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Compétitivité de la France : classements et analyses Par Edouard Mathieu et Bertrand Moingeon Le Forum économique mondial classe la France à la 30 e place pour son potentiel compétitif de croissance, à la 11 e place pour la compétitivité des entreprises et à la 12 e place pour la compétitivité globale. Lire pages 2 et 3 La performance économique dans les pays d’Europe centrale Par Henri-Louis Védie Une analyse de la performance économique sur la période 2001-2004 dans dix pays. Lire pages 3 et 4 La motivation, moteur de la performance Propos recueillis par Oliver Gottschalg Une rencontre avec Jean-Paul Villot, PDG de Néopost. Lire page 5 Chine : la manufacture à l’ère de l’intelligence économique Propos recueillis par Solveig Godeluck Un entretien avec Qiaho Miao, conseiller de la municipalité de Shangai en matière de technologies de l’information. Lire pages 6 et 7 Le « benchmarking » pour évaluer ses pratiques d’affaires Par Hugues Boisvert La recherche des meilleures pratiques d’affaires au niveau des opérations d’exploitation et des pratiques cohérentes au niveau de l’orientation de la gestion se fait par l’analyse comparative. Lire page 8 Pourquoi il ne faut pas avoir peur des multinationales chinoises Par Jean-Paul Larçon et Pierre Dussauge Et si les entreprises chinoises n’étaient que des colosses aux pieds d’argile ? Lire pages 9, 10 et 11 Les ressorts de la compétitivité SOMMAIRE ORANGE ENTREPRISES, VOS SOLUTIONS DE COMMUNICATION MOBILES Rendez-vous en page 12 pour en savoir plus. communiquons plus jeudi 10 novembre 2005

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L'art du management 5/10

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Compétitivitéde laFrance :classementsetanalysesParEdouardMathieuetBertrandMoingeonLeForuméconomiquemondial classe laFranceàla30e placepour son potentiel compétitifde croissance, à la11e placepour lacompétitivitédes entreprises età la12e place pour lacompétitivitéglobale.

Lire pages 2 et 3

Laperformanceéconomiquedans lespaysd’EuropecentraleParHenri-LouisVédieUne analyse de laperformanceéconomiquesur lapériode 2001-2004dans dix pays.

Lire pages 3 et 4

Lamotivation,moteurdelaperformanceProposrecueillisparOliverGottschalgUne rencontreavec Jean-Paul Villot, PDGdeNéopost. Lire page5

Chine : lamanufactureà l’èredel’intelligenceéconomiqueProposrecueillisparSolveigGodeluckUnentretien avecQiahoMiao,conseillerde lamunicipalité deShangaienmatièredetechnologies del’information. Lire pages 6 et 7

Le« benchmarking »pourévaluersespratiquesd’affairesParHuguesBoisvertLa recherche des meilleures pratiquesd’affairesau niveaudesopérations d’exploitationetdespratiques cohérentesau niveaude l’orientationde lagestionsefaitpar l’analysecomparative.

Lire page8

Pourquoi ilne fautpasavoirpeurdesmultinationaleschinoisesParJean-PaulLarçonetPierreDussaugeEtsi les entreprises chinoises n’étaientquedescolossesauxpiedsd’argile ? Lire pages 9, 10 et 11

Les ressortsde la compétitivitéSOMMAIRE

O R A N G E E N T R E P R I S E S , V O S S O L U T I O N S D E C O M M U N I C A T I O N M O B I L E S

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− jeudi 10 novembre 2005

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2 - Les Echos - jeudi 10 novembre 2005 L’ART DU MANAGEMENT

CompétitivitédelaFrance :classementsetanalyses

RAPPORT Le Forum économique mondial présente trois classements dans lesquelsla France pointe à la 30e place pour son potentiel compétitif de croissance, à la 11e placepour la compétitivité des entreprises et à la 12e place pour la compétitivité globale.

e Forum économique mondial (ci-après WEF pour World EconomicForum) a rendu public, le 28 sep-tembre, son rapport annuel sur lacompétitivité des nations. Sur le po-dium sont distingués la Finlande, lesLEtats-Unis et la Suède. Le rapport

classe la Franceseulementà la 30e place (sur 117pays)pour son potentiel compétitif de croissance (« growthcompetitiveness index »), en recul de 3 places parrapportà 2004.La France se fait doubler par l’Irlande,la Corée et le Qatar, ce dernier étant en fait nouvelle-ment introduit dans le comparatif.

Le WEF présente simultanément deux autresclassements dans lesquels la France fait nettementmeilleurefigureetmêmeprogresse :àla11e placepourlacompétitivitédesentreprises−ungainde1place−,àla 12e place pour la compétitivité globale − un gain de5 places par rapport à 2004. Ce dernier classement,selon lacompétitivité globale, estprésentépar leWEFcommeleplusabouti,etdestinéàremplacerlepremierdans la communication sur le prochain rapport.

− Le premier classement, le « growthcompetitivenessindex »(GCI),élaboréparJ.SachsetJ.McArthur,metfortement l’accent sur l’innovation et les critères ma-croéconomiques. Il pondère les divers indicateurs enfonction de leur corrélation avec la croissance de longterme. Les trente-cinq indicateurs qui le composentsont regroupés en trois « piliers » de poids égal :environnement macroéconomique (comptes publics,opinionsurl’efficacitédesdépensespubliques),institu-tions publiques (respect du droit, corruption), techno-logie (brevets, technologies de l’information).− Le deuxième classement, le « business competitive-nessindex »(BCI),élaborésousladirectiondeM.Por-ter (1), pionnier des études sur la compétitivité desnations (voir sonouvragepubliéen1990),met l’accentsurlabonnegestiondesentreprisesautantquesurcelledesterritoiresetpondèrelesindicateursenfonctiondeleur corrélation avec le niveau de richesse des pays.L’idée est de déterminer les comportements et poli-tiques susceptibles de soutenir un haut niveau de vie.− Letroisièmeclassement, le« globalcompetitivenessindex », élaboré par X. Sala-i-Martin, propose unesynthèsedecesdeuxapproches.Ellereprendl’idéedesstades de la croissance, dont X. Sala-i-Martin estd’ailleurs l’undes théoriciens, mais la meten œuvredefaçon beaucoup plus élaborée que le premier classe-

ment : trois niveaux de développement et deux ni-veaux intermédiaires sont définis en fonction du PIBpar habitant, et des pondérations spécifiques leur sontappliquées. La centaine d’indicateurs statistiques oud’opinion mobilisés sont organisés en neuf « piliers »(institutions, infrastructures, macroéconomie, santé etéducation, organisation des marchés, technologie etinnovation, efficacitédes entreprises). La version2005decet indicateurcompositeaétésimplifiéeparrapportà la première version. Le nombre d’indicateurs estallégé et les formules non linéaires expérimentées en2004 ont été abandonnées. En conséquence, les résul-tats de 2005 ne sont pas entièrement comparables àceux de 2004. Le progrès de la France dans ceclassement semble cependant provenir de réponsesréellement plus favorables plutôt que des modifica-tions de méthode.

Les indicateurs utilisés proviennent pour unepart de statistiques publiques élaborées par des orga-nismes internationalement reconnus, tels l’OCDE oule FMI. Mais ces statistiques représentent seulemententre le tiers et la moitié de la compétitivité de

croissance et moins encore dans les deux autresindicateursdecompétitivité.LeWEFutilisemajoritai-rement les résultats de son enquête d’opinion réaliséeauprès de 11.000 cadres et dirigeants d’entreprise.Danschaquepays, lespersonnesinterrogéesnerépon-dentquesur la situation du pays où ils sont actifs, celuiqu’ils connaissent le mieux en principe, mais en ayantenvuedela juger relativementauxpaysleadersdanschaquedomaine.

En France, le Forum éco-nomique mondial et l’Institute forStrategy and Competitiveness deHarvardontchoisileGroupeHECcomme partenaire pour réalisercette enquête annuelle (2). En2005, ce sont 163 cadres dirigeants− français ou étrangers travaillantdans l’Hexagone − qui ont ré-pondu. Bien entendu HEC et leséquipes du Forum conservent leurentière indépendance d’analyse. La formulation desquestionsetlamiseenordredesrésultatsautraversdesmodèles économiques sous-jacents proposés par leWEFluiappartiennentenpropre,HECseréservantledroit d’en discuter et de poursuivre ses propres ana-lyses. Le Forum économique mondial est une institu-

tion indépendante, baséeà Genève,qui se donnepourobjectif de promouvoir le développement écono-mique dans le monde et les moyens pour y parvenir.Parmi ces moyens, le Forum promeut explicitementl’initiative privée et la liberté d’entreprise. C’est pour-quoi l’enquête est réalisée auprès des milieux écono-miques.Cependant, le Forum ne semble pas promou-voir pour autant un modèle socio-économiqueparticulier, comme le montre la désignation commeleaders de la Finlande et d’autres pays européens àhautniveaudeprélèvementsobligatoires.LeForumsedistinguenettementencelad’uneorganisationcommeHeritageFoundation,quiclasseannuellementlespaysen fonction du seul critère de la participation de l’Etatet des organismes publics dans l’activité économique.

Quoi qu’il en soit, la forte divergence entre laplace de la France selon l’indicateur de compétitivitéde croissance − le plus médiatisé par le WEF − et lesdeux autres indicateurs de compétitivité rend problé-matique l’interprétation du message économique. LeWEF explique que les entreprises françaises obtien-draientdesuperbes résultats parceque leurinternatio-nalisation les mettrait à l’abri d’un environnementdesaffaires peu attractif en France. Pourtant, le WEF metenévidence, par ailleurs,que ses indicateurs de poten-tiel de croissance et de compétitivité des entreprisessontgénéralementcorrélés−laFranceconstituantunedes rares exceptions.

PotentieldecroissanceAvantdetirerlesleçonsdecetriple« benchmarking »,il faut tirer au clair une curiosité : la France est classée30e selon l’indice de potentiel de croissance, mais estnettement mieux classée − et plutôt en progrès − danschacune des trois composantes de cet indice : 20e pourlaqualitédes institutions,24e pour latechnologie et27e

pour l’environnement macroéconomique. En fait, lesagrégations sous-jacentes n’utilisent pas les mêmesformules selon les pays. La France est considéréecomme un pays innovant auquel doit être appliquéeune formule plus exigeante que celle appliquée à despaysmoinsinnovants,avecunpoidssupérieurattribuéauxcapacitésd’innovation.Cechangementderègledujeu−justifiéparleWEFparlefaitquecenesontpaslesmêmes facteurs qui expliquent la croissance pour despays deniveau dedéveloppementdifférent− profite à6 pays qui dépassent, de ce fait, la France dans leclassement, par exemple le Qatar, le Portugal etl’Espagne. En dehors de cet artefact, la France seraitclassée 24e − en meilleur accord avec les classementsselon les composantes de l’indice.

Quelssontlespointsfaiblesquiexpliquentalorscette30e ou24e placeaprèsrectification ?Dansl’indica-teur de potentiel de croissance, ce qui compte avanttout, c’est l’appréciation du niveau technologique. Lerapport insiste sur la faiblesse des dépôts de brevet parhabitant − ce qui creuse l’écart avec l’Allemagne,classée 15e − et sur la proportion insuffisante depersonnes actives ayant fait des études supérieures− mais un indicateur restreint aux jeunes adultes demoinsde35ansauraitmieuxmisenlumièrelesprogrès

de la France en la matière. Au plan des institutions, lacommunauté française des affaires doute plus qu’ail-leurs, par exemple, de l’indépendance du systèmejudiciaire français, classée à la 29e place. Le WEFprésente cet indicateur comme l’un de nos moins bons« points forts » plutôt que comme un « point faible ».

ÉDOUARD MATHIEU ET BERTRAND MOINGEON

Les entreprises françaisesobtiendraient de superbes résultatsparce que leur internationalisation lesmettrait à l’abri d’un environnementdes affaires peu attractif en France.

Edouard Mathieuest chercheur associéà HEC EducativeEducation et conseillerà l’Agence françaisepour les investissementsinternationaux.

Bertrand Moingeonest professeurau Groupe HEC, où ildirige les programmespour managerset dirigeants (HECExecutive Education).

Les trois classements 2005 du Global Competitiveness Report

idé

Finlande

Etats-Unis

Suède

Taiwan

Japon

Royaume-Uni

Allemagne

Espagne

France

Italie

Chine

Pologne

1

2

3

5

12

13

15

29

30

47

49

51

2005rang/117

1

2

3

4

9

11

13

23

27

47

46

60

2004rang/104

Compétitivitéde croissance

Compétitivitédes entreprises

Compétitivitéglobale

2

1

12

14

8

6

3

25

11

38

57

42

2005rang/116

2

1

4

17

8

6

3

26

12

34

47

57

2004rang/103

2

1

7

8

10

9

6

28

12

38

48

43

2005rang/117

2

1

5

11

10

9

6

34

17

56

32

72

2004rang/104

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- 3Les Echos - jeudi 10 novembre 2005L’ART DU MANAGEMENT

Mais il reste que ce type d’opinion sur les institutionsfrançaises creuse également l’écart de classement avecl’Allemagne et surtout avecles paysnordiques. Auplanmacroéconomique, la critique porte classiquement surle déficit et l’endettement. Mais ces critiques sontcommunes à de nombreux pays européens ainsi qu’auxEtats-Unis : à elles seules, elles n’aboutiraient pas à unmauvais classement. A contrario, les bonnes perfor-mances de la Finlande en la matière contribuent à sapremière place parce qu’elles se rajoutent aux perfor-mances technologiques, liées à la spécialisation de cepays dans les hautes technologies.

AtoutsincontestablesQuels sont les points forts qui expliquent les meilleursclassementsdelaFranceenmatièredecompétitivitédesentreprises et de compétitivité globale ? L’indice decompétitivité des entreprises met en vedette la sophisti-cationdesopérationsdesentreprises, sous-tenduepar laqualitéde l’enseignementsupérieurdegestion,domainedans lequel la France a un leadership incontesté, occu-pant la deuxième place mondiale, la qualité des infra-structures et celle des centres de recherche-développe-ment (quatrième pour la disponibilité localed’organismesderecherche etdeformation).L’indicedecompétitivité globale, qui prend aussi en compte laqualité des infrastructures et du système de santé,souligne également le très bon niveau général du sys-tème d’innovation et de formation en France dans sesdifférentes composantes. Ces points forts relatifs àl’innovation, à la formation et à la performance desentreprises devraient constituer des atouts incontes-tables dans la démarche de mise en place de « pôles decompétitivité » l

(1) Michael Porter est professeur à Harvard,où il dirige l’Institute for Strategy and Competitiveness.Il est également professeur honoris causa au Groupe HEC.(2) Depuis 2002, cette enquête est coordonnée par les profes-seurs Bernard Ramanantsoa (directeur général du GroupeHEC) et Bertrand Moingeon.

Laperformanceéconomiquedanslespaysd’Europecentrale

CROISSANCE Une analyse de la performance économique sur la période 2001-2004dans dix pays : l’Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque,la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et la Serbie-Monténégro.

’approche de la performance n’estpas chose simple, et la performanceéconomique est un sujet complexe,qui suppose dans sa définition et sonanalyse d’être cadré. Bien sûr,comme indicateur de mesure, il y aLl’inévitable et l’incontournable taux

de croissance. Pour autant, se contenter de ce seulindicateur est une erreur ; pis encore : une faute. Eneffet, à partir des taux de croissance observés pourl’exercice 2004enSerbie(+ 7 %) etenFrance(+ 2%),ondevrait conclure alors à une meilleureperformancedel’économieserbe.Noussavonstous,économistesounon, que pareille conclusion n’a pas de sens ! Certes, àniveau de développement égal, comparer des taux decroissance peut être significatif. Pour autant, celademeure une approche incomplète de la « perfor-mance économique ». Une croissance performante,c’est une croissance qui crée des emplois et qui negénère pas d’inflation. Une croissance performante,c’estaussi, etpeut-êtresurtout,unecroissance qui créedelarichesse,quiaugmenteleproduitnationalbrutparhabitant (PNB/hab.).

C’est à partir de ces postulats que nous avonsanalysé la performance économique réalisée au coursdes quatre dernières années (2001-2004) en Europecentrale.Pour cela, nous avons retenucinq indicateurset dix pays. Les indicateurs privilégiés sont : le taux decroissance, le produit national brut par habitant, lavariation du PNB/hab. Au cours de l’exercice2001-2004, le taux de chômage et le taux d’inflation.

Les dix pays concernés sont : l’Albanie, laBulgarie, laHongrie, la Croatie, laPologne, laRouma-nie, la Slovénie, la Slovaquie, la Serbie-Monténégro etla République tchèque.

Par-delàl’analyseparindicateurspaysparpays,il nous a semblé nécessaire de proposer un indicateurde performance de synthèse et global. Pour cela, nousproposons de classer par indicateurs les pays les plusperformants. Pour le taux d’inflation et le taux dechômage,laperformancesedéclinecroissante.Letauxle plus bas observé est le plus performant. Pour le tauxdecroissance, leproduitnationalbrutparhabitantetlavariation duproduitnational brut parhabitant, raison-nementinverse : leplusperformant est celuiquiatteintleniveau le plus élevé. Achaque pays estattribuépourchaqueindicateur unnombredepoints égal àsonrang(1er = 1,7e =7,etc.).Letotaldes points obtenus permetde classer les pays par rapport à leur performanceéconomique. Les plus performantssontceuxquiont lenombre de points le plus faible.

Enfin, nous avons distingué une approche sta-tique de la performance économique (résultats obser-vésen2004)etuneapprochedynamique(moyennedesrésultats observés sur la période 2001-2004).

Uneapprochestatiquede laperformanceéconomiqueen2004

l Les résultats obtenus par indicateur.1. Lacroissanceéconomique.Comptetenudes

résultats observés : Albanie (7 %), Croatie et Rouma-nie (4,5 %), Bulgarie (4,4 %), Slovaquie (3,9 %),Pologne (3,6 %), Hongrie (2,8 %), Slovénie (2,5 %)République tchèque (2,5 %), Serbie (2 %), ce sont, àpartlaCroatie, les pays enretarddans leur développe-ment économique(Albanie,Roumanie,Bulgarie) quiontle tauxdecroissance leplus élevé.Rien d’anormal,rien de plus normal, l’économie de rattrapage joue àplein. A l’inverse, à l’exceptionde la Serbie, cesont les

pays considérés comme ayant achevé leur période detransitionouétantenvoie de le faire qui sont lesmoinsperformants(moins de3 %dutauxdecroissance).Unpays fait exception : la Pologne, avec 3,6 %.

2.Le produitnationalbrut par habitant. S’agis-sant du PNB/hab., avec un classement globalementinverse à celui du précédent, les résultats observésconfirment les conclusions précédentes. Ce sont lespays ayant, toutes choses égales par ailleurs, le tauxdecroissance le plus faible qui ont le PNB/hab. le plusélevé.Ainsi,laSlovénie(13.700dollars),laRépubliquetchèque(7.600dollars),laHongrie(5.872dollars),etc.,se retrouvententêteduclassement, tandis que l’Alba-nie(2.105dollars)etlaBulgarie(2.300dollars)fermentla marche.

3. Le chômage. Les résultats sont particulière-ment contrastés : le meilleur (Hongrie 5,8 %, Rouma-nie 6,8 %) y côtoie le pire (Albanie 28,6 %, Pologne19,4 %, Slovaquie 19,4 %). Bien qu’ayant des taux decroissanceélevésenAlbanieetsignificatifsenPologne,l’emploin’estpas aurendez-vousdanscesdeuxpays.Ilen est de même pour la Slovaquie (18,4 %). Cesrésultats confirment, sibesoin en était, que, ici commeailleurs, la croissance n’est pas toujours synonyme decréations d’emplois.

4. Le taux d’inflation. Un seul pays a un tauxd’inflation supérieur à 10 % : la Roumanie, avec14,9 %.Lerésultatestsupérieurà5 %pourlaBulgarie(6,4 %), la Hongrie (6,8 %), la Slovaquie (7,6 %) et laSerbie (10 %). Il est inférieur à 5 % en Slovénie(3,7 %), en Croatie (3,6 %), en Pologne (3,5 %), enRépublique tchèque (2,8 %) et en Albanie (1,4 %).On notera avec intérêt la performance del’Albanie, qui réalise, parmi les dix, le meilleur tauxde croissance et le plus faible taux d’inflation. xx

RÉSUMÉLa place de la Francedans les classements decompétitivité varie defaçon importante selonles indicateurs globauxutilisés. Si l’économiefrançaise apparaît parfoispénalisée par rapport àd’autres moinsdynamiques, c’est qu’elleest jugée selon uneformule plus exigeantemettant en avant sonpotentiel de croissance.Des indicateurs commela faiblesse des dépôtsde brevet ou le nombrede personnes activesayant fait des étudessupérieures lui sontpréjudiciables. Parmi sespoints forts : la qualitéde ses infrastructuresmais aussi lasophistication desopérations menées parses entreprises,sous-tendue par le bonniveau de l’enseignementsupérieur de gestion.

LaFranceestclassée30eselonl’indicedepotentieldecroissance,maisestnettementmieuxclasséedanschacunedestroiscomposantes :20epourlaqualitédes institutions,24epourlatechnologieet27epourl’environnementmacroéconomique.

HENRI-LOUIS VÉDIE

Henri-Louis Védieest professeur associéau département financeet économie à HEC,membre de sectionau Conseil économiqueet social, directeurscientifique des Mime(masters) HEC à Belgradeet à Varsovie.Auteur ou coauteurd’une douzained’ouvrages et denombreux articles,il est égalementconsultant international.

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4 - Les Echos - jeudi 11 novembre 2005 L’ART DU MANAGEMENT

l La prise en compte d’un indicateur global.Lesrésultatsobtenusparpaysetpar indicateur en2004donnent les résultatssuivants en classant les pays selonleur résultat recueilli indicateur par indicateur.

Enadditionnantlenombredepoints acquisparchaque pays, on obtient par ordre décroissant les paysles plus performants àpartir de l’indicateur globalet desynthèse pour l’exercice 2004.

Si on élimine de cet indicateur global l’indica-teur de croissance, le développement économiqueatteintparlesdixn’étantpashomogène,onproduittoutnaturellement un autre classement.

Le classement obtenu en tenant compte del’indicateur de croissance fait apparaître un leaderincontestable pour la performance économique 2004avec la République tchèque, suivie de près par laCroatie, la Slovénie et la Hongrie. Au cinquième et ausixièmerang,onalasurprisedetrouverlaRoumanieetl’Albanie.Unbondernierest laSerbie-Monténégro,etun surprenant avant-dernier la Pologne. Si on éliminecet indicateur de croissance de l’indicateur global, laRépublique tchèque demeure l’incontestable numéroun. LaSlovaquie etlaPolognegagnentrespectivementune et deux places. L’ensemble deces résultatsmontreque les classements emportés par l’indicateur global,sans indicateurdecroissance,sontàuneexceptionprèscelui obtenu à partir du PNB/hab. Ce dernier sembledonc être un bien meilleur indicateur de performanceéconomique que le taux de croissance.

Uneapprochedynamiquede laperformanceéconomique

l Les résultats obtenus, par indicateur, pour lapériode 2001-2004.

Cinq indicateurs ont été retenus : aux quatreprécédentsvient s’ajouter l’évolutionduPNB/hab.De2001-2004. Pour les autres indicateurs, l’indicateurretenu est la moyenne des résultats observés − annéepar année − durant la période 2001-2004.

1. La croissance économique. Sur la période2001-2004, le taux de croissance économique le plusélevéesttoujoursenAlbanie(5,1%),mêmesisontaux

moyen est inférieur à celui observé en 2004. Pour laBulgarie(4,37 %)etlaCroatie(4,37 %),letauxmoyenest sensiblement égal à celui de l’exercice 2004. Enrevanche, pour tous les autres pays (Roumanie

− 4,75 %,Slovaquie − 4,27 %, Serbie− 3,6 %Hongrie− 3,25 %, République tchèque − 2,87 %, Slovénie− 2,72 % et Pologne − 2,45 %), le taux moyen estsupérieur à celui de l’exercice 2004. Globalement, onpourra donc conclure à un tassement de la croissanceéconomique en 2004.

2. Le produit national brut par habitant. Toutnaturellement et fort heureusement, le PNB moyenpar habitant de la période 2001-2004 est inférieur àcelui de l’exercice 2004, ce qui est la preuve de saprogression. Si on compare le classement 2001-2004 àcelui de 2004, nous ne constatons que deux change-ments : la Pologne et la Slovaquie inversent leur rangau profit de la Pologne, de même que la Serbie et laBulgarie, mais cette fois au profit de la Bulgarie.

3. L’évolution du produit national brut parhabitant entre 2001 et 2004. Trois pays voient leurPNB/hab.progresserde2.900dollarsà3.500dollars : laSlovénie(3.540dollars), laHongrie(3.200 dollars)et laRépublique tchèque (2.900 dollars). Deux autres payssesituentdansleseauxde2.000dollarsdeprogression :laSlovaquie(2.220dollars)etlaCroatie(1.980dollars).Pour les autres, les gains sont plus modestes, puisquecompris entre 1.590 dollars (Pologne), 1.190 dollars(Serbie), 830 dollars (Roumanie), 705 dollars (Alba-nie) et 650 dollars (Bulgarie). On remarquera avecinquiétudequelesgainsdelaSlovénie,delaHongrieetde la République tchèque sont supérieurs auPNB/hab., en2004,de laRoumanie, de laSerbie, de laBulgarieetde l’Albanie.Malgrédestauxdecroissanceplus élevésqueceuxobservés danslessixautrespays, iln’y a aucun effet de rattrapage : bien au contraire, lesécarts se creusent.

4.Lechômage.Lesrésultatsobservésmontrentunestabilitécertainedutauxdechômagesurlapériode2001-2004, comparé avec celui de l’exercice 2004. LaHongrie est toujours au premier rang (5,8 %), suiviecette fois de laSerbie (7,9%), dela Roumanie(8,3%),de la République tchèque (8,6 %), de la Slovénie(11,2%),delaCroatie(15 %),delaBulgarie(15,7%),de la Pologne (18,3 %) de la Slovaquie (18,5 %) et del’Albanie (28,6 %).

5. L’inflation. Le taux d’inflation moyen ob-servé parmi les dix pour la période 2001-2004 estglobalementplus élevéque celuiduseulexercice2004.Enrevanche, les rangs obtenus sur lapériode diffèrenttotalement de ceux observés pour l’exercice 2004.Avec un taux moyen d’inflation de 2,3 %, la Répu-blique tchèque décroche la pole position, suivie de laCroatie(2,5 %)etdelaPologne(2,9 %).Dansleseauxde58 %suivent laBulgarie (5,4%),l’Albanie(5,5%),laSlovénie(6,2%), laHongrie(6,4 %) etlaSlovaquie.LaSerbie,avec16 %,obtientunrésultathonorable, cequin’estpaslecasdelaRoumanie(23,5 %).Onnotera

labonneperformance de laPologneau troisième rangsur l’exercice 2004 et sur la période 2001-2004.

l La prise en compte d’un indicateur global.Les résultats observés, en reprenant la méthodologieprécédente, sont les suivants.

Ces résultats permettent de classer ces dix pays selonleur performance économique de la façon suivante :

Si,commeprécédemment,onéliminedecetindicateurglobal l’indicateur de croissance, on obtient un classe-ment différent.

Si on compare ces deux classements, trois paysse détachent assez nettement comme étant les plusperformants : République tchèque, Croatie, Hongrie.Trois autres pays sont indiscutablement les moinsperformants : Serbie, Bulgarie, Albanie. Parmi lesquatre pays restants, on peut être surpris du bonclassementde la Roumanie, loindevant l’Albanie et laBulgarie, et du classement moyen de la Pologne.

Enconclusion,lesrésultatsobservésetanalyséssoit à partir de l’exercice 2004, soit sur la période2001-2004 montrent que les quatre pays les plusperformants aujourd’hui en Europe centrale sont laRépublique tchèque, la Hongrie, la Slovénie (paysmembres de l’Union) et la Croatie, pays candidat.Parmilesdeuxpayscandidatsàl’élargissementdansunproche avenir, la Roumanie et la Bulgarie, la perfor-mance de la Roumanie est supérieure à celle de laBulgarie. Par contre, la Pologne et la Slovaquie seretrouvent à un rang surprenant derrière des payscandidats à l’Union. Enfin, la Serbie et l’Albanie sontles économies les moins performantes. L’Albanie sedistingue cependant très nettement de la Serbie-Mon-ténégro,enobtenantdansledomainedel’emploietsurle plan de l’inflation des résultats bien meilleurs queceux de la Serbie-Monténégro. Enfin, malgré lesefforts despays àfaiblePNB/hab., l’écartentre ceux-ciet ceuxqui seclassent parmi les cinq premiers ne cessedecroître. C’est là aussi une des limites de l’analyse dela performance économique à partir des seuls indica-teurs économiques l

RÉSUMÉUne analyse détailléedes différents critèresqui permettentd’appréhenderla performanceéconomique, sur lapériode 2001-2004,fait ressortir que, parmiles pays d’Europecentrale, quatre sedétachent aujourd’hui :la République tchèque,la Hongrie, la Slovénieet la Croatie. Enrevanche, la Pologne et laSlovaquie se retrouventà un rang surprenantderrière des paysqui ne sont encore quecandidats à l’Union.Les économies les moinsperformantes sontl’Albanie et la Serbie.

idé

Albanie

Bulgarie

Croatie

Hongrie

Pologne

Roumanie

Serbie

Slovaquie

Slovénie

République tchèque

10

9

4

3

6

7

8

5

1

2

PNBpar habitant

1

6

4

7

3

10

9

8

5

2

Inflation

10

5

6

1

9

2

7

4

4

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République tchèque

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- 5Les Echos - jeudi 10 novembre 2005L’ART DU MANAGEMENT

Lamotivation,moteurdelaperformance

ENTRETIEN Une rencontre entre Oliver Gottschalg, professeur assistanten stratégie au Groupe HEC et auteur de travaux sur les problèmes de motivationdes salariés, et Jean-Paul Villot, PDG de la société Neopost.

a motivation du personnel d’une en-treprise est le plus puissant des mo-teursdesacompétitivité.Audépart, lasociété Neopost, spécialisée dans letraitement de courriers,était l’une destrès nombreuses filiales du groupeLAlcatel. A partir du moment où la

société a quitté la nébuleuse d’un géant dont le métierprincipal était très éloigné du sien, Neopost a pu définirunprojetd’entreprisefondéàlafoissuruneforteidentitéde l’entreprise, un savoir-faire reconnu, une liberté demanœuvre enfin reconquise et un rapport direct avec lemarché. L’introduction en Bourse a été l’occasion deredéfinir lesobjectifsdel’entrepriseetderesponsabiliserl’ensemble du personnel face aux défis qui attendent cegroupe de taille moyenne, fortement internationalisé etqui lutte de manière frontale avec un colosse américainspécialisé, Pitney Bowes(4.700 salariés d’un côté, 32.000de l’autre). Neopost était d’abord sortie d’Alcatel àtravers un LBO, étape de transition avant l’introductionen Bourse, ce qui aura permis à ses cadres et à sonpersonnel de connaître les trois formes d’actionnariat :d’abord, en tant qu’entité anonyme d’un conglomératengagé dans un processus de redéploiement ; ensuite,une entreprise autonome contrôlée par des profession-nels du capital-investissement ; enfin, une entreprisecotéeayantfaitleparidelatransparence,avecleslourdescontraintes que cela implique.

Oliver Gottschalg. Dans une entreprise de taillemoyenne et à haut degré de spécialisation commecelle que vous dirigez, quelle importance accorde-t-on à la motivation des salariés et comment s’yprend-on pour la stimuler ?Jean-PaulVillot.Laréponsequejevais vous faire est aussi simple quebanale : la contrepartie de la libertéquedonnele faitd’apparteniràuneentreprise autonome, c’est la misesous tension de ses collaborateurs.Tout le monde souhaite faire untravailquiaitunsens.Lamotivationestlefacteurclefdelaréussite.Noussommes une entreprise de4.700 personnes et chacun d’entrenousestappeléàêtreunacteurdelaperformance collective. Il revient au management del’entreprise de prouver qu’il donne à tous l’envie d’allerau bout de l’objectif.

C’est quoi l’objectif ? Comment est-il défini ?Il s’agit d’abord d’expliquer ce qu’est le métier del’entreprise, lesclientsqu’ellevise, l’offrequ’elleproposeet les moyens qu’elle emploie pour atteindre son but. Ils’agit ensuite de définir un calendrier des rendez-vousjugés stratégiques. Pour être efficace, un projet d’entre-prisedoitêtreà la foisambitieux, lisible,compréhensibleet civiquement − socialement si vous préférez − accep-table.Unefois l’objectifdéfini, l’importantest dedonnerdesordresdemissionavecdeséchéancesquinesoientnitrop proches ni trop lointaines. La mise sous pression detoute l’organisation suppose qu’il y ait une distance àparcourir,quechacunsache làoùonveutarriverdansunan, deux ans ou cinq ans. La bonne perception de ce« gap » entre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui doitarriver demain est le meilleur test de la mobilisation desénergiesdanstoutel’entreprise.C’estceque j’appelleun« gap » créateur de tension positive. Mais attention ! Ilfautveillerà ne pas placer labarre trop haut, à définir unobjectif accessible, sous peine de faire retomber très vitecette tension mobilisatrice. Une fois l’objectif général del’entreprise défini et expliqué, il convient ensuite de ledécliner service par service, jusqu’aux collaborateurs debase.Chaquesalariéveut savoir ceque l’on attenddeluietcomprendre lerôlequ’ilauraàjouerdans l’entreprise.L’objectifgénéraletsadéclinaisonenobjectifsdeterraindoivent être régulièrement rappelés et mis à jour aumoins une fois par an.

Voilà pour ce qui concerne les objectifs écono-miques de l’entreprise. Qu’en est-il de la mobilisa-tion des salariés autour des valeurs de l’entreprise ?A une définition claire et lisible de nos objectifs, nous

jugeons indispensable d’ajouter une communicationélaborée sur nos valeurs et les règles de comportementque nous souhaitons voir appliquées. A l’intérieur del’entreprise, mais aussi à l’extérieur, dans nos relationsavecnospartenaires :clients,fournisseurs,actionnaires...,les équipes dirigeantes de l’entreprise ont pour missiond’expliquer les règles que nous nous donnons à l’en-semble du personnel. Mais, bien sûr, c’est par le contactde terrain recherché en permanence que, au gré de laconjoncture, jour après jour, ces mêmes équipes sontamenéesàrappelerle lienentrelesdécisions immédiateset les objectifs stratégiques de l’entreprise.

Quel bénéfice concret les salariés peuvent-ils retirers’ils consentent à entrer dans le jeu de vos méthodesde motivation ?Ce qu’ils souhaitent légitimement, c’est que l’on recon-naisse les efforts qu’ils font au service de l’entreprise. Larémunération est évidemment la première preuve decette reconnaissance. Les salariés veulent d’abord avoirle sentiment que l’entreprise les paye d’une façon géné-rale au prix du marché pour le type d’emploi et defonction qu’ils occupent. Si ce n’est pas le cas, inutiled’espérerunengagementfort.Mais lacomparaisonavecles salaires du marché ne suffit pas. Ce qui motiveréellement, c’est la reconnaissance − je pourrais dire leretour sur investissement − après un effort qui auradébouché sur une réussite de l’entreprise sur tel ou telsujet. Comme beaucoup d’entreprises, nous avons desprogrammes de stock-options pour certaines catégoriesde salariés et des mécanismes de salaire variable quiconcernent l’essentieldel’effectif. Mais lareconnaisancenes’exprimepasseulementen termes monétaires. Nous

nous efforçons de la marquer en aidant les salariés à seperfectionner et à progresser dans leur carrière person-nelle. Nous investissons lourdement dans des pro-grammes de formation, en interne et à l’extérieur del’entreprise.Nousencourageonsnoscadresàpratiquerlamobilité géographique. Pour les cadres supérieurs, nousavonscrééavecHECunesorte« d’université »Neopost.Et,d’unefaçongénérale,nouspréférons jouer lapromo-tion interne plutôt que de recruter à l’extérieur pour despostes de responsabilité. Il nous arrive même assezsouvent de prendre le risque de nommer une personnen’ayant pas toute l’expérience habituellement requisepour tenir un poste sensible, mais en qui nous avonsconfiance,plutôtquederecruteràl’extérieuruntitulairede plus grand format, mais que nous ne connaissons pas.

Toutes les recherches sur le comportement au tra-vail insistent sur l’importance du climat, de la cul-ture, de l’ambiance qui règne dans une entreprise.Votre entreprise se sent-elle capable d’avoir une ac-tion surces moteurs intimes de lamotivation ?J’ai la conviction que 99 % des gens ont envie de seréaliserdansleurtravail,derentrerlesoirchezeuxaveclesentiment d’avoir fait quelque chose d’intéressant,d’avoirfaitavancerleschoses,enunmot,d’éprouverunesensation d’accomplissement. A l’entreprise de ne pasdécevoir cette attente très forte en créant un climatfavorable.L’accomplissement,c’estd’éprouverduplaisirdans son travail. Je sens autour de moi une réaction desurprisequandjedisquenousavonsréunilesmots« défi,reconnaissanceetplaisir »dans letexteécritquiprésentenos principes de gestion des ressources humaines. Pournous, les trois mots désignent les trois leviers de lamotivation. J’utilise volontiers la comparaison entre lemonde de l’entreprise et celui du sport. Prenez lesfootballeurs professionnels. Ils sont soumis à des entraî-nements d’une extrême rigueur, leur travail de prépara-

tion est une épreuve qui peut parfois être douloureuse.Mais, quand ils se retrouvent sur le terrain pour unecompétition,ilyaunegrandepartdeplaisirdanscequ’ilsvivent alors. On peut même dire que leur équipe n’a deschancesdegagnerquesilesjoueurséprouventuneformedejubilationcollectiveaucoursdumatch.Danslemondedes entreprises, c’est la même chose. Ce que je souhaite,c’est que, chez nous, la plupart des salariés aient lesentimentde travailler dans deséquipes où on cherche àmarquer des points tout en éprouvant du plaisir àpratiquer la compétition.

Autre facteur important de la motivation des salariés :leur degré d’identification avec les valeurs et la culturedel’entrepriseàlaquelleilsappartiennent.Cethèmedusentiment d’appartenance, du sentiment d’attache-mentest-ilévoquédansvotreentreprise ?C’est un aspect essentiel : sans un sentiment d’apparte-nance, comment espérer mobiliser les gens sur lesobjectifsdel’entreprise ?D’oùnotresoucid’expliquerdemanière très concrète ce que nous voulons faire. Nousappelons cela donner des « objectifs qui parlent ». Mais,avec la croissance de l’entreprise et l’extension de sesactivités tout autour de la planète, les choses deviennentplus compliquées. Nous avons une organisation trèsdécentralisée. Combiner l’expression de valeurs et derègles communes tout en tenant compte des particulari-tés culturelles locales, ce n’est pas facile. Malgré notredispersion géographique, malgré notre organisation trèsdécentralisée, nous cherchons à rester une organisationhomogène en termes de produits bien sûr, mais aussi entermes de normes et de valeurs patagées. Chaque unitédu groupe et chacun des salariés qu’elle emploie ont, jel’espère, l’impression d’appartenir à une organisationfortementpersonnalisée,lesentimentde« fairepartiedela famille ». Si une filiale ou une unité de l’entreprise sesent oubliée ou négligée, parce qu’elle ne retient pasl’attention de l’état-major, parce qu’elle souffre d’ungrave « gap » culturel par rapport au reste du groupe ouencoreparcequ’ellesesentbriméeenmatièred’investis-sement,ilyatoutesleschancespourqu’ellenesoitpasenmesure d’atteindre les objectifs que nous lui assignons.

L’introductionàlaBourseaétédecepointdevueun événement clef dans notre histoire récente. L’entre-priseavaitétél’objetdedeuxopérationsdeLBOaprèssasortie du groupe Alcatel et elle avait alors appartenupendant une dizaine d’années à des investisseurs finan-ciers. C’est pourquoi l’entrée en Bourse a été vécuecomme un moment d’accomplissement, un signal d’en-trée en « première division » en termes de taille, decrédibilité et de profitabilité.

Intéressantégalement, lesentimentdefiertéqu’ainspiré dans l’entreprise son bon parcours boursier. Lavisibilité que donne le fait d’être coté, la couverture depressepourtoutcequiconcernelesmomentsimportantsde l’entreprise, tout cela provoque un effet retour trèspositif à l’intérieur. On ne soupçonne pas l’impact eninterne d’un article saluant les performances d’uneentreprise.Sans compter bien sûr que la bonne tenue del’action de l’entreprise est un puissant motif de mobilisa-tion pour les salariés actionnaires, à travers le pland’épargne d’entreprise, les stock-options ou la détentiondirecte d’actions. L’entrée en Bourse pour une entre-prise, c’est le moment de l’accession à la maturité, de laresponsabilisation totale vis-à-vis d’actionnaires qui nedemandent rien d’autre que des résultats probants. Celaprocuretoutàlafoisunmélangedefiertéetd’inquiétude.

Comment trouvez-vous les bons profils de per-sonnes à recruter dans votre organisation ?Les multiples leviers sur lesquels nous agissons pourentretenir la motivation des salariés en interne ont desretombées à l’extérieur. Cela nous permet d’attirer descandidats de haut niveau, bien que Neopost soit uneentreprisedetaille moyenne. Cela nousamèneà recher-chernonseulementdesprofilsutilesànotremétier,maisaussi des profils « compatibles » en termes de culture etdecomportement.Nousyveillonsavec unsoinextrême.Avec un candidat, dès le départ, nous mettons en avantnos principes et nos valeurs et nous tentons de vérifier sientre lui et nous s’établit ce lien indéfinissable, ce « fit »susceptibledenousconvaincreque,aveclui, lecontactsefait et que la compréhension s’installe l

RÉSUMÉTous les classements,toutes les étudessur la compétitivitédes entreprisesse concentrentsur les facteurs d’ordreéconomique outechnique. C’est oublierl’essentiel : la motivationdes salariés. Ce moteurinterne qui dépend à lafois de la culture internede l’entreprise,de la clarté du discoursmobilisateur de sescadres dirigeants,de la reconnaissancedes efforts déployéspar le personnel et de lavisibilité à moyen termedes objectifs del’entreprise. Dans le casde la société Neopost, lesvaleurs de l’entrepriseont vu leur expressionrenforcée à l’occasiond’une introductionen Bourse.

PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVER GOTTSCHALG

Au-delà du coût de production ou dela concurrence fiscale et monétaire,le seul critère décisif et durablede la compétitivité d’une entreprise,c’est la motivation de ses salariés.

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6 - Les Echos - jeudi 10 novembre 2005 L’ART DU MANAGEMENT

Chine :lamanufactureàl’èredel’intelligenceéconomique

INTERVIEW Pour continuer à se développer, la Chine devra fabriquer ses propres produits.Une évolution qui repose sur un approfondissement de « l’intelligence technologique »,affirme Qiaho Miao, promoteur de l’intelligence économique dans son pays.

Qihao Miao est directeur délégué de l’Institut d’infor-mation scientifique et technique de Shanghai etconseillerdelamunicipalitédeShanghaienmatièredetechnologies de l’information. Il a créé la branchechinoise et indépendante de l’association d’origineaméricaine quifaitréférencedanslemondedel’intelli-gence économique, la Society of Competitive Intelli-gence Professionals (SCIP). Il est vice-président decette organisation dénommée SCIC, ainsi que de laSociété Chinoise pour l’Information Scientifique etTechnique (CSSTI) et de l’Association chinoise del’industrie du conseil (SCIA). Il est rédacteur en chefdu magazine trimestriel « Competitive Intelligence ».

Dans le monde de l’intelligence économique, on seréfère souvent à un penseur chinois, Sun Tse, et son« Artdelaguerre ».Les Chinois ont-ils l’intelligenceéconomique dans le sang, plus que d’autres na-tions ?Certes, beaucoupdelivres publiésenOccident fontdeSun Tse le fondateur historique de la « competitiveintelligence » (l’intelligence économique). Mais laconception moderne de cette discipline trouve sasource dans l’économie de marché, domaine danslequel la Chine manque d’expérience. Il ne faut doncpas sous-estimer les conflits avec la culture tradition-nelle.LesChinoispeuventavoiruneapprochecomplè-tement différente de celle des Occidentaux. Prenezl’exemple du« ganxi »,ceconceptquisignifiequevousdevezlubrifiervos relations socialespourqu’ellesvousrapportent. Il ya un aspect très positif, très conforme àla théorie de l’intelligence économique et à l’analysedes connaissances et du milieu social. Mais le revers,c’estquele« ganxi » peutvousmeneràlacorruptionetà l’illégalité, par exemple s’il vous conduit à confondrevotre fortune personnelle et celle de votre société.

Lorsque vous enseignez les concepts de l’intelli-gence économique, vous devez donc faire table rasedu passé ?Non, car il y a dans notre culture des modes de penséepropices audéveloppementde l’intelligence.Prenez lathéorie des jeux moderne, qui étudie des situations oùplusieurs concurrents s’affrontent et ne savent pas ceque fait l’autre : en Chine, nous la connaissons depuislongtemps.Ilyaquelquesmilliersd’années,TianJi,quiélevait des chevaux, décida d’organiser un tournoi. Leroi, qui était lui aussi passionné de sports équestres, yprit part. Dans la course, il y avaitdes chevaux d’exception, des che-vaux moyens et de moins bons.Tian Ji avait deviné que le roiaurait forcément les meilleurs che-vaux du royaume ; il utilisa doncson pire cheval contre le meilleurcheval du roi. Puis son meilleurcontre le moyen. Et son moyencontre lemoins bon. Ilremporta letournoi 2 à 1, alors que tout lemonde pariait sur le roi. C’est unehistoire d’intelligence.

Concrètement, en quoi consiste votre enseigne-ment ?Ailleurs,ons’attacheàmontrer lefonctionnementdeslogiciels de veille, des technologies de gestion desconnaissances… Pour ma part, je commence parexpliquer ce qu’est l’économie de marché ! J’enseignedes concepts de base, aussi évidents que la segmenta-tion. Certains n’en ont jamais entendu parler. Je leurmontrequ’ilexistedes chaussures pourhommes,pourfemmes, pour banquiers, pour ouvriers, etc. Personnene peut satisfaire tout le monde à la fois ; il faut doncqu’ils choisissent le créneau où ils sont les meilleurs.Pourquoi cette approche théorique ? Parce que, enChine, l’intelligence économique intéresse avant toutlesmanagers.Laplupartdemesétudiantssontdéjàdeshommes d’affaires qui font du business. La plupartprennent des décisions sensées en se servant unique-ment de leur intuition. Je pose pour eux des structuresthéoriques afin qu’ils puissent combiner les deuxmodes de pensée. Dans beaucoup d’écoles de com-

merce chinoises, on n’utilise pas la théorie. Mais, pourles patrons qui se plongent dans l’intelligence écono-mique, elle est nécessaire pour l’avenir.

Vous conseillez la municipalité de Shanghai en ma-tière d’intelligence économique. Dequoi s’agit-il ?Onmedemandederéfléchirsurlameilleureallocationpossibledesressourcesbudgétaires,afindesavoirdansquel secteur investir. Je surveille pour cela le dévelop-pement industriel dans le monde. Je suis aussi trèsattentifaucontexte local. Voussavez,à Shanghainousn’avons ni matières premières, ni minéraux, ni pé-trole… Il faut êtreprudent et choisir des industries quipeuvent se développer durablement et à bas coûts.

Quelles sont les priorités que vous avez décelées ?LaChinenepourrapastoujourscomptersursonstatutde manufacture du monde, car les marges ont déjàcommencé à baisser. De plus, cela provoque desconflitscommerciaux,notammentavec l’Europeet lesEtats-Unis. Ils ne peuvent qu’empirer à la longue.Nous ne devons ni nous contenter d’exporter nosproduits industriels à forte intensité de main-d’œuvrenidemeurerd’éternelsimitateurs.Ilnousfautdévelop-per nos propres produits. Pour cela, commençons parétudier les brevets déposés par les autres entreprises,approfondissons la « competitive technological intelli-gence » (l’intelligence technologique) et faisons deschoix clairs. Prenons l’exemple des biotechnologies :elles ont évidemment de l’avenir. Mais aujourd’huic’estdéjàun gros arbre avec beaucoupdebranches. Jeconseille, à Shanghai, de choisir une branche à la fois.Le gouvernement doit décider où placer son argentafin qu’il fasse des petits dans un futur proche.

Est-ce que la Chine, malgré son gigantisme, peuts’inspirer de l’expérience d’un autre pays « émer-gent » ?Nous avons analysé de nombreuses situations simi-laires à la nôtre, mais sans copier ces expériences. Enmatière de technologies de l’information, pour nous,Taiwan est un très bon exemple. Les Taïwanais fontpartie des leaders mondiaux dans l’électronique etl’informatique,grâceàleurindustriedescomposants,àleurspériphériques− hormisdanslesserveurs d’entre-prise. Ils ont procédé en cinq étapes pour développerces industries. D’abord, ils ont lancé leur programmeavec la coopération de très grosses entreprises étran-

gères : IBM, HP, etc. Ensuite, ils ont fait entrer lesentreprises locales taïwanaises. Puis ils les ont aidées àobtenir le cash nécessaire, avec la mise en place d’unsystème d’e-banking. Après est venue l’assistancetechnologique,quecesoitsurledesigndespucesousurl’amélioration du réseau à haut débit. Enfin, l’accent aété mis sur l’e-business. Mais nous n’avons pas seule-ment regardé ce qui se passait en Asie. Pour lestechnologies de l’information, nous avons aussi étudiéle cas du « tigre celtique » de l’Europe, l’Irlande…

Et avec les entreprises que faites-vous ? N’est-il pasdifficile de faire comprendre l’intérêt de l’intelli-gence économiqueà ces clients ?Je vais prendre l’exemple de Baosteel. C’est une trèsvieilleentreprisechinoise,l’unedesdeuxseulesdemonpays qui font partie du classement américain « For-tune 500 ». Avant,Baosteel avait un institut de l’infor-mation qui n’était en fait qu’une bibliothèque d’entre-prise où l’on pouvait trouver de la documentationtechnique. Elle s’est informatisée. Nous les avons

conseillés,etellevientdesetransformerenunsystèmeintégré de gestion des connaissances, à la fois biblio-thèque d’entreprise, centre en réseau et départementde recherche pour les questions stratégiques. Ils ontacheté des logiciels spécifiques, des bases de donnéesque nous alimentons avec les dernières tendances del’industrie. Nous leur avons montré que cela leurpermettrait de mieux utiliser leurs ressources budgé-taires.

Quelles sont les principales résistances que vousrencontrez dans votre travail d’évangélisation desentreprises ?EnChine, lesgrandes entreprisessevoientcommedesfamilles. Traditionnellement, les managers ont ten-danceànecroirepersonned’autrequelesmembresdeleur famille.Deplus,ils neveulentpasquedesgensquileur sontextérieurssachentdes choses surl’entreprise.C’est donc très difficile de les convaincre de prendreconseil auprès de nous. Dans le cas de Baosteel, c’estd’autant plus dur que cette entreprise est très influen-cée par le gouvernement, qui contrôle le capital etnommeledirecteur−celan’apasquedebonscôtés.Laseuleraisonqueles managers ontdebienvouloir nousécouter, c’est que nous sommes une entreprise privéeen qui ils ont confiance. Avec Baosteel, nous avonsétabli un« ganxi »personneletdes relationsilya vingtans.

On parle pourtant d’un boom de l’intelligence éco-nomique en Chine…Aujourd’hui, les choses changent. Beaucoup d’entre-prises chinoises recourent aux consultants extérieursparceque,primo,ellesontde l’argent,etque,secundo,c’est synonyme de gloire pour elles ! Malheureuse-ment, elles se tournent toujours vers les firmes étran-gères pour ce qui est de l’intelligence économique. Etensuite, elles ne mettent pas forcément en applicationles conseils qu’onleur adonnés, cequi peutmeneràdevéritables échecs. Lorsque, de surcroît, on apprend àtravers les médias que ces entreprises ont payé desmillionsdeyuanspourdesrapportsdequelquespages,c’est très mauvais pour leur image et pour celle del’intelligence économique.

RÉSUMÉLa Chine est à untournant. Son statut demanufacture du mondecommence à connaîtrequelques brèches et lesmarges ont amorcé unebaisse. Cela provoquedes conflits commerciauxavec l’Europe et lesEtats-Unis. Il lui fautpasser à un nouveaustade, qui suppose ledéveloppement de sespropres produits.Cette différenciationse fera grâce à unapprofondissementde la « competitivetechnologicalintelligence », estimeQihao Miao, conseillerde la municipalité deShanghai en matièrede technologies del’information. La percéede l’intelligenceéconomique en Chine,où le poids des famillesdans l’économie et de laculture dans la gestionreste important, doit êtreaccompagnée par unenseignement desconcepts de base del’économie de marché.

PROPOS RECUEILLIS PAR SOLVEIG GODELUCK

En Chine, les grandes entreprisesse voient comme des familles.Traditionnellement, les managers onttendance à ne croire personne d’autreque les membres de leur famille.

Qihao Miao.

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- 7Les Echos - jeudi 10 novembre 2005L’ART DU MANAGEMENT

Est-cequel’approchedel’intelligenceéconomique,quidoit à la fois infuserle terreaudes entreprises etbénéfi-cier d’une impulsion en plus haut lieu, est conciliableaveclacentralisationetl’étatismechinois ?EnChine,beaucoupdechosesdoiventvenird’enhaut.Les provinces n’ont pas leur mot à dire. Il faut doncd’abord une approche « top-down ». Mais il est trèsdifficile de faire comprendre l’intérêt de l’intelligenceauxreprésentantsdugouvernement.D’autantplusquele mot « intelligence », « qing bao » en chinois, désigneaussi la CIA américaine : pour eux, il signifie « dan-ger » ! D’ailleurs, depuis l’ouverture de l’économiechinoise, beaucoup d’entreprises ont changé leur nompour remplacer ce terme par celui, plus anodin, d’« in-formation »… Puisqu’il est difficile de convaincre legouvernement, je m’attacheà persuader en priorité lesassociationscommerciales.Cetteapprochen’exclutpas

desinitiativesdelabase,heureusement.Lesentrepriseschinoises sentent l’importance de connaître les inten-tions de leurs concurrents et de savoir quel sera leurprochainmouvementstratégique.A ceniveau, c’est del’intelligence pratique, et non plus théorique.

La Chine connaît l’hypercroissance depuis une dé-cennie, tous les espoirs lui paraissent permis… Est-ce que l’Europe représente encore quelque chose,un concurrentou un modèle, vue de Shanghai ?Il estvrai quedansnos relationscommerciales leJaponet les Etats-Unis sont plus gros que l’Europe, et doncplus proches. Mais, avec la construction européenne,votre continent a pris de l’importance pour la Chine.Quandnousavonsbesoind’êtredursavecBoeing,nousachetons des Airbus. Vous nousdonnez unpouvoir denégociationnouveau.Deplus,nousnenégligeonspasle

fait que vous avez une économie unifiée, très solide.Nous pouvons travailler ensemble, mais il faut d’abordque nous vous comprenions. Il est également trèsimportant pour les Chinois de faire comprendre quinous sommes.

Se faire connaître, ça aussi, c’est de l’intelligenceéconomique ?« Knowandletknow ».C’estunenouvellephilosophiequi date de l’invention des technologies nucléaires.Avant, quand on avait une arme avancée, on la tenaitsecrète. Maintenant, au contraire, on en informe lemonde.Pour reveniràlaChine,le faitquenoussoyonsunepuissanceémergentesuscite unecertainepaniquedans le monde. Certains craignent une guerre mon-diale. Notre tâche consiste maintenant à réduire lasurprise l

L’intelligence des Salons professionnels, un nouveau concept

« Trade Show Intelligence », littéralement intelli-gencedesSalonsprofessionnels :JonathanCalofestàl’origine d’un nouveau concept d’intelligence écono-mique − et d’une méthode dont l’industrie cana-dienne des biotechnologies est devenue la pionnière.Objectif :maximiserleprofitquelesvisiteurstirentdeleur participation à un événement commercial telqu’une foire, un congrès, un Salon professionnel.C’est en grande partie grâce à cette démarche que leCanada a vu éclore plusieurs « clusters biotech ».Autrement dit, des réseaux locaux d’entreprises, dechercheurs, d’administrations mettant en communleurs ressources afin d’êtreplus compétitifs ensemblesur le marché mondial.Et ça marche ! En 2003, le pays a réalisé un chiffred’affairesde3,8milliardsdedollarscanadiensdanslesbiotechnologies et investi 1,5 milliard de dollars enrecherche-développement, avec 496entreprises dansce secteur. C’est certes encore peu par rapport augrand voisin américain, dont les 1.473 entreprisesavaient réalisé des ventes de 61,4 milliards de dollarscanadiens, et dont l’investissement annuel en re-cherche-développement s’élevait à 18,5 milliards.Mais les Etats-Unis ont au moins vingt ans d’avancesur le reste du monde en la matière. De plus, leCanada a su exceller dans certaines niches biotech :dans l’agroalimentaire, par exemple, il semble être leleader mondial en termes de revenus et de nombred’entreprises. Dans les technologies environnemen-tales, ses ventes seraient quatre fois plus élevées quecelles des entreprises américaines.Toutacommencéen1996, lorsquel’Institutcanadiende l’information scientifique et technique et l’Institutcanadien d’intelligence compétitive ont lancé unegrande enquête sur les besoins des entreprises tech-nologiques du pays. Plus de 3.000 questionnaires ontété envoyés. L’attente était apparemment grande,avec un millier de réponses. Les deux tiers desquestionnaires ont d’ailleurs été remplis par lesdirigeants eux-mêmes. Le dépouillage a permis dedresser un bilan de l’intelligence économique enpratique. Les entreprises locales avaient un niveautout juste passable quant à la collecte de données.Elles ne savaient pas les analyser. Quoique sensibili-séesàlaproblématique,elles pâtissaientdestructureset de systèmes insuffisants ainsi que de procéduresmédiocres pour protéger leurs données sensibles desregards indiscrets.

« En d’autres termes, nous étions naïfs !, constateJonathan Calof.Nous avionsbesoind’infrastructures,mais aussi de formations. » Un programme ad hoc aété mis en place, financé par le gouvernement, lesentreprises et les associations, afin de démystifierl’intelligence économique, de faire comprendre quecelan’arienàvoiravecdel’espionnageetqu’onaplusà gagner à partager l’information qu’à se calfeutrerchez soi. Des sessions deunà deux jours pour tous lesacteurs du secteur, dans l’ensemble du pays. « Leproblème, c’est que quand ils se retrouvaient seuls etessayaient de mettre en œuvre ce qu’ils avaient appris,cela nemarchait pas. C’est pourquoi je leur aiconseilléde mener un projet. » But du jeu : monter un « clus-ter »entravaillant àplusieurs sur unemissiond’intel-ligence économique. Parce qu’« on gagne du temps etde l’argent en combinant les scientifiques, les écono-mistes et les bureaucrates ».

Unevraie coopérationMais pourquoi dans les Salonsprofessionnels ? « Cesont les meilleurs endroits pour faire survenir l’intelli-gence. Toutyest compliqué.Il yapleindemonde. Ony parle trente-six langues. On ne peut pas rappeler lesgenspour se fairepréciser leur pensée sionaoublié de

leurposer unequestion. Biensouvent, les participantsratent l’événement, faute de préparation. » Et pour-tant, que d’opportunités dans ces foires où l’on peutcroiser à la fois ses clients, le gouvernement, lesassociations professionnelles, les fournisseurs…La méthode Calof consiste justement à travailleravec tous ces partenaires enamont.Trois mois avantle Salon, le travail d’identification des ressources etdes besoins commence. Auboutdedeuxmois, il fautdisposer d’un plan stratégique en bonne et dueforme. « Proposez à votre concurrent de vous mon-trer le sien en échange du vôtre ! Cela vous permettrad’identifier d’autres personnes qui seront présentes.Et s’il refuse,vous pouvez luidire que vous yaurez detoute façon accès à travers les contacts que vous aveznoués la veille auprès de représentants du gouverne-ment.L’important, c’estde travailler ensemble.Toutecette information doit être ouverte, on n’en a pasbesoin pour espionner. »Sur place, pendant la durée du Salon, l’emploi dutemps est tout autant étudié. Procédures de repor-ting, spécialisation des tâches, création d’une « warroom », autrement dit un état-major… dans lachambre du congressiste. « Il est très important defaire le point chaque jour avec vos collaborateurspour savoir de quoi vous pourrez causer dans l’as-censeur. Savez-vous que c’est l’un des lieux où l’onfait les rencontres les plus intéressantes ? » Un moisaprès l’événement, un rapport final permet de tirertous les enseignements du Salon. Une vraie coopé-ration a été enclenchée entre les industriels, lesautorités, les universitaires, qui devra se nourrir denouveaux projets communs à long terme, et quiprofitera à toute la région.Au regard de cette expérience, Jonathan Calofdoute un peu des pôles de compétitivité à la fran-çaise. Certes, le gouvernement a eu une « une idéeremarquable » en décidant de faire l’inventaire desressources des territoires : « Si on veut faire un“cluster”, il faut commencer par identifier votreavantage compétitif et ensuite mesurer quelles res-sources sont nécessaires. Il est hors de question qu’onchoisisse à votre place votre spécialisation. » Maisaprès ? « En France, il vous manque un mécanismepour que les “clusters” s’aident eux-mêmes. Chezvous, le réflexe d’aller ensemble à un Salon profes-sionnel, de partager les informations n’existe pas. »Les territoires français auraient peut-être besoind’une petite mise à niveau en « trade showintelligence »… S. G.

Economie de la connaissance : les territoires français à la traîne

Cible.Attention, lesrégionsfrançaisesdécrochent !Selonl’Adit(Société nationale d’intelligence stratégique), seules l’Ile-de-France,Rhône-Alpes(l’axeLyon-Grenoble)etMidi-Pyrénéesseclassent au-dessus de la moyenne de l’Europe des quinze entermes d’économie de la connaissance et de management.L’Adit apubliéen mai dernier uneétude (*) sur la compétitivitéde 25 régions d’Europe. Elle souligne l’avance prise par lesmétropoles nordiques, Helsinki, Malmö-Copenhague, Göte-borg,ou ledynamismedeBerlin,deCambridge,de l’EcosseoudelaCatalogne.Biensûr,iln’existepasdemodèleuniquepourledéveloppementdesterritoiresdanslespaysindustrialisés,fondésur l’innovation plutôt que sur la compétitivité prix. Toutefois,Jean-Claude Prager, qui a piloté cette étude, en a tiré quatreenseignements importants. Premièrement, les régions ga-gnantessontcellesoù lesacteurssaventseparlerentreeux.Ellesont toutes des politiques industrielles très structurées, «matri-cielles » :“clusters” sectoriels etpôles decompétitivitéhorizon-taux.Parfois, uneagence régionalegère l’ensemble, commeen

Ecosse, mais la mobilisation peut être beaucoup plus souple,comme à Cambridge. Deuxièmement, elles ont une stratégietrès claire, avec des priorités sectorielles et des moyens impor-tantsaccordésauxtechnologiesémergentes.Celapeutd’ailleursmenerlescollectivitésàfusionnerlesservicesdeleursdifférentesagences en une seule organisation, plus efficace. Troisième-ment,ellesdisposentd’unvraimanagement,quin’existepasenFrance. Cela se manifeste par un soutien aux entreprisesarticulées en “clusters” sous forme de veille économique.Quatrièmement, elles se sont lancées dans le marketing pourétudier leur cible et apporter une réponse spécifique. Dans cedomaine, l’Europe a encore beaucoup de progrès à faire, carseules deux régions ont atteint le niveau professionnel desentreprises : Amsterdam et Copenhague. Mais Helsinki ne seclasse pas trop mal et Berlin se développe rapidement.(*) Etude réalisée avec la Délégation à l’aménagement duterritoire et à l’action régionale et la Direction générale duTrésor et de la politique économique.

BiographieJonathan Calof,quarante-quatre ans,enseigne le management àl’université d’Ottawa. Il estégalement conseiller auprèsde la division prospectivedu Bureau du conseillerscientifique national(Office of the NationalScience Advisor), postegrâce auquel il a pus’impliquer dans plusieursinitiatives nationales enmatière de biotechnologies.Il conseille de nombreusesentreprises ou collectivitésdans le cadre des Salonsprofessionnels et intervientfréquemment dans descolloques internationaux.Impliqué dans la Society ofCompetitive ProfessionalIntelligence (SCIP) dès1992, il en a créé lechapitre canadien.

C’est avec une méthode originale d’optimisation dela fréquentation des Salons professionnels que Jo-nathan Calof, professeur de management à l’univer-sité d’Ottawa, consultant en prospective pour legouvernement canadien, a favorisé la mobilisationnationale autour de « clusters biotech ».

La méthode Calof consiste à travailler avec ses partenaires (clients, associations professionnelles, fournisseurs...)bien en amont du Salon. Le travail d’identification des besoins doit ainsi commencer trois mois avant l’événement.

RÉA

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8 - Les Echos - jeudi 10 novembre 2005 L’ART DU MANAGEMENT

Le« benchmarking »pourévaluersespratiquesd’affaires

MÉTHODOLOGIE La recherche des meilleures pratiques d’affaires au niveaudes opérations d’exploitation et des pratiques cohérentes au niveau de l’orientationde la gestion se fait par l’analyse comparative.

otre entreprise a-t-elle les meil-leures pratiques d’affaires ? Il estintéressant de se demander, enpremier lieu,commentuneentre-prisepeutévaluersesproprespra-tiquesd’affaireset,endernierlieu,Vsi elle a les meilleures pratiques.

L’évaluationde sespratiquesA la manière d’un ingénieur industriel qui évalueraitles pratiques de fabrication et d’assemblage d’uneusine, un gestionnaire, pour évaluer ses pratiquesd’affaires, doit analyser les processus correspondants.Cequisignifie :dresserlalistedetouteslesactivitésdesprocessus ainsi qu’établir les diverses relations entreelles . Autrement dit, il doit documenter les pratiquesde façon systématique : en identifiant les ressourcesutiliséesparlesactivités ;enévaluantdiversvoletsdelaperformance(efficacité,efficience,délaisetqualité ;endéterminantlesraisonsexplicativesdelaperformance.L’évaluationdepratiquesd’affairespassedoncparunevéritable analyse des processusassociésaux pratiques.Connaissez-vousbienvosprocessusd’affaires,pouvez-vousrépondreàdesquestionsdutype :quefaites-vous,commentlefaites-vous,quellesressourceshumainesetmatérielles sont requises par les activités, commentévaluez-vous la performance du processus, quels sontles facteurs qui influent sur la performance, quefaudrait-il faire pour améliorer la performance ?

« Meilleurespratiques »Prenons par exemple quelques processus courantscomme la réduction du délai de publication des étatsfinanciers à la fin d’une période : il y a des entreprisesquilefontendeuxmois,d’autresendeuxjours.Ou,parexemple, l’amélioration du service à la clientèle : il y ades entreprisesqui ont du succès et d’autres qui enontmoins.Ouencorelastimulationdelaperformancedesgestionnaires : il y a des entreprises qui semblent avoirune bonne recette et d’autres qui ne semblent pas yarriver.Seuleunebonneévaluationdesespratiquesdemanière systématique permettra de bien connaître lefonctionnement de son entreprise.

L’analysecomparativedespratiquesauniveaudes opérationsd’exploitationPour déterminer si elle a les meilleures pratiques defonctionnement, une entreprise doit comparer la per-formance de ses pratiques avec celles d’autres entre-prises, tout en s’assurant qu’elle compare bien despommes avec des pommes. Par exemple, pour leprocessus « gérer la paie d’un em-ployé », une étude menée auprèsde 554 entreprises au Canada, lachaireinternationaleCMAaétabliqu’il encoûtaitmoinsde 90,54dol-lars par employé par année pour25 % des entreprises de moins de200employés, maisqu’il encoûtaitplus de 497,48 dollars par employépar année à 25 % des entreprisesde cette même classe. Les écartsobservés sonténormes et significa-tifs. Ayant calculé les écarts, laquestion qui vient immédiatement à l’esprit est : com-ment expliquer qu’il en coûte 600 dollars par employépar année à une entreprise, alors qu’il en coûte 50 dol-lars par employépar année àune autreentreprisepourpayer unemployé pendantunan ?Laraisondes écartsobservésnepeutseretrouverquedanslespratiquesdesunes et des autres. Il faut donc dresser la liste desactivités, identifier les ressources requisespar les activi-tés et en mesurer la performance (dans cet exemple,uniquement en termes de coûts) ainsi qu’identifier lesraisons pour lesquelles les pratiques des unes nécessi-tent plus de ressources pour certaines.

Les meilleurespratiques peuventêtre unecom-binaisondesélémentssuivants :lesélémentsstructurelsd’une entité (la délégation des responsabilités auxdivers services impliqués, l’utilisation de la sous-trai-

tance, etc.), l’utilisation originale d’une technologie(l’utilisation d’un logiciel intégré, l’utilisation du Web,etc.),des éléments depolitiqueorganisationnelle(l’en-registrementetlecontrôle desheures travaillées)oudepratiques d’affaires (le mode d’accessibilité des em-ployés à leur dossier, la standardisation des pratiquesdans les diverses unités d’affaires, etc.).

Pour« gérerlapaie »,nous avonspuclairementidentifieretdécrireunedizainede meilleurespratiquestelles que :− avoir un système intégré ressources humaines etpaie ;− responsabiliser les employés dans la gestion de leurdossier ;− éliminer le calcul des heures de travail comme basedecalculde lapaieet, dans le cas oùl’entreprise tient àcomptabiliser des heures travaillées, recueillir les don-nées uniquement sur les exceptions ;

− standardiser les cycles de paie ;− avoir un paiement unique par cycle de paie ;− payer par dépôt direct ;− rendre disponible un compte rendu électronique depaiement ;− sous-traiter les paiements et s’assurer d’un rapportpositif valeur/coût des services connexes.

Lespratiques« stratégiques »Dans le cas de processus « stratégiques » comme« déployer la fonctionfinancedans les organisations »,on ne peut pas utiliser l’expression de « meilleurespratiques », car les pratiques diffèrent par leur gestionetsontfortementinfluencéespar laculture del’organi-sation.Onutiliseraalorsl’expression« pratiques cohé-rentes ». On identifiera donc plutôt des orientations

qui se distinguent les unes des autres suivant l’anglesous lequel est abordée la gestion ainsi que les mé-thodes utilisées pour stimuler la performance dansl’organisation.Onévoqueralecoûtenressources,maiségalement le succès à atteindre les objectifs fixés.

« Pratiquescohérentes »Dans le cas du déploiement stratégique de la fonctionfinance, les orientations se distinguent d’abord par lesefforts déployés dans des activités transactionnelles etstatutaires, par la manière d’aborder le contrôle degestionainsiqueparl’implicationdelafonctionfinancedans la gestion de la performance organisationnelle.

Ainsi, dans une étude de dix-sept entreprisescanadiennes d’envergure, deux d’entre elles ne trai-taient que les transactions financières et les rapportsfinanciers statutaires sans aucune implication dans lagestion de la performance organisationnelle ; deuxautres consacraient plus de 35 % du temps des profes-sionnels de la fonction finance à la gestion de laperformance future de l’entreprise, incluant l’analysedes facteurs decoûts etdes facteursde succès, l’analysedesconcurrentsetlaperformancedesgestionnaires.Lecontrôle budgétaire connaît deux grands courants depensée : un tendant vers une surveillance des opéra-tions d’exploitation de type établissement d’un plan-identification d’une déviation-correction et un autremisant davantage sur une plus grande responsabilitédes gestionnaires, une influence par l’information ren-due disponible et une incitation à la performance aumoyen d’un système de rémunération compensatoire.La recherche de la cohérence des pratiques se fait encomparant le succès global des organisations et leurenvironnement d’affaires.

Larecherchedesmeilleurespratiquesd’affairesauniveaudesopérationsd’exploitationetdespratiquescohérentes au niveau de l’orientation de la gestion sefait par l’analyse comparative (« benchmarking »).Cette méthodologie consiste à analyser les processusassociésauxpratiquesd’affaires,c’est-à-direàlesmesu-rer et les évaluer. Mais aussi développer pour cesprocessus des mesures de performance et identifier, endéterminantlesraisonsdesuccèsdecertainespratiques,celles àprivilégierselon les indicateurs de performancedéveloppés l

RÉSUMÉPour bien évaluerses pratiques d’affaires,il faut bien connaîtreles processus qui y sontassociés, ainsi queles facteurs qui influentsur la performance.Deux types de pratiquesentreront dansces comparaisons :celles relatives aufonctionnement et cellesque l’on peut qualifierde « stratégiques »,comme, par exemple,le déploiement de lafonction finance dans lesorganisations. Dans cecas, on se situera moinspar rapport aux« meilleures pratiques »,car elles diffèrent selonles gestions, qu’aux« pratiques cohérentes ».

HUGUES BOISVERT

Connaissez-vous bien vos processusd’affaires : que faites-vous, avecquelles ressources humaines etmatérielles, quels sont les facteursqui influent sur la performance?

Hugues Boisvertest professeur à HECMontréal et titulairede la chaireinternationale d’étudedes processus d’affaires.Il est spécialiste del’analyse comparative,de la comptabilitéet de la gestionpar activités.

A la manière d’un ingénieur industriel qui évaluerait les pratiques de fabrication etd’assemblage d’uneusine,un gestionnaire, pour évaluer ses pratiques d’affaires, doit analyser les processus correspondants.

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- 9Les Echos - jeudi 10 novembre 2005L’ART DU MANAGEMENT

Pourquoiilnefautpasavoirpeurdesmultinationaleschinoises

ANALYSE Et si les grandes entreprises chinoises n’étaient que des colosses aux piedsd’argile ? Sauf à être soutenues par l’Etat pendant de nombreuses années, elles ne pourrontpas poursuivre durablement leur développement.

emarquées pour leur croissancerapide et leurs initiatives auda-cieusessurlascèneinternationale,les grandes entreprises chinoisesfont désormais peur en Occident.Disposant d’un marché intérieurRimmense et d’une main-d’œuvre

bon marché, ne respectant pas les règles internatio-nales en matière de propriété intellectuelle, ces entre-prises seraient devenues des concurrents redoutablesremettant en cause le leadership des grandes firmesindustrielles américaines, européennes ou japonaiseset, pour tout dire, menaçant la prospérité des grandspays développés. Pourtant, beaucoup de ces entre-prises ne sont peut-être que des colosses aux piedsd’argile qui paientau prix fort leur croissance effrénéeet leur entrée sur la scène internationale. En effet, les« succès »desentrepriseschinoisesnes’accompagnentpas, dans la plupart des cas, de performances finan-cières qui seraient considérées comme honorables enEurope ou, a fortiori, aux Etats-Unis. Et, sauf à êtresoutenuesàboutdebras parl’Etatpendantdelonguesannées encore, elles ne pourront pas poursuivre dura-blement leur développement, notamment dans ledomaine technologique et à l’international.

D’après les statistiques officielles, au débutdesannées2000,untiersseulementdesentreprisescontrô-lées par l’Etat étaient profitables,et les deux autres tiers soit étaienten perte, soit présentaient des ré-sultats susceptibles d’être forte-mentcorrigésàlabaissepourtenircompte de risques ou de créancesdouteuses non provisionnées. Orla grande majorité des entrepriseschinoises est contrôlée par l’Etat :en 2001, les actions détenues parl’Etat chinois proprement dit re-présentaient 46 % des actions desentreprises cotées en Bourse ;mais, si on prend en compte les mécanismes decontrôle indirect, c’est-à-dire tant les actions détenuesdirectementpar l’Etat quecelles détenuespar d’autresentreprises publiques, des municipalités ou collectivi-téspubliques,lepourcentagedecontrôleestlargementsupérieur à 80 %. C’est dire que les performancesfinancières peu flatteuses ou carrément douteuses desentreprisespubliqueschinoisesreflètentlasituationdel’immense majorité des grandes entreprises chinoises,dont sont issues toutes les multinationales qui dé-frayent la chronique en Occident depuis quelquesannées.

Qu’enest-ildoncréellement ?Faut-ilcéderàlaparanoïa antichinoise ambiante ou peut-on aucontraire attendre tranquillement que les grandsgroupes chinois s’écroulent d’eux-mêmes, minés del’intérieur par leur propre faiblesse financière ? Notrediagnosticestnuancé.Nouspensonsquelaplupartdesanalystes sous-estiment les faiblesses des grandes en-treprises chinoises, faiblesses qui tiennent à leur modede gouvernance ainsi qu’à leurs choix en matière dedéveloppement stratégique. Mais nous considéronsaussi que lasituation actuelle de nombre d’entrepriseschinoises reflète laphase de transition dans laquelle setrouvent l’économie et la société chinoise tout entière.Dans un tel contexte, il faut s’attendre que cettephasede transition débouche sur un processus de sélectionrigoureux : seules les entreprises les mieux gérées,mettant en œuvre une stratégie pertinente, parvien-dront à tenir la dragée haute à leurs rivales occiden-tales ; à l’inverse, beaucoup d’autres entreprises quiaurontdans unpremier tempsbénéficiédes avantagesdu contexte chinois actuel, mais n’auront pas su lestransformer en véritable avantage concurrentielpropre, se verront de plus en plus menacées par laconcurrence internationale, ainsi que par celle desentrepriseschinoiseslesplusperformantes,etdisparaî-tront ou végéteront. De plus, la forme que prendra lapoursuite du mouvementde transitionéconomique etsociale en Chine soit créera les conditions nécessairespourque denombreuses entreprises chinoises devien-nent internationalement compétitives, soit, au

contraire,pousseralaplupartdesentreprisesàadopterdesstratégiespourprofiteraumieuxdu« système »,cequi à terme ne permettra qu’à une poignée d’entre-prises atypiques de devenir véritablement compéti-tives au niveau international.

Des succès indéniablesIl esttoutà fait incontestablequeles réformes encoursen Chine depuis une vingtaine d’années ont faitémerger un groupe d’entreprises remarquables, quisont d’abord parvenues à conquérir une part nonnégligeable du marché chinois dans leurs secteursrespectifs avant, pour certaines d’entre elles, de selancer, également avec quelque succès, à l’assaut desmarchés internationaux. Ainsi, Wahaha, allié à Da-none,aréussiàsecréerunepositiondominantedanslesecteur des produits lactés et aliments pour enfants,avant de s’attaquer à Coca et Pepsi en lançant avecsuccès une marque de cola locale. Bird est devenu enquelques années seulement le leader du marchéchinois des téléphones portables − marché lui-mêmedevenulepremier marchémondial−endétrônantdesconcurrents comme Nokia ouSiemens. A l’internatio-nal,Haier,leleaderlocaldel’électroménager,aréussiàpénétrer avec succès le marché américain avant des’attaquer à l’Europe et, partout dans le monde, tailledescroupièresàdesconcurrentscommeElectroluxou

Whirlpool. Galanz est devenu le leader mondial desfours àmicro-ondes,alors que,par sonalliancemajori-taire avec Thomson, TCL est devenu leader mondialdes téléviseurs. Lenovo, déjà très important produc-teur dePC dufaitdesa part de marchéenChine,a faitirruption sur le marché international en rachetant ladivision micro-ordinateurs d’IBM. Toutes ces entre-prises disposent d’atouts indéniables : main-d’œuvreabondante et bon marché, y compris ingénieurs ettechniciens très bien formés, marché intérieur im-menseetencroissancerapide, efforts considérablesdel’Etatpouraméliorerlesinfrastructuresindispensablesau développement économique…

RattrapagetechnologiqueEn parallèle avec les succès rencontrés par quelquesentreprises phares, la Chine a commencé à opérer unrattrapagetechnologiqueaccéléréqui, lui-même,don-neraauxentrepriseslesplusenpointetoutl’environne-ment nécessairepour poursuivre leur développement.La Chine s’appuie sur deux forces pour conduire sonrattrapagetechnologique : l’apprentissageà travers lesjoint-venturesinternationauxetuneffortfinanciertrèsimportantenmatièrederecherche.En2001, laChineaconsacréàlarecherche-développement72milliardsdedollars, comparés à 285 milliards pour les Etats-Unis,187milliards pourl’Unioneuropéenneet104milliardspourleJapon.Cebudgetesttrès supérieuràceluide laFranceouàceluiden’importequelpayseuropéenprisindividuellement. La mise en œuvre de ces investisse-ments en recherche passe pour l’essentiel par lesinstituts de recherche publics, d’un côté, et par lesentreprises contrôlées par l’Etat, de l’autre.

Danslabataillepourlatroisièmegénérationdetéléphones mobiles (3G), par exemple, la Chine aobtenudes instancesinternationaleslareconnaissancedeson propre standardtechnologique au côté de celuidominé par les entreprises européennes et améri-caines. Les industriels chinois se sont donc vu assignerpar l’Etat la mission de contribuer à la mise en œuvre

rapide du standard sur le marché de manière à ce quecette technologie nouvelle, indépendante des stan-dards et des brevets internationaux, occupe une partsignificative du marché chinois et plus tard pénètre lesmarchés voisins. La stratégie des équipementierscommeHuawei etZTEetdes fabricantsdeterminauxcomme Bird ou Lenovo s’inscrit évidemment danscette priorité nationale. A terme, si un tel standardd’originechinoiseparvientàs’imposersurdesmarchésextérieurs, ces mêmes entreprises qui auront été l’undesinstrumentsdesonsuccèsprofiterontmassivementdes opportunités qui s’ouvriront alors à elles.

Des faiblessescachéesSi, au cours des dernières années, plusieurs grandesentreprises chinoises ont effectivement fait une irrup-tion fracassante sur les marchés mondiaux, arrachantdespartsdemarchéauxleadersclassiquesdes secteursdans lesquels elles opèrent, ou rachetant des entre-prises occidentales connues, il est néanmoins préma-turé de penser que la plupart des grands groupeseuropéens, américains ou japonais vont être inexora-blementrachetés ouconduitsà la faillitepar la concur-rence chinoise. Derrière la façade triomphante de cesentreprises, y compris de celles qui apparaissentcomme les plus performantes, se dissimulent desfaiblesses structurelles. Ces faiblesses se reflètentdansles performances financières le plus souvent déce-vantes de ces entreprises. Si l’on tient compte du faitquelesrèglescomptablescommelaréglementationenmatière de diffusion de l’information permettent,davantage que dans les grands pays développés, uneprésentation optimiste de la réalité, les performancesréelles sontsans douteencorebienplusmédiocresquece que suggèrent les chiffres officiels. A cela s’ajoute lefait que, pour la grande majorité des entreprisesconsidérées, ces performances incorporent une forteproportionderésultats généréssur le marché intérieurchinois, marché dans lequel la concurrence est « orga-nisée » de manière à favoriser les entreprises que legouvernement a choisi de privilégier. Ces faiblessesstructurellesdontnoussemblent souffrir laplupartdesgrandesentrepriseschinoises,ycompris celles que l’onperçoit à l’étranger comme des concurrents mena-çants, risquent rapidement d’entraver leur développe-ment, et tout particulièrement leur expansion interna-tionale.

La plupart des observateurs comme desconcurrents soulignent que derrière quelques succèstechnologiques montés en épingle (la Chine ne vient-ellepasd’envoyerunhommedansl’espace ?),laChinereste un pays en voie de développement et que lesentreprises chinoises sont en retard en matière detechnologie, incapables de rivaliser avec celles desgrands leaders mondiaux dans chaque domaine. LesréactionsdesanalysteslorsdurécentSalonautomobilede Francfort sont révélatrices à cet égard : les modèleschinoisprésentésonttousétédécritscommerustiques,de conception dépassée, mais vendus à des prix xx

JEAN-PAUL LARÇON ET PIERRE DUSSAUGE

Derrière la façade triomphantede ces entreprises, y comprisde celles qui apparaissent commeles plus performantes, se dissimulentdes faiblesses structurelles.

Jean-Paul Larçonest professeur destratégie et de politiqued’entreprise à HEC.

Pierre Dussaugeest professeur destratégie et politiqued’entreprise à HEC.

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10 - Les Echos - jeudi 10 novembre 2005 L’ART DU MANAGEMENT

xx défiant toute concurrence. Paradoxalement, cettefaiblesse technologique − réelle ou supposée − desgrandes multinationales chinoises nous semble être lemoindre des maux dont elles souffrent. En effet, lesmoyens mis en œuvre au niveau national comme lesefforts accomplis par chaque entreprise conduirontvraisemblablementàuncomblementrapidedu retarddans de nombreux domaines. En attendant, la poli-tique de prix bas permet de compenser dans bien descas le moindre niveau technologique des produits etservices proposés. Plus sérieux nous semble le handi-cap dont souffrent les grandes entreprises chinoises enmatière de gouvernance et de choix stratégiques.

Unegouvernancepeufavorableà laperformanceLes Bourses de Shanghai et de Shenzhen, créées en1990-1991, comptent 1.200 entreprises cotées et repré-sentent une capitalisation boursière consolidée de500 milliards de dollars des Etats-Unis. A ces marchésfinanciers nouveaux s’ajoutent celui de Hong Kong,deuxièmeBourse d’Asieaprès Tokyo, qui attire l’élitedesentreprisespubliqueschinoises.Quatre-vingt-trois« red chips », entreprises contrôlées en majorité parl’Etatetayantl’essentieldeleur activitéenChinetellesque China Mobile, le groupe pétrolier CNOOC,Lenovo Group ou encore TCL Multimedia et TCLCommunication, sont cotées à la Bourse de HongKong.L’objectifdugouvernementchinoisàtraverslesmarchésfinanciersestbiensûrd’ouvrirauxentreprisesunesourcenouvelledefinancement,maisaussid’amé-liorerlaperformancedesgrandesentreprisesgrâceàlasanction du marché.

Le premier objectif a été atteint en grandepartie. La Chine est la huitième place boursièremondiale et les nouveaux investis-seurs en Bourse, particuliers etinstitutions, chinois et étrangers,ont effectivement apporté aux en-treprises locales un complémentde ressources pour financer leurdéveloppement. Toutefois, mal-grécerecoursàlaBourse,lasourceprincipale de financement des en-treprises est restée, et de très loin,le système bancaire, privant ainsiles investisseursprivés des moyensd’influencer significativement lesstratégiesmisesenœuvreoud’exi-ger des niveaux de performancesatisfaisants. Le système bancaire,premier bailleur de fonds des entreprises, connaît unetransformation plus lente que les entreprises elles-mêmes. La prise de participation en automne 2005 de1,6 % de la Bank of China (BOC) par l’UBS préparel’introduction en Bourse de la deuxième banquechinoise et l’ouverture de son capital à hauteur de25 %.

Or les banques − publiques − ont prêté abon-dammentauxentreprisespubliques,sansexigerd’ellesdes résultats conformes aux investissements effectués.Ainsi,cesentreprisesonteupendantlesvingtdernièresannées des actionnaires ou bailleurs de fonds quin’avaient pas les moyens ou pas la volonté d’exigerd’elles des performances financières conformes auxattentes habituelles en matière de rentabilité descapitaux employés.

Cette relative indifférence aux critères debonne gestion qu’imposent des investisseurs privés aété renforcée par la composition des élites managé-riales. Beaucoup des dirigeants degrandes entreprisessont proches culturellement de l’élite politique et sesontinscritsdecefaitdansunemêmevisionduprogrèséconomique et des intérêts industriels et stratégiquesdu pays. Pour toutes ces raisons, le deuxième objectifdurecoursaumarchédes capitaux, àsavoirl’améliora-tion de la performance financière des entreprises, n’aguère été atteint jusqu’à présent, compte tenu del’omniprésence de l’actionnaire public et d’ungouver-nement d’entreprise peu prompt à faire la distinctionentre la politique industrielle de l’Etat, les intérêts desactionnaires minoritaires et le mandat, voire les inté-rêts particuliers, des « top managers ». Ainsi, même siles managers des entreprises issues de l’Etat ont euparfoisunetrèsgrandelibertéd’actionetd’initiativeenmatière de gestion, les droits, les obligations et lesintérêts respectifs de l’Etat, des investisseurs et desdirigeants d’entreprise n’ont pas pu être dissociés etclarifiés.Celaaétéd’autantplusdommageableque,ducôté de l’Etat, des provinces ou des municipalités, lesobjectifs poursuivis sont par nature diversifiés, parfoiscontradictoires : développement local, emploi ou at-traction de l’investissement étranger, qui doivent êtremis en perspective par rapport à la performancefinancière proprement dite de l’entreprise. L’Etatchinois,enrèglegénérale,estapparuévidemment pluspréoccupé de croissance, exportations, aménagementdu territoire, rattrapage technologique et indépen-dance nationale et que de rentabilité de l’investisse-ment dans les entreprises publiques. C’est donc lesperformancesd’uncapitalismed’Etatentransitionque

l’on juge en évaluant les performances boursières et larentabilité du capital investi des entreprises chinoises.

Des orientationsstratégiquescontestablesLes axes de développement des grandes entrepriseschinoisess’écartentsensiblementdel’orthodoxiehabi-tuellement imposée par les marchés financiers et sontla conséquence directe de leur gouvernancetrès parti-culière. Comparées à leurs homologues de pays déve-loppés, ces entreprises sont en effet plus intégréesverticalement ainsi que davantage diversifiées.

l L’intégration verticale. Alors que la majo-rité des entreprises occidentales a connu au cours desvingtdernièresannéesunlargemouvementd’externa-lisation et de désagrégation de la chaîne de valeur, lecontexte chinois, ainsi que l’absence d’une pressionexercée par les marchés financiers, a poussé unemajorité d’entreprises dans la direction opposée. Apeine sortis d’une économie de pénurie, beaucoup demanagers chinois sont réticents à s’en remettre aumarché pour se procurer les approvisionnements es-sentiels à la poursuite de l’activité de l’entreprise.Contrôler ses approvisionnements est en effet unmoyen efficace de se prémunir contre les aléas de laproduction en économie planifiée.Cependant, avec lemouvement rapide vers une économie de marché,l’intégration verticale constitue davantage unecontrainte réduisant la flexibilité de l’entreprise qu’unavantage. Or, la plupart des grandes entrepriseschinoises continuentàsedéveloppervers l’avalet, plusencore, vers l’amont de leur filière. Wahaha, parexemple,achoisid’effectuerlui-mêmel’embouteillagedeses boissonsgazeuses,alors mêmequel’essentieldela rentabilité dans ce secteur provient en général de la

ventedeconcentréàdesembouteilleursindépendants,mais franchisés par le propriétaire de la marque. Bienquelesaccordsdefranchisepermettentdemaîtriserlesembouteilleurs sans avoir à immobiliser des capitauximportants dans une activité aux investissementslourds, Wahaha préfère posséder ses propres activitésd’embouteillage, même si cela dégrade significative-ment la rentabilité des capitaux employés.

DeuxbataillesàlafoisDe manière similaire, certains des plus gros investisse-ments de Bao Steel, le leader chinois de l’acier,ont étéconsacrés àl’acquisitiondeparticipationssignificativesdans des mines de fer en Australie, aux Etats-Unis ouauBrésil. De manière plus anecdotique, la plupartdesgrandes entreprises chinoises possèdent leur propreflotte d’autobus pour transporter leur personnel, deshôtels pour héberger clients et fournisseurs, etc. Or,tous ces capitaux investis dans des activités en amont,s’ils donnent une illusion de maîtrise, seraient sansdoute mieux employés à renforcer la position del’entreprise dans son cœur de métier.

l La diversification. Plus intégrées verticale-ment que leurs homologues occidentales, les grandesentreprises chinoises sont également davantage diver-sifiées. Confrontées aux innombrables opportunitésque crée le développement économique de la Chinedepuis une vingtaine d’années, les principales entre-prisesontbiendumalàresterfocaliséessurleuractivitéprincipaleetonttroptendanceàvouloirsaisirtouteslesoccasions qui se présentent à elles. Ce faisant, ellesdétournent de leur activité principale des ressourcesquipourraientcontribuer à renforcer leur position surle marché domestique ou à conquérir des marchés àl’extérieur de la Chine. Wahaha, déjà cité, fort de sessuccès dans les aliments pour enfants, a lancé uneactivité de confection pour enfants et une chaîne derestaurants dontonpeutdouter qu’ellesprésententdetrès fortes synergies avec le métier de base. Haier, quiavait réussi à se créer une position dominante dansl’électroménager en Chine et a entamé avecsuccès unambitieux mouvement d’expansion internationale, acru bon de se lancer dans la production de téléviseurs,de téléphones mobiles et, plus récemment encore,d’ordinateurs personnels. Or, tous ces secteurs sontextrêmement concurrentiels, y compris sur le marchéintérieur chinois, et dominés par des rivaux très puis-

sants : TCL, Konka et Chang Hong dans les télévi-seurs, BirdetTCLencoredansles mobiles et,biensûr,Lenovo dans les PC. On peut penser que Haier feraitunmeilleur usagede ses ressources en les consacrant àgagnerencoredespartsdemarchédansl’électroména-gerenChineouàaccélérer sonprocessusd’internatio-nalisation. Zhang Ruimin, fondateur de Haier, com-pare d’ailleurs souvent son entreprise à GeneralElectric ; or, la plupart des observateurs et analystesconsidèrent General Electric davantage comme uneexception, qui a connu des résultats remarquablespendant des années malgré sa diversification, quecomme un exemple à suivre. Récemment, de trèsnombreuses entreprises chinoises, quelle que soit leuractivitéd’origine, ont investi lourdementdans l’immo-bilier, pour profiter de la forte hausse qui a caractériséce secteur. Ainsi Youngor, le leader chinois de laconfection pour hommes, s’est-il lancé dans la promo-tion immobilière et l’hôtellerie.

Du fait de la relation qu’entretiennent lesdirigeants des grandes entreprises avec les dirigeantspolitiques, au niveau de l’Etat central comme desprovinces, legoûtprononcédesmanagerschinoispourla diversification n’est guère surprenant. En effet, lesautorités politiques favorisent indéniablement les en-treprisesaveclesquellesellesontleplusd’affinités.Deslors que ces relations constituent un facteur décisif deréussite, il est tentant de les faire jouer égalementdansd’autres activités, sans forcément de lien économiquetrèsclairavecl’activitéprincipale.Al’inverse,chercherà s’étendre dans d’autres régions où ces relationsjouentmoins,etafortiorialleràl’international,oùellesn’interviennent plus du tout, peut apparaître commebeaucoup moins attrayant.

Au total, si de plus en plus de grandes entre-prises chinoises ontréussiaucoursdesannées récentesà pénétrer avec succès les marchés mondiaux, nouspensonsque,pour l’essentiel,cela tient jusqu’à présentà l’énorme avantage que représente le recours à unemain-d’œuvretrès bonmarchéainsi qu’ausoutientrèsfort reçudes pouvoirs publics. Il restedoncà laplupartdesgrandesentrepriseschinoisesà transformerl’avan-tage que représentent leurs coûts de main-d’œuvre, lataillede leur marché intérieur et le soutiende l’Etatenvéritable avantage concurrentiel propre à chaqueentreprise.

Les indicesd’uneévolution favorable

l Le renforcement de la concurrence intérieure etinternationale. Dans ce contexte général assez peupropiceàuneaméliorationpermanentedelacompéti-tivité, on distingue néanmoins des signes avant-cou-reurs qui laissent penser que, à la fois, les politiquesgouvernementales et le comportement de certainesentreprises vont dans les prochaines années s’orientervers la recherche d’une plus grande compétitivité. Lesdeux moteurs principaux de cette évolution sont ledéveloppement d’une véritable concurrence entrefirmes chinoisessur lemarché intérieur et,plusencore,l’ouverture à l’international, qui oblige les entrepriseschinoises à lutter de manière plus ouverte chez ellescontre la concurrence internationale et, pour les plusaudacieuses d’entre elles, à aller se mesurer auxentreprisesaméricaines, japonaiseseteuropéennessurles marchés mondiaux.

La Chine apariésur l’ouverture internationaleet l’entréedansl’Organisationmondialeducommerce(OMC) avec deux motivations principales : accroîtreses exportations, d’une part,et améliorer la compétiti-vité des entreprises, de l’autre, en les exposant à laconcurrenceinternationaletantsurlemarchéintérieurque sur le marché international. Cette pédagogie s’estrévélée très fructueuse. Dans l’automobile, même siChery commence à exporter ses véhicules, le coupd’envoi le plus spectaculaire à la grande exportationchinoise vient d’être donné par… le japonais Honda.En avril 2005, Honda a exporté en Europe ses pre-mièresHondaJazz,fabriquées à Cantonpar uneusineuniquement consacrée à l’exportation : un joint-ven-ture sino-japonais (Honda 65 %, Guangzhou Auto-mobile 25 % et Dongfeng 10 %). Nul ne peut douterqu’à terme,àl’écoledesleadersjaponais,américainseteuropéens de l’automobile, SAIC ou Dongfeng nepuissent devenir eux-mêmes des acteurs automobilesmondiauxdepremierplan.Auniveaudeséquipemen-tiers, Wanxiang, fournisseur de General Motors enChine, suit déjà son client aux Etats-Unis en investis-sant dans la région de Detroit.

Lesentrepriseschinoisesmènentdeuxbataillesàlafois,l’unesurlesolnationalet l’autreàl’étranger,etdans les deux cas en « coopétition » avec les leadersmondiauxdusecteur.Galanzaunchiffred’affairesquiva dépasser 1 milliard de dollars en 2005 et est lenuméro un mondial du four à micro-ondes. L’entre-prise rivalise avec les leaders mondiaux du secteurcomme Samsung, LG, Whirlpool ou Electrolux, maisaussi avec des acteurs locaux féroces et doués d’avan-tages concurrentiels similaires tels que Midea ouKelon, eux aussi basés dans la province de Canton, ouencorelegéantdel’électroménagerHaier.Tsingtao, la

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Les axes de développementdes grandes firmes chinoisess’écartent sensiblementde l’orthodoxie habituellementimposée par les marchés financierset sont la conséquence directede leur gouvernance très particulière.

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- 11Les Echos - jeudi 10 novembre 2005L’ART DU MANAGEMENT

marquedebièrechinoise la plus connueà l’internatio-nal, doit batailler sur un marché domestique encorefragmenté, ycompris par des acquisitionset l’exploita-tiondemarqueslocales,pournepasse laisser dépasserpar des concurrents locaux comme Yanjing Brewery,contrôlé par la municipalité de Pékin et numéro un dela bière en Chine envolume. Huawei Technology, quiest entré sur la scène internationale avec une clientèledepaysémergentsenAsie,enAmériquelatineetdansles pays de l’Est, s’attaque aux pays développés. En2005, l’entreprise, qui emploie 1.300 personnes enEurope sur un total de 30.000, accentue sa présencelocale, forme des partenariats avec des entrepriseslocales et fait preuve d’une grande capacité d’adapta-tion aux besoins de clients européens comme NeufTelecom, Telfort, Tele2 ou British Telecom. En 2005,Huawei Technologyse donnecinq ans pour réaliser lamoitié de son chiffre d’affaires à l’étranger.

Sur les deuxfronts,marché intérieur etmarchéinternational, la stratégiedes plus offensives des entre-prises chinoises les conduit à servir des clients sophisti-qués, à rivaliser avec les meilleurs et à s’extraire d’unepure concurrence par les coûts et les prix. Au-delà deleurs investissements en capacité de production, ellessont donc conduites à identifier et à investir dans lesmaillons de la chaîne de valeur qui créent le plus devaleur ajoutée. Il s’agit, d’une part, des produitsnouveaux par des investissements en recherche, déve-loppementou design, et, d’autre part,à l’autreboutdelachaînedevaleur,des investissementscommerciaux :la distribution, les marques et le service. Hisense, l’undesdixpremiersfabricantsd’électroniquechinois,aunbudgetderecherche-développementde4 %duchiffred’affaires et concentre ses ressources sur ses technolo-giespropres ;lespartenariatsàlafoistechnologiquesetcommerciaux, avec Sumitomo, ou les acquisitions,menées en Corée, lui permettent de maîtriser lesmaillons clefs des technologies nouvelles en matièred’écrans ou de téléphonie 3G. La marque est égale-ment un enjeu fort. Le gros des exportations chinoisesest réalisé sous la marque des distributeurs ou sous lamarque de fabricants étrangers. Comment promou-voirsapropremarque ?C’est l’undesélémentsduprixpayé par Lenovo pour l’acquisition de la division PCd’IBM, qui inclut en particulier l’usage de la marqueThinkpad. C’est aussi l’une des facettes dudéveloppe-ment de TTE, le joint-venture entre TCL (67 %) etThomson (33 %), qui permeten particulier au groupechinois d’utiliser les marques Thomson et RCA sur lascène internationale. Haier se bat sous sa propremarque et se centre surtout sur l’innovation entermesdeproduitsoudeservices.Ladiversitédelagammedeproduits est impressionnante,ainsique ledéploiementde son appareil commercial sur le marché chinois.L’entreprise a fait ses premiers pas sur le marchéaméricain en 2001 avec des produits nouveaux etdifférenciés, comme le mini réfrigérateur et la cave àvin ; elle y développe une présence commerciale trèsactive, en particulier via la grande distribution ainsiqu’uneprésence industrielle. Haiera tentésans succèsau printemps 2005 de racheter Maytag, entrepriseaméricaine connue en particulier pour la marqueHoover, ce qui aurait très heureusement consolidé saprésence aux Etats-Unis dans l’électroménager. EnEurope,Haier,quiaachetéuneunitédeproductionenItalie en 2001, développe activement sa logistique, sesréseaux de distribution, etbiensûr,ses investissementsen communication.

l Vers une amélioration des règles de gou-vernance. Le désengagement de l’Etat des grandesentreprises est conduit d’une manière très progressive,les entreprises devant atteindre un bon niveau decompétitivité, comparable à celui des firmes privées,avant d’être privatisées. Quant à celles jugées nontransformables, elles sont destinées à être fermées oureprisesparlesentreprisesperformantes.Lepilotagedela restructuration de l’industrie est mené par l’Etatd’unemanièretrèspragmatiqueenjouantdelaconcur-rence interne entre champions nationaux et d’un ré-glage fin de la présence des investisseurs étrangers :l’ouverture du marché contre l’accès à la technologie.C’est tout l’inverse de la politique menée en Russie audébutdesannées1990,oùlaprivatisation,ycomprisdesgrandsgroupes, aétéimmédiate, massive, peutranspa-rente, sans préparation ni accompagnement de l’Etat,dans une sorte de fuite en avant. Le soin de lamodernisation de l’économie y a été délégué auxnouveaux patrons du secteur privé. Ceux-ci, en dehorsdessecteurstrèsspécifiquesdel’énergieetdesmatièrespremières, ont eu du mal à formuler des stratégiesnouvelles, moderniser leur appareil de production etaméliorer leur compétitivité.

En Chine, en 2003, le Conseil d’Etat a créé laSasac (State-Owned Assets Supervision and Adminis-tration Commission) pour gérer la participation del’Etatdansles189plusgrandsgroupesdupaysetmettreen œuvre les transformations et regroupements avantl’ouverture progressive du capital ou la privatisation.Dans ce contexte, la mise en œuvre de nouveauxprincipes de gouvernance semble être une priorité du

gouvernement, et la Sasac a un rôle crucial dansl’évaluationde la performance des managers et lamiseen place d’un système de rémunération des dirigeantsliée aux indicateurs de performance de l’entreprise.Cette politique menée à l’échelon central se met aussienplaceprogressivementàl’échelonrégionaloumuni-cipal et vise aussi bien les entreprises industrielles queles banques ou les compagnies d’assurances.

AmbitiondelongtermeL’objectif de performance assigné aux dirigeants serarépercuté au sein de l’entreprise avec des rémunéra-tionsaumérite,bonusetstock-options.8 %desactionsde Tsinghua Tongfang Software Co., une entrepriseliéeàl’universitéTsinghua,àPékin,appartiennentauxchercheurs eux-mêmes, en contrepartie de leurs ap-ports intellectuels, valorisés en tant qu’actifs immaté-riels. HuaweiTechnology, l’un des géants de l’équipe-ment téléphonique, est une entreprise « privée »appartenant à son personnel, ses dirigeants et sonsyndicat ouvrier. Cependant, même si l’entreprisen’envisage pas pour l’instant son introduction enBourse, les membres du personnel sont encouragéstrès systématiquementà investir enactions deHuaweileur bonus annuel. Dans le cas des entreprises pu-bliques, on perçoit toutefois une sorte de réticenceultime de l’Etat et des collectivités territoriales àrenoncer toutsimplementà leur rôled’actionnaireparuneprivatisationpure et simplemêmelorsque l’entre-prise n’a pas un rôle stratégique spécifique et si lescapitaux ainsi libérés pourraient servir plus directe-ment et plus utilement les ambitions politico-écono-miques du pays.

ConclusionAu total, les ressources de la grande entreprisechinoise sont réparties ou dispersées sur plusieursfronts : marché domestique et marché international ;investissement technologique et investissement com-mercial ; domination d’un segment et diversificationdu portefeuille d’activités. L’ambition principale dumoment n’est pas la rentabilité pour l’actionnaire, entout cas l’actionnaire minoritaire privé chinois ouétranger, mais plutôt une ambition de long termes’inscrivant dans la logique propre de l’Etat action-naire.Envingtans, touteunegénérationd’entrepriseschinoises on pu ainsi croître très rapidement, nourrirleur métier de base avec des produits nouveaux etélargir leur portefeuille d’activités à des métiersconnexes, par intégration verticale et par diversifica-tion.Touscesinvestissements ontétéeffectuésgrâceàl’épargne − forcée ou non − des Chinois, mais n’ontpas encore produit les retours qu’un investisseurclassiqueseraitendroit d’attendre.L’expansion inter-nationale, quant à elle, a très vraisemblablementaboutià subventionner− par lebiais de prix très bas −le consommateur occidental sur le dos de l’épargnant−etdes travailleurs−chinois.Ceseffortsdoivent doncêtre considérés comme des investissements straté-giques à moyen ou à long terme, des actifs qui

pourront être remodelés, puis rentabilisés dans unephase ultérieure. Il n’empêche que, pour l’instant, ledéveloppement des grandes entreprises chinoises aété financé par les Chinois eux-mêmes, qui n’en ontpas encore vu les récompenses. Que peut-on alorsenvisager pour la suite ?

Tout d’abord, une ouverture plus grande desmarchésàuneconcurrenceintérieurecommeinterna-tionale, moins faussée par les interventions diversesdes pouvoirs publics à tous les échelons de l’Etat, laprivatisation progressive des banques ainsi que desexigencescroissantesdelapartdesactionnaires privésconduirontàdesstratégies plus focalisées,à uncertainreclassement et à une forme de spécialisation desgrands groupes. Cela n’ira pas sans sélection, et seulesles entreprises qui anticiperont les changements et semettront en ordre de bataille pour affronter uneconcurrence plus ouverte survivront. Et c’est là que lapolitique de l’Etat jouera un rôle essentiel. Si ledésengagement de l’Etat est trop lent, il encourageralapoursuitedespratiquesactuelles.S’ilesttroprapide,il se traduira par des crises dont nul ne peut prédirel’issue. C’est sans doute l’une des raisons pour les-quelles ce désengagement, très réel, s’effectue demanière prudente, pragmatique et progressive.

Deuxièmement, à l’international, les entre-prises chinoises vont vraisemblablement rencontreruncertainnombredefreinsetsubirdesdéconvenues :− Les mesures protectionnistes à l’étranger, commeactuellementdans le textile, vont rendre la vie difficileaux entreprises chinoises qui sont de simples exporta-trices sans relais privilégié à l’étranger. Et si le seulavantage de ces entreprises est leur coût de main-d’œuvre,ellesnepourrontguèreréagirens’implantantlocalement.− Les difficultés de mise en œuvre des alliances oujoint-ventures internationaux du typeTCL-Thomson,dans lesquels les sociétés mères n’ont pas les mêmesintérêtsstratégiques àlongterme,vont inévitablementralentir la marche en avant des partenaires chinois,encore très dépendants de ces joint-ventures en ma-tière de technologie et d’accès aux circuits de distribu-tion et aux consommateurs dans les pays développés.− Les difficultés d’intégration et de culture d’entre-prisedanslecasd’acquisitionsmajeuresàl’étrangerdutype Lenovo-IBM PC vont se traduire par des échecscomme en connaissent également les grandes entre-prises américaines ou européennes.

Le processus d’internationalisation des firmeschinoises va donc se poursuivre avec des tonalitésnouvelles, enparticulierenEuropeouauxEtats-Unis.Lesentreprisesserontamenées àprendreprogressive-mentleursdistancesparrapportàleur tutellepubliqueet à suivre des standards de gouvernance de niveauinternational.Ellesdevrontégalementdévelopperunelocalisation plus forte à l’étranger via une relativedécentralisationdelapartdesmaisonsmèreschinoiseset une internationalisation de leur politique de res-sources humaines. Elles y gagneront inéluctablementen termes de transparence, compétitivité et perfor-mance. C’est alors qu’il conviendra d’avoir peur desmultinationales chinoises l

RÉSUMÉLes grandes entrepriseschinoises, devenuesrapidement et sanss’embarrasser deréglementations desconcurrents redoutables,commencent à faire peurà l’Occident. Pourtant,beaucoup ne sontpeut-être que descolosses aux piedsd’argile. L’économiechinoise est encore dansune phase de transitionqui débouchera sur unprocessus de sélectionrigoureux, ne laissantsubsister que lesentreprises les mieuxgérées. Même si le paysconduit à marche forcéeson rattrapagetechnologique, lesperformances financièresde ses « champions »restent médiocres. Il leurfaut régler de difficilesquestions degouvernance. Pourtransformer l’avantageque représente le recoursà une main-d’œuvre trèsbon marché, lesentreprises auront àprendre leur distanceavec la tutelle publiqueet à accepter un certaindegré de décentralisationpour pouvoir s’implanterdurablement à l’étranger.

HuaweiTechnology, undes géants de l’équipement téléphonique, se donne cinq ans pour réaliser la moitié deson chiffre d’affaires à l’étranger.

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