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11/10/11 Sociologie des religions I Approches classiques et théories contemporaines Cours d’introduction à la sociologie des religions (UNIL/UNIGE) Semestre d’automne 2011 Dr. Laurent Amiotte-Suchet Prof. rempl. (UNIL, FTSR-ISSRC)

Sociologie des religions I - UNIL Accueil · autorité administrative impersonnelle qui repose sur la croyance en la validité des règlements et des fonctions. ... - La conduite

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11/10/11

Sociologie des religions I Approches classiques et théories contemporaines

Cours d’introduction à la sociologie des religions (UNIL/UNIGE) Semestre d’automne 2011

Dr. Laurent Amiotte-Suchet Prof. rempl. (UNIL, FTSR-ISSRC)

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Max WEBER �(1864-1920)

La modernité religieuse occidentale

Sociologie des religions UNIL/UNIGE, cours BA, semestre automne 2011

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Biographie

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Contexte

-  Né dans une famille protestante de la bourgeoisie allemande.

- Milieu intellectuel (il fréquente le congrès social protestant et s’implique

politiquement : membre du parti social démocrate).

- Formation en droit, économie, histoire, philosophie, droit canonique.

- Il pratique l’agnosticisme méthodologique mais témoigne d’une sympathie

compréhensive pour les phénomènes religieux.

- Il constate l’affaiblissement de la religion dans certaines couches sociales mais

considère le religieux comme lié à la condition humaine (réponse à l’irrationalité

du monde).

- Il n’introduira pas la perspective eschatologique socialiste dans sa conception

scientifique (neutralité axiologique, refus d’une idéologie du progrès).

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Bibliographie

- (1904-1905) L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Flammarion,

2000.

- (1906) Les sectes protestantes et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964.

- (1916) Confucianisme et taoïsme, Paris, Gallimard, 2000.

- (1916) Hindouisme et bouddhisme, Paris, Flammarion, 2003

- (1917-1918) Le judaïsme antique, Paris, Plon, 1970.

- (1904-1917) Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965 (recueil

d’articles).

- (1919) Le savant et le politique, Paris, Plon, 1963.

- (1921 posthume) Wirtschaft und Gesellschaft. Grundriss der verstehenden

Soziologie, Tübigen, J.C.B. Mohr, 1980 (Economie et société, Paris, Plon, 1971).

- Sociologie des religions (textes réunis et traduits par J-P Grossein), Paris,

Gallimard, 1996.

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Bibliographie

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Durkheim, Weber : deux contemporains, deux sociologies

Durkheim Weber

Opposition modernité/religion héritée de la guerre des deux Frances (affrontement entre catholiques et laïcs)

Genèse religieuse de la modernité occidentale (héritage protestant du rationalisme capitaliste)

Relations de domination des Institutions sur les individus

Attention portée sur les comportements des acteurs et les choix opérés par les individus.

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

« La sociologie wébérienne des religions, en soulignant la genèse religieuse de la modernité occidentale, se trouvait en porte-à-faux par rapport à l’opposition classique entre modernité et religion (…). Elle brisait toute opposition simpliste entre idéalisme/matérialisme, religion/

modernité, rationalité/irrationalité » (Willaime, 2001, pp. 65-66)

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La sociologie wébérienne : une sociologie de l’action

La sociologie wébérienne est dite « compréhensive » (attention portée aux

significations données par les acteurs à leurs conduites afin d’analyser les

conséquences sociales de leurs actes)

« Nous appelons sociologie (…) une science qui se propose de comprendre par interprétation

l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets » (Economie et

société, p. 4)

W. rejette le monocausalisme économique de Marx car pour lui, l’activité

économique est elle aussi médiatisée par le sens que les individus donnent à leur

action (intérêt pour le monde « vécu »).

Il se concentre sur des groupes d’individus producteurs de sens et donc de

nouvelles logiques d’action (individualisme méthodologique).

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Les logiques d’action

Weber distingue l’activité rationnelle en finalité (zweckrational),

l’activité rationnelle en valeur (wertrational), l’activité affectuelle

(affektuel), l’activité traditionnelle (traditional).

Il oppose :

- Ethique de responsabilité : intégration des conséquences prévisibles

dans l’élaboration d’une action.

- Ethique de conviction : application de ce qu’on estime devoir faire

sans se soucier des conséquences prévisibles.

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Religion et immanence -  Pour M. Weber, l’intérêt pour le religieux n’est pas dépendant d’une motivation

liée à l’espoir d’une vie dans l’au-delà (contrairement aux idées répandues à

l’époque) car les religions parlent essentiellement de l’ici-bas (santé, longue vie,

bonheur, richesse, réussite,…).

- Chez Weber, les religions sont des fondations de sens qui façonnent des

conduites.

- L’activité religieuse ou magique est donc rationnelle, il s’agit en somme

d’obtenir des biens immanents par le recours à des forces extra-quotidiennes

(charisme).

- Seuls les « virtuoses » (moine, soufi, derviche,…) cherchent pleinement le salut

extramondain. Ils ne doivent pas être confondus avec le peuple.

« Les actes motivés par la religion ou la magie sont des actes, au moins relativement, rationnels » (Economie et Société, p. 429).

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Religion et pouvoir

-  « … toute religiosité intensive (est amenée) à se structurer par corps

correspondant aux différences de qualification

charismatique » (Sociologie des religions, pp. 358-359).

- Tout groupe religieux est un « groupement hiérocratique » car il fait

espérer des biens spirituels (terrestres ou extraterrestres) et gère leur

distribution.

- Le but de la sociologie des religions est donc de définir des types de

« communalisation religieuse ».

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Une démarche typologique

Weber va distinguer deux types de religion :

- Les religions magiques (manipulation des forces suprasensibles pour atteindre un but,

logique de la contrainte des esprits)

- Les religions éthiques (éthicisation de la religion et rationalisation des comportements en

accord avec une éthique de vie, logique de la vénération des dieux)

Avec son collègue Ernst Troeltsch, il va différencier trois types

d’organisation religieuse :

- L’Eglise : institution bureaucratisée de salut, administration de biens de salut en

symbiose avec la société (charisme de fonction)

- La secte : association volontaire de croyants en rupture avec l’environnement

social (charisme exemplaire)

- Le réseau mystique : valorisation de l’expérience immédiate et des liens

interpersonnels, basé sur l’initiation et le secret (charisme personnel)

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Trois modes de légitimation du charisme

Weber se concentre essentiellement sur les modes de légitimation de

l’autorité, c’est-à-dire sur la construction sociale de la croyance en la

légitimité du pouvoir :

- Autorité rationnelle-légale (ex. du prêtre : autorité liée à sa fonction) : c’est une

autorité administrative impersonnelle qui repose sur la croyance en la validité des

règlements et des fonctions.

- Autorité traditionnelle (ex. du sorcier : autorité liée à la reconnaissance publique

de son savoir-faire) : c’est une autorité qui repose sur la croyance en la validité de

la coutume et en la légitimité de la transmission.

- Autorité charismatique (ex. du prophète : reconnaissance de l’authenticité de sa

révélation) : la légitimité repose sur l’aura que la communauté reconnaît à un de

ses membres.

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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Les idéaux-type de Max Weber et Ernst Troeltsch

Type-idéal

Eglise Type-idéal

Secte Type-idéal

Réseaux mystiques

Organisation

« institution d’appartenance non-choisie »

« groupement volontaire de croyants »

Réseau aux contours flous et mouvants

Accès

Par la naissance.

Par la conversion personnelle.

Circulation intense, pas de type d’accès particulier.

Vocation

Rassembler l’humanité tout entière. « Institution de salut »

Regrouper un nombre restreint d’individus élus et méritants. « Institution de sanctification », sa sainteté repose sur celle de ses membres.

« démultiplier le "moi" », quête d’un auto-perfectionnement, chacun possède en lui un potentiel à développer.

Hiérarchie

Séparation clercs/laïques et proposition d’une double éthique.

Egalité de tous les membres, exigence d’une éthique commune.

Universalisme.

Contrôle

Peu de contrôle.

Contrôle des uns par les autres.

Totale liberté de croyance, individualisme fort.

Relation avec le monde

Compromis avec la société.

Refus du monde et des pouvoirs traditionnels. « logique protestataire »

« protestation culturelle globale ».

Conception du monde

Monde bon mais peu être amélioré.

Monde mauvais, doit être évité et combattu.

Monde illusoire, doit être ignoré.

Autorité

Reposant sur une structure ecclésiastique. « charisme de fonction »

Appartenant à un leader charismatique porteur d’un message, « prophétisme éthique ».

Pas d’autorité clairement désignée. C’est l’expérience d’un homme qui indique la voie, « prophétisme exemplaire ».

Origine

Histoire religieuse européenne

Réforme protestante du XVI° siècle et "réveils" religieux du XX° siècle.

« nébuleuse mystique-ésotérique » se développant en marge des religions instituées et revitalisée dans les années 70.

Caractère

" Traditionalisme "

Fondamentalisme.

Syncrétisme (religion, psychologie, biologie,...), croyances "clignotante s " .

Impact supposé

Stabilisation socio-religieuse.

Revitalisation du religieux (conversions soudaines, prosélytisme actif, etc.).

« dilution du religieux ».

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Ce schéma a été repris du cours du prof. Jörg Stolz (UNIL).

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La dynamique des pouvoirs

Pour Weber, l’histoire des religions est logiquement traversées par

d’incessantes crises car l’établissement d’une religion (le passage de la

secte à l’Eglise) nécessite l’établissement d’un charisme de fonction

afin de préserver le collectif des crises de transmission du pouvoir.

Or c’est justement cette volonté de réglementation de la transmission

de l’autorité qui provoque la routinisation du charisme exemplaire et

fait perdre au collectif religieux sa capacité de mobilisation.

Les changements (qu’ils soient politiques ou religieux) sont donc

toujours initiés par l’irruption de personnes investies d’un charisme

exemplaire et venant briser le poids des traditions établies.

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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La démagification du monde

Pour Weber, le processus de démagification du monde se joue à l’intérieur même

des religions à partir d’un processus de rationalisation interne (pas d’opposition

religion/modernité comme chez Durkheim).

A partir de l’éthique de vie juive, le christianisme aurait « inventé » une religion

éthique en créant un Dieu allié des hommes capable de les récompenser sur la

base de leur bonne conduite (conduite en accord avec l’éthique prônée par le

groupe).

L’établissement du Livre et de la doctrine constitue ainsi un exercice de

rationalisation des énoncés et des pratiques (logique de bureaucratisation avec

établissement d’un clergé).

Mais c’est du puritanisme protestant au XVI°-XVII° siècle que viendra une des

impulsions décisives pour la rationalisation des modes d’organisation des sociétés

occidentales (thèse de Weber développée dans L’éthique protestante…).

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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La rationalisation occidentale des conduites

- Le prophète (charismatique) induit une rupture/fracture avec la religion

magique en proclamant l’exclusivité d’une doctrine disqualifiant les autres

(contrairement à la religion magique où diverses pratiques peuvent cohabiter).

- La conduite de vie (ethos) se trouve ainsi basée sur des valeurs (éthique).

- A partir de l’éthique de vie juive (rejetant les pratiques magiques), le

christianisme « invente » un Dieu allié des hommes capable de les récompenser

sur la base de leur bonne conduite (conduite en accord avec l’éthique prônée par

le groupe).

- La conduite de vie (ethos) se trouve ainsi basée sur des valeurs (éthique).

- Mais le monde n’est jamais purement magique ou purement rationnel, il est

toujours les deux à la fois.

- Le catholicisme constitue une rupture mais continue d’être magique

(indulgences, miracles, sainteté,…)

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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La rationalisation occidentale des conduites

- Le catholicisme entretient des relations ambiguës avec la richesse (à la fois

honteuse et valorisée, recherchée).

- Il est orienté autour de la pratique des indulgences (appauvrissement nécessaire

pour acheter son salut), ce qui constituera le principal pilier de la protestation

protestante.

- Après la Réforme, le puritanisme protestant (XVII°) va se caractériser par la

recherche d’une plus grande rigueur dans la relation aux énoncés, un

dépouillement du culte et de ses artifices et un grand moralisme.

- L’interventionnisme et le radicalisme politique deviennent des devoirs religieux

(individu proclamé acteur de son destin : responsabilisation).

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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La rationalisation occidentale des conduites

- La perfection spirituelle de l'ascèse monastique catholique est remplacée par

l’exemplarité quotidienne et l’accomplissement de ses devoirs dans la société.

- Le passage d’un double éthique (celle des clercs et celle des laïcs) dans le

catholicisme à une éthique unique dans le protestantisme constitue pour Weber un

élément fondamental.

- Le puritanisme protestant insiste sur la foi comme seul mode d’accès au salut

(sola fides) et donc sur la nécessité pour le fidèle de vivre au quotidien comme un

saint.

- Il insiste aussi sur la réappropriation personnelle des énoncés (impulsion

décisive pour une relation critique aux textes bibliques).

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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La rationalisation occidentale des conduites

-  Le travail devient vocation, il n’est alors plus envisagé comme une douleur

quotidienne nécessaire mais comme un but en soi, une manière de s’accomplir

religieusement par son investissement dans le monde et l’exemplarité de son

comportement.

- La réussite professionnelle acquiert ainsi la caractéristique de « preuve » de la

grâce (élection).

- Si l’enrichissement constitue alors une « preuve » de la qualité de

l’investissement-travail, la dépense des richesses (plaisir, confort,…) se trouve en

désaccord avec l’éthique religieuse puritaine.

- Le sentiment du devoir professionnel accomplit devient fin en soi et rend

nécessaire la capitalisation des richesses (preuve d’élection) et leur

réinvestissement dans le système productif (cercle vertueux).

Max Weber, la modernité religieuse occidentale

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La rationalisation occidentale des conduites

-  Pour Weber, il n’y a pas de relation causale mais des « affinités électives ».

- L’ethos puritain est envisagé par Weber comme une source motrice pour

expliquer comment a pu naître et se développer un comportement au départ

irrationnel (accumuler des richesses pour ne jamais en profiter) qui s’est ensuite

autonomiser de ses bases religieuses.

- Pour Weber, la vie puritaine peu coûteuse et la confiance inspirée par ces

entrepreneurs attachés à l’adoption d’un comportement honnête dans leurs

activités professionnelles contribuent ensemble à favoriser la réussite des

entrepreneurs puritains et ainsi à généraliser le modèle économique capitaliste-

productiviste naissant dans les régions protestantes.

Max Weber, la modernité religieuse occidentale