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INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS Groupement d’Intérêt Public 1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705 29107 QUIMPER CEDEX SOINS PALLIATIFS ET POSTURE INFIRMIERE Accompagnement du patient et gestion des émotions du soignant UE validées par le MIRSI : UE 3.4 : Initiation à la démarche de recherche UE 5.6 : Analyse de la qualité des traitements des données scientifiques et professionnelles UE 6.2 : Anglais Cécile GOUGAY Promotion 2013-2016 Formation en Soins Infirmiers Formateur guidant : Madame I. BALLANGER

SOINS PALLIATIFS ET POSTURE INFIRMIERE - … · INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS Groupement d’Intérêt Public 1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705 29107 QUIMPER CEDEX SOINS

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INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS Groupement d’Intérêt Public

1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705 29107 QUIMPER CEDEX

SOINS PALLIATIFS ET POSTURE INFIRMIERE

Accompagnement du patient et gestion des émotions du soignant

UE validées par le MIRSI : UE 3.4 : Initiation à la démarche de recherche

UE 5.6 : Analyse de la qualité des traitements des données scientifiques et professionnelles UE 6.2 : Anglais

Cécile GOUGAY Promotion 2013-2016

Formation en Soins Infirmiers

Formateur guidant : Madame I. BALLANGER

INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS Groupement d’Intérêt Public

1 Rue Etienne Gourmelen – BP 1705 29107 QUIMPER CEDEX

SOINS PALLIATIFS ET POSTURE INFIRMIERE

Accompagnement du patient et gestion des émotions du soignant

UE validées par le MIRSI : UE 3.4 : Initiation à la démarche de recherche

UE 5.6 : Analyse de la qualité des traitements des données scientifiques et professionnelles UE 6.2 : Anglais

Cécile GOUGAY Promotion 2013-2016

Formation en Soins Infirmiers

Formateur guidant : Madame I. BALLANGER

Note aux lecteurs

« Il s’agit d’un travail personnel et il ne peut faire l’objet d’une publication en tout ou partie sans l’accord de

son auteur ».

1

SOMMAIRE Introduction .................................................................................................................................................. 2

I. Situation de départ .............................................................................................................................. 3

II. Cadre théorique .................................................................................................................................. 5

A. Les soins palliatifs .......................................................................................................................... 5 A.1. Définition des soins palliatifs. ............................................................................................................ 5

A.2. Histoire des soins palliatifs. ............................................................................................................... 7

A.3. Législation des soins palliatifs. .......................................................................................................... 7

B. L’accompagnement ...................................................................................................................... 11 B.1. Définition. ........................................................................................................................................ 11

B.2. Souffrances physiques et psychiques des personnes en fin de vie ................................................ 12

B.2.a. Souffrance globale. ................................................................................................. 12 B.2.b. Douleur. .................................................................................................................. 15

B.3. Principaux mécanismes de défense des patients ........................................................................... 17

B.4. Les spécificités de l’accompagnement des personnes en fin de vie. .............................................. 18

C. Les émotions des soignants ........................................................................................................ 19 C.1. Les sentiments des soignants face à des personnes en fin de vie ................................................. 19

C.1.a. Le sentiment d’impuissance ................................................................................... 20 C.1.b. L’excès d’engagement ............................................................................................ 20 C.1.c. L’excès de doute ..................................................................................................... 20 C.1.d. La surcharge de travail ........................................................................................... 20

C.2. Les répercussions de la prise en soins d’une personne en fin de vie chez le soignant .................. 21

C.3. Mécanismes de défense des soignants .......................................................................................... 22

C.4. Les moyens mis en œuvre pour remédier à la souffrance des soignants ....................................... 24

C.4.a. Formation ............................................................................................................... 24 C.4.b. Groupes de parole .................................................................................................. 24

D. Synthèse du cadre conceptuel ..................................................................................................... 25

III. Entretiens.......................................................................................................................................... 26

A. Analyse des entretiens ................................................................................................................. 26 B. Synthèse des entretiens .............................................................................................................. 34

Conclusion ................................................................................................................................................. 35

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................... 36

SOMMAIRE DES ANNEXES ........................................................................................................................ I

Annexe I : Guide d’entretien .................................................................................................................... II Annexe II : Restitution de l’entretien avec l’infirmière A .......................................................................... III Annexe III : Restitution de l’entretien avec l’infirmière B ...................................................................... VIII Annexe IV : Restitution de l’entretien avec l’infirmier C ....................................................................... XIII

Annexe V : Grille d’analyse des entretiens ........................................................................................ XVIII

2

Introduction

A l’issue de ces trois années d’études à l’Institut de Formation en Soins Infirmiers de Quimper, il nous est

demandé de réaliser un Mémoire d’Initiation à la Recherche en Soins Infirmiers (MIRSI), qui permettra de

valider les Unités d’Enseignement 3.4 : Initiation à la démarche de recherche, 5.6 : Analyse de la qualité

des traitements des données scientifiques et professionnelles et 6.2 : Anglais, afin d’obtenir notre diplôme

d’état d’infirmier. Ce travail se construit à partir d’une situation vécue en stage et qui nous a

particulièrement marquée, et à partir de laquelle un travail réflexif méthodique et rigoureux doit être

réalisé.

Compte tenu de mon parcours de stage et des différentes expériences que j’ai vécues, j’ai choisi de traiter

la question de l’impact de la prise en soins des patients en phase terminale des soins palliatifs sur les

soignants. En effet, lors de mon stage de semestre 3 en pneumologie, j’ai été confrontée à plusieurs

situations dans lesquelles j’ai pu accompagner des patients en fin de vie. L’une d’entre elles m’a

particulièrement marquée, et j’ai voulu approfondir ce sujet, pour évaluer si j’ai été touchée par cette

situation du fait de mon statut d’étudiante, de mon manque de recul et du peu d’expérience dans ce

domaine professionnel, ou si les infirmiers en poste depuis plusieurs années étaient également affectés

par certaines situations de fin de vie. Exploitant mes questionnements et ma réflexion, ce travail de

recherche me permettra d’acquérir des connaissances supplémentaires, d’avoir des références

bibliographiques et un cadre législatif qui me seront utiles lorsque je serai en poste dans un service.

Dans une première partie, je vais détailler la situation de départ, puis j’évoquerai le cheminement qui m’a

conduit à me poser une première question de départ et à formuler trois hypothèses. Ces dernières me

permettront, dans une deuxième partie, de développer le cadre conceptuel relatif à mon sujet et qui me

conduira à faire évoluer ma question de départ. Enfin, dans une troisième partie, je confronterai les

données théoriques avec la réalité des services par le biais de la réalisation de trois entretiens avec des

professionnels d’âge et d’horizons différents. Cela me permettra de réaliser une synthèse sur le travail

mené, en mettant l’accent sur les points forts et les limites de ce travail de recherche.

3

I. Situation de départ

J’ai effectué mon premier stage de deuxième année dans un service de pneumologie : les pathologies

prévalentes y étaient l’asthme, la BPCO1 et les cancers pulmonaires.

Au cours de ma sixième semaine de stage, une situation m’a particulièrement marquée : elle s’est

déroulée le 18 décembre 2014 vers 21h00, lors des transmissions avec l’équipe de nuit. M. G., 46 ans,

hospitalisé depuis quelques jours pour une prise en charge palliative d’un adénocarcinome pulmonaire, a

sonné. Lorsque je suis allée répondre, il m’a précisé que ses difficultés respiratoires se majoraient.

L’angoisse pouvait réellement se lire dans ses yeux : je l’ai donc réinstallé en position demi assise, et lui ai

dit que j’allais revenir avec les infirmières qui étaient aux transmissions. Nous nous sommes rendues dans

sa chambre : nous l’avons mis sous scope pour avoir un relevé précis et régulier de ses constantes, et

augmenté l’oxygène pour améliorer sa saturation. Devant la dégradation de l’état de santé du patient, une

infirmière a appelé le médecin qui est arrivé rapidement. M. G. présentait des troubles respiratoires se

traduisant par une dyspnée et une utilisation des muscles secondaires ; il présentait également une

importante turgescence des veines jugulaires et à l’auscultation, le médecin a repéré des signes

d’insuffisance cardiaque globale. Suite à cela, le médecin est parti dans son bureau faire les prescriptions

médicales afin de traiter le problème d’insuffisance cardiaque, notamment de Lasilix®2 pour permettre une

diminution du volume sanguin circulant, afin de faciliter le travail cardiaque et d’améliorer son état

respiratoire.

Le patient était très angoissé, surtout depuis que la cancérologue lui avait indiqué que le deuxième

protocole de chimiothérapie ne donnait pas de résultats, et que son adénocarcinome évoluait rapidement.

Elle lui avait précisé que sa prise en charge était par conséquent palliative. Le patient, qui avait deux

enfants d’une vingtaine d’années (eux-mêmes mis au courant de la situation), disait souvent « je ne veux

pas mourir, c’est beaucoup trop tôt », et qu’il fallait encore essayer de mettre en place un traitement. Face

à cette situation, une des deux infirmières a tenté de le rassurer : elle lui a pris la main en lui disant que

tout serait mis en place pour ne pas qu’il souffre, et que le médecin allait lui prescrire un traitement pour

apaiser son angoisse. La seconde infirmière a mis le scope dans son champ de vision, et lui a expliqué

les valeurs minimales et maximales entre lesquelles ses constantes (TA, pouls, saturation) devaient se

situer.

Suite à cela, les deux infirmières sont retournées dans le poste de soin pour préparer les traitements :

elles m’ont demandé d’aller installer un pousse seringue électrique (PSE) dans la chambre. Je suis donc

retournée seule dans la chambre de M. G. pour mettre en place le PSE : il était toujours aussi angoissé,

on pouvait lire la peur dans ses yeux : je me suis alors sentie démunie, ne sachant pas quelle attitude

adopter, ni quoi dire au patient. En effet, connaissant le dossier, je ne pouvais pas décemment lui dire que

tout allait bien se passer, mais je ne me sentais pas non plus capable de lui prendre la main ou de faire un

geste qui lui aurait montré que j’étais consciente de ce qu’il pouvait ressentir. Je lui ai simplement dit que

nous allions mettre en place des traitements qui amélioreraient sa fonction respiratoire, et qui apaiseraient

ses angoisses. Les deux infirmières sont revenues dans la chambre à ce moment-là pour administrer les

1 Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive 2 Diurétique de l’anse de Henlé permettant de forcer la diurèse

4

traitements, notamment un diurétique et de l’Hypnovel®3 pour apaiser son angoisse. L’état de M. G. était

alors stable : nous sommes reparties terminer les transmissions.

Le lendemain, j’ai parlé de cette situation à ma tutrice qui n’était pas présente la veille, et je lui ai dit que je

m’étais réellement sentie en difficulté et totalement démunie : elle m’a dit que chacun avait sa manière de

réagir, qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise façon de faire face à ces situations, qu’il était difficile

de trouver les mots justes pour les patients, mais qu’il était essentiel d’apprendre à se préserver pour ne

pas être en difficulté au quotidien dans ce métier. Ce qui m’a profondément perturbée dans cette

situation, a été le fait que le patient vive ses derniers instants et qu’il en soit conscient. Etant donné que

c’était la première fois que j’étais confrontée à cela, que le patient était jeune et ne demandait qu’à vivre,

j’ai été frappée de plein fouet par sa détresse et son angoisse. Rétrospectivement, je pense que je n’ai

pas su lui apporter le soutien et l’écoute dont il aurait eu besoin car je n’ai pas pu mettre une distance

suffisante entre la situation qui se jouait et ce que je ressentais.

Cette expérience m’a amenée à me poser un certain nombre de questions :

- Sur la prise en charge palliative d’un patient.

- Sur le rôle du soignant dans la prise en charge palliative des patients, notamment du point de

vue de leur accompagnement et sur la notion de communication avec les personnes en fin de

vie.

- Sur la manière dont les soignants réagissent lorsqu’ils sont quotidiennement confrontés à ce

genre de situations, et sur ce qu’ils peuvent mettre en place pour se protéger afin d’éviter d’être

personnellement trop impliqués.

Cela m’a conduite à formuler la question suivante : La prise en soins de patients en fin de vie a-t-elle

un impact sur les soignants ?

Hypothèses :

- Hypothèse n°1 : La société évolue dans son approche de la mort en permettant aux personnes

en fin de vie de bénéficier des soins palliatifs.

- Hypothèse n°2 : Les patients en fin de vie ont besoin d’un accompagnement spécifique apporté

par les soins palliatifs.

- Hypothèse n°3 : La prise en soins de personnes en fin de vie a des répercussions

émotionnelles sur les soignants et génère chez eux des mécanismes d’adaptation.

Souhaitant vérifier ces hypothèses, je vais m’attacher à développer un cadre théorique pour chacune

d’entre elle : pour la première hypothèse, je vais développer le concept des soins palliatifs. Pour la

deuxième, je vais étudier le concept d’accompagnement dans sa généralité, puis dans le cadre des soins

palliatifs, en réponse aux besoins particuliers des personnes en fin de vie. Enfin, pour la troisième

hypothèse, j’aborderai en dernière partie les émotions ressenties par les soignants dans le cadre de leur

exercice professionnel et la manière dont ils les gèrent.

3 Benzodiazépine à action anxiolytique

5

II. Cadre théorique

La situation que j’ai vécue concernait une personne en fin de vie bénéficiant de soins particuliers, dits

« soins palliatifs ». Cette première partie de mon cadre théorique va développer ce que recouvre cette

notion : la définition, l’histoire des soins palliatifs, ainsi que le cadre législatif qui les régissent.

A. Les soins palliatifs

A.1. Définition des soins palliatifs

En 1996, la SFAP4 donne une définition officielle des soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins

actifs dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave évolutive ou terminale. Leur objectif

est de soulager les douleurs physiques ainsi que les autres symptômes et de prendre en compte la souffrance

psychologique, sociale et spirituelle. Les soins palliatifs et l’accompagnement dont interdisciplinaires. Ils s’adressent

au malade en tant que personne, à sa famille et à ses proches, à domicile ou en institution. La formation et le soutien

des soignants et des bénévoles font partie de cette démarche. Les soins palliatifs et l’accompagnement considèrent

le malade comme un être vivant et la mort comme un processus naturel. Ceux qui les dispensent cherchent à éviter

les investigations et les traitements déraisonnables. Ils se refusent à provoquer intentionnellement la mort. Ils

s’efforcent de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’au décès et proposent un soutien aux proches en

deuil. Ils s’emploient, par leur pratique clinique, leur enseignement et leurs travaux de recherche à ce que ces

principes puissent être appliqués ».5

Ce qui me semble important en tant que future infirmière dans cette définition est le fait de limiter les

investigations et les traitements déraisonnables, ainsi que la prise en charge globale de la personne. Les

soins prodigués au patient en fin de vie ne concernent pas uniquement le traitement de ses symptômes

physiques et la prise en charge de sa douleur. Cela va bien au-delà en intégrant sa souffrance

psychologique (induite par la pathologie et ses conséquences), sociale (perte de repères du patient :

n’exerce plus sa profession, n’a plus la même place au sein de sa propre famille du fait des

hospitalisations prolongées, …), spirituelle (les patients peuvent avoir des doutes sur ce en quoi ils

croyaient avant la maladie). Les soins palliatifs intègrent également la famille du patient et prennent en

compte ses difficultés et ses souffrances. Cette prise en charge considère le patient au centre du cercle

familial autour duquel gravite une équipe pluridisciplinaire formée et soutenue psychologiquement.

En 2002, l’OMS6 propose la définition suivante :

« Les soins palliatifs cherchent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences

d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement

et évaluée avec précision, ainsi que le traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychologiques

et spirituels qui lui sont liés. Les soins palliatifs procurent le soulagement de la douleur et des autres symptômes

4 Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs 5 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 5. 6 Organisation Mondiale de la Santé

6

gênants, soutiennent la vie et considèrent la mort comme un processus normal, n’entendent ni accélérer ni

repousser la mort, intègrent les aspects psychologiques et spirituels des soins aux patients, proposent un système

de soutien pour aider les patients à vivre aussi activement que possible jusqu’à la mort, offrent un système de

soutien qui aide la famille à tenir pendant la maladie du patient et leur propre deuil, utilisent une approche d’équipe

pour répondre aux besoins des patients et de leurs familles en y incluant si nécessaire une assistance au deuil,

peuvent améliorer la qualité de vie et influencer peut-être aussi de manière positive l’évolution de la maladie, sont

applicables tôt dans le décours de la maladie, en association avec d’autres traitements pouvant prolonger la vie,

comme la chimiothérapie et la radiothérapie, et incluent les investigations qui sont requises afin de mieux

comprendre les complications cliniques gênantes et de manière à pouvoir les prendre en charge ».7

Cette deuxième définition met l’accent sur la qualité de vie du patient jusqu’à sa mort : elle précise que les

traitements mis en place ont pour but de soulager leur douleur, et que des investigations peuvent être

menées uniquement pour permettre d’adapter au mieux la prise en charge des symptômes de la maladie.

De plus, elle ne s’arrête pas au décès du patient, mais prévoit un accompagnement de sa famille dans le

processus de deuil. Les deux définitions ont des principes communs (soulagement de la douleur, prise en

charge globale du patient et de sa famille) ; néanmoins, celle de la SFAP est plus précise en ce qui

concerne l’équipe pluridisciplinaire qui intervient auprès du patient : elle précise en effet que les soignants

et les bénévoles sont formés et bénéficient d’un soutien.

Ces deux définitions me permettent de réajuster les représentations que je pouvais avoir des soins

palliatifs : en effet, je n’avais pas intégré le fait que cette prise en charge ne s’adressait pas uniquement à

des personnes mourantes, mais pouvait être mise en place assez tôt chez un patient atteint d’une

pathologie évolutive grave ou terminale. Cela me permet également de voir l’importance de la place

accordée à la famille et de celle de l’équipe pluridisciplinaire intervenant auprès du patient. Il s’agit

vraiment d’une prise en charge globale du patient et de son entourage. La figure ci-après, élaborée par

Ivan KRAKOWSKI8, présente le schéma idéal des soins palliatifs.

7 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 6. 8 Ivan KRAKOWSKI, spécialiste en oncologie médicale et en médecine de la douleur (Nancy)

7

Au vu des définitions citées ci-dessus et du schéma de KRAKOWSKI, nous pouvons affirmer que M. G.

bénéficiait bien de soins palliatifs. En effet, il était en phase terminale d’un cancer pulmonaire et les soins

qui lui étaient apportés avaient pour but de soulager les douleurs physiques induites par les métastases,

ainsi que sa souffrance psychologique. Ses enfants bénéficiaient également d’un accompagnement, et

étaient mis au courant de l’évolution de la pathologie de leur père. Si aujourd’hui les soins palliatifs se sont

démocratisés, leur mise en œuvre et leur reconnaissance a été un long parcours, dont les principales

dates clés sont évoquées dans la partie suivante.

A.2. Histoire des soins palliatifs9

- 1842 : Jeanne GARNIER fonde à Lyon l’œuvre des Dames du Calvaire, hospice destiné à

l’accueil des veuves atteintes de « plaies vives et cancéreuses ».

- 1967 : Dame Cicely SAUNDERS fonde le Saint Christopher Hospice : elle est reconnue

aujourd’hui comme fondatrice du mouvement des soins palliatifs.

- 1986 : la « circulaire Laroque » officialise les soins palliatifs en France.

- Entre 1987 et 1990, plusieurs unités s’ouvrent en France. Le docteur ABIVEN crée la première

unité de soins palliatifs à l’hôpital international de la Cité Universitaire, le docteur Jean-Michel

LASSAUNIERE dirige un centre de soins palliatifs à l’Hôtel-Dieu et le docteur Renée SEBAG-

LANOE ouvre une unité de soins palliatifs à l’hôpital Paul Brousse dirigée par le docteur Michèle

SALAMAGNE.

- 1991 : création de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP).

- 1992 : création de l’Union Nationale des Associations de Soins Palliatifs (UNASP).

Suite à la mise en place des premiers hospices par les pionnières Jeanne GARNIER et Dame Cicely

SAUNDERS, différents textes (lois, décrets, circulaires) ont été élaborés dans le but de définir, organiser

et règlementer les soins palliatifs. Les plus importants sont rappelés ci-après.

A.3. Législation des soins palliatifs

� Circulaire DGS/3D dite « circulaire Laroque » du 26 août 1986, relative à

l’organisation des soins et à l’accompagnement des malades en phase

terminale.

Cette circulaire propose différentes idées fortes sur les besoins spécifiques des mourants, la mission

commune de l’équipe, l’importance de la lutte contre la douleur, de la prise en charge psychologique,

sociale et spirituelle, et du suivi du deuil. Elle précise également que les soins palliatifs sont des soins

9 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 3-4.

8

d’accompagnement et en présente les modalités d’organisation en tenant compte de leur diversité

(Maladie, vieillesse, accident, domicile ou hôpital).

� Loi n°99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d’accès aux soins

palliatifs.

La loi du 9 juin 1999 est la première consacrée intégralement aux soins palliatifs. Elle les définit (soins

actifs et continus pratiqués par une équipe pluridisciplinaire en institution ou à domicile, visant à soulager

la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à

soutenir son entourage), désigne ses bénéficiaires et tend vers une organisation optimale des besoins. En

complément, elle accorde aux accompagnants naturels le droit à un congé d'accompagnement et

reconnaît les bénévoles.

Les grands axes de cette loi sont les suivants :

- Reconnaissance du droit de la personne malade de s’opposer à toute investigation.

- Obligation faite à tous les établissements publics et privés de développer une réponse en matière

de soins palliatifs et de lutte contre la douleur.

� Loi n°2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la

qualité du système de santé.

Les grands axes de cette loi sont les suivants :

- Droit au soulagement de la douleur et à la dignité jusqu’au décès.

- Définition du statut de la personne de confiance.

- Secret médical partagé par l’équipe.

- Secret médical partagé avec la famille, la personne de confiance, sauf opposition du patient.

- Droit à l’information.

- Aucun acte réalisé sans le consentement éclairé du patient (ou de celui de la personne de

confiance si le patient est incapable de communiquer).

- Accès au dossier médical, soit directement, soit par l’intermédiaire du médecin traitant.

� Loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin

de vie, dite « loi Léonetti 10 ».

Cette loi fait suite à différentes affaires médiatiques, et particulièrement celle concernant Vincent Humbert

(jeune homme devenu tétraplégique des suites d’un grave accident de la route, et ayant entrepris de

10 Jean LEONETTI : Président-rapporteur de la mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie, rapporteur de la Commission spéciale sur l’accompagnement de la fin de vie.

9

nombreuses démarches pour obtenir le droit d’être euthanasié. Il a notamment écrit à Jacques CHIRAC,

alors Président de la République, pour lui demander un « droit de mourir »).

Cette loi vise à […] « offrir des éléments de réflexion pour faire reculer l’arbitraire des décisions thérapeutiques. En

quelque sorte, cette loi se veut pédagogique, tant dans son principe de concertation professionnelle et de la culture

du juste doute que dans la manière de considérer le consentement éclairé du citoyen et son libre droit à décider pour

lui-même »11.

Les grands axes de la loi votée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale le 22 avril 2005 sont les suivants :

- L’obstination déraisonnable : selon l’article 1, elle est prohibée et remplace le terme

« d’acharnement thérapeutique ». Cela correspond à des actes maintenus ou entrepris alors

qu’ils sont considérés comme inutiles, disproportionnés, ou n’ayant d’autre effet que le seul

maintien artificiel de la vie.

- L’expression de la volonté du patient dans le respect de sa dignité : cette loi renforce les droits

du malade : elle l’autorise à refuser tout traitement et l’encourage à écrire ses directives

anticipées et à nommer une personne de confiance.

- La procédure collégiale : selon l’article 5, elle devient une obligation pour toute décision de

limitation ou d’arrêt de traitement chez un patient en fin de vie dans l’incapacité d’exprimer sa

volonté.

� Circulaire n°DHOS/O2/2008/99 du 25 mars 2008 relative à l’organisation

des soins palliatifs.

Cette circulaire présente, à partir d’un état des lieux de la situation actuelle, les orientations de la politique

des soins palliatifs (principes, gradation des prises en charge, formation des personnels, inscription

territoriale). Elle fournit de plus des référentiels d’organisation des soins pour chacun des dispositifs

hospitaliers de la prise en charge palliative (s’agissant des lits identifiés de soins palliatifs, des équipes

mobiles de soins palliatifs, des unités de soins palliatifs et des soins palliatifs en hospitalisation à

domicile). Elle précise également le rôle des bénévoles et de leur accompagnement.

� 17 juillet 2012 – 17 décembre 2012 : Mission SICARD12.

Une mission de réflexion sur la fin de vie a été confiée au Professeur SICARD et à son équipe composée

de 9 membres en vue de débattre sur les questions de la dépénalisation de l’euthanasie et/ou du suicide

assisté, de la législation autour d’une autre forme de sédation, ou encore du refus de dépénalisation et du

développement de la formation des soins palliatifs.

11 MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. Dossier Loi Léonetti, soins et fin de vie. Revue Soins, septembre 2006, n°708. p27. 12 Professeur de médecine à Paris et ancien Président du Comité National Consultatif d’Ethique

10

« Constats et conclusion du Rapport SICARD remis le 18 décembre 2012 :

- Accès insuffisant aux soins palliatifs, méconnaissance de la loi, professionnels de santé aveuglés par le

« tout curatif ».

- Séparation péjorative entre les soins palliatifs et les autres spécialités médicales.

- Surdité du corps médical face à la détresse des patients.

Il préconise donc :

- De revoir l’ensemble de la formation médicale.

- D’intégrer une compétence dans les soins palliatifs dans toute pratique clinique.

- De créer un fichier national de recueil des directives anticipées.

- De rejeter toute dépénalisation de l’euthanasie.

- D’autoriser une sédation profonde dans certaines situations vécues insupportables.

- De mener une réflexion sur une assistance au suicide comme recours ultime au stade terminal d’une

maladie sur des demandes réitérées par le patient ».13

� 17 mars 2015 : Proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des

malades et des personnes en fin de vie (texte adopté n°486).

« Ce qui change par rapport à la loi Léonetti :

- Une définition de l’obstination déraisonnable modifiée : « Lorsque les traitements n’ont d’autre effet que le

seul maintien artificiel de la vie alors et sous réserve de la prise en compte de la volonté du patient, et

selon la procédure collégiale, ils sont suspendus ou ne sont pas entrepris ».

- Une expression de la volonté des malades renforcée : concernant les directives anticipées :

o Plus de durée de validité.

o Un document unique par décret d’application.

o Elles s’imposent au médecin sauf urgence vitale, le temps de faire le diagnostic ou si elles sont

manifestement inappropriées.

- Des dispositifs pour le développement des soins palliatifs :

o Article 1 : obligation de formation des professionnels de santé y compris à domicile.

o Article 4 bis: rapport annuel à la conférence Régionale de la santé et de l’autonomie avec

définition d’une politique régionale.

o Article 14 : rapport annuel au parlement sur les conditions d’application de la loi et de la

politique de développement des soins palliatifs.

o Perspective d’un nouveau plan de développement des soins palliatifs »14.

Ces différents textes ont pour but de définir et d’encadrer les soins palliatifs pour permettre une prise en

charge optimale des patients tout en évitant les dérives. Par ailleurs, les souffrances physiques et

psychiques des personnes en fin de vie nécessitent de la part de l’infirmière un accompagnement

spécifique : une écoute adaptée à ce type de situation et une capacité à rassurer les patients. Cette partie

13 THIEURMEL, Hubert. Dispositions réglementaires relatives aux droits des malades et à la fin de vie. Cours du

24/11/2015 dans le cadre de l’Unité d’Enseignement 4.7 : Soins Palliatifs et Fin de Vie. Disponible sur l’ENT de l’IFSI

de Quimper.

14 Ibid.

11

va s’attacher à définir le concept d’accompagnement, puis après avoir mis en lumière quelques difficultés

majeures rencontrées par les personnes en fin de vie ainsi que les mécanismes de défense qu’elles

mettent en jeu, nous développerons le concept d’accompagnement dans le cadre particulier des soins

palliatifs.

� Loi n°2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des

malades et des personnes en fin de vie15

Cette loi clarifie les conditions de l’arrêt des traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable.

Elle instaure le droit à la sédation profonde et continue pour les personnes dont le pronostic vital est

engagé à court terme. Les directives anticipées deviennent l’expression privilégiée de la volonté du patient

hors d’état de le faire et s’imposent désormais aux médecins.

B. L’accompagnement

B.1. Définition

Selon l’HAS16, « l’accompagnement est un processus dynamique qui engage différents partenaires dans un projet

cohérent au service de la personne, soucieux de son intimité et de ses valeurs propres. Il s’agit d’une approche

globale et pluridisciplinaire ; l’accompagnement en institution ou au domicile relève d’initiatives et de procédures

adaptées aux attentes et besoins de la personne ainsi que de ses proches »17.

Ce qui me semble important en tant que future infirmière dans cette définition est la notion de

pluridisciplinarité : cela implique l’intervention et la coordination de différents professionnels pour

permettre de prendre en soins la personne et son entourage dans le respect de ses volontés. Par ailleurs,

l’idée d’un processus dynamique implique que le projet de soins organisé autour du patient et de sa

famille soit constamment réévalué et réajusté pour permettre de répondre au mieux aux besoins du

patient en fonction de l’évolution de sa maladie.

Maëla PAUL18 qualifie quant à elle l’accompagnement comme un processus dynamisant trois logiques :

relationnelle, spatiale et temporelle. C’est d’ailleurs ce qu’accompagner veut dire : « se joindre à quelqu’un

pour aller où il va en même temps que lui ».

Cette définition reprend bien la notion d’un processus dynamique pour permettre une prise en soins du

patient adaptée à chaque étape de l’évolution de sa pathologie.

15 Centre National de ressources – Soin Palliatif [en ligne]. (Consulté le 05/04/2016). Disponible sur www.soin-palliatif.org 16 Haute Autorité de Santé 17 Conférence de consensus. L’accompagnement des personnes en fin de vie et de leurs proches. 18 Maëla PAUL, chargée de mission et d’orientation au CNAM de Nantes, chargée d’enseignement à l’université de Nantes.

12

Par ailleurs, afin de mesurer les spécificités de l’accompagnement des personnes en fin de vie, il est

nécessaire de mettre auparavant en lumière les souffrances physiques et psychiques qu’elles vivent

chaque jour.

B.2. Souffrances physiques et psychiques des personnes en fin de vie

B.2.a. Souffrance globale

« En soins palliatifs, la douleur coexiste fréquemment avec d’autres symptômes et avec des problématiques

psychologiques, sociales et spirituelles. Ces divers éléments modulent la perception douloureuse et peuvent la

potentialiser. On parle alors de souffrance globale pour illustrer les situations où une douleur physique n’est qu’un

élément parmi d’autres de la souffrance exprimée par le patient. Ce type de douleur est réfractaire à une prise en

charge purement pharmacologique. Les composantes de la souffrance globale sont les suivantes19 » :

- Dimension physique20 :

o Douleur.

o Incapacité fonctionnelle.

o Handicap(s).

o Déficit(s) sensoriel(s).

o Autres symptômes (dyspnée, nausées, anorexie, asthénie, troubles du sommeil).

- Dimension psychologique21 :

o Altération de l’image corporelle : « Dans ce que vit le patient lors d’une maladie grave,

nombreuses sont les situations où son image corporelle peut être sévèrement remaniée, pouvant

entraîner une altération de l’estime de soi et une perte d’espoir. L’amaigrissement, l’alopécie,

l’amputation, les oedèmes ou encore les stomies sont en effet à l’origine de bien des

souffrances. Ces modifications physiques (témoins de l’altération de l’état de santé et de

l’aggravation de la maladie) sont comme l’expression d’une plainte du corps, une plainte visible,

évidente, muette, mais tellement présente22 ».

o Sentiment de vulnérabilité.

o Souffrance ressentie de l’entourage.

o Connaissance de sa maladie.

o Diminution des ressources adaptatives.

o Altération des capacités cognitives.

o Baisse de la qualité de vie.

19 DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE 4.7. Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. p. 21. 20 Ibid. p. 22. 21 Ibid. p. 22. 22 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 134-135.

13

o Comportements passés ou présents d’addiction.

o Peur (de mourir, de souffrir, de laisser les proches, …).

o Troubles anxieux et dépressifs.

Chez les patients en fin de vie, l’anxiété et la peur sont indissociables. En effet, la personne malade peut

être lucide, ressentir un profond malaise et appréhender l’avenir. « L’anxiété se manifeste par des signes ou

désordres d’ordre physiologique (augmentation de la fréquence cardiaque, respiratoire, de la pression artérielle,

diarrhées, agitation, sécheresse buccale, sensation de chaud et de froid), émotionnel (sentiment d’inquiétude, de

tension, de nervosité, de peur, de colère, de tristesse ou d’irréalité, de repli sur soi) et cognitif (troubles de la

mémoire, incapacité de se concentrer, accroissement des idées noires, rumination, passivité, régression23) ». Même

si les manifestations physiques et les comportements observables ne sont pas toujours en lien avec

l’intensité de l’anxiété, on peut constater que les dimensions physiques et psychologiques de la souffrance

globale sont intimement liées.

- Dimension sociale24 :

o Altération de la relation avec les proches.

o Changement du lieu de vie.

o Modification de l’environnement culturel.

o Eventuelles difficultés dans la communication avec les soignants.

o Dégradation de la situation financière.

o Problème de prise en charge par les assurances sociales ou privées.

Les personnes en phase terminale de leur pathologie ne peuvent plus, dans bien des cas, exercer leur

activité professionnelle : cela conduit à un effritement de leur statut social car elles ne bénéficient plus de

la même place au sein de la société. Les bouleversements affectent également la cellule familiale :

l’équilibre psychique est rompu du fait de la modification de la place et du rôle de la personne malade

dans sa famille. Les patients en fin de vie n’ont plus forcément la force nécessaire pour occuper la place

qu’ils tenaient auparavant auprès de leur conjoint ou de leurs enfants, ce qui conduit à une redistribution

des rôles pouvant les laisser de côté et occasionner des souffrances.

- Dimension spirituelle25 :

o Doutes sur la foi religieuse.

o Doutes sur les ressources spirituelles.

o Sens ou non sens donné à la maladie.

o Signification de la douleur.

o Bilan de vie.

o Projets de vie pour le temps qui reste.

23 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 130. 24 DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE 4.7. Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. p. 22. 25 Ibid. p. 22.

14

Pour parer à tous ces changements et à toutes ces pertes, les personnes en fin de vie peuvent adopter

différentes attitudes pour fuir l’angoisse :

- L’hypersomnie.

- L’hyperactivité.

- La somatisation, qui peut être la seule voie pour l’individu de laisser transparaître son mal-être.

- La mélancolie : l’individu déplore ses manquements passés ou présents, il se déprécie.

- L’agressivité comme protection contre la dépression causée par la maladie, le déracinement dû à

l’hospitalisation, le fait d’être coupé de ses proches et de ses repères. En effet, « jouissant d’une

santé que le malade a désormais perdue, les « biens portants » offrent au mourant l’image insolente d’une

vie supposée sans entraves »26.

Afin d’aider les soignants à estimer l’ampleur de la souffrance ressentie par le patient en fin de vie, des

échelles d’évaluation ont été mises en place.

La situation de M. G. illustre bien cette notion de souffrance globale : en effet, la douleur physique induite

par les métastases n’était qu’un élément de la souffrance qu’il exprimait.

Au niveau psychologique, le plus difficile pour lui était le fait de ressentir la détresse de ses enfants, tous

deux au courant de l’état de santé de leur père. Il a évoqué à plusieurs reprises au médecin, le fait qu’il

était trop tôt pour lui de mourir car il avait l’impression d’abandonner ses enfants.

De plus, étant conscient de la diminution progressive de son autonomie, cela devenait de plus en plus

difficile pour lui de faire face aux actes de la vie quotidienne car il se sentait diminué et avait du mal à

accepter l’aide du personnel soignant.

Par ailleurs, au niveau social, sa vie était également impactée : en effet, il trouvait difficile le fait d’être

hospitalisé, car cela lui ôtait tous ses repères. Il avait également de plus en plus de mal à trouver sa place

auprès de ses enfants car il n’avait plus la force d’occuper sa place de père et cela le faisait énormément

souffrir.

Il m’est difficile de faire un point précis sur la dimension spirituelle car ce n’est pas une question que nous

avons évoquée. Nous pouvons donc voir que la notion de souffrance globale est prévalente dans les

situations de fin de vie, et, même si la douleur physique ainsi que les dimensions psychologiques et

sociales sont relativement bien prise en compte, la dimension spirituelle reste quelque peu laissée de

côté.

Comme pour toute souffrance, il existe des échelles d’évaluation permettant de coter la souffrance

globale.

Echelles d’évaluation :

« Les patients en soins palliatifs présentent de nombreux symptômes autres que la douleur, à l’origine d’une

importante souffrance. Leur soulagement nécessite, au même titre que la douleur, une évaluation répétée afin de

26 JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 74.

15

suivre l’évolution et leur réponse aux différents traitements. Il s’agit donc d’identifier les autres facteurs qui participent

à la souffrance du patient afin d’adapter la prise en charge à ses besoins spécifiques.

Par exemple, l’échelle d’évaluation des symptômes d’Edmonton (Edmonton Symptom Assessment System, ESAS) :

- Echelle d’auto-évaluation des symptômes similaires à l’échelle visuelle analogique de la douleur mais

intégrant les neuf symptômes les plus courants en soins palliatifs : douleur, fatigue, nausée, tristesse,

anxiété, somnolence, inappétence, sensation de mal-être, dyspnée, et un autre symptôme éventuel.

- Si le patient cote l’intensité de tous ces symptômes entre 8 et 10, il faut s’interroger sur la présence d’une

souffrance globale.27 »

Prise en charge :

Le schéma suivant, « Impact de l’évaluation multidimensionnelle de la souffrance globale » met en lien les

quatre composantes de la souffrance globale et les orientations de la prise en charge possible en fonction

de leur évaluation.

Impact de l’évaluation multidimensionnelle de la souffrance globale28.

Le rôle des équipes auprès des patients en fin de vie est d’être vigilant et attentif à toutes les

manifestations de la souffrance du patient. Cela exige une attention réelle et profonde à ce que vit la

personne. Cette attention permettra au patient de rester une personne jusqu’au bout, malgré l’altération

physique souvent importante.

B.2.b. Douleur

La douleur est définie par l’Association Internationale pour l’Etude de la Douleur comme « une expérience

sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à un dommage tissulaire présent ou potentiel, ou décrite en

termes d’un tel dommage ». La douleur est constituée de quatre composantes à prendre en compte :

27 DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE 4.7. Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. p. 22-23. 28 Ibid. p. 23.

Dimension sociale Dimension spirituelle Dimension psychologique Dimension physique

Traitement antalgique

Evaluation

Intervention sociale

Souffrance globale

Prise en charge

psychologique

Soutien spirituel

16

- La composante sensori-discriminative : elle correspond aux mécanismes neurophysiologiques

qui permettent le décodage de la qualité (brûlure, décharges électriques, torsion, …), de la durée

et de l’évolution (brève, continue, chronique, récidivante, …), de l’intensité ou de la localisation

des messages nociceptifs.

- La composante affectivo-émotionnelle : si la douleur occupe une place spéciale parmi les

perceptions, c’est du fait de sa composante affective particulière qui fait partie intégrante de

l’expérience douloureuse et lui confère sa tonalité désagréable, agressive, pénible, difficilement

supportable. Cette composante est déterminée par le stimulus nociceptif, mais aussi par le

contexte dans lequel le stimulus est appliqué (incertitude sur l’évolution de la maladie, …).

- La composante cognitive : le terme cognitif désigne l’ensemble des processus mentaux qui

accompagnent et donnent du sens à une perception en adaptant les réactions

comportementales : processus d’attention, d’anticipation et de diversion, interprétations et

valeurs attribuées à la douleur, langage et savoir de la douleur (sémantique) avec des

phénomènes de mémoire d’expériences douloureuses antérieures personnelles (mémoire

épisodique) décisifs sur le comportement à adopter.

- La composante comportementale : elle englobe l’ensemble des manifestations verbales et non

verbales observables chez la personne qui souffre (plaintes, mimiques, postures antalgiques,

impossibilité de maintenir un comportement normal, …) mais aussi les réponses végétatives et

réflexes nécessitant le recueil de données biologiques. Elle est déterminée par les

apprentissages antérieurs, l’environnement familial et ethnoculturel ou encore par les standards

sociaux (âge, sexe).

La douleur apparaît donc comme un phénomène multidimensionnel (multifactoriel) et non comme une

réaction simple, univoque.

Les manifestations douloureuses sont présentes chez la majorité des patients en fin de vie, et leur

soulagement constitue un objectif prioritaire des équipes pluridisciplinaires. En effet, « non satisfaite de sa

conquête, la douleur vient également briser les liens qui unissent le sujet à son entourage. L’individu est non

seulement atteint dans son corps, mais aussi dans sa relation aux autres. La douleur isole. […] Non soulagée, la

douleur peut altérer le sentiment de confiance accordé aux soignants et contribuer à l’installation du doute et de la

méfiance, voire même d’un sentiment de persécution »29. Pour remédier à cela, différentes méthodes

d’évaluation ont été mises en place pour permettre d’ajuster au mieux les traitements à la douleur du

patient :

- Des échelles quantitatives d’auto-évaluation permettant de quantifier globalement l’intensité du

symptôme douloureux, la plus connue étant l’échelle visuelle analogique (EVA), munie sur une

face d’un curseur et graduée de 0 à 10 de l’autre, permet au patient d’indiquer le niveau

d’intensité de son symptôme. Cette évaluation répétée représente un bon indicateur de

l’évaluation de la douleur, du niveau de soulagement atteint, et par conséquent de l’efficacité des

thérapeutiques. Pour les patients ne pouvant pas utiliser l’EVA, deux autres échelles sont

utilisables : l’échelle numérique (EN) et l’échelle verbale simple (EVS).

29 JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 42.

17

- De nombreuses échelles d’hétéro-évaluation existent également, pour permettre d’évaluer la

douleur chez des patients qui ne sont plus en mesure de communiquer.

Ces différentes méthodes d’évaluation de la douleur sont importantes pour permettre un ajustement

permanent des traitements. Aussi, elles doivent être utilisées quotidiennement pour une prise en charge

optimale de la douleur.

Par ailleurs, comme j’ai pu le vivre, lorsque le patient apprend que les thérapeutiques ont échoué et qu’il

est en phase terminale de sa pathologie, il cherche à se protéger contre cette réalité douloureuse et

brutale : pour cela, il met en place inconsciemment des mécanismes de défense.

B.3. Principaux mécanismes de défense des patients

« Confrontée à un avenir incertain, la personne malade recourt à des mécanismes de défense qui sont autant de

façons de domestiquer l’angoisse et d’apprivoiser l’idée de séparation définitive à venir. Comme leur nom l’indique,

ces mécanismes de défense visent à protéger la personnalité du sujet. Ils assurent sa sécurité en la mettant à l’abri

de ce que la réalité lui impose »30. Les mécanismes de défense les plus couramment rencontrés chez les

patients en fin de vie sont les suivants :

o L’annulation : les patients nient totalement la réalité : ils n’entendent ni ne perçoivent

l’essentiel.

o La dénégation : le patient refuse que l’annonce faite par le médecin puisse avoir un

rapport avec lui-même.

o L’isolation : le malade reconnaît la gravité de son état mais il s’attache à la décrire avec

détachement et précision, l’exposant sous forme d’un compte-rendu froid et insensible,

aussi distant et inexpressif que possible.

o Le déplacement : certains patients déplacent leur souffrance sur une autre affliction liée

à leur propre maladie mais dont l’analogie paraît tantôt directe et transparente, tantôt

déguisée et « illisible ».

o La maîtrise : le malade se sent moins vulnérable s’il pense comprendre l’événement et

en maîtriser le processus.

o La rationalisation : le patient croit trouver une justification pour mieux appréhender sa

maladie en cherchant à en comprendre l’origine.

o Les rites obsessionnels : grâce à cela, les personnes demeurent actrices à part

entière de leur propre devenir.

o La régression : repli sur soi : certaines personnes ne peuvent faire face aux

nombreuses ruptures imposées par la maladie : rupture avec leur propre image, leur

30 JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 56.

18

activité professionnelle, altération de leur statut de parent ou de conjoint, isolement dû à

l’hospitalisation, … Cette régression les conduit à adopter un comportement puéril et

infantile, engendrant une complète dépendance et une extrême passivité. Dans ce cas,

le médecin se retrouve investi du rôle de père omnipotent, l’infirmière assurant le rôle de

la bonne mère compréhensive, ce qui rassure le patient.

o La projection agressive : certains patients se défendent sur un mode agressif et

revendicateur. Ils se protègent en déversant sur leur entourage bien portant du

ressentiment et de l’amertume.

o La combativité / la sublimation : opération défensive plus positive mise en œuvre par

les malades pour générer une souffrance moindre sur l’entourage. Ce mécanisme de

défense permet au patient de donner un sens à sa maladie, et relègue l’angoisse au

second plan.

Dans la situation décrite, le mécanisme de défense mis en place par M. G. était la dénégation. En effet, à

plusieurs reprises, lorsque le médecin a évoqué avec lui l’évolution de sa pathologie malgré la mise en

place de quatre lignes31 de chimiothérapie, il lui a répondu qu’il ne voulait « pas mourir », que c’était

« beaucoup trop tôt ». L’énergie qu’il mettait dans le refus d’entendre ce que le médecin lui disait, à savoir

que sa pathologie échappait à tout traitement était une manière pour lui de se protéger quelque peu

contre l’angoisse qui l’habitait.

Par ailleurs, comme nous avons pu le voir dans les parties précédentes, les personnes en fin de vie sont

confrontées à des difficultés bien particulières. Pour cela, il est nécessaire pour elles de bénéficier d’une

prise en soins adaptée : le personnel soignant doit donc leur apporter un accompagnement spécifique.

B.4. Les spécificités de l’accompagnement des personnes en fin de vie

Selon l’HAS, « l’accompagnement en fin de vie ne se limite pas à l’approche spécifique de la phase terminale dès

lors qu’il concerne la continuité du cheminement de la personne dans sa maladie. Il relève donc également de la

démarche globale des soins de santé ainsi que de considérations collectives aux approches de la fin de la vie et de

la mort dans la société. C’est une démarche dynamique et participative qui justifie des dispositifs d’écoute, de

concertation, d’analyse, de négociation pour favoriser une évaluation constante et évolutive des options envisagées.

La qualité de l’accueil, de l’information, de la communication et des relations qui s’établissent contribue à

l’anticipation nécessaire des prises de décisions. La pertinence et l’efficacité d’un accompagnement relèvent de

l’élaboration d’un projet coordonné, explicite et transparent qui intègre la multiplicité des facteurs spécifiques à

chaque situation ».

En comparaison avec la définition générale de l’accompagnement qu’elle établit, l’HAS énonce un

accompagnement spécifique pour les personnes en fin de vie mettant en évidence la notion de

31 La chimiothérapie est dite de première ligne lorsqu’elle est administrée au patient en première intention : si elle ne montre pas de signe d’efficacité, une seconde ligne de chimiothérapie lui est proposée. Il en est de même pour les troisième et quatrième lignes, qui sont mises en place lorsqu’il y a eu échec respectivement de la deuxième et de la troisième ligne.

19

cheminement du patient dans sa maladie. En effet, contrairement aux représentations que je pouvais en

avoir, l’accompagnement des personnes en fin de vie ne se limite pas à la prise en soins lors de la phase

terminale de la maladie, mais débute bien en amont, toujours dans la même approche pluridisciplinaire.

Cet accompagnement permet de mener des réflexions collectives pour éviter les situations dans

lesquelles l’équipe se retrouve démunie lorsque la pathologie évolue, que le patient n’est plus en mesure

de s’exprimer, et que la famille se retrouve bien souvent dans l’incapacité de prendre une décision

rapidement.

Marie DE HENNEZEL évoque quant à elle la notion d’accompagnement des personnes en fin de vie de la

manière suivante : « On a beau savoir que l’accompagnement des mourants est une affaire d’engagement et

d’amour, chaque engagement particulier nous porte au seuil d’une aventure, dans laquelle il faudra se risquer de tout

son être »32. Cette définition met en lumière la notion d’engagement de la part des soignants : par rapport à

la définition de l’HAS, elle les valorise en quelque sorte, en soulignant leur investissement physique et

psychique au quotidien pour permettre au patient de vivre ses derniers instants dans le respect de ses

volontés, de ses valeurs et de sa dignité.

Comme j’ai également pu le vivre dans cette situation et dans d’autres depuis, la prise en charge d’un

patient en fin de vie sur une longue période peut entraîner une souffrance importante chez les soignants :

assister à une lente altération chez un patient que l’on côtoie au quotidien peut les fragiliser. En effet, « La

fonction soignante ne peut s’exercer que dans la relation à l’autre, gravement malade et parfois mourant. La relation

entre le patient et le soignant détermine une relation de chacun face à l’autre que la psychanalyse désigne par le

terme de transfert. Le patient se trouve souvent dans un état de grande dépendance à l’égard du soignant, ce qui

influence la relation. Le soignant peut aussi trouver une valorisation dans sa relation avec le mourant. […] Le risque

d’usure professionnelle est d’autant plus grand que la relation soignant/soigné comporte cette part d’affectivité33 ». A

travers cette partie, nous allons étudier les répercussions émotionnelles chez le soignant de la prise en

soins de personnes en fin de vie.

C. Les émotions des soignants

C.1. Les sentiments des soignants face à des personnes en fin de vie34

Lorsque les soignants sont amenés au quotidien à prendre en soins des patients en fin de vie, ils peuvent

ressentir différents sentiments, dont les principaux seront développés ci-après.

32 DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de François MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. p 141. 33 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 52-53. 34 Ibid. p 66-67.

20

C.1.a. Le sentiment d’impuissance

Le fait que les soins palliatifs, même de qualité, n’aboutissent pas à la guérison, mais au contraire à

l’aggravation et à la mort expose tout particulièrement à un ressenti d’impuissance chez le soignant. En

effet, certains d’entre eux considèrent qu’ils ont échoué dans leur prise en soins lorsqu’ils sont confrontés

au quotidien à la dégradation physique extrême de certains patients. Même s’ils se sont investis

pleinement dans l’accompagnement des mourants, l’évolution de la pathologie est inéluctable et induit un

sentiment de culpabilité chez certains soignants. De plus, la complexité des histoires personnelles et

familiales renvoie souvent à l’incapacité de donner du sens aux situations et aux événements.

C.1.b. L’excès d’engagement

L’excès d’engagement peut être en lien avec la distance relationnelle mal ajustée avec perte des repères

(soi, les autres, le travail, la vie personnelle, …). On pourrait le définir comme un déséquilibre entre le

temps consacré au processus d’attachement et le temps consacré au processus de séparation. Certains

professionnels ont de ce fait le sentiment d’être en quelque sorte exclus de la relation soignant/soigné car

la famille du patient fait bloc autour de lui. Cela peut entraîner une frustration chez les soignants qui ont

alors le sentiment de ne plus avoir leur place auprès de la personne en fin de vie.

C.1.c. L’excès de doute

« Un idéal professionnel fort et une éthique rigoureuse peuvent se manifester par des exigences exposant le

soignant à l’insatisfaction par rapport à ses actions propres, mais aussi par rapport à celles de l’équipe. Le sentiment

de ne pas « réussir » les soins et l’accompagnement, la peur de « faire mal », de consacrer trop de temps à l’un au

détriment des autres, d’avoir trop sédaté ou pas assez calmé, d’avoir fait mourir ou d’avoir prolongé la vie, le souci

de maintenir la conscience jusqu’au bout et de respecter le désir du patient, sont liés à une nécessaire remise en

question mais peuvent se transformer en scrupules minant la confiance en soi »35.

C.1.d. La surcharge de travail

Dans les structures « non reconnues » qui n’ont pas de moyens propres (tels que prévus par les normes

de la SFAP) ni une capacité d’accueil déterminée, les soignants peuvent se retrouver en difficulté car ils

souhaitent accompagner au mieux leurs patients jusqu’au bout, mais ont le sentiment de ne pas avoir les

moyens de le faire. Cela peut également s’observer dans les services de gériatrie ou dans les structures

dans lesquelles des lits ont été identifiés « soins palliatifs » sans projet d’équipe bien défini au préalable.

35 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 67.

21

Tous ces sentiments éprouvés au quotidien par certains soignants peuvent avoir chez eux des

répercussions non négligeables.

C.2. Les répercussions de la prise en soins d’une personne en fin de

vie chez le soignant

Selon Marie DE HENNEZEL : « L’accompagnement est une affaire d’engagement et d’amour. Une affaire avant

tout humaine. On ne peut se retrancher derrière sa blouse de professionnel, qu’on soit médecin, infirmière ou

psychologue. Il n’en demeure pas moins que cela pose la question des limites. Et il importe que chacun ait

conscience des siennes. On s’épuise moins, je crois, à s’engager à fond, si l’on sait par ailleurs se ressourcer, qu’à

se protéger derrière une attitude défensive. Je l’ai souvent observé, les soignants qui se défendent le plus sont ceux

qui se plaignent le plus d’être épuisés. Ceux qui se donnent, au contraire, semblent en même temps se ressourcer.

Je me souviens d’une phrase de Lou Andreas Salomé, une des premières femmes à avoir pratiqué la psychanalyse

dans le sillage de Freud : « C’est en se donnant qu’on s’obtient complètement ». 36 Cette citation met en lumière

la notion d’engagement des soignants auprès des personnes en fin de vie. Par ailleurs, comme le précise

Marie DE HENNEZEL, la question des limites a toute son importance : il est en effet primordial que les

soignants trouvent un état d’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée, en préservant des

moments pour se ressourcer. Cela leur permet en effet de limiter les risques de se retrouver en situation

de grande souffrance au travail.

« La question de la souffrance des soignants a été abordée pour la première fois par H. J. FREUDENBERGER en

1974 : le psychanalyste américain choisit d’utiliser le terme « burn-out » qui signifie s’user, s’épuiser, brûler jusqu’au

bout pour parler de l’état de détresse particulier qu’il observe chez certains soignants. A la suite de cela, C.

MASLACH définit le « burn-out » comme « un syndrome d’épuisement physique et émotionnel qui conduit au

développement d’une image de soi inadéquate, d’attitudes négatives au travail avec perte d’intérêt et de sentiment

pour les patients » 37 . Cette problématique s’articule autour de trois éléments :

- L’épuisement physique et/ou professionnel : il est généré essentiellement par une demande de soutien

psychologique excessive de la part des patients.

- La dépersonnalisation : elle se traduit par une modification de l’attitude du professionnel à l’égard du

malade. Au fil du temps, ce dernier se trouve davantage perçu comme un objet, un numéro de chambre ou

encore un organe qu’on soigne. La relation tend à se déshumaniser.

- Le manque d’accomplissement professionnel : le soignant a la sensation de ne plus savoir aider les autres.

Il doute de lui »38.

« Enfin, il apparaît que l’extrême détérioration physique des patients (engendrée par exemple par la progression d’un

cancer facial), la difficulté à faire face à la détresse émotionnelle des patients et de leur entourage, la fréquence des

36 DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de François MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. p 170. 37 C. MASLACH, S.E. JACKSON, “Burn-out in health professions. A social psychological analysis”, in Social Psychology of Health and Illness, London, Laurence Erlbaum Associates, 1982. 38 JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. p 149-151.

22

décès survenant dans un contexte où la mort est perçue comme un échec, le contrôle insuffisant des symptômes

des malades favorisent l’épuisement des soignants dont la formation initiale reste centrée sur la guérison de la

maladie et prépare peu aux aspects relationnels des soins »39. Cela montre bien que, même si l’investissement

professionnel est primordial pour travailler dans des services de soins palliatifs, il n’en demeure pas moins

que les soignants doivent être conscients de leurs limites afin de se préserver d’un éventuel burn-out.

Par ailleurs, comme j’ai pu le vivre, savoir qu’un patient est en fin de vie a des conséquences sur la

communication entre le patient et le soignant. En effet, le fait que les traitements aient échoué peut se

révéler difficile à vivre pour le soignant. Pour se protéger contre cette réalité brutale et douloureuse, les

professionnels mettent en place inconsciemment des mécanismes de défense.

C.3. Mécanismes de défense des soignants

Les mécanismes de défense les plus couramment rencontrés chez les soignants sont les suivants :

o Le mensonge / Le pare-excitation : il consiste à donner sciemment de fausses

informations sur la nature ou la gravité de la maladie pour travestir la vérité. C’est le

mécanisme le plus radical et le plus dommageable à l’équilibre psychique du malade.

Mais le moment venu, l’impact trop violent de la vérité trouvera le patient démuni de tour

mécanisme de défense susceptible de le protéger.

o La banalisation : cela revient à traiter la maladie avant de traiter un malade. Le

soignant n’est axé que sur les besoins vitaux du patient, pas sur le patient dans sa

globalité.

o L’esquive : les soignants ne sont pas dans le registre du mensonge, mais seront en

permanence hors sujet, hors de la réalité environnante. Ils dévieront systématiquement

la conversation, et n’apporteront jamais au patient les réponses appropriées à leurs

questions.

o La fausse réassurance : le soignant va optimiser les résultats et entretenir chez le

patient une sorte d’espoir, simulé et artificiel, alors même que le malade n’y croit plus.

o La rationalisation : le soignant ne donne pas au malade de données compréhensibles

sur la nature de sa maladie, il s’exprime en termes techniques.

o L’évitement : le soignant regarde le dossier du patient et non la personne qu’il a en face

de lui : il nie la présence effective du patient et le réduit à un dossier, à un cas à traiter.

o La dérision : comportement de fuite et d’évitement.

o La fuite en avant : le soignant révèle tout, tout de suite, sur l’état du patient, comme

pour s’alléger d’un fardeau, s’affranchir de ses angoisses et se délivrer de tout son

savoir.

39 P. GRAY-TOFT, J.G. ANDERSON, « Stress among hospital nursing staff : its causes and effects » Social Science and Medecine, 15, 1981, pp. 639-647

23

o L’identification projective : par ce mécanisme, le soignant se substitue au malade et

transfère sur lui certains aspects de sa personnalité.

« Prendre conscience de ses défenses induit parfois le soignant à vivre cette situation comme une menace

susceptible de l’affaiblir, de le déstabiliser et de le mettre à nu face à son patient. Or reconnaître et accepter de se

protéger engendre paradoxalement un assouplissement de l’intensité même de certains mécanismes : en avoir

conscience, c’est tenter de parvenir à une relation dépouillée de ce mur d’incompréhension qu’érige l’inconsciente

prédilection pour des subterfuges et pour la fuite face à toute réalité porteuse de souffrance et d’angoisse ; c’est

aussi admettre de cheminer avec ses forces et ses failles ; c’est accepter l’angoisse comme vecteur de cette

aventure d’une relation à deux, particulière, singulière et inégale aussi, dans laquelle le soignant, fort d’une

prééminence sur l’autre, ressent confusément que le malade ne peut ou ne veut parfois partager ce savoir ; c’est

néanmoins en s’ouvrant sur soi-même que l’on s’ouvre à l’autre et que l’on parvient à atteindre sa souffrance. Car

identifier ses défenses, c’est aussi se révéler plus apte à reconnaître celles du patient qui va, à son tour et à son

insu, instaurer des contre-tensions pour se prémunir contre sa propre angoisse »40. Cette citation montre bien

l’importance pour les soignants de connaître les mécanismes de défense qu’ils mettent en jeu, et ceci afin

de pouvoir être à l’écoute du patient et de déceler les mécanismes défensifs de ce dernier. Cela leur

permettra de maintenir une relation soignant-soigné de qualité.

Ce qui est particulièrement frappant et intéressant dans la situation décrite, est la différence de réaction

des deux infirmières. En effet, la première prend la main du patient et tente de le rassurer, tout en

n’occultant pas la gravité de son état de santé : elle semble arriver à prendre suffisamment de recul et à

mettre en place l’écoute active de M. G. La seconde, quant à elle met en place de manière inconsciente la

rationalisation en expliquant au patient les valeurs minimales et maximales entre lesquelles ses

constantes devaient se situer. Même si le patient n’était à ce moment-là pas en mesure d’intégrer ces

données, cela a permis à l’infirmière de lui parler, et d’apaiser un peu l’angoisse que la situation de M. G.

faisait naître chez elle. Cela montre bien que la prise en soins des patients en fin de vie ne laisse pas les

soignants indifférents ; il semble que dans cette situation, l’une des deux infirmières avait plus

d’expérience de ce type de situation et qu’elle a su prendre du recul, tout en essayant de répondre à

l’angoisse du patient.

En outre, comme j’ai pu le constater lors de mes différents stages, la prise en soins de personnes en fin

de vie peut avoir des répercussions non négligeables pour les soignants. Pour y remédier, différents

moyens peuvent être mis en place.

40 RUSZNIEWSKI, Martine. Face à la maladie grave - Patients, familles, soignants – Préface de Robert ZITTOUN. Edition Dunod, octobre 1995. p 33.

24

C.4. Les moyens mis en œuvre pour remédier à la souffrance des

soignants

C.4.a. Formation

La formation est le moyen indispensable et même obligatoire pour permettre aux soignants de maintenir

et d’améliorer leurs compétences. En effet, selon l’article R 4311-10 du Code de la Santé Publique relatifs

aux règles professionnelles des infirmiers et des infirmières : « Pour garantir la qualité des soins qu’il dispense

et la sécurité du patient, l’infirmier ou l’infirmière a le devoir d’actualiser et de perfectionner ses connaissances

professionnelles ». En ce qui concerne la formation initiale dispensée dans les IFSI, le référentiel de 2009

accorde une place importante aux soins palliatifs, à travers l’Unité d’Enseignement 4.7 qui leur est

consacrée. Par ailleurs, plusieurs formations complémentaires existent sous forme de Diplômes Inter

Universitaires de Soins Palliatifs (DIUSP) : ils s’obtiennent au terme de deux années d’enseignement

alliant les cours théoriques et les stages. Ils sont proposés pour un large public, à savoir : les résidents et

internes de spécialités ayant validé quatre semestres, les docteurs en médecine et en pharmacie, les

professionnels des secteurs sanitaire, social et éducatif (infirmiers, psychologue, ergothérapeute,

psychomotricien, éducateur spécialisé, ...) ayant au moins deux ans d’exercice professionnel, ainsi qu’aux

aides soignantes. Le large panel de professionnels auquel est accessible ce type de diplôme montre bien

la démarche de développement des soins palliatifs et met une fois de plus l’accent sur la notion de prise

en charge pluridisciplinaire.

C.4.b. Groupes de parole

Les groupes de parole s’organisent suite à une demande émanant de l’institution, du médecin chef, du

cadre infirmier, mais ils doivent se mettre en place à partir d’un besoin énoncé par l’ensemble de l’équipe.

L’animateur possède un diplôme universitaire validant des compétences en psychologie lui permettant la

maîtrise d’outils facilitant la compréhension, l’écoute et l’observation indispensables pour décoder la

parole. Le but de ce temps d’échange - qui doit être au préalable bien défini dans son fonctionnement, à

savoir : un lieu fixe, des rencontres envisagées sur temps de travail, la fréquence et la durée des séances,

… - est de permettre aux différents membres de l’équipe d’exposer leurs difficultés vis-à-vis d’une

situation lourde à gérer. L’expression et la compréhension des émotions permettent de mieux cerner les

mécanismes de défense qui entrent en jeu dans la situation présentée. Le décodage des réactions et des

comportements qui en découlent atténue la souffrance et améliore la relation avec la personne soignée.

Du fait de sa définition comme un espace d’échanges, de réflexion, il peut également éviter l’isolement

des soignants qui accompagnent des patients en fin de vie. Il apporte enfin une amélioration de la qualité

de vie sur le lieu de travail, un nouvel éclairage sur les soins apportés au patient et facilite la

communication entre les participants.

Il existe donc des moyens personnels et institutionnels pour permettre aux soignants d’éviter de se

retrouver dans des situations de grande souffrance.

25

D. Synthèse du cadre conceptuel

Le cadre conceptuel m’a permis de développer un certain nombre de concepts qui apportent de manière

théorique des éléments illustrant ma situation de départ.

Il m’a paru essentiel de travailler sur les soins palliatifs en en donnant la définition, puis en précisant les

dates clés de leur mise en place et de leur évolution, et enfin de préciser les principaux textes qui les

régissent.

L’accompagnement des patients, et plus spécifiquement des patients en fin de vie au regard des

problématiques qu’ils rencontrent spécifiquement m’a permis de développer les sentiments des soignants

qui découlent de la prise en soins de ces patients en fin de vie.

Il était important d’étudier ce qu’ils peuvent ressentir, les mécanismes de défense qu’ils peuvent mettre en

œuvre, ainsi que les moyens qui peuvent être mis en place pour remédier à leur souffrance éventuelle.

L’ensemble de ces recherches m’a apporté de nombreuses connaissances qui me seront utiles quel que

soit le service dans lequel je travaillerai par la suite, car les situations de prise en soins de patients en fin

de vie sont fréquentes dans de nombreux services. Ce travail m’a également permis de préciser quelque

peu ma question de départ pour l’axer plus spécifiquement la prise en soins de patients en phase

terminale des soins palliatifs et l’impact sur les soignants.

En effet, à l’issue de mon analyse théorique, le terme de « fin de vie » me paraît moins approprié que

celui de « phase terminale des soins palliatifs », précisée par le schéma de KRAKOWSKI en page 6, c’est

pourquoi j’ai choisi de préciser ma question de départ de la sorte.

Dans la partie suivante, nous allons nous attacher à analyser ce qu’il en est réellement dans les services

par le biais du recueil de témoignages de soignants.

26

III. Entretiens

Afin d’étayer mes hypothèses émises au début du mémoire, j’ai réalisé une enquête de terrain dans le but

de recueillir des données auprès de trois professionnels confrontés quotidiennement à la prise en soins de

patients en fin de vie. Pour cela, j’ai choisi de mener des entretiens semi-directifs basés sur un guide

d’entretien réalisé au préalable et joint en annexe : ce dernier se compose de 8 questions, les deux

premières ayant pour objectif de présenter les professionnels, et les autres permettant d’obtenir leur point

de vue sur les impacts de la prise en soins de patients en fin de vie sur les soignants. Pour finaliser la

mise au point de mon guide d’entretien, j’ai réalisé au préalable un entretien exploratoire auprès d’une

infirmière : ce dernier, que je n’ai pas retranscrit car il constituait un outil de travail, m’a permis d’améliorer

certaines questions, et de voir les moments où des relances étaient nécessaires.

Afin de faire un travail suffisamment représentatif, j’ai choisi de rencontrer un panel varié de

professionnels, composé d’une infirmière exerçant dans une unité spécialisée dans les soins palliatifs,

d’une seconde exerçant dans un service de médecine (pneumologie), dans lequel les situations de

patients en fin de vie sont courantes avec les LISP (Lits Identifiés Soins Palliatifs) et d’un troisième

travaillant dans un centre de soins.

A. Analyse des entretiens

Question 1 : Quel âge avez-vous ? Depuis combien de temps êtes-vous diplômé€ ?

L’objectif de ma question était de pouvoir évaluer si l’ancienneté et l’expérience facilitaient la prise en

soins des personnes en fin de vie.

Le panel de professionnels rencontrés était assez éclectique :

- L’infirmière A, 58 ans, est diplômée depuis 1979 et possède une riche expérience (urgences,

médecine, chirurgie, pédiatrie, pneumologie, oncologie, cardiologie, néphrologie) ; elle a

également obtenu un Diplôme Universitaire de Soins Palliatifs.

- L’infirmière B, 30 ans, est diplômée depuis 2008, et possède une expérience professionnelle

dans différents services (pool) ainsi qu’en long séjour. Elle a suivi une formation spécifique sur

les soins palliatifs, et envisage de passer un Diplôme Universitaire de Soins Palliatifs.

- L’infirmier C, 25 ans, est diplômé depuis 2014, et travaille en centre de soins depuis sa sortie

d’école : il n’a à ce jour, pas de formation spécifique sur les soins palliatifs.

J’ai volontairement choisi d’interroger des professionnels d’âge et d’horizon différents pour pouvoir mettre

en lumière des convergences ou des divergences éventuelles de leurs points de vue concernant la prise

en soins de patients en fin de vie, à laquelle ils ont chacun été confrontés. De plus, le fait d’avoir interrogé

deux femmes et un homme me permettra de voir s’il existe une différence dans leurs ressentis ou la

manière de gérer des situations difficiles. Les réponses apportées à cette question me seront utiles pour

analyser les dires des professionnels sur les questions suivantes.

27

Question 2 : Depuis combien de temps exercez-vous dans ce service ? Etait-ce un choix de votre part d’y

exercer ?

Cette question avait pour but d’évaluer si le fait d’être volontaire pour travailler dans un service avait un

effet « facilitateur » sur la prise en soins des patients en fin de vie.

- L’infirmière A a choisi de travailler en USP et étant donné qu’elle possède un DU de soins

palliatifs, elle était un atout pour l’hôpital car il est obligatoire d’avoir dans le personnel soignant

au moins une infirmière possédant ce diplôme.

- L’infirmière B a choisi de travailler en pneumologie.

- L’infirmier C a également choisi de travailler à domicile.

Au travers des réponses des différents professionnels, il s’avère que chacun d’entre eux a choisi le poste

dans lequel il est aujourd’hui. Bien qu’ils ne soient pas tous quotidiennement confrontés à des situations

de fin de vie, il est important de préciser que, en plus de ses valeurs propres, l’intérêt du soignant pour

son travail est primordial car cela constitue la base de la relation de confiance qui va le lier avec le patient.

Les réponses que les professionnels ont apportées aux questions suivantes nous indiqueront si cela est

facilitateur dans leur travail auprès de patients en fin de vie.

Question 3 : Que saviez-vous des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des

différences entre vos représentations initiales et celles que vous avez aujourd’hui ?

A travers cette question, je souhaitais avoir une idée des connaissances des soignants sur les soins

palliatifs avant qu’ils n’intègrent le service dans lequel ils sont aujourd’hui, et des évolutions que la réalité

du terrain a pu amener.

- L’infirmière A dit être passée par beaucoup d’étapes dans sa carrière : elle a exercé dans des

services de médecine dans lesquels elle a été amenée à poser des cocktails lytiques, ce qui l’a

beaucoup affectée. Elle est par la suite partie travailler en EHPAD car elle pensait que la fin de

vie y était plus « logique », mais a réalisé que ce n’était pas le cas. Elle a donc entrepris un DU

en soins palliatifs pour acquérir des outils, mettre des mots sur des sensations, de l’inconfort

qu’elle éprouvait lorsqu’elle faisait face à des situations de fin de vie. Elle précise également que

l’évolution en âge lui a permis de ne plus être uniquement dans l’action, mais de se poser des

questions sur les bienfaits de sa pratique professionnelle.

- L’infirmière B connaissait des soins palliatifs uniquement ce qu’elle avait appris à l’IFSI : elle avait

tendance à assimiler soins palliatifs et fin de vie. Elle a beaucoup évolué par rapport à cette

notion, et par rapport au fait que les accompagnements en soins palliatifs peuvent se faire sur du

long terme.

- L’infirmier C connaissait également uniquement les apports théoriques de l’IFSI, et ce qu’il avait

pu apprendre lors de ses stages. Ses représentations ont changé depuis qu’il a commencé à

travailler dans la mesure où, lorsqu’il était en stage, il avait tendance à « se cacher » derrière les

infirmières car il ne se sentait pas prêt à affronter ces situations à 22 ans. Lorsqu’il est devenu

28

professionnel et qu’il a été confronté à des personnes en fin de vie, il dit s’être beaucoup plus

centré sur le patient, et avoir fait abstraction de la maladie pour effectuer les soins, ce qui a été

difficile pour lui.

A travers cette question, je me suis aperçue des grandes disparités existant dans les représentations

initiales des soins palliatifs évoquées par les différents professionnels. En effet, les infirmiers B et C, plus

récemment diplômés que l’infirmière A, n’avaient que des connaissances très théoriques des soins

palliatifs avant de débuter dans les services dans lesquels ils travaillent actuellement. Ils m’ont précisé

qu’ils avaient tendance à assimiler soins palliatifs et fin de vie. Ils se sont rapidement rendu compte, que

ces deux notions étaient différentes, et l’infirmier C précise même qu’il a ressenti un choc lorsqu’il s’est

rendu compte que ses représentations initiales étaient erronées. Par ailleurs, il soulève un point important,

celui de son jeune âge : en effet, selon lui, lorsqu’il a commencé à travailler à 23 ans, il ne se sentait pas

forcément prêt à affronter des situations de fin de vie : il parle d’un manque de maturité qui a rendu

difficiles ses premières prises en soins de patients en fin de vie en tant que professionnel. De son côté,

l’infirmière A avait, du fait de ses nombreuses expériences dans différents services, une vision plus

précise des soins palliatifs, terme qu’elle trouve réducteur de n’associer qu’à une seule unité car elle

estime qu’ils sont faits dans tous les services. Par ailleurs, elle indique avoir beaucoup évolué au fil de sa

carrière : son avancée en âge l’a conduite à se poser les questions du bienfait de ses pratiques,

notamment suite aux difficultés qu’elle a éprouvées lorsqu’elle a posé des cocktails lytiques. Les réponses

obtenues à cette question montrent bien que l’expérience professionnelle est un atout majeur pour

l’infirmière A, car cela lui permet d’avoir beaucoup de recul sur les différentes pratiques, et on peut

constater qu’elle est dans un perpétuel questionnement, auquel son cursus universitaire qui lui a permis

d’obtenir son DU a pu lui apporter quelques pistes de réflexion.

Ces réponses ont pu me permettre de valider ma première hypothèse concernant le fait que la société

évolue dans son approche de la mort en permettant aux personnes en fin de vie de bénéficier de soins

palliatifs, que ce soit en institution ou à domicile.

Question 4 : Avant d’entrer dans ce service, comment auriez-vous défini la prise en soins et

l’accompagnement des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les représentations que

vous aviez initialement et la réalité des services ? Si oui, cela vous affecte-t-il ?

L’objectif de cette question était d’évaluer s’il existait une différence entre les représentations initiales des

soignants sur l’accompagnement des personnes en fin de vie et ce qu’ils vivent au quotidien, et s’ils

étaient affectés lorsque leurs représentations n’étaient pas en adéquation avec leurs pratiques.

- L’infirmière A trouve qu’en soins palliatifs, le patient est au cœur de la prise en charge, et non la

pathologie comme c’est le cas dans certains services. Elle estime également qu’on ne vient pas

travailler en soins palliatifs par hasard, et pour elle, son évolution en âge et sa vie personnelle

ont joué sur son parcours professionnel. Elle précise par ailleurs que les patients sont plus

informés des nouvelles lois (loi Léonetti par exemple, avec notamment les notions de personne

de confiance et de directives anticipées).

29

- L’infirmière B revient sur le fait qu’avant d’entrer dans le service, elle pensait que les soins

palliatifs correspondaient à une prise en charge courte et à un arrêt des traitements chez des

patients en fin de vie.

- L’infirmier C revient également sur le fait qu’avant de commencer à travailler, il assimilait soins

palliatifs et fin de vie. Il précise qu’il a eu du mal à reconnaître que ses représentations initiales

étaient différentes de la réalité du terrain, et a ressenti une sorte de choc à ce moment-là.

Lorsque j’ai formulé cette question, je m’attendais à avoir des réponses concernant les spécificités de

l’accompagnement des patients en fin de vie, à savoir, comme le précise l’HAS, la notion de cheminement

de la personne dans sa maladie, la notion de prise de décision en équipe pluridisciplinaire, ou encore de

réévaluation et de réadaptation constantes des choix envisagés. Les infirmiers B et C sont revenus sur

leurs représentations initiales des soins palliatifs. L’infirmière A a, quant à elle, soulevé des points

importants en précisant que les patients étaient aujourd’hui mieux informés en ce qui concerne les lois

relatives à la fin de vie (loi Léonetti par exemple). Ces réponses montrent bien à nouveau que l’expérience

professionnelle joue un rôle important car elle permet à l’infirmière A d’avoir une vision d’ensemble de la

fin de vie.

Question 5 : Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des

symptômes de souffrance globale ?

A travers cette question, je souhaitais évaluer si l’accompagnement des personnes en fin de vie était

spécifique.

- L’infirmière A estime que la souffrance physique et la souffrance psychique sont souvent bien

traitées. Pour la souffrance globale, tout est fait pour trouver un juste équilibre entre les

morphiniques et le Midazolam® pour que le patient soit au mieux soulagé. En USP, ils utilisent

également d’autres thérapies telles que les huiles essentielles, le toucher bien-être ou la

musicothérapie pour apaiser le patient. Elle explique également que l’écoute du patient est au

cœur de la prise en charge, et qu’elle se sent sereine de ce point de vue-là.

- L’infirmière B explique que les patients qui le nécessitent sont « étiquetés » soins palliatifs et

bénéficient de chambres seules ; des facilités sont également proposées aux familles (horaires

de visites élargis, lits accompagnants, …). L’équipe est beaucoup dans l’écoute, dans la

présence, et intègre la famille dans la prise en charge en l’encourageant par exemple à apporter

au patient de la nourriture plaisir. Par ailleurs, l’équipe travaille en réseau avec la psychologue du

service et lorsqu’elle est en difficulté par rapport à une situation, elle peut faire appel à l’équipe

mobile de soins palliatifs.

- L’infirmier C précise que les patients en fin de vie sont accompagnés au niveau de la douleur

physique : plusieurs passages infirmiers peuvent être mis en place pour l’administration des

traitements et l’évaluation de leur efficacité. Par ailleurs, l’équipe peut orienter les patients vers

des psychologues s’ils en font la demande. Il souligne également l’importance de l’écoute, de la

présence du personnel infirmier qui peut être amené à faire des astreintes pour être joignable par

les patients en dehors des heures d’ouverture du centre.

30

A cette question, chacun des trois professionnels a répondu que leur prise en charge consistait au

soulagement de la douleur par des traitements, de type morphiniques, et qu’en général, ils arrivaient à

traiter ce symptôme. En ce qui concerne la souffrance psychique, l’infirmière A a évoqué l’administration

de Midazolam®, et indiqué que l’écoute du patient était au cœur de la prise en charge. Les infirmiers B et

C ont quant à eux précisé que l’écoute et la présence étaient primordiales, et ont spécifié qu’ils orientaient

facilement les patients demandeurs vers des psychologues. En ce qui concerne la souffrance globale,

l’infirmière A a précisé qu’elle pouvait être traitée par l’administration de médicaments, mais que leur

service accordait également une grande place à d’autres thérapies telles que l’utilisation d’huiles

essentielles ou encore la musicothérapie. L’infirmière B a évoqué que dans son service, les patients en fin

de vie bénéficiaient de chambres seules, que leur famille était intégrée au projet de soins, et qu’ils

proposaient aux patients des soins de confort, des massages, et qu’ils favorisaient au maximum le bien-

être du patient. Elle précise également que, lorsque l’équipe a des difficultés concernant la prise en soins

d’un patient présentant des symptômes de souffrance globale, elle peut demander l’appui de l’équipe

mobile de soins palliatifs. A travers ces réponses, nous pouvons voir que l’ensemble des professionnels

accorde une grande importance aux symptômes physiques et psychiques de la souffrance globale. De

plus, il semble que la prise en soins en structure hospitalière permette aux soignants de bénéficier de plus

de ressources (telles que l’équipe mobile de soins palliatifs, un psychologue dans le service ou encore la

musicothérapeute) qu’à domicile, bien que les soins apportés y soient parfaitement adaptés aux patients.

Par ailleurs, aucun de mes interlocuteurs n’a évoqué les dimensions sociales et spirituelles de la

souffrance globale. Même si je suis persuadée que l’aspect social est pris en compte quelles que soient

les structures d’accueil ou à domicile par le biais des assistantes sociales par exemple, l’aspect spirituel

semble quelque peu mis de côté. Bien qu’aucun des soignants ne l’ait évoqué, au vu de ce que j’ai pu

percevoir au cours de mes stages, il me semble que, mis à part le fait que certains patients fassent des

demandes particulières en fonction de leurs croyances, ce thème n’est que peu abordé par les soignants.

Les réponses apportées par les différents professionnels me permettent de vérifier ma deuxième

hypothèse, qui portait sur le fait que les patients en fin de vie ont besoin d’un accompagnement

spécifique apporté par les soins palliatifs.

Question 6 : Quels sentiments éprouvez-vous le plus souvent lorsque vous prenez en soins des

personnes en fin de vie ? Est-ce différent de ce que vous pouvez ressentir face à des patients pour

lesquels des soins curatifs sont encore possibles ?

L’objectif de cette question était d’identifier les émotions ou sentiments prédominants des soignants dans

l’accompagnement des personnes en fin de vie.

- L’infirmière A dit ne pas penser au fait que les patients sont en fin de vie : pour elle, si ce sont

des patients comme les autres, elle n’occulte cependant pas le fait qu’ils ont une pathologie

incurable. Elle sait que leur quantité de vie est limitée, mais essaie de faire en sorte que la

qualité soit la meilleure possible.

- L’infirmière B pense ne pas faire de différence entre les patients hospitalisés en LISP et ceux en

hospitalisation classique. Néanmoins, elle explique que selon les cas, la relation avec les

31

patients en soins palliatifs est différente car ils sont suivis sur une longue période, et que leur

famille est beaucoup plus intégrée dans le projet de soins. Par ailleurs, elle éprouve souvent un

sentiment de frustration lorsque la charge en soins est importante dans le service, et qu’elle n’a

pas pu apporter aux patients le temps qu’elle aurait souhaité. Elle a également parfois le

sentiment de ne pas avoir pu aller au bout de ce c’elle aurait aimé faire pour les patients.

- L’infirmier C, quant à lui, ressent plus d’empathie pour les patients qui sont en fin de vie. Il lui est

également arrivé d’éprouver de la tristesse, ou d’avoir eu une boule au ventre avant d’aller chez

une patiente en fin de vie.

Lors de la rédaction de mon cadre théorique, je me suis attachée à définir les sentiments que je pensais

prédominants chez les soignants travaillant au contact de patients en fin de vie, à savoir : le sentiment

d’impuissance, l’excès d’engagement, l’excès de doute, ou encore la surcharge de travail. Les entretiens

que j’ai réalisés m’ont donné une vision toute autre : en effet, l’infirmière A dit ne pas penser au fait que

les patients soient en fin de vie, donc ne pas ressentir plus d’émotions que lorsqu’elle soignait des

patients pour lesquels des traitements curatifs étaient encore possibles. L’infirmière B et l’infirmier C

précisent qu’ils ont tout de même une relation différente avec les patients en fin de vie, du fait du temps

passé à leurs côtés. Cela se traduit par des sentiments peut-être plus marqués d’empathie ou de tristesse

pour l’infirmier C et de frustration pour l’infirmière B lorsqu’elle estime qu’elle n’a pas eu les moyens

d’apporter au patient toute l’attention qu’elle aurait souhaité. Outre la notion de surcharge de travail

évoquée par l’infirmière B, les sentiments éprouvés par les professionnels sont assez différents de ceux

que je m’étais imaginés au départ. On peut également supposer que l’âge et l’expérience peuvent

permettre aux professionnels de prendre un peu plus de recul face à la prise en soins de patients en fin de

vie, et que les émotions et sentiments éprouvés sont moins forts que chez les infirmiers plus récemment

diplômés. En effet, l’infirmier C précise qu’il a été obligé de se centrer beaucoup plus sur les personnes et

de faire en quelque sorte abstraction de la maladie de ses patients en fin de vie, pour parvenir à les

prendre en soins en tant que jeune professionnel.

Question 7 : Vous arrive-t-il de vous retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela

vous affecte-t-il au quotidien ?

A travers cette question, je souhaitais identifier les mécanismes de défense mis en place par les

soignants, et les éléments facilitateurs à la prise en soins des patients en fin de vie (moyens matériels,

humains, personnels ou institutionnels).

- L’infirmière A explique qu’elle a quitté un service de médecine car elle n’était plus en phase avec

elle-même. En effet, elle n’était pas satisfaite des accompagnements qu’elle a pu y faire car

selon elle, ces situations correspondaient à de l’acharnement thérapeutique par le biais de la

mise en place de perfusions ou d’alimentation. Elle explique également qu’au départ, elle pensait

que le plus difficile pour elle serait de prendre en soins des patients jeunes ; au final, elle s’est

rendue compte que ce qui la mettait en difficulté était la prise en charge de femmes du même

32

âge qu’elle. Elle a effectivement été marquée par une situation car elle a eu un effet miroir avec

une patiente qui avait son âge.

- L’infirmière B précise qu’elle a vécu des situations difficiles dans la mesure où elle a suivi

certains patients sur plusieurs mois, voire plusieurs années, et qu’elle avait noué une relation

plus forte avec eux. Elle évoque également des difficultés dans la prise en charge de patients

jeunes car elle a tendance à s’identifier à eux.

- L’infirmier C quant à lui exprime des difficultés face à des situations dans lesquelles il avait noué

avec les patients une relation forte. Il précise également que son jeune âge a été un handicap

dans la gestion de certaines situations car il estime « ne rien connaître de la vie ». Par ailleurs, il

lui est arrivé de faire une projection ou de s’identifier avec les enfants ou les petits-enfants de

patients.

Les soignants m’ont tous indiqué qu’ils s’étaient, à un moment donné, retrouvés en difficulté par rapport à

une situation particulière : de ce point de vue, ni l’âge, ni l’ancienneté dans le service ne constituent un

élément facilitateur. Pour faire face à ces situations particulièrement éprouvantes, le mécanisme de

défense qu’ils semblent tous avoir mis en place est l’identification projective. Lors de la rédaction de mon

guide d’entretien, je m’attendais à des réponses plus éclectiques au vu de ce que j’ai pu vivre dans les

services lors de mes différents stages et des différentes recherches effectuées pour élaborer mon cadre

conceptuel, dans lequel j’avais répertorié les neuf mécanismes de défenses qui me semblaient les plus

représentatifs. Néanmoins, ce qui me semble important dans les réponses apportées, est que chacun

d’entre eux a identifié son principal mécanisme de défense, ce qui est primordial chez le soignant car cela

va lui permettre de reconnaître ceux du patient, et ainsi, l’aider à apaiser ses angoisses. C’est en effet ce

que précise Martine RUSZNIEWSKI : « C’est leur permettre aussi – en les aidant à reconnaître et à décoder les

opérations défensives du malade – d’identifier leurs propres mécanismes de défense pour les admettre en tant que

réponses légitimes à leurs appréhensions et à leurs blessures, tout en acceptant de se défendre de l’angoisse sans

l’alourdir de l’angoisse à devoir se défendre41 ». L’unanimité des réponses apportées en faveur de

l’identification projective montre bien que, homme ou femme, quels que soient leur âge et leur expérience,

les soignants peuvent se retrouver en difficulté par rapport à certaines situations, et de ce fait, ils mettent

tous inconsciemment en place des moyens pour apaiser leurs angoisses.

Par ailleurs, les réponses des professionnels à cette question valident ma troisième hypothèse, à savoir

que la prise en soins de personnes en fin de vie a des répercussions émotionnelles sur les soignants et

génère chez eux des mécanismes de défense.

Question 8 : Que faites-vous pour vous ressourcer lorsque vous vous sentez en difficulté ? Est-ce une

initiative personnelle ou des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il efficace, selon vous ?

Le but de cette question était d’évaluer les moyens mis en œuvre par les soignants pour remédier à des

situations de souffrance.

41 RUSZNIEWSKI, Martine. Face à la maladie grave - Patients, familles, soignants – Préface de Robert ZITTOUN. Edition Dunod, octobre 1995. p 127.

33

- Pour l’infirmière A, l’équipe soignante est importante dans ces situations : en effet, il existe une

grande cohésion qui permet à chaque professionnel d’avoir un interlocuteur privilégié pour se

confier et discuter quand il en ressent le besoin. Elle souligne également le fait que les médecins

sont à l’écoute de l’équipe. Des groupes de paroles sont également organisés pour soulager

l’équipe ; enfin, selon elle, il est primordial d’avoir des activités à l’extérieur.

- L’infirmière B souligne l’importance de l’équipe soignante : ils échangent beaucoup entre eux,

ainsi qu’avec les médecins. Lorsqu’ils sont en grande difficulté, ils peuvent également faire appel

à l’équipe mobile de soins palliatifs ou à la psychologue du service. Par ailleurs, des ateliers

d’échanges animés par une psychologue et réalisés à partir de situations vécues, leur permettent

également d’échanger ensemble sur les difficultés rencontrées. Enfin, pour elle, la famille, les

enfants et les amis sont primordiaux.

- Pour l’infirmier C, l’équipe joue un rôle essentiel : c’est pour lui une ressource importante car cela

lui permet d’exprimer ses difficultés. Il souhaiterait qu’un accompagnement de l’équipe soit fait

par un psychologue car il pense que le fait d’échanger avec ses collègues est certes primordial,

mais a des limites dans la mesure où il estime ne pas forcément savoir trouver les mots justes

pour réconforter les autres infirmiers. Enfin, lorsqu’il en ressent le besoin, il prend quelques

minutes entre chaque patient pour aller sur internet : c’est son échappatoire.

Les trois professionnels interrogés ont chacun trouvé leur propre moyen de se ressourcer, que ce soit à

travers le sport, la famille, les amis, ou encore internet. Ce qu’ils soulignent à l’unanimité, c’est

l’importance de l’équipe au sein de laquelle ils travaillent : ils estiment que les échanges qu’il peut y avoir

sont primordiaux pour pouvoir se libérer, et évacuer le stress et les tensions lorsque les situations qu’ils

vivent sont difficiles. Les infirmières A et B mentionnent également que les groupes de parole mis en

place par leurs établissements respectifs leur sont d’un grand soutien : ils peuvent y analyser des cas

concrets, et l’aide d’un psychologue extérieur à l’équipe leur permet de cheminer à partir de ce qui les a

particulièrement mis en difficulté pour leur proposer des pistes de réflexion. L’infirmier C en déplore

l’absence dans son établissement, car il estime que ce serait bénéfique pour lui dans la mesure où

chaque membre de l’équipe pourrait échanger avec un tiers qui serait peut-être plus à même de trouver

les mots justes pour apaiser la souffrance des uns et des autres. Sur ce point, les trois professionnels sont

en accord avec Marie de HENNEZEL : « Il y a des jours où la réunion d’équipe joue vraiment son rôle de

soupape. Quand les émotions vécues par les uns ou les autres sont trop fortes. On a beau chercher une distance

juste, il arrive qu’on soit submergé. C’est sans doute aussi le prix à payer pour ne pas devenir insensible et rester

tout simplement humain 42».

Lorsque j’ai réalisé mes recherches pour élaborer mon cadre théorique, les groupes de parole me

paraissaient être un moyen essentiel pour remédier à la souffrance des soignants. Néanmoins, je

m’attendais à avoir des réponses concernant la formation : en effet, dans mes représentations, je pensais

qu’avoir obtenu un DU de soins palliatifs ou avoir suivi une formation spécifique faisait partie des éléments

facilitateurs dans la prise en soins des patients en fin de vie. L’infirmière A a évoqué un peu ce sujet

lorsqu’elle parle de ses évolutions de carrière, et qu’elle précise que son DU avait pour but d’avoir des

42 DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de François MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. p 106.

34

outils, de pouvoir mettre des mots sur des sensations, de l’inconfort qu’elle a pu éprouver dans certaines

situations de fin de vie. L’infirmière B a également suivi une formation sur les soins palliatifs et envisage

de passer le DU. A travers ces réponses, je peux en déduire que, même si les professionnels ne l’ont pas

clairement exprimé, la formation est également un moyen d’apporter des réponses aux situations difficiles

dans lesquelles ils peuvent se retrouver. Néanmoins, cela ne constitue que des outils utiles pour gérer des

cas difficiles, mais cela ne les prémunit pas contre la souffrance qu’ils peuvent éprouver. La citation

suivante permet d’illustrer et de clore cette question « Prendre soin de soi » paraît être la condition sine qua

non pour « prendre soin » et soigner efficacement sans s’épuiser 43 ».

B. Synthèse des entretiens

Les entretiens que j’ai réalisés m’ont permis de rencontrer des professionnels évoluant dans des services

totalement différents, ce qui a été particulièrement constructif pour éclairer les différents points de mon

cadre théorique. L’un des points positifs que j’ai retiré de ces entretiens a été le choix du panel : en effet, il

me semble que, bien que leur nombre soit limité, les professionnels que j’ai rencontrés avaient tous des

profils différents, ce qui constitue un atout pour la réalisation d’une étude. Cela m’a permis de voir que

chacun vit différemment l’accompagnement des patients en fin de vie, mais au fond, ils se rejoignent tous

concernant les points importants. J’ai aussi pu voir que l’expérience professionnelle apporte aux soignants

un recul important et une vision d’ensemble peut-être plus développée des situations. De plus, j’ai pu

apporter des éléments de réponse à ma question de départ : en effet, chacun à sa manière m’a précisé

quels impacts avait chez eux la prise en soins de patients en fin de vie. Bien évidemment, il n’existe pas

de réponse précise à cette question, étant donné que chacun a son vécu personnel, ses différentes

expériences professionnelles et sa curiosité propre. De plus, l’entretien de seulement trois professionnels

ne me permet pas de tirer des conclusions générales, mais cela m’aura au moins permis de voir que les

hypothèses énoncées étaient vérifiables.

Un des axes d’amélioration de ces entretiens réside peut-être dans la formulation de certaines questions,

notamment la quatrième, qui n’était peut-être pas assez claire, étant donné que j’ai obtenu des réponses

relativement similaires à la troisième question. Il aurait peut-être fallu que je pose des questions de

relance au cours de l’entretien, pour réorienter les professionnels sur les spécificités de

l’accompagnement des personnes en fin de vie, mais je n’ai réalisé cet aspect des choses que lors de la

retranscription des mes entretiens, a posteriori.

43 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. p 61.

35

Conclusion

« Etre soignant en soins palliatifs, c’est affronter au quotidien la souffrance. C’est construire et perdre sans cesse.

C’est souvent ne pas savoir la justesse de son action. […] C’est échouer à calmer, à soulager pleinement. […] C’est

rester dans l’inachevé, la frustration d’une mort jugée trop précoce. C’est aussi être témoin de la souffrance des

collègues et des familles et amalgamer tout cela avec notre vie intime, c'est-à-dire l’état intérieur personnel qui nous

anime même au travail44 ». Cette citation reflète bien la complexité du travail des soignants quotidiennement

au contact de patients en phase terminale des soins palliatifs sur lequel j’ai axé mon étude.

Ce travail de recherche m’a permis de construire mon mémoire en me basant sur une situation de départ

qui m’avait marquée lors de mon premier stage de deuxième année. A partir de cette dernière, j’ai pu

cheminer pour élaborer une première question de départ relative à l’impact sur la prise en soins de

patients en fin de vie sur les soignants. L’élaboration de mon cadre conceptuel m’a ensuite permis de

préciser cette question en remplaçant le terme « fin de vie » par celui, plus approprié à mon sens, de

« phase terminale des soins palliatifs ». Suite à cela, les entretiens que j’ai pu mener avec des

professionnels m’ont fait prendre conscience que chacun d’entre eux avait été marqué par ce type de

situations, et qu’ils ont dû travailler sur eux-mêmes pour se protéger de leurs angoisses.

Par ailleurs, ce travail m’a permis d’évoluer et de prendre du recul par rapport à ces situations de prise en

soins de patients en phase terminale de soins palliatifs. En effet, j’ai eu l’occasion au cours de ma

dernière année à l’IFSI, de faire un stage dans un service dans lequel il y avait des Lits Identifiés Soins

Palliatifs. Les recherches que j’ai menées et les rencontres que j’ai faites avec les professionnels m’ont

donné des pistes pour me permettre de m’impliquer dans les soins tout en ne me laissant pas submerger

par mes émotions. J’ai ainsi pu prendre peu à peu conscience des mécanismes de défense que j’ai

tendance à mettre en place lorsque je me sens en difficulté : il me reste encore un travail à faire sur moi-

même pour me permettre de les maîtriser un peu plus. En effet, ce que m’auront fait comprendre ces

recherches, c’est l’importance de se préserver à bon escient en tant que soignant, dans une optique de

prévention de l’épuisement professionnel.

44 JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. 256 p.

36

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages : DE HENNEZEL, Marie. La mort intime – Ceux qui vont mourir nous apprennent à vivre – Préface de François MITERRAND. Editions Robert LAFFONT, août 1995. 232 p. DUFFET, Béatrice. JEANMOUGIN, Chantal. PRUDHOMME, Christophe. Soins Palliatifs et fin de vie, UE 4.7. Collection « Nouveaux Dossiers de l’Infirmière ». Edition Maloine, 2013. 148 p. JACQUET-SMAILOVIC, Murielle. Avant que la mort ne nous sépare… Patients, familles et soignants face à la maladie grave. Edition De Boeck, janvier 2006. 197 p. JOUTEAU-NEVES, Chantal et MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. L’infirmier(e) et les soins palliatifs – Prendre soin : éthique et pratiques. 5ème éd. Elsevier-Masson : Savoir & pratique infirmière, 2013. 256 p. RUSZNIEWSKI, Martine. Face à la maladie grave - Patients, familles, soignants – Préface de Robert ZITTOUN. Edition Dunod, octobre 1995. 206 p. Articles : CAHIZA, Hélène ; PATERNOSTRE, Bernard. Mise en place de « lits identifiés de soins palliatifs » en services de médecine : motivations et résistances de l’équipe soignante. Enquête auprès des infirmières et des aides-soignantes. Revue Médecine Palliative, juin 2011, n°3, volume 10. p120-124. CARICLET, Noëlle. Accompagner le soignant face au patient en fin de vie. Revue Soins cadres de santé, supplément au n°61, 2007. p17-18 DE BONNIERES, Alix ; ESTRYN-BEHAR, Madeleine ; LASSAUNIERE, Jean-Michel. Déterminants de la satisfaction des médecins et infirmières de soins palliatifs. Revue Médecine Palliative, août 2010, n°4, volume 9. p167-176. MALAQUIN-PAVAN, Evelyne. Dossier Loi Léonetti, soins et fin de vie. Revue Soins, septembre 2006, n°708. p27-53. MOCQUET, Rodolphe. Le grignotage alimentaire des soignants confrontés à la fin de vie et à la mort. Revue Soins Cadres, novembre 2014, n°92. p. 57-59.

RETAILLEAU, Brigitte. Dossier Accompagner la fin de vie. Revue Soins Aides Soignantes, mai-juin 2013, n°52. p9-18 ZIMMERMAN, Jean-François. Les soignants face à la fin de vie du patient. Revue Gestions Hospitalières, octobre 2014, n°539. p479-482.

37

Sites internet : CBSP : Coordination Bretonne des Soins Palliatifs [en ligne]. (Consulté le 07/03/2016). Disponible sur www.bretagnesoinspalliatifs.com SFAP : Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs [en ligne]. (Consulté le 22/03/2016). Disponible sur www.sfap.org Centre National de ressources – Soin Palliatif [en ligne]. (Consulté le 05/04/2016). Disponible sur

www.soin-palliatif.org

Documents non publiés :

THIEURMEL, Hubert. Dispositions réglementaires relatives aux droits des malades et à la fin de vie.

Cours du 24/11/2015 dans le cadre de l’Unité d’Enseignement 4.7 : Soins Palliatifs et Fin de Vie.

Disponible sur l’ENT de l’IFSI de Quimper.

I

SOMMAIRE DES ANNEXES

SOMMAIRE DES ANNEXES ......................................................................................................... I

Annexe I : Guide d’entretien ..................................................................................................... II Annexe II : Restitution de l’entretien avec l’infirmière A ........................................................... III Annexe III : Restitution de l’entretien avec l’infirmière B ........................................................ VIII Annexe IV : Restitution de l’entretien avec l’infirmier C ......................................................... XIII Annexe V : Grille d’analyse des entretiens ......................................................................... XVIII

II

Annexe I : Guide d’entretien

Question 1 : Quel âge avez-vous ? Depuis combien de temps êtes-vous diplômé(e) ?

Question 2 : Depuis combien de temps exercez-vous dans ce service ? Etait-ce un choix de votre part

d’y exercer ?

Question 3 : Que saviez-vous des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des

différences entre vos représentations initiales et celles que vous avez aujourd’hui ?

Question 4 : Avant d’entrer dans ce service, comment auriez-vous défini la prise en soins et

l’accompagnement des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les représentations que

vous aviez initialement et la réalité des services ? Si oui, cela vous affecte-t-il ?

Question 5 : Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des

symptômes de souffrance globale ?

Question 6 : Quels sentiments éprouvez-vous le plus souvent lorsque vous prenez en soins des

personnes en fin de vie ? Est-ce différent de ce que vous pouvez ressentir face à des patients pour

lesquels des soins curatifs sont encore possibles ?

Question 7 : Vous arrive-t-il de vous retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela

vous affecte-t-il au quotidien ?

Question 8 : Que faites-vous pour vous ressourcer lorsque vous vous sentez en difficulté ? Est-ce une

initiative personnelle ou des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il efficace, selon vous ?

III

Annexe II : Restitution de l’entretien avec l’infirmière A

ESI : Quel âge avez-vous ? Depuis combien de temps êtes-vous diplômée ? Depuis combien de

temps exercez-vous dans ce service ? IDE A : Alors, moi je suis une ancienne infirmière parce que j’ai eu mon diplôme en 1979, donc je pars

en retraite cette année. J’ai une formation… j’ai mon diplôme interuniversitaire de soins palliatifs ; donc je suis dans l’unité depuis 2008, la création, après avoir eu un parcours assez, - peut-être atypique ? – non, je ne pense pas. J’ai eu énormément d’expériences : j’ai fait - en faisant de façon assez succincte - les urgences, la médecine, la chirurgie, la pédiatrie, la pneumologie, l’oncologie, la cardiologie. Voilà, je dis souvent que, sauf le bloc opératoire, j’ai à peu près été dans tous les services… la néphrologie, voilà…

ESI : Etait-ce un choix de votre part d’y exercer ? IDE A : Au départ, j’ai commencé par la médecine où on avait pas mal de patients qui étaient en fin de

vie ou qu’on accompagnait. Je n’avais pas de formation, et j’allais souvent [silence] j’étais souvent confrontée à des fins de vie qui pour moi étaient très difficiles. Donc à un moment, j’ai changé de service, je suis allée en EHPAD en me disant « C’est plus logique une fin de vie en EHPAD ». Et ça n’a rien de logique, parce que pour les familles, la séparation est toujours aussi dure, donc j’ai voulu avoir des outils en formation universitaire de soins palliatifs, et quand l’unité s’est ouverte : à la fois, c’était mettre en pratique ce que j’avais appris, mais il fallait aussi une infirmière ayant son diplôme universitaire pour ouvrir l’unité. Donc, voilà, il y avait les deux choses : il y avait une contrainte administrative, mais il y avait une envie de ma part de venir ici. Voilà.

ESI : Que saviez-vous des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des différences

entre vos représentations initiales et celles que vous avez aujourd’hui ? IDE A : [Silence] Alors moi je suis passée par beaucoup d’étapes parce qu’au début de ma carrière, c’est

vrai qu’on faisait des cocktails lytiques, moi j’en ai posé, et c’est pas évident, c’est très très difficile. A la fois, c’est vrai qu’on soulage le patient, mais bon, pour nous c’est difficile et j’avais l’impression - enfin moi au regard de ma carrière - j’ai l’impression que plus on est jeune dans le métier, on est plus dans les pratiques, moins on est dans « Pourquoi je le fais ? ». Voilà, et à partir du moment où on se pose des questions de savoir, du bienfait des différents pratiques, c’est là où on est en perpétuel questionnement. Et où on est obligé de chercher des réponses ; et les soins palliatifs, on les fait partout. Et je trouve que c’est assez réducteur de le laisser rien qu’à une unité : on le fait au quotidien dans tous les services, que ce soit en EHPAD, tout ça. Les accompagnements, c’est du palliatif, on est tous en palliatif. Donc voilà, mais c’était surtout pour mettre des mots : ma formation ça a été surtout pour mettre des mots sur des [silence] des sensations, de l’inconfort que j’avais quand je travaillais, par rapport à des situations qui se présentaient à moi. Voilà.

ESI : Avant d’entrer dans ce service, comment auriez-vous défini la prise en soins et

l’accompagnement des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les représentations que vous aviez initialement et la réalité des services ? Si oui, cela vous affecte-t-il ?

IV

IDE A : Sur la prise en charge, je pense que oui, et encore, je trouvais qu’on était dans l’humain au départ quand j’ai commencé à travailler, plus que maintenant où on est vraiment plus, dans certains services… On parlait toujours dans les services de chirurgie ou de médecine, de la pathologie avant de parler du patient. Ça, c’est vrai qu’en palliatif, on parle du patient avec sa pathologie et sa famille et tout ça, mais on parle de l’humain et on recentre plus là-dessus. Euh, mais moi j’ai évolué aussi en âge, donc dans ma vie personnelle, … c’est pour ça que c’est, tout est imbriqué dans nos formations, et on ne vient pas aux soins palliatifs [silence] par hasard [silence]. Et je pense que notre vie personnelle est aussi, euh voilà… c’est aussi un peu imbriqué tout dedans. Ça nous aide à évoluer de tous les bords. Voilà.

ESI : Et du coup, avant de commencer ici, comment auriez-vous défini l’accompagnement des personnes en fin de vie ?

IDE A : Les accompagnements que j’ai faits en médecine – parce qu’on avait des accompagnements de fin de vie de personnes qui avaient des cancers – euh, moi je n’étais pas satisfaite du tout, parce qu’on était souvent, presque dans [silence] l’acharnement thérapeutique avec des perfusions, on continuait l’alimentation, on était, voilà, on allait jusqu’au bout [silence] sans voir le reste. Et [silence] c’est sûr que si j’ai quitté ce service-là, c’est que je n’arrivais plus à faire ça et à être, voilà, en phase avec moi-même. Donc je trouvais que les accompagnements qu’on faisait, même s’ils étaient ressentis par les personnes euh des bons accompagnements, pour moi, ça ne me satisfaisait pas. Parce que je pense qu’on passait à côté de quelque chose en répondant par des médicaments, des perfusions, de l’alimentation artificielle, euh à des symptômes, avant d’écouter le patient, sa famille.

ESI : Donc ici, la prise en charge est plus centrée sur le patient ? IDE A : Mais même partout, je pense qu’on écoute plus, avec les nouvelles lois, que ce soit avec la loi

Léonetti, surtout la dernière, où il y a les personnes de confiance, où il y a les directives anticipées. Et les personnes sont plus informées maintenant, il y a de ça aussi. Donc, je pense qu’on écoute plus les demandes des patients. Après, il y a des médecins… je pense à certains oncologues qui n’admettent pas ça, ou des cardiologues, qui vont toujours, qui vont aller dans la technique, mais ça, c’est leur façon de se défendre aussi contre la fin de vie.

ESI : Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des symptômes

de souffrance globale ? IDE A : Alors, la souffrance globale, c’est la souffrance physique, donc ça généralement, on arrive, on a

des traitements que ce soit morphiniques, Kétamine®. Pour la souffrance psychique, on a du Midazolam®. Après, quand on arrive à la souffrance globale, c’est vrai qu’on est souvent en train de - ce n’est pas jongler - mais on essaie de trouver la juste dose des deux médicaments pour pouvoir, pour que le patient soit au mieux soulagé. Parfois, on n’arrivera pas, mais ce n’est pas un échec pour nous, parce qu’il y a des patients qui, sans douleur, ne vivent pas. Ils ont besoin de la douleur, d’un fond douloureux pour se sentir en vie. Et je trouve qu’ici, on est pour un accompagnement de vie, [silence] de personnes qui sont en vie jusqu’à leurs derniers jours, et non le mourant n’existe pas. De toute façon, ce terme-là n’existe pas, cette phase n’existe pas, ou on est vivant, ou on est mort. Et je trouve qu’on est plus dans la prise en charge de personnes qui sont vivantes, avec des symptômes qu’on va essayer de soulager, et qu’on arrive, la plupart du temps on arrive, que ce soit avec des moyens médicamenteux, ou non médicamenteux : on utilise des fois les huiles essentielles, on a la musicothérapeute, on a le

V

toucher bien-être. Voilà, on a des alternatives aussi pour les prendre en charge qui sont différentes. [Silence] Mais je pense que si on en est arrivé là, c’est parce que nous aussi en tant que soignants, on a une plus grande ouverture d’esprit que quand j’étais dans d’autres services. Voilà, on est plus attentifs à certaines thérapies, parce que oui, on peut appeler ça des thérapies qui sont aussi efficaces dans la prise en charge que tout le temps répondre par tel ou tel médicament et assommer les gens. Mais écouter le patient qui dit « Non, moi je n’ai pas envie d’être endormi, je suis d’accord de garder quand même ce petit fond douloureux, mais de rester éveillé », ça on écoute. Le patient est vraiment écouté, et nous, je trouve que dans cette prise en charge-là, on est voilà, c’est pas qu’on est sereines, mais on est quand même mieux.

ESI : Quels sentiments éprouvez-vous le plus souvent lorsque vous prenez en soins des personnes

en fin de vie ? Est-ce différent de ce que vous pouvez ressentir face à des patients pour lesquels des soins curatifs sont encore possibles ?

IDE A : [Silence] Je n’y pense pas, je ne pense pas qu’ils sont en fin de vie. Pour moi, c’est des patients

comme les autres, avec, on a une approche qui est différente, on travaille d’une autre manière, mais je sais qu’ils ont une pathologie, mais je ne vais pas me dire « Ils sont en fin de vie ». Voilà, non, je n’y pense pas. J’essaie de leur [silence] de mettre ça de côté, pas d’occulter, parce qu’elle est là, voilà c’est là ; mais notre médecin dit souvent aux patients quand on fait les rendez-vous famille, qu’ils ont une maladie chronique, et qu’il va falloir vivre avec. Et moi c’est ça : voilà, ils ont une maladie chronique, comme les autres, comme d’autres maladies, et ils vivent avec. Bien sûr, leur quantité de temps de vie n’est pas la même, mais on essaie que la qualité soit la même. Voilà, on est plus sur une qualité de vie que sur une quantité de vie.

ESI : Du coup, vous ne faites pas de différence avec les autres patients ? IDE A : Non. Mais on est tous en fin de vie. Après, voilà, il y a des fins de vie terminales, la fin de vie

terminale qui est différente, mais non, non, moi je mets un peu ça de côté. ESI : Vous arrive-t-il de vous retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela vous

affecte-t-il au quotidien ? IDE A : Oui, je me rappelle quand j’ai passé l’entretien, parce qu’on a toutes passé un entretien - même

si j’avais mon DU - pour venir dans l’unité, j’avais toujours dit que la difficulté aurait été de m’occuper de personnes jeunes. Et bien non. [Silence] Non, pour moi, ce n’était pas ça, c’est les personnes du même âge que moi. Où on a une interface, où on peut trouver des similitudes, en se disant : « Et bien tu vois, elle a le même âge que toi, euh voilà ». Mais mes jeunes collègues, par contre, oui, quand elles ont des patients du même âge qu’elles… et le fait qu’on soit complémentaires avec différents âges, c’est bien. Moi j’ai eu plus de difficultés avec des femmes entre 55 et 60 ans que des jeunes, où c’est très difficile, voilà, je ne vais pas dire le contraire, des jeunes mamans, euh oui, c’est... Mais voilà, et je suis allée dernièrement à une conférence à Paris et une cinéaste disait de son fils qui est décédé à l’âge de 5 ans, « Il est allé jusqu’au bout de sa vie », voilà, et c’est vrai que ces jeunes mamans sont allées jusqu’au bout de leur vie. Mais moi, c’est souvent se dire : « Tiens, tu vois, elle a le même âge que toi ». Ça m’est arrivé une fois où ça a été très dur, où, je ne sais pas, j’étais peut-être plus fragile, plus fatiguée, où j’ai eu un peu l’effet miroir, et il a fallu que je prenne énormément de recul avec d’autres moyens pour moi, parce qu’on a chacune nos moyens pour s’évader d’ici. Moi, c’est plus ce souci-là. Mais les femmes, pas les hommes, voilà. Plus en me disant : « Et bien oui, elles ont ton âge,

VI

elles n’ont pas profité du reste, mais elles sont allées au bout de leur vie comme disait la dame ». Voilà.

ESI : Du coup, vous pouvez être vraiment affectées par des situations ? IDE A : Oui, et généralement, sur les patients qui nous ont le plus touchées, ce sont ceux dont on se

rappelle le plus. Et moi, il y a des noms de patients dont je me rappelle, et pourtant ça fait un moment. Mais des patients dont la situation m’a le plus marquée, m’a le plus touchée, j’étais plus émue que d’autres. [Silence] Il y a d’autres pour qui on va être professionnelles, on va être dans l’empathie, mais ça ne va pas nous marquer de la même manière, et on est toutes marquées différemment.

ESI : Que faites-vous pour vous ressourcer lorsque vous vous sentez en difficulté ? Est-ce une

initiative personnelle ou est-ce des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il efficace, selon vous ?

IDE A : Alors moi j’ai [silence] c’est vrai qu’à un moment, j’étais le nez dans le guidon dans le service et

du coup, ça n’allait pas, donc je fais de la gym. Donc je fais 2 heures de gym par semaine, mais de la gym intensive un peu pour, voilà… et je fais du shiatsu en plus et de la méditation. Mais j’ai besoin de ça. Le shiatsu me permet de lever toutes mes tensions, tout ça, la méditation m’aide, la marche… mais il faut avoir des activités à l’extérieur. Alors là depuis un moment, on n’a plus de groupes de paroles. Ça revient, parce que c’est nécessaire. Mais c’est vrai qu’on a cette chance dans l’unité de pouvoir discuter entre nous quand ça ne va pas, et d’avoir un interlocuteur privilégié dans l’équipe, avec qui on peut discuter plus qu’avec d’autres, et on sait qu’avec elle on va pouvoir se confier : elles sont à l’écoute et vice-versa. Mais on a cette chance-là dans l’équipe de pouvoir faire ça.

ESI : Il y a une bonne cohésion ? IDE A : Oui, et aussi avec les médecins. Quand ça ne va pas, ils sont à notre écoute. ESI : Au niveau des de l’établissement, il y a des groupes de paroles ? IDE A : Les groupes de parole se sont terminés en juin 2014. Je pense que le psychologue était arrivé

au bout de l’accompagnement de l’équipe. Donc là en 2015, on n’en a pas eu, et ça s’est senti. Et donc là ça reprend, ce moi-ci. Donc en 2016, ça recommence. C’est une obligation, c’est dans le cahier des charges des USP où on doit avoir des groupes de parole. Mais c’est vrai que, c’est parfois nécessaire pour soulager un peu l’équipe. On a réussi à mettre quand même en place d’autres stratagèmes sans que ça soit institutionnel pour pouvoir se libérer, toutes.

ESI : Chacun a sa méthode ? IDE A : Oui, déjà de discuter en équipe ou de pouvoir se lâcher, et puis d’avoir d’autres activités à

l’extérieur, on a toutes ça. On est obligées. ESI : C’est nécessaire pour évacuer ? Plus que dans les autres services ?

VII

IDE A : Oui, je pense. Quand je fais mon heure de piloxing, le lundi soir, où je fais mes gestes de boxe, j’ai vraiment, … je sens que je sors de l’énergie. Ça se voit et ça se sent.

ESI : Voilà, j’ai fait le tour de mon questionnaire. IDE A : Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas. ESI : Merci.

VIII

Annexe III : Restitution de l’entretien avec l’infirmière B

ESI : Quel âge as-tu ? Depuis combien de temps es-tu diplômée ? IDE B : Alors, j’ai 30 ans et je suis diplômée depuis, enfin, j’entame ma huitième année, là, après mon

diplôme. ESI : Depuis combien de temps exerces-tu dans ce service ? IDE B : Ça va faire… enfin après mon diplôme, je suis venue travailler un petit peu en pneumo, après,

euh du coup, j’ai été travailler - enfin j’étais dans le pool - donc en pneumo et puis d’autres services, après j’ai eu mes enfants, donc je n’ai pas travaillé pendant un an, après, j’ai fait deux ans de long séjour, et je suis depuis trois-quatre ans là en pneumo.

ESI : Et du coup, c’était un chois de ta part de revenir en pneumo ? IDE B : Oui, alors, j’étais revenue au départ, c’était, enfin… si, j’avais très envie de revenir mais au

départ on m’a positionné là une fois que… enfin après le long séjour, et puis j’ai postulé sur le poste que j’occupais, que j’ai eu, donc je suis en poste que j’ai choisi.

ESI : Et du coup, il y a combien de lits de soins palliatifs en pneumo ? IDE B : Alors, on a trois lits de soins palliatifs entre les deux services, donc il y a la pneumologie 1 et

pneumologie 2, donc on a 36 lits. On a 3 lits de palliatifs pour 36 lits de patients, enfin ce sont des lits étiquetés, après, dans la prise en charge au quotidien, on a souvent plus que 3 lits.

ESI : Que savais-tu des soins palliatifs avant d’entrer dans le service ? Existe-t-il des différences entre

tes représentations initiales et celles que tu as aujourd’hui ? IDE B : Je connaissais ce que j’avais appris à l’école, donc voilà, la base, quoi, après, c’était plus de la

théorie et ce que j’avais vu en stage, après là c’est devenu plus concret en fait. Je pense plus différent déjà aussi plus de soins palliatifs de fin de vie, c’est deux choses différentes, euh, voilà, donc différencier ça, et puis prise en charge : comme nous en pneumo c’est souvent des patients, euh, chroniques, qu’on suit sur le long terme, plus d’accompagnements, voilà, des patients en soins palliatifs.

ESI : Donc du coup, il y a des différences entre ce que tu connaissais avant et puis ce que tu as

découvert ici? IDE B : Et bien, je pense qu’il y a des représentations, enfin voilà, soins palliatifs, on a tendance à -

même pour les gens qui ne sont pas dans le milieu - de se représenter : les soins palliatifs, c’est la fin de vie, alors qu’en fait, soins palliatifs, ce n’est pas du tout la fin de vie, on peut rester en soins palliatifs pendant un long moment avant d’être en fin de vie.

IX

ESI : Avant d’entrer dans ce service, comment aurais-tu défini la prise en soins et l’accompagnement des personnes en fin de vie ? Existe-t-il une différence entre les représentations que tu avais initialement et la réalité des services ? Si oui, cela t’affecte-t-il ?

IDE B : [Silence] Je n’ai pas tellement réfléchi à ça, euh [silence] ; je pense que c’est ça, je pense que

pour moi aussi, enfin voilà, c’était plus fin de vie, là maintenant, je me suis rendue compte que les soins palliatifs, c’était plutôt un terme plus vaste que ce que je pensais en fait, que euh, voilà, on pouvait être en soins palliatifs pendant des mois, ou certains patients des années, euh, que en soins palliatifs on pouvait quand même faire des traitements justement à visée palliative, donc même si des patients peuvent être en cours de chimiothérapie, on peut être en soins palliatifs, ce que, pour moi, en fait, les soins palliatifs correspondaient un petit peu à l’arrêt des traitements et à un accompagnement en fin de vie, mais en fait je me suis rendue compte que, euh, ce n’est pas ce qu’on fait au quotidien. En fait, on peut être amenés à faire des chimio palliatives, de la radiothérapie palliative, qu’on peut amener un traitement dans le but palliatif, et non curatif, donc ça, je n’avais pas trop cette vision-là. Euh, voilà, ça, plus que, voilà, ce n’était pas forcément la fin de vie, et puis ben de difficultés, [silence] enfin que ça peut parfois provoquer un petit peu de difficultés parce que à l’école, on nous dit, voilà, qu’il faut travailler avec empathie, des choses comme ça, mais en fait après dans la réalité du terrain, comme c’est des patients qu’on voit assez régulièrement, qu’on suit depuis certains des mois, des années, il y a des fins de vie ou des situations de soins palliatifs qui sont plus difficiles que d’autres.

ESI : Et du coup, tu as fait des formations plus spécifiques sur les soins palliatifs ? IDE B : Alors là, je vais dans 15 jours, j’ai enfin eu la formation soins palliatifs, que j’ai demandée depuis

plusieurs années, et qui est assez difficile parce qu’il y a une grande demande, donc je vais y aller. J’ai fait récemment la formation toucher, soins de confort par le massage, voilà, et j’ai dans le projet de faire un DU en soins palliatifs. Voilà, après, j’ai fait des formations sur les chimiothérapies, enfin voilà, des choses comme ça, mais pas spécialement palliatif.

ESI : Comment accompagnez-vous au quotidien les patients en fin de vie présentant des symptômes

de souffrance globale ? IDE B : Alors, les patients en soins palliatifs, euh, [silence] donc ce qui est un peu compliqué dans le

service, c’est qu’à un moment donné on avait des staffs de soins palliatifs avec la psychologue, l’équipe, mais qu’on n’a pas réussi à maintenir faute de remaniements de services et de, voilà, ça a été compliqué, donc on n’a plus de staffs. Ça c’est un petit peu dommage, après, euh, au niveau prise en charge, on a quand même un pneumologue qui est spécialisé au niveau oncologie, donc c’est quand même, elle le plus souvent qui s’occupe des patients en soins palliatifs, même s’ils ne sont pas dans son secteur, en fait elle vient, voilà. Après, euh, donc ici on essaie de gérer, euh, les patients en soins palliatifs, donc déjà ils sont étiquetés souvent, mais pas tout le temps, isolés en chambre seule, euh, au niveau prise en charge, il y a la prise en charge du patient, mais de sa famille aussi, on a des lits accompagnants, donc les personnes peuvent rester dormir sur place. On travaille beaucoup en réseau avec la psychologue du service, on propose au patient si on sent qu’il… on propose au patient, après c’est lui qui voit s’il a le souhait ou pas, après, donc dans les situations de soins palliatifs, où on sent que le patient est quand même relativement apaisé point de vue douleur, point de vue anxiété, enfin, où ça suit son court et que le patient est bien, voilà, on va faire les soins comme… Mais quand on est en difficulté, on fait intervenir l’équipe mobile de soins palliatifs, qui vient pour plusieurs raisons, qui vient pour, déjà nous aider, déjà quand on est en difficulté avec une prise en charge, quand on a fait ce qu’on pensait être le mieux au niveau médical, paramédical, mais qu’on voit que la

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personne est toujours en souffrance et que, et que la personne n’est pas mieux. Après, c’est tout ce qui est aussi, ils interviennent pour voir si, au niveau éthique, des fois on a des situations où au niveau éthique, on ne sait pas trop, est-ce qu’on met des alimentations, est-ce que, voilà… Ils nous guident un petit peu sur le plan éthique, et après, sur la faisabilité du retour à la maison en HAD ou autre suivant le souhait des patients. Voilà, le travail en réseau, la psychologue. Voilà, je pense que c’est des patients avec qui on essaie de prendre un peu plus de temps.

ESI : Il y a aussi plus de personnel ? IDE B : Non, il n’y a pas plus de personnel. On essaie de prendre plus de temps, c’est des patients à qui

on va plus facilement, je pense, proposer des soins de confort au niveau massage, la toilette, on va l’adapter en fonction du patient : s’il y a des jours où ils n’ont pas envie, et qu’ils veulent faire une petite toilette, on fait une petite toilette. Enfin voilà, beaucoup de présence, d’écoute et incorporer la famille autant que possible aussi dans la prise en charge. Il y a des fins de vie, ou des patients en soins palliatifs où il y a des enfants, enfin, on va les aider autant que possible, leur permettre de venir, même s’il y a des horaires de visites, on n’est pas fixes sur les horaires de visite, enfin on permet à la famille de faire un accompagnement… Voilà.

ESI : Et du coup, tout ce qui relève du toucher, bien-être, vous avez le temps de le faire ? IDE B : Ça dépend des moments, on essaie de prendre le temps, après il y a des patients que ça

intéresse et des patients que ça n’intéresse pas. Après, ce n’est pas des massages comme on l’entend avec le terme massage, ça peut durer juste 5 ou 6 minutes, en fait, c’est juste, les aides-soignantes au moment de la toilette, enfin voilà masser un petit peu le dos ou masser un petit peu les pieds le soir au moment du coucher, quand on les réinstalle, enfin voilà, c’est à la limite des soins de confort, enfin voilà, c’est pour favoriser le bien-être du patient. Nous on encourage les familles à aussi à amener des petites choses à manger qu’il n’y a pas forcément à l’hôpital parce que la nourriture n’est pas très, enfin voilà, les patients souvent ont envie de chocolat ou de choses comme ça, donc on les encourage à amener de la nourriture plaisir, voilà qu’ils prennent plaisir à manger le peu qu’ils mangent, certains, qu’ils prennent plaisir à manger ce qu’ils ont envie.

ESI : Quels sentiments éprouves-tu le plus souvent lorsque tu prends en soins des personnes en fin

de vie ? Est-ce différent de ce que tu peux ressentir face à des patients pour lesquels des soins curatifs sont encore possibles ?

IDE B : Je ne pense pas que le ressenti… je ne pense pas qu’on fasse de différence entre les patients

en hospitalisation classique et les patients en hospitalisation sur les lits de soins palliatifs. Vraiment, enfin au niveau des soins, c’est plutôt je pense un sentiment, une frustration quand il y a une charge en soins et qu’on n’a pas pu apporter le temps qu’on avait envie pour les patients qui sont en soins palliatifs parce qu’on sait qu’ils ont besoin d’un peu plus de présence et souvent, plus quand le service est trop lourd et qu’on n’a pas le temps, c’est plus cette frustration-là de se dire qu’on n’a pas pu aller jusqu’au bout de ce qu’on aimerait bien faire pour les patients qui sont en soins palliatifs. Après au niveau prise en charge, je ne pense pas vraiment qu’il y ait de grosse différence, c’est plus, je pense qu’on prend peut-être plus facilement le temps de présence, tout simplement, et c’est vrai qu’on les suit surtout sur plus longtemps. Parce que sinon, les autres patients en classique, la durée de séjour est assez courte ; les patients sur les lits de soins palliatifs peuvent rester des semaines, des mois, donc il y a cette prise en charge plus sur du, enfin, du moyen cours, voire long cours, et je pense que

XI

du coup, il y a une relation autre qui se crée des fois, enfin ça dépend des patients après, mais, des fois il y a une relation autre qu’avec des patients qui sont là pour une pneumopathie et qui vont rester 6 jours, et voilà, la relation se passe bien aussi, mais, voilà, on ne rencontre pas forcément les enfants, les petits-enfants, toute la famille. La famille est moins incorporée dans la prise en charge ; je pense que c’est ça qui doit être un petit peu différent.

ESI : T’arrive-t-il de te retrouver en difficulté face à des patients en fin de vie ? Si oui, cela t’affecte-t-il

au quotidien ? IDE B : Oui, il y a déjà le sentiment de frustration quand on n’a pas l’impression d’avoir fait notre travail

comme on l’aurait voulu, et comme on aurait envie de le faire. Après, on a de plus en plus de patients jeunes, avec de jeunes enfants, ça je pense que, enfin moi personnellement, plus en discutant avec mes collègues, je pense que ça c’est le plus difficile pour nous, parce que je pense que c’est parce qu’on est des personnes jeunes, qu’on a des enfants aussi, je pense que même sans le vouloir, on s’identifie un petit peu, et du coup ça c’est plus difficile, après il y a des fois, je me rappelle d’un Monsieur qu’on avait pris en charge, très jeune, qui, c’était un petit peu compliqué parce qu’il avait rencontré une femme avec qui il s’était marié, une femme qui ne parlait pas du tout français, qui était d’origine, qui était des Philippines, et on ne savait pas trop du coup ce que Madame savait de la situation de Monsieur, et Monsieur s’est très vite dégradé. Et du coup, on la sentait perdue, et on n’arrivait pas à lui expliquer vraiment ce qui se passait, on ne savait pas en plus ce qu’elle savait, euh, voilà, elle était isolée, elle était toute seule, ils n’étaient que tous les deux, enfin ça a été difficile parce que du coup, on était un petit peu embêtés par rapport à la famille. Ça ça a été difficile, les jeunes, le manque de temps, et puis après il y a des situations, voilà qui nous interpellent toujours plus que d’autres parce que, mine de rien, c’est des patients qu’on suit depuis un moment certains, et quelqu’un qu’on suit depuis des années qui se dégrade et qui décède, même si on sait que ça va arriver, c’est plus difficile que quelqu’un qu’on connaît depuis quelques jours et avec qui on n’a pas eu de relation, enfin de relation soignant-soigné sur le plus long terme.

ESI : Que fais-tu pour te ressourcer lorsque tu te sens en difficulté ? Est-ce une initiative personnelle

ou est-ce des moyens mis en place par l’établissement ? Cela est-il efficace, selon toi ? IDE B : Ben là en fait, ce qui est important, c’est l’équipe je pense. Déjà, l’équipe, ici c’est quand même

une équipe assez à l’écoute, on échange beaucoup, même s’il n’y a plus de staffs, on échange beaucoup avec, enfin il y a les visites le matin et les transmissions le matin, mais on n’a plus de staffs comme on avait avant de soins palliatifs, de choses comme ça. Mais du coup, on échange beaucoup, enfin voilà, quand on a une situation ; les médecins sont [silence] sur le même niveau que nous quand on échange avec eux, donc on arrive à, voilà, quand on a une situation qui nous interpelle, on arrive à questionner et à dire : « Voilà, ça ça m’embête », voilà. Après, il y a l’équipe mobile de soins palliatifs qui peut venir et nous aider à prendre des décisions, à voir la situation, la psychologue du service qu’on peut rencontrer aussi. Et puis là depuis quelques temps, il y a une autre psychologue du pôle médecine-oncologie qui fait des ateliers d’échanges assez régulièrement sur différents sujets. Là il y en a un bientôt sur justement la prise en charge d’un patient jeune en fin de vie, et l’accompagnement de la famille. C’est un atelier d’échange avec des professionnels où chacun peut amener, on part souvent d’une situation vécue pour en fait échanger un peu pour comprendre pourquoi là ça a été difficile. Donc je pense que l’équipe est importante, et puis surtout la satisfaction de se dire qu’on a été jusqu’au bout de la prise en charge, et que… Parce qu’il y a des fins de vie qui se passent, enfin on est content, pas que le patient soit décédé, mais que la fin de vie se soit passée calmement, qu’on ait pu respecter les souhaits du patient, que tout le monde, le patient, la famille, tout le monde est prêt, enfin voilà,

XII

que ça se soit passé dans les meilleures conditions possibles, il y a le sentiment d’avoir réussi à aller jusqu’au bout, selon les souhaits du patient et que, voilà.

ESI : Du coup, tous ces moyens, ça vous permet d’évacuer et d’équilibrer vie personnelle et vie

professionnelle ? IDE B : Oui. ESI : J’imagine qu’il faut aussi une petite soupape à l’extérieur aussi pour évacuer ? IDE B : J’arrive quand je pars d’ici, bon ça peut arriver qu’il y ait des situations qui tracassent, mais c’est

très rare. En général, voilà, en ayant échangé avec mes collègues, on en reparle après de ce qu’on a ressenti, ce qui a été dur, en général, voilà, moi j’arrive à faire la part des choses. Voilà, après, il y a la famille, les enfants, les cafés avec les copines…

ESI : Voilà, j’ai fait le tour de mon questionnaire. Merci beaucoup pour tes réponses.

XIII

Annexe IV : Restitution de l’entretien avec l’infirmier C

ESI : Quel âge as-tu ? Depuis combien de temps es-tu diplômé ? IDE C : Alors, j’ai 25 ans, je suis diplômé depuis un an et demi. Donc j’ai eu mon diplôme en juillet 2014. ESI : Du coup, tu exerces au centre de soins depuis ton diplôme ? IDE C : C’est ça. Donc j’ai eu, donc début juillet, j’ai eu mon diplôme, et fin juillet, on m’a embauché ici :

au début pour un contrat longue durée, et puis après ça s’est transformé en CDI. ESI : D’accord, c’était un choix de ta part d’exercer en centre de soins, à domicile ? IDE C : Oui, en fait, j’ai déjà fait des stages avant ma formation infirmière, et pendant l’IFSI, j’ai fait des

stages à domicile, et en fait ça m’a vraiment plu. Euh l’univers entre guillemets du domicile me plaît beaucoup plus que l’hôpital, parce que, euh, comment [silence], on sent moins la hiérarchie, et euh, puis on est dehors, donc c’est vrai que c’est… moi j’apprécie beaucoup ce fait d’être dehors, et de pouvoir respirer, voilà, entre deux patients, de voir autre chose, ouais, voilà. Donc c’était un choix de ma part. Voilà.

ESI : Du coup, avant de débuter, quelles étaient tes connaissances au niveau soins palliatifs ? IDE C : Alors, euh [silence] avant l’IFSI, j’avais côtoyé un petit peu les soins palliatifs parce que j’ai des

diplômes avant, j’ai un BEP et un BAC PRO envers la personne, les services à la personne. Du coup, j’ai fait des stages à Ty Yann à Brest, et là ils ont un service d’oncologie, et puis euh, et puis après, déjà ces avec ces stages-là, j’avais une petite approche, et puis après avec l’IFSI de toute façon, ben on voit forcément des personnes en soins palliatifs et en fin de vie. Donc du coup, avec mes stages, j’avais déjà eu une approche des soins palliatifs, euh… comment, mais j’ai trouvé que quand tu es étudiant, tu peux, tu peux te cacher entre guillemets derrière l’infirmière, et euh… et en fait, je sais pas… est-ce que je ne me sentais peut-être pas prêt et peut-être que ça m’arrangeait d’être derrière l’infirmière ? Parce que c’est vrai que quant on côtoie ces situations quand on a 22-23 ans, c’est pas forcément évident, quand on ne connaît rien de la vie. Voilà… Du coup, ben j’avais eu quelques apports, mais c’était vraiment très vite fait, et voilà.

ESI : Donc du coup, entre les représentations que tu avais au départ et celles que tu as maintenant,

est-ce qu’il y a eu des évolutions ? IDE C : Oui, il y a eu des évolutions, parce que, [silence] parce que comme je te dis, je me cachais,

entre guillemets, et puis ben après, quand tu arrives tout seul chez un patient qui est en fin de vie, ben tu es obligé, de… voilà, tu prends sur toi, et puis tu n’as pas le choix de toute façon. Donc euh, du coup, oui, mes représentations ont changé parce que [silence] parce que j’ai été obligé de [silence], oui, de me centrer beaucoup plus sur la personne, et euh, et puis… comment… [silence], peut-être obligé de faire abstraction de la maladie pour pouvoir faire les soins parce que, c’est vrai que c’est pas facile… C’est un sacré, enfin c’est un sacré travail quand même.

XIV

ESI : Dans le centre, vous avez régulièrement des patients en fin de vie ? IDE C : Oui, alors moi, depuis que je travaille, on a eu deux ou trois grosses, entre guillemets, situations.

Euh, on a eu une dame que j’ai connue pendant 6 mois, donc avec un cancer généralisé… Voilà, on savait qu’elle allait bientôt décéder, mais euh, elle avait quand même, enfin elle avait une alimentation en intra-veineux, elle avait un pousse seringue en intra-veineux aussi, enfin il y avait beaucoup de matériel autour d’elle. Euh, voilà, on a eu un autre Monsieur qui avait un cancer de l’œsophage, et je suis la dernière personne qui l’ai vu parce que c’est moi qui l’ai hospitalisé, et du coup, il n’est pas revenu après. Voilà quelques situations comme ça qui marquent quand même plus que d’autres, euh, parce que le ressenti est différent peut-être, ou parce que, euh, … oui, enfin… comment on se sent avec la personne, je pense qu’on peut se sentir plus touché quand on discute bien avec la personne, quand on connaît sa vie. La personne que j’ai vue pendant 6 mois, ben c’est vrai qu’elle connaissait ma vie, enfin, une partie, je connaissais la sienne aussi , et c’est vrai que c’est difficile, quoi.

ESI : Et du coup, le fait que ce soit à domicile, et que les relations entre soignant et soigné sont quand

même assez différentes par rapport aux structures, tu penses que ça joue aussi ? Vous vous attachez plus peut-être, et du coup c’est plus compliqué ?

IDE C : Oui, je pense que c’est différent, après, je n’ai pas travaillé à l’hôpital, donc je ne pourrai pas trop

m’aventurer là-dessus, mais je pense qu’à domicile, comme je te disais, on est chez les gens, donc euh, c’est normal entre guillemets, que les gens connaissent notre vie, parce qu’on vient chez eux, on rentre dans leur intimité, donc euh, voilà… qu’ils connaissent un peu où tu habites, si tu as des enfants, si… euh… Alors qu’à l’hôpital, je pense que les patients ne se permettraient pas de savoir si l’infirmière a des enfants ou pas, quoi. Après je trouve que, oui, le fait d’être chez les patients, [silence] c’est comme tout à l’heure, je disais qu’on peut se cacher derrière l’infirmière, quand j’étais étudiant ; je pense que quand on est à l’hôpital, on peut se retrancher en tant que… on est dans le service, euh… voilà, on est dans le service, on a les locaux du bâtiment, alors qu’à domicile, ben on n’a pas… on n’a aucun repère comme quoi on est dans un établissement, quoi : on est au domicile des gens. Voilà. Donc je trouve que oui, il y a une différence quand même, euh, enfin j’ai ressenti une différence entre mes stages et le travail. J’ai quand même ressenti ça.

ESI : Et du coup, au départ, comment aurais-tu défini l’accompagnement des personnes en fin de vie

avant de commencer à travailler ? IDE C : Comment j’aurai défini ça ? [Silence] peut-être euh… [silence] euh par… Pour moi, enfin après il

y a eu des apports c’est sûr à l’IFSI, mais c’est vrai que quand on dit « soins palliatifs », c’est forcément une personne qui va décéder. Et euh, et j’avais un peu cette image-là, même si j’avais eu des cours à l’IFSI, qu’on nous avait dit ça plusieurs fois que non, non : ce n’est pas parce qu’on est en soins palliatifs qu’on va forcément décéder. Mais, je ne voulais pas… peut être que je n’étais pas assez mûr, peut-être que j’étais pas, je n’avais pas assez de recul, ou … Parce que quand quelque chose est ancré, c’est vrai, quand on a des représentations, on a du mal à – je pense au début – à reconnaître que nos représentations sont différentes de celles du terrain, et que ben, quand on confronte les deux, ben c’est vrai que ça fait un espèce de choc parce que… J’ai ressenti ça comme ça : de me dire, ben finalement, les représentations que j’ai ne sont pas tout à fait les mêmes parce que… oui, parce que ce n’est pas évident, parce que c’est des choses… enfin voilà, comment… ça dure longtemps les prises en charge, donc euh, c’est vrai que, les représentations de l’infirmière qui vient juste, euh, sur le moment s’occuper d’une

XV

personne c’est différent de nous qui voyons la personne sur 6 mois, sur un an, donc oui, mes représentations ont changé, de l’accompagnement en fin de vie.

ESI : Et du coup, sur les situations que tu m’as décrites tout à l’heure, sur les patients que vous avez

accompagnés en fin de vie, quand ils présentent des symptômes de souffrance globale (souffrance physique, psychologique, sociale, spirituelle), comment vous faites à domicile au quotidien pour gérer tout ça ?

IDE C : Alors, déjà pour, euh, pour… comment, pour tout ce qui est douleur, euh, nous on a, on a eu un

patient il y a 6 mois de ça peut-être, qui pareil, qui avait un cancer généralisé, et lui, on venait tous les jours, matin et soir pour lui administrer des ampoules d’Acupan®, euh… donc, on avait un rôle de surveillance de la douleur, et en cas de douleur… Il ne pouvait plus s’exprimer, donc on faisait avec le faciès, on faisait avec les gémissements, donc on appelait le médecin si ça n’allait vraiment pas… on a quand même, même si on se retrouve tout seul devant le patient, on a quand même le médecin derrière qui sait que son patient est en fin de vie, donc voilà, on peut toujours l’appeler, il n’y a aucun problème, même si le médecin nous appelle à 8 heures du soir… c’est… on a quand même… comment, une aide avec le médecin, je trouve, le médecin de famille. Ensuite, tu m’as dit, psychologique ? Au niveau psychologique, c’est beaucoup d’écoute, quitte à passer une heure de temps chez la personne : la prise en charge est différente, euh, parce qu’entre la personne chez qui on vient juste faire un soin et la personne qui est en fin de vie, on a quand même une écoute très attentive, parce que la personne a peut-être des choses à dire avant de décéder, ou des doutes, ou, voilà, il y a plein de choses… Voilà, il n’y a pas que lui, il y a aussi toute la famille autour, et euh… Et du coup, on fait une écoute très attentive, s’il y a besoin, on peut conseiller d’aller voir un psychologue, voilà, on peut quand même orienter vers d’autres professionnels, euh. Mais c’est vrai que quand on a une personne qui est en fin de vie, on sait très bien qu’on passera beaucoup plus de temps que chez… même si on ne fait pas d’actes techniques, si on ne fait rien, on sait très bien que la parole, la présence est importante, pour montrer qu’on n’est pas là que de passage, pour montrer qu’on a quand même un rôle d’écoute très important, même si c’est pour parler de la pluie ou du beau temps, si la personne a besoin d’évacuer, de s’exprimer… Voilà.

ESI : Et du coup, comment ça se passe la nuit, pour les patients qui sont vraiment en grande difficulté

ou en fin de vie ? IDE C : Alors, on a une astreinte, pour les personnes qui en ont besoin. Donc, on les met aussi bien

pour les perfusions et pour les personnes qui sont en fin de vie. Donc ils ont… on a un portable ici au centre qui nous renvoie sur le portable personnel la nuit. Donc on peut être joint à n’importe quelle heure. Donc on sait très bien que le soir, en quittant le travail à 8 heures, on peut être appelés jusqu’à 7 heures le lendemain matin. Moi ça m’est arrivé plusieurs fois : la personne qui me dit, ben voilà, l’appareil sonne, sauf que la personne ne connaît pas, elle n’a pas eu de formation sur l’appareil, donc on se déplace à minuit, une heure du matin, on va aller chez elle, et essayer de se débrouiller comme on peut. Voilà, mais c’est rassurant pour les patients, c’est une présence. Et même si on va chez les patients et qu’on ne fait rien, on appelle que le 15, au moins, ils sentent au moins qu’ils ont une assurance. Parce que nous, on a quand même plus l’habitude qu’eux d’appeler le 15 pour exprimer les choses, enfin voilà, pour exprimer la pathologie, pour montrer un petit peu les médicaments qu’on passe. Parce qu’une personne qui est en fin de vie, qui a un appareil qui sonne, paniquera, donc je pense que… et puis c’est plus rassurant de savoir qu’on peut avoir un professionnel chez soi, un visage connu dans ces moments là. Voilà.

XVI

ESI : Et du coup, quand vous avez à prendre en charge des patients en fin de vie, quels sentiments tu éprouves ? Est-ce différent de ce que tu peux éprouver pour des patients pour lesquels les traitements sont encore possibles ?

IDE C : Euh, [silence] je trouve, enfin je pense… j’ai beaucoup d’empathie pour tout le monde, mais je

pense que le fait d’avoir une personne en fin de vie, c’est… avoir encore plus d’empathie pour la personne, mais c’est vraiment de… de la comprendre, et essayer de… c’est comment…essayer de… de la réconforter, mais en restant quand même [silence] peut être ne pas trop lui montrer qu’on est juste professionnels, se mettre à sa portée, et discuter avec elle, euh… j’ai déjà vu des infirmières pleurer avec des personnes en fin de vie parce que voilà, elles en ont besoin, euh… quand [silence] quand on sait que la personne va partir, c’est vrai que nous on peut avoir une boule au ventre, parce que nous on se dit : peut-être que son mari va appeler cette nuit ?... on peut s’imaginer plein de choses. Donc je pense que oui, c’est beaucoup d’empathie, et parfois de la tristesse, et… puis… oui, je pense que c’est quelque chose, c’est important. Parce qu’on travaille quand même avec de l’humain, donc voilà.

ESI : Et du coup, est-ce qu’il t’est déjà arrivé de te retrouver en difficulté face à des patients en fin de

vie, et cela t’as-t-il affecté ? IDE C : Euh, alors oui, j’ai été en difficulté pour la première personne qui était en fin de vie. Euh, quand

j’ai commencé, comme je t’ai dit tout à l’heure, on s’est occupé d’une dame pendant plus de 6 mois, et oui, moi elle m’a particulièrement marqué cette dame-là, parce que je pense que c’est la première personne que je prenais personnellement en tant qu’infirmier en charge. Et puis, voilà, elle avait une alimentation, elle avait un pousse-seringue, elle avait des injections plusieurs fois par semaine, on passait beaucoup de temps… c’est une personne qui avait beaucoup de douleurs, euh, donc voilà, j’ai été en difficulté, parce que j’ai 24 ans, enfin maintenant 25, mais j’avais 24 ans, j’arrive chez la personne, je ne connais rien de sa vie, et elle, elle avait plus de 65 ans, elle me demandait d’être… d’avoir le même rapport professionnel qu’avec une personne qui a 30 ans d’expérience, donc je pense que l’âge ça m’a quand même mis en difficulté, parce que je ne connais rien entre guillemets de la vie. Euh, c’est pas facile de savoir trouver les mots pour essayer de réconforter une personne quand on n’a eu que des apports théoriques à l’école d’infirmier et que, voilà, on tombe de haut : moi c’est vraiment l’impression que j’ai eue, et oui, c’est vraiment la personne qui m’a vraiment mis le plus en difficulté. Mais après, j’ai repensé à cette situation : cette personne-là a marqué l’esprit d’infirmières ici : donc on en a discuté entre nous…

ESI : [Coupure de parole] Vous avez pu échanger sur la situation ? IDE C : C’est ça, parce que, euh, garder pour soi, ce n’est pas bon. Parce qu’il y a de quoi se rendre

malade si on garde tout pour nous… Euh, quitte à rester une demi heure entre nous à exprimer…

ESI : Vous arrivez à trouver des moments et des méthodes pour évacuer un peu les situations

difficiles ? IDE C : C’est ça. Après, moi ce que je trouve juste dommage, c’est qu’ici, on n’aie pas

d’accompagnement psychologique, qu’on n’ait pas de psychologue qui vienne, parce que quand même, il y a quand même des situations traumatisantes, euh, des situations de fin de vie, et il suffit d’avoir soi-même quelqu’un de malade dans sa famille pour faire une projection, pour

XVII

s’identifier entre guillemets, quand on voit les enfants ou les petits enfants, donc c’est vrai que c’est pas… c’est pas évident. C’est vrai que c’est dommage, il manque quelqu’un.

ESI : Il n’y a pas de groupes de paroles, de choses organisées par la structure? IDE C : Non, nous on fait entre nous, on a demandé à la directrice de pouvoir voir quelqu’un, voilà…

Parce que c’est pas, on n’est pas psychologues, on ne sait pas comment aborder les choses, trouver les mots, réconforter les uns et les autres.

ESI : Et du coup, vous arrivez à vous ressourcer tous personnellement, trouver des astuces : du sport,

ce genre de choses ? IDE C : C’est ça, alors c’est, euh, moi personnellement, j’aime beaucoup tout ce qui est sciences, donc

c’est vrai que quand… Comment dire ? Pour m’évader, entre guillemets, c’est vrai que, quitte à, mettons, entre les patients, pour me vider la tête, je vais sur internet regarder des trucs de science, ça me fait vraiment du bien, ça me permet de me vider la tête, parce que c’est mon échappatoire. Après comme sport, j’en fait pas vraiment ; j’en ai fait mais j’en fait plus beaucoup, mais c’est vrai que c’est… un bon moyen de se défouler parce que, quand on sort du sport, après deux heures de sport on est fatigué, et on est bien content… voilà, ça permet de nous calmer, de nous canaliser. Mais c’est vrai qu’il faudrait que je refasse du sport parce que ça fait quand même du bien. Et puis après, les ressources, il y a l’équipe : ça c’est quand même une sacrée ressource : entre nous, de pouvoir exprimer nos difficultés. Et ce que j’apprécie beaucoup dans cette équipe, c’est qu’on n’est pas dans le jugement : je pense qu’il y a des équipes où, certains collègues pourraient ne pas comprendre les difficultés de l’autre. Mais ici, on arrive à tous s’exprimer, on a tous notre place ici, et si on voit une collègue qui se met à pleurer, on viendra vers elle, et puis on l’écoutera : c’est vrai que c’est bien. Donc c’est vrai que c’est une bonne ressource, l’équipe

ESI : Voilà, j’ai fait le tour de mon questionnaire. Merci beaucoup pour tes réponses.

XVIII

Annexe V : Grille d’analyse des entretiens

Questions Objectif de la question Réponses IDE A

(Unité de Soins Palliatifs)

Réponses IDE B (Service avec Lits Identifiés Soins

Palliatifs)

3 lits identifiés soins palliatifs sur les 36 lits de l’unité, mais au quotidien, prise en charge de plus de 3 patients en soins palliatifs

Réponses IDE C (Centre de soins)

- Suivent régulièrement quelques patients

en soins palliatifs - N’a jamais travaillé à l’hôpital donc ne peut

comparer les deux pratiques, mais à domicile, trouve normal que les patients connaissent une partie de la vie des soignants (où ils habitent, s’ils ont des enfants, …) parce que les soignants rentrent dans l’intimité des patients..

Quel âge avez-vous ?

Depuis combien de

temps êtes-vous

diplômé(e) ?

Evaluer si l’ancienneté et

l’expérience facilitent la prise

en soins des personnes en

fin de vie.

o Femme. o 58 ans. o Diplômée en 1979. o Expériences professionnelles : urgences,

médecine, chirurgie, pédiatrie, pneumologie, oncologie, cardiologie, néphrologie.

o Formation complémentaire : DU de soins palliatifs en 2008.

o Femme. o 30 ans. o Diplômée depuis 2008. o Expériences professionnelles : différents

services (pool) et long séjour. o Formation complémentaire : formation

soins palliatifs, et projet de faire un DU de soins palliatifs.

o Homme. o 25 ans. o Diplômé depuis 2014. o Première expérience professionnelle.

Depuis combien de

temps exercez-vous

dans ce service ?

Etait-ce un choix de

votre part d’y

exercer ?

Evaluer si le fait d’être

volontaire pour travailler

dans ce type de service a un

effet « facilitateur » sur la

prise en soins des personnes

en fin de vie ; avoir une idée

o Exerce dans le service depuis 2008 (choix de sa part, et comme elle avait un DU de soins palliatifs, elle était un atout pour l’hôpital car nécessité d’avoir une IDE ayant un DU pour ouvrir l’unité).

o A exercé en médecine où elle a été confrontée à des fins de vie difficiles.

o Est alors partie en EHPAD car elle pensait

o Avait exercé en pneumo quelques temps lorsqu’elle était dans le pool, puis est revenue il y a 3-4 ans (choix de sa part).

o Exerce au centre de soins depuis juillet 2014, date de son diplôme (choix de sa part).

o Préfère l’univers du domicile par rapport à l’hôpital car il trouve qu’on y sent moins la hiérarchie, et apprécie être dehors, respirer, voir autre chose.

XIX

sur les connaissances des

soignants liées aux soins

palliatifs avant leur entrée

dans le service et l’évolution

qu’ils ont pu avoir depuis.

(Questions concernant la

partie A).

que la fin de vie y est plus « logique » : mais a réalisé que ce n’était pas le cas.

o N’avait pas de formation spécifique sur les soins palliatifs avant 2008, et souhaitait avoir des outils en soins palliatifs pour faire face aux fins de vie.

Que saviez-vous des

soins palliatifs avant

d’entrer dans le

service ?

Existe-t-il des

différences entre vos

représentations

initiales et celles que

vous avez

aujourd’hui ?

o Est passée par beaucoup d’étapes dans sa carrière : a posé des cocktails lytiques, ce qu’elle a trouvé très difficile.

o A évolué au cours de sa carrière : quand elle était jeune, ne se posait pas forcément la question : pourquoi je le fais ? Par la suite, s’est posée les questions du savoir, du bienfait des différentes pratiques, a été en perpétuel questionnement, et a été obligée de trouver des réponses.

o Trouve réducteur de laisser le terme soins palliatifs à une seule unité car estime qu’ils sont faits dans tous les services.

o Sa formation a été surtout utile pour elle pour mettre des mots sur des sensations, de l’inconfort qu’elle avait quand elle travaillait, suivant les situations.

o Connaissait ce qu’elle avait appris à l’école.

o Avait tendance à assimiler les soins palliatifs et la fin de vie.

o S’est rendue compte que les accompagnements de personnes en soins palliatifs peut se faire sur du long terme.

o Avait eu une petite approche des soins palliatifs avant l’IFSI car a un BEP et un BAC PRO aide à la personne, et a pris en charge des patients en fin de vie lors de ses stages à l’IFSI.

o Ne connaissait des soins palliatifs que les apports théoriques des cours de l’IFSI : en stage, avait tendance à « se cacher » derrière l’infirmière parce que ça l’arrangeait et qu’il ne se sentait pas forcément prêt à affronter ces situations à 22-23 ans.

o Changement des représentations lorsqu’il a commencé à travailler car a dû prendre sur lui pour prendre en charge seul des patients en fin de vie : n’a pas eu le choix.

o S’est centré beaucoup plus sur la personne, et a fait en quelque sorte abstraction de la maladie pour pouvoir faire les soins. A trouvé cela difficile.

Avant d’entrer dans ce

service, comment

auriez-vous défini la

prise en soins et

Evaluer s’il existe une

différence entre les

représentations initiales des

soignants et ce qu’ils vivent

- Trouve qu’aujourd’hui, on est moins centré sur l’humain : dans certains services, on parle d’abord de la pathologie avant de parler du patient, ce qui n’est pas le cas en soins palliatifs où la personne est au

- Avant de débuter, pensait que les soins palliatifs, c’était forcément la fin de vie, mais s’est rendue compte que c’était beaucoup plus vaste.

- S’est rendue compte que les patients

- Assimilait soins palliatifs et fin de vie avant de commencer à travailler, même s’il avait eu des apports théoriques à l’IFSI qui lui démontraient le contraire.

- Pense qu’il n’était pas assez mûr ou qu’il

XX

l’accompagnement

des personnes en fin

de vie ?

Existe-t-il une

différence entre les

représentations que

vous aviez

initialement et la

réalité des services ?

Si oui, cela vous

affecte-t-il ?

au quotidien, et si cela les

affecte si leurs

représentations ne sont pas

en adéquation avec leurs

pratiques. (Questions

concernant les parties B1,

B3 et B4)

centre de la prise en charge, en tenant compte bien sûr de sa pathologie, de sa famille, …

- Pense qu’on ne vient pas travailler en soins palliatifs par hasard : elle a évolué en âge, et sa vie personnelle a joué sur son parcours professionnel.

- Evolution au niveau législatif (loi Léonetti : personnes de confiance, directives anticipées, …).

- Pense que les personnes sont aussi plus informées et sensibilisées.

- Pense qu’en général, les médecins sont plus à l’écoute des patients, sauf certains qui vont aller dans la technique, mais c’est une manière pour eux de se défendre contre la fin de vie.

peuvent être en soins palliatifs pendant des années, et qu’ils pouvaient bénéficier de traitements à visée palliative (chimio palliative, …).

- Pensait que les soins palliatifs correspondaient à l’arrêt des traitements et à un accompagnement de la fin de vie.

n’avait pas assez de recul : a eu du mal à reconnaître que ses représentations initiales sur ce sujet étaient différentes de celles du terrain. A ressenti une sorte de choc lorsqu’il a confronté les deux.

- Changement des représentations également par le fait que les accompagnements se font sur de longues durées, et qu’ils voient les patients au quotidien.

Comment

accompagnez-vous au

quotidien les patients

en fin de vie

présentant des

symptômes de

souffrance globale ?

Evaluer la spécificité de

l’accompagnement des

personnes en fin de vie.

(Questions concernant les

parties B2, B3 et B4)

- Souffrance physique : généralement, arrivent à la traiter (morphiniques, Kétamine®).

- Souffrance psychique : Midazolam®. - Souffrance globale : essaient de trouver la

juste dose entre les médicaments pour que le patient soit au mieux soulagé. Parfois, n’y arrivent pas, mais ne le vivent pas comme un échec car certains patients ne se sentent pas en vie s’ils n’ont pas un fond douloureux.

- Sont dans un accompagnement de vie, accompagnement de la personne jusqu’à ses derniers jours.

- Le terme mourant n’existe pas pour elle :

- Suite à des remaniements de services, n’ont plus de staffs de soins palliatifs, donc difficulté pour elle.

- Dans le service, un pneumologue est spécialisé au niveau oncologie, donc c’est un interlocuteur privilégié pour l’équipe.

- Les patients sont « étiquetés » soins palliatifs, sont isolés en chambre seule.

- Il existe aussi, outre la prise en charge du patient, celle de sa famille (lits accompagnants, horaires de visites plus souples).

- Travaillent en réseau avec la psychologue du service qui intervient auprès des patients s’ils le souhaitent.

- Pour la gestion de la douleur physique, peuvent être amenés à faire 2 passages par jour chez la personne pour administration de traitements et évaluation de la douleur (faciès, EVA, …).

- Même s’ils sont seuls devant le patient, savent que le médecin traitant est là, donc peuvent l’appeler.

- Au niveau psychologique, ça passe par beaucoup d’écoute : la prise en charge est différente entre les patients chez qui ils vont faire un soin et ceux en fin de vie.

- Ils passent plus de temps chez les personnes en fin de vie, ont une écoute très attentive parce que la personne a

XXI

cette phase n’existe pas : soit on est vivant, soit on est mort.

- Utilisent des huiles essentielles, la musicothérapie, le toucher bien-être.

- Pense que ces moyens sont utilisés car ont une plus grande ouverture d’esprit que quand elle était dans d’autres services.

- Sont plus attentifs à certaines thérapies qui sont efficaces, plutôt que d’apporter systématiquement des réponses médicamenteuses.

- L’écoute du patient est au cœur de la prise en charge, et elle se sent sereine de ce point de vue-là.

- Quand l’équipe est en difficulté, ils font intervenir l’équipe mobile de soins palliatifs (par exemple, quand ils ont fait tout ce qu’ils pensaient être le mieux au niveau médical, paramédical, et que la personne est toujours en souffrance ; lorsqu’ils ont des questions éthiques : mise en place d’une alimentation ? ; pour évaluer la faisabilité du retour à domicile avec l’HAD).

- N’ont pas plus de personnel, mais essaient de prendre plus de temps avec les patients : proposent des soins de confort, des massages, adaptent la toilette en fonction de l’état et des souhaits du patient.

- Sont beaucoup dans l’écoute, la présence, et intègrent la famille dans la prise en charge.

- Favorisent au maximum le bien-être du patient, encouragent les familles à apporter de la nourriture plaisir au patient.

peut-être besoin de s’exprimer, a des choses à dire, des doutes, …

- Peuvent orienter vers des psychologues s’ils sentent que le patient est en difficulté.

- Importance de l’écoute, de la présence, de montrer aux patients qu’ils ne sont pas que de passage, mais qu’ils ont également un rôle d’écoute très important lorsque la personne a besoin de s’exprimer, d’évacuer.

- La nuit, ont des astreintes pour les personnes qui en ont besoin (personnes en fin de vie, surveillance de perfusion). Peuvent être appelés directement par les patients : se déplacent au domicile pour évaluer la situation et appeler le 15 si besoin. Rassurant pour les patients d’avoir un professionnel joignable, et un visage connu dans les moments où ça ne va pas.

Quels sentiments

éprouvez-vous le plus

souvent lorsque vous

prenez en soins des

personnes en fin de

vie ?

Est-ce différent de ce

que vous pouvez

ressentir face à des

Identifier les émotions ou

sentiments prédominants

des soignants dans

l’accompagnement des

personnes en fin de vie.

(Questions concernant la

partie C1)

- Elle ne pense pas au fait que les patients sont en fin de vie.

- Pour elle, ce sont des patients comme les autres avec une approche qui est différente, ils travaillent d’une autre manière : elle sait qu’ils ont une pathologie, mais ne se dit pas « ils sont en fin de vie ».

- Essaie de mettre le fait qu’ils sont en fin de vie de côté : non pas de l’occulter, mais pour elle, ils ont une maladie chronique,

- Pense ne pas faire de différence entre les patients en hospitalisation classique et les patients hospitalisés en LISP.

- Le sentiment qui prédomine, c’est la frustration quand la charge en soins est importante, et qu’elle n’a pas pu apporter le temps qu’elle avait envie aux patients car ils ont souvent besoin de plus de présence.

- A parfois le sentiment de ne pas avoir pu aller jusqu’au bout de ce qu’elle aurait

- A de l’empathie pour tout le monde, mais en a encore plus lorsque la personne est en fin de vie, essaie de la comprendre, de la réconforter.

- Pour lui, c’est ne pas trop montrer aux patients en fin de vie qu’ils sont juste des professionnels, c’est se mettre à leur portée, discuter avec eux. A déjà vu certaines de ses collègues pleurer avec des personnes en fin de vie.

- A souvent eu une boule au ventre en se

XXII

patients pour lesquels

des soins curatifs

sont encore

possibles ?

comme d’autres maladies, et ils vivent avec.

- Sait que la quantité de vie est limitée, mais essaie de faire en sorte que la qualité soit la même.

aimé faire pour les patients. - Au niveau prise en charge, à part le temps

de présence et le fait que les patients en soins palliatifs peuvent être suivis sur de longues période (moyen cours voire long cours), pas de grosse différence par rapport aux patients en hospitalisation classique.

- La relation est, suivant les patients, différente car ils ont le temps de rencontrer la famille (enfants, petits-enfants le cas échéant) : la famille est plus intégrée dans la prise en charge des patients en LISP.

demandant si le mari d’une patiente en fin de vie allait l’appeler la nuit lorsqu’il était d’astreinte.

- Ressent de l’empathie, et parfois de la tristesse, étant donné qu’il travaille avec de l’humain.

Vous arrive-t-il de

vous retrouver en

difficulté face à des

patients en fin de vie ?

Si oui, cela vous

affecte-t-il au

quotidien ?

Identifier les mécanismes de

défense mis en place par les

soignants, et les éléments

facilitateurs à la prise en

soins des patients en fin de

vie (moyens matériels,

humains, personnels ou

institutionnels). (Questions

concernant les parties C2 et

C3).

- N’était pas satisfaite des accompagnements qu’elle a pu faire en service de médecine car pour elle, ils étaient souvent presque dans l’acharnement thérapeutique avec des perfusion, des alimentations, … Elle considère qu’ils allaient au bout sans voir le reste. A quitté ce service car elle n’était plus en phase avec elle-même. Pensait qu’ils passaient à côté de quelque chose en répondant par des médicaments, des perfusions, de l’alimentation artificielle, et n’étaient pas assez à l’écoute du patient, de sa famille.

- Quand a passé son entretien pour entrer dans l’unité, pensait que la prise en charge de patient jeunes serait la plus difficile : au final, c’est la prise en charge de patientes du même âge qu’elle qui est le plus difficile

- A été confrontée à des situations difficiles car a suivi des patients pendant des mois, voire des années, donc avait noué une relation plus forte avec eux.

- Sentiment de frustration de n’avoir pas pu faire son travail comme elle l’aurait voulu par manque de temps.

- Pour elle, difficulté de prendre en charge des patients jeunes, avec des enfants jeunes (idem pour ses collègues car équipe jeune).

- Identification aux patients jeunes. - Difficultés rencontrées avec le cas d’un

Monsieur, jeune, marié à une Philippine : difficultés de communication en plus de son jeune âge.

- S’est senti touché dans des situations où il avait beaucoup d’échanges avec les patients, quand il connaissait une partie de la vie de ses patients et vice-versa.

- S’est senti en difficulté face à une patiente en fin de vie car c’était la première patiente qu’il prenait personnellement en charge en tant qu’infirmier.

- Passait beaucoup de temps auprès de cette personne (alimentation, PSE, injections, …) qui était également très douloureuse.

- Difficulté par rapport à son âge : avait 24 ans et s’occupait de cette personne de plus de 65 ans qui lui demandait d’être le même professionnel qu’une personne qui a 30 ans d’expérience.

- Mis en difficulté par rapport à son âge car estime « ne rien connaître de la vie ».

XXIII

pour elle (interface, similitudes). - Trouve également dur de s’occuper de

jeunes mamans. - A été marquée par une phrase d’une

cinéaste qu’elle a entendue à une conférence à Paris, et qui disait de son fils, décédé à l’âge de 5 ans : « Il a été jusqu’au bout de sa vie ».

- Une situation l’a particulièrement marquée : elle était peut-être plus fatiguée, plus fragile, et s’occupait d’une femme de son âge : elle a eu l’effet miroir, et a du prendre énormément de recul par rapport à cette situation.

- Se rappelle de noms de certains patients qui l’ont particulièrement marquée, émue, touchée, même plusieurs années après.

- Difficulté de trouver les mots pour réconforter les personnes car n’avait eu que des apports théoriques à l’IFSI : est tombé de haut.

- Dit qu’il suffit d’avoir soi-même quelqu’un de malade dans sa famille pour faire une projection, pour s’identifier aux enfants ou petits-enfants de la personne.

Que faites-vous pour

vous ressourcer

lorsque vous vous

sentez en difficulté ?

Est-ce une initiative

personnelle ou des

moyens mis en place

par l’établissement ?

Cela est-il efficace,

selon vous ?

Evaluer les moyens mis en

œuvre par les soignants pour

remédier à des situations de

souffrance. (Questions

concernant la partie C4).

- A un moment, était le nez dans le guidon dans le service, et ça n’allait pas : du coup, elle fait de la gym intensive, 2 heures par semaine, de la méditation et du shiatsu (qui l’aide à lever toutes ses tensions).

- Pour elle, nécessité d’avoir des activités à l’extérieur.

- Les groupes de paroles se sont terminés en juin 2014 car le psychologue était arrivé au bout de l’accompagnement de l’équipe : il n’y en n’a pas eu en 2015, et ça s’est ressenti. Ca va reprendre en 2016 (obligation pour les USP), et cela permet de soulager l’équipe.

- Importance de l’équipe car ont toutes un

- Importance de l’équipe : échangent beaucoup, même s’il n’y a plus de staffs, échangent au moment des visites, des transmissions.

- Sentent que les médecins sont aussi à leur écoute.

- Peuvent faire appel à l’équipe mobile de soins palliatifs, à la psychologue.

- Peuvent participer à des ateliers d’échanges organisés par la psychologue du pôle médecine-oncologie (les professionnels partent d’une situation vécue pour échanger ensemble sur les difficultés rencontrées).

- Importance pour elle de la satisfaction de

- Discussions dans l’équipe : il y a de quoi se rendre malade si on garde tout pour soi.

- L’équipe est pour lui une ressource importante car cela lui permet d’exprimer ses difficultés. Apprécie le fait que ses collègues ne soient pas dans le jugement : arrivent tous à s’exprimer, ont tous leur place dans la structure.

- Regrette qu’il n’y ait pas d’accompagnement psychologique des soignants du centre, car vivent des situations traumatisantes.

- Ont fait des demandes pour pouvoir voir un psychologues : ne sont pas psychologues, ne savent pas forcément

XXIV

interlocuteur privilégié avec lequel elles peuvent discuter quand a ne va pas ; peuvent se confier et sont à l’écoute les unes des autres. Les médecins sont aussi à leur écoute.

se dire qu’elle a été au bout de la prise en charge, satisfaction lorsque la fin de vie se passe calmement, dans les meilleures conditions possibles, lorsque tout le monde a pu s’y préparer.

- Est rarement tracassée par des situations professionnelles lorsqu’elle rentre chez elle, arrive à faire la part des choses en échangeant avec ses collègues.

- Pour elle, importance également de la famille, des enfants, des copines, …

comment aborder les choses, trouver les mots, se réconforter les uns les autres.

- Entre deux patients, quand a besoin de se vider la tête, va sur internet regarder des sites sur les sciences : c’est son échappatoire.

GOUGAY Cécile

Title: Palliative Care and Nursing Posture – Support of the Patient and Management of the Health Care Providers’ Feelings.

Supporting patients at end of life takes a more and more important place in the nursing role. This is due to the progress of medicine, to the evolution of palliative care legislation and to better information acquired by the general public. This research initiation work is focused on the support of patients at end of life in palliative care units and on the way health care providers can manage their feelings. It aims to determine whether nurses who are often confronted with the support of patients at end of life were moved by these situations and in that case to highlight the methods they established to face them. This work was made from a particularly significant situation lived through during a training period. This starting point permitted the establishment of a conceptual framework developing palliative care, support of the patients and the way health care providers can be affected when they take care of patients at end of their life. Then, interviews were held with three professional nurses, and analysed to compare the theory and the reality of the wards. This work shows that, whatever experience and complementary learning of nurses, they all faced difficulties in their career when they took care of a patient at end of life. They also had to work on themselves to identify their defence mechanisms, step back with situations, and finally find some methods – personal or institutional – to avoid being overwhelmed by their own feelings. This study emphasizes the fact that supporting a patient at end of life affects health care providers. Consequently, they need to know their own limits to avoid an important implication which could lead to a burn-out.

Key words : Defence Mechanisms, Feelings, Palliative Care, Support.

Titre: Soins palliatifs et posture infirmière - Accompagnement du patient et gestion des émotions du soignant.

Les situations d’accompagnement de patients en fin de vie prennent une place de plus en plus importante dans le rôle infirmier du fait des progrès réalisés dans le domaine médical, de l’évolution de la législation relative aux soins palliatifs et d’une meilleure information du grand public. Ce travail d’initiation à la recherche est axé sur l’accompagnement du patient en phase terminale des soins palliatifs et la gestion des émotions du soignant. Son objectif est de déterminer si les infirmiers confrontés régulièrement à des accompagnements de fin de vie sont touchés par ces situations et si tel est le cas, de mettre en lumière les moyens qu’ils mettent en oeuvre pour y faire face. Ce mémoire a été mené à partir d’une situation particulièrement marquante vécue lors d’un stage. Ce point de départ a permis l’élaboration d’un cadre conceptuel développant la notion de soins palliatifs, d’accompagnement et des émotions éprouvées par les soignants dans le cadre de la prise en soins de patients en phase terminale des soins palliatifs. Des entretiens ont ensuite été menés auprès de trois professionnels, puis analysés de manière à confronter le cadre théorique à la réalité des services. Il découle de ce travail de recherche que, quelles que soient l’expérience ou la formation complémentaire des soignants, ils se sont tous retrouvés en difficultés à un moment donné de leur carrière face à la prise en soins d’un patient en fin de vie. Il leur a alors été nécessaire de faire un travail sur eux-mêmes pour identifier leurs mécanismes de défense, prendre du recul par rapport à la situation, et enfin, trouver des moyens – personnels ou institutionnels – pour éviter de se laisser submerger par leurs émotions. Cette étude montre bien à quel point l’accompagnement des patients en phase terminale des soins palliatifs a une incidence sur les soignants : il leur faut par conséquent connaître leurs limites pour éviter une implication trop forte pouvant conduire à un burn-out.

Mots clés : Accompagnement, Emotions, Mécanismes de défense, Soins Palliatifs.

INSTITUT DE FORMATION EN SOINS INFIRMIERS QUIMPER-CORNOUAILLE 1 rue Etienne Gourmelen – BP 170

29107 QUIMPER CEDEX TRAVAIL ECRIT DE FIN D’ETUDES – Année 2015-2016