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Sommaire · 2020-03-15 · La société que décrit Boy est une société tribale, où les mœurs ont considérablement évolué et où les campagnes, comme dans nos sociétés européennes,

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Sommaire1 - Boy, bienvenue aux antipodes ! page 3 - Le côté obscur de la force -Unfilmdécaléethorsnorme

2 - “Welcome to my interesting world” page 6 - Sous le bon augure de Steven Spielberg - Une carte postale de la Nouvelle-Zélande ?

3 - Au pays de l’enfance page 9 (Une esthétique du burlesque) -Autoportraitentroismouvements - La relation fraternelle -L’illusioncomique

4 - De l’autre côté du miroir : papa page 13 - Papa Star - Papa Loup - Papa Hulk - Ode à la différence

5 - La fin de l’enfance ? page 16 (transmission, agression, transgression) -Unefableinitiatique -Ducourtaulong:lefilmdanslefilm -Chamanismeducinéma

6 - J’ai rêvé d’un autre monde page page 18 -Voixintérieures,images

7 - Autour du film page page 19 - Les Maoris un peuple indigène -Leréalisateur,lefilm -Nouvelle-Zélande,terredecinéma

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Bienvenue aux antipodes ! A / Le côté obscur de la forceUn jeune garçon -Alamein - qu’on surnomme “Boy” vit avec son petitfrère-Rocky-etsescousins.Toussonthébergéspar leurgrand-mère.Lesenfantshabitent lacôteEstde laNouvelle-Zélande,dans larégionde Te Whānau-ā-Apanui,dansunecommunautémaorie,oùiln’yapasdetravail.LefrèredeBoyparletrèspeu.Samèreestmortelorsdesonaccouchementet ilpenseêtreresponsabledecettemort.Depuis, ilcroitêtredouédesuperspouvoirsnéfastes.LepèredeBoyestabsent.Boy,quiattendsonretour,pensequ’ilestungrandaventurier.Sansargent,Boynepeutpasacheterdeglaceàl’épicerieduvillage,unmagasinpourtanttenuparsatante.Un jour, la grand-mère part à un enterrement, et il revient à Boy des’occuperdesonfrèreetdesesnombreuxcousins.A l’école,Boyestassisaufondde lasalle. IldésiresefaireremarquerparChardonnay, laplusbellefillede laclasse,maiscelle-cinedaignemêmepasleregarder.Ilsebagarrependantlecoursetréussitseulementà se fait punir.Selon sonprofesseur, il a des potentialités commesonpère,encorefaudrait-illesexploiter!MaisBoypréfères’entraîneràimiterMichaelJackson,sonhéros.Boy a beaucoup d’amis parmi lesquels une fille -Dynasty - qui, on lecomprendvite,estattachéeàlui.Maisluines’enrendpascompte.Aprèsl’école,cettedernièreramassedelamarijuanadansunchampdemaïspourlecomptede…sonpère.Unjour,lepèredeBoysurgitdunéant,accompagnédedeuxamis.Lestrois hommes, accoutrés comme desHells Angels, ont des allures de voyous.Unmystère lesentoure.Sortent-ils deprison? Ils profitent del’absencedelagrand-mèredeBoypours’installerdanslehangardelamaison.

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Boy est en admiration devant son père qu’il voit comme un héros delégendeetcedernierprofitedecetétatdegrâce:ildemandeàsonfilsdecreuserdestrousdansunchamp.Carsi lepèreestrevenudanslamaisonfamilialecen’estnipours’occuperdesesenfants,nipourallerserecueillirsurlatombedesonépouse,maispourdéterrerunesommed’argent qu’il a cachéedesannéesplus tôt.Enattendant de retrouverle trésor, il traite son fils commeunesclave et s’occupemal de lui : illuidonnede labière, legifledevant toussesamismais rienn’entamel’admirationdeBoy.Enfinil luidemandedenepasl’appelerpapamais“shogun”commelesseigneursdeguerrejaponais.

Un jourBoy finit par tomber sur l’argent en creusant et le cache dansl’enclosdeLeaf,unechèvre,sonanimalconfident,quinetarderapasàbrouter et dévorer tous les billets ! Unsoir,lepèredeBoyécraseLeafmalencontreusement.LepèredeBoysefâcheavecsesamis,ceux-cilequittentaprèsluiavoirtapédessusetaprèsluiavoirvolésavoitureetseskilosdemarijuana.Boyboitdel’alcool,fumedelamarijuana,etselaissetomberàlarenversed’unpont.

Les deux fins ?Lesynopsis,s’ils’arrêtaitlà,seraitceluid’undrame.Pauvreté,exclusion,mèredisparue,pèreimmatureetirresponsable,drogueetengrenagedelaviolence,bref lemalheursous toutesses formesqui rythme lesviesdeBoy et deRocky, son petit frère. Le personnage du père accentueledramed’unecouleurassurémenttragiquemais,onleverraplustard,égalementcomique.Blessé,imitantsonpèredanssesexcès,sauvéparunvagabond,Boyéchappeàlamort.Pour ce film le réalisateur TaikaWaititi a tourné deux fins : il a hésitéjusqu’auboutentrel’uneetl’autre.Danslafinalternative,aujourd’huicoupée,lesdeuxfrèresseretrouventseuls : orphelins de mère, abandonnés par leur père, ayant sur leursépaulesbeaucoup(trop)deresponsabilités.Dans lafinquenousconnaissons,Boyetson frère,sedirigentvers lecimetière.Ilspensentqueleurpèreestpartimaisàleurgrandesurprise,ilsvontleretrouverauprèsdelatombeoùestenterréeleurmère.Cechoixd’unfinal réconcilié,avec l’imaged’unefamilleréunie,permetd’affirmerquemalgrésoncôtésombre,celongmétragedeTaikaWaititipencheplutôtducôtédelacomédie.Laviel’emporte.

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Séquence de fin coupée

Séquence de fin de Boy

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B / Un film décalé, hors normeLe genre du filmPeut-ondiredecefilmquec’estundrameouunecomédie?C’estunfilmsurdesenfantsmaisest-cevraimentunfilmpourenfants?Aquelgenrepeut-onlerattacher?Seposerlaquestiondugenreàproposd’unfilmdecinéman’estpasanodin.Loindenouslavolontédeclasserunfilmdansune catégorie, de lui adjoindre une étiquette fixe ou définitive, bien aucontraire.S’interrogersurlegenreouvrebiensouventdesportes,surtoutlorsqu’onabordeuneœuvreaussi inclassablequeBoydeTaikaWaititi.Ladifficultéà identifier legenredecefilmestassezrévélatricedesonoriginalité.Comédie,sansaucundoute.Drame,aussi.Filmfantastiqueetonirique,parmoments.Réalisteetvécu,àd’autres.Filmpourenfantquin’éludepaslaviolenceetlacruautédumondedel’enfance,Boyéchappeàtouteslestentativesd’étiquetage,ilsejouedescatégories,lestraversetoutes avec une grande liberté. Multifacettes, Boy est avant tout une œuvredécalée.Cemotrecouvredesconnotationsdifférentes,évoquanttantôtcellede l’originalité, tantôt le faitd’être “àcôté”et “désaxé”.Dessignifications que ce film qui nous vient du bout du monde, avec sesprotagonistesmarginaux, réunit et réarticule à samanière.Avec lui, leréalisateurTaikaWaititi s’empared’images (de laNouvelle-Zélande,del’identitémaori,delafiguredupère)etnecessed’yappliquerdescalqueset des effets, de les tordre et de les retourner pour les révéler sous un autre jour, faisant du décalage, du décentrage, un principe créatif, car enéchappantàungenrestrictementdéfini,Boyinterrogelecliché,cetteimagefixe,ultranorméeetnormativedelafamille,etc.Drame psychologique ? Comédie exotique ?Interrogezlesspectateurs,demandez-leursiBoyest,seloneux,undrameouunecomédie,vousn’obtiendrezaucuneréponseunanime.Commentraconter Boy?Dequelcôtésesituer?Sil’onfaitdéfilerlesynopsis,labarquesemblechargée.Nousassistonsàdramed’uneprofondenoirceurécritsousl’influencedirected’Oliver TwistdeCharlesDickens.Maissil’onobservelespersonnages,lescouleurs,letondufilm,ilbasculeducôtédel’humouretdelacomédie.Un film à hauteur d’enfant : la morale de l’histoireCe film oscillant entre tragédie sociale et farce joyeuse esquisse unemoraledevie, insuffleunespoiretsembledireauspectateurqu’il fautapprendreàfaireavecsondestin.Apprendreàfaireaveclesautres(nepasjugerhâtivement)etavecsoi.C’estunfilmsurladifférence:surlaviedansunmilieusocialmarginal,surdesadultesexcessifsetirresponsables(laseulefigured’unadulte“stable”estcelledelagrand-mère).Boy est avanttoutunfilmsur,autourde,etavecl’enfance,unâgeàpart,oùl’onnecessed’êtrechaquejoursoumisauxépreuvesdutemps,audeveniretàladifférence.

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“Welcome to my interesting world”A / Sous le bon augure de Steven SpielbergAvantquelefilmnecommence,ondécouvreuncarton,citantdemanièrefragmentaireundialogue issudeE.T. l’extra-terrestre (1982), lefilmdeStevenSpielberg(image1).Cecisurprend:mêmesiaujourd’huilesfilmsdeStevenSpielbergsontaujourd’hui réévaluéssur leplancritique– laCinémathèque française a renduhommageau cinéaste américain, “unmonument de l’histoire du cinéma”, en décembre 2012 – sesœuvresont longtemps été (et le sont encore souvent) considérées comme lessymbolesd’uncinémadel’entertainment(desfilmspourdistraire,amuseroufairefrémir,passérieux).CiterSpielberg-saufdansunelogiquedefilmdegenrecommePiranha…-estpeuordinaireetannoncequelquechosedeléger.PourTaikaWaititi,ledémiurgeStevenSpielbergcinéastedu romanesque et de l’émotion et surtout de l’enfance, est donc uneréférence importante. Sans doute pour le réalisateur Taika Waititi, quia fait ses premiers pas sur les planches, un spectacle et/ou un film,doiventavanttoutémouvoir,divertiretfédérerunlargepublic.Lamission,d’ailleurs,aétéaccompliepourBoypuisquelefilmaeuunénormesuccèsenNouvelleZélande.E.T. l’extra-terrestreseraévoquédeuxfoisaucoursdufilm.Parailleurs,peut-êtreest-ceunhasard,maislescinéphilesetafficionadosremarquerontquelavoituredupèredeBoy(unePlymouthValiant)estdumêmemodèlequeceluiconduitparlehérosdeDuel,lepremierlongmétrage(produitpourlatélévision)deSpielberg.

Lacitationelle-même(l’originale,pluslongueétant“Youcouldbehappyhere,Icouldtakecareofyou.Iwouldn’tletanybodyhurtyou.Wecouldgrowuptogether”)interpelle.Voicicequ’elledit:“tupourraisêtreheureuxici(…)Onpourraitgrandirensemble”.Cettephrase,prononcéeparElliot,lepetitgarçondedixans,celuiquiadécouvertlacréatureextra-terrestre,ainsidéplacéeentêtedefilm–avantmêmequ’uneseuleimageouqueletitren’apparaisse–s’avèrepourlemoinsmystérieuse.Ilestquestiond’unbonheurpossibleetd’unéventuel“vivreensemble”.C’estunconditionnelpurdétachédetout.Quandonavuetquel’onconnaîtET l’extra-terrestre, unenouvelle dimension s’ajoute : on sait que ce vivre ensemble entreElliot et la créature venue d’un autremonde n’a pas été possible. Ceconditionnelselitdemanièreinconscienteaupassé,commeun“tuauraispuêtreheureuxici…”.Elleévoqueaussidèsledépartlaquestiondeladifférenceetdeladifficultédevivrecettedifférence.La nature amusante de la citation se trouve donc immédiatementcontrebalancéeparlaconsciencemélancoliqued’undésircontrarié.Voiciun trait stylistique importantdu réalisateurTaikaWaititi sur lequelnousreviendrons:l’humourcommelemalheurnesontjamaisàl’étatpur,maistoujourscontrastésetsouventmêlés, l’unservantdecontrasteàl’autreetinversement.

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E.T. l’extra-terrestre, une référence

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B / Une carte postale de la Nouvelle-Zélande ?Audébut,avantquelejeunegarçonn’apparaisseàl’écran,onentenddelamusiquetraditionnellemoderne.PlusieursimagesfixesdelaNouvelleZélandes’enchaînentsurunrythmerapide(image2).Leréalisateurmetenscènelesimages“cartepostale”desonpays.Situéeauxantipodes,dansl’Océanie,laNouvelleZélande,anciennecoloniebritannique,archipelàlafauneetauxpaysagestrèsdiversifiésestunlieuexotiquequifaitrêver.S’ajoute à cela le contexte même dans lequel s’inscrit le film : dansunerégionhistoriqueet tribale ;ons’attenddoncàquelquesclichésetsouvenirstraditionnels.Ilestalorsintéressantdes’interrogersurl’imagequeTaikaWaititidonnedelaNouvelle-Zélande.Certesnousapercevonsdespaysagesmagnifiques.Maisdesnuancesapparaissent immédiatementà l’intérieurdeceux-ci.Aux clichés touristiques qui nous accueillent (avec lamer, la brumeetl’horizonciselédemontagnes)succède,commeuncontrechamp,l’imagedegrandesétenduesavecsurlagaucheuncimetièredevoitures(image3).

Puis arrivent en contrepoint des images de rêve, la représentation dela famille traditionnellemaorie (une famillenombreuseet sans référentparental),quelquesdétailssurl’économiedupaysàl’abandon(unpaysoù lesvoituresnedémarrentpas,où iln’yapasde travail)etunpetitrappelhistorique(lesMaorisontétéenvoyéspoursebattrepourl’empirecolonialbritanniquedanslaGuerredesBoersainsiquedanslaPremièreetSecondeGuerremondiale).Enmoins de cinqminutes,TaikaWaititinousdonneraàvoirl’endroitetl’enversdudécor.

On peut se souvenir de Paï (Whale Rider,2002)deNikiCaro,unfilmnéo-zélandais,égalementtournésurlacôteEst,quiluiaussiracontel’histoired’uneenfantsolitaireetpluslargementd’unecommunauté.Paï, c’est son ressortmême,s‘appuiesuruneimagetraditionnelledesMaorisetfaitdecetexotismelecentredesonscénario.

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DansBoyonnetrouveranicostumetraditionnelnicolliertypiqueetencoremoinsdebaleine. Sil’identitémaorieesticiconstammentprésente,ellen’embrasejamaisle“centre”deBoy;ellen’estjamaisnisujetniobjetàdiscussionoualorsseulementdemanièreanecdotique(Cf.lorsquel’undesamisdupèreparledes’enrichirenrevendant leboisde lamaisontraditionnelle).Sil’artmaorioccupebienuneplace,c’estcelled’undécornaturelvoiremêmeartificiel,situéenarrière-plan(image1).Lesperroquetsetlespalmierssontbienlàpourrait-ondire;ilssontlàsurlepapierpeintdemaisondeBoy(image2).Leréalisateurquiévitel’esthétiqueexotique,avolontairementchoisidebrouillerlespistes.Dansleslieuxidylliquesons’ennuieet lasolitudesemblebienlourdeàporter.Leseuldécormaori“typiquetouristiqueetharmonieux”dufilmestlecimetièreavecsatombedécoréeetcolorée.Ilestamusantdepréciserquececimetièretraditionnelaétéinventédetoutespièces(l’équipedufilmn’auraitjamaisacceptédetournerdansunvéritablecimetière),quecelieuquisonnecommevraiestentièrementfactice.DansBoy,lestraditionssontbienlà,maispaslàoùonlesattend.

Par ailleursTaikaWaititi court-circuite l’image, lemythe du paradis, enfilmantdessitesprosaïques,peupoétiques:unpontoùhabiteunsans-abri (image3),unecarcassedevoiture (image4),unbar,unemaisonabandonnéequisertdepointderalliementauxenfants.Lacaméraépousesouvent sinon le regarddumoins la tailledu jeunehéros. Il n’y a peu de plans qui voient les choses d’en haut, peu depanoramas.La société que décrit Boy est une société tribale, où les mœurs ontconsidérablementévoluéetoùlescampagnes,commedansnossociétéseuropéennes, sont frappées par la désertification rurale, la crise et lechômage.Taika Waititi ne se départit jamais de son regard humoristique sur lapauvretéoulamisèresocialecequiluiévitetoutregardmisérabiliste.Ilévitetoujoursaussi lecôtédonneurdeleçonouprofessoralgrâceàcetonteintéd’humourquilecaractérise.Parexemple,danscettescènetrèsdrôleoùilmontrelesenfantsàl’heuredudînerd’abordentraindeprier(bénirlerepas)puisdeseplaindredemangerencoreduhomardoudelalangouste: ilchoisittoujoursl’humouret laprovocationàlaleçondegéographieoudecivisme!

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L’autoportrait de Boy

Au pays de l’enfanceUne esthétique du burlesqueNousproposonsd’analyserlapremièreséquencedufilm,dudébutjusqu’à4’,19’’.Celle-ci,peutsevoircommeunprologue,uneparenthèse,unclip(avec lamusique quasi constante), voire un courtmétrage situé avantmêmequeletitren’apparaisseetquelegrandrécitnecommence.

Le début de Boyestd’unerareefficacité.Unjeunegarçonparticipeàunexercicescolaireconsistantàseprésenter.Sur le tableaunoir,onpeutremarquerdesindicationsdetemps(l’année1984),ainsiquelesujetducours (WhoamI? /Quisuis-je?).Lesvertuscinématographiquesd’unteljeupédagogiquesontmanifestes:lepersonnageestimmédiatementpropulsésouslesfeuxdelarampe, ilestsaisientantquepersonnagecentraletprincipal.Al’école,Boy/Alamein(interprétéparlejeuneJamesRolleston)réalisesonautoportrait.C’estavecluidonc,enempruntantsonpointdevuequelefilms’ouvreetsepoursuitjusqu’à3’,26’’.Questions subsidiaire :pourquoi,selonvous,cefilmest-ilsituédansunpassé?Onpeuts’interrogertoutaulongdufilmsurladimensionintime,lapartautobiographiquequiainspiréleréalisateur.

L’autoportrait L’autoportrait semble s’organiser librement, sans logiqueapparente, cequiestsansdoutelepropredesrécitsmenéspardesenfants.Iltraduitunregardsensible,libre,jamaismoralisateur.Iln’estjamaisquestion,àtraversleregarddeBoy,dejugerenbienouenmalladrogue,laguerrecoloniale ou tout autre sujet de société. Boy, lorsqu’il se présente autableau,sourit.Adéfautd’avoirdesparentspourmodèle, ilatrouvéenMichaelJacksonsonmodèle.Lechanteurafaitdesavieunspectacle.PourBoy,lavieestégalementunspectacleetl’espoirdevoirlastarnord-américaineunjoursurscèneluiinsuffletoutesonénergie.D’embléeBoyapparaîtdanslerôled’unchauffeurdesalle,c’estaveclui,grâcelui,quelefilm,quelespectaclepeutcommencer.Son récit s’inscrit dans une esthétique burlesque tant il est émailléd’accidents, de contrepoints, d’ellipses et de digressions inattendues.Jusqu’àlafin(à4’,19’’)decetteséquences’organiseunjeudesymétries,de réciprocités, de différences, de réversibilités ou encore de dualités entre ditsetnon-dits,entrediscoursofficieletdiscoursofficieux,entrerêveetréalité.Cetautoportraitentraînelespectateurdansuneplongéedanslemondechaotiquedel’enfance,oùlerêveetlaprovocationserencontrent,oùl’autoritésombredansl’ellipse,oùl’innocencemerveilleusen’estqu’unvoilepudiquedissimulantlemal-êtreetledrame.Lechoixduregarddel’enfanceetdelajoieécarted’embléelepositionnementmélodramatiqueetmoral.Leréalisateurchoisira ledivertissementpour fairepassersonmessage.

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Rocky se rêve en super héros

Désordonnéenapparence,cetautoportraitestpourtantfinementstructuréet s’organise autour de trois grandes étapes 1)ma famille - 2)ma viedetouslesjours-3)mesorigines(ceseraitunpeule“Me, myself and I”anglophone) à l’intérieur desquelles l’image, la référenceau chanteuraméricainMichaelJacksonrevientcommeunemarquedeponctuation.

1 - Ma familleMichael Jackson, la grand-mère, les cinq cousins (Hucks, Kiko, Miria,ChayetKelly), lachèvre(Leaf),précèdent laprésentationdeRocky, lepetitfrèredesixans.BienqueBoyparledesonfrèreendernier(aprèssachèvre!),ilapparaîtnéanmoinscommeunpersonnageimportantetc’estàluiqu’ilconsacreleplusdetempsdansladescription.QuelquesplanssuffisentpourcomprendrequeRockyestunenfantmalmené,solitaireetintroverti.Boyretranscritaussil’imaginairedesonfrère(Cf.laséquenceaniméecomme l’illustrationdu rêvede l’enfant).Ceportrait (deRocky)dansl’autoportrait(deBoy)nouséclairesurlarelationfraternelle:mêmesiBoyn’estpas tout le tempsauxcôtésdeson frère,mêmesiRockyapparaît parfois comme un fardeau, cette relation est structurante etcentrale,faited’uneconnivenceànulleautrepareille.

L’autoportrait au cinémaBoycommenceparunautoportraitceluiqueBoyréaliselui-mêmeenclasse.Situéaudébutdesannées80,peuaprès1984dateoù“Thriller”deMichaelJacksonestdevenuunhitmondial,Boyestsansdouteécritetinspiréparlaviedesonauteurréalisateur.Aucinémalesautoportraitssontaujourd’huinombreux.Connaissez-vousdesréalisateursquienontréalisé?Pouvez-vousciterdesfilms?Commentfairesonautoportrait?Desauteurs:AlainCavalier,Jean-LucGodard,AgnèsVardaUnfilmoùlesélèvesréalisentleurautoportrait:Entrelesmursde Laurent CantetUn exercice : faire son autoportrait

2 - Ma vie de tous les joursSilastructuredupremierrécit(de0,57’’à1’46’’)étonne,ladeuxièmepartiequantàelleinterpelled’unpointdevuedel’énonciationoùcequiestditnecorrespondplusdutoutàcequiestmontré.AinsilorsqueBoyaffirmepratiquer les arts, l’image le montre en train de regarder Chardonnaypendantlescours…Etlorsqu’ilditétudier l’éducationcivique,onlevoitsefairetaquinerparlesplusgrands.LerécitdeBoysemblesediviserendeux: l’officiel(incarnéparlavoixoff/c’estcequiestditenclasse)etl’officieux(l’imagequinousmontreunetouteautreréalité).

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Mes origines

L’illusion comique

L’humourmordant,lecomique,procèdedecettedifférencederapport,decettedisjonction,entrelepremierniveauetlesecond.Onpourraitavancerqu’enmaquillantainsi la réalité,enmentantde lasorte,Boysemoquedudiscoursofficiel,del’autorité.Sansdoute.Maisau-delà,unvéritabletourdeforces’opère.Cettemiseenscènededeuxuniversparallèles,cedécalageentredeuxextrêmes,permetde rire tantdupseudodiscoursofficiel(j’étudielesarts)quedeconjurerlapuissanceobscured’uneréalitéplussombre.Lecomiqueburlesqueestunartdeladissimulation.Le récit du quotidien se poursuit avec les portraits des amis (Dallas,Dynasty,FalconCrest,tousontpourprénomsdesnomsdesériestélé!)etdelatanteGracey.Làencore,delamêmemanière,lepartiprisnarratifgrinçant interpelle. Il peut faire sourire ou non.Quand on voitDynastyapporter un sac demarijuana à son père, on comprend que l’humour,la légèreté, nous préserve toujours d’un ton plus lourd et plus grave car visiblementDynastyn’aimepastravaillerpoursonpère.Noussommesicicommeravis,voiretransportésau-delàdelapesanteurdelavie.“Comme les contes de fées, le Burlesque nous raconte de véritableshorreurs:enutilisantlecomiquepourdémasqueretdécrirelechaos,ildémontrequelemalestàl’œuvredanslamonde.”(1)(1) Carole Desbarats, “La vitesse burlesque et le chaos du monde” in 5 burlesques, éd. École et cinéma.

3 - Mes originesC’estaveclamêmelégèretéqueBoydétaillesagénéalogie:l’originedesonnomnousprojettedanslepassécolonialdelaNouvelleZélandeetsusciteunportraithypertrophiédesonpère.Aupaysdel’enfance,nonseulementlerêveetlaréalitécoexistent,maisl’horreur(delaguerre)doitpliersouslejougd’uneprovocationcomique:l’image coloniale historique est chassée par une autre, comme sortied’unbêtisierdel’armée,oùl’oncroitapercevoirlessoldatsfaireunbrasd’honneur!

L’illusion comiqueLa réunion des contraires, le contrechamp, le contre-pied et l’oxymoreapparaissentcommelestraitsstylistiquesrécurrentsducomiquedeTaikaWaititi.Lesfiguresdestyle lesplusrécurrentesdufilmsont lecontrechampetlarupture,disruption,entrelesimageset leson:cequiestraconténecorrespondpasàcequel’onvoit.TaikaWaititipratiqueavecconstancel’artdelasurprise,delaprovocationetducontre-pied.Ainsilorsqu’ondécouvrelagrand-mèredanslavoiture,on peut croire qu’elle va démarrer. L’image suivante révèlera qu’il fautpousserlavoiture.Leplanrapprochéménagelasurprise,tandisqueleplanélargiouvreunedimensioncomique.Enfin l’oxymore irrigue tout le film :Boy est à la fois un drameet unecomédie,unefictionetuneautobiographie,unfilm tournéenprisesdevuesréellesetunfilmavecde l’animation.Toute ladynamiquedeBoy reposesurcemélangeconstantdescaractères,desstyles,destonsetdes couleurs, unmeltingpot propiceàgarder nos sensenéveil,maiségalementunprincipecréateur,révélateursanslequelplusriennepourraitsurvenir.

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I Wish nos vœux secrets de Kore-Eda Hirokazu

Changements de focale : principe moqueurLorsqueBoyfinitsonautoportrait inaugural, leréalisateurenchaînedesplansrapides:danslepremieronsurprendleprofesseurdeBoyentraindefumerunecigarette(image1).Àtraversdeuxgags,leréalisateursemoqueradesprofesseurs,celui-cietplusloinlorsqu’unautreprofesseur,parcequ’iln’estplusenservice,neprendrapas le tempsd’expliqueràBoylemot“potentialité”.EnsuiteBoyregardeChardonnay(image2)etpendantcelanousvoyonsqu’ilestlui-mêmel’objetdel’attentiondeDynasty(image3).Lefilmpassed’unevisionsubjective(lerécitdeboy)àunevisionobjective(laplacedeBoydanslaclasse).S’ilemprunteleplussouventlepointdevuedeBoy,leréalisateur–toujoursàhauteurd’enfant–sepermetenchangeantdefocalederelativiserlepointdevuedujeuneprotagoniste.Boyestl’histoired’unenfantrêveurquelerêveaveugle.

La relation fraternelleBoy VS Rocky ? L’autoportrait de Boy installe d’emblée uneopposition entre les deux frères. Il y aurait d’un côté Boy, unadolescentautempéramentvifetextravertietdel’autreRocky,unenfantaucaractèreintrovertiettimide.LarelationentreBoyetRockys’enrichitetsecomplexifieaufildufilm.Boyestl’aîné.Enl’absencedesparents,ilestchargédes’occuperdesonfrèreetmêmeparfoisdetoutesafamille.Ilestnaturellementdanssonrôlelorsqu’ilestautoritaireetparleàsonfrèreavecunegrossevoix.NéanmoinsBoyn’estpasunadulte,loindelà.Ilvitencoreàl’intérieur,etpoursesrêves.Ons’aperçoittrèsvitequeRockydesoncôté,s’ilparaîtlunaire,n’endemeurepasmoinsceluiquialespiedssurterre:ilposedesquestionspratiquesetréalistes.Bref,celuiquisembleavoirlatêteailleurs(Rocky)serévèlelepluslucide(Cf.lesvisionsdeRocky,nousyreviendrons),celuiqui sourit lemoins et qui passe son temps dans un cimetière(Rockytoujours),leplusténébreuxn’apourlevagabondquetoutlemonderejettequedelabienveillance…Penseràd’autresfilmsquiexplorentlesrelationsfraternelles:Voir plus loin : au sujet de la relation entre deux frères on peut se souvenir du très beau I Wish nos vœux secretsdeKore-EdaHirokazu,ouencoreduLoup Blanc,letrèsbeaucourtmétragedePierre-LucGranjon.

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De l’autre côté du miroir : PapaToutel’aventuresedérouleenl’absencedelagrand-mèredeBoy.Sondépartetsonretour indiquent ledébutet lafinde l’histoire.C’estentrecesparenthèsesquelefilms’étend.AbiendeségardsBoypeutévoquerd’autresœuvresduseptièmeartdanslesquelleslesenfantssontlivrésàeux-mêmes:Oliver Twist de David Lean, Nobody KnowsdeKore-Eda,Demi-tarifd’IsildleBescoouencoreLes 400 coupsdeFrançoisTruffaut.Avec ces films, on pourrait regarder Boy et réfléchir sur “l’enfancevagabonde”,surladélinquanceetétudierlesdifférentstypesderegardsposés sur les enfants abandonnés. Poser des questions autour de laméthodeàemployer(éduquer,prévenir,punir?).Onpeutsesouvenirquebeaucoupd’œuvrescinématographiquessituéesaprès-guerremettentenscènedesorphelins…

Boy évoque également la structure de récits magiques et merveilleuxbienconnus,celledescontespourenfantsoùlesparentsapparaissentsoit absents, soit sous des traitsmanichéens (très gentils ou bien trèsméchants).

Papa starPourBoy,sonpèreapparaîtd’abordcommeunesuperstar.Boy rêve d’un père sculpteur, plongeur, rugbyman ou encore d’unpèrepartiauJapon. Il rêveégalement,une fois le trésordécouvert,del’accompagner:ilsevoit(à44’)entourédedauphins,d’unchimpanzéouencoredanslesbrasdeChardonnayauprèsd’unepiscine,devenuriche,nageantdansunepluiedebilletsverts(image1).Mais,demanièreinconsciente,lorsqu’ilpenseàsonpère,BoyvoitMichaelJackson. Ilaimeplusquetoutlechanteurnoirnord-américain.Sapassionlehanteetledévore.Ill’imite(ildansecommelui),illevoitdanslesétoiles(parcequec’estunestar)(image2).Ill’aimeparcequ’ilestriche,parcequ’ilvitavecdesanimaux,parcequ’ilestlechanteurdeThriller, dont le clipmetenscènedeszombiesen traindedanseretquedansceclipMichaelJacksonapparaitcommeunroidesméchants(cequin’estpasrien),delamusiqueetdeladanse.

Oliver Twist de David Lean

Les 400 coups de François Truffaut

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Lorsqu’il imaginesonpères’échapperdeprison,onaperçoitunemainsortir de terre comme dans le clip deThriller réalisé par John Landis.Maissurtoutl’imagedupèrefonduenMichaelJacksonsupplanteàdeuxrepriseslaréalité.Lapremièresesitueàlaquarantièmeminute,lorsquelepèredevenutrèsdésagréablesemetàdanser;Boyl’imaginealorssurunepistededanse,dansunescénographiquequirappelleàl’identiquecelleduclipdelachansonBillyJean(image3).Ladeuxième fois (à1h02),où la réalités’éclipseauprofitd’une imageidéaleprochedelacomédiemusicaledeWest Side Story (image4),Boydémontrequ’ilpossèdecommesonfrèredessuperspouvoirs:luiaussi,ilsaitrepousser,étouffer,maquiller,transformerleréel.

Papa-loupDansl’histoiredupetitchaperonrouge,seullelecteurspectateurconnaîtla nature véritable nature du loup et, averti de son danger, assiste avec impuissanceàlamarchefunèbredumonde(l’exécutiondelagrand-mèreetduchaperonrouge).DansBoy, ce spectateur visionnaire est incarné parRocky.Cedernier,lorsqu’ilaperçoitlavoituredesonpère,pressentaussitôtledangeràvenir.Excentrique, excessif, accusant un lourd penchant pour les stupéfiants(l’alcool, lacigarette, lamarijuana), lepèredeBoy réunitbeaucoupdedéfauts(image5).Ilsemblequ’ilaitquittéledomicilefamilialavantqueRocky ne naisse. En tout cas, il n’était pas aux côtés de son épouselorsqu’elle est décédée… Il ne se rend pas - pas directement - sur latombedecettedernièreetn’assumepas-pasvraiment-sapaternité.Ildemandemêmeàsonfilsdenepasl’appeler“papa”.Pèreloupetpapazéro:lepèredeBoyestunirresponsableàladérive.Vidantdesbouteillesd’alcool,lepèredeBoyfinitparcreuser“satombe”(image6).Ilignorecombiensesenfantssevoientàtraversluietvontleconsidérercommeunmodèle.Maladroitouinconscient,il lesblesseprofondément(Cf.quandlorsqu’iltuelachèvredeBoy).

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Papa HulkCethommeexcentrique,cetadulteimmature,onpourraitlejuger,direqu’ils’agitd’unmauvaispère.Orletourdeforcedufilmestdenejamaisjuger.D’ailleursilyauraitmatièreàdiscussion,lepèren’estpastoutletempsmauvais!Unsoir,lorsquelepèredeBoyfrappeàlafenêtredesonfilspours’excuserdel’avoirgiflé,illuiditressembleràHulk,unsuperhéroscapabledecolèresmonstres.Lepersonnagedupèreavoueêtredouble,multiple,inconstant:étrangeaveu.Ilestparfoisunpeuprotecteur,parfoisunpeucamarade.Souvent, ilestunpeu toutà la fois (gentil/méchant/copain/ennemi) de manière grotesque voire ridicule (image 7). Le filma l’art d’éviter les stéréotypes et demêler le bon aumauvais, commedanslavieréellebeaucoupplusprochedecesnuances.Nonseulementle réalisateur TaikaWaititi surprend avec ce personnage paradoxal demonstre charmant, mais il semble ici suggérer que l’instinct paternelcommel’instinctmaternelnesontpasdesévidences…Danscerécitinitiatique(nousyreviendrons),lepèreapprendàêtreunpère,ilvaouvrirlesyeuxets’apercevoirqu’iladesenfants.

Ode à la différence…“E.T.,l’extraterrestreestpeut-êtrelemonstrelepluslaidquejen’aijamaisvu, raconteAlameinà son fils (à32’).Mais sur saplanèteà lui, il doitprobablementparaîtrenormal.”Placésousl’étoileducinémadeStevenSpielberg,avecE.T.l’extraterrestrecommeréférencecapitale,Boynecessed’interrogerlacellulefamilialeetloinderessembleràcelleparfoisunbrincaricaturaledeSpielberg,celle-ciéchappeauxbonnesnormes.Danscefilmoùsouffletantl’espritmaoriquel’espritfunk,TaikaWaititirendhommageàceuxquisortentdurang,aux marginaux, aux Maoris en évitant le manichéisme qui caractérisesouventlecinémaaméricain.La sculpture d’E.T. l’extraterrestre

Hulk, le monstre irradié

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La fin de l’enfance(transmission, agression, transgression)Une fable initiatique ?S’ilfallaitrésumerBoyenunephraseonpourraitavancerqu’ils’agitdel’histoired’ungarçonrêveurquivaapprendre.Maisapprendrequoi?Va-t-ilmoinsrêver,regardersonpèred’unautreœilousortirgrandidecetteexpérience ? Les réponses ne sont pas évidentes car Boyresteunfilmouvertetsansmoralefinale.Leparcoursestcertesceluid’uneinitiation(le jeune garçon va surmonter un certain nombre d’épreuves) mais lehérosn’évoluepasàproprementparlerdemanièrepositiveounégative.Par contre il necessedesecogneraumonde ; il donneet reçoit descoups. Le récit deTaikaWaititi propose d’ailleurs plusieurs séquencesd’affrontementsdirects.NonseulementBoysedisputeavecsescopainsàl’écolemaisaussiavecsonfrère(àdeuxreprises),aveclevagabondetaussiavecChardonnay,lepetitamideChardonnayetfinalementavecsonpère.Boyressembleàcedernier.Ilsportentlesmêmesprénomsetsurnoms(Alamein/Shogun).Boyestàl’imagedesonpère,unparent-enfant terrible, crâneur et bagarreur, entrepreneur et rêveur. Bref, leparcoursdel’uncroiseintimementceluidel’autre.Entreidentificationetconfrontation,àtraverssonexpérience,Boyvamodifiernonpasleregardqu’ilportesursonpèrequ’ilconsidèretoujoursinfinecommeunhérosmais le regardquesonpèreportesursesenfants.Lorsqu’il se rebellecontresonpèreetluireprochesonabsence,sonactenesignepaspourlui ledébutdel’âgeadulte,c’estplutôtuneultimetentatived’exorcismepourrappelerlepèreauprèsdelui.

Du court au long : le film dans le film TaikaWaititiadits’êtreinspirédeTwo Cars, One Nightsonpremiercourtmétrage pour l’écriture deBoy (image 1). Déjà dans ce film de douzeminutesnominéauxOscars,s’esquissaientlespersonnagesdeBoy,deRockyetdeDynasty.Lesdeuxfrèresétaientdansunevoiture, la jeunefilledansuneautre;tous attendent sur le parking d’un bar le retour de leurs parents ! Dans Two Cars, One Night,déjàfrimeur,Boyagresse(insulte)Dynastyetcettedernière ne se laisse pas faire. L’affrontement entre les deux jeunesadolescentsnetardepasàsetransformerenséancedecharme.L’échodececourtmétragerésonneàdeuxreprisesdansBoy.

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La première fois (à 44’), Dynasty entre dans la voiture où Boy attendsonpère (image2). Leuréchangeestmenépar lespetitesmoqueriesprononcéesàbâtons rompusparDynasty.Elles’amusede lanouvellecoupe de cheveux de Boy, tourne en ridicule le consommateur demarijuana.Ladeuxièmeséquenceestcellequiressembleleplusaucourtmétrage:danslavoiture,BoyetRockyattendent.Boyessayeleslunettesdesoleildesonpère,iltireunetaffesurunmégotéteint.EtpuisilaperçoitDynastyassise à l’avant d’une autre voiture. Sur la joue de cette dernière, onaperçoituntrèsgroshématome(image3).OncomprendquelepèredeDynastyabattusafillepoursavoirquiluiavaitvolélamarijuana.Filmsmiroirs, lecourtmétrageetcetteséquencejouentsur lasymétriedesvoitures(garéesl’uneàcôtédel’autre),desadolescents.Personnagedesecondplan,DynastyapparaîtcommeledoublelointaindeBoy.EllenecessedetendrelamainàBoy.Ils’agitnonpasicidel’opportunitéd’une histoire d’amourmais plutôt de la possibilité d’une résolution duconflit.BoyneparvientabsolumentpasàcommuniqueravecChardonnay– la séquence (à 40’50’’) également située dans une voiture apparaitcommel’antithèsedecellespasséesavecDynasty.Toutel’histoiredeBoyserésumealorspeutêtreàcetapprentissage:réussiràtournerlatête,àregarderautrement,àévacuerleconflit.

Le chamanisme du cinémaIln’yaqu’aucinémaoù l’onpeuts’autorisercegenrede liberté :avoirdessuperspouvoirs,enterreruntrésordans le jardin,expérimenter lesgouffresvoiremêmepasserdel’autrecôtédumonde–mourir–etrevivre.Leréalisateurnecessedetransgresserunétatdumonde,d’enrepousserles limites.Plusqu’une initiation, ilyadansBoy une résurrection et, le passeurquiarenducelle-cipossiblen’estautrequel’hommemystérieux,levagabond(image4).

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J’ai rêvé d’un autre mondeLes vo� intérieures de Boy (en images)

Leaf, la chèvre : le seul ami-confi dent de Boy (début du fi lm)

Boy rêve d’un père “homme d’action”

Séquence clin d’œil aux fi lms de zombiesBoy imagine son père s’évader d’une prison à l’aide d’une petite cuillère

Souvenirs idylliques de famille avec le père et la mère réunis

Mon père super star

Boy maquille la réalité et en invente une meilleure

Lorsque Boy revêt les habits de son père, il se prend pour le roi du monde

Vivement la richesse et le succès !

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Carte de la Nouvelle-Zélande

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Autour du filmLes Maoris un peuple indigèneLesMaorissontdespopulationspolynésiennesautochtonesdeNouvel-le-Zélande.IlssesontinstallésparvaguessuccessivesàpartirduVIIIesiècle. Les Européens débarquèrent quant à eux enNouvelle-Zélandeen 1642. Il faudra attendre pour 1840 pour que soit ratifié le traité deWaitangiquifitformellementdelaNouvelle-Zélandeunecoloniebritan-nique:cetraitésignépardesgrandschefsMaoris(maispastous)ga-rantitl’égalitédesdroitsentrelesMaorisetlessujetsbritanniques.Unephrasedecetraité“HeiwiKotahitatou”(weareonpeople/noussommesunseuletmêmepeuple)estdevenuetristementcélèbre.CarlesMaorisn’ont jamaisvéritablementétéconsidéréscomme leségauxdessujetsbritanniques(surnommélesPakeha)etcemêmedepuisl’indépendance(1854).Asavoir:iln’yapaseudedécolonisationdelaNouvelle-Zélande.Denombreuxcommentateursévoquentainsi l’existenced’unapartheidvirtuel.

Les Maoris au cinémaNotrevisiondecettepopulationmarginaliséeettrèsdiversifiéerestepour-tanttrèspartielleenFranceetbaignéedeclichés:deshommesquiontuneconnexionspirituelleavec lanature,quicultiventdes traditionsan-cestrales (musiques, rites, danses, tatouage, etc.) comme on a pu lesdécouvrir dans La Leçon de Piano (1993)deJaneCampion(image1)oudans Paï, The Whale Rider (2003)(image2)queleréalisateurNikiCaroaadaptédulivredeWitiIhimaera.Cequiestintéressantaveccedernierexemple,c’estquedulivreaufilm,unedimensionessentielleadisparu:danslelivrelegrand-pèredelapetitePaikeaestactivementengagédansdesluttespolitiquespourdéfendrelesdroitsdesMaoris.NikiCaroachoi-sidedéconnectersonfilmd’uncontexteprésentetlatentpourdessinerunvisageplus“poétique”,plus“romantique”duMaoris.Aupremierabord,notreregardsurlesMaorisnepeuts’empêcherd’êtrepaternaliste, touristique,colonialiste,politiqueouphilosophique. “La Le-çon de piano”aremportélaPalmed’orduFestivaldeCannesen1993etaétéplébiscitéàtraverslemondeentier.Ordanscefilmoùémergele rêved’uncroisementdescultures (d’une intégrationbiraciale), le re-garddelaréalisatriceselonlesspécialistes(notammentMichelleKeown,auteurde“NationalismandculturalidentityinMaorifilm”),estmanifeste-mentnéo-colonialiste.

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Nombreuxsontlesartistesmaorisquisesontemparésdecetteidéologiede l’assimilation, de l’intégration, pour dénoncer un discours dominant.Les artistesmaoris ont aujourd’hui plusieurs fardeaux : devoir vider lemythemaoridesaversionconsensuelle,desesvaleurspositives,desesclichéstenacesliésàlamystiqueetàlacolonisation.ParmicesartistesonpeutciterlaréalisatriceMerataMitaquidansPatu!(image 3), un documentaire sur lesmanifestations contre leSpringbokRugbyTouren1981, révèle toutesses tensionscommunautairesentrePakeha etMaoris.De son côté, en adaptant un texte controversé LeeTamahoridansOncewewerewarriors(1994)(image4)donneàvoiruneimagenégative,sanscompromisdelajeunessemaorie.SurlespasdesesaînésdansBoyleréalisateurTaikaWaititis’attaqueauxclichésavecpourarmelaparodie,l’humournoiretl’irrévérence.

Le réalisateur, le film NéàWellingtonen1975, ilestégalementconnusous lenomdeTaikaCohen, lenomdesamère. Ilestundescendantde latribuWhanau-a-ApanuietvientdeRaukokore,unerégiondelacôteEstdelaNouvelle-Zélande.Ilestacteur,peintreetphotographedepuislafindesannées90.Ilestnommépour leNokiaFilmAwarden2000poursoninterprétationdanslethrillerScarfi es deRobertSarkies(image5).Humoriste,ilfaitletourdupaysavecdesspectaclescomiques.Ilestacclamépoursaper-formanced’acteurdansTaika Incredible Show.Lepremiercourtmétragequ’il réalise,Two cars, one night, est nomméauxOscars en 2005. Lesuivant, Tama Tu,surungroupedesoldatsmaorispendant lasecondeguerremondiale,aeuégalementbeaucoupdesuccèsàl’internationaletaétédenouveauéligibleàcetteprestigieuserécompense.Sonpremierlongmétrage,Eagle vs Shark,aétévenduàMiramaxetdistribuédansdenombreuxpays.Entantquecomédienetperformeur,TaikaWaititiaparti-cipéauxproductionslesplusinnovantesdeNouvelle-Zélande.Ils’estvuégalementrécompenséplusieursfoispoursesqualitésd’auteuretpoursa participation à la série Flight of the Conchords.1998 : Scarfi es deRobertSarkies,comédien2000 : Snakeskin deGillianAshurst,comédien2003 : Two cars, one night,CM, réalisateur2004 : Tama Tu,CM,réalisateuret“Heinouscrime”,CM,réalisateur2005 : Falling leaves,CM, réalisateur2006 : Eagle vs shark,LM, réalisateur2007 : Arab samouraï,CM, réalisateur2007 à 2009 : Flight of the Conchords,sérieTV,auteur,réalisateuretcomédien2010 : BOY,LM,auteur,réalisateuretcomédien.

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Nouvelle-Zélande, Terre de cinémaSi elle demeuremodeste, l’industrie cinématographique néozélandaiserencontrenéanmoinsunvifsuccèsàtraverslemonde.Outrequecepetitpaysaustralauxpaysagesfantastiquesestdevenuterredetournagesdeblockbusterscomme la trilogieduSeigneurdesanneaux (image6),LeMondedeNarnia(image7)ouKingKong(image8),soncinémanecessed’étonneretd’êtremisàl’honneur.Enmai2011,deuxcourtsmétragesnéozélandaisontétéremarquésàlaSemainedelacritiqueaufestivaldeCannes:MeatheaddeSamHolstetBludeStephenKang.Cedernier,filmsurladifférenceetl’intégrationdiffi-ciledelasociéténéozélandaiselorsquel’onestétranger,aétécouronnéduGrandprixdelaSemainedelacritique.Côtélongsmétrages,BoydeTaikaWaititi,outresonénormesuccèsenNouvelle-Zélande,aétésélec-tionnéetprojetédansplus50festivalsoùilaglanédenombreuxprix.

Brève histoire Hinemoa,lepremierfilmnéozélandaisqueGeorgeTarrréaliseen1914(dontilneresteplusaucunecopie),mettaitenimagelacélèbrelégendefolkloriquemaoried’Hinemoa,unehistoired’amourentreHinemoaet Tutanekai. De 1914 à 1980, seulement 60 films seront réalisés enNouvelle-Zélande.Cechiffrecomprend lesproductionsdesréalisateursaméricainstournéslà-bascommelefilmd’AllanDwan(The Sands of Iwo Jima, 1949),deRaoulWalsh (Le Cri de la victoire, 1955) (image 9) ou encoredeRobertWise(Until They Sail, 1957)(image10)tousvenusaupaysdeskiwispourtrouverdesdécorssurmesure.En1978TheNewZelandFilmCommissionestmiseenplacepourencou-ragerlapratiqueetl’industrieduseptièmeart.Néanmoinsraresserontlescinéastesquiparviendrontàtoucheruneaudienceinternationale.SeuleslesœuvresdeJaneCampion (Sweetie, Un ange à ma table, La Leçon de piano) (image 11), de Niki Caro (Paï),deLeeTamahori (L’Âme des guerriers)oudePeterJackson(Bad Taste, Les Feebles, Braindead) (ima-ges 12, 13, 14) traversentlesocéans.En1995,avantdepartirtourneràl’étranger,dansForgottenSilver (image15),PeterJacksonsemoquaitdecenouveaurapportdesNéozélandaisauseptièmeartensignantundocumentairecanulardanslequelilaffirmait,fauxtémoignagesàl’appui,quelevéritableinventeurducinéman’étaitniFrançais,niAnglais,niAmé-ricain,maisqu’ilétaitNéozélandais!

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En savoir plus

Ouvrages à consulter :-ContemporaryNewZelandCinema,fromNewWavetoBlockbuster,edi-tedbyIanConrichandStuartMurray-AustriaandNewZeland,Directoryofworldcinema,editedbyBenGolds-mithandGeoffLealand

Site internet :The New Zeland Film Commission propose une base de données in-contournablesurlesfilms,lesréalisateurs,l’industrie:http://www.nzfilm.co.nz/

Festivals : En2011,lefestivalinternationalducourtmétragedeClermontFerrandaconsacréunerétrospectiveaucinémanéozélandais.Chaqueannée,àSaintTropez,LesRencontresinternationalesducinémadesantipodes(http://www.festivaldesantipodes.org)présententdesfilmsvenusdesterresaustrales.

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