SOSPEL - Ancienne Cathédrale Saint-Michel Tabernacle de la chapelle de la Pietà

Anonyme - Atelier turinois du XVIIIe siècle

Le souhait de la commune de procéder à la restauration de cet objet particulièrement intéressant a conduit à l'élaboration du présent dossier monographique ne faisant état que d'observations visuelles en l'absence de tout élément d'archive ou de documentation connu à ce jour.

1 - Localisation actuelle et origine possible

L'œuvre (Photo 1) se trouve sur l'autel de la chapelle dite de la Pietà, en haut du collatéral Sud de l'ancienne ca thédra le récemment restaurée. Cette chapelle, p l a c é e s o u s a l a r m e permanente, abrite aussi les deux retables sur bois des XVe et XVIe siècles (Pietà anonyme provenant de l'oratoire des pénitents b l a n c s e t A s s o m p t i o n attribuée à François Bréa). Le tabernacle, normalement disposé au centre des gradins de l'autel dont il interrompt le second degré, s e m b l e a v o i r c o n n u a n c i e n n e m e n t c e t t e i n s t a l l a t i o n b i e n q u e quelques indices laissent penser qu'elle ne soit pas sa localisation originelle. On note, tout d'abord, une grande différence de qualité entre le tabernacle lui-

même et la structure de l'autel à laquelle il s'intègre, que caractérise une extrême simplicité. Il est raisonnable de penser que l'œuvre, à l'origine directement posée contre un mur d'appui comme l'indique la poursuite du décor des joues inférieures jusqu'à l'aplomb du tableau de fond, se complétait latéralement par des panneaux d'ornement

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traités selon les mêmes techniques. La disposition actuelle, en avant du mur et dans une réserve du gradin d'autel, masque partiellement le décor marqueté des joues, endommagé sur le côté gauche (Photo 2). Par ailleurs le panneau gauche du tableau de fond du baldaquin montre saint François d'Assise en extase sur une nuée et recevant les stigmates alors qu'en partie basse des angelots jouent avec sa ceinture de corde ou discipline (Photo 3). Cette double scène semble indiquer que le tabernacle pourrait provenir d'un couvent de religieux capucins, probablement celui

qui existait à Sospel, sécularisé à la fin du XVIIIe siècle ? Cette hypothèse, extrêmement plausible parait corroborée par l'image, sur le panneau symétrique, de saint Maurice auquel ce couvent était dédié (Photo 5).

2 - Architecture du tabernacle L'œuvre, s'inspirant du modèle du tempietto élaboré et propagé depuis la Renaissance, se compose de trois parties superposées, architecturalement unifiées par un décor riche et complexe. Le premier niveau s'établit sur la base d'un plan trapézoïdal dont les angles aigus sont rabattus formant les joues du meuble, perpendiculaires à son appui mural (Photo 2). Il s'élève sur un socle constitué de deux planches dont l'une est peut-être contemporaine

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de la réinstallation. La façade s'organise en un panneau central cantonné de deux panneaux biais, deux pilastres à chapiteau séparant les éléments tandis qu'une plinthe et une architrave moulurées ferment l'ensemble (Photo 4). Les côtés présentent une scène historiée surmontée d'un bandeau à motif floral. Les pilastres portent une chute végétale clouée en applique (en grande partie conservée à gauche et totalement disparue à droite), les chapiteaux s'ornent de cannelures sur la corbeille et d'acanthes étalées sur l'abaque. Le panneau central est celui du tabernacle proprement dit avec sa porte chantournée, dotée de deux gonds et d'une entrée de serrure. Ses écoinçons abritent un motif d'acanthe disposé symétriquement. Le second niveau constitue le baldaquin d'exposition de l'ostensoir. Le plan conserve celui du premier niveau mais l'élévation est celle d'un portique ouvert. Le fond reprend la division tripartite sur un seul alignement compartimenté par quatre pilastres à chapiteaux composites de bois doré (Photo 5). La face des pilastres portait des chutes

végétales de bois doré clouées en applique : les deux extérieures ont disparu tandis qu'à l'intérieur celle de gauche conserve quelques vestiges, celle de droite étant intacte. Les deux panneaux latéraux portent une scène historiée surmontée d'un bandeau au décor floral non symétrique. Le panneau central est encadré d'une moulure de bois doré. contenant une scène d'exaltation de la croix surmontée d'une paire de chérubins rayonnants, sculptée et dorée. Seuls les écoinçons bas ont reçu un motif d'incrustation.

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Sur la plate-forme en avant de ce panneau de fond s'érigent deux colonnettes en onyx portant le dôme du baldaquin. Deux autres ont disparu, elles étaient disposées devant les pilastres latéraux du fond. Seuls subsistent la base carré de celle de gauche et son crampon d'ancrage sous l'architrave. Enfin on remarque, de part et d'autre, la présence de deux petits socles en bois de plan carré et disposant d'un trou d'ancrage pour un élément sculpté disparu : ange en adoration, vase et bouquet, … ? (Photo 6 et dessin). Le niveau supérieur constitue la couverture du baldaquin composée d'un dôme en cinq portions extérieurement et d'une voûte en berceau intérieurement (Photo 7). De beaux ailerons à double volute (Photo 8), véritable travail de lutherie, forment les côtes compartimentant le tambour polygonal du dôme dont la calotte porte une croix tréflée. Tous les motifs d'ornement se distinguent par leur dessin géométrique et rigoureusement symétrique, y compris pour la voûte centrale (Photo 9 et dessin) et pour les plafonds latéraux (Photo 10).

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3 - Ornements et décors On doit souligner la qualité et la précision d'assemblage des menuiseries qui composent le meuble. Totalement masquées par le décor sur les faces visibles, elles sont observables au dos du tabernacle. Il en va de même pour les éléments de boiserie qui cantonnent les différents panneaux et n'ont reçu ni dorure ni incrustation : moulures, plinthes, fronton et côtes du dôme sont d'une élégance irréprochable. Pour la plupart les fonds de plaquage sont réalisés "à livre ouvert", par juxtaposition de deux feuilles de bois après sciage en épaisseur. Les décors de marqueterie se répartissent en trois types principaux : motifs géométriques, motifs chantournés, scènes historiées. La couverture intérieure du baldaquin (Photo 9 et dessin) est ornée d'une étoile à six branches inscrite dans une étoile de David dont les côtés des deux triangles qui la composent sont interrompus par un arc de cercle concave. De petites nébulosités en nacre complètent le motif. Certains ornements associent le dessin géométrique, tracé à la règle et au compas, avec des figures plus complexes. Il en va ainsi des compartiments bas du dôme (Photos 7 et 8) qui offrent des variations d'acanthes, prises dans des cartouches contournés et rehaussées de boutons de nacre. Plusieurs panneaux, compte-tenu parfois de leur tracé irrégulier, on reçu un décor plus complexe, composé de motifs végétaux chantournés. L'ornementation peut en être relativement sobre, comme pour les joues de la partie inférieure (Photo 2),

ou très travaillée, comme pour les compartiments "en quartier d'orange" qui couvrent le dôme (Photo 7) ou les petits plafonds en forme de couvercle de piano qui en couvrent les ailes (Photo 10). Des compléments d'ornement sont donnés par les motifs d'applique en bois sculpté et doré. Réalisés dans un bois assez tendre et cloués sur les fonds de placage ils sont relativement dégradés, certains ayant même d isparu . Outre les pe t i tes tombées de fleurs et feuillages qui

animent les plats des pilastres (Photo 5) on relève les chapiteaux composites qui les couronnent ainsi que les colonnettes (Photo 11). C'est pour le panneau central du

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baldaquin d'exposition que le recours à cette technique est le plus marqué. Dans un cadre formé d'une chaine d'oves concaves se voit une scène d'exaltation de la Croix portée par des angelots, que dominent deux chérubins dans une nuée rayonnante (Photo 12).

Sur tous ces éléments s'observent de nombreuses attaques d'insectes xylophages dont le traitement s'impose. Incontestablement le décor le plus remarquable du tabernacle est constitué par les scènes historiées traitées en marqueterie de bois, d'ivoire et de nacre sur les trois panneaux du niveau bas (Photo 4) et sur les trois compartiments de fond du baldaquin (Photo 5). Les scènes traitées sont, de bas en haut et de gauche à droite :

baptême du Christ - mise au tombeau - jardin des oliviers saint François recevant les stigmates - exaltation de la Croix - saint Maurice

Les figures des deux saints en extase du baldaquin s'expliquent par la localisation originelle du tabernacle : un ancien couvent sospellois de religieux capucins dédié à saint Maurice d'Agaune, ce que confirme la croix de Saint-Maurice aux branches trifoliées placée au sommet du meuble (Photo 1 et dessin). Par contre la cohérence des figurations du niveau bas n'est pas d'une absolue évidence. Les trois scènes ne suivent pas un déroulement chronologique et la mise au tombeau sur la porte du tabernacle proprement dit n'est pas habituelle. Très

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certainement il s'agit de la reproduction de gravures pieuses dont, peut-être, le choix ne révèle que des dévotions spécialement accueillies par les religieux. Quoi qu'il en soit l'exécution des ces différents sujets témoigne de la qualité de l'atelier qui en fut l'auteur. La composition des images, et surtout leur intégration dans l'architecture d'ensemble du meuble, peut s'avérer assez savante comme, par exemple, sur la porte du placard lui-même (Photo 13). Les angles supérieurs et le fronton découpés ménagent deux écoiçons décorés, la porte étant cernée d'un bandeau de bois clair où s'inscrit l'image. Le traitement des incrustations d'ivoire et de nacre ménage un sol raviné, réalisé en bois au

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veinage ondulé, s'opposant aux lignes rigoureuses du sépulcre ouvert, composé de bois sombre et compact, et au fond, d'un bois régulièrement veiné. Les deux panneaux latéraux présentent la scène à l'intérieur d'un cadre découpé, sorte de fenêtre qui masque la périphérie du dessin (Photo 14).

On relève une réelle v i r t u o s i t é d e s marqueteurs, tant dans la découpe des formes que dans la g r a v u r e q u i l e s complète. Les visages sont très expressifs, l e s p l i s s é s d e s v ê t e m e n t s b i e n rendus (Photo 15), a i n s i q u e l e s éléments de décor (arbres, rochers).

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4 - Attribution Aucun document conservé ne permet de connaitre aujourd'hui de manière certaine l'origine de ce tabernacle. S'il ne parait pas douteux que sa localisation à Sospel soit originelle, on ignore à quelle date et dans quelles conditions de commande il y est parvenu. La comparaison avec diverses œuvres conservées, en

p a r t i c u l i e r d a n s l e s co l l ec t ions du Pa la i s Madame de Turin, autorise à rapprocher le tabernacle sospellois de meubles issus de l ' a te l i e r de Lu ig i Prinotto (1685-1780). Reçu maître ébéniste en 1712 il fut l'un des artistes favoris de la Maison de Savoie et l 'auteur du charmant Oratoire de la reine dans le

Palais royal de la capitale piémontaise. Filippo Juvarra, architecte de la Cour, le mentionne en tant qu'auteur de cet ensemble de boiseries et de mobilier au riche décor marqueté. De récentes recherches ont permis d'attribuer à Luigi Prinotto d'autres œuvres de même facture (tabernacle mis en vente à Milan en Décembre 2008 chez Sotheby's ou l'autel de la Vierge noire dans le sanctuaire ND de Lorette à Forno Alpi Graie, identifié en Septembre 2016). Incontestablement le tabernacle de Sospel peut être rattaché à cette production qu'il ne dépare en rien, ce qui autorise à lui assigner une période de réalisation dans le second quart du XVIIIe siècle, apogée de la brillante carrière de Luigi Prinotto.

La rareté de tels meubles doit être soulignée et devrait contribuer à lancer pour le tabernacle de Sospel un projet complet de recherche-étude, de restauration-conservation et de mise en valeur-publication. Il trouverait alors la place qu'il mérite au sein d'un édifice aussi important à tous points de vue que l'ancienne cathédrale Saint-Michel de Sospel.

Nice, le 7 Avril 2017 Jean-Loup FONTANA

Conservateur du Patrimoine

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