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NOTES SUR LA PROTECTION DE LA NATURE AUX ÉTATS-UNIS PAR Henri MOREL Ingénieur des Eaux et Forêts

SUR LA PROTECTION DE LA NATURE AUX ÉTATS-UNIS

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NOTES SUR LA

PROTECTION DE LA NATURE

AUX ÉTATS-UNIS PAR

Henri MOREL Ingénieur des Eaux et Forêts

NOTES

SUR LA PROTECTION DE LA NATURE

AUX ETATS-UN1S

Ces. notes ont été prises en 1951 A l'occasion d'un voyage d'études qui comportait la visite d'un certain nombre de parcs nationaux et de refuges aux Etats-Unis.

LA, on peut observer aisémcnt l'influence directe et indirecte de l'homme snr les animaux sauvages. Cette observation a nn intérêt particulier pour un forestier : en modifiant l'aménagement des fo-rêts, en reboisant les terres incultes, en réglementant la pêche ott la chasse, il agit tous les jours dans le cadre de sa profession sur les conditions même d'existence de la faune.

Or, la faune de notre pays n'est plus que le reflet de la faune primitive: seules les espèces qui ont pu s'adapter aux cultures, ré-sister A la chasse, ont survécu A l'action de l'homme ou ont sn en profiter. Il est difficile aujourd'hui de se rendre compte des méca-nismes de cette évolution. Aux Etats-Unis au contraire, les plus fortes modifications ont eu lieu au cours des deux derniers siècles. L'histoire peut en être retracée.

Les ehang-ements ont été si visibles qu'une partie de l'opinion publique a réclamé, dès la fin du NIXe siècle, des mesures de pro-tection. Elles ont été spectaculaires, mais n'ont pas toujours atteint leur but. C'est pourtant grAce PAIX parcs ct aux n±.fuges qu'on peut reconstituer, par la pensée, la nature primitive. C'est là qu'on trouve le témoignage vivant de l'action modificatrice de l'homme.

La protection de la nature aux Etats-Unis est autant l'oeuvre de nombreuses associations privées, que de services administratifs. Du côté officiel, le service forestier fédéral, cn créant des réserves A gibier dans les forêts nationales, a été probablement le premier a mettre cn ceuvre l'idée de protection. Puis le National Park Service Chi Ministère de l'Intérieur a organisé ct géré les magnifiques parcs nationaux sur lesquels POURTET a déjà donné, dans cette publica-tion, des indications essentielles. Le Fish and Wildlife Service, ratta-ché au Ministère de l'Intérieur, et de création plus récente, a réalisé une oeuvre remarquable en protégeant le saumon et les oiseaux mi-grateurs. Enfin, les techniques du .Soil Conservation Service du Ministère de l'Agriculture ne négligent pas la conservation du gi-

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bier et des animaux sauvages : elles aménagent dans ce but les ter-ritoires susceptibles d'utilisation agricole, pastorale ou forestière.

Du côté des organismes privés, l'action n'a pas été moins effi-cace. Ce sont de puissantes sociétés ou des Universités qui ont réussi A promouvoir l'action administrative, qui l'ont ensuite soutenue et prolongée. On peut citer l'Izaak Walton League, l'American Nature Association, les Women's Clubs, l'Audubon Society, la Wilderness Society, la National Parks Association, le Wildlife Management Institute.

Dans les notes qui suivent et qui ne concernent que des exemples observés sur le terrain, nous n'étudierons que l'action du National Park Service et du Fish and Wilcllife Service. Mais cela nous per-mettra de nous rendre compte des traits essentiels de l'oeuvre qui a été réalisée.

LE NATIONAL PARK SERVICE

Chacun sait que les parcs nationaux américains sont de vastes territoires réservés, fermés à. toute exploitation économique, où, théoriquement au moins, le paysag-e, la flore, la faune, sont soigneu-sement préservés de toute influence destructrice ou modificatrice. Mais la dénomination « Service des Parcs Nationaux » risque d'in-duire en erreur. Autant qu'A la gestion des parcs proprement dits, une grande part de son activité a été consacrée, dès le début, la protection des monuments historiques, de curiosités remarquables a. divers titres. Dans son histoire, ces deux lignes d'action sont insé-parables, de même que dans l'esprit des promoteurs l'idée de pré-servation des curiosités naturelles est confondue avec celle de pro-tection de la faune et de la flore.

La première tentative de conservation des monuments historiques remonte sans doute 185o, lorsqu'on voulut préserver le cadre et les bâtiments de Mount Vernon, résidence favorite du Général Washington. L'idée de sauveg,arder des sites naturels s'est précisée peu après. En 1864 le Congrès, alerté par l'opinion publique, et dé-sirant assurer la conservation des admirables paysages de la vallée de Yosemite, ne trouve d'autre solution que de les placer sous la sauvegarde de l'Etat de Californie pour qu'il les utilise comme lieu public de vacances et de récréation. En 187o, la région de Yel-lowstone, encore très peu connue, est parcourue par un groupe d'explorateurs. Emerveillés par la beauté des montag-nes, des forêts, des geysers, par les animaux qu'ils ont rencontrés, ils décident de demander qu'une réserve fédérale y soit établie et soustraite A l'action destructrice de la colonisation qui est précisément en train de modifier à toute allure l'aspect des Etats-Unis. Leur idée ob-tient un grand succès : dès 1872, le parc national de Yellowstone est créé.

LE NATIONAT, PARK SERVICE

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L'idée poursuit son chemin. En I906, une loi du Congrès, l'« An-tiquities Act », permet de constituer en Monuments Nationaux tous objets d'intérêt historique, préhistorique ou scientifique. Théo-dore Roosevelt, devenu Président, se fait le champion de cette forme de protection des sites. Glacier Park est établi en 19to à la frontière canadienne. D'autres créations suivent : en 1916, il existe 16 parcs na-tionaux dont Crater Lake, Mesa Verde, Mount Rainier, Yosemite, et 2 T monuments nationaux. On décide d'organiser un service pour gérer cet ensemble: c'est le National Park Service. Sa politiqtte est définie par le Congrès: conserver les paysages, les curiosités natu-relles ou historiques, la faune et la flore, pour l'éducation et l'agré-ment du public. L'idée de protection des sites a donc nettement le pas sur l'idée de protection biologique.

A partir de 1916, année de sa création, le nouveau service s'ef-force de rendre les parcs populaires, de les faire connaître. Il facilite leur accès en établissant des routes, fait installer, grâce à un sys-tème de concessions, des hôtels et des restaurants pour les touristes. Bientôt le service (dont les « Park rangers » ont grande allure dans leur uniforme kaki et sont très populaires) prend de plus en plus d'extension.

De nouveaux parcs sont créés : d'abord dans l'Ouest, là oit la colonisation n'a pas encore envahi tous les territoires — Grand Canyon. est établi en 1919 — puis dans l'Est, dans les zones aban-données par les colons — Great Smoky Mountains est établi dans les Appalaches en 193o.

En 1933, le Service des Parcs Nationaux voit ses attributions y:accroître: il est chargé dc gérer les parcs urbains de la Capitale Fédérale, les parcs militaires nationaux et les monuments nationaux administrés jusque là par le Ministère de la Guerre ou le Service Forestier.

En T935, la loi sur les sites historiques lui donne tous pouvoirs pour préserver les sites, les constructions, les curiosités d'intérét historique national. En 1936, il devient le conseiller technique des Etats qui organisent des parcs: il provoque la création de nombreux « State Parks », tantôt parcs urbains, tantôt véritables réserves de nature sauvage, destinés l'agrément des populations citadines et des villégiaturistes. Plus récemment, le National Park Service, en liaison avec les administrations chargées de la construction des grands barrages, le Bureau of Reclamation et le Corps of Engi-neers, organise le tourisme et le camping- autour des grands lacs de retenue. Dans le cadre de ces attributions, de caractère essentielle-ment touristique, son développement se poursuit sans cesse. Comme le Soil Conservation Service. il a maintenant une structure régio-nale.

Aujourd'hui, le service gère 28 parcs nationaux couvrant un total de 4 9c)6 000 ha. Certains sont en dehors du territoire des Etats-Unis : le parc national de Hawaï a été créé en 1916 dans les îles de

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Hawaï et de Mani. Il a une superficie de 84 000 ha et renferme le célèbre volcan Kilauta. Mount Mac Kinley en Alaska comprend 775 000 ha de montagnes et a été créé en 1917. Les plus célèbres sont Grand Canyon (Arizona), Olympie (Washington), Yellowstone (Montana), Yosemite (Californie). Le dernier né est Everglades National Park (Floride).

Le National Park Service a aussi la charge de 86 monuments nationaux. Citons, pour essayer d'en donner une définition: les Ruines Aztèques (New Mexico), qui datent du xne siècle, la Mai-son natale de George -Washington en Virginie, les restes d'une fo-rêt pétrifiée dans l'Arizona, et la statue de la Liberté a New-York. L'Antiquities Act de 1906, qui a permis leur constitution, a été utilisé pour préserver cles curiosités naturelles. Certains monuments nationaux peuvent donc être cités dans le cadre de la protection de la nature: par exemple Organ Pipe Cactus National -Monument, établi en ig37 clans l'Arizona, et qui abrite une station de cactées rares. Joshua Tree National Monument, établi en Californie en 1936, est un peuplement de yuccas arborescents. Muir Woods, établi en igo8 en Californie, est une relique de 17o ha cles ma-gnifiques peuplements de Sequoia sempervirems. qui couvraient la plus grande partie de la côte californienne avant la colonisation.

A cette énumération des doniaines du National Park Service, il faut ajouter s' Parcs Historiques, dont le plus célèbre entoure la Maison natale de Lincoln — II parcs militaires, dont Fort Do-nelson, forteresse sudiste de la p.-,tterre de Sécession, et le champ de bataille cle Gettysburg- — « National Memorial Park », l'an-cien ranch de Theodore Roosevelt dans le North Dakota — deux « National Battlefield Parks », dont l'ancien champ de bataille de Richmond en Virginie — six champs de bataille constitués en sites classés, dont Fort Necessity, sièg,e. d'une bataille contre les Fran-qais en 1754 -- dix « National Memorials », en particulier les mo-numents de Lincoln, de Jefferson et de Washington dans la capi-tale fédérale — douze sites historiques, dont Fort Raleigh en Ca-roline du Nord, emplacement du premier établissement colonial britannique, et la maison de Franklin D. Roosevelt dans l'état de New-York sans compter dix cimetières nationaux.

Toutes ces dénominations administratives correspondent à. frit près A la même chose: des Monuments nationaux sous régime spé-cial. Mais pour être aussi complet que possible dans cette com-plexité, il faut mentionner encore des créations récentes, les « Park-WayS » et les « Recreational Areas ». Les parkways sont de gran-des artères routières bordées de parcs, de terrains de pique-nique, de plantations d'agrément. Leur création relève essentiellement de l'art paysag,iste. Citons celui de Blue Ridge en Virginie et Caro-line chi Nord, qui a 850 km de long — celui de Georg-,e Washing-ton en Virginie. et Maryland, qui a go km — celui de Natchez Tra-ce, en Mississipi, Tennessee et Alabama, qui a 800 km — celui de

LE NATIONAL PARK SERVICE

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Suitland, près de la capitale fédérale. Un autre Parkway est A l'état de projet le long du fleuve Mississipi.

Les Recreational Areas sont des zones aménagées en vue du tourisme, dit camping-, du canotage et de la pèche, autour des lacs de barrage. Trois d'entre elles sont gérées par le National Park Service. Ce sont : Coulee Dam, sur le fleuve Columbia, qui couvre 39 loo ha, lac compris — Lake Mead, retenue d'eau de Hoover Dam sur le fleuve Colorado, qui couvre 780 000 ha — Millerton T.nke. retenue d'eau de Friant Dam sur le fleuve San Joaquin. Ce dernier est tin barrage d'irrigation et de rég-ularisation du débit qui fait partie du système d'irrigation de la vallée centrale de Califor-nie. La superficie (le la Recretional Area est de 5 000 ha. Dans ces zones touristiques, la pêche, le réempoissonnement, sont l'objet de soins attentifs. On protège les oiseaux mig,rateurs qui hivernent.

Au total, parcs nationaux compriS, le National Park Service gère la bagatelle de 9 84o 000 ha. L'énumération qui précède mon-tre suffisamment qu'il a davantage de préoccupations touristiques que de soucis biologiques. En effet, tous ces parcs, monuments ou zones touristiques ont une grande importance dans un pays où n'existent qu'un petit nombre de curiosités historiques ou archi-tecturales: ce sont des centres d'attraction de premier ordre. La création du système a donc. répondu A un besoin profond du public américain, qui a gardé de ses ancêtres pionniers le g,oiit nostalgi-que de la nature vierge, et qui est toujours prompt it s'enthousias- mer pour choses curieuses ou exceptionnelles. La preuve en est la dernière éruption du IKilauea qui a provoqué un -tel afflux de touristes dans le parc national d'Hawaï que, loin d'être une catas-trophe.. elle a apporté la richesse aux habitants de File.

L'attrait des parcs se mesure au nombre de leurs visiteurs : il chaoue année autour (lu million pour les plus fréquentés. Cha-

cun des parcs les plus populaires a son caractère propre: Yellowstone et Yosemite sont spécialisés pour les voyages de noces, Grand Canyon attire les amateurs de grandiose, mais Everglades, dernier fondé, est le paradis (les naturalistes et des amis des oiseaux.

Fidèle sn mission qui est de gérer les parcs pour l'agrément du public, le National Park Service s'efforce de faciliter le touris-me : le réseau routier (les parcs est remarquablement organisé et -entretenu. Des restaurants et hôtels très confortables, offrant toute une gamine cle prix. depuis les plus accessibles, ont été établis par (les concessionnaires. Le service des parcs contrôle les tarifs pour éviter les excès du monopole de fait qui élimineraient le public le plus populaire. Auprès (les nombreux parcs existent des entrepri-ses privées d'excursions en plein air, les « chicle ranches » ou fer-mes A touristes, qui organisent (les -voyages collectifs A cheval, avec camping. Tls Font très appréciés des Américains des grandes villes qui, las de vivre perdus dans les foules citadines, recherchent en vacances les contacts humains.

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Mais le National Park Service n'a pas négligé l'éducation du public. De multiples brochures d'information, distribuées gratuite-ment ou A prix modéré aux visiteurs, et très soigneusement rédigées, fournissent des renseignements précis sur la géologie, la flore et la faune des parcs. Des musées remarquables ont été établis. Dans chaque parc, des Naturalistes chevronnés organi-sent des visites en groupes, des veillées d'information, font des con-férences. Pour soutenir cette tache d'information, le Service des Parcs Nationaux a été amené A recruter des chercheurs dans les do-maines de la biologie, de l'histoire, de l'archéologie, qui pourvoient les naturalistes des parcs d'une documentation détaillée et sfire. Ces pos-tes sont le refuge de nombreux naturalistes de terrain épris de li-berté qui fuient la vie standardisée des grandes villes. Leur in-fluence dans la gestion des parcs se fait de plus en plus sentir, bien que les préoccupations touristiques, qui assurent popularité et cré-dits au service, aient toujours le pas.

Il y a une évolution qu'il est important de constater : le ser-vice des parcs a pleinement conscience aujourd'hui des problèmes biologiques, de l'intérêt qu'il y a A assurer la conservation de bio-topes exceptionnels, de biocénoses rares ou démonstratives.

MONOGRAPHIE DE QUELQUES PARCS NATIONAUX

Quelques exemples permettront de préciser comment est appli-quée, dans les parcs nationaux, l'idée de protection de 12 nature. En règle générale, il n'en est guère question dans les monuments na-tionaux, si ce n'est pour maintenir un paysage pittoresque ou tra-ditionnel. Nous ne les étudierons donc pas.

YELLOWSTONE

Yellowstone est le plus ancien des parcs nationaux. C'est aussi le plus étendu : il couvre 888 708 ha dans une région montagneuse du Nord des Rocheuses, au poin. de rencontre des Etats du Wyoming, du Montana et de l'Idaho. C'est essentiellement un plateau de près de 200 km de long, traversé par la ligne de partage des eaux entre l'Atlantique et le Pacifique, parsemé de geysers et de sources ther-males au nombre d'environ 3 000. Le spectacle des geysers, surtout celui de l'Old Faithful, qui jaillit A, intervalles réguliers, est d'une étrangeté inoubliable. Le parc contient un immense lac, et le fleuve Yellowstone a creusé un canyon pittoresque, agrémenté de chutes.

Cette région n'a été découverte qu'en 18o7 par des trappeurs. En 1870 elle a été reconnue par Washburn, et ce voyage a été, nous l'avons vu, l'origine de la création des parcs nationaux.

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Yellowstone n'est pas seulement remarquable par ses paysages. Il renferme une faune exceptionnelle. La pêche la truite y est renommée et pratiquée par de nombreux touristes. Mais ce sont les grands animaux qui constituent son principal attrait: bison (Bison bison), élan (Alces americana), antilope à cornes fourchues (Antilo-capra americana), cerf (Odocoileus hemionus), mouflon (Ovis sp.), cerf Wapiti (Cervus canadensis). Les prédateurs sont le coyote (Canis latrans), l'ours noir de 13aribal (Euarctos americanus). l'ours grizzli (Ursus sp.).

Les oiseaux sont nombreux et intéressants: oie du Canada (Branta canadensis). grue du Canada (Grus canadensis). cygne (Cy-gnus buccinator). Ce dernier a été sauvé d'une extinction à. peu près totale il y a quelques années. Il n'en subsistait que quelques spécimens sur un lac isolé. On les a protégés et, la requête, des na-turalistes, on a détourné une route touristique qui devait longer le lac. Le résultat a été positif : il y avait 73 cygnes de l'espèce en roso. Notons au passage cet exemple de protection totale dans un parc touristique.

Les associations forestières de Yellowstone ne diffèrent pas de celles des montagnes voisines. L'étage inférieur de végétation est constitué par des peuplements de Pinus contorta. Au-dessus, on rencontre Abies lasiocarpa (= A. subalpina), Picea engelmanni, puis, à la limite de la végétation, Pinus albicaulis.

Yellowstone est, depuis longtemps, un parc très fréquenté par les touristes Tl reQu r TOO 000 visiteurs en 195o et r r66000 en 1951.

YOSEMITE

Ce parc couvre 304 000 ha dans la Sierra Nevada. L'admirable vallée de Yosemite. oit coule le fleuve Merced. n'a été découverte qu'en 1851, à l'occasion des .-f,iterres contre les Indiens. Nous avons vu qu'elle a été protégée dès 1864 C'est une vallée glaciaire lon-gue d'une quinzaine de kilomètres, bordée de magnifiques falaises granitiques d'où jaillissent des cascades. La plus célèbre d'entre elles est Yosemite Falls, qui atteint le record de la hauteur de chute avec 43o mètres. Les montagnes qui entourent la vallée sont parse-mées de lacs pittoresques.

Yosemite est un parc très célèbre: son climat, ses paysag,es sont réputés. Il a reeu 85o 000 visiteurs en 1951. Mais, en dehors de la vallée qui est seule pourvue de routes. la montagne est peu par-courue des touristes et a de la sorte l'aspect d'une réserve naturelle. La chasse y est interdite comme dans tous les parcs nationaux.

La faune comporte de nombreux ours de 13aribal (Euarctos arnericanus), et des cerfs (Odocoileus hemionus). Mais la flore fo-restière surtout est intéressante: elle renferme de vieux peuple-ments de Sequoia gigantea. Le plus célèbre est Mariposa Grove

IO PROTECTION DE LA NATURE AUX ftATS-UNIS

qui compte environ 200 arbres de taille exceptionnelle. v a d'ail- leurs des peuplements remarquables de la même essence dans la forêt nationale voisine de Stanislaus oit ils sont très soigneusement préservés par le Service forestier.

Dans la vallée de Yosemite elle-même, on remarque un cas de paraclimax forestier en pleine évolution. Des peuplements de Quel.- (fus Kelloggii„ maintenus jusqu'A. la création du parc, griice à la pro-tection que leur accordaient les Indiens pour se nourrir de. leurs glands, et au piturag-e qui éliminait la concurrence d'autres essen-ces, sont, maintenant, envahis par Pintis pondcrosa, essence coloni-satrice, premier terme d'une succession future d'associations fores-tières.

GRAND CANYON

Ce parc a été établi dans un des sites les plus grandioses du mon-de. A cet endroit, le plateau montagneux qui constitue la plus gran-de partie de l'F,tat d'Arizona est coupé par le canyon du fleuve Co-lorado. Ce plateau de grès et calcaires Permiens et 'Cambriens a été scié jusqu'A son soubassement Algonquien et Archéen par le fleuve et les taux de ruissellement. L'érosion, encore acti-ve, a.créé un paysag.-,e étrange, avec des falaises correspondant aux lits de ro-ches dures, des pentes d'éboulis aux roch.es tendres. De nombreuses buttes témoins recoupent la vallée principale. Une des caractéristi-ques de ce paysage. est son immensité: le canvon s'étend sur 390 km, dont 18o dans le parc. Sa largeur est de à 8 km dans les parties les plus resserrées, sa profondeur est de I 800 mètres. Les cou-leurs des roches, bleues, ,g,Tises. rouges ou mauves, changeantes se:. Ion l'incidence de la lumière. créent une symphonie majestueuse au lever et au coucher du soleil.

Ce site unique découvert par les Espagnols en t541, a été étudié par les expéditions Sitgreaves (1850 et Powel (1869). La région était alors peu sfire, peuplée d'Indiens, Hopis cultivateurs, Navajos nomades, dont les descendants habitent encore le parc.

Les beautés du canyon n'ont été préservées qu'assez tard : d'abord par la constitution d'un monument national en 19o8, puis d'un parc national en T919. Sa superficie est de 250 000 ha.. Tl est très célèbre: il a été parcouru par 688 000 visiteurs en 1951.

S'il est difficile de préciser l'action de l'homme sur la végétation, et sur l'évolution de l'érosion, elle est évidente sur la faune. Les animaux sont rares dans le canyon où des « burros », Ailes intro-duits par les européens et devenus sauvag-es, monopolisent à leur profit les maigres ressources de la végétation. Les prédateurs sont peu nombreux: on leur a fait une guerre acharnée. Il reste quelques cougars (Felix concolor), des lynx (Lynx rufus), des coyotes (Canis latrans). Un cas typique d'isolement géographique est celui de deux

MONOGRAPHIE DE QUELQUES PARCS NATIONAUX I I

variétés d'écureils, d'origine commune, qui habitent l'une le bord Nord, l'autre le bord Sud du Canyon. Sur le rebord Sud du pla-teau, aujourd'hui le plus fréquenté des touristes, s'est installée tou-te une colonie mendiante d'Odocoileus hemiontis, vivant des déchets abandonnés par l'homme. La concentration excessive de ces ani-maux est marquée par une ligne d'abroutissement ou « browse line » très nette dans les peuplements de pins.

T,a végétation forestière est intéressante. Le plateau de l'Ari-zona est couvert it cet endroit d'une forêt de Pinus ponderosa (fo-rêt nationale du Kaibab). Les peuplements ont été très exploités une époque récente. Sur le bord Sud du plateau, on remarque une association xérothermique constituée par Juniperu.s. utahensis, Quer-rus utahensis et Pinus edulis. Les graines comestibles de ce pin ont jadis constitué la base de l'alimentation des Indiens. Les temps ont chang,é: leurs descendants les recueillent encore de nos jours pour les vendre aux touristes, mais certains d'entre eux, enrichis par le commerce, font leurs tournées de ramassage en Packard.

La vég,étation n'existe que par plaques dans le canyon. Aux expo-sitions Nord on trouve Juniperus communis, Pseudotsupa taxifolia, Populus tretnuldides, Picea pungens, Abies concolor. Au fond du Canyon. où les conditions sont subdésertiques, on trouve Populus fremontii, Acacia greggii, Yucca baileyi, et des arbustes: Schntakeia trilobata, Caleogvne ramosissima. Sur les pentes, on rencontre quel-ques spécimens du rare Ptelea trifoliata.

Le site du Grand Canyon est menacé par les Ingénieurs qui vou-draient y établir de grands barrages hydrauliques. Jusqu'ici, il a été préservé, et les eaux du lac Mead, maintenues par le barrage Hoo-ver, s'arrêtent it l'aval de ses limites.

GLACIER PARK

Glacier Park se trouve dans les Montagnes RocheuseF„ dans l'Etat de Montana, la frontière du Canada il se prolonge par •Wa-terton Lakes Park. Les deux parcs ont été réunis symboliquement en 1932 en un parc international.

Glacier Park proprement dit, qui couvre 4o5 000 Ira, a été fondé en 191o, dans. une région restée inconnue jusqu'en 1-846. Sur son territoire subsistent une soixantaine de petits glaciers, restes de glaciers plus anciens. Ils continuent diminuer de taille et ont perdu 50 % de leur volume dans les vingt dernières années. Ils consti-tuent une rareté dans les Montagnes Rocheuses.

Une admirable route touristique traverse le parc dans sa lon-gueur, mais la plus grande partie reste inaccessible aux voitures, ce qui assure pratiquement une protection très efficace de la flore et de la faune, car les visiteurs, lorsqu'ils consentent à. quitter leurs

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voitures, s'éloignent peu des itinéraires bien repérés. Il y a eu 5oo 000 visiteurs en 1951.

La flore forestière a un intérêt particulier. Le parc est traversé par la ligne de partage des eaux entre Atlantique, et Pacifique. Selon les versants, on observe les associations caractéristiques du centre des Etats-Unis ou celles de la côte Ouest. Sur les versants Est, on trouve des peupliers (Populus trichocarpa), des trembles (Populus tremuloides), des bouleaux (Betula papyrifera), Pinus contorta, souvent caractéristique des zones anciennement incendiées, et, en altitude, Pinus monticola, Pinus flexilis, Abies lasiocarpa. Sur les versants Ouest, Pseudotsuga taxifolia a le caractère d'une essence colonisatrice, et fait place, avec le temps, à un mélange de Tsuga heterophylla et de Thuya plicata. On rencontre aussi Aluns rubra.

La faune du parc comprend des éléments montagnards : un cha-mois (Oreamnus americanus), des mouflons (Ovis sp.) — mêlés à des éléments qui ont trouvé là un refuge : l'élan (Alces americana), le wapiti (Cervus canadensis) et d'autres cerfs (Odocoileus virgi-nimbus) (Odocoileus hemionus), ks ours de Baribal et grizzli, le coyote et le cougar., Les rivières sont réputées pour leur richesse en poissons, les salmonides y abondent : Salmo gairdneri, et des gen-res Salvelinus, Cristivomer, Thymallus et Coregonus sont représen-tés. On trouve aussi pas mal de loutres (Lutra canadensis) et de castors (Castor canadensis).

GREAT SMOKY MOUNTAINS

Le Parc National de Great Smoky Mountains, créé en 1934, se trouve dans les Appalaches, à cheval sur la limite territoriale entre la Caroline du Nord et le Tennessee. Il couvre 203 400 ha. C'est une zone de montagnes anciennes qui culminent à 993 m, et dont les éléments constitutifs appartiennent au Précambrien, au Cambrien et à l'Ordovicien. Son relief, rajeuni par des surélèvements succes-sifs, fait penser à celui du versant alsacien des Vosges.

Ces montagnes humides, don.t le nom est une allusion aux brouil-lards qui les recouvrent fréquemment, sont couvertes de forêts où dominent les feuillus. Au moment de la guerre de 194, de fortes exploitations y ont été réalisées. 'Cependant, tout permet de pen-ser que la composition des peuplements actuels reflète celle de la sylve primitive. On y- trouve les essences de l'Est des Etats-Unis : Liriodendron tulipifera,Magnolia acuminata et fraseri, Aes-culus octandret, Sorbus americana, Prunus pennsylvanica, Amelan-chier laevis, Tsuga canadensis et Nuls echinata. Les plus répandues des essences colonisatrices de vides sont les Sassafras et Robinia pseudoacacia. En altitude, Betula Mea se trouve entre 000 et 30o

; de 200 à Soo m lui fait suite Picea rubens, puis, au-dessus de 8o0 m, Abies fraseri. Stir les sommets des espaces dénudés,

MONOGRAPHIE DE QUELQUES PARCS NATIONAUX

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les « balds », couverts d'herbe, de buissons, de fougères, sont vrai-semblablement d'anciennes pâtures dégradées. Sur les pentes, des zones de maquis, les « slicks », sont exclusivement peuplées d'ar-bustes : Rhododendron catawbiense, Rhododendron calendulaceum, Kalmia latifolia. Elles oaraissent résulter d'anciens incendies de f oret.

La flore est remarquable par une extraordinaire richesse en espè-ces. On dénombre 13o espèces d'arbres, I 200 espèces de plantes herbacées ou arbustes, 7oo champignons, 33o mousses et hépati-ques, 23o lichens. On peut penser que cette région a constitué un refuge montagneux oit la diversité des microclimats et des exposi-tions a permis la survivance des espèces tertiaires au cours des glaciations du début du quaternaire.

Les Great Smoky Mountains furent autrefois la patrie des In-diens Cherokee qui furent « cléplacés » en 1838. Mais nombre d'entre eux étaient restés cachés dans ce territoire qui leur offrait de multiples retraites. Leurs descendants sont aujourd'hui canton-nés dans une réserve qui touche le parc. Une fois débarrassée des Indiens, cette région très montagneuse n'a pas subi une colonisation intense. Avant i000, un petit nombre seulement de colons d'origine anglaise ou écossaise y vivaient de gibier et de la culture de quel-ques clairières défrichées. Les restes de leurs maisons de bois, les « log cabins », de leurs clOtures primitives, subsistent encore: leur préservation, â. titre de curiosité historique, a été un des objectifs de la création du parc.

La faune est loin de montrer la même variété que la flore. Sur elle, l'influence humaine a été plus puissante que sur la flore, la colonisation n'ayant guère dépassé le stade de la chasse. On trouve surtout le skunk (11//ephitis mephitica), des renards des genres Vu/- pe,s- et Urocyon, la marmotte (Arctomys), et de nombreux oiseaux. Les ours de Baribal, autrefois très abondants, se nourrissaient de châtaignes, Ois leur nombre a diminué sous l'effet combiné de la chasse et de la maladie du Chestimt blight qui a décimé les châtai-gniers. Ils se sont multipliés à. nouveau au moment de la création du parc, grâce â la protection qui leur a été accordée. Il y en a au-jourd'hui environ 200. Ils vivent surtout de glands, faute de châ-taignes, ce qui n'est pas pour eux sans inconvénient en raison du caractère cyclique de la fructification: les années de glandée pauvre, ils sortent du parc en quête de nourriture, et nombre d'entre eux sont tués par les chasseurs.

Le Great Smoky Mountains National Park a une faune piscicole riche et réputée: les nombreux ruisseaux de la montagne sont peu-plés de plusieurs espèces de truites. La pêche y est très pratiquée, car, au contraire de la chasse et par une curieuse inconséquence, elle est permise et encouragée dans les parcs. Parc national n'a évidem-ment pas la même signification que Réserve intégrale. Cependant, le

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Service des parcs nationaux a créé une « Wilderness area », c'est-A-dire une zone soustraite à. l'influence humaine, interdite au tou-risme. Elle cduvre près de Io 000 ha. Elle est d'accès difficile et on a fermé les quelques pistes qui y conduisaient. Cette mesure présente un grand intérêt scientifique : elle permettra de se rendre compte de l'évolution des asosciations végétales en l'absence de toute action humaine. Il serait souhaitable que des réserves de ce genre fussent établies dans d'autres parcs : elles pourraient l'être peu de frais. Cette technique en est à. ses débuts.

Le parc a reçu 945 000 visiteurs en T951.

EVERGLADES

Le parc national des Everglades est le dernier né des parcs na-tionaux. Il a été constitué en 1947 et est encore relativement peu connu, puisqu'il n'a reçu que 143 000 visiteurs en 195r. A la pointe sud de la Floride, où il couvre 492 coo ha, sous le ciel tropical, dans un pays plat dont les sables plongent insensiblement sous la mer, il offre un curieux paysage qui rappelle un peu la Camargue.

Les eaux de drainage du sud de la Floride, et les rivières par où s'écoule le trop lein du grand lac d'Okechobee, situé immédiatement au Nord, s'y étalent en marais, en estuaires ramifiés. Comme en Camargue, le niveau de contact entre l'eau douce et l'eau salée commande la physionomie du tapis végétal. Les marais d'eau douce sont couverts de prairies, les « glades », parsemées de saules (Salix amphibia) et caractérisées par Sagittaria lancifolia, Typha latifolia, et des graminées : Mariscus jamaicensis„4ristida affinis. Ces prai-ries, qui s'étendent perte de vue, sont pittoresquement parsemées d'ilots de végétation .arborescente, les « hammocks », les raci-nes des arbres et les débris végétaux ont réussi à. édifier un sol surélevé de 15 à. 3o cm par rapport au niveau des eaux. Ce sont de véritables îlots de jungle, de pénétration difficile en raison de l'exu-bérance de la vie végétale. On y trouve Ficus aurea, Quercus virgi-niana, Bursera simaruba, Carica papaya, Chrysophyllum oliviforme, Diospyros virginiana, et un palmier, Roystonea elata. D'autres ham-mocks de composition différente (avec Callyptranthes Miens, Cal-lyptranthes zuzygium, Piscidia communis) se trouvent dans les zo-nes où se produisent des intrusions d'eau de mer.

Au Nord, les marais ne sont plus parsemés de « hammocks », mais ils sont couverts d'un peuplement plus ou moins clairsemé, généralement dépérissant et sans régénération, de Taxodium ascen-dons, espèce très voisine du distichum, et couverte comme lui d'une bromeliacée lichenoide en longs filaments pendants, le « Spanish moss ». Il semble que ces peuplements ne se maintiennent que pour tin niveau d'eau bien déterminé, et que leur existence ait été mise

MONOGRAPHIE DE QUELQUES PARCS NATIONAUX I5

en danger Dar les g-rands travaux de drainage et d'irrigation réali-sés en Floride.

Au Sud, le contact entre terre et mer se fait par les innombra-bles dig-itations d'une cOte A palétuviers. C'est la Mangrove, diffi-cilement pénétrable. On y trouve Avicennia nitida, Laguncularm MCCHLOSa , C0110CarPUS erectus, Rhif.,,ophora mangle. Sur les parties sableuses, non immergées, on voit quelques peuplements de Pinvs caribaca dont l'aspect révèle des incendies fréquents. Le sous-bois est une fruticée Serenoa repens, dont le nom vulg-aire est « Saw palmette»). Le cordon littoral sableux qui est la d'Ac Est est sur-monté par les silhouettes élancées des cocotiers (Cocos nucifera). Au Sud, la cc) te se prolonge par des îles coralliennes, les « Keys », qui encadrent la baie de Floride: ses eaux peu profondes ont des couleurs changeantes qui passent, suivant l'heure, du bleu clair A l'émeraude.

La région des Everglades présente des stations du plus haut in-térêt biologique. I,a faune est au moins aussi originale et remar-quable que la flore. Les grands animaux ont été pourchassés et bra-connés avant la création du parc. Il en reste très peu: quelques cerfs (Odocoileus heinionus) qui se sont adaptés de fagon surpre-nante A la vie clans ces marécages que sont les « glades », et des pré-dateurs : Felis concolor, Lynx sp., Lutra sp., sans compter les ra-tons laveurs (Procyon lotor). Il ne subsiste que quelques spécimens de lamantins (Manatus latirostris) dans la Mangrove. Ils consti-tuaient A l'origine une colonie abondante, mais ils ont été A peu près exterminés au début du xx° siècle. Ils sont aujourd'hui soigneuse-ment protégés, et les efforts poursuivis, s'ils confirment les espoirs que l'on peut avoir dès à présent, aboutiront A une les plus belles réussites du _National Park Service.

Les alligators (Alligator missisipiensis) sont très communs dans les eaux douces. On leur a fait jadis une chasse acharnée pour la fabrication de toutes sortes, d'objets en « crocodile ». Les crocodiles (Crocodilus americanus), qui habitent les eaux salées et sont dan-gereux pour l'homme, alors que l'alligator est inoffensif, sont deve-nus très rares.

Dans la baie de Floride nagent des limules, des tortues marines de plusieurs espèces, y compris des tortues géantes (Thalassochelis caretta). Elles ont été décimées par le commerce de l'écaille. Un nouveau dang,er les menace depuis que les restaurateurs de Miami se sont avisés que le potag-e de tortue pouvait être une fructueuse spécialité gastronomique.

Les hammocks abritent de nombreux mollusques qui vivent stir les arbres : depuis longtemps ils ont été recherchés par des collec-tionneurs et pour leur valeur ornementale.

Mais les Everglades sont surtout exceptionnellement riches en poissons et en oiseaux. La baie de Floride présente, pour les uns ct les

PROTECTION DE LA NATURE AUX ÉTATS-UNIS

autres, des biotopes très favorables. Dans les keys, la pêche aux tar-pons (Tarpon atlanticus), A la truite de mer, aux requins, est répu-tée. Les marsouins (Phocaena sp.) abondent.

Les oiseaux trouvent une nourriture abondante dans les maréca-ges côtiers et dans la baie peu profonde. Certains passent l'hiver en Floride, émigrent vers le Nord en été. C'est le cas du Pélican blanc (Pelecanus erythrorhynchos), des canards (Anas platyrhyn-chos et acuta), des poules d'eau (Fulica americana). D'autres se trouvent en Floride en été. Ils viennent des tropiques. Citons des gobe-mouches (Tyrannus tyrannus), des rapaces (Elanoides forfica-tus), le pigeon A tête blanche (Columba leucocephala), des grèbes (Podilymbus prodiceps), et la curieuse spatule (Ajaja ajaja). Mais Ies résidents permanents sont les plus nombreux: pélicans (Peleca-nus occidentalis), cormorans (Phalacrocorax auritus), anhingas (Anhinga anhinga leucogaster), frégates (Fregata magnificens rothschildii), hérons (Ardea, Florida, Hydranassa), Aigrettes (Cas-merodius albus egretta), ibis (Mycteria americana, Gnara alba), ca-nards (Anas fulvigula fulvigula), vautours (Coragyps atratus). Le spectacle de ces oiseaux qui par milliers peuplent le parc est un des plus émouvants qui soient pour le naturaliste: le parc des Evergla-des joue le râle d'une gig-antesque réserve ornithologique.

De même que pour les espèces que nous avions mentionnées pré-cédemment, il était grand temps qu'il fût établi pour assurer la sau-vegarde des oiseaux. A l'arrivée des Espagnols, la région était peu-plée d'un petit nombre d'Indiens Séminoles, successeurs de peupla-des plus anciennes qui avaient abandonné sur le rivage des collines de coquilles, reliefs de leurs festins, analogues A celle que l'on voit encore en France A Saint Michel en l'Herm. Mais il n'y avait pas eu, de la part des blancs, colonisation de peuplement. jusqu'en moi, les Everglades étaient reStées inhospitalières et marécageuses. Elles n'en étaient pas moins écumées par les chasseurs professionnels qui. pour l'approvisionnement des modistes et des élégantes « I900 », faisaient des hécatombes d'oiseaux. L'opinion publique vint A s'en émouvoir. Une loi finit par interdire la chasse. Un garde de la Société Audubon qui, en 19o5, tentait de la faire appliquer, fut assassiné dans les Marais. Le braconnage, qui avait diminué d'in-tensité en fonction des caprices de la mode et de la rareté du gibier, n'a guère pris fin qu'au moment de la création du parc. Jusqu'A ce moment s'était poursuivie la chasse aux alligators, avec le bra-connage industriel des poissons et des lamantins. On imagine quels efforts ont dû déployer les Sociétés protectrices de la nature, en particulier la Société Audubon, pour obtenir la création d'un parc A l'encontre d'intérêts si variés.

La flore n'a pas subi moins d'outrages que la faune : les peuple-ments de Pinus caribea sont parcourus d'incendies périodiques, la plupart provoqués par l'homme. Le feu a joué un rôle essentiel

LA GESTION DES PARCS NATIONAUX I7

dans la formation de la prairie des « glades ». En somme, on n'a réussi nulle part, aux Etats-Unis, à établir un parc national dans une région qui n'aurait pas encore porté l'empreinte de l'homme. Mais dans les Everglades, cette empreinte est toute fraîche et ré-cente: il n'est pas encore trop tard pour reconstituer la plupart des biocénoses.

Pourtant, depuis une dizaine d'années, une menace nouvelle se précise, qui fait songer à ce qui se passe de nos jours en Camar-gue: on, met en valeur par drainage les terres cultivables du Sud de la Floride. L'arrivée d'eau douce vers le Sud est diminuée, corré-lativement l'eau salée remonte. La Savane apparaît dans les zones asséchées: elles sont perdues pour l'alimentation des oiseaux. Fort heureusement, on peut espérer que l'étendue du parc permettra de maintenir intacte la plus grande partie du milieu primitif.

Un danger, fort grave aussi, résulte du développement récent du tourisme en Floride, dans les « Keys », et dans l'extraordinaire essor de Miami, ville champi,9,-non édifiée entre 1946 et 195o. Les Everglades risquent de devenir le terrain de chasse des touristes : la chasse des grenouilles au harpon, en bateau propulsé par un mo-teur A hélice d'avion, est de plus en plus populaire en dehors du parc. Les collectionneurs d'orchidées ont déjà ravagé pas mal de stations.

T_Je parc des Everg-lades est donc à la pointe du combat du Natio-nal Park Service. TI assure, par l'interdiction de la chasse et de toute cueillette, la protection des éléments essentiels des associations ani-males et végétales. Les touristes ne pourront jamais circuler que dans une petite partie du parc, à cause des moustiques et du carac-tère impénétrable de la végétation. On peut donc compter que les mesures prises seront très efficaces. Mais il faut regretter que la pèche ne soit pas sévèrement réglementée en raison de l'importance des poissons pour la nourriture des oiseaux. Pour contrebalancer l'influence ciu drainag,e, on envisag-e d'étendre le parc vers le Nord, mais on ne pourra, paraît-il, le faire qu'après exploitation, c'est-A-dire disparition. des peuplements de Taxodium ascrnden.s., ce qui est bien dommage.

LA GESTION DES PARCS NATIONAUX

La création des parcs nationaux a donc répondu à l'inquiétude suscitée dans une partie du public par la disparition ou la dégrada-tion, évidente et rapide, des paysages grandioses et des curio-sités naturelles d'un pays immense qui passait de la nature sauvage A la colonisation de peuplement. Mais, sans découvrir tout d'abord â quel point ces paysages étaient liés an maintien de certaines associa-tions végétales ou animales, on a cherché, bien avant que l'idée de classement des sites ait trouvé une application en France, à sauve-

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garder ce qui était pittoresque ou curieux. Ou encore, par la création de parcs comme celui des Great Smoky Mountains, on a voulu pré-server des vestiges historiques, en l'espèce les habitations des anciens colons.

Pour cela il a fallu composer avec les intérêts privés, comme le mon-tre l'exemple actuel des Everglacles. Tout ce qui était exploitable, tout ee qui pouvait procurer un enrichissement rapide, était avidement recherché par les colons: c'est la raison pour laquelle Ion nombre de parcs sont établis dans des régions montag-neuses ou désertiques. Tl importe cependant de souligner que des dons g,énéreux de terri-toires ont été consentis par les Etats ou par des propriétaires privés, car l'opinion publique a eu le mérite de s'enthonsin.smer polir cette entreprise désintéressée. On peut citer les dons très récents de John D. Rockefeller Jr A Jackson -fiole National Monument et Aca-dia National Park. L'administration des parcs a donc de solides ap-puis. Mais elle n'en subit pas moins aujourd'hui encore de fortes pressions de. la part d'intérêts privés qni voudraient bien « mettre en valeur » telle ou telle ressource des parcs. Elle lutte tous les jours pour empêcher les exploitations forestières, réclamées avec insis-tance au moment de la dernière guerre mondiale, pour s'opposer A la prospection de certains ,gites métallifères. On sait que la légis-lation stir les mines permet de couper des arbres clans les forêts fédérales sous prétexte de prospection minière. n'y a pas hien longtemps que les derniers chercheurs d'or ont quitté. le parc de Grand Canyon, où, fort heureusement, les terriers qu'ils ont creusés n'apparaissent guère dans l'immensité du paysage.

Un des soucis les plus actuels du National Park Service est d'em-pêcher la construction de barrages de retenue, qui inonderaient cer-taines vallées dans l'enceinte des parcs : c'est le cas A Glacier Park et A Grand Canyon.

L'Amérique étant le pays des libertés individuelles. il n'a pas été possible jusqu'A présent de mettre fin partout au pAturage des. animaux domestiques à. l'intérieur même des parcs. Bien plus,- sub-sistent dans leur enceinte des enclaves, assez n.ombreuses bien que de faible étendue, sur lesquelles le Service n'a aucun contr6le. Elles - couvraient au total 214 000 ha en. to5o. C'est la raison pour laquelle par exemple il existe zo 000 résidents permanents clans l'enceinte du parc national de Yosemite.

Les conditions clans lesquelles ont été établis les parcs n'ont donc pas permis une protection intégrale de la nature. Pourtant la notion de Sauvegarde de la flore et de la faune est contenue dans la loi de mt6 qui a institué le Service des Parcs Nationaux. Mais c'est dans la mesure où l'on considère que vég-étaux ou animaux sont les éléments essentiels du paysage. La loi en même temps fait une obligation ex-presse an Service des Parcs d'ouvrir largement leurs portes au pu-blic pour qu'il puisse en jouir et en retirer les enseignements que prodigue la nature.

LA GESTION DES PARCS NATIONAUX 19

On a pu dire â. juste titre que le système tout entier reposait dès lors sur une contradiction: préserver la nature telle qu'elle était avant la colonisation, et la faire connaître au grand public, dont l'accès signifie obligatoirement une influence destructrice. L'hom-me visiteur, par son piétinement, les cadeaux de nourriture qu'il fait aux animaux, le feu qu'il allume sans précaution, les plan-tes qu'il introduit sans y prendre garde, exerce presque autant d'in-fluence que l'homtne bficheron, cultivateur ou ingénieur.

A mesure que le service s'est développé, que les sciences biologi-ques, surtout l'écologie, ont progressé, les responsables des parcs ont pris conscience de l'intérêt qu'il y aurait â protéger la nature, éviter la création d'un milieu purement artificiel. Des postes de na-turalistes et de biologistes ont été créés. Mais la contradiction du début subsiste et se traduit par des conflits plus ou moins exprimés entre certains « Superintendants ». gestionnaires responsables des parcs, qui cherchent surtout â satisfaire le public, et les naturalistes qui leur sont adjoints. Il est juste de dire que l'influence de ces der-niers se fait de plus en plus sentir. A coup sfir l'importance biologi-que du dernier parc créé. celui des Everglades, dépasse son attrait touristique, et l'influence de la Société Audubon a été déterminante dans sa création.

S'il est interdit de cueillir des fruits, de mutiler des végétaux â l'intérieur des parcs, et si, dès leur création, toute exploitation fo-restière a pratiquement cessé, leur flore, et surtout la végétation ligneuse, porte presque partout la trace évidente d'une action hu-maine récente. Dans la plupart des cas les forêts ont été coupées blanc avant la création du parc, et tes vieux peuplements, comme les Sequoias de Yosemite, sont l'exception. Le pâturage a, en de nombreux points, modifié la flore. Mais, tine fois le parc délimité, la protection de la forêt a été complète, l'exception de quelques « vis-ta cuttings », coupes destinées it clég,ager des points de vue et très localisées. Si cette politique se poursuit, ses -résultats auront un jour un grand intérêt scientifique ; ils permettront de se rendre compte de l'évolution des associations forestières soustraites l'influence de l'homme et du pâturage, sinon du gibier. Et pourtant l'action hu-maine n'est pas encore tout fait nulle: on lutte contre les bos-tryches des résineux â grands renforts de pulvérisations insecti-cides. On a arraché les groseilliers sauvages h Great Smoky Moun-tains et ailleurs pour lutter contre la rouille de l'écorce des Pins 5 feuilles. A Grand Canyon, on a cherché se débarrasser du gui par toutes sortes de moyens. Nul superintendant ne pourrait per-mettre A un parasite de faire disparaître des secteurs entiers de fo-rêt sans être taxé d'incapacité, et le but du Service n'est-il pas de conserver les paysages?

Pour la même raison, on intervient pour lutter contre les incendies. est vrai que bon nombre d'entre eux risquent d'être allumés par

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l'homme lui-même. Un service de lutte fort bien organisé, avec ré-seau de communications par radio et matériel très moderne, permet de limiter les dégâts au strict minimum, compte tenu du relief et de la rareté des routes. En 1950, il y a eu 399 incendies de forêts dans les parcs: 89 % d'entre eux n'ont parcouru que moins de ro ha, et I 400 ha seulement ont été hi-filés. Sur ces 399 incendies, on esti-me que 177 avaient été allumés par la foudre.

La liste des interventions de l'homme est encore bien plus impor-tante en ce qui concerne la faune. Elles n'ont pas cessé avec la création des parcs. Quelques exemples relatifs aux prédateurs en donneront une idée.

Eliminer les prédateurs est une action instinctive de l'homme, qui sent peut-être en eux des concurrents directs. C'est la raison pour laquelle les carnivores ont été détruits sans pitié dans les parcs jus-qu'à ces dernières années: le public, inquiet pour ses élevages. son gibier, ses animaux domestiques, réclamait des mesures de cet ordre. C'est seulement maintenant, sous l'influence des natu-ralistes, que les prédateurs commencent à are protégés neu près intég,ralement. Mais les naturalistes auront fort à faire pour mainte-nir leur point de vue. car en règle générale les parcs ne peuvent être clos. Une clêture entraînerait de grosses dépenses et risquerait de créer des conditions fort artificielles. On s'en rend bien compte lors-qu'on étudie l'influence qu'a sur la faune d'un parc la chasse prati-quée sur ses frontières. Si est intensive, elle constitue un bon procédé de cantonnement (les animaux. Les prédateurs en allant vi-siter les territoires voisins risqueraient donc de créer de sérieux en-nuis au National Park Service, si un autre service fédéral, le Fish and W;ldlife Service, ne mettait ses techniques à. la disposition des éleveurs pour assurer les destructions souhaitées. Pourtant, les pré-da.teurs constituent dans les parcs un élément très important de l'équilibre biologique en contr6lant le nombre des herbivores et en assurant la police sanitaire.

Les loups (Canis lupus) ont presque partout disparu. Il en sub-siste quelques-uns à Glacier Park et à Grand Canyon National Park, et de petites bandes en Alaska. A Mount Mac Kinley Natio-nal Park (Alaska), on en dénombrait r5 en r94.7.

L'histoire des loups de Mount Mac Kinley a été très étudiée. Le parc a été établi en 1917, par réaction aux hécatombes de gibier qui ont suivi la construction du chemin de fer de l'Alaska. Il ren-fermait de nombreux mouflons (Ovis dalli). Ces mouflons, convena-blement protég-és, augmentèrent de nombre jusqu'en 1928 malgré la présence des loups. Mais deux hivers rudes, en 1928 et 1932, provo-quèrent une réduction brutale de leur nombre, qui passa de dix mille environ à un millier. En 1945, il n'y en avait plus que 5oo. On attribua aux loups la responsabilité de cet état de choses, et leur destruction fut presque décidée. Fort heureusement, on s'aperçut

LA GESTION DES PARCS NATIONAUX 21

que d'après des études précises effectuées par le Docteur Murie, en 1-94o-4.1 notamment, ces prédateurs effectuaient de très vastes dé-placements et vivaient surtout aux dépens d'un troupeau de 25 a 3o 000 rennes (Rangifer articits), qui traversent le pare dans leurs migrations. On peut en conclure que les dimensions du parc, qui atteint pourtant 775 000 ha, sont insuffisantes pour fournir des conditions d'existence normales aux loups. Ouant la diminution du nombre des mouflons, elle s'explique très aisément : l'homme, en les cantonnant et en les protégeant, a provoqué l'augmentation de leur nombre, bient6t suivie de la dégradation du pâturage. D'oit un rajustement brutal, faute de nourriture, de l'équilibre biologicme.

Les ours sont des prédateurs très communs dans les parcs natio-naux, surtout les ours noirs ou bruns de Baribal (Enarctos ameri-camus). A l'origine, ces animaux subsistaient de fruits. Tls ne sont qu'occasionnellement prédateurs.

Nous avons raconté l'histoire des ours cles Great Smoky Moun-tains. Dans la plupart des parcs, la nourriture donnée par les pro-meneurs, les ordures, ménagères, constituent un élément important de la subsistance des ours. Ils sont familiers au point de barrer les routes pour arrêter les voitures et quémander des sucreries. Le ser-vice des parcs fait de son mieux pour faire cesser cette situation qui satisfait les ours et les hommes, mais qui donne aux parcs natio-naux une apparence de parcs zoologiques. On s'est apeNti aussi que ce régime n'était pas SaTIS inconvénients sur la santé des ours, car il la fin cle la belle saison l'alimentation par les touristes cesse brus-quement.

Le Grizzly (Ursus sp.) est un animal plus puissant, plus dange-reux que l'ours de Baribal. est resté sauvage et farouche, bien qu'il n'y ait pas de meilleur poste d'observation pour le découvrir qu'A proximité des tas d'ordures ménagères. Il subsiste environ 180 grizzlies :a Yellowstone: récemment, il a fallu détruire les 3o plus grincheux qui devenaient réellement clang-ereux pour les tou-ristes. On songe établir un enclo's a. leur intention. Mais ce serait les placer dans des conditions extrêmement artificielles car ils sont très puissants, bâtis pour parcourir cles distances surprenantes.

Les coyotes (Canis latrans) existent dans plusieurs parcs, en par-ticulier â Yellowstone où on a pratiqué leur destruction jusqu'en 1935, sans réussir les extirper. Il faut reniarquer que leur nombre n'a pas augmenté lorsqu'on a cessé de les détruire, ce qui fait pen-ser qu'il était en équilibre avec les ressources du parc.

Mais le parc est devenu par contre un centre d'approvisionnement en coyotes pour les territoires voisins. A la suite des plaintes indi-gnées des éleveurs riverains, on a étudié leurs allées et verities, et on a constaté que les jeunes se dispersent fort loin an moment où ils quittent la tanière familiale: l'un d'eux a parcouru 130 km. On a reinarqué aussi que dans les parcs, les coyotes se nourrissent l'été

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de rats et de souris, l'hiver des charognes des herbivores qui suc-combent au froid, mais qu'en dehors des parcs ils préfèrent la nour-riture facile et vivent presque exclusivement d'eMprunts aux éleva-.g;-_'s de gibier ou d'animaux domestiques : nouvel exemple de mo-dification du régime alimentaire d'un prédateur sous l'influence de l'homme. Contre les coyotes, le Fish and Wildlif e Service organise, sur tout le territoire des U.S.A., des campagnes de destructions basées sur l'emploi du To8o, poison violent extrait, à. l'origine, d'une plante africaine, Chailletia toxicaria, qui est un fluoracétate de sou-de. Il est très dangereux pour l'homme et les animaux domestiques, et on ne peut guère l'employer en sécurité que dans des régions peu peuplées. Depuis les campagnes de destruction au 108o, le nombre des coyotes a diminué dans les parcs où ils sont protégés, ce qui démontre qu'ils parcoururent à. l'occasion d'assez grandes distances.

Les cougars (Felis concolor), sont des prédateurs de l'Ouest des Etats-Unis. Ils vivent dispersés : chacun d'eux a besoin d'un vaste terrain de chasse. On ne les trouve guère aujourd'hui que dans les régions les plus désertes. Naguère pourchassés, ils sont aujour-d'hui protégés dans les parcs nationaux : en 195o, il y en avait 20

Glacier Park, 25 Sequoia, 14 Yosemite, 4 Josuah Tree. Ils sont devenus rares Grand Canyon. A Yellowstone, le dernier a été tué en 1925. Il en existe encore assez Zion Canyon pour qu'aux abords du parc la chasse en soit restée une attraction touristique réputée.

L'histoire de certains herbivores est aussi riche en enseignements que celle des prédateurs Les parcs nationaux abritent les survi-vants de deux espèces migratrices caractéristiques de la faune primi-tive d'Amérique du Nord : les bisons et les cerfs wapitis.

D'après les témoignages des premiers explorateurs, des hordes immenses de bisons parcouraient autrefois la prairie. On a évalué leur nombre 6o millions. Les Indiens primitifs vivaient des bi-sons dans une sorte d'équilibre biologique, comme naguère les La-pons des rennes. Puis vint la colonisation. En 1889, il ne restait guère que 5oo bisons dans tous les Etats-Unis, la plupart semi-domestiqués. On a alors reconstitué quelques troupeaux; comme celui du refuge de Wichita dont nous reparlerons. Le nombre ac-tuel des bisons aux Etats-Unis est d'environ 5 000.

C'est dans le parc de Yellowstone que l'on a fait le plus gros effort pour la restauration et la protection des bisons. La région montagneuse de Yellowstone comportait autrefois, parait-il, une petite population de bisons adaptés la montagne et 3, la forêt. En 1902, il ne restait que 26 de ces bisons indigènes Yellowstone. Ils ont été bien protégés et ont donné naissance un troupeau d'en-viron 5oo têtes. Parallèlement, vers 19o7, on a créé de toutes piè-ces un autre troupeau en rachetant des bisons dopestiqués que l'on a parqués en vue de la reproduction. On a créé uhe ferme d'élevage

LA GESTION DES PARCS NATIONAUX 23

pour produire le fourrage nécessaire. La castration des veaux, les inoculations contre les maladies épidémiques étaient de pratique courante. Ce n'est qu'en 1915 que ces bisons cessèrent d'être par-qués. Mais ils restèrent surveillés, approvisionnés en fourrage, et bientôt le rassemblement (les bisons par les gardiens a cheval, ou « round up », devint un spectacle très g-oûté des touristes. Les naturalistes ont obtenu q.u'il prenne fin. Aujourd'hui les bisons sont entièrement en liberté. Mais la fourniture du fourrage n'a pris fin qu'en 1944..

A partir de 1920, un grave problème s'est posé A Yellowstone. Protégés, les wapitis, les mouflons et autres herbivores se sont dé-veloppés en abondance, en méme temps qu'étaient détruits les derniers loups et lcs derniers cougars: du coup on a vu appa-raître sur les pentes herbues des montagnes les signes évidents (le l'érosion due au pAturage. En, raison peut-être de ' leur origine domestique., ou de la chasse en dehors du parc, les bisons de Yellowstone semblent avoir perdu tout instinct migrateur. On a dû en éliminer 2 600 de 1930 A 1944, que l'on a, soit expédiés vers d'autres parcs. soit abattus et cédés aux Indiens. En 1950, il y avait zoo bisons A Yellowstone et l'érosion des pentes était en-core active en 1951.

L'histoire (les Wapitis (Cervits canadensis) est A peine différente. A l'origine ces animaux, répandus dans toute l'Amérique du Nord. effectuaient de vastes migrations. En raison de leur caractère fores-tier ils n'ont jamais été menacés cle destruction complète comme les bisons: il subsiste aujourd'hui des Wapitis dans plusieurs fo-rêts nationales. Ils sont abondants dans certains parcs: il v en avait, en I950, 2 600 A Glacier Park, 15 000 A Yellowstone.

Yellowstone n'était autrefois qu'une partie. de la route de mi-gration des troupeaux de Wapitis. Puis, sous la pression de la mise en culture, de la chasse générdisée, ils ont cherché refuge dans les parties montagneuses du parc. Mais ils ont gardé l'habitude de descendre l'hiver dans les vallées adjacentes, dont une grande par-tie est en dehors des limites du parc.

En raison de la protection dont ils jouissaient dans le parc, leur nombre s'est rapidement accru, jusqu'A devenir excessif. Il v avait environ 25 000 Wapitis A Yellowstone en 1891. Pendant les hi-vers rigoureux de i891-92, 1898-99, beaucoup moururent de faim ; t5 000 succombèrent au cours de l'hiver 1919-192o.

A partir de 1911, on s'est apercu du danger de leur surpopula-tion, et on a cherché A réduire leur nombre, le Service des parcs estimant, A juste titre, qu'il ne devait pas nourrir les animaux s'il voulait les maintenir dans des conditions naturelles. De 1911 A 1934, on a piégé 3 590 Wapitis en vue du repeuplement d'autres régions. Bientôt on en vint A compter sur la chasse, pratiquée en dehors du parc et att moment des migrations (l'hiver, pour réaliser les ré-

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ductions essentielles. A partir de 1934, on procéda bien â des des-tructions dans le parc, mais ce procédé est resté très limité en rai-son de l'opposition des chasseurs du voisinage. C'est ainsi que de 1934 1942 on a éliminé 16 000 animaux, alors que le programme de destruction était de 3 000 par an. En 1942, 619 Wapitis ont été détruits dans le parc et distribués aux Indiens des tribus voisines, alors que les chasseurs en ont tué 6 5oo au moment de la migration. Cette même année, on estimait que la capacité des pâturages du parc, de plus en plus dégradés, ne dépassait pas 7 000 wapitis — et il en restait 13 000. En 1946, la sécheresse en fit périr de faim environ 5oo. Les réductions étant restées insuffisantes, on estimait, en 195o, que la capacité des pâturages n'était plus que de 5 000 têtes. On prévoyait l'élimination de 3 5oo animaux, mais les chas-seurs n'en ont tué que 265, en outre 4o6 ont été piégés pour le repeuplement, 482 ont été tués dans le parc et vendus aux Indiens. Le problème n'était donc pas résolu de façon satisfaisante. Dans un numéro d'avril 1952, le Saturday Evening Post décrivait la chasse de l'hiver l'extérieur du parc au moment des migrations. Ces der-nières ont été encouragées par le piégeage dans le parc de nombreux animaux que l'on a transportés l'extérieur en camion : bon nom-bre d'entre eux cherchent alors regagner le parc — plus d'un mil-lier de chasseurs les attendent et tirent comme â. la cible. On a tué de cette façon 3 200 wapitis au cours de l'hiver t951-52 ; un chas-seur mort de saisissement devant le carnage a constitué une victime supplémentaire.

Le parc national de Yellowstone renferme aussi un important troupeau d'Antilopes â cornes fourchues (Antilocapra americana), bien qu'il s'agisse encore une fois d'animaux de plaine, jadis très répandus sur une grande partie du territoire des Etats-Unis. On es-time que le troupeau de Yellowstone, qui a atteint goo tètes en 1943, ne devrait pas en dépasser 400 en raison de la dégradation des pâturages.

Les cerfs du genre Odocoileus (Odocoileus hemionus) sont fré-quents dans bon nombre de parcs. Leur abondance a provoqué des phénomènes d'érosion â Sequoia National Park et â. Zion National Park. A Yellowstone, il y en a environ 600. Leur nombre est limité par celui des watipis, car ils utilisent les mêmes pâtures. De nom-breux Odocoileus sont morts de faim en 1943. A Yosemite, il y en a plus de 7 000. Ils sont très nombreux aussi Grand Canyon. Dans ces deux derniers parcs, ils vivent en partie des détritus des camps de touristes et mendient leur nourriture. L'hiver, sans touristes, est pour eux une période redoutable : le Service des parcs a lancé une véritable campagne pour obtenir des visiteurs qu'ils cessent de nourrir ces animaux.

Aux quelques exemples qui précèdent, on voit que les naturalistes et les biologistes du Service des Parcs ont faire face des problè-

Bisons it Yellowstone (Wyoming). Ces animaux de la Grande Prairie se trouvent ici dans tin habitat

assez différent de leur milieu primitif.

Yosemite (Californie) — Montagne dite Half-Dome » travers les Chênes (Quereus kelloggi Newb.).

(Clichés National Park Service.)

Sc(///,,/,/ fiiffitutea Deene. General Sherman ». Sequoia National Park (Californie).

(Cliché National Park Service.)

Grand Canyon National Park (Arizona).

Yucca brevifolia Engelm. Josuah Tree National Monument (Californie).

(Clichés National Park Service.)

Everglades National Park (Florida) En haul: Bouquets de Cabbage Palm (Sabal palmetto Ladd.).

En bas: L'embouchure de la Shark River.

(Clichés National Park Service.)

LA GESTION DES PARCS NATIONALTX 25

mes difficiles. La gestion des troupeaux de grands animaux, la fa-çon dont a été traité le problème des prédateurs, sont souvent loin d'être satisfaisantes et n'ont pas encore recu de solution définitive. Mais une évolution se dessine., et, depuis quelques années, de nom-breuses études publiées sur les questions d'équilibre biologique ont fourni une contribution très importante à. l'étude des conditions dans lesquelles vit la faune des parcs.

Contrairement à. ce qui se passe pour les mammifères qui, dans les conditions que nous venons de définir, jouissent d'une protection à. peu près totale, la pêche est autorisée dans tous les parcs natio-naux. Elle a un gros attrait: les pêcheurs peuvent se livrer à. leur sport favori dans un cadre splendide, au milieu d'animaux « sau-vages ». Aussi la pèche est-elle pour beaucoup dans la popularité des parcs.

Elle ne semble pas présenter d'inconvénients en ce qui concerne l'équilibre biologique des grands animaux. Elle en a peut-être pour la vie des castors, et surtout des loutres. A Everglades, l'abondance ou la rareté du poisson sont un facteur déterminant pour certains oiseaux.

Ce qui est certain, c'est que la pêche a transformé les rivières et les lacs des parcs nationaux en un milieu très artificiel. Les eaux se sont appauvries dans les parcs les plus fréquentés, Yellows-tone et a Yosemite en particulier. On a donc été amené à. réglemen-ter le nombre et les dimensions des poissons susceptibles d'être cap-turés par pêcheur et par jour, ainsi que les appâts et modes de pêche utilisés. On a réempoissonné, mais on est allé jusqu'à intro-duire, cette occasion, des espèces exotiques. Lorsque, faute d'un milieu assez riche pour les nourrir, le déversement d'alevins ne don-nait pas de bons résultats, on a repeuplé avec des poissons adultes, (le la taille réglementaire! A Great Smoky Mountains National Park, cette f acon rle faire est toujours pratiquée, et on a déversé 5 5oo poissons adultes en 195°. Ce parc est renommé pour ses truites et attire un grand nombre de pêcheurs.

Dans certains parcs, le programme de repeuplement est très im-portant. On a déversé, en 195o, 554 308 alevins à. Glacier Park, 3 325 95o Yellowstone, dont 35 5oo de taille réglementaire. En fait, on s'est apercu que la plupart des déversements n'étaient pas sans dangers : ils facilitent la propagation des maladies du poisson et contribuent la disparition de la nourriture, la dégradation du milieu biologique par une surpopulation momentanée. On commen-ce maintenant, notamment à Glacier Park, à, étudier la capacité bio-logique des eaux avant de les repeupler.

On peut donc dire que les parcs nationaux sont gérés en vue de la pêche, et non pas en vue de la préservation, du maintien, d'un milieu aquatique préexistant. Cela s'inscrit dans le cadre général de la politique du service des parcs : conserver intact le paysage, donc

26 PROTECTION DE LA NATURE AUX P.TATS-UNIS

s'attacher à. la protection des grands animaux qui y donnent l'illu-sion d'une vie naturelle, et favoriser au maximum Ic tourisme, donc organiser la pêche.

Tout n'est donc pas pour le mieux du point de vue du natura-liste. Mais il faut reconnaitre que les parcs nationaux ont constitué, dès l'origine, un élément fort important pour l'éducation du public américain dans le domaine des Sciences Naturelles. Ce publie a un goût traditionnel pour la vie de plein air ofi il cherche une com-pensation la claustration et la monotonie de la yie urbaine: il est fier de ses parcs nationaux où le spectacle des beautés grandio-ses de la nature lui est accessible.

L'opinion se rend compte, de plus en plus, de l'intérêt qu'il y aurait eu les gérer, dès le début, pour empêcher toute influence de l'homme et préserver la nature primitive. L'idée de réserver « in-tégralement » certains secteurs des parcs s'impose peu peu. De tel-les. réserves sont faciles à établir. Elles seront certes trop peu éten-dues pour étudier le comportement des grands animaux l'abri de l'influence humaine, mais elles permettront de mettre en évidence l'évolution de certaines associations animales et végétales. Une ré-serve de ce genre .est déjà constituée à Great Smoky Mountains. D'autres existent en fait à !Glacier National Park et ailleurs. Mais leur généralisation est impossible en raison de la politique bien éta-blie de faciliter le tourisme. Seuls des aménagements de détail sont progressivement possibles.

LE FISH AND WILDLIFE SERVICE

Alors que le Service des Parcs a été créé pour gérer les parcs nationaux destinés à perpétuer le souvenir de ce qu'était la nature avant la colonisation, le Fish and Wildlife Service est né d'une préoccupation d'ordre biologique: l'opinion publique, frap-pée par la disparition rapide de toutes sortes d'animaux, a voulu éviter l'extinction de certaines espèces. On a surtout cherché pro-téger les animaux qui ont un intérêt économique, comme le saumon, ou qui constituent un gibier recherché, comme les oies ou les ca-nards. Parfois, on a agi dans un but purement scientifique, comme. dans le cas de la Grue criarde.

Aux Etats-Unis. nous l'avons dit, les modifications de la nature sous l'influence de la colonisation sont récentes et relativement bien connues La chasse intensive, puis le bouleversement. par la cul-ture et l'exploitation forestière, de l'habitat des animaux sauvages, ont eu une influence désastreuse sur les espèces qui n'ont pas pu s'adapter aux conditions nouvelles ainsi créées.

Les exemples de cet état de choses sont nombreux. Nous avons cité celui du bison. Celui de la colombe yoyageuse (Ectopi.s-tes mi-gratorins) est peut-être plus caractéristique encore. Aux premiers

LE FISH AND WILDLIFE SERVICE 27

temps de la colonisation, elle ravageait les cultures par bandes de millions d'individus. C_)ti a tout employé pour s'en défaire, depuis le poison jus.qu'aux exorcismes. Elle a aujourd'hui complètement disparu.

Une autre espèce, l'a grue américaine ou Grue criarde (Grus americana), qui était très abondamment représentée, a été privée de son habitat naturel par l'extension des. cultures et la réalisation de grands travaux .de drainage. Elle est aussi en voie de disparition: on en comptait en t951 25 exemplaires. Ils n'ont été sauvés que par la création d'un refuge dans leur habitat d'hiver : c'est l'Aran-sas Refuge, créé en 1937. De même, les derniers spécimens du cé-lèbre « Trumpeter Swan » (Cygnits buccinator) ont été sauvegardés par la création du refuge de Red Rock Lake en 1935.

Au contraire certains oiseaux, comme les diverses espèces de « quails », voisines cle nos perdrix, ont survécu aux premières des-tructions et se sont adaptés a l'habitat de substitution constitué par les cultures où its trouvaient une nourriture plus abondante que dans leur habitat primitif, mais aussi une existence plus dange-reuse et mouvementée. en raison de la chasse pratiquée par l'hom-me. D'ailleurs, la chasse elle-même a fini par ménager le gibier, afin d'assurer sa reproduction.

Des espèces nouvelles ont été introduites. Des faisans,. importés d'Europe se sont acclimatés et multipliés au delà de toute espé-rance. Les cultures., les forêts exploitées, ont constitué de véritables espaces vides permettant la surabondance des espèces susceptibles de s'y adapter. La chas.se seule était susceptible de freiner le déve-loppement du nouveau gibier, favorisé par l'homogénéité du milieu et l'absence de prédateurs.

Il y a lieu de remarquer que les cultures, plus riches en nourri-ture, se sont repeuplées bien plus facilement que les forêts secon-daires, observation qui se vérifie souvent. Aujourd'hui, 8o % environ du gibier des U.S.A.. vit sur les terres cultivées, et on vérifie le vieil adage: à terres riches, chasse abondante.

Mais l'adaptation des espèces existantes a été assez lente et l'opi-nion s'est vivement émue de la raréfaction du gibier primitif. En 1878, on établit en Californie et dans le New Hampshire les pre-mières « Game Commissions », commissions chargées d'organiser et de réglementer la chasse en vue de la protection du gibier. Il y en a aujourd'hui une dans chaque Etat.

L'action du gouvernement fédéral s'est manifestée seulement en 1885 par la création d'un bureau d'études biologiques au Ministère de l'Agriculture, bureau chargé essentiellement de prendre des me-sures d'ensemble pour protéger les oiseaux et éviter la disparition de certains migrateurs. En 19oo, une loi fédérale, le Lacey Act, dirigée contre les chasseurs de plumes qui approvisionnaient le mar-ché mondial des frivolités, interdit le transport des oiseaux tués

28 PROTECTION DE LA NATURE AUX ETATS-UNIS

d'un Etat A l'autre. L'année 1903 surtout marque une étape impor-tante dans l'histoire de la protection des oiseaux : c'est la date de l'établissement en Floride du refuge de Pelican Island, destiné A abriter les migrateurs décimés par les chasseurs d'aigrettes.

Bientôt, le Bureau d'études biologiques du Gouvernement fédé-ral prenait en charge la protection de tous les animaux migrateurs, les Etats conservant la responsabilité de la protection des espèces non mig-ratrices. Ce partage d'attributions s'est maintenu. C'est un des traits essentiels de l'organisation de la protection de la nature aux U.S.A.

De son côté, le Service forestier fédéral (National Forest Ser-vice) procède dès sa création A d'importantes études sur les meeurs et l'écologie du gibier. Il constitue en forêt des réserves cynégéti-ques, qui seront de plus en plus nombreuses. L'une (les premières, la réserve de bisons de Wichita, est créée en 19o5 par le Service forestier, qui en assurera la gestion jusqu'en 1935. Dès cette épo-que, elle avait surtout le caractère d'une réserve' zoologique.

Sous l'impulsion du Bureau d'études biologiques et d'associations privées on crée, en 1912, le National Elk Refuge, dans le Wyoming, pour la protection des Wapitis dont il ne restait guère que 6o 000 individus sur tout le territoire des Etats-Unis.

En 1936, on établit le Desert Game Refuge, dans le Nevada. pour la protection des Mouflons (Ovis canadensis), menacés d'ex-tinction. C'est encore aujourd'hui le plus grand refu,ge existant aux Etats-Unis : il couvre 800 000 ha. Comme le National Elk Refuge, il a le caractère d'une réserve zoologique.

En 1939-4o, le Bureau d'études biologriques, qui a la haute main sur les refuges, fusionne avec le bureau des pêches, créé en 1871, pour former le Fish and Wildlife Service, rattaché au Ministère de l'Intérieur.

Le nouveau service s'est attaché A développer la politique des refuges. Il a trouvé les moyens financiers nécessaires dans l'insti-tution du système des « Hunting Stamps », timbres constatant le droit de tirer les oiseaux migrateurs, qui doivent être apposés sur la carte-permis des chasseurs de sauvagine.

Nous avons déjà cité ce qui a été fait pour la grue criarde et le « Trumpeter Swan ».

Aujourd'hui, il y a 291 refuges, couvrant une superficie de 6 903 000 ha; 28 de ceux-ci, représentant une superficie de 3 193 000 ha, se trouvent en dehors du territoire des Etats-Unis proprement dits : en Alaska, aux îles Hawaï, A Puerto-Rico. En Alaska, le plus célèbre est celui de File Pribilof, consacré A la pro-tection des otaries. La limitation de la pêche de ces animaux, qui a fait l'objet d'un traité entre les Etats-Unis, le Canada et le Japon, a permis par ailleurs d'obtenir le repeuplement massif de certaines zones.

LE FISH AND WILDLIFE SERVICE 9

Aux Etats-Unis, il y a 16 refuges de grands animaux, parmi lesquels on peut citer Fort Niobrara (Nebraska) où l'on s'efforce de protéger, non plus des animaux sauvages, mais, dans un but historique, les bovins de race Longhorn qui constituaient le bétail des pionniers. C'est un peu l'équivalent de la bergerie de Ram-bouillet. D'autres refuges célèbres sont ceux .de Charles Sheldon (Nevada) pour les antilopes, de San Anches (New Mexico) pour les mouflons.

Les refuges ornithologiques sont les plus nombreux, Comme les précédents, ils sont conqus et gérés pour la protection d'une ou plusieurs espèees animales, sans souci de sauvegarder des biocé-noses ou de préserver des biotopes remarquables. E s'agit de pro-curer un milieu optimum, donc artificiel, a des animaux menacés d'extinction, rnais dont la protection est souhaitable en fonction de considérations scientifiques, économiques, ou cynégétiques. Ces re-fuges répondent A la définition de « réserves dirigées ».

Pour les oiseaux, leur emplacement a été choisi sur le passage des routes de migration. Dans le Nord, ce' sont surtout des zones de nidification, dans le Sud des zones d'hivernage, comme le refuge de Sabine en Louisiane. Ce sont aussi des g.,îtes (l'étape où les oiseaux trouvent un couvert protecteur, une nourriture abondante, une protection totale. On les a surtout établis dans des marais, des terres basses et inondables. Les dimensions en sont très vastes.. On estime que, pour assurer un isolement satisfaisant, tin refuge orni-thologique doit avoir une surface de 8000 A 20 000 ha. Nous som-mes loin du compte avec nos modestes refuges européens.

Pour préciser ce que sont ces refug-,es, nous prendrons deux exemples, étudiés sur place.

Le refuge national pour oiseaux migrateurs de Tule Lake (Ca-lifornie) a une superficie de T4 936 ha. E fait partie d'une chaîne de refug-es établis dans l'ancien bassin du Klamath au sud de l'Ore-gon. Ce bassin était jadis une vaste ré:.,Tion lacustre et marécageuse, célèbre dans le monde. des trappeurs pour sa richesse exception-nelle en g,ibier : castors, loutres, canards, oies et cygnes. Véritable dédale de rivières et de marais, elle était alimentée par les eaux provenant de la chaîne dcs Cascades. Dans ce terrain difficile, la guerre contre les Indiens Modocs n'a pris fin qu'en 187.3. Un peu plus tard, la région a. été systématiquement asséchée et drainée pour l'obtention de terres de culture. Le milieu favorable aux oiseaux a, de ce fait, disparu.

Le refuge de Tule Lake a été établi en 1928 dans l'ancien lit d'un lac asséché pour sauver les oiseaux qui n'avaient pas encore aban-donné la région. On a rétabli un plan d'eau à. l'aide de digues et de stations de pompage. Dans ce lac artificiel, on a installé des îlots de végétation pour permettre la nidification des oies et des canards. Sur le pourtour du lac, garni de haies de saules, on pratique avec

30 PROTECTION DE LA NATURE AUX ÉTATS-UNIS

succès l'élevage du faisan afin de peupler des territoires voisins. Alentour, on a établi des cultures d'orge pour attirer et nourrir les migrateurs.

Le refuge est maintenant fréquenté par une multitude d'oiseaux. C'est un coup d'oeil extraordinaire que de voir des milliers d'oies et de canards prenant leur essor devant le bateau moteur avec lequel on visite les étangs. Parmi les espèces observées, citons l'oie à. front blanc (Anser albifrons albifrons), l'oie du Canada (Branta canadensis canadensis), divers canards (Anas platyrhyncha et Da-fila acuta tzitzihoa), le pélican blanc (Pelecanus erythrorhinchos), des grèbes (Colymbus podiceps podiceps), des aigrettes (Casmero-dius albus egretta) et même des cygnes siffleurs (Cygnus columbia-nus). L'abondance des oiseaux est telle que les épidémies de bo-tulisme sont assez fréquentes. On recueille et soigne les malades, on incinère les morts pour limiter les épidémies.

La rapidité avec laquelle les migrateurs répondent â la création d'un milieu qui leur est propice n'est pas particulière â. Tule Lake. On a observé le même phénomène dons la vallée du Tcnnessee. Le lac barrage de Wheeler Dam, qui s'étend sur plus de 15 000 ha, mais se trouve au centre d'une région peuplée et industrielle, a été constitué en refuge en 1938. On a réservé sur le pourtour du lac des terres agricoles afin d'y pratiquer des cultures pour nourrir les oiseaux. Dès 194o, deux ans après la création, on observait plus de 3 000 canards et un troupeau d'oies du Canada.

I-e refug-e de Wichita (Oklahoma) est destiné aux' grands ani-n3aux. Il couvre une superficie de 23 6o4 ha. Il a été créé en P9o5, par le Service forestier, comme réserve de gibier, puis transféré au Fish and Wildlife Service en 1935. C'est un ensemble de bois et de pâtures dans une région de collines granitiques appartenant l'étage Archéen. I,e but poursuivi est essentiellement la protection d'un troupeau de bisons et d'un troupeau de taureaux et vaches Longhorn. Ces Longhorns sont les descendants du bétail espagnol introduit au Mexique au xvie siècle, d'oit il s'est répandu aux Ftats-Unis, en partant du Texas, de r866 â 189o. Ce sont les Longhorns qui ont supplanté les bisons dans les grandes plaines. On en a in-troduit 3o dans le refuge en r927, en raison de leur intérêt histo-rique. Il y en avait 271 en r951. Les bisons sont au nombre de 779. Tous ces animaux sont pratiquement parqués grâce â. un système de cl6tures. Il y a en outre des cerfs Wapitis (Cervus canafensis), des antilopes à cornes fourchues (Antilocapra americana), des cerfs Odocoileus queue blanche (Odocoileus virginianus). La faune or-nithologique comprend des dindons sauvages, vestiges des bandes de dindons qui jadis parcouraient les forêts et dont les plumes or-naient les coiffures de guerre des Indiens.

Il s'agit â tous égards d'une réserve dirigée : les animaux jugés en surnombre par rapport â la surface pâturable (r4 000 ha)

L'AMÉLIORATION DU MILIEU POUR LE GIBIER

3

sont abattus. Les « prairies dogs » (Cynomis ludovicianus), ron-;.,,etirs qui ont trouvé clans les cultures du Texas et .de l'Oklahoma un milieu idéal et qui pullulent en certains points sont exterminés dans le Refuge où ils feraient concurrence pour l'herbe aux Long-horns et aux bisons. I,es prairies font l'objet d'un entretien soigné: elles sont fauchées pour favoriser la reprise de l'herbe. Le four-rage est utilisé à l'arrière-saison, le surplus est vendu. On coupe ou on empoisonne au gazoil la végétation arbustive, notamment le Mesquite (Prosopis fubiflora), lorsqu'elle menace de les envahir.

Il est it noter que le public est admis dans le refuge: il y a 400 000 visiteurs par an. Neuf terrains de camping ont été aména-gés et la pèche est autorisée dans les lacs artificiels qui ont été créés. T..es animaux sont conservés bien plus comme des curiosités que comme les éléments d'éventuels repeuplements. Pour cette raison, le refuge de -Wichita est celui qui, parait-il, ressemble le plus à. un parc national.

L'AMELIORATION MILIEU POUR LE GIBIER (WILDLTFE TECHNOLOGY)

Le ròle du Fish and Wildlife Service ne se limite pas â la créa-tion de refuges. Du bureau d'études biologiques il a hérité la res-ponsabilité de la lutte contre les animaux « nuisibles », qu'il s'agis-se cle prédateurs, comme le coyote, ou d'ennemis des cultures com-me les « prairie dogs », les « pocket gophers » ou Saccophores. a mis au point des techniques de piégeage et d'empoisonnement: toute une gamme de poisons divers, la. présentation des appâts, ont été étudiées.

Un autre aspect (le l'activité. du Service est son intervention clans le domaine cynég,étique. Ses représentants renseignent les « Game Commissions » qui existent dans chaque Etat et participent â leurs travaux. Ces commissions sont charg,ées de fixer les périodes d'ou-verture, les limitations portant sur le nombre de pièces, ou « bag limits ». On jugera de l'importance de ces questions en considérant qu'il y avait en 1948-49, 12 760 000 chasseurs aux U.S.A.

Depuis Ion, les Garne Commissions bénéficient d'une aide finan-cière fédérale grâce aux fonds provenant d'une taxe sur la vente (les armes et des munitions, ce qui représentait, en 1951, plus de Io millions de dollars par an. Ces ressources sont utilisées pour le re-peuplement en gibier et pour la réalisation d'aménagements préco-nisés par le Fish and Wildlife Service. Dans la plupart des cas, la réglementation est basée stir des comptages de gibier. De nom-breux centres d'élevages ont été créés: l'un des plus intéressants est sans contredit la Nevada Game Earm, près de Reno (Nevada), consacrée aux faisans et aux perdrix chukar.

Aux Etats-Unis, les « chasses gardées », où l'on élève sur place

32 PROTECTION DE LA NATURE AUX ÉTATS-UNIS

le gibier, sont l'exception. Dans les grandes plaines, les champs cul-tivés sont très étendus, sans haies ni bosquets : les animaux, à. cer-taines périodes, ne peuvent trouver aucun couvert. Aussi le Fish and Wildlife Service a-t-il fait porter particulièrement son effort sur l'étude des conditions de_ milieu les plus favorables au gibier. Des travaux importants ont été réalisés â ce sujet dans les Uni-versités : la nourriture du gibier, son comportement vis-à—vis des différentes sortes de couvert, ses habitudes de reproduction ont été soigneusement étudiés. On a créé ainsi ce qu'on appelle la « Wild-life Technology ».

Les résultats de ces études ont été largement diffusés dans le public. On enseigne aux cultivateurs que le gibier a deux besoins essentiels : le couvert, pour échapper ses evemis et se reproduire, la nourriture pour subsister. On indique comment lui procurer l'un et l'autre. On conseille, pour aménager la chasse dans les terres cultivées, la création de couverts, la plantation de brise-vent, de haies de saules ou d'arbustes épineux (« multiflora rose ») aux bords des routes, des ruisseaux, des fossés de drainage. Pour sa-tisfaire les besoins en eau, on préconise la création de petits étangs, aménageables aussi pour la pêche.

Depuis le développement du Mouvement de Conservation des sols, la Wildlife Technology a pris une nouvelle extension : elle vise

utiliser pour la chasse les terres déshéritées, trop pauvres pour les spéculations ap;ricoles ou l'élevag-e, trop arides pour le reboisement. C'est le cas d'une partie du « Range » buissonnant et désertique, de l'Ouest des Etats-Unis, véritable brousse dégradée par le pâtu-rage et l'incendie. Il faut pour cela s'adresser des animaux très rustiques et peu exigeants en nourriture, comme la chukar dont l'écologie a été très étudiée.

En application d'une loi fédérale de 1946, le Fish and 'Wildlife Act, qui organise la coopération entre les administrations fédérales, celles des Etats, et les Sociétés scientifiques pour la Conservation et la protection de la faune, le Fish and Wildlife Service intervient dans tous les projets de grands travaux: lutte contre l'érosion, cons-truction de barrages. Il coopère non seulement avec le Service fores-tier pour la protection du gibier en forêt, avec le National Park Ser-vice pour la sauvegarde des espèces en voie de disparition, mais aussi et surtout avec le Soil Conservation Service. Les programmes de Conservation du sol, établis pour chaque exploitant agricole qui en fait la demande, ne négligent aucune possibilité de créer des zones refuges pour le gibier dans les pentes trop érodées, trop abruptes ou trop rocheuses pour la culture ou l'élevage. En conseillant l'amé-nagement de haies, de « refuges » qui ressemblent aux « remises » de nos chasses de plaine, le Fish and Wildlife Service contribuera, avec le Soil Conservation Service, à. donner au paysage américain son aspect définitif.

LA PROTECTION DES POISSONS MIGRATEURS

33

LA PROTECTION DES POISSONS MIGRATEURS

L'action du Fish and Wildlife Service est fort importante aussi en ce qui concerne la pêche.

An fur et a mesure du développement agricole et industriel du pays, les cours d'eau des Etats-Unis se sont progressivement dé-peuplés. La création cle barrages hydroélectriques, les installations d'irrigation, l'érosion des bassins, ont bouleversé le rég,ime des eaux et les ont rendues impropres à. la vie des poissons.

Or, la pêche est de plus en plus populaire. Il y avait aux Etats-Unis 15 4.8o 000 pêcheurs en 1948-49. 0.n a d'abord pratiqué la po-litique des établissements de pisciculture. Il y avait, en 195t, une centaine d'établissements de pisciculture fédéraux, et environ 5oo des Etats. Mais on a constaté que les déversements d'alevins n'étaient pas toujours un bon remède, qu'en surchargeant en pois-son les eaux où la nourriture faisait défaut on obtenait des résul-tats inverses de ceux que l'on avait souhaités.

On s'est alors orienté vers l'amélioration du milieu piscicole: on cherche favoriser le maintie.n (l'un milieu écologique favorable au poisson en luttant contre les pollutions, contre l'érosion, en aména-geant les barrages de faeon permettre leur franchissement par les migrateurs, et en créant des frayères.

La lutte contre les pollutions est relativement récente: la loi sur les pollutions date de 1948. Elle permet au Gouvernement fédéral de consentir des prêts aux Etats pour la création (l'installations de traitement des eaux d'égout. semble qu'elle n'ait pas toujours une efficacité suffisante.

En matière d'aménagement de cours d'eau, c'est le Fish and Wildlife Act de 1946 qui a permis au Fish and Wildlife Service d'intervenir dans tous projets d'irrigation, d'assainissement, de cons_ truction de barrages en vue de protéger le plus possible la faune et la flore aquatiques. Il a fait établir, à. ce titre, des refuges, des échelles poissons et des frayères.

Alors que l'intervention du Service a été trop tardive pour em-pêcher l'élimination peu près complète du saurnon dans le fleuve Colorado, ce qui a été réalisé pour la protection de ce poisson sur le fleuve Columbia est particulièrement spectaculaire. Le fleuve Co-lumbia est, depuis longtemps, célèbre pour sa richesse en saumons. Le plus abondant est le King's Salmon (Oncorhylichtu tschawyt-scha). Mais on y trouve aussi d'autres espèces, comme le Steelhead (Salim gairdnerii). 'Ces poissons ont toujours eu une grosse impor-tance économique. Ils ont d'abord procuré une ressource précieuse aux Indiens, dont les pêches primitives et pittoresques existent encore a Celilo Falls, et offrent un coup d'eeil inoubliable.. Puis, dès le début de la colonisation, ils ont alimenté la pêche industrielle et l'industrie des fabriques de conserves. Les premières exportations

34 PROTECTION DE LA NATURE AUX ÉTATS-UNIS

de saumon salé vers l'Angleterre, la Chine et l'Amérique du Sud, ont eu lieu en 1830. La première usine de conserves a été établie en 1866, bientôt suivie de nombreuses autres.

A partir de 1880, on commença constater une diminution sen-sible des prises due, non seulement des pêches trop importantes, mais aussi à. des modifications du milieu aquatique à. la suite de l'installation de papeteries génératrices de pollutions et d'exPloita-tions forestières dans l'ensemble du bassin. La coupe blanc pra-tiquée sur presque toutes les pentes avait donné naissance a des phénomènes d'érosion, et l'eau, trouble et chargée de limon, ne per-mettait plus la vie du poisson. Dès 1808, la diminution du nombre des saumons était si apparente qu'on créa un établissement de pisci-culture String Creek. C'est là qu'on observa le phénomène extra-ordinaire de la remontée des saumons adultes, issus des alevins obtenus artificiellement, dans les bassins même de pisciculture.

La situation devait s'aggraver de façon catastrophique avec la construction, sur le fleuve Columbia, de gigantesques barrages hydro-électriques. Celui de Grand Coulee, sur le cours supérieur est ri-goureusement infranchissable. Rock Island, établi en 1030, et I3on-neville, en 1038, sur le cours moyen et inférieur, ont été munis d'échelles saumons de grandes dimensions. Les premières échelles n'ont pas donné entièrement satisfaction, leur entrée étant trop en avant du remous créé par le barrage. On a procédé cles nombreu-ses et intéressantes études sur l'emplaceinent, les dimensions et les proportions des passes à. poissons. Malgré les progrès remarqua-bles réalisés, on estime que les barrages ont fait perdre sans lx tour les deux tiers environ des frayères à. saumon. Bien plus, la créa-tion de canaux d'irrigation alimentés par les eaux du fleuve a pro-voqué des hécatombes de jeunes saumons (fingerling-s) qui s'y en-gageaient au moment de leur descente vers la mer.

On a donc été amené mettre au point, en 1040, un programme de dix ans, destiné maintenir la population de saumons un ni-veau compatible avec son importance économique. L'idée directrice consiste utiliser au maximum la partie du fleuve qui se trouve en aval de Grand Coulee, et surtout le réseau d'affluents qui y abou-tissent. Certains pourraient être utilisables après curage et aména-gement de frayères. Le coût des opérations projetées est évalué ft

20 millions de dollars. Elles comportent :

a) le nettoyage du lit de chaque affluent pour faire disparaître les obstacles qui s'opposent it la remontée du saumon, et l'aménagement de toutes les portions de cours d'eau susceptibles de servir de frayè-res,

b) la lutte contre les pollutions, c) la construction d'échelles efficaces sur les barrages en cours

de construction. De magnifiques échelles ont été établies Mac Nary Dam.

CONCLUSION 35

(i) l'aménagement. sur les affluents, de zones refuges où le sau-mon sera protégé et oit toute utilisation industrielle ou agricole des eaux sera proscrite,

e) la pose d'écrans l'entrée des canaux d'irrigation pour empê-cher les fingerlings de s'y eng-ag-er. Ces écrans sont constitués par des toiles métalliques montées sur des tambours qui obstrue,nt com-plètement le canal. L'eau passe â, travers l'écran, qui est nettoyé par des grattoirs fixes devant lesquels les tambours tournent lentement sous l'action de palettes actionnées par le courant.

f) l'alevinage intensif par création de nouveaux établissements de pisciculture. et, en attendant, la transplantation dans les af-fluents aménagés de saumons capturés sur les échelles.

Ce vaste programme est en cours de réalisation. Il sera fort inté-ressant, dans quelques années, d'en connaître les enseignements et les résultats. D'après des renseignements récents, toutefois, il serait compromis par la construction de nouveaux barrages sur les affluents du cours inférieur du fleuve.

CONCLUSION

Telle est, très rapidement exposée, l'histoire de la protection de la nature aux Etats-Unis.

La colonisation a causé des dévastations considérables, mais bien connues parce que récentes. La réaction a d'abord consisté dans la création de parcs qui avaient pour but de maintenir intactes, pour le tourisme, certaines merveilles de la nature, et aussi de sau-ver de la disparition, titre de curiosités, des espèces animales me-nacées.

Les parcs ont donné lieu d'intéressantes observations sur les relations entre prédateurs et herbivores, sur la concurrence entre espèces pour la nourriture et le pâturage, sur l'écologie de divers animaux. Ces études permettent de prévoir les conséquences de l'action de l'homme lorsqu'il détruit les prédateurs, introduit des espèces nouvelles, modifie le milieu par la culture ou l'assainisse-ment, exploite les forêts naturelles et les transforme en peuplements homogènes d'essences secondaires. Elles ont donc une portée uni-verselle.

Ensuite est venue l'idée de créer des refuges pour sauver des espèces menacées d'extinction, pour permettre des oiseaux migra-teurs de survivre malgré la transformation radicale du milieu au-quel ils étaient primitivetnent adaptés. Pour les rendre plus efficaces, on a été amené concevoir ces refuges comme des réserves diri-gées.

Plus tard on a constaté la nécessité, pour avoir du gibier, de laisser aux animaux sauvages des chances dc subsister et de se

36 PROTECTION DE LA NATURE AUX kTATS-UNIS

reproduire dans les territoires mis en culture. C'est la Wildlife Technology.

La protection de la nature, aux Etats-Unis, a un caractère assez utilitaire et pratique : dans d'autres pays, elle a pu apparaître plus scientifiquement désintéressée, visant A créer des réserves clans lesquel-les on pouvait observer la nature sans l'homme.

Dans tous les cas, on coneoit toutes les possibilités d'application des observations faites dans des réserves : elles permettent de préci-ser l'influence de l'homme sur la flore et la faune. Il est aisé d'étendre les résultats obtenus A la critique rationnelle des pratiques agricoles, sylvicoles, piscicoles ou cynégétiques. En effet, il est de l'intérêt de l'homme, une fois qu'il sait comment il modifie un équilibre biologi-que, comment il évoluerait en dehors de ses interventions, de peser et limiter la portée de ces dernières. Les forestiers le savent bien. Par exemple, les peuplements d'arbres constitués par des espèces ap-partenant au climax sont, généralement, dans une station donnée, les plus aisés A maintenir, A régénérer. Au contraire, certaines pratiques sylvicoles favorisent des espèces animales, comme le lapin, jusqu'A la surpopulation, qui conduit aux épidémies, ou à. la dégénérescence lors-qu'on a détruit les prédateurs, jugés indésirables pour d'autres rai-sons.

Tel peut donc être le but de la protection de la nature : en pré-cisant les données de l'écologie, elle permettra de régler l'action de l'homme pour éviter des « réactions en chaîne », préjudiciables A ses intérêts. A cet égard, les parcs et réserves dirig-ées dés Etats-Unis, bien que ne correspondant pas A une conception aussi rigou-reuse que les réserves intégrales, ont un intérêt certain. Leur nom-bre, leur étendue, ont permis des observations multiples, ft une échel-le extraordinaire. Il faut en savoir gré A ce pays, puisqu'on p:ut en tirer des enseig-nements d'application générale.

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National Wildlife refuges administrered by the Fish and Wildlife Service. Areas administered by the National Park Service.

SUMA1ARY

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SUMMARY

In the United States the primitive nature which the first colonists found a few centuries ago has undergone a process of modification which man has not .completely forgotten.

Colonisation caused considerable devastation. As a reaction there arose a movement for the .conservation of nature which resulted in thc action of certain governemental agencies: the Forest Service, then the National Park Service, the Fish and Wildlife Service, and iastly, the Soil Conservation Service.. The Park Service manages the national parks according to a policy which takes into account the ne-cessities of tourism as well as the need for the protection of nature. Tt must solve some difficult problems: for instance the overgrazing of deer or other herbivorous animals which have been excessively protected against predators, the exploitation of fishing, for recrea-tion, the « clonft feed bear » campaign. The parks are not sanctua-ries, but they are nonetheless rich in lessons.

The Fish and Wildlfe Service endeavours to protect certain mi-gratory animals, for a purpose usually economic, but sometimes pu-rely scientific. Its action is extended in-each State by that of the Game Commissions. It has created refuges with a view to the protection of g-eese, -clucks or other game. Tt has attempted to protect salmon in some rivers, particularly the Columbia River. On the whole, the United States have clone a great deal for the protection of animals and for the study of the relationships between man and wildlife.

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PROTECTION DE LA NATURE AUX kTATS-UNIS

ZUSAMMENFASSUNG

In den Vereinigten Staaten hat die primitive Natur, der vor eini-gen Jahrhunderten die ersten Ansiedler begegnet sind, eine Kette von Verwandlungen erfahren miissen, deren sich der Mensch heute noch teilweise bewusst ist. Die Ansiedlung hatte beträchtliche Ver-wiistungen zur Folge. Mit Riicksicht darauf entstanden Naturschutz-bestrebungen, die sich in der Tätigkeit bestimmter Regierung,sdienste äusserten, namentlich des « Forstdienstes », dann des « National-parkdienstes », des sogenannten « Fish and Wildlife Service », schliesslich des « Bodenschutzdienstes ». Vom « Parkdienst » wer-den die Nationalparks nach einer Politik verwaltet, die einen ebenso p.;rossen Wert auf die Bediirfnisse des Tourismus wie auf die Forde-rungen des Naturschutzes legt. Er hat sich mit schwierigen Proble-men zu befassen iiberabweiden durch Hirsche und sonstige gras-fressende Tiere, die iibermässig- in Schutz vor den Jägern genommen wurden, Ausnutzung- der Fischerei zur Unterhaltung- der Besucher Ausrottung der Bettelbaren. Die Parks bilden keine « förmlichen Schonungen », sind aber deshalb nicht weniger lehrreioh. Der so-genannte « Fish and Wildlife Service » zielt darauf. bestimmte wandernde Tiere zu einem meist wirtschaftlichen, öfters aber rein wissenschaftlichen Zweck zu schiitzen. Dessen Tätigkeit wird in jedem besonderen Staat durch die der (4 Game Commissions » fort-gesetzt. Er hat Zufluchtsstellen .,regriindet, die zum Schutz der Gänse, Enten, oder sonstig-er wilden Tiere unterhalten werden. Er hat fiir den Schutz des Lachses in gewissen Strömen, insbesondere im Fluss « Columbia » gesorgt.

Im ganzen haben die Vereinigten Staaten zum schutz der Tiere und zur Ausforschung der Wechselbeziehungen zwischen Menschen und wilden Tieren viel geleistet.