser qu'elle n'est pas sans rapport avec les groupes de pairs dfinis par les expriences communes et qui s'affranchit toujours davantage de l'exprience familiale, montre une nouvelle articulation des rapports sociaux sur un espace local bien dlimit. C'est l sans doute ce qui les distingue des rapports entre les nombreux groupes d'ge diffrents qui existent dans toutes les socits : l'extrme importance de ces groupes dans le systme de sociabilits des cits, les codes et les rfrences une exprience commune locale qui les structure en tant que groupes dpassent les relations de copains de classe en axant l'identit sur le local.

Si les grandes divisions de ces sociabilits rappellent tant les logiques des socits tudies par les anthropologues, ce n'est pas le fruit du hasard. Ici aussi, le local, la proximit immdiate des jeunes, leur enfermement relatif les rapprochent des units dmographiques restreintes tudies par l'ethnologie.

Dans les cits de banlieue, l'accs aux femmes est limit par le jeu des rputations et le dsir de promotion sociale de celles-ci. Le sexe reste un enjeu de pouvoir. Les femmes sont pour les hommes un facteur de stabilisation qui implique un engagement dans un autre type de trajectoire d'o l'indtermination sociale est exclue. Avoir des aventures est minemment gratifiant. Etre avec une fille ou mieux tre mari, c'est changer de statut, c'est--dire cesser d'appartenir au clan des jeunes clibataires.

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14 BALANDIER G., Le dtour. Pouvoir et modernit, Ed. Fayard, Coll. L'espace du politique, 1985.

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Les filles, elles voient bien, elles les connaissent les mecs, elles savent bien de qui il s'agit et ce qu'ils font, c'est pas vraiment dans leur ide, elles attendent autre chose, alors videmment, c'est pas ces mecs-l qu'elles vont choisir (. . .)

Bon, en gnral, quand un mec, il trouve une fille, c'est marrant, il reste avec (...). En gnral, quand un mec, il trouve une fille, ils se mettent ensemble quand la fille elle a un appart l'extrieur, mais sinon, c'est pas possible. C'est vrai qu'en gnral, quand un mec, il trouve une nana, bon, il reste avec. Nous, quand on voit un copain qui se met avec une fille, on se dit celui-l, a va changer. C'est que a leur fait une motivation, c' est plus pareil, ils ont un but aprs. .. 15.

Les rapports hommes-femmes et les classes d'ge apparaissent ainsi comme des logiques de domination et de ngociation du pouvoir, permettant de btir les statuts par le jeu des rputations. L'homognisation des classes sociales et des devenirs potentiels crant moins de distinction entre les individus, les sociabilits des jeunes apparaissent bien comme des instruments de diffrenciation sociale l'intrieur des cits sgrgues. La diffrenciation sociale, c'est--dire la possibilit de s'identifier et d'tre identifi, de reconnatre et d'tre reconnu, de classer et d'tre class, doit donc, de plus en plus, passer par des logiques qui sont beaucoup moins lies au rapport au travail salarial et aux statuts socio-professionnels. L'ge et le sexe sont les oprateurs de diffrenciation les plus anciens : bass sur un postulat de natura- lit, ils redonnent du sens dans ces enclaves o l'accs au travail et aux statuts sociaux qui y sont lis se rtrcit sans cesse.

15 Entretien avec un jeune de 18 ans d'origine yougoslave.

Bibliographie BALANDIER G., Le dtour. Pouvoir et modernit, Ed. Fayard,1985. BAROU J., Processus de sgrgation et ethni- cisation de l'espace, GETUR/DPM, Ministre des Affaires Sociales, 1994. BEGAG A. et DELORME C, Quartiers sensibles, Ed. du Seuil, Coll. Point Virgule, 1994. CASTEL R., Les mtamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Ed. Fayard, Coll. L'Espace du politique, 1995. DUBAR C, La socialisation, Ed. A. Colin, Paris, 1991. DUBET F., La galre. Jeunes en survie, Ed. Fayard, Paris, 1987. ESTABLET R. et BAUDELOT C, Allez les filles .', Ed. Points actuels, 1992. JAZOULI A., Les annes banlieues, Ed. du Seuil, Paris, 1992. LAE JF., Crise des banlieues : le bton n'est pas en cause, in Regards sur l'actualit, juillet 1991. MAUGER G. et BAUDELOT C, Jeunesses populaires. Les gnrations de la crise, Ed. L'Harmattan, 1994. MAUGER G. Les jeunes en France. Etat des recherches, Ed. La Documentation Franaise, Paris, 1994. PASSERON JC, SINGLY F. DE, Diffrences dans la diffrence : Socialisation de classe et socialisation sexuelle, Revue Franaise de Sciences Politiques, Vol. 34, nl, Fv. 1984. RARRBO K., L'Algrie et sa jeunesse. Marginalisations sociales et dsarroi culturel, A paratre aux Ed. l'Harmattan, Paris, 1995. ROMAN J., (sous la Dir.), Ville, exclusion et citoyennet, Ed. Esprit, Paris, 1993. TOURAINE A., Face l'exclusion in Esprit, La France des banlieues, numro spcial, Fv. 1991.

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The social patterns oF suburban youth Example oF male / Female relations The sexual and generational differentiations studied through youth behaviourisms bring to the fore more complex and varied loyalties and social relations than expected. These social relations reveal an organisation of space and of groups in segregated inner cities based upon the male/female cleavage and age ranges. Female social patterns, less localised than those of boys, demonstrate a stronger tendency towards social advancement. Male social patterns, more territorially restricted, are based upon age group hierarchy. Reputation both for girls and boys remains a determinant factor in negociating personal status. The logics of self identification and presentation within these enclaves are essential to the complex relations which occur amongst young people from the same inner city.

Sociabilidad juvenil en las aFueras : El ejemplo de las relaciones hombre / mujer Las diferenciaciones sexuales y generacionales estudiadas a travs de la sociabilidad juvenil, revelan solidaridades y relaciones ms complejas y diversificadas de lo que podra suponerse. Estas relaciones sociales muestran una organizacin del espacio y de los grupos en las poblaciones perifricas segregadas, basada sobre la diferenciacin hombre/mujer y sobre las categoras de edad. La sociabilidad femenina, menos localizada que la de los jvenes varones, muestra une dinmica de promocin social ms fuerte. La sociabilidad masculina, ms limitada en el espacio (desde un punto de vista psicolgico), se construye sobre una jerarqua de las categoras o grupos de edad. La reputacin, tanto para las nias como para los varones, es aun determinante para lograr una situacin social personal. Las lgicas de identificacin y de presentacin de s mismo en esos " enclaves " son, por lo tanto, primordiales para captar las complejas relaciones que se instauran entre jvenes de una misma barriada.

Jugendliches qemeinschaFtsqeFhl in den Vorstdten : Beispiel der Beziehungen Mann / Frau Die sexuellen und generationsbedingten Differenzierungen, die anhand der jugendlichen Gemeinschaftsgefhle studiert werden, zeigen Solidaritten und soziale Beziehungen, die viel komplexer und unterschiedlicher sind als es scheint. Diese sozialen Beziehungen zeigen eine Organisation des Raumes und der Gruppen in den abgesonderten Stdten, die auf der Trennung Mann/Frau und der Altersklassen beruht. Die weiblichen Gemeinschaften, die weniger als die der Jungen lokalisiert sind, entwickeln eine strkere soziale Fortschrittsdynamik. Die rumlich begrenzteren mnnlichen Gemeinschaften bauen auf der Hierarchie der Altersklassen auf. Der Leumund bleibt fr Mdchen wie fr Jungen entscheidend, um ihre persnliche Stellung durch Verhandlungen zu erlangen. Die Identifikationslogik und die Selbstdarstellung in diesen Enklaven sind also ausschlaggebend, um die komplexen Beziehungen zu verstehen, die zwischen Leuten derselben Vorstadt entstehen.

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InformationsAutres contributions des auteursSylvain AquatiasKamel Rarrbo

Cet article est cit par :Pryen Stphanie. La prvention de la prostitution auprs des jeunes. In: Agora - Dbats / Jeunesses, 18, 1999. Du corps lidentit sexue. pp. 81-94.

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PlanBanlieue et lien socialLes variables des sociabilits des jeunes de banlieueL'identit territorialeGarons et filles sur les citsSociabilits fmininesSociabilits masculines : les classes d'geLes sociabilits des cits de banlieue : des rapports de pouvoir ?

Illustrations