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Stefano Martinelli Le Choix de l’Europe version noir et blanc

Stefano Martinelli Le Choix de l’Europe Stefano Martinellimultimedia.fnac.com/multimedia/editorial/pdf/9782332882493.pdf · 2 5 Préfaces Martinelli est un beau faussaire. Un critique

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Le Choix de l’Europe version noir et blanc

Stefano Martinelli

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Stefano Martinelli

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Dédicace

A tous ceux qui ont instillé en moi le virus de l’Europe, fondée sur une vision commune, ambitieuse et généreuse et surtout à toutes celles et ceux qui ont rendu ma vie meilleure par leur seule présence, à commencer par mes parents Lena et Nedo, ma femme Barbara et mes enfants Michele, Chiara e Flavio.

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Préfaces

Martinelli est un beau faussaire. Un critique d’art qui repeindrait les toiles pour en livrer les secrets. Son Choix de l’Europe, au titre delorien, est une fresque passionnante. Des hommes inventés y croisent des acteurs historiques de l’Europe, connus et moins connus, pour activer le levier d’une pédagogie joyeuse. Les destins personnels forgent les aventures collectives, c’est ce que prouve Stefano Martinelli, avec maestria puisque l’Italie transpire à chaque page de ce roman d’un genre nouveau, et que le récit est truffé d’élans. En effet, les premiers acteurs de l’Europe sont les explorateurs de la deuxième moitié du 20ème siècle, mais leur colonie contient des germes « athéniens » : construire une démocratie plus grande que les nations. Emaillé de passions sportives où l’écho des rivalités nationales se mue en dessein européen, pimenté de références cinématographiques, d’hommages bienvenus à la vitalité italienne – ce réservoir d’enthousiasme et de culture, mis à mal ces quinze dernières années par mille complaisances –, entrecoupé de brèves pédagogies européennes, ce roman se consomme comme un plat léger et savoureux.

Jeune diplômé de l’université, Andrea hésite entre l’alma mater et l’industrie quand le « choix de l’Europe » se présente à lui. Son cœur se montre incertain : Elena et lui possèdent une de ces belles complicités qui retiennent parfois d’aller plus loin. Mais notre héros est attiré par ce qu’il ignore le plus, et il part à Luxembourg où la CECA naissante creuse un sillon à travers des pays avides de réconciliation et conscients de la nécessité d’organiser l’effort de reconstruction. Le jeune fonctionnaire participe à la naissance d’une politique commune, observe les efforts des Etats-Unis pour encourager la CECA, fait la navette avec ses capitales d’élection (Bruxelles, Milan, Paris) pour élargir ou renforcer les contacts, et retrouver Elena. Il a la révélation de l’Irlande. Peu à peu, dans l’excitation du grand projet, il se prend d’un respect affectueux pour les Pères fondateurs, et regarde, fasciné, une idée encore plus grande s’approcher des traités de Rome. Mais sa passion et sa conviction résident dans « le » social. Ce sont les pèlerins qui font les chemins.

Le Choix de l’Europe est un exercice d’admiration. Il s’élève de l’abstrait au concret. La construction de l’Europe à travers institutions et politiques, le partage difficile des souverainetés, le réseau complexe de relations techniques et politiques

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qui se tisse entre les capitales, l’émergence d’une aristocratie de fonctionnaires européens, le sens de l’intérêt général, sont illustrés de façon simple, humaine, personnelle, même. On assiste à la création des identités doubles : nationale et européenne. La poignée d’amis qui accroît ainsi son spectre intellectuel et moral aime les belles voitures, le jazz, le football ou le tennis, les restaurants après le travail, la beauté des villes. Dès le début, des querelles de visions, des rivalités entre départements surgissent. Mais la force du projet domine. Il fallait cette génération et sa force vitale pour matérialiser les intuitions géniales d’un Schumann, d’un Monnet, d’un Spinelli, d’un Spaak, d’un Mayer. A la faveur d’échecs retentissants (comme celui de la CED), d’opinions publiques occupées par les conflits des années 50, de gouvernements distraits par le gigantisme des tâches à mener dans chaque pays, ces hommes mûrs, servis par une génération qui les adule, ont jeté les fondations et construits les murs de l’Europe.

Dans ce roman frais une source, les valeurs de l’Europe coulent avec un naturel et une facilité qui désarment. La CECA reste ancrée dans la guerre, dans des histoires nationales sanglantes, mais cette cendre-là fertilise durablement les esprits fondateurs. Le Choix de l’Europe prouve que tout reste possible, toujours. Que d’habiles Politiques surent exploiter les diversions de l’Histoire pour en bâtir une autre, sans rien perdre de leurs principes. Que « le » social nous relie et nous grandit, aussi. C’est le talent de Stefano Martinelli, mon ami, que d’avoir peint ce faux tableau où tout est vrai. La connaissance intime de l’Europe y luit doucement, mélange de rêve partagé et de patriotisme. Dans Enfant d’Europe, le grand poète Czeslaw Milosz écrit : « Les hommes sans passion ne peuvent changer l’histoire ». En le confirmant, Martinelli met le présent au service de l’explication du passé, et nous livre un beau message d’avenir. Pour cette raison, une suite s’impose. Merci, Stefano.

Emmanuel JULIEN – Directeur-adjoint des relations sociales, MEDEF

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« Le Choix de l’Europe » est incontestablement un roman passionnant, mais c’est surtout un pionnier du genre. Pionnier, parce que l’Europe, ce projet entièrement politique, a rarement engendré chez ses citoyens des élans artistiques.

Si l’art est la passion qui anime tout grand projet de l’humanité, alors l’union des peuples d’Europe ne serait-elle qu’une fusion froide ? Sûrement pas : dans le récit de Stefano Martinelli, les histoires parallèles de la CECA et d’Andrea s’entrecroisent dans un destin commun et passionnant. Nous sommes aux sources du rêve européen. Un projet tellement passionnant qu’il pourrait venir à bout des rivalités, des tensions et des conflits entre les peuples. Et au centre de l’histoire ce sont des êtres humains que l’on retrouve, avec leurs passions, leurs pulsions et leurs rivalités.

« Le Choix de l’Europe » dépeint l’identité des Européens à travers l’histoire d’Andrea, jeune espoir de la recherche italienne, propulsé à l’improviste à Luxembourg pour y être immédiatement absorbé par le rêve européen, au point d’en vivre les mythes et d’en construire les légendes.

L’Europe unie est une grande aventure humaine et, comme toute aventure humaine, elle a besoin de ses mythes, de son épopée. Les apparitions de Jean Monnet ont quelque chose d’homérique. L’homme, pourtant de petite taille, apparaît comme grand et imposant. Les protagonistes italiens, allemands, néerlandais, français apparaissent comme des héros nationaux qui deviennent européens car tout un chacun peut se reconnaître en eux.

Andrea et Markus rencontrent le fondateur d’Atlantic Records. Et dans la naissance d’un mouvement culturel qui transmet des vibrations nouvelles on entrevoit la métaphore du projet européen. Tradition et nouveauté : personnages visionnaires qui savent toucher le cœur des gens.

Et chaque grande aventure humaine a besoin de ses légendes. Durant les années cinquante une histoire circulait selon laquelle en 1915, dans un café de Vienne, Eisenhower, De Gasperi et Schuman, jeunes étudiants, avaient fait un pacte de sang : fonder l’union des peuples européens (Paris Match, 1952 numéro X). La documentation historique nous apprend que cette histoire est inventée mais il nous vient l’envie d’y croire. Comme il nous vient l’envie de croire au parcours idéal qui ferait fusionner les cultures dans l’espace et dans le temps : l’affirmation d’Atlantic Records aux Etats Unis et la naissance de l’Europe unie sont marqués par cette même dynamique culturelle qui parcourait les deux continents.

Mais l’histoire de l’Europe est aussi l’histoire du bien-être pour les citoyens.

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Sur fond du parcours professionnel des protagonistes il y a la construction de l’Europe sociale, de la solidarité, de l’attention accordée au travail et aux travailleurs. Tout ce qui, au fond, a déterminé l’amour des citoyens de l’Europe pour le projet européen. Une flamme qui aujourd’hui semble vaciller. Stefano Martinelli veut nous dire qu’au fond, il suffirait de peu pour la raviver : « tradition et nouveauté » pour relancer l’Europe sociale. Et il nous transmet donc un message d’espoir : la nostalgie pour un parcours que l’on accomplit devrait toujours aller de pair avec l’enthousiasme impatient d’une nouvelle grande aventure qui commence.

Bonne lecture.

Luca Visentini – Secrétaire Confédéral de la Confédération Européenne des Syndicats (CES)

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« Tâche difficile, mais c’est le cas pour toutes les avancées historiques. Ne

fallait-il pas de l’audace à la France pour proposer à l’Allemagne, quatre ans après que les canons se furent tus, de gérer en commun leurs ressources de charbon et d’acier ? »

Valéry Giscard d’Estaing

« L’avenir, c’est l’unité de l’Europe qui est l’espérance du maintien de la paix et des libertés dans les progrès économique et social ».

Jean Monnet

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Prologue

Seize heures, vingt-deux minutes – 9 mai 1950, Quai d’Orsay, Salon de l’Horloge, Paris…

Voilà, c’est fait. Robert Schuman, Ministre des affaires étrangères de la République française,

vient de lire une déclaration solennelle invitant tous les pays européens intéressés à mettre en commun leur production de charbon et d’acier.

Proposer cela à des pays qui, cinq ans auparavant, étaient encore en guerre, engagés, comme toute l’Europe dans la deuxième Guerre mondiale, semble un pari complètement hasardeux. Et pourtant, ce projet va permettre à une Europe exsangue et détruite tant matériellement que psychologiquement par le conflit mondial, non seulement de se relever économiquement mais aussi de se transformer, petit à petit, en une zone de paix et de progrès économique et social.

Tout de suite après la lecture de la déclaration, le Ministre doit maintenant faire face au crépitement des flashs des journalistes, français et étrangers, massés dans le salon de l’Horloge.

Si tous les journalistes présents n’ont pas entièrement saisi l’importance de l’évènement, ils ont néanmoins tous perçus, de façon presque palpable, que ce 9 mai 1950, quelque chose de véritablement novateur vient de se produire.

Par contre, à côté du Ministre français, se tient un personnage qui a parfaitement compris le sens de ce qui vient de se passer : ce Monsieur, avec une poignée d’autres personnages, est parvenu à remettre en marche l’histoire.

Cet homme, pas très grand, rondouillard, ne paye pas de mine. De taille assez petite, il a, à première vue, un physique assez commun, à part peut-être ses yeux, toujours en mouvement, qui transpercent, tels des lasers, la meute des journalistes présents dans la salle.

Ce physique somme toute assez banal lui sied parfaitement car ce Monsieur laisse volontiers les premières loges à d’autres. Ce qui l’intéresse, c’est la

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réalisation de ses projets et, en ce moment, il s’est mis en tête de rebâtir l’Europe, alors que celle-ci est à genoux et qu’elle ne pense qu’à soigner ses blessures.

Son parcours, extraordinaire, est à l’opposé de son physique. S’il est bien Français, car né en 1888 à Cognac, il a sillonné l’Europe entière et a déjà fait le tour du monde. Il est Français mais c’est un citoyen du monde et il est habitué à voir loin, bien au-delà de l’Hexagone.

Tour à tour négociant en cognac dans l’entreprise familiale, puis inspirateur, dès ses 26 ans, d’un pool maritime franco-anglais (déjà l’idée des coopérations supranationales) pour optimiser, pendant la première Guerre Mondiale, les transports de vivres, munitions et matières premières, puis inspirateur (le rôle dans lequel il est le plus à l’aise) de la création de la Société des Nations, basée à Genève (dont il deviendra le Secrétaire général adjoint). Il sera ensuite banquier en Chine, puis coordonnateur de l’effort de guerre entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis pendant la deuxième Guerre Mondiale ; à la Libération, il est déjà prêt à se lancer, corps et âme, dans l’effort de reconstruction de l’économie française. Il devient dès lors Commissaire au Plan et réinvente la planification à la française.

Il sera capable de présenter un plan de relance de l’économie française à Léon Blum1, en ayant obtenu – grâce à son talent de négociateur hors pair, sa force de persuasion et sa patience – le soutien des partenaires sociaux.

S’il était né dans l’Iowa ou dans l’état du Mississipi, Steven Spielberg aurait déjà réalisé un blockbuster à partir de sa vie, digne d’un Indiana Jones, le physique en moins.

Alors qu’il vient de dépasser la soixantaine et que d’autres, à sa place, songeraient à une retraite paisible et méritée, ce Monsieur, s’appuyant sur l’ensemble de ses expériences singulières, se donne à nouveau rendez-vous avec l’histoire et se prépare à réaliser son plus beau projet : le projet d’une nouvelle Europe…

Ce Monsieur s’appelle Jean Monnet.

A partir du 9 mai 1950 tout va aller très vite pour le couple Schuman-Monnet.

La déclaration solennelle du salon de l’Horloge, dont Jean Monnet est l’inspirateur, est un tournant de l’histoire européenne. Sous l’impulsion du tandem de choc Schuman-Monnet, l’Europe supranationale est désormais en marche.

1 Léon Blum dirigea de décembre 1946 à janvier 1947 le dernier Gouvernement provisoire de la République française.

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Prudent et réaliste, le Ministre français s’est avant tout assuré que le chancelier allemand, Konrad Adenauer, accepte la proposition de déclaration du 9 mai. A cette alliance, socle de la nouvelle Europe, s’ajoute aussitôt l’adhésion de quatre autres pays, à savoir l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg.

C’est ainsi que les six pays fondateurs signent, le 18 avril 1951, à Paris, le Traité instituant la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (la CECA), qui prévoit la création de ses institutions2, à commencer par la Haute Autorité, à laquelle Monnet tient tellement, dans la conception supranationale qu’il a de la construction européenne.

Le Traité issu de la CECA est ratifié, en 19523, par les six pays fondateurs, après de très vifs débats, notamment au sein de l’Assemblée nationale française mais l’élan engendré par le processus de ratification propulse « l’inspirateur »4 à la tête de la CECA.

Nul n’est donc surpris de voir Jean Monnet débarquer le 10 août 1952 à Luxembourg, en tant que premier Président de la Haute Autorité de la CECA…

Certes, l’idée de rassembler les Etats européens afin qu’ils cessent de se battre entre eux et commencent à coopérer, ne ressort pas uniquement de Jean Monnet.

A bien y regarder, la relance de l’Europe a déjà été amorcée par le Congrès de La Haye, du 10 mai 1948, marqué par le fameux discours du Premier Ministre britannique, Winston Churchill, qui sera à l’origine de la création, dès le 5 mai 1949, du Conseil de l’Europe. Cette institution, à laquelle adhéreront 10 pays, parmi lesquels le Royaume-Uni, deviendra très vite une assise pour la promotion et la défense des droits de l’homme et pour bien d’autres enjeux, mais elle s’inscrira, dès le début, dans une logique intergouvernementale.

La coopération entre pays européens a aussi progressé grâce à la constitution, le 16 avril 1948, de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), qui deviendra, en septembre 1961, l’OCDE. Le but initial de l’OECE est de répartir parmi ses 17 pays fondateurs, dans l’immédiat après-guerre, les crédits provenant du fameux Plan Marshall.

Cette institution a puissamment œuvré – et continue de le faire – en faveur de

2 Les institutions de la CECA sont la Haute Autorité, assistée d’un Comité consultatif ; une Assemblée commune ; un Conseil spécial des Ministres et une Cour de Justice. 3 Le traité de la CECA entre en vigueur le 23 juillet 1952. 4 C’est Jean Monnet lui-même, dans ses « Mémoires », qui rappelle que ce sobriquet lui avait été donné par le Général de Gaulle, généralement quand celui-ci était en désaccord avec les propositions de Monnet. De Londres, en juin 1940, à Alger en 1943 et pendant la gestation de l’aventure européenne, les deux hommes eurent souvent la possibilité de s’échanger leurs vues. Monnet lui-même écrit : « … Toujours est-il que ce titre d’inspirateur me resta et il ne me gêne pas… ».

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la coopération économique entre ses pays membres, mais toujours dans le cadre d’une approche intergouvernementale.

Cependant, c’est à Jean Monnet, inspirateur génial, et à une poignée d’hommes politiques généreux et visionnaires 5 que l’on doit la création d’une véritable Europe politique, incarnée par l’achèvement d’un marché intérieur européen dans les secteurs du charbon et de l’acier ô combien symboliques dans l’immédiat après-guerre.

En 1952, en Europe, le charbon est la principale source d’énergie, tandis que l’acier est le fondement de la puissance des pays.

Ces hommes ont compris que l’Histoire leur permettait – au lendemain du désastre économique et surtout humain de la deuxième guerre mondiale – de faire rebondir leurs pays, en proposant un projet réellement novateur, voire révolutionnaire : la création d’une Europe supranationale, au sein de laquelle les Etats adhérents accepteraient de mettre en commun leurs productions de charbon et d’acier mais surtout de se construire un destin commun, placé sous le signe de la paix……

Novembre 1952, Université Catholique du Sacré Cœur à Milan

« Non Andrea, je suis désolé, le budget de la faculté est ce qu’il est ; tu comprendras que j’apprécie ton travail et que j’aurais vraiment besoin d’un assistant comme toi. Je n’oublie pas du tout ta contribution qui nous a permis d’élaborer les prévisions de la production d’acier en Italie et en Europe pour les cinq prochaines années. Crois-moi, je regrette, mais dans la situation actuelle je ne peux pas faire autrement…. »

« Professeur, je pensais que la faculté d’économie disposait désormais de nouvelles ressources pour compléter et renforcer sa structure…. Du reste, vous savez bien que grâce à vous, j’ai pris goût aux travaux de recherche et de prévisions pour les secteurs industriels, à commencer par le secteur sidérurgique. De plus, si je ne m’abuse, vous avez nommé Elena Juliano comme assistante, aujourd’hui même. « 5 Il s’agit de ceux que l’on a qualifiés de « pères fondateurs » ; outre la paire Monnet-Schuman, on ne saurait oublier le Chancelier allemand Konrad Adenauer, le Premier Ministre italien Alcide De Gasperi, le Premier Ministre belge Paul-Henri Spaak, le Ministre des Affaires Etrangères néerlandais John Willem Beyen et enfin le Premier Ministre luxembourgeois Joseph Bech. L’action des pères fondateurs s’est placée dans le sillage de l’œuvre, notamment, du Français Aristide Briant et de l’Autrichien Richard Nikolaus de Coudenhove-Kalergi qui peuvent être considérés comme leurs prédécesseurs et auxquels il convient également de rendre hommage.

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« Andrea, je regrette. Mon refus n’est pas définitif mais le président a été clair, l’Université Catholique est en plein redéploiement et en particulier sa faculté d’Economie et de Commerce mais les rentrées sont inférieures à ce que nous espérions, moi le premier. Quant à Elena, tu sais que je l’estime beaucoup : c’est une grande travailleuse, précise et passionnée, qui a réalisé des recherches fondamentales dans le secteur automobile. Le président a été félicité même par l’Assolombarda pour ses recherches. Il est clair que dans un monde idéal tu serais déjà assistant mais le monde est ce qu’il est…. »

Cela dit, je ne sais pas si ça en vaut la peine mais je voudrais te parler d’un projet… Pourquoi ne viendrais-tu pas me voir demain matin à la faculté ? J’ai peut-être quelque chose qui pourrait t’intéresser…”

Qu’est-ce que ça peut être ? – ai-je pensé en moi-même. Evidemment pour Elena, le poste d’assistante s’est présenté et pour moi, même après qu’on m’ait répété que j’avais la carrure pour entamer une carrière universitaire, rien ne s’est débloqué…

J’avais obtenu mon diplôme en Economie et Commerce depuis un an et, à bientôt vingt-cinq ans, je commençais à me demander ce que j’allais bien faire de ma vie.

Bien sûr la vie d’un universitaire était agréable, surtout à Milan, une grande ville qui avait sans aucun doute plus à offrir que Vietri sul Mare d’où je provenais, ainsi que ma famille.

Mon père qui travaillait dans le secteur bancaire, à la Comit, avait quitté Vietri pour Milan depuis trois ans pour des évidentes opportunités professionnelles.

Quant à moi, après avoir obtenu mon diplôme, j’étais resté dans le cadre universitaire, car le Professeur Susa, titulaire de la chaire de Politique économique à l’Université Catholique, qui avait dirigé ma thèse de fin d’études, m’avait proposé de rester pour travailler avec lui, en préparant le matériel qui lui servait pour réaliser des recherches dans différents secteurs industriels.

L’Italie, comme d’autres pays européens, cherchait péniblement à relancer son économie, détruite depuis la seconde guerre mondiale et on commençait à entrevoir, même de manière discrète, une volonté commune de tourner la page et de relancer la machine. Ceux qui – comme moi – avaient survécu à la guerre, avaient envie de participer, d’une manière ou d’une autre, à la reconstruction du pays et de recommencer, très simplement, à vivre et à reprendre leur destin en main.

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J’étais jeune et, plein d’espoir, je rêvais d’un avenir meilleur.

Cependant, l’Italie du début des années 50 était dans une situation épineuse : elle sortait du conflit à moitié détruite mais aussi vaincue. C’était un pays encore trop dépendant de l’agriculture qui, en 1951, absorbait encore 45 % du travail alors que seul 30 % de la population active était engagé dans l’industrie, et un pourcentage encore plus faible (environ 25 %) dans le secteur des services.

Le taux de chômage restait très élevé, sans parler de la situation encore plus grave que vivait la partie sud du pays, pour laquelle fut créée en 1950 la « Cassa per il Mezzogiorno », destinée à combler le fossé entre Nord et Sud.

Dans ce contexte plutôt pénible, l’émigration vers l’étranger – et à l’intérieur du pays – continuait à être extrêmement élevée. Toutefois les différentes recherches et prévisions que nous faisions à la faculté d’économie de l’Université, indiquaient que l’Italie pouvait vraiment connaître une relance, d’autant plus si elle réussissait à prendre le train de l’économie européenne. Au fond, en Italie il y avait beaucoup de main-d’œuvre disponible, peu coûteuse, ne manquant ni de talents ni d’idées.

Cependant, à 25 ans, ma situation économique n’était guère brillante, mais même si je n’avais que trois francs six sous, je gagnais un peu d’argent à l’Université pour les recherches que je faisais et, de plus, je traduisais des textes, universitaires ou non, du français en italien, car je parlais bien le français (une langue et une culture qui me fascinaient depuis toujours), ma vie présentait néanmoins certains aspects agréables.

J’avais un large cercle d’amis : ils venaient presque tous, comme moi, du milieu universitaire ; de plus mes activités sportives m’avaient permis d’élargir le cercle de mes connaissances.

Depuis 1948 j’étais inscrit à l’équipe de tennis du Centre Universitaire Sportif (CUS Milan).

Le CUS disputait les matchs de la Coupe d’Italie, un tournoi par équipes, sur la base d’une formule qui prévoyait quatre simples et deux doubles.

Nous avions donc l’habitude de passer le samedi en Lombardie, pour nous mesurer à d’autres équipes qui provenaient principalement de la région de Côme et de Varese.

A l’époque le tennis était principalement pratiqué par une certaine élite – dont je ne faisais pas partie – mais je peux affirmer que les matchs étaient souvent acharnés.

Nous étions tous « fair play » mais personne n’aimait perdre et je dois reconnaître que même moi, je n’hésitais pas à me transformer en une « misérable

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renvoyette », c’est-à-dire à renvoyer toutes les balles bien au dessus du filet, ce qui obligeait l’adversaire à éternellement construire et reconstruire le jeu, en finissant par prendre de plus en plus de risques.

Je privilégiais donc un jeu de « renvoyette » et je me défendais pas mal pour massacrer ceux qui s’aventuraient imprudemment jusqu’au filet.

Evidemment mon jeu était plus craint qu’apprécié et j’essayais donc de le modifier un peu, en m’efforçant de monter de temps à autres au filet, pour ne pas toujours me faire épingler, y compris par les membres de mon équipe. Par ailleurs, vu que je jouais aussi en double, il était essentiel que j’améliore mon jeu au filet.

Dans le tennis du début des années 50, les joueurs australiens commençaient à se faire une réputation, notamment deux d’entre eux qui n’avaient même pas vingt ans et qui s’appelaient Ken Rosewall et Lewis Hoad.

Rosewall était gaucher mais jouait de la main droite ; il possédait un revers d’anthologie et compensait sa petite taille par un incroyable jeu de jambes.

En outre c’était un gentleman qui ne contestait jamais les décisions de l’arbitre et faisait preuve de beaucoup de respect à l’égard de ses adversaires.

Mais je préférais Hoad, probablement parce que son style de jeu – ainsi que ses résultats – étaient quasiment à l’opposé des miens.

Hoad était moins régulier que Rosewall mais donnait la sensation, quand il était bien inspiré, de pouvoir battre n’importe quel rival, s’appuyant sur une technique quasi parfaite, appuyée par sa puissance physique.

Beau garçon, blond et musclé, Hoad aurait facilement pu percer à Hollywood, ce que je crois on lui a sûrement dit plus d’une fois.6

Milan avait bien d’autres choses à offrir aux jeunes. Nous avions « nos » restaurants de « référence », dans les alentours de l’avenue Gemelli ou plus au centre, près du Dôme et nous avions aussi « nos » bars, où je retrouvais mes amis de l’université. Parmi eux certains commençaient déjà à se faire engager par les grandes entreprises de l’époque, parmi lesquelles la Snia Viscosa, la Montecatini et aussi l’ENI. J’aurais particulièrement apprécié d’être engagé par le bureau d’études d’une de ces sociétés et j’avais envoyé mon curriculum vitae à leurs Directions du Personnel, ainsi qu’à quelques banques, mais n’avais reçu jusqu’à présent aucune réponse.

J’avais fréquenté l’école primaire et secondaire à Vietri sul Mare, un des 6 Je me limiterai à citer le commentaire du grand Pancho Gonzales, incontestable numéro 1 du tennis mondial durant au moins une décennie (les années 50) : « Hoad était le seul gars qui, si je jouais mon meilleur tennis, pouvait me battre quand même. Je crois que son jeu était le meilleur jeu de tous les temps. Meilleur que le mien. »

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fameux bijoux de la côte amalfitaine. Par un hasard de la vie, une de mes compagnes de classe, Elena, qui venait d’être engagée comme assistante par le Professeur Susa, avait, elle aussi, déménagé à Milan avec sa famille. Son père avait ouvert un cabinet d’avocats dans le centre de Milan, près de la place San Babila et avait assez vite réussi à se constituer une honnête clientèle qui assurait à la famille Juliano une vie plutôt aisée.

Nos familles, toutes deux originaires de Vietri sul Mare, entretenaient des rapports cordiaux mais c’était surtout Elena et moi qui avions des contacts réguliers puisque nous avions poursuivi notre licence en Economie, et qui plus est, la même Université. Nous étions tous deux restés à la faculté pour aider le Professeur Susa et en définitive Elena avait eu plus de succès que moi pour obtenir le poste d’Assistante.

Elena et moi, nous nous entendions depuis toujours ; sans aucun doute c’était une fille sérieuse et efficace dans ses études et dans ses recherches. Je la trouvais un peu « bourreau du travail » – et avec un zeste de cruauté je le lui rappelais souvent – mais il était vrai que dans un monde masculin, il n’était pas toujours facile pour une femme de s’affirmer, voire même de survivre.

En tout cas elle y arrivait parfaitement : sûre d’elle, capable de garder son calme même dans les moments les plus difficiles, je l’avais vue affronter avec une désinvolture manifeste un examen de Droit privé, véritable cauchemar des étudiants de l’Université.

Elle ne s’était pas laissée intimider par le Professeur chez qui elle présentait l’examen et je l’avais félicitée chaleureusement. Nous étions allés fêter ça au bar de l’Université avec deux chocolats à la crème, car la veille j’avais, moi aussi, réussi l’examen en question.

En dehors de l’Université, Elena jouissait d’un caractère agréable, curieuse de tout elle savait tout sur les nouveautés théâtrales. Elle m’entraînait, de temps en temps, aux spectacles de la Scala – même si pour ma part je préférais assister aux matchs de football à San Siro, la Scala du football.

Quand Elena venait avec nous dans les bars et se détendait un peu, elle était du genre « boute en train ».

Nous étions vraiment amis et je crois que j’étais un des rares qui pouvait – pas trop bien sûr – la taquiner un peu et probablement qu’au fond d’elle-même elle reconnaissait que je l’amusais, même quand je lui parlais de mes tentatives – pas toujours réussies – de drague auprès d’autres filles.

« Evidemment que tes histoires ne durent pas, elles comprennent tout de suite que tu fais le clown et que tu essaies avec tout le monde » « Et pourquoi, avec

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toi, combien de fois ai-je essayé ? » « Jamais, toi ce sont les oies blanches qui te plaisent…. » « Et toi, qui te plaît, au regard de tes grands airs ? » « C’est peut-être une manière de me protéger de certaines personnes…. »

Bref, Elena et moi nous nous taquinions mais étions vraiment attachés l’un à l’autre. Souvent, quand nous sortions avec un groupe d’amis, nous nous mettions à parler pendant des heures, en oubliant presque les autres. Elena était quelqu’un de spécial et même si nous n’étions pas ensemble, il était clair pour tout le monde que nous étions très proches.

J’avais donc appris avec satisfaction qu’Elena avait été choisie comme assistante du Professeur Susa, même si j’avais espéré que ce poste me fût attribué.

Avec Susa j’entretenais de bons rapports, car il m’avait encouragé pendant la préparation de ma thèse et s’était toujours montré disponible pour approfondir l’un ou l’autre chapitre de mon travail. Il réussissait toujours – et pas seulement avec moi – à stimuler ses étudiants et avait rassemblé autour de lui, dans une sorte de petite équipe, ceux qui lui avaient paru les plus enthousiastes et les plus doués. A ceux-là il avait bien vite confié des recherches et des analyses au sein de la faculté d’Economie. Il nous avait demandé à Elena et moi de nous joindre à ce petit groupe et nous avions immédiatement accepté.

Le Professeur Susa avait aussi à cœur de développer des relations avec le monde du travail. Il disposait de solides contacts avec des cadres supérieurs dans les principales entreprises italiennes. C’était du reste une des raisons pour lesquelles je n’avais pas hésité à accepter son offre de rester à l’Université, même si l’argent ne suivait pas et que ce n’était pas la meilleure manière de devenir financièrement indépendant.

Mais Susa réussissait à transmettre son enthousiasme ainsi que son talent à nous tous et le bon esprit d’émulation qui régnait dans le groupe était stimulant.

Deux autres personnes faisaient partie du groupe : Carlo Serpieri, sympathique mais parfois sanguin, supporter acharné de l’Inter avec qui j’avais des prises de bec chaque lundi matin car j’étais (et suis resté) un supporter du Milan. Carlo était un peu plus âgé que moi et était le bras droit de Susa, qui lui confiait les tâches les plus complexes et lui déléguait aussi une partie de l’organisation. Dans le groupe nous avions, d’emblée, accepté le rôle de « second » de Carlo car sa compétence était évidente et il montrait beaucoup d’enthousiasme dans son travail. Si on avait un problème on pouvait être sûr qu’il nous donnerait toujours un coup de main sans nous le faire peser. C’était lui qui insistait parfois auprès de Susa, pour qu’il me confie certaines recherches, sachant que quelques lires supplémentaires ne me feraient sûrement pas de mal.

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Carlo était une personne extravertie, aussi bien au travail qu’en dehors. A l’Université il n’avait aucun problème à partager avec les autres membres

du groupe les conclusions de ses analyses, convaincu que le dialogue avec les autres pouvait être utile à tout le monde. Il organisait souvent des réunions à la faculté au cours desquelles il nous invitait à commenter les travaux du groupe. Pour lui c’était la manière la plus efficace d’améliorer la qualité de nos recherches et analyses.

Parfois ces réunions provoquaient de vives discussions entre nous mais elles étaient stimulantes. Et quand venait le moment d’en tirer les conclusions, Susa en personne apparaissait. Il nous donnait des indications précises et complétait nos réflexions.

Carlo était extrêmement actif en dehors de l’université ; il était aussi passionné de tennis et en fait c’est lui qui m’avait fait entrer dans l’équipe du CUS Milan, où il était déjà le pivot de l’équipe.

Il avait remarqué que sur un court j’étais tenace et renonçais difficilement. Mais Carlo était de toute évidence meilleur que moi ; plus rapide et puissant, il était aussi capable de changer plusieurs fois le rythme de ses échanges de balles au cours d’un match, sans laisser à son adversaire le temps de s’adapter et, de la sorte, parvenait à le déstabiliser.

Il excellait tant au fond du terrain qu’au filet où, en raison de sa taille, il était très difficile de le battre.

Pour ma part, j’essayais de le suivre, courant comme un dératé d’un côté à l’autre du court, mais en général c’était moi qui criais « pouce ». Carlo était aussi mon équipier en double. A nous deux nous étions un double redouté en Lombardie parce que nous étions complémentaires et qu’aucun de nous n’aimait perdre.

Carlo aimait aussi la mer. Il allait souvent sur la côte ligure les week-ends, notamment à Santa Margherita, où ses parents avaient récemment acheté un petit appartement. Il m’avait invité quelques fois et j’avais pu découvrir la côte ligure ainsi que la Côte d’Azur qui avait encore plus de charme et d’atmosphère à mes yeux.

L’autre membre du groupe était Emilio Saltalamacchia, un type plus réservé mais un expert dans le domaine des statistiques. Il disait qu’on trouve tout dans les données – pour qui sait les lire – et il avait raison. Il m’avait appris beaucoup et j’étais désormais capable d’effectuer des analyses minutieuses de données statistiques concernant les secteurs industriels, à partir desquelles je construisais mes prévisions.