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Jeudi 8 décembre 2016 Sommaire Propos introductifs 2 Catherine MORIN-DESAILLY Sénatrice UDI-UC de la Seine-Maritime, présidente de la commission de la culture Ouverture Gérard LARCHER 3 Président du Sénat Adrien HOUNGBEDJI 4 Président de l'Assemblée nationale du Bénin Focus État des lieux du « Sénat numérique connecté » : efficacité, exigence et transparence 5 Thierry FOUCAUD Sénateur CRC de la Seine-Maritime, vice-président du Sénat en charge de la délégation aux nouvelles technologies Thierry HAPPE Président de l’Observatoire Netexplo Table ronde 1 : Quels défis pour des « territoires ouverts et connectés » ? I) Exposés 7 II) Echanges avec la salle et les internautes 10 III) Conclusion 11 Intervention 12 Benoît THIEULIN Ancien président du Conseil national du numérique Table ronde 2 : Quels enjeux démocratiques pour des « Parlements ouverts » ? I) Exposés 13 II) Echanges avec la salle et les internautes 16 III) Conclusion 18 Conclusion 19 Jean-Vincent PLACÉ Secrétaire d'État chargé de la Réforme de l'État et de la Simplification

Sommaire - Senat.fr · 2016-12-14 · Thierry FOUCAUD Sénateur CRC de la Seine-Maritime, vice-président du Sénat en charge de la délégation aux nouvelles technologies Thierry

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Jeudi 8 décembre 2016

Sommaire

Propos introductifs 2 Catherine MORIN-DESAILLY Sénatrice UDI-UC de la Seine-Maritime, présidente de la commission de la culture

Ouverture Gérard LARCHER 3 Président du Sénat Adrien HOUNGBEDJI 4 Président de l'Assemblée nationale du Bénin

Focus – État des lieux du « Sénat numérique connecté » : efficacité, exigence et transparence 5

Thierry FOUCAUD Sénateur CRC de la Seine-Maritime, vice-président du Sénat en charge de la délégation

aux nouvelles technologies Thierry HAPPE Président de l’Observatoire Netexplo

Table ronde 1 : Quels défis pour des « territoires ouverts et connectés » ? I) Exposés 7 II) Echanges avec la salle et les internautes 10 III) Conclusion 11

Intervention 12 Benoît THIEULIN Ancien président du Conseil national du numérique

Table ronde 2 : Quels enjeux démocratiques pour des « Parlements ouverts » ? I) Exposés 13 II) Echanges avec la salle et les internautes 16 III) Conclusion 18

Conclusion 19 Jean-Vincent PLACÉ Secrétaire d'État chargé de la Réforme de l'État et de la Simplification

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Sénat

Paris, le 8 décembre 2016

Propos introductifs

Catherine MORIN-DESAILLY

Sénatrice UDI-UC de la Seine-Maritime, présidente de la commission de la culture

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureuse de vous accueillir à cette Agora numérique organisée dans le cadre du 4

ème sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Ce

partenariat est une initiative multilatérale qui rassemble à ce jour 70 pays-membres et de nombreux représentants de la société civile. Il s’attache à promouvoir l’utilisation des nouvelles technologies pour renforcer la démocratie et la transparence du fonctionnement de nos institutions.

De nombreux évènements sont organisés, en présence des institutions, du gouvernement et des deux chambres du Parlement français. Rien de plus normal pour le Sénat qui, depuis des années, effectue de nombreux travaux sur les mutations en cours. Notre institution, sous l’engagement de son Président Gérard Larcher, se veut à la fois force de propositions et de réflexions. Cette Agora numérique est organisée autour d’intervenants experts, principalement de la société civile, et de témoignages d’élus.

Le Sénat inaugure aujourd'hui même son espace numérique mobile entièrement dédié au direct sur les réseaux sociaux. Notre Institution est ainsi la première assemblée parlementaire au monde à mettre en place un tel espace.

Bonne après-midi à toutes et à tous.

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Sénat

Paris, le 8 décembre 2016

Ouverture

Gérard LARCHER

Président du Sénat

Soyez particulièrement les bienvenus au Sénat. Nous sommes très heureux de vous accueillir pour cette Agora numérique sur le thème du Sénat ouvert.

Cette après-midi de réflexion s’inscrit dans le cadre du partenariat pour un gouvernement ouvert, présidé cette année par notre pays. Nous avons souhaité y associer le Sénat, qui représente les collectivités territoriales de la République. Comme le disait James Madison, quatrième président des États-Unis, « un gouvernement populaire sans information des citoyens n’est que le prologue à une farce et à une tragédie, voire peut-être aux deux simultanément ». De même, lors de la Révolution française, la première décision prise par les députés du Tiers-Etat fût d’adopter la publicité de leurs travaux.

Le numérique a bouleversé nos vies et nos activités. En moins de deux décennies, il a transformé nos économies, nos méthodes de travail, mais également nos attentes démocratiques. Ces réflexions sont centrales pour toute personnalité politique. Toutefois, nous devons trouver le bon équilibre entre pulsion, réaction et écriture de la loi.

C’est à René Monory que revient le mérite d’avoir engagé le Sénat sur la voie d’une institution connectée, transparente et ouverte en prenant le virage de l’Internet. Ce rôle pionnier, la Haute assemblée n’a jamais cessé de le jouer. Ainsi, a été mise en place une délégation aux nouvelles technologies, présidée par Thierry Foucaud. Nous avons souhaité prendre acte des attentes de la société en associant les citoyens à nos travaux. Parallèlement, nous nous sommes évidemment interrogés sur de possibles dérives liées aux technologies ; en effet, les réseaux sociaux et les pétitions en ligne offrent une caisse de résonnance sans pareil. C’est à nous, élus, qu’il revient d’en mesurer l’audience et d’assumer nos choix politiques.

Nous sommes convaincus que les parlements doivent accompagner et comprendre les transformations liées au numérique, tout en évitant que les algorithmes gouvernent à la place des élus de la République.

Le Sénat a, de longue date, agi pour adapter notre législation et aux nouveaux enjeux du numérique. La présidente de la commission, de la culture, de l’éducation et de la communication, Catherine Morin-Desailly a joué notamment un rôle majeur. Le numérique est aujourd'hui un sujet transversal qui impacte tous les autres. Il est également un domaine sur lequel le Sénat a souhaité s’investir : celui de l’aménagement numérique du territoire. Le sénateur Patrick Chaize a conduit un travail approfondi sur ce point. Une partie des fractures territoriales tient à la fracture numérique. Nous sommes là sur un point qui touche aux fondements de la démocratie. Le très haut débit, c’est le téléphone d’hier. Tout territoire qui n’est pas raccordé se sent en marge de la République. Le numérique à l’école est devenu un enjeu important. Les maires sont en première ligne pour répondre aux attentes de nos concitoyens, qui souhaitent se saisir du numérique pour renouveler les pratiques politiques locales.

Jusqu’à présent, le monde francophone s’est trop tenu à l’écart du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Il est temps que nous l’investissions pour bâtir une nouvelle manière de vivre la démocratie. Il faut redonner à la francophonie toute son ambition. Le Partenariat pour un gouvernement ouvert en est une composante.

Je vous souhaite une excellente Agora numérique.

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Sénat

Paris, le 8 décembre 2016

Adrien HOUNGBEDJI

Président de l'Assemblée nationale du Bénin

Je voudrais, au nom de l’Assemblée nationale du Bénin, féliciter les autorités françaises et le gouvernement français pour l’organisation de ce sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert, qui contribue à la bonne gouvernance, à la transparence, à la participation citoyenne et à l’innovation démocratique.

Le numérique occupe une place de choix dans la nouvelle vision du développement du Bénin. Le Président de la République a décidé de faire de l’économie numérique l’un des axes prioritaires de son action. C’est ainsi qu’il envisage de mettre en œuvre un plan d’investissements massifs. Dans cette perspective, il a organisé un atelier de stratégie de développement de l’économie numérique au Bénin. Cet atelier de haut niveau a débouché sur un cadrage stratégique. Il s’agit de transformer le Bénin en une plate-forme de services numérique de l’Afrique de l’Ouest.

Le parlement béninois, en phase depuis le début de la législature avec cette option, s’est inscrit dans la même dynamique. Nous avons-nous-mêmes organisé récemment un atelier, auquel plus de 80 % des parlementaires ont participé. Les résultats obtenus à l’issue de cette rencontre ont permis une meilleure compréhension par les députés béninois des enjeux et des défis de l’économie numérique. Il s’agit par exemple d’améliorer les relations entre les parlementaires et les populations qu’ils représentent. Des actions sont également prises dans le domaine économique pour moderniser l’environnement des petites et moyennes entreprises.

Le numérique est aujourd'hui reconnu comme un facteur de croissance et un vecteur d’échange. Je puis donc vous assurer que le parlement du Bénin se plaît à encourager tous les parlements francophones à aller dans la direction de leur numérisation.

Le parlement numérique est à l’image du monde qui nous entoure. La montée en puissance des réseaux sociaux n’est guère surprenante. De même, la pratique parlementaire a de plus en plus le souci de rendre les documents et leur contenu plus disponible. Toutefois, la progression de bon nombre de parlements vers le numérique est freinée par la trop faible solidarité entre les pays. Ce problème est particulièrement aigu dans les pays à faibles revenus. La plupart des parlements francophones manquent cruellement de ressources techniques et d’expertise. L’Assemblée nationale du Bénin serait donc heureuse de bénéficier de l’expérience des institutions sœurs et des institutions internationales.

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Sénat

Paris, le 8 décembre 2016

Focus – État des lieux du « Sénat numérique connecté » : efficacité, exigence et transparence

Thierry FOUCAUD

Sénateur CRC de la Seine-Maritime, vice-président du Sénat en charge de la délégation aux nouvelles technologies

J’ai le privilège de présider la délégation aux nouvelles technologies numériques, aux données ouvertes et à Internet. Cela me confère un poste d’observation privilégiée sur le chemin parcouru par le Sénat depuis vingt ans sur le sujet. Je voudrais vous livrer quelques-unes des découvertes que j’ai pu faire.

Le Sénat a toujours été pionnier dans le domaine du numérique. Il le doit à René Monory, lequel, dès 1995, a été à l’origine du virage de l’informatique. Cela a permis un formidable gain de productivité et d’efficacité. Le recours au numérique a permis de moderniser nos méthodes de travail et de renforcer la transparence de l’activité parlementaire.

La condition du passage au numérique a été la dématérialisation de tous les documents. Aujourd'hui, tous les documents parlementaires sont dématérialisés. Le parlementaire qui souhaite travailler en commission ou en séance n’a plus besoin de documents papiers.

Le Sénat a été à la pointe de la dématérialisation de la chaîne parlementaire en mettant en place une application « amendements en ligne » dès 1998. De même, la procédure de dépôt des questions au gouvernement est complètement dématérialisée.

Cette dématérialisation globale a permis de réaliser des progrès, à commencer par une plus grande accessibilité et une plus grande transparence de nos travaux. Le numérique est un formidable moyen pour les citoyens d’accéder à l’information. Il permet de rendre plus tangible l’article 33 de la Constitution sur la publicité des débats des assemblées. Les citoyens peuvent suivre toutes les étapes de l’élaboration d’une loi.

Le site du Sénat, créé en 1996, a fait peau neuve en juillet 2010. Chaque commission gère sa page, ce qui permet une plus grande réactivité. Les statistiques de consultation sont en progression constantes, à 36 millions de pages vues. Les enfants disposent de leur propre site pour apprendre la vie démocratique ; la consultation de ce site ne cesse de progresser.

Evidemment, il reste des marges de progression. Ainsi, il est temps que le site du Sénat s’adapte à tous les supports de consultation. Cela va venir.

Aujourd'hui, 600 000 documents sont disponibles en open data, accompagnés de notices explicatives. Bientôt, toutes les informations ayant un caractère public seront libérées.

Faut-il se lancer dans la voie de la démocratie contributive ? Cette question est importante. Le Sénat a déjà ouvert la porte de l’intelligence collective : 22 espaces participatifs ont été créés sur le site du Sénat depuis 2012.

Le Sénat s’est lancé très tôt sur les réseaux sociaux. Aujourd'hui, son compte Twitter est le 6

ème compte institutionnel français. Le Sénat possède même son compte Snapchat.

Oui à la démocratie de proximité, à condition que cette ouverture ne concerne pas seulement le public restreint des internautes.

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Sénat

Paris, le 8 décembre 2016

Thierry HAPPE

Président de l’Observatoire Netexplo

Nous sommes la preuve vivante que le Sénat a innové, puisque c’est ici même que notre observatoire a été créé. Sa vocation consistait à comprendre comment avancer avec le numérique dans notre société. Notre observatoire a aujourd'hui neuf ans. Notre vocation a toujours été de comprendre ce qu’il se passait dans le monde, et pas seulement aux Etats-Unis. C’est pourquoi nous avons décidé d’élargir nos observations partout dans le monde. L’observation est une vertu essentielle pour essayer de percevoir les signaux faibles qui, demain, nous permettront de mieux vivre ensemble.

En neuf ans, notre monde est devenu complètement digital. Nous sommes 3 milliards d’internautes sur la planète. Le deuxième milliard n’a jamais utilisé d’ordinateur : il est arrivé sur Internet directement à partir de son smartphone. Aujourd'hui, il y a autant de mobiles que de citoyens sur la planète. Bien évidemment, cela ne signifie pas que chaque citoyen possède un mobile.

Nous avons la conviction que les éco-systèmes les plus innovants en matière digitale viennent des pays émergents. Plusieurs exemples en attestent. C’est ainsi qu’en 2008, alors que les élections étaient traversées de mouvements de violence, de jeunes kenyans ont créé une plate-forme collaborative permettant de signaler les lieux d’affrontement. Cette expérience a fait des émules en Inde en 2009, encore dans un contexte d’élections, mais également en Egypte, où des femmes ont créé une plate-forme collaborative permettant de signaler les endroits les plus dangereux pour elles. Il existe de nombreux autres exemples d’applications extrêmement utiles en Afrique, notamment dans le domaine de la santé. Ainsi, il est possible de réaliser un électrocardiogramme à partir d’une tablette et d’envoyer les résultats à un médecin. Ce système est particulièrement utile dans les zones les plus isolées. De même, le Kenya est devenu le leader mondial de la dématérialisation du paiement bancaire. Il génère plus de transactions, depuis 2 ans, que Western Union au niveau mondial. Cet usage touche tout le monde. Il s’est développé beaucoup plus vite que dans les pays européens.

Enfin, je voudrais terminer par ce clin d’œil pour le Président de l’Assemblée nationale du Bénin : un citoyen béninois, étudiant aux Etats-Unis, a mis au point un système d’utilisation des drones visant à préserver la biodiversité dans trois pays d’Afrique de l’Ouest, dont le sien. Il envisage même de créer une « université du drone ».

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Sénat

Paris, le 8 décembre 2016

Table ronde 1 : Quels défis pour des « territoires ouverts et connectés » ?

Grand témoin : Emmanuel EVENO, professeur des universités

Participants :

Hervé MAUREY, sénateur UDI de l'Eure, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable,

Patrick CHAIZE, sénateur de l’Ain, rapporteur pour avis du projet de loi « pour une République numérique »,

Corinne BOUCHOUX, sénatrice écologiste de Maine-et-Loire, vice-présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication,

Guy CLUA, maire de Saint-Laurent, président de l’Association des maires ruraux de Lot-et-Garonne,

Jean-Pierre SUEUR, sénateur Socialiste et Républicain du Loiret, vice-président de la commission des lois constitutionnelles,

Frédérique MACAREZ, maire de Saint-Quentin,

Francis PISANI, spécialiste de la démocratie ouverte,

Tatiana de FERAUDY, chercheure Fabrique Urbaine/Nouvelle Prospérité à l’Institut du développement durable et des relations internationales,

Gabrielle GAUTHEY, directrice des investissements et du développement local à la Caisse des dépôts,

I) Exposés

Emmanuel EVENO

L’innovation sémantique est extrêmement importante. Initialement, il n’était pas question de digital, mais d’informatique. D'ailleurs, les collectivités locales françaises en ont toujours été des acteurs importants, notamment dans les années 60. L’irruption d’Internet dans les années 90 a constitué un moment majeur. Aux Etats-Unis, cette innovation a très minoritairement transité par le monde des collectivités locales. La situation est fondamentalement différente en France. De nombreux sénateurs se sont emparés très vite de ce sujet. De plus, autant l’informatique n’a longtemps concerné que les très grandes villes françaises, autant cela n’a pas été le cas avec Internet. En 1997, 337 collectivités locales possédaient un site web. En 2003, elles étaient environ 4 100. Aujourd'hui, la quasi-totalité des collectivités possèdent un site Internet. Au demeurant, cela ne signifie pas grand-chose. Encore faut-il que ces sites aient une utilité.

Pour autant, la France, à la différence d’autres pays européens, n’a pas été très rapide à basculer vers Internet. Ce n’est qu’en 1997-1998 que le gouvernement a fait le choix de lancer un grand plan et les collectivités territoriales ont joué un rôle de support à cette transition. Aujourd'hui, elles sont des partenaires importants lorsqu’il faut trouver des solutions à la problématique des territoires qui ne sont pas ou difficilement connectés. Les villes sont même devenues des acteurs de la diffusion de l’innovation auprès de leurs populations, mais également sur la scène internationale.

Hervé MAUREY

Le taux de couverture de la population progresse, mais il reste de vraies ruptures et de vraies difficultés. Les collectivités locales sont obligées d’intervenir pour essayer de

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Sénat

Paris, le 8 décembre 2016

résorber cette fracture. Il existe une attente très forte des élus, qui sont eux-mêmes très sollicités. Ces élus sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux.

Patrick CHAIZE

Un territoire ne peut être connecté que s’il est « connectable » et possède un débit de qualité. Il existe trois types de réseau : la fibre optique, le mobile et l’Internet des objets et des territoires intelligents.

La France possède un plan « très haut débit ». Il s’accélère, mais nous n’en sommes encore qu’au début de son application. Dans le mobile, nous devons encore progresser dans la couverture des zones blanches. Les décrochages des zones rurales par rapport aux zones urbaines sont très importants. De nouvelles obligations seront sans doute nécessaires dans les licences à venir. L’Internet des objets est l’enjeu de demain. Le cadre est entièrement à inventer, à la fois pour favoriser l’innovation et pour prendre en compte les exigences de couverture.

Sur tous ces sujets, nous avons besoin d’une vision commune entre l’Etat et toutes les collectivités. L’Etat doit définir clairement les orientations, après concertation. Par exemple, le projet de base « adresses nationales » ne progresse pas suffisamment vite. Nous devons saisir chaque opportunité législative pour avancer dans la connexion des territoires.

Corinne BOUCHOUX

Pouvons-nous, en France, parler de territoires connectés ouverts ? Oui, pour l’essentiel, mais il subsiste des injustices. Nous avons besoin d’une meilleure connexion sur tout le territoire national. Aujourd'hui, pour des raisons de rentabilité, les acteurs ont tendance à se concentrer sur les lieux très urbains. Nous devons veiller à ce que la société numérique de demain soit partout possible. Par ailleurs, la demande d’accès aux données publiques est très importante. Nous devons permettre à l’offre et à la demande de se rencontrer. C’est l’open data.

Guy CLUA

Je suis très heureux d’entendre une sénatrice défendre tous les territoires. En France, il ne doit pas y avoir de différence entre les territoires urbains et les territoires ruraux. Aujourd'hui, nous vivons une évolution importante avec le très haut débit. Nous avons besoin que les débits soient suffisants. L’équipement des écoles a été une réussite. Nous avons maintenant vraiment besoin du très haut débit. Les entreprises, les agriculteurs, les particuliers, les collectivités et les écoles le demandent. Je pense également à la télémédecine.

Jean-Pierre SUEUR

Le bon usage du numérique est celui qui permet de mieux vivre dans la ville. C’est une meilleure manière de donner et de faire circuler de l’information. Ce doit également être une manière de s’exprimer pour les citoyens. Le numérique est un outil extraordinaire, à condition de savoir l’utiliser et le maîtriser. Il renforce les possibilités de dialogue, sur le plan politique comme pratique. Cela suppose de former au numérique.

Frédérique MACAREZ

Tous les propos qui ont déjà été tenus sont importants. Sans un bon accès, il est impossible de se servir du numérique. L’infrastructure est donc essentielle. La ville de Saint-Quentin - 57 000 habitants - s’est toujours intéressée aux sujets d’innovation. Nous sommes en zones AMI. Nous aurons donc le haut débit à terme, même si le calendrier est problématique. L’accès des entreprises au haut débit est un autre problème, notamment pour les PME. Ce point est crucial sur beaucoup de territoires.

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A Saint-Quentin, nous avons créé notre premier site Internet en 2001. Nous avons peu à peu appris à nous ouvrir. Nous nous sommes très vite habitués. Aujourd'hui, nous faisons du numérique une véritable stratégie de territoire. Les premières briques étaient très désordonnées. A présent, nous avons élaboré une stratégie smart city, avec différents objectifs tels que réduire les coûts de gestion de la ville, rendre la ville plus efficiente en termes de développement durable ou améliorer les relations du citoyen avec les services publics.

La participation des citoyens est un élément important. Nous avons fait partie des premières villes qui ont mis au point l’open data. Nous n’avons pas forcément besoin de plates-formes. En revanche, l’outil numérique nous permet de toucher un public, jeune notamment, qui ne vient pas vers les services publics et les institutions.

Francis PISANI

Le terme de smart city permet d’attirer l’attention sur l’importance de la ville. C’est une initiative des grandes entreprises de technologie. Il s’agit d’utiliser la technologie pour offrir des services plus économiques et plus efficaces aux collectivités. De nombreuses initiatives sont prises un peu partout. Elles sont également le fait de start-up ou de la population. Le recueil de données ainsi que le fait d’utiliser des données ouvertes permettent de travailler dans de multiples directions.

Tatiana de FERAUDY

Nous avons mené un projet de recherche sur l’utilisation des outils numériques dans les collectivités. Nous nous sommes intéressés au crowdsourcing, qui consiste à faire appel aux citoyens. Des expérimentations extrêmement différentes ont été lancées. Ces outils ont d’abord été mis en place dans une logique participative. Au fur et à mesure de leur utilisation, il est apparu qu’ils pouvaient être utiles aux villes. L’apprentissage de la mise en place de ces outils numériques est assez long, ce qui est normal. La gestion des données est un premier grand défi. La mobilisation des contributeurs en est un autre. Les outils numériques sont insuffisamment utilisés.

Nous portons une autre vision de la smart city. Nous proposons des grilles qui permettent aux collectivités de mieux choisir les outils. Le processus d’appropriation de la culture numérique est en cours.

Gabrielle GAUTHEY

Depuis quinze ans, la Caisse des Dépôts accompagne les collectivités locales dans la structuration de leur éco-système. Nous les avons accompagnées dans la numérisation de leurs services et dans les usages. J’ai pu constater, au cours de mes activités professionnelles, que le numérique transformait l’Afrique davantage qu’il transforme nos territoires. En France, nous avons su asseoir un modèle. Des fonds d’infrastructures investissent sur des réseaux dès lors qu’ils ouverts, neutres et mutualisables. D'ailleurs, initiative publique ne signifie pas fonds publics. Nous avons un vrai sujet de concurrence autour des PME.

Nous sommes très investis pour accompagner les collectivités locales dans la smart city, qui pose la problématique des données. Il existe un vrai sujet de gouvernance, de propriété et d’usage de ces données. Ce ne sont pas les données en elles-mêmes qui ont de la valeur mais leur traitement.

Nous avons produit énormément de rapports publics sur la valorisation des données de mobilité ou les enjeux des données de l’énergie. En parallèle, nous investissons dans des entreprises qui traitent la donnée, toujours avec l’intérêt général à l’esprit. La collectivité doit rendre le futur possible en attirant l’investissement privé.

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II) Echanges avec la salle et les internautes

De la salle

Quel est l’apport d’une smart city d’un point de vue écologique ?

Tatiana de FERAUDY

Le sujet est très complexe. Nous n’avons pas d’apport direct. Il peut y avoir des apports, mais il n’existe pas d’automatisme., et Il reste à traiter la question de l’impact écologique du numérique.

De la salle

Quelle est la place des tiers-lieux dans vos les collectivités ?

Gabrielle GAUTHEY

Pour notre part, nous avons investi aux côtés de collectivités dans plusieurs types de tiers-lieux. S'agissant du rapport entre smart city et écologie, nous travaillons beaucoup sur l’utilisation de la data pour monitorer la consommation énergétique des bâtiments. Nous travaillons beaucoup sur les territoires à énergie positive grâce au numérique.

De la salle

Vous n’avez pas encore parlé d’open source. Que pourriez-vous nous en dire ?

Tatiana de FERAUDY

Ce sujet est très important. Les collectivités et les citoyens ont été déçus que l’open source ne soit pas davantage encouragée. Nous n’en sommes pas encore à la sa dimension politique de l’open source.

De la salle

Comment créer son propre opérateur ?

Gabrielle GAUTHEY

Des opérateurs continuent de se créer. Ils opèrent sur les réseaux ouverts. L’objectif n’est pas que chacun crée son opérateur. Tout dépend de ce que vous entendez par ce terme.

De la salle

Quelle est la place de la formation dans vos activités ?

Frédérique MACAREZ

Le monde économique et les méthodes de travail connaissent de grands bouleversements. Nous devons essayer de les anticiper. Pour notre part, nous avons beaucoup travaillé avec l’Education nationale, depuis l’école primaire jusqu’à un au niveau bac +5, sur les métiers de la robotique et du numérique. L’enjeu de cette transformation est encore plus important dans les territoires difficiles. Nous avons organisé un salon professionnel sur ces métiers voilà il y a 15 quinze jours. Le conseiller de l’Education nationale nous a expliqué que les jeunes avaient montré une grande attention. La formation est vraiment un enjeu national.

Gabrielle GAUTHEY

La grande école du numérique labellise plusieurs centres de formation qui s’adressent surtout aux enfants jeunes qui ont décroché du système scolaire. Des formations sont

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également dispensées aux chefs d’entreprise, notamment de PME, sur la transformation qu’induira induite par le numérique. Un opérateur de la transformation numérique des PME sera constitué.

Tatiana de FERAUDY

Au-delà de la formation professionnelle, de nombreuses initiatives ont été prises pour former les citoyens à l’utilisation du numérique et à en comprendre les enjeux.

III) Conclusion

Loïc HERVÉ, sénateur UDI de la Haute-Savoie, président du groupe d’études Société numérique, nouveaux usages, nouveaux médias

Finalement, les territoires se sont complètement saisis de la question numérique et de ses enjeux. Il est important que ces enjeux soient traduits dans la loi avec la rapidité nécessaire.

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Intervention

Benoît THIEULIN

Ancien président du Conseil national du numérique

Notre système politico-médiatique a vécu des évolutions très profondes ces derniers temps, que traduisent notamment la montée des populismes en Europe ou la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis. Internet est la plus grande structuration du débat public au monde. L’essentiel des opinions se font et se défont sur Internet. La récente élection présidentielle américaine en est la preuve. Le monde n’est plus structuré autour des grands médias traditionnels.

Nous n’avons pas suffisamment regardé sous la « ligne de flottaison », alors que c’est là que le débat se structure et que les opinions se forgent. Si nous n’y prenons pas garde, nous n’avons pas fini d’être surpris. Nous commençons seulement à prendre conscience que la manière dont le débat se structure émerge sur Internet a outillé aussi bien Daesh que Donald Trump. Pour le moment, la vague de désintermédiation se poursuit.

La société civile s’est réapproprié ses pouvoirs. A long terme, je suis persuadé que ce sera pour le meilleur, mais en phase de transition, le pire n’est pas à exclure.

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Table ronde 2 : Quels enjeux démocratiques pour des « Parlements ouverts » ?

Grand témoin : Lawrence LESSIG, professeur de droit et d’éthique au Harvard Law School

Participants :

Kaja KALLAS, député européen, membre de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie,

André GATTOLIN, sénateur écologiste des Hauts-de-Seine, vice-président de la commission des finances, vice-président de la commission des affaires européennes,

Jean BIZET, sénateur Les Républicains de la Manche, président de la commission des affaires européennes,

Isabelle Falque-PIERROTIN, présidente de la CNIL, présidente du G29, groupe des CNIL européennes,

Didier GUILLAUME, sénateur Socialiste et Républicain de la Drôme, président du groupe Socialiste et républicain,

Françoise LABORDE, sénatrice RDSE de Haute-Garonne, vice-présidente de la commission, de la culture, de l'éducation et de la communication,

Martin CHUNGONG, secrétaire général de l’Union interparlementaire (UIP),

Andy WILLIAMSON, expert sur les questions de démocratie numérique et d’innovation démocratique,

Éric ADJARIE, directeur de la francophonie numérique à l’Organisation internationale de la Francophonie ;

Bernard STIEGLER, philosophe.

I) Exposés

Lawrence LESSIG

Un sentiment de choc assez violent continue de dominer aux Etats-Unis. L’histoire est loin d’être terminée. Elle a à voir avec ce qu’induit la technologie numérique. Celle-ci, comme Janus, est à la fois bonne et mauvaise. Internet, ce n’est ni complètement formidable, ni totalement épouvantable. Les deux vérités s’appliquent. Elles sont vraies et le seront toujours. Aujourd'hui, je m’intéresserai à la partie d’Internet qui n’est pas très enviable, sur le modèle de ce que nous venons de vivre aux Etats-Unis.

Une certaine forme de corruption, rampante, dévoie la manière dont la démocratie nous représente. Le peuple estime que la démocratie n’est que le fait des élites, qu’elle ne représente qu’elles. Cette réalité est une corruption de l’idée-même de démocratie.

Aux Etats-Unis, les campagnes électorales sont financées par les élites, par les ultra-riches. D’une certaine manière, c’est cette élite qui désigne les candidats qui se présentent. Les citoyens ne font que voter. Ce système fait le jeu de ceux qui se trouvent tout en haut de la pyramide. Une proposition a d’autant plus de chance d’être acceptée qu’elle est soutenue par les élites ou par des groupes d’intérêt puissants. Peu importe le nombre de citoyens qui soutiennent une idée : cela ne modifie en rien la probabilité qu’a cette idée d’être acceptée. L’américain ordinaire n’a donc qu’une chance infime de faire passer une loi qui l’intéresse. Ce n’est pas cela la démocratie ; c’est une tragédie. Tout

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Paris, le 8 décembre 2016

cela produit un scepticisme épouvantable vis-à-vis de la démocratie, d’où la résurgence du populisme, stimulé par Internet.

Donald Trump est un expert de l’utilisation de Twitter, parfois de manière très précise. Certes, ce qu’il dit n’est pas toujours vrai, mais ce n’est pas toujours complètement idiot. Au-delà, un Internet qui n’est pas contrôlable, qui n’a ni rédacteur, ni modérateur, connaît un véritable essor. Cela nous rend de plus en plus vulnérables psychologiquement puisque nous réagissons à ces attaques. Ainsi, les fausses informations ont joué un rôle incroyable dans la récente élection présidentielle. Cette vulnérabilité s’accroît. Elle en a d’autant plus que notre civilisation se meurt de plus en plus.

Avant Internet, nous regardions tous la même chose. Nous avions les mêmes sources d’information, nous avions des connaissances collectives. Aujourd'hui, l’audience des chaînes traditionnelles est en très fort recul. La segmentation est telle qu’il n’est plus possible de promouvoir le partage d’un sens commun. Nous n’avons plus de bases en commun. Nous ne partageons plus la même histoire. Nous dépendons de la compréhension qu’ont les citoyens des politiques gouvernementales.

Face à cette fragmentation, le gouvernement ouvert n’est pas ni la solution, ni le remède ; il est simplement une nécessité. Nous n’avons pas le choix. Soyons conscients que cette liberté ne nous permettra pas de réduire les problèmes structurels sous-jacents. Nous ne combattrons la corruption qu’en rendant enfin la démocratie participative. Les élites ne renoncent pas à leur pouvoir, bien au contraire, puisqu’ils en profitent de manière sans cesse plus outrageuse. D'ailleurs, les marchés financiers ont très bien réagi au Brexit et à l’élection de Donald Trump.

Nous sommes entrés dans une ère d’obscurité et d’obscurantisme. Cette obscurité ne fait que s’épaissir lorsque l’on pense aux quatre prochaines années. Donald Trump a promis à une partie du peuple américain des choses qu’il ne pourra jamais leur donner. Que se passera-t-il lorsqu’il aura échoué ? Donald Trump s’inventera forcément un ennemi. Il s’agira des musulmans, ou de la Chine.

Comment résister ? Il n’existe pas de voie toute tracée. C’est Internet qui nous a amenés là où nous en sommes aujourd'hui. Les vagues populistes ne manqueront pas de déferler.

Kaja KALLAS

Je travaille tous les jours pour que l’Europe utilise les opportunités que nous apporte le numérique. Le numérique a permis de faire de mon pays une démocratie plus honnête et plus proche des citoyens. De mon point de vue, les données gouvernementales sont un bien commun. Je suis convaincue que l’ouverture des données est une opportunité démocratique. Cela demande des efforts dans la collection collecte et la publicité de ces données. La réutilisation de ces données à l’échelle européenne nous permettrait d’améliorer le fonctionnement de nos démocraties. L’Europe est face à un choix historique : l’ouverture ou le repli sur soi. Personnellement je crois en une Europe ouverte.

André GATTOLIN

J’ai toujours privilégié une vision participative et horizontale des choses. Beaucoup de choses se sont construites de manière réticulaire dans notre histoire.

Aujourd'hui, le numérique est malheureusement devenu un outil de propagande. Pourtant, nous sommes dans l’incapacité de vivre sans les nouvelles technologies. Elles créent des exigences à notre endroit. Elles s’inscrivent souvent dans une logique de renversement des pouvoirs, comme l’ont démontré les printemps arabes. En revanche, il est plus difficile de construire. En Islande, mes amis du parti pirates essaient de construire de la cohérence. Au lendemain du scandale des Panama papers, qui a entraîné la démission du Premier ministre islandais, le parti pirate était à 42 % dans les sondages. Une semaine avant les élections, il était encore très haut. Au final, ils ont a terminé en troisième position, à 14,5 %.

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Paris, le 8 décembre 2016

Enfin, le pouvoir politique est de plus en plus exécutif. Très peu de lois sont d’origine citoyenne, y compris dans une démocratie participative comme la Norvège.

Jean BIZET

L’Estonie a appréhendé le digital avec beaucoup de pertinence. Sans aller jusque-là, la France, et à travers lui le Sénat, a également été novateur en la matière, notamment pour ce qui concerne la propriété des données. Il est important de créer une culture du digital, et d’expliquer à nos concitoyens que nous vivons dans un monde dans lequel il faut faire très attention.

Isabelle FALQUE-PIERROTIN

Les données sont au cœur d’affrontements stratégiques extrêmement importants entre les différentes zones du globe.

Nous sommes aujourd'hui face à une crise de la décision publique, qu’elle émane des parlements ou des autorités publiques. Cette décision est contestée à la fois sous l’angle de sa représentativité et de son efficience. Le numérique joue un rôle dans cette déconstruction ; à certains égards, il accélère la crise. Toutefois, le numérique a également un rôle à jouer dans la reconstruction. Je suis convaincue qu’il est possible de réinsuffler un regain de représentativité et d’efficience. La concertation publique, organisée grâce aux nouveaux outils, peut aider et nourrir la décision publique. Ces outils de concertation n’exonèrent évidemment pas le politique de sa responsabilité. Concerter, ça n’est pas décider. Les parlements ne doivent pas démissionner du rôle exclusif qui est le leur.

Didier GUILLAUME

Les gouvernements, comme les parlements, doivent aller au plus près des citoyens. Il faut mettre à la disposition des citoyens tout ce qu’il se passe au parlement. Nous n’avons rien à cacher. Les citoyens doivent être des contributeurs.

Françoise LABORDE

Un parlement connecté est un parlement qui arrive à avoir des relations avec les citoyens. Dans le cadre de la loi numérique, les consultations ont duré très longtemps. Les citoyens ont pu donner leur avis. C’est très intéressant. Il est important que nous communiquions sur notre manière de travailler, sur la manière dont est utilisée la réserve parlementaire par exemple.

Andy WILLIAMSON

Certes, les citoyens devraient pouvoir contribuer à chaque projet de loi, mais il ne faut pas non plus leur mettre trop de pression. Je travaille avec énormément de parlements. Généralement, ils sont friands de leur histoire. Or les sociétés qui les entourent changent constamment. Les parlements ont du mal à rester en phase. Ils sont souvent à la traîne, ce qui est dommage pour une institution démocratique.

L’ouverture n’est pas une option. C’est la position par laquelle nous devons commencer. Nous avons besoin d’un parlement et d’un gouvernement ouverts. Ce doit être notre postulat de départ. Le Partenariat pour le gouvernement ouvert met d’abord l’accent sur les données. C’est très bien, mais les données ouvertes ne font pas tout. Il faut apprendre à s’en servir. Cela passe par de la formation et de l’éducation. Les données doivent ensuite déclencher des discussions avec les citoyens. Néanmoins, comment un citoyen peut-il être certain que sa voix est entendue ?

J’en ai plus qu’assez des pétitions. Que démontrent-elles ? Il est facile d’obtenir un million de signatures sur un sujet qui parle aux citoyens. Il faut entendre, il faut écouter, mais il faut également aller chercher les gens. Nous ne pouvons pas rester statiques. Nous devons travailler avec la société civile.

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Paris, le 8 décembre 2016

Martin CHUNGONG

Le débat est en cours au sein de l’Union interparlementaire (UIP) sur le gouvernement ouvert. Cette question s’impose à nous. Il s’agit d’une nécessité. Certes, tout n’est pas forcément positif dans l’utilisation des technologies numériques. Le risque de détournement à des fins dictatoriales existe. Les parlements créent des attentes. Comment les gérer ?

Il a été question des équilibres de pouvoir et des interactions des parlements avec les exécutifs. Comment le parlement peut-il asseoir sa légitimité vis-à-vis de ces autres acteurs ? Nous devons y réfléchir.

Les données ouvertes sont une bonne chose, mais elles ne sont pas forcément utilisables en l’état, que ce soit par le public ou par les parlementaires. Nous avons donc besoin d’un modérateur, à condition toutefois que la réglementation ne prenne pas les habits de la censure.

Aujourd'hui, nous savons quasiment en temps réel ce qu’il se passe dans le monde. Comment faire en sorte que les parlements ne soient pas dans la réaction, mais dans l’action ?

La démocratie est un mécanisme qui sait se corriger d’elle-même. Une dictature ne sait pas faire cela.

Éric ADJARIE

Lors du récent sommet mondial de la francophonie, les chefs d’Etat réunis à Madagascar ont rappelé leur attachement à une véritable stratégique numérique pour les pays de l’espace francophone. Le numérique ne doit pas être le seul apanage des pays anglophones. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) aide les pays-membres dans trois domaines principaux : la gouvernance de l’Internet, les biens communs et l’innovation. Il est important que la langue française puisse vivre dans le cyberespace. Aujourd'hui, nous avons l’impression qu’il est impossible de parler du numérique sans employer de termes anglophones. Nous encourageons également l’esprit d’innovation chez les jeunes francophones. L’OIF croit en la formation comme étant un levier de la démocratie représentative et participative que permet le numérique.

II) Echanges avec la salle et les internautes

De la salle

Le système électif n’a-t-il pas trouvé ses limites avec les échanges hystériques d’informations ? Ne faudrait-il pas plutôt investir dans l’humain et faire confiance aux citoyens pour prendre des décisions ? Que pensez-vous de l’idée de tirer au sort les citoyens qui seraient chargés de prendre ces décisions ?

De la salle

La démocratie représentative a atteint ses limites. Un tirage au sort des citoyens pourrait être une solution. En miroir d’une chambre représentative, une chambre miroir de citoyens pourrait servir de contre-pouvoir. Le Sénat devrait accorder davantage de place aux citoyens. Ce serait une manière de combler le fossé entre les élites et le peuple.

Lawrence LESSIG

La technologie ne met pas en échec les lois de la science politique. La démocratie indirecte ou toute forme démocratique qui permet aux citoyens de s’engager ouvre toujours la porte à des groupes d’intérêts. Nous l’avons vu aux Etats-Unis, lorsque des administrations se sont ouvertes au public. Sur certains sujets, les citoyens ont effectivement pu s’exprimer. Sur d’autres, ces citoyens étaient en fait des lobbyistes. Pour

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Paris, le 8 décembre 2016

autant, la solution d’un tirage au sort, très intéressante, mériterait d’être davantage explorée.

De la salle

Pourquoi le gouvernement américain est-il si sceptique face au concept de digital comments ?

Lawrence LESSIG

Le gouvernement américain est un géant. Il faudrait que je sache quelle part de l’administration a exprimé ce scepticisme.

De la salle

Des associations françaises ont appelé au boycott du sommet du Partenariat au motif que le gouvernement français s’approprie des bénéfices dont il n’est pas à l’origine. D’autres estiment que toute avancée est bonne à prendre. Quelle est votre position ?

Andy WILLIAMSON

Je suis très surpris qu’un gouvernement puisse utiliser le Partenariat à des fins politiques. Vraiment ! Allons… un gouvernement a toujours des arrière-pensées. Nous discutons toujours avec les politiques. Si votre gouvernement fait des choses que vous n’aimez pas, regardez ce qu’il se passe ailleurs. Apprenez de ces pays comme l’Ukraine, la Géorgie et le Kenya. Il faut accepter dès le départ que le processus est un peu vicié. C’est mieux que rien.

De la salle

En arrivant au Sénat, j’ai vu une manifestation de gens mécontents à l’extérieur. Quelle partie du gouvernement ouvert devrait rapprocher ces manifestants des décideurs ?

André GATTOLIN

J’ai discuté avec les manifestants, comme d’autres sénateurs d'ailleurs. Lorsque nous discutons d’une loi, il est rare que nous ne recevions pas les représentants des syndicats représentatifs. Nous ne sommes pas coupés de cette réalité. Ce que nous ne voyons pas au Sénat, nous le voyons à l’extérieur, sur le terrain. En revanche, il est vrai qu’il est plus difficile de recevoir les individus qui ne font pas partie d’un corps constitué, même si nous sommes beaucoup sollicités par courrier.

Catherine MORIN-DESAILLY

Les réflexions sur le devenir de nos démocraties deviennent cruciales à l’heure où la technologie, les algorithmes et l’Internet des objets se développent. Que faut-il faire pour éviter que ces instruments ne soient le vecteur de nouveaux types de surveillances ou d’affrontements ? Comment instituer de la confiance ?

Lawrence LESSIG

D’une certaine manière, la technologie dicte son propre agenda. Le législateur doit au moins comprendre les différents choix que la technologie lui donne. Avec l’architecture actuelle, nous pouvons davantage respecter la vie privée, tout en assurant la sécurité. Il est très maladroit de vouloir stocker toutes les données en un seul emplacement. Il ne peut pas y avoir de justification à cela.

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III) Conclusion

Bernard STIEGLER, philosophe

L’open data nécessite de réinventer la puissance publique. Aujourd'hui, l’open data nourrit surtout la data économique. La puissance publique est prise de vitesse. Les conditions d’exercice de la décision démocratique doivent être repensées. Il s’agit de réinventer la citoyenneté autour de la démocratie contributive. Ces technologies sont la condition de la reconnaissance de la vie démocratique et républicaine. Aujourd'hui, Facebook en sait davantage sur les Français que l’INSEE. C’est très ennuyeux. Le chantier est colossal.

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Paris, le 8 décembre 2016

Conclusion

Jean-Vincent PLACÉ

Secrétaire d'État chargé de la Réforme de l'État et de la Simplification

Près de 300 évènements sont programmés sur ces 3 jours du sommet du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Ce Partenariat a été initié par le Président Obama en 2011. La France l’a intégré en 2014.

Nous avons pris conscience de la réalité du monde démocratique d’aujourd'hui, de ses échecs et des peurs qu’il engendre. Les scrutins britanniques, américains, italiens et autrichiens nous amènent à nous remettre en cause. Nous sommes peut-être trop habitués à une démocratie représentative classique. Ne doutez donc pas de notre sincérité. Nous avons d'ailleurs mis en place un plan d’actions concernant la transparence de la vie politique. J’entends ceux qui disent qu’il faut aller plus loin. Nous le faisons. Dans le cas de la loi numérique, 80 amendements découlent directement des consultations que nous avons organisées. Je suis certain que l’idée de la consultation obligatoire avancera. Des avancées réelles ont déjà été accomplies. Les citoyens ont soif d’être consultés, d’aller voter. Les primaires de la droite et du centre l’ont récemment démontré.

Le Sénat se modernise. Il est de plus en plus connecté, ce qui donne davantage d’interactivité au débat citoyen. La révolution numérique est en cours dans les administrations et les collectivités. Des centaines de communes mettent en place des structures de concertation, et même de contrôle. Une révolution extraordinaire s’amorce dans la pratique citoyenne.

De la même manière, nous avons mis en place une véritable stratégie dans l’ouverture des données. Nous avons fait le choix d’ouvrir les données des entreprises. Ainsi, le SIRHEN sera en open data total dès le 1

er janvier prochain.

Bien sûr, les algorithmes n’ont pas vocation à remplacer les gouvernants. Le gouvernement ouvert, c’est une réponse à la fois aux Panama papers et à Nuit Debout. Ce n’est pas seulement éthique ou moral. Il s’agit d’une nécessité politique.

L’idée du Partenariat consiste à déboucher sur des actions collectives entre Etats. Il faut insuffler davantage de démocratie et d’ouverture. Si nous ne les écoutons pas, les citoyens sauront nous obliger à le faire. Faisons-le donc dans l’enthousiasme.

Document rédigé en temps réel par la société Ubiqus – Tél : 01.44.14.15.16 – http://www.ubiqus.fr – [email protected]