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Cned --- Université Lyon 2 --- Université de Rouen Master 2 professionnel de Sciences de l’Éducation Sociologie des organisations Cours

Sociologie des organisations - dphu.org · Sociologie des Organisations Ce cours est rédigé par Thomas RENAUD, maître de conférences en sociologie de l’éducation à l’Université

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  • Cned --- Universit Lyon 2 --- Universit de Rouen

    Master 2 professionnel de Sciences de lducation

    Sociologie des organisations

    Cours

  • Sociologie des Organisations

    Ce cours est rdig par Thomas RENAUD, matre de confrences en sociologie de lducation lUniversit de Rouen - Haute Normandie.

    Contenu

    Introduction : Organisation et Formation : la rencontre de deux mondes

    I/ Organisation, Gestion, Communication

    II/ La sociologie des organisations

    III/ Contexte organisationnel et situation de formation

    Objectifs

    De quoi parle-t-on ? Une mise au point du vocabulaire

    Par une approche chronologique en 4 priodes des travaux de la discipline et laide dun tableau synthtique, connatre les grands auteurs, les thories, les concepts

    Connatre les concepts-cls de lanalyse sociologie actuelle dune organisation

    A laide de deux exemples, prsenter deux actions danalyse organisationnelle de situations de formation

    Faire connatre un outil danalyse de prparation dorganisation dune situation de formation

    Par un exercice final dapplication de cet outil prsent sous forme de grilles danalyse, amener ltudiant matriser cet outil.

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    En guise dintroduction : Organisation et Formation : la rencontre de deux mondes

    Aborder la sociologie des organisations dans le cadre de la formation, alors que la premire proccupation de cette discipline a t la production matrielle puis lefficacit de la bureaucratie, peut paratre un peu bizarre.

    En effet, lenseignement a longtemps relev de la reprsentation de la qualit de la relation duelle entre le matre et llve et la qualit de cette relation a longtemps t attribue la comptence inne semblable au don de Dieu- de lenseignant double de son exprience (un vieux prof qui garde la vocation ) et lapptence inne galement de llve (il aime apprendre ). Si la formation quant elle relevait du faire et du savoir-faire, le geste artisanal tait aussi marqu par linnit et lexprience ( des mains en or , le tour de main ) et il tait encore moins transmissible que le savoir sinon lapprenti lui-mme dou et laborieux.

    Cest le geste technique qui est le premier relever dune procdure thorique dexcution, excutable par chacun, pourvu quelle soit applique rigoureusement. Le geste technique est en soi ancien 1 mais son dveloppement ncessaire au dveloppement industriel du XIXe sicle le positionne au dessus du geste artisanal ds le moment o la rentabilit (production/temps) lemporte sur toute autre valeur. Technique, ici, a ne veut pas dire plac hirarchiquement entre le savoir intellectuel et son application manuelle irrflchie de louvrier la chane : Le geste ouvrier, parce quil est mcanique et non artisanal est un geste technique mme sil ne demande aucun apprentissage intellectuel, mais parce quil est lobjet dune procdure conue en dehors et en amont de lui et de son acteur.

    De plus ce geste est li dautres gestes accomplis par dautres individus selon un temps et un espace rigoureusement dfinis. Pas de ttonnement, pas de tour de main, pas de coup de patte , pas de personnalisation dailleurs il ny a plus de signature - mais une organisation conue en amont et donc au dessus permettant sa ralisation parfaite.

    Organiser les gestes de production suppose ds lors dorganiser leur apprentissage et lon comprend que se dveloppent paralllement lanalyse des situations de production, celle des situations de conception de la production et lanalyse, un peu plus tardive des situations dapprentissage de ces gestes de production. Un peu plus tardive car apprendre relve toujours dun autre champ, bien plus ancien, celui de la pdagogie (cest pour a que pendant longtemps, quand on est un homme on ne va pas retourner lcole , comme si lon allait dchoir de son statut dadulte). La formation permanente naura de sens que lorsquelle se sera spare de la pdagogie, elle qui est limite dans le temps et rserve une catgorie elle mme limite dans le temps, lenfance. Il faudra que lapprentissage se prolonge au point de confondre les ges (ctait le cas des tudiants qui ntaient pas des adultes tant quils apprenaient ; et cest le cas aujourdhui de nombre dapprentis dun ct et dlves de lautre tous devenus tudiants , ce terme permettant, avec celui de la formation de ne plus distinguer ni les ges ni les catgories, comme si apprendre et son corollaire, enseigner , ne relevaient plus dun temps dfini (on apprend tout ge ), permettant de concevoir des formes diffrentes la transmission des connaissances et appelant des organisations diffrentes lies ces didactiques et ces publics.

    Enseigner, apprendre, former suppose donc dorganiser ces pratiques qui, si elles ne sont pas celles de la production matrielle, nen relvent pas moins de schmas danalyse semblables. Ils rendent compte, au moment de leur mise en uvre, de la ralit des fonctionnements et des structures des relations entre les acteurs, mais aussi, au fil du temps, des transformations idologiques qui dirigent, de faon plus ou moins visible, cette ralit.

    1 Ne pas confondre le geste technique qui relve dune procdure et la technique qui est une mthode

  • Organiser oui mais quest-ce quune organisation ? Avec quels outils conceptuels peut-elle tre observe et analyse ? Quelles sont les thories qui jalonnent lhistoire contemporaine de cette approche que lon fait classiquement dbuter la fin du XIXe sicle, au moment o les socits ayant fait la Rvolution industrielle se posent la question de la rentabilit du travail commun ?

    Ainsi, en tentant de dfinir ce quest, sociologiquement, une organisation, on est amen, conjointement et en de dune dfinition thorique, prendre en considration les diffrentes tudes empiriques qui ont servi, au cours de ce sicle pass dvelopper la fois des analyses de systmes organisationnels et des concepts issus de ces analyses.

    Il va sans dire que si, chronologiquement, un auteur semble en chasser un autre, ce nest, pour le lecteur le plus rcent (nous en loccurrence), que la somme de ces concepts qui sinterpellent, se questionnent, sclairent lun lautre au profit de la richesse des outils danalyse dorganisations concrtement diffrentes (sur le terrain) mais dont les modes de constitution et dvolution peuvent tre modliss. Ces modlisations permettent daller du thorique lempirique et vice versa mais surtout permettent de transposer des modles issus dorganisations de la production matrielle (comment sorganise-t-on pour produire un bien matriel dans une usine ?) des organisations apparemment beaucoup moins rigoureusement finalises qui sont celles de la formation, de lenseignement et de la pdagogie. Lingnierie de la formation est bien cet entre deux , par sa formulation mme ingnierie dun ct, formation de lautre- qui tend et tente- une passerelle permettant de circuler dune discipline lautre, celle de lorganisation de la production et celle de lorganisation de la formation et de lenseignement.

    Il faut donc lire ces auteurs, ces thories, ces concepts la fois pour les connatre (culture savante) mais aussi pour les utiliser, les manipuler (culture pratique) dans dautres domaines que ceux pour et partir desquels lesquels ils ont t construits.

    Un cours de plus Les cours portant sur les organisations sont multiples, de niveaux diffrents,

    accessibles en cours classiques comme sur de nombreux sites internet. Tous sont intressants, prsentent des thories communes et des thories originales et les lire tous doit permettre de connatre tous les auteurs, chercheurs et penseurs.

    Celui-ci se prsente comme un cours de plus ; il ne se veut pas plus exhaustif que ne le sont les autres mais cherche avoir du sens et tre un outil pour des tudiants en ingnierie de la formation. Ainsi faut-il prendre le temps de distinguer le domaine de lanalyse stricte de lorganisation de celui plus particulier de la gestion des organisations et peut tre de faon prfrentielle de celui de la communication dans lorganisation qui inclut des phnomnes beaucoup plus difficiles apprhender comme les reprsentations, le sentiment dappartenance, lidentit professionnelle et sociale, les positionnements et les stratgies implicites, parce quinconscientes ou volontairement ignores.

    De ce point de vue, aborder sociologiquement une organisation, cest se poser la question de savoir comment des tres humains tablissent des relations tant dans le but de produire des biens matriels (lorganisation de la production dans une entreprise) que dans le but de rguler et dajuster les comportements de chacun vis vis des autres pour vivre en socit (lorganisation de la justice).

    Quelles que soient la forme et la finalit dune organisation, elle suppose la mise en uvre de capacits individuelles, physiques et intellectuelles considres comme adaptes aux besoins requis. Hormis la dimension inne que lon peut attribuer certaines capacits au sens de dispositions selon les socits et les poques ( le sens du commandement , le sens des affaires , le sens du devoir , une nature dexcutant ), la plupart des capacits au sens de comptences dont sont porteurs les individus sont le fruit dune formation ( tre capable de travailler sur tel type de machine ) et dune ducation ( avoir une bonne prsentation , savoir sexprimer correctement , ).

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    I Organisation, Gestion, Communication

    Le domaine de la thorie des organisations a connu ces dernires dcennies un foisonnement thorique important, de sorte que la faon de classer les coles, et mme seulement de les dsigner et de les accepter comme courants lgitimes dans le domaine, na pas trouv consensus crivent Blanger et Mercier2 (2006). De plus, la multiplicit des disciplines qui interviennent dans ltude des organisations en fait un objet analys de faon complexe. La sociologie, lconomie, la psychologie, les sciences politiques, lanthropologie, le droit des affaires, le droit public, la philosophie, la statistique, lhistoire les sciences de la communication sont les principales ! Chacune claire sa manire lobjet, chacune a son corpus de rfrences thoriques, sa bote outils danalyse ; leurs buts mmes sont diffrents : certaines observent, analysent, pour connatre , dautres le font pour agir que ce soit dans le sens de mettre de lordre ou dans celui de produire plus ou encore de vivre mieux . On pourrait distinguer ainsi trois champs qui interfrent dans lapproche des organisations : Celui de lorganisation elle-mme dont on cherche comprendre le fonctionnement, la manire dont les relations dentraide, de pouvoir, dinfluence se font, voluent, la manire dont se mettent en place des cadres de vie sociale dans un groupe particulier. En ce sens lorganisation est autant celle dune socit que celle dune entreprise de production ou de service. Il nest pas tonnant que les sciences humaines au sens large soient prsentes lanalyse de ces organisations de types si diffrents. Celui de la gestion dont la finalit est de mettre en place des mthodes qui permettent daugmenter, damliorer lefficacit des pratiques. Cest la version ancienne de ce que lon nommera le management laissant au mot gestion les aspects bassement matriels (gestion comptable, gestion des stocks) le management concernant la gestion plus prestigieuse car lie la notion de pouvoir- des hommes. Celui de la communication car cest par elle que non seulement la transmission des informations ncessaires au fonctionnement de lorganisation se fait mais aussi parce quelle est le support et le vhicule de la culture, des identits et de la hirarchie, des valeurs proclames et des croyances tacites partages 3. Elle est un systme complexe par elle-mme, lie la fois la dimension thique et la dimension technique.

    II/ la sociologie des organisations

    1/ Dfinir sociologiquement une organisation

    Il est de coutume de faire dbuter les travaux de sociologie des organisations avec lapparition des grandes organisations industrielles dans nos socits. Ainsi cest lorganisation du travail industriel qui fonde cette sociologie. Paralllement ce dveloppement industriel, comme vous le savez, se dveloppe une organisation bureaucratique tatique importante qui va faire lobjet dune mme approche.

    2 BELANGER (L.), MERCIER (J.), 2006, Auteurs et textes classiques de la thorie des organisations, Laval, Pr. Univ. de Laval, Canada, p.12. 3 SCHEIN (E. H.), 1991, Plaidoyer pour une conscience renouvele de ce quest la culture organisationnelle in TESSIER (R.) et TELLIER (Y.), Pouvoirs et cultures organisationnels, Sillery, Pr. Univ. Qubec, pp. 175-196.

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    La sociologie apparat comme discipline autonome la fin du XIXe sicle dans ce contexte industriel nord occidental. Elle aborde donc le phnomne dorganisation la fois de faon thorique et de faon empirique.

    de faon thorique : Il sagit tout dabord de dgager la notion dorganisation sociale qui se rvle universelle pour notre espce (organisation des tches de production, dducation, de protection, organisation des relations sexuelles et des alliances, constitution des groupes et des socits, organisation de la rgle sociale et de son application) et dont lapproche est la fois sociologique et anthropologique, de la conception plus rcente qui nomme organisations ces regroupements dactivits humaines dans les socits contemporaines industrielles finalit de production (dbut XXe pour les organisations du travail industriel et post 2e GM avec G. Friedmann pour un ensemble plus large qui regroupe entreprises, administrations, socits de services). Ces organisations , la fois autonomes dans leur mode de fonctionnement et lies entre elles par des systmes de contrle, constituent la caractristique dominante des socits industrielles et nationales par opposition aux socits traditionnelles, elles aussi organises, mais ne prsentant ces subdivisions complexes dans le champ des activits humaines.

    Est ce dire que le fonctionnement de lorganisation traditionnelle nexiste pas dans les organisations modernes industrielles ? Certainement pas et les travaux de Goffman sur une institution comme lasile4 tmoignent bien de lintrt de lapproche socio-anthropologique. De mme, au cours de ces dernires dcennies, voyons-nous entrer dans lobservation de lentreprise une discipline qui semblait voue au cours du sicle pass se cantonner aux socits simples ou mieux encore primitives , lethnologie5. En fait, trois dterminants de lanalyse de lorganisation peuvent tre relevs :

    - La relation entre individu et socit :(il sagit de la faon dont chaque individu dveloppe une vision et une posture face au monde. Nous savons que cellesci sont fortement dtermines par le contexte socioculturel dans lequel il a t duqu et dans lequel il vit). - La relation entre individu et organisation : (cest la manire dont linstitution a mis en forme les tches accomplir, ses finalits ou ses objectifs, les valeurs et les normes qui permettent dordonner les activits. Comment lindividu se positionne t-il dans cette organisation, comment est il valu, quelles relations de pouvoir se mettent en place ?) - La relation entre organisation et socit : (le propre dune socit complexe cest de rpartir en institutions autonomes des activits humaines ncessaires pour tous mais ralisables par une partie de la population forme spcifiquement ces activits. Cette autonomie relative de linstitution ne fait plus delle un simple rouage du fonctionnement de la socit (comme dans une montre) mais la met dans un champ o elle est en concurrence avec les autres. Quand on parle du pouvoir des juges par exemple, il ne sagit pas des individus proprement dits mais bien de linstitution dont ils sont reprsentants au sein de la socit.)

    4 GOFFMAN (E.) 1968,: Asiles, Editions de Minuit, Paris, (Asylums, New York, Doubleday Anchor, 1961) 5 LATOUR (B.), 2004,, La fabrique du droit : Une ethnographie du Conseil , La Dcouverte, JEUDY-BALLINI (M.), 1991, Une exprience d'ethnographie en entreprise , Journal des Anthropologues, no 43-44, pp. 45-56 (Bilan -mthodologique et thorique quant aux objectifs et significations d'une ethnologie applique- de l'tude ralise par l'auteur. au sein de l'entreprise Louis Vuitton Malletier, portant sur la manire dont les employs percevaient le rapport au luxe et la pratique artisanale, et visant amliorer la communication interne) GODELIER (E.), 2006: La culture d'entreprise, Ed la Decouverte, Repres, n410.

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    Faire une sociologie des organisations, cest donc la fois chercher des invariants dans leur constitution et dans la manire dont elles rpartissent les tches, mais cest aussi ne pas oublier le contexte historique et culturel de leur existence.

    Mais faire une sociologie des organisations, cest galement tenir compte de lorientation thorique fondamentale. P. BERNOUX dfinit trois grands types danalyse sociologique6 :

    - Lanalyse du dterminisme individuel expliquant le comportement par linfluence du milieu social (P. Bourdieu), - Lanalyse du ralisme totalitaire expliquant de faon comparable le comportement individuel comme produit des structures sociales caractrisant les socits dans leur totalit (R.K. Merton), - Lanalyse de linteractionnisme o les comportements sont conus comme des actions entreprises en vue dobtenir certaines fins .

    de faon empirique : que ce soit par lapproche contemporaine que font certains

    sociologues de lvolution de leur socit (M. WEBER et la mise en place du systme capitaliste, K. MARX et la domination de la bourgeoisie) ou par ltude du fonctionnement rel dune entreprise ( F. W. TAYLOR ou A. TOURAINE et lanalyse du travail ouvrier, M. CROZIER et la bureaucratie), les tudes de cas caractrisent cette sociologie. Certaines sont restes fameuses comme celle de Taylor portant sur les ouvriers dcoupant lacier ou lexprience Hawthorne faite par Mayo la Western Electric.

    De faon gnrale et difficilement exhaustive on peut dire quun certain nombre de problmatiques se retrouvent dans ltude des diverses organisations. Ce sont des questions qui portent sur :

    - la faon dont chaque organisation rsout les tensions et les contradictions lintrieur et vis--vis de lenvironnement lextrieur tout en maintenant son unit

    - la structure visible, celle de lorganigramme, mais aussi la structure cache, informelle, celle des relations de pouvoir et dinfluence intgrant les phnomnes de conflits, de blocage mais aussi ceux, personnels, de stress ou de burn out.

    - Les moyens techniques de la transmission de linformation et les rseaux de circulation

    - le changement d au poids de lvolution technique et environnementale ou li lvolution de la socit dans son ensemble (valeurs, normes de conduite, pratiques de consommation)

    2/ Deux analyses organisationnelles fondatrices exemplaires

    Elles sont fondes sur les travaux empiriques de la fin du XIXe et du dbut du XXe sicle, ceux de Taylor sur lindustrie et ceux de Mayo 25 ans aprs les crits de Taylor et sur la base critique- de celui-ci. Elles montrent deux approches radicalement opposes, fondatrices de tous les questionnements venir. Tout les spare, le temps (25 ans entre les deux) mais surtout la manire de considrer la relation entre lhomme, le travail, lobjet produit et la manire de le produire. En voici une description classique maintes fois rcrite : Frederick W. TAYLOR (1865-1915)

    Comment faire un travail dans les meilleures conditions et de la faon la plus efficace possible dans un cadre de production industrielle, voil la question pose par Taylor.

    6 BERNOUX (P.), 1985, La sociologie des organisations, coll Points, , p28

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    Son tude se droule la Midvale Steel Co, au dbut du XXe sicle. Une longue observation des activits ouvrires, une analyse rigoureuse des gestes allant jusqu au chronomtrage de chaque phase dun travail dcompos et le rsultat est spectaculaire : Alors que les ouvriers de cette usine manipulaient 12,7 tonnes de gueuses de fonte par jour, la rorganisation du travail, la recherche de lefficacit des gestes et son application leur permet de manipuler, sans temps ni effort supplmentaire 48 tonnes par jour. Corrlativement, cette augmentation spectaculaire de la productivit retentit sur les salaires qui augmentent de 60%. Rsultats :

    A/ En 1911 Taylor fonde ainsi 7 , dune certaine manire la thorie des organisations en mettant lide que la direction dune entreprise est une science et non une capacit individuelle. Il sagit dorganiser toute entreprise pour que employeur et employ soient satisfaits pendant un fonctionnement de longue dure. Le but est donc damliorer la production sans accrotre le temps de travail. Il va en tirer les fondements de lorganisation scientifique du travail (OST) quil dfinira en quatre principes : a) la spcialisation des tches b) la parcellisation que permet la dcomposition scientifique du processus

    de production c) la sparation des tches de conception de celles dexcution d) lindividualisation par une organisation de postes de travail spars

    permettant damliorer la cadence de production ( chacun son poste ) et permettant de distinguer les rendements individuels ( primes de rendement ).

    B/ Taylor a voulu montrer quil existait un temps minimal dans lequel un ouvrier de premier ordre peut excuter une tche donne ; cest ce quil appelle le temps normal , pour le travail considr.

    La thorie des organisations a retenu du taylorisme la conception selon laquelle la direction dune organisation ne relve ni du gnie individuel ni daptitudes personnelles, mais dune technique qui sapprend.

    Cependant, lapproche rationnelle de lactivit de production par louvrier ne prend pas en compte les modes de prise de dcision si bien que sa science de la direction nest quune science du travailfonde sur un modle mcaniste 8. Lhomme nest pas une machine et sa motivation nest pas que de gagner de largent. En ngligeant la dimension psychologique et psychosociologique du travail, le taylorisme est une thorie physiologique des organisations 9 . Dautre part, le taylorisme ne sapplique pas au travail intellectuellement complexe.

    7 dans son livre : The Principles of Scientific Management (1911,) 8 La thorie des organisations , Encyclopaedia Universalis, 1995 9 MARCH (J.G.) et SIMON (H.A.), 1974, Les organisations, problmes psychosociologiques, Ed. Dunod,

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    Elton MAYO (1880-1949) Les travaux dElton Mayo entre 1927 et 1932 Hawthorne lusine de la Western

    Electric de Chicago et lusine aronautique de Californie rpondent la premire critique que lon porte sur le taylorisme.

    Son tude Hawthorne porte sur le travail fastidieux dun atelier dassemblage de circuits lectriques dappareils radio. La main duvre est essentiellement fminine, le travail monotone et rptitif. Les locaux sont de grands ateliers composs de longues ranges de tables.

    La commande qui est passe Mayo est de type taylorien, savoir la recherche dune amlioration de la productivit. Pour cela il met en place un groupe-test quil va placer s parment, ce qui lui permettra de faire varier les conditions de travail.

    Le rsultat apparat paradoxal : lorsque lon modifie les conditions matrielles (clairage, rorganisation de lespace, couleur des murs, mais aussi diminution des horaires, autorisation de bavarder, etc.) la productivit augmente ; mais lorsque lon supprime ces changements, la productivit continue daugmenter. Mayo fait donc apparatre une dimension mconnue jusqualors, le phnomne relationnel. Le fait que la direction et lquipe de Mayo sintresse ces ouvriers induit un climat plus chaleureux, plus affectif qui a des rpercussions inconscientes sur le sentiment destime peru. La seconde tude, moins connue, porte sur lindustrie aronautique de Californie. Mayo fera apparatre que labsentisme et les dmissions du personnel entranant ce que lon appellera plus tard burn out et turn over sont plus marqus chez ceux qui sont isols, mal intgrs ou en mauvais termes avec lencadrement.

    Cest donc Mayo qui, partant dune hypothse taylorienne, fait apparatre limportance des relations de groupes qui se constituent entre les travailleurs et montre ainsi limportance du climat psychologique et des modalits de commandement. Mayo montre que lorganisation doit tre conue comme un systme social dans lequel les sentiments de chacun, leurs motivations ne peuvent se comprendre qu partir de lensemble des relations quils entretiennent avec les divers groupes et notamment les techniciens et les chefs. Dautre part la constitution de groupes informels (systme informel) non reprables dans lorganigramme de la production (systme formel), explique llaboration de normes et de codes particuliers qui permettent de rsister au changement ou de laccentuer.

    Ces travaux auront un retentissement trs important et les tudes et les

    enseignements sur les relations humaines se dvelopperont (les enseignements en particulier aprs la 2e GM.). Un certain nombre de propositions seront dfinies sur la notion dorganisation. Les travaux de ROETHLISBERG et DICKSON10 en donnent un exemple :

    1/ une organisation industrielle est un systme social . Il sagit dun systme car les lments sont interdpendants 2/ lorganisation technique . Cest lorganisation des matriaux, outillages 3/ lorganisation humaine . cest lindividu concret mais aussi le rseau complexe de relations 4/ le terme individuel reflte les sentiments et les valeurs de chaque employ plac dans une situation de travail

    10 ROETHLISBERG et DICKSON :Management and the Worker, Harvard Univ Press, 1939 (cit in J.F. CHANLAT et F. SEGUIN, Lanalyse des organisations, t.1, Ed ESKA, Paris, 1983, p.131-148)

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    5/ lorganisation sociale correspond aux modes de relation dans les groupes douvriers et demploys ainsi que dans les groupes de niveau hirarchique distinct ou de fonction diffrente. 6/ lorganisation formelle : cest lensemble des rglements, des systmes, des politiques qui dfinissent formellement lorganisation sociale de lusine. 7/ lorganisation informelle : cest le produit de linteraction sociale entre les membres dun groupe de travail ou dun systme industriel plus tendu. Sans elle aucune organisation formelle ne durerait. Organisation formelle et organisation informelle sont interdpendantes. 8/ lorganisation idologique . Toute entreprise est un lieu de croyances, dides et de valeurs qui sexpriment sous forme de symboles et qui dterminent largement les comportements. Elles obissent des logiques trs diffrentes de celle des cots et de lefficacit.

    Nous pouvons voir ainsi quil y aura, au cours du XXe sicle, une volution des thories qui ne sera pas indpendante de lvolution mme de son objet. Cest ce que Gruere11 fait apparatre lorsque, se rfrant aux travaux de Scott12, il situe les diffrents modes dorganisation du travail et les courants thoriques qui sy rattachent dans un espace dcoup selon deux axes bipolaires orthogonaux comme le montre le tableau suivant dans ce que lon pourrait appeler un espace sociologique des thories de la sociologie des organisations :

    3/ un espace sociologique des thories de la sociologie des organisations Un axe vertical fait apparatre deux dimensions fondamentales de la conception de lorganisation humaine du travail :

    - lapproche sociale tend vers la recherche dun consensus productif issu de la dynamique que produit la satisfaction et la motivation du personnel

    - lapproche rationnelle, loppos, est uniquement centre sur les rsultats techniques et conomiques

    Un axe horizontal fait rfrence la notion douverture et de fermeture du systme que reprsente toute organisation :

    - un systme ferm est centr uniquement sur la gestion des variables internes - un systme ouvert prend en compte les lments extrieurs (conomiques,

    politiques, culturels, sociaux, technologiques et juridiques)

    11 GRUERE (J.P.) : Management: aspects humains et organisationnels, Ed. 12 SCOTT (W.R.) 1981: Organisations: rational, natural and open systems, International Editions, New York,

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    Ces deux axes dterminent 4 zones dans lesquelles se rpartissent la fois chronologiquement, idologiquement et conceptuellement les tendances dominantes de lvolution des thories de lorganisation.

    A) lcole classique : 1900-1930

    Weber, Taylor, Fayol

    Max WEBER (1864-1920) en est la fois le pionnier et le rfrent jusqu aujourdhui. Remettant en cause la notion dautorit traditionnelle, il propose un modle dorganisation qui sappuie sur des procdures explicites de fonctionnement pour rationaliser cette notion dautorit. Le modle bureaucratique prsente, selon lui, la meilleure forme dorganisation humaine. Cest donc la rgle qui dtermine et rgit lordre. Indpendamment des hommes, de leur affectivit, de lenvironnement, lorganisation est ferme au monde et mise en place selon une rationalit qui se veut absolue. Calque sur le modle de vie bourgeois de lEthique protestante 13 , elle caractrise le modle de lorganisation selon les critres suivants :

    - une division du travail fixe et officialise - une hirarchie clairement dfinie des postes et des fonctions selon une

    stratification pyramidale o pouvoirs et responsabilits sont clairement dfinis chaque niveau

    - un systme de rgles abstraites, stables et explicites - une sparation des droits personnels et des droits officiels - une slection du personnel sur le critre des qualifications techniques - une carrire progressant en fonction de critres objectifs Cest la lecture de Weber qui marque jusqu aujourdhui nos institutions publiques en

    posant comme fondements issus de ses analyses des principes organisationnels comme :

    - la spcialisation des tches ( division du travail ) - la standardisation des tches ( rgles explicites et stables dfinies dans le

    rglement mais aussi dans les circulaires administratives) - la formalisation des tches (dfinition officielle) - la capitalisation de lautorit (hirarchie pyramidale)

    13 WEBER (M.) : Lthique protestante et lesprit du capitalisme,

    lapproche sociale

    lapproche rationnelle

    1900-1930 lcole classique

    1930-1960 lcole des relations

    humaines

    1960- lanalyse stratgique et

    systmique

    1960-1970 le courant le courant noclassique de la contingence

    Lorganisation comme

    systme ouvertLorganisation

    comme systme ferm

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    - limpersonnalisation des relations (par linstitutionnalisation des postes et des diplmes)

    Deux autres grands noms doivent tre inscrits dans cette cole classique :

    Le premier est, nous lavons vu un peu plus haut, Frederic W. TAYLOR, crateur de lorganisation scientifique du travail . Proccup par loptimisation de la production dans un contexte nord amricain industriel, il en peroit plus que la dimension machiniste. Mais en faisant cela, et cest ce que les gnrations suivantes douvriers reprocheront, louvrier devient un pur instrument de production (ce qui permettra ensuite den envisager le remplacement par un robot). Cest le cas du fordisme (Henri FORD)14 da ns lentre deux guerres.

    Cependant ce souci de la rationalisation des tches se dplace de lusine et du secteur

    secondaire ladministration et au secteur tertiaire. Cest ce qui est dvelopp par Henri FAYOL (1841-1925) 15 : En prconisant un

    processus directif de gestion des hommes partant du sommet de la hirarchie pour aboutir la base, il invente la notion de fonction administrative . Corrlativement il dnote labsence denseignement de cette fonction.

    Dans son livre, les points essentiel sont les suivants :

    1. Ladministration nest que lune des six fonctions essentielles dune entreprise mais elle est dlaisse Toutes les oprations auxquelles donnent lieu les entreprises peuvent se rpartir entre six fonctions essentielles, savoir : Technique ; commerciale ; financire ; de scurit ; de comptabilit ; administrative. Administrer, cest prvoir, organiser, commander, coordonner et contrler. Administrer ne doit pas tre confondu avec gouverner qui consiste assurer la marche des six fonctions essentielles. 2. A chaque fonction essentielle correspond une capacit spciale. Cette capacit repose sur un ensemble de qualits et de connaissances et qui constituent la valeur du personnel de lentreprise. Dans toutes les sortes dentreprises, la capacit essentielle des agents infrieurs est la capacit professionnelle de lentreprise, et la capacit essentielle des grands chefs est la capacit administrative. 3. Ncessit de crer une doctrine administrative partir de cette tude et possibilit de rsoudre le problme dun enseignement administratif. 4/ Quatorze principes dadministration sont dvelopps par Fayol parmi un nombre non limit, savoir : la division du travail ; lautorit ; la discipline ; lunit de commandement ; lunit de direction ; la subordination des intrts particuliers lintrt gnral ; la rmunration ; la centralisation ; la hirarchie ; lordre ; lquit ; la stabilit du personnel ; linitiative ; lunion du personnel.

    Quest-ce quadministrer ? Cela correspond cinq fonctions:

    14 la rationalisation de lentreprise est bien dveloppe dans MOUTET (A.), Les Logiques de l'entreprise, la rationalisation dans l'industrie franaise de l'Entre-deux-guerres Paris, 1997, 15 FAYOL (H.): Administration industrielle et gnrale, Dunod 1916, rd 1962 Un excellent livre peut tre consult sur Fayol : PEAUCELLE (J.-L.) et alii., 2003 : Henri Fayol, inventeur des outils de gestion : textes originaux et recherches actuelles, Paris : Ed conomica. Egalement : PEAUCELLE (JL) : Henri Fayol et la recherche action , http://www.annales.org/gc/2000/gc12-2000/73-87.pdf, (vrifi 8/7/2008)

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    1/.prvoir ; organiser , au sens fort du terme. Prparer les actions venir 2/ constituer lorganisme quest lentreprise sur le plan matriel et social 3/ commander, permettre au personnel de remplir ses fonctions en lui donnant des ordres 4/ coordonner, harmoniser les efforts et les travaux de chacun dans un ensemble 5/ contrler, veiller au respect des ordres et des rgles tablis. Enfin, il ne faut pas confondre gouverner , qui est assurer le meilleur fonctionnement de lorganisation dans les oprations essentielles prcdemment mentionnes, et administrer , qui correspond plus spcifiquement la dernire de celles-ci.

    5/ Prconisation de Henri Fayol de remplacer, lcole polytechnique et dans les grandes coles franaises de gnie civil, une partie de lenseignement des cours de mathmatiques par des cours dadministration plus utiles aux futurs ingnieurs des grandes entreprises.

    Par rapport au taylorisme, sa thorie reprsente cependant un progrs : elle

    nest pas seulement une science du travail, elle traite de lorganisation humaine, qui na plus pour seule fin le rendement, mais le meilleur fonctionnement global de lentreprise, et qui, par consquent, concerne davantage les dirigeants que les excutants.

    Il sagit deffectuer la rationalisation dun tel ensemble. Cest dans ce quon va

    appeler plus tard organigramme (tableaux dorganisation) quon va, selon Fayol, pouvoir reprer les dfauts dorganisation ou labsence dunit dans le commandement. Sa proccupation la plus grande concerne ce commandement et dans les principes dorganisation quil dveloppe, le plus significatif est celui de lautorit comme tant le droit de commander et le pouvoir de se faire obir . Le principe de lunit de commandement est rest clbre : Pour une action quelconque, un agent ne doit recevoir des ordres que dun seul chef. . En termes mathmatiques, la hirarchie doit tre schmatisable en arbre, et non en rseau.

    Cette unit de commandement ne peut exister sans lunit de direction mais elle nen dcoule pas. Enfin, le principe de la passerelle qui permet des passages directs dun service un autre sans passer par le chef suprme condition davoir laccord pralable des suprieurs directs.

    Totalement marqu par cette priode charnire de la fin du XIXe et du dbut du XXe sicles, il envisagera la rationalisation des oprations dans tous les domaines de linstitution : les organisations technique, commerciale, financire, lorganisation de la direction et celle de la scurit.

    Ces trois thoriciens ont minimis linfluence des forces de lenvironnement, celle de

    la dynamique sociale ; ils ont mconnu les phnomnes de groupe, les phnomnes psychologiques et sociologiques du pouvoir 16 . Ngligeant laffectivit et lindividu, ils participent pleinement de cette logique du systme ferm qui perdure au del des annes 1930.

    16 lire Annexe 3

  • LCHEC DU FAYOLISME (selon Peaucelle) Aprs la disparition dHenri Fayol, ses disciples ont eu du mal mener une carrire professionnelle.Ce courant de pense a t un checen France aprs 1925. Il nest connu aujourdhui que parce que Urwick [Gulick et Urwick, 1937] a distingu, en Henri Fayol, un thoricien qui anticipait ses propres ides. Quelles sont les raisons de cet chec ? La rponse semble, dabord, concerner le succs du taylorisme. Dans la concurrence thorique, les tayloriens ont gagn socialement. Ils ont su construire une pratique et un mtier, le mtier dorganisateur des ateliers. Ce sont les cabinets dorganisation qui font la dmonstration de lefficacit de la thorie taylorienne. Mais le taylorisme a, lui aussi, subi des revers. De mme que la pense dHenri Fayol est devenue dogmatique, la rfrence exprimentale des tayloriens sest estompe. La question qui nous intresse alors, en sciences de gestion, concerne la sclrose de ces deux courants de pense, alors quils saffirmaient tous les deux scientifiques et quils auraient d se renouveler par linterprtation de nouveaux faits. Dans la dmarche inductive, les faits occupent un double statut. Tout dabord, on affirme quils sont lorigine de la thorie, quils la prcdent. Ils sont mis en avant avec emphase dans lexpos de la thorie. Mais ils perdent alors leur valeur, parce quils servent dargument rhtorique lexpos de cette thorie. Une fois que la thorie est trouve, cest elle qui est enseigne, cest elle qui rsume les faits, cest elle qui devient loi , voire doctrine . Linduction est la gense de la thorie, mais elle est oublie. Dans la transmission, la thorie, enfin trouve, prend une position minente. Lcole de pense se runit autour des rsultats thoriques et non autour de la mthode. Le statut fondateur des faits a tendance disparatre au profit dun statut dauxiliaire, subordonn la thorie.Karl Popper est, au contraire, un radical de la dmarche inductive. Il refuse toute supriorit aux thories. Il montre que les thories ne sont jamais vraies. Pour lui, elles nont quun statut provisoire de cadre conceptuel cohrent avec des faits actuels. Dautres faits viendront sans doute les infirmer. Lacceptation dune thorie par la science dune poque nest quun moment avant quelle ne soit remplace par dautres thories. Fayoliens et tayloriens, comme nombre de chercheurs, se sentiraient mal laise dans cette pistmologie radicale. Comment soutenir une thorie dont on sait le caractre relatif et provisoire? Cette position extrme des faits, capables tout moment de dmolir ldifice conceptuel, est trs difficile tenir, mme si cest la seule scientifique. Fayoliens et tayloriens ont voulu se prmunir des faits qui risquaient de les contredire. Ils sont devenus dogmatiques. Ils nacceptaient quun seul type de faits nouveaux et, parfois, aucun fait nouveau. La dmarche scientifique qui animait les chefs de file disparat chez les disciples, parce que les fondateurs veulent viter toute remise en cause de leur pense.

    B) lcole des relations humaines : 1930-1960

    MAYO, MASLOW, HERZBERG, MAC GREGOR

    La logique du systme ferm prdomine encore mais les travaux gnraux de recherche en psychologie et psychologie sociale vont influencer le regard que lon porte lactivit de production tant matrielle quintellectuelle. Il est vrai aussi que le contexte social a chang. Les grandes grves ouvrires et le syndicalisme en essor aux Etats Unis comme en Europe, les consquences humaines et sociales de la premire guerre mondiale, la crise

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  • conomique de 1929 et le Front Populaire en France de 1936 tmoignent de ces bouleversements.

    Ltude dElton MAYO que lon a prsente plus haut met pour la premire fois en relief linfluence des attitudes et des relations sur la qualit du travail. De strictement technique auparavant , lorganisation se teinte dhumain et de social. Lappt du gain est insuffisant pour motiver celui qui travaille et plus in y rflchit plus on saperoit de la complexit de ce que lon va appeler les motivations. Paradoxalement, les travaux de la psychologie sociale et de la dynamique des groupes naissante montre que des performances nettement peuvent tre obtenues dans un contexte autre que celui du contrle strict rpressif. Abraham MASLOW (1908-1970)

    La pyramide de MASLOW , bien connue aujourdhui, met en valeur lpoque une thorie des besoins humains qui dpasse largement la dfinition biologique en cours (se nourrir, se reposer..).

    Cette pyramide est labore partir de travaux portant sur le phnomne de motivation publis dans un article intitul A theory of human motivation paru en 1943.

    Daprs Maslow tout tre humain cherche satisfaire chaque besoin dun niveau donn avant de penser ceux du niveau au dessus. Cette pyramide (construite par commodit de lecture car lauteur navait pas prsente sa thorie ainsi) a t utilise dans de nombreuses applications comme la sant dans lentreprise ou le positionnement dun produit en rayon de supermarch.

    Rappelons en les critres :

    Besoins dactualisation,

    de ralisation de soi, de dveloppement personnel

    Besoins destime,

    De russite, De reconnaissance

    Besoins sociaux dappartenance

    Besoin de scurit

    Besoins physiologiques : nutrition, repos,

    Sil ne faut pas ngliger la dimension technique fournie par lcole classique ,

    affectivit et satisfaction autre que matrielle sont les lments envisager en priorit dans toute organisation de la production. Satisfaire chaque strate de la pyramide cest sassurer une amlioration de la productivit.

    Cest Frdric HERZBERG (1923-2000) qui va complter cette thorie de Maslow. Herzberg ralisa entre les annes 50 et 70 de nombreuses tudes, ralises sur le terrain, afin de dterminer avec prcision quelles sont les motivations de l'homme et quelles conditions faut-il runir pour que l'homme s'panouisse dans son travail.

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    Ses travaux l'on conduit une dcouverte importante en matire de psychologie du travail : Les circonstances qui conduisent la satisfaction du travail sont diffrentes de celles qui conduisent une insatisfaction. Il montre que ce n'est pas parce que l'on va supprimer les causes d'insatisfaction que l'individu sera satisfait et rciproquement. Des travaux plus " fins " permirent de mettre en lumire que, d'une faon gnrale, les facteurs de mcontentement taient surtout lis l'environnement et que les facteurs de satisfaction taient ceux qui permettaient un dveloppement personnel, une considration du travail accompli. Il faut donc " enrichir " le travail en incluant dans celui-ci des facteurs de motivation, tout en amliorant l'environnement des salaris.

    Il le reformule (en 1959) en nommant ces deux grands types de facteurs qui sont source de satisfaction et donc dinsatisfaction potentielle :

    - les facteurs dhygine : cest la base de la bonne sant des relations humaines dans lentreprise. Ce sont les relations avec les suprieurs et avec les collgues, les avantages sociaux, le salaire et les conditions matrielles de travail. Ils sont ncessaires pour la satisfaction du personnel mais pas suffisants.

    - les facteurs moteurs :ce sont les facteurs de dynamique (et par consquent de dynamisme ) de lentreprise. Il sagit des possibilits de carrire, des responsabilits confies, de lapprciation exprime des performances et du sentiment de pouvoir se raliser.

    - A la diffrence des prcdents, leur absence de prise en compte ne provoque pas dinsatisfaction notoire. Mais sils sont mis en uvre, ils dclenchent la satisfaction et la motivation au bnfice de la production.

    Les formulations de MASLOW et de HERZBERG correspondent des contenus

    semblables17. Au besoin de scurit et aux besoins physiologiques dcrits par MASLOW correspondent les facteurs dhygine dHERZBERG. Aux trois niveaux suprieurs de MASLOW correspondent les facteurs moteurs .

    D. McGREGOR (1906-1964) 18 est le troisime reprsentant de ce courant Mac Gregor est l'un des premiers rejeter globalement les techniques de management qui reposent sur la thorie classique (qu'il appelle " thorie X ") et cela pour les raisons suivantes :

    a) la thorie classique est btie sur des modles (Arme, Eglise ...) qui ne sont plus du tout adapts aux ralits de l'entreprise moderne (surtout aprs la 2me guerre mondiale)

    b) la thorie classique ne tient pas compte de l'influence du milieu dans laquelle elle volue (environnement conomique et politique, concurrence ....)

    c) Les hypothses concernant les comportements humains sont simplistes, voire inexactes (aversion pour le travail et les responsabilits, recherche de la scurit maximum ...)

    d) La thorie classique a pour pivot central la notion d'autorit alors que ce concept n'est qu'un outil, parmi d'autres, du management et de la motivation.

    Mac Gregor propose donc une thorie du management (Thorie Y) qui repose sur les postulats suivants :

    a) Il n'existe qu'une aversion pour le travail ennuyeux : Donner un travail intressant quelqu'un et il en retrouve immdiatement le got.

    17 GRUERE (J.P.), JABES (J.) ., 1982 ,Trait des organisations, Paris, P.U.F, p.25 18 McGREGOR (D.),1969, La dimension humaine dans lentreprise, Gauthier-Villars,

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    b) Il faut limiter les sanctions et promouvoir les rcompenses : L'homme recherche la satisfaction d'objectifs sociaux gostes. Si l'exercice de responsabilits satisfait ces objectifs sociaux (reconnaissance, pouvoir, argent ...) il recherchera les responsabilits et ne les rejettera pas.

    c) Ainsi mis en confiance, de nombreux individus peuvent faire preuve de crativit et il est prouv que l'on utilise que trs imparfaitement les capacits d'intelligence et d'imagination des salaris d'une entreprise.

    la Thorie Y : 3 principes : - Contre lide dveloppe par le taylorisme, lhomme nest pas rfractaire au travail, il peut y trouver une satisfation. - La crainte de la sanction nest aps le seul stimulus. Un objectif clairement dfini est aussi une forte incitation laction. - Les principes dorganisation modernes ne permettent pas de tirer le meilleur parti de la capacit de lhomme moyen.

    Le principe central qui dcoule de la thorie Y est celui dintgration : la cration de

    conditions telles que les membres de lorganisation puissent atteindre leurs propres buts avec le plus de succs en dirigeant leurs efforts vers la russite de lentreprise.

    Il faut faire en sorte que le contrle, au lieu dtre exerc par la direction, le soit par les travailleurs eux-mmes. McGREGOR remarque, comme BARNARD19 lavait fait avant lui, que les objectifs organisationnels ne sauraient tre atteints si ceux des agents ne sont pas en mme temps, dans une certaine mesure, raliss. Pour la thorie Y, une organisation qui ne tient pas compte des buts et motivations personnelles de ses agents est une mauvaise organisation.

    On met dsormais laccent sur la ncessit daccrotre les responsabilits des

    agents, surtout ceux du bas de lchelle hirarchique, et de promouvoir, non la place mais ct de la structure pyramidale, de nouvelles relations dautorit et de contrle entre suprieurs et subordonns.

    Cette volution nloigne pas pour autant de lorganisation centre sur elle-mme. Le dveloppement de nouvelles disciplines comme la psychanalyse vers dautres champs que celui de la psychologie et de la mdecine travers la psychiatrie, tendrait mme, par son objet premier danalyse (lindividu en relation avec les autres) renforcer cette centration sur le seul systme quest lorganisation.

    Elliott JAQUES (1917-2003) 20 et la socioanalyse (courant psychanalytique) en est un bon exemple :

    JAQUES travaille depuis vingt ans dans une grande entreprise anglaise de mtallurgie et de construction mcanique, la Glacier Metal Company.

    Il runit en sances de discussion des membres de toutes les catgories socio-professionnelles de lentreprise pour quils prennent conscience des problmes de fonctionnement de celle-ci. Lobjectif est de rendre manifeste lorganisation ses propres tensions internes.

    19 BARNARD (C.), 1985, The functions of the executive, Harvard Univ Press, 1e ed.1938, 20 JAQUES (E.), 1972, Intervention et changement dans lentreprise, Dunod,

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    Comme le psychanalyste peut lobserver avec son patient dans la cure individuelle, JAQUES repre lambivalence de lattitude de lorganisation envers le traitement. Cest que, linstar du patient dans la cure, elle craint autant le changement quelle le dsire. Le socioanalyste fera advenir la conscience des membres de lorganisation ces rticences et ces craintes pour quils en triomphent.

    JAQUES insiste sur limportance de la clarification des rles jous par chacun des agents. Souvent, la confusion des rles a une fonction prcise, et inconsciemment motive : elle est une dfense contre lanxit qui treint les individus lorsquils saisissent les contradictions qui existent entre leur personnalit et le ou les rles quils assument.

    La constitution dun organigramme clair et accept par tous est une condition

    indispensable la bonne marche dune organisation Il faut, de mme, que la communication fonctionne bien, ce qui ne signifie pas

    que les agents doivent communiquer tout prix.

    Dans la continuit de cette intervention des disciplines psychologiques dans lanalyse de lorganisation, Chris ARGYRIS (1923- ) est un chercheur qui met laccent sur la tension du lien entre le dveloppement de lindividu et sa dpendance lorganisation.

    Il montre comment les organisations bloquent le processus de dveloppement des employs en particulier ceux du bas de la hirarchie. Au risque de schmatiser, notre point de vue est le suivant : Lorganisation formelle (incluant la technologie) et le contrle administratif communment employs dans les organisations formelles compltes peuvent tre considres comme un aspect dune grande stratgie destine organiser leffort humain dans le but datteindre des objectifs spcifiques. Cette stratgie est fonde sur des principes de gestion tels que la spcialisation des tches, la ligne hirarchique, lunit de commandement et ltendue de lautorit. Cette stratgie cre un complexe dexigences organisationnelles qui tendent requrir des individus quils soient dpendants et soumis, et quils utilisent seulement quelques aptitudes relativement priphriques. Le degr de dpendance, de soumission, etc. tend crotre lorsquon descend dans la hirarchie et lorsque les exigences du travail et les contrles directoriaux dirigent plus lindividu, et inversement.21 . Contre notre thse, on pourrait arguer que les membres des organisations dans la vie relle naspirent pas au bien-tre psychologique. Nous dirions plutt que les gens aspirent ce bien-tre des degrs divers. La nature et le degr de succs psychologique, quun individu donn peut dsirer, sont grandement influencs par des facteurs psychologiques dorigine infantile, tels que linfluence des parents, des frres et surs, et des amitis adolescentes.22 23

    Il est lun des premiers proposer des modifications de lorganisation des tches qui permettent de rsoudre ces tensions. Cest partir de ses travaux quapparatront ensuite les notions d enrichissement des tches (Herzberg) ou celles d quipes de travail semi-autonomes 24. 21 ARGYRIS (C.), 1970, Participation et organisation, Paris, Dunod, p.56 22,idem p. 33. 23 Lhistoire veut que ce brillant professeur de psychologie organisationnelle Yale et Harvard ait transpos les difficults dintgration quil avait eues lcole primaire (enfant immigr grec aux Etats-Unis) celles de la personne en milieu de travail 24 ROY (M.), et alii,, 1998, Equipes semi-autonomes de travail. Recension dcrits et inventaires dexpriences qubcoises, Rapport B-052, IRSST, (tlchargeable http://www.irsst.qc.ca/fr/_publicationirsst_319.html)

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    Il rflchit , et propose galement, des mthodes dapprentissage permettant de concilier productivit et dveloppement de lindividu au travail. Lapprentissage organisationnel 25 rejoint les dveloppements de la didactique en sciences de lducation avec Le phnomne de simple et double boucle dapprentissage : Par apprentissage en simple boucle, les auteurs [Algyris et Schn] entendent lapprentissage oprationnel qui modifie les stratgies daction ou les paradigmes qui sous-tendent les stratgies, mais ne modifie pas les valeurs des thories daction. Il ne touche pas aux valeurs directrices de lentreprise. Cet apprentissage est organisationnel et donc essentiellement ax sur lobtention de rsultats : il sagit datteindre au mieux les objectifs existants, en maintenant la performance organisationnelle dans les limites fixes par les valeurs et les normes en vigueur. Lapprentissage en double boucle induit un changement des valeurs de la thorie dusage, mais aussi des stratgies et de leurs paradigmes. Suite lexprience vcue, lentreprise peut tre amene questionner les valeurs directrices mmes sur lesquelles elle se fondait. La double boucle fait rfrence aux deux boucles de rtroaction qui relient des effets observs de laction aux stratgies et aux valeurs servies par les stratgies. 26

    Il faut attendre les bouleversements politiques, conomiques et surtout, finalement, culturels qui caractrisent les annes 60 pour quune autre vision du monde commence simposer la fin de la dcennie et au dbut des annes 70, celle de limportance de la gestion humaine de la plante et pour que la notion denvironnement prenne sens. Le bouleversement idologique tient au changement attribu, selon le sens commun, une brusque prise de conscience de la catastrophe cologique qui menace la plante, reprable par le renversement du discours futurologiste dun progrs scientifique et technique perptuel au profit dun bien tre toujours plus grand, en un discours catastrophiste sur les effets pervers de ce progrs.

    Aussi rapide que ce courant de pense nord occidental et de toute vidence propuls par lui, le courant de la contingence ainsi que le formule GRUERE, bascule le regard sur les organisations du ct de linfluence majeure de lenvironnement, donc dun systme non seulement ouvert aux lments extrieurs mais plus encore m, voire dtermins par eux (On retrouvera cette mme structure danalyse de la ralit sociale dans la rutilisation de lanalyse marxiste de la domination et de lalination dans cette sociologie dite du dterminisme social dont le chef de file fut Pierre BOURDIEU.)

    C) lcole noclassique: 1960-1970

    SLOAN, DRUCKER, GELINIER Elle est ainsi nomme car elle semble tre un retour vers le modle taylorien. En

    ralit, il sagit plutt dune raction au psychologisme qui avait pris une ampleur importante avec les travaux de lcole des relations humaines. Dautre part, ce qui caractrise ce mouvement cest quil est le fait de praticiens et non plus de chercheurs.

    Leurs noms sont parfois moins connus aujourdhui que ceux de Taylor, de Mayo ou de Maslow. Plusieurs dentre eux ont pourtant marqu fortement des thories rcentes de lanalyse et de la pratique organisationnelle. Cela tient au fait quils renouvellent lcole classique en en repensant les aspects les plus rigoureusement rationalistes la lumire des travaux des sciences humaines. Ils se dveloppement sinon conjointement au moins paralllement ces derniers.

    25 ARGYRIS (C.) et SCHON (D.), 2002, Apprentissage organisationnel. Thorie, mthode, pratique, Bruxelles, De Boeck. (ed US, 1996) 26ROUSSEAU (C.), (1/7/2008) www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/argyris.html

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    Lcole noclassique ou managriale est une synthse empirique entre lcole de lorganisation scientifique du travail dont ils reconnaissent la valeur toujours actuelle de bien des principes et lcole des relations humaines dont ils reconnaissent la validit des objections lorsquelles reprsentent quelque chose quils ont vcu. Cette cole a conserv lide de lcole classique que la science des organisations doit aboutir formuler des principes clairs, simples, praticables, valables pour toute organisation. 27

    Alfred P. SLOAN (1875-1966) est un professionnel : il a pass toute sa vie professionnelle General Motors Company dont il fut directeur gnral puis prsident pendant 33ans. Sa notorit est due au fait quil a men General Motors la premire place mondiale en appliquant 4 principes :

    - les divisions sont autonomes et cest sur leur rentabilit quelles sont juges - certaines fonctions et contrles sont centraliss - la direction gnrale doit soccuper de politique gnrale et non dexploitation - chaque division est reprsente consultativement dans les autres divisions.

    Favorable la dcentralisation qui entrane efficacit, rapidit et responsabilit, il donne de limportance la circulation horizontale des informations (do la reprsentation des divisions). Ainsi, alors quil reste attach la maximisation du profit comme but de toute entreprise (vision rationaliste taylorienne), ses principes rompent avec la hirarchie bureaucratique classique. Le pape du management : cest ainsi que fut nomm Peter DRUCKER (1909-2005). Son livre principal (the Practice of Management, 195428) provoqua la fois de fortes ractions critiques chez les patrons amricains et lenthousiasme chez les patrons japonais qui surent y trouver un grand nombre doutils qui feront leur succs dans les dcennies suivantes.

    Les rles du manager selon P.F. Drucker29 Dfinir la mission de son entit. Fixer pour ses quipes des objectifs clairs. Lobjectif principal dune entreprise est toujours de gagner et conserver une clientle fidle, et les fonctions de base sont le marketing et linnovation. Analyser et organiser le travail. Les conditions de travail doivent crer chez le personnel un sentiment de satisfaction. Informer et couter ses employs valuer les rsultats au moyen de normes spcifiques, fiables et prennes. Le profit en fait partie : cest la mesure de la rentabilit de lactivit et ce nest que cela. Former ses collaborateurs en permanence.

    Consultant chez General Motors Company 30, Drucker. renversa le modle classique

    de lentreprise capitaliste en prtendant que le but ntait pas le seul profit mais le maintien

    27 SCHEID (J.-C.), 1980, Les grands auteurs en organisation, Dunod, p.123. 28 traduit en franais : La pratique de la direction des entreprises, Editions. dOrganisation, 1969. 29 MOUSLI (M.), idem 30 GMC (General Motors Company), dont plusieurs dirigeants avaient fait des tudes suprieures, tait plus quune exception : une curiosit. Cest cette particularit qui permit Peter Drucker dy faire ses premires armes de consultant. Donaldson Brown, Vice-prsident du Conseil du gant de lautomobile la plus grande entreprise du monde, lpoque avait lu The End of the Economic

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    et le dveloppement de la clientle. Ainsi Drucker introduit la notion de marketing et de connaissance de la clientle. Les deux postes de profit dans lentreprise sont, pour lui, la Recherche et le Marketing.

    Il considre que ce qui fait progresser une entreprise ce sont les hommes. Ce qui suppose de ne pas exiger des ouvriers quils laissent leur intelligence au vestiaire lorsquils entrent lusine, alors que ctait la position officielle, et dfendue avec pret, des patrons et des leaders syndicaux amricains des annes 1950.31

    Il est le fondateur de la MBO (Management by Objectives32) qui est un modle appliqu aujourdhui encore dans de nombreuses entreprises 33 . La dcentralisation des responsabilits, lautonomie des units de travail, les rsultats de chaque unit comme seul moyen de contrle sont les principes de cette conception. Cela transforme la srie de tches en une srie dobjectifs atteindre. Cette nouvelle conception de la manire de produire a des effets directs sur lorganisation : Drucker considre que les dcisions doivent tre prises au niveau le plus bas possible, ce qui implique dcentralisation des dcisions et formation du personnel. La DPO va faire lobjet, au cours des dcennies qui suivent, dadaptations dues aux contextes conomiques et sociaux divers dans el monde. Un des exemples est celui de la France : Octave GELINIER (1916-2004), le Peter Drucker la franaise est un des fondateurs de la DPPO (Direction Participative par Objectifs). Alors que la DPO de Drucker attribue des objectifs aux diffrents responsables dunits, la DPPO associe ces responsables la dfinition des objectifs par ngociation entre direction et employs. La notion de participation prendra, en France au moins, dans les annes 60, un aspect plus politique et socioconomique au point de devoir lgifrer par exemple sur lactionnariat ouvrier.

    D) lcole de la contingence : 1960-1970

    Pour les tenants de ce courant de la contingence (mettant en avant la relativit au sens premier de la relation entre les divers facteurs), cest par linfluence de lenvironnement que lon doit analyser le fonctionnement de toute organisation 34 . Deux mouvements insparables danalyse en dcoulent : dune part, on ne peut comprendre un systme organisationnel si on nen repre pas les dterminants extrieurs qui influent sur sa construction et lvolution de cette construction organisationnelle; dautre part tout systme organisationnel existe et se maintient par ce quil apporte lenvironnement dans les rponses quil donne aux attentes de ce dernier.

    Ainsi, la bonne organisation est celle qui sait sadapter son environnement. Sadapter , cest dire tre invitablement lie -donc tributaire de- lensemble des Man : the Origin of Totalitarism (la fin de lHomo Economicus : lorigine du totalitarisme) et The Future of Industrial Man (Lavenir de lhomme lge industriel), les deux livres que Drucker avait publis depuis son arrive aux tats-Unis. Il demanda ce jeune universitaire lesprit acr et la plume agile de venir tudier et analyser le management de sa socit. (MOUSLI (M.), Peter Drucker, linventeur du management moderne , Alternatives conomiques, n 258, mai 2007.) 31 MOUSLI (M.), art. cit. 32 Traduit par DPO Direction par Objectifs ou GPO Gestion par Objectifs ou mme DPO Dmarche par Objectifs 33 La critique est rcente : cf. C. PETILLON, La gestion par objectifs cache mal la ralit quotidienne des cadres , Le Monde, 19 mars 2007 en rfrence COUSIN (O.), 2004, Les cadres : grandeur et incertitude, LHarmattan, Logiques sociales 34 lire Annexe 2

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    lments sociaux, conomiques, politiques et culturels qui forment le creuset de son existence (sa naissance et son maintien).

    Paul R. LAWRENCE et Jay W. LORSCH35 sont les initiateurs de cette approche dans le domaine de la sociologie des organisations. Selon eux, quatre facteurs principaux de contingence peuvent tre distingus :

    - lge et la taille de lentreprise

    - le systme technique utilis par lorganisation

    - lenvironnement de march dans lequel elle est place

    - lenvironnement culturel national36

    Joan WOODWARD (1916-1971) dveloppe lhypothse du poids de la technologie dveloppe dans la distinction entre les modes dorganisation des entreprises.

    Lintrt de ses travaux porte sur la dmonstration quil ny a pas une structure meilleure que les autres mais que cest la technologie qui va dterminer la structure la plus performante. Ainsi, que la technologie change par apport de nouveaux dveloppements de lextrieur (environnement de connaissances) et la structure organisationnelle doit se modifier sous peine dinefficacit.

    Dans ce mode de pense, lefficacit et la performance de lorganisation tiennent donc uniquement la capacit dadaptation de ses structures et de ses processus de travail lenvironnement et ses contraintes. Mais alors que dans la priode prcdente, le glissement stait fait vers lapproche sociale mettant en jeu la complexit des sentiments humains, on retourne vers une approche qui se veut rationnelle dans les relations entre les diffrents facteurs matriels.

    Si ce courant ne se maintient pas comme dominant au del du milieu des annes 70, cest que la dynamique idologique qui a t impulse est relue la lumire des autres approches notamment celles qui ont maintenu et dvelopp la recherche sur la psychologie et son substrat et corollaire, lindividualisme. Si les annes 60 et 70 sont aussi perturbes par le croisement de multiples conceptions cest que celles-ci, sans chercher sopposer (on parle mme de transdisciplinarit ) cherchent simposer, sexcluant ainsi de fait lune lautre alors quelles cherchent leurs liens possibles.

    Comment concilier le poids absolu de lenvironnement et la reconnaissance tout aussi absolue de loriginalit individuelle ? Comment concilier lagent m par son environnement social cher Bourdieu et lacteur m par son unique et personnelle Raison calculatrice cher Boudon ? Par la notion de stratgie que lon va retrouver analyse dans ltude des phnomnes de dcision et de pouvoir.

    D) lanalyse stratgique et systmique de la sociologie de laction : 1970-

    Henry MINTZBERG (1939-) est certainement le meilleur reprsentant de ce glissement idologique.

    La richesse et limportance de ses analyses thoriques en font une rfrence essentielle dans le domaine de la sociologie des organisations depuis les annes 70 jusqu aujourdhui. 35 LAWRENCE (P. R.), LORSCH (J.W.) : Adapter les structures de lentreprise, Paris, Ed. dorganisation, 1973 36 on remarquera que lon parle alors denvironnement national et non encore international comme on le ferait aujourdhui.

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    Lun de ses apports fondamentaux est la construction dune typologie des organisations37 selon trois composantes : division du travail et coordination des oprateurs, buts organisationnels et distribution du pouvoir38

    - la division du travail (division horizontale et division verticale) et la coordination du travail

    division horizontale division verticale Coordination entre les oprateurs

    ajustement mutuel Communication informelle

    supervision directe 1 personne donne les instructions

    standardisation des procds

    Chacun a son poste dfini par les concepteurs-analystes

    standardisation des rsultats

    Par rapport la production attendue

    standardisation des qualifications

    Par le biais de la formation de loprateur

    Forte : tches limites en

    nombre et rptitives

    Faible : tches diversifies

    Forte : sparation claire

    entre conception et excution

    Faible : pas de sparation

    Standardisation des normes

    Valeurs de lorganisation globale qui dterminent le travail

    - les buts organisationnels

    Buts de mission Buts de systme Ceux qui correspondent aux produits, aux services ou aux clients

    Ceux qui correspondent aux caractristiques de lorganisation ou de ses membres

    - la distribution du pouvoir Le centre oprationnel Oprateurs qui ralisent le travail de production

    Le sommet stratgique Direction et adjoints directs

    La ligne hirarchique Cadres intermdiaires

    Les analystes de la technostructure Chargs de la standardisation du travail

    Le personnel de soutien logistique Ceux qui aident les oprateurs

    Les propritaires de lorganisation Financiers ou lgaux

    Les associations demploys Syndicat, corporation professionnelle

    37 MINTZBERG (H.), 1982 ,Structure et dynamique des organisations, Ed. dOrganisation, traduit de The structuring of organisation : A synthetis of the Research, 1979 38 NIZET, (J.), HUYBRECHTS (C.), 1998, Interventions systmiques dans les organisations, De Boeck Universit,.

  • Cest le croisement de ces trois dimensions entre elles et une idologie (culture) qui fait lorganisation dans sa spcificit.

    Mintzberg dfinit ainsi des configurations structurelles selon un schma de base dont il va ensuite dcliner les variations typiques et les lments de pouvoir :

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  • La configuration entrepreneuriale simple

    Pouvoir au sommet stratgique Peu ou pas de technostructure Division horizontale faible, verticale forte, supervision directe Leader souvent charismatique ; sens de la mission.

    La configuration bureaucratique mcaniste

    Pouvoir au sommet stratgique et syndicat Division horizontale et verticale fortes, standardisation des rsultats ou des procds ralise par une technostructure importante ; Exemple : lindustrie textile.

    La configuration bureaucratique professionnelle

    Pouvoir important du centre oprationnel Division horizontale forte, verticale faible, standardisation des qualifications. Exemple : le systme scolaire, la police

    La configuration structure divisionnalise

    Superposition de structures. Le sige social supervise chaque division. Pouvoir au sommet stratgique, interdpendance et coordination entre les divisions ; Autonomie relative des divisions. Exemple : lindustrie moderne avec ses filiales et les sous-traitances..

    La configuration adhocratique

    Pouvoir rparti sommet stratgique et en partie centre oprationnel. Structure peu formalise car fonde sur le regroupement de spcialistes dans un cadre dinnovation. Ajustement mutuel essentiel. Cest la configuration considre comme la plus moderne, adapte au changement technologique et lvolution du march.

    Adhocratie oprationnelle

    Minzberg va prendre galement beaucoup dimportance dans la conception critique de lactivit de management quil dveloppe. Dans Le management : Voyage au centre des

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    organisations 39, il dveloppe lide de lexistence dune idologie organisationnelle la suite du dveloppement des entreprises japonaises. Ce dveloppement passe par 3 stades :

    - Le sens dune mission - La construction dun mythe c'est--dire une Histoire de lorganisation avec

    ses figures emblmatiques voire hroques ; - Le renforcement par processus didentification des individus lorganisation

    Mintzberg ajoute donc aux 5 configurations prcdentes la configuration missionnaire et introduit la dimension idologique dans les 5 configurations. La configuration missionnaire

    Mintzberg na pas observ dentreprise fonctionnant sur ce modle. Cest donc un type thorique qui rappelle limportance de la prise en compte de leffet parfois fort dune idologie, de ce que lon va appeler une culture dentreprise bien que les organisations dentreprise ne puissent jamais se rsumer ce modle.

    Une septime configuration apparat dans son analyse par la dimension idologique, mais qui prsente la particularit de se dfinir en termes de pouvoir et non plus en termes de structures, cest lorganisation politique .

    La configuration politique

    Ici aussi le modle est limit car il suppose une conception politique sur le mode de la dmocratie rpublicaine. Ainsi les grands partis politiques nentrent pas totalement dans ce type dans la mesure o leur organisation met en place une hirarchie (du militant au prsident ou au secrtaire gnral ) un bureau directeur ou des cadres du parti . Le seul exemple reste alors lAssemble nationale o chacun est libre dexposer son point de vue et o les dcisions sont prises au vote.

    Ainsi, Mintzberg rintroduit cette dimension politique dans les configurations prcdentes en posant la question de sa fonction au sein de lentreprise. On voit que Mintzberg dveloppe une rflexion thorique qui est au confluent des courants de pense antrieurs et contemporains de la socit de la fin du XXe sicle. On peut le considrer comme un produit de lcole des contingences et comme un acteur de lanalyse systmique et stratgique dont plusieurs autres grands auteurs font partie.

    Le courant de lorganisation scientifique du travail avait ignor la place de laffectif et le poids des individus dans lorganisation. Celui des relations humaines avait neutralis lenvironnement que le courant de la contingence avait rendu dominant de faon absolue.

    Cest le cas de Herbert SIMON (1916-2001) qui lon doit le concept de rationalit limite ; si lacteur conomique a un comportement rationnel, il est cependant limit par les capacits cognitives dont il dispose que ce soit en termes de connaissances, de 39 MINTZBERG (H.),1990, Le management : Voyage au centre des organisations , Ed dOrganisation ; (traduit de Management, Inside Our Strange World of Organizations, The Free Press, New York, 1989)

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    comprhension ou de disponibilit dinformations. Face limpossibilit de dtenir tous les lments permettant de prendre une dcision, lacteur ne peut que rechercher une solution satisfaisante . Simon dveloppe, la suite de sa thse sur le fonctionnement dune administration municipale, ds 194540 une analyse de la dcision en en distinguant plusieurs formes :

    - la dcision objectivement rationnelle rsultant de la situation - la dcision subjectivement rationnelle rsultant des connaissances de lindividu - la dcision consciemment rationnelle rsultant dun processus conscient

    dadaptation des moyens aux fins ; elle devient ensuite intentionnellement rationnelle

    - la dcision rationnelle du point de vue de lorganisation - la dcision personnellement rationnelle

    La dcision nest donc jamais le produit dune rationalit absolue ni dune connaissance complte des donnes mais seulement le rsultat dun processus de successions de choix faits en fonction des expriences passes pour approcher la moins mauvaise solution possible . Cest donc une rationalit procdurale qui est luvre dans cette action. Richard CYERT (1921-) et James MARCH (1928-) 41 mettent en application les dveloppements thoriques de Simon. Lentreprise est un groupe de participants aux demandes disparates mme sils ont tous intrt ce que le systme fonctionne. Ces deux orientations fondamentalement contradictoires amnent les auteurs mettre une thorie du comportement de lorganisation qui se rsume quatre propositions fondamentales :

    - la mise au point de procdures de rsolution des conflits en se rfrant la rationalit locale et en mettant en place un traitement squentiel des problmes .

    - la tentative ritre (car jamais totalement russie) dlimination de lincertitude - la recherche des causes vritables des problmes sans masque - une vision systmique qui permet de prendre en compte le paramtre du

    changement linstar de Mintzberg qui dit que le management ne sapprend pas dans les formations de MBA (alors quil y enseigne) mais en situation, March prtend que le leadership est fondamentalement contraire au principe dorganisation.

    Organisational leadership is a contradiction in terms.. The essence of organisation is routine, conventional behaviour that is bound with current standards of knowledge, morality and legality. The essence of leadership on the other hand, is escaping the routine (). Leadership is pre-eminently anti-organisational.42

    40 SIMON (H.), 1983, Administration et processus de dcision, Ed Economica, (traduit de Administrative Behavior, a study of decision-making processes in administrative organizations , 1945. 41 CYERT (R.), MARCH (J.), 1963, A behavioral theory of the firm 42 Exemple dassertion que March soumet ses tudiants in MARCH (J.), WEIL (T.), 2003, Le leadership dans les organisations, Paris, les Presses de lEcole des Mines, p.47 cit par GROU (J.), 2005, Carnets de leadership, Vol 2, n2, p.12.

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    Comme le souligne Philippe Urfalino 43 , la dcision devient lobjet dune quasi sous-discipline en arrivant, avec des auteurs comme Simon ou March, ..au carrefour du management, de la sociologie des organisations et des sciences politiques .

    Pour Michel.CROZIER (1922-) 44 dveloppant une thorie actionniste et stratgique des organisations , tout systme social et lorganisation en est un peut tre compris partir de laction des diffrents agents qui le composent. Celle-ci est signifiante : lacteur obit des mobiles, des motifs, poursuit une fin quil sest pralablement fixe, compte tenu des objectifs organisationnels et de ses vises propres.

    Lauteur auquel il est classique de se rfrer et qui est le premier avoir abord le problme de cette manire est Chester Barnard Le problme des organisations, pour Barnard, est de constituer un systme, cest--dire de raliser lintgration de ses membres, et de parvenir la meilleure adaptation possible lenvironnement. Pour ce faire, il convient, en particulier, de concilier, dans la mesure du possible, efficacit et efficience de laction. Une action est efficace lorsquelle atteint les buts quelle sest fixs ; elle est efficiente si elle donne satisfaction aux mobiles et aux motifs individuels des acteurs.

    Crozier et Friedberg, partant de la thorie de la rationalit limite45 , proposent un

    nouveau type danalyse sociologique quils appellent l analyse stratgique . Lagent ne choisit pas au hasard ; ses choix dpendent certes de ses valeurs, mais aussi de la manire dont il peroit la situation, et des moyens dont il dispose pour en tirer parti. Chaque agent a sa stratgie personnelle, joue son propre jeu dans le cadre du systme dactions dont il fait partie, et cherche augmenter son pouvoir, ainsi qu dvelopper ltendue de la zone place sous sa responsabilit. Dans le cadre des rgles que dveloppe chaque systme daction, les joueurs essaient de mettre en uvre une stratgie, dont la fin est daccrotre leur influence. Le concept de stratgie permet de comprendre les rgularits de comportement des acteurs.

    Crozier, dans Le Phnomne bureaucratique, tudiant les ateliers du Monopole industriel, dcouvre que l o lorganigramme prvoyait des rapports techniques entre des catgories de travailleurs, apparaissent des relations de pouvoir non voulues et imprvisibles. Il sagit pour chacun de dtenir tout le pouvoir que lorganigramme lui accorde et de chercher laccrotre au dtriment des autres. On retrouvera cette conception dans la thorie des champs de Bourdieu46, applique aux domaines de la lgitimit culturelle.

    Ce que va montrer Crozier travers ltude empirique dune grande administration et

    dune grande entreprise industrielle que lon peut caractriser tout phnomne bureaucratique par un certain nombre de dysfonctionnements :

    - Lisolement des employs et des groupes professionnels - la prpondrance des rgles impersonnelles et leur rle de protection individuelle ou

    collective - linfluence des groupes professionnels, syndicats

    43 URFALINO (P.) ; 2005, La dcision fut-elle jamais un objet sociologique ? (texte provisoire), CESTA (EHESS-CNRS) 44 CROZIER (M.):1963, Le phnomne bureaucratique, Seuil, CROZIER (M.) et FRIEDBERG (E.), 1977, LActeur et le systme, Seuil, 45 La thorie de la rationalit limite met en avant le fait que si tous les hommes sont dots dune mme raison calculatrice , leur raisonnement, tout logique quil soit, est affect, orient, model par la position dans laquelle il se trouve pour apprhender une situation donne. 46 Sur la thorie des champs, on lira avec intrt P. BOURDIEU, 1980, Questions de sociologie, Seuil,

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    - linefficacit des objectifs fixs par les responsables et linefficacit du contrle - la centralisation des dcisions - la rsistance au changement et un processus de transformation par crise - lomniprsence du pouvoir ou surtout la prdominance des relations de pouvoir.

    Tout cela reprsente pour Crozier le contraire dune approche technique et

    limpossibilit de concevoir un modle strictement rationnel de direction.

    Plusieurs recherches participent ce rejet progressif du schma rationnel. On peut estimer quil est dfinitivement affirm partir de linvention du modle de la poubelle 47. Ce modle stipule que le choix est la rsultante de la rencontre contingente entre un flux de problmes , un flux de solutions , un flux de participants et un flux dopportunits de choisir . Cela a plusieurs effets : dabord, la distinction faire entre la dcision comme processus (qui peut tre connu) et la dcision comme rsultat (qui est indtermin). Ensuite la rupture avec la rationalit des acteurs. Cest l que le modle trouve ses limites. En effet labsence de prfrences prcises de certains acteurs ne signifie pas labsence de toute rationalit. Comme le dit URFALINO48, parfois ils ne savent pas ce quils veulent mais le plus souvent ils savent ce quils ne veulent pas.

    Enfin la question prcise de la dcision que semblait avoir rgl Simon est repose lorsque dautres chercheurs comme BRUNSSON49, montrent que la rationalit de la dcision, quelle que soit sa forme, peut tre incompatible avec laction. Brunsson va jusqu affirmer : Les dcisions irrationnelles sont rationnelles pour laction. En effet, mme si le propos parat excessif dans son expression absolue, ce qui engage laction cest avant tout un faisceau compos dattentes positives, de motivations fortes, dengagement coopratif des acteurs dans le projet plus quune procdure de dcision rationnelle . Cest lexemple de ce qui devient un cas dcole, laffaire des missiles de Cuba 50, lorsque du 16 octobre au 28 octobre 1962, les Etats-Unis et lUnion sovitique sont dans une relation de crise qui menace le monde dune guerre nuclaire mondiale parce que des missiles nuclaires sont installs Cuba dirigs vers les Etats-Unis qui menacent eux-mmes de dbarquer sur lle51. La dcision telle quelle est prise de part et dautre, dans un cadre de crise politique, relve dune rationalit limite mais galement dun calcul de probabilits (thorie des jeux) qui introduit zone dincertitude, stratgie et culture idologique des acteurs.

    47 A garbage can model of organizational choice in COHEN(M.D.), MARCH (J.) OLSEN (J.), 1972, Administrative Science Quaterly, Vol XVII, pp. 1-26. MARCH (J.), 1991, Dcisions et Organisations, Ed. dOrganisation (traduc. Partielle de Decisions and Organizations, New York, Basil Blackwell , 1988) 48 Art cit. 49 BRUNSSON N. The irrationality of action and action rationality. Decision, ideologies and organizational actions, Journal of Management Studies, Vol XIX, 1982, pp. 29-44 50 cf annexe 1 51 la prsentation historique de laffaire est bien rsume sur le site : http://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_missiles_de_Cuba . le film 13 jours, de Roger Donaldson, 2000, donne une version cinmatographique de lvnement.

  • Mais alors comment peut-on tudier une organisation ? BERNOUX propose den retenir les traits suivants :

    - Une division des tches Cest ce qui diffrencie lorganisation du regroupement informel comme la foule. La division des tches suppose prcision et dure. Le travail est rparti de manire claire pour que chacun nempite pas sur lautre. Il est donn pour une dure dtermine

    - Une distribution des rles Chaque membre de lorganisation se voit attribuer une tche. Mais chacun peut accomplir cette tche de manire particulire. Le rle est bien cette fonction que chacun remplit sa manire. Do la notion dacteur.

    - Un systme dautorit Cest le moyen de veiller ladquation du comportement de lindividu aux buts fixs dans lorganisation.

    - Un systme de communications La relation est tablie de deux manires la seconde prenant le pas sur la premire. Tout dabord il sagit de mettre les individus en relation entre eux. Mais surtout il sagit dune communication du haut de la hirarchie vers le bas.

    - Un systme de contribution-rtribution Toute peine mrite salaire mais pas seulement...elle peut tre rtribue en distinction honorifique ( le meilleur vendeur de lanne 2001 ), en prestige de participation ( appartenir lquipe du Professeur X. , faire partie du personnel des usines Y. ) ou en positionnement social ( faire partie de llite de la Nation ).

    E) des dveloppements nouveaux ou renouvels la fin du XXe sicle

    Il sagit dans ce chapitre non pas de faire tat des dernires thories qui viennent de sortir mais de souligner des orientations de recherche qui ont des consquences sur la manire dont on approche le phnomne dorganisation. Certains travaux sont plus anciens quon ne le pense mais leur lecture est actuelle soit par un intrt renouvel qui leur donne une modernit, soit parce quils sont toujours prsents mais de faon marginale par rapport aux grandes thories soit plus prosaquement par la traduction rcente douvrages trangers. Deux dveloppements sadressent lun lautre en miroir , celui de lapproche culturelle, la fois ancienne par ses rfrences disciplinaires qui portent avec elles le poids de leur propre histoire (la sociologie et lanthropologie avec le courant culturaliste et les mcanismes de lacculturation, la psychologie sociale avec les phnomnes de groupe, lhistoire elle-mme avec les phnomnes de civilisation) et celui issu de la modernit du dveloppement conomique mondial qui est rsum sous le terme de modle asiatique (pour ne pas dire japonais ) qui, parfois en faisant sien des travaux occidentaux rfuts, impose une image sduisante de la russite.

    Une approche culturelle Edgard SCHEIN (1928-) La culture dentreprise . Il dfinit la culture organisationnelle comme un ensemble de prsuppositions invent ou dvelopp par un groupe donn lorsque celui-ci apprend rgler les problmes dadaptation son environnement externe et dintgration interne ; ensemble assez efficace pour tre

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    considr comme valide et susceptible dtre enseign aux nouveaux membres comme la faon correcte de percevoir, de penser, de sentir en fonction de ces problmes 52. Dans un autre texte 53 , il montre que la culture organisationnelle doit tre analyse plusieurs niveaux :

    ays.

    - celui des artefacts visibles comme lenvironnement architectural, la disposition des bureaux, la tenue vestimentaire, les modes de comportement visible ou audible, les documents publics. Mais si ces lments sont faciles daccs, ils sont difficiles interprter. Nous pouvons dcrire comment un groupe construit son environnementmais nous sommes incapables de comprendre pourquoi un groupe se comporte comme il le fait.

    - Celui des valeurs qui permettent de comprendre pourquoi les membres du groupe se comportent ainsi. Leur accs est indirect (par entretien ou par lecture de documents) mais il est un niveau plus lev de connaissance. Cependant, les valeurs exprimes ainsi ne sont que des valeurs affiches de la culture. Elles sont idales et ne tmoignent que peu ou pas du tout des raisons sous-jacentes relles de la conduite des membres.

    - Celui des principes sous-jacentsordinairement inconscients mais qui dterminent dans les faits comment les membres du groupe peroivent, pensent et sentent.

    On trouve chez Schein le questionnement de la dmarche de lethnologue. Lanthropologue Mary Douglas54 montre comment la culture nest pas un rsultat qui arrive brusquement selon le choix dun groupe ou dun leader. Cest la fois un processus de maturation historique qui sexprime par des manifestations concrtes, mais aussi travers une internalisation des catgories sociales et locales par chaque individu intgr linstitution. 55 Geert HOFSTEDE (1928-) La culture dans le management Professeur danthropologie des organisations aux Pays Bas, il a publi deux ouvrages56 dans les annes 80 qui porte sur le management compar entre diffrents pAlors que dans les annes 50 et 60 on pensait que les diffrences entre les formes de management des pays allaient saffaiblir voire disparatre ; ce nest plus le cas dans les annes 70. Hofstede a effectu, avec une quipe de chercheurs, une tude portant sur 50 filiales dune entreprise multinationale dont le sige est aux Etats-Unis. Son questionnaire auque