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Sommaire

Enfance .................................................................. 5

Mythologies ........................................................... 27

Magies ................................................................... 31

La bande des quatre ............................................... 35

Kermesse de juillet ................................................ 39

Surnoms ................................................................. 43

2003 ....................................................................... 63

Le temps des sodas ................................................ 75

Les années 2005-2010 ........................................... 81

Un tour d’anthologie : 1989 .................................. 95

1998 : un mauvais cru ! ......................................... 101

Étapes de légende ! ................................................ 113

Quand la france s’embrasait ! ................................ 117

Quand la caravane passe ! ..................................... 123

Tours et détours ..................................................... 127

Dernier portrait ...................................................... 133

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Enfance

L’enfance est un moment privilégié, l’équilibriste ne sait pas encore qu’il peut chuter à chaque instant. L’adulte va mettre du temps à éprouver quelques sensations, en parlant de son enfance. Il faut être dans la cinquantaine, dans le début du crépuscule(le petit crépuscule) pour apercevoir les lumières de l’enfance, comme un village dans la brume, un village dont nous ne distinguons pas totalement la forme des maisons, un village silencieux ; une neige hivernale a-t-elle jeté sur lui un manteau de froidure ? Ce village gît dans la mémoire, on ne le reconstituera pas dans sa totalité, ce sont des fragments, autant de poussières que de vie, auxquelles nous allons tenter d’offrir une animation…

Avoir sept ans en 1959, consiste pour un enfant à regarder vivre le monde adulte, avec ses gestes, ses manies, sa culture, ses espérances, ses larmes. On sait le témoin passé à une génération issue de l’après guerre, ébranlée par les turpitudes d’une république achevée, qu’un général théâtral va recueillir après maints déboires, sans beaucoup de difficultés !

Le retour du père clôt momentanément les querelles familiales. La France, tout au long de son histoire, a

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cherché dans l’image d’un père l’affirmation de son identité. En 1959, De Gaulle a quelques années devant lui pour faire oublier Pétain et débarrasser le pays de ses vieux démons ; les querelles politiciennes, l’influence communiste, l’hégémonie intellectuelle des dinosaures rescapés autant de la vérole révolutionnaire que du maurrassisme le plus têtu !

En réalité De Gaulle a dix ans pour époustoufler le monde de ses tirades, de ses coups de génie, de ses accents rétro ; il va émanciper le pays, bientôt hélas pour lui, de sa tutelle encombrante ! De Gaulle vieillissant ne semble plus comprendre un pays qui lui échappe, l’après guerre n’en finit pas de jouer avec le feu, de libérer les mœurs. L’avancée technologique se moque trop des carcans religieux, philosophiques, pour ne pas porter en elle, la fin d’une civilisation et les prémisses d’une autre que le vieux guerrier solitaire n’aura pas le loisir de comprendre, de fustiger, de maudire ! En 1959, De Gaulle est un dieu vivant, en 1968, il peut constater que tout s’est écroulé autour de lui, la famille, l’école, la religion, la politique !

Son cadet de quelques années, Sartre, cherchera dans cette hypothétique révolution la justification de ses écrits ; le petit homme au physique ingrat n’accrochera pourtant pas le bon wagon de l’histoire… Les peuples ne veulent pas croire au péril des civilisations !

Aux Dinky Toys de notre enfance vont succéder les jeux vidéo, à la lecture de Bibi Fricotin les mangas japonais, à la douceur d’enfance la violence exacerbée, provocatrice, porteuse de tous les désarrois de tous les maux de vivre ; l’amour ne sera plus qu’une jouissance excessive, un cri arraché à nos

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solitudes, la vie, une banalisation compatissante, nos refus nos désirs finiront refoulés par l’immense mer à broyer tout, surtout le désespoir ! Les années futures en auront fini de toutes nos illusions, le monde, devenu un grand temple de la consommation, ne sera plus bercé que par les aboiements odieux des vendeurs en bourse, cent chaînes de télévision, autant de magazines, de journaux, de radios, d’internet ne briseront que la paix ouatée d’un homme qui ne rencontrera plus le village de son enfance !

Fuir ! Partir ! Partir ! Mais que peut-il y avoir sur l’écume blanche, sinon la marque publicitaire d’un négociant en yaourt ! En 1959, un Espagnol accouru de son Tolède natal fait la nique aux nationaux dans le tour ! On attend Anquetil, Rivière voire Bobet ou Geminiani, on espère retrouver l’ange des cols, le Luxembourgeois Charly Gaul ; les Français s’épient, se détestent, Anquetil n’est pas encore Maître Jacques, Rivière est un jeune loup bien dans l’époque de la nouvelle vague, Henri Anglade, un provincial qui voudrait chanter « à nous deux, Paris ! ». Dans l’Espagne franquiste cadenassée par une cuirasse religieuse, l’Espagnol de Tolède ajoute à sa gentillesse, la première victoire dans le tour, d’un Ibérique !

La dure côte de Montsalvy, quelque part dans un Cantal anachronique, sera mon premier rendez-vous avec le tour…

La Peugeot bleue familiale filait sur la toute tortueuse vers la cote de Montsalvy, le tour arrivait ce jour-là à Aurillac, après être parti d’Albi. La cité tarnaise a toujours aimé les hérétiques, tout en confortant son image bourgeoise ! Toulouse-Lautrec et Jaurès paraissent pourtant éloignés de cette quiétude provinciale qui fait que les volets se ferment bien plus

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vite ici que sur les ramblas de Barcelone. Qu’importe, l’Albigeois apprécie la douceur de vivre, tout en sachant que les canailles ont un véritable pouvoir de séduction, que sans eux la vie serait tellement triste ! Albi est à la croisée des chemins, vers Cordes, le temps s’immobilise, à l’ombre des pierres moyenâgeuses, des repentances cathares, vers Carmaux, le XIXe siècle n’en finit pas de mourir, abrité de toute tentation moderniste ! Les musées sont trop souvent de cire, les pèlerinages, hélas, ressemblent à des enterrements programmés, bien réglés…

Anquetil en 59, malgré un tour déjà victorieux, s’incline face à celui que, d’aucun, présente comme son rival dans les années à venir, Roger Rivière ! Il va vite, trop vite, comme s’il savait sa destinée marquée du sceau de la brièveté… Ne vient-il pas de battre le record de l’heure sur la piste du Vigorelli, record que détenait Fausto Coppi, le campionissimo, l’homme, dont on ne comprend pas, s’il a révolutionné le cyclisme ou s’il est une exception !

En 1959 Merckx regarde passer le peloton des coureurs, Coppi ne rédige pas ses mémoires, Bobet, Robic vieillissent dans la gloire surannée des artistes que l’on sait condamnés à cabotiner ! La caravane publicitaire a le charme du bazar de la samaritaine ou des grandes galeries locales, le Poujadisme s’est étiolé dans des relents de passéisme et d’ordre moral, que le général sait récupérer à son compte. En 1959, la gauche n’a plus d’avenir. De Gaulle se sert du parti communiste comme d’un repoussoir, on a les fantômes que l’on peut dans cette France, il a peut-être raison le grand homme, il n’y a que lui et les communistes.

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Comment ne pas le suivre dans ce raisonnement ? Les ombres de Jaurès, de Blum se sont dissipées. Guy Mollet est haï par une nouvelle génération socialiste qui se cherche, qui tâtonne. L’Algérie divise, Alger crache son venin, Camus se sent incompris, déchiré, les bonnes âmes finissent toujours en enfer. Camus porte ce siècle en lui. Sartre ? Camus ? Au duel des deux philosophes répond celui plus prosaïque qui doit opposer Anquetil et Rivière dans le tour de 1960 !

« Tantôt abeille, tantôt bourdon, Tu jettes sur ma raison. Le doux frisson de la déraison ! »

1960 décapite les idoles : Fausto ne se remet pas de la malaria, Camus grille une dernière cigarette, dans la fumée montante, il aperçoit encore Alger la blanche. Sartre pétitionne comme un enfant gâté et Rivière fait un vol plané dans une descente de col. Le Perjuret devient un lieu maudit du peloton. Pendant de longues années, le tour n’empruntera plus ce col. Roger Rivière n’est pas mort : Il gît, désarticulé, inconscient, il allait probablement gagner le tour, asseoir sa légitimité. Des soldats meurent en Algérie, un coureur disparaît en France. La face du tour va être changée, celle de la guerre d’Algérie aussi, l’homme ne précède pas l’évènement, il se laisse enfermer pour mieux rebondir !

De sept à dix ans, les années d’apprentissage ne marquent pas un individu, il les subit.

L’enfance est un espace délimité, l’enfant roi de notre civilisation se prend trop au sérieux pour être autre chose qu’un vieil enfant ! Les bourgeois avaient un vélo, deux vélos, trois vélos, ils nous les

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prêtaient… L’enfance abolit les frontières, on échange des jouets, on partage des bonbons…

De Gaulle n’émancipera pas la France de ses vieux démons, pas plus que Mitterrand quelque vingt années plus tard ! Le tour de France survivra à toutes les bourrasques, comme la Toussaint ou comme la Noël, le calendrier est avare de dates importantes. Nous célébrons de glorieux ancêtres dans un rituel savamment organisé, quelque peu rébarbatif, les poilus de la Grande guerre, ceux qui ont survécu, vivaient dans leur acte de bravoure feint ou réel, ceux de quarante maudissaient autant qu’ils le vénéraient De Gaulle. Nous avons raté notre révolution, comme si les marées étaient stériles, rejetant simplement des masques odieux, ceux de Staline, de Mao, de Castro. Nous avons tout digéré jusqu’à ces monstres naissants (mondialisation, précarité, chômage) dont nous partageons l’inquisition !

Anquetil n’a pas d’adversaire. Le Normand, roi du contre-la-montre, va limiter les dégâts en montagne. Le peuple se lasse des héros. Il faut, pour subsister, des légendes, des martyrs, des rébellions matées. De Gaulle dessine une France qui se croit détentrice d’un message universel, Anquetil s’approprie le tour. Même s’il sent son étoile pâlir, dans un monde nouveau (l’idole est un tigre en papier) l’image supplée le son, l’écrit, le tour sans combat homérique devient monotone ! On attend trop d’un Bahamontès instable, de coureurs Belges opiniâtres mais sans génie. Alors pourquoi ne pas opposer à Maître Jacques son antithèse, un français besogneux qui défraierait la chronique, un petit auvergnat éteint comme les volcans du Massif Central, un courageux apte à l’effort et à la souffrance ?

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Poulidor n’est pas Mitterrand. Il n’est ni rusé ni machiavélique, simplement entêté. Il défie maître Jacques, mais il ne tient pas la distance. Anquetil se dope-t-il ou est-il trop intelligent ? Poulidor admire le Normand. En 1964, il croit enfin tenir le bon cap, celui d’un pèlerin qui atteindrait Saint-Jacques-de-Compostelle après un voyage éprouvant ! Anquetil a gagné trop d’épreuves pour ne pas être rassasié, il a dans sa besace quatre tours de France, record absolu, il aime la vie, les plaisirs, la jouissance. Poupou incarne l’autre France, l’Obscure, la sans grade ; entre les deux, la rivalité bat son plein. En 1964, la France est assagie, les machines tournent à plein régime, la société est devenue totalement marchande, le peuple goûte aux délices de la consommation. La 203 Peugeot a cédé la place à une 403, verte comme l’espérance, robuste comme la France. Leclerc, pas le militaire, l’autre, sur une carte de France jette de petits drapeaux bleus, les soldats de plomb ont été remplacés par de grandes surfaces, on a les batailles que l’on mérite. Leclerc n’est pas maréchal, simplement un visionnaire de la distribution. Les boutiquiers meurent frigorifiés, dans leurs boutiques insalubres, prisonniers des centres-villes. Leclerc déteste la poésie, autant, sans nul doute, celle hermétique d’un Mallarmé que celle plus populaire d’un Prévert. Son inventaire sera à la fin boursouflé, hideux, mais il aura transformé en profondeur la France ! À la France pleutre, rabougrie, va succéder celle des grands espaces, des concentrations urbaines, de Guy Lux d’abord, puis celle d’autres clowns télévisuels !

Nous n’irons plus en vacances à Narbonne Plage. L’Occitanie ne peut pas être comme le Québec libre ;

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elle se condamne à accueillir les nordistes puis les Allemands, la « Floride Occitane » détroussera l’âme locale : les barques de pêcheurs entassées au confluent de l’Aude et de la Méditerranée, les plages de sable fin, hier vierges, aujourd’hui peuplées d’une faune convoitée : le touriste !

« Volem Viure al pais ! » Le chant de Marti va nous rassembler temporairement, pour des luttes comme celles du Larzac ou de Golfech, mais l’Occitanie, rebelle à De Gaulle, ne nous appartient pas ! La SFIO, sur ces terres ingrates, possède un bastion solide, une SFIO tantôt rose, tantôt rouge, déjà en panne d’imagination et d’originalité. Ici, les grands chefs viennent se faire élire, quand Paris les chasse ! Blum à Narbonne, Paul Boncour à Albi, Paul Quilès à Carmaux, avec un autre projet touristique !

Poulidor est populaire, on peut, craindre le pire quant à son intelligence, le bon peuple se méfie toujours des intellectuels ! Anquetil apparaît très vite comme un génie dilettante du vélo. Rabiboché avec le grand Geminiani, il écrase le tour de sa tactique de course. Anquetil ne va pas au bout de ses moyens : il offre quelques chefs-d’œuvre à ses admirateurs, son duel avec Poulidor embrase le pays qui dans une époque lénifiante de progrès cherche dans le sport plus qu’une sorte d’échappatoire ! La société naissante ne lasse pas encore les gens, Poulidoristes et Anquetilistes s’injurient, s’invectivent jusqu’à cette année 64, que d’aucuns prédisent cruciale ! Pour de gaulle, c’est une année d’attente. En 1965, les Français vont élire leur président au suffrage universel. De Gaulle semble faire cavalier seul, son pouvoir est, certes autocratique, mais le pays se développe, est respecté, compte parmi les grandes

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nations… La gauche croupit dans le marigot qui la retient prisonnière. On imagine mal, à présent, ce que vingt-cinq pour cent de communistes représentent de diables ! Avons-nous totalement basculé dans le camp occidental ?

Les dernières années d’enfance sont cruelles. Comment peut-on faire croire à un gamin qu’il n’a pas droit à la parole, quand il a déjà rangé ses jouets et ses costumes d’enfant ? Nous n’avons pas été des enfants rois, nous ne fûmes pas malheureux, l’innocence accompagne l’individu une partie de son existence, nous avons imité nos parents, singeant jusqu’à leurs dérisoires peurs ; le sexe, le travail, l’ordre, l’argent, toutes ces notions paraissent futiles, il nous fut inculqué le sens du devoir, de la morale comme un legs transmis de génération en génération. L’adolescence reste une période de sevrage, un mal de vivre qui doit être vite vécu !

Poulidor ne gagnera pas le tour. Pourquoi le gagnerait-il ? Sa gloire ne sera pas éphémère mais durable ; tout en haut d’une pyramide vit les Dieux. Poulidor approchera du paradis dans la montée du Puy de Dôme, ce jour-là, il a sûrement poussé Maître Jacques à se transcender ; à l’arrivée finale, cinquante-quatre secondes séparent les deux hommes. Anquetil se sait dorénavant vulnérable, il a gagné son pari, cinq victoires dans le tour ! De Gaulle ne doute pas de son triomphe, les plus optimistes lui prédisent un sacre sans ballottage ! Les champions savent quitter le devant de la scène. Anquetil saluera le peloton en 1966, une fois encore, il ridiculisera Poulidor, offrant à Aimar un succès sans panache ! Entre deux règnes se glisse toujours le triomphe de sans grades, de coureurs moyens, pas dénués de talent

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mais inapte à une série gagnante ! Poulidor aurait dû gagner un tour ; le voulait-il vraiment ou était-il déjà conscient que son rôle d’éternel second pouvait le servir ?

Le tour admet rarement le ballottage, l’un des plus éprouvants pour les nerfs fut sans contexte celui de 1989 : Lemond arracha la victoire pour huit secondes, à un Fignon retrouvé, héroïque, qui accomplit cette année-là une formidable résurrection. Le ballottage est à Mitterrand, ce que le beaujolais est au vin nouveau, incontournable !

Avant d’être l’éternel candidat ou le mal aimé de la politique, Mitterrand a développé sa puissance de caractère au contact des différents pièges qui lui furent tendus. Mitterrand, en 1965, a cinquante ans.

Pétainiste le Charentais ? Peut-être mais qui ne le fut pas ? Résistant ? Certainement comme tant d’autres qui éprouvèrent un malaise évident dans cette France bousculée, balayée, dans cette France de 1940 dont toutes les valeurs avaient fondu comme neige au soleil ! La gauche en 1965, a un rare éclair de génie, le PC ne cherche pas à s’opposer au général, amorce d’une véritable union, il se désiste pour un autre candidat unique de l’opposition, Mitterrand ? Deferre ? La finesse de Mitterrand prévaudra sur la ruse de Deferre. La France ne s’ennuie pas encore, il faut, encombrer les foyers de tous les gadgets possibles que commence à inventer le nouveau capitalisme ! La France gaulliste s’essouffle certes, il y a de la nostalgie dans les propos de Charles, et puis il y a surtout les patrons qui découvrent leur pouvoir, leur force montante. On blêmit devant un virage habilement négocié qui renvoie le capitalisme de papa aux oubliettes de l’histoire ! Produisons ! Consommons !