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Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité D OCUMENT D’ÉTUDES DARES Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques Les documents d'études sont des documents de travail ; à ce titre, ils n'engagent que leurs auteurs et ne représentent pas la position de la DARES. SOUPLESSE ET SÉCURITÉ DE L’EMPLOI : ORIENTATIONS D’ÉTUDES ET RECHERCHES À MOYEN TERME Coordination par Carole Yerochewski N° 71 Juin 2003

SOUPLESSE ET SÉCURITÉ DE L’EMPLOIdares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/DE_71.pdf · et de la solidarité D OCUMENT D’ÉTUDES Direction de l’animation de la recherche, DARES

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PREMIÈRES SYNTHÈSES 1 Mois 200x - N° xx.x

Ministèredes affaires sociales,

du travailet de la solidarité

D OCUMENT D’ÉTUDES

DARESDirection de l’animation de la recherche,des études et des statistiques

Les documents d'études sont des documents de travail ;à ce titre, ils n'engagent que leurs auteurs

et ne représentent pas la position de la DARES.

SOUPLESSEET

SÉCURITÉDE L’EMPLOI :

ORIENTATIONSD’ÉTUDES

ET RECHERCHESÀ MOYEN TERME

Coordinationpar Carole Yerochewski

N° 71Juin 2003

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TABLE DES MATIÈRES

1 – MOBILITE, PRECARITE : ETAT DES LIEUX

1.1 – Statistiques sur la souplesse et la sécurité de l’emploi en France, François Brunet p. 9

1.2 – Précarité de l’emploi en Europe : les enjeux d’une comparaison

approfondie de la qualité des emplois et du travail, Jean-Claude Barbier p. 17

1.3 – Stabilité et marché du travail, mobilités et transitions, Peter Auer p. 21

Nota Bene : ces interventions ont été faites lors du séminaire du 12 décembre 2002, mais pour des raisons de présentation, sont regroupées en première partie.

2 - REVUE DE LITTERATURE

Les agencements de flexibilité et sécurité en France et en Europe, Carole Yerochewski p. 29

3 - SYNTHESE DU SEMINAIRE DU 12 DECEMBRE 2002 Carole Yerochewski p. 57

4 – INTERVENTIONS AU SEMINAIRE DU 12 DECEMBRE 2002

4.1 – Pratiques nationales - La « Flexsécurité » dans la politique de l’emploi danoise, Florence Lefresne p. 67

- Pays – Bas : souplesse et sécurité en tension dans l’emploi et les conditions de travail Marie Wierink p. 73

4.2 – Pratiques d’entreprises

- Concilier adaptation permanente de l’emploi et des compétences et sécurité des trajectoires

professionnelles ? Marie Raveyre p. 79

- Négocier le renouvellement des générations, François Cochet p. 85

- Licenciements : réflexions à partir de l’étude des innovations promues par les représentants des salariés, Frédéric Bruggeman p. 91 - Conduire des restructurations d’entreprise, Myriam Campinos-Dubernet.

Cet article est consultable sur le site http://gip-mis.fr Nota Bene : cette intervention s’appuie sur la publication de « La lettre du GIPMIS », n° 12,

mars 2002. Site : http://gip-mis.fr

4.3 – Pratiques et agencements locaux - Agencements territoriaux et internalisation de la responsabilité d’emploi, Laurent Duclos p. 95

- Les groupements d’employeurs, Pierre Fadeuilhe (pp 149 à 158, Éd. Francis Lefebvre). Nota Bene : cette intervention s’appuie notamment sur « Les groupements d’employeurs :

difficultés juridiques », Ed. Francis Lefebvre, BS 3.02, pp. 149 à 158.

- Expérience de définitions territoriales pour une dimension pertinente de l’action collective,

Bertrand Fribourg p. 99

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4.4 – Les questions juridiques ouvertes - Le droit du travail à l’épreuve de la « Flexsécurité », questions et perspectives d’analyse,

Marie-Laure Morin p. 105

4.5 – Table ronde : Bilan et questions ouvertes - François Eymard-Duvernay, p. 115

- Jacques Freyssinet p. 117

- Bernard Gazier p. 119

- Carole Tuchszirer p. 121

- Peter Auer, Nota Bene : ses deux interventions sont regroupées dans la première partie (1.3).

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SOUPLESSE ET SÉCURITÉ DE L’EMPLOI : ORIENTATIONS D’ÉTUDES ET RECHERCHES

À MOYEN TERME 1- PROBLEMATIQUE L’évolution des modes de gestion des entreprises et les transformations du tissu productif entraînent souvent une insécurité accrue pour les salariés. Sans pouvoir parler d’une convergence avec le mode de fonctionnement du marché du travail américain, les pratiques de certains secteurs en Europe, notamment dans les services aux personnes ou aux entreprises, sont marquées par des relations d’emploi de court terme. Même dans l’industrie le recours massif à l’emploi intérimaire ces dernières années atteste d’une dualisation croissante de la gestion de la main-d’œuvre, y compris et surtout dans les entreprises innovantes. Les évolutions en cours concernent aussi bien la gestion des « ressources humaines » dans l’entreprise (flexibilité interne) que les formes d’emploi (flexibilité externe). Le sentiment d’insécurité qui domine le débat politique et social s’alimente pour une part à ces évolutions.

À la recherche d’alternatives au modèle américain, l’Union européenne s’oriente vers un renouvellement du « modèle social européen » visant un « meilleur équilibre entre souplesse et sécurité ». La nécessité de la « souplesse » est souvent justifiée par une convergence objective d’intérêts entre les entreprises (contraintes à l’innovation permanente dans les processus productifs et les produits), les salariés (qui aspirent à une mobilité qualifiante) et les personnes en difficulté d’accès à l’emploi (pour lesquelles des postes même précaires pourraient représenter des marchepieds vers l’emploi « normal »).

Toutefois, les aspirations à la mobilité ne concernent pas tous les salariés, mais plutôt les plus qualifiés et/ou les plus jeunes. En outre, du point de vue même des entreprises, un recours trop systématique au marché externe de l’emploi peut se révéler inefficace en terme d’engagement productif des salariés, d’accumulation et de mobilisation des compétences, d’atteintes d’objectifs de qualité ou d’innovation. Quant aux chômage de longue durée, une part du problème vient sans doute, en amont, du manque de gestion prévisionnelle du travail et de l’emploi dans les entreprises, les modes de gestion jouant plus sur la sélection que sur la préservation de « l’employabilité » des salariés.

Depuis plusieurs années se développent donc des réflexions sur les nécessaires compensations, contrepoids ou alternatives à la flexibilité quantitative de l’emploi. Pour simplifier à l’extrême on pourrait opposer deux approches, centrées l’une sur les individus, l’autre sur les entreprises. La première vise à déployer des politiques de prévention et des « filets de sécurité » au niveau des individus (aide au maintien de l’employabilité individuelle, revenu minimum pour les exclus) pour compenser le développement d’une flexibilité de l’emploi jugée incontournable eu égard aux exigences de l’efficacité économique ; alors que la seconde recherche de nouvelles régulations de l’organisation des entreprises et du marché du travail (internalisation et mutualisation des coûts de la flexibilité, cf. les propositions du rapport Belorgey…) afin d’infléchir les modes de gestion et de mieux concilier efficacité économique et cohésion sociale.

Ces deux orientations ne sont en principe pas contradictoires, même si les politiques publiques et la stratégie européenne pour l’emploi ont pour l’instant plutôt privilégié la première. C’est la seconde orientation que le programme d’études envisagé par la DARES souhaite approfondir. La question centrale d’un point de vue politique et prospectif est celle du type d’institutions qui permettrait d’organiser internalisation et mutualisation afin d’améliorer la sécurité d’emploi et de revenu des salariés sans bloquer les nécessaires redéploiements du tissu productif.

De nombreux travaux, menés notamment à l’initiative de la Mission Animation de la Recherche de la DARES, ont éclairé les logiques d’action des entreprises dans le développement de la flexibilité ainsi que les stratégies et trajectoires des salariés. Dans le cadre de l’appel à projets envisagé pour 2003-2004, on souhaite plutôt mettre l’accent sur les contre-tendances émergeant dans les modes de gestion des entreprises et/ou dans les comportements ou aspirations des acteurs sociaux : de nombreuses initiatives sont en effet apparues depuis quelques années, pour tenter d’organiser la flexibilité de l’emploi ou de la masse salariale de manière

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à ce que le coût des ajustements ne repose pas principalement ou uniquement sur les salariés, et notamment les plus fragiles. Par l’étude de ces expériences concrètes, de leurs logiques d’émergence, des difficultés qu’elles rencontrent, de leurs résultats, il s’agit d’éclairer les voies permettant à terme de (re)construire des institutions favorisant d’autres modes d’ajustement que la précarité et les licenciements. 2- SOMMAIRE DE CE DOCUMENT D’ETUDES Pour aider à la définition d’une problématique et mieux cerner les ombres et les lumières du champ d’initiatives ici envisagé, la DARES a commandé à l’IRES un survey et une mise en perspective de ces initiatives. La revue de littérature (p. xx) constitue une présentation ordonnée et problématisée des « agencements » mis en place par les acteurs sociaux au niveau des entreprises, des territoires ou des branches pour résoudre, directement ou indirectement, des problèmes d’insécurité de l’emploi ou de précarité. Un séminaire a été organisé le 12 décembre 2002 visant à éclairer la DARES dans la préparation d’un appel à projets concernant les initiatives et propositions pour améliorer la sécurité et la prévisibilité des trajectoires sur les marchés du travail. Une synthèse de ce séminaire introduit les interventions qui sont reproduites dans ce document.

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RÉSUMÉ

L’examen comparé de données portant non seulement sur la diversification des normes d’emploi, l’ancienneté dans l’emploi mais aussi le sentiment de sécurité parmi les salariés, confirme la précarité grandissante de catégories de salariés sur des segments du marché du travail. Pour autant, il n’existe pas de relations causales simples entre ces données, et les explications proposées font référence à plusieurs cadres d’analyse. Les « agencements » mis en place par les acteurs sociaux ainsi que les différentes interventions effectuées au séminaire « évolution de la relation salariale : souplesse et sécurité » du 12 décembre 2002 suggèrent qu’il y a deux principales voies d’entrées pour éclairer la façon de construire des institutions favorisant d’autres modes d’ajustement que la précarité. L’une consiste à approfondir l’approche sociétale et comparative, notamment en matière d’articulation des systèmes de protection sociale, des politiques d’emploi et du marché du travail. L’autre interroge les pratiques d’entreprises, dans le but de leur faire réassumer leurs responsabilités en matière d’emploi ou de les étendre. Mots-clés : reclassement, mobilité, segmentation, revenu de remplacement, sentiment de sécurité, risque emploi

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STATISTIQUES SUR LA SOUPLESSE ET LA SÉCURITÉ DE L’EMPLOI EN FRANCE

François Brunet,

Dares 1. 20 ANS D’EVOLUTION 1.1 Chômage et formation font pression sur les marchés internes de l’emploi En vingt ans le marché du travail a connu de grandes transformations. Avant d’aborder l’emploi, il faut avoir à l’esprit deux phénomènes marquants qui font pression sur les marchés internes des entreprises. En premier lieu le chômage a été multiplié par deux (+1,2 million), la société française n’arrivant pas à l’enrayer. Le chômage est le facteur à l’origine de l’insécurité de l’emploi, en créant un risque de perte d’emploi. En deuxième lieu, le nombre de jeunes qui sortent du système éducatif sans diplôme a été divisé par deux depuis vingt ans. Parallèlement le niveau de qualification initiale augmente, et avec lui le potentiel des salariés à s’adapter à de nouveaux apprentissages, à changer de métier. 1.2 La taille des grandes entreprises diminue mais l’importance des groupes augmente [8, 9, 10] En 1997, 45% des effectifs du privé travaillent dans des entreprises créées depuis moins de 12 ans. Les entreprises qui employaient plus de 500 salariés en 1985 ont vu leurs effectifs diminuer fortement en 12 ans : la taille moyenne des grandes entreprises pérennes a été divisée par deux (13 000 en 1997). Pérennes ou nouvelles, les entreprises de plus de 1 000 salariés ne couvrent plus que 21% des effectifs en 1997 contre 24% en 1985. Les perspectives d’évolution étant moindres dans une petite entreprise qu’une grande, aujourd’hui les évolutions passent par un changement d’entreprise davantage qu’il y a vingt ans. En revanche, il est de plus en plus possible d’évoluer au sein d’un groupe, l’importance des groupes ayant explosée ces vingt dernières années : 1 300 groupes en 1980, presque 10 000 en 1999 ; aujourd’hui la moitié des salariés du privé travaille dans un groupe. Le marché interne des groupes augmente donc fortement si on peut parler de marché interne. 1.3 L’emploi non salarié diminue au profit de l’emploi en CDD ou intérim En vingt ans le nombre de non-salariés baisse de 30% (1 million). Le nombre de contrats stables (privé ou public) a augmenté comme l’emploi total (+10%, +2 millions). Ainsi le nombre de contrats instables du privé (CDD y compris contrats aidés, intérim) a augmenté d’un million et sa part dans l’emploi passe de 3 à 9% avec un pic en 2000 de 2,2 millions de personnes. On pourrait ajouter les ‘précaires du secteur public’ (0,5 million). 1.4 Ainsi il y a de plus en plus d’instabilité ou de mobilité Le nombre de personnes qui travaillent et cherchent une autre situation professionnelle a doublé en 25 ans (1,8 million en 2002) [1]. Mais la hausse est due aux contrats courts car le nombre de personnes avec un contrat stable qui cherchent une autre situation professionnelle n’a guère augmenté en 25 ans. Le nombre de personne qui ont un emploi et se retrouvent au chômage un an après a lui aussi doublé. Aujourd’hui, cela arrive plus souvent aux contrats courts mais en nombre plus de la moitié des cas touchent des personnes avec un contrat stable. La part des salariés après 20 ans de carrière qui se retrouvent au chômage ou dans un emploi de moins d’un an d’ancienneté a augmenté de moitié en 20 ans [1]. 1.5 Pourtant après 20 ans sur le marché du travail, la proportion des salariés ayant fait carrière

dans la même entreprise augmente de moitié (de 16 à 24%) [1] Ce sont des salariés de grands groupes industriels ou financiers, de la fonction publique, diplômés du baccalauréat. Parallèlement la part des salariés dans la même entreprise depuis plus de 10 ans est stable. Deux explications peuvent être avancées. D’une part, il y a plusieurs types de salariés : un pôle plutôt qualifié qui est protégé de l’instabilité, et un autre qui ne l’est pas. D’autre part, la pression du chômage a freiné des aspirations à la mobilité : pourquoi quitter un CDI même pour un autre CDI si c’est pour être viré durant la période d’essai ?

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2. QUELLES ENTREPRISES EMPLOIENT DES CDD OU INTERIMAIRES ET POURQUOI ? [2] 2.1 La majorité des établissements a recours à ces contrats C’est vrai qu’il s’agisse de CDD ou d’intérim ; seulement 30 % d’entre eux déclarent n’employer que des contrats à durée indéterminée. À l’opposé, près d’un établissement sur dix emploie plus de 20 % de sa main-d’œuvre sous contrat temporaire. 2.2 Taille et secteur d’activité : deux facteurs qui jouent sur le recours Plus un établissement est grand, plus il a recours à ces contrats. Certains secteurs d’activité y ont fortement recours en particulier les industries agricoles alimentaires et la construction, alors que le secteur public y a moins recours. 2.3 Les autres facteurs Les contrats à durée déterminée et l'intérim sont particulièrement utilisés par les établissements qui créent des emplois. Les établissements avec une main-d’œuvre féminine ont tendance à faire appel aux contrats courts, surtout des CDD. D’autres facteurs jouent mais moins fortement : la demande imprévisible, un marché international, la qualification de la main-d’œuvre, les innovations techniques, les relations sociales. 3. QUELS SALARIES OCCUPENT UN EMPLOI EN CDD OU INTERIM ? [4] 3.1 Sexe, âge, qualification Les hommes sont plus souvent intérimaires et les femmes en CDD. La moitié des titulaires de CDD ou contrat d’intérim ont moins de 30 ans alors 80% des titulaires de CDI ont plus de 30 ans. Les moins qualifiés occupent souvent des contrats courts, surtout intérimaires. Sur l’ensemble des contrats courts, les trois quarts sont encore en emploi un an après. 3.2 Huit catégories de salariés selon leur situation professionnelle et degré de

précarité [3 et 7] Suivant qu’une personne choisit ou pas de travailler en contrat court ses motivations pour l’obtention d’un contrat stable seront nuancées ainsi que son degré de précarité. A la lumière d’études qualitatives sur les CDD et les intérimaires ([5], [9]), ces salariés ont été répartis en huit catégories : Ceux qui sont étudiants, en insertion, diplômés sont plutôt dans une situation acceptée (40%), ceux qui ne recherchent pas d’emploi par fatalité ou ceux qui sont engagés ‘durablement’ sont plutôt dans une situation subie (40%) ; enfin les autres qui ne recherchent pas et ceux qui recherchent parce que la fin de leur contrat est très proche sont difficiles à classer (20%).

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0 5 10 15 20 25 30

par nécessité

et sont engagésdurablement

autres

par fatalité

et sont engagésdurablement

et sont diplômés

en insertion

étudiants

en %

ne recherchent pas d'autre

emploi

recherchent un autre emploi

4. LIMITES DE LA STATISTIQUE 4.1 L’insécurité de l’emploi n’est pas seulement liée au type de contrat Nous avons abordé le thème de la précarité surtout sous l’angle du type de contrat mais il y a d’autres angles qui sont plus difficiles à suivre statistiquement :

- Précarité liée aux menaces potentielles : entreprise menacée par une baisse d’activité y compris une faillite, sous-traitance, entreprise menacée par une délocalisation

- Précarité du travail : occuper un emploi dont le travail n’est pas transférable. Il y a plusieurs indicateurs qui peuvent approcher la précarité potentielle : le nombre de salariés qui cherchent un autre emploi parce qu’il existe ‘une crainte ou une certitude de perdre l’emploi actuel’, les licenciements économiques. Le premier a triplé en 20 ans mais n’a pas bougé parmi les personnes occupant un emploi stable : en 2002, ceux qui craignent de perdre leur emploi sont un 500 000 dont 80 000 salariés du privé en CDI. Le deuxième a plutôt baissé sur vingt ans mais les années 1998-2000 ont connu une conjoncture très favorable. 4.2 Il existe de nouvelles organisations qui ne sont pas bien mesurées statistiquement

(GE, portage) - Il s’agit des groupements d’employeurs et des sociétés de portage : nombre d’entreprises et de

salariés. La difficulté est de pouvoir repérer les salariés concernés avec les instruments actuels. - Les groupes complexifient les contours des marchés internes.

4.3 Étudier les trajectoires

- Nous avons tenté de définir un emploi ‘sécurisant’ de façon statique en faisant l’hypothèse que c’est un CDI, ou un emploi que la personne qui l’occupe n’a pas de crainte de perdre... Nous pourrions essayer de définir un emploi sécurisant de façon dynamique : par exemple, mais il y a beaucoup d’autres définitions possibles, un emploi qui protège du chômage sur dix ans. Pour mesurer le nombre d’emplois aujourd’hui qui protègeront du chômage durant les dix années à venir, il faut suivre des salariés sur dix ans sans les perdre de vue : c’est difficile à faire et il faut attendre dix ans avant d’obtenir un résultat. Une autre façon de faire consiste à demander à des actifs de décrire aujourd’hui leur situation professionnelle depuis dix ans : cela ne donne pas une mesure des emplois sécurisés aujourd’hui mais dix ans auparavant, et il y a un risque que les personnes oublient certaines périodes.

- Les mobilités d’un emploi à un autre sont-elles volontaires ? Les aspirations à la mobilité sont-elles étouffées ? Les salariés maîtrisent-ils leur trajectoire professionnelle ? Les premiers emplois déterminent-ils la suite de la trajectoire professionnelle jusqu’à la retraite ? Il existe des indicateurs (les démissions par exemple) mais ils ne répondent pas complètement à ces questions.

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- tableaux et graphiques Taux de chômage (fin décembre) en %

4,05,06,07,08,09,0

10,011,012,013,0

1975

1977

1979

1981

1983

1985

1987

1989

1991

1993

1995

1997

1999

2001

Source : ANPE – Insee - Dares

Taux de licenciement dans les établissements de plus de 50 salariés

0,0

0,5

1,0

1,5

2,0

2,5

3,0

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

%

Source : DMMO, Dares

Sortants de formation initiale selon le plus haut diplôme obtenu (Milliers) Diplôme obtenu 1980 1990 1995 2000 Aucun diplôme ou certificat d'études

202 137 109 94

Brevet seul 80 62 52 67 CAP-BEP ou équivalent 220 144 132 148 Baccalauréat général 81 50 73 89 Baccalauréats technologique, professionnel et assimilés

32 65 89 88

BTS, DUT et équivalents 29 61 102 91 DEUG, diplôme paramédical ou social

36 36 31 32

Licence et plus 45 87 135 151 Total sortants de formation initiale

725 642 723 760

Source : Enquête Emploi, Insee – Calculs Ministère de l’éducation nationale, DPD

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Emploi par statut

0

2 000 000

4 000 000

6 000 000

8 000 000

10 000 000

12 000 000

14 000 000

16 000 000

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

CDI privéPublicNon salariésCDD, interim...

Source : Enquête Emploi, Insee Recherche d’un autre emploi par statut

0

100 000

200 000

300 000

400 000

500 000

600 000

700 000

800 000

900 000

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

CDI privéCDD, interim...PublicNon salariés

Source : Enquête Emploi, Insee Recherche d’un autre emploi et crainte (ou certitude) de perdre l’emploi actuel, par statut

0

50 000

100 000

150 000

200 000

250 000

300 000

350 000

400 000

450 000

500 000

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

CDD, interim...CDI privéPublicNon salariés

Source : Enquête Emploi, Insee

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BIBLIOGRAPHIE [1] T. Amossé (2002) : ‘Vingt-cinq ans de transformation des mobilités sur le marché du travail’, Insee, Données Sociales [2] T. Coutrot (2000) : ‘Les facteurs de recours aux contrats temporaires’, Dares, Premières Synthèses n°°25.3 [3] R. Cancé (2002) ‘Travailler en contrat à durée déterminée, entre précarité contrainte, espoir d’embauche et parcours volontaire’, in Travail et Emploi n°89, la documentation française [4] R. Cancé – H. Fréchou (2002) : ‘Les contrats courts‘, Dares, Premières Synthèses n° à paraître [5] H. Fréchou (2002) : ‘Coup d’arrêt pour l’intérim en 2001’, Dares, Premières Synthèses n°°37.2 [6] Insee, Liaisons sociales, Dares (2001) : ‘Intérim et CDD : parcours, usages, enjeux’, les dossiers thématiques [7] Jourdain Colette (janvier 2002) « Intérimaires, les mondes de l’intérim », in Travail et Emploi, n°89, la documentation française [8] K. Moussallam (1999) : ‘Le poids des grandes entreprises dans l’emploi’, Insee Première n° 683 [9] A. Skalitz (2002) : ‘Au-delà des entreprises : les groupes’, Insee Première n° 836 [10] E. Vergeau, N. Chabanas (1997) : ‘Le nombre de groupe d’entreprises a explosé en 15 ans’, Insee Première n° 553 ANNEXES

Extrait de Données Sociales (Insee, 2002) T. Amossé : ‘Vingt-cinq ans de transformation des mobilités sur le marché du travail’

Mobilité et stabilité des actifs de plus de 20 ans de carrière (en %)

Sont chez leur employeur depuis

pratiquement le début de leur carrière

Sont chez leur employeur depuis moins d’un an ou

sont au chômage Catégorie socioprofessionnelle

en 2001 (par rapport à 1982)

en 2001 (par rapport à 1982)

Agriculteurs 27 (+4) 2 (+1) Artisans, commerçants 11 (+1) 12 (+5) Cadres 41 (+10) 9 (+4) Professions intermédiaires 36 (+9) 11 (+4) Employés qualifiés 32 (+13) 17 (+6) Employés non qualifiés 5 (+3) 24 (+10) Ouvriers qualifiés 17 (+7) 21 (+9) Ouvriers non qualifiés 11 (+4) 32 (+16) Ensemble 24 (+8) 17 (+7)

Champ : actifs de plus de 20 ans de carrière (hors militaires du contingent et chômeurs n’ayant jamais travaillé). Pour les agriculteurs, artisans et commerçants, « être chez son employeur » signifie « être dans l’entreprise que l’on dirige ». Lire ainsi : en 2001, 32 % des ouvriers non qualifiés de plus de 20 ans de carrière sont chez leur employeur depuis moins d’un an ou sont au chômage, soit 16 points de plus qu’en 1982. Dans le même temps, la proportion de cadres de plus de 20 ans de carrière qui sont chez leur employeur depuis pratiquement le début de leur carrière (ancienneté supérieure à 80 % de la durée de la carrière) a fortement augmenté : elle est passée de 31 % en 1982 à 41 % en 2001. Source : Insee, enquêtes emploi, 1982 et 2001.

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Extrait du Premières Synthèses n°25.3 (Dares, 2000) T. Coutrot : ‘Les facteurs de recours aux contrats temporaires’

Répartition des établissements selon leur utilisation des contrats CDD-intérim En % des effectifs

20 à 49 50 à 99 100 à 199 200 à 499 500 sal. Ensemble salariés salariés salariés salariés ou plus 0 % 37,2 23,5 11,2 7,1 7,8 30,0 1 à 5 % 25,3 32,3 32,2 34,6 38,3 28,0 6 à 10 % . 16,6 19,3 23,9 23,4 25,3 18,3 11 à 20 % 13,8 14,6 20,6 23,2 18,6 15,2 plus de 20 % 7,1 10,3 12,1 11,7 10,0 8,5 Ensemble 100 100 100 100 100 100 Source : Dares, enquête REPONSE 1998

Extrait du livre (Puf, 2000), Serge Paugham : ‘Le salarié de la précarité’

Salariés selon le risque de licenciement dans les deux prochaines années

En % 1986-1987 1995 Sans doute que oui 3,2 3,2 Peut-être que oui 8,4 9,8 Ne sait vraiment pas 14,1 24,9 Probablement non 74,3 62,1 Source : Insee, enquêtes ‘Situations défavorisée’ pour 1986-1987 ; OSC, enquête Salariés pour 1995

Extrait du Premières Synthèses n°125 (Dares, 1996) F. Beaujolin, M. Leygues, J. Lion (Geste) : ‘Les groupements d’employeurs en 1995’

Type de groupement Nombre de groupements Nombre d’emplois concernés Agricole 800 2000 à 3000 Autres 100 1800 Total 900 3800 à 4800 Source : Enquête Dares 1995, estimations

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PRECARITE DE L’EMPLOI EN EUROPE :

LES ENJEUX D’UNE COMPARAISON APPROFONDIE DE LA QUALITE DES EMPLOIS ET DU TRAVAIL

Jean Claude Barbier, sociologue, directeur de recherche CNRS au Centre d'études de l'emploi

Cette intervention fait notamment référence à la recherche financée par la Commission européenne dans le cadre du projet ESOPE et dont des premières conclusions ont été publiées dans : « La précarité de l’emploi en Europe », Barbier J.-C., Lindley R., Quatre Pages n° 53, Centre d’études de l’emploi, septembre 200.2 1 – LA PRECARITE, UNE NOTION NON UNIVERSELLE L’action collective, la régulation des phénomènes liés à la diversité des relations d’emploi – les contrats et les contenus du travail, ont décidément pris un contenu communautaire dans l’Union européenne (UE). Celle-ci s’apprête à entériner la nouvelle stratégie européenne pour l’emploi (SEE) à son conseil de juin 2003, après une phase prolongée d’évaluation et de débats en 2002. L’un des trois axes qui commanderont la coordination des politiques nationales, à laquelle les partenaires sociaux sont vivement incités à participer, est la « qualité de l’emploi et la productivité ». Comme dans la première phase de la SEE (1997-2001), la question des catégories de comparaison de cette qualité est cruciale, et, avec elle, celle de la recherche d’accords entre tous les Etats membres sur des indicateurs communs. Dans ce cadre, les recherches approfondies sont d’autant plus nécessaires que chaque pays, ou chaque famille de pays, construit ses propres catégories. La question se pose particulièrement à propos d’une notion, courante en France, celle de la « précarité de l’emploi ». On présente ici quelques-unes des premières conclusions. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire au départ de la recherche, la notion de précarité de l’emploi n’est pas, d’emblée, pertinente, pour analyser la situation dans les pays concernés (Allemagne, Italie, Espagne, Royaume Uni et France), y compris quand on la compare avec un pays comme le Danemark. La notion de précarité de l’emploi est tout à fait utilisée dans les trois pays latins (France, Espagne et Italie). La catégorie de précarité (tout court) a, historiquement, été utilisée largement, à la fois par la législation française et les pouvoirs publics et dans le débat politique et syndical. Elle a été présente, depuis les années 80, comme objet de discussion entre tous les acteurs pertinents. Elle s’est d’abord construite pour désigner des phénomènes proches de la pauvreté. On utilisait même à la fin des années 80, la notion conjointe de « pauvreté-précarité ». Ce n’est qu’ensuite que la notion a concerné de plus en plus clairement les relations d’emploi : Chantal Nicole Drancourt a distingué alors une précarité d’exclusion et une précarité d’insertion. En Espagne, la notion de précarité travailleuse (precaridad laboral) a émergé comme un objet de discussion politique et syndical très important à mesure que se développait une variété de plus en plus grande de contrats atypiques (voir Toharia, dans Barbier et Gautié, 1998). Les Italiens ont aussi utilisé la notion de précarité de l’emploi à mesure que se développaient les contrats atypiques, dont la forme emblématique est le statut de « parasubordinato » (ou quasi-indépendant) qui s’exerce dans des conditions dérogatoires au statut de salarié, dans la cadre de contrats de collaboration coordonnée et continue (collaborazione coordinata e continuiative). Cette dernière forme a fini par être reconnue réglementairement comme donnant accès à une protection sociale de niveau et qualité inférieurs. D’autres assouplissements des formes de contrats doivent entrer en vigueur en 2003. Tout autre, comme le montre le transparent est le cas de l’Allemagne. Dans ce pays, au début des années 2000 encore, la norme d’emploi standard (Normal Arbeitsverhältnis) continue de prédominer de façon très étendue. Cette situation fait l’objet d’un vif débat dans le pays – notamment après la

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réforme annoncée du marché du travail à la suite de la Hartz Kommission en 2002. De premières mesures ont été prises pour encourager le développement des « mini-jobs », qui sont une extension de la forme précédente des « geringfügige Jobs », c’est à dire de contrats de travail portant sur un petit nombre d’heures, aujourd’hui étendus aux salaires compris entre 400 et 800 €. Ces contrats, quand ils ont été introduits, puis rendus moins coûteux en termes de charges sociales sous le gouvernement Kohl (puis réformés à nouveau dans la première législature Schröder), sont restés, comme leur dénomination l’indique « marginaux, de faible importance ». Leur extension n’a jamais conduit à l’émergence en Allemagne d’un débat sur la précarité de l’emploi – même si la notion de précarité a été utilisée dans les travaux d’économiste – Prekarität. Au Royaume Uni, enfin, les acteurs sociaux ne raisonnent pas en termes de précarité de l’emploi. Cette catégorie apparaît ignorée quand, par exemple, des chercheurs étrangers conduisent des enquêtes sur le terrain dans le pays, ignorée des salariés comme des syndicats, et, par conséquent, des travaux académiques britanniques. L’explication de cette situation est relativement simple : grossièrement, tous les contrats de travail (à part peut être le casual work qui se fait sans aucun document contractuel) sont considérés comme équivalents et ne se distinguent pas selon leur plus ou moins grande « précarité ». La tendance est plutôt en Grande Bretagne, de distinguer les jobs selon les débouchés futurs qu’ils ouvrent ou n’ouvrent pas. Les documents communautaires parlent de « dead end jobs », emplois sans avenir, mais les chercheurs du projet comparatif ESOPE préfèrent parler de « poor jobs » pour les distinguer d’emplois considérés comme satisfaisants. Dans ces conditions, il est impossible de construire une vision comparative simple d’équivalents fonctionnels de ce que l’on nomme précarité de l’emploi en France et en Espagne surtout, en Italie de façon moins systématique. Quand on compare en outre la situation avec un pays comme le Danemark, on ne trouve pas non plus d’équivalent à comparer : dans ce dernier pays, la législation d’embauche et de licenciement est extrêmement flexible et les indicateurs classiques (durée de l’emploi, rotation des emplois) mesurés sur le marché danois du travail ont des valeurs comparables, comme l’ont montré les travaux de l’OCDE, aux valeurs britanniques, un pays considéré comme le plus flexible de l’Union européenne. Mais il y a une différence importante : si les jobs danois sont très flexibles, les Danois sont couverts par une protection sociale généreuse et efficace, qui aboutit, pour l’immense majorité des salariés aux revenus bas et moyens à une continuité des revenus, qu’ils viennent de la protection sociale ou de l’emploi. Au point que les taux de pauvreté comparés entre actifs et chômeurs sont très proches. Il ressort des premières conclusions de la recherche ESOPE dont je tire les observations présentes, que l’appréciation des situations entre tous ces pays ne peut être conduite via la notion de « précarité de l’emploi », notion qui n’appartient qu’à certains débats politiques nationaux et qui ne peut être définie clairement au plan international. Des conclusions convergentes avaient été obtenues dans une étude du BIT au début des années 80, qui cependant avaient défini des dimensions de la précarité de l’emploi, lesquelles peuvent être comparées mais à un niveau moins englobant. S’agissant d’indicateurs, il apparaît aussi que celui qui est suivi par Eurostat – la part des contrats « permanents » par opposition à celle des contrats « temporaires »-, est particulièrement inadéquat. Il convient donc encore de travailler pour fournir des notions et indicateurs pertinents pour comparer, à travers les Etats membres, des qualités des emplois. Cet objectif est déjà profondément engagé dans le cadre de la première phase de la SEE, sous l’égide du Comité de l’emploi du Conseil de l’Union, qui a fourni une première liste validée au sommet de Laeken en décembre 2001. Les services de la Commission eux-mêmes ont également produit des travaux très intéressants sur les transitions entre différentes situations d’emploi (voir L’emploi en Europe, 2002, chapitre 3 notamment). La place de ces indicateurs est en cours de révision du fait de l’adoption de nouvelles lignes directrices pour la stratégie européenne pour l’emploi.

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2 – RELATIONS ENTRE NORMES D’EMPLOI ET PROTECTION SOCIALE Mais au-delà du chantier en cours de définition de catégories et d’indicateurs communs, il faut aller plus loin et souligner la diversité très importante, dans les pays comparés, de la relation entre une « norme collective d’emploi normale » et des normes de protection sociale. C’est bien cette relation qui explique que, à un moment donné, dans un Etat membre, les acteurs sociaux vont considérer que certains emplois sont précaires et d’autres non. Or, en la matière, les législations de protection de l’emploi et de protection sociale sont extrêmement différentes ; il est donc exclu de les changer de façon brutale et chaque pays les fait évoluer en fonction de sa trajectoire passée. En outre, dans chacun des pays les relations entre protection sociale et emploi ne se résument pas à la législation contre les licenciements et aux systèmes d’indemnité du chômage. C’est tout l’ensemble du système de protection sociale qui est en jeu, avec notamment les programmes de préretraite, mais aussi la protection sociale des jeunes, qui, selon les pays entrent tard ou tôt dans l’emploi. Au total, on obtient, en cherchant à comparer la précarité de l’emploi, selon de nombreuses dimensions reconstruites pour être mesurées partout (les revenus, les trajectoires professionnelles, les inégalités d’accès à la protection sociale, les conditions de travail) des portraits très contrastés. Notons que, dans le processus de la SEE (1ère phase) dix dimensions de la qualité de l’emploi avaient été définies (voir l’Emploi en Europe, 2002). Concernant les pays comparés ici, on peut décrire quatre paysages. Dans les pays latins, il y a une réelle opposition entre une norme d’emploi dominante et une diversification des statuts, qui, en général s’est faite en catimini. Ce sont des pays (France, Espagne, Italie) dans lesquels on repère de grandes inégalités entre la masse des emplois « normaux » et des emplois atypiques, qui non seulement sont de moindre qualité sur toutes les dimensions évoquées, mais donnent lieu à l’émergence de « trous » dans la protection sociale (chômage, retraite). En Allemagne, la part prise par les petits jobs est, jusqu’à présent, restée très marginale. Comme le marché est très segmenté, notamment du point de vue du genre, les jobs « de peu d’importance » vont, de façon majoritaire, à des femmes. Ceci n’est pas sans lien avec le familialisme dans ce pays (les femmes avec de jeunes enfants doivent rester au foyer). Par ailleurs, la protection sociale bismarckienne, de type male breadwinner résiste de façon tout à fait remarquable, même si elle est en cours de réforme. La multiplication des débats, causés entre autres par la montée d’un fort chômage (plus de 4,5 millions de personnes en mai 2003), montre, que, même si les chômeurs sont considérés en Allemagne de façon courante comme « inemployables », une telle situation ne peut perdurer. Toute la question sera donc de voir comment les partenaires sociaux vont ou ne vont pas réussir à flexibiliser le marché du travail en contrôlant la possible « précarité ». Le Royaume-Uni, c’est une banalité de le rappeler, se caractérise par une faible protection sociale et une grande flexibilité du marché du travail. Les chômeurs sont poussés à prendre les emplois « tels qu’ils sont ». Les inégalités sont grandes entre emplois, entre secteurs, entre qualifications, etc. Mais la norme sociale n’a pas pris le chemin de contester la question par l’entrée « précarité ». Vu de l’extérieur du pays, on peut considérer qu’une habitude de précarité est présente pour tous et toutes. Il est donc difficile de mesurer comparativement la situation britannique. L’indicateur des transitions, du futur, les débouchés des emplois, est certainement tout à fait important et peut aussi être développé dans d’autres pays. 3 – CONCLUSION Il est donc fort difficile de donner une substance commune à la qualité des emplois dans ce contexte, mais les premiers travaux dans ce sens ne font que commencer. De très nombreuses questions restent à approfondir, parmi lesquelles : quels seront les nouveaux critères de qualité de l’emploi en Europe (quel risque emploi ?), quelles conceptions légitimes pourront elles être échangées et coordonnées quant à la question du partage des risques (entre l’Etat, le travailleur, l’employeur) ? Que signifie assurer une sécurité et une continuité des revenus ? On parle beaucoup d’employabilité. Mais le

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problème est : comment construit-on une continuité de revenus décents sans pour autant créer deux classes de citoyens ? “Assurance chômage”: comparaison de “l’acceptabilité » Allemagne France Générosité Très élevée

Minimum 60 % des salaires précédents 6 - 32 mois

Moyen 57 % du salaire précédent 18-30 mois

Emploi “convenable”, offres de formation

(Zumutbarkeit) profession habituelle ou similaire 70 to 80% du salaire précédent

Avant 2001: Compatible avec emploi précédent, salaire similaire, pas de précision sur la mobilité Après 2001: Continuité juridique

Sanctions

Faibles Relativement limi-tées, croissance avec le PARE

Italie Espagne UK Générosité Faible, fragmenté

6 mois + CIG/ Mobilità

Moyen Majorité sous condi-tion de ressources

Faible forfaitaire sur 6 mois

Emploi “convenable”, offres de formation

Avant 2002: Comme en France Réforme de 2002 (révoquée):30 km mobilité ; 20% diminution de salaire

Exigences du marché

Sanctions

marginales faibles Élevées, Droit commun

Calculés à partir de la population active : 15-64 ans (Union européenne)

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STABILITE DU MARCHE DU TRAVAIL, MOBILITE ET TRANSITIONS

Peter Auer, (Employment Analysis and Research, ILO, Geneva )

1. Je commencerai par un paradoxe : la discussion au sujet de la flexibilité du marché du travail et de la mobilité nécessite aussi une discussion sur son contraire, la stabilité du système d’emploi. Une raison est qu’en discutant mobilité et transitions, on traite de la position de travailleurs qui sont quelque part entre deux emplois ou entre un emploi et un autre statut du marché du travail, comme la formation, la retraite, le congé domestique, etc. Mais les transitions réussies sont celles qui aboutissent à un emploi stable et décent. L’emploi convenable se juge aux droits procurés par l’occupation de cet emploi, tels qu’un bon salaire, une sécurité sociale, des droits à la représentation (une voix) et ainsi de suite. Mais la sécurité qu’un emploi offre élève aussi son niveau de décence, ce qui est relié aux arrangements contractuels. Par exemple, il a été établi que des contrats à durée indéterminée procure une plus grande satisfaction d’emploi (toutes choses égales par ailleurs) que les contrats à durée déterminée (Commission européenne, 2001).

2. Finalement, en matière de transitions, si on doit effectivement analyser si elles sont décentes, le plus

important est de regarder la sortie de cette phase de transition. Si nous considérons les transitions et la mobilité comme un pont vers un bon emploi, nous devons reconnaître que ce n’est pas seulement la traversée du pont qui est importante mais plus encore la terre vers laquelle conduit ce pont. Et cette « terre » devrait de préférence consister en des emplois plus stables, qui donnent aux gens un cadre temporel raisonnable sur lequel ils peuvent appuyer leurs décisions de consommer, d’investir, de former une famille et d’avoir des enfants. En retour, à travers l’entrain des ménages à consommer et investir, la stabilité de l’emploi contribue aussi à celle de la macroéconomie, tout comme une relation plus stable d’emploi donne à des firmes l’occasion d’investir dans la qualification de leurs employés et d’être plus productive.

3. C’est parce que stabilité et flexibilité sont reliées et que la stabilité de l’emploi a une valeur

économique et sociale qu’il est important en l’occurrence de ne pas parler de façon abstraite de la flexibilité comme étant meilleur pour les ajustements mécaniques de l’économie mais de parler aussi de la stabilité de l’emploi et à travers elle de gens et d’emplois convenables.

4. Comme il est montré sur le graphique 1, il y a quelques raisons d’être plus optimistes que les

prophètes de la “fin du travail” : en dépit de leurs affirmations selon lesquelles les relations d’emplois de longue durée ont disparu ou disparaîtront dans le futur, la stabilité de l’emploi, mesurée par l’ancienneté moyenne, n’a pas fortement changé au cours des années 90, confirmant de précédents travaux de l’OCDE ou ceux d’auteurs tels que Neumark (2000) qui a montré le maintien de cette apparente stabilité pour les Etats-Unis aussi.

5. Il y a de fortes variations entre pays, et aussi primitif que soit cet indicateur, le graphique montre non

seulement la part de stabilité dans les relations d’emploi mais aussi la part de mobilités. En fait, les pays avec une ancienneté moyenne faible sont aussi ceux possédant une plus grande flexibilité et une plus grande mobilité, comme on peut le voir avec les EU, le Royaume-Uni et aussi le Danemark et les Pays-Bas. En contraste, la plupart des pays placés sur la partie droite du graphique sont aussi ceux qui ne sont pas immédiatement perçus comme des marchés du travail mobiles - au moins pour ce qui concerne l’économie formelle, comme c’est le cas en Grèce, Japon et Italie, par exemple.

6. Cependant, alors que la moyenne peut n’avoir pas bougé, les différents éléments qui composent cette

moyenne peuvent avoir bougé. En vérité, il y a des changements concernant le genre (le fossé entre genre en matière d’ancienneté est en train de se combler), l’âge, la composition des secteurs économiques et la répartition entre les classes d’ancienneté. Dans la plupart des pays, on observe une augmentation de la part d’emplois de courte ancienneté et aussi une augmentation de la part d’emplois de grande ancienneté, indiquant le maintien et potentiellement l’augmentation d’une segmentation, en particulier entre jeunes et travailleurs plus âgés.

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7. Donc, des changements se sont produits et l’examen de l’âge et du cycle économique confirme que l’âge en particulier est le facteur qui explique, par exemple, des changements que nous constatons pour l’allongement de l’ancienneté. En dépit de ces changements - qui pourraient révéler une plus dramatique érosion de notre système dans le futur, quand les actuels travailleurs âgés auront quitté le marché du travail -, les relations d’emploi de long terme sont encore la forme dominante d’emploi dans tous les pays d’Europe et mettront du temps avant de disparaître.

Graph 1 : Average employment tenure*, 1992 and 2001

0.0

2.0

4.0

6.0

8.0

10.0

12.0

14.0

16.0

United

States

United

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Denmark

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Finlan

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German

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Sweden

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France

Portug

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Belgium Ita

lyJa

pan

Greece

19922001

Classés selon 2001. Source : à partir d’Eurostat

8. Cette apparente « stabilité » des relations d’emploi de long terme ne signifie pas qu’il n’y a pas de nombreuses évolutions qui sont dramatiques pour les individus, les familles, les régions, etc. Toujours, quand des emplois sont perdus, l’expérience est dramatique pour ceux qui en sont affectés. Et cela ne signifie pas non plus que des emplois stables soient équivalents à des emplois convenables : les emplois stables peuvent être à temps partiel, ils peuvent être indésirables (mais si changer d’emploi est difficile, les gens sont alors « attachés » à leur emploi) et nous ne pouvons pas exclure qu’une partie de ces emplois dits stables (avec une ancienneté de plus de cinq ans) sont des emplois temporaires non récurrents (les données de l’OCDE montrent qu’un emploi temporaire sur dix est dans ce cas ; OCDE 2002).

9. Mais le lent changement de l’ancienneté moyenne semble montrer qu’il n’y a pas une tendance

générale à la transformation des relations d’emploi vers le « tous précaires » ou le « tous travailleurs indépendants ». A la fois du côté de la demande et du côté de l’offre de travail, il y a suffisamment de raisons économiques ou sociales pour croire que les relations d’emploi, tout en devenant plus flexibles, seront maintenues. Il n’y a pas de comportement général de la demande de travail conduisant à l’érosion des relations d’emploi, parce que les employeurs valorisent aussi l’attachement de long terme de leurs salariés, et il n’y pas non plus de comportement général de l’offre y conduisant car les travailleurs et leurs syndicats accordent aussi une grande valeur aux relations de long terme. Aussi, ce qui est attendu n’est pas une course vers les extrêmes mais un nouvel équilibre entre emplois flexibles et stables.

10. A présent, la question est : est-ce qu’une stabilité maximale se traduit aussi par une sécurité d’emploi

maximale ? Beaucoup seraient d’accord avec le constat que des emplois stables se traduisent par plus de sécurité que des emplois instables ou des emplois de courte durée. Notamment des travaux américains ont montré que chaque année supplémentaire d’ancienneté augmente la probabilité de ne pas se retrouver au chômage. Cependant, notre corrélation entre l’ancienneté moyenne et la perception de la sécurité de l’emploi est étonnamment faible et statistiquement non significatif, ce

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qui signifie qu’il n’est pas suffisant d’avoir un emploi stable pour se sentir en sécurité. Il semble que le sentiment subjectif de sécurité d’emploi n’est pas seulement déterminé par la durée de l’ancienneté mais est aussi influencée par l’état général du marché du travail et de l’économie. Par exemple, la perception de la sécurité est corrélée de façon tout à fait significative avec le taux de chômage et il semble aussi que l’état général de l’économie (en récession ou non) a un grand impact sur les sentiments subjectifs. C’est le cas au Japon par exemple, où la perception de l’insécurité d’emploi est forte, alors que l’ancienneté moyenne est parmi les plus longues de tous les pays examinés.

11. Tandis que la sécurité d’emploi joue un rôle tout à fait significatif dans la perception d’un emploi

satisfaisant (Commission européenne, 2001), si nous classons les pays selon les trois critères de la qualité, de la sécurité et de l’ancienneté moyenne, aucune tendance bien définie n’émerge (voir tableau 1). Nous voyons des pays qui ont comparativement de faibles anciennetés mais une haute perception de la sécurité de l’emploi et une grande part d’emplois de qualité et des pays avec une grande ancienneté mais peu d’emplois de qualité et une sécurité faiblement perçue.

Tableau 1: Qualité de l’emploi, ancienneté moyenne et sécurité d’emploi

Rangs en : Qualité Ancienneté Sécurité

1=le mieux 1=le plus haut 1=le mieuxNorvège n.d. n.d. 1 Danemark 1 13 2 Irlande 8 11 3 Pays-Bas 3 12 4 Finlande 2 9 5 Belgique 6 3 6 Autriche 5 n.d 7 Italie 11 2 8 Allemagne 4 8 9 Suède n.d. 7 10 France n.d. 5 11 Royaume-Uni 8 14 12 Grèce 13 1 13 Etats-Unis n.d. (le plus bas) 14 Portugal 12 4 15 Espagne 10 10 16 Japon n.d. (2.le plus haut) 17

Sources : BIT, OCDE, UE.

12. Non seulement la durée moyenne de l’ancienneté est importante, mais aussi la distribution de l’ancienneté par durée d’ancienneté. Le graphique 2 répartit les pays selon les extrêmes dans la distribution, ceux qui ont la plus forte part d’emplois de moins d’un an d’ancienneté et ceux qui ont la plus forte part d’emplois de plus de dix ans d’ancienneté. Ceci, comme l’ancienneté moyenne, est tout à fait un bon indicateur de la mobilité : avec de rares exceptions, les pays possédant une plus grande part d’emplois de courte ancienneté sont aussi ceux possédant la plus faible ancienneté moyenne et sont connus pour être les marchés du travail plus flexibles. Les Etats-Unis et la Grèce représentent les extrêmes de cette distribution : les Etats-Unis ont une grande part d’emplois de courte ancienneté et une comparativement faible part d’emplois de longue ancienneté, tandis que la Grèce a une grande part d’emplois de longue ancienneté mais une faible part d’emplois d’ancienneté courte.

13. Peut-être qu’une part du puzzle constitué par « une ancienneté longue ne conduisant pas au

sentiment de sécurité auquel on peut s’attendre » provient du besoin qu’existe aussi de la mobilité (ascendante) afin de se sentir plus en sécurité. Les taux de transition des emplois temporaires vers les emplois permanents et des emplois de basse qualité vers ceux de haute qualité sont en la matière des

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indicateurs par procuration. Si nous sondons quelques évidences que nous possédons à propos de ces taux de transition et de la répartition des pays donnée par le graphique 2, nous voyons qu’en général les pays qui ont la part la plus importante d’emplois de faible ancienneté sont aussi ceux avec de hauts taux de transition des emplois temporaires vers les emplois permanents et, à un moindre degré, des emplois de faible qualité vers les emplois de plus grande qualité (cf. graphiques 3 et 4 page suivante ; comme nous avons seulement les données en Europe, les Etats-Unis et le Japon sont exclus de cette analyse particulière).

Graphique 2: Distribution de l’emploi par classe d’ancienneté, part de pourcentage, 2001

GreeceItaly

BelgiumFrance

Finland

Luxemburg

Sw eden GermanySpain

Netherland

DenmarkUnited Kingdom

Ireland

Portugal

10

20

30

40

50

60

0 5 10 15 20 25

Less than 1 year

Mor

e th

an 1

0 ye

ars

14. Si nous regardons maintenant comment les pays ainsi classés par distribution d’ancienneté se placent par rapport aux principaux indicateurs du marché du travail, nous voyons que tous les pays dans la case C, ceux avec une relative grande part d’emplois de courte ancienneté et une faible part d’emplois de longue ancienneté, ont, pris tous ensemble, de loin le plus fort taux d’emploi de tous les pays (ceci s’explique en général par leur plus grand taux d’emploi des femmes, des travailleurs vieillissants et des jeunes). C’est aussi le groupe de pays qui a le plus faible taux de chômage, en général, et pour les groupes sélectionnés.

15. En fait, c’est une répartition assez arbitraire et il y a des exceptions (par exemple, la Suède, le

Portugal et la Finlande ont aussi de forts taux d’emploi et les taux d’emplois des femmes sont comparativement plus faibles en Irlande et sont très bas pour les salariés âgés aux Pays-Bas), mais en général, une analyse simple nous dit qu’avec une certaine distribution de l’ancienneté, suggérant plus de mobilité, on peut arriver à de bons résultats concernant certains des indicateurs du marché du travail qui sont utilisés par la Stratégie européenne de l’emploi pour évaluer la réussite d’un pays.

16. Cela ne veut pas dire que la causalité est claire : est-ce que la mobilité résulte d’un plus haut niveau

d’emploi ou est-ce qu’un plus haut niveau d’emploi résulte de la mobilité ? Etant donné la concentration d’emplois flexibles sur les jeunes, il semble clair que plus les jeunes travaillent et plus mobile sera ce segment de marché.

A B

C

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Graphique 3: taux de transition et ancienneté, 1995-1998/ temporaire vers stable

Graphique 4: taux de transition et ancienneté, 1995-1998 / qualité de l’emploi

Source : à partir d’Eurostat

BelgiumGermany

Spain

ItalyFrance

Greece

Portugal

IrelandNetherlands

United KingdomDenmark

15

25

35

45

55

65

75

7 8 9 10 11 12 13 14

Average Tenure (years)

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C

B A

Ireland

SpainGermany

PortugalItaly

GreeceFrance

United Kingdom

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Belgium

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15

25

35

45

55

7 8 9 10 11 12 13 14

Average Tenure (years)

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C A

B

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17. Cependant, si nous retournons à notre classement initial selon trois indicateurs (sécurité, qualité et ancienneté), nous voyons que certains pays du groupe C ont des indicateurs de rang plus hauts en matière de sécurité et de qualité que les autres pays. En terme d’emploi convenable donc, il y a des pays qui ont des marchés du travail flexibles générant de hauts niveaux de perception d’insécurité et des niveaux aussi plutôt plus faibles en terme de qualité de l’emploi (ceci semble être le cas dans les pays Anglo-Saxons, incluant l’Irlande dans une certaine mesure), tandis que d’autres sont flexibles, mais sans les effets négatifs de la flexibilité pour la sécurité des travailleurs et la qualité de l’emploi. Cela semble être le cas du Danemark et des Pays-Bas notamment. Tableau 2: Différents systèmes d’emplois

Taux d’emploi en pourcentage

Tempo-raires

Taux de chômage en %

Distribution del’ancienneté (%)

Total Jeunes Agés ( %) TotaljeunesLongue durée Un an - Dix ans + Groupe A Grèce 55.4 26 38 12.6 10.2 28.1 5.4 6.6 53.2 Luxembourg 62.9 32.4 24.4 5.8 2 7.5 0.5 11.1 43.9 Italie 54.8 26.3 28 9.8 9.4 28.1 5.9 11.1 49.9 Belgique 59.9 32.7 24.1 9 6.6 17.6 3 13.3 47.3 Portugal 68.9 43.8 50.3 20.6 4.1 9.3 1.5 12.9 44.0 Suède 71.7 36.6 66.5 13.5 5.1 11.1 1.2 12.4 42.2 Moyenne 62.3 33.0 38.6 11.9 6.2 17.0 2.9 11.2 46.7 Groupe B France 63.1 29.5 31 14.9 8.6 19.5 2.9 16.4 44.0 Allemagne 65.8 46.5 37.7 12.4 7.9 9.4 3.9 15.2 40.8 Finlande 68.1 41.7 45.7 16.4 9.1 19.7 2.5 21.7 40.8 Espagne 56.3 33.1 38.9 31.7 10.6 21.5 5.1 20.5 38.5 Moyenne 63.3 37.7 38.3 18.9 9.1 17.5 3.6 18.5 41.0 Groupe C Danemark 76.2 62.3 58 9.2 4.3 8.5 0.9 21.5 30.9 Pays-Bas 74.1 70.4 39.6 14.3 2.4 5.5 0.8 21.6 35.9 Irlande 65.7 49.6 46.8 3.7 3.8 6.6 1.3 19.7 34.4 Royaume-Uni 71.7 56.9 52.3 6.8 5 11.9 1.3 19.9 32.7 Moyenne 71.9 59.8 49.2 8.5 3.9 8.1 1.1 20.7 33.5

Source: à partir d’Eurostat

18. Il semble donc que pour atteindre un si bon classement dans les indicateurs de quantité et de qualité, il est nécessaire d’avoir plus que des relations d’emplois stables. Il est probable qu’une part moyenne d’emplois de long terme combinée avec des institutions du marché du travail, qui fournissent revenus de remplacement, protection sociale et protection de l’employabilité, procure plus de sécurité d’emploi que ne le font à eux seuls les emplois stables dans un environnement incertain. Ceci n’explique pas pourquoi dans certains pays la qualité de l’emploi est aussi meilleure, mais cela pourrait bien être du fait que les possibilités données à l’offre de travail dans certains pays (travailleurs pouvant quitter leur emploi et avoir encore une protection pendant la transition vers un autre emploi) déclenchent aussi une meilleure évaluation de l’emploi, car on a plus de possibilités pour choisir les emplois que l’on aime. Il se pourrait bien que si ce choix n’est pas possible et que l’on est « attaché » à des emplois qui sont de mauvaise qualité – même s’ils sont de long terme-, le jugement porté sur leur qualité en souffre.

19. Le tableau 3 dessine schématiquement l’interaction entre l’ancienneté (ou mieux son indicateur par

procuration, qui est ici un classement de la législation sur l’emploi dans les années 90 compilé par l’OCDE) et la sécurité sociale relative au travail (par extension de données sur les politiques du marché du travail). Dans certains pays, il y a un échange entre les deux : les faibles protections de l’emploi vont de pair avec des dépenses élevées pour les politiques du marché du travail.

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L’arrangement institutionnel du Danemark exemplifie ce cas et l’inverse est illustré par le Japon : un haut taux d’emploi va de pair avec de faibles dépenses pour les politiques du marché du travail. Mais il y a aussi des cas qui ont des hauts (ou des bas) scores dans leurs dimensions, suggérant des complémentarités positives (haut/haut) et négatives (bas/bas).

Tableau 3: protection de l’emploi ou protection de l’employabilité ?

Haute protection sociale Basse protection sociale Haute protection de l’emploi

France (LPE 21 / SP 08) (AM 11.1 / S 16) Allemagne, Suède

Japon (LPE 25* / SP 24) (AM 12 / S 25) Portugal, Grèce, Italie, Espagne

Basse protection de l’emploi

Denmark (LPE 08 / SP 01) (AM 8.3 / S 02) Belgique, Pays-Bas, Finlande, Irlande

Etats-Unis (LPE 01 / SP 25) (AM 6.6 / S 21) Royaume-Uni

Rang 1: fermeté LPE, 1 = faible strict, 26 = très ferme (*Estimation pour le Japon) Rang 2: SP = Dépense pour le marché du travail, 1 = la plus haute, 25 = la plus basse ; Rang 3: S = indicateur de sécurité de l’emploi, 1 = le plus sûr, 26 = le moins sûr. AM= ancienneté moyenne dans l’emploi (années) Source: OCDE, Eurostat.

20. Le fait que la plupart des pays européens qui ont un marché du travail plus flexible sont dans le

groupe qui se caractérise par une bonne protection sociale et une protection moyenne de l’emploi suggère que dans ces pays, transitions et mobilités sont institutionnellement soutenues. Ce n’est pas vrai dans la même mesure pour tous ces pays mais cela l’est au moins au Danemark et aux Pays-Bas, et à un degré moindre en Irlande (et aussi en Finlande) Cela nous conduit à retourner au commentaire fait auparavant. Dans ces systèmes, on peut parler d’une mobilité (ou de transitions) protégée : alors que l’emploi est moins stable et moins sûr au niveau de la firme que dans d’autres pays où existe une forte protection de l’emploi, cette moindre sécurité semble être compensée par une meilleure protection sociale. Pris ensemble, les deux semblent non seulement procurer de meilleurs performances du marché du travail mais aussi une plus haute sécurité d’emploi et cet arrangement institutionnel semble avoir des conséquences positives sur la qualité de l’emploi.

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2 - REVUE DE LITTERATURE SUR LES AGENCEMENTS DE FLEXIBILITE ET SECURITE, EN FRANCE ET EN EUROPE

Carole Yerochewski,

IRES 2.1 - INTRODUCTION Dans la perspective de lancer des travaux prospectifs sur « le type d’institutions qui permettrait d’organiser internalisation et mutualisation afin d’améliorer la sécurité d’emploi et de revenu des salariés sans bloquer les nécessaires redéploiements du tissu productif », la Dares a souhaité obtenir une revue de littérature pour faire le point sur les travaux empiriques existants (pratiques des entreprises, actions publiques, trajectoires des salariés, lien entre ces éléments), en France et dans d’autres pays d’Europe. L’objectif est de « contribuer à l’analyse des contre-tendances émergeant actuellement dans les modes de gestion des entreprises, dans les politiques publiques et/ou les comportements ou aspirations des acteurs sociaux, qui viseraient à (re)construire des institutions alternatives au ‘tout précarité’, pour gérer les aléas (au niveau de la branche, du métier, des territoires) ». 2.2 - DISCUSSION ET CHAMP Dans le cadre du rapport salarial fordiste, le contrat de travail à durée indéterminée, comme processus historique (les Trente Glorieuses) a conduit à imputer en grande partie le risque d’emploi (aléa économique et incomplétude du contrat de travail) à l’entreprise, sous la forme d’un échange entre subordination hiérarchique et sécurité d’emploi. Les salariés acceptaient l’intensification du travail industriel contre la distribution des gains de productivité en augmentation du salaire réel. Les risques qui résultent de l’aléa économique et de l’exécution du contrat de travail sont de plus en plus souvent reportés sur le travailleur. Deux principales modalités de gestion de l’emploi permettent de contourner le statut et les protections associées au contrat à durée indéterminée (CDI) : d’une part, le recours à des formes atypiques d’emploi (CDD et intérim) ; d’autre part, l’externalisation d’activités via la sous-traitance ou le recours à des travailleurs indépendants. Elles renvoient à la remise en cause ou remodelage des « marchés internes » d’entreprises depuis une vingtaine d’années (en France du moins). L’importance de la déstabilisation des marchés internes reste encore aujourd’hui controversée. Pour Peter Auer et Sandrine Cazes, l’emploi durable persiste dans les pays industrialisés (2000). Cependant, si on dépasse l’analyse en terme de dualisation des marchés du travail pour s’intéresser aux flux, on constate alors qu’une part des salariés qui ont font les frais des évolutions actuelles étaient à l’abri dans des marchés internes ; mais ils étaient dans un sous segment de ces marchés internes d’entreprise ; peu qualifiés, ils n’ont jamais reçus de formation (1), n’ont pas connu d’évolution et se sont retrouvés exclus. L’accès à ces marchés internes semble en outre se réduire. Thomas Amossé (2002) montre ainsi qu’en 2001, après vingt années d’activité professionnelle, seulement 77 % des non qualifiés sont chez leur employeur depuis plus d’un an, contre 89 % en 1982. Cette situation pourrait aussi être analysée comme correspondant à une évolution irréversible : dorénavant, chaque salarié devra changer (plusieurs fois) d’emploi ou de métier au cours de sa vie professionnelle. La stratégie européenne pour l’emploi recommande à ce titre de développer la formation tout au long de la vie et, concept controversé, l’employabilité. Ces propositions renvoient à une vision du salarié comme celle d’un individu rationnel, qui gère au mieux sa carrière. Mais selon Jean-François Germe (2001), la majorité des salariés qui changent d’emploi saisissent en réalité le plus souvent les opportunités à court terme que leur offre le marché du travail, opportunités souvent sans rapport avec le dernier emploi occupé et sans cohérence avec un projet à long terme. Dressant un bilan des différents travaux portant sur le rôle des activités réduites

1 À propos des inégalités d’accès à la formation continue, entre qualifiés et non qualifiés, hommes et femmes, jeunes et plus de 50 ans, voir l’enquête « Formation continue 2000 » traitée par le Céreq (2001).

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dans les trajectoires d’insertion des demandeurs d’emploi - souvent présentées comme un marchepied vers l’emploi stable -, Carole Tuchszirer (2002) fait ressortir que d’autres facteurs que l’emploi occupé dans la situation de cumul entre chômage et activité occasionnelle paraissent déterminants pour expliquer la trajectoire et le statut de l’emploi retrouvé. Elle souligne ainsi que « le recours aux activités réduites est le reflet d’un positionnement fortement différencié des demandeurs d’emplois sur le marché du travail », positionnement provenant notamment de l’emploi et du statut précédemment occupés ainsi que du degré de couverture par l’assurance-chômage dont bénéficie le demandeur d’emploi. Les travaux existants révèlent ainsi à quel point l’état des connaissances sur les trajectoires professionnelles des salariés, selon l’âge, le genre, la qualification, reste fragmentaire. Perçue au départ comme un phénomène lié à la conjoncture, qui favorisait la gestion à court terme des ressources humaines, le remodelage des marchés internes d’entreprise est de plus en plus analysée comme un phénomène structurel. Et les pistes de recherche suggérées par les travaux les plus récents s’intéressent à la façon d’établir une sécurité de trajectoire pour les salariés plutôt qu’une sécurité d’emploi. Ainsi, Gunther Schmidt et Bernard Gazier (2001) font remarquer qu’il y a toujours eu des vases communicants entre marché interne, marché externe et marché professionnel. Ils soulignent que la diversification des aspirations contribue aussi à remettre en cause le contrat de subventions implicites entre salariés au fondement de la démarchandisation du contrat de travail sur les marchés internes. La question n’est donc pas tant de reconstituer des « marchés internes » que de favoriser les « marchés transitionnels du travail », en réformant les politiques d’emploi de façon à favoriser les « bonnes transitions ». Prenant en compte les transformations du travail et le fait que le droit du travail actuel protège mieux les cadres supérieurs que les salariés les plus fragilisés sur le marché du travail, le juriste Alain Supiot (1999) propose notamment de créer « un état professionnel » des travailleurs, afin de détacher l’obtention de protections collectives d’une norme d’activité et d’un statut d’emploi qui ne rendent plus compte de la façon dont sont susceptibles d’évoluer les trajectoires. Les trajectoires mêlent aujourd’hui des activités professionnelles ou formatrices, sous différents statuts, des actions bénévoles, etc. Alain Supiot reprend ainsi l’analyse en germe dans la proposition d’un contrat d’activité de Jean Boissonnat (1995), mais ajoute une proposition, « les droits de tirage sociaux », qui redonnent une capacité d’initiative au travailleur, pour qu’à l’instar des entreprises qui ont la liberté de restructurer, le travailleur ait la liberté de choisir sa trajectoire. D’où la déclinaison associée aux droits de tirage sociaux de « banques de temps », « compte épargne temps » et autre compte à gestion individualisée. Ce type de propositions peut toutefois faire l’objet de deux types d’interrogation. Peut-on affirmer que l’individualisation des protections autrefois associées à un statut certes normé mais négocié collectivement permet d’assurer des trajectoires sécurisées et choisies ? Sans parler de trajectoires ascendantes professionnellement, comme cela était aussi implicitement compris dans l’échange subordination hiérarchique versus sécurité économique au fondement des marchés internes (même si c’était loin d’être vrai pour tout le monde). D’où l’une des préoccupations avancées par les auteurs des propositions concernant les marchés transitionnels : comment impliquer de multiples acteurs dans la réforme et le financement des politiques d’emploi de façon à veiller à la sécurisation des transitions ? Seconde interrogation que l’on peut soulever (et à laquelle la proposition des marchés transitionnels ne répond pas non plus) : comment négocier, répartir le financement des protections et des droits de tirages sociaux ou autres droits à l’initiative du salarié (2) ? Marie-Laure Morin (2000), juriste elle aussi, souligne ainsi la limite de la proposition des droits de tirage sociaux à partir de la seule redéfinition d’un « état professionnel » servant à unifier « un droit commun du travail » : « Même si l’on définit ce droit commun du travail, cela ne résout pas la question de savoir qui peut être tenu pour responsable du respect de ce droit ». On ne peut réduire l’émergence de la précarité au remodelage des marchés internes et au recours aux formes atypiques d’emploi ou au travail indépendant et à la sous-traitance. Les modifications des processus

2 Ou comment substituer aux subventions implicites entre salariés sur les marchés internes des subventions explicites aux « bonnes » transitions.

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productifs entraînent aussi souvent une insécurité accrue pour les salariés. La précarisation peut provenir d’un rapport au travail fragilisant le salarié. C’est ce que souligne notamment François Michon (2001 – 2002), évoquant la dégradation des conditions de travail sous l’effet d’exigences excessives de rythme et de performance (Paugam, 2000). D’où des questionnements : les entreprises ne cherchent-elles ainsi qu’à dégager leurs responsabilités en matière d’emploi ? Et corollaire : la recherche d’une plus grande flexibilité des processus productifs ne peut-elle aller de pair avec le maintien d’une responsabilité de l’entreprise, ou des entreprises, en matière de sécurité d’emploi et de revenus ? Une première série de réponses à ces questions ont été apportées dans le cadre du rapport Belorgey (2000), qui a donné une première consistance, en France, aux notions d’internalisation et de mutualisation. Dans « Réinternaliser et mutualiser le risque de l’emploi salarié » (p.137), le rapport propose de moduler les cotisations des employeurs au régime d’assurance-chômage en fonction de leur gestion de la main d’œuvre. Il s’agit là de réinternaliser dans l’entreprise les coûts de certaines formes de flexibilité (de l’emploi, essentiellement). Le rapport note cependant que cette réinternalisation est complexe à mettre en œuvre, notamment du fait du périmètre changeant des entreprises et de la difficulté à ne pas pénaliser des entreprises pour lesquelles des réductions d’effectifs s’imposeraient. Le rapport suggère aussi de redéfinir la figure de l’employeur, mais sans préciser si une figure du tiers employeur, via l’intérim notamment, est une façon de réinternaliser ou de mutualiser le risque emploi. Enfin, le rapport propose de mutualiser l’emploi entre entreprises par les groupements d’employeurs, qui sont donc distingués des figures de tiers employeur. Dans tous les cas de figure, il s’agit de ne pas bloquer les redéploiements du tissu productif : les licenciements dans le cadre d’un plan social ne sont pas nécessairement pénalisés pour autant qu’ils débouchent sur une véritable aide au reclassement des salariés. Sont ainsi distinguées différentes façons d’imputer le risque d’emploi et la prise en charge financière du coût de la flexibilité d’ajustement des effectifs, selon la façon dont on caractérise, en l’occurrence implicitement, ce qui est reporté sur le salarié ou la collectivité. On voit que les pistes d’internalisation ou de mutualisation du risque emploi proposées dans ce rapport dépendent d’une relecture d’autres termes, notamment de l’aléa et de l’incertitude. Mais ces pistes se heurtent à la difficulté, déjà soulevée, d’identifier les « centres de décision du capital » et ceux de gestion des ressources humaines, qui ne se recoupent pas totalement. Ils se heurtent enfin à l’insuffisance des connaissances sur les logiques à l’œuvre dans les modifications des processus productifs. Preuve en est le discours récurrent sur les salariés qui ne disposeraient pas des compétences adaptées ou assez élevées. Difficile de ne pas y voir la difficulté des entreprises à saisir quelles organisations du travail mettre en œuvre pour être plus performantes – nonobstant qu’à travers ce discours, les entreprises qui le tiennent indiquent aussi implicitement ne plus vouloir assumer (à elles seules du moins) l’incomplétude du contrat de travail. Partons alors de ce qu’il pourrait sembler approprié d’internaliser ou de mutualiser pour éviter « le tout précarité ». Pour mesurer les conséquences sociales de la flexibilité, François Michon (op. cit.) propose de repartir de l’idée que « la flexibilité est un phénomène multidimensionnel ». Son analyse intègre ce qu’on pourrait appeler la flexibilisation du travail (amplitude horaire, intensification du travail, etc.). Par ailleurs, il souligne que la flexibilité n’est pas seulement destinée à s’adapter aux fluctuations cycliques mais peut aussi avoir une dimension plus « qualitative » en permettant de s’adapter de façon incessante et de plus en plus fine aux changements et à la diversité des goûts et préférences des consommateurs ». Il propose donc d’évaluer les propriétés de la flexibilité à l’aune de trois principales dimensions : le degré d’imprévisibilité du changement, la vitesse de l’adaptation au changement, le coût de l’adaptation. La première dimension renvoie à la caractérisation de l’aléa ou incertitude et invite dans un premier temps à s’interroger sur ce que les entreprises cherchent à reporter sur les salariés (ou la collectivité) en réclamant « plus de souplesse ». La seconde dimension amène à se poser la question de savoir sur qui doit reposer la vitesse d’adaptation. Le coût de l’adaptation renvoie quant à lui à la question soulevée par Marie-Laure Morin : à qui imputer les coûts de la flexibilité ?

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En résumé, on peut se demander comment gérer l’aspect multidimensionnel de la flexibilité et comment associer à cette gestion les partenaires sociaux et d’autres acteurs concernés par les conséquences sociales d’une plus grande flexibilité – sachant que ce terme porte une multitude de significations, d’un dégagement de la responsabilité d’emploi jusqu’à l’adaptation à la variété de la demande. 2.3 - JUSTIFICATION DES TRAVAUX RETENUS Nous proposons de prolonger la réflexion en s’intéressant aux travaux portant sur l’observation de cas concrets, en France et en Europe, qui reposent sur l’échange, recherché ou effectué, entre « souplesse et sécurité ». Le sujet même de la commande invite à sélectionner les initiatives, collectives ou institutionnelles, visant à combiner flexibilité et sécurité par la construction d’arrangements institutionnels de moyen terme, qui modifient les équilibres productifs au sein d’une entreprise, la structure des flux sur les marchés du travail, etc. Il élimine les initiatives de court terme, qui s’appuient sur une remise en cause des normes salariales pour des catégories de salariés ou une réduction du coût du travail et/ou des coûts salariaux, en considérant qu’il ne s’agit pas là d’initiatives permettant de réinternaliser ou mutualiser le risque d’emploi. On peut retenir des travaux portant sur des initiatives dont les objectifs de départ n’affichaient pas explicitement poursuivre un arrangement de flexibilité et sécurité mais qui, au fil de la mise en œuvre, ont conduit, selon les auteurs des travaux, des acteurs à mettre en œuvre un tel objectif. C’est le cas notamment pour Saint Gobain qui a modifié au cours des trente dernières années sa politique de reconversion, simple volonté d’atténuer « les drames des plans sociaux » pour adopter une politique de développement industriel et de gestion de ses ressources humaines appuyée sur la mobilisation des acteurs territoriaux sur ses sites d’implantation et de reconversion. De telles initiatives peuvent se révéler d’un grand intérêt pour déterminer quelles logiques d’action sont à l’œuvre, et ce qui a permis qu’un agencement se construise. La logique, pour éviter de procéder à une sélection normative, consiste toutefois à ne pas s’appuyer sur les résultats obtenus (d’autant qu’ils ne sont pas toujours connus). Seront donc retenus les travaux portant sur les groupements d’employeurs, alors que leurs effets sont ambigus, ou ceux portant sur la « triangulation » de la relation salariale, avec l’intérim principalement. Seront aussi inclus les agencements qui s’appuient sur le cumul d’activités occasionnelles et de revenus. Voulus par les partenaires sociaux ou proposés par l’Etat, ils reposent sur des analyses implicites de ces acteurs sur les bonnes ou mauvaises flexibilités et les filets de sécurité à mettre en oeuvre. Ils sont susceptibles d’influencer les trajectoires des salariés au-delà de ceux directement concernés par ces politiques publiques et sociales. Les initiatives concrètes ainsi retenues (voir annexe bibliographique) peuvent se répartir en quatre niveaux d’agencements de flexibilité et sécurité, plus ou moins formalisés : a) agencements nationaux, via l’adoption d’une loi-cadre (flexibilité et sécurité aux Pays-Bas, lois Aubry sur les 35 heures), la signature d’un accord (l’accord interprofessionnel sur la stabilité de l’emploi de 1997 en Espagne, ou l’organisation du marché du travail danois, agencement résultant d’une série de régulations partielles (entre flexibilité d’ajustement des effectifs, forte couverture chômage pour les salariés et marchés professionnels) adoptées et négociées au cours du siècle précédent.. b) agencements infra nationaux ou territoriaux, parce que ces agencements, produits d’une action collective, permettraient « aux acteurs d’internaliser la responsabilité de l’emploi dans un nouveau périmètre » (Duclos et Mériaux, 2001) ; on trouve là les groupements d’employeurs, la pluriactivité; le lissage de la saisonnalité ; la politique de développement local de Saint Gobain c) agencements au niveau d’une branche ou d’un métier, comme les intermittents du spectacle, parce qu’on échange de la mobilité entre entreprises ou entre activités contre un statut et une protection sociale, qui sont censés offrir une sécurité d’emploi ou de trajectoire ; nous y placerons aussi la multifonctionnalité dans l’agriculture et la création d’un marché de gestion des qualifications et de fonctions ressources humaines de la part des entreprises de travail temporaires d) enfin, les agencements au niveau d’une entreprise.

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2.4 - GRILLE DE LECTURE Pour comprendre ce qui s’échange réellement entre acteurs sociaux, ces initiatives concrètes sont examinées au travers de trois types de questions : Comment est prise l’initiative : par accord, loi, autre ? Et par qui est-elle prise ? Les acteurs mobilisés sont-ils les mêmes que les acteurs à l’initiative ? Qu’est-ce qui est proposé d’être échangé du point de vue des logiques de flexibilité à l’œuvre (du côté des entreprises, proposées par d’autres acteurs) ? Quelles sont les contraintes énoncées par les acteurs ? Qu’est-ce qui est réellement échangé (quelles stratégies mises en œuvre) ? En quoi consiste l’internalisation ou la mutualisation ? Quelles sont les trajectoires des salariés ? Comment sont-elles gérées ? Comment se redessinent les marchés internes ? Comment se redessine l’organisation des marchés du travail3 ? On cherche ainsi notamment à décoder le discours des acteurs sociaux et à faire ressortir la façon dont s’établissent des compromis sur des objets portant par définition sur des conflits d’intérêts. On peut imaginer qu’une partie des compromis repose sur la polysémie des termes mobilisés. L’objet des compromis et la façon dont ils ont été construits seront autant à analyser, dans la perspective d’en déduire des schémas explicatifs ou d’analyse de l’évolution des initiatives concrètes étudiées. 2.5 - PRESENTATION DES TRAVAUX CONCERNANT L’OBSERVATION DE CAS CONCRETS 2.5.1. Agencements au niveau d’entreprises : Telia, Heineken, Caixa, Zanussi, Rover Une sélection parmi des monographies (4) a été réalisée en reprenant la classification des stratégies au sein des entreprises établie par Freyssinet et Seifert (2001) pour analyser le contenu des Pactes pour l’emploi et la compétitivité (PEC). Ce qui est appelé PEC renvoie à tous les accords d’entreprises conclus au cours des années 90 en Europe et qui, selon la définition de Sisson et al (1999), affichent explicitement de relever le défi de la compétitivité et de l’emploi. Toutefois, Jacques Freyssinet et Harmut Seifert signalent que des stratégies très différentes sont mises en œuvre au nom de cet objectif et proposent donc une classification qui vise, au-delà des architectures institutionnelles différentes d’un pays à l’autre, à pouvoir comparer ces Pec. Ils opposent, dans leur classement, les stratégies de flexibilité interne, qui établissent un lien entre compétitivité et emploi par des actions de moyen long terme, en modifiant la structure même de l’entreprise, son organisation du travail, etc., et des stratégies de court terme, qui s’appuient pour l’essentiel sur des réductions de coûts salariaux et le recours non régulé à l’externalisation de l’emploi. Un tel classement des stratégies met en évidence le fait que les stratégies à court terme ne permettent pas de mettre en œuvre de nouvelles régulations d’emploi – régulations propres à recombiner flexibilité et sécurité. a) Telia Entreprise de téléphone contrôlée par l’État suédois, Telia5 intervient directement ou via des accords avec AT&T, Unisource, Swiss Telecom et PTT Nethermands, dans une quinzaine de pays d’Europe. Le cas traité par le correspondant de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail se situe en Suède. Il a été évalué par Roland Hansson, chercheur à l’Université de Stockholm. En 1995, alors que le traumatisme provoqué par le précédent plan social est encore frais dans les esprits, l’entreprise mère indique vouloir se restructurer en petites filiales indépendantes et adapter les compétences à la fabrication de nouveaux produits et de nouveaux services, ceci par des licenciements et des embauches. 6 500 salariés sont considérés comme ne possédant pas les compétences requises et donc en sureffectif.

3 Plutôt que d’anticiper a priori un résultat ressortant des initiatives concrètes en reprenant le terme de marchés transitionnels du travail, nous préférons parler de marchés du travail qui se réorganisent. 4 Les cas retenus proviennent de monographies établies pour la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de travail et de vie, et rassemblées dans « Agreements on employment and competitiveness in the European Union and Norway », office for official publications of the european communities, Luxembourg 2001. Nota Bene : ces monographies comportent parfois des imprécisions. 5 34 000 salariés, 44 milliards de couronnes suédois de chiffre d’affaires. Trois syndicats à Telia Suède : Seko (adhérent LO) organise 10 000 personnes chez Telia ; Saco, confédération des diplômés, en organise 3000 ; l’union des techniciens et professions libérales, en organise 8 500.

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Un accord intervient entre la direction et les trois fédérations syndicales de branche qui vise à favoriser le reclassement de tous les salariés par la démarche suivante : 1) Une division « staff support » pour le reclassement du personnel est créée, qui concerne 22 000 salariés ; aucun salarié n’est a priori désigné comme surnuméraire 2) La création de cette division suppose que les syndicats n’ont pas demandé l’application du Security Act, qui prévoit que les licenciements doivent se faire par ordre inverse d’ancienneté ; 3) Les syndicats acceptent de ne pas faire appliquer le Security Act contre le fait que : a) tous les salariés auront une aide au reclassement ; b) la direction abandonne son droit à décider qui doit partir et qui doit être recruté pour réaliser cette restructuration ; le processus d’embauche et de reclassement est cogéré grâce à la création d’une structure décisionnaire ad hoc, l’« l’équipe de consultation » qui englobe les représentants des trois syndicats, la direction du personnel et la direction de la division « staff support » créée pour accompagner l’accord. Enfin, 4) ce sont aux salariés placés dans la division « staff support » à se porter candidat aux postes en interne ; s’ils n’ont pas les compétences nécessaires au poste (selon l’équipe de consultation), ils reçoivent une formation sur plusieurs mois si nécessaire. La principale motivation de la direction pour cet accord est de pouvoir garder des personnes compétentes qui auraient été, en cas d’application du Security Act, les premières licenciées, comme cela avait déjà été le cas en 1992 lors d’un précédent plan social. Quand la mise en œuvre de l’accord passe dans une phase opérationnelle, il ne reste très rapidement que 6 500 salariés dans la division « staff support ». Cependant, direction et syndicats s’accordent pour que, pendant trois ans, afin d’éviter de mettre la pression sur les salariés, les licenciements soient gelés. Seulement 200 personnes à l’issue des trois ans, dont la moitié ayant des handicaps physiques ou des troubles psychologiques, quittent cette division sans emploi. 80 à 85 % de ceux qui ont suivi une formation ont un emploi qui correspond à leur qualification. Il semble en fait qu’une partie ait été reclassée en interne, grâce à l’effort de formation. La gestion de l’accord s’est déroulée dans un climat de grande confiance entre la directrice des ressources humaines (DRH) et les syndicats de branche. Il y a eu des rencontres secrètes entre la DRH et les juristes des syndicats sur la non application du Security Act. En revanche, l’articulation entre fédérations syndicales de branche et sections d’établissements n’est pas toujours satisfaisante ; de même, les nouveaux directeurs des petites filiales ne comprennent pas toujours qu’ils n’ont pas à choisir qui est embauché et qui est reclassé à l’externe. L’évaluation indique que 85 à 95 % des salariés jugent à l’issue du processus qu’il valait mieux agir ainsi que de procéder selon le mode habituel de gestion d’un plan social, avec notification abrupte des licenciements ; certains critiquent les syndicats, mais surtout quand ils n’ont pas senti les sections d’établissement suffisamment mobilisées à leurs côtés. Les syndicats sont satisfaits ; celui qui s’est le plus impliqué est celui dont les membres, non qualifiés, avaient a priori le plus à perdre dans cette opération (le critère des compétences remplaçant celui de l’ancienneté). Mais ce syndicat estime avoir ainsi œuvré à l’intérêt à moyen long terme de ses membres, et ceci alors que la plupart des 200 personnes qui restent sans emploi à l’issue de cette opération sont des non qualifiés. La direction estime de son côté n’avoir pas bien choisi les méthodes de reconversion, de façon à graduer les efforts demandés aux non qualifiés en mobilisant plus l’organisation du travail. La direction estime dorénavant qu’assurer sa responsabilité d’employeur consisterait à gérer plus en amont les compétences (de même estime-t-elle que les salariés doivent se responsabiliser en songeant à entretenir leur savoir). Adopter une telle démarche suppose que syndicats et direction acquièrent plus de « flexibilité » dans leur façon de poser les problèmes. La direction estime aussi que les syndicats ont plus gagné à cet accord car ils n’ont jamais eu autant d’influence dans l’entreprise (les syndicats pensent que les deux parties y ont autant gagné). La DRH pense que cette fois les syndicats étaient motivés par le souci que l’entreprise, pourtant sous contrôle d’Etat, reste profitable, car c’est un gage de sécurité indirecte pour les salariés. Il y a maintenant un nouvel accord au sein de Telia : chaque unité confronté à un problème de sureffectif a la responsabilité de provisionner des fonds pour conduire les licenciements dans une forme acceptable, forme qui doit être la même pour tous les établissements. La démarche doit être basée sur le volontariat et si ce n’est pas possible, elle doit faire l’objet d’un accord avec les syndicats ; c’est aussi avec les syndicats que doivent

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se décider les nouveaux recrutements. Cet accord concerne les actuels 32 000 salariés et est valable pour une durée indéterminée. b) Heineken Nederland BV.6 Le cas étudié concerne l’unité néerlandaise7. Elle regroupe 5 852 salariés dont 3 800 sur la production de bière. Il existe quatre syndicats auxquels adhèrent au total 2100 membres, 1600 appartiennent à la FNV (fédération du mouvement syndical néerlandais, de tendance socialiste, le plus important des syndicats avec 1 240 000 membres en 1999). Dans les brasseries, le pourcentage de couverture syndicale est de 80 %. La représentation du personnel est assurée par quatre conseils d’entreprise et un au niveau du groupe. En 1990, la direction nationale de Heineken annonce un plan social justifié par des pertes financières dues à la décroissance de parts de marché et des coûts trop élevés de production. 700 licenciements sont prévus. Les syndicats mobilisent les salariés qui font grève trois jours et font appel à la Justice. Un accord intervient en 1992. L’étude de cas porte sur le renouvellement, en 1998, de cet accord intervenu en 1992 entre la direction et les quatre syndicats. L’accord de 1992 s’intitule « Les gens font Heineken ». Il indique : « L’emploi est crucial pour le futur et la continuité, les licenciements doivent être évités ». Il couvre 3816 salariés (un accord séparé concerne les 1670 cadres).Il prévoit de ne pas procéder à des licenciements forcés pendant toute la période de réorganisation. En échange, les salariés acceptent l’aplatissement des lignes hiérarchiques, la création de centres de profits et de groupes de travail autonomes, l’élévation des compétences. Parallèlement, l’accord a prévu d’associer les conseils d’entreprise en amont de décisions stratégiques tandis que les syndicats suivent l’application de cet accord selon les voies traditionnelles de la négociation collective. La mise en œuvre de la réorganisation s’effectue dans chaque unité de façon décentralisée ; des groupes de travail sont constituées à cette fin comprenant des représentants du management, des salariés, des responsables de divers services (techniques, financiers, P&O), des représentants des syndicats et des conseils d’entreprise. Quatre avenants sont conclus parallèlement ou dans les années qui suivent. L’un porte sur les conditions sociales du transfert de salariés lié à des raisons organisationnelles (aide financière au déménagement du salarié et de sa famille notamment). Un autre contient des articles régulant l’information et la consultation du personnel (qui sont fixées par un accord datant du début des années 80 et peu amendé) ; un autre donne la priorité aux candidatures internes pour les emplois vacants, spécifie la nécessité d’actions positives envers les femmes et les jeunes. Il contient un volet sur les emplois temporaires, qui doivent aussi servir à apporter de l’expérience à des membres des minorités ethniques et à des chômeurs de longue durée. Ces salariés temporaires sont prioritaires en cas de poste vacant (et s’ils ont la qualification adéquate). Les intérimaires bénéficient d’un meilleur traitement que celui prévu dans le cadre de la loi flexibilité et sécurité (cf. agencement national néerlandais) : après douze semaines de mission, ils basculent dans le régime des droits Heineken (en terme de salaire). Cet accord ne peut être décliné par les unités qu’en positif (alors que la loi peut être déclinée en « plus » ou en « moins » par les conventions collectives). Un autre avenant porte sur les conséquences de la « multi compétences » dans des équipes autonomes. C’est sur cet aspect que porte l’essentiel de l’accord de 1998 étudié. Le renouvellement introduit une procédure de test des compétences. L’idée vient du fait qu’une première évaluation réalisée par le management a donné des résultats assez négatifs sur les potentiels des personnes n’ayant qu’un premier niveau de formation initiale. Selon l’accord de 1998, salariés et chefs d’équipe seront testés sur leur potentiel futur à travailler en équipe et leur capacité à se former. Il y a aussi un accord parallèle entre syndicats et direction sur l’application des procédures de test des salariés. 1 777 salariés seront testés. Selon l’auteur de cette étude de cas, il n’y aura finalement que 65 personnes sur 1 777 à partir de chez Heineken (rappel : la plan social en 1990 en prévoyait 700). Grâce à la bonne conjoncture, il y a même augmentation du personnel sur 1990-99. Sur les 1777 salariés testés, 80 % intègrent des équipes autonomes. 20 % sont considérés non « formables » et il n’y a pas d’emplois adaptés dans les équipes existantes. La moitié des 20 % (160 salariés) est redéployée

6 110 unités dans 50 pays. 7 Ce cas a été étudié par Huiskamp Research and Consultancy BV pour la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail.

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dans la compagnie sur des « jobs personnels » (le nettoyage est intégré dans Heineken). Parmi l’autre moitié, une partie part en préretraite, l’autre partie (65 personnes) a une compensation financière au départ volontaire. Qu’en pensent les acteurs ? Leur avis est globalement positif mais : 1) les syndicats estiment que la direction a mis la pression pour faire partir les gens et que le test est plus devenu un moyen de sélectionner les salariés que d’évaluer leur potentiel. Il y a une différence d’interprétation sur le contenu de l’accord avec la direction. Selon la FNV, l’accord « les gens font Heineken » est positif - la qualité du travail augmente et les salariés améliorent leur position sur le marché du travail externe -, mais cet accord n’a pas été mis en œuvre comme prévu : la culture de Heineken évolue lentement et la structure hiérarchique aussi ; les syndicats n’ont pas le sentiment d’avoir centralement pesé sur les questions organisationnelles et les accords sur l’emploi ; 2) la direction apprécie la réorganisation qui se concrétise par une meilleure qualité de travail, une diminution des coûts de production et un changement de la culture de la compagnie. Mais cet exercice est jugé très consommateur en temps et la productivité n’est pas suffisamment améliorée ; 3) les conseils d’entreprise ont vu leur position s’améliorer, les salariés savent dorénavant qu’ils sont compétents et l’entreprise le sait aussi. Des employés ont du partir, mais les conseils d’entreprises (et une partie des salariés) pensent que c’était inévitable. De toutes façons, estiment-ils, ces salariés n’avaient pas le potentiel, et tout le monde n’a pas la capacité de se former ou d’atteindre un certain niveau. Par ailleurs, les conseils d’entreprises estiment que les réorganisations ont créé des « attentes fortes en terme de salaire » (l’auteur du cas ne précise pas), qui ne semblent pas avoir été satisfaites au moment de l’observation. c) Caixa Caixa est un des principaux groupes Espagnol de caisse d’épargne. Caixa a multiplié les rachats au cours des années 90. Il dispose en 1999 de 4 000 agences décentralisées et de 15 000 salariés (11 000 en 1993). La composition du personnel a changé, du fait de cette augmentation du nombre d’agences, où travaillent des salariés plus qualifiés et polyvalents, et de l’externalisation d’une grande partie des services centraux (vente d’assurances, maintenance informatique, comptabilité, fabrication des cartes de crédits, courrier, nettoyage...). En 1999, 93, 5 % du personnel (au lieu de 86 % en 1993) travaillent dans des bureaux ; 10, 3 % sont des cadres dirigeants (5 % en 1993) ; 46 % sont des cadres moyens (27 %) ; 1,6 % du personnel technique (20,2 %) ; 27 % des salariés dits « qualifiés » et 12 % des auxiliaires (42 %) ; 1,9 % sont des subordonnés et autres compétences (1,8 %) ; 1 % du personnel d’entretien (2,3 %). Il y a 26 % de femmes (30 %), de surcroît peu présentes parmi les cadres dirigeants. Il existe trois références dans les relations sociales de travail : un statut du travailleur au niveau national ; un accord national au niveau du secteur des caisses d’épargne, cadre des négociations collectives ; et un accord au niveau de la firme elle-même, sorte de pacte au niveau de la compagnie, non enregistré juridiquement, mais qui vise à ne pas laisser les unités moins syndiquées en dehors des accords. Cet accord au niveau de la firme est meilleur que celui au niveau du secteur, pour la politique salariale notamment. Il y a cinq comités d’entreprises auxquels est affecté un éventail concret et différent de négociations. En pratique, les sujets importants sont discutés par tous les comités d’entreprises. 35 % des salariés sont syndiqués, majoritairement à la CCOO. Les élections des délégués, principal critère de représentativité, donnent 48 % à CCOO (37,7 % des voix au niveau national en 19998), 33 % à la SEGBT et 12 % à l’UGT (36,7 % des voix au niveau national). L’accord signé entre la direction et les syndicats, en novembre 1997, décline au niveau de Caixa l’accord interconfédéral conclu la même année sur la réduction des coûts de licenciement contre la transformation des emplois temporaires de certaines catégories de salariés, dont les jeunes, en contrats à durée indéterminée (cf. agencement national). L’accord chez Caixa prévoit d’une part la transformation d’environ 85 % des contrats d’apprentissage en contrats permanents : d’autre part, 80 % des emplois temporaires utilisés pour des raisons de production seront transformés d’ici à trois ans en emplois permanents sans période d’essai et en intégrant l’ancienneté. Pour la direction, l’intégration des apprentis va lui permettre de gérer sa pyramide des âges.

8 Données extraites de « Représentativité syndicale et dialogue social », par Carole Tuchszirer et Catherine Vincent, chronique de l’Ires n° 66, septembre 2000.

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L’accord prévoit qu’avant la transformation des emplois temporaires en emplois permanents, un tribunal paritaire d’évaluation est créé, où sont représentés les principaux syndicats de la firme. Enfin les cas de recours aux emplois temporaires sont encadrés et le taux de recours limité. Cet accord s’enracine dans un contexte de gestion au « mérite », très individualisée, qui s’appuie notamment sur l’existence d’un certain nombre d’avantages salariaux et en nature à la discrétion du management (assistance, aide familiale, facilités de prêts, etc.). La gestion au « mérite » est dénoncée depuis plusieurs années par les syndicats, qui parlent de « polarisation » entre cadres et non cadres. Mais les cadres moyens étant appelés à prendre de plus en plus de responsabilités sans que cela soit compensé par le salaire (ils perçoivent surtout des avantages variables sous forme de primes), ils sont du coup eux aussi fortement syndiqués. Les syndicats ont réclamé que l’ensemble du personnel y compris les employés, dont les possibilités de carrière sont sinon fortement limitées, puissent être formés de façon à pouvoir changer de classification ou du moins à faire reconnaître les compétences cachées. Les promotions s’effectuent sur la base d’examens internes mais les syndicats estiment qu’elles fonctionnent par piston. Les syndicats ont obtenu la formation et la polyvalence du personnel dans les bureaux décentralisés (3 à 4 salariés par caisse d’épargne souvent). En 1995, ils ont fait appel à la justice pour lutter contre les discriminations vis-à-vis des apprentis. Parallèlement, la direction, s’appuyant sur la demande formulée par les associations d’usagers, a obtenu une flexibilisation importante de la répartition des heures travaillées. Suite à l’accord, le nombre de salariés temporaires (15 à 20 % jusqu’en 1995) a décru. Les salariés les plus âgés sont partis en préretraite. Parallèlement, dans les multiples agences, la flexibilisation des horaires s’est généralisée. Elle est peu contrôlée par les syndicats. Ceux-ci estiment que les salariés n’osent pas dire qu’ils font en réalité des heures supplémentaires (non payées) de peur de « démériter », car c’est le responsable du bureau de caisse d’épargne qui donne son appréciation sur leur travail global. Pour avoir une action globale, les syndicats mettent de plus en plus l’accent sur la possibilité de participer au processus de décision, via le comité de directeurs et l’existence de commissions de négociation guidant et contrôlant les accords. Les syndicats pensent avantageux de prendre part à la politique du management du travail car c’est positif pour l’entreprise elle-même. d) Zanussi :

Electrolux, groupe suédois international qui détient l’entreprise italienne Zanussi 9depuis 1984, informe le comité d’entreprise européen, au deuxième semestre 1997, de sa volonté de réaliser un gain en productivité. Le secteur de l’électroménager se caractérise par des surcapacités de production, des prix en baisse, une tendance des consommateurs à s’intéresser au bas de gamme et le développement d’une concurrence par des produits fabriqués hors union européenne. Electrolux met en concurrence les différents sites européens en indiquant combien de suppressions d’emplois et de fermeture de sites sont prévues (12 000 salariés pour 25 unités de production) mais sans préciser où. Un premier état des lieux concernant Zanussi indique que 2 000 salariés sont en sureffectif. Sans remettre en cause les gains de productivité demandés par la multinationale, les fédérations syndicales de la métallurgie italienne (Fim, Fiom, Uilm) proposent un accord global sur trois ans visant à atteindre 12 % de gain de productivité par des réorganisations de chacun des dix-sept établissements. Ces réorganisations comprennent notamment : une flexibilisation des horaires de travail, une rationalisation de la production, une amélioration de la qualité et une réduction des coûts salariaux à l’embauche des jeunes apprentis ; en contrepartie, il est prévu d’embaucher des femmes et transformer en salariés permanents les salariés temporaires ayant trois ans d’ancienneté – ceci tout en maintenant un volant important de recours aux emplois temporaires (8 à 10 % d’intérimaires).

9 En 1997, Zanussi réalise 4 000 milliards de livre de chiffre d’affaires, dont 70 % à l’export ; il a 15 000 salariés ; 77 % sont des « cols bleus » ; 40 % des femmes. Le taux de syndicalisation est de 54 %.

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Le respect de l’accord est conditionné côté syndical à l’engagement du gouvernement italien de relancer le secteur de l’électroménager et au fait qu’Electrolux s’engage, comme lors du rachat de Zanussi en 1984, à assurer une sécurité de l’emploi en échange des engagements à gagner en productivité, enfin, à la mise en œuvre des nouvelles modalités de négociation collective adoptées quelques mois auparavant par le groupe Zanussi, ce qui va permettre de décliner l’accord national en l’ajustant aux réalités et contraintes de chaque site des dix sept sites et en le négociant avec les collectivités locales. La direction de Zanussi accepte ces modalités. Depuis la fin des années 80, elle considère que les relations industrielles et la négociation collective sont un élément clé de compétitivité. D’où la signature en juillet 1997 d’un accord dit « constitutionnel » au sens où l’entreprise et les trois principales fédérations de la métallurgie adoptent un texte portant sur l’unification des formes de représentation des salariés, via la création des « représentations unifiées des travailleurs » sur chaque site. Ce texte régit le système de négociation : il redéfinit les normes régulant la répartition du pouvoir et des responsabilités à l’intérieur du système de représentation et précise un certain nombre d’engagement et d’assurance que syndicats et direction ont échangé. La direction d’Electrolux donne son feu vert aux modalités spécifiques de négociation de Zanussi et accepte le pacte de stabilité sur trois ans (gel des suppressions d’emploi des salariés en CDI et des travailleurs dit manuels) mais fixe, comme à toutes les unités européennes, la fin novembre 97 pour qu’une stratégie soit trouvée. Dix-sept accords de site vont compléter l’accord national, en recourrant à divers outils (temps partiels, répartition des heures travaillées, réorganisation etc.). Une stratégie unifiée est recherchée avec les syndicats européens, pour éviter la mise en concurrence entre sites et le localisme ; pour éviter aussi que les négociations européennes prennent le pas sur le mode de participation à Zanussi. Au cours des trois ans, les gains de productivité sont contrôlés par Electrolux, avec la participation des fédérations syndicales et la possibilité pour Electrolux de prendre des mesures correctives ; le texte de référence reste vague concernant la relance gouvernementale. Il n’y aura au final que 349 licenciements sur 2 000 envisagés par Electrolux. Les résultats concernant les transformations d’emplois temporaires ne sont pas précisés. Une banque de temps est créée pour stocker les heures supplémentaires effectuées ; la part des femmes s’accroît. Les employés à temps partiel bénéficient de tous les avantages au prorata de leur nombre d’heures. Les fédérations syndicales sont satisfaites d’avoir sauvé et mis en œuvre le système de représentation unifiée des travailleurs. Le gain en compétitivité a bien été atteint par des négociations sur chaque implantation, conduites par les représentations unifiées des travailleurs et les structures territoriales des syndicats (les syndicats italiens ont de réelles représentations territoriales). En revanche, l’articulation avec les autres syndicats européens via le comité d’entreprise européen, qui pouvait difficilement s’exprimer au nom de tous les syndicats en présence, a été plus délicat, au point de créer certains quiproquos sur le rôle du gouvernement italien dans le processus de négociation à Zanussi. e) Rover

En 1992, Rover emploie 33 550 salariés sur ses différents sites, en 1998, 38 712. En 1992, la direction de Rover propose aux syndicats un accord visant à fidéliser les salariés par l’engagement de ne pas procéder à des licenciements en cas de retournement du marché. Seuls seront acceptés des départs volontaires ou en préretraite. Auparavant, la firme avait procédé à de nombreux licenciements. Les cinq syndicats implantés (AEEU, GMB, MSF, TGWU et UCATT) sur Rover, qui ont formé une représentation unifiée de négociation, acceptent, de façon pragmatique, l’accord qui est tout juste approuvé par les salariés (11 961 voix pour et 11 793 contre). Cet accord prévoit un seul type de statut, un seul type d’échelle de salaire ; la nécessité d’une amélioration continue (modèle japonais de la qualité totale10) ; des équipes de travail ; la suppression de toute restriction aux heures supplémentaires ; une flexibilité des salariés qui doivent s’engager à se former ; la création d’une

10 Avant d’être racheté par BMW en 1994, Rover dépendait d’investisseurs japonais Nissan et Toyota ; British Leyland ex maison mère avait des liens avec Honda.

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seule « table de négociation » et une consultation accrue des représentants syndicaux et du personnel. Il n’y aucune garantie sur le maintien des emplois existants ; les salariés doivent être prêts à se former, à changer d’emploi et y compris, comme cela se fera au cours des années qui vont suivre, à changer de site. Par exemple, en 1999, 700 salariés sont transférés de Longbridge à Cowley (en 1998, Rover compte 14 000 employés à Longbridge, dont 5 500 en production de moteurs, 13 000 à Solihull et 3000 à Cowley). Au cours de ces années (1992 – 1998), il y aura de fortes variations d’emplois, sur la base de départs volontaires, lors des réductions d’effectifs. Mais il y aura aussi des embauches quand la conjoncture se redresse (le tout avec maintien d’un volant d’emplois temporaires). Et Rover renoue le dialogue avec les syndicats. En 1998, se produit un fort retournement conjoncturel. BMW a racheté Rover. BMW propose et obtient une flexibilité horaire sur le modèle germanique, pour rattraper un différentiel de productivité avec les usines allemandes que BMW assure s’établir autour de 30 %. Cela se traduit par de nouvelles réductions d’effectifs et un nouvel accord, qui est approuvé par 17 484 salariés contre 7 045. Ce nouvel accord prévoit de travailler y compris le dimanche matin. Les heures supplémentaires sont placées sur une banque de temps et récupérés en repos quand il y a moins de travail. Il y aussi modération salariale. BMW accepte d’investir 400 millions si le gouvernement britannique apporte entre 150 et 200 millions de livre ; pendant la négociation avec le gouvernement britannique, BMW annonce des pertes de l’ordre de 91 millions de livre chez Rover en 1998 et dit envisager de s’établir en Hongrie. Le gouvernement de Tony Blair accepte d’apporter 180 millions de livre. 50 000 à 60 000 emplois (directs et indirects) auraient ainsi été préservés. Mais un ancien directeur à la retraite de chez Rover se demande si une telle sécurité d’emploi n’est pas illusoire. 2.5.2 - Agencement au niveau d’une branche ou d’un métier : intérim, intermittents, multifonctionnalité agricole

a) Intérim11

Le retournement du marché du travail temporaire en 1993 s’est traduit par la fermeture d’une agence sur cinq et par une guerre des prix entre leaders du travail temporaire au profit des entreprises utilisatrices, qui ont de plus en plus recours à des contrats de groupe. Une étude d’Armelle Gorgeu, René Mathieu et Michel ¨Pialoux (1998) sur la filière automobile a montré qu’avant la reprise de 1997, il pouvait être plus avantageux pour les entreprises utilisatrices de recourir à l’intérim plutôt qu’à un CDD et même qu’à une embauche en CDI pour les premiers niveaux de qualification. Les ETT ont compensé l’effondrement de leur marge par le volume et l’offre de nouveaux services. Elles ont évolué vers la proposition de solutions clés en main de gestion des ressources humaines. A ce titre, elles ont besoin de fidéliser des intérimaires et organisent un vivier de collaborateurs, de compétences. Elles font valoir que, par rapport au CDD, un intérimaire est plus en sécurité car il ne se retrouve pas tout seul, comme à la fin d’un CDD, à rechercher un travail : l'agence peut l’aider à se replacer ailleurs ou à suivre une formation en attendant une mission ou même à remplir ses formulaires Assedic (pour les intérimaires fidélisés). Mais les règles de constitution du vivier de compétences ne sont pas négociées ; les procédures de sélection sont très codifiées (procédures certifiées qualité aux normes Iso) et comprennent l’organisation de batteries de tests, qui peuvent aller de la constitution de simples fiches d’évaluation à de véritables mises à l’épreuve du savoir-faire, des compétences et des comportements. En outre, ces démarches ne sont pas exemptes de réduction de coûts salariaux : des jeunes intérimaires diplômés du supérieur sont ainsi placés pour une rémunération au niveau du Smic sur des contrats de qualification dans les entreprises utilisatrices. Surtout, la

11 Le principal texte de référence pour l’exposition de ce cas provient de : Les stratégies des entreprises de travail temporaire : Acteurs incontournables du marché du travail, partenaires experts en ressources humaines, Lefevre Gilbert, Michon François, Viprey Mouna, Travail et emploi n°89, la documentation française, janvier 2002.

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place qui est donnée à cette stratégie de gestion des ressources humaines au sein des discours des responsables d'entreprises de travail temporaire ne correspond pas à la réalité, massive en France, d'un intérim qui reste concentré sur les emplois ouvriers et faiblement qualifiés, toujours nourri des niveaux élevés de chômage. Quels scénarios annoncent alors de telles orientations ? Un intérim dual, opposant un petit segment de professionnels de haut niveau à une activité massivement consacrée aux personnels peu qualifiés ? Un intérim hégémonique, marchant sur les terres du contrat à durée indéterminée ? Les choix ne sont pas faits. b) Intermittents12

Depuis 1980, le recours au contrat d’emploi intermittent (créé en 1969, qui ouvre droit à indemnisation du chômage pour 507 heures de travail sur l’année écoulée) s’est fortement développé. Ce contrat, autorisé en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère temporaire des emplois, accorde une plus grande autonomie au salarié que celle apportée par le contrat de travail subordonné classique, du fait de la multiplicité possible des employeurs, et donc à condition que le salarié échappe au risque de précarité, beaucoup plus élevé, en recherchant en permanence de nouveaux contrats. La production des spectacles est fondée sur une grande flexibilité de l’emploi : l’intermittence est utilisée pour disposer d’une réserve élargie de main d’œuvre disponible à chaque instant, pour contenir la hausse des coûts de production des spectacles, pour s’ajuster à l’expansion de programmes audiovisuels et enfin, pour spéculer continuellement sur les talents nouveaux. Ce régime d’indemnisation est régulièrement négocié par les partenaires sociaux. Toutefois, ce régime est en déficit structurel et est pris en charge par le régime général de l’assurance-chomage (gérée par l’Unedic) Il a entraîné une forte récurrence entre situations d’emploi et de chômage. Entre 1980 et 1992, le volume de travail dans ce secteur a progressé de 46 % mais la masse salariale de 97 % et les effectifs de 64 %, ceci du fait de la progression du travail intermittent, qui représentait 33 % du volume de travail en 1992 mais 53 % de la masse salariale. Le turn over parmi les intermittents est considérable : chaque année, les entrants représentent 15 % des effectifs et la moitié environ aura quitté le secteur deux ans plus tard. Un noyau de professionnels expérimentés est ainsi entouré d’un halo d’intermittents. Ce noyau est loin d’être homogène. Il y a des disparités très fortes dans les quantités de travail obtenues par les professionnels au sein de chaque catégorie de métier. Les contrats sont de plus en plus courts et fragmentés (la durée annuelle d’activité est passée entre 1980 et 1992 de 93 à 78 jours). Entre 1980 et 1992, le nombre de professionnels indemnisés a été multiplié par 5. En 1992, leur durée moyenne d’indemnisation est de 294 jours. Toujours en 1992, ils représentent 90 % de ceux qui peuvent prétendre à l’indemnisation (au lieu de 34 % en 1980) ; l’emploi intermittent correspond à 6,7 millions de jours travaillées et à 11,2 millions de jours indemnisés alors qu’en 1980, le travail de l’ensemble des intermittents représentait 3,2 millions de journées rémunérées et 1,7 millions de journées indemnisées. c) La multifonctionnalité13 sous l’angle de l’éligibilité aux aides PAC dans l’Union Européenne Les auteurs ont évalué l’application nationale des orientations de 1991 et 1995 de la politique agricole commune (Pac). Ces orientations introduisent le concept de multifonctionnalité pour favoriser la prise en compte des différentes fonctions sociales de l’agriculture en terme d’emploi, de cohésion sociale et de contribution de l’activité agricole au maintien d’un tissu social et rural. L’hypothèse de travail consiste à étudier les effets des normes d’activités professionnelles sur la définition des critères d’accès à des aides financières censées favorisées une combinaison de flexibilité (en l’occurrence, flexibilité des activités prises en compte dans l’agriculture et le développement rural) et de sécurité. La nouvelle Pac prévoit des aides financières pour le développement de ces différentes fonctions sociales, mais les dispositions de l’Union européenne laisse une grande marge de manœuvre aux Etats membres dans la définition des critères

12 Les grandes tendances sont extraites de « Les intermittents du spectacle » : croissance de l’emploi et du chômage indemnisé, Pierre-Michel Menger, centre de sociologie, Insee Première n°510, 1997 13 Le texte de référence pour ce cas est de Catherine Laurent (Insa-Sad, Paris), avec la collaboration de Cristina Rueda, EleftheriaVounouki, (université Paris X), « Multifonctionnalité et éligibilité aux aides PAC dans l’Union Européenne » in Economie rurale 268-269 mars juin 2002.

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d’éligibilité. Or, l’exercice d’une activité agricole à temps plein sert souvent de référence pour définir le statut. Cet aspect est important quand on sait qu’en 1997, plus de 50 % des exploitations sont toujours de très petites dimensions et seuls 27 % des chefs d’exploitation de l’UE ont une activité agricole à temps plein. L’orientation vers le soutien à la multifonctionnalité est censée élargir le nombre d’agriculteurs éligibles. Quatre aides sont comparées dans ces travaux : aide à l’installation des jeunes agriculteurs, 1991 et 1995 ; la compensation d’handicaps naturels 1985, 1989, 1991, 1993 et 1994 ; le paiement compensatoire de céréales, 1995 ; et la prime agri-environnementale, 1995) dans les cinq pays (Allemagne, Espagne, France, Grèce et Royaume-Uni) regroupant la moitié des emplois agricoles européens. Principal résultat : des critères d’éligibilité qui restent restrictifs. Les auteurs constatent d’abord que la définition de l’agriculteur est fortement normée : « Tous les textes réglementaires dépouillés traitent de critères d’éligibilité relatifs aux normes d’exercice de l’activité agricole : il s’agit bien d’un principe important de sélection des bénéficiaires du soutien économique ». Or, « le choix de sélectionner des bénéficiaires en fonction d’un modèle professionnel n’est pas sans signification ». Il s’avère en fait que la norme d’activité reflète des règles d’accès au régime de protection sociale, règles plus restrictives lorsque le régime de protection sociale est basé sur le travail (versus prestations universelles financées par l’impôt). Dans ce dernier cas, les règles d’accès dépendent d’accords entre l’Etat et les professions organisées, qui vont être producteurs de normes d’activité professionnelles14. La précarisation ou dérégulation de l’activité professionnelle agricole peut résulter, selon les auteurs, du fait que des activités se voient financièrement aidées par la Pac sans pour autant entrer dans les normes d’activités professionnelles ni bénéficier à ce titre de la protection sociale afférente mais seulement de régimes moins favorables. D’où une dualisation des statuts et protections associées, car, telle que l’ont digéré certains Etats membres, c’est la norme d’exploitation agricole à temps plein qui continue de servir de référence aux critères d’éligibilité aux aides de la Pac. L’évaluation montre donc comment le fait de relier le régime de protection sociale à une définition normative de l’activité professionnelle contribue à pervertir l’application d’orientations qui poursuivent l’objectif de favoriser l’emploi et le développement de l’activité agricole et rurale. 2.5.3 - Agencements infra territoriaux : pluriactivité, accord Vercors, groupement d’employeurs, politique de développement local du groupe Saint-Gobain a) La pluriactivité Textes de référence : Mouriaux Marie-Françoise, la pluriactivité à la rencontre du développement local, document de travail CEE, 1999 Mouriaux Marie-Françoise, La pluriactivité entre l’utopie et la contrainte, La lettre du CEE, n° 51, février 1998 Mouriaux Marie-Françoise, reconnaître les pluriactifs, pour les pressurer ou les protéger ? In le Bel avenir du contrat de travail Syros, mai 2000, pp 153 166 Il n’existe pas de définition stabilisée de la pluriactivité : elle peut aller de l’exercice d’une mono activité avec plusieurs employeurs - auquel cas on peut même inclure l’employé à domicile de particuliers -, jusqu’à l’exercice de plusieurs activités sous des statuts différents. Ces définitions renvoient finalement à un usage courant du terme, qui privilégie une multiplicité de contrats, ou de statuts (salarié, libéral, artisan…), plutôt que la multiplicité des activités proprement dites. A ce titre on remarquera que la polyvalence exercée pour un même employeur, ou pour un groupement d’employeurs, n’est pas considérée comme de la pluriactivité.

14 Précision : la FNSEA, qui a changé d’orientation, soutient les contrats territoriaux d’exploitation, instruments plus globaux que les primes de la PAC évalués dans le texte de référence. Ces contrats territoriaux d’exploitation ont été adoptés en France en 1999 dans le cadre de la loi d’orientation agricole. Il s’agit d’un contrat passé entre l’Etat et l’exploitant agricole, cofinancé par l’Union européenne, qui comporte des soutiens aux investissements, au respect de l’environnement, et qui tient compte des efforts faits en matière d’emploi. Ces contrats territoriaux se prêtent au développement des groupements d’employeurs, particulièrement présents dans le secteur agricole.

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L’usage courant renvoie à une situation en fait complexe, essentiellement pour la personne qui exerce cette pluriactivité, socialement (problème d’identité professionnelle, d’absence de collectif de travail de référence), fiscalement (cotisations à plusieurs régimes sociaux, qui n’apportent pas des garanties équivalentes et ne sont parfois pas en rapport avec les revenus effectivement perçus par le pluriactif) et juridiquement (organisations de la durée du travail, des congés, des maladies…). Et ce, malgré des aménagements qui ont pu être apportés ces dernières années, dont le point commun est de viser à faire « rentrer » la pluriactivité dans un statut de monoactif. Historiquement parlant, la pluriactivité existe depuis fort longtemps, notamment dans les zones de montagne ; elle est caractéristique des économies paysannes et des régions marquées par la saisonnalité du travail ; elle n’a pas disparu avec l’industrialisation. D’un point de vue identitaire, la culture de la mono activité et du mono statut s’étant imposée, le droit du travail s’étant construit sur l’exercice d’une monoactivité, la pluriactivité est mal vécue, même de la part des agriculteurs, qui ne constituent pas la majeure partie des pluriactifs (cf. multifonctionnalité). Le fait est que si l’on met de côté une part faible d’individus qui ont choisi la pluriactivité comme mode de vie et l’organisent eux-mêmes, c’est-à-dire ont établi leur propre compromis entre choix de vie et flexibilité des revenus, la pluriactivité est assimilée à une forme de sous-emploi subi plutôt que choisi. Il existe en outre une défiance par rapport au pluriactif. Selon Marie-Françoise Mouriaux, l’identité professionnelle des pluriactifs se négocieraient mieux cependant pour les indépendants que pour les salariés. Les tentatives de conciliation de la flexibilité du travail et de la sécurité d’emploi et de revenu prennent appui sur des initiatives territoriales, qui passent par la création de structures ad-hoc de rapprochement de l’offre et de la demande d’emploi (cf. constitution de groupements d’employeurs, qui ne sont plus considérés comme de la pluriactivité). Un exemple original est fourni par un accord territorial, l’accord Vercors. b) Le cas Vercors15 L’objectif de l’accord de Vercors était de déprécariser le travail saisonnier par le temps partiel annualisé en CDI. Cette action (un accord territorial, qui ne sera pas étendu par les branches syndicales et patronales) résulte de l’initiative d’une association dont les objectifs sont les suivants : être un lieu de recensement et d’analyse des problèmes socio-économiques du canton de Villard de Lans ; d’information, de sensibilisation, de réflexion et de proposition dans le champ de l’économique et du social ; de mobilisation des acteurs – notamment des collectivités locales et des agents économiques du plateau – en matière d’insertion, d’emploi et de développement (cette association a aussi pour fonction de gérer la PAIO, accueil et insertion des jeunes) et de gérer le poste d’animateur local d’insertion chargé du suivi des allocataires du RMI L’accord s’est appuyé sur l’introduction du temps partiel annualisé par la loi quinquennale sur l’emploi en 1993. Le texte relate les différentes étapes qui, de la signature de l’accord en 1994 à mai 1999, se solderont par le refus (de Martine Aubry, alors ministre de l’Emploi) d’étendre l’accord. Le fait est que les acteurs locaux représentatifs pour signer l’accord ne sont guère présents (si ce n’est l’association à l’initiative, soutenue par la DDTEFP). Même la CFDT, qui a signé l’accord, critique « le localisme de l’association qui a commencé à réfléchir seule dans son coin et s’est préoccupée après de mouiller les organisations syndicales ». Les professionnels locaux sont toutefois représentés. Mais les représentants nationaux patronaux du CNPF et de l’UPA vont aussi contester l’accord. Dans son rapport d’activité 1999, l’association à l’origine dresse le bilan suivant : les entreprises choisissent en majorité de fidéliser des salariés qu’elles connaissent sur un volume d’horaire moyen important (6,5 mois de travail à temps plein) ; le salaire moyen se situe bien au-dessus du Smic (48,45 fr/h contre 40,72 fr/h, à l’époque). Laurent Duclos et Olivier Mériaux demandent si, pour les parties en présence, et en particulier pour les acteurs locaux, le territoire est une catégorie pertinente de l’action collective. 15 Le texte de référence est de Duclos Laurent (GIP-MIS) et Mériaux Olivier (CERAT-FNSP) ; « Agencements locaux et internalisation de la responsabilité de l’emploi », étude de cas menées en Rhône-Alpes pour le projet « Local Level Concertation », programme TSER (1998-2000) coordonné par l’Ires Lombardia, février 2001.

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En 2000, la loi a abrogé le régime du temps partiel annualisé et l’a remplacé par deux dispositifs : le travail à temps partiel modulé et le travail intermittent caractérisé par des emplois permanents comportant une alternance de périodes travaillées et non travaillées (loi « Aubry II »). c) Les groupements d’employeurs 16 Il existe à l’heure actuelle près de 4000 groupements d’employeurs, mais 3500 sont dans le secteur agricole, 300 sont des groupements que l’on dit classiques, et 120 sont des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq), animés par une association nationale, le Comité national d’évaluation et de coordination des Geiq, auquel adhèrent des associations d’insertion, dont la Fédération nationale des associations de réadaptation sociale (Fnars), à l’origine de l’initiative, la CFDT et le Medef (pour citer les principaux). Les GE agricoles regroupent peu d’entreprises et peu de salariés par groupement, mais comptent globalement le plus de salariés (12 000, pour 3 500 GE). Dans le secteur de la polyculture et de l’élevage, où les GE sont les plus nombreux, l’emploi direct est pour un tiers en CDI (contre un cinquième quand il n’y a pas de groupement). Concernant les 300 GE dits classiques et adhérents pour la plupart à la Fédération française des groupements d’employeurs (dirigé par Hervé Seyriex), deux tiers des emplois sont en CDI. Ces GE peuvent regrouper de grandes entreprises, de divers secteurs d’activité. Les 120 Geiq salarient surtout en contrat de qualification (+ et – de 26 ans), le taux d’embauche en CDI à l’issue de cette période en CDD étant de 70 %. 86 des 120 Geiq sont en outre déjà labellisés. La création des groupements d’employeurs remonte à 1985. Depuis, la réglementation a fortement évolué, répondant à la demande des entreprises d’accroître la « souplesse ». L’embauche en CDI n’est plus la règle alors qu’elle était censée compenser le fait de devoir travailler dans plusieurs entreprises. Les grandes firmes peuvent désormais adhérer à un GE. La durée du travail peut être à temps partiel annualisé, ce qui n’apporte pas toujours suffisamment de ressources, mais réclame parfois une grande disponibilité et beaucoup de transport. La représentation du personnel est faible et difficile à assurer. Enfin, le développement de groupements multisectoriels pose des problèmes de choix de convention collective (soit le groupement adhère à la meilleure pour le salarié et des entreprises du groupement trouve le coût de facturation de la mise à disposition trop élevé, soit on prend la moins favorable, tout en rémunérant le salarié en fonction de l’entreprise où il est mis à disposition (mais le salarié passe alors à côté de ce qu’apportent des conventions en terme de retraites complémentaires, etc.). Ce contexte explique la façon dont Christian Larose (op. cit.) aborde les GE : « Les groupements d’employeurs ont une utilité pour l’emploi mais des interrogations demeurent, la principale étant : comment éviter les dérives ? ». L’une des premières réponses tient dans la dynamique qui préside à la création d’un groupement, comme il le souligne lui-même : « Plus que de la nature du contrat (CDD ou CDI), c’est de l’animation du groupement et de sa dynamique interne que va dépendre la stabilité du travail pour un salarié, stabilité qui s’évalue par la qualité des parcours proposés ». Localement, de multiples acteurs, y compris des personnes physiques, des personnalités politiques, associatives, du monde patronal (ou des partenaires sociaux chez les agriculteurs), sont à l’origine de l’initiative concrète de mise en forme d’un GE, dont la gestation prend des mois. La façon de mobiliser les entreprises s’appuie le plus souvent sur des études, des enquêtes sur les besoins, des réunions ; on cherche ainsi à recueillir l’adhésion des acteurs locaux, on apporte une aide financière, du conseil en recrutement… Les besoins recensés sont de quatre types : saisonnalité, emploi et compétence partagés, qualification d’un personnel, réponse à des réorganisations internes. Mais la réponse à la saisonnalité est en fait assez rare, celle 16 Les textes de référence pour ce groupe d’initiatives proviennent de : Biche Brigitte, Desbois Audrey, Le Monnier Jean, Monteillet Yves, Les groupements d’employeurs, une innovation économique et sociale, l’Harmattan, 2000. Les groupements d’employeurs, un outil pour la croissance et l’emploi ? Intervention de Christian Larose, président de la section Travail du Conseil économique et social au colloque de la fédération française des groupements d’employeurs le 19 septembre à Paris Auditions au Conseil économique et social d’Olivier Mériaux, chargé de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques de Grenoble et de Laurent Duclos, chargé de mission au service des affaires sociales du Commissariat général du Plan, ainsi que de Christian Dubreuil, directeur des exploitations, de la politique sociale et de l’emploi au Ministère de l’Agriculture et de la Pêche16.

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à un besoin de compétences plus répandue. La gestation du groupement, quand elle débouche, permet en règle générale d’expliciter des objectifs à plus long terme visant à allonger la durée des prévisions ou de calcul économique, à favoriser ou consolider la capacité des employeurs à acquérir une gestion prévisionnelle des aléas, des emplois et des compétences. Les expériences montrent que les chartes ou labels servent de leur côté à faire expliciter par le groupement l’attitude globale à l’égard des salariés17. Par exemple en fixant bien l’objectif de déprécariser l’emploi. C’est ce qui explique que le recours à des CDD puisse quand même déboucher sur une embauche en CDI, le CDD étant alors bien considéré comme la possibilité de donner le temps au salarié de faire le tour des entreprises du groupement, et aux entreprises de le tester comme lors d’une période d’essai. Malgré la quasi absence de représentants du personnel et syndicaux, les salariés des groupements témoignent (auditions CES) de ce que les GE leur ont apporté en terme de stabilisation de l’emploi et des revenus, de capacité à se projeter dans l’avenir, et pour ce qui concerne les Geiq, de qualification. En conclusion, on peut souligner que si la création d’un GE au sens d’agencement de flexibilité et sécurité n’obéit pas à l’établissement d’un standard, il est possible d’identifier des procédures qui « obligent » les différents acteurs à en passer par là. (Duclos, Mériaux, audition CES 2001). d) Politique de développement local de Saint Gobain18 A l’origine de cette initiative, il y a la volonté du groupe Saint Gobain d’éviter « les drames sociaux » lors de la restructuration des sites et de faciliter leur reconversion, à la demande du gouvernement (fin des années 70). En 1983, Saint-Gobain transforme sa cellule d’accompagnement des restructurations en structure autonome, baptisée Saint-Gobain Développement (SGD), élargit ses missions et la dote d’une certaine autonomie de définition stratégique pour mettre en œuvre des objectifs eux mêmes redéfinis (reconversion et dorénavant appui économique au territoire, aide à la gestion des ressources humaines). Trois étapes d’évolution sont repérées : accompagner les restructurations et faciliter les reclassements des salariés, aider à la politique d’emploi du groupe et à partir des années 90 plus largement favoriser le développement local sur les sites d’implantation. Au fil des années, SGD va intégrer des compétences diverses. Les délégués régionaux sont recrutés parmi des personnalités provenant d’horizons divers, pour moitié de Saint Gobain, pour moitié des cadres supérieurs d’organismes privés ou publics (Insee, Datar, préfectures). SGD pourrait être assimilé à la mise en œuvre d’un processus d’apprentissage pour Saint Gobain, qui va modifier et préciser au fil des ans sa politique de développement local. « D’un point de vue d’ensemble, SGD se présenterait comme un dispositif à la frontière du groupe et de son environnement. Il jouerait en quelque sorte un rôle de charnière » (Raveyre, 1999). Sont ainsi mobilisés les directions d’unité de Saint Gobain (fonctionnement en partie décentralisée), les PME et les acteurs locaux qui peuvent influencer la démarche de reconversion et de reclassement en cours (spécialistes locaux du développement de PME, acteurs du développement local, service public de l’emploi ainsi que, par exemple, sur un site, le département qui, via sa propre initiative crée une agence de développement économique auprès de laquelle SGD va détacher un cadre). A partir de 1985, une aide technique aux PME est assurée par un « délégué à l’appui industriel » membre de SGD, intervenant à la demande des délégations régionales de SGD. Cet appui industriel englobe toute l’aide à la gestion : mise au point de produits et procédés, organisation de la production, définition de postes, amélioration de mode de gestion. « L’appui du Délégué à l’appui industriel consiste essentiellement en un travail de conseil. Il propose un diagnostic » (Raveyre, 1999). La stratégie développée ne se réduit donc nullement à n’apporter qu’une aide financière (sous forme de primes non remboursables) aux PME qui embauchent des salariés venant de Saint- 17 Les GE adhérents de charte ou labellisés sont aussi particulièrement attentifs à l’utilisation des fonds publics. 18 Deux textes de référence du même auteur : Raveyre Marie, « Les grandes entreprises acteurs du développement local », rapport final confidentiel, CEE, sept 1999 et « Implication territoriale des groupes et gestion du travail et de l’emploi, vers des intermédiations en réseau », La revue de l’Ires n° 35, 2001. Marie Raveyre a examiné les politiques de développement local menées par des grands groupes. Il s’agissait de comprendre les logiques à l’œuvre. Cette recherche montre qu’un grand groupe peut trouver des intérêts à moyen long terme à mener une politique de développement local et que ces intérêts entrent en résonance avec la recherche d’un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité, notamment par l’organisation de marchés locaux du travail.

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Gobain. Marie Raveyre note même que si tel avait été le cas, la stratégie aurait pu être assimilée à une réduction du coût du travail et n’aurait pas eu les mêmes effets19. Le principal résultat de cette stratégie territoriale est, selon l’auteur, (Raveyre, 1999, page 147 et suivante), l’organisation de marchés locaux du travail. Cette politique de développement local s’apparente à une forme innovante de flexibilisation de la gestion des ressources humaines, par mise en réseau/coordination avec les acteurs locaux. « Grâce à son investissement dans les territoires, le groupe accroît l’efficacité de sa politique d’emploi et minimise ses coûts. On voit que le reclassement des salariés nécessite une vaste collecte de postes, qui aurait plus difficilement été construite (et aurait donc eu un coût plus élevé) en l’absence de liens préalables avec les acteurs du site » (Raveyre, 1999). « Cette politique lui permet de « mettre en œuvre une gestion des ressources humaines déclinée en fonction des spécificités locales et ne se limitant pas au marché du travail interne au groupe » (op. cit.). Elle favorise le départ de personnel et le recrutement de personnel, aux qualifications proches de ceux du groupe, compte tenu des relations de coopération avec les PME. Elle contribue à modifier qualitativement les frontières de l’entreprise. Marie Raveyre note aussi que « Ces interventions en faveur du développement local fondées sur des partenariats permettent de conduire conjointement des actions relevant de registres différents ». Saint-Gobain y gagne aussi de bénéficier d’un environnement de PME partenaires innovantes, d’exercer une veille sur les innovations de technologie et de produit, bref d’accroître son potentiel industriel. Il gère en douceur ses adaptations de compétences et sa pyramide des âges. Selon l’étude, ses restructurations passent pratiquement inaperçues sur les sites ; elles sont pourtant importantes. Saint-Gobain a cédé 50 % de son CA et acquis 57 % (entre 86 et 98) ce qui veut représente une profonde recomposition du groupe. La politique de développement local de Saint-Gobain résout le dilemme entre flexibilité et sécurité (selon François Eymard-Duvernay, dans « Les grandes entreprises acteurs du développement local » 1999). « Indépendamment des périodes de restructurations, les grandes entreprises ont, dans le nouveau régime économique, des problèmes permanents d’ajustement quantitatif et qualitatif de leur emploi. La faiblesse de l’organisation des marchés du travail rend ces ajustements difficiles et coûteux. (…) Les politiques d’investissement durables dans les territoires permettent la constitution de marchés locaux du travail, qui facilitent les ajustements de l’emploi, sans précariser massivement la main d’œuvre » Cependant, cette stratégie reste fragile : « alors qu’elles nécessitent des investissements, leurs effets sont difficilement mesurables car une recherche de gains à court terme risque à tout moment de les balayer ». (Raveyre, p. 57, Revue de l’Ires n° 35). 2.5.4 - Les agencements nationaux : accord confédéral espagnol de 1997, loi flexibilité et sécurité aux Pays-Bas, la flexsécurité au Danemark a) La loi flexibilité et sécurité aux Pays-Bas20 La loi flexibilité et sécurité a été votée en 1998 à la suite d’un accord entre partenaires sociaux représentés à la Fondation du travail – organisme créé peu après la seconde guerre mondiale pour émettre des recommandations et conseiller le ministère de l’Emploi. Les principales confédérations de salariés sont la FNV, de tendance socialiste avec 40 % des membres des conseils d’entreprises, la CNV, ligue des syndicats 19 De même peut-on noter que l’aide apportée à la mobilité du salarié comprend des aides financières au déménagement et des aides à la recherche d’emploi pour sa famille. 20 Les textes de référence de ce cas sont : Wierink Marie, Pays-Bas, la flexibilité négociée, Chronique internationale de l’Ires n° 50, janvier 1998 Wierink Marie, Temps de travail, le droit de choisir, chronique internationale de l’Ires n° 63, mars 2000 Herma van Voss Gustav, The flexibility and security act, Peer Reviiew, Universeitet Leiden, Pays-Bas, 2000 Va Oorschot Wim, Flexibility and Security for workers and Carers in the Netherlands, trends, Policies and Outcomes, Tilburg University, The Socrates Programme for 2001-2002 (forgind an European welfare state , a comparison of national agenda’s, université d’Anvers, 21 fev-3 mars) Visser Jelle, Hemerijck Anton, A dutch miracle, Job grothw, Welfare reforme and corporatisme in the Netherlands, Amsterdam University Press, 1997 Entretien téléphonique avec JP Van Den Toren, ex dirigeant de la CNV, et un des évaluateurs de la loi flexibilité et sécurité au cabinet Berenschot Il y a eu aussi un entretien téléphonique avec Christin Jansens, la conseillère en flexibilité et sécurité au ministère du Travail, chargée de rédiger la note à l’attention des partenaires sociaux à la Fondation du Travail sur les suites à donner à l’évaluation de la loi.

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chrétiens avec 12 %, et le MHP, union du personnel de maîtrise et d’encadrement avec 2 %, 10 % proviennent d’autres syndicats21, et le patronat est fortement organisé. Cet accord a légitimé l’existence de l’autorisation administrative de licenciement22 face à l’inégalité des parties (entre employeurs et salariés), alors qu’elle était fortement contestée par le patronat. En échange, le recours aux emplois flexibles par les employeurs a été juridiquement stabilisé23 mais la protection des « travailleurs flexibles » renforcé. L’objectif est de créer un « nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité » (entretien avec les évaluateurs et le ministère de l’emploi). Les intéressés disent qu’il s’agissait dès l’origine de « mieux réguler l’emploi flexible » non de remettre en cause la possibilité d’y recourir. Toutefois l’évaluation montre qu’il existe deux conceptions de la régulation, chez les syndicats et le patronat. Concrètement, la loi de 1998 a prévu les cas pour lesquels le contrat temporaire est requalifié automatiquement en emploi permanent. En dehors de ces cas, le recours aux contrats temporaires est légalisé pour l’employeur – les conventions collectives de branche pouvant déroger, dans un sens comme dans l’autre, c’est-à-dire en rajoutant des contraintes pour l’employeur ou au contraire en libérant plus de marge de manœuvre, par exemple en augmentant ou en réduisant les durées et le nombre de renouvellement possible des CDD. Cependant, pour renforcer la protection des travailleurs dits flexibles aux Pays-Bas, la loi prévoit aussi tous les cas où l’on peut considérer que le salarié temporaire bénéficie d’un « contrat légal de travail », qui lui permet d’être payé même si l’employeur ne l’emploie pas. La loi néerlandaise a notamment beaucoup renforcé les droits des salariés « on call » ou travaillant « sur appel »24 : faute d’un contrat écrit qui stipule d’autres dispositions (par exemple précisant que le salarié sera appelé à venir travailler deux heures le mardi, une heure trente le jeudi, cinq heures le vendredi), l’employeur est tenu de payer au moins trois heures de travail par appel (quand cet appel n’est pas prévu) et ce pour au moins cinq jours par semaine. D’où une base minimale à défaut d’accord écrit de 15 heures par semaine25. Par ailleurs, un salarié « sur appel », qui travaille au moins trois mois pour une même personne et pas moins de 20 heures par mois, est considéré comme ayant un « contrat légal de travail »; ce contrat représente la moyenne mensuelle des trois mois travaillés. C’est à l’employeur de faire la preuve au besoin que ce travail de trois mois correspondait à un contrat saisonnier, ce qui suppose qu’il ait fait un contrat en bonne et due forme de trois mois ayant précisé la répartition des heures de recours. Au-delà de six mois d’appel, l’employeur est tenu à verser l’équivalent du salaire perçu hebdomadairement en moyenne au cours des six mois précédents. Cette disposition, que les Néerlandais appellent « présomption de contrat légal de travail », et qui oblige l’employeur à rémunérer le salarié concerné même s’il n’a pas de travail à lui fournir, s’applique aussi aux travailleurs intérimaires. Quand la succession de missions atteint 26 semaines (dans la loi, mais une convention collective a porté ce délai à un an), l’intérimaire n’est plus dans une relation ponctuelle de travail et entre dans la phase dite II de sa relation contractuelle avec l’entreprise de travail temporaire (ETT). Les deux parties peuvent encore mettre fin librement à tout moment à la relation mais l’ETT doit proposer des formations et l’intérimaire peut avoir droit à des points de retraite. Il s’agit de rendre le statut des intérimaires équivalent à celui d’un salarié en CDI. Un accord collectif avait déjà été signé en ce sens en 1996 (entre syndicats et fédération patronale ETT).

21 Les 36 % restants d’élus aux conseils d’entreprises étant non syndiqués 22 Le licenciement est depuis 1945 soumis à une procédure d’autorisation administrative. Ce qui crée un contentieux. En 1995, 69 000 demandes d’autorisation ont été présentées et 50 000 autorisations accordées ont été résiliées devant le juge (Van Voss, 2000). 23 La jurisprudence avait créé de multiples cas de requalification en emploi permanent des emplois temporaires. Par exemple, avant la loi flexibilité et sécurité, lors du second renouvellement du CDD, une raison devait être avancée pour justifier la fin de mission, cette raison étant soumise au directeur régional du service de l’emploi. Ou bien, si l’intérimaire était embauché par l’entreprise utilisatrice pour les mêmes motifs que ses missions, on réintégrait alors la durée des missions d’intérim dans la durée d’emploi comme employeur direct par l’entreprise. Il s’agit alors de deux CDD consécutifs, auxquels s’applique alors la nécessité de justifier la fin de mission, et à défaut de justification, il y a transformation en emploi permanent. 24 Ces travailleurs, comme leur nom l’indique, se déplacent sur appel de l’employeur. Fin 90’, ils représentaient 6 % des salariés, 16 % des entreprises les utilisaient et pour ces entreprises, les « on call » représentaient 17 % de leurs effectifs. Le type de contrat était très diversifié, de l’incertitude totale en terme de nombre minimal d’heures hebdomadaires jusqu’à l’équivalent d’un CDI temps partiel. La jurisprudence avait déjà décidé que les termes initiaux du contrat signé (aucun temps minimal) n’étaient pas décisifs si, en pratique, l’employeur recourrait à un nombre moyen d’heures par semaine. 25 La loi ne prévoit aucune dérogation en ce qui concerne le minimum d’heures par appel et par semaine pour les « travailleurs sur appel ».

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Après six mois de cette phase II (s’il n’y a pas eu de longue interruption d’activité), l’intérimaire est en phase III : il a la garantie d’être payé au moins trois mois même si la mission est inférieure. Cette phase III dure six mois si l’intérimaire est employé par la même entreprise ; l’intérimaire passe alors en phase IV (s’il ne reste pas sans travailler pendant un an) : il devient salarié permanent de l’ETT et doit être payé quoiqu’il arrive. Si l’intérimaire effectue le même travail mais change d’employeur, c’est l’employeur de la phase IV qui doit assurer l’emploi permanent, que cet employeur soit une autre ETT ou l’entreprise utilisatrice. Concernant la rémunération au cours de ces différentes phases, la loi a laissé à la convention collective de secteur, à la demande des agences de travail temporaires, le soin de fixer la grille de salaires. Pour les salariés en CDD, la loi prévoit qu’à l’issue d’une durée de trois ans ou du troisième contrat, si un renouvellement intervient, le salarié bascule sur un contrat permanent, quand bien même l’employeur a changé la nature des tâches pour chaque CDD (ou au cours des trois ans). Si l’employeur change mais que le travail demandé est le même au cours de trois CDD consécutifs, alors l’employeur du 4ème contrat doit nécessairement embaucher avec un CDI. Ceci évite qu’entreprise utilisatrice et ETT ne s’échange les statuts d’employeur pour contourner les limites fixées au recours à des travailleurs sur contrats flexibles. L’évaluation de la loi flexibilité et sécurité a porté sur les résultats et la mise en œuvre. Les évaluateurs constatent une baisse du pourcentage d’emplois flexibles, qu’ils ne savent pas attribuer à la loi ou à la bonne conjoncture26. En revanche, ils sont en mesure d’indiquer quel a été le comportement des entreprises et des salariés ainsi que celui des partenaires sociaux, qui pouvaient conclure des accords de branche dérogeant à la loi. La plupart des conventions collectives ont limité à un au lieu de deux la possibilité de renouveler un CDD avant que l’employeur ne soit tenu de proposer un emploi permanent s’il veut faire travailler à nouveau la même personne. Ce qui semble logique en période de pénurie de main d’œuvre. Trois conventions collectives (très précisément) prévoient que l’employeur puisse conclure jusqu’à six CDD. Les conventions collectives ont en revanche allongé de 26 semaines à 52 la phase I pour l’intérimaire. Les ETT interrogées sur leur comportement indiquent à 44 % qu’elles proposeront un emploi permanent à un intérimaire s’il en est à sa phase IV, et 56 % qu’elles préféreront mettre fin à la relation d’emploi pour éviter de proposer un contrat permanent. En pratique, 22 % mettent fin à la relation d’emploi, 10 % détournent en ne faisant plus travailler l’intérimaire pendant trois mois pour le remettre en phase III, 21 % proposent un emploi permanent et 44 % renouvellent l’emploi temporaire (sans être dans la situation d’avoir à proposer un emploi permanent). Les travailleurs sur appel ont du mal à faire respecter leurs droits à une rémunération minimale par appel et par semaine en cas de contrat non écrit. Ceci faute d’informations de leur part et de la part des employeurs (qui pour la plupart sont des particuliers ou des petites entreprises), faute de volonté de la part d’une partie des employeurs, et aussi parce que la seule façon pour les travailleurs sur appel de faire valoir leurs droits est d’aller au tribunal. A partir de cette évaluation, la responsable de l’élaboration des politiques publiques au ministère du travail a écrit une note (signée par l’actuel ministre du travail) à l’attention des partenaires sociaux membres de la Fondation du Travail pour leur demander (sont citées les trois principales questions) : 1) s’ils considèrent que l’objectif de la loi est atteint ; 2) ce qu’il faut faire pour que les salariés sur appel puissent faire valoir leurs droits (en soulignant qu’il s’agit là plus d’une responsabilité à prendre de la part des partenaires sociaux) ; 3) ce qu’ils pensent du fait que trois conventions collectives élargissent les possibilités de renouvellement de CDD ; autrement dit, si la conjoncture économique se retourne, ne risque-t-on pas de voir de telles dispositions se multiplier et se retourner contre les salariés ? Comment l’éviter ? Lorsque la Fondation du Travail aura donné son avis, le ministère sera susceptible de proposer des modifications de la loi.

26 La croissance du volume d’emploi est l’un des principaux facteurs explicatifs du ralentissement, en Europe entre 1997 et 2001, de la progression du stock d’emplois atypiques par rapport à la norme d’emploi à durée indéterminée – Michel Husson (chronique de l’Ires, 2002).

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Mais à la Fondation du travail, ce n’est pas le sujet de discussion qui pose le plus de problèmes, selon J.P. Van den Toren, l’un des évaluateurs, ex dirigeant de la CNV, même si les commentaires respectifs des syndicats et du patronat sont divergents sur l’évaluation. Cette divergence d’interprétation existait-elle dès 1996 ? La Fondation du travail ne sait le dire (réponse à l’évaluateur faite l’an dernier). Les syndicats estiment aujourd’hui que la loi flexibilité et sécurité n’a pas totalement atteint ses objectifs (même si J.P. Van Den Toren estime qu’elle les a globalement atteints) puisque des employeurs détournent la législation sur la protection des emplois temporaires en remplaçant le salarié arrivé à la fin de son deuxième ou troisième CDD par l’embauche d’un autre salarié. Les employeurs avancent qu’ils ne peuvent ainsi « s’engager » en embauchant en emploi permanent. Les syndicats rétorquent que le choix d’embaucher reste de leur libre arbitre. Mais les positions syndicales sont en fait nuancées (la loi avait-elle pour fonction de résorber une partie des emplois flexibles ?). Et deux autres sujets paraissent plus importants à traiter pour la Fondation du Travail (outre la façon de rémunérer les intérimaires, dont le salaire n’est pas calé sur l’emploi occupé et provoque des inégalités de traitement) : la question d’un nouvel assouplissement des conditions de licenciement pour les salariés en emploi permanent ; la réactualisation des « consignes » de modération salariale, après les fortes hausses de rattrapage lors des années de croissance, succédant à la modération nominale intervenue après les accords de Wassenaar de 1982, et alors que les négociations sont à nouveau décentralisées sur les salaires. b) Danemark27 Au Danemark, c’est sur une mécanique différente de celle prévalant aux Pays-Bas que s’effectue « l’équilibre » entre flexibilité et sécurité, au sens où elle ne repose pas sur la réglementation mais sur les conventions collectives (principales sources de droit) et sur la protection sociale. Sa genèse peut se loger dans le premier accord fondateur des relations professionnelles signé en 1899. Par cet accord, suite à un conflit majeur, les syndicats reconnaissaient la liberté de l’employeur d’embaucher et de licencier qui il veut, tandis que les employeurs reconnaissaient le droit aux salariés à s’organiser. Le contenu de cet accord fait toujours référence, même si les négociations au niveau national ont vu l’Etat intervenir de plus en plus comme médiateur. L’agencement renvoie à la spécificité du tissu socio-économique. Dans ce petit pays caractérisé par son fort tissu de PME28, le principal mode d’ajustement est encore et toujours de jouer sur les effectifs. D’où un fort turn over sur le marché du travail (40 % de l’emploi total chaque année), compensé par une forte protection sociale en matière d’assurance-chômage (et donc une sécurité d’un revenu proche des minima salariaux). Les emplois temporaires restent peu développés et sont surtout utilisés dans le cadre de la politique active de l’emploi (politique proactive d’ajustement quantitatif et qualitatif dans le modèle nordique). Pour Florence Lefresne et Carole Tuchszirer29, « Le Danemark a le marché du travail le plus flexible. (…) Mais la protection sociale y joue le rôle explicite de pilier du fonctionnement du marché du travail. Par ailleurs, les entreprises, et non seulement les chômeurs, sont incitées à avoir des bons comportements, pour limiter les effets d’aubaine

27 Trois textes de références : Lefresne Florence et Tuchszirer Carole, Stratégies d’activation par les activités occasionnelles et normes d’emploi : la situation française confrontée aux expériences belge, danoise, néerlandaise et anglaise, Travail et emploi n° 87, pp.47 – 65, 2001, La documentation française Lefresne Florence, Compétences et enjeux sociaux dans les pays européens, Formation emploi n° 74, 2001. Madsen PK, Country employment policy reviews : Denmark, Ilo Symposium, Geneva, 2-3 march 1999 Les cas danois et espagnols sont abordés à l’origine sous l’angle de la problématique des activités occasionnelles par Florence Lefresne et Carole Tuchszirer (2001 et à paraître). Mais, comme le soulignent les deux auteurs, cette problématique débouche naturellement sur celle de la flexibilisation du marché du travail. Leur idée est de se dégager d’une dualité simpliste entre marché rigide et marché flexible, en prenant en compte une série d’indicateurs de flexibilité : degré de négociation de la flexibilité sur le marché du travail ; degré de protection sociale adossée à l’activité occasionnelle ; degré et nature de l’accompagnement vers la reprise d’emploi. Elles soulignent dans cette perspective que le cas danois permet de montrer que la grande flexibilité négociée du marché du travail « régulier » se combine avec des formes de régulation de la politique d’activation et un degré élevé de protection sociale. L’intérêt majeur du cas espagnol réside dans la recherche active d’un compromis social permettant de limiter l’ampleur de l’emploi temporaire. Il remet en cause les lectures en terme d’insiders et d’outsiders. 28 60 % de l’emploi provient d’entreprises ayant moins de 20 salariés et seulement 30 % de firmes ont plus de 500 salariés (à comparer aux 53 % en Suède et en Allemagne). 29 Interview à Alternatives Economiques n°189, février 2001.

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sur l’emploi ». C’est en effet l’objectif de la réforme du marché du travail intervenu en 1994, à l’initiative conjointe du gouvernement et des partenaires sociaux, après que le chômage ait atteint une ampleur inégalée en 1993. Cette réforme s’inscrit dans la préservation de l’équilibre de flexibilité et sécurité, tout en le réactualisant. Avec cette réforme, il s’agit, d’une part, de relancer les flux d’embauches sur le marché du travail au profit des chômeurs, en multipliant les congés parentaux, de formation, sabbatiques pour les salariés, en créant le processus de « Jobrotation » 30; d’autre part, d’éviter de voir se créer une récurrence entre chômage et emplois occasionnels (par la mobilisation des entreprises et des chômeurs) ; enfin, il s’agit de lutter contre une sélectivité accrue du marché du travail en défaveur des salariés non qualifiés (c’est-à-dire les non diplômés). D’où le renforcement de la politique proactive de l’emploi, qui crée un accompagnement personnalisé des chômeurs à l’emploi, et la réforme de l’indemnisation du chômage, de telle façon que le chômeur, soit prenne un emploi occasionnel ou partiel par choix, soit rentre dans un processus d’accompagnement à l’emploi31. Estimant qu’une telle réforme est favorable aux moins qualifiés, la confédération LO 32 l’a soutenue et a poussé à ce qu’elle soit prolongée en 2000 par la décentralisation du service public de l’emploi, afin de favoriser une meilleure implication des partenaires sociaux. En outre, le fonctionnement du marché du travail danois pourrait être subdivisé en marchés professionnels, où les règles d’accès au statut de salarié qualifié, c’est-à-dire à la certification professionnelle, sont définies par la formation professionnelle en alternance et très reconnues par les partenaires sociaux, car les partenaires sociaux sont très impliqués dans la définition des normes (cf. Lefresne 2000). L’accès aux diplômes professionnels était difficile une fois sortie de formation initiale, au cours de la vie d’adulte. C’est ce problème, pointé en particulier par le syndicat de femmes non qualifiées 33 appartenant à la Confédération LO, qui a fait l’objet d’une réforme en 2000 via une loi. Depuis 1960, l’Etat prend en charge la plus grande part du financement de la formation continue car les PME sont peu enclines à investir spontanément dans la formation de leurs salariés (hormis pour les adapter à des qualifications qui leur sont spécifiques). C’est pourquoi cette réforme ne pouvait prendre que le visage d’une loi, même si elle a été fortement réclamé par les syndicats et s’est de toutes façons appuyée dans sa mise en œuvre sur l’implication des partenaires sociaux. La loi vise à restreindre les dérives du système d’éducation des adultes et de formation continue. Elle ouvre l’accès, par l’existence d’unités capitalisables et la validation d’acquis, à tous les diplômes professionnels accessibles par la formation en alternance. Dorénavant la loi ne finance en matière de formation continue que les actions délivrant des certifications entrant dans un diplôme dit formel. Ceci afin d’éviter que les entreprises utilisent ces formations pour adapter les salariés à leur poste spécifique sans leur donner les moyens d’accéder à une certification reconnue et donc à une mobilité professionnelle, support des trajectoires sur le marché du travail danois. C’est une première évaluation de la réforme du marché du travail de 1994 qui a conduit à mettre l’accent cette fois sur l’accès à la qualification des non diplômés, par la formation continue.

30 Une politique publique consistant à favoriser le remplacement des salariés partis en congé par des chômeurs, avec une aide, sur le plan conseil et montage de formation, pour préparer les chômeurs à occuper les postes. 31 Une telle alternative n’intervient, rappelons-le, qu’après une année au cours de laquelle les chômeurs recherchent par eux-mêmes l’emploi qu’ils souhaitent. Ensuite, dans le cadre de l’accompagnement, il n’y a pas de dégradation de la norme d’emploi acceptable (au fil de la durée du chômage, comme y tendent les réformes préconisées en Espagne et en Allemagne). Enfin, la durée totale d’indemnisation reste de quatre ans (au lieu de sept ans avant 1994). 32 Trois confédérations syndicales dominent, LO, de loin la plus importante, organise des ouvriers qualifiés et non qualifiés. Les deux autres confédérations sont FTF, qui organise les employés et agents publics, et AC, qui syndique les personnels aux salaires et aux niveaux de qualification élevés. 68 % des salariés syndiqués sont membres d’une des 22 fédérations adhérant à LO. Le taux de syndicalisation moyen est de 80 %. 33 Les non qualifiés sont ceux qui n’ont pas suivi un cursus de formation professionnelle en alternance.

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c) Espagne34 L’accord confédéral Espagnol35, à l’initiative des partenaires sociaux (CEOE et CEPYME pour le patronat, UGT et CCOO pour les syndicats36), intervenu en 1997, a la spécificité de poursuivre deux objectifs à la fois. Celui d’une recombinaison de flexibilité et sécurité au sein des entreprises ; c’est le sens que l’on peut donner sa partie assouplissement du coût du licenciement pour les entreprises qui embauchent sur un contrat en CDI des publics spécifiques (moins de 30 ans et chômeurs de longue durée (> un an) âgés de plus de 45 ans). Celui d’un échange, comme aux Pays-Bas, entre assouplissement des conditions de licenciement économique contre un encadrement des emplois temporaires (qui représentent environ un tiers de l’emploi salarié). L’accord de 1997 prévoit en effet un élargissement des causes du licenciement pour motif économique, réduisant donc le coût de licenciement (l’employeur doit payer au salarié 20 jours par année d’ancienneté au lieu de 45, sachant que l’embauche de personnes de moins de 30 ans ou de chômeurs de longue durée réduit l’indemnité de licenciement à 33 jours par année d’ancienneté au lieu de 45 jours). L’accord prévoit aussi un encadrement du travail temporaire : le recours pour création d’entreprises ou lancement d’activités est supprimé ; les parties signataires s’engagent à tout mettre en œuvre pour moraliser ce recours. Quelques mois après, une nouvelle réglementation a été adoptée, qui vise à garantir aux intérimaires un salaire équivalent à celui pratiqué dans l’entreprise cliente (pour un poste équivalent). Enfin une commission tripartite aura en charge de fournir des informations statistiques. La principale évaluation qui a été faite de l’accord espagnol37 porte sur la progression ou régression comparée du stock et des flux d’embauches en CDI et en emplois temporaires. A ce stade, les résultats sont marquants – une régression de deux points des emplois temporaires -, mais difficiles à attribuer. Car à partir de 1997, l’Espagne a connu une relance de la croissance comme l’ensemble de l’Union européenne et de très fortes créations d’emplois – le taux de chômage ayant baissé de 20,6 % en 1997 à 13 % en 2001. En 2001, le gouvernement Aznar a pris l’initiative, sous la pression patronale, de modifier la nature de l’accord confédéral de 1997, en élargissant à de nouvelles catégories de publics l’embauche sur des contrats permanents, qui permet de réduire le coût des licenciements. Cette démarche est analysée comme une mesure de déréglementation (Lefresne, 2002) car allant de pair avec un élargissement des conditions de recours au temps partiel, moins protectrices pour le salarié (la salariée, le plus souvent). Sont ainsi remises en cause des mesures de « discrimination positive » en faveur de certaines catégories de salariés. Depuis, des mesures très restrictives sur l’indemnisation du chômage ont été envisagées par le gouvernement Aznar et se sont heurtées à une forte opposition syndicale, qui s’est traduite par plusieurs grèves générales massives d’une journée. Déjà, au début des années 90, de fortes restrictions étaient intervenues sur les conditions d’indemnisation pour limiter les récurrences entre situations d’emplois et de chômage. 2.5.5 - Quelques remarques pour un classement Deux constats s’imposent après cette recension des initiatives concrètes : il n’existe pratiquement pas de cas d’agencement de flexibilité et sécurité au sein de marchés internes qui ne fasse pas appel à une forme ou une

34 Deux textes de référence : Lefresne Florence, Tuchszirer Carole, Activités occasionnelles en Espagne : entre dérégulation et recherche de nouveaux compromis, convention de recherche Ires-Dares, à paraître dans Travail et Emploi. Tuchszirer Carole, Espagne, une réforme du marché du travail ambiguë et bien peu consensuelle, Chronique internationale de l’Ires, N° 70, mai 2001. 35 Le système de protection sociale place l’Espagne du côté des régimes corporatistes-conservateurs dans la typologie d’Esping-Andersen (1990) 36 Créée à la fin du XIX, l’UGT était traditionnellement proche du parti socialiste. La rupture a été consommée en 1988, après que l’UGT se soit de plus en plus fermement opposée à la politique économique et sociale de Felipe Gonzalez. Les CCOO, commissions ouvrières, sont apparues de manière spontanée dans les années 60 et se sont structurées après la mort de Franco. Elles sont essentiellement animée par les militants communistes. Depuis 1998, elles devancent l’UGT aux élections professionnelles (Tuchszirer et Vincent, Chronique de l’Ires n° 66, 2000). Le taux de syndicalisation est assez faible : 8,1 % en 1981 ; 19 % en 1993. Les élections professionnelles montrent un bipolarisme entre l’UGT (36,7 % des voix en 1999) et les CCOO (37,7 % en 1999°. 37 Sachant que c’est la première fois qu’une évaluation de l’impact global d’une politique sociale est faite en Espagne. Jusqu’alors, les politiques publiques d’emploi, qui auront fortement contribué à déréguler le marché du travail espagnol (Freyssinet 1996, Cachon 1995, cités par Lefresne, 2002, à paraître) en poursuivant un objectif global d’abaissement du coût du travail, n’auront pas fait l’objet d’une telle évaluation et ceux qui contestaient cette politique, notamment les syndicats, n’avaient, il faut le souligner, pas les moyens d’organiser une telle évaluation.

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autre d’externalisation de l’emploi et ne repose sur une forte flexibilisation du travail ; en revanche, il peut y avoir internalisation par l’entreprise des coûts associés à la sécurité de l’emploi sans que cette sécurité soit assurée par le seul marché interne de l’entreprise. Les salariés suivent alors des trajectoires entre entreprises à l’aide de contrats de travail qui se succèdent de telle façon que s’opère une « transition » entre deux emplois permanents. Du point de vue des logiques de flexibilité à l’œuvre, très peu de cas visent à apporter aux salariés des capacités d’initiative individuelle concernant la conduite de leur trajectoire (et l’on ne sait d’ailleurs pas grand chose sur les trajectoires suivies par les salariés). Concernant les entreprises, les cas concrets montrent qu’il faut distinguer besoins à court terme et logiques de flexibilité poursuivies, qui s’inscrivent dans le moyen long terme et se construisent au fur et à mesure des actions. A ce titre, deux grandes logiques sont à l’œuvre (ce qui ne veut pas dire qu’elles sont toujours négociées) : 1) la recherche d’une adaptation permanente des compétences ; 2) la reconstruction d’une prévisibilité, d’un horizon à moyen terme. Les agencements se constituent à partir d’une redéfinition implicite ou explicite des aléas ou incertitude et des risques associés. Les facteurs structurants d’une typologie pourraient donc provenir de la multiplicité des logiques de flexibilité mises en œuvre en relation avec la façon dont sont négociés et imputés les coûts d’adaptation ou conséquences sociales de la flexibilité. L’un des principaux enseignements des pactes pour l’emploi et la compétitivité est qu’il n’existe pas de bonnes pratiques isolées (avoir recours au temps partiel, ou bien aux congés longue durée, à la réduction du temps de travail). C’est la cohérence (sociétale) des compromis adoptés qui explique leur succès ou leur échec (Freyssinet et Seifert, pp. 39 et 40). On peut noter à ce stade qu’il existe des constructions sociétales plus favorables à une explicitation des termes de l’échange entre flexibilité et sécurité, explicitation concourrant à la prise en charge de multiples logiques de flexibilité. C’est le cas notamment lorsque les politiques publiques favorisent l’instauration de « préconditions » ou « prérequis » permettant une utilisation combinée de financements publics et privés pour bâtir des actions de formation, notamment, et construire des trajectoires interentreprises.

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3 - SYNTHESE DU SEMINAIRE « EVOLUTION DU TRAVAIL ET DE LA RELATION SALARIALE : SOUPLESSE ET SECURITE »,

12 DECEMBRE 2002

Carole Yerochewski 3.1 - LE ROLE DE LA SEGMENTATION DU MARCHE DU TRAVAIL ET DE LA PROTECTION SOCIALE

DANS LE SENTIMENT DE SECURITE. Paradoxe de l’accroissement de la mobilité et de l’ancienneté dans l’emploi et transformations des mobilités professionnelles.

« Entre mars 2000 et mars 2001, près de quatre millions et demi d’actifs ont changé de situation sur le marché du travail, soit un million et demi de plus qu’entre mars 1974 et mars 1975 », indique Thomas Amossé38. Cependant, et paradoxalement, l’ancienneté dans l’emploi ou chez l’employeur, qui renvoie a priori à la notion d’emploi durable, ou stable, progresse aussi au cours de ces vingt cinq dernières années. Ainsi en France, la proportion de personnes de plus de vingt ans d’expérience qui sont chez leur employeur depuis le début de leur carrière a progressé de moitié entre 1982 et 2001. Ainsi, il y a à la fois plus de mobilité ou d’instabilité et plus d’ancienneté dans l’emploi39. Ce paradoxe se retrouve plus ou moins dans tous les pays d’Europe, du moins dans ceux qui ont aussi connu une forte croissance de la mobilité professionnelle. Ce paradoxe s’explique par la transformation de la mobilité professionnelle au cours des vingt cinq dernières années. Par delà les variations conjoncturelles très marquées, l’intensité des mobilités d’emploi à emploi est en effet restée stable alors que le nombre de passages du chômage vers l’emploi et de l’emploi vers le chômage n’a cessé d’augmenter. En France, c’est principalement l’existence d’un chômage de masse et l’augmentation du taux de recours aux contrats à durée déterminée et à l’intérim qui explique la transformation de la mobilité professionnelle. En 2002, 1 400 000 salariés sont en CDD (900 000) ou en intérim (500 000), ce qui représente 9 % des salariés du secteur privé, soit deux fois plus qu’en 199140. Cette mobilité s’assimile en grande partie à une instabilité dans l’emploi. Aux Pays-Bas, l’emploi « flexible », qui regroupe l’intérim et les CDD, a augmenté de 40 % entre 1994 et 1999 ; en Espagne, l’emploi temporaire a crû de 16,5 % depuis 1983 et occupe un tiers des salariés. Les emplois non permanents ont augmenté globalement de 4,3 % depuis 1983 dans l’Union européenne41. Encadré L’aspiration à la mobilité a également augmenté, qu’elle exprime le souhait de trouver un emploi correspondant davantage à sa qualification, l’aspiration à de meilleures conditions de travail ou encore, la crainte de perdre son emploi et la nécessité d’en rechercher un autre, notamment pour ceux qui occupent des contrats de courte durée : en témoigne le nombre croissant (deux fois plus qu’il y a vingt cinq ans) de personnes en emploi déclarant rechercher une autre situation professionnelle. En mars 2001, 7 % des personnes en emploi, mais 5 % des cadres et 13 % des non qualifiés (respectivement 3 et 4 % en 1975) se déclarent à la recherche d’un emploi. Par ailleurs, l’ancienneté dans l’emploi ne progresse pas pour toutes les catégories de salariés. Entre 1992 et 1999, elle a diminué plus ou moins significativement pour les 15 – 24 ans dans tous les pays d’Europe42, y compris dans ceux où l’ancienneté des autres classes d’âge progressait. Si l’on compare l’ancienneté dans l’emploi des femmes à temps plein à celle des hommes à temps plein, c’est-à-dire en éliminant l’effet temps partiel pour les femmes, alors leur ancienneté n’a pas progressé au cours de la période étudiée.

38 Vingt-cinq ans de transformation des mobilités sur le marché du travail, Amossé Thomas, in Données sociales, Insee 2002. 39 Brunet François, « Statistiques sur la souplesse et la sécurité de l’emploi en France », intervention au séminaire Dares du 12 décembre 2002. 40 Cf. Les contrats courts : source d’instabilités mais aussi tremplin vers l’emploi permanent, PI et PS, Dares, 2003. 41 Leur part a baissé au danemark et en Grêce sur la même période. Source : enquête sur les forces de travail d’Eurostat et Eiro, citée par Eiro dans « Emploi non permanent, qualité du travail et relations industrielles », eiro.eurofound.eu.int 42 à l’exception notable du Portugal, où elle a gagné deux points. Elle est restée stable en outre aux Pays-Bas et en Espagne.

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Autre résultat marquant, en France, en Espagne, en Italie et en Allemagne : l’ancienneté dans l’emploi peut aller de pair avec une précarisation du rapport au travail, une vulnérabilité plus importante, notamment pour les plus de 50 ans et/ou des personnes possédant une forte ancienneté dans l’entreprise, peu qualifiées et ayant eu rarement accès à des formations. Ce sont elles que l’on retrouve le plus souvent dans les licenciés économiques. En fin de carrière, les reclassements sont particulièrement difficiles. Après leur licenciement économique, le chômage de longue durée ou les emplois précaires sont souvent leur lot (Teyssier, Vicens, 2001). Encadré Finalement, en mesurant l’ancienneté, on ne sait pas ce que l’on mesure. L’ancienneté peut aussi résulter d’une succession d’emplois temporaires avec la même firme, d’une relation avec une entreprise de travail temporaire s’accompagnant d’une succession de multiples emplois et d’une grande flexibilité du travail. L’ancienneté n’est pas un critère de sécurité d’emploi ou de trajectoire. Ainsi, lors de restructurations ou de fusions – acquisitions, l’ancienneté dans l’emploi ne diminue pas mais le sentiment d’insécurité augmente pour l’ensemble des salariés43. - Trois facteurs de recomposition des segmentations du marché du travail Plutôt qu’à une dérégulation, les transformations des mobilités professionnelles, avec l’accroissement des passages par le chômage, indiquent qu’outre un remodelage des marchés internes, on assiste globalement à une recomposition de la segmentation du marché du travail. Trois facteurs essentiels se superposent à ceux connus44 et contribuent à cette recomposition ou à l’accentuation des segmentations existantes : la diffusion des formes d’emploi atypiques ; la montée de la « logique compétence » et les politiques d’emploi et d’indemnisation du chômage. - Les formes atypiques d’emploi a) La diffusion des formes d’emploi temporaires est la principale cause de la diminution de l’ancienneté dans l’emploi parmi les moins de 25 ans, partout en Europe. L’interprétation de ce phénomène n’est pas encore stabilisée. Doit-on le relier à l’inexpérience des jeunes comme débutant, en lien avec la théorie du Capital humain, ou bien à un biais de législation (les emplois temporaires concernant les emplois créés et donc les nouveaux entrants) ou enfin à une préférence individuelle (Auer, Cazes, Spieza, 2002) ? Est-ce plutôt révélateur de la diffusion de nouvelles normes d’emploi qui ne concerneraient donc pas une phase d’insertion professionnelle mais des catégories de salariés (Fondeur, Lefresne, 2000) ? Outre les jeunes, les formes d’emploi temporaires concernent plus particulièrement les femmes et les non diplômés ou peu qualifié. Aux Pays-Bas, où les femmes sont très majoritairement à temps partiel, elles sont aussi sur représentées parmi les « flexibles », en fait les intérimaires (50 %), ceux en CDD (45 %), ou «les travailleurs sur appel » (60 %). En France, le taux de mobilité près de deux fois supérieurs des non qualifiés par rapport aux autres catégories professionnelles provient, non d’une mobilité d’emploi à emploi, mais des passages par le chômage, qui s’expliquent par le statut des embauches : entre deux tiers et trois quart des employés ou des ouvriers non qualifiés sont recrutés avec des statuts d’emplois temporaires, pour respectivement un tiers et un cinquième seulement des embauches de professions intermédiaires ou de cadres (Germe, 2003). A noter aussi que les jeunes diplômés connaissent par rapport aux jeunes non diplômés une insertion rapide et de meilleure qualité – le diplôme constituant une relative protection contre le chômage. b) La montée de la logique « compétence » Un changement important dans les principes d’évaluation est intervenu au cours des dernières années, qui renforce la sélectivité à l’embauche. La montée de la logique « compétence » traduit en effet l’augmentation des ajustements de type « marchands » au moment du recrutement ou dans le cours de la trajectoire et le déclassement des principes de justice attachés au régime industriel (Eymard-Duvernay, 200X ?). Le jugement porté sur le candidat se réfère de plus en plus à ses caractéristiques individuelles, comme si la compétence était substantielle à l’individu ; ce qui renforce les effets de la qualification, du genre, de l’âge ainsi que de l’origine45. On assiste même dans un pays comme la France à une absence quasi complète

43 Enquête RESPONSE, voir Thomas Coutrot pour références exactes. 44 La qualification, l’âge, le genre et l’origine. 45 L’effet discriminatoire est aussi important que l’origine étrangère du candidat soit réelle ou supposée, (cf. Viprey 2002)

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d’encadrement des règles d’évaluation du travail. Trois causes conjointes sont repérées : un déclassement des diplômes professionnels liés à la faible implication des partenaires sociaux dans la définition des normes (qui, en outre, se multiplient et se concurrencent) ; la prééminence des entreprises dans la reconnaissance des qualifications et classifications et de l’utilisation de procédures contestables de recrutement (Lefresne 2001, Eymard-Duvernay 199X ,). Pour les non diplômés ou peu qualifiés, victimes de cette sélectivité inéquitable, perdre son emploi représente un risque bien plus important de ne pas arriver à être de nouveau recruté, ou pas avec un statut équivalent, et induit un sentiment d’insécurité. c) Les politiques d’emploi et d’indemnisation du chômage La comparaison internationale montre que, selon la combinaison entre politique d’activation et niveau d’indemnisation du chômage, on contribue à amplifier ou atténuer les effets de la segmentation du marché du travail sur les plus défavorisés. La politique de l’emploi danoise se caractérise par la combinaison d’une forte activation des dépenses de politique d’emploi et d’un haut niveau d’indemnisation du chômage. Au cours des années 90, la politique de l’emploi a servi, avec l’appui des partenaires sociaux, à encourager la mobilité professionnelle, sous différentes formes46. L’ancienneté dans l’emploi a d’ailleurs légèrement diminué entre 1992 et 1999. C’est le haut niveau d’indemnisation qui favorise une mobilité très grande car sécurisant les passages par le chômage. A l’opposé au Royaume-Uni, l’activation vise à résorber les dépenses d’indemnisation en poussant les chômeurs vers l’emploi, quel qu’il soit. On peut ainsi classer les pays selon deux logiques contrastées des politiques d’emploi : ceux où la logique d’activation vise à rendre moins « rigide » le marché du travail et ceux où elle vise à lutter contre la segmentation du marché du travail en faveur des plus défavorisés (Lefresne, Tuchszirer, 2000). Ces deux logiques sont contradictoires. La comparaison internationale montre que l’une des conditions pour que la politique d’activation tire vers le retour à l’emploi est le haut niveau d’indemnisation ; quand la politique d’activation se substitue à des mesures de flexibilisation négociée, elle aggrave la segmentation du marché du travail. Encadré : Pas de principe d’égalité dans l’accès à l’emploi Les performances d’ensemble du marché du travail danois et la cohérence de la politique d’emploi s’accommodent cependant de positionnements contrastés des demandeurs d’emplois, reflets d’une forte segmentation. On peut distinguer trois catégories de chômeurs : les qualifiés, dont le passage par le chômage est court, ceux qui rentrent dans le processus d’activation pour retrouver de l’emploi, catégorie très hétérogène, et ceux relevant de l’assistance, plus souvent sans formation professionnelle ou d’origine non européenne. Ces deux dernières catégories souffrent le plus du chômage de longue durée. En fait, la politique d’activation dont bénéficient ces catégories subit des inflexions. Une part des chômeurs indemnisés, considérés ‘loin de l’emploi’, sont dirigés vers des emplois subventionnés du secteur public, qui ont moins de probabilité de déboucher sur un emploi classique, tandis que l’activation du régime d’assistance est prise en charge par les municipalités et passe par une phase préalable d’activités de réhabilitation, l’ensemble donnant de moins bons résultats. En fait, il n’y a pas de principe d’égalité dans l’organisation de la mobilité et l’accès à l’emploi. - Protection sociale et sentiment de sécurité D’une manière générale, on peut constater qu’il n’existe pas de sentiment général, ou partagé, de précarisation dans les différents pays de l’Union européenne, qui irait de pair avec l’occupation d’un emploi temporaire ou une mobilité par passage par le chômage. En témoigne l’usage de termes différents, tels que « salariés flexibles » aux Pays-Bas, ou « bons et mauvais emplois » au Royaume-Uni, qui renvoient à des contextes sociétaux différents (Barbier, 2002). En particulier, la comparaison internationale montre qu’il n’existe pas de problème de précarité ou de sentiment de précarisation dans les pays où règne un « égalitarisme » ou qui dispose d’une « protection sociale généreuse »47. Ce qui renvoie au niveau des revenus de remplacement : lorsqu’ils sont élevés, ils évitent ou atténuent le sentiment d’exclusion généré par un retrait temporaire ou même durable du marché du travail. Ainsi, au Danemark, le taux de pauvreté parmi les actifs sans emploi n’est pas plus important que parmi ceux occupant un emploi. L’indemnisation chômage est d’ailleurs proportionnellement plus généreuse

46 Lefresne Florence, « La flex-sécurité dans la politique de l’emploi danoise », intervention au séminaire Dares : Evolution du travail et de la relation salariale ; « souplesse et sécurité », 12 décembre 2002. Nota Bene : cette communication s’appuie sur une étude réalisée à l’Ires pour le compte de la Dares, en coopération avec Carole Tuchszirer 47 Barbier Jean-Claude, texte d’intervention au séminaire Dares du 12 décembre.

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pour les moins qualifiés (90 % du salaire antérieur plafonné à 1600 euros, pour les plein temps). La forte mobilité, y compris par passage par le chômage, coexiste avec un sentiment de sécurité. Aux Pays-Bas, l’accès à l’indemnisation chômage est relativement aisée et le régime d’invalidité, qui assure un taux de remplacement significativement plus élevé que l’allocation adulte handicapé en France, fait l’objet d’un consensus implicite pour être maintenu. En 2000, il a concerné 957 000 personnes (dont 70 % percevaient une allocation complète). Il joue en outre un rôle complexe : de plus en plus de jeunes qualifiés y ont recours ; ils basculent en invalidité partielle pour se protéger des situations de stress et peser sur les employeurs pour renégocier des situations de travail. 3.2 – LA GESTION DES TRAJECTOIRES AU CŒUR DES DEFIS - Des mobilités professionnelles soumises à la loi de l’offre et de la demande Une étude (Germe, 2001) faisait le constat que la mobilité professionnelle est essentiellement fonction des opportunités à court terme offertes par le marché du travail. De ce tableau d’ensemble, il ressort que les mobilités professionnelles qui s’effectuent par les passages par le chômage ne sont pas le plus souvent gérées collectivement ou institutionnellement mais dépendent de l’offre et de la demande, et donc d’une évaluation essentiellement marchande du travail et des caractéristiques individuelles des salariés. a) Peu de gestion des reclassements lors des plans sociaux La gestion non collective et/ou ni institutionnalisée des trajectoires est le principal problème des plans sociaux. Elle s’illustre dès le processus de désignation des personnes licenciées puis dans la mise en oeuvre des reclassements comme le montre une étude que quatre pays d’Europe (Teyssier, Vicens, 2001). Les mesures protectrices, destinées à éviter aux plus de 50 ans ou aux peu qualifiés ayant une forte ancienneté de figurer parmi les licenciés économiques, sont rarement appliquées du fait de l’individualisation des procédures de désignation des salariés en sureffectif, qui permettent de contourner ces protections, du fait aussi d’une moindre présence des représentants du personnel dans les PME. Cette étude sur quatre pays d’Europe indique en outre que la qualité des mesures de reclassement a peu d’incidence sur leurs trajectoires. Les interventions au séminaire ont pu préciser cet aspect. D’une part, les mesures de reclassement, quand elles existent, se présentent le plus souvent sous la forme d’un paquetage sans grande cohérence entre les mesures. D’autre part, les démarches de reclassement sont peu fréquentes. Les salariés sont plus convaincus par l’intérêt d’un chèque indemnitaire, réparateur d’un traumatisme, que par des mesures de reclassement. Les élus du personnel ont tendance à privilégier un dispositif de reclassement, mais ce n’est pas toujours vrai dans les cas étudiés (Bruggeman, Paucard, Lapôtre, Thobois, 2002). Par ailleurs, le cadre réglementaire, en France, ne suffit pas à orienter les acteurs vers une mise en œuvre effective et certaine d’un droit au reclassement. La loi prévoit que la direction décide du contenu du plan social. Pour arriver à amener les employeurs à négocier, les élus doivent recourir à des ressources externes à la procédure (Bruggeman, Paucard, Lapôtre, Thobois, 2002). Gérer une trajectoire de reclassement, surtout externe, la plus délicate à réaliser, suppose une coordination avec les acteurs locaux, et c’est aussi rarement le cas. Les transitions ne sont donc pas la plupart du temps gérés collectivement, ni structurées ni évaluées. Ceci paraît d’autant plus problématique que les licenciements économiques sont devenus une modalité « banale » de gestion de la main d’œuvre. Y compris quand l’entreprise dépend d’un groupe : les marges de manœuvre économiques et sociales ont rarement été prises en compte par la direction du groupe ou de l’établissement lorsque le plan social est présenté. Enfin, les pratiques dans les PME en matière de licenciements économiques sont très mal connues. b) Les intermédiaires centrés sur la sélection de la main d’œuvre La marchandisation des trajectoires ressort particulièrement pour les catégories de salariés fragilités par la segmentation du marché du travail. Mais il n’est pas sûr que d’autres catégories, plus qualifiées, ne subissent pas aussi cette marchandisation. Ainsi des jeunes ingénieurs SSII ou des intermittents du spectacle, qui doivent non seulement être compétents mais gérer individuellement, à la façon d’un entrepreneur, leur trajectoire. La marchandisation va souvent de pair l’idée que les trajectoires seraient ainsi plus individualisées et prendraient donc mieux en compte les aspirations des salariés Mais on sait en réalité peu

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de choses sur ce qui fonde des choix individuels48 ni si l’on peut détacher les choix individuels d’un contexte. La marchandisation est aussi masquée par le fait que les intermédiaires se sont multipliés au cours des vingt dernières années et revendiquent, tels les entreprises de travail temporaires, un rôle dans la gestion des ressources humaines. Les études récentes montrent que leur procédure de sélection et de rapprochement de l’offre et de la demande de travail obéissent surtout aux lois du marché (organisation de batteries de test, mises à disposition de jeunes qualifiés avec réduction des coûts salariaux par recours aux contrats de qualification). D’une façon générale, les intermédiaires se centrent plutôt sur des pratiques de sélection de la main d’œuvre que sur la construction des qualifications et la structuration des trajectoires (Germe, 2003). - Des contre tendances se dessinent en matière de gestion des trajectoires des salariés Les acteurs, notamment les acteurs institutionnels, sont tentés de définir des « bonnes pratiques » en la matière. Mais ces « bonnes pratiques » existent –elles ou sont-elles transposables ? L’un des principaux enseignements des pactes pour l’emploi et la compétitivité est qu’il n’existe pas de bonnes pratiques isolées (avoir recours au temps partiel, ou bien aux congés longue durée, à la réduction du temps de travail). C’est la cohérence (sociétale) des compromis adoptés qui explique leur succès ou leur échec49 (Freyssinet et Seifert, pp. 39 et 40). Le « bon plan social » n’est-il pas un construit de l’Administration ? Les questions paraissent d’autant plus légitimes que toutes les études sur les mobilités professionnelles s’accordent, au moins par défaut, à constater que l’on dispose de très peu de données sur les trajectoires des salariés, à court terme, et surtout à moyen terme, alors que le terme de « trajectoire » renvoie nécessairement à la mise en œuvre d’un processus long et évolutif. a) Une perspective de classement des agencements de flexibilité et sécurité Des contre tendances émergent cependant en matière de gestion des trajectoires, selon les travaux effectués sur des cas concrets d’agencements de flexibilité et sécurité (dans lesquels on peut inclure les plans sociaux qui ont assumé la gestion des reclassements). Les expériences concernées par ces travaux, regroupées en « pratiques nationales », « pratiques d’entreprises » et « pratiques et agencements locaux » pour l’organisation du séminaire, peuvent être reclassées en quatre catégories : celles qui se déroulent, classiquement, au sein du marché interne de l’entreprise ; celles qui ont pour objet de mutualiser un système de financement des droits à une couverture chômage et à la formation professionnelle pour favoriser la sécurisation des trajectoires et le transfert des compétences ; celles qui voient « s’étendre » la responsabilité de l’employeur au delà du contrat de travail, dans le cadre notamment d’une implication de l’entreprise dans la gestion des reclassements externes ; celles qui visent à mutualiser la responsabilité d’employeur, qui instituent une figure de tiers-employeur ou de co-employeur (cf. cor responsabilité du groupement d’employeur en cas de défaillance financière d’un des membres du groupement). b) Les processus innovants qui émergent Nous disposons de peu d’éléments sur la recomposition des marchés internes d’entreprise - les exemples cités dans la revue de littérature ou lors du séminaire s’inscrivant plutôt dans la troisième catégorie, hormis le cas de l’entreprise espagnole Caixa. La seconde catégorie renvoie au cas danois (et le cas des intermittents, plus problématique), qui fait ressortir le rôle de la combinaison entre une politique active de l’emploi et un haut niveau d’indemnisation du chômage.

La troisième catégorie regroupe les Pactes pour l’emploi et la compétitivité présentée dans la revue de littérature (hors Zanussi) et les plans sociaux. La quatrième catégorie comprend essentiellement les

48 Si ce n’est que le jeune âge, c’est-à-dire tant qu’on n’a pas décidé de faire un (premier) enfant, ou une qualification recherchée favorise le choix individuel de mobilité. 49 A noter sur ce plan que s’il n’existe pas de bonnes pratiques isolées, il existe des constructions sociétales plus favorables. C’est le cas notamment lorsque les politiques publiques favorisent l’instauration de « pré conditions » ou « pré requis » permettant une utilisation combinée de financements publics et privés pour bâtir des actions de formation et construire des trajectoires interentreprises (cf. le cas danois notamment).

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groupements d’employeurs (le cas des ETT étant aussi plus problématique). Deux principaux traits innovants ressortent, propres à favoriser une gestion collective de moyen long terme des trajectoires des salariés, c’est-à-dire un processus d’apprentissage : l’instauration d’instances paritaires qui amènent entreprises et représentants du personnel à codécider des trajectoires des salariés ; l’existence de formes non canoniques de coopérations d’acteurs locaux. L’instauration d’un « processus ou effet d’apprentissage dans le cadre d’un plan social se traduit d’une part par le fait de favoriser les négociations collectives, et, pour cela, de faire adopter des obligations de résultat qui poussent à négocier ; d’autre part, par le fait d’instaurer une forme de gestion « par projet », qui permet d’associer au pilotage et au suivi tous les acteurs concernés et de gérer l’incertitude en maîtrisant le calendrier des étapes temporelles de la mise en œuvre – la gestion du temps apparaissant comme l’un des principaux facteurs de conflits de logique entre acteurs patronaux et syndicaux50. La qualité de la négociation collective, qui est intervenue parfois en amont du plan social dans les cas ayant fait l’objet d’études (Campinos-Dubernet, Barbara, Redor, 2002), la formation des élus du personnel et des acteurs syndicaux, pour pousser à prendre en compte des démarches de reclassement, le choix du cabinet de reclassement, sa responsabilisation (charte de déontologie, évaluation du fonctionnement et rémunération en partie aux résultats), la définition d’un cahier des charges, les moyens affectés par l’entreprise, sont apparus comme autant de facteurs à prendre aussi en compte. On assiste aussi parmi les groupements d’employeurs qui prennent en charge une gestion des qualifications à l’instauration de processus d’apprentissage sans que l’on repère des formes de négociation collective canonique, mais plutôt des formes de coopération entre divers types d’acteurs locaux. Dans ces cas, il est marquant de constater que, selon les salariés non ou peu qualifiés interrogés, le fait d’être engagés collectivement dans des actions de qualification peut compenser le fait d’être embauché en contrat de qualification et en CDD (le cas des groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, cf. rapport du Conseil économique social sur les Geiq). Encadré : comment classer l’expérience de Saint Gobain ? Le cas de Saint Gobain est atypique parce que d’une part, ce groupe a maintenu une politique de reconversion locale des sites en dehors des cas de restructurations afin de gérer sa pyramide des âges et des qualifications, dont le déséquilibre a été perçu dès les années 80 ; d’autre part, cette politique, conduite en interne et en externe (entre 1986 et 1998, 27 % des salariés de Saint-Gobain ont bougé, la moitié par reclassement interne, l’autre par reclassement externe), s’est appuyée pour les reclassements externes et les recrutements, sur des coordinations de long terme avec des acteurs locaux, notamment les pouvoirs publics et les PME – l’aide aux PME évoluant vers une phase plus qualitative, avec du conseil et de l’accompagnement personnalisé. Toutefois, il est à noter, d’une part, que si les retombées sont globales (et comprennent l’équipement de marchés locaux du travail), elles sont aussi diffuses, immatérielles, et difficiles à évaluer ; notamment parce que les conventions entre acteurs locaux ne sont pas formalisées. D’autre part, on ne sait là aussi pas grand chose sur les trajectoires des salariés reclassés en externe (si ce n’est qu’ils sont recrutés en CDI). 3.3 - LOGIQUES ET MOTIVATIONS D’ENTREPRISES - Un classement des stratégies Les entreprises sont confrontées à deux principaux enjeux : d’une part, la gestion des qualifications51, qui inclut la gestion de la pyramide des âges, et vice versa, car gérer les âges suppose de répondre pour l’entreprise à des questions du type : « quelles compétences sont nécessaires ? Comment intégrer des personnes ? ». D’autre part, la gestion du risque économique, liée à la mondialisation de la concurrence sur les marchés et à la faible coordination des politiques macroéconomiques dans ce contexte. Par rapport à ces deux types d’enjeu, on peut classer les stratégies des entreprises en deux catégories : celles qui s’emploient à les gérer en s’inscrivant dans des processus de moyen long terme nécessairement coopératifs ; celles qui reportent sur les salariés et la collectivité les contraintes et le coût financier d’une gestion institutionnalisée en adoptant une stratégie marquée par des choix de court terme.

50 Un exemple de Pacte pour l’emploi et la compétitivité dans la revue de littérature, celui de Telia, concentre ces traits innovants. La trajectoire des salariés y a fait en outre l’objet d’une évaluation. 51 A noter d’ailleurs que les salariés des groupements d’employeurs, qui réunissent plutôt des PME, sont soit des cadres, dont les PME se partagent les compétences, soit des salariés non qualifiés, que les PME forment à leurs besoins.

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Encadré : Le recours aux emplois temporaires correspond-il toujours à un choix de court terme ? Tous les secteurs d’activité y recourent. Les salariés en contrat court sont en général toujours en emploi l’année suivante, et le plus souvent en emploi temporaire. Tout ceci indique que le recours à ces contrats sont devenus une modalité de gestion de certaines catégories de main d’œuvre. Les données en France montrent aussi que les conditions de travail sont plus difficiles en contrat temporaire et que l’occupation d’un tel contrat modifie les modes de vie52. Peut-on pour autant considérer que le recours aux emplois temporaires est toujours révélateur d’un choix de court terme de la part de l’entreprise ? Aux Pays-Bas, syndicats et patronat ont signé un accord débouchant sur la loi flexibilité et sécurité qui régule le recours aux emplois flexibles. Son évaluation montre que la sécurité juridique des salariés concernés s’est améliorée. Toutefois, un quart seulement des travailleurs flexibles indique que leur situation s’est globalement améliorée, et cette loi est en partie contournée par les employeurs. - Les motivations des inflexions stratégiques On sait peu de chose sur ce qui amène les entreprises, les groupes comme les PME, à choisir, des stratégies de moyen long terme. En revanche, on peut repérer un certain nombre de facteurs qui amènent les entreprises à infléchir un choix stratégique de court terme. Sans prétendre hiérarchiser ces facteurs, qui peuvent intervenir isolément ou conjointement, on peut les regrouper de la façon suivante : a) La volonté de la part de la direction de l’entreprise de préserver son image. Cette volonté n’est pas spontanée et survient souvent après qu’il y ait déjà eu un traumatisme ayant atteint l’image de l’entreprise. b) La volonté de négocier de la part des acteurs syndicaux et des représentants du personnel. Cette volonté ne suffit pas toujours à engager la négociation collective. Il est parfois nécessaire de construire un rapport de forces. c) Une loi, qui prévoit une obligation de reclassement, ou la requalification automatique en contrat à durée indéterminée d’un contrat temporaire en cas de recours répété à un même salarié, et ce quel que soit le motif du recours (loi flexibilité et sécurité aux Pays-bas). d) La possibilité d’une coopération d’acteurs locaux autour de la gestion des qualifications Ces coopérations assurent une fonction de coordination non marchande, mais n’émergent pas spontanément. Il faut un objet d’ancrage territorial. La gestion des qualifications peut être une entrée. Mais il n’existe pas toujours un marché du travail local, la mobilité géographique peut déborder du bassin d’emploi. La notion de territoire n’est en outre pas définie a priori. Le territoire institutionnel de la décentralisation en France est complexe, ce qui se répercute par exemple sur les conditions de création d’un groupement d’employeur : « il n’est pas évident de mettre en place des relations cohérentes entre la commune, le district, les groupements professionnels et les exploitants agricoles » (rapport du CES, 2002). L’existence d’une masse critique d’entreprises sur un bassin d’emploi ne suffit pas à créer une communauté de référence, pertinence pour une action collective de coopération. Il faut qu’un acteur ou une structure retraduise l’objet d’ancrage en terme de finalités collectives à l’attention des différents acteurs concernés. L’intérêt du groupement d’employeur ne tient d’ailleurs pas principalement dans sa forme juridique mais dans sa capacité à structurer une coopération autour de la gestion des ressources humaines, à jouer un rôle d’interface, à agréger les acteurs locaux, définissant ainsi le territoire économique d’intervention (cf. exemple en encadré ci-dessous). Encadré. Un prestataire d’agriculteurs embauche des handicapés mentaux en CDI La spécialisation des entreprises agricoles de la région de Molsheim vers des cultures spécifiques adaptées de façon optimale (spécialisation poussée à l’extrême) aux conditions climatiques et réglementaires (respect de la classification AOC ou non) génèrent des cultures dominantes voire des monocultures, sources de pointes saisonnières que la diminution des emplois intrafamiliaux aux agriculteurs (même saisonniers) ne permet plus d’absorber. D’où la création de la Main verte, association de droit local (qui prend la forme d’un groupement d’employeurs dans des régions où cette initiative a essaimé), qui gère la flexibilité territoriale des cultures par une intervention sur un rayon englobant des cultures de saisonnalité différentes et pourvu de transports permettant la mobilité des salariés. L’association a ainsi généré des CDI. Mais il faut préciser que la qualité de sa prestation est liée à l’implication des agriculteurs locaux, qui sont intervenus dans le processus d’élaboration des formations, et en particulier de transmission de la gestuelle, découpée en séquence d’apprentissage, ainsi que dans l’organisation des formations, et participent aux évaluations qualitatives des modules de formation. L’ensemble assure une qualité de prestation conforme aux labels de qualité développés par ces filières agricoles. Par ailleurs, les parents d’enfants inadaptés s’impliquent dans l’accompagnement social indispensable des handicapés, ce qui contribue à l’équilibre global du projet.

52 Cependant, si 52 % des salariés temporaires subissent cette situation, ils préfèrent cette situation au chômage, même indemnisé (PI et PS contrats courts, Dares).

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Cependant, il est à noter que l’on prend souvent comme modèle le fonctionnement des PME en réseau sans être en mesure de mesurer l’intérêt de ces synergies locales. D’autres formes de structuration ont été repérées, qui s’appuient sur des négociations collectives non canoniques ou sur la structuration d’un syndicalisme en réseau, comme à Saint-Nazaire vis-à-vis des intérimaires – l’objet d’ancrage étant cette fois le fait de réclamer un statut unique pour tous les intérimaires du site, qu’ils soient employés par le donneur d’ordre ou ses sous-traitants – la masse critique d’intérimaires ne suffisant pas à constituer une communauté de référence (les intérimaires étant eux-mêmes segmentés par niveaux de qualification). Se dessine ainsi la perspective qu’une coopération entre acteurs locaux puisse se structurer dans les cas où le centre de décision du capital et celui de gestion de gestion des ressources humaines ne se recoupent, dans les cas aussi où la figure de l’employeur et celle de l’entrepreneur ne se recoupent pas. 3.4 – LES QUESTIONS A APPROFONDIR

3.4.1 - Le rôle de la segmentation du marché du travail et de la protection sociale dans le sentiment de sécurité Nota Bene : les questions en italiques sont celles directement formulées au séminaire - En matière d’ancienneté et stabilité dans l’emploi, les paradoxes ne sont-ils pas d’associer (implicitement) ancienneté et stabilité, mobilité et insécurité ? Les notions de précarité, flexibilité, mobilité ne constituent pas des repères communs en Europe, du fait des différents contextes sociétaux. Comment construire des indicateurs européens de qualité de l’emploi ? L’ancienneté peut être signe de moindre productivité arrivé à plus de 50 ans. Quelle protection pour les salariés ? La mobilité s’accroît en Europe occidentale en période de reflux du cycle économique alors qu’elle décroît en Europe occidentale. Est-ce l’offre ou la demande qui influence la mobilité et l’ancienneté ? - Segmentation, protection sociale, sentiment de sécurité Les jeunes servent-ils à tester de nouvelles normes d’emploi et de relation salariale ? Quel bilan tiré de l’accord inter confédéral en Espagne et de la loi flexibilité et sécurité aux Pays-Bas sur la recomposition du marché du travail ? Quelle intervention de la loi et des partenaires sociaux pour faire valoir des procédures équitables d’évaluation des qualifications et des compétences vis-à-vis des segments défavorisés sur le marché du travail ? Comment analyser la politique de l’emploi et les « activités réduites » sur la segmentation du marché du travail en France depuis vingt ans ? Quel est l’effet des possibilités de cumul temporaire des minima sociaux avec un revenu d’activité sur le sentiment de sécurité de leurs bénéficiaires en France ? Quel est l’effet de la prime pour l’emploi sur le sentiment de sécurité des bénéficiaires de la prime ? 3.4.2 – La gestion des trajectoires au cœur des défis Les trajectoires des salariés, continent noir de la recherche sur flexibilité et sécurité

- (Cf. Allemagne) Quelles sont les trajectoires des salariés dont la reconversion s’effectue dès le préavis du licenciement et sous la forme d’un CDD contracté avec des entreprises subventionnées le temps de la reconversion (cf. aussi Autriche) ?

- Quelles sont les trajectoires des salariés lorsque ces trajectoires sont aussi des mobilités d’emploi à emploi, interentreprises, mais l’employeur d’origine prenant en charge tout ou partie des coûts associés à ces transitions ?

Peut-on face baliser des étapes de telle façon que les acteurs concernés par les plans sociaux puissent se réapproprier les processus innovants en matière de contenu et mise en oeuvre ? Dans un processus de reclassement, comment loi et accords d’entreprise peuvent faire système ?

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- Qu’est ce qui contribue à gérer les trajectoires, pour toutes les catégories de salariés ? - Quel rôle jouent les marchés internes d’entreprise dans l’organisation de la mobilité des

salariés ? De quelles catégories de salariés s’agit-il ? - Quelle responsabilisation sociale des entreprises dans la gestion des âges et des

qualifications, sachant que les termes de « réinternaliser et mutualiser » ne permettent pas d’y répondre (cf. problématisation juridique).

Quelles sont les pratiques des PME en matière de licenciements économiques ? En matière d’agencements de flexibilité et sécurité et de gestion des trajectoires des salariés ?

- Pour quels types de salariés, quelles qualifications, etc, pour quel type d’établissement utilisateur, les ETT jouent-elles un rôle d’intermédiaires ? Comment jouent-elles ce rôle ?

- Qu’est-ce qui contribue à choisir individuellement la mobilité du point de vue des salariés ? - Quels droits individuels construire, qui évitent de voir la mobilité professionnelle soumise à

la marchandisation ? Faut-il se focaliser sur les droits à la mobilité professionnelle ? Comment prendre en compte la précarisation au travail, qui passe notamment par l’imprévisibilité des temps de travail ?

- Aux Pays-Bas, la question du temps et des temps de travail sont devenus un enjeu d’organisation de la vie sociale et professionnelle, débouchant sur plusieurs lois donnant du pouvoir aux salariés sur l’organisation de leur temps de travail. Quelles répercussions sur les salariés « flexibles » ?

3.4.3 – Logiques et motivations des entreprises - Choix de stratégies La taille des entreprises se réduit mais celles-ci dépendent de plus en plus de grands groupes. Les « centres de décision du capital » et ceux de gestion des ressources humaines sont donc de plus en plus souvent distincts. Cela influence-t-il le choix d’une stratégie ? Comment les liens de dépendance économique (y compris entre donneurs d’ordre et sous-traitants53) influencent les choix de stratégie ? Et les recours aux formes d’emploi temporaires ? Ne faut-il pas différencier réseau d’acteurs interne à un groupe et réseau externe, car les lieux de décision ne sont pas les mêmes ? Qui décide au niveau local, qui décide au niveau central ? Qu’est-ce que cela décline au niveau des agencements de flexsécurité ? Lorsque la « figure de l’employeur » et la « figure de l’entrepreneur » sont distinctes (exemple du recours à des entreprises de travail temporaire, cas du groupement d’employeur), cela influence-t-il le choix d’une stratégie ? Dans quels cas une entreprise cherche-t-elle à préserver son image ? - Le rôle des partenaires sociaux et des formes non canoniques de négociation A quelles conditions un espace géographique peut devenir un territoire propice de coopération entre acteurs locaux favorisant un agencement de flexibilité et sécurité ? Comment inciter les grands groupes à jouer un rôle dans la création de telles dynamiques de coopérations locales ? Quels outils pour mesurer ce qu’apporte le fonctionnement des PME en réseau ? Comment évaluer les coordinations d’acteurs locaux, leurs effets ? Quels outils ou indicateurs permettraient d’évaluer comment s’opèrent les ajustements multidimensionnels d’acteurs locaux ? Ne faudrait-il pas inventorier les pratiques de négociation collective locale, y compris celles non canoniques du point de vue des normes existantes de négociation collective ?

53 Voir les enseignements qui peuvent être tirés d’une étude en France et comparative européenne sur la filière automobile et l’industrie à ces sujets (références à retrouver…). Comme quoi ce n’est pas la dépendance économique le principal ou le seul facteur….

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4 – INTERVENTIONS AU SEMINAIRE DU 12 DECEMBRE 2002 4.1 – PRATIQUES NATIONALES

LA « FLEXSECURITE » DANS LA POLITIQUE DE L’EMPLOI DANOISE Florence Lefresne, IRES

Cette communication s’appuie sur une étude réalisée à l’IRES, pour le compte de la DARES, en coopération avec Carole Tuchszirer. Portant sur les stratégies d’activation à partir des activités occasionnelles, l’étude a reposé sur une comparaison entre Belgique, Pays-Bas, Danemark et Royaume-Uni. Elle a récemment été élargie à l’Espagne et à l’ Italie. Cf. « L’impact du traitement des activités ocasionnelles sur les dynamiques d’emploi et de chômage : 1ère partie de l’étude, Belgique, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni », Document d’études DARES, n° 43, mars 2001 ; « L’impact du traitement des activités ocasionnelles sur les dynamiques d’emploi et de chômage : 2ème partie de l’étude, Espagne, Italie » Document d’études DARES, à paraître ; Cf. également : “ Stratégie d’activation par les activités occasionnelles et normes d’emploi :la situation française confrontée aux expériences belge, néerlandaise, danoise et anglaise ”, in Travail et Emploi, n° 87, pp.47-65, juillet 2001. Dans l’évocation de dispositifs institutionnels associant flexibilité du marché du travail et sécurisation des trajectoires de mobilité, le Danemark occupe une place privilégiée ; il constitue pratiquement un « modèle » qui met à mal la thèse libérale du dilemme entre chômage et inégalités. Le taux de chômage danois est l’un des plus faibles de l’Union, les taux d’emploi (dans toutes les tranches d’âge) y figurent parmi les plus élevés ; le coût du travail se situe sensiblement au-dessus de celui de la moyenne de l’Union alors que les inégalités et le taux de pauvreté y figurent parmi les plus faibles. On est dans ces conditions enclins à lire dans les agencements institutionnels et dans les stratégies d’acteurs qui les portent, une source de performance qui repose sur un haut niveau de cohérence. Les facteurs de cette cohérence puisent eux-mêmes dans le modèle de compromis qui caractérise le néo-corporatisme danois. Le fonctionnement du marché du travail et le système de protection sociale sont largement régis par des conventions collectives et une politique contractuelle active, qui n’exclut toutefois pas un rôle actif de l’Etat. L’objet de cette communication est de mettre en exergue cette cohérence – mais aussi certaines de ces limites - à travers l’exemple de la politique de l’emploi. L’accent est mis sur trois de ses piliers : un marché du travail caractérisée par une forte mobilité des salariés à travers un tissu de petites et moyennes entreprises ; une politique indemnitaire marquée par un taux de couverture et un taux de remplacement très élevés ; une activation rendue obligatoire pour l’ensemble des chômeurs inscrits, après un an d’indemnisation passive.

1 - DES DEPENSES MASSIVES AFFECTEES AU MARCHE DU TRAVAIL POUR UN CHOMAGE FAIBLE Un cadrage statistique très général montre qu’au Danemark, le volume global des dépenses affectées au marché du travail (au sens de l’OCDE) est en moyenne élevé et marque une certaine inertie à la baisse tandis que le chômage décline fortement depuis 1994 (cf. graphiques 1). Notons à titre comparatif qu’inversement, l’effort pour l’emploi est très bas au Royaume-Uni y compris lorsque le taux de chômage est élevé et que le profil d’évolution des dépenses s’écarte significativement de celui du chômage lorsque s’enclenche la récession du début des années quatre-vingt-dix. Au sein de ces dépenses globales, la part des dépenses passives, bien qu’en diminution (compte tenu de la forte baisse du chômage), demeure élevée. Si l’on rapporte le montant des dépenses d’indemnisation au taux de chômage comme mesure de l’intensité de l’effort d’indemnisation du chômage (Freyssinet, 2000), ce ratio apparaît relativement élevé au Danemark (0,36, contre 0,13 au Royaume-Uni). Deux conclusions s’imposent ici. D’une part, le niveau du chômage n’est pas positivement corrélé avec l’effort d’indemnisation du pays. D’autre part, l’activation des dépenses passives ne se traduit pas mécaniquement par une résorption des dépenses passives. Dans le cas danois, le maintien d’une politique indemnitaire large et généreuse accompagne la politique d’activation (aktivering).

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Graphiques 1

Dépenses pour le marché du travail et chômage au Danemark

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2 - UNE APPROCHE INTEGREE DE LA POLITIQUE DE L’EMPLOI Avant la réforme du marché du travail de 1994, la politique de l’emploi reposait sur un programme central d’offre d’emplois temporaires en direction des chômeurs de longue durée entretenant en grande partie la récurrence du chômage. En effet, lorsque l’emploi offert arrivait à terme, le chômeur réunissait les conditions requises pour bénéficier de l’indemnité d’assurance chômage. A l’approche de la période de fin de droits indemnitaires, il parvenait à renouveler ses droits en participant à nouveau au programme. Ainsi, conçu comme un instrument actif d’aide au retour à l’emploi, le programme s’est apparenté dans la réalité à une mesure passive utilisée principalement pour réamorcer, de façon quasi illimitée, les droits indemnitaires. Au début des années quatre-vingt-dix, quarante pour cent des chômeurs alternaient ainsi situations d’emplois temporaires et chômage sans parvenir à réintégrer le marché du travail régulier. Par ailleurs ces emplois temporaires ne comportaient pas systématiquement de finalité de formation générale et qualifiante. La réforme du marché du travail adoptée en 1994 (point culminant du chômage) est conçue pour mettre un terme à ce processus de récurrence, d’une part et à généraliser la finalité de formation de la politique de l’emploi, d’autre part. Elle repose sur une approche systémique qui intègre trois composantes : le marché du travail régulier, le système d’assurance chômage et le marché du travail dit activé (cf. graphique 2). Le compromis au cœur du modèle autorise un haut niveau de flexibilité sur le marché du travail régulier : coût faible des licenciements et turn-over élevé, les dispositifs publics de congés temporaires d’une durée maximale d’un an - pour formation, congé sabbatique ou éducation d’enfants - alimentant ce turn-over. Cette fluidité du marché du travail54 accroît les chances d’insertion des chômeurs. De son côté, le système d’indemnisation est amplement réformé (cf. annexe). Sous l’effet d’un chômage en nette progression au début des années quatre-vingt-dix, les conditions d’accès au régime d’indemnisation se sont durcies ; la durée d’indemnisation a notamment été revue à la baisse (elle est passée de 7 à 4 ans). Le système indemnitaire reste toutefois l’un des plus généreux d’Europe (90 % du salaire antérieur plafonné pour les assurés à plein temps à 1600 euros) y compris pour les jeunes qui disposent d’un revenu social garanti.

54 La durée moyenne d’ancienneté dans l’emploi au Danemark est la plus faible de l’Union Européenne (à égalité avec le Royaume-Uni).

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Graphique 2. La politique de l’emploi au Danemark ou la problématique du triangle d’or Sources : Ministère du Travail danois, 1999

marchédu travailrégulier

Lesystème d’assurancechômage

marchédu

travailactivé

Un degré de flexibilité élevéUne forte rotation desemplois

Des prestations dechômage élevées etversées sur unelongue période

Un système de droits etdevoirs vis à vis du marchédu travail.Améliorer les niveaux dequalificationRenforcer le rôle des régions

Mesures pourL’emploiAvant 1994

L’indemnisation est conçue selon deux périodes distinctes : une période dite passive (qui a été réduite de quatre à un an entre 1994 et 1999) au cours de laquelle le chômeur perçoit ses allocation sans devoir particulier ; une période active durant trois années, au cours de laquelle le maintien d’un droit à l’indemnisation s’accompagne de l’obligation de participation à deux grands types de programmes : un programme de formation (générale et qualifiante) dispensée au sein du système de formation initiale55 et/ou celui de formation continue ; et un programme d’emplois aidés dans le secteur privé ou public (jobtraining) comportant lui-même une finalité de formation. La période d’indemnisation passive permet aux chômeurs les plus “ employables ” de retrouver un emploi sur le marché régulier sans risquer de “ prendre la place ” des chômeurs les moins employables sur le marché du travail activé. Pour lutter contre les effets de confinement chômage-emplois temporaires a été introduite une modification des conditions d’accès au régime indemnitaire : la période de cotisation préalable a été revue à la hausse (portée à 52 semaines au cours des trois dernières années), ainsi est-il plus difficile pour le demandeur d’emploi de différer la période d’activation. Par ailleurs, les bénéficiaires de l’activation ne peuvent se requalifier au régime d’assurance. Tout est donc mis en œuvre pour canaliser, au moment utile, le chômeur vers une mesure d’activation qui à son tour doit assurer le retour vers le marché du travail régulier. Les règles du marché du travail activé sont contrôlées par les partenaires sociaux. Ces derniers jugent essentielle leur implication dans la politique de l’emploi qui se justifie en grande partie par la fluidité du marché du travail régulier : chaque année plus du quart des salariés connaît au moins un passage par le chômage. La réforme danoise a également été guidée par le souci d’éviter que la période d’activation ne vienne dégrader les normes d’emploi et de salaire en vigueur sur le marché du travail. D’une part, la norme de salaire d’un emploi temporaire activé dans le secteur marchand est calée sur la norme conventionnelle ; dans le secteur non marchand, le bénéficiaire perçoit l’intégralité de ses indemnités chômage, mais un ajustement par la durée du travail permet de maintenir le taux de salaire horaire en vigueur dans le secteur public. D’autre part, la création des emplois activés est fortement encadrée pour éviter les effets d’aubaine ou de substitution (le nombre d’emplois activés dans une entreprise du secteur privé est subordonné au nombre de salariés, dans certain cas, la création d’un emploi activé est conditionnée par celle d’un emploi permanent). Les effets d’aubaine sont donc en grande partie contrôlés. La cohérence danoise de la stratégie d’activation repose donc sur une double préoccupation : éviter la récurrence du chômage56 ; éviter la création d’un marché du travail aux normes

55 La réintégration du système de formation initiale constitue l’essentiel du programme en direction des jeunes qui a permis au chômage des jeunes de passer au-dessous de celui des adultes. 56 Cette volonté de limiter les récurrences chômage-emplois temporaires se manifeste également dans la gestion du seul dispositif autorisant le cumul entre revenu d’activité et indemnité de chômage destinés aux chômeurs acceptant un temps partiel pour échapper au chômage total. Au-delà d’un an, le salarié-chômeur est tenu de choisir entre deux options : soit il se satisfait de son emploi à temps partiel et renonce à son statut de chômeur et à l’allocation afférente, soit il maintient sa demande d’emploi à temps plein et il doit, en contrepartie du maintien de son indemnité chômage, se soumettre aux règles très spécifiques de l’activation.

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dégradées. Elle maintient par ailleurs largement ouvert les filets de sécurité de l’assistance sociale pour les chômeurs de très longue durée ou les publics les moins aisément insérables. La flexibilité du marché du travail se conjugue bien avec la garantie d’un revenu des personnes assurant les transitions professionnelles.

3 - UNE IMBRICATION DE DROITS ET DES DEVOIRS Dans sa philosophie même, la réforme danoise du marché du travail introduite en 1994 se fonde sur une logique opposée à la logique britannique. Le demandeur d’emploi n’est pas considéré comme un “ passager clandestin ” potentiel ; il est membre d’une communauté qui lui confère indissociablement des droits (ceux d’accéder à un service) et des devoirs (participation à certains programmes de formation ou d’emploi activé). Ce statut se traduit par un contrat (les “ plans d’action individuels ” ou “ Handling plans ”) qui responsabilise l’individu et donc garantit son autonomie, et engage dans le même temps les autorités publiques concernées dans l’accompagnement du chômeur. Ce dernier relève du service public de l’emploi s’il dispose de droits à l’assurance, ou des municipalités s’il dispose des droits à l’assistance. La mise en œuvre de plans individualisés suppose une adaptation du service public de l’emploi et des municipalités aux caractéristiques locales du marché du travail : des conseils régionaux du marché du travail sont créés renforçant le caractère tripartite du SPE (organisations patronales et syndicales, autorités locales). Cette réforme législative a fait l’objet d’un large consensus social recevant l’assentiment de l’ensemble des partenaires sociaux. Ainsi, l’essentiel, contrairement à ce qui est souvent souligné dans le débat français, ne réside pas dans le caractère contraignant ou non de l’activation mais d’une part, dans le type d’activité proposée et surtout dans le “ contrat social ” au fondement de la définition et à l’attribution de ces activités. Dans la logique scandinave de la politique de l’emploi, l’idée d’activation, conformément au modèle social démocrate, a toujours été présente et perçue comme un principe de responsabilité à la fois de la société face au chômage et de l’individu face à l’Etat social.

L’implication des acteurs centraux et locaux de la politique de l’emploi est au moins aussi importante que la responsabilité individuelle du demandeur d’emploi. L’édifice repose sur un principe de droits et de devoirs étroitement imbriqués : droit pour le chômeur de disposer d’un revenu indemnitaire convenable sur une période suffisamment longue (90 % du salaire plafonné), mais droit assorti d’une obligation de reclassement par le biais d’un service public de l’emploi qui se doit à son tour d’accompagner le chômeur vers l’emploi stable en se réservant la possibilité d’obtenir une suspension de ses droits en cas de refus de participer aux programmes d’activation et de suivi individualisé (formation générale et qualifiante, emploi temporaire, aide à la santé, au logement…). Cette politique coûteuse justifie que les dépenses pour l’emploi restent élevées y compris avec un taux de chômage faible. Les conditions d’une transition réussie sont ainsi mises en œuvre. Pour autant ce retour négocié à l’emploi régulier ne préjuge de résultats équivalents pour tous en termes de positionnement sur le marché du travail. En ce sens il convient de mettre en garde contre un effet de modèle trop rapidement mis en exergue. 4 - DES LIMITES EN TERMES DE SEGMENTATION DU MARCHE DU TRAVAIL Les travaux d’évaluation de la politique de l’emploi danoise (Madsen 1999 ; Bredgaard , Jorgensen, 2000 ; Abrahamson, 2001 ) mettent en évidence une relative inertie du chômage de longue durée, tandis que le chômage global a largement décliné sur la période 1994-2000. Sur un marché du travail particulièrement fluide mais segmenté, différentes catégories de travailleurs peuvent êtres identifiées ; leur sensibilité à la politique active de l’emploi ne sera pas identique. En premier lieu, les salariés les mieux insérés, en général qualifiés, connaissent une mobilité élevée. Leur passage par le chômage le plus souvent de courte durée peut constituer une transition vers un autre emploi. Dans ce cas, le chômeur n’aura la plupart du temps pas atteint le stade de l’activation (un an d’indemnisation passive). En second lieu, les salariés plus fragiles qui eux ont recours à l’activation. Ce groupe important (un peu plus de 100 000 personnes sur 160 000 chômeurs) recouvre en fait une grande hétérogénéité. L’orientation entre les dispositifs du secteur privé et ceux du secteur public marque un premier clivage quant aux chances et à la durée du retour vers l’emploi régulier. Les emplois aidés du secteur public numériquement plus nombreux, s’adressent prioritairement aux chômeurs un peu plus éloignés du marché du travail et obtiennent des performances moindres en termes

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d’accès à l’emploi. Enfin, pour les chômeurs les plus éloignés de l’emploi, les difficultés de traitement existent bel et bien. Les publics relevant de l’assistance – dont le nombre n’a quasiment pas changé depuis 1994 - bien qu’aiguillés vers les mêmes programmes d’activation que les chômeurs titulaires de l’assurance, sont souvent orientés vers des activités de réhabilitation qui constituent un préalable à la remise au travail. Un débat social important porte sur le point de savoir si l’activation n’intervient pas trop tard pour ces publics (chômeurs dépourvus de formation professionnelle, minorités ethniques…). Les syndicats défendent la thèse du maintien d’une durée d’indemnisation passive pour tous les chômeurs au nom d’un droit assurantiel. Les services sociaux qui ont en charge l’assistance sociale (municipalités) défendent, quant à eux, la thèse d’une activation précoce ciblée sur les publics en difficulté avant la fin de la période passive officielle, celle-ci pouvant s’avérer préjudiciable au chômeur car facteur d’éloignement du marché du travail. Des comparaisons portant sur des trajectoires de bénéficiaires des programmes d’activation en 1995 montrent que 60 % des bénéficiaires qui ont un statut d’assurés sont en emploi régulier, trois ans après leur sortie du programme d’activation ; et 28 % ont des difficultés persistantes (les autres bénéficiant de préretraites) ; alors que 50 % bénéficiaires qui touchent des prestations d’assistance sont en emploi ou en formation trois ans après leur passage par l’activation et 40 % sont à nouveau dans le système d’activation (Abrahamson, 2000, cité par Barbier 2002). Au total donc, la forte cohérence d’ensemble de la politique de l’emploi et les bonnes performances d’ensemble du marché du travail s’accommode de positionnements contrastés face à l’emploi et à la mobilité.

ANNEXE Le système danois d’assurance-chômage Le système d’assurance-chômage est fondé sur le volontariat et géré par des associations privées, très proches des syndicats. Ces fonds de chômage sont organisés par branches professionnelles et doivent obtenir l’agrément de l’Etat pour voir le jour et doivent regrouper au moins 5 000 membres pour être agréés par l’Etat. Il existe actuellement 38 fonds d’assurance-chômage regroupant environ 2,4 millions de membres. Dans la mesure où la population active compte 2,9 millions de personnes, la plupart des Danois sont donc en mesure d’être potentiellement couverts contre le risque chômage. L’Etat couvre 80 % des ressources. Les 20 % restants sont à la charge des salariés et des employeurs par le biais de cotisations versées aux fonds. Pour avoir droit aux indemnités, un certain nombre de conditions doivent être remplies. - Etre affilié pendant au moins un an à un fonds avant la mise au chômage. - Avoir travaillé pendant 52 semaines au cours des trois dernières années qui ont précédé le chômage. - Etre inscrit comme demandeurs d’emploi auprès de l’Agence nationale pour l’emploi (AB). - La durée totale d’indemnisation est actuellement de quatre ans. Cette période est divisée en une période

prestation d’un an et une période active de trois ans. Le montant de l’allocation de chômage représente 90 % du dernier salaire. Les prestations sont néanmoins plafonnées à 11 300 DKK (1636,54 euros) par mois ou 136 000 DKK (19696,41 euros) par an (données 1996). Pour les jeunes en primo insertion sur le marché du travail, s’ils disposent d’une qualification professionnelle, ils bénéficient d’une allocation spéciale qui représente 82 % des prestations plafonnées, soit 9 300 DKK (1346,89 euros) par mois ou 111 600 DKK (16162,64 euros) par an. Quatre-vingt pour cent des chômeurs sont actuellement couverts par ce régime. Les autres, soit qu’ils n’aient pas pu accéder au régime d’assurance, soient qu’ils aient vu leurs droits indemnitaires s’épuiser, sont pris en charge par le système d’assistance sociale, géré par les municipalités. Les prestations délivrées sont soumises à condition de ressources et sont fonction de la composition démographique du ménage.

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PAYS-BAS : SOUPLESSE ET SECURITE EN TENSION DANS L’EMPLOI ET LES CONDITIONS DE TRAVAIL

Marie Wierink,

Mission animation de la recherche, Dares Au terme d’une décennie très active sur le plan de la réglementation des conditions de travail et d’emploi aux Pays-Bas, il est utile de donner une vue d’ensemble des dispositifs juridiques mis en place aux Pays-Bas ces dernières années pour augmenter la souplesse et la flexibilité du fonctionnement du marché du travail, tout en ménageant et la sécurité de l’emploi des salariés et la flexibilité qu’ils peuvent aussi souhaiter dans leurs conditions d’emploi ou de carrière. En effet, le besoin de souplesse n’est pas considéré aux Pays-Bas comme un besoin exclusif des entreprises, mais aussi comme un besoin des salariés lié à la diversité de leurs situations individuelles aux différents âges de la vie. Il est donc nécessaire d’élargir le regard au-delà de la loi néerlandaise « flexibilité-sécurité » de 1998 à une vue d’ensemble des nombreux dispositifs légaux et conventionnels sur ce thème, nés pour la plupart dans les années quatre-vingt-dix, qui touchent à l’emploi stable comme à l’emploi non stable (voir schéma en annexe). Il convient aussi de rappeler le contexte social et institutionnel d’ensemble. La régulation de la flexibilité des conditions d’emploi et de travail aux Pays-Bas porte la marque des caractéristiques générales néo-corporatistes : - un haut degré d’échanges et de pressions réciproques, entre gouvernement, politiques et partenaires

sociaux, typique de « l’ombre cachée de la hiérarchie » (Visser, Hemerijck , 199757) ; - de puissantes organisations de concertation, le Conseil Economique et Social (SER), organisme

tripartite, et la Fondation du travail (STAR), bipartite.

1 - QUELQUES ELEMENTS DE CADRAGE Rappelons, au plan statistique : - l’importance du travail à temps partiel, qui représente en 2000 plus de 40 % du total des emplois salariés

fixes et flexibles, dont un tiers consiste en des emplois de moins de 12 h par semaine58 ; - le poids des indépendants : 10 % des indépendants sur le total des emplois ; - celui des emplois non fixes59 : 9 % d’emplois non fixes, quelle que soit leur durée du travail. - une augmentation des emplois flexibles60 et à temps partiel nettement plus forte que celle de l’emploi

fixe à temps plein entre 1994 et 1999 (environ + 40 % contre + 8 %) ; - une sur représentation des femmes, des jeunes et des moins qualifiés dans les formes flexibles d’emploi

(contrats de travail non fixes, ou durée du travail variable) ; - enfin, une ancienneté moyenne dans un même emploi en 2000 de 9 ans en moyenne61. En outre, toute analyse du phénomène de la flexibilisation de l’emploi et des conditions de travail doit être replacée dans une vision d’ensemble de la protection sociale. Sur la population de 15 à 64 ans, on compte, à côté des personnes indemnisées au titre du chômage (189 000) au 31.12.2000, 957 000 titulaires d’une allocation d’inaptitude complète ou partielle (70 % de cas d’allocations complète) et plus de 335 000

57 Visser J, Hemerijck A., “A Dutch miracle”, Amsterdam University Press, 1997 58 Ce développement de l’emploi à temps partiel n’est pas significatif d’une détérioration de la norme d’emploi du fait des garanties juridiques qui l’entourent et de sa banalisation à tous les niveaux d’emploi 59 On trouvera plusieurs estimations statistiques différentes de l’emploi flexible, liées en partie aux différences de définition des flexibles, et au fait que certaines statistiques ne retiennent comme champ que les emplois de douze heures au moins par semaine, et d’autres, la totalité des emplois. 60 Le CBS, qui mène l’enquête annuelle Population active, considère comme flexibles les emplois à durée déterminée (intérimaires, emplois sur appel, et CDD sans perspective annoncée d’embauche) et les emplois pour lesquels aucune durée du travail n’est définie. Les emplois flexibles ont légèrement diminué ces dernières années sans qu’on puisse faire avec certitude la part de l’influence de la loi flexibilité et Sécurité et des tensions sur le marché du travail liées à la reprise d’emploi. 61 J.P. van den Toren, G. H.M. Evers, E.J. Commissarie, Flexibiliteit en zekerheid, Effecten en doeltreffenheid van Wet flexibiliteit en zekerheid, eindrapport, Berenschot en IVA, Univ. Tilburg, Elsevier, 2002. Cité plus loin comme le rapport Berenschot.

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personnes qui touchent une allocation d’assistance62. Une partie des titulaires de ces allocations échappent encore à la course à l’emploi, qu’ils soient inaptes totaux ou assistés, dispensés de recherche d’emploi, et sont ainsi peu exposés au travail précaire. La protection sociale vis-à-vis du chômage est solide avec une durée d’allocations globalement longue63 pour les personnes actives, même partiellement, depuis au moins cinq ans sur le marché du travail, et des conditions d’accès relativement faciles à remplir. 2 - LA TENSION ENTRE SOUPLESSE ET SECURITE Il est indispensable d’analyser conjointement les dispositifs de flexibilité interne et externe et leurs limites et ceux qui mettent des outils de souplesse à la disposition des salariés pour aménager leurs conditions de travail pour mesurer à leur juste importance les aménagements apportés à la gestion de l’emploi par la loi Flexibilité et sécurité. Le débat sur la flexibilité de l’emploi est ouvert dès le début des années quatre-vingt-dix sous la forme d’une mise en cause par le gouvernement Lubbers de l’autorisation administrative de licenciement encore en vigueur, accusée de rigidifier l’emploi. Deux projets de loi (1990 et 1992) proposant son abrogation seront lancés, puis retirés devant les protestations des organisations syndicales, alors que le gouvernement est occupé à faire passer d’importantes réformes de la protection sociale, prioritaires. À la même période, les partenaires sociaux signent un grand accord social, qui reprend l’accord de Wassenaar, où les préoccupations patronales de flexibilité interne de l’organisation du travail et de modération salariale sont très présentes. L’accord « Un nouveau cours », signé en novembre 1993 échangera la promesse de maîtriser les revendications salariales et d’introduire la flexibilité dans l’organisation du travail contre une acceptation patronale d’une nouvelle étape de réduction des horaires de travail (de 38 h à 36 h en moyenne) et le principe d’une plus grande association des conseils d’entreprise aux décisions. A la même époque, un document spécifique est signé encourageant le « développement de la diversité des modèles de temps de travail et du travail à temps partiel à tous les niveaux d’emploi ». A la suite de cet accord, vont être négociés de nombreux accords de branche ou d’entreprise instaurant cette réduction du temps de travail, mais introduisant en même temps des dispositifs de modulation ou de variation des horaires, rompant avec la méthode de la première étape de RTT, à savoir attribution de jours RTT. Les années quatre-vingt-dix sont le cadre d’une explosion des effectifs de salariés à temps partiel, conduisant à une prise de conscience importante à la fois de leur rôle essentiel dans la flexibilisation de l’organisation du travail dans les entreprises et de l’importance des enjeux en termes d’égalité de traitement en matière salariale et conventionnelle de la part des organisations syndicales. Couronnant des travaux menés dans de nombreuses conventions collectives, une loi sur l’interdiction de discrimination sur la base de la durée du travail 64est prise en 1996. L’entrée des femmes sur le marché du travail marque la manifestation d’une formidable transformation du mode de vie, et l’ouverture d’un débat sur la combinaison des charges professionnelles et familiales et sur le besoin de souplesse des salariés dans l’organisation de leur vie. L’arrivée au pouvoir en 1994 du premier gouvernement violet rassemblant les travaillistes Pdva, les réformateurs de gauche (D 66) et les libéraux du VVD va changer la donne au niveau politique et permettre d’engager des réformes touchant aux temps de travail (loi sur la durée du travail et loi sur les commerces) et augmentant les possibilités de flexibilité interne de l’organisation, plus facilement qu’avec les confessionnels du CDA. La loi sur les temps de travail65 (1996) augmente les possibilités de flexibilisation de la durée du travail, par le recours aux heures supplémentaires, au travail de soirée, de nuit, du dimanche. La loi sur l’ouverture des commerces66, adoptée en 1996, abroge une réglementation à caractère économique des années 30 modifiée en 1976, qui restreignait le temps d’ouverture dans une optique de préservation de la concurrence et de la vie privée des salariés. 62 50 % du salaire minimum pour une personne seule, 70 % pour un parent célibataire, 100 % pour un ménage ; salaire minimum, 1102 euros net au 1/7/2002. 63 Allocations proportionnelles au dernier salaire versées de 6 mois à 5 ans, selon le nombre d’années d’activités. 64 Wet verbod van onderscheid naar arbeidsduur, applicable au 1er novembre 1996 65 Arbeidstijdenwet, adoptée le 23 novembre 1995, applicable au 1er janvier 1996

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Très vite, le gouvernement va faire savoir aux partenaires sociaux qu’il est prêt à renoncer au projet de suppression de l’autorisation administrative de licenciement si des propositions lui sont faites pour réformer cette procédure de licenciement et assouplir le fonctionnement du marché du travail. Les partenaires sociaux vont engager des discussions qui vont mener à l’accord d’avril 1995, dit « flexibilité et sécurité67 », et à un accord spécifique à la branche de l’intérim, repris quelques mois plus tard quasi-intégralement par le gouvernement dans la loi du même nom, applicable au 1er janvier 1998, et que nous allons analyser plus loin.. En complément à la loi flexibilité et sécurité, une loi sur les intermédiaires du marché du travail68 entre en application au 1er juillet 1998. Cette loi apporte un assouplissement supplémentaire à la flexibilisation du marché du travail en supprimant le régime de l’autorisation auquel étaient jusque-là soumises les entreprises de travail temporaire. En contrepoint aux lois qui modernisent le cadre temporel d’activité des entreprises (loi sur le temps de travail et loi sur les commerces), deux lois renforçant les droits individuels des salariés sur leur temps de travail verront le jour. Elles visent à augmenter la maîtrise des salariés sur leurs temps de vie, et par là même la sécurité d’organisation de leur vie quotidienne. La première, adoptée en février 2000, est la loi sur le droit à l’adaptation du temps de travail69, donnant le droit à tout salarié d’une entreprise de 10 personnes au moins à réduire ou augmenter sa durée du travail et à discuter de sa répartition, sauf difficulté majeure tenant à l’exploitation de l’entreprise que l’employeur devra motiver par écrit. La seconde vient d’être adoptée le 3 décembre 2002 et modifie la loi sur les temps de travail, en augmentant le pouvoir des salariés sur leurs horaires de travail70. Elle pose le principe de la nécessité de l’accord des salariés pour travailler le dimanche dans le cas où le travail du dimanche ne découle pas de la nature des activités, et exige de l’employeur qu’il applique des plannings de travail stables et réguliers « dans toute la mesure du raisonnable ». Enfin, les années quatre-vingt-dix ont été le cadre de plusieurs expériences originales71 à l’initiative des partenaires sociaux de quelques secteurs, où les préoccupations de gestion de l’irrégularité de la charge de travail sont importantes. Des branches comme la construction navale, ou les transports routiers, des grandes entreprises ont mis en place des structures employant en fixe des salariés destinés à être mis à disposition des entreprises de la branche ou des établissements. Il s’agit d’internaliser à un niveau plus large les effectifs nécessaires à la flexibilité externe des utilisateurs. On peut penser qu’à l’échelle des organisations patronales comme syndicales, ces expériences ont participé de l’apprentissage social d’une prise en compte conjointe des soucis de flexibilité et de sécurité. 3 - LA LOI FLEXIBILITE ET SECURITE : UN ENSEMBLE QUI REVISE CONJOINTEMENT LES CONDITIONS DE L’EMPLOI STABLE ET INSTABLE Replacée dans ce cadre général, voyons maintenant plus précisément l’économie de la loi flexibilité et sécurité. Il s’agit tout d’abord d’un instrument destiné clairement à faciliter les ajustements numériques de personnel des entreprises, tout en clarifiant au plan juridique la situation des salariés appelés à constituer les renforts, en augmentant le cas échéant la stabilité de leur emploi. Basée sur un avis unanime de la Fondation du travail du 3 avril 1996, elle comprend également deux accords de branche sur l’intérim signés avec les deux organisations patronales du secteur (ABU et NBBU) ; il a été prévu de présenter une évaluation des effets de la loi trois ans après son application (rapport Berenschot, février 2002). Un principe majeur de la loi

66 Winkeltijdenwet 67 Wet Flexibiliteit en Zekerheid, applicable au 1er janvier 1998 ; cf. T. Wilthage, R. Rogowski, « The legal regulation of transitional labour markets », in G. Schmidt, B. Gazier, 2002, The dynamics of full employment, social integration through transitional labour markets, Edward Publishing Ltd, Cheltenham, et Wierink M. « La flexibilité négociée », Chronique Internationale de l’Ires, n° 50, janvier 1998. 68 Wet allocatie arbeidskrachten door intermediairs, applicable au 1er juillet 1998 69 Wet aanpassing arbeidsduur, votée le 8 février 2000, applicable au 1er juillet 2000 ; cf. Wierink M., « Temps de travail : le droit de choisir », Chronique Internationale de l’Ires, n° 63, mars 2000. 70 Wet verruiming van zeggenschap van werknemers over arbeidstijden, votée le 3 décembre 2002 ; en mai 2003, le décret d’application n’est pas encore publié. 71 GPDW dans les transports routiers, Deltametal dans les chantiers navals, SHB au Port de Rotterdam par ex. Cf. M. Wierink, « Un dispositif paritaire de flexibilité de l’emploi dans les transports routiers », Chronique Internationale de l’Ires, mai 1993.

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flexibilité et sécurité tient au fait qu’il est possible de déroger à la plupart de ses dispositions soit par accord de branche soit par accord d’entreprise, éventuellement passé avec le conseil d’entreprise. - Premier volet : le contrat de travail et sa rupture Certaines dispositions visent à renforcer la sécurité juridique du contrat de travail, dans les cas ambigus de travail prétendu indépendant, sous subordination étroite, par la requalification en contrat de travail et par la revalorisation de certains contrats à temps partiel, inférieurs aux durées du travail réellement pratiquée. Du point de vue du licenciement, l’autorisation administrative de licenciement, enjeu essentiel des négociations, est maintenue, mais un certain nombre de dispositions sont introduites pour simplifier et raccourcir la procédure et égaliser la situation des personnes licenciées par cette voie en comparaison de celles dont le contrat est rompu par résiliation judiciaire72. - Deuxième volet : le contrat à durée déterminée Limité antérieurement à un renouvellement dans la limite de 12 mois consécutifs, le CDD peut maintenant être conclu pour trois ans maximum, ou être renouvelé deux fois, soit au total 3 contrats, pour une durée maximale de trois ans. La loi néerlandaise ne connaît pas de restriction de motif, pas plus que dans le cas de l’intérim. Au-delà de ce délai de trois ans, ou du troisième contrat, la relation de travail est requalifiée en contrat à durée indéterminée. Dans le cadre des CDD, le cas des travailleurs sur appel est traité spécialement. Forme particulière d’emploi sans aucune garantie de travail ni de rémunération, le travail sur appel est soumis à la plus grande incertitude. La loi introduit donc une sécurité de revenus, minimale, prévoyant que dans le cas où le contrat ne prévoit pas au moins 15 h de travail par semaine, aucune séance de travail ne puisse être rémunérée moins de 3 h. - Troisième volet : l’intérim Enfin, l’intérim constitue le volet le plus original de la loi. Il faut distinguer les dispositions minimales de la loi et le complément qui y est apporté par les deux accords conventionnels de l’intérim. Plus aucune limitation de durée n’existe pour les missions. La loi a prévu un régime particulier pour les contrats de travail à durée déterminée que passent les ETT avec les intérimaires pendant les 26 premières semaines : chaque CDD est réputé coller à la durée de la mission, et le nombre de ces CDD n’est pas limité à trois ; à l’issue de ces 26 premières semaines, le droit commun des CDD puis des CDI s’applique. Les dérogations négociées par les partenaires sociaux de l’intérim ont instauré un système de phases successives qui visent à retarder le moment où la transformation du contrat de l’intérimaire avec l’ETT devient permanent. Mais dans tous les cas, le passage théorique au stade du CDI avec l ‘ETT est raccourci, par rapport à la durée maximale d’un CDD de trois ans. Le dispositif mis en place est original, visant à stabiliser la relation d’emploi d’un salarié d’une ETT, tout en assurant la flexibilité externe des entreprises utilisatrices. Dans les faits, le passage à la pérennisation de l’emploi n’est pas offert à tous, et une sélectivité certaine est exercée par les ETT, qui laisse de côté les moins qualifiés et les plus substituables des intérimaires. En conclusion, cette loi a augmenté la sécurité juridique des salariés, sans qu’ils se soient encore emparé en nombre de ses possibilités. Elle n’a pas conduit à des changements nets de volume de main-d’œuvre flexible, mais la conjoncture favorable au développement de l’emploi sur les années où a été conduite l’évaluation interdit de formuler une appréciation nette sur ce point. Si, au-delà de cette loi Flexibilité et sécurité, l’on réintègre dans l’analyse les textes récents modernisant la durée du travail et ceux qui conférent de nouveaux droits aux salariés en ce domaine, ainsi que les accords collectifs complémentaires ou dérogatoires, on constate que l’approche néerlandaise fait droit aussi bien aux besoins de flexibilité de gestion des entreprises qu’à ceux de souplesse des salariés dans l’organisation de leur vie professionnelle et privée, tout en s’appuyant pour la sécurisation des trajectoires des salariés sur des dispositifs de protection sociale solides.

72 En 1998, le nombre des résolutions judiciaires a dépassé le nombre de demandes d’autorisation de licenciement (Berenschot op. cit).

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Panorama des outils de flexibilité et de sécurité des conditions d’emploi aux Pays-Bas

(Décembre 2002)

Entreprises Souplesse de gestion

Salariés Sécurité et souplesse des conditions

d’emploi et de travail

Loi sur les temps de travail (1996)

Loi sur l’égalité de traitement entre les salariés à temps plein et à temps partiel (1996) *

Loi sur les temps d’ouverture des commerces (1996)

Loi sur le droit à l’adaptation du temps de travail (2000) *

Loi sur l’augmentation du pouvoir du salarié sur ses horaires de travail et sur le travail du dimanche (2002) *

Accords prévoyant RTT et réorganisation et modulation des horaires de travail (1994/1995)

suite à accord de la Fondation du travail de 1993

Flexibilité interne

Développement du travail à temps partiel et de la polyvalence (années 1990 et s. et déclaration de la Fondation du travail de 1993 en faveur du développement de nouveaux modèles de temps de travail)

Loi Flexibilité et sécurité (1998)

Initiatives paritaires de mise en place de structures de mise à disposition de personnel au

niveau de branches ou d’entreprises (années 1990)

Flexibilité externe

Loi sur les intermédiaires du marché du travail (1998)

* Ces lois s’appliquent également aux contrats à durée limitée, mais sont en pratique plus facilement mobilisables en CDI.

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4.2 – PRATIQUES D’ENTREPRISES

CONCILIER ADAPTATION PERMANENTE DE L’EMPLOI ET DES COMPETENCES ET SECURITE

DES TRAJECTOIRES PROFESSIONNELLES ? Réflexion autour de la politique d'implication locale de Saint-Gobain

Marie RAVEYRE

IRES (Institut de Recherches Economiques et Sociales) L'évolution des systèmes de travail et d'emploi des dernières décennies est marquée par un accroissement global de flexibilité. Les restructurations et les réductions d'effectifs récurrentes des entreprises, le recours accru aux contrats à durée déterminée et autres « formes particulières d'emploi »73, mais aussi la recherche d'un renouvellement constant des qualifications et des compétences, se traduisent par une plus grande instabilité de l'emploi et des trajectoires professionnelles des salariés. Dès lors, la question des moyens d'assurer une certaine sécurité à ces derniers se pose avec une acuité ravivée et dans des termes relativement nouveaux. En effet, il s'agit moins désormais de prévoir des mesures pour palier des désajustements ponctuels, mais plus fondamentalement de s'interroger sur les moyens d'agir dans la durée. C'est en ce sens que l'on peut interpréter nombres de réflexions actuelles autour de la définition des politiques publiques d'emploi, ainsi que celles conduites, notamment par des juristes, sur la question de la modification des cadres réglementaires, avec des débats portant sur des thèmes comme : « le contrat d'activité », "les droits de tirages sociaux" ou encore l'extension de la responsabilité sociale des entreprises74. Si le rôle de l'Etat et le droit se trouvent en première ligne des analyses, les pratiques des entreprises en la matière paraissent peu explorées. Or, il convient de ne pas oublier que les entreprises ne peuvent être réduites au modèle néoclassique de l'agent s'en remettant à la seule loi du marché, pour lequel la gestion de la flexibilité de l'emploi ne se pose pas, puisque résultant du libre échange entre offre et demande de travail. Les entreprises ne constituent pas un acteur unifié, leurs stratégies sont variées et, dès lors, la question se pose de savoir comment elles traitent ces questions. Afin de contribuer à la réflexion sur les possibilités de mieux concilier flexibilité et sécurité de l'emploi, je proposerais donc ici de porter l'attention sur des pratiques d'entreprises, à partir de l'étude de la politique d'implication locale du groupe Saint-Gobain75. Le cas de Saint-Gobain ne saurait être représentatif des comportements des entreprises, mais il permet d'étudier une expérience intéressante à bien des égards, et de dégager, à titre prospectif, des pistes quant aux potentialités de telles démarches..76 La politique d'implication locale de Saint-Gobain, mise en place lors de restructurations industrielles, avait pour premier objectif d'amortir les effets des fermetures d'établissements sur les territoires afin de faciliter le reclassement des salariés et la conversion des sites industriels. Dans cette perspective, des dispositifs de soutien à la création d'emplois et aux tissus économiques locaux ont été élaborés. D'interventions dans l'urgence "à chaud" pour faciliter le reclassement des salariés, cette politique devient plus préventive et est généralisée à tout le territoire national. Elle se présente, dès lors, comme un outil de gestion des ressources humaines : elle tend à soutenir une adaptation permanente des effectifs et des compétences en opérant des équilibrages au niveau des bassins d'emploi. Cette démarche se présente donc comme une tentative de

73 CF : Michon 1981. “Dualism and the french labor market.Business startegy, non standard job forms and secondary jobs”, in Wilkinson F. 74 voir notamment Boissonat (1995, Le travail dans vingt ans, Odile jacob), Morin (2001,"Les frontières de l'entreprise et la responsabilité sociale de l'emploi", Droit Social), Supiot (1999, Au-delà de l'emploi, Flammarion) 75 Cet article s'appuie sur les observations que nous avons réalisées lors de deux recherches , Raveyre, (1999, Les grandes entreprises acteurs du développement local. DARES-Commissariat au Plan ; 1988, Jeux de Miroirs - L'aide de Saint-Gobain Développement aux PME-, GLYSI-CNRS. 76On rappellera, que si le cas de Saint-Gobain est spécifique, elle n'est cependant pas isolée, de nombreuses grandes entreprises se sont engagées dans ce type politique d'implication locale, à des degrés divers et suivant des modalité spécifiques. Une étude systématique de ces pratiques reste à réaliser. Rares sont les recherches réalisées sur ces politiques, parmi lesquelles on retiendra, J. Freyssinet (1982, Les politiques d'emploi des grands groupes français, PUG). DATAR (1997, Grandes entreprises et appui au développement économique local, La Documentation Française)

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gestion de la flexibilité de l'emploi : elle tend à accroître la mobilité de la main d'œuvre tout en limitant les licenciement et en soutenant les transitions professionnelles des salariés. Après avoir précisé les grandes orientations de la politique d'implication locale Saint-Gobain en mettant en évidence en quoi celle-ci se présente comme un accompagnement de la flexibilité de l'emploi, j’aborderai la question de l'évaluation de ce type de démarche. 1 - L'IMPLICATION LOCALE DE SAINT-GOBAIN COMME MOYEN DE GERER L'ADAPTATION DES EFFECTIFS ET DES COMPETENCES AU NIVEAU DES BASSINS D'EMPLOI. La politique d’implication locale de Saint-Gobain, née d'expérimentations empiriques sur le terrain, a suivi une évolution constante et graduelle. Si elle a été souvent un objet de polémiques au sein du groupe, elle apparaît cependant de plus en plus intégrée à la politique de gestion des ressources humaines. 11- Éviter les licenciements et faciliter les reclassements À la fin des années soixante-dix, Saint-Gobain, s'engage dans des restructurations lourdes. Compte tenu des prévisions de suppressions d'emplois au sein du groupe en France, les outils classiques de gestion des sureffectifs (préretraites, mutations) se montrent insuffisants, aussi, Saint-Gobain encourage le reclassement externe, en soutenant l'essaimage et l'embauche de ses salariés dans les entreprises environnantes. C'est dans ce contexte que le groupe lance ses appuis au développement local. L'objectif de cette politique est de contribuer à assurer l'avenir économique des territoires desquels le groupe se désengage et de soutenir la création d'emplois. Saint-Gobain élabore un dispositif d'appui aux PME. Il propose une aide financière à la création d'emploi, sous forme de prêts. Une "convention" est établie avec l'entreprise, comportant un engagement sur un nombre d'emploi à créer et la possibilité de transformer le prêt en subvention en cas d'embauche de salariés de Saint-Gobain. Des appuis qualitatifs sont mis à disposition des PME : conseils techniques, organisationnels, commerciaux... Par ailleurs, le groupe développe des partenariats avec les acteurs locaux : mise en place de zones d'activités, centres techniques, formations...etc. Dès le début des années quatre-vingt, cette démarche devient plus préventive, avec des interventions en amont des plans sociaux. L'appui au développement local est instauré en politique systématique, sur tous les sites devant être touchés à plus ou moins brève échéance par des restructurations, et, sans se limiter au reclassement des salariés, il s'agit de mieux assurer la reconversion de l'ensemble du personnel des établissements devant à terme réduire leur effectif. Un suivi est proposé à ces derniers,, avec des conseils individuels en orientation. Par ailleurs, des postes disponibles sont prospectés, à l'intérieur de Saint-Gobain et auprès d'entreprises extérieures, en particuliers celles en "convention", afin de les proposer aux salariés. Parallèlement, des aides à la création d'entreprise sont développées pour ceux-ci. L'objectif est, sans se limiter au reclassement des salariés concernés par un licenciement, de soutenir l'adaptation professionnelle et la réorientation du personnel des unités afin d'encourager le volontariat à la mobilité interne et externe. Ainsi, des personnes peuvent se réorienter, compléter leur formation, changer d'emploi (à l'intérieur ou à l'extérieur du groupe), hors situation de plan social ; ce qui peut permettre dans certains cas d'éviter un plan social, ou du moins d'en réduire l'ampleur. Cette politique d'implication locale, évite donc des mises au chômage massives en facilitant le retour à l'emploi des salariés. Au-delà de ce premier effet, elle vise, dans une perspective à plus long terme, à entretenir un vivier d'activités et d'emplois propice à la mobilité externe des salariés. Plutôt que d'avoir à traiter au coup par coup des masses de reclassements, il s'agit, par ce moyen, de soutenir des flux de reconversions plus diffus en amont des situations de crises manifestes. 12- Assurer la recomposition de l'emploi en soutenant la mobilité interne et externe. Alors que les grandes restructurations touchent à leur fin, après une période d'incertitude quant au maintien de la politique locale, celle-ci est finalement généralisée, en 1986, à l'ensemble des sites où le groupe est présent en France. Les fermetures d'établissements deviennent plus rares, la tendance est plutôt à présent au redéploiement du groupe. Par ailleurs, l'accélération des changements techniques se traduisent par une transformation des systèmes de travail, avec une redéfinition des qualifications. Plus que de gérer des masses de sureffectifs, il s'agit désormais pour Saint-Gobain d'accroître la fluidité de l'emploi, afin d'adapter en continu les effectifs et les compétences aux mouvements de recomposition des activités du groupe. La question du renouvellement et de la main-d’œuvre se pose d'autant plus que Saint-Gobain se trouve alors

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face à un problème de déséquilibre de la pyramide des âges et de la structure des qualifications. En effet, les réductions d'effectifs de la période précédente ont reposé sur des recours fréquents à des mesures préretraites. Plus que d'amortir les désengagements du groupe, l’implication locale, vise désormais à une "dynamisation d'ensemble des tissus économiques locaux", afin de soutenir la mobilité de la main d'œuvre entre le groupe et les bassins d'emplois. L'objectif est surtout de soutenir en continu l'adaptation quantitative et qualitative de l'emploi des établissements, en encourageant les départs volontaires et en soutenant la mobilité géographique et professionnelle, interne et externe. Ainsi, l'aide à l'essaimage et les disponibilités de postes collectées sur les sites sont proposées à tous les salariés, qu'ils appartiennent ou non à des unités en réductions d'effectifs, ainsi qu'aux salariés en contrats à durée déterminée. Ces appuis peuvent aussi bénéficier aux familles des salariés, notamment pour faciliter les mutations internes. En effet, la difficulté à trouver un emploi pour le conjoint sur le site de la nouvelle affectation du salarié peut constituer un frein à la mobilité. Les actions dans le domaine de la formation, en collaboration avec les acteurs locaux, s'amplifient : créations de formations continues ; ouverture de stage de Saint-Gobain au personnel de PME...etc. En soutenant les dispositifs de formation locaux il s'agit d'adapter les compétences de la main-d'œuvre aux besoins des établissements, et aussi, de donner au personnel des perspectives de progressions professionnelles tant dans le groupe qu'à l'extérieur de celui-ci La politique d’implication locale s'inscrit donc ici dans une perspective plus générale de soutien à la mobilité dans les bassins d'emploi. Elle facilite la sortie de salariés du groupe, le renouvellement des compétences et aussi les recrutements. Au-delà de la gestion des sureffectifs, cette politique se présente comme un outil au service de la gestion courante des ressources humaines du groupe, avec pour objectif d'accompagner en permanence l'adaptation du travail et de l'emploi, en soutenant en continu la mobilité interne et externe des salariés. Sans se limiter à des questions de flux d'emplois, c'est aussi des questions de gestion des compétences qu'il s'agit de traiter, et ceci, pour partie, de façon conjointe avec les acteurs locaux. En s'efforçant de soutenir l'adaptation permanente des compétences tout en garantissant mieux leur transférabilité interentreprises, on peut voir ici se dessiner une démarche allant dans le sens d'une pérennisation des trajectoires professionnelles des salariés. 2 - ELEMENTS D'EVALUATION. L'étude de Saint-Gobain, permet de dégager, à titre prospectif, plusieurs pistes de réflexion quant aux potentialités de telles politiques d’implication locale. Si ces dernières ont des effets directs plus ou moins quantifiables, elles ont aussi un impact immatériel, différé, diffus. Elles ont pour originalité de miser sur des synergies dépassant les frontières de l'entreprise, par le développement de partenariats avec les acteurs économiques, politiques et institutionnels locaux. En cela, elles soulèvent des questions spécifiques et leur évaluation échappe pour une large part aux outils d'évaluation classiques. 21 - Des reclassements à la pérennisation des parcours professionnels. En prenant en compte à la fois les effets sociaux et économiques des restructurations, cette démarche s’inscrit même lorsque les interventions sont ponctuelles, dans des perspectives de plus longue portée. En limitant les impacts négatifs sur les bassins d'emploi elle améliore les possibilités de reclassements des salariés ; de façon directe, par des dispositifs d'incitation à l'embauche, et indirecte, par effet d'entraînement sur l'emploi du site. Cette démarche réduit les licenciements, facilite les reconversions, mais aussi, concourt à la pérennisation des parcours professionnels des salariés, tant à l'intérieur du groupe qu'à l'extérieur de celui-ci. Par ailleurs, la multiplication d'actions en partenariats, outre la réalisation d'actions communes spécifiques, favorise le renforcement des liens avec les acteurs locaux : services publics de l'emploi, structures de formation, PME, cabinets de recrutement, collectivités territoriales, chambres de commerce, syndicats professionnels, associations diverses, experts...etc. Ce réseau de relations permet d'accéder à des ressources de diverses natures et de mobiliser des compétences de multiples acteurs77. Ainsi, le groupe se donne la possibilité d'élaborer des dispositifs d'accompagnement individuel de meilleure qualité, ce qui peut se révéler

77 comme l'a montré Granovetter (1974, Getting a job, Harvard University Press), les réseaux de relations peuvent être déterminants sur le marché du travail. Mais ici il ne s'agit pas de réseaux interpersonnels de parenté ou d'amitié.

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un apport particulièrement utiles pour les personnes, notamment celles qui se trouvent en position fragile sur le marché du travail du fait de leur qualification insuffisante, de leur âge, ou de leur faible capacité de mobilité géographique. Cette démarche est donc susceptible de permettre des ajustements plus fins et moins générateurs d'exclusion, et c'est aussi en ce sens qu'elle peut effectivement contribuer à mieux sécuriser les trajectoires professionnelles. Ceci ne va pas sans soulever de nombreuses questions. Tout d'abord, si l'on constate l'existence de telles démarches, reste à savoir comment encourager, inciter, les entreprises à s'y engager, sachant que cette méthode s'apparente souvent à un "travail de fourmis", pas toujours visible et prenant du temps ; la "prime à la valise" demeurant toujours une moyen tentant. Par ailleurs, quelles garanties ont les salariés de bénéficier d'un accompagnement effectif, de trouver un emploi de qualité et de préserver leurs acquis sociaux ? Cette mobilité, même réussie, n'en constitue-t-elle pas moins une épreuve difficile à vivre78? Ces questions se posent d'autant plus que, notamment lorsqu'on se trouve hors situation de plan social, ces dispositifs d'accompagnements n'entrent pas dans les cadres prévus des négociations collectives, ce qui rend l'intervention des représentants du personnel problématique79. D'un point de vue plus général se trouve posée la question des cadres juridiques, non seulement en ce qui concerne les reconversions, mais aussi ces formes de mobilités et de transitions professionnelles interentreprises.. 2.2 - Vers une amélioration du fonctionnement des marchés locaux du travail. Au delà des aides directes à l'emploi que peuvent apporter les entreprises (créations d'emploi dans les PME, reconversions de salariés, ...etc.), notre hypothèse est que ces politiques peuvent contribuer à améliorer les échanges sur les marchés locaux du travail, en soutenant la mise en place "d’intermédiaires"80 spécifiques : des intermédiations en réseaux, fondées sur des coopérations avec les acteurs économiques, politiques et institutionnels locaux81. En effet, ces implications locales concourent à renforcer les liens entre les entreprises et le marché du travail, ainsi qu'entre les acteurs publics et les entreprises, deux types de liens qui paraissent particulièrement insuffisants dans la période actuelle. Souvent les entreprises disposent de peu d'information sur le marché du travail et manquent d'outils d'intermédiations, ce qui risque de rendre les échanges rigides et moins efficaces : toute opération de gestion de l'emploi tendant à être effectuée de façon "aveugle". De même, le manque de coordination entre organismes d'Etat et entreprises freine les échanges ainsi que la conduite des politiques publiques d'emploi. Aussi, le développement d'un maillage de liens entre les acteurs privés et publics du territoire soutient une circulation d'informations plus riche, s'appuyant sur des critères d'évaluation, des candidats et des postes, moins visibles, qui ne pourraient être appréhendés à distance par des moyens codifiés : CV, annonces d'offre d'emploi, etc. Par un renforcement de la coordination des acteurs internes et externes au groupe, une amélioration de la circulation d'informations entre ceux-ci, une prise en compte plus fine des spécificités des sites, ce serait donc à l'amélioration du fonctionnement du marché du travail que peuvent contribuer ces politiques. Dans ce cadre, la flexibilité de l'emploi peut se réaliser à moindre dommage ; l’ajustement entre offre et demande d’emploi devant ainsi se trouver facilité, et partant les risques de chômage frictionnel. Toutefois, les interventions en faveur du développement local des groupes ne génèrent pas systématiquement une telle intermédiation en réseau. Celle-ci suppose l'implication effective dans des coopérations et l'engagement dans des démarches qualitatives dans la durée. On remarquera, notamment, que si le groupe se limite a des aides financières à la création d'emploi dans les PME, son intervention consistera à diminuer le coût du travail pour ces entreprises. S'apparentant à de simples subventions, ceci ne conduit pas nécessairement à la mise en place de coopérations durables avec les acteurs locaux. Notre hypothèse est que plus que des aides financières directes, l'efficacité de ces politiques réside dans leur capacité à s'inscrire dans de telles dynamiques d'échanges en réseau.

78 Voir notamment Perilleux 2001, Les tensions de la flexibilité, Desclée de Brouwer. 79 Les récentes dispositions adoptées en France en 2003 sur "les accords de méthodes" se présentent comme une tentative de réponse partielle à cette question. 80 Bessy , Eymard-Duvernay ,(1997, Les intermédiaires du marché du travail, PUF.. 81 Raveyre (2001, "Implication territoriale des groupes et gestion du travail et de l'emploi.", La Revue de l'IRES)..

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CONCLUSION Comme l’illustre l’exemple de Saint-Gobain, la politique d’implication locale se présente, à bien des égards, comme un moyen potentiel de mieux concilier flexibilité et sécurité de l'emploi. Elle peut soutenir la reconversion des salariés et contribuer à mieux assurer leur parcours professionnel, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe. Par ailleurs, en s'inscrivant dans des synergies de partenariats en réseaux, elle peut contribuer à améliorer les échanges sur les marchés locaux du travail, ce qui est susceptible, de façon plus générale, de concourir à assurer une meilleure fluidité du marché, rendant ainsi les transitions professionnelles interentreprises moins risquées. Si ce type de politiques peut avoir des effets positifs sur l'emploi, on peut faire l'hypothèse qu'elle se révélerait aussi utile au regard même des enjeux stratégiques des groupes82. En effet, ceux-ci peuvent se donner ainsi la possibilité de gérer plus aisément, en continu, l'adaptation de l'emploi et du travail de leurs établissements, tout en limitant les risques de tensions sociales et de détérioration des relations avec les acteurs locaux.. Cette démarche semble propre à apporter des éléments de réponse aux tensions qui traversent actuellement la gestion des ressources humaines des grandes entreprises, à savoir : concilier flexibilité de l'emploi, renouvellement des compétences et mobilisation des salariés. Au demeurant, ces démarches soulèvent de nombreuses questions. Ayant, pour une large part, un impact indirect et immatériel, elles sont difficiles à évaluer par des outils classiques. Cette implication locale suppose des actions dépassant le court terme et l'inscription dans des échanges en réseaux, pour lesquels la question de l'évaluation reste entière. Par ailleurs, ces politiques sortent des formes habituelles de contractualisation et de négociation collective et soulèvent des interrogations quant aux modes d'actions à adopter par les partenaires sociaux et les Pouvoir Publics. Pour ces derniers se pose, en outre, la question difficile des moyens à mettre en place pour éventuellement inciter les entreprises à s'engager dans de telles démarches, ainsi que des méthodes propres à en assurer le suivi. Il me semble que l'une des façons de progresser sur ces différents aspects est en premier lieu d'approfondir l'analyse de ces politiques des groupes, insuffisamment étudiées, en s'interrogeant plus particulièrement sur les motifs ayant pu conduire les entreprises à s'impliquer dans de telles démarches et en explorant la diversité des pratiques des entreprises.

82 Cette hypothèse rejoint l'idée que les transformations actuelles du monde économique, se traduisent par un renouveau de l'espace local comme lieu d'ajustement, un renaissance des "économies-territoires" Veltz (2002 Des lieux et des liens, Editions de L'Aube).

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NÉGOCIER LE RENOUVELLEMENT DES GENERATIONS

François Cochet, Directeur ALPHA CONSEIL Les données de cette intervention sont notamment issues de l’ouvrage : « La révolution de l’emploi – Les nouveaux enjeux de la négociation sociale dans l’entreprise », par François Cochet et Philippe Gervais, Editions de l’Atelier - 2001 1 - UN RISQUE QUALITATIF ENCORE MAL IDENTIFIE À partir de 2006 le marché de l’emploi sera amputé par le reflux de la vague démographique liée au départ en retraite des enfants du Baby boom. Depuis le milieu des années 1960, des générations nombreuses sont arrivées aux portes des entreprises. Désormais, le nombre de jeunes qui entrent sur le marché du travail sera moins important que le nombre de salariés partant en retraite. Ces futurs départs sont d’abord perçus par les entreprises comme une facilité théorique pour gérer les effectifs en « douceur », et le classique « plan social » vivrait ses dernières années… Mais très peu d’entreprises ont pris la mesure des problèmes qualitatifs auxquels elles vont être confrontées. Rares sont aussi les syndicalistes conscients des problèmes. Pourtant, les données analysées à travers les missions d’expertise que nous demandent nos clients (dans le cadre des articles L 434-6 et L 236-9 du code du Travail), comités d’entreprises et comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), sont éloquentes dès lors qu’il est possible de « zoomer » au niveau de certains établissements. Asséchés par le bas, en raison du gel des embauches observé depuis parfois très longtemps, écrêtés à la suite des préretraites et de la mise sur la touche des salariés les plus anciens, les effectifs de nombre d’entreprises présentent une surreprésentation des catégories de salariés dont les âges se situent entre 45 et 55 ans. Dans certains établissements industriels, mais aussi tertiaires, ces 10 classes d’âge peuvent représenter jusqu’à 60 à 70 % de l’effectif total (voir page suivante). Il existe donc bien un risque « naturel » de démantèlement accéléré des collectifs de travail, qui ont certes vieillis, mais sont stables.

Pyramide des âges et anciennetés du personnel ouvrier d’un établissement industriel

Effectif ouvrier par année de naissance

0

2

4

6

8

10

12

14

16

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45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80

Les 10 classes d’âge les plus âgées représentent 2/3 de l’effectif

Les moins de 41 ans sont aussi nombreux que les 3 classes d’âges les plus âgées

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Effectif ouvrier par année d'entrée

0

5

10

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20

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61 62 63 64 65 66 67 68 69 70 71 72 73 74 75 76 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00

Cet effet de grossissement prend des formes encore plus préoccupantes au niveau de certains services ou par rapport à des compétences-clés, dont le renouvellement est loin d’être assuré. Prenons l’exemple de cette usine où il y avait toujours eu, autrefois, un apprenti dans les équipes de maintenance. Sur les conseils des anciens, celui-ci réalisait des interventions acrobatiques dans les endroits les plus invraisemblables. La crise venue, l’entreprise a stoppé net ses recrutements. “ Regardez, nous ont expliqué les ouvriers, plus personne de notre entreprise n’est capable de passer par ces "trous d’homme", quand il faut y aller pour les opérations de maintenance” (ils n’ont plus l’agilité physique nécessaire). Conséquence : même dans les périodes d’économies drastiques, cette équipe a toujours été dotée d’un jeune intérimaire svelte se substituant à l’ « arpette » d’autrefois. Mais les intérimaires n’ont fait que passer. Quand cette équipe partira à la retraite, très prochainement, les connaissances indispensables pour ces réparations quitteront aussi l’entreprise. Ce phénomène ne concerne pas que la maintenance. Dans une petite entreprise fabriquant des disques de coupe pour les minéraux, c’est le diagnostic réalisé à l’occasion du passage aux 35 heures qui a mis en évidence le problème. Pour les grandes dimensions, l’opération de « planage » n’est pas automatisable. Entièrement basée sur l’expérience et le savoir-faire, elle suppose au minimum 18 mois d’apprentissage et certains salariés n’y arrivent jamais. Or, sur un effectif total de quarante personnes, quatre ouvriers seulement maîtrisent l’opération. Le plus jeune avait 55 ans, le plus âgé 58 ans ! Dans ce contexte, le premier enjeu stratégique de cette entreprise devenait de réussir la transmission de savoir-faire à des jeunes et de trouver les moyens de les conserver à l’effectif après leur formation. Parfois, c’est l’ensemble d’un service qui se retrouve dans cette situation avec l’immense majorité des salariés statutaires concentrés sur quelques classes d’âges, les quelques jeunes restant cantonnés dans des statuts précaires. Le tableau-ci après détaille les caractéristiques du service Laboratoire d’un grand site chimique : Classes d’âges Effectif Statut De 51 à 58 ans 30 CDI De 44 à 49 ans 12 CDI De 34 à 38 ans 3 CDI < 30 ans 5 1 ingénieur CDI

4 précaires

67 % des ouvriers sont entrés entre 1968 et 1976 (en 9 ans). 5 % des ouvriers sont entrés entre 1981 et 1994 (en 14 ans).

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2 - DES ACQUIS PROFESSIONNELS DONT LA TRANSMISSION EST DIFFICILE Les raisons qui expliquent ces situations sont bien connues. Confrontées à la nécessité de gains de productivité importants, les entreprises se sont modernisées et réorganisées avec comme première conséquence l’arrêt des embauches, mais aussi la sortie progressive des personnels qui avaient le plus de difficulté à s’adapter. Ce processus a conduit à une caractéristique de ces personnels que l’on identifie moins : ils sont « les survivants » d’un long processus de sélection. Ils ont dû s’adapter, ce qui les a dotés de qualités spécifiques rendant plus complexe la question de leur remplacement. Deux exemples : 1. Une employée de sécurité sociale, seulement dotée de son BEPC, intègre une Caisse d’Allocations

Familiales en 1965, à l’âge de 19 ans, pour calculer « à la machine » l’évolution des droits aux allocations familiales au fur et à mesure de la fourniture des nombreux certificats de naissance de cette période. Aujourd’hui en fin de carrière, elle accueille essentiellement des publics « difficiles » et précaires, étudie d’innombrables pièces administratives, manie en permanence l’informatique, se repère parfaitement parmi des dizaines de prestations possibles d’une réglementation qui n’a cessé de se complexifier. Dans l’intervalle, elle a connu trois ou quatre mutations technologiques, elle a assimilé une évolution réglementaire touffue et a appris à accueillir des publics de plus en plus précaires, les cas « simples » étant largement automatisés.

2. Avec son certificat d’études, un ouvrier intègre la sidérurgie à la même époque pour un travail faisant d’abord appel à sa vigueur physique, à sa résistance à la chaleur, au bruit, à la saleté…. Au fil des modernisations, il a progressivement vu ses conditions de travail s’améliorer avec un éloignement du process. Mais au fil des formations suivies et d’une adaptation permanente, le contenu de son poste s’est considérablement complexifié pour intégrer la connaissance et la maîtrise d’installations automatisées, d’instruments de mesure sophistiqués, de saisie de données de gestion de production et d’autocontrôle des produits, voir une participation aux opérations de maintenance où sa mémoire de l’histoire des installations est sollicitée.

Finalement, ces deux personnages ont bien des points communs :

- Malgré un niveau initial d’études limité, ils ont eu régulièrement accès à des programmes de formations internes auxquels leur « statut » stable a fourni la durée nécessaire pour des progrès durables ; leurs remplaçants sont d’ailleurs en général recrutés au niveau bac + 2, ce qui confirme le processus de qualification interne dont ils ont pu bénéficier.

- Une carrière entière faite d’adaptations aux nouvelles technologies et aux évolutions d’organisation, - Lorsqu’ils côtoient un jeune au travail, c’est le plus souvent un intérimaire ou un CDD à qui on

explique ce qui est juste utile pour tenir le poste, - Ces personnels sont porteurs de compétences spécifiques combinant d’une part la connaissance des

outils informatiques (compétence aujourd’hui banalisée) et d’autre part la mémoire et l’expérience des processus « réels » sur lesquels agit l’informatique : la transformation de l’acier ou l’accueil des assurés, dont l’appropriation pour leurs remplaçants est beaucoup moins évidente.

La question des modalités qualitatives du remplacement de ces futurs retraités est donc une question cruciale pour les entreprises et les administrations où ils sont largement concentrés. La question de la bonne transmission de leurs savoir-faire, et de leur culture professionnelle, est aujourd’hui essentielle. Si certains s’inquiètent du peu de programmes de formation qui touchent aujourd’hui ces « anciens », la priorité est plutôt d’en faire des formateurs et de leur apprendre à transmettre leur compétences, transmission qu’ils ont souvent très peu eu l’occasion de pratiquer ces dernières années, et qui suppose donc un investissement spécifique. En effet, confrontées aux difficultés de cette transmission, les entreprises sont vite tentées de reprocher aux plus anciens leur mauvaise volonté. Pourtant, bien souvent, elles ont tout fait pour se retrouver dans cette situation. Pendant des années, des vagues successives de départs des plus âgés ont été organisées sans se préoccuper de la capitalisation de leur savoir-faire. Ce faisant, elles ont suscité l’attente du départ chez les salariés âgés de 50 à 55 ans qui ne comprennent pas pourquoi, pour un décalage de quelques mois de leur date de naissance, ils devraient désormais travailler plusieurs années de plus que leurs collègues. Le départ

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anticipé est quasiment devenu « un droit acquis ». Or, c’est précisément ces « déçus de la préretraite loupée » qu’il faut re-mobiliser pour transmettre leur métier à des jeunes qui avaient complètement disparus de leur horizon professionnel depuis parfois dix ou quinze ans. Dans des établissements qui n’ont pas connu d’embauches depuis longtemps, où le personnel a « vieilli sur place », l’éventuelle entrée d’un jeune peut s’avérer problématique. Bien souvent, la seule expérience de coexistence avec des jeunes concerne les renforts d’été ou les CDD et on assimile alors inconsciemment « travail de jeunes », « tâches déqualifiées » et statuts précaires. 3 - UN IMPACT FORT SUR TOUS LES CHAMPS DE LA NEGOCIATION SOCIALE Certains problèmes, que la forte baisse du chômage des années 1998-2000 a commencé à révéler, ne sont que les prémisses de ceux qui vont intervenir bientôt lorsque les générations très nombreuses de l’après-guerre vont libérer leurs postes de travail à l’occasion de leur départ à la retraite. Ces salariés âgés sont tout particulièrement concentrés dans les administrations et dans les secteurs industriels de « l’ancienne économie », précisément les lieux où se sont structurées les relations sociales que nous connaissons aujourd’hui. La question n’est donc pas tant d’essayer de savoir jusqu’à quel seuil le chômage pourra baisser, mais quels moyens les entreprises et les administrations sont prêtes à engager pour apporter leur contribution, frileuse ou dynamique, à ces évolutions. Cela va supposer une mobilisation exceptionnelle de tous les acteurs sociaux car les solutions les plus faciles seront rapidement épuisées. En effet, les chômeurs les plus immédiatement outillés pour occuper les postes disponibles, seront les premiers à retrouver un emploi. Au fur et à mesure du renouvellement des effectifs âgés, des efforts supplémentaires seront nécessaires pour aider les chômeurs et les exclus à trouver ou retrouver leur place dans l’entreprise. Pour cela, les entreprises devront accepter elles aussi de s’adapter, y compris en modifiant leur organisation du travail dans ce but, sinon des blocages se feront jour. Par ailleurs, diverses pistes seront explorées pour essayer d’augmenter le taux d’activité des femmes et des salariés les plus âgés, et pour relancer l’immigration, en particulier grâce au nouvel élargissement de « l’Europe à 25 ». Mais l’enjeu principal va être de faire entrer les jeunes dans les entreprises de nombreux secteurs, ce à quoi nombre d’entre elles ne sont pas encore prêtes. Dans la tendance observée depuis longtemps à l’allongement des études, il faudra faire la part des vrais besoins de l’économie, des nécessités pédagogiques, des désirs des intéressés, mais aussi des zones d’attente artificiellement créées par l’absence de perspectives d’emploi. Cela suppose aussi d’avancer sur le sujet de la formation professionnelle et du droit à la formation des salariés en activité. Pour que ce renouvellement et ce rajeunissement des effectifs salariés puissent se mettre en œuvre dans de bonnes conditions, il faudra que les pouvoirs publics renforcent encore leurs efforts, notamment à travers l’ensemble des dispositifs d’aide à l’emploi. Mais les partenaires sociaux devront faire preuve d’imagination pour amener les entreprises à un changement assez radical de leurs habitudes. Il serait d’ailleurs erroné de voir seulement dans ce processus une contrainte avec les coûts qui lui sont liés. Ce peut être aussi une formidable opportunité de remise à plat des organisations et un stimulant des réflexions sur de nombreux aspects souvent sclérosés de la vie des entreprises. Et nul doute que les jeunes embauchés apporteront leur part à ce dépoussiérage sous des formes qui en surprendront plus d’un. Par leur refus d’accepter facilement certaines nuisances, considérées trop souvent sans examen comme faisant obligatoirement partie de tel ou tel métier, les jeunes obligeront à rechercher des améliorations des conditions de travail. Les relations quotidiennes de travail, et la cohabitation à mettre en œuvre entre les plus jeunes et la hiérarchie traditionnelle des entreprises, peuvent également réserver quelques surprises. Dans certains cas, les relations du travail ont déjà beaucoup évolué et les nouveaux salariés se sentiront à l’aise dans ces environnements. Ailleurs, le choc culturel sera abrupt et les cadres qui ne sauront pas adapter leurs attitudes

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se sentiront probablement très proches des difficultés actuelles de certains enseignants, confrontés à des « élèves difficiles ». Enfin, tous les établissements vieillissants, qui n’ont pratiquement plus intégré de jeunes depuis longtemps, vont devoir confronter précisément le niveau des connaissances disponibles des candidats à l’emploi aux nécessités des postes offerts. Des parcours innovants d’intégration et de formation devront être mis au point. Bref, l’avis des jeunes sur leurs conditions de travail, leur conception des relations hiérarchiques, leurs attitudes envers les plus anciens, leurs connaissances (et leurs méconnaissances) vont être autant d’occasions de surprise, de débats, parfois de conflits, auxquels les partenaires sociaux devront faire face. L’ensemble de ces bouleversements va aussi contribuer à modifier assez fondamentalement la relation au travail. Entre d’un côté l’idéologie du dévouement absolu à l’entreprise et de l’autre côté la théorisation de « la fin du travail », apparaît une nouvelle situation où chacun a droit à un travail, mais n’y consacre que le temps et l’énergie qui lui paraissent raisonnables. Dans un contexte où les salariés retrouveront des marges de manœuvre quant au choix de leur employeur, la relation du salarié à son entreprise sera de plus en plus le résultat d’arbitrages faisant intervenir l’ensemble des dimensions de la vie de travail : rémunération, conditions de travail, formation mais aussi qualité des relations personnelles et reconnaissance sociale. C’est donc sur l’ensemble de ces aspects que les partenaires sociaux devront innover, proposer et négocier chacune des dimensions du nouveau système de relations sociales qu’il faut aujourd’hui construire. Même si cela passe parfois par des conflits, l’entreprise est aussi devenue le lieu où s’établissent des arbitrages globaux, où l’économique et le social essayent de concilier leurs intérêts divergents sur la base d’équilibres collectifs périodiquement remis en chantier.

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LICENCIEMENTS : REFLEXIONS A PARTIR DE L’ETUDE DES INNOVATIONS PROMUES PAR LES REPRESENTANTS DES SALARIES

Frédéric Bruggeman, Syndex En cas de licenciements, l’existence et les formes de la prévention des licenciements et des appuis à la reconversion des salariés, impliquant l’entreprise, dépendent de la nature du contrat de travail, de la taille de l’entreprise et du nombre de licenciements. Cette inégalité des salariés devant le licenciement se double d’une inefficacité des plans sociaux (dits « de sauvegarde de l’emploi » depuis la loi de modernisation sociale) qui sont des dispositifs peu performants, peu ou pas pilotés et peu ou pas évalués.

L'étude menée récemment (" Plans sociaux et reclassements : quand l'innovation est promue par les représentants des salariés ", juin 2002), réalisée pour la DARES, visait, à partir de l’analyse de processus innovants d’élaboration et de mise en œuvre de plans, à comprendre les raisons de l’inefficacité des plans et les conditions de leur efficacité. Les conclusions (I) de cette étude sont présentées ci-dessous, ainsi que les pistes de recherches (II) que cette étude nous a permis d’entrevoir. 1 - CONCLUSIONS DE L’ETUDE Treize ans après la promulgation d’une loi qui visait à la mise en place d’un véritable droit à la reconversion au bénéfice de tout salarié licencié pour motif économique, aboutir à un plan de reclassement et le conduire avec succès à son terme est un processus qui demeure d’une extrême fragilité et est sujet à une multitude d’aléas. Ceux qui s’y engagent rencontrent un continuum de difficultés qui toutes, ou presque, peuvent avoir raison du projet. L’existence même d’un projet de reconversion n’est ni automatique ni courante. Les difficultés surgissent à chaque étape du processus qui s’étend de l’élaboration d’un projet de restructuration susceptible d’entraîner des licenciements à la réalisation du reclassement effectif des salariés concernés. Ainsi, il ressort clairement de cette étude que le cadre réglementaire existant ne suffit pas à orienter les acteurs vers une mise en œuvre effective d’un droit au reclassement : - Dès l’émergence du projet, les enjeux et logiques d’actions de chacun des acteurs les engagent dans une

voie a priori non coopérative qui conduit à une éviction du projet de reclassement au bénéfice du formalisme procédurier.

- Lors du déroulement de la procédure, l’horizon de son terme devient la première préoccupation des uns (les directions), tandis que l’impuissance des autres (les élus) les conforte dans une attitude de refus pure et simple ou de négociation d’une forme pécuniaire d’indemnisation qui emporte d’autant plus fréquemment l’adhésion des salariés que le succès d’éventuelles opérations de reconversion apparaît fragile et le préjudice subi insurmontable.

- Lors de la mise en œuvre du plan, un accompagnement efficace suppose une implication des acteurs qui se heurte à un nouveau conflit de logiques entre un employeur qui, si les contrats de travail sont déjà rompus, a atteint son objectif, un cabinet de reclassement inscrit dans une logique de prestataire dont l’employeur est le seul donneur d’ordre et des représentants du personnel a priori sans place attribuée ou particulièrement démunis.

Par ailleurs, l’analyse des cas montre que les licenciements restent des situations de crise pour les structures au sein desquelles elles se déroulent et des processus très douloureux pour les personnes qui les vivent comme pour celles qui s’investissent dans la recherche de solutions. Pour ces dernières, le choix de privilégier le reclassement est alors d’autant plus problématique que les risques apparaissent élevés et les perspectives de reconnaissance très faibles. Cet état de fait constitue un frein puissant à l’engagement dans l’élaboration et le suivi d’un plan de reconversion, lequel suppose de surcroît une action dont la durée dépasse largement celle de la procédure de consultation. Un certain nombre d’élus, dans chacun des cas étudiés, se sont pourtant engagés dans cette voie. Dans au moins un cas sur deux, les résultats obtenus en termes de reclassement sont en outre manifestement exceptionnels. Un certain nombre de constats généraux peuvent être établis à la lumière de ces expériences.

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a. L’élaboration d’un dispositif de reclassement n’est pas spontanée. Dans tous les cas et quels qu’aient été les contextes, il a été nécessaire de parvenir à une négociation, pour transformer un projet de plan social généralement conçu comme un catalogue de mesures en une forme finale de plan social se rapprochant d’un dispositif actif de reclassement. Les principaux écarts concernent bien entendu la durée du dispositif et la définition des « offres véritables d’emploi », mais surtout le principe d’une participation active des représentants du personnel au pilotage du plan de reclassement.

b. Certaines configurations d’acteurs renforcent la probabilité d’arriver à l’élaboration d’un plan de

reclassement. Le recours à des ressources externes (Inspection du travail, expert, avocat…), l’adhésion des salariés, la cohésion des collectifs élus et l’émergence de leaders en mesure de porter un projet aussi complexe en situation de crise, apparaissent au cœur d’une inflexion ayant permis de déboucher sur une réelle négociation, porteuse non seulement d’une logique indemnitaire mais aussi de recherche de solutions.

c. Le suivi, au sens du pilotage, des opérations de reclassement est crucial. Si la formalisation dans le

plan social final d’un dispositif proche d’un plan de reconversion est de nature à faciliter les opérations de reclassement, elle ne constitue pas pour autant une garantie de reclassement pour tous, loin s’en faut. A cet égard, il semble que dans les cas étudiés le point crucial porte sur la mise en place et le fonctionnement effectif d’une commission de suivi paritaire et décisionnaire, aux prérogatives très étendues dans le pilotage de la mise en œuvre du plan.

d. Le temps manque toujours et l’anticipation – au bénéfice des salariés licenciés – est inexistante. On

peut regarder les licenciements comme des processus de mobilité professionnelle contrainte : ceux des salariés qui ne verront pas leur avenir assuré par une mesure d’âge sont obligés de changer d’emploi sous peine d’une marginalisation sociale plus ou moins forte, durable et douloureuse. Si la contrainte ne constitue pas le meilleur contexte possible pour la réalisation d’un projet professionnel, l’élément le plus pénalisant vient de l’impréparation dans laquelle sont toujours les salariés au moment où la décision est rendue publique. A cela s’ajoute une volonté de la direction d’aller vite pour mener à bien un projet délicat. Les salariés sont alors sommés d’acquérir très rapidement et dans un temps le plus souvent identique (6 mois en règle générale) la capacité de changer d’emploi. Or, tous ne sont pas égaux face à cette injonction, tant pour des raisons personnelles (âge, situation familiale…) que professionnelles (parcours antérieur, niveau de qualification, ancienneté dans l’entreprise…) ou géographiques (taille, dynamisme et spécialisation du bassin d’emploi). Ces inégalités ne sont ni anticipées lors de la marche courante des affaires, ni compensées par les projets de plans présentés. La compensation supposerait un couplage (jamais observé dans notre échantillon) entre mesure de régénération du bassin d’emploi - quand les besoins existent - et plan de reconversion. Elle supposerait aussi un dispositif d’adaptation de la durée des plans de reconversion à chaque individu. L’anticipation est plus ambitieuse encore et nécessiterait des politiques d’aide à la mobilité professionnelle en dehors des périodes de restructuration. Or, la valorisation régulière des compétences, les programmes de formation consacrés aux catégories professionnelles considérées comme non essentielles par l’entreprise, l’acceptation, voire l’encouragement des départs volontaires préparés… sont autant d’éléments dont n’existe pas de trace dans l’échantillon analysé.

e. L’absence de capitalisation des savoir-faire est un puissant frein à l’efficacité des plans. Dans un

dispositif décentralisé comme celui prévu par la loi du 2 août 1989, les acteurs de terrain sont isolés face aux difficultés d’élaboration puis de mise en œuvre concrète des plans. L’absence de capitalisation et de mise à disposition de savoirs et savoir-faire comme la méconnaissance des résultats obtenus par d’autres plans sociaux constituent un obstacle tant à l’élaboration qu’à la conduite des plans de reclassements.

f. Les plans présentent toujours une combinaison variable entre trois types de mesures plus ou moins

aisées à mettre en œuvre : - Mesures d’âge et de protection des salariés les plus anciens (qui sont aussi les plus rejetés par le

marché du travail). Et il faut à ce sujet s’interroger sur le réalisme de décisions qui priverait les plans sociaux de ce type de mesures, sans dispositif visant à éviter l’éviction des salariés âgés du marché du travail.

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- Reclassements internes (sur le lieu de travail ou au sein du groupe), supposant une mobilité professionnelle limitée (même si elle implique une mobilité géographique). Notons que la gestion des reclassements internes dépend presque dans son intégralité de l’existence d’outils adaptés (bourse à l’emploi, points mobilités internes, règles du jeu claires, etc.), mais surtout de la volonté de la mettre en œuvre dans l’entreprise comme dans le groupe avec les implications que cela représente en termes de réorganisation. Ces conditions ont rarement été rencontrées dans les plans étudiés.

- Reclassements externes, lesquels demeurent largement les plus délicats à réaliser. Bien sûr, plus les possibilités offertes par les deux premières solutions sont limitées et plus la proportion de salariés laissés sur le bord du chemin risque d’être importante.

Dans ce contexte, l'étude concluait, à titre d'hypothèse hautement probable, que les éléments suivants sont de nature à permettre aux plans sociaux de devenir des plans de reclassement :

- Un accord sur le dispositif du plan de reclassement et les modalités opérationnelles de sa mise en œuvre.

- Un droit pour les représentants du personnel d’intervenir sur le choix du cabinet de reclassement en amont (et plus généralement sur les différents prestataires du plan) et sur son pilotage en aval.

- L’instauration d’une commission de suivi à la fois paritaire et décisionnaire. - Une responsabilisation des cabinets conseils en reclassement (charte de déontologie, évaluation du

fonctionnement et rémunération en partie aux résultats...). - La mise en place de moyens d’évaluation des plans sociaux tant dans leur fonctionnement que dans

leurs résultats. 2 - LES PISTES DE RECHERCHES Les pistes de recherches entrevues durant cette étude ont été retravaillées dans le cadre de la préparation du séminaire du 12 décembre (Évolution du travail et de la relation salariale : « souplesse et sécurité »).

a. Quelles innovations pour les salariés ne bénéficiant pas des plans sociaux ? L’inégalité, en droit, des salariés face aux licenciements et aux restructurations, est avérée. Parallèlement, les formes du contrat de travail conditionnent l’accès, ou non, au dispositif de reclassement. Les innovations dans les dispositifs favorisant le reclassement des salariés bénéficiant de plans sociaux sont peu étudiées, comme les plans sociaux eux-mêmes. Mais les études concernant les dispositifs s’adressant aux salariés qui ne bénéficient pas de plans de sauvegarde de l’emploi (la majorité des salariés licenciés pour motif économique) semblent pratiquement inexistantes. A cet égard, un inventaire des dispositifs existants (actions spécifiques ANPE, relais pour l'emploi, cellules territoriales, cellules interentreprises et, surtout, commissions paritaires territoriales…) et une évaluation des résultats obtenus constitueraient une première avancée. b. Modification des formes d’entreprises et représentation du personnel Les problèmes posés par le profond mouvement de transformation de la structure des entreprises (organisation en groupe de sociétés et/ou en réseau) sur la représentation du personnel sont peu étudiés. Notamment, la dissociation qui s’opère alors entre les lieux de décision et les lieux d’application des décisions conduit d'une part à une déconnexion entre direction "économique" (prenant les décisions) et direction "légale" (gérant les contrats de travail) et d'autre part à une déconnexion entre représentation des salariés au niveau central et représentation locale. Ce double mouvement limite très fortement la possibilité d’anticipation, de conduire des négociations et, lorsqu'elles existent, leur portée. A cet égard, une analyse des modalités innovantes de représentation du personnel dans certaines structures complexes pourrait permettre de mieux cerner les enjeux et les pistes d'évolutions souhaitables. c - Anticipations des entreprises et rôle des tiers La conclusion de l'étude de juin 2002 signalait qu’il reste à explorer une piste concernant une utilisation différente des temps d’anticipation. Hormis un cas, aucun des plans étudiés ne visait à répondre à une situation inattendue ou survenue brutalement. Ce constat signifie que le temps - souvent long - consacré par la seule direction de l’entreprise à l’élaboration de son plan de restructuration et du projet de plan social d’accompagnement aurait pu être utilisé aussi par d’autres acteurs au profit de l’emploi et des

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salariés qui allaient être touchés par les licenciements à venir. A cet égard, deux grands axes de recherche pourraient être privilégiés : - l'anticipation des restructurations à travers l'analyse de quelques cas ayant fait l'objet d'une annonce

anticipée ou ayant présenté une visibilité à moyen terme. Ce travail devrait permettre d’avancer sur les alternatives économiques et les actions d’évitement des licenciements.

- l'anticipation des trajectoires professionnelles à travers l'analyse de quelques cas de pratiques d'entreprises visant à promouvoir la mobilité externe

d– L’ingénierie sociale au cœur des solutions trouvées ? Des cas analysés dans l’étude de juin 2002, ressort l’idée que c’est l’élaboration d’un cadre collectif, issu de la négociation et reposant sur une procédure de confrontation des acteurs et de leurs intérêts au fil du processus, qui joue un rôle majeur dans l’élaboration de solutions. Les solutions trouvées résultent toujours d’un processus dont les grandes étapes sont repérables : appréhension des enjeux par les acteurs (information, formation) ; organisation de la confrontation entre eux (négociation) ; recherche de solutions opérationnelles (capacité de décision, connaissance des méthodes opérationnelles) ; pilotage de la recherche de solutions spécifiques (permanence du principe de confrontation, mise en œuvre des ressources techniques). Ce processus semble caractéristique d’une « ingénierie sociale » qui comprend deux autres dimensions : - Réglementaires (utiliser les cadres législatifs, élaborer des accords, définir des organes de procédures

–commission de suivi, cellule de reclassement,…) - Technique (mobiliser des références méthodologiques normatives) Cette analyse, mise à jour à l'occasion de la gestion de plans sociaux en entreprises, pourrait trouver à s'appliquer à l'échelle de territoires concernés par des risques de restructurations. Une étude de faisabilité, à partir du cas d'espèce d'un bassin d'emploi particulièrement exposé, pourrait conduire à caractériser concrètement les dispositifs et procédures susceptibles de permettre une prise en charge collective de ce risque ainsi que les opportunités et les freins relatifs à leur mise en place.

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4.3 – PRATIQUES ET AGENCEMENTS LOCAUX

AGENCEMENTS TERRITORIAUX ET INTERNALISATION DE LA RESPONSABILITE DE L’EMPLOI

Laurent Duclos, Commissariat Général du Plan (CGP)

L’intervention s’appuie sur une note rédigée avec Olivier Mériaux (CERAT – IEP de Grenoble), qui reprend les conclusions d’une enquête menée en région Rhône-Alpes, entre janvier 1999 et février 2001, relative au “rôle des partenaires sociaux et des institutions locales dans la régulation territoriale des nouvelles formes de travail et d’emploi” 83. Ces conclusions consistent, en réalité, en un agencement des différentes hypothèses ayant servi à formaliser l’interprétation du matériau. Afin de préciser l’orientation de ce cette recherche, leur énoncé a passé au filtre des différentes études de cas la littérature disponible sur le sujet. L’objectif de cette recherche était d’inventorier et d’analyser différentes pratiques locales de régulation de l’emploi “atypique”, spécialement les pratiques de « déprécarisation » de l’emploi. Un nombre important de protagonistes intervient localement sur les questions d’emploi. Quels partenariats ces acteurs nouent-ils en matière d’ingénierie de l’emploi et à quels dispositifs ces partenariats donnent-ils naissance ? En retraçant la genèse de ce type de dispositifs, ne peut-on comprendre mieux les obstacles que rencontre aujourd’hui l’organisation d’une solidarité territoriale sur les questions d’emploi ? La variable territoriale constitue-t-elle, d’ailleurs, un point de passage obligé “pour opérer une (…) régulation locale du marché du travail et principalement de l’emploi atypique (et/ou) pour développer de nouveaux modes de gestion inter entreprises de ce type d’emploi 84” ? Le territoire, en somme, constitue-t-il un cadre pertinent d’intervention et de régulation ? En quoi ces arrangements locaux, ces « agencements institutionnels territoriaux », peuvent-ils satisfaire à l’exigence posée récemment par le Rapport Belorgey du Plan, d’où sortit naguère la proposition de « contrat d’activité 85 », de « réinternaliser et (de) mutualiser le risque de l'emploi 86 »? Les études de cas se sont intéressé aux conventions collectives territoriales (Accord Vercors, cas exemplaire de « négociation réglementaire » sur les conditions d’emploi), aux groupements d’employeurs (Val de Saône, Savoie, Sud Grésivaudan), à des dispositifs adossés aux Pactes Territoriaux pour l’Emploi (Albertville), aux montages territoriaux, parfois complexes, articulés au dispositif incitatif national de réduction du temps de travail (Rambert fruits). Le groupement d’employeurs est un cas typique de montage institutionnel pouvant offrir de la souplesse aux entreprises sans précariser les emplois. Cela dit, quelle est la place réelle de l’argumentaire économique dans ce type de dispositifs ? Qu’est-ce-que le groupement d’employeurs —pour reprendre l’exemple— peut faire valoir face à l’interim classique et à « l’outsourcing » ? Sur quels plans peut-on comparer les groupements

83. Projet « local level concertation », coordonné par Ida Regalia (IRES Lombardia), dans le cadre d’un programme de recherche TSER

(Targeted Socio-Economic Research) de la Commission Européenne (DG XII). Cf. Duclos (L.), Mériaux (O.), 2001, « Agencements territoriaux et internalisation de la responsabilité de l’emploi », Programme européen LOCLEV, CERAT-IEP de Grenoble, rapport final, février, 69 p. http://www.upmf-grenoble.fr/cerat/PAGESPERSO/MeriauxLocalLevelDGXII.pdf

84. Morin (M.L), 1999, “Les espaces et les enjeux de la négociation collective territoriale”, Droit Social, n°7/8, juillet-août, p.685. 85. Le contrat d’activité est aujourd’hui encore une construction intellectuelle. La principale caractéristique de ce contrat passé entre un

actif et un collectif d’employeurs est “d’élargir le cadre de la relation d’emploi au regard de ses trois principaux éléments constitutifs : son objet (pour permettre la mobilité), son espace temporel (pour l’inscrire dans un horizon minimum de cinq ans) et son champ personnel (pour constituer l’employeur-collectif)” [Boisonnat (J.), président, 1995, Le travail dans vingt ans, Rapport de la commission du Commissariat Général du Plan, Paris, Editions Odile Jacob/DF, p.286.] Ce contrat, qui propose une forme de « flexibilité mutualisée » garantissant un nouveau droit à « l’évolution professionnelle » serait comme l’envers, côté salarié, du Groupement d’Employeurs.

86. Belorgey (J.M.), président, 2000, Minima sociaux, revenus d’activité, précarité, Rapport de la commission du Commissariat Général du Plan, Paris, CGP-DF, p.137 et suiv. “Risque de l’emploi : prendre le risque de l’emploi, c’est non seulement en supporter le coût, c’est surtout prendre un risque sur sa durée ; le CDD limite le risque ex ante, le droit du licenciement répartit le risque et organise la réparation (indemnité de licenciement). Une partie de la réparation du dommage causé par la perte de l’emploi est socialisée par l’assurance chômage.” (id., p.415).

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d’employeurs et les sociétés de portage ? En quoi ces différents agencements offrent-ils ou non une alternative aux aménagements et aux dérégulations du droit du travail et du droit de la Sécurité sociale ? Pour le savoir, nous nous sommes efforcés de reconstituer, dans le rapport, la carrière, souvent hésitante, des projets. En ne cherchant pas à mettre en scène quelque success story, cet exercice généalogique a permis de dégager les conditions dans lesquelles ces projets permettent d’accroître le périmètre de stabilité de l’emploi. 1 - MUTUALISER LE RISQUE D’EMPLOI : POSITIONNEMENT DU PROBLEME L’extériorisation de l’emploi et le développement des Formes Particulières d’Emploi (FPE) témoignent aujourd’hui de ce que la forme emploi ne relève plus aussi naturellement qu’avant du paradigme de l'entreprise : “cette transformation trouve sa traduction dans les formes de mobilisation du travail. Pour exécuter une prestation déterminée, une entreprise peut aujourd'hui faire appel à un salarié permanent, à une entreprise d'intérim, embaucher sur CDD, ou, encore, solliciter une autre entreprise qui fait intervenir ses salariés, ou un indépendant. Le travail peut être défini soit dans le cadre d'une relation durable avec le client ou avec le tiers, soit dans le cadre d'un contrat limité à la tâche à réaliser 87”. En somme, il n’y a plus, dans les pratiques d’entreprise, de recouvrement évident entre la figure de l’entrepreneur et la figure de l’employeur. Le modèle de gestion de l’emploi dominant dissocie de plus en plus, en effet, la figure de l’entrepreneur, qu’il tente de faire émerger, de celle de l’employeur, qu’il essaie de subsidiariser 88. Dans les cas étudiés, la relation de travail est triangulaire : l’utilisateur et l’employeur sont dissociés.

fig.1 — GROUPEMENT D’EMPLOYEURS ET INTERIM :

DEUX MODES DE « TRIANGULATION » DE LA RELATION DE TRAVAIL

Il est peut-être trop tard, d’ailleurs, pour chercher à créer à toutes forces de l'emploi dans les contours juridico-économiques de la firme…sauf à baisser encore le coût du travail, à précariser donc à nouveau les statuts d’emploi. Comme dans l’aphorisme, “quand dans sa boîte à outils, on n’a qu’un marteau, tous les problèmes prennent la forme d’un clou” ! Alors que les agents économiques oeuvrent continûment à « sortir l’emploi de l’entreprise », ne faut-il pas inventer aujourd’hui des formes nouvelles de mutualisation du risque d’emploi ? Habituellement, c’est l’assurance chômage qui permet de mutualiser le risque d’emploi. D’où l’idée, par exemple, d’instaurer un « bonus-malus » sur les cotisations d’assurance chômage pour réguler la gestion de l’emploi. Si l’on considère que “la part patronale de la cotisation de chômage (est) le prix à payé collectivement par les employeurs pour disposer sur le marché du travail d’un main d’œuvre prête à travailler au salaire courant, dans des conditions de santé, de mobilité, de qualification et d’efficience requises par une économie avancée 89”, alors il faut pénaliser les « comportements à risque » (recours

87. Morin (M.L.), éd., 1999, Prestation de travail et activité de service, Cahier Travail et Emploi, Paris, MES-La documentation française, p.9

88. “Dans le modèle de gestion de l’emploi dominant antérieurement, c’est le statut d’employeur qui structurait largement la définition des politiques de main-d’œuvre. Les politiques d’emploi engagées ces dernières années permettent aujourd’hui aux entreprises de faire émerger d’autres repères pour la gestion de l’emploi. Ces repères pour l’essentiel se construisent dans le cadre d’une problématique d’entrepreneur dominée par les critères de compétitivité et la coordination des compétences.” Burdillat (M.), 1992, “Gouvernement de l’emploi et gestion du travail”, Cahiers du GIP “Mutations Industrielles”, n°63, septembre, p.9

89. Dayan (J.L), 2000, “Le « bonus-malus » pour les cotisations d’assurance chômage est-il un bon moyen de réguler la gestion de l’emploi ?” Coutrot (T.), Ramaux (C.), éd., Le bel avenir du contrat de travail, AESPU, Paris, La découverte-Syros, p.169

(TIERS-) EMPLOYEUR / EMPLOYEUR-

NOMINAL

SALARIE UTILISATEUR(S) [ENTREPRENEURS]

Mise à disposition

Contrat de travail

Contrat commercial(Intérim)

Contrat d’adhésion Co-responsabilité

(GE)

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fréquent aux licenciements, aux formes particulières d’emploi) par un relèvement de la cotisation et récompenser les comportement vertueux (création nette d’emploi stables) par une baisse de la charge. Comme le dit Jean Louis Dayan, “le bonus-malus vise à modifier les comportements individuels des entreprises en modulant le coût de l’assurance, avec deux modalités possibles : accroître les coûts de séparation entre employeur et salarié, qui sont l’un des paramètres qui déterminent les pratiques de gestion de l’emploi, ou réintégrer dans les calculs de l’employeur les effets externes de ses décisions d’emploi. 90” Comme il le relève enfin, cette solution est source d’effets pervers (elle fragilise de façon cumulative les entreprises déjà en difficulté, elle retarde le redéploiement d’activités, etc.). Pour que les décisions de pénalisation puissent, par dérogation aux règles générales, être prises en équité, il propose que le système soit territorialisé et géré par des fonds décentralisés. Mais cette solution a aussi pour défaut, au yeux des entreprises, et à l’heure où se dissipent leur frontières, de réifier leurs contours juridico-économiques… 2 - LES NOUVEAUX AGENCEMENTS SOCIAUX Il existe d’autres moyens d’accroître le périmètre de stabilité de l’emploi. Les nouveaux ordonnancements ou les nouveaux agencements sociaux et territoriaux que nous nous proposons d’étudier, travaillent eux aussi à l’internalisation, par l’entreprise, de la responsabilité de l’emploi, mais par mutualisation. C’est évidemment le cas du groupement d’employeurs. L'une des difficultés pratiques est d'objectiver l'intérêt des entreprises à entrer dans ce type de dispositifs tant il est vrai que leur marketing ne joue que mezzo voce sur les “avantages concurrentiels” qu'il procure, du fait de “la réalisation d'externalisations organisées 91”. Il s’agit, en effet, de prévenir « l’abus de groupement » comme forme unique d’externalisation. Il faut alors marquer en quoi la responsabilité solidaire est une garantie d’implication des entreprises : “le principe de la caution solidaire applicable aux groupements d’employeurs, n’est pas récusable dans la mesure où il authentifie l’engagement des adhérents dans cette formule mutualiste 92”. La négociation collective territoriale est un autre moyen d’accroître le périmètre de stabilité de l’emploi. L’accord collectif harmonise, en effet, les conditions locales d’emploi et pèse de ce fait sur les comportements des entreprises : “la constitution en groupement local professionnel ou interprofessionnel d'entreprises (GLE ou GE), ou la négociation par les unions interprofessionnelles locales, tant patronales que syndicales, ne se heurtent pas à la même difficulté 93. Elles peuvent permettre de définir les règles applicables dans un territoire donné. (…) Dans tous les cas ces solutions postulent la recherche d'une harmonisation des conditions d'emploi, là où la sous-traitance se fonde précisément sur une différenciation des statuts d'emploi. Dans tous les cas aussi l'attachement des organisations, tant patronales que syndicales, à la négociation de branche, lieu où elles sont de longue date organisées, peut être un obstacle de fait important, sinon de droit. La fragilité des acteurs locaux, la difficulté de mettre en place des structures interprofessionnelles locales que la réforme du financement de la formation professionnelle a soulignée, imposent vraisemblablement l'intervention des acteurs publics locaux pour favoriser le développement des négociations locales. 94”. S'agissant de réguler l'usage des Formes Particulières d’Emploi, la négociation collective territoriale se situe également dans la perspective des « marchés transitionnels » 95. Ces derniers sont, en effet, le lieu d’un aménagement concerté, au plus près des besoins des entreprises, de « transitions », depuis les « marges » jusqu'à des positions plus assurées sur le marché du travail.

90. Ibidem, p.171 91. Cuchot (M.), Morineaux (J.L), 1999, Les groupements d'employeurs en Rhône Alpes, octobre, Cuchot&Morineaux, p.3 92. Praderie (M.), 1998, Les groupements d’employeurs. Rapport à Madame la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Fédération

Française des Groupements d’Employeurs, , pp.9-10. 93. A noter l’existence de « conventions inter-entreprises de mise à disposition » destinées à organiser la pluri-activité qui ne sont ni du

groupement d’employeurs, ni de la négociation collective territoriale stricto sensu. Cf. l’exemple de la convention Pechiney / Station des Karellis en vallée de Maurienne (près du Bassin d’emploi d’Albertville).

94. Morin (M.L), 1997, Réseaux de production localisés et relations de travail, LIRHE, note 239 (97-8), avril, P.17 [[email protected]] 95. Gazier (B.), 1998, “Ce que sont les marchés transitionnels”, Cahiers du CEE, n°37, pp.339-355.

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fig.2 — « MUTUALISATION » VERSUS « TRIANGULATION »

DANS LA CONSTITUTION DU GE

Il s'agit autrement dit de sécuriser des parcours, et non plus des positions, en structurant l’espace de circulation des personnes et leur mobilité par la négociation (mais la « société de portage » aménage elle aussi une transition de l’indépendance au salariat). Cette proposition est encore proche du projet de « contrat d’activité » proposé par le rapport Boissonnat. Il reste que ces derniers projets sont des constructions intellectuelles qui oublient peut être un peu rapidement —sans proposer quoi que ce soit pour les prendre en charge— le poids des « habitudes gestionnaires » et la densité propre au social. Comment faire alors pour que les entreprises n’en soient pas quittes avec l’emploi ? 3 - PARTENARIAT SOCIAL ET RESEAUX TERRITORIAUX Les cas du Pacte Territorial pour l’Emploi d’Albertville comme celui de l’accord Vercors révèlaient la carence des partenariats locaux en matière d’emploi. Ce ne sont pas tant les projets qui manquent que la capacité des acteurs à les porter qui est en cause. Il manque de forces sur le territoire, notamment du côté des syndicats ouvriers, et on peut se demander s’il est pour les parties une catégorie pertinente de l'action collective. Ce que nous avons vu suggère pourtant le développement d’un partenariat économique et social territorialisé et territorialisant, où le territoire relèverait “non d'une politique de l'Etat mais d'une action publique, c'est-à-dire d'une action collective ayant dans ses attentes la visée d'un bien commun (tel le niveau de l'emploi) 96”. Mais l’emploi n’est pas a priori un bien commun : cette qualité ne peut lui être conférée qu’à l’issue d’un processus de négociation engageant tous les acteurs. Elle ne peut être décrétée. On voit qu’il ne s’agit pas simplement de faire payer à l’entreprise les coûts collectifs occasionnés par sa gestion de l’emploi comme dans le cas du « malus » à l’assurance chômage ; il faut également entrer dans un jeu compréhensif avec son fonctionnement pour changer les instruments de cette gestion et lui permettre de réinternaliser ces effets. Or si ce changement à un coût, rien n’interdit à un « collectif élargi » de le supporter. L’idée, révélée notamment par l’examen des cas Val de Saône, Sud Grésivaudan et Vercors, est que la prise en charge administrative de la « solution de gestion alternative » par un réseau local exécute une fonction de coordination qui diminue le coût des transactions et favorise l’adoption du nouvel « agencement ». Le territoire est alors le lieu où une pression politique qui force l’employeur à réintégrer dans ses calculs les effets externes de ses décisions d’emploi peut s’exercer efficacement mais il est aussi un « espace de coordination hors-marché » qu’il faut développer pour rendre cette intégration « calculable 97», et donc potentiellement profitable.

96. Salais (R.), 1997, “Economie des conventions et territoire : quelques remarques”, in Loinger (G.), Nemery (JC), éds., Recomposition

et développement des territoires, Paris, l’Harmattan, p. 74. 97. Williamson (O.), 1993, “Calculativeness, Trust and Economic Organization”, Journal of Law and Economics, XXXVI, april, pp.453-

486.

GROUPEMENT D’EMPLOYEURS

« EMPLOI TYPIQUE » (TRIANGULATION DE LA RELATION)

EXTERNALISATION

(ABUS DE DROIT)

(EMBAUCHE)

INTERNALISATION (MUTUALISATION DU RISQUE)

« INTERIM »

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EXPERIENCES DE DEFINITIONS TERRITORIALES POUR UNE DIMENSION PERTINENTE DE L’ACTION COLLECTIVE

Bertrand Fribourg, LEST

Les travaux relatifs à une recherche sur les modes d’intervention syndicale de la CGT dans l’intérim ont été l’occasion de mettre au jour des expérimentations singulières, comme tentatives de produire des cadres organisationnels pour la syndicalisation de travailleurs(euses) temporaires. Pour notre intervention, nous avons choisi de présenter l’expérience en cours sur le site des chantiers navals de St Nazaire qui, à ce jour, est la plus avancée. Le texte qui suit s’appuie en partie sur les données recueillies lors d’un entretien avec A. Fadda, soudeur intérimaire, militant de la CGT (SNSETT). Les premières ripostes syndicales aux mouvements d’externalisation furent historiquement la tentative de blocage ou de minimisation du développement de la sous-traitance. Aujourd’hui, la CGT n’hésite pas à faire un constat d’échec de ces années de lutte, et chercherait à réorienter ses pratiques en partant des aspirations des salariés dans leur emploi de sous-traitant98. Ce tournant stratégique est clairement affiché : « Nous ne leur offrons pas, comme seule alternative, l’intégration à l’entreprise donneuse d’ordre… », peut-on lire dans un compte-rendu de débat publié dans Le Peuple99. Une réflexion, approuvée par le 46ème congrès de la CGT, propose des pistes d’interventions syndicales visant à mettre en œuvre la responsabilité sociale des employeurs d’un site, d’un bassin d’emploi, d’un territoire, responsabilité au regard de l’emploi, du développement des activités et des garanties sociales, et plus largement du prix de la force de travail. Repenser les frontières des entités économiques, au-delà du cadre strict de l’entreprise, ne pourrait se construire qu’en lien avec les évolutions des modes de fonctionnement des organisations syndicales. Des syndicalistes intérimaires se sont emparés de ces nouvelles bases, et sont à l’initiative d’expérimentations de structures syndicales de site œuvrant à unifier les salariés des entreprises sous-traitantes, et à élaborer un rapport de force commun avec les travailleurs des entreprises donneuses d’ordre. 1 - UNE INNOVATION SYNDICALE : LA CREATION D’UN COLLECTIF DE SITE A ST NAZAIRE Le site des Chantiers de l’Atlantique regroupe environ 12000 salariés dont plus de 8000 sont employés par les 700 entreprises de sous-traitance travaillant en cascade pour Alsthom. Une quinzaine de conventions collectives différentes couvrent les salariés de la sous-traitance. L’augmentation des commandes de navires s’est traduite par une croissance élevée du recours au travail temporaire sous différentes formes : CDD, stagiaires AFPA, intérim, … A. Fadda estime à pratiquement 80 % le taux d’emplois précaires dans les entreprises sous-traitantes. Des contingents importants de travailleurs issus des chantiers navals français démantelés ces vingt dernières années ont rejoint St Nazaire. Il s’agit principalement d’ouvriers qualifiés de la métallurgie embauchés comme intérimaires, et qui, vu le rythme soutenu de l’activité du site, enchaînent les missions. Ils côtoient des intérimaires plus jeunes et peu qualifiés qui y exercent des travaux socialement moins valorisés (manœuvres, manutentionnaires, calorifugeurs, nettoyage, gardiennage, …). L’histoire sociale des Chantiers de l’Atlantique est marquée par une forte tradition de luttes ouvrières. Selon A. Fadda, le développement de la mise en sous-traitance a commencé de manière sensible dans le milieu des années quatre-vingt. Les intérimaires auraient commencé à s’organiser syndicalement à partir de 1989, mais dans une posture semi clandestine : « Les intérimaires se sont organisés sur le site de St Nazaire depuis très longtemps, depuis l’année 1989. Il y avait eu une très forte grève au chantier à l’époque et les intérimaires avaient commencé à s’organiser dans le syndicat CGT des intérimaires. Évidemment, c’est le seul syndicat au niveau de l’intérim. À l’époque la sous-traitance n’était pas aussi importante, peut-être 2000 personnes, pas 8000 comme aujourd’hui. Et les délégués s’organisaient semi clandestinement on peut dire, à bord des navires. Ils organisaient des réunions en cachette avec des salariés, pour pas

98 « Table ronde n°3 : réalités locales », Le peuple, n°1549, 14 novembre 2001. 99 ibid, p. 15.

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se faire repérer, dans les fonds des navires, dans des coursives, hors la vue du chef ou du responsable de façon à refuser de travailler un samedi qui était mis en récupération, etc. » Les intérimaires participeront massivement aux grèves de 1999 liées à la négociation des 35 heures. La répression patronale se traduisit par des mises à l’écart des plus actifs mais, comme il est remarquable dans l’extrait d’entretien qui suit, la tension sur le marché du travail des ouvriers qualifiés a eu raison de la liste noire des directions : « Il faut savoir qu’il y a eu beaucoup de représailles contre les intérimaires qui se sont battus notamment en 1999, lors de la signature des 35 heures. Cet accord des Chantiers avait été signé en avril, et il entrait en application en novembre 1999. Les salariés des chantiers, à l’appel de la CGT des chantiers, avaient appelé à la grève pour s’opposer à cet accord. Les intérimaires se sont mobilisés pour exiger de vrais 35 heures pour tout le monde sur le site, notamment dans l’intérim. Il y avait quand même 2000 intérimaires qui avaient débrayé sur les 4 ou 5000 de l’époque, ce qui paraissait important. Beaucoup se sont retrouvés sans mission du jour au lendemain, l’inspection du travail n’a rien fait, les pouvoirs publics ont fermé les yeux. Ce qui s’est passé après c’est que beaucoup sont restés sur le pavé pendant 4 ou 5 mois. Mais les patrons ont été obligés de les reprendre parce qu’ils n’avaient pas de main d’œuvre qualifiée. Les gens se syndiquent, mais pour participer à un débrayage, c’est encore plus difficile. »

Les exemples de mobilisation sont rares, mais maintiendraient un esprit de résistance certain sur le site. Cependant, s’il est arrivé que les intérimaires prennent part aux conflits sociaux, A. Fadda tient à préciser que la longue période de pénurie de commandes, entre 1996 et 1999, « a refroidi les esprits ». Ce passage par un long chômage aurait eu des conséquences importantes, en ravivant l’angoisse du lendemain, et en accentuant la situation de concurrence entre travailleurs. 2 – L’UNION SYNDICALE MULTIPROFESSIONNELLE (USM – CGT) DE ST NAZAIRE Pour tenter de mobiliser les personnels intérimaires, entre autres précaires, et suite aux analyses syndicales sur les incidences des mouvements d’externalisation, une structure transversale à la sous-traitance à été mise en place, en accord avec les responsables locaux de la CGT : l’USM, dont A. Fadda est le secrétaire général. Ce n’est pas un syndicat de site, mais une union des syndicats des entreprises du site. Le SNSETT100, au même titre que d’autres sections CGT constituées dans la sous-traitance, est partie prenant de cet outil qui se propose d’articuler les revendications de l’ensemble des salariés, en relation avec le puissant syndicat CGT Alsthom. L’exigence centrale qui agit comme un principe unitaire est « un site = un statut », donc un socle de garanties communes quelles que soient les conventions collectives. L’USM regroupe les délégués syndicaux CGT qui travaillent à faire émerger des convergences revendicatives. Les liens avec les CGTistes salariés du donneur d’ordre sont difficiles. Ces derniers se méfieraient d’un nivellement par le bas de leurs conquêtes sociales historiques et resteraient tendanciellement distants, espérant préserver ainsi leur situation professionnelle relativement avantageuse. Toutefois, A. Fadda parle d’une évolution positive de ces rapports, même s’il évoque un « choc des cultures syndicales ». Toujours est-il que concernant notre sujet et les hypothèses sur des pratiques de redéfinition territoriale de l’action syndicale, des actes concrets ont été posés. Un accord entre l’USM et les directions d’entreprises a vu la mise en place d’une instance de dialogue de site, et également d’une commission paritaire d’hygiène et sécurité au rôle consultatif. Ces lieux de discussions vont se révéler être de réels points d’appui pour les syndicalistes du SNSETT. 3 – SYNDICALISME EN RESEAU C’est en effet par l’intermédiaire de l’USM que les délégués CGT de l’intérim essaient de faire remonter les préoccupations des intérimaires, de les sensibiliser à l’intérêt de la syndicalisation, et de mener des mobilisations. Si les débuts de cette nouvelle forme de regroupement collectif sont encore balbutiants, des initiatives se font jour. Une des plus marquantes a été l’action engagée par plusieurs centaines d’intérimaires,

100 Syndicat national des salariés des entreprises de travail temporaire, syndicat CGT des personnels intérimaires.

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le 22 avril 2001, sous l’impulsion de l’USM, pour refuser le projet de la direction d’Alsthom d’imposer le passage de 80 % des effectifs des sous-traitants en contrat de chantier (CDC), en intégrant cette proposition dans une charte sociale de la sous-traitance. Pour les intérimaires, cela signifiait la fin des indemnités de précarité, et surtout une insécurisation accrue des conditions d’existence puisque, comme le dit A. Fadda : « Signer un CDC, c’est signer son licenciement en même temps que son embauche, sans même savoir quand on va dégager. C’est individualiser toujours plus le contrat de travail et sortir du cadre des garanties collectives. C’est un vieux contrat du dix-neuvième siècle, qui pousse la précarité et l’individualisation au maximum101 ». En accompagnant massivement102 les délégués de l’USM à la table des négociations dans l’instance de dialogue de site, les intérimaires ont obtenu le retrait de ce projet. Notons également, et c’est un point sur lequel nous reviendrons par la suite, que la contre-proposition avancée par ces personnels était l’allongement de la durée des missions. Par ailleurs, la montée en popularité qui soutiendrait l’USM favoriserait l’émergence d’un « syndicalisme en réseau chez les travailleurs intérimaires », selon les mots du secrétaire général de l’USM : « Bon, la CGT de la sous-traitance et de l’intérim ne fonctionne pas comme un syndicat d’une entreprise classique. Elle a mis en place un fonctionnement nouveau, plus en accord avec la réalité qu’on vit aujourd’hui. Face à cette peur, face à cette mobilité, cette flexibilité, il faut aussi trouver des formes d’organisation. On fonctionne en réseau. On s’appuie sur les syndiqués qui font remonter les informations. Quand, par exemple, à bord de tel navire il y a des conditions de travail déplorables, sur tel pont, dans telle tranche, qui exige un arrêt immédiat du travail parce qu’il y a danger, il y a des salariés, des syndiqués qui nous préviennent. On communique par portables. Et avec le CHSCT, on intervient de suite. » Q. : Des syndiqués qui restent cachés et qui préviennent les délégués ? « C’est ça. Dans la sous-traitance, il y a des délégués. Dans les boîtes d’intérim aussi. On est regroupé avec l’USM-CGT dans le CHSCT, et avec cette coordination, on arrive à mettre des actions en place. On fait des tracts, on essaie d’informer les salariés de leurs droits, pour qu’ils puissent se défendre, se prendre en charge eux-mêmes. On essaie de cultiver cette notion de revendication. On est en contact permanent avec les salariés. On se connaît. On arrive à se croiser, à discuter, pas seulement dans les réunions classiques, mais surtout dans la rue ou à bord. C’est un point important. Ces salariés viennent voir la CGT. Et pas seulement quand ils en ont besoin. Quand ils voient des collègues en situation difficile, et que ces collègues ont peur de bouger, leurs camarades nous préviennent. On essaie de tisser la solidarité entre nous. Ce qui est très important face à l’individualisation. » Ce qu’A. Fadda appelle abusivement « CHSCT » n’est autre que la commission paritaire de sécurité, aux prérogatives éminemment moins puissantes. Toutefois, elle permettrait de faire pression sur les employeurs, du moins, de soulever les questions litigieuses. Elle tendrait à accroître la confiance des intérimaires dans l’outil syndical, confiance qui se confirmerait par une augmentation des adhésions au SNSETT, et la désignation de quatre nouveaux délégués syndicaux dans l’intérim entre 2001 et 2002. Vu l’état embryonnaire du syndicalisme CGT dans l’intérim, y compris à St Nazaire où il pourrait sembler plus dynamique, chaque nouveau militant compte. Mais globalement, les mobilisations et la sympathie pour le SNSETT ne se traduisent qu’exceptionnellement par la prise d’une carte syndicale. 4 - L’USM, UN OUTIL POUR ORGANISER LES INTERIMAIRES OU ORGANISER L’INTERIM ? LA FORCE D’UN PARADOXE. L’USM est une initiative issue des luttes. Face à l’éclatement du salariat local en termes professionnel et juridique, elle tente de dépasser les frontières strictes de l’entreprise pour travailler au développement de nouveau processus d’identification au travail. Favoriser l’émergence d’une identité de travailleur-se de la sous-traitance, soumis à des conditions spécifiques de production, relèverait d’une démarche syndicale de réappropriation des évolutions dans la division sociale et technique du travail. La CGT, à travers ce type d’expérience, chercherait « à tâtons » à retrouver des communautés pertinentes de l’action collective. Or, dans ce cas, la concentration industrielle, géographiquement stable et définie, autorise les syndicalistes à reformuler des stratégies de mobilisation par l’adaptation des structures.

101 Le contrat de chantier : 1 - pas de protection sociale (dans les entreprises de la métallurgie, il faut justifier d’un an d’ancienneté pour bénéficier des indemnités en cas de maladie ou d’accident du travail) ; 2- suppression des indemnités de précarité ; 3 – suppression des indemnités de déplacement, paniers, etc. 102 Plusieurs centaines selon A. Fadda.

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Comme on a pu le constater, l’USM produit un cadre identifiable par les travailleur-ses temporaires pour faire remonter des revendications, quelle que soit leur situation de travail. Qu’il s’agisse, à titre d’exemple, de questions de droit relatives à l’entreprise de travail temporaire ou de problèmes rencontrés lors d’une mission dans une entreprise cliente, l’existence de délégué-es syndicaux de site qui peuvent faire un recours au niveau d’instances de site – certes embryonnaires – tendrait à ouvrir de nouvelles perspectives pour la défense des salarié-es. Si l’USM se projette dans l’exigence « un site = un statut = une convention collective », dans les faits, les actions collectives de l’USM ont consisté à rassemblé des salarié-es de la sous-traitance afin de stopper un accroissement de la précarisation de la main d’œuvre. C’est la lutte contre le Contrat de chantier relatée par A. Fadda. Car la direction d’Alsthom, en tant que puissant donneur d’ordre, montre sa capacité à imposer les normes d’emploi sous des formes qui s’avèrent encore moins socialement sécurisante que l’intérim ou le CDD. Aussi, un des axes principaux de mobilisation des intérimaires est-il l’allongement de la durée des missions, quelle que soit la profession. À ce titre, l’USM pourrait être perçu comme un instrument qui aurait vocation à participer à une régulation locale du travail et de l’emploi. Mais dans les conditions induites par le rapport de force du donneur d’ordre dans la cascade productive, comme par la variabilité du volume d’emploi liée à la forte sensibilité conjoncturelle du marché de la construction navale, la fonction de l’USM est essentiellement défensive. Ainsi, si on définissait la création d’instances de négociations au niveau du site comme un système d’agencement local, la capacité pour le syndicat à mobiliser et à mener des luttes ne serait-elle pas une des seules garanties pour lui de tenir une place conséquente dans la discussion avec les représentants patronaux ? Le syndicat, s’il se contentait d’être co-gestionnaire à titre représentatif des conventions de site, se présenterait comme une simple institution d’appui au contrôle des mobilités ouvrières. Le « paradoxe CGTiste » se situerait dans la posture d’une union syndicale qui ne peut miser sur « l’abolition de la précarité », et de facto tente de stabiliser tant que possible l’emploi temporaire, au risque de l’institutionnaliser, et qui dans le même temps jugerait que ses capacités de mobilisation augmente avec cette stabilisation des personnels précaires. Le calcul pour certains syndicalistes103 étant le suivant : plus les missions seront allongées, plus il y a de chance que les salarié-es manifestent un intérêt pour des outils d’action collective, donc plus de possibilités d’évoluer vers des solutions plus globales. 5 - L’INSCRIPTION DES EXPERIENCES DE SITE DANS LA REVENDICATION D’UNE SECURITE SOCIALE PROFESSIONNELLE. Cette expérience est à replacer dans un contexte durable d’affaiblissement du syndicalisme et de l’action collective dans l’hexagone. Elle peut être perçue comme une recherche de modalités de redéploiement syndical sur les nouveaux continents de l’emploi salarié. Aussi, si les gros bataillons de la CGT sont fournis aujourd’hui par les salarié-es des marchés internes des grandes entreprises - avec une forte proportion de travailleur-ses du secteur public ou para-public – la problématique de l’implantation syndicale parmi les salarié-es des PME/PMI, et a fortiori dans le travail temporaire dont la caractéristique commune est l’isolement, semble appeler au dépassement de l’entité-entreprise comme base d’organisation. À ce niveau « micro », l’USM propose ici de définir un niveau « méso ». Mais cette évolution dans la CGT s’inscrit dans une réflexion plus globale sur la conquête d’un nouveau statut du salarié. Nommé « sécurité sociale professionnelle », cette revendication s’entend comme la proposition d’une alternative au rapport salarial de type fordien (encadré ci-dessous). L’enjeu serait la définition d’une garantie collective opposable à tous les employeur-ses, et transférable d’une entreprise à l’autre. Cette articulation revendicative, qui prend concrètement appui sur des terrains expérimentaux (St Nazaire, Etang de Berre, Midi-Atalantique, sites centrales EDF, etc.), pourrait se comprendre également comme la conscience d’un nécessaire équilibrage des conditions de travail et d’emploi, quelle que soit le territoire. Si le raisonnement par site autorise une certaine autonomie locale de négociation, la force d’une confédération se situerait dans sa propension à faire-valoir un gain social local dans une situation de négociation sur une autre

103 Cf. : mémoire de DEA

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zone104. Car un des risques, si une tendance à la régionalisation de la conflictualité sociale devait être favorisé par cette nouvelle forme de structuration syndicale territoriale105, serait une évolution vers la disparité en termes de droits sociaux selon le dynamisme économique et social local. Enfin, face aux exigences de flexibilité de l’appareil productif, qui nécessite du point de vue économique une disponibilité importante et un niveau de qualification adéquat de la force de travail, la CGT espère traduire à travers ce nouveau statut à la fois le besoin d’une sécurisation du travail et de l’emploi, mais aussi l’émergence de rapports au travail non-nécessairement en contradiction avec les logiques de mobilité professionnelles et géographiques106. Cependant, dans toute démarche d’agencement local du travail et de l’emploi, il s’agirait, dans des systèmes qui se présentent à un équilibre extrêmement fragile entre gestion de la précarité et gain social, de réfléchir à l’impact de ces modes de régulations sur les temporalités sociales des travailleur-ses. L’intermittence salariale telle qu’elle est actuellement développée dans la division sociale et technique du travail laisse peu de place à la projection du salarié-e au-delà d’un présent proche, comme elle est rarement compatible avec des temporalités exogènes encore normées autour de l’emploi fordien (temps des villes : temps des crèches, des écoles, des magasins, etc.). La conciliation vie professionnelle / vie privée ne serait-elle pas un axe de réflexion pertinent quant à la valorisation, ou non, de pratiques d’agencement locale de l’intermittence salariale ?

« Un droit individuel, une garantie collective » ou « La sécurité sociale professionnelle selon la CGT » Souplesse : - mobilités / nomadisme - travailleur-ses occasionnels à employeurs multiples - contrôle / autonomie Sécurité : un ensemble de droits à garantir (non exhaustif) - Le droit à l’emploi : dont on peut retrouver un prolongement dans les expériences de groupements

d’employeurs - Le droit à l’éducation et à la formation tout au long de la vie - Le droit à la reconnaissance (qualification, salaire), au déroulement de carrière, au maintien du pouvoir

d’achat - Le droit à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée : droit à une réduction et à une autre

organisation du temps de travail - Le droit à la retraite solidaire - Le droit à une véritable démocratie sociale (information, connaissance des éléments de gestion,

consultation sur les projets, lutte contre les discriminations, etc.) Source : Nouveau statut du travail salarié, la CGT, 1er document de travail, mars 2002

104 « Table ronde n°3 : réalités locales », ibid, p. 17. 105 Les formes que l’on pourrait nommer antérieures seraient les Union géographiques (locales, départementales, régionales, …). 106 On en retrouve l’expression dans le rapport au travail développé par des intérimaires dits « professionnels » (Faure-Guichard, 1999), voire dans des franges non négligeables de la jeunesse intérimaire en insertion (Pialoux, 1979).

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4.4 – LES QUESTIONS JURIDIQUES OUVERTES LE DROIT DU TRAVAIL A L’EPREUVE DE LA « FLEXSECURITE »,

QUESTIONS ET PERSPECTIVES D’ANALYSE

Marie-Laure Morin, directrice de recherche CNRS, Lirhe Université des sciences sociales de Toulouse.

Ce texte reprend l’intervention faite par l’auteur en cette qualité au séminaire de la Dares en décembre 2002. Son caractère oral lui a été conservé. Il s’agit pour l’essentiel d’une note de cadrage Elle appelle critiques discussions et développements beaucoup plus substantiels, mais ce devraient être l’objet de travaux ultérieurs. Les interrogations sur l’évolution du cadre de la régulation juridique des relations de travail, tel qu’il s’est construit depuis la seconde révolution industrielle, a nourri différents travaux et en particulier ceux conduits par la commission Boissonnat au sein du Commissariat général du plan107 et ceux du rapport Supiot pour la Commission européenne108. Ces travaux ont tenté de définir des problématiques juridiques nouvelles pour appréhender des trajectoires d’emploi plus mobiles et plus diversifiées et les conditions de leur sécurité. « Le contrat d’activité » ou « l’état professionnel des personnes » et les « droits de tirages sociaux », font figurent aujourd’hui de référence dans les débats sur les réformes du droit du travail, même si leur traduction concrète reste encore très fragmentaire. Ils ont en tout cas nourri la revendication de nouvelle sécurité sociale professionnelle avancée aujourd’hui par la CGT, concept qui traduit de façon très éclairante l’élargissement de la revendication de la stabilité de l’emploi, à la sécurité de la carrière des salariés. Ces travaux ont permis de poser au moins deux questions essentielles : la première est celle de la façon d’assurer une continuité de droits, au-delà du seul contrat de travail, pour dépasser et élargir la sécurité sociale des travailleurs qui existe déjà face aux risques de l’existence, et assurer la sécurité face aux risques de l’emploi en donnant des droits aux personnes pour maîtriser leur trajectoires professionnelles et organiser les transitions109. La seconde est celle de la responsabilité des différents acteurs (entreprise, Etat, individu lui-même) dans la prise en charge des aléas de l’emploi, ou dans la construction de « l’employabilité » des salariés. Les travaux comparatifs qui se développent aujourd’hui prolongent ces réflexions en soulignant par ailleurs l’importance de conjuguer les institutions qui assurent la stabilité de l’emploi et les institutions qui fournissent une protection sociale, particulièrement sur le marché du travail, pour assurer cette sécurité110, dans une perspective globale de droit social qui est à l’origine même du concept d’emploi. Les développements qui suivent ne prétendent évidemment pas livrer des solutions qui relèvent pour l’essentiel du débat social et politique. Leur objectif est beaucoup plus modeste. Il s’agit tout d’abord de préciser d’un point de vue juridique comment se pose concrètement en France aujourd’hui les questions que soulèvent ces transformations (ou tout au moins certaines d’entre elles), et dans un second temps de préciser dans quelle mesure les problématiques juridiques évoquées ci-dessus, ou d’autres peuvent permettre d’ouvrir des pistes, pour souligner l’importance de certaines questions juridiques dans les débats en cours sur la « flexsécurité ».

107 J. Boissonnat, Le travail dans vingt ans, Ed Odile Jacob, Paris 1995 . 108 Au-delà de l’emploi, transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, Flammarion 1999. 109 Thèmes des entretiens de l’emploi de l’ANPE, Mars 2003, dont les débat nous ont permis de compléter certains points de cette intervention. Spécialement, .P.Auer, « Panorama des systèmes de mobilité et de transitions, perspectives internationales et prospective », J. Gautié : « Transitions et trajectoires sur le marché du travail français », et. F. Gaudu, intervention dans l’atelier « Continuité et discontinuité de la vie professionnelle et protection sociale » 110 P. Auer préc.

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1 - FLEXIBILITE ET SECURITE : QUELQUES DIAGNOSTICS ET QUESTIONS JURIDIQUES Pour tracer une typologie des agencements de flexibilité et sécurité, on peut partir de l’analyse de la dimension individuelle et de la dimension collective du rapport de travail. Ces deux dimensions sont en effet les deux dimensions classiques à partir desquelles s’est construit d’un point de vue juridique « l’ordonnancement des relations de travail » qui nous gouverne aujourd’hui111. Cet ordonnancement rend compte de l’articulation des règles qui régissent le rapport de travail autour d’une part du contrat de travail (relation à la fois contractuelle et subordonnée) qui place le salarié dans une relation contractuelle individuelle, mais aussi dans une situation collective source de solidarité sociale, d’autre part du pouvoir du chef d’entreprise (pouvoir de direction né du contrat et pouvoir sur une collectivité), et enfin de la représentation collective fondée sur l’appartenance à une même collectivité. 1-1 La dimension individuelle du contrat de travail, 1-1-2.1 Nouvelles pratiques * Dans le contrat de travail : actuellement, il existe une très grande variété de contrats portant sur le travail : qu’ils soient salariés (contrat de travail salarié, CDI, CDD travail temporaire, contrat de chantier ou saisonnier, contrat d’emplois aidés), ou non salariés (contrat d’entreprise des indépendants, contrat de portage salarial etc..)112. La flexibilité peut se traduire par des évolutions internes du contrat de travail, spécialement salarié, des changements d’employeurs liés aux restructurations, et une mobilité accrue sur le marché du travail, avec des passages plus fréquent par le chômage ou éventuellement par des passages du salariat à l’indépendance. S’agissant du contrat de travail lui-même, contrat à exécution successive, la façon dont peuvent se conjuguer flexibilité et sécurité dépend pour une large part de la façon dont le droit assure l’évolution du contrat lui-même. Le droit de la modification du contrat est de ce fait devenue une question centrale. La jurisprudence s’est beaucoup attachée à cette question pour renforcer le pôle de stabilité que constituent les prévisions du contrat individuel113. Corrélativement, le contrat de travail classique s’est s’enrichi de nombreuses clauses, en matière de rémunération variable ou aux résultats, de clause de mobilité, de non concurrence etc. qui affectent, sinon la relation d’emploi elle-même, au moins les conditions de son exécution et sur lesquelles la jurisprudence a aussi eu à se prononcer Il y a là des traductions très concrètes de l’individualisation des relations de travail. Très globalement deux tendances fortes se dégagent de la jurisprudence : d’une part la Cour de cassation s’est attachée à définir le socle contractuel qui ne peut pas être modifié sans l’accord du salarié, (rémunération, qualification, durée du travail, voire lieu de travail), par opposition aux simples conditions de travail dont la définition relève du pouvoir de direction du chef d’entreprise, sous réserve des règles collectives qui peuvent avoir été définies par exemple en matière d’aménagement du temps de travail (La durée du travail est une chose, elle fixe les limites du contrat et la base de la rémunération, l’horaire de travail, c'est-à-dire sa répartition en est une autre). D’autre part, et en présence de clauses comme les clauses de non concurrence, les clauses de mobilité, ou plus simplement en présence de l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur, la jurisprudence s’est attachée à donner toute sa portée à l’article L. 120-2 du Code du travail selon lequel « nul ne peut porter atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché », pour opérer un contrôle de proportionnalité entre l’intérêt de l’entreprise et la protection de la vie privée du travailleur. Protection du contrat, protection de la vie privée sont aujourd’hui deux bornes susceptibles de protéger la relation d’emploi114.

111 A. Jeammaud, M. Le Friand, A. Lyon-Caen : « L’ordonnancement juridique des relations de travail » Recueil Dalloz, 1998, Ch. p.359. 112 Sur cette diversité qui a toujours existé : M-L. Morin (ss la direction de) : Prestation de travail et activité de service, document Travail Emploi, La Documentation française, 1999. 113 Ph. Waquet : « Le renouveau du contrat de travail », RJS n° 6, 1999, p. 383. 114 La jurisprudence sur le lieu de travail est importante et parfois hésitante : la tendance est à contractualiser le lieu de travail ; en matière de non concurrence la jurisprudence n’admet la validité de la clause que si elle est justifiée par l’intérêt de l’entreprise. Elle est limitée dans le temps et l’espace et si elle fait l’objet d’une contrepartie (Soc 10 juillet 2003, obs. Vatinet, Droit Social 2003 p. 949). Il est vrai que la clause de non concurrence est une atteinte directe au principe de la liberté du travail et que nombre d’auteurs plaident pour sa nullité.

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*En matière de sécurité de l’emploi : d’une façon plus sensible dans le débat public (en tout cas c’est l’objet de polémiques récurrentes), loi et jurisprudence on tenté d’assurer la sécurité de la relation d’emploi face aux aléas économiques. L’évolution des règles du licenciement économiques ou de celles concernant les contrats à durée limitée (même si la pratique les ignore souvent) marque la volonté de renforcer cette sécurité. De façon très symptomatique des obligations de reclassement ont été affirmées tant en matière de licenciement économique que de licenciement pour inaptitude. Cette obligation de reclassement est fondée sur une approche évolutive de la relation d’emploi, puisque l’obligation de reclassement a pour fondement une obligation d’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois qui a vocation à s’appliquer aussi bien au moment du licenciement que tout au long de la relation de travail115. L’obligation de reclassement concerne non seulement l’employeur juridique, mais aussi les sociétés du groupe qui font partie du même secteur d’activité économique, élargissant ainsi le périmètre possible d’évolution de la relation d’emploi. Néanmoins il s’agit plus d’assurer la continuité d’une même relation d’emploi, que de définir des solutions de continuité avec un autre emploi. Pôle contractuel réaffirmé, continuité de l’emploi, sous réserve des adaptations nécessaires semblent deux lignes directrices qui restent largement inspiré par la nécessité d’assurer la stabilité de l’emploi. *Transitions et trajectoires professionnelles: Les évolutions sont le plus souvent d’ordre légal. Mais à côté des évolutions du droit positif, la pratique aussi innove. Les objectifs et les techniques juridiques utilisées sont variés. Ils forment aujourd’hui plus un patchwork qu’un ensemble achevé. - Solutions de continuité entre deux emplois ou entre emploi, chômage et reprise d’emploi116 : possibilité de rompre un contrat à durée déterminée avant terme pour conclure un CDI (loi de modernisation sociale) ; institutions du licenciement économique et règles qui permettent de reconnaître la responsabilité de l’employeur au-delà du terme du contrat de travail pour l’exécution du plan de sauvegarde de l’emploi (également, congés de conversion dans les plus grandes entreprises qui permettent de maintenir le contrat de travail pendant la durée du reclassement, mais la technique n’est pas neuve) ; PARE dans le cadre de l’assurance chômage qui repose sur une technique conventionnelle conjuguant indemnisation, mesures d’accompagnement ou de formation et recherche d’emploi ; dispositions du projet de loi sur l’initiative économique qui permettent le maintien d’un contrat de travail à temps partiel pendant la durée d’une création d’entreprise. - Reconfiguration de la figure de l’employeur : « tiers employeur » (légal ou non) permettant une diversité de relation de travail avec des clients multiples tout en ayant un lien unique d’emploi, ou permettant de conserver un statut social salarial (portage) tout en effectuant des missions limitées chez divers clients. Le tiers employeur assure la continuité ou de l’emploi, ou du statut social (ex : le portage sans qu’il soit ici question de préjuger de sa légalité), l’objectif peut être d’assurer une transition ou un emploi plus durable (association intermédiaire, aide à domicile) ; « employeur de transition » pour passer d’un emploi à un autre et notamment du salariat à l’indépendance (cf. l’institution du contrat d’accompagnement à la création d’activité au sein d’une couveuse d’activité, qui permet le maintien des droits sociaux du salarié117) ; « groupement d’employeur » reposant sur la responsabilité solidaire de plusieurs employeurs sur une même relation d’emploi. Possibilité enfin de cumul de situations juridiques comme dans le « droit des activités réduites » pour les chômeurs. Ces situations de cumul sont en réalité nombreuses. On notera à cet égard que le projet de loi sur l’initiative économique prohibe les clauses d’exclusivité dans un contrat de travail, donnant ainsi toute sa portée au principe de la liberté du travail. Ces « innovations » procèdent tantôt d’une évolution du contrat de travail lui-même, (modification du pôle employeur avec des opérations de triangulation, contenu des obligations du contrat de travail lui-même), tantôt de l’utilisation d’une technique conventionnelle pour organiser la transition, tantôt enfin (ou en même

115 Inscrite dans la loi à l’art. L.321-1al3 et L. 932-2 du Code du travail par la loi de modernisation sociale 116 Situations aujourd’hui les plus fréquentes, cf., J. Gautié préc. 117 Art. 10 du projet de loi sur l’initiative économique. Ce dispositif présente un double intérêt, d’une part la figure du contrat d’accompagnement n’est pas sans évoquer le contrat d’activité, d’autre part le maintien des droits sociaux du salarié, le créateur étant considéré comme un travailleur particulier opère une déconnection entre l’activité professionnelle indépendante et le statut social du travailleur, au moins pendant la période d’accompagnement).

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temps) de la tentative de déconnexion des droits de protection sociale du contrat de travail pour assurer une continuité de droits (couveuse d’activité). Une typologie approfondie de ces « innovations » et des techniques juridiques utilisées reste à faire pour en apprécier la portée concrète. Au-delà du contrat de travail lui-même et de l’organisation de la sécurité de la relation d’emploi, la question posée par la sécurité des trajectoires est en effet double : elle porte aussi bien sur l’organisation des transitions professionnelles, que sur la façon d’assurer la continuité de droits sociaux au long de la trajectoire professionnelle c'est-à-dire sur la manière d’organiser la transférabilité d’un certain nombre de droits118. 1-1-2 Questions C’est sur l’organisation des transitions et des trajectoires que se concentrent en effet les interrogations, même si elles conduisent à revisiter des questions plus classiques * D’un point de vue juridique, ces situations posent tout d’abord la question de savoir qui est l’employeur (notamment dans les situations de triangulation qui sont un élément majeur de flexibilité), et qui est débiteur de l’application des règles régissant le contrat de travail. La jurisprudence en reste à une approche traditionnelle de la subordination, mais des évolutions apparaissent : co employeur, dans les groupes en particulier, critère de l’employeur tiré non seulement de la possibilité de donner des ordres mais aussi de la détermination de celui qui tire profit du travail du salarié119. * le développement de trajectoires d’emploi plus mobiles pose de façon plus nouvelle la question de savoir qui est responsable de l’employabilité des personnes, c'est-à-dire de leur capacité à tenir un emploi ou à en changer. Les développements autour du PARE d’un côté, mais surtout autour de l’obligation d’adaptation et des débats sur la refonte de la formation professionnelle sont ici passionnants. Jusqu’où va l’obligation de l’employeur d’adapter les salariés à l’évolution de leurs emplois, est-ce une obligation limitée dans le cadre de la qualification contractuelle du salarié, ou va-t-elle au-delà ? Quels sont les droits du salarié à demander à être formé… Quelles sont les responsabilités propres de l’employeur, de la Puissance Publique et celle du salarié lui-même en matière de formation. Sous jacente à la question de la formation qui n’est qu’un outil du développement de l’employabilité des salariés se pose la question encore plus difficile de la reconnaissance de leur compétences, à laquelle la validation des acquis de l’expérience apporte une première réponse et au-delà celle encore plus cruciale de la possibilité de les valoriser dans la qualification professionnelle. Jusqu’à maintenant en effet la qualification professionnelle dépend pour l’essentiel du poste occupé. Cet ensemble d’interrogations conduisent à revisiter l’économie même du contrat de travail. D’un point de vue sociologique la question de savoir quel est l’objet de l’échange salarial qui permet de conjuguer flexibilité et sécurité est aujourd’hui posée. Certains auteurs soulignent que l’on va vers un nouvel échange salarial non plus « salaire contre productivité », mais « résultat contre employabilité120 » : D’un point de vue juridique quel est alors l’objet du contrat de travail, la réalisation d’un travail correspondant à la qualification contractuelle (i.e ensemble des tâches que l’on peut être appelé à réaliser en vertu de cette qualification contractuelle, sauf modification du contrat) sous la subordination de l’employeur contre la rémunération prévue ? Ou l’atteinte de certains résultats qui supposent une plus grande autonomie du salarié (et donc un changement dans les formes de subordination), contre des garanties d’employabilité en interne et en externe. Si le salarié est lié par des obligations de résultats (clause d’objectifs par exemple), quelle est l’étendue de sa responsabilité en la matière (peut-on lui imputer en faute le fait de ne pas avoir atteint tel ou tel objectif, alors que ceux-ci peuvent dépendre de la conjoncture économique par exemple) ? Quelle est l’étendue de la responsabilité de l’employeur en terme de moyens fournis, d’organisation, de développement des compétences nécessaires 121? S’agissant de l’employabilité, son entretien ou son développement suppose d’une part de déterminer quelle est l’étendue de la liberté et de la responsabilité des différentes parties dans l’accès et la mise en œuvre de la formation. Mais d’autre part si la garantie de l’employabilité est non seulement interne mais aussi externe. La question de la transférabilité des droits en matière de formation et celle de la portée de la reconnaissance des compétences dans les grilles de qualification doivent être résolues. Cela suppose probablement de considérer la formation continue non plus simplement comme une obligation 118 F. Gaudu, préc. 119 Soc. 10 Octobre 2002, obs. T Pasquier, Dalloz 2003, sommaires commentés, p. 393 120 J.D. Reynaud, « Le managment par les compétences, un essai d’analyse », Sociologie du travail 2001, n° 43. 121 Il y a aujourd’hui une jurisprudence assez abondante

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de l’employeur contrepartie d’une obligation de dépense, et/ou comme un droit individuel (le CIF), selon l’économie de la loi de 1971, mais comme une garantie sociale. * Quel est le rôle des intermédiaires du marché du travail dès lors qu’on sort du pôle contrat de travail ? Par quelles formes juridiques interviennent-ils : dans quelle mesure les interventions se déroulent-elles dans un cadre conventionnel qui définit les droits et obligations des parties, ou les éventuelles conventions ne portent-elles que sur un accompagnement dans le cadre de la réalisation de droits acquis de toute façon par le jeux des techniques de l’assurance sociale122 ? Autre question : le réseau d’entreprise ou le tiers employeur, sont-ils des employeurs (ou plutôt des co- employeurs) au sens juridique du terme, ou ne sont-ils que des intermédiaires qui organisent la circulation entre différents employeurs ? Quelle est alors leur responsabilité propre? Il y a là une question importante qui conduit à analyser les formes contemporaines du marchandage123 (le marchandage au XIX siècle englobait des formes de fourniture de main d’œuvre qui ne sont pas toutes illicites aujourd’hui). 1-1-3 Les transformations des relations collectives On n’insistera pas ici sur les transformations des relations collectives liées aux nouvelles configurations des entreprises, c’est un sujet en soi. On insistera plutôt dans la perspective de la conjugaison entre flexibilité et sécurité sur les nouvelles formes de garanties collectives qu’appelle cette conjugaison. *Les premières tiennent à la souplesse nouvelle des accords collectifs. Classiquement le statut collectif est le socle de garanties sur lequel peut se construire le contrat individuel plus favorble. Aujourd’hui le développement des techniques dérogatoires et l’assouplissement des procédures de révision des accords conduisent à une plus grande malléabilité du statut collectif, le contrat devenant un pôle de résistance ainsi qu’indiqué plus haut. Renversement étonnant ! On s’interroge par ailleurs sur la question de savoir si des obligations peuvent être crées par voie de convention collective à la charge du salarié. La question est ancienne mais elle connaît aujourd’hui un regain d’actualité et pose le problème des contreparties éventuelles. D’une façon générale c’est donc tout le problème de la conjugaison entre contrat individuel et statut collectif qui demanderait à être revisité aujourd’hui. On comprend en tout cas que dans ces conditions il soit nécessaire de revenir sur le concept de représentativité et sur les conditions de signatures des accords collectifs. Enjeu majeur. *Les transformations précédentes se sont accompagnées dans certains cas de droits individuels nouveaux (par exemple, en matière de temps partiel, droit individuel de retour à temps plein, en matière de formation professionnelle droit au bilan de compétence) Quel type de garanties collectives peuvent être négociées pour rendre effectifs ces droits individuels ? En matière de classification et de qualification professionnelle, l’émergence de la problématique compétence par exemple pose ce type de questions, et le développement de garanties procédurales est une des évolutions les plus notables qui l’accompagne124. *Enfin une question essentielle tient à la décentralisation de la négociation collective vers l’entreprise. La négociation d’entreprise qui porte sur le pouvoir de gestion de l’entreprise et son pouvoir de direction, est-elle exactement de même nature que la négociation de branche normative traditionnelle qui fixe les règles du marché du travail ? Mieux, dès lors que la question centrale est celle de l’organisation de la mobilité, comment assurer le transfert d’un certain nombre de droits acquis dans l’entreprise (reconnaissance de la compétence, compte épargne temps etc.), sans un système de négociation externe (la question a été au cœur de la négociation sur la formation professionnelle) ? Il faudrait en réalité compléter cette esquisse par une analyse des évolutions intervenues en matière de protection sociale (CSG ou CMU, par exemple), qui modifient aussi les liaisons établies entre travail et protection sociale. Le survol des évolutions intervenues dans le seul domaine de la relation de travail montre cependant l’importance des transformations en cours. 122 Et il faudrait ici revenir sur ce concept d’assurance sociale fondée sur la solidarité, qui ne fonctionne pas de la même façon que les assurances classiques, il y a des débats européens important sur la question. 123 Il y a aujourd’hui des débats européens très importants sur le rapprochement entre agence de placement et travail temporaire. 124 N. Besucco, M. Tallard, L’encadrement collectif de la gestion des compétences, un nouvel enjeu pour la négociation de branche", Sociologie du travail, 1999 n ° 4I.

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2 - DANS LE CADRE DE QUELLE (S) PROBLEMATIQUES JURIDIQUES PEUT-ON ANALYSER CES EVOLUTIONS ET FAIRE DES PROPOSITIONS Trois problématiques émanant de juristes tracent aujourd’hui des perspectives d’action normative assez différentes les unes des autres, ou plutôt mettent l’accent sur des aspects différents des transformations citées plus haut. 2-1- Le contrat d’activité, La figure du contrat d’activité s’attache en réalité à redéfinir la figure de l’employeur, en englobant des relations qui ne sont pas toutes des relations de travail au sens strict. Ce « contrat » a un double objectif. Tout d’abord, il cherche à organiser la mutualisation de l’emploi, en rendant un ensemble d’acteurs responsables solidairement du lien d’activité et du respect des droits de la personne au travail ou en activité. Cet élargissement, qui aujourd’hui est réalisé concrètement dans le groupement d’employeur, pourrait être utile pour saisir notamment les organisations en réseau ou la sous-traitance. Le second objectif est d’assurer à l’intérieur du réseau ainsi constitué l’acquisition et l’exercice des droits sociaux. Ce contrat fonctionnerait donc sur le même principe d’articulation entre le contrat de travail et le statut social du travailleur que le concept traditionnel d’emploi. Mais l’existence d’une convention entre différents acteurs permet d’élargir la portée du concept et d’intégrer différentes positions de travail de formation, de passage à l’indépendance etc. Enfin le contrat d’activité repose sur une configuration conventionnelle des relations entre acteurs. Les attendus et les effets plus précis de ce mode de configuration conventionnelle des parcours d’emploi ou d’activité que l’on trouve aujourd’hui aussi dans le PARE, dans le contrat d’accompagnement des créateurs d’entreprise, dans les parcours TRACE etc.… reste à explorer de façon plus précise. 2-2 Les « droits de tirage sociaux » Cette problématique proposée par A. Supiot s’articule autour de deux grandes idées : - de la même façon que toute personne a un état civil auquel sont attachés un ensemble de droits et d’obligations personnelles, toute personne à un état professionnel qui lui ouvre un ensemble de droits quelle que soit sa situation de travail concrète. Il s’agit donc de détacher l’acquisition des droits sociaux de l’existence d’un contrat de travail ou d’une activité professionnelle, comme le faisait le concept d’emploi, pour les attacher directement à la personne. Cela conduit A Supiot à tracer différents cercles de droits sociaux, ceux directement attachés à la personne comme la formation, l’assurance maladie, etc., ceux attachés à l’exercice d’une activité professionnelle comme le droit à la retraite, et ceux liés à une situation particulière de travail (les droits et obligations liés à la subordination dans le contrat de travail). Les droits de tirage sociaux sont alimentés de façon diverse (notamment par des comptes épargne temps) et doivent permettent non seulement de faire face aux aléa de l’existence selon la technique de la solidarité sociale classique, mais qui surtout pourraient être utilisés librement, indépendamment de la réalisation d’un risque pour passer d’une situation à une autre. L’idée centrale est d’augmenter la capacité des salariés à maîtriser leur devenir professionnel grâce à ces droits. On songe évidemment immédiatement au droit à la formation tout au long de la vie, mais aussi à des possibilités nouvelles de conjuguer temps de la vie et temps de travail. Reste à savoir comment peuvent être organisés les garanties collectives et le financement de ces droits individuels. L’idée de sécurité sociale professionnelle avancée aujourd’hui par la CGT est directement inspirée de cette problématique. Elle attache certains droits, comme les droits tirés de l’ancienneté ou de la qualification, à la personne et non plus au contrat afin d’assurer la sécurité professionnelle, malgré les aléas de emplois. Ce concept fait débat : s’agit-il de définir un statut du salarié tout au long de sa carrière assurant la pérennité des droits acquis ? Ou s’agit-il de définir un droit à la formation tout au long de la vie et à la reconnaissance des qualifications acquises (deux droits assurément distincts) qui permettraient à l’individu de construire sa carrière ? Ce n’est pas exactement la même chose.

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En tout cas, les droits de tirage sociaux, au sens où A. Supiot utilise ce terme, n’existent pas en droit positif même si des embryons peuvent les préfigurer (compte épargne temps, congé individuel formation notamment, congé création entreprise). Leur construction pose les questions de savoir comment les financer, comment assurer leur transférabilité, et comment assurer leur libre exercice par les personnes, autant de problèmes difficiles. En revanche on peut noter la progression notable en droit positif de la problématique des droits fondamentaux des travailleurs. Elle se traduit par un intérêt marqué porté aux déclarations des droits, ou aux droits affirmés sous forme de « droits à » : Droit à l’emploi, droit à la retraite, droit à la formation tout au long de la vie. Il y aurait probablement à explorer les liens et les différences entre le concept de droits fondamental des travailleurs et celui de droit de tirage social. Dans une perspective de droit positif la formulation d’un « droit à » pose de nombreuses questions sur sa portée juridique exacte : s’agit-il de droits subjectifs opposables à l’Etat, à l’employeur, c'est-à-dire des prérogatives juridiques directement mobilisables ? ou s’agit-il d’autre chose ? Prenons l’exemple du droit à l’emploi, il ne s’agit pas d’une prérogative que toute personne peut faire valoir auprès d’un employeur quelconque. Il s’agit plutôt d’un principe qui fonde un ensemble de règles qui en assure la mise en œuvre et qui peut être invoqué dans une argumentation juridique pour construire une solution nouvelle . Ainsi le droit à l’emploi, qui est de nature constitutionnelle, fonde le service public de l’emploi, il oriente les règles du licenciement économique (avec le principe de la liberté de gestion du chef d’entreprise), il a aussi été invoqué en justice pour limiter l’interdiction du cumul emploi retraite. Un « droit à » invite donc à s’interroger sur la construction institutionnelle qui donne corps à ce droit , sur le rôle des différents acteurs et sur les garanties collective qui président à sa mise en œuvre. Construire le droit à la formation sous forme d’un droit subjectif, reviendrait à prévoir des compte ou des assurances formation individuelles sur lequel le travailleur serait libre de tirer, ce qui pourrait le rendre seul responsable de sa formation professionnelle. Le construire sous la forme d’un droit fondamental, conduit au contraire à préciser les règles et les institutions qui peuvent garantir pour chaque individu et dans les différentes situations de sa vie, l’accès à la formation, les conditions de prises en charge financière, la reconnaissance des qualifications acquises etc…Cela revient donc à préciser le rôle et les responsabilités des différents acteurs et les garanties éventuellement collectives susceptibles d’assurer la mise en oeuvre concrète du droit. C’est probablement davantage dans ces termes que se pose aujourd’hui la question de la construction d’un droit à la formation tout au long de la vie qui suppose l’articulation entre différente situations ou possibilités de formation tout au long de la vie), que sous la forme d’une simple prérogative individuelle alimentée par un compte assurantiel. Les droits de tirage sociaux sont-ils de purs droits subjectifs, s’agit-il au contraire de droits fondamentaux dont la mise en œuvre appelle une construction institutionnelle ? la question nous paraît importante. Ceci étant, la problématique des droits de tirage sociaux est très utile pour appréhender les transitions et les trajectoires professionnelles, en obligeant à repenser et à élargir la protection sociale traditionnelle. 2-3.1 Le partage des risques et des responsabilités La troisième problématique que j’ai essayé de développer pour ma part prend ses racines dans le concept de risque, concept fondateur du droit social125. Elle s’attache moins à reconfigurer le contrat de travail ou les droits sociaux des salariés qu’à s’interroger sur le partage de responsabilités des différents acteurs en ce qui concerne les risques de toute nature, sociaux et économiques, susceptibles d’affecter les relations de travail ou la possibilité même de travailler. Cette problématique considère l’ensemble des institutions qui régissent le travail comme une convention de partage de risque (le terme convention est utilisé ici au sens socio économique et non au sens juridique du terme). Elle considère également que les différentes transformations évoquées plus haut et le développement corrélatif de la problématique flexibilité sécurité s’inscrit dans une modification de la convention de partage de risque né de la seconde révolution industrielle.

125 Notamment M.L Morin, « Partage des risques et responsabilité de l’emploi », Droit Social, juillet août 2000, p. 730.

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Le concept même de risque mériterait d’être approfondi. On connaît bien les risques sociaux liés à des évènements extérieurs ou naturels qui atteignent la personne du salarié (maladie accident retraite) et l’empêche de travailler et donc de gagner sa vie. Mais le terme « risque » peut renvoyer à une problématique juridique tout aussi classique, celle de la prise en charge des aléas ou des pertes dans une opération juridique quelconque: qui supporte les risques ? Le terme risque est ici synonyme d’aléa, et en principe, sauf force majeur, la survenance d’un aléa n’exonère pas le débiteur de ses obligations : il supporte le risque. Dans le contrat de travail, la question de l’aléa économique renvoie essentiellement à deux choses : - le risque économique de l’entreprise que le salarié ne supporte pas en principe (il n’est pas responsable des pertes), même si les règles du licenciement et celle de la rémunération permettent de les répartir. - l’aléa qui porte sur les compétence réelle du salarié à réaliser ce qu’on attend de lui (incomplétude du contrat), aléa d’autant plus important que les emplois eux-mêmes évoluant la question de savoir comment adapter les compétences du salarié et qui en a la charge, est évidemment posée. La problématique des risques conduit donc à s’interroger sur la question de leur imputation, c'est-à-dire sur la question de savoir à qui peuvent-ils être rapportés. Cette question peut être posée en terme de responsabilité civile classique : celui par la faute duquel un événement dommageable est arrivé a la charge de la réparation. A cette problématique classique s’est ajoutée la responsabilité pour risque, qui a permis d’organiser la réparation des dommages en la socialisant indépendamment de la faute, c’est-à-dire sans avoir à se poser la question de l’imputation. Ceci a permis d’organiser la réparation des accidents, selon la technique de l’assurance ou la prise en charge des aléas de la vie selon des techniques de solidarité collective. Mais en amont de la réparation du risque, et d’un point de vue plus large, le droit peut aussi s’intéresser aux conditions dans lesquelles un aléa peut ou non être invoqué, pour en répartir les conséquences. Il y a là aussi une technique de répartition du risque, qui suppose alors que la question de l’imputation soit posée. Par exemple, la décision d’opérer un licenciement économique à la suite d’un aléa quelconque est imputable à l’entreprise : à quelle condition cette décision est-elle justifiée et comment ses conséquences peuvent-elles être aménagées ? Les réponses légales apportées à cette question organise une certaine répartition des conséquences de l’aléa. Plus en amont, il peut y avoir des obligations de prévention des risques, dont la méconnaissance peut être source de responsabilité. En matière de sécurité du travail, cette problématique est très présente. Elle peut être étendue. Ainsi, par exemple, l’obligation d’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois peut être considéré comme une obligation de prévention des licenciements. Cette obligation incombe aujourd’hui à l’employeur. Mais jusqu’où va-t-elle ? Dans quelle mesure un employeur peut-il invoquer l’obsolescence des compétences d’un salarié âgé qu’il n’a jamais formé pour le licencier ? Ces questions sont d’autant plus difficiles que l’on envisage le développement de l’employabilité en interne et en externe. Autrement dit la répartition juridique des risques consiste non seulement à définir comment réparer les conséquences dommageables d’un aléa, ce qui est déjà beaucoup, mais aussi à préciser qui doit supporter l’aléa, dans le cadre de quelles obligations il peut ou non l’invoquer, et quelles mesures de prévention il peut avoir à prendre. Il nous semble que l’approfondissement de la notion de risque de l’emploi qui est aujourd’hui plus socio-économique que juridique reste à faire dans cette perspective. Elle pourrait être utile pour comprendre les mécanismes d’externalisation et chercher à y répondre, par exemple en s’interrogeant dans un réseau d’entreprise sur la question de savoir à qui est imputable le risque de l’emploi, et partant des réponses possibles à cette question, s’il n’est pas possible de créer des espaces de reclassement élargis, comme il en existe déjà dans les grands groupes. De même, il nous semble que cette problématique peut être utile pour aborder la réforme du droit de la formation professionnelle en s’interrogeant précisément sur la responsabilité des différents acteurs dans le développement de l’employabilité des salariés. Une telle piste de réflexion n’est évidemment pas exclusive de la construction de droits susceptibles de soutenir les trajectoires des salariés, mais elle permet d’insister sur la nécessité de prendre en compte les relations entre les différents acteurs pour opérer cette construction. Au fond il s’agit de souligner qu’il ne peut y avoir de droits des salariés sans construction corollaire de relations professionnelles au sens large. Dans le cadre d’un survol aussi rapide, les développements qui précèdent ne sont évidemment que des notations au demeurant discutables. On souhaite seulement qu’elles incitent les juristes, à partir d’une analyse aussi précise que possible des questions juridiques soulevées par les nouvelles configurations de travail à nourrir des réflexions plus larges dont les acteurs ont besoin, sur l’utilisation de la technique

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conventionnelle en matière de transition, le mode de construction des droits nouveaux qu’on présente comme des droits individuels garantis collectivement, l’imputabilité de risques de l’emploi etc., toutes notions qui, me semble-il, ont à voir avec l’organisation de la « flex-sécurité ».

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4.5 – TABLE RONDE : BILAN ET QUESTIONS OUVERTES

LES CONDITIONS D’EVALUATION DU TRAVAIL

François Eymard-Duvernay, Centre d’études de l’emploi (CEE) Le cadre théorique à approfondir, pour appréhender les relations entre souplesse et sécurité, concerne les procédures d'évaluation du travail : quels sont les critères de justice à introduire dans les modes de sélection et d'évaluation de la main d'oeuvre ? La mobilité peut se faire sans (trop) d’insécurité si les salariés ont la garantie d’une part, que les employeurs vont procéder à une évaluation juste, c’est-à-dire à une évaluation objective de leurs compétences, prenant en compte la spécificité de leurs trajectoires ; une évaluation qui respecte l’égalité de traitement et proportionne strictement les inégalités aux besoins réels (au lieu de durcir la sélection indépendamment des emplois réels). Et d’autre part, qu’ils auront des moyens d’accès à d’autres emplois en cas de refus d’embauche. Il faut interroger la rationalité économique des employeurs, au lieu de se préoccuper uniquement, en aval, des soutiens sociaux. On constate un changement important ces dernières années dans les principes d'évaluation du travail, qui induisent une plus grande insécurité. Ces changements peuvent être liés à l’émergence de la « logique compétence ». Plusieurs conditions devraient être respectées pour que ces nouveaux principes d’évaluation soient légitimes. Une première condition est que soit clairement précisée l’échelle de valeurs qui permet de mesurer la qualité du travail. Le développement de la logique compétence est justifié par l’idée que de nouvelles valeurs émergent, en rupture avec le monde industriel en particulier. Mais ce nouveau système de valeurs mériterait d’être clarifié. Il est souvent présenté en négatif, les salariés devant maintenant être flexibles, mobiles, adaptables etc. Peut-on construire une véritable compétence sur le long terme à partir de telles « valeurs » ? Pour qu’une procédure d’évaluation soit équitable, il faut, en second lieu, qu’elle soit référée à un bien commun, qui fonde la coopération. Les salariés ne peuvent accepter le risque d’être mal classés que si un tel jugement sert l’intérêt collectif. Or les nouveaux principes de gouvernance fragilisent l’entreprise comme bien commun. L’entreprise « allégée » aux contours flous, soumise à des restructurations permanentes, finalisée par l’intérêt des actionnaires ne constitue plus un support crédible de coopération. Une troisième condition pour que l’évaluation des salariés soit équitable est qu’elle repose sur des règles publiques : chacun (et les salariés concernés en premier lieu) doit pouvoir connaître les principes appliqués pour évaluer le travail. Ils ne peuvent être laissés à la discrétion de l’employeur. Une quatrième condition est que la valeur attribuée à chacun puisse être remise en jeu. Si certaines personnes sont de façon répétitive (voire définitive) mal classées par les règles d’évaluation, sans réparation possible, le système d’évaluation a des effets d’exclusion et ne peut être considéré comme équitable. Une cinquième condition pour que l’évaluation soit équitable est qu’elle limite l’amplitude des inégalités : seules les inégalités dont « on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun » sont équitables. Cette condition très exigeante est au fondement de la coopération. Manifestement, les nouveaux principes de valorisation des compétences ne satisfont pas cette contrainte. L’objectif suivi par le patronat en les promouvant est plutôt de déconstruire tout principe de justice. L’accent mis sur la responsabilité individuelle vise à réduire la dimension assurantielle inhérente au contrat de travail. Les catégories collectives de travail permettent d’égaliser les situations individuelles constituant une « assurance compétence ». La logique compétence a pour objectif au contraire de durcir l’individualisation en accentuant les inégalités. Les recherches, suivant cette perspective, devraient approfondir l’analyse des moments d’évaluation du travail, que ce soit lors du recrutement, dans le cours de l’emploi (des évaluations négatives pouvant anticiper un licenciement), ou au moment des licenciements. Elles devraient également prospecter les dispositifs permettant de garantir des évaluations plus justes du travail, c’est-à-dire réduisant l’exclusion : rôle du service public de l’emploi (les évaluations réalisées par les agents de l’ANPE contribuent-elles à réduire l’exclusion ?), des intermédiaires « civiques » du marché du travail (associations d’insertion...), des

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dispositifs territoriaux. Elles pourraient également prospecter le clivage entre les règles qui cadrent les situations d’emploi, y compris la rupture du contrat de travail, et les règles qui gèrent le marché du travail. Pourquoi la négociation collective ne couvre-t-elle que marginalement les comportements sur le marché du travail ?

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TROIS PISTES DE RECHERCHES

Jacques Freyssinet Les travaux présentés au cours de cette journée soulèvent de multiples questions de recherche ; parmi celles-ci l’accent sera mis sur trois d’entre elles, à la fois pour leur caractère transversal d’un point de vue thématique et pour leur pertinence dans la comparaison internationale. 1 - « REINTERNALISATION » OU « MUTUALISATION » ? La conciliation entre la flexibilité des marchés du travail et des organisations productives, d’une part, la sécurité des trajectoires professionnelles des salariés, d’autre part, peut être recherchée, au niveau des principes, sur la base de deux mécanismes. On peut en trouver des illustrations tant dans des expériences passées que dans des propositions aujourd’hui soutenues. La première logique s’appuie sur l’expérience des marchés internes du travail dont on cherche à maintenir la source de sécurité, la stabilité de l’emploi dans l’entreprise, tout en en réduisant le risque de rigidité. Il s’agit donc de reconstruire un lien durable, mais plus évolutif dans son contenu, entre le salarié et l’employeur, lui-même redéfini. Derrière l’employeur au sens juridique, c’est l’utilisateur réel de la force de travail que l’on cherche à rendre responsable : au delà de la société employeur, on identifiera le groupe auquel elle appartient ; derrière le sous-traitant, on désignera le donneur d’ordre. Face aux multiples stratégies d’externalisation de la gestion de la main-d’oeuvre, il s’agit de contraindre l’entité économique pertinente à « réinternaliser », dans ses modes de gestion et dans ses calculs microéconomique, des obligations de sécurité de l’emploi. On en trouve des illustrations dans des règles introduites par la loi ou la jurisprudence par exemple, sur les obligations de l’employeur quant au maintien de l’employabilité de ses salariés ou sur la définition du périmètre pertinent pour les obligations de reclassement interne en cas de licenciement collectif. La seconde logique s’inspire de l’expérience des marchés professionnels tels qu’ils avaient été construits par les ouvriers de métier. La sécurité de l’emploi n’est plus recherchée dans la force du lien à l’employeur mais dans les processus d’acquisition, d’élargissement et de reconnaissance de qualifications ou compétences transférables. Ainsi, chaque travailleur dispose-il des moyens d’une stratégie de mobilité volontaire ; la reconnaissance d’un « statut professionnel » vise à éliminer ou réduire les risques de discontinuité ou de précarité. Une telle orientation implique la définition de mécanismes de mutualisation des ressources et des risques : normes collectives assurant des droits individuels à la formation, à la validation et au transfert des acquis, garanties de revenus dans les phases de transition, etc. En pratique, des évolutions dans l’une ou l’autre direction coexistent et, parfois, se mêlent. Une question de recherche pourrait donc être, au delà de l’inventaire des modalités et de l’examen de leurs performances respectives, l’analyse des conditions dans lesquelles s’établissent entre elles des rapports de contradiction et/ou de complémentarité. 2 - CRITERES DE QUALITE D’UN ACCORD Nous disposons maintenant d’un volume considérable de monographies ou d’études comparatives, françaises et étrangères, sur ce que l’on a parfois appelé les « pactes pour l’emploi et la compétitivité ». Il s’agit d’accords de contreparties où les salariés obtiennent de l’employeur certains engagements en matière de création ou de préservation de l’emploi, de gestion des restructurations, de formation professionnelle…, au prix de concessions en matière d’objectifs de productivité, de modération salariale, de flexibilisation des formes d’emploi ou du temps de travail … Nous savons assez bien, aux deux extrêmes, distinguer les « bons » des « mauvais » accords. Les seconds visent seulement à réduire, à court terme, le coût salarial unitaire pour traverser une phase difficile, supposée

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provisoire ; c’est une logique de sacrifices pour survivre. Les « bonnes pratiques » réunissent des accords qui visent à transformer, à moyen terme, les sources de l’efficacité productive en lien avec une transformation des relations de travail ; on y trouve des accords combinant, plus ou moins, l’introduction de nouvelles technologies et de nouvelles formes d’organisation du travail, l’aménagement et de la réduction du temps de travail, des politiques de formation continue… La difficulté naît de ce que la majorité des accords, surtout lorsque la conjoncture économique est médiocre, se situent dans un continuum entre les deux situations polaires. Sauf à se fier à une appréciation inévitablement subjective du chercheur, il apparaît difficile de porter un jugement sur leur qualité. Or il s’agit d’un objet de débats aigus entre acteurs sociaux, en particulier lorsque les organisations patronales ou syndicales sont divisées sur l’opportunité d’une signature. Un deuxième axe de recherche pourrait donc porter sur la définition de critères objectifs, certainement multidimensionnels, permettant de qualifier la « qualité » d’un accord de ce type. 3- PROCESSUS D’APPRENTISSAGE ET PROCESSUS D’EVALUATION Un autre enseignement de l’étude des « bonnes pratiques » en matière de conciliation entre souplesse et sécurité dans la gestion de l’emploi est qu’elles ne naissent pas d’un unique accord qui en établirait durablement les conditions. D’abord, la négociation selon les règles formelles est souvent précédée d’une phase préparatoire, parfois longue : sensibilisation et consultation individuelle ou collective des salariés, diagnostic et propositions d’experts, expérimentations ; selon les cas, les syndicats ou les instances de représentation du personnel sont, formellement ou non, associés à cette pré négociation. La négociation proprement dite est souvent longue, parfois entrecoupée de procédures de consultation des salariés. L’accord prévoit généralement un dispositif de suivi et des clauses de révision ou d’adaptation en fonction de l’évaluation de l’expérience ou de l’évolution du contexte. La réussite, lorsqu’elle est validée par les deux camps, résulte toujours d’un processus d’apprentissage long et complexe. Dans ces conditions, il est à première vue surprenant de constater la rareté des travaux d’évaluation, au sens technique du terme. Les recherches disponibles portent essentiellement sur les processus de négociation et sur le contenu des accords ; la phase de mise en œuvre est négligée. Cette lacune est-elle imputable aux seuls chercheurs ? On peut aussi supposer que les acteurs sociaux, engagés dans des processus complexes et conflictuels, y compris en leur sein, ne souhaitent pas voir un « expert extérieur » porter un jugement évaluatif qui risquerait de les déstabiliser et de mettre en danger l’expérience. Ils entendent être les seuls responsables de l’évaluation sur la base des objectifs stratégiques qui les orientent. Ce point de vue est compréhensible mais, à terme, les acteurs sociaux ont certainement intérêt à disposer d’une analyse rigoureuse des dynamiques qu’ils ont engagées ; aux chercheurs de leur apporter les preuves de leur compétence et de leur déontologie professionnelle. Il apparaît donc souhaitable, en mesurant les difficultés qui en résulteront, d’inscrire comme question prioritaire de recherche la compréhension des dynamiques longues des processus d’apprentissage et l’élaboration des méthodologies de leur évaluation.

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MOBILITES, METIERS, REGULATIONS

Bernard Gazier, MATISSE (université Paris 1 et CNRS)

La thématique « souplesse et sécurité » présente l’avantage d’imposer l’analyse conjointe des pratiques de gestion de la main d’œuvre au sein des entreprises et des mouvements et transactions effectuées sur le marché du travail. Par ailleurs, elle invite à discuter des tensions qui peuvent apparaître entre les deux termes, ainsi que des compromis locaux ou globaux que les acteurs concernés peuvent construire. Au regard de ces enjeux, l’outil d’observation et le point d’intervention sont de plus en plus l’étude et la régulation des trajectoires professionnelles, et moins les statuts d’emploi ou les décisions ponctuelles d’achat et vente de la force de travail. Il convient de dire tout de suite que l’investigation scientifique des trajectoires n’en est encore qu’à ses débuts. En dépit d’indiscutables progrès, la connaissance des déterminants des trajectoires et même celle de leurs inflexions restent insuffisantes. Mes observations tiennent en trois points, tous trois au pluriel : mobilités, métiers, régulations. 1. MOBILITES Le temps n’est plus de l’opposition simple entre des carrières « en interne » garanties à des salariés protégés, et des mouvements « externes » aux déterminants supposés résulter d’offres et de demandes ponctuelles et de décisions individuelles volatiles. Il a été mis en évidence le conflit entre les deux logiques rivales de l’internalisation et de la mutualisation, la seconde impliquant une redéfinition de la figure de l’employeur. On doit rajouter que cette confrontation n’est pas stable mais désormais en mouvement. En effet, les firmes qui offrent les perspectives de carrières les plus structurées, qui devraient relever de la sécurité traditionnellement offert par les « marchés internes » avec leurs garanties et leurs canaux de promotion/formation en interne, offrent désormais des perspectives de mobilité… comme argument de fidélisation. Ces pratiques qui tendent à se répandre trouvent du reste un écho auprès des travailleurs en début de carrière, sensibles aux opportunités d’évolution offertes telles que la possibilité de changer d’entreprise, de prendre une année ou deux dans une expérience « à son compte », etc. Dit autrement, le rapport à la mobilité qui autrefois caractérisait les cadres (le « marché primaire supérieur », dans la terminologie usuelle des travaux sur la segmentation du marché du travail) tend désormais à descendre vers le « marché primaire » proprement dit. Cette importance nouvelle reconnue à la mobilité dans les pratiques de stabilisation des plus favorisés des travailleurs (ceux dont la firme veut s’attacher durablement les services et dont elle veut accroître les compétences au cours du temps) trouve un écho étouffé dans un domaine proche : celui des préconisations et des pratiques en termes de « gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences ». Le bilan complet de ces espoirs et de ces « bonnes pratiques » qui devaient s’imposer selon leurs promoteurs, et sont largement restés au stade des bonnes résolutions, reste à faire. Une hypothèse naturelle est que cette gestion prévisionnelle, très largement conçue comme un processus d’ajustement interne, a complètement manqué l’exigence de renouvellement des « marchés internes », de mise en mouvement des carrières et les enjeux de la mobilité d’aujourd’hui. Seule est fondée, et pourra se développer, à notre sens, une gestion prévisionnelle des emplois, des compétences et des mobilités. Les outils et les horizons changent alors, et incluent les pratiques d’essaimage, de partenariats multiples avec des organismes de formation et des réseaux d’entreprises, ainsi que la généralisation du « coaching ». 2. METIERS Par delà l’emploi précaire ou instable dont il a beaucoup été question, ce sont certaines firmes qui elles-mêmes sont devenues précaires, instables, éphémères en quelque sorte. Les exemples ne manquent pas de firmes ayant massivement externalisé leurs activités, y compris des fonctions usuellement comprises comme centrales sinon régaliennes, par exemple l’ensemble des fonctions « ressources humaines » (recrutement, paye, rapports sociaux). Et on a vu certaines entreprises changer trois ou quatre fois de propriétaires en une

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année. Ces processus de décomposition peuvent coexister avec des processus de recomposition, mais ils ne laissent subsister qu’une figure à peu près stable, c’est celle d’un réseau évolutif d’entrepreneurs et de travailleurs opérant dans une gamme d’activités en perpétuel renouvellement : un métier. Le métier voit alors se renforcer son rôle d’ancrage identitaire parce qu’il permet le regroupement et la coordination d’acteurs engagés dans des trajectoires proches, disposant de qualifications dont l’évolution se fait en parallèle. Les inflexions peuvent alors s’expérimenter non pas isolément, mais au sein d’une sorte de communauté qui peut objectiver et baliser les changements. C’est ainsi que le poste traditionnel de « secrétaire » indifférencié (pouvant appartenir à n’importe quelle branche d’activité) est en voie de disparition, et que de nouvelles professions sont apparues qui permettent à des assistant(e)s de se spécialiser dans une gamme de tâches (communication, administration…) au sein d’un secteur donné (par exemple la fabrication et la commercialisation de bateaux). Les enjeux de la formation initiale et continue se reformulent alors en termes de parcours de formation, associés à telle ou telle garantie, de recyclage par exemple, et telle ou telle possibilité d’évolution. 3. REGULATIONS Cette organisation largement décentralisée, qui est presque une auto-organisation, représente sans aucun doute une des voies par lesquelles les acteurs du marché du travail peuvent concilier souplesse et sécurité. Elle n’est de toute évidence pas suffisante. Les participants de cette journée se sont tous interrogés, de manière diverse, sur les multiples canaux par lesquels un contrôle collectif et de nouvelles solidarités pouvaient s’établir dans le nouveau contexte et ses contraintes. Parmi les points qui auraient pu motiver un examen supplémentaire, il y a par exemple la nécessité de reprendre, dans ce nouveau contexte, les comparaisons internationales à propos des spécificités du syndicalisme français. En contrepoint, on doit insister sur l’observation désormais avérée des fortes tendances actuelles à la « re-régulation » du marché du travail, notamment dans le monde anglo-saxon. Contrairement à un certain nombre d’idées reçues, le libéralisme et le « social libéralisme » ne se manifestent pas par un vide en matière réglementaire en ce qui concerne les relations de travail, mais par l’arrivée au premier plan de la figure du juge et l’essor d’un maillage fin d’obligations et de sanctions. Il y a une substitution partielle du juge au syndicat pour la défense du travailleur. Un autre point mérite davantage de prise en compte, c’est le rôle actuel et potentiel joué par l’Internet sur le marché du travail : en matière de recrutement, avec des effets contradictoires les uns favorables aux chômeurs (accès très rapide à un vaste ensemble d’employeurs et d’offres d’emploi) et les autres défavorables (standardisation, formalisme, discriminations). Et aussi, mais c’est un terrain peu exploré en France, le e-syndicat, et les répercussions du « web » sur l’organisation interne des syndicats, sur leur réactivité et leur vie démocratique, etc. Enfin, si de nombreuses « bonnes pratiques » ont pu être mises en évidence, leurs limites et les conditions de leur généralisation restent à préciser bien davantage. Il en va ainsi notamment des arrangements locaux et des initiatives prises au niveau d’une entreprise, d’une ville ou d’une région. Telle ou telle négociation, tel ou tel dispositif innovant, peut se réduire à la gestion frileuse de ressources que se sont appropriées un petit groupe soucieux de se protéger. Le local, c’est parfois le lieu du clientélisme, du népotisme, des arrangements entre soi. Pour se protéger de ces tendances au fond assez naturelles, deux conditions au moins doivent être remplies. La première est qu’un réseau de transferts, nationaux et/ou internationaux, permette de construire la solidarité géographique et d’éviter que des régions riches aménagent en toute tranquillité leurs trajectoires de riches pendant que d’autres en seraient réduites à subir leurs trajectoires de pauvres. Ces transferts existent évidemment déjà, qu’il s’agisse de l’affectation des sommes destinées aux politiques de l’emploi ou du Fonds Social Européen. Il s’agit de les conforter et d’en expliciter davantage les critères. Ce qui conduit à une seconde condition, plus difficile à satisfaire : les arrangements locaux doivent prendre place dans une dynamique globale, celle de projets affirmés sous la forme d’un (ou plusieurs ?) modèles de société. De ce point de vue, la discussion en France ne fait que commencer. Il existe de toute évidence un modèle « social libéral », auquel on peut effectivement s’opposer. Ce modèle est toutefois plus rejeté a priori que réellement connu et discuté ; et d’autre part, s’il existe le noyau de propositions alternatives, telles que les pratiques social démocrates flexibles expérimentés dans certains pays européens, elles restent à systématiser sous la forme d’un véritable modèle alternatif.

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POLITIQUES D’EMPLOI ET SECURISATION DES PARCOURS D’INSERTION : UNE FRACTURE NORD SUD ?

Carole Tuchszirer, Ires

Je voudrais en quelques mots aborder la problématique de la sécurité des trajectoires professionnelles sous l’angle des politiques de l’emploi qui sont aujourd’hui les seules, en tous cas en France, à assurer les transitions à l’extérieur de l’entreprise. J’aborderai à ma façon cette problématique en revenant rapidement sur les résultats d’une recherche effectuée pour la DARES et qui visait à rendre compte de la façon dont différents pays de l’union européenne ont intégré la problématique des activités occasionnelles dans leurs politiques de l’emploi. J’insisterai sur le rôle que les politiques publiques de l’emploi ont assigné à ces formes d’emplois occasionnelles. La question étant de savoir si oui ou non ces activités occasionnelles, qui constituent souvent le lot commun des mesures d’insertion, parviennent à favoriser l’insertion des demandeurs d’emploi sur le marché du travail régulier. Sans vouloir être trop manichéenne, la recherche menée montre qu’il est possible d’opposer les pays où historiquement les marchés du travail sont ouverts, y compris d’ailleurs ouverts à la négociation avec les partenaires sociaux et apparaissent relativement souples, pour ne pas dire flexibles, du point de vue des modalités d’entrées et de sorties du marché du travail (Danemark, Pays-Bas) aux pays qui ont été à l’inverse marqués par une réglementation du travail relativement rigide où les procédures d’embauche et de licenciement sont régies par des normes publiques qui apparaissent assez strictes en dépit des réformes récentes (cas espagnols et italiens).

Cette opposition est en fait lourde de conséquence sur la nature des politiques d’activation, sur les objectifs qu’elles poursuivent, car en dépit des principes généraux énoncés pour justifier la logique d’activation, des écarts importants apparaissent quant aux finalités qui sont assignées aux marchés du travail activés. Ces finalités, on peut en dénombrer au moins deux. Une logique d’activation qui vise à lutter contre la segmentation du marché du travail en favorisant le retour à l’emploi régulier de populations jugées vulnérables. Une autre logique d’activation qui vise, elle, de façon plus souterraine, à lutter contre les rigidités des marchés du travail en favorisant la diffusion d’emplois occasionnels. Et ces deux objectifs, au vu des résultats de cette recherche, apparaissent relativement inconciliables si l’on se place du point de l’efficacité des politiques de l’emploi. Dans les pays dotés d’une faible fluidité du marché du travail, les politiques actives de l’emploi sont sans cesse tiraillées entre une logique de lutte contre la segmentation du marché du travail et une logique de quête de flexibilité qui contribue d’ailleurs à perpétuer les phénomènes de segmentation. Lorsque derrière la politique de l’emploi se cache, de façon implicite, une politique de flexibilisation du marché du travail qui n’a pas pu être négociée ailleurs que dans le cadre de la politique de l’emploi, les stratégies d’activation sont relativement peu efficaces au sens où les effets de redistribution sur le marché du travail sont faibles que ce soit en termes de catégories de chômeurs ou en termes de territoires à privilégier. LES EXEMPLES DE L’ESPAGNE, DES PAYS-BAS ET DU DANEMARK Je prendrai comme exemple le cas espagnol et l’accord interprofessionnel intervenu en 1997 sur la stabilité de l’emploi parce qu’il m’apparaît symptomatique de cette sorte de confusion des genres. C’est typiquement le type d’accord qui mêle des aspects de flexibilité (assouplissements des conditions de licenciements des salariés) et des aspects de politique de l’emploi, puisque cet assouplissement porte, en contrepartie, sur des créations d’emplois à durée indéterminée qui étaient réservées à certain types de chômeurs en situation de précarité (jeunes de moins de 30 ans, chômeurs de longue durée et chômeurs âgés). Quatre ans plus tard, face au constat que cet accord n’était pas parvenu à faire reculer significativement le travail précaire, le gouvernement Aznar fait passer une réforme du marché du travail qui élargit la cible des bénéficiaires de la réduction du coût de licenciement à quasiment l’ensemble des demandeurs d’emploi. Du coup cette réforme s’apparente désormais à une mesure d’abaissement généralisée du coût du travail sans effet contre sélectif puisque les entreprises ont désormais la possibilité de recruter qui elles souhaitent. Lorsque la politique de l’emploi court deux lièvres à la fois elle passe forcément à côté d’un des deux et a, en tous cas, le plus grand mal à assumer sa mission de redistribution des chances d’accéder à l’emploi régulier.

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À l’inverse, un des enseignements que l’on peut tirer de cette recherche, c’est que lorsque la politique conventionnelle permet d’assurer une régulation relativement souple du marché du travail (comme c’est le cas plutôt dans les pays du nord), la politique de l’emploi peut plus facilement s’affranchir de cette mission et se recentrer sur l’accès au marché régulier du travail sans assumer une fonction de dérégulation brutale et non négociée du marché du travail. On peut citer le cas des Pays-Bas où la régulation du marché du travail, sur les questions des salaires, du travail à temps partiel, des formes nouvelles d’emplois font l’objet de compromis entre l’Etat, les syndicats et le patronat. Dans le cas néerlandais, ce n’est pas à la politique de l’emploi de traiter ces questions ce qui lui laisse, bien sûr, plus d’autonomie dans la détermination de son champ d’action.

Même constat au Danemark où le marché du travail activé n’a pas pour objet de modifier le fonctionnement du marché du travail régulier mais d’en favoriser l’accès aux demandeurs d’emploi. Dans le cas danois, un certain nombre de gardes fou ont même été instaurés pour s’assurer que les emplois aidés n’allaient pas venir concurrencer les emplois réguliers. Voilà un premier élément de différenciation concernant les modalités de régulation des marchés du travail régulier et activé. Et ce premier élément de différenciation déteint sur la qualité des politiques d’activation mises en œuvre (qualité au sens où les politiques de l’emploi parviennent à assurer une bonne transition vers le marché régulier du travail sans enfermer les bénéficiaires des emplois aidés dans un circuit ou alternent sans cesse des phases de chômage et des phases d’emplois occasionnels). Une des conditions sur lesquelles reposent les politiques d’activation qui tirent vers le retour au marché régulier, c’est bien la qualité de la protection sociale et de la couverture indemnitaire. Et là encore, il y a une ligne de fracture entre les pays de Nord et les pays du Sud. Dans les Pays du Nord, la mobilité observée sur le marché du travail a été rendue possible par l’assurance qu’avaient les salariés qu’entre deux emplois leur revenu allait être garanti. Et ce degré élevé de protection sociale n’est donc pas seulement une contrepartie accordée aux salariés en échange d’une demande de mobilité qui leur est faite, elle est la condition qui permet qu’un tel mouvement s’opère. Ce binôme mobilité/ sécurité n’est pas à l’œuvre dans les pays du Sud même si les réformes en cours cherchent d’une certaine façon à s’orienter dans cette voie. En Italie, la réglementation du travail a été telle que pendant longtemps c’était l’entreprise, la grande entreprise, qui assurait à elle seule la protection indemnitaire des salariés via les caisses de compensation salariale et la politique de l’emploi était internalisée dans l’entreprise et se limitait à ce seul acteur. Des réformes ont eu lieu pour sortir la politique de l’emploi de l’entreprise via un certain nombres de mesures qui ont été prises pour qu’une politique publique de l’emploi vienne assurer dorénavant cette transition. Mais ces politiques de l’emploi butent sur l’aspect indemnitaire qui reste le maillon faible de la protection sociale italienne. Seuls 20 % des chômeurs sont indemnisés et du coup les mesures d’insertion dites actives qui ont été adoptés, les travaux d’utilités sociales, visent plus à assurer aux demandeurs d’emploi un revenu de remplacement qu’à faciliter le retour au marché du travail. Même constat en Espagne avec l’adoption d’une mesure baptisée ‘rente active d’insertion’ mais qui n’a d’actif que le nom, car en fait réservée aux chômeurs non indemnisés et fonctionnant plus comme une mesure passive visant avant tout la délivrance d’un revenu de remplacement dans une logique de type plutôt assistancielle.

Ainsi, lorsque derrière des politiques de l’emploi se dissimulent des stratégies visant à flexibiliser le marché du travail ou des dispositifs visant à fournir aux chômeurs un revenu de remplacement non pris en charge dans le cadre général de la protection sociale, les politiques de l’emploi dites actives restent d’une efficacité limitée par ce qu’elles reproduisent des phénomènes de segmentation du marché du travail sans parvenir, autant qu’elles le devraient, à positionner les chômeurs sur des trajectoires de mobilités ascendantes.

Page 123: SOUPLESSE ET SÉCURITÉ DE L’EMPLOIdares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/DE_71.pdf · et de la solidarité D OCUMENT D’ÉTUDES Direction de l’animation de la recherche, DARES

N° 1 La négociation salariale de branche entre 1985 et 1993, par Olivier BARRAT (DARES), septembre 1994.N° 2 Créations et suppressions d'emplois en France. Une étude sur la période 1984-1992, par S. LAGARDE (INSEE), E. MAURIN (DARES), C. TORELLI (INSEE),

octobre 1994.N° 3 L'impact du coût sur la substitution capital-travail, par Ferhat MIHOUBI (DARES), novembre 1994.N° 4 Éducation, expérience et salaire. Tendances et évolutions de long terme, par D. GOUX (INSEE) et Eric MAURIN (DARES), novembre 1994.N° 5 Origine sociale et destinée scolaire. L'inégalité des chances devant l'enseignement à travers les enquêtes FQP 1970, 1977, 1985 et 1993, par D. GOUX (INSEE) et Eric

MAURIN (DARES), décembre 1994.N° 6 Perception et vécu des professions en relation avec la clientèle, par Sabine GUYOT et Valérie PEZET (Institut pour l'amélioration des conditions de travail), déc. 1994.N° 7 Collectifs, conflits et coopération dans l'entreprise, par Thomas COUTROT (DARES), février 1995.N° 8 Comparaison entre les établissements des PME des grandes entreprises à partir de l'enquête RÉPONSE, par Anna MALAN (DARES) et Patrick ZOUARY (ISMA),

septembre 1996.N° 9 Le passage à une assiette valeur ajoutée pour les cotisations sociales : une approche sur données d'entreprises, par Gilbert CETTE et Élisabeth KREMP (Banque de

France), novembre 1996.N° 10 Les rythmes de travail, par Michel CÉZARD et Lydie VINK (DARES), décembre 1996.N° 11 Le programme d'entretien auprès des 900 000 chômeurs de longue durée - Bilan d'évaluation, par Marie RUAULT et René-Paul ARLANDIS (DARES), mars 1997.N° 12 Créations et suppressions d'emplois et flux de main-d'oeuvre dans les établissements de 50 salariés et plus, par Marianne CHAMBAIN et Ferhat MIHOUBI (DARES),

avril 1997.N° 13 Quel est l'impact du commerce extérieur sur la productivité et l'emploi ? Une analyse comparée des cas de la France, de l'Allemagne et des États-Unis, par Olivier

CORTES et Sébastien JEAN (CEPII), mai 1997.N° 14 Bilan statistique de la formation professionnelle en 1995-1996 - DARES, mai 1997.N° 15 Les bas salaires en France 1983-1997, par Pierre CONCIALDI (IRES) et Sophie PONTHIEUX (DARES), octobre 1997.N° 16 Les jeunes en difficulté à travers le réseau des missions locales et des PAIO entre 1994 et 1996 - Résultats du panel TERSUD de 1997, DARES et DIIJ, janvier 1998.N° 17 L'impact macro-économique d'une politique de RTT : l'approche par les modèles macro-économiques, DARES (Mission analyse économique), SEMEF-BDF, OFCE,

janvier 1998.N° 18 L'opinion des Français face au chômage dans les années 80-90, par Jacques CAPDEVIELLE et Arlette FAUGERES (CEVIPOF), janv. 1998.N° 19 Intéressement et salaires : Complémentarité ou substitution ? par Sylvie MABILE, DARES, mars 1998.N° 20 L'impact économique de l'immigration sur les pays et régions d'accueil : modèles et méthodes d'analyse, par Hubert JAYET, Université des sciences et technologies de

Lille I, avril 1998.N° 21 Analyse structurelle des processus de création et de suppression d'emplois, par Frédéric KARAMÉ et Ferhat MIHOUBI, DARES, juin 1998.N° 22 Quelles place pour les femmes dans les dispositifs de la politique de l'emploi entre 1992 et 1996 ?, par Franck PIOT, DARES, août 1998.N° 23 Deux années d'application du dispositif d'incitation à la réduction collective du temps de travail, par Lionel DOISNEAU, DARES, sept. 1998.N° 24 Le programme « Nouveaux services-Emplois jeunes », d'octobre 1997 à octobre 1998, par Françoise BOUYGARD, Marie-Christine COMBES, Didier GÉLOT, Carole

KISSOUN, DARES, novembre 1998.N° 25 Une croissance plus riche en emplois depuis le début de la décennie ? Une analyse en comparaison internationale, par Sandrine DUCHÊNE et Alain JACQUOT, DARES

et INSEE, mars 1999.N° 26 Stratégies concurrentielles et comportements d'emploi dans les PME - Un état de la littérature, par Philippe TROUVÉ, avril 1999.N° 27 Effets sur les trajectoires des chômeurs d'un passage dans deux dispositifs de politique d'emploi (CES-SIFE), Rapport final pour la convention du 15/06/98 (n° 98020)

passée entre le Gréquam et la Dares, Christelle BARAILLER, mai 1999.N° 28 Les inégalités salariales entre hommes et femmes dans les années 90, par Dominique MEURS et Sophie PONTHIEUX, ERMES- Paris II et DARES, juin 1999.N° 29 Les allocataires du RMI et l'emploi, par Dominique ARNOUT (Rapport de stage), juin 1999.N° 30 Les stratégies des entreprises face à la réduction du temps de travail, par Anne-Lise AUCOUTURIER, Thomas COUTROT (DARES) et Étienne DEBAUCHE (Université

Paris X-Nanterre), septembre 1999.N° 31 Le mandatement dans le cadre de la loi du 13 juin 1998, par Christian DUFOUR, Adelheid HEGE, Catherine VINCENT et Mouna VIPREY (IRES), octobre 1999.N° 32 L'effort financier des collectivités locales dans la lutte contre le chômage et pour l'aide à l'emploi, par Jacques ABEN, Paul ALLIES, Mohammad-Saïd DARVICHE,

Mohammed DJOULDEM, Muriel FROEHLICH, Luis DE LA TORRE, octobre 1999.N° 33 La dynamique asymétrique des flux de création et de suppression d’emplois : une analyse pour la France et les États-Unis, par Frédéric KARAMÉ (DARES), nov. 1999.N° 34 Évaluation d’une mesure de politique pour l’emploi : la convention de conversion, par Marc WEIBEL (rapport de stage), janvier 2000.N° 35 Premières évaluations quantitatives des réductions collectives du temps de travail, par Murielle FIOLE, Vladimir PASSERON et Muriel ROGER, janvier 2000.N° 36 La durée annuelle et l’aménagement du temps de travail en 1994, par Annie DELORT et Valérie LE CORRE, février 2000.N° 37 Analyse des premiers accords conventionnés de passage à 35 heures - Étude monographique de 12 accords, par Pierre BOISARD et Jérôme PELISSE, février 2000.N° 38 Syndrome, miracle, modèle polder et autres spécificités néerlandaises : quels enseignements pour l’emploi en France ?, par Sébastien JEAN (CEPII), août 2000.N° 39 La mise en œuvre de la formation dans les contrats de qualification - Rapport final, par Marie-Christine COMBES (GPI-MIS), octobre 2000.N° 40 L’impact du développement des services sur les formes du travail et de l’emploi - Rapport final pour la Dares -, par Christian du TERTRE et Pascal UGHETTO

(IRIS-Université Paris-IX-Dauphine), novembre 2000.N° 41 Le suivi du plan social par l’employeur au service de l’amélioration du processus décisionnel : l’apport de trois études de cas, par Christophe CORNOLT, Yves MOULIN

et Géraldine SCHMIDT (Université Nancy II), février 2001.N° 42 L’impact des marchés financiers sur la gestion des ressources humaines : une enquête exporatoire auprès des grandes entreprises françaises, par Sabine MONTAGNE et

Catherine SAUVIAT (IRES), mars 2001.N° 43 L’impact du traitement des activités occasionnelles sur les dynamiques d’emploi et de chômage (Convention d’étude Dares-Ires), par Hervé HUYGHUES DESPOINTES,

Florence LEFRESNE et Carole TUCHSZIRER, mars 2001.N° 44 L’adaptation des marchés du travail à l’évolution des systèmes de retraite, par Antoine BOMMIER, Thierry MAGNAC et Muriel ROGER, avril 2001.N° 45 Étude de la démographie des organismes de formation continue, par Isabelle BAUDEQUIN, Annie CHANUT, Alexandre MELIVA (DARES et CEREQ), juin 2001.N° 46 L’évolution des sorties d’emploi vers la retraite et la préretraite. Une approche par métiers, par Agnès TOPIOL (DARES), juillet 2001.N° 47 Prospective des métiers à l’horizon 2010 : une approche par familles d’activité professionnelles, par Agnès TOPIOL (DARES), juin 2001.N° 48 L’évolution des sorties d’emploi vers la retraite et la préretraite, juillet 2001.N° 49 L’information statistique sur la participation des entreprises à la formation continue : état des lieux et évolutions possibles, août 2001.N° 50 Base de données des comptes sociaux des entreprises commerciales (fichiers DIANE). Panel DIANE/UNEDIC, période 1991-1999, par Anne SAINT-MARTIN (DARES),

janvier 2002.N° 51 Dynamique des métiers et usage de l’informatique : une approche descriptive, par Thomas COUTROT (DARES) et Jennifer SIROTEAU, février 2002.N° 52 Licenciements et marchés financiers : les illégimités de la convention financière, par Tristan BOYER (FORUM), avril 2002.N° 53 Mécanique du plan de licenciement : déconstruction d’argumentaires économiques de projets de licenciements, par Tristan BOYER (FORUM), avril 2002.N° 54 À la recherche du temps gagné : des salariés face aux 35 heures, par Jérôme PELISSE (CEE), mai 2002.N° 55 La réduction du temps de travail en Lorraine : enjeux, négociations et pratiques des entreprises, par Lionel JACQUOT (LASTES) et Nora SETTI (GREE), avril 2002.N° 56 Principaux résultats de l’enquête RTT et modes de vie, par Marc-Antoine ESTRADE et Dominique MEDA (DARES), mai 2002.N° 57 Enquête passages : projets, attitudes, stratégies et accords liés à la généralisation des 35 heures - Guide méthodologique et analyse préliminaires, par Mathieu BUNEL,

juillet 2002.N° 58 Cohésion sociale, emploi et compétitivité : éléments pour un débat, par Rachel BEAUJOLIN-BELLET, Marc-Antoine ESTRADE, Jean-Yves KERBOUC’H, Tristan

KLEIN, Frédéric LERAIS, Dominique MEDA, Anne SAINT-MARTIN, Frédéric TRIMOUILLE (DARES), août 2002.N° 59 La politique de l’emploi au prisme des territoires, par Thierry BERTHET, Philippe CUNTIGH (CERVL-CEREQ) et Christophe GUITTON (DARES), septembre 2002.N° 60 Comparaison internationales de durée et de productivité, par Odile CHAGNY et Mireille BRUYERE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques), sept. 2002.N° 61 L’effet des 35 heures sur la durée du travail des salariés à temps partiel, par Aline OLIVEIRA (ENSAE) et Valérie ULRICH (DARES), sept. 2002.N° 62 Les effets du dispositif d’intéressement sur l’insertion au marché du travail des bénéficiaires de l’allocation chômage, par Nadia ALIBAY et Arnaud LEFRANC (Univer-

sité de Cergy-Pontoise), octobre 2002.N° 63 Normes d’emploi et marché du travail dans les métiers liés aux technologies de l’information, par Yannick FONDEUR et Catherine SAUVIAT (DARES), nov. 2002.N° 64 Enquête « REPONSE » 1998 - Questionnaire « Représentants du personnel » - De la participation au conflit, par Daniel FURJOT (DARES), déc. 2002.N° 65 Développement et dialogue social - Les TPE face aux 35 heures, par Pascal CHARPENTIER (CNAM) et Benoît LEPLEY (GIP-MIS), janvier 2003.N° 66 La mobilité professionnelle et salariale des salariés âgés analysée à travers les DADS, par Frédéric LAINÉ, mars 2003.N° 67 Un indicateur régional d’évolution mensuelle d’emploi dans les établissements de 50 salariés ou plus, par Magda TOMASINI, avril 2003.N° 68 La réorganisation du travail et son impact sur les performances des entreprises industrielles : une analyse sur données françaises 1995-1999, par Véronique JANOD et

Anne Saint-Martin, avril 2003.N° 69 Discrimination et emploi : revue de la littérature, par Hélène GARNER-MOYER, mai 2003.N° 70 Impact du traitement des activités occasionnelles sur les dynamiques d’emploi et de chômage - 2ème partie Espagne - Italie, par Florence LEFRESNE (IRES) et Carole

TUCHSZIRER (IRES), mai 2003. N° 71 Souplesse et sécurité de l’emploi : Orientations d’études et de recherches à moyen terme, coordination par Carole Yerochewski, juin 2003.

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