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hémostase | pratique 23 OptionBio | Lundi 14 Septembre 2009 | n° 423 L e concept de résistance aux antiplaquettai- res est de plus en plus fréquemment ren- contré dans la littérature. La plupart des grandes méta-analyses montrent que les deux tiers des patients “échappent” au traitement et récidivent. S’agit-il de résistance vraie ? C’est sans doute rarement le cas. En revanche, la variabilité interindividuelle de la réponse plaquet- taire est incontestable. Cela étant, le caractère multifactoriel de l’athérothrombose, d’une part, et la diversité des mécanismes impliqués dans la réactivité plaquettaire, d’autre part, font que si la résistance clinique aux antiplaquettaires est largement reconnue, ses mécanismes (tableau 1) et l’intérêt de surveiller l’apparition de résistance restent encore incertains. Des tests non totalement satisfaisants Les moyens disponibles sont divers et selon le test utilisé, l’incidence d’une résistance “biologique” révélée pourra aller de 2 à 70 %, sans corrélation majeure. Un certain nombre des techniques présen- tées ci-après sont soit anciennes (voire obsolètes), soit relativement récentes, et leur étude ne permet pas encore de tirer de conclusions. Le temps de saignement Le temps de saignement est trop opérateur- dépendant, il est peu à peu abandonné. Le temps d’occlusion ou PFA-100 PFA-100 (Platelet Function Analyzer) est un auto- mate qui permet de reproduire les conditions rhéologiques de brèche artériolaire et de mesurer la capacité plaquettaire à occlure l’orifice d’une membrane de nitrocellulose recouverte d’activa- teurs plaquettaires. Il est possible d’utiliser des cartouches collagène-adrénaline ou collagène- ADP. L’absence d’allongement du temps d’occlu- sion témoigne d’une résistance in vitro ou résis- tance biologique aux antiplaquettaires, corrélée notamment à l’action du facteur Willebrand. Sa sensibilité n’est actuellement pas optimale vis- à-vis du clopidogrel. La pertinence clinique de la résistance biologique ainsi révélée est confortée dans une méta-analyse récente qui montrerait que les patients ayant un temps d’occlusion court ont un risque significativement augmenté de récidive thrombotique, par rapport aux patients ayant un allongement du temps d’occlusion. L’Ultegra rapid platelet function assay ou Verify now L’automate Ultegra rapid platelet function assay utilise différents agonistes (AA, ADP…) et teste la réactivité des plaquettes via la mesure de l’agglu- tination de billes recouvertes de fibrinogène. L’éventuelle résistance à cette activation in vitro est déterminée par rapport à la réactivité plaquettaire à la thrombine. Les résultats cliniques sont pour l’instant limités. L’agrégométrie La technique classique de l’agrégométrie, longue et peu standardisée, tend à être améliorée avec l’apparition d’appareils comme le Multiplate. Mais son arrivée très récente ne permet pas d’avoir un recul suffisant. La thromboélastographie Technique d’exploration globale, également ancienne, la thromboélastographie connaît un regain d’intérêt mais sa pertinence clinique reste encore à démontrer. La cytométrie en flux La cytométrie en flux permet d’identifier le phé- notype des différentes sous-populations plaquet- taires et leur réactivité résiduelle. Mais elle reste réservée aux laboratoires spécialisés. L’étude génomique des polymorphismes plaquettaires L’intérêt clinique de l’étude génomique des poly- morphismes plaquettaires reste encore à démon- trer. Toutefois, la pharmacogénétique est de plus en plus d’actualité, tant pour les anticoagulants oraux que pour les antiplaquettaires. Le TxB2 sérique ou urinaire Le dosage des métabolites urinaires du throm- boxane TxA2 semble être le meilleur candidat comme marqueur de l’efficacité biologique de l’aspirine (“index d’aspirination”), tout en gar- dant à l’esprit que 30 % du taux de TxA2 urinaire ne sont pas d’origine plaquettaire. Ce dosage par technique immuno-enzymologique existe sur le marché mais pour des tests non unitaires. Conclusion Le test idéal pour prédire le risque de récidive thrombotique n’existe pas encore, et l’intérêt de rechercher une résistance antiplaquettaire biolo- gique à grande échelle chez les patients traités ne fait l’objet d’aucune recommandation. Néanmoins, une exploration ciblée chez les patients à haut risque peut s’avérer utile. | ROSE-MARIE LEBLANC Consultant biologiste, Bordeaux (33) [email protected] Suivre la résistance aux antiplaquettaires ? Tableau 1 : Mécanismes potentiellement responsables d’une résistance à l’aspirine ou au clopidogrel Biodisponibilité Défaut de compliance, posologie insuffisante, accumulation de salicylate gênant l’accès au site actif de la Cox, interférence liée à la prise concomitante d’AINS, interférences médicamenteuses. Fonction plaquettaire Turn-over accéléré, arrivée accrue de jeunes plaquettes dans le compartiment vasculaire, expression accrue de Cox 2 (forme inductible), réactivité plaquettaire accrue à l’ADP et/ou collagène. Polymorphismes génétiques Polymorphisme des récepteurs du collagène, des Cox, de la Tx synthétase ou des enzymes du métabolisme de l’AA, polymorphisme PI A1/PI A2 des récepteurs du fibrinogène. Interactions plaquettaires avec les autres partenaires du pool vasculaire Blocage insuffisant de l’activation plaquettaire avec les hématies, coopération métabolique plaquettes/pool vasculaire, génération accrue de TxA2 (monocytes et macrophages activés). Autres facteurs Taux augmenté de noradrénaline (exercice physique, stress…), tabac, stress oxydatif, synthèse de 8 iso PGF2 alpha issu de peroxydation non enzymatique de l’AA. Source Communication de I. Elalamy (service d’hématologie biologique, hôpital Tenon, Paris), lors du 37 e Colloque national des biologistes des hôpitaux (CNBH), octobre 2008, Clermont-Ferrand. Le concept de résistance aux antiplaquettaires est un élément d’importance croissante dans la prise en charge des patients atteints de maladie vasculaire traités par aspirine et/ou clopidogrel. Quels sont les différents tests utilisés pour mettre en évidence cette résistance et quelle est leur pertinence clinique ?

Suivre la résistance aux antiplaquettaires ?

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hémostase | pratique

23OptionBio | Lundi 14 Septembre 2009 | n° 423

Le concept de résistance aux antiplaquettai-res est de plus en plus fréquemment ren-contré dans la littérature. La plupart des

grandes méta-analyses montrent que les deux tiers des patients “échappent” au traitement et récidivent. S’agit-il de résistance vraie ? C’est sans doute rarement le cas. En revanche, la variabilité interindividuelle de la réponse plaquet-taire est incontestable. Cela étant, le caractère multifactoriel de l’athérothrombose, d’une part, et la diversité des mécanismes impliqués dans la réactivité plaquettaire, d’autre part, font que si la résistance clinique aux antiplaquettaires est largement reconnue, ses mécanismes (tableau 1) et l’intérêt de surveiller l’apparition de résistance restent encore incertains.

Des tests non totalement satisfaisantsLes moyens disponibles sont divers et selon le test utilisé, l’incidence d’une résistance “biologique” révélée pourra aller de 2 à 70 %, sans corrélation majeure. Un certain nombre des techniques présen-tées ci-après sont soit anciennes (voire obsolètes), soit relativement récentes, et leur étude ne permet pas encore de tirer de conclusions.

Le temps de saignementLe temps de saignement est trop opérateur-dépendant, il est peu à peu abandonné.

Le temps d’occlusion ou PFA-100PFA-100 (Platelet Function Analyzer) est un auto-mate qui permet de reproduire les conditions

rhéologiques de brèche artériolaire et de mesurer la capacité plaquettaire à occlure l’orifice d’une membrane de nitrocellulose recouverte d’activa-teurs plaquettaires. Il est possible d’utiliser des cartouches collagène-adrénaline ou collagène-ADP. L’absence d’allongement du temps d’occlu-sion témoigne d’une résistance in vitro ou résis-tance biologique aux antiplaquettaires, corrélée notamment à l’action du facteur Willebrand. Sa sensibilité n’est actuellement pas optimale vis-à-vis du clopidogrel. La pertinence clinique de la résistance biologique ainsi révélée est confortée dans une méta-analyse récente qui montrerait que les patients ayant un temps d’occlusion court ont un risque significativement augmenté de récidive thrombotique, par rapport aux patients ayant un allongement du temps d’occlusion.

L’Ultegra rapid platelet function assay ou Verify nowL’automate Ultegra rapid platelet function assay utilise différents agonistes (AA, ADP…) et teste la réactivité des plaquettes via la mesure de l’agglu-ti na tion de billes recouvertes de fibrinogène. L’éventuelle résistance à cette activation in vitro est déterminée par rapport à la réactivité plaquettaire à la thrombine. Les résultats cliniques sont pour l’instant limités.

L’agrégométrieLa technique classique de l’agrégométrie, longue et peu standardisée, tend à être améliorée avec l’apparition d’appareils comme le Multiplate. Mais

son arrivée très récente ne permet pas d’avoir un recul suffisant.

La thromboélastographieTechnique d’exploration globale, également ancienne, la thromboélastographie connaît un regain d’intérêt mais sa pertinence clinique reste encore à démontrer.

La cytométrie en fluxLa cytométrie en flux permet d’identifier le phé-notype des différentes sous-populations plaquet-taires et leur réactivité résiduelle. Mais elle reste réservée aux laboratoires spécialisés.

L’étude génomique des polymorphismes plaquettairesL’intérêt clinique de l’étude génomique des poly-morphismes plaquettaires reste encore à démon-trer. Toutefois, la pharmacogénétique est de plus en plus d’actualité, tant pour les anticoagulants oraux que pour les antiplaquettaires.

Le TxB2 sérique ou urinaireLe dosage des métabolites urinaires du throm-boxane TxA2 semble être le meilleur candidat comme marqueur de l’efficacité biologique de l’aspirine (“index d’aspirination”), tout en gar-dant à l’esprit que 30 % du taux de TxA2 urinaire ne sont pas d’origine plaquettaire. Ce dosage par technique immuno-enzymologique existe sur le marché mais pour des tests non unitaires.

ConclusionLe test idéal pour prédire le risque de récidive thrombotique n’existe pas encore, et l’intérêt de rechercher une résistance antiplaquettaire biolo-gique à grande échelle chez les patients traités ne fait l’objet d’aucune recommandation. Néanmoins, une exploration ciblée chez les patients à haut risque peut s’avérer utile. |

ROSE-MARIE LEBLANC

Consultant biologiste, Bordeaux (33)

[email protected]

Suivre la résistance aux antiplaquettaires ?

Tableau 1 : Mécanismes potentiellement responsables d’une résistance à l’aspirine ou au clopidogrel

Biodisponibilité Défaut de compliance, posologie insuffisante, accumulation de salicylate gênant l’accès au site actif de la Cox, interférence liée à la prise concomitante d’AINS, interférences médicamenteuses.

Fonction plaquettaire Turn-over accéléré, arrivée accrue de jeunes plaquettes dans le compartiment vasculaire, expression accrue de Cox 2 (forme inductible), réactivité plaquettaire accrue à l’ADP et/ou collagène.

Polymorphismes génétiques Polymorphisme des récepteurs du collagène, des Cox, de la Tx synthétase ou des enzymes du métabolisme de l’AA, polymorphisme PI A1/PI A2 des récepteurs du fibrinogène.

Interactions plaquettaires avec les autres partenaires du pool vasculaire

Blocage insuffisant de l’activation plaquettaire avec les hématies, coopération métabolique plaquettes/pool vasculaire, génération accrue de TxA2 (monocytes et macrophages activés).

Autres facteurs Taux augmenté de noradrénaline (exercice physique, stress…), tabac, stress oxydatif, synthèse de 8 iso PGF2 alpha issu de peroxydation non enzymatique de l’AA.

SourceCommunication de I. Elalamy (service d’hématologie biologique,

hôpital Tenon, Paris), lors du 37e Colloque national des biologistes

des hôpitaux (CNBH), octobre 2008, Clermont-Ferrand.

Le concept de résistance aux antiplaquettaires est un élément d’importance croissante dans la prise en charge des patients atteints de maladie vasculaire traités par aspirine et/ou clopidogrel. Quels sont les différents tests utilisés pour mettre en évidence cette résistance et quelle est leur pertinence clinique ?