Celivrenumériqueestunecréationoriginalenotammentprotégéeparlesdispositionsdesloissur le droit d’auteur. Il est identifié par un tatouage numérique permettant d’assurer satraçabilité.Larepriseducontenudecelivrenumériquenepeutintervenirquedanslecadredecourtescitationsconformémentàl’articleL.122-5duCodedelaPropriétéIntellectuelle.Encasd’utilisationcontraireauxlois,sachezquevousvousexposezàdessanctionspénalesetciviles.

KimberlyMcCreight

AMELIA

Traduitdel’anglais(États-Unis)parÉlodieLeplat

Roman

Directeurdecollection:ArnaudHofmarcherCoordinationéditoriale:MarieMisandeau

©KimberlyMcCreight,2013Titreoriginal:ReconstructingAmeliaÉditeuroriginal:HarperPerennial

Couverture:LætitiaQueste.Photodecouverture:©ElisabethSchmitt/GettyImages.Photod’auteur:©JustineCooper.

©lecherchemidi,2015,pourlatraductionfrançaise23,rueduCherche-Midi75006Paris

Vouspouvezconsulternotrecataloguegénéraletl’annoncedenosprochainesparutionssurnotresite:www.cherche-midi.com

«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusionauprofitdetiers,àtitregratuitouonéreux,de toutoupartiedecetteœuvre,eststrictement interditeetconstitueunecontrefaçonprévuepar lesarticlesL335-2etsuivantsduCodede laPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»

ISBNnumérique:978-2-7491-4306-4

PourTony,lepharedemonfoyer

«Admettonsdenouveauquelaviesoitunesubstancesolide,ayantlaformed’unglobe,

quenousfaisonstournerentrenosdoigts.Admettonsquenouspuissionsconstruire

unehistoiresimpleetlogique…»

VirginiaWOOLF,LesVagues(traductiondeMichelCusin,Gallimard)

gRaCeFULLY5SEPTEMBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com,sortezdulotSalutlesbouffons!Ah,ledébutd’unenouvelleannéescolaire.Etmevoilàderetouravectouslesragotsque

vousnelirezjamaisdanslesjournaux…Alors,pendantquevouspassieztousvotreétéàSouthampton,Nantucketoudanslesudde

laFrance,àperfectionnervotrecoupdroitouvotrepasdedeux,àvousentraînerpourvotrepremier marathon, ou encore à savourer votre dernier championnat d’échecs en date, j’aipassélemienàtraquerlemoindremouvementdenotrecherpersonnelencadrant.M.Zaritskiest allé enseigner à UC Berkeley dans un camp de vacances scientifique pour les méga-intellos.Lebruitcourtquelesparents l’auraient faitvirerdirect ladeuxièmesemaineparcequ’il SCHLINGUAIT.MmePearl s’est dégotté un amant latino et a appris la pole dance àMiami. Je rigole. Évidemment qu’elle n’a pas eu d’amant. Qui voudrait coucher avec elle,hein?

Ahoui,etcecheretdélicieuxM.Woodhouse.Quin’ajamaisrêvédelevoirenmaillot?Hélas,nous ignoronsoù ilapasséces tempschauds,mêmesi je saisde source sûrequ’ilapasséaumoinsun longweek-endblotticontreLiv,notreprofd’anglaisadorée.Moi jedis :chapeaubas.

Quant à vous autres, sachez que j’assurerai un résumé de l’été au fur et à mesure del’arrivéedesnewsdurantlesprochainsjours:alorsenvoyez-lesàgracefullyblog@gmail.com.Parcequec’estpartipourunenouvelleannée,oùtouslesloserspourrontenfindevenircoolsetlesbaleinessetransformerensirènes.

Restentleséternellesquestions:lacharmantepetiteDylanfinira-t-elleparavouerquiellese tape ? Heather et Rachel admettront-elles jamais qu’elles se broutent la chatte ? Zadieéchappera-t-elle à la taule suffisamment longtemps pour passer son bac ? Avec quelleterminale le sexy Carter, qui semble bloqué en seconde pour l’éternité, couchera-t-il enpremier?Etquiestcemystérieux IanGreene,est-ilaussi torrideque le laissentpenser lesphotosdesafiched’inscription?Rienn’estmoinssûr,meditmonpetitdoigt.Maisvousserezlespremiersaucourant.

Enattendant,allez-y,astiquezvospompes toutesneuveset faites reluirevos sourires.Etattachezvosceintures.Çavasecouer…

AMELIA

14SEPTEMBRE,7H37

AMELIAtul’assuqd?

BENsuquoi?

AMELIAket’aimaislesmecs

BENjesaispas,tjrjecrois

AMELIA1possibl

BENcvrai,sérieux

AMELIAettul’asditàttlemonde,commeça

BENengros,ouais;ons’enfout2cekepensentlesautres

AMELIAj’arrivepasàm’imaginerêaussisûre2quoikecesoit.niaussicourageuse

BENtupourraist’épaTtoi-même

AMELIAtuparles

BENt’es+fortekeceketucrois

AMELIAmerci.Jeferaisquoisanstoipourmebooster?

BENtumourrais?j’aimecroirekedesviesdépendent2moi

AMELIAah,ah.qdest-cekonpassedutpsensemblepour2vrai?

BENcpasvraiça?

AMELIAtusaistrèsbiencekejeveuxdire

BENjevaispeutêveniràNYCdsqqsemaines:mondaronfait1voyaged’affaires

AMELIAetjepourraistevoir?

BENgrave

AMELIAOMG,sérieux?!gtrophâte!!!

KATE

24OCTOBRE

KatesutqueVictorétaitfurieuxavantmêmedeleverlesyeuxdesesnotesetdevoirlacolèreenvahirson visage, tel un nuagemenaçant.Dans la salle de conférences, on entendait lesmouches voler, tous−cinqavocatsdeSlone,Thayeretdixd’AssociatedMutualBank−attendaientqu’ildisequelquechose.Au lieudequoi il s’adossa à son fauteuil, lesmains soigneusement croisées sur lesgenoux.Avec sescheveux poivre et sel et son costume parfaitement ajusté, il restait séduisant et digne malgré sonmécontentementévident.

Aubeaumilieudecesilencegêné,leventredeKategargouilla.Elleseraclalagorgeets’agitasursonsiège,espérantquepersonnen’avaitentendu.Cematin-là,lanervositéluiavaitcoupél’appétit.Ilyavaitcetteréunion,maisaussiladiscussionqu’elles’étaitpréparéeàavoiravecAmelia.Discussionquin’avait jamais eu lieu. Contre toute attente, Amelia était partie au lycée avec le sourire et un signeguilleretdelamain,laissantKateenretardpourletravailetenexcèsd’adrénaline.

Elle jeta un œil plein de convoitise à l’étalage interminable de bagels, de fruits et de sucreriesdisposéssurlebuffetdelasalledeconférences.Hélas,quandondirigeuneréunionclientàlaplacedeJeremyFirth, le responsableadorédupôlecontentieuxchezSlone,Thayer,onnese lèvepasenpleinmilieupourallerraflerunen-cas.

« Vous vous rendez bien compte, déclara Victor en désignant Kate, que se conformer à cetteassignationrendraimpossibletouteobjectionultérieure.

−Jecomprendstafrustration,Victor,répliquaKated’untoncalme.MaislaSEC1estendroitde…−Endroit?aboyaVictor.Ellesurcompense,oui.»Katesoutintsonregard,quilançaitdésormaisdeséclairs.Vacillermaintenant,neserait-cequed’un

cheveu, serait fatal.Victor exigerait certainementdevoir Jeremy,or,bienqu’associée, elle restaitunecollaboratricejunior.Ilfallaitqu’ellesoitcapabledegérercetteaffaireseule.

«Etlemérite,alors?Celane…»AvantqueVictornepuisseexprimerlefonddesapensée,letéléphonedelasalledeconférencesse

mit à sonner, faisant sursauter l’assistance.Rebecca, leur collègue et subordonnée, s’empressa d’allerrépondretandisqueVictorseretournaitversKate.

«Jeveuxquenosobjectionsfassentpartiedurapportofficiel,etjeveuxunbudgetallouéàtoutcebordel avant que quiconque ouvre un seul carton de documents. Si tu acceptes, tu récupères tous lesdossiers,marchéconclu?»

CommesiKateallaitsemettredanslapochelesprofitssupplémentairesducabinet.Enréalité,sonseuletuniquebénéficeseraitlareconnaissancedeJeremy.Cequin’étaitpasanodin,évidemment.Resterl’undesdisciplespréférésdeJeremycomptait−etpasqu’unpeu.

«Absolument,Victor,réponditKate.Nousferonseneffetdenotremieuxpour…−Excuse-moi,Kate»,luimurmura-t-onàl’oreille.Quandellelevalesyeux,elledécouvritRebecca,visiblementpétrifiéedel’avoirinterrompue.«Désolée,maistasecrétaireestàl’appareil.Elleditquetuasunappelurgent.»

Katesesentitrougir.Répondreautéléphoneaumilieud’uneréunionavecVictorStarkeétaitencorepirequed’allerraflerunbagel.Beatrice,sasecrétairehabituelle,n’auraitjamaisinterrompucegenrederéunion,hélaselleétaitencongémaladie.Kateavaitsignifiéàsaremplaçantedeneladérangerqu’encas d’urgence absolue,mais la fille avait eu une expression d’une telle vacuité queKate avait penséqu’elle devait être shootée.Malheureusement, refuser de prendre cet appel n’était pas une option nonplus. Kate attendait des nouvelles de l’assistant d’un juge au sujet de sa demande d’ordonnancerestrictivetemporairepourunautreclient.

«Excuse-moiuninstant,jeteprie,ditKate,tâchantdefairecroirequecetteinterruptionétaittoutàfaitattendue.J’enaipouruneseconde.»

Ellesedirigeaverslecombinédansunsilencedemort.Ellesentaittouslesregardsbraquéssurelle.Heureusement, lorsqu’elleappuyasur leboutondemiseenattentequiclignotait, laconversationrepritenfinderrièreelle.LesassociésdeVictorrirentcomplaisamment,probablementàl’unedesesblagues.

«KateBaronàl’appareil.−Oui,madameBaron,réponditlafemmeàl’autreboutdufil.C’estmadamePearl,laCPEdeGrace

Hall.»Unappelurgent.Commentsefaisait-ilquesafilleneluiaitmêmepastraversél’esprit?«IlestarrivéquelquechoseàAmelia?»Lesbattementsdesoncœurs’étaientaccélérés.« Non, non, elle va bien, répondit Mme Pearl avec un soupçon d’agacement. Mais il y a eu un

incident.Ameliaestexcluependanttroisjours,c’estunesanctionimmédiate.Ilvafalloirquevousveniezsignerunefichedesortieetquevouslarameniezàlamaison.

−Exclue?Quevoulez-vousdire?»Amelian’avaitjamaiseudeproblèmedetoutesavie.Sesprofesseursnetarissaientpasd’élogesà

sonpropos:brillante,créative,réfléchie,concentrée.Elleexcellaitensportetétaitinscriteàtouteslesactivitésextrascolairesimaginables.ElleétaitbénévoleunefoisparmoisàCHIPS,unesoupepopulairelocale, et apportait régulièrement son aide lors des manifestations organisées avec le lycée. Excluetemporairement?Non,pasAmelia.Kate,malgréson travailaccaparant,connaissait sa fille.Vraiment.Ilyavaiterreur.

«Oui, Amelia a été exclue trois jours, répétaMme Pearl, comme si cela répondait à la questionpourquoi.Pourdes raisonsévidentes,nousnepouvons la laisserpartirqu’avecunparentouun tuteur.Celavouspose-t-ilproblème,madameBaron,devenir lachercher?NousavonsconsciencequevoustravaillezàManhattanetquelepèred’Amelian’estpasdisponible.Maismalheureusement,lerèglementscolaireestcequ’ilest.»

Kate s’efforçait de ne pas semettre sur la défensive. Elle n’était même pas sûre de percevoir lemoindre jugement dans la voix de Mme Pearl. Seulement, au fil des ans, elle avait subi son lot dequestionsgênantes,deregardsinterrogateursetdedésapprobationàpeinedéguisée.Sespropresparentssemblaienttoujoursconsidérersadécisiondemeneràtermesagrossessenondésirée,alorsqu’elleétaitencoreà la facultédedroit, commeune formeparticulièrementperversededémencecriminelle.Eteneffetcettedécisionneluiressemblaitpas.Savieentière,Kateavaittoujoursfaitlabonnechoseaubonmoment, dans tous les domaines, excepté celui des hommes.À dire vrai, avec les hommes, elle avaittoujoursmanqué de perspicacité. Cependant, garder son bébé n’avait pas été une décision prise à lalégère,etellenelaregrettaitpas.

«J’arrivetoutdesuite,jeparsimmédiatement.Maispouvez-vousaumoinsmedirecequ’elle…»Kates’interrompit, l’avocateenelle lui rappelant soudainqu’elledevaitchoisir soigneusement ses

mots.Ellen’étaitpasprêteàadmettrelaculpabilitédesafille.

«DequoiAmeliaest-elleaccusée,aujuste?− J’ai bien peur que les questions disciplinaires ne puissent être abordées au téléphone, répliqua

MmePearl. Il y a des règlesde confidentialité, desprocéduresmises enplace. Je suis sûrequevouscomprenez.M.Woodhouse, le proviseur, vous donnera les détails tout à l’heure. Vous pensez arriverquand,exactement?»

Kateregardasamontre.«Jeserailàdansvingtminutes.−Sic’est lemieuxquevouspuissiez faire, repartitMmePearld’un tonqui laissaitpenserqu’elle

auraitpréférédirequelquechosedenettementmoinsconciliant.J’imaginequeçaira.»Vingt minutes, c’était extrêmement ambitieux. Victor avait bruyamment protesté quand Kate avait

essayédeconclurelaréunionenavance.Aufinal,ellen’avaiteud’autrechoixqued’appelerJeremy.«Jedétestefaireça», luidit-elleenvenantàsarencontredanslecouloirquimenaità lasallede

conférences.Etc’étaitvrai.Elledétestaitpartirainsienpleineréunion.C’étaitquelquechosequeDaniel− son

anciencamaradedelafacultédedroitultracompétitifetdésormaiscoassociéjunior,sansenfantetdepuislongtempsdivorcé−n’auraitjamaisfait,quandbienmêmeilauraitétévictimed’unehémorragieinterne.

«Maislelycéed’Ameliaaappelé.Jedoisallerlachercher.− Pas de problème. D’ailleurs, tu viens juste de m’épargner un rendez-vous avec Vera et les

entrepreneurs qui s’occupent de notre nouvel appartement. Je préfère de loin une réunion client avecAttila le Hun à une conversation sur les murs porteurs », la rassura Jeremy avec un de ses fameuxsourires.

Il passa la main dans ses cheveux prématurément argentés. Il était grand, séduisant et, commed’habitude,d’allureélégantedanssachemiseàrayuresroses.

«Toutvabien?−Jenesaispas,réponditKate.ApparemmentAmelias’estmisedansjenesaisquelpétrin,maisça

n’apasdesens.Ellen’estpasdugenreàs’attirerdesproblèmes.− Amelia ? Je viens juste de chanter ses louanges dans ma lettre de recommandation pour le

programmed’étédePrinceton,alorsjenesuispeut-êtrepasobjectif,maisjen’ycroispasuneseconde.»Jeremyposaunemaincompatissantesurl’épauledeKateetsouritdenouveau.« Tu connais ces écoles privées. D’abord elles accusent, ensuite elles posent des questions.

Qu’importecequis’estpassé,jesuissûrqu’ilyauneexplicationlogique.»Iln’enfallutpasplusàKatepoursesentirunpeumieux.C’étaitJeremytoutcraché:toujourslemot

juste.Justeetmanifestementsincère,mêmeauxoreillesdeKate,quipourtantleconnaissaitbien.«Victorest furieux,commenta-t-elleendésignant laporteclosede lasalledeconférences.J’aiun

peul’impressiondetejeterenpâtureauxloups.−Net’inquiètepas.»Ileutungestenonchalantdelamain.Ilpouvaittravaillerjusqu’àl’aubeavantd’enchaînerautribunal

avecunecauseperdue faceàunadversaireagitéetunclient insatisfait sans jamaissedépartirdesonattitudeon-est-tous-copains.

«JepeuxgérerVictorStarke.Vadonct’occuperd’Amelia.»Kateavaitoptépourlemétroafind’éviterlesbouchonsduquartierdeMidtown,maiselleavaittout

demêmequarante-cinqminutesderetardquand,sansprévenir,laramedelaligne2s’arrêtabrutalement,justeavantNevinsStreet.Cinquante,cinquante-cinqminutes,voilàleretardqu’ellefiniraitparavoiren

arrivantàGraceHall.Sielleavaitdelachance.Nuldoutequelelycéel’interpréteraitcommeunsignedenégligenceàl’égarddesafille.Mèreenretard,enfantdélaissée.Lepasétaittrèsvitefranchi.

Pluselleyréfléchissait,pluselleétaitconvaincuequecedontonaccusaitAmeliadevaitêtregrave.Grace Hall s’enorgueillissait d’être progressiste, ouvert d’esprit, à l’écoute des élèves. Fondé deuxcents ans plus tôt par un groupe d’intellectuels new-yorkais − dramaturges, artistes et hommespolitiques −, cet établissement était révéré pour l’excellence de ses enseignants et son programmeartistiquesanspareil.Mêmesionlerapprochaitsouventdelavieilleavant-gardedesécolesprivéesdeManhattan−Dalton,Collegiate,Trinity−,GraceHallétait situéàBrooklyn,etavaitdoncdes racinesplus bohèmes. De ce fait, le lycée évitait les manuels et les évaluations standardisés, leur préférantl’apprentissageempirique.Étantdonnélasouplessedurèglement,Katen’arrivaitpasàimaginerlegenredechosequ’unélèvedevaitfairepourmériteruneexclusion.

Soudain,letrainsifflaettressautasurunmètreoudeux,avantdes’arrêterdansuneultimesecousse.Kateregardasamontre.Uneheurecinqderetard,aubasmot.Etilrestaitencorequatrearrêts.Putain.Elleétaittoujoursenretard,pourtout.Impatiente,elleselevaetserapprochadesportesdesortie,peuàpeuenvahieparledoute.

Ces derniers temps, Amelia s’était montrée distraite, voire légèrement caractérielle. Elle avaitquinzeansetlessautesd’humeurétaientpropresàcetâge,maisilluiavaitsembléqu’ilyavaitplusqueça. Les questions au sujet de son père, par exemple. Apparemment, l’explication habituelle de Kateconcernant l’absencepaternelle−aprèsuneseuleetuniquebrève rencontre, ilétaitalléenseignerauxenfantsduGhanaetn’était jamaisrevenu−ne tenaitplus la route.Etpuis, lematinprécédent,Ameliaavaitdemandéàparticiperàcestupideprogrammed’étudesàl’étrangerpendantunsemestre.

«Maman,tunepourraispasm’écouter,là,justeuneminute?»Amelia,brascroisés,étaitappuyéecontreleplandetravaildelacuisine,dansleurétroitemaisonen

grèsbrun.Avecseslongscheveuxblondsquitombaientenvaguessursesépaulesetsesyeuxmiraculeux−unbleu,unnoisette−quibrillaientdanslalumièrechaudedumatin,elleparaissaittellementplusâgée,tellementplusgrandequ’unpetitjourplustôt.Avecsespommetteshautesetsonvisageenformedecœurhérités de sa mère, c’était une belle fille. Et sexy qui plus est, dans le pantalon taille basse et ledébardeurmoulantqu’elleportaitcejour-là.Heureusement,ellerestaitencoreunpeugarçonmanqué.

«Oui,Amelia,jepeuxt’écouteruneminute»,avaitréponduKateens’efforçantàlapatience.À en croire l’air affligé de sa fille, la proposition de voyage aux Bermudes que Kate venait de

suggérerpourThanksgivingl’enchantaitautantqu’uneinvitationàpasserunweek-endchezledentiste.«Jesuistoujourslàpourt’écouter.−JeveuxpasserleprochainsemestreàParis,avaitdécrétéAmelia.−Paris?»Kate avait enfoncé son ordinateur portable et trois ou quatre dossiers dans son sac avant de se

remettreàlarecherchedesontéléphone,qu’elleavaitcrulaissersurleplandetravail.Elles’étaitpasséunemaindanslescheveux,sousleregardinsistantdesafille.Ilsétaientencoremouillés,etpourtantelleauraitpujurerselesêtreséchés.

«Pendanttoutunsemestre?EtParisestsiloin.»Malgrésesefforts,l’agacementlagagnait.Ilétaitdifficiledenepassedirequ’Ameliainsistaitpour

avoircettediscussionjustementparcequ’ellesavaitsamèredéjàenretard.Katesedemandaitparfoissisafillenesemontraitpasplusstratégiquequecequ’ellevoulaitcroire.Elledisaitouiàbeaucoupdechoses− sorties tardives, nuits chez des amis, fêtes− parce que Amelia lui demandait l’autorisationquandelleétaitstresséeoupressée.MaisunsemestreenEurope,c’étaituneautrehistoire.Ellen’allaitcertainementpascédersimplementparcequeçaauraitétéplussimple.Orçal’auraitété.Etdebeaucoup.

«Jevoispascequeçachange.»Ameliaavaitémisunsongutturalexaspéré.«T’es jamais là,detoutefaçon.»

D’ordinaire, le temps queKate consacrait à son travail n’était pas un sujet de récrimination.Kateavaittoujourssupposé−espéréétaitpeut-êtreunmeilleurterme−quecelas’expliquaitdanslamesureoù Amelia n’avait jamais rien connu d’autre que cette vie avec une mère célibataire à la carrièreexigeante.Cependantellesepréparaittoujourspsychologiquementàcequesafilleressentetoutdemêmedesvides,malgréseseffortsdésespéréspourlescomblerd’unamourdébordant.

«Amelia,jet’enprie,cen’estpasjuste.Etpuisunsemestreàl’étranger,çasefaitàlafac,pasaulycée.

−Ceseraitéducatif.»Kateavaitdévisagésafille,espérantdécelerunsoupçond’humourdanssonregard.Rien.Elleétait

parfaitementsérieuse.«Amelia,j’aimeraisvraimentpouvoirfairesautermaréunionpourrestericietendiscuteravectoi,

avaitassuréKate.Maisfranchementc’estimpossible.S’ilteplaît,pourrait-onenparlerpluslonguementcesoir,quandjerentreraiàlamaison?

−Tun’asqu’àdireoui,maman!»avaithurléAmelia,faisantsursauterKate.Safillen’étaitpasdugenreàcrier,etcertainementpascontreelle.

«C’estsuperfacile,écoute:oui.Tropsimple.»Çayest,avaitsongéKate.C’estofficiellementuneadolescente.Àpartirdemaintenant,cenesera

plusnousdeuxcontrelerestedumonde,maisellecontremoi.Lepiredanscettedispute,c’estqueKateétaitfinalementrentréetroptardlesoir−encoretroptard,

toujourstroptard−pourreparlerdeceprojetdeséjouràl’étranger.Parcontre,lelendemainmatinauréveil− cematin-là,donc−, elle s’était tenueprête.Elle s’étaitmême levée tôt exprès –même si saréunionavecVictorpromettaitfortd’êtrel’unedesplusstressantesdesacarrière−,defaçonàavoirtoutle loisir de discuter de Paris avec Amelia. Elle avait décidé de camper sur son refus initial, maisde proposer d’aller y passerNoël. Elle avait aussi prévu de s’excuser de ne pas être davantage à lamaison, surtout ces derniers temps.Certes, elle était parvenue àmaintenir leurs dîners du vendredi etleurssoiréescinémadudimanche.Maisleursexcursionsduweek-endsefaisaientdeplusenplusrares.

Depuis qu’Amelia était toute petite,Kate s’était toujours efforcée d’organiser aumoins une sortiechaqueweek-end:unspectacleàBroadway,uneexpositionauMet,lefestivaldescerisiersenfleuraujardinbotaniquedeBrooklyn,ouencorelaMermaidParad2àConeyIsland.Hélas,c’étaitdevenuplusdifficiledepuisquel’affairedel’AssociatedMutualBankavaitcommencéàsecompliquer,sanscompterqu’Amelia,desoncôté,multipliaitlesactivités:lehockeysurgazon,leclubdefrançais,lebénévolat,lesamis.Depuisquelquetemps,elledonnaitl’impressiond’avoirconstammentrendez-vousquelquepart.

Katesetenaittoujoursprèsdesportesdumétro,examinantsonrefletfatiguédanslahautevitre,quandlavoixautomatiséeduchefdetrainsefitentendredansleshaut-parleurs:

«Nous sommes temporairement immobilisés suite à un encombrement sur la ligne.Merci de bienvouloirpatienter.»

Finalement,aprèstantd’inquiétudeetdepréparation,iln’yavaitpaseudeconversationavecAmeliaausujetdesonboulot,deParis,nidequoiquecesoitd’autre:safilleavaitsimplementdescendulesescaliersd’unpasnonchalant,rayonnante,endisantqu’enfindecompteellen’avaitpasenvied’alleràParis. Bien sûr, ce brusque changement d’avis lui avait semblé suspect. Kate ne croyait toujours pasqu’Ameliapouvaitavoirfaitquelquechosedesuffisammentgravepourjustifieruneexclusion,mais,vulecomportementfantasquequ’elleavaiteucesdeuxderniersjours,unpetitécartn’étaitpasimpossible.

Elleregardadenouveausamontre.Uneheuredixderetard.Merde.Ellefaisaitvraimentunemèreépouvantable.C’étaittroppourelle,dedevoirjonglerseuleentresonboulotetsonrôledeparent.Ellen’avaitaucunemarged’erreur. Ilexistaitd’autrespostesde juristequi luiauraient fournidavantagedeflexibilité;moinsd’argentaussi,mêmesiAmeliaetelleauraientpuvivreavecbeaucoupmoins.L’argentn’étaitpas lavéritable raisonpour laquelleKateconservait ce travail,de toute façon.Elleaimait sonboulot,elleyétaitdouée,illafaisaitsesentircompétenteetsereine.Laréussite−d’aborduniversitaire,ensuite professionnelle− lui avait toujours insufflé ce sentiment : la sécurité.Et c’était primordial vuqu’iln’yavaitpasdechevalierenarmurerutilanteàl’horizon.

NonpasqueKateaitétéàlarecherched’unsauveur.Ellenecherchaitpersonnetoutcourt.Aufildesans,elles’était rendueàplusieursrendez-vous,pousséeparuneespèced’obligationmorale.Desamisavaientaussisouventessayédelacaser.Seulement,ellen’avaitjamaiseudechancedansseshistoiresdecœur,niaulycée,nienlicence,niàlafacdedroit.Defait,sarelationlaplussaineavaitétéavecSeth,dontleprincipaldéfautétaitdes’êtrerévélégay.Avantlui,Kateavaiteud’autrespetitsamis,engénéraldugenredistantsur leplanaffectif.Aumoinsétait-elledésormaissuffisammentmûrepour reconnaîtrequesesgoûtscalamiteuxenmatièredepartenairesétaiententièrementliésàsonéducation.Hélas,ellenepouvaitrienyfaire.

Àcetteépoque,ellecommençaitàsedemandersileshommesavecquiellesortaitn’étaientpaslesbonsousi,entreAmeliaetsonboulot,ellen’avaitpassuleuraccorderassezdeplace.Quoiqu’ilensoit,rien–personne−n’étaitjamaisresté.Etlavieenavaitpresquesembléplusfacile.Saufquemaintenant,à trente-huit ans, son bébé accidentel− charmante expression que samère employait à tout-va,mêmedepuisqu’Ameliaétaitenâgedecomprendre−risquaitfortd’êtresonseulbébé.L’idéed’êtrelamèred’un enfant unique ne lui semblait pas fondamentalement mauvaise, pour une raison essentiellementéconomique,etdoncpeurecevable.

Letempsquelemétros’arrêteenfinàGrandArmyPlaza,Kateavaituneheureetquartderetard.Ellesautaduwagondèsl’ouverturecrissantedesportesets’élançaversl’escalierdesortie,lecœurbattant.

Parvenuesurletrottoir,laluminositéluifitclignerdesyeux.Unemainenvisière,ellemarchad’unpasvif,tournantdansProspectParkWest.CetterueàdeuxvoiesensensuniqueétaitcalmeàcetteheuredelajournéeetlestalonsvertigineuxqueKateréservaitauxréunionsclientsclaquaientbruyammentsurlebéton.Leparc,avecsesérablesauxcouleursvivesdefinoctobre,setrouvaitsursagauche,del’autrecôté de la rue. Les feuilles avaient commencé à tomber, formant une épaisse crête le long du murd’enceinte.Çafaisaituneéternitéqu’ellen’yavaitpasmislespieds.

MalgréquinzeanspassésàParkSlope,elle se sentait toujourspluschezelledanssonbureauquedanssonproprequartierdeBrooklyn.Elleavaitvouluunendroitdouillet,amicaletouvertpouréleverAmelia,critèresauxquelsParkSloperépondaitindéniablement.Pourtant,lesmilitantsdelaFoodCoop3,lestasdedéchetsrecyclablesattendantlepassagedeséboueursetlestribuscompactesdefamillesbobosrassembléessurlesairesdejeuxjouxtantleursmaisonsengrèsàplusieursmillionsdedollarsn’étaientencorepourellequelesdétailscharmantsdelaviedequelqu’und’autre.

Loin devant elle, deuxmamans typiques du quartier, séduisantes et urbaines sans être ouvertementbranchées, bavardaient à la sortie du parc, unemain sur une poussette de jogging aux lignes épurées,l’autre tenant un bambin, une bouteille d’eau écolo trônant dans le porte-biberon. Elles riaient enmarchant,sanssesoucierdespetitsquileurtiraientlebras.Enlesregardant,Kateavaitl’impressionden’avoirjamaiseud’enfant.

Elleavaittoujoursimaginéavoirunefamille.Aumoinsdeuxenfants,voiretrois.Audépartelleavaitespéré éviter de n’en avoir qu’un, étant donné qu’elle avait elle-même souffert d’être fille unique.Cependant,elleavaitfiniparprendreconsciencequecelan’impliquaitpasforcémentdeletraiterdèsla

naissance comme un adulte miniature. Elle avait également supposé que, quel que soit le nombred’enfants qu’elle aurait un jour, ils viendraient plus tard. Beaucoup, beaucoup plus tard. Elle allaitd’abordseconcentrersursacarrière,prendredugalon,commesamère,Gretchen−professeureéméritede neurologie à la faculté demédecine deChicago−, le lui avait inculqué. La carrière d’abord, desenfantsseulementsionaletemps.

Sa vie avait pourtant pris un tour différent. Au final, elle avait rejeté toutes les « options » queGretchenluiavaitlourdementconseilléesafinde«gérer»cette«situationmalheureuse».CarsiKateadmirait la réussite professionnelle de sa mère, elle n’avait aucune envie de l’imiter dans les autresdomaines.Non,elleavaitprissagrossessecommeunsigne,signequ’ilauraitétédangereuxd’ignorer.Maisaussicommeunechanced’avoirquelquechoseenplus.

Lamaternité, évidemment, avait été difficile : elle se retrouvaitmère célibataire à l’âge de vingt-quatreans,sansavoirencoreterminésesétudesdedroit.Pourtantelleavait−ellesavaient− survécu.KateetAmeliaavaienttrouvélevéritablesalutenlapersonnedeLeelah,lanounouquis’étaitoccupéed’Ameliapendantquinzeans,sansinterruption.Lachaleur,lacompassionetl’excellentecuisinedecettefemmeleuravaientvraimentmaintenulatêtehorsdel’eau.C’estavecgrandregretqueKateavaitréduitses heures au seulménage pendant qu’Amelia était en cours.Cette dernière insistait depuis l’automneprécédent,disantqu’elleétait tropâgéepouravoirunenounou,etKateavaitfiniparcéder.CependantLeelahleurmanquaitàtouteslesdeux:àAmeliaplusqu’ellenevoulaitl’admettre,àKateparfoisau-delàdusupportable.

Katemarquaunepausequand lesdeuxmèresdevant elle traversèrent la rue, puis les suivit quandelles se dirigèrent versGarfield. Elle observait leurs hanches étroitesmoulées dans leur pantalon deyoga,leurshautesqueues-de-chevalquisebalançaientàl’unissondedroiteàgauche.

«Regardetouscescamionsdepompier»,s’exclamal’uneens’arrêtantsibrusquementàl’angledelaruequeKatefaillitpercutersonpostérieursculptéàlaperfection.«Ilssontaulycée?

−OhmonDieu,j’espèrequenon,répliqual’autreensedressantsurlapointedespiedspourmieuxvoir.Entoutcasiln’yapasdemouvementdepanique.Cedoitêtreunefaussealerte.»

Kate porta son regard sur les camions de pompier qui bloquaient la moitié de Garfield Street.Ilsétaientgarésdevantuneentrée latéraledu lycéedeGraceHall,unvieilhôtelparticulier richementdécoréquiressemblaitàunegrandebibliothèquepublique.Plusieursvoituresdepoliceétaientrangéesdevantlesbâtimentsducollègeadjacent,deuximmeublesengrèsbrunrachetésilyafortlongtempsetrestaurés dans un style similaire. Les pompiers occupaient le trottoir, bavardant en groupes, appuyéscontreleurscamions.

Uneambulancese trouvaitégalementstationnée là,gyrophareséteints,portièrescloses.S’ilyavaiteffectivement euun feuouquelque autreurgence, c’était désormais terminé.Oupeut-être s’était-il agid’une fausse alerte. Amelia n’aurait pas déclenché l’alarme incendie, tout demême ? Non, seuls lesjeunesdélinquantsselivraientàcegenred’exaction.Qu’importel’humeurd’Ameliacesdernierstemps,qu’importecequisecachaitderrièrecetteabsurdeidéedepassersonannéedepremièreàl’étranger,etquellequesoitl’intensitédesabrusquecriseexistentielleausujetdesonpèreabsent,Amelian’étaitpas,etneseraitjamais,unejeunedélinquante.

Kate prit une grande inspiration et expira bruyamment, ce qui fit sursauter et se retourner la plusgrande des deuxmères.Celle-ci serra plus fort contre elle sa fillette au visage d’angelot vêtue d’unedoudounerose.Kateeutunsouriregênéquandellelescontourna.Elleessayaitdevoircequisepassaitderrière l’ambulance. Là, sur le côté, un policier en uniforme s’entretenait avec une vieille dame auxcheveuxgrisvêtued’unlongpullmarron.Ellepromenaitunminusculechientremblotantets’étreignaittrèsfortlesbras.

Onn’interrogepaslesgenspourdeshistoiresd’alarmeincendie.Katelevalesyeuxverslesfenêtresdessallesdeclasse.Oùétaientlesélèves?Ceuxdontlesvisagesauraientdûêtrecollésauxcarreaux,enquêted’informationssurcebranle-basdecombat?Kateapprochamalgréelle.

«Donc c’est d’abord le cri que vous avez entendu, s’enquérait le policier auprès de la dame auxcheveuxgris,oulebruit?»

Cri.Bruit.Katevitdeuxpolicierssortirdulycéeparl’entréeprincipale,descendrelesmarchespuisbifurquerdanslacourlatérale.Enlessuivantduregard,ellecompritenfinquec’étaitlàquesedéroulaitla véritable action. Au moins une dizaine d’agents étaient regroupés à cet endroit. Et toujours aucunmouvementd’agitation.Celaneluiparaissaitplusêtrebonsigne.Aucontraire,même.

«Madame,luilançaunevoixforte,justedansl’oreille.Jevaisdevoirvousdemanderderetournerdel’autrecôtédelarue.Cettezonedoitresterlibre.»

Il y avait aussi une main sur son bras, dure, antipathique. Kate se retourna et vit un gigantesquepolicierquiladominaitdetoutesahauteur.Ilavaitunvisagejouffludepetitgarçon.

«Jesuisdésolé,madame,répéta-t-ilavecunpeumoinsd’agressivité.Cecôtédelarueestferméauxpiétons.

−Maismafilleestàl’intérieurdulycée.»Elle se retourna vers le bâtiment.Colis piégé, alerte à l’anthrax, fusillade− où étaient passés les

enfants?Soncœurs’affolait.«Ilfautquej’aillecherchermafille.Jesuiscenséelefaire.Onm’aappelée.Jesuisdéjàenretard.»L’hommeladévisagealonguement,commes’ilavaitvouluqu’elledisparaisse.« D’accord, je dois pouvoir aller vérifier, finit-il par répondre, l’air sceptique.Mais vous devez

quandmêmeallerattendrelà-bas.»Ildésignal’autrecôtédeGarfield.«Comments’appellevotrefille?−Amelia.AmeliaBaron.Lebureauduproviseurm’aappeléepourmedirequ’elleavaitétéexclue.

Onm’ademandédevenirlachercher.»Kate regretta aussitôt d’en avoir dit autant. L’homme serait peut-être moins enclin à l’aider s’il

pensaitqu’Ameliaétaitunefauteusedetroubles.Voirelafauteusedetroubles.«Attendez,luilançaKate,avantdepartir,pourriez-vousaumoinsmedirecequis’estpassé?−C’estcequenousessayonsdedéterminer.»Sa voix se perdit comme il se retournait pour scruter un instant le bâtiment. Puis il reporta son

attentionsurKateettenditdenouveauledoigt.«Maintenant,allezlà-bas.Jerevienstoutdesuite.»Ellen’obtempérapas.Aulieudecela,ellesedressasurlapointedespiedspouressayerdesavoirce

qui se tramait dans la cour. Elle constata qu’il y avait là plus d’une dizaine d’agents − certains enuniforme, d’autres en costume sombre −, regroupés près de la façade du bâtiment, leurs dos alignésformantunmurconvexe.Onauraitditqu’ilsdissimulaientquelquechose.Quelquechosed’affreux.

Quelqu’unavaitétéblessé,oupire.Elleenavait lacertitudeàprésent.Yavait-ileuunebagarre?Uneballe perdue ?On était dans le quartier chic deBrooklyn,mais ça restaitBrooklyn.Cegenre dechosesarrivait.

Dèsquelepolicierquil’avaitarrêtéeeutfranchil’entrée,elleseruaverslabarrièrequifermaitlacourlatérale.Desagents,unemainenvisière,balayaientduregardlafaçadedubâtiment,jusqu’autoit.Katelesimita.Ellenevoyaitrien,hormislevieuxmurenpierreparfaitemententretenu.

Lorsqu’ellebaissalesyeux,lespolicierss’étaientdéplacés.Etlà,aucentredeleurcercleprotecteur,ilyavaitunebottine.Noire,àtalonplat,râpée,ellegisaitlàsurlecôté,pareilleàunanimalabattu.Mais

ilyavaitaussiautrechose,quelquechosedebeaucoupplusgros.Recouvertd’undrap.Le cœur de Kate battait à tout rompre tandis qu’elle s’agrippait aux barreaux de fer forgé. Elle

observadenouveaulabottine.C’étaitlestyledechaussuresquedenombreusesadosportaientavecdesjeansmoulantsoudesleggings.Maiscellesd’Ameliaétaientmarron,non?Elleauraitdûlesavoir.Elleauraitdûsavoirlacouleurdeschaussuresdesafille.

«MadameBaron?»lançaalorsunevoixmasculine.Kate fit volte-face, s’attendant à ce que le policier au visage poupin lui dise qu’elle n’avait pas

respectéleslimitesqu’illuiavaitindiquées.Enfait,derrièreellesetenaituntypeséduisantdugenreduràcuire,vêtud’unjeanetd’unsweat-shirtàcapuche.Ilavaitàpeuprèsl’âgedeKate,unpuissantvisagecarré,lecrânerasédeprèsetl’énergiecontenued’unboxeur,voired’uncriminelsurlepointdeprendrelatangente.Unbadgependaitàuneficelleautourdesoncou.

«VousêtesKateBaron?»demanda-t-ilens’approchantd’unpas.IlavaitunaccentdeBrooklynassezmarqué,parfaitementenaccordavecsonalluregénérale.Mais

il s’efforçait à la douceur.Kate n’aimait pas sa façon d’essayer de ne pas la brusquer. Ça la rendaitnerveuse.Derrièrelui,ellevoyaitlepolicierenuniformeauquelelleavaitparléjusteavantquisetenaitsurlesmarchesencompagnied’unefemmeauxcheveuxgrisportantdeslunettesdelecturerouges.Ilsladévisageaient.

«OùestAmelia?»s’entendit-ellehurler.Ouétait-cequelqu’und’autre?Onauraitditsavoix,maisellen’avaitpassentilesmotssortirdesa

bouche.«Ques’est-ilpassé?−Jesuisl’inspecteurMolina.»IltenditlamainmaisarrêtasongestejusteavantdelaposersurlebrasdeKate.Untatouage−une

croix−pointaitsouslamanchedesonsweat-shirt.«Pouvez-vousveniravecmois’ilvousplaît,madame?»Quelquechosen’allaitpas.Ellen’avaitaucuneenviedesuivrecetinspecteur.Ellevoulaitqu’onla

fassedégager.Qu’onl’envoierejoindretouslesautresbadauds.«Non.»Ellefituneembardée.Soncœurbattaitlachamade.«Pourquoi?−Toutvabien,madame»,répondit-ilenl’attirantverslui,unemainfermementposéesursoncoude.Savoixétaitdésormaisplusbasse,plusprudente,commesiKateavaitunehorribleplaieaucrâne

dontellen’avaitpasconscience.«Venezdoncvousasseoirparlàavecmoi.»Kate ferma les yeux et tâchadevisualiser les piedsd’Amelia cematinquand elle avait franchi la

ported’unbond joyeux.Lesmères sont censées savoirquelgenrede chaussuresportent leurs enfants.Ellessontcenséesvérifier.Kateavaitlatêtequitournait.

« Jeneveuxpasm’asseoir, rétorqua-t-elle,deplusenpluspaniquée.Dites-moi justecequinevapas.Dites-le-moiimmédiatement!

−D’accord,madameBaron,d’accord,réponditdoucementl’inspecteurMolina.Ilyaeuunaccident.−MaisAmeliavabien,n’est-cepas?»imploraKate,appuyéecontrelabarrière.Pourquoinesedépêchaient-ilspas?Pourquoi l’ambulancerestait-elleplantéelà?Oùétaientdonc

touslesgyrophares?«Illefaut.J’aibesoindelavoir.J’aibesoind’elle.Oùest-elle?»

Kateauraitdûcourir.Elleenétaitsûre.Ilfallaitqu’elleailletrèsloin,làoùpersonnenepourraitrienluiannoncer.Mais,aulieudeça,ellesombrait,glissantjusqu’autrottoirduretfroid.Ellerestaprostréelà,lesgenouxcontrelapoitrine,labouchepresséefortsurlesgenoux,commeenvued’unatterrissagecatastrophe.

Cours,sedisait-elle,cours.Maisilétaittroptard.Et pendant un ultime moment interminable, il n’y eut que le bruit des battements de son cœur.

Lapressiondesonmincepantalonmoulant.«Votrefille,Amelia…»L’inspecteurétaitaccroupiàcôtéd’elleàprésent.«…elleesttombéedutoit,madameBaron.Elleétait…ellen’amalheureusementpassurvécuàsa

chute.Jesuisdésolé,madameBaron,maisvotrefille,Amelia,estmorte.»

gRaCeFULLY12SEPTEMBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com.SortezdulotSalutlesbouffons!Mevoilàavectouslesragotsquevousnelirezjamaisdanslesjournaux…Ah,lesclubs.C’estlàoùvoustous,escaladeursdésespérésdel’échellesociale,allezpeut-

êtreenfinmettrevosmainsmoitessurlebarreausupérieur.Souvenez-vousseulementqu’iln’ya franchement aucunhonneur à ce que vos nibards ou votre zob soient comparés à ceux del’autrebizutàcôtédevous,mêmesiçafaitjenesaiscombiendecentainesd’annéesqueçasepratique.

Enfin bon, peut-être que je dis ça juste parce que j’attends toujours d’être raccordée auréseau.

LarumeurcirculequelesTudorsetDevonkillessaientdeboosterleurimageenfaisantdubizutagehardcore;cetteannée,chezlesMagpies,ilvayavoirdunouveaudanslavolière,etWolf ’sGateseréserveunegrandeinvasionbritannique.

À propos d’invasion britannique, combien de personnes IanGreene va-t-il tringler ?Cen’est que la deuxième semaine de cours, or d’après ce que j’ai entendu il approche déjà lenombreàdeuxchiffresetilresteencoreunelonguequeuededamoisellesquiattendentdesefaire sauter : SylviaGolde, SusanDolan etKendallValen, nos catins à demeure, pour n’ennommerquetrois.

EtDylanCrosby?Lachère, lamagnifique, lamystérieuseDylan?Non, ellene faitpaspartie du lot. Avec qui fricote-t-elle, je ne sais pas trop, mais c’est pas le genre à faire laqueue.

D’aprèslarumeur,GeorgeMcDonnelletHannahAlbertontenfinconsomméleurobsessionmutuellevieillededixans.EtCarterRoseadesvuessurunefrigidedeseconde.Oh,pauvreCarter,netepliepasenquatre.Cetteceinturedechasteténes’ouvrepouraucunhomme.

Restez à l’écoute, mes cocos. J’ai un scoop de ouf à propos de la liste d’élèves sur lasellette…JepensequejelapublieraideAàZdansleprochainnuméro.Enfinquoi−àmonhumbleavis−,quandonn’estpas foutudegarder la têtehorsde l’eaudansunbahutaussipeinardquecelui-là,onméritelariséepublique.

Facebook14SEPTEMBRE

AmeliaBaronN’arrivepasàcroirequesameilleureamiel’aitpersuadéedeporterunjeanmoulantunjourdecanicule

GeorgeMcDonnellet2autrespersonnesaimentçaSylviaGolden’arrivepasàcroirekesameilleureamiesoit1nullitéaussimonumentaleenmatièredemode;tudevraismeremerciertusais…

AMELIA

14SEPTEMBRE

Jen’avaispasfinidedescendrelesmarchesdenotreperronquejevoyaisdéjàSylviaquim’attendaitàl’endroithabituel:àl’angledeGarfieldetdelaHuitièmeAvenue,lecroisementleplusproche.SylviahabitaitBerkeley,entrelaSeptièmeetlaHuitièmeAvenue,àuncoinderuedurestochinoisChezWontonettoutprèsd’Ozzie’s,lecaféoùonvousressertparfoisgratosduchocolatchaudetoùilyad’énormesmorceauxdebiscuitsendégustationpresquetouslesjours.ÇafaisaitquatreansqueSylviaetmoi,onseretrouvaittouslesjoursaumêmecarrefourpourallerensembleaubahut.Quatreansplustôt−onenavaitonze−, lamère deSylvia s’était résolue à la laisser aller à l’école à pied toute seule.Elle lui avaitd’abordfaitpassertouteunebatteriedetests:quoifaireencasd’urgence,auprèsdequiallerchercherdel’aide,quoifairesiquelqu’unessayaitdelakidnapper.

Mamèrem’avait enfinautoriséeàallerà l’écoleàpied toute seule lamêmeannée.Elleavait sesproprestests.Qu’elleavaiteus,jecrois,parlamèredeSylvia.J’adoremamère,maislaplupartdesesidéessurlamanièred’êtremère,ellelestientd’autresmères.Engros,toutcequeSylviaavaitledroitdefaire,j’avaisledroitaussi.

Parcontre,commeSylvian’avaitjamaiseudenounou,jen’avaispucompterquesurmoi-mêmepourmedébarrasserdeLeelah. Je l’aimaisbienet tout,maisquelélèvedesecondeaencoreunenounou?C’étaitçaengrosmonargument.J’étaiscommedinguequandmamèreavaitenfinditoui.Maintenantquelescoursavaientcommencé,c’estvraiqu’ellememanquaitunpeu,Leelah.Jamaisjenel’auraisditàmamère− je n’avais pas envie qu’elle aitmauvaise conscience ouquoi−,mais ça faisait bizarre d’êtreseule,genretoutletemps.

J’aifaitunsignedelamainàSylvia,quim’aadresséundesessalutspluscoolt’aslesboules,deuxdoigts tendus. C’était la deuxième semaine de septembre, mais il régnait encore cette chaleur new-yorkaiseécœurantequidonnel’impressiondemarcherdansdelasoupeetquirépandpartoutuneodeurde poubelle et de pisse.Mais il fallait plus qu’un petit coup de chaud à Sylvia pour l’empêcher deparaderdanssonnouveaulookd’automne.LesfringuesétaientpourSylviacequelesbouquinsétaientpourmoi : la seule chose qui comptait vraiment.Elle était donc là, plantée au coin de la rue en jeanmoulant,sandalesàsemellescompenséesetlongpullsansmanches.Sansmanches,certes,maisunpullquandmême.Ellemel’avaitmontrél’après-midiprécédent:ilavaitunechouettecouleuraubergineetungrandcolsouple.Fashionetunpeubizarre,legenredetrucdanslequelj’auraiseul’airdébile.MaissurSylvia,çamarchaitnickel.

Jeluiairépondud’ungestetoutenfourrantLaServanteécarlatedansmonsac−jefiniraisdelelireàmidi.C’étaitlapremièreannéeoùonn’avaitpaslamêmepause-déjeuner,sauflevendredi.Jepouvaistoujoursm’asseoiravecChloeouAinsley,ouunefilledel’équipedehockeysurgazon.Sylviaetmoi,onn’étaitpasdesamiesexclusives,maisonn’avaitpasungroupecommebeaucoupd’autresados.Onnenousavait jamaisdemandéderejoindreundecesclubsnonplus.Detoutefaçononn’avaitpasenvie.Cesclubsétaientuneidéestupide,avectousleurssecretsdébilesetleurbizutageàlacon.Ilyenavaiteuà Grace Hall entre genre les années 1920 et 1980, jusqu’à ce qu’un gars de troisième en période

d’intégrationpour l’All-BoysClubessaiede fairedu surf sur les railsbourréet se retrouvedécapité.Aprèsça,lebahutavaitinterditlesclubs.

Mais il y a deux ans, quelqu’un a commencé à les réintroduire.Audébut,Woodhouse, le nouveauproviseur,estdevenuschizo,ildisaitqu’ilallaitrenvoyerlesélèvesetjesaispasquoi.Etpuisaprèsçaa été genre silence radio. On racontait que certains des parents d’élèves membres des clubs avaientachetésonsilenceparcequ’ilscraignaientqueleurprogénitureaitdemauvaisesrecommandationspourlafacàcausedemesuresdisciplinaires.

MaisSylviaetmoi,onavaitfaitlepactedenejamaisentrerdansunclub,detoutefaçon,dumoinspassiuneseuled’entrenousyétaitinvitée,etmêmesionl’étaittouteslesdeux,c’étaitpassûr.Sylviaavaitsesmecs,moij’avaismesbouquinsetmonnouveaupoteBen.Maissurtoutons’avait,nous.Ç’avaittoujours été comme ça. Aux yeux de certains on passait peut-être pour des copines space − moi lasportiveviergeintelloetSylvialaputefashionvictim−maisonseressemblaitsurlespointsimportants,surtoutàl’âgedecinqans,quandonavaitcommencéàêtreamiespourlavie.Onétaitdevenuescopinesà lamaternelle, en grande partie parce qu’on détestait toutes les deux jouer à se déguiser.Moi, dansl’ensemble,c’étaitlegenredetrucdefillequejetrouvaisplutôtcucul.Sylvia,elle,détestaitsedéguiserparcequelesfringuesàdispositionétaient toujoursminables.C’étaitnous,ça.Onfinissait toujoursaumêmeendroit,mais pourdes raisonsdifférentes.Sans compter qu’on avait desdossiers.Et pasqu’unpeu.

Àl’anglede larue,Sylvias’estmiseà tirersur lecoldesonpullenfaisantminederegarderunemontrequ’ellen’avaitpasetm’afaitsignedemedépêcher.Elledevaitsueràmortdanscepullàlacon.Maiselleauraitétésupervexéesijeluiavaisfaitremarquerqu’elleavaitl’airunpeucrucheàportercetrucparunechaleurpareille.Etaprèsellem’auraitsortiunevacherie.C’étaitsacrabeattitude:quandonlatitillaitaumauvaisendroit,ellevouspinçaitdirect.

Enplus,illuiallaitvraimentbien,cepull.Ellen’avaitpeut-êtrepastroplesenspratique,maiselleétait toujours stylée. Elle lisait leVogue britannique et des blogs demode commeStyle Rookie, et àquinzeansellerêvaitdedevenirleprochainphénomènedemode.Gerbant,c’étaitmonavisgénéralsurtous ces trucs autour de la mode. Quant à Sylvia, elle pensait que les bouquins que je lisais pourm’amuserétaientprétentieux,etellen’avaitpastoutàfaittort.Toutbienconsidéré,ilvalaitmieuxquejemelafermeetquejebalaiedevantmaporte.

J’ai essayé d’accélérer lemouvement avant que Sylvia nous fasse une rupture d’anévrisme,mais,entremonmatosdehockey,monsacàdosetlefaitquemesjambescommençaientàtranspirerdansmonproprefutalmoulant,c’étaitpassimpledesegrouiller.

«Putain,qu’est-cequet’eslente,alâchéSylviaquandjel’aienfinrejointe.−C’estcejean,ai-jerépliquéenpinçantletissucollant.Qui−faut-iltelerappeler−étaittonidée.»Elleasouri.«Ilteralentitàmort,maisilrendsuperbien.»Surce,elleafroncélessourcilsetapointémonT-shirtdudoigt.«Maisc’estquoi,cehauthideux?C’estpasçaquejet’avaisditdeporteravec.−Lachemisenem’allaitpasbien.»Mensonge.Jenel’avaismêmepasessayée.QuandSylviamel’avaitlaissée,jesavaisqu’iln’yaurait

pasmoyenquejelamette.«Elleavaitcesépaulesbouffantes,là,quimedonnaientl’air,jesaispas,de…−D’unefille?»Elleacroisélesbras.«J’allaisdired’unnapperon.

−Leproblème avec toi, c’est que tu confonds être féministe et êtremal fagotée.T’as déjà vudesphotosdeBettyFriedan?Elleétaitvraiment,genre,fabuleuse.

−Déjà,commenttuconnaisBettyFriedan?−Jenesuispasdébile.»Ellealevélesyeuxaucielets’estmiseàmarcherendirectiondulycée.«J’aimequandl’activismesocialadelaclasse,c’esttout.»Ellearepositionnéseslivressursahancheétroite.Ilsétaienttenusensembleparleuréternelrubanen

satin marron. Elle refusait de les porter dans un sac, question de look. Je crois qu’elle espéraitsecrètementlancerunemode.Elleavaitessayéd’enfairedécollertoutuntas.Jusqu’àmaintenant,aucunen’avaitencorepris.PourtantpersonneàGraceHallnesemoquaitdesesdéclarationsfashionàlamords-moilenœud−nideseschapeauxdeouf,nidesesgigantesqueslunettesdesoleil,nidesessacsàmaincouvertsdepin’s−,cequiétaitdéjàunevictoireensoi.J’étaispeut-êtremeilleureàl’écoleetensport,maisSylviaavaittoujoursétélargementmeilleurepourêtreelle-même.

QuandonatournédansProspectParkWest,ons’estretrouvéessuruntrottoirbondé.C’étaittouslesmatinspareilsurlechemindulycée.Etsebattretouslesmatinspourtracersaroute,çacraintgrave.Ilyalesparentsd’écoliersstressésquivousbalancentleursmômesdetroisansdansleschevillesouceuxquivoussoufflentdanslesoreillesentraînantleursgossesàlacrèche.Ilyalescollégiensentrottinettequivousrentrentdedans,ettoutelacliquedelycéensquis’interpellentd’unboutàl’autredelarue,laplupart du temps pour s’injurier. Comme si ça pouvait les faire passer du statut de gosse de richeinscritdansleprivéàceluitantconvoitéderacailledeBrooklyn.

C’étaitsurtoutsurcetteportiondeProspectParkWestquimenaitàlaporteprincipaledubahutquesejouaitlevéritablethéâtredulycée.C’estlàqu’oncassait,qu’onsebattait,qu’onsedonnaitrencard.Etchaquefoisqu’ilsepassaitquelquechosedevraimentgrave−commequandGeorgeMcDonnellavaitfaitsaignerdunezunegaminedeCPenlacognantsansfaireexprèsalorsqu’ilpourchassaitjenesaisquelautreabrutisurletrottoir−,MmePearlsautaitaussitôtsurlemicroetsemettaitàbeugler,commesiellen’attendaitqu’uneexcusepourcrachersonveninsurtoutlemonde.

«Malseconduiresurlechemindel’écolerevientaumêmequemalseconduireàl’école,gueulait-elle,commesiçaallaitnousrendreplusattentifs.Unefoisquevousavezquittélatutelledevosparents,vous êtes considérés comme étant sous la responsabilité de Grace Hall. Les bagarres ne seront pastolérées, pas plus que le chahut impliquant des contacts physiques violents. Un tel comportemententraîneradespunitions,conformémentaucodedeconduitedel’élèvedeGraceHall.»

Jen’étaispasuneexperte,maisçanesemblaitmêmepasconstitutionnel.Lapremièrefoisquej’avaisentenduMmePearl lancer cette déclaration, j’avais essayé de veiller assez tard pour demander àmamèresonopiniondeprofessionnelle,maisjem’étaisendormieavantqu’ellerentreàlamaison.

«Aie!»ai-jecriéalorsqu’uneruenousséparaitencoredulycée.J’aiportéunemainàl’arrièredematête,làoùonm’avaitpercutée.Quand j’ai levé les yeux,CarterRoseme souriait. Il a pointé un doigt surmoi avant de partir en

courantverslelycée.C’étaitcommeçaquelesmecsdesecondeflirtaient:envousassommant.«Cartervient-ilvraimentdememettreuneclaqueàl’arrièreducrâne?ai-jedemandéalorsquema

têterésonnaitencore.−Ilt’aimebien.»Sylviasouriaitde toutessesdentsalorsqu’onleregardaitplongerdans lebourbierde lafoulequi

ralentissaitdevantnous.«Tudevraisluilaisserunechance.Ilestsupermignonetc’estunjoueurdecrosse.Vousaveztropde

pointscommuns.

−Jejoueauhockeysurgazon.Cesontdeuxsportscomplètementdifférents.T’esaucourant,non?»Sylviaétaittoujoursàmepousserverslesmecs,n’importelesquels.«Enplus,Carterestuneespècedebouledoguesurexcité.Nonmerci.−Certes,maisdanslegenrebouledoguesurexcité,ilestplutôtmignon.»Avecsasilhouetteélancée,sescheveuxblondsenbatailleetsespommetteshautes,Carterenfaisait

baverplusd’une.Pasmoi.Jen’étaispasencoresûredecequ’étaitmontypedemec,maisentoutcascen’étaitpaslui.

«Ouais,nonmerci,ai-jemarmonné.Quandj’auraibesoind’uneentremetteuse,jeteleferaisavoir.−C’esttoiquivois.»Elleahaussélesépaules,onvoyaitenfinlesmarchesdulycée,lamassedesélèvesrassembléeenun

grostasàleurpied.Ausommetdesescaliers,legardien,Will,faisaitsigneàtoutlemonded’entrerdesesgrossesmains

potelées.Alorsqu’onétaitforcéesdes’arrêterenborduredelameute,Sylviam’aviolemmentagrippélebrasetm’aattiréeverslesbuissons.

«Aïe!Sylvia,qu’est-cequetufais?−Désolée.»Elleavaitunevoixbizarretoutàcoupetelleregardaitdetouslescôtés,commepours’assurerque

personnen’écoutait.«Jevoulaisgarderlesecret,histoiredenepasmeporterlapoisse,maisjetiensplus.Ilfautquejete

ledise.−Quetumedisesquoi?»C’était une bonne entrée enmatière, il fallait bien le reconnaître. Enmême temps, je savais qu’il

valaitmieuxnepas trops’emballer.Sylviapouvaitsefaireunfilmdemaladejusteenvoyant lafaçondontquelqu’uns’arrêtaitpourlacerseschaussures.

«Jeluiaiditsaluthier,a-t-elledéclaréens’approchantencoreplus.Ettunecroirasjamaiscequis’estpassé!

−Luiqui?»Jevoyaisbienquej’étaiscenséesavoir.Pourtantjecommençaisàavoirdesdoutes.Elleavaitgrave

l’aird’avoirpété lesplombs toutàcoup.Ladernière foisquec’était arrivé, ç’avait étépourune trèsmauvaiseraison.

«T’asquandmêmepasreprisundesTemestadetamère,Sylvia?Tunedevraispasallerencourssi…

−J’airienpris!»Elleacriésifortquetoutuntasdegens,enmajoritédesmères,sesonttournésversnous.«Ouaisbon…désolée»,ai-jemarmonné.J’aicroisélesbrashorsdesaportée,histoirequ’ellenepuisseplusm’empoigner.«J’essayaisjustedet’aider.−J’aipasbesoindetonaide,d’accord?J’aiunemère,moi,tuterappelles?−OK,touchée.»C’étaitduSylviatoutcraché.Ellen’avaitaucunelimite.Elledisaitdestrucsvraimentdégueulasses:

surmon père qui pointait aux abonnés absents,mamère qui n’était jamais à lamaison. Amelia sansfamille,ellem’avaitmêmeappeléeunefois.Ellelefaisaitquandelleavaitl’impressionquec’estvousquil’aviezblesséeenpremier.Cen’étaitpassonmeilleurcôté.Etc’étaitparfoissourced’engueulades.Maisj’essayaisdenepasfaireattentionauxtrucsqu’elledéblatéraitsurmamèreparcequ’àmonavis,en réalité, elle était jalouse.Mamère était tout ce que j’avais, et certes elle n’était pas souvent à la

maison,maisletempsqu’onpassaitensembleétaitgénial,etquandellen’étaitpaslàjesavaisqu’elleleregrettait. Ilnousarrivaitdenousdisputerpourdesconneries,mais j’étais toujoursconscientequ’ellem’aimait.Vraiment,jelesavais.Julia,lamèredeSylvia,meparaissaitsuper,pourtantSylvialadétestaitplusoumoins.Jen’aijamaisvraimentcomprispourquoi.

«J’essayaisjustedeteraconteruntruc.»Elleétaitgravevexéemaintenant.«C’étaitimportantpourmoi,maissitut’enfous…−Jenem’enfouspas»,ai-jedit,encaissantsapiqueausujetdemamère.CarSylvianepouvaitpass’empêcherd’êtreSylvia.«Allez,dis-moi.Jesuistoutouïemaintenant.»Ellearegardéautourd’elleencoreuneminute,laminerenfrognée,commes’ilyavaiteulamoindre

chancequ’ellenemerévèlepassonsecret.Àquid’autreaurait-elleétéleraconter?«D’accord,trèsbien,a-t-ellefiniparlancer,sonvisagerecouvrantunsouriremalicieux.IanGreene,

a-t-ellesoufflé.Jeluiaienfinditsaluthier,etdevinecequis’estpassé.»Elleétaitgraveplusobsédéepar IanGreenequ’ellene l’avait jamaisétéparn’importequelautre

mec.Etc’étaitpaspeudire.Lapremièrefoisqu’onl’avaitvu,c’étaitlasemaineavantlarentrée.Étaléescôteàcôtesurmonlit,

monordinateurportableposésurmesgenoux,onfaisaitdéfilerlalistedesnouvellesrecruesdeGraceHall,quivenait justed’êtremiseenligne.IanGreeneenfaisaitpartie.Avecsacoiffured’uneparfaiteimperfectionetsesyeuxnoirsombrageux,ilétaitsexy,c’estclair.Mêmemoijelevoyais.Enplusc’étaitécrit«HampsteadHeath,GB»,soussonnom,cequisignifiaitqu’ilallaitaussiavoirunaccent.EtpuisHampsteadHeath,çaclaquait.C’étaitnoble,même.Siçasetrouve,IanGreeneétaitdelafamilleroyale.

«Arrêtetesconneries»,avaitrétorquéSylviaquandj’avaisémiscettesuggestion.ElleavaitétéenAngleterreplusieursfois.« Hampstead Heath, c’est genre le Brooklyn de Londres, sauf qu’ils habitent tous dans des

minichâteauxàwhatmilledollars.»Elles’étaittournéeversmoiavecunsourire.«Maisonnesaitjamais,ilpourraitêtregenrecomte,ouquoi.»Évidemment,Sylvian’étaitpaslaseulequel’arrivéedeIanGreenefaisaitmonterauxrideaux.Avant

mêmelepremierjourdecours,lamoitiédesnanasdulycéedeGraceHallavaientdesvuessurlui.Fautdirequ’enchairetenos,mêmemoijedevaisreconnaîtrequec’étaitdulourd.Ilavaitlecharismenatureldubadboyetunpetitsourireencoinquifaisaitqu’onavaitdumalàlelâcherdesyeux.Iljouaitdelaguitaresèche,composaitdesmorceaux,maissonvraitalent,c’étaitlaphoto,commesonpère,dontlesœuvresétaientcensémentexposéesauMoMA.LafamilleGreeneavaitemménagédanslequartiercarlamèredeIanavaitprislepostedeconservateurenchefdumuséedeBrooklyn.

Ian, de son côté, n’avait pas non plus traîné à profiter de toute cette attention féminine. Maisbizarrement,lamodestieaveclaquelleils’étaitmisàcoucheravectouteslesfillesquisetrouvaientsursonpassagedonnaitàtoutecetteaffaireunaircivilisé.

«Alors,tuvasmêmepasposerlaquestion?s’estimpatientéeSylviaenjetantunœilversl’escalierdeGraceHall.

−Quellequestion?»J’avaiscomplètementperdulefildelaconversation.«Cequis’estpasséquandj’aiditsalutàIan,a-t-elletrépigné.−Ahouais,carrément.Qu’est-cequis’estpassé?»Ellem’adévisagéeuninstantd’unairsuspicieux.

«Ilestvenuchezmoi,a-t-elleenfinlâché.Et…»Elleadenouveauregardéalentour,maissurletrottoirl’attroupementavaitdiminuévuquelaplupart

desélèves−ceuxquiétaientàl’heure−s’étaientengouffrésdanslebâtiment.Lesyeuxécarquillés,elleaposéunemainsurseslèvres.

«Etons’estcarrémentembrassés.−Sérieux?»Je m’efforçais d’avoir l’air excitée mais, franchement, j’étais plutôt exaspérée. Sans trop savoir

pourquoi.«Incroyable!»PourSylvia,jemedevaisdejouerlejeu.Illuiarrivaitsouventd’exagérer,maisça,c’étaiténorme.

IanGreenepouvaitsetapern’importequellefille,orc’estSylviaqu’ilavaitchoisie,dumoinsletempsd’un après-midi et d’un baiser. En réalité ce n’était pas tellement surprenant qu’elle ait capté sonattention.Lesmecsl’avaienttoujoursadorée.Elleétaitjolieetavaitdesformesjustelàoùilfallait,celadit, c’était le cas de beaucoup de filles à Grace Hall. Sylvia, elle avait un truc en plus. Un côtéextravagantbienancréquilafaisaitparaîtredrôle,imprévisibleetuntantinetdangereuse.Évidemment,c’étaitçaaussiquiauboutd’unmomentfinissaitparfairefuirlesmecs.Aprèstout,lafrontièreestminceentrel’extravaganceetlepétagedeplombs.

Alors si cequ’ellevenaitdemedireétaitvrai,pourquoiétais-jeaussi agacée?Ohputain, j’étaisjalouseouquoi ?Pas jalousequ’elle ait embrassé IanGreene, celadit.C’étaitplus le faitqu’elle aitvoulu l’embrasser et qu’elle l’avait fait. Je n’arrivais pas à m’imaginer éprouver de tels sentimentsenversquelqu’un,etencoremoinsavoiruncomportementsuffisammentnormalpourréussirmoncoup.

«Jesais,c’estdingue,non?»Ellearapidementhochélatêteensemordantlalèvre.Elleavaitl’airnerveuseàprésent.«Saufquemaintenant jenesaispasquoi fairequand jevais levoir.Est-ceque je faisgenre ilne

s’estrienpassé?Sijesuistropgentille,ilvacroirequejesuisuneloseuse.Maisj’aipasenviequ’ilmeprennepourunesalopenonplus.»

Elleavaitl’airdesouffrir.«Jesaisquet’escomplètementàcôtédelaplaquesurcegenredequestions,maisest-cequetucrois

quejedevraisallerlevoir?−Euh,jenecroispasquetudevraisleharceler,ai-jerépondu,m’efforçantd’avoirl’airsûredemoi.

Maisnel’ignorepasnonplus.Ianestlegenredetypequitrouveraçadébileaussi.−Tum’aidesgravepas,Amelia.Ilmefautdesexemplesprécis.»Elles’approchait,jereculais.J’avaispeurqu’ellem’arracheencoreunbras.«Ilfautquetumedisesexactementcequejedoisfaire.−Respire,déjà.»Cetteespècede jalousiebizarrequiavait surgienmoiavaitdisparuaussivitequ’elleétaitvenue.

Désormaisj’étaislààfondpouraiderSylvia.J’aiposémesmainssursesépaulesenattendantqu’elleprenneunegrandeinspiration,puisuneautre.

«C’estcoolcequit’arrive,OK?Iannet’auraitpasembrassées’ilnet’aimaitpas.»Sylviaabaissélesyeux,ellebougeaitlespiedsd’avantenarrière.Ilcommençaitàsefairetard.Ilne

restait plus que quelques personnes sur le trottoir.Will se tenait toujours à côté de la porte d’entréeouverte, mais il allait la laisser se refermer d’un instant à l’autre. À ce moment-là, on seraitofficiellementenretard.Jepouvaiscertainementmepermettredel’êtresixsemainesd’affiléesansquelelycéesongeàintenterquoiquecesoit.J’essayaisdoncdemelajouercool.Maisrienàfaire,j’étaispascooldutout.Surtoutqu’enréalité,jen’étaismêmepasenretard.

«Etsic’étaitmoiquil’avaisembrassé?a-t-elledemandé.Enfin,ilm’araccompagnéechezmoi,onparlaitphoto,aprèsons’estassissurleperronetonaparlédemusiqueetdemode,biensûr,etpuis…j’aijuste…»

Elles’estdenouveaucouvertlaboucheetm’adévisagéeavecceregarddedinguetoutexorbité.«Ohputain.Jecroisquejel’aifait.C’estmoiquil’aiembrassé.−Ilasuivilemouvement,non?−Etsic’étaitpaslecas?»Savoixpartaitdansdesgrincementsstridents.«Maisenfintul’auraisremarqués’ilnet’avaitpasembrasséeàsontour.−Qu’est-cequet’ensais,toi?a-t-ellerétorquéavantdebaisserlesyeux.Désolée,maisc’estvrai.

Detoutefaçon,mêmes’ilm’aembrassée,peut-êtrequ’ilsemontraitjustepoli.»Çacommençaitàêtrevraimentpénible.Jesavaisquelaseulefaçondem’ensortirétaitdedonnerà

Sylviacequ’ellevoulaitvraiment:qu’onluiregonflesonégo.Engros,c’esttoujourscequ’ellevoulaitdanslavie,engénéral.

«IanGreenenem’apasl’aird’êtreuncon.Jesuissûrequ’ilvoitàquelpointtuesexceptionnelle.Maintenant,toutcequetuasàfaire,c’estdenepastecomportercommeunecingléeaveclui.»

J’aipassémonbrassouslesien,latirantverslelycée.Willnousaregardées,yeuxplissés.Jeluiaifaitsignedansl’espoirqu’ilattende.Ils’estpenchéenavant,unemainenvisière.Puisilasecouélatêteets’estmisàparlertoutseul.J’aitiréSylviaunpeuplusfort.

«Désolée!Onarrive!ai-jelancéavantdemeretournerpourfusillerSylviaduregard.Allez,êtreenretardneferapasavancerleschoses.

−C’estpasêtreenretardunefoisqui t’empêcherad’intégrerHarvard,m’a-t-ellerépliquéd’unairexaspéré.Enplus,leweek-enddernierauHarvestFestivaltumaquillaispaslesgaminsouquoi?Çaadûterapporter,genre,unlaissez-passeraubahutpendantaumoinsunesemaine.

−J’aiaidéàinstaller,c’esttout»,ai-jerétorqué,mêmesij’avaiseffectivementmaquilléungamin.Aufinalc’étaitmoinsfunqueçaenavaitl’air.«Etpuisdetoutefaçon,Harvard?Gerbant,quiaparléde…»

Lasonneriedemontéléphonem’aalorsindiquéquej’avaisunmessage.Jecontinuaisàmarchertoutenessayantderepêchermonportabledansmonsac.C’étaitBen.

Goublié2tedire.Jetetrouvegéniale.Justecommetues.«Oh,çacraint»,acommentéSylviapar-dessusmonépaule.Elleregardaitl’écrandemontéléphone.«Sérieux,tucontinuesàécrireàcetypechelou?»Jen’auraisjamaisdûparlerdeBenàSylviaàlabase.D’ailleurs,jeneluienavaispasparlé.Deux

semainesavant,elleavaitchopémonportable−carrémentsansmonaccord−etavaitluuntextodeluipendantquej’étaisauxtoilettes.

«Ooooh, alors on fait des cachotteries ? » avait-elle lancé en roulant surmon lit,mon téléphone

brandiau-dessusdelatête.«“J’ail’impressionquepersonnenemecomprendcommetoi”?Jedoisdirequejemesensplutôtpersonnellementinsultéesurcecoup,Amelia.ÀmoinsbiensûrquetunetefassessauterparleBenenquestion,auquelcasgloireàtoi.Maisenmêmetemps,jesuisvexéequetunem’aiesriendit.»

Debout sur le seuil de la porte, bras croisés, je serrais les dents si fort que j’avais l’impressionqu’ellesallaientcasser.Jem’étaisbiengardéedeparlerdeBenàSylvia.Jesavaisqu’ellemeferaitmesentirdébile.Elles’étaitassisetoutedroitesurmonlit.

«J’hallucine!Tul’asfait!T’asfaitl’amouraveccetype!−Non,Sylvia.Arrête,sérieux.−J’hallucine,tul’ascarrémentfait.C’estqui?Ilressembleàquoi?J’ycroispas:machoupinette

devenuefemme,ettoiquimelaissesendehorsdetout.»Enréalitéelleavaitsurtoutl’airhypercontentepourmoi.«OK,jeveuxbientepardonnerdenepasmel’avoirditplustôt,àconditionquetumeracontestout,

toutdesuite.EncommençantparunephotodeceM.Ben.Tuasbienunephotodugarçonquit’adéflorée,non?C’estcetypedePackardquet’avaisrencontréàcematchdehockeysurgazon,c’estça?»

Jem’étaisprécipitéeverselleetluiavaisarrachéletéléphonedesmains.«Non,cen’estpasce typedePackard, avais-je rétorquéen fourrantmonportabledansmapoche

arrière.«Etilnem’apasdéflorée,cequiest,enpassant,letrucgenreleplusrépugnantquet’aiesjamaisdit.

−Répugnant?avait répétéSylvia, interloquée, lesmainsserréessur lapoitrineenbattantdescils.Perdretavirginitéestunechosemagnifique.Oh,machoupinette.

−Sylvia,arrête!C’estpasparcequet’esuneputequetoutlemondedoitl’être.»Jen’enrevenaispasd’avoirsortiuntrucpareil.«Unepute?»Onauraitditquejevenaisdelagifler.«Sympa.Mercil’amie.»Le pire, c’est que c’était vrai : Sylvia avait couché avec neuf types depuis qu’elle avait perdu sa

virginitéencinquième.Laplupartdutempsellefaisaitcommesiderienn’était.Maisjelaconnaissais.J’étaissameilleureamie.Elleavaitbeaupassersontempsàmesortirdessaloperies,çanevoulaitpasdirequ’elle-mêmepouvaitencaisserlegenredetrucsqu’ellebalançait.

«Tusaisbienquejenelepensepas,avais-jedit.Seulement…Jen’aivraimentpasenviequetutefoutesdemoisurcecoup-là.

−Jenemefoutaispasdetoi,avait-ellerétorquéencroisantlesbras,vexée.Maisjen’arrivepasàcroirequetutefasseslatotaleavecuntypesansmêmem’enparler.Moijeteracontetout.

−C’estjusteunpote.»Elleavaitlevélesyeuxauciel.«Sérieux.Jenel’aimêmejamaisvuenvrai.−Commentça?− Il s’est aussi inscrit à ce programme de Princeton, avais-je expliqué enme préparant déjà à sa

réaction.Ons’envoiedesmails,destextosettout.Pointbarre.−Pointbarre?avait-ellerépété,sidérée.Est-cequet’envoiesdesmailsàd’autresgensquisesont

inscritsàcefestivaldegeeks?−Non,m’étais-jeagacée.Benestleseulàm’avoircontactée.Jecroisqu’ilademandéauprogramme

lenomdesautrespersonnesdeNewYorkàs’êtreinscrites.−C’estça,oui,avaitrépliquéSylviaavecunsourireencoin.Etcombientupariesqu’iln’envoiedes

mailsàaucundesmecsdecetteliste?»Le pire, c’est qu’au début j’avais en effet vaguement espéré que Ben et moi, on pourrait sortir

ensemble.Jen’avais jamaisétécapabledeparleràungarçoncommej’arrivaisà luiparler,et j’avaiscommencéàmedire:Waouh,çayest,c’estça.Jesuisnormalefinalement.Ilfallaitsimplementqueje

rencontre la bonne personne. Mais, comme s’il avait lu dans mes pensées, Ben m’avait justementannoncélelendemainqu’ilétaitgay.

«Sylvia,arrête.»Jecommençaisàavoirlesnerfs.Jamaisellenelâchaitl’affaire.«Sérieux.»J’auraispuluidiretoutdesuitequeBenétaitgay.Çaauraitprobablementmisunpointfinalàcette

conversation.Maisçameplaisaitassezqu’ellecroienepastoutsavoirsurmoi.«C’estça,oui.EtoùceM.Benva-t-ilaulycée?»EllesemblaitéventuellementprêteàenvisagerqueBenferaitunbonpote,àconditionqu’ilremplisse

certains critères.Genre fréquenter un lycée potable. Pour elle, Packer, Trinity et StAnne’s, c’était laclasse.Mais tous lesélèvesdeCollegiateetdeDaltonétaientdesconnards− autrementdit elleavaitcouchéavecuncertainnombredetypesdeceslycéesetilsl’avaientplaquée.

«Ilestdansunlycéeprivé,àAlbany.−IlhabiteàAlbany?s’était-elleexclaméecommes’ils’agissaitd’herpès.Tuplaisantes?Onpeut

mêmepasdirequeçafassepartiedeNewYork.J’arrivepasàcroirequetuvasavoir,genre,uneliaisonlonguedistanceavecjenesaisquelabrutid’Albany.

− Pour la dernière fois, Sylvia, on est juste potes ! Pourquoi je pourrais pas juste être amie avecquelqu’unetqueças’arrêtelà?Peut-êtrequej’aimêmepasenviedesortiravecunmec.»

Cen’estquelorsquecesmotsavaientfranchimeslèvresquej’avaisprisconsciencedeleurprofondevéracité.

Deuxsemainesplustard,jenevoulaistoujourspassortiravecunmec.Etiln’yavaitriendebizarreà

ce qu’une ado de quinze ans n’en ait pas envie. Comme Ben me l’avait dit, j’étais on ne peut plusnormale.LefaitqueSylviasoitnymphon’ychangeaitrien.C’estellequiavaitunproblème.Pasmoi.

«Pourlatroiscentièmefois,Benestmonpote,Sylvia,ai-jeditenm’arrêtantaupieddesmarchesdeGraceHallpourrépondreàsontexto.Etcommejetel’aiégalementrépététroiscentsfois,ilestgay,tutesouviens?»

Parce qu’à cemoment-là, elle était au courant.Ellem’avait rendue tropdingue avec cette histoirepourquejepuissemeretenir.

«Jevaisfermercetteportedanstrentesecondes!»s’estalorsécriéWill.Mais je pouvais me permettre d’être en retard, Sylvia avait raison. Et si je ne répondais pas

maintenant, jenepourraispluslefairedetoutela journée.J’ai tapémontextosouslesricanementsdeSylvia,qui s’estensuitemiseàgravir lesmarches.Elleétait jalouse.Etplutôtpourunebonne raison.Cen’étaitpasquejeluipréféraisBen−Sylviaseraittoujoursmameilleureamie−,maisparfoisl’amitiéétaitbeaucoupplussimpleaveclui.

«Pourluituveuxbienêtreenretard,hein?Quandjepensequetucroisquejefaispasserlesmecsavanttoi.»

Elleasecouélatêtesanss’arrêterdemonter.«Bon ben à plus. Peut-être que tout à l’heure t’auras davantage de temps pourmoi etma pauvre

histoiredeIanGreenesansintérêt.Etaufait,yapasmoyenqueceBensoitgay.Ypeutbient’envoyerunephotodeluientraindesetaperunmec,çachangerarien.»

Elles’estfaufiléeàl’intérieurjusteaumomentoùWilllaissaitretomberlaporte.Jel’airegardéeserefermerdansuncliquetis.Iln’yavaitplusderaisondesepressermaintenant.J’étaisdéjàofficiellementenretard,cequibizarrementétaitlibérateur.

Merci,ai-jeréponduàBen.Jesaispascekejeferaissanstoi.

J’aiappuyésur«Envoyer»,puisj’aiattendu.Quandmonportableadenouveausonné,j’airegardélaréponsedeBen.Letexton’étaitpasdelui.

Ilvenaitd’unnuméromasqué.

ProspectParkLongMeadow,15h00.Soislà.Maissituneveuxpasquel’oiseaus’envole,viensseule,ounevienspas.

KATE

5SEPTEMBRE1997

J’aifaithuittestsentout.Maislepetitsigne«plus»danslafenêtren’ajamaischangé.Peuimportaitquejelefassetardle

soir.Outôtlematin.Ouaprèstroisverresdevin.Àchaquefois,letestétaitpositif.Aujourd’hui,lemédecinducampusaconfirmélestestsd’urineparunautretestd’urine.Unepart

demoi−cettepartridiculequiavaitfaittousleschoixquim’avaientconduiteici−sedisaitquelenuméroneufseraitlebon.Maisnon.Lemédecinm’adirigéeversungynéco.

Legynécoaconfirmé la«grossesse»à l’aided’uneécho.Lesmédecinsnedisentpas«bébé»quand ils pensent qu’on n’a peut-être pas envie d’être enceinte. On pourrait décider de nepaslerester.

J’ensuisàneufsemainesàpeuprès.Ilsnepeuventpasl’affirmeraveccertitude,etmoinonplus.Parce qu’il n’y a pas eu qu’une seule erreur, une seule fois. Il y a eu tout un été demauvaises

décisions, conséquence d’une vie entière à avoir pris trop souvent les bonnes.Manifestement je neconnaisqu’uneseulefaçondemefoutredanslamerde:enbeauté.

Petite,jerépétaismonpianosansqu’onmeledemandeetjeprenaistoujoursdesoptionsenplus.J’étaismajordepromodemon lycéeprivéchicdeChicago.J’aiobtenuma licenceavecmentionàDukeavantd’intégrerlafacultédedroitdeColumbia.Jesuisl’assistantederédactiondumagazineLawReviewdeColumbia,bordel.

Évidemment,ceciestunCV,pasunepersonne.Unepersonne,c’estcequiestentraindepousserenmoi.Etceminusculissimegermedeiloudeelleseficheraroyalementdemoncurriculum.Toutcequ’ilvoudra,c’estquejel’aime.

Etcommentpourrais-jenepasl’aimer,quandc’estaussilaseulechosequej’aiejamaisvraimentvoulue ? Bien sûr, à vingt-quatre ans, l’amour est la seule chose que je n’ai pas encore réussi àdécrocher.

Alors peut-être ne puis-je pas promettre d’aimer correctement ce bébé.Mais je peux promettred’essayer.

KATE

26NOVEMBRE

Iln’étaitquehuitheuresetdemiedumatinquandKatesortitdel’ascenseuràl’étagedesonbureau.Laplupartdeslumièresétaientéteintes,ilrégnaituncalmeabsolu.Seulunplafonnieréclairaitledessusdu comptoir vide de la réceptionniste, projetant un halo sinistre sur le gigantesque vase de lys quiytrônait.QuecesfleurssoientlapremièrechosequeKateaitvuelejourdesonretourautravail,c’étaituneblagueaffreuse.Samère,Gretchen−danssonseulettrèssymboliqueeffortdel’aider−,avaitchoisideslyspourl’enterrementd’Amelia.Ravissants,detrèsbongoût.Terribles.

Enlesregardant,Katesentitjaillirdufonddesagorgecettebrûlurefamilière.Cellequicesdernierstempsannonçait toujoursun sprint aux toilettes, oùKatepassait lesdixminutes suivantesprostrée au-dessusde la cuvetteàvomir,ou, leplus souvent, à fairepasserunhaut-le-cœur.Cesaccèsdenauséepouvaient être déclenchés par presque n’importe quoi : la vue des céréales préférées d’Ameliaà l’épicerie, l’arrivée dans la boîte aux lettres d’un catalogue de matériel de hockey sur gazon, lesbottinesd’uneadolescente.Évitertoutenourrituresemblaitêtreleseulremèdeefficace.Durantlemoissuivantlamortd’Amelia,Kateavaitperdusixkilos.Elles’étaitmiseàporterdesvêtementsamplesafindedissimulersasilhouettesquelettique.

«Commentarrivez-vousàrestersisvelte,machère?»luiavaitdemandéunecharmantevieilledamel’autrejouràlapharmacie.

C’estsimple,auraitvoulurépondreKate.Jesuisdéjàmorte.Aulieudecela,elleavaitserrésifortleslèvresens’emparantdesesmédicamentsqu’elleenavait

euleslarmesauxyeux.D’aprèssonthérapeute,cetraitementétaitcensél’aideràcombattrelesnauséesetlesinsomnies.Enréalitéiln’avaiteud’autreeffetquedeluidonnerl’impressiond’avoirlatêtesousl’eau.Ellecontinuaitàleprendredansl’espoirdefinirparcouler.

Revenirtravailleravaitétéunemauvaiseidée.Ilfallaitaumoinsqu’ellesorteduvestibuleetqu’ellearrivejusqu’àsonbureau.Seulementelleneparvenaitpasàdétachersonregarddesfleurs.Pétrifiéesurleseuildel’ascenseur,ellepouvaitaumoinsseféliciterd’avoirdécidéd’arrivertôt.Commeça,siellevomissaitparterre,elleauraitletempsdenettoyer.Etpeut-êtrequ’ellen’auraitmêmepasbesoindevoirquiquecesoit.C’étaitçasonidée:restercloîtréedanssonbureautoutelajournée,rassuréedesavoirqu’ilyavaitdesgens−desgensquivivaient,quirespiraient−bienàl’abridel’autrecôtédesaporteverrouillée.

Ellen’auraitcertainementpaspuéchangerdespolitessesavecquiquecesoit.Qu’est-cequ’onauraitbienpuluidiredetoutefaçon?Désolé?Désoléquetafillesoitmorte.Désoléquetafilleaitsautédutoitdesonlycéealorsquetuétaisenroutepourallerlachercher.Désoléquetuaiesétéenretard.Queldommagequ’ilfaillequeturevivescetéchecpendantlerestedetapitoyablevie.

SiKate n’avait aucune envie d’échanger des banalités, les gens avaient certainement tout autant àcœur de l’éviter. Personne n’a envie d’adresser la parole à unemère dont la seule enfant vient de sesuicider.Kateauraitpuépargnercettegêneàtousenrestantchezellebeaucouppluslongtemps.

«Prendsaumoinstroismois,etpasses-enensuiteencoredeuxautresà travaillerdecheztoi», luiavaitconseilléJeremyàl’enterrement.Devantsesyeuxhumidesetrougis,Kateavaiteupourlapremière

fois la certitude que, durant toutes ces années, ses avances amicales n’avaient pas été une simplecomédie. Personne ne pouvait être aussi bon acteur. Vera, samagnifique épouse, les yeux baignés delarmes, et ses trois grands fils, le nez baissé sur leurs chaussures, l’avaient accompagné. Les voirensemblecommeça−beaux,bienassortis,aucomplet−l’avaitpresquemiseàgenoux.«Tusaisàquelpointtoutlemondet’adoreaubureau,Kate.Maisnouspourronsassurerlapermanencesanstoiletempsqu’ilfaudra.»

QuandVeras’étaitavancéepourl’étreindre,Kates’étaitagrippéeàelle,enfouissantsonvisagedanssa longue chevelure parfumée. Geste de trop, déplacé même, étant donné que les deux femmes seconnaissaient en réalité très peu.Mais il y avait tant de vie autour deVera.Kate avait été terrifiée àl’idéedecequisepasseraitquandelleauraitdesserrélesbras.

Resterchezelle s’était révéléplus facileàdirequ’à faire.Elleavaitpassé lespremiers joursqui

avaientsuivi lamortd’Ameliaentouréeparses troisamisdefac lesplusproches. Ilsavaientaccourupourlaremettresurpied,veilléàcequ’ellemange,qu’elleselave,qu’ellerespire.Maistousavaientunefamilleàeux,auprèsdelaquelleilsavaientdûretournerpeuaprèsl’enterrement.MêmeSeth− sonex-petitamidelafacdedroit,désormaisdefactosonmeilleurami,quis’étaitmontrésiattentionné,simerveilleux− avait fini par passer de moins en moins souvent. Kate avait insisté. L’époque de leurconfortablecouple impossibleétaitdepuis longtempsrévolue.Sethavaitunmariàprésent,Thomas,etunefillequiavaitbesoindelui.

Le père et la mère de Kate aussi avaient été présents. Très stratégiquement, ils étaient arrivéslégèrementplustard,nesemontrantqu’àlaveilledesfunérailles.Ilsespéraientainsis’épargnerlapartielaplus larmoyanteduchagrindeKate. Ilsavaient toujoursméprisé lesgrandesdémonstrationsde touttyped’émotion−colère,désespoir,joie,amour−delapartdequiconque.Maisparticulièrementcellesdeleurenfantunique.Kateavaitappristrèstôtl’intérêtderavalerl’intégralitédesessentiments.Aveclamortd’Amelia,cependant,sesparentsavaientdûsedouterqu’iln’yauraitaucuncontrôlepossiblecettefois-ci, et ils avaient donc prudemment attendu quelques jours avant d’arriver àBrooklyn. Ils avaientainsiratélemomentoùKates’étaitgriffélesbrasjusqu’ausangetavaitpleurésifortquedesvaisseauxcapillairesdesonvisages’étaientrompus.Ilsétaientégalementviterepartis,probablementdèsqu’ilétaitdevenumanifestequeKateneseressaisiraitpasdesitôt.

Après ledépartdesesparentset leretourdetoussesamisà leursviesbienremplies,Kates’étaitretrouvéeseule.Ànouveau.Commeellel’avaittoujoursétéavantAmelia.

Elleétaitrestéedeuxsemainesdurantdanslesilencemorbidedesamaisonengrès,drapéedanssaculpabilitéetsonchagrin,enproieàl’impressionquesapeausedétachaitparbandesentières,commedesfeuillesdecellophaneusées.Elleavaitcontempléleplafondetsanglotéjusqu’àcequesesentraillesnesoientplusqu’unecoquecarbonisée.ElleavaitsongéàsaviequisansAmelianeseraitriend’autrequ’unvideinexplicable.Riend’autrequ’elle.Seule.Pourtoujours.

LesnuitsoùKateparvenaitàs’endormir,ellerêvaitqu’elletombait−dutoitdeGraceHall,parlafenêtredesonbureau,duhautdesescaliers–,seréveillantensursautjusteavantdepercuterletrottoir.Etchaquematinauréveilledernierétagedesamaisonl’attiraitinexorablement:là-hautelleouvraitunefenêtreetsepenchaitàl’extérieur,lesmainspresséescontrelemontant,lesyeuxrivésausol.Nonpasqueseforceràvoircequ’avaitvuAmeliadurantlesdernièressecondesdesavieconstitueraitjamaisunchâtimentsuffisant.Rienneconstitueraitjamaisunchâtimentsuffisant.

Car c’était la faute de Kate, évidemment, si Amelia était morte. Si elle s’était suicidée. C’est letravail d’unemère de protéger son enfant, y compris de lui-même.OrKate avait échoué, entièrement,complètement,affreusement.

Ellesongeaitsouventàsesuiciderelleaussi.Comment:eningurgitantsabatteriedecalmants.Où:danssonlit.Quand:immédiatement.L’idéededevoirpayerseséchecscatastrophiquesenvivantavecsaculpabilitéétaitlaseuleraisonquil’avaitempêchéed’allerjusqu’aubout.Elleétaitretournéetravaillerquandellen’avaitpluspusupporterderesterassiselà,àattendrelentementladécomposition.

Voilà pourquoi elle se trouvait dans l’une des nombreuses zones de réception du célèbre cabinetSlone,Thayer− quatre semaines, deux jours et seize heures depuis qu’Amelia s’était jetée du toit deGraceHall−,àsedemandercommentelleavaitjamaispuaccorderdel’importanceàcequis’ypassait.Carcelan’enavaitpas.Plusmaintenant.Pluslemoinsdumonde.Ellen’accordaitplusd’importanceàrien.

Derrièreelle,l’arrivéed’unascenseursesignalaparuntintement:elleseruaauboutducouloirendirectiondesonbureauavantquequiconquenepuisseapparaîtrederrièrelesportes.Parvenueàl’angle,elle accéléra le pas en voyant au fond s’allumer la lumière d’un bureau. Elle aurait dû savoir qu’ilyauraitdéjàquelqu’unsurplace,peuimportel’heurematinaleàlaquelleellearriverait.DansuncabinetcommeSlone,Thayer,ilyavaittoujoursquelqu’un.

«Hé ! » lança-t-on juste aumoment où elle s’apprêtait à ouvrir sa porte. Kate sursauta et laissatombersesclefs.DanielMoore,c’étaitlepompon.Ellesavaitquec’étaitluisansmêmeleverlesyeux.C’était bien la dernière personne qu’elle avait envie de voir à ce moment-là. Il s’empressa de luiramassersesclefsavantqu’ellepuisseesquisserlemoindregeste.

« Jenevoulaispas te fairepeur. J’étais simplement… je suis surprisde tevoir. Jecroyaisque tuallaisbosserdecheztoipendantuntemps.»

Ilessayaitdedissimulersadéception.Katen’enfutpasétonnée.PourDaniel,unassocié juniordemoins, c’était un rival de moins. Non pas que leurs relations se soient bornées à être celles decoassociés. Depuis qu’ils s’étaient rencontrés lors de leur première semaine à la faculté de droit deColumbia,ilsavaientoscilléentrerespectdistant,franchehostilitéetautrechoseencore−quelquechosedebienplushumiliant−queKates’étaitpendantlongtempsefforcéed’oublier.Étonnamment,peut-être,elleavaitsouventréussi.Cependantmaintenantl’ombremenaçantedecettevilainehistoireanciennesedessinait.

«Passertoutesmesjournéesseulechezmoi…ilfallaitquejesorte»,expliquaKateencroisantpourlapremièrefoisleregarddeDanielquandilluitenditsesclefs.

Ilportaitunecravatedesserréeauniveauducoletunechemisefroissée.Pasrasé,lesyeuxinjectésdesang,onauraitditqu’ilétaitrestédebouttoutelanuit.ChezDaniel,cependant,l’effetétaitflatteur.PourKate,sescheveuxblondscoupésàlaperfectionetsesvêtementsméticuleusementBCBGavaienttoujoursfaitpartiedecequiétaitlemoinsattirantchezlui.Maiscen’étaitpaslemoinsattirant.LemoinsattirantchezDaniel,c’étaitsonmanquetotaldecompassion.

«Ondiraitquetuaspassélanuitici.»Ilbaissalesyeuxsursatenueeteutunsourirepenaud.«CetteaffaireAssociatedaquelquepeuexplosé.»Onauraitditàsavoixqu’ilessayaitdefairepassercettenouvellecommeunemauvaisechose,mais

lalueurdesesyeuxlecontredisait.LescarrièresdeKateetdeDanielchezSlone,Thayeravaientavancéaumêmerythmedepuisqu’ilsavaientintégrélecabinetentantquestagiaires.Quinzeansplustard,ilsétaient devenus deux associés respectés du pôle contentieux. Pourtant, seule Kate comptait parmi lesdisciplesdeJeremy,etcetteinégalitésemblait,discrètementmaissûrement,rendreDanielfou.S’occuperdel’affaireAssociatedenl’absencedeKateavaitconstituéuneénormeopportunitépourlui.

Katevoyaitbienqu’ilmouraitd’enviequ’elleluidemandedavantaged’informationsàcesujet.MaislescooppouvaitbienêtrequelaSECleurétaittombéedessusetavaitsoumisVictorStarkeàunefouille

anale,çaluiétaitégal.Jeremyluiavaitassurécentfoisqu’ellen’avaitpasàs’inquiéterdeVictornidel’AssociatedMutualBankpendantsoncongé,etdefaitellenes’enétaitpasinquiétée.Maintenantqu’elleétait de retour, quand bien même elle s’y serait forcée, elle ne serait pas parvenue à y accorderd’importance.

«Explosé»,s’entenditrépéterKate.C’étaitplusuneaffirmationqu’unequestion.Maiselleredoutaitd’avoirdonnéàDanielneserait-ce

quelasatisfactiond’avoircrupercevoirdanssavoixunenotedecuriosité.«Pasdansunmauvaissens,embraya-t-ilaussitôt.Ilsetrouvequ’onaréussiàcasserl’assignation,

finalement.Évidemment,laSECafaitappel.»Ilhaussalesépaulescommesiçaavaitétél’affaired’unejournéedetravail.«Lesdébatsaurontlieudanslajournée.J’aipassélamoitiédelanuitàbrieferJeremyautéléphone.

Tuleconnais,ilestassezintelligentpourpassersanuitblanchechezluihistoireden’avoirpasunetêteàchierenarrivantaubureau.Àcepropos,jeferaispeut-êtrebiend’allerprendreunedouche.Jeremym’aditquejepouvaisdéfendreunepartiedudossier.Jen’aipasenviedeluidonnerlamoindreexcusepourmelaisseràlaportedutribunal.

−D’accord.»Kates’efforçadesourire,envain.Ellevoulaits’éloignerdeDaniel,immédiatement.«Neme laisse pas te retarder. Je ferais probablementmieux de rester dansmon bureau de toute

façon.Jenesuispasfranchementenétatdecommuniqueravecd’autresêtreshumains.−OK.»Ilétrécitlégèrementlesyeux,commes’ilenvisageaitd’ajouterquelquechose,puisseravisa.«Çafaitplaisirdetevoir,Kate.Jesuiscontentquetuaiespurevenir.Tunous…tuasmanquéau

cabinet.N’hésitepassijepeuxfairequoiquecesoit.»Ilfaisaitdesonmieuxpourêtregentil,ellelevoyaitbien.Etilétaitanimédebonnesintentions−ou

dumoinspastrophorribles−,mêmes’iln’yavaitstrictement rienqueDaniel, luiencoremoinsqu’unautre,auraitpufairepourelle.

«Çametouchebeaucoup,Daniel.Tudevraisyallermaintenant.Bonnechance.−Merci, répondit-ilenexpulsantunpeud’airdeses jouesgonflées.M’estavisque jepourraisen

avoirbesoin.»Katefermalaportedesonbureauets’yadossauneminuteavantdeseredresseretdelaissertomber

sesaffairessursa table.Ellemitunpointd’honneurànepas regarderparsavaste fenêtre lepaysageurbainconfus,toutenbas.Sonbureausetrouvaitauvingt-huitièmeétage,nonloindel’angledubâtiment,sibienqu’ensepenchantpar la fenêtre,ellevoyaità la fois laQuarante-troisièmeRueet laSeptièmeAvenue.Maisregarderenbasdepuiscettehauteur,enimaginant−commeellen’auraitpasmanquédelefaire− la sensation qu’avait dû ressentir Amelia en tombant, aurait eu pour seul effet de déclencheraussitôtunenouvellenausée.

Sonordinateurnes’étaitpasencorecomplètementalluméquandletéléphonefixesonna.«UniversityofChicago»apparutsurl’écran,suiviparlenuméroprincipalducampus.Enthéorie,çaauraitpuêtrel’un ou l’autre de ses parents. Reconnus pour les travaux de recherche qu’ils effectuaient depuis denombreusesannéesdansleursdisciplinesrespectives,GretchenDealetRobertBaronétaienttousdeuxprofesseurs,samèreàlafacultédemédecine,sonpèreàl’écoledecommerce.SaufqueRobert−leplusdistantmais comparativement leplus chaleureuxdesdeux− n’appelait jamaisKate. Il lui envoyait detempsàautredesmailset ilsavaientdesconversationsagréablesquandilssevoyaientunefoisl’anàNoël,mais,pourRobert,letéléphoneétaitbientropintimeetbeaucouptropprémédité.

Kate regardait fixement le combiné, hésitant à laisser se déclencher la messagerie. SeulementGretchenétaitimpitoyable.Sielletenaitàdirequelquechoseàsafille,elleladébusqueraitetluiferaitentendre jusqu’à la lie ses sentences d’une mordante perspicacité. Kate se résigna, prit une grandeinspirationetdécrocha.

«KateBaron»,annonça-t-elledoucement,enfaisantminedenepassavoirquiétaitàl’autreboutdufil,commesicelaavaitpu,commeparmagie,changerl’identitédesoninterlocuteur.

«Tueslà!s’écriajoyeusementsamère.J’espéraisquetuyarriverais.»Gretchen avait été la plus fervente partisane d’un retour au travail le plus tôt possible.

Immédiatement,depréférence.Etceuniquement,avait-elletenuàexpliquer,parcequecelaluisemblaitêtredans lemeilleur intérêtdeKatede sortirdechezelle,de sechanger les idées.MaisKatene s’ytrompait pas. En réalité, sa mère s’inquiétait probablement davantage de la voir rater d’importantesopportunitésdepromotionprofessionnelle.

«Oui,jesuislà,soupiraKate.J’airéussi.−Vraiment,jepensequec’étaitlameilleurechoseàfaire,Katherine»,commentaGretchendansson

staccatomitraillettehabituel,celuiquidonnait toujours l’impressionàKatequ’unminuteurétait sur lepointdesonner.

«Jesuissûrequetuleurasmanquélà-bas.SurtoutàJeremy.Ilsereposeplussurtoiquecequetucrois.

− Il travaille avec une vingtaine d’associés juniors. Il se repose sur nous tous », répliqua Kateplatement.

Elleétaitagacéequesamèrel’appellepourça.Etencoreplusagacéed’êtreagacée.Elleauraitdûavoirl’habitudedésormaisdecetteobsessionmaternelledutravail.Gretchenavaitappelétouslesdeuxjoursdepuislamortd’Amelia,etdanschaqueconversationelles’étaitbiendavantagesouciéedel’étatdelacarrièredesafillequedesonchagrin.

«Jesuissûrequ’ils’enesttrèsbiensortisansmoi.−Àtaplacejen’enseraispassisûre,rétorquaGretchen,savoixadoptantlatonalitéchantantedu“je

te l’avaisbiendit”.De toute façon,c’estungrosprogrès.Unedynamiquepositive.Une tentativepourvoirleboncôtédeschoses.»

Katesentitsonestomacsecontracter.«Leboncôté?−Oui,Katherine,celuidetoutecettesaleté.−Saleté?»Comme si le souvenir d’Amelia était quelque chose qu’on pouvait balayer puis jeter dans une

poubelle.«Tuvasm’envouloirdetedireça,maisilfautbienquequelqu’unlefasse.»Gretchenavaitledondeseposeràlafoisenhéroïneetenmartyre,ycomprisdansdessituationsqui

n’avaientrienàvoiravecelle.«Medirequoi?s’entenditdemanderKate,mêmesiellenevoulaitpaslesavoir.−Amelia n’est plus là,Katherine, et c’est une épouvantable tragédie, répondit vivementGretchen.

Mais ça fait partiede lavie.Et, auxdernièresnouvelles, toi aussi.Personnellement, jepensequ’il teseraitplusfaciled’allerdel’avantsituprofitaisunpeudetatoutenouvelleliberté.

−Liberté?»Danssabouche,cemotavaitquelquechosedepoisseux.«Voyons,machérie,nefaispasexprèsdenepascomprendre.Moiaussij’aiétéunemèreactive,tu

terappelles?Jeconnaiscestressd’êtreenpermanencedéchiréeentrelamaisonetletravail.Libertépar

rapport à ça, c’est ce que je veux dire. Qui sait, peut-être même auras-tu le temps de rencontrerquelqu’un,àprésent.Onadéjàvuplusétrange.Tupourraisrecommenceràzéro.Etc’estcequ’Ameliavoudraitpourtoi.Ellevoudraitquetusoisheureuse.»

Kateentendaitsoncœurbattredanssesoreilles.Certeselleauraitpus’imaginerque,dansunrecoinsombreducœurdesamère,lamortd’Ameliaapparaissecommeunechancepoursafilledereprendreledroitchemin.Maisl’exprimerainsisanscomplexeétaitmonstrueux,mêmedelapartdeGretchen.Kateserraitsifortlecombinéqu’ellecraignaitdelebriserendeux.

«Maman?−Oui,machérie?»Gretchen avait l’air si contente d’elle. Comme si avoir présenté àKate cette perspective violente

avaitétéunsuperbegestedecharitédésintéressée.«Ohattends,nequittepas.»Àl’autreboutdelaligne,onentendaitdesvoixenfondsonore.«Leevientdepasser. Il y aun journalisteduTimessur l’autre ligne pourmoi.Apparemment j’ai

acceptéjenesaisquelleinterview.Jenemerappellemêmepassurquoielleporte.»Elleeutunrirejovial.«Enfinbref,qu’est-cequetuvoulaismedire?−Va te faire foutre,maman, répondit posémentKate. C’est ça que je voulais te dire : va te faire

foutre.»Elle reposadélicatement lecombinésursonsupportet lecontempla fixement.Elles’attendaitàce

quel’appareilexplose.Maisnon.Riennesepassa.C’étaitàlafoislibérateuretvaguementembarrassantqu’illuiaitfallutoutcetempspourtenirtêteàGretchen,pourdireàsamèrelefonddesapensée.Elleenavaitassezdecontenterlesgens,debiensetenir,d’êtrepolie.Elleenavaitassezd’êtreunegentillefille.

Elleexpiralonguement,sesépaulesserelâchèrent.Sonordinateurs’étaitenfinallumé,lamessageriedesaboîtemails’ouvritdevantelle. Iln’yavaitqu’unepoignéedenouveauxmessagesdepuisqu’ellel’avaitconsultéechezellelaveilleausoir,beaucoupmoinsqu’ilyenauraiteuàl’époque,avantledécèsd’Amelia.Celadit lesgensconsidéreraientprobablementsonretouraubureaucommeune invitationàcesserderetenirleurscoups.Unepartd’elleavaithâted’êtreengloutieparsontravailquotidien,mêmesice travailnesignifiaitplusrienàsesyeux.Ellecontemplaitencoresaboîtederéceptionquandsontéléphoneportablel’informaqu’ellevenaitderecevoiruntexto.

«Etc’estparti»,marmonna-t-elleenfouillantdanssonsac.Gretchenn’auraitjamaisencaissésansbroncherqu’onluidised’allersefairefoutre.Kateréussitenfinàmettrelamainsursonportableetlesortitdesonsac.Ellelutlemessageaffiché

surl’écran.Amelian’apassauté.Katefermaconvulsivementlesyeux.Non,elleavaitforcémentmallu.Çanepouvaitpasêtreça.Elle

serraencoreplus fort lespaupièresavantde sedéciderà les rouvrir.Lorsqu’elle regardadenouveaul’écran,lemessageétaittoujourslà.Amelian’apassauté.Ellelelutencoretroisfois,lesmotsrestaientlesmêmes.Soncœurbattaitàtoutromprequandelledéposadélicatementsonportableaucentredesonbureau. Puis elle recula lentement son fauteuil à roulettes de façon à pouvoir étudier le texto à bonnedistance.

Uneseulepenséeluivenaitàl’esprit:S’ilvousplaît.S’ilvousplaîtnemefaitespasça.S’ilvousplaîtnemetorturezpas.

Pourquoiquelqu’un se serait-il amuséà lui joueruneblagueaussimalsaine ?Etqui ?Sa surpriseavaitététellequ’ellen’avaitmêmepasregardéquiluiavaitenvoyécemessage.Penchéesursonbureau,ellescrutaitsontéléphoneenquêtedel’identitédel’expéditeurquandlaportes’ouvrit.Kateseredressaaussisec.

«DouxJésus!»s’exclamaBeatrice,sasecrétaire.Elledévisageaitsachefcommesielleavaitperdulatête.«J’aifailliappelerlasécuritéquandj’aivuvotrebureauallumé.Qu’est-cequevousfaiteslà?−Beatrice,vousm’avezfaitunepeurbleue,pantelaKate,unemainsurlapoitrine.−Jevoisça.»BeatricetoisaKatedelatêteauxpiedsavecdegrosyeuxdésapprobateurs.Mèredesixenfants,elle

traitaitKateetl’autreavocatpourquielletravaillaitcommes’ilsavaientétésesseptièmeethuitième.«Jecroyaisquenousnousétionsmisd’accordpourquevoustravailliezdechezvousaumoinssix

semainesencore.Jeremynevousapasfaitlecoupdu“Ohs’ilteplaît,tuessidouée,tueslaseuleetl’unique”,quandmême?Parcequejevousjure,jevais…

−Jeremynem’apasrappelée,coupaKateensecouantlatête.Ilfallaitquejesortedechezmoi.−Doncvousêtesvenuelà?Vousêtesretournéetravailler?−Jen’avaisnullepartoùaller.»Katejetaunœilàsontéléphone.ElleenvisageauninstantdeparleràBeatricedumessage,maiselle

craignaitquecesoitprématuré.Elleespéraitencorel’avoirimaginé.«Vousferiezmieuxdefermervotreporte,ditBeatrice.Sinond’icimidicesvautoursaurontdépouillé

votrecarcasse.»Levisagedelasecrétairesefigeaaussitôt,commesiellevoulaitravalercetteréférenceàlamortqui

luiavaitéchappé.Kateauraitvoululuidiredenepass’enfaire,quecen’étaitpasgrave.Maisellenepensaitqu’àunechose:cetexto.

Amelian’apassauté.C’étaitd’autantpluscruelqueKateavaitmisénormémentdetempsàaccepterqu’Amelias’étaitbel

etbiensuicidée.L’idéequesafilleavaitétésurpriseàtricher−surunedissertationenanglais,quiplusest− était particulièrement ridicule. L’inspecteur Molina avait beau lui avoir signifié que toutes lespreuvesmatériellespréliminairesconvergeaientverslesuicide,ellen’avaitpasvraimentétéconvaincue,dumoinsaudébut.

Non,Kateavaitcherchéunboucémissaire,etlelycéeavaitétélecandidatnuméroun:uneserruredéfectueuse sur le toit,une surveillancemaladaptée,deséquipementsdangereux.Elleavait égalementenvisagélapossibilitéqu’Ameliaaitpuêtrepoussée,maispastrèssérieusement.L’idéequequelqu’unpuissevouloirdumalàAmeliaétaitpresqueaussi incroyablequecelled’Ameliasevoulantdumalàelle-même.

Et puis l’inspecteur Molina avait mené l’enquête : il avait fouillé la chambre d’Amelia, s’étaitentretenuavecsesprofesseursetsesamis,avaitconsultésonordinateuretsonportable,avaitcherchésiquelquechoseauraitpuentraînerunechute,unedéclivitédu toit,unobjet sur lequelAmeliaauraitpubuter.Ilavaitaussicherchédestracesdelutte.Maisiln’avaitrientrouvé,hormislemot«pardon»écritsurlemur.Unesemaineplustard,ilavaittéléphonéàKatepourl’informerquelemédecinlégisteavaitconfirmél’hypothèsepréliminairedusuicide.Etc’enétaitrestélà:Amelias’étaitsuicidée.

Entout,l’enquêteavaitduréneufjours.Neufjourspours’entendredirequesafille,quiavaitétésameilleureamie,safilledontelles’étaitoccupée,avecquielleavaitrietqu’elleavaitchérie,ellenelaconnaissaitfinalementpasvraiment.Cejeunecœurétaitemplid’unchagrinsigrandqu’illuiavaitprissonderniersouffleetpourtant,étrangement,Kateavaitratétouslessignes.

À cet égard aussi on lui avait fourni une explication fort commode : suicide impulsif.C’était plusfréquentqu’on lecroyait,dumoinsc’estcequedisait leDrLipton, lapsychologuedu lycéedeGraceHall.Apparemment,ilarrivaitcourammentquedesgensdécidentdesesuicideretpassentàl’actionenl’espacede quelques heures.Pas de distributiondes biens chers à leur cœur, pas de lettre de suicidecomme dans ces émissions que Kate regardait dans sa jeunesse, le soir après les cours. Selon leDrLipton,avoirétépriseentraindetricherauraittrèsbienpuêtreledéclencheur,surtoutsiAmeliasesentaitdéjàsubmergéeémotionnellementparunconflitavecuneamie,unerupture,desproblèmesà lamaison. Le simple stress ordinaire induit par l’adolescence aurait pu suffire à préparer le terrain.Contredirecepointnefaisaitqu’augmenterlaculpabilitédeKate.

«Vousêtessûrequec’estunebonneidéed’êtrelà?»s’enquitBeatrice.Ellesemblaitencoreplusinquièteàprésent,probablementparcequeKateétaitrestéeplantéelà,les

yeuxrivésausol,pendantDieusaitcombiendetemps.«Vousn’avezvraimentpasl’aird’allerbien.»Onfrappaàlaportedubureau,sanslaisseràBeatriceletempsd’obteniruneréponse.Surleseuil,

derrièrelasecrétaire,setenaitJeremy.Ilportaituncostumebleumarinebientailléetunecravaterayéequifaisaitressortirsesyeuxbleus.Katenel’avaitpasrevudepuisl’enterrement,enrevancheilss’étaientparlédeux foisau téléphoneet il luiavaitenvoyéplusieursmails−brefs,maisd’unegentillesse sansdéfaut−afindeprendredesesnouvelles.

«Salut,dit-ildoucement,enrestantàcôtédelaporte.−Salut,réponditKate,s’efforçantdeseressaisir.−Tuesderetour.−Ehoui.»Alorsqu’ils sedévisageaient,Katesentitpeser sureux le regarddeBeatricequiglissaitde l’unà

l’autre.Kate savaitquesa secrétaire fronçait les sourcils sansmêmeavoirbesoinde la regarder.DesrumeurscirculaientausujetdeJeremy,surtoutcequ’ilfaisaitetsurlesfemmesavecquiillefaisait.Ilyenavaittoujourseu.Cesragotsétaientdustoutautantauxtropnombreusesaffairesassignéesàcertainesqu’auxtropnombreuxdînersprisderrièredesportesclosesavecd’autres.Certainsétaientpeut-êtrevrais−unepartiel’étaitsansaucundoute−,maislaplupartnel’étaientcertainementpas.

C’est alors que le portable de Kate vibra de nouveau, tremblant bruyamment sur le bureau.Undeuxièmemessage.Katepritunecourteinspirationensepenchanttimidementpourjeterunœil.

Amelian’apassauté.Vouslesavezetjelesais.Unemainplaquéecontrelabouche,Kates’efforçadenepascrier.«Ohlà,quesepasse-t-il?»demandaJeremyenentrantdanslapièce.Il se dirigea droit vers le bureau et s’emparadu téléphone. Il fronça les sourcils en découvrant le

message.«Quit’aenvoyéça?»Recevoircesmessagesétaitdéjàsuffisammentdur,maisvoirJeremyplantélààlaregardercommesi

elleétaitquelqueanimalestropié,c’étaitlagoutted’eau.

«Jen’enaiaucuneidée,répliqua-t-elleentâchantderavalerseslarmes.J’enaireçuunautreilyadeuxminutes.Quelqu’unquichercheàrigoleruncoupj’imagine.

−Rigoleruncoup?Çanerimeàrien.Tunepensespasqu’ilpourraityavoirunepartdevérité,dis-moi?

−Devérité?Non,jenepensepas.Lapolice…»Ellesecoualatête.Malgrésesefforts,leslarmesétaientparvenuesàs’insinuerdanssesyeux.Elle

baissa la tête dans l’espoir que personne ne les remarquerait. Le pire était qu’elle n’avaitmême pasvraiment envisagé que ce message puisse, de fait, être légitime. Elle avait supposé qu’il s’agissaitsimplementdeharcèlement.

«Maisj’imagine…Franchement,jenesaispas.−Mafoi,c’estunnuméromasqué,commentaJeremyenregardantdenouveau leportabledeKate.

Ondevraitauminimumessayerdedécouvrirquil’aenvoyé.»IlsetournaversBeatrice,àquiiltenditletéléphone.«Çavousennuieraitde leporteràDuncanauservice informatique?Jesuis sûrqu’ilpourranous

aideràobtenirlenumérodel’expéditeur.−Bonneidée»,ditlasecrétaireenluiarrachantl’appareildesmainsavantdesedirigerprestement

verslaporte.«Numéromasqué,moncul.»Jeremy la regardapartir puis baissa les yeux.Kate avait l’impressionqu’il cherchait unmoyende

s’éclipseravectact.«Merci.Maisjeneveuxpasquecettehistoireteretienne.Jesuissûrequecen’estrienet,detoute

façon, ne dois-tu pas te rendre au tribunal ? lui demanda-t-elle afin de lui fournir une voie de sortie.Danielm’aditquel’assignationavaitétéannulée.Victordoitêtreravi.

−Victor,ravi?Jen’iraispasjusque-là»,finit-ilparrépondreenregardantKate.Le soleilmatinal qui entrait par les fenêtresderrière elle avait donnéune triste teinte aqueuse aux

yeuxdeJeremy.«Entrenous,j’étaisd’accordavectoiausujetdel’inutilitéderequériruneannulation.Tudonnaisà

ton client un bon conseil. J’étais d’avis qu’en faire la demande risquaitmême de nous exposer à dessanctions.MaisDaniel…»

Ilsecoualatêteetserralesdents.«Tuleconnais,c’estunpetitroquetteigneux.Ilm’aeuàl’usure.Maisjeluiaiditques’ilyavaitla

moindre sanction, il la paierait de sa poche.La perspective de cette éventualité est peut-être la seuleraisonpour laquelle j’ai donné le feuvert.Ça, et le fait quenous ayons emménagédansnotre nouvelappartementlamêmesemaine.L’épuisementm’arenduvulnérable.»

Jeremyn’avait jamais aiméDaniel, et ce depuis l’époqueoù cedernier avait été stagiaire dans lamêmepromotionqueKate,àbourdonnerautourdeJeremycommeunemouchetêtue.L’ambitionéhontéeétait un défaut que ne supportait pas Jeremy, probablement parce qu’il était extrêmement habile àcamoufler la sienne. Mais le mépris qu’il ressentait envers Daniel semblait avoir des racines plusprofondes.Lesquellesaujuste,Katenes’aventuraitpasàtropyréfléchir.Sanscompterqu’ilsepouvaittrèsbienqu’elles’imaginedeschoses.Entoutcas,Danieln’étaitpasprèsd’allervoirailleursdesitôt.Nonobstantl’opinionpersonnelledeJeremy,c’étaitunavocatexceptionnel,l’undesmeilleursducabinet.Or,fairegagnerlecabinetétaitplusimportantpourJeremyquesonaversionenversDaniel.

«Leschosesontbientourné,ondirait,commentaKate.−Lefaitqueçaaitbientournénesignifiepasquelamiseencausedel’assignationétaitlavoiedela

prudence.Bonne étoile et conseil avisé sont deux chosesdifférentes.À cepropos, nous allonsperdre

aujourd’huienappel,c’estgaranti.Àtonavis,pourquoiai-jelaisséDanieldéfendrelasecondemoitiédudossier?»

Ilsourit,l’airtrèscontentdelui.Puissonvisagechangea,redevintsérieux.«Écoute,c’estpeut-êtredéplacédemapartdeteposercettequestion−d’ailleurs,çal’est,c’estsûr.

Maisaveccetextoettout,es-tusûrequelamortd’Ameliaétaitunsuicide?Jesaisquelapoliceaparlédece“message”qu’elleestcenséeavoirécritsurcemuràcôtédel’endroitoùelleesttombée.Maisenréalitécen’étaitqu’unmot,non?

−Ouais:“pardon”.C’esttout.Jen’aipasarrêtédedireàlapolicecombienAmeliaprenaitl’écritureetlesmotsausérieux.Quesielleavaitlaisséunelettredesuicide,ç’auraitétéépique.»

Ellehaussalesépaules,puissecoualatête.«Maispeut-êtrequejemeberced’illusions.C’estl’avisdelapoliceentoutcas.−Ilsontconfirméqu’ils’agissaitdesonécriture?»Kateleregardaenclignantdesyeux.Cettequestionétaitd’unesimplicitéenfantine.Pourquoin’avait-

elle pas songé à faire analyser l’écriture ? Elle s’était retrouvée si accablée, si bouleversée, sivulnérable.Siseule.Et l’inspecteurMolinaavait réagicommesielleavaitunproblèmeàchaquefoisqu’elleluiavaitposéunequestiondetrop.C’étaitdéjàassezdurd’êtrelamèred’uneenfantquis’étaitsuicidée.Êtreconsidéréecommeunemèreenpleindéniétaitsimplementinsupportable.

«MonDieu,quejesuisbête,soupiraKate.J’aiprisçacommeargentcomptantquandonm’aaffirméquec’étaitcelled’Amelia.Tuasraison.J’auraisdûlafaireanalysermoi-même.

− Prendre la police au mot n’est pas bête, c’est raisonnable, répliqua Jeremy avec son aisancehabituelle.Maisàprésent,aveccetexto,ilestpeut-êtretempsderegarderdeplusprès…l’ensembledecetteaffaire.

−Jecroisquej’aidûavoirpeurtoutcetemps-làderemettretropdechosesenquestion.J’aipeut-êtrepeurdecequejepourraistrouver.Jenesaispas.

−Ameliaétaitunebonnegamine.Ettuétaisunebonnemère.Riendecequetutrouverasnechangeracesfaits.»

Kate eut un sourire triste, ses yeux s’emplirent denouveaude larmes. Jeremyavait le dondedireexactementcequ’ilfallait,àtoutlemonde,àn’importequelsujet.Ilnepouvaitpass’enempêcher.

«Écoute,jeconnaislecommissairedivisionnaire.Enfin“connaître”estpeut-êtreunbiengrandmot,maisnoussiégeonstouslesdeuxauconseilduclubBoysandGirls.Jevaispasserquelquescoupsdefil,voirs’ilyauraitmoyendefaireanalysercetteécriture.Commençonsparlà,nousverronsbienoùçanousmène.»

Katehochalatête.Unepartd’elles’inquiétaitdelaisserJeremys’occuperdeça.Delelaissertrops’impliquer,surtoutquandelleenavaitsidésespérémentenvie.

«Ceseraitgénial,merci.»Elleavaitl’impressiondetrahirquelqu’un.Qui,ellen’enétaitpassûre.«C’est…J’aiété…merci.»Parvenuàlaporte,Jeremyseretourna.«Jet’enprie.»Sonsourireétaitteintédemélancolie.«C’estlamoindredeschoses.»

AMELIA

14SEPTEMBRE,12H16

AMELIAjvais?

BENoùça?

AMELIAàcetrucoparc,tusais,situneveuxpasquel’oiseaus’envole

BENjesaispas,yallerseule?çam’al’aird’1piège

AMELIAmsjesuiscurieuse

BENlafouineaussi…

AMELIAetonsaitcequiluiarrive

BENtonlycéeestbourrédedingos

AMELIAtumefouslesjetons

BENparfait.vautmieuxavoirpeur

AMELIAsuper.merci

BENdemandeàSylvia2venir

AMELIAlapasétéinvitée

BENohoh

AMELIAouaip.ohoh

BENlvaêtreVNR

AMELIAouaip

BENmerdeetsoisprudente

AMELIAjeleserai…bisous!

BENbisous,envoie-moi1textoaprès.ciao

Facebook14SEPTEMBRE

AmeliaBaronflirteavecledésastre

CarterRosetorrideSylviaGoldeflirte?arrêtetoncharCarterRoselanguedeputeSylviaGoldevatefairef.carter

AMELIA

14SEPTEMBRE

Quandj’aizieutéhorsdusentierquidébouchaitàlaPicnicHousedeProspectPark,jelesaivuesquiformaientungrandgroupeenbordured’unbosquet.Dumoins j’ai supposéquec’était elles,etde faitj’étaisplutôt surprisede les trouver là. J’étaisquasi sûredem’êtrecassé leculàmentiràSylvia surl’endroitoùj’allaisetdem’être tapélecheminjusqu’auparcpourdécouvrirqu’iln’yauraitpersonnenulle part. La grosse blague, quoi.Mais elles étaient bien là, rien que des filles, à première vue, quiattendaient,squattantsouslesvieuxarbrestordus.

LesMagpies.C’étaitelles,obligé.Quatreclubsavaientétéréintroduits:lesMagpies,c’étaitquedesnanas;Wolf’sGate,quedesmecs;

etDevonkillet lesTudorsétaientmixtes.Leur trip,c’étaitdegarder lesecretsur leursmembresetcequ’ils faisaient.Mais des rumeurs circulaient dans les couloirs et surFacebook, et on lisait aussi destrucsàcesujetsurgRaCeFULLY.OndisaitquelesMaggiesorganisaientdesconcourspoursavoirquisuçaitleplusdequeuesetquelesmecsdeWolf’sGateétaiententréspareffractiondanslelycéepourvolerdesiPads.Maislesgensfaisaientgaffeàcequ’ilsdisaient.Personnenevoulaitsemettrelesclubsàdos.Ilyavaitaussidesbruitsquicouraientsurcequisepassaitquandc’étaitlecas.

Yavaitmoyenque lamoitié soitvraie.Lamoitié,c’étaitdéjàbiensuffisant.Engros, lesgensdesclubsfaisaientsoi-disantplusoumoinsceàquoions’attend:traînerensemble,fairedesfêtes,baiseretdéciderquipeutêtredesleursounon.D’ailleurs,ilssemblaientpasserleplusclairdeleurtempsàça.Wolf’sGate et lesMaggies, c’était les joueurs de foot et les pom-pomgirls versionGraceHall : ilsétaientcoolsdechezcool.LesDevonkilletlesTudorsétaientplusgenrecoolstoutcourt.

Ce n’était pas comme si j’avais attendu une invitation pour rejoindre un de ces clubs. Ceux quiyétaient,aufond,c’étaitdesmoutons,enfinlaplupart,etpuisSylviaetmoi,onavaitnotrepactecommequoionn’iraitpas.Àmoinsetseulementàmoinsqu’onchanged’avisensemble,etencoreuniquementsionétaittouteslesdeux,invitées.Parcequ’unclubquinevoulaitpasdenousdeux,c’étaitunclubdontnil’unenil’autren’avionsenviedefairepartie.Macuriositéetlefaitdemepointern’ychangeaientrien.

Detoutefaçon, jamaisde lavie jen’auraispenséquemoi jeserais raccordéeauréseau−enfinsic’était biendeçaqu’il s’agissait.Et encoremoins à celuidesMaggies.Autre raisonpour laquelle jen’avaispastropmauvaiseconscienced’allermettreauclaircettehistoire.J’avaisbeauêtrequasisûrequetoutçan’étaitqu’unesaleblague,ilfallaitquej’enaielecœurnet.Êtrecool,jem’enfichais,maisenmêmetemps jen’avaisencore jamaiseu l’occasionde l’être.Etpuisça faisaitplutôtplaisird’êtrechoisiepourquelquechosequin’avaitrienàvoiravecmonQInilavitesseàlaquellejecourais.SilesMaggiesmevoulaientmoi,ceseraitjusteparcequej’étaismoi.

Sans compter que c’était pas comme si Sylviam’emmenait avec elle chaque fois qu’elle avait unnouveaumec,etjeneluienvoulaispas.Maisjen’étaispasnonplusobligéedepoireauterdansmoncoinsansrienfairejusqu’àcequ’ellesefasseplaquer.ParcequeSylviafinissaittoujoursparsefaireplaquer.Etmoij’étaistoujourslààramasserlesmorceaux.

J’aiplissé lesyeuxdans la lumièreaveuglantedusoleilaumomentdecontourner laPicnicHouse,puis j’ai glissémesmains tout au fond demes poches. Elles tremblaient. Je ne savais pas pourquoi.

C’étaitpascommesij’étaisgravenerveusenirien.Une fois arrivée un peu plus près, j’ai enfin discerné ce qui ressemblait à une vingtaine de filles

−rienquedesmeufs,c’estbiencequejepensais−appuyéescontrelestroncsouaccroupiesàl’ombredubosquet.Ellesétaientencoretroploinpourquejepuissedistingueraucundeleurvisage,maisj’enaivuunepointerundoigtdansmadirection.Quelquesautressesonttournéesversmoi.Unealevélamain.Cen’étaitpastantunsalutqu’unsignal,genre.Aucundoute,ellesm’attendaient.LesMagpies,lespies:cesbeauxoiseauxcruelsréputéspourarracherlesyeuxdesgensàcoupsdebec.

J’ai tâché de ne pas accélérer. Je ne voulais pas avoir l’air d’être pressée de faire ce qu’ellesattendaientdemoi.Non,j’étaisrelax,cool,passtresséeparlasituation.LaisserlesMaggiesessayerdesefoutredemoi,OK.Maisyavaitpasmoyenquejemejetteencourantdanslagueuleduloup.

Parvenueàpeuprèsàmi-chemin,j’aivudeuxautresfillesarriverdansladirectionopposée.C’étaitunsoulagement−etungenrededéception−devoirquetoutcebordelnem’étaitpasuniquementdestiné.L’avantage, c’est que si c’était une blague, aumoins il n’y aurait pas quemoi qui serais victime desMagpies.

J’yétaispresque,maislalumièreétaitsiintensequejen’arrivaistoujourspastropàdistinguerquisetrouvaitsous lesarbres,àpartqu’ilyenavaitcinqdebout.J’enai reconnuunegrâceàsa tignassedelonguesbouclesorangées.Dansunlycéebourréd’élèvesquisefondaientdanslamasse,cettecrinièresautaitauxyeux,etelleappartenaitàDylanCrosby :uneélèvedepremière,belleetpopulaire.Dylanétaitlestyledefillequ’onseseraitattenduàtrouverchezlesMagpies,saufqu’elleétaittellementultracoolqu’elleétait,genre,au-dessusdescools.PremierrôledanspresquetouteslespiècesdethéâtredeGraceHalldontjemerappelais,ellesemblaitsefoutredel’opiniondesautres,etducoup,évidemment,toutlemondevoulaitêtresameilleureamie.C’étaitexactementcommeçaqu’onsevoyait,Sylviaetmoi.Saufquequandondébordaitducadre,personnen’essayaitdesuivre.

Dylann’avaitjamaiseudecopainàGraceHall.Or,unefillecommeelleétaittropmignonnepournepas en avoir. Lamoitié du bahut pensait qu’elle était frigide, l’autre se disait qu’elle devait avoir uncopainsecretquelquepart−untypeplusvieux,peut-êtremêmemarié.Oucélèbre.Pendantunmoment,ilyavaitmêmeeuunerubriquedansgRaCeFULLYquis’appelait«Dis-nousDylan» : tout lemonderetenaitsonsoufflepourvoiràquielleallaitenfindéciderdedonnerlefeuvert.Cettecolonneavaitfinipartomberàl’eauvuqu’aucunesaloperien’avaitjamaisétédéterréesursoncompte.Pendantuntemps,ilyavaitmêmeeudesrumeurscommequoielleétaitencorevierge−perso,jeconsidéraisçacommeunencouragementpersonnel.Maisensuitelesgensonteul’airdesedirequec’était tellementconqueçavalaitmêmepaslecoupd’enrire.

J’aifinipardébouchersurunboutdesentierombragéetj’aialorspudiscernerlevisagedesquatreautresfillesquisetenaientdebout:Zadie,Bethany,RacheletHeather.AvecDylan,ellescinqsemblaientêtrelesleaders.Logique.C’étaitlabandeprincipaledesterminalespopulaires,àpartDylan,quis’étaitimposéealorsqu’elleétaitenpremière.Sûrementparcequec’étaitlameilleureamiedeZadie−unduopresqueaussibizarrequelenôtre,àSylviaetmoi.CescinqfillesétaientcellesavecquitouslesmecsdeGraceHall rêvaientdecoucheretque toutes lesnanasrêvaientd’être.Etpuiselles traînaient toujoursensemble,mêmesiellesnesemblaientpasforcéments’apprécierdesmasses.

Je connaissais Rachel et Heather par l’équipe de hockey sur gazon. Elles étaient cocapitaines.Heather,c’étaitunearistoréacduprivé,côtéstylec’étaitleMayflower,côtéfricc’étaitRockefeller.EllepassaitsesétésàNantucketetsesvacancesd’hiverauxconcourshippiquesdeWestPalmBeach.Lepluscurieuxchezelle,c’estqu’ellehabitaitàBrooklynetpasdansl’UpperEastSide.RachelétaitoriginairedeParisetjuraitenfrançais,cequisuffisaitengrosàluiconférerunecoolattitude.Ellesavaienttouteslesdeuxdescheveuxblondsépaisetraides−ceuxd’Heatherluiarrivaientaumenton,ceuxdeRachel

étaientbeaucouppluslongs−,onauraitpulesprendrepourdesjumelles.Ellesétaientvraimentsalopesavec toutes lesautres joueusesde l’équipedehockey.Jusque-là,ellesm’avaientgrossomodo foutu lapaix.Ilfautdireaussique,mêmeentroisième,jejouaisdéjàdeuxfoismieuxqu’ellesenseraientjamaiscapables.

Sans connaître personnellement Bethany, je savais que c’était la comique du groupe. Elle sedébrouillaitpourquetoutlebahutsoitaucourant.Gonfléeetunpoillourdingue,ellesefaisaitsansarrêtexclureàcausedesesgroscanularsd’écolier.Etpuiselleavait l’humourméchant.Elle faisait tout letempschialerlesautres.C’étaitprobablementenpartiepourçaqu’elleavaitintégrélesMagpies:ellesavaient trop peur de la laisser à l’écart. Et puis on disait aussi qu’elle était prête à coucher avecn’importequi,n’importeoù.Dansl’universdeGraceHallpeuplédesquelettesdécharnés,çaauraitpul’aideràcompenserseskilosentrop.

EttoutlemondeconnaissaitZadie.LameilleureamiedeDylanetl’élèvelaplusoufdeGraceHall.Pâle et maigre, elle avait des cheveux noirs broussailleux qui voilaient ses yeux bleu pétant, et unpiercingsurunenarine.Elleavaitaussiunelargemèchedecheveuxblancssuruncôtéducrâne,unpeucommeunemouffette.Jen’étaispaslaseuleàmedemandersiellesel’étaitfaiteexprès.Jen’étaispasnonpluslaseuleàêtretropflippéepourposerlaquestion.Elleportaittoujoursdesjeansmoulantsetunevestedecamouflagefroisséequifaisaitplushautecouturequetenuedecombat.Elleavaitmêmeunpetittatouage sur l’avant-bras :«CaveatEmptor».Ondisaitque sesparentsétaientgrave laxistes− enfinquoi,àdix-septanselleavaituntatouage−,qu’ilslalaissaientmêmeboireàlamaisonetqu’ilssortaientparfoisavecelleenboîte.J’étaishypersurpriseettroppaspréparéeàlavoirici.Jel’auraiscruebienau-dessusdecesclubsdelycéeàlacon.

Quandjemesuisarrêtée,j’aienfinpuvoirlevisagedesdeuxfillesquivenaientdelacollined’enface:CharlieKugleretTempestBain.Ellesaussiétaientenseconde,etellessemblaientaussinerveusesquemoi.Nil’unenil’autren’étaitvraimentdugenremainstreampopulairenonplus.Tempest,danseuseclassique,étaitnouvelle.Uneaspergetoutenmuscles,avecdesmèchesviolettesquistriaientsescheveuxnoircorbeau.Charlieétaitunenanamenueavecdebeauxyeuxtristes,desfringueslargeset,d’aprèslarumeur,unfondsenfidéicommisdecinquantemillionsdedollars,quicomprenaitunoriginaldeWarholaccrochédanssachambre.

Charlie, Tempest et moi, on s’est toisées avec la même expression interloquée un peu flippée,haussant lesépaulesennous rejoignantdevant lameuteaffaléesous lesarbres.Manifestement, le seulpointcommunqu’onauraitpuavoir,c’étaitqu’onavait toutesétéassezcurieuses− ouassezconnes−pournouspointer.

«C’estpastroptôt,putain»,s’estexclaméZadieenfrappantdanslesmains.Ellearegardésagrossemontrenoire.«Vousavezintérêtàpasrecommenceràêtreenretard,putain.»J’airegardéàmontourmamontre:15h02,deuxminutesderetardparrapportàl’heuredurendez-

vous.«C’estquoicebordeldetoutefaçon?»aaussitôtaboyéTempest,bougeantlatêtecommesiellese

foutaitroyalementdequiétaientZadieetsespotesetqu’ellesluifaisaientjusteperdresontemps.«Etsivouscommenciezparm’expliqueràquoijesuiscenséeêtreenretard.»

Zadieafermélesyeuxenbattantdespaupières,puisainspirélonguementd’unairsatisfait,commesielleinhalaitunparfumdélicieux.

«Vousvoyez,a-t-ellelancéenregardantlesautresfillespar-dessussonépaule.Qu’est-cequejevousdisais?Uneterreurentutu.C’estpasgénial,ça,putain?

−Qu’est-cequeturacontes,uneterreurent…

−Tssst.»ZadieafaitglissersonindexsouslenezdeTempest.«Tagueule,putain.Jet’aimebien,maispasàcepoint-là.»Moncœurs’affolaitgrave.Jen’avaisrienàfaireici.Jen’étaisuneterreurenriendutout.Toutça

c’était juste…cen’était pasmoi. J’auraisvoulucourirmecacherbienà l’abridansmonpetitmondeavecSylvia.Certescesdernierstempsellesemblaitmetraiteravecconsidérationuniquementquandellese faisait plaquer, et alors ? C’était pas grave. On était copines depuis longtemps. Tôt ou tard elleredeviendrait l’amie qu’elle avait été. Et puis j’avais Ben à présent. Je n’avais besoin de personned’autre.

Seulementmaintenantjelesavaisvues.J’avaisvulesMaggies.Ellesn’allaientpasmelaisserpartircommeça.Ilyauraitunprixàpayer.Lequel,jen’ensavaisrien.Maiscen’étaitpasunprixquej’étaisprêteàverser,çaj’enétaissûre.

Àcemoment-là,Dylans’estavancée.«Venezdoncvousasseoir,lesfilles.»Elleavaitunejolievoixetunsouriresympathique.«Jesaisbienquetoutescescachotteries,c’estunpeuzarbi.Maisaufinal,çafaitpartiedudélire,je

vouspromets.»Ellenousadécochéungrandsourireetnousafaitsigned’avancer.Avecsonvisageéclairépar le

soleil,sesyeuxchaleureuxetpétillants,elleétaitencoreplusjoliequecequejepensais.Quandelleasouripourladeuxièmefois,sonsourirem’étaitdirectementadressé.

«Viens.»J’aibougéavantmêmedel’avoirpleinementdécidé.Jemesuisdirigéeversl’enchevêtrementlourd

etbasdesarbres,oùlerestedesfillesétaientadosséescontredesgrossesbranches,assisessurleursacou allongées de tout leur long sur des couvertures. Je connaissais la plupart de leurs noms. J’avaisfréquenté Grace Hall avec elles presque toute ma vie. À part une ou deux surprises, elles étaientexactement celles que jeme serais attendue à trouver chez lesMaggies :mignonnes, populaires, bienfringuéesetavecungrosréseau.Leurprésenceàtoutesparaissaitlogique−mêmecelledeTempestetdeCharlie,àleurmanièreunpeudécalée.Toutessauflamienne.Celadit,lefaitden’êtrepasraccordétaitbeaucoupmoinsbizarrequemonviolentdésirdel’être,toutàcoup.Jeledésiraisvraiment.Jesavaisquej’auraisdûpartir.Jemecomportaismalvis-à-visdeSylviaenrestant.Jemecomportaismalvis-à-visdemoi-même.Maisjen’avaispasenviedepartir.Jenepouvaispas.Pasencore.

ZadieetDylansetenaienttoujoursdeboutausoleil,échangeantdesmessesbasses.Zadieavaitl’airvénère.Dylanunpeuàl’ouestetvaguementtristetoutàcoup.Aubahutonparlaitbeaucoupd’ellesdeux,Dylan et Zadie, de la façon dont Zadie tournait toujours autour de Dylan comme un bouledogue.Ontrouvaitçaflippant.Etçal’était.C’étaitbizarre.

«Sérieux,aconcluZadieenpointantundoigtrageursurDylan.Arrête.»Dylan s’est alors éloignée doucement et s’est assise sous les arbres, sur une grosse pierre plate,

sourireauxlèvresetyeuxpapillotants.Elles’efforçaitvainementd’avoirl’airheureuse.Zadieestrestéeencoreuneminutesurlesentierenpleinsoleil,puiselleacroisélesbrasetafroncélessourcils.Elleaparcouru du regard les deux allées qui sinuaient de part et d’autre à travers le parc, comme si elleenvisageait éventuellement de se barrer en empruntant l’une d’elles. Mais non, elle a fini par allerprendre laplacequi luiétait réservéedevant legroupesous lesarbres.Heather,RacheletBethanysesontpostéesàsescôtés.

QuandZadie s’est enfin tournéeversnous trois, son regardn’étaitpasdesplus tendres.D’ailleurselle avait l’air plutôt dégoûtée. J’étaisobnubiléepar cettehistoireque j’avais entendueun jour, selon

laquelle elle avait fait avaler un bouchon de bouteille à une fille pendant une fête. Du coup je medemandaiscequecesnanasfaisaientaujustepourquetouteslesmeufsduclublamettentenveilleuse.Parceque,vuleurnombre,onauraitpucroirequel’uned’ellesauraitparlé.Àmoinsqu’ellesaientunetrèsbonneraisondelafermer.

«C’estnouslesMagpies,leclubleplusancienetlepluscooldecebahutderingards,putain,s’estemballéeZadie.Fondéyadesplombesenmilleneufcentetquelque,putain, sadeviseétait “soutien,solidaritéféminine,sang-froid”.Maintenantqu’onl’afaitrenaîtredesescendres, j’aiajouté“ousuce-moi”.Vousenavezentenduparler,non?»

Ellenousfusillaitduregard.L’uned’entrenouss’estmiseàhocherlatête–jenesaispaslaquelle−etonatoutessuivi.

«Bien,aditZadie.Parcequesinon,faudraitdirectquejevousexpédiesurletrottoiràcoupsdepiedaucul,putain.»

J’aivulecorpsdeTempestsebandercommesielles’apprêtaitàdireàZadied’allersefairefoutre,maisellen’apasprononcéunmotets’estmêmetasséeunpeuquandleregarddeZadiel’afoudroyée.

«Maispourquoinous?ademandéCharlied’unepetitevoix.Enfin,noustrois,onestcomplètementdifférentes.»

Siellesclassaientparcatégories,àtouslescoupsj’étaisl’intellodugroupe.«Enfin,Charlie, tu sais bien que c’est juste une blague à la con », a rétorquéTempest, qui avait

retrouvédumordant.Elles’estredresséedel’arbrecontrelequelelleétaitappuyée.«Ellesnousfontdirequ’onaenvied’intégrerleclub,ensuiteellesnousfontbouffergenrequarante

litres de vodka en gelée, et pour finir elles nousmitraillent en train de gerber ou quoi.Après on estadmisesetellescontinuentànousinfligerdestrucsencoreplusdégueux.»

Zadieaeuunsourirehaineux.«Engros,ouais.»Dylans’estavancéeetaposéunemainsurl’épauledeZadie.«Non,a-t-elleprotesté, cen’estpascequ’on fait. Jevouspromets.Ceclubestcenséêtre fun.Et

ill’est.−Attendsunpeu. Je saispaspourquoi tu leur lèches lecul.C’estpascommesi ellesétaientdéjà

admises,putain.»ZadieafusilléDylanduregardavantdeseretournerversnous.«Vous avez de lamerde au cul, vous trois aussi, si vous croyez qu’onva vous supplier de venir,

putain.Sivousavezpasenvied’êtrelà,barrez-vous,putain.Hastalavista.»Elle n’avait pas l’air de sous-entendre qu’il nous arriverait malheur si on partait, autrement dit

ilfallaitquejeprennelatangente,toutdesuite.Quejesaisisseauvolsaproposition.J’aiattenduquemon corps veuille bien se ruer dans l’allée. Rien. Quelque chose en moi n’était toujours pas prêt àdécoller.

«Écoutez,jesaisqueçaasûrementl’airunpeuzarbi,aenchaînéDylanensemettantdevantZadie.On sait bien qu’il y a d’autres secondes qui sont, genre, plus populaires ou quoi.Mais on les trouvechiantes,cesmeufs.Vous,on trouvequevousavez, jesaispas,de lapersonnalité.Vousn’essayezpastropd’êtreoudefairesemblantd’êtrecequevousn’êtespas.C’estpasuneobsessionchezvousd’êtrecool,parcequeça,c’estgravepascool.»

Quand soudain Zadie a fait pivoter versmoi ses yeux soulignés au crayon noir, j’ai arrêté net derespirer.

«Maisjelerépète.Sivousn’avezpasenvied’êtrelà,a-t-ellesiffléàmonadresse,cassez-voustoutdesuite.Foutezlecamp,putain.Sansrancune.»

Elles’estapprochéedenous,asortiuneclope,l’aalluméeetaprisunegrandetaffe,qu’ellenousarecrachéeauvisageenunelonguevoluterégulière.

«Parcequesivousrestezetqu’ondécidedevousmettreàl’essai,aprèsyauraplusmoyendepartir.Dumoinsplusaucunmoyenfacile.»

MoncœurbattaitsivitequejeflippaisqueZadieleremarque.Etmesautedessus.J’auraispupartiràcemoment-là.Elleavaitditquejepouvaisetqueceseraitcommes’ilnes’étaitrienpassé.Commesijen’avaisjamaistrahiSylvianifaillienversmoi-même.Partir,voilàcequejedevaisfaire.Jelesavais.Aucundoute.Saufquelasimpleidéedemettrelesvoilesmedéprimaitcarrément.

Alorsjesuisrestéeplantéelà.J’observaisDylanquiretournaits’asseoirsursagrossepierreplate.Décontractée,insouciante,àl’aise,elleatendulesjambesetlesacroiséesauniveaudeschevilles.Elleaalors levélesyeuxversmoicommesiellem’avaitentenduepenseràelle.Elleasouriunefois,sesjouesformantdeuxpommesrougestouteschaudes.

«Çava»,a-t-ellearticulésansbruit.Elleaencoresourietahochélatêteunefois.«Reste.»«Alors,mesdames,quelleestvotredécision?ademandéZadieensecollant lacigaretteentre les

lèvresavantdetaperfortdanssesmains.Parlezmaintenant,outaisez-vousàjamais,putain.»

AMELIA

14SEPTEMBRE,19H36

BENçapuelasociétésecrète

AMELIA1peu,ouais;jepeuxmêmepasdireleursnomsdslestextos,fautkejelesappelle

Maggien°1&n°2,etc.,cdingueBENouais,dingue.ya1clubinformatiqueàmonbahut

AMELIAha,ha

BEN1club2françaisaussi.Çaccool,non?

AMELIAmouais

BENpouralbany

AMELIAj’imagine

BENya1salutsecret?

AMELIAnon

BENvsportezdesmasques,genre,etvsfaitesdestrucszarbiflippants

AMELIApasencore

BENct1blague,turispastoi,cdusérieuxaujourd’hui…

AMELIAjemesensencore+débilemaintenant

BENdésolé

AMELIAcça

BENsérieux.Çaal’aircool.Jesuisjaloux,ctt

AMELIA

cool?BENallez,tusaisbienkeccool.t’habitesàNewYork.ttestcoollà-bas

AMELIAbrooklyn

BENvudenotrecambroussecpareil

14SEPTEMBRE19H41

SYLVIAAllô???t’étaisfourréeoùaprèslescours?

AMELIAdésolée!rabd’entraînement2hockey

SYLVIAbonDieu7meufsereposera-t-ellejamais?

AMELIAbientôtlesnationales

SYLVIAlesnationales?tuparlescomme1sportif,çacraint

AMELIAouais,cttmoi,onsevoit2maina.m.commed’hab?

SYLVIAouais,peut-êkeLÀj’arriveraienfinàtefaire1miseàjoursurIan

14SEPTEMBRE,20H03

NUMÉROMASQUÉ2main,niculottenisoutiflesnovices,oncheckera.Etmettez1jupe.RVmêmeheure,

mêmeendroit

14SEPTEMBRE,20H07

NUMÉROMASQUÉt’inquiètepasprMaggien°1:laboiemslmordpas.XoxoMaggien°2

AMELIAmerci,j’enavaisbesoin

NUMÉROMASQUÉpasdepb,suispasséeparlà,moiaussigjouélessans-culottes.letrucc1jupe

trèèèèèèèèèèèslongue

14SEPTEMBRE,20H11

NUMÉROMASQUÉcquitonpapa?

Facebook15SEPTEMBRE

AmeliaBaronestprudemmentoptimiste

AinsleyBrownet4autrespersonnesaimentça

KATE

26NOVEMBRE

QuandKaterentrachezelle,ellemontadirectementdanslachambred’Amelia.Elleespéraitquecetteaccélérationsoudainedesévénementsl’aideraitàdépassersesangoisses.Depuislamortdesafille,elleavaitétéincapabledemettreunpieddanssachambre.C’estSethquiavaitchoisilesvêtementsd’Ameliapourlesfunérailles.Ilavaitmêmemisunpeud’ordre− jetéunepommeàdemientamée,rassemblélelingesaleetfaitlelit−defaçonàcequeKaten’aitpasbesoindeserendredanscettepiècetantqu’ellen’yétaitpasprête.Depuislors,laportedesafillemorteétaitrestéeclose.EtKatenesesentaittoujourspaslecouragedel’ouvrir.Elleétaitdoncplantéelà,lamainsurlapoignée,l’estomacnoué.

Depuisqu’elleavaitreçucetextoquidisaitqu’Amelian’avaitpassauté,ellen’avaitpenséqu’àunechose : elleauraitdûdès ledépart s’impliquerdavantagedans l’enquête.Commentavait-ellepu faireconfianceàjenesaisquelinspecteurqu’ellesoupçonnaitdesepréoccuperplusdeclasserlesaffairesquededécouvrirlavérité?Elleauraitdûfouillerelle-mêmedanslesaffairesdesafille.Elleauraitdûréfléchirdavantageauxbonnesquestionsàposeretavoir lecouragede lesposer,malgré lesgensquivoulaientqu’ellerestesagementsansriendire.Malgrésonsentimentdeculpabilité.Aulieudecela,elles’étaitrepliéesurelle-mêmeetsursonchagrin,acceptantuneexplicationsurlamortdesafillequ’ellen’avaitjamaistotalementcrue.Parcequelerefoulementavaitétéplussimplequelalutte.Çaavaitétésaseuleetuniquefaçondesurvivre.

Or à présent elle pouvait le faire. Elle était plus forte qu’au lendemain de lamort d’Amelia. Pasbeaucoupplus,maisunpeu.Et il lui faudrait l’être.Caressayerd’accepter lesuicidedesafilleavaitbeauavoirétéhorrible,ellesavaitquelepirepouvaitêtreàvenir.

Ellepritunegrande inspirationet s’apprêtait à tourner lapoignéequand le téléphone fixesemitàsonner.Ellepoussaunsoupirdesoulagementetcherchadesyeuxlerécepteurdel’étage:iln’étaitpassursonsupport.Àladeuxièmesonnerie,elleserenditcomptequelebruitvenaitd’enbas,oùelledevaitavoirlaissélecombiné.Elledescenditl’escalierquatreàquatre,contentedes’éloignerdelachambredesafille.Quandellemitenfinlamainsurletéléphonedanslacuisine,illuifallutunmomentpourarriveràcroirequ’ellelisaitbienNYPDsurl’écran.Celafaisaituneéternitéqu’ilsnel’avaientpascontactée,etcelaarrivaitjustementaujourd’hui?Çanepouvaitpasêtreunecoïncidence.Peut-êtrelapoliceavait-elleaussireçuquelquemessage.

«Allô?−MadameBaron?InspecteurMolinaàl’appareil.−Bonjour,oui,c’estmoi,Kate.»Ellesepréparaitdéjàaupire.CerteselleespéraitardemmentqueMolinaaitdesnouvellesausujet

d’Amelia,maiselleenredoutaitlateneur.«Ya-t-il…avez-vousdes…Commentallez-vous?−Franchement,çaadéjàétémieux.Encemomentparexemple,jemedemandepourquoiilyades

plaintesquitombentducielconcernantmontravailsurl’affairedevotrefille.Simafaçondefairevousposaitproblème,vousaviezmonnumérodetéléphone.»

Jeremy avait déjà appelé le commissaire divisionnaire ? Kate ne savait pas pourquoi elle s’enétonnait.Sonsupérieurn’étaitpasdugenreàfairedespromessesenl’air.Cependantellenes’attendaitpasàcequ’ilyaitdesrésultats,etcertainementpasenl’espacedequelquesheures.

«Oh,hum,désolée.Jecroisquec’estmonpatron.Ilvoulaitrendreservice.−Rendreserviceàqui?marmonnaMolinacommes’ilseparlaitàmoitiéàlui-même.Cequiaurait

étébien,c’estdemelaposeràmoi,cettequestionàlaquellej’auraistrèsbienpurépondre.C’étaitpasexactementcommeçaquej’envisageaisdemeretrouverdansleradarducommissaire,sivousvoyezcequejeveuxdire.»

Il s’inquiétait pour l’avenir de sa carrière ? Cette conversation faisait remonter tout ce que Katen’avaitpasaiméchezlui.Cettefaçonagressivequ’ilavaiteuedelabombarderdequestionslespremiersjours. Il l’avait littéralement mitraillée. Si bien que Kate était constamment restée sur la défensive,laissantdecôtélesinterrogationsquilataraudaientpourseconcentrersurlameilleurefaçondebattreenretraiteetsemettreà l’abri.ElleavaitdésespérémentattenduquelemasquedebadboydeMolinasebriseenfinpourrévéleruncœurd’or.Envain.

«Jesuisdésoléequevousayezétéincommodé.»Katen’avaitpasréalisécombienelleétaitencolèreavantdel’entendredanssaproprevoix.«Seulementaujourd’huij’aireçuunmessagemedisantquemafillen’avaitpassauté.Commevous

pouvez l’imaginer, cela soulèvedesquestionsauxquelles j’aimerais franchement trouverdes réponses.Immédiatement.

−Ahouais?Unmessagedequi?−Jenesaispas.C’étaituntextoanonyme.»QuandDuncanluiavaitramenésonportable,ilavaitjustepuluidirequelemessageavaitétéenvoyé

par l’intermédiaire du site Internet d’unopérateur de téléphone, ce qui de fait le rendait impossible àtracer.

«Ahoui,anonyme,hein?»Sonsarcasmeétaitpalpable.«Ouais,anonyme.Cequinesignifiepasquecen’estpasvrai»,rétorquaKate,regrettantdenepas

avoirl’airplusfermeetmoinssurladéfensive.Ilétaithorsdequestionqu’elleselaissemalmenerparMolina.Pascettefois-ci.

«Jeveuxquecetextosoitexaminé.Etjeveuxquequelqu’unfasseuneanalysegraphologiqueduseulmotquiétaitinscritsurcemur.J’imaginequevousenavezunephoto?Parcequeçan’avaitriend’unelettredesuicide,etcen’estpasAmeliaquil’aécrit.Jel’aisudèsledébut.Etellenes’estpassuicidéenonplus.Çaaussi,jel’aitoujourssu.»

Jusqu’alors,Kate n’avait encore jamais pris conscience de la profondevérité de cette affirmation.Amelianes’étaitpassuicidée.Amelian’avaitpassauté.Iln’yavaitplusaucundoutelà-dessus.

«Doncjeprésumequelefaitquelerapportofficieldulégisteindiquelecontrairen’aplusaucuneimportanceàvosyeux?

−Jeconnaissaismafille.Jesaisqu’ellenes’estpassuicidée.»Elles’efforçaitdésespérémentdegarderunevoixposée,maislesvannesétaientouvertesàprésentet

touslesdoutesqu’elleavaitenfermésàdoubletouraffluaient.« Je vais découvrir la personne ou la chose qui l’a tuée, inspecteur. Soit vousm’aidez, soit vous

dégagezlepassage.Maisjevousprometsquejenemetairaipaspourvotrebonplaisir.C’estfini.−Ahc’estcommeça?»Onentendaitsonsourire.«Alorspourquoivousne…»

Kate raccrocha puis envoya violemment valser le combiné sur la grande table rustique. Il glissadessusetallas’écraserausol,oùellel’entenditsebriserenmillemorceaux.

«Etmerde.»Elles’effondraenlarmessurl’undesbancsquicouraitsurtoutelalongueurdelatableets’enfouitla

têtedanslesmains.«Faischier.»Qu’est-ce qu’elle était en train de faire ?Elle n’aurait pas dû infliger àMolina son nouveau style

«byebyelagentillefifille».Elleavaitbesoindelui.C’estluiquiavaitledossierd’Ameliaentrelesmains.Luiseulsavaitcequ’ilavaittrouvéoupas.Etmaintenantiln’yauraitplusmoyenqu’ill’aide.

Elleposalatêtesurlasurfacerugueusedubois,puisseretournapourjeteruncoupd’œilcirculaireàla cuisine : murs en briques, placards encastrés, pierre polie, équipement en inox. Kate ne cuisinaitjamais et pourtant ces gigantesques appareils électroménagers n’auraient pas déparé dans un petitrestaurant.ElleavaitachetétoutçapourAmelia.Amelia,quin’avaitpaseudepèreetpasassezdemère.Kates’étaitditque,pourtoutleresteaumoins,elleauraitlemeilleurdecequisefaisait.Quellebêtise.EnquoiAmeliaavait-ellebesoind’unecuisinièreàquatremilledollars?EtmaintenantKatedevraitlacontempler pendant le restant de ses jours enmangeant seule dans cette cuisine ses repas à emporter.Soudain,telunsignal,ellesentituneremontéed’acidedanssagorge.

Elledéglutitbruyamment,selevad’uncoupetretournaverslesescalierspourmonteràlachambred’Amelia.Elleavaituntravailàfinir,etellecomptaitbienlefaire.Elledevaitaumoinsçaàsafille.

Àl’étage,ellepritunegrandeinspirationenouvrantlaportedelachambre.Lorsqu’elleypénétraet

allumala lumière, il régnaituneodeurfétide.Commelamort.CommesiAmeliaétaitmorte icimême,danscettepièce,etqu’onavaitlaissépourrirsoncadavre.

Cette fois-ci, Kate était sûre qu’elle allait vomir. Elle traversa précipitamment la pièce et ouvritbrutalementlafenêtre,passantvitelatêtedehorsenquêted’airfrais.

Cettepuanteursortaittoutdroitdesonimagination.Elleavaitbeaulesavoir,beauseraisonner,çanechangeaitrien.Illuifallutinspirerunebonnedizainedefoispourquelanauséereflue.Aprèsquoi,ellese retourna et appuya les coudes sur le rebord de la fenêtre, les bras cisaillés par l’air mordant denovembrequis’engouffraitdepartetd’autre.

Seretrouverdanslachambred’Ameliaétaitencorepirequecequ’elleavaitimaginé.Là,safilleluimanquaittellementqu’elleavaitmaldanstoutlecorps:auxjambes,auxmains,auxpaupières.Commeellebalayaitduregardlesétagèrespleinesàcraquerdelivresquimasquaientpresquetouslesmursdelapièce,elleavaitl’impressiond’êtrecouvertedebleus.

Ameliaavaitapprisàlireàl’âgedequatreanset,depuislors,elleavaittoujourseuunlivreentrelesmains.Ellelisaitauxtoilettes,enmarchantsurletrottoir,dansl’obscuritédelanuitàl’aided’unelampetorche.Toutessesétagèresn’avaientmêmepassuffiàcontenirsabibliothèqueet lesurplusformaitdehautespilesadosséesàchaquemur.IlétaitarrivéàKatedecraindrequecetteobsessionlivresquesoitunsignedesolitude.QuesiAmeliaavaiteuunfrèreouunesœur,voireunpère−siKaten’avaitpaspassésontempsàtravailler−,elleseseraitpeut-êtredavantagefocaliséesurdespersonnesréellesplutôtquefictives.

Cetteinquiétudeluiparutalorsparfaitementstupide,surtoutquandelledétachasonregarddeslivrespourlefixersurleseulmurdépourvud’étagères.Ilétaittapissédephotos:AmeliapetiteavecLeelah,avecsonéquipedehockey,avecsescopinesdecolo.AvecKate. Ilyavaitunagrandissementqui lesmontrait,elleetSylvia,lorsd’unvoyagedesixièmeàWashington,queKateavaitaccompagné.C’avaitété l’unedes rares foisoùKateavaitpus’échapperdu travailpours’impliquerunpeudans laviedu

collège.Ettouts’étaitpasséàlaperfection,sicen’estqueKateavaiteuaprèscouplesentimentquelamajoritédesautresparentsprésents−mêmeceuxquitravaillaientàpleintemps−avaientdéjàencadrécegenredevoyageàplusieursreprises.

Cela dit, ce qui comptait maintenant, c’était qu’Amelia était heureuse sur toutes ces photos. Sansexception. Leur petite famille n’avait peut-être pas été celle queKate avait prévue,mais cela n’avaitjamais posé problème à Amelia. Du moins jusqu’à deux semaines avant sa mort, où elle s’étaitbrusquementmiseàposerdesquestionssursonpère.

«Sérieux,tuneluiasjamaisparlédemoi?avait-elledemandé,réveillantKateàl’aubeunsamedi.Enfin,est-cequetuasessayédeletrouver,aumoins?

−Trouverqui?−Allô,monpère.»Ameliaavaitcroisélesbras.«Tusais,lehippieàlaguitareenroutepourl’Afrique?Celuiquetuescenséeavoirrencontrépar

unesombresoiréeorageusedansunradepasloindeColumbia?Yavait-ilseulementdesbarsdanscecoinàl’époque?C’étaitpasuneespècedezonedeguerrelà-bas?»

Kate,lesyeuxmi-clos,avaitregardéleréveil,puisAmelia,puisdenouveauleréveil.Septheuresetquartunsamedimatin.Elleauraitvouluquecenesoitpasentraindesepasser,quesafillenesoitpasentrainde luiposercesquestions,pasmaintenant.Elleavait toujourssuqu’un jour,quandAmeliaseraitsuffisammentgrande,l’histoiresommairequ’elleluiavaitracontéeausujetdesonpèrenécessiteraitundéveloppement.Maisilétaittroptôt.Ellen’avaitpasencoreréfléchiàcequ’elleallaitdire.Lavéritésemblaittoujourshorsdequestion.Cependantunvaguemensongeracontéàuneenfantetperpétuéaufildesansparlesilenceétaitbiendifférentd’unmensongetoutneufdébitéfroidementàsafilleadolescente.

«Qu’est-ce que tu fais debout à cette heure-là de toute façon,Amelia ? avait répliquéKate pourgagnerdutemps.Parlonsdeçaplustard.Jesuisvraimentépuisée,ettudoisl’êtreaussi.

−C’estça,plustard.»La voix d’Amelia trahissait sa colère, mais il y avait autre chose dans ses yeux : de la peur, de

l’inquiétude.Kateenavaiteul’estomacretourné.«Amelia,qu’est-cequinevapas?luiavait-elledemandéenseredressantdanssonlit.Ils’estpassé

quelquechose?−Non»,avaitréponduAmeliaencroisantlesbras.Elleavait tourné la têteen faisant lamoue, scrutant l’angle lepluséloignéde lapièce.Katene la

quittait pas des yeux, dans l’espoir que le poids de son regard l’amènerait à confesser ce qui l’avaitconduiteiciauxpremièreslueursdujouravecdesquestionsaussipressantes.

«Ilnes’estrienpassé.Enfin,àpartquej’enaimarred’attendrequetumediseslavérité.»Maisilyavaitautrechose.Katelevoyaitbien.Était-ellesûredevouloirsavoirquoi?Àvraidire,

non.Ellen’enavaitpasenvie.«Amelia,jenesaispascequetut’imagines…−Allez,maman»,avaitinsistéAmeliad’unevoixbrisée.Elles’étaitalorsmiseàregarderparlafenêtre.N’importeoù,semblait-il,saufversKate.«Toi,touteseule,dansunbar?Àtebrancheraveclepremiertypequipasse?Unaccidentquiaété

“lameilleurechosequitesoitjamaisarrivée”?»Ameliaavaitsecouélatête,puisavaitfiniparposerlesyeuxsurKate.Ilsbrillaient.«Pasmoyen,maman.Tunemeferaspasavalerça.Çaneteressemblepas.»Katel’avaitdévisagéeunmomentavantdeselaisserretombersurlelit,lamoitiéduvisageenfouie

dansl’oreillerafindedissimulersespropresyeuxembués.

«Jen’aijamaisditqueçameressemblait,Amelia.C’estbienlàleproblème.Jen’aijamaisditnonplus que j’étais parfaite. À l’époque je faisais tout un tas de choses qui n’étaient pas franchementréfléchies,avait-elleexpliquédoucement,veillantbienànepaslaisserentendrequ’Ameliaavaitétéuneerreur.Enfinbref,situasdesquestionssurtonpère,tupeuxlesposer.Jet’aitoujoursditquetupouvaismedemandertoutcequetuvoulais,Amelia.

−Ettumediraslavérité?−Oui,Amelia,avait-ellerépondu,sonpetitcœurdementeusebattantfortdanssapoitrine.Jetedirai

lavérité.»Etàcemoment-là,Kateavaitdécidéqu’elleleferait.Qu’elleraconteraittoutàsafilleàproposdesa

conception,deserreursqu’elleavaitcommisesetdecequ’elleavaitfaitpourlesdissimuler.ParcequeAmeliaméritaitlavérité.Elleavaitledroitdeconnaîtresonpassé,quelqu’ensoitleprix.Seulementpastoutdesuite.Kateavaitbesoindetemps,depréparation.

«Jeveuxlerencontrer»,avaitdéclaréAmelia.Kateluiavaitjetéunregardinterloqué,s’efforçantdenepasperdrecontenance.«D’accord»,avait-ellefiniparrépondre.Etlàelleavaitdécidédementirencoreunpeu.«Onpeutessayer.Seulement…Jenepeuxpastepromettrequ’onletrouvera.»Quatrejoursplustard,Ameliaétaitmorte.Katenepensaitpasquesesquestionssursonpèreaienteu

lemoindrerapportavecsamort.Etlefaitdenepasconnaîtresonpèren’auraitjamaisétéunmotifdesuicidepourAmelia.Maislaproximitétemporelledecesbrusquessoupçonsétaittroublante.Pireencoreétaitlapossibilitéqu’Ameliaaitpumourirenpensantquesamèreluiavaitmenti.

Kates’arrachadureborddelafenêtrepoursedirigervers lesétagèresdelivres.Ellefitcourirsamainsur les tranchesabîmées−L’Odyssée,LeBruitet la fureur,Lolita et, bien sûr, tousces romansécritsparVirginiaWoolf.VirginiaWoolf− suicidéehorsdu commun− était l’écrivainpréféréede safille. Cette coïncidence ne lui avait pas échappé. ToutefoisAmelia aurait considéré comme un clichépathétiquelefaitdecopierainsisonhéroïnelittéraire,Kateenétaitpersuadée.

Elle recula et s’assit lourdement sur le lit, puis laissa tomber sa tête dans ses mains. Elle étaittoujoursprostréequandelleentenditlaportes’ouvrirdansungrincement.Ellecrutuninstantquec’étaitlevent− jusqu’àcequ’ellevoieunegrossemainglissersurlebattantafind’ouvrirengrand.Ilfallaitqu’ellesecache,qu’elleplongesouslelit,qu’elleserueàlafenêtre…

Elleétaitpétrifiée.«Quiestlà!hurla-t-elleàpleinspoumons.Barrez-vousdechezmoi!−Tun’espasarmée,dis-moi?»demandaunevoixderrièrelaporte.LavoixdeSeth.«NomdeDieu,Seth,qu’est-cequiteprendderentrerchezmoicommeçasansprévenir?!»Lentement, levisagedeSethapparutdans l’entrebâillement. Ilavait lesyeuxécarquillés, lesmains

levéesau-dessusdelatête.«J’aisonnéàlaporte»,répondit-ild’untonpenaud.Ilentradanslapièceentraînantlespieds.Ilétaitvêtud’unpantalonkakietd’unechemisedansles

tons pastel à col boutonné : l’uniforme d’une insignifiante simplicité qui avait toujours remporté sesfaveurs, même à présent qu’il occupait le poste très influent de haut conseiller juridique auprès dusénateur Schumer. C’était probablement le genre de tenue qui donnait de l’urticaire à Thomas − sonséduisantmaritoujoursàlapointedelamode.

«Jen’aipaseuderéponseetlaported’entréen’étaitpasferméeàclef.Tusais,tudevraisvraimentlaverrouiller.N’importequelcingléquipassedanslaruepourraitentrer.

−Jevoisça»,répliquasèchementKate.Elleavaittoujourslecœurquibattaitlachamade.«Ouibon,celle-là,tun’étaispeut-êtrepasobligée.−Désolée»,marmonna-t-elleenlaissantretombersonvisagedanssesmains.Ellen’auraitpasdûluiaboyerdessus.Ils’étaitmontrésiattentionné,etcen’étaitpascommesielle

avaitdesamisàlapelle,dumoinspasenville.Entreseshorairesdetravailetletempsqu’ellepassaitavecAmelia, elle n’avait pas noué beaucoup de nouvelles relations. Tous ses amis proches− hormisSeth−, elle se les était faits des années auparavant à la fac ou au lycée. Et aucun d’eux ne vivait àproximité.ElleregardaSethettapotalelitàcôtéd’elle.Ilvints’asseoiretjetaunœilàlapièce,sonvisagesefigeanttandisqu’ilsemblaitserendreenfincomptedel’endroitoùilssetrouvaient.

«Onferaitpeut-êtremieuxdedescendre,suggéra-t-ild’untoninquiet.Histoirequeturespiresunpeu.−J’aireçuuntextoaujourd’huiausujetd’Amelia,deux,même,expliquaKate,ignorantsatentativede

luifairequitterlachambre.Ilsdisaientqu’ellen’avaitpassauté.−C’estvrai?»Sethécarquillamomentanémentlesyeuxavantdelesplisserd’unairsuspicieux.«Attends,destextosdequi?−Jenesaispas.Ilsétaientanonymes.»Ilhaussalessourcils.«Anony…−Tunevaspast’ymettretoiaussi,murmuraKateenleregardantdroitdanslesyeux.S’ilteplaît?»Illadévisagealonguementd’unairsévère,puisseradoucit.«D’accord.»D’unbras,ilenlaçasesépaulesétroitesetposalementonausommetdesoncrâne.«D’accord.−C’estpeut-êtreunebonnechose,poursuivitKate.Aufond,jen’aijamaisvraimentcruàlathèsedu

suicide.Maisjesavaisqueceseraitsimplementinterprétécommedudéni.−Ouais,maislapolicen’a-t-ellepas…−Ilarriveàlapolicedecommettredeserreurs,aboya-t-elle.Alorspourquoipasjustementcettefois-

ci?−D’accord»,répétaSeth,lesmainslevées.Il la ménageait. C’était évident. Mais Kate s’en fichait royalement. Elle jeta un œil à la pièce.

Fouillerdanslesaffairesd’Amelia,d’accord,cependantilauraitétémoinsdifficiledenepasavoiràlefairedanscettechambre,pleineàcraquerdessouvenirsdesafilleetdel’odeurdelamort.

«Lapremièrechosedontjedoism’assurer,c’estquelapolicen’arienratéici.−Commequoi?Ques’est-ilvraimentpasséàtonavis?»Ellehaussalesépaules.«Jenesaispas.»Elle prit une grande inspiration, tâchant de ne pas laisser son imagination l’entraîner vers les

hypothèseslesplusaffreuses.«Maisilfautquejeledécouvre.Est-cequetucroisquetupourraisfouinerici,sursonbureau,dans

sestiroirs,pourvoirsitutrouvesquelquechose?Jem’apprêtaisàdescendresonsac.C’estjusteque…jepréféreraisneplusêtreici.

−Biensûr,réponditSeth,mêmes’iln’avaitguèrel’airenthousiaste.Maisqu’est-cequejecherche?

−Quelquechosequiprouvequ’Amelianes’estpassuicidée,murmura-t-elle.Ouquiprouvequ’ellel’afait.»

Katedescenditlesescalierschargéedusacenbandoulièred’Amelia.Loindelachambredesafille,

elle se rendit comptequ’il luiétaitpossibledepasseren revue lecontenude son téléphoneetde sonordinateur.Cependant, assise à la table de la cuisine, le sac sur les genoux, elle redoutait encore quequelqueindicecrucials’envoledèsqu’ellel’auraitouvert.

Elle se força enfin à soulever le rabat.À l’intérieur se trouvaient deux cahiers, le petit ordinateurportable d’Amelia, une barre de céréales, un stick à lèvres, des chewing-gums, son iPhone et sonportefeuille.Katelessortitl’unaprèsl’autreetlesdéposadélicatementsurlatable.L’attirailordinaired’uneadobeletbienvivantes’étaitmuéenmémorialfunéraire.

Kate s’empara d’abord de l’iPhone. Lui aussi était mort − cette ironie sinistre lui arracha unegrimace.Quandelleeuttrouvélechargeurdansunepocheextérieuredusac,elledécouvritrapidementque l’appareil était protégé par un mot de passe. Elle aurait pu jurer que Molina lui avait ditexplicitement avoir consulté l’iPhone d’Amelia. Or sans le mot de passe – qu’elle-même ignorait −,c’étaitimpossible.Illuifallutdeuxessaispourtrouverlabonnecombinaisondechiffres:l’anniversaired’Ameliaetlesien.Elleeneutleslarmesauxyeux.

Quandelleparvintenfinàdénicherlestextos,ellefutsidérée.Ilyavaitdescentainesetdescentainesdemessages sauvegardés, provenant d’une dizaine d’expéditeurs différents : certains étaient nommés,d’autres n’étaient que de simples numéros de téléphone, beaucoup étaient répertoriés sous le labelinconnu ou numéro masqué. Certains étaient de Kate. Certains constituaient de longs pans deconversation. D’autres de simples messages isolés. Comment Amelia− entre ses cours, ses activitésextrascolairesetlesport−trouvait-elleletempsd’envoyerautantdetextos?Plusimportantencore,Katen’aurait-ellepasdûêtreaucourant?

Peut-êtreaurait-ellemêmedûlesliredepuisledébut.Certainesmèresd’adolescentsneseprivaientpas de lire tout le trafic électronique de leurs gamins : textos, mails, pages Facebook. Kate étaitsuffisammentconnectéeaumondematernel−engrandepartiegrâceàsescollèguesdetravailquiavaientdes enfants − pour savoir que certaines mères prévenaient leur progéniture qu’elles contrôleraientrégulièrement leurs correspondances, tandis que d’autres sautaient sur l’occasion d’un smartphonedélaissémomentanémentparleurenfantpourespionnerentoutediscrétion.

Katen’avaitfaitnil’unnil’autre.Non,elleavaitchoisidefaireconfianceàAmelia.Du moins c’est ce qu’elle se disait. Car assise là, les yeux rivés sur toute cette ribambelle de

messages, elle avait soudain l’impression que cette absence de surveillance constituait moins unephilosophieéducativeréfléchiequ’uneconséquencedesonemploidu tempsserré.En toutcas,ç’avaitétéunenégligenceparticulièrementstupide.Amelian’avaitquequinzeans.Etquandbienmêmesafilles’était-elleefforcéedenepass’attirerd’ennuis,çaauraitdûêtreàKatedes’assurerqu’elleyparvenait.

Elleretintsonsouffleetsemitàfairedéfilerlesmessagesauhasard.Laplupartétaientdeséchangesinsignifiantsd’adosausujetdelapause-déjeuner,del’entraînementsportifoudesdevoirs.Etpuisilyenavaitunverslafin,laveilledelamortd’Amelia.C’étaituneconversationavecunnumérodetéléphonenonidentifiéquiserévélaêtreceluid’ungarçonprénomméBen.

AMELIA

quiest-ce?NUMÉROINCONNUBen,cletel2monfrère

AMELIAoh,salut,Gfaillipasrépondre

NUMÉROINCONNUt’asdemandéprParis?

AMELIAouais.pasmoyen

NUMÉROINCONNUlchangerapeut-êd’avis?

AMELIAjepensepas.d’autresID?

NUMÉROINCONNUpasvraiment.ctamère

AMELIAjesais.rienqu’àmoi.quellechance

Kate ferma les yeux et se plia en deux, foudroyée par une douleur à l’estomac. En vouloir à ses

parentsestledroitfondamentaldetoutadolescent.Katelesavait.Elleenvoulaitencoreauxsiens.Maispourunebonneraison.Ilsétaientfroids,distantsetbornés.KateavaitcruentoutehonnêtetéêtreunebienmeilleuremèrequeGretchenl’avaitjamaisété;enmêmetemps,labarren’étaitpastrèshaute.EtsisesrelationsavecAmelian’avaientpasétéaussibonnesqu’ellel’avaitcru?Etsienréalitéellen’avaitpasconnuAmeliasibienqueça,aprèstout?

Elle pressa le téléphone contre sa poitrine et ferma convulsivement les yeux, comme si ce simplegeste avait pu retenir ses larmes. Il n’en fut rien.Elle se laissa aller.Sacolonnevertébrale s’affaissatandisquesesjouesruisselaient,etellepleurajusqu’àn’enpluspouvoir.

Elle finit par renifler bruyamment avant d’essuyer d’un revers de la main son nez et sa bouchemouillés. Elle reposa délicatement le téléphone sur la table. Elle savait qu’il lui faudrait un jour oul’autreseplongerdanstouscestextos.Illuifaudraitdraguerlesaffluentsinextricablesdesconversationsd’Amelia en espérant ne pas trop se heurter à d’autres écueils blessants.Mais pas tout de suite. Pourl’instant,savoirqu’ilyavaitlàdeschosesqu’illuifaudraitregarderdeplusprèssuffisait.

Elle s’essuya le visage à l’aided’unepoignéedekleenexpuis semit à feuilleter les cahiers.Ellefaisaitcourirsesdoigtssurlespattesdemouched’Amelia,suivantlestracesquesafilleavaitlaisséessurlepapier.Elleessayaitdesel’imaginerlesydéposer.Alorsqu’ellerefermaitd’uncoupseclecahierd’anglais,quelquespagesagraféesglissèrentausol.Ellesepenchapourlesramasser.

Lesreprésentationsdutemps:Verslephare,parAmeliaBaron.C’étaitladissertationpourlaquelleelleétaitcenséeavoirtriché.Peut-êtreunechancepourelledelaverlenomdesafille.Pastouteseule,évidemment.Elleauraitbeauétudierchaquepage,elleseraitbienincapablededéterminersiAmeliaenavaitcopiédesfragments.Seulementlapartiedel’histoirequisuggéraitqu’Ameliaavaittrichéluiavaittoujoursparulaplustiréeparlescheveux.Ameliasavaittoutcequ’ilyavaitàsavoirsurVirginiaWoolf.ElleavaitluVerslephareunnombreincalculabledefoisetc’esttoujoursenanglaisqu’elleavaitobtenulesmeilleuresnotes,cequin’étaitpaspeudire,étantdonnél’excellencegénéraledesesrésultats.Jamaisellen’auraiteubesoindeplagierquoiquecesoit.Sanscompterqu’ellen’avaitjamaisétéunementeuse.

Qu’elle était même plutôt du genre à suivre compulsivement les règles, qu’elle vouait un culte à saprofesseured’anglais,Liv,etquetoutçanerimaitabsolumentàrien.Cependantsavoirqu’Amelian’avaitpastrichéetleprouverétaientdeuxchosestrèsdifférentes.

Kate déposa la dissertation sur la table et sortit du sac l’ordinateur d’Amelia. Elle eut tôt fait del’allumer et deparcourir les fichiers extrêmementbienorganisés.LesdocumentsWord étaient classésdansdesdossiers sous lesquelsétaientprécisés l’intituléducourset le semestrecorrespondant. Iln’yavaitquequatrefichiers indépendants, tousnommésgRaCeFULLY,avecdesdatesdifférentes.Kateenouvrit un au hasard. Le document affichait une mise en page luxueuse − bordures professionnelles,bandeaux de couleur, police sophistiquée − qui lui donnait un air de bulletin d’information scolaireofficiel.

gRaCeFULLY19SEPTEMBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com.SortezdulotSalutlesbouffons!Héoui,nousrevoilàavectouslesragotsquevousnelirezjamaisdanslesjournaux…Beaucoupd’infosàannonceraujourd’hui.Toutd’abord,nousavonsapprisqu’uncertain

prof de chimie tirait un bon paquet de ses questions pour les premières années Labo desÉvaluations de Californie. Questions qui, mesdames et messieurs, sont consultables ENLIGNE.Enfinquoi,jusqu’oùvalaflemme,putain?Cetypen’estmêmepasfoutudepondresespropresinterros?…Onn’ypeutrien,nous,sic’estungrosbranleur.Alorsmoijedis,lâchez-vous−voilàlelienverslesévaluations:caedu/standardtests/chemistry.com.

Apparemment il y a encore eu une teuf arc-en-ciel en sixième leweek-enddernier.Pitié,quelqu’unpourrait-illeurdirequec’estso2008?Etcarrémentàgerberd’ailleurs.

Etquelqu’und’autrepourrait-ildireàTempestBaindeporterdessous-vêtements?Enfinquoi,onsaitquecettemeufestdanseuse,qu’elleestgauléeuntrucdeoufettout,maisest-cequ’onavraimentbesoindevoirsachatte?

La rumeur circule que Bethany Kane attend les cuisses grandes ouvertes. Oh, attendez,pardon,çadate.Elles’estDÉJÀempaléesurlamoitiédessportifsdubahut.

Cesdernierstemps,SylviaGoldes’estelleaussiencoreunefoisfaitdéfoncerleticketdemétro.On ignore pour l’instant l’identité de l’heureux élu, mais vu que gamine elle faisaitpartiedel’équipedegymnastique,aucundoute−quiquecesoit−,ilenapoursathune.

Avisàlapopulation,lesMaggiesontcommencélesraccordementscettesemaine,alorslesautresclubsdoiventpasêtreloinderrière.Sivousn’avezpasencorereçuvotreinvit,rienn’estperdu. Mais pour la plupart d’entre vous, bande de gros losers, inutile de retenir votrerespiration.

Uneteufarc-en-ciel?1Ensixièmequiplusest?Kateavaitentenducetteexpressionunefois

dans la bouche de Beatrice, qui avait vu quelque chose à ce sujet dans l’émission d’OprahWinfrey.MaisKates’étaitditqu’ils’agissaitsûrementd’uneexagérationayantpourbutdefairegrimperl’audimat,voired’unepureinvention.EtcemachingRaCeFULLYavaitbeletbientraitélameilleureamied’Ameliadepute.Yavait-ilunfonddevéritélà-dedans?Toutàcouplefaitqu’Amelian’aitjamaisparlédegarçonssemblaitsuspect.Quelqu’unquisedonneautantdemalànepasparlerdequelquechoseacertainementtropàdire.

KateouvritetrefermapresqueaussitôtdeuxautresfichiersgRaCeFULLY.L’uncontenaitunenouvellepiquesurSylvia−untrucconcernantlefaitqu’elleprenaitlapilule−,etlaraisonpourlaquellelederniernuméroavaitétéconservénefaisaitaucundoute.

AmeliaBaronestdesnôtres,mesdamesetmessieurs.Maisoui,depuisdeuxnuits,elleestofficiellementunefemme.Alorspourtousceuxd’entrevousquiespéraientdécrocherlatimbale,c’estmortHector:quelqu’unafrappéavantvous.Etvousnecroirezjamaisqui

estl’heureuxgagnant.Maisvousnel’apprendrezpasici.Ilestdeschosesquemêmemoijemegardebiend’écrire.

Katecontemplaitfixementl’écran,lefonddesagorgerecommençaitàlabrûler.Ellen’étaitpas contrariée qu’Amelia ait pu avoir des relations sexuelles − enfin peut-être que ça lacontrariaitquandmêmeunpeu−,cequi lablessaitvraiment,c’était lesilencedesafille.Elles’était toujours imaginé qu’elle et Amelia en parleraient avant. Des années durant, Kate avaitpréparédesdiscourssurl’amour,laprotectionetlaconfiance.Surl’importancederesterfidèleàsoi-mêmequandonselieàuneautrepersonne.Surlechoixcapitaldumomentoùl’ondécidedeseconsacreràquelqu’unetdudegréd’investissementdanslarelation.ElleavaitprévudedireàAmelia toutes ces choses, choses dont elle aurait dû elle-même prendre de la graine. Alorspourquoin’enavait-ellerienfait?Qu’avait-elleattendu?

«Hé.»Katesursautaetregardaverslesescaliers.Sethdescendaitàpaslentsdanslacuisine.Comme

s’ilespéraitqu’onl’empêcheraitd’arriverjusque-là.«Tuastrouvéquelquechose»,ditKate.Ellelevoyaitàl’expressiondesonvisage.Et,quoiquecesoit,cen’étaitpasbon.Ilhochalatêtetoutenallants’asseoirenfaced’elle.Ilsortitunboutdepapierpliéqu’ilavait

fourrédanssapochedechemise.IlleposasurlatablepuislefitglisserversKatesanstoutefoisenleversamain.

«Jel’aitrouvédansletiroirdesonbureau.»Kateessayadelibérerleboutdepapier,maisSethrenforçalapressiondesesdoigts.«Tuessûrededevoirfaireça?Etsi tu trouvaisdeschosesque tuferaismieuxdenepas

savoir?−Sic’estarrivéàAmelia,ilfautquejelesache.Ilfautquejesachetout,Seth.»Ilfinitparhocherlatêteetretirasamain.Katedéplialecarrédepapier.

JETEHAIS!!!Cestroispetitsmotshurlaientaucentredecefragmentdefeuilledecahierligné.Ellesentitsa

poitrine se contracter. Quelqu’un avait écrit ça à Amelia ? Les lettres avaient l’air tellementrageusesellesaussi−épaissesetirrégulières,commesil’auteurs’étaitappuyédetoutsonpoidssurlecrayon.

Çanerimaitàrien.Amelian’étaitpaslegenredefillequ’ondétestait.Elleétaitintelligente,jolie,sportive.Unefilledontonauraitpuêtre jalouxsiellen’avaitpasétéaussi foncièrementmodeste. Contrairement à Sylvia, elle n’était pas là à essayer d’attirer l’attention sur elle.Commentdiablequelqu’unpouvait-illahaïr?

« Je ne comprends pas, ditKate plus pour elle que pourSeth.Qui aurait pu lui écrire unechosepareille?»

Seth fit lamoue, lesyeux rivés sur ledessusde la table.Puis il finitpar secouer la têteetglissalamaindanssapochearrière,d’oùilsortitunpaquetd’unevingtainedecarrésdepapierplusoumoinspliésdelamêmemanière.Quandilouvritlesdoigts,ilstombèrentenpluiesurlatable,formantunhorribletasbranlant.

«Ilsdisenttouslamêmechose,expliqua-t-ild’unevoixteintéedetristesseetdecolère.Tousles vingt-deux. Je crois qu’ils proviennent de différentes personnes. L’écriture n’est pas la

même.»Katefitplanersesmainsau-dessusdutas,lesdoigtstremblantd’incrédulité.«OhmonDieu,murmura-t-elle,incapablededétachersonregarddesboutsdepapier.−Jesais,ditSeth.C’estgrave.Maispeut-êtrequ’ilnefautpassefierauxapparences.−UneespècedegangharcelaitAmelia.»Katesetournaverslui,lesyeuxtellementécarquillésqu’ilscommençaientàlabrûler.«Qu’est-cequeçapourraitêtred’autre?»Sethsecoualatêteetbaissalesyeux.«Jenesaispas.Jen’enaipaslamoindrefoutueidée.Pourêtrefranc,toutcequej’aienvie

defairelà,toutdesuite,c’estd’allerdanscelycéeclaquerdesgamins.Jen’imaginemêmepascequeturessens.

−Moinonplus,ditKateenpressantsesmainscontresapoitrineafindevérifiersisoncœurbattaittoujours.Jenesensrien.

−Jen’aipastrouvédemessaged’Amelianirien.Pasgrand-chosed’autre,enfait,sicen’estuneboîtesoussonlitremplied’unpaquetdetesvieuxjournauxintimesetalbumsphoto.

−Lesmiens?»Kateavaittenureligieusementunjournaldepuislecollègejusqu’àl’obtentiondesondiplôme

en facdedroit, puis les exigencesde l’éducationd’unbébé et d’une carrière avaient rendu laperspectivedenourrirdesréflexionssursavie−lescouchersurlepapieràlafindelajournée,n’en parlons pas – parfaitement caduque. Cela faisait des années qu’elle n’avait pas vu cesjournaux.

«Soussonlit?− J’en suis presque sûr. Certains d’entre eux sont ces carnets moleskine noirs que tu

trimballaispartoutàlafac.Jenelesaipasouvertsnirien,maisilyenavaitunquiportaittonnomsurlacouverture.

−Qu’est-cequ’ellefabriquaitavecmesjournaux?»Peut-êtreAmelian’avait-ellejamaisreposédequestionssursonpèreparcequ’elleavaitété

chercherlesréponsestouteseule.Qu’yavait-ild’autrelà-dedansqueKaten’auraitpasvouluquesa fille lise ? Sa valse-hésitation quant à savoir si elle allait la garder ? Comment elle avaitd’aborddécidéqueouipourfinirensuiteparsepointerà laported’unecliniquepasmoinsdequatre fois avec la ferme intention d’avorter ?Amelia avait-elle également lu la partie où lesdoutes de Kate, après l’accouchement, s’étaient brièvement mués en regrets ? Parce que cesregrets avaient très vite été éclipsés par son amour maternel. Un amour profond, déchirant,bouleversant.MaisAmeliaaurait-ellepoursuivisa lectureassez longtempspourarriveràcettepartie-là?

«Jenesaispascequ’ellefabriquaitavec,réponditSeth,maisjesaisqueriendecequ’elleauraitpuliren’auraitchangétoutl’amourqu’elleavaitpourtoi.Etellet’aimait,Kate.Vraiment.

−Alorspourquoiest-cequejemesensencoreplusmal?»Sethposaunemainsurlasienne.«Parcequ’ellen’enestpasmoinspartie.»Après que Seth se fut résigné à rentrer chez lui, Kate s’empara de nouveau du téléphone

d’Ameliaafind’enconsulterlerépertoire.367nomsetnumérosyétaientenregistrés.Kate,elle,en avait une vingtaine à tout casser, dont ceux de tous les membres de sa famille, de leurs

médecins et dentistes à elles deux, et de leurs trois dernières femmes de ménage. CommentAmeliaavait-ellepuconnaîtreautantdegens?

Elleparcourutdesyeuxlalistedecesnomsinconnus.Beaucoupétaientdesfilles,peut-êtremêmelaplupart.Maisilyavaitaussipasmaldegarçons:Adam,Aikin,Aiden,Arden−àmoinsquecesoitunefille.Katen’enreconnutquedeuxoutrois.BennettWeissétaitungarçonavecquiAmelia avait joué au foot à l’époque où elle était encore suffisamment jeune pour faire partied’une équipemixte.GeorgeMcDonnell, voilà un autre nomqu’Amelia avaitmentionnéuneoudeuxfoisauparavant,idempourCarterRose.

Mais ensuite il y en avait tellement d’autres. La plupart étaient des numéros locaux, parmilesquels étaient disséminés quelques préfixes de Manhattan. D’autres cependant avaient desindicatifsqueKatenereconnaissaitpas.Ellefitdéfiler lesnomspouratteindrelesB,enquêted’unBen,etilétaitlà,entêtedeliste:518-555-0119.

Elleétaittoujoursentraind’étudierlerépertoirequandonfrappasèchementauxfenêtresdelacuisine.Ellesursauta,secognantlegenoucontrelepieddetable.

«Désolée!»lançaunevoixféminineàtraverslescarreaux.Dans l’obscurité qui régnait dehors, on ne discernait guère que de longs cheveux noirs.

Lafemmedésignalaportepuissonvisagedisparut.Katesedirigealentementversl’entréedurez-de-chaussée.Ellen’étaitpasd’humeuràparler

à qui que ce soit.Mais vu l’assurance avec laquelle cette femme avait désigné la porte,Katecraignaitqu’ilnesuffisepasdel’ignorerpourqu’elleparte,dumoinspasdesitôt.Aprèsavoirprisunegrandeinspiration,elleouvritlentement.

Lafemmesetenaitquelquesmarchesau-dessusdelacuisinesurbaissée,éclairéeparlehalodulampadaire.Avecses longscheveuxnoirs,sesyeuxnoirsgigantesquesetsonvisagepâleetdélicat, elle était d’une beauté exceptionnelle, presque déconcertante. Elle tendit une mainparfaitementmanucurée.

«Jesuisnavréedevousavoirfaitsursauter»,dit-elleavecunsourire.Sonrougeàlèvres,grenat,étaitluiaussiimpeccable.Elledésignal’escalierau-dessusd’elle,

quimenaitàlaported’entréedonnantsurlesalonàl’étage.«J’aisonnélà-haut.Jecroisquelasonnettenemarchepas,d’ailleurs.Ensuitej’aivudela

lumièreendessous.Etmaintenantvousaimeriezprobablementquejemeprésenteetquejevousdise ce que je fabrique à rôder autour de votre maison. Adele Goodwin, je suis membre del’associationparents-profsdeGraceHall.

−Bonsoir.»Quandelleluitenditlamain,Kateremarqual’énormebaguedediamantetl’allianceassortie

sur l’annulaire de la femme, ainsi que le bracelet aux pierres étincelantes qu’elle portait aupoignet.Adelefrissonnaalorsensefrictionnantlesbras.C’étaitlapremièrenuitvraimentfroidedel’année.

«Jesuisdésolée,entrez,ditKateàcontrecœur.Ongèledehors.−Oh,vousêtessûre?Jeneveuxpasm’imposer.Jemerendscompteàprésentquej’auraisdû

téléphoneravant.Moi-mêmejedétestelesvisitessurprise.»Non,jenesuispassûre,auraitvoulurépondreKate.Carsiellesesentaitmalàl’aiseavecà

peuprès tous lesparentsdeGraceHall, après l’aperçuqu’elle avait eude leurs représentantslors des réunionsde rentrée, elle s’était carrément dit que c’était bien les dernières personnesqu’elleauraitvouluvoirchezelle.Etpuiscen’étaientpaslesdéléguéesdesonenfancenonplus,avecdesjeanshideux,desassiettesdebiscuitsetdestonnesdetempslibrepourconfectionner

des déguisements d’Halloween. Non, la plupart de ces femmes étaient des « créatives » :architectes,designersouécrivains,jouissantparfoisdecarrièresflexibles,toujoursextrêmementlucratives.Ellesétaienthabilléesà lapointedelamodeetrésolumentantipathiques.Despom-pomgirlsadultesdotéesdeCVimpressionnantsetdegigantesquescomptesenbanque.

«Ohnon,pasdeproblème»,répliquaKatesansgrandeconviction.Alorsqu’elleretournaitverslatabledelacuisine,elleaperçuttousceshorriblespetitsmots

restés empilés au centre.Elle s’empressa de les ramasser et de les jeter dans le tiroir le plusproche.Gestegaucheetsuspect,maisellen’avaitpaslechoix.Elledésignalatableenévitantdecroiserleregarddelavisiteuse.

«Asseyez-vous,jevousenprie.Jefaisaisjuste…Puis-jevousoffrirquelquechoseàboire?−Nonmerci,jevousaidéjàassezimportunée.»Lemanteaud’Adeleétaitdésormaisouvert, révélantunejolierobeportefeuilleémeraudeet

des escarpins vertigineux très tendance. Plusieurs colliers lourds étaient élégamment passésautourdesoncou.Ellecontemplaitouvertementlapièceafindesefaireuneopinion,laquelle,enrevanche,impossibledeledéterminer.

«Jeneveuxvraimentpasvousprendretropdetemps.Nousvoulionssimplementvousparlerd’une manifestation que l’association parents-profs aimerait organiser en l’honneur d’Amelia.Nousnevoulionsrienentreprendresansenavoird’aborddiscutéavecvous.

−Unemanifestation?»Cette idée ne lui disait rien qui vaille.Manifestation signifiait fête.Une fête à laquelle sa

présence risquait d’être requise.Kate signait des chèquesmodestes sans être honteux àGraceHallquandonluidemandaitunecontribution,maiselleavait toujoursévitéautantquepossiblelesmanifestations.N’appartenant pas au cercle fermé des parents du lycée, elle aurait eu troppeur de faire tache. Y assister maintenant, alors qu’elle n’était plus parent, était simplementimpensable.

Adeleagitaunemainetsecoualatêteengrimaçant.«Unemanifestation,jesuisdésolée,letermeétaiteffectivementmalheureux.»Elleavaitsincèrementl’airgênée.Cependantsavoixtrahissaitautrechose,unedétermination

quidésarmaitKate.« Il fautm’excuser, la journée a été longue. J’ai enchaîné les réunions,mon cerveau s’est

liquéfié.»Adelesouritdenouveau.Unsourireplustendu.«Nousaimerionshonorerlamémoired’Amelialorsdelaventeauxenchèresenluidédiantun

mémorial.−Oh.»Elleauraitvouludirenon.Elleauraitvouludire:Jevousenprie,partez.« J’ai bien peur de ne pas pouvoir vous être très utile.Mon travail… J’ai de très grosses

journées.J’aitoujourseudumalàmelibérerpourassisterauxmanifestationsscolairescommelaventeauxenchères.»

Cetteexcuseenvalaituneautre.Habituelle,socialementacceptable.« Tout ce dont nous aurions besoin, ce serait de quelques photos d’enfance et de votre

permission,bienentendu»,répliquaAdele,lesouriredésormaismoinscrispé,pluschaleureux.Peut-êtrelefaitd’aborderlesujetavecKatel’avait-ellerenduenerveuseetmalàl’aise.« Et croyez-moi, je comprends parfaitement votre problème de travail. Vous êtes avocate,

c’estça?Associéedansuncabinet?

−Oui»,réponditKateensedemandantsicelafaisaitdésormaispartiedurécitquientouraitlamortd’Amelia:samère,l’avocate.

«Jelesuisaussi,avocatejeveuxdire.JetravailleactuellementauservicedeTimeWarner.Maisilfutuntempsoùj’étaisassociéeaupôlecommercialdeDechter,Weiss.»

Adelesecoualatête,sonexpressionsefigeait.« Mon travail n’est pas franchement aussi stimulant que celui d’associée dans un grand

cabinet,maisaumoinsleshorairessonthumains.SurtoutenayantZadie.Jenesaispascommentvousavezfaitpourarriveràjonglerentre…»

Elles’interrompitbrusquement,semblantprendreconsciencedufauxpasqu’elles’apprêtaitàcommettre.Caràl’évidence,Katen’étaitpascomplètementarrivéeàjongler.Safilleétantmorte,onnepouvaitguèreparlerdebrillantsuccèsenmatièred’éducation.Adelecroisalesdoigtssursesgenoux,puiss’agitasursachaise.

«Bref.»Ellesemblaitvouloiràtoutprixchangerdesujet.«Dansquelcabinetêtes-vous?−Slone,Thayer»,réponditKateencherchantdésespérémentuneexcusequipousseraitAdele

àpartir,toutdesuite.Nousnesommespasobligéesdefaireça,aurait-ellevoululuidire.Vouspouvezpartir.Elle

priaitpourquesontéléphonesonne,pourquel’alarmeincendiesedéclenche.«Jesuisassociéeaupôlecontentieux.−Ah,Slone,Thayer.Oui,sacrécabinet.Cedoitêtre…intéressantdetravaillerlà-bas.»Adelegrimaça.Lecabinetavaiteneffetlaréputationd’êtreparticulièrementagressif.« Je connais quelques personnes qui y sont allées directement après la fac de droit.

Ilsratissentlarge,ondirait.Jeconnaisencorequelquesavocatsquiytravaillent,d’ailleurs.Vouslesconnaissezpeut-être?

−Lecabinetestgigantesque»,répliquaKate.Elleavaitencoremoinsenviedes’adonneràcepetitjeudesconnaissancesavecAdeleque

d’endurerdesprolongationsdebanalités.«NoussommesdescentainesausiègedeNewYork.S’ilsnesontpasaucontentieux,jene

risquepasdelesconnaître.−Évidemment.»Adelesouritetbattitdespaupières.Elleavaitcomprislemessage.«Enfin,jeferaismieuxdevouslaissertranquille.Vousn’aurezqu’ànousenvoyerlesphotos

quandvousaurezletemps.Oh,unedernièrechose.Nousnevoulonspasenfairetrop,biensûr,maisplusieursenfantsontégalementmanifestéledésirdefinanceruneactiondesensibilisationausuicideàlamémoired’Amelia.Ilsvoudraientréunirdesfondsenfaveurdunumérod’écoutenational.Ilsembleraitquecelaconstituepoureuxunepartimportantedutravaildedeuil.Nousespérionsque…

−Non»,coupaKate.Elleavaittroplevélavoix,onauraitpresqueditunaboiement.«Non?»Adele,d’abordsurprise,eutensuitel’airtroublée,puisquelquepeuagacée.«J’aipeurdenepascomprendre.−Jesuisdésolée,jenevoulaispas…seulement…»Katehésita.Quepouvait-elledired’autreàprésent,sinonlavérité?

«Jenesuispassûrequ’Ameliasesoitsuicidée.−Comment?»Adeleenroulasesdoigtsautourdesagorgedansungesteprotecteur.Ellesemblaiteffrayée.«Non,non.»Kate agita lesmains. Elle aurait mieux fait de se taire. La dernière chose qu’elle voulait,

c’étaitbienquesesdoutesarriventauxoreillesdel’associationparents-profs.Ellenerentreraitpasdanslesbonnesgrâcesdelapoliceendéclenchantl’affluxd’unehordedeparentsdeGraceHallpaniquésàlaporteducommissariat.

« Je veux dire qu’il aurait pu s’agir d’un accident ou je ne sais quoi. Il reste desinterrogations,c’esttout.Sivouspouviezattendrequejeparvienneàobtenirdesréponsesavantd’organisertouteaction,dumoinstouteactionàlamémoired’Amelia,jevousensauraisgré.

−Quelgenred’interrogations?»Adeleouvraitdesyeuxgrandscommedessoucoupes.Onneluifaisaitpaslâcherpriseaussi

facilement.«Vraiment, jenepeuxpas… lapolice…Je suis sûrequevouscomprenez», répondit-elle

dansl’espoirqu’Adelen’insisteraitpasdavantage.Maiscelle-cilaregardaittoujoursdroitdanslesyeux.Ellenebougeraitpasavantqu’onlui

aitjetéaumoinsunos.«Ils’estpasséquelquechoseaujourd’hui.Cen’estpeut-êtrerien,maisça…−Pourraitêtrequelquechose»,murmuraAdele.Ellescrutaitlatableavecunregardvide,commesielleyétudiaitquelqueinscription.«Biensûr,oui,jevois.−Alorsvouscomprenez?»Kateavaitdumalàcroirequ’ellenecherchepasàobtenirplusdedétails.«Vousattendrezpourcetteactiondesensibilisationausuicide?−Ohoui,oui.Biensûr.Vousnousferezsignepournousdonnerlefeuvert.»Adeleselevabrusquement,puissedirigeaàgrandspasverslaporte.«Mercidem’avoiraccordédutemps,madameBaron»,dit-elleenouvrantlebattant.Elleseretournaalorsetluiserralamainenluiadressantunsouriremielleux.«Votrefilleétaitadorable,madameBaron.Je l’avaisrencontréeaudébutde l’annéequand

elles’étaitportéevolontairepourleHarvestFestival.Elleétaitsipolie,sisérieuse.Vousdeviezêtretrèsfière.Etpuiselleavaitdesyeuxaussiinhabituelsqu’exquis.C’estuntraitdefamille?Deuxcouleursdifférentescommeça?

−Non, c’était unemaladie génétique», réponditKate en essayant de comprendre commentelles en étaient venues à cette conversation alors qu’elle avait été à deux doigts de congédierAdele.«LesyndromedeWaardenburg.Aucuncasn’est recensédans la famille,mais ilarrivequ’ilsedéclenchedefaçonaléatoire.

−Oh,jevois,commec’estcurieux»,commentaAdeleentoisantKated’unregardétrangeettroublant.

Ellefinitenfinpartournerlestalonsets’éloignasurletrottoiravecunsignedelamain.«Ehbien,ilsétaientjusteravissants.Toutsimplementravissants.»

gRaCeFULLY26SEPTEMBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com.SortezdulotSalutlesbouffons!LarumeurcirculequeCharlieKugler faitaussipartiedesnouvellesMaggies,maismon

petit doigtmedit que sonmecdeYale essaiede la convaincrede sebarrer. J’imaginequ’ilpréfèrelesricheshéritièresquiportentculotteettuttiquanti.

Oh,etducôtédesmarie-lèche-la-moi :d’après larumeur,TempestBainarendez-vousàRenfrew.Preuveune foisencorequepersonnenepeutmesurerprèsd’unmètrequatre-vingt-cinqpourquarante-cinqkilossansavoirunproblèmeaveclabouffe.

OndiraitqueGeorgeMcDonnellestdenouveauaurégimesec.J’imaginequec’estparcequ’ils’estfaitchoperparlesgarsenbleuceweek-endpouravoirfumédushitdanslarueàcôtédumuséeTheOldStoneHouse.Hé,George,petitmessagepersonnel, tesparentsaussi,c’estdesaccrosaujoint…fumeCHEZTOI.

Dernièrenouvelledelasalledesprofs,Livs’estENCOREfaitposerunlapinceweek-end.Vousycroyez,vous?Jesuispasdelajaquette,maissic’étaitlecas,jamaisjeteposeraisdelapin,Livy.Fautquetutemettesàfréquenterdestypesmieuxqueça,Liv.Tudevraisjeterunœilàcertainspapas.Crois-moi,ilstereluquenttous.

Facebook30SEPTEMBRE

AmeliaBaronespèrenepassefairechoper

ChloeFrankelet2autrespersonnesaimentçaSylviaGoldeàfairequoi?tropdelèche?

AMELIA

30SEPTEMBRE,22H12

DYLANsalut

AMELIAquoi2neuf?

DYLANt’ascheckéZaritski?

AMELIAouais,jecroiskeçavaaller

DYLANt’asl’airgraverelax

AMELIAahouais?

DYLANengénérallesgenssontenpanique

AMELIApeut-êkejedevraisl’ê

DYLANtroppas,j’aimetacoolitude,à+

AMELIAsweetdreams

30SEPTEMBRE,22H14

AMELIAtudors?

BENouais

AMELIADylanvient2m’envoyer1texto

BENnon!!?lditquoi?

AMELIApasgd-chose

BENtropbien

AMELIAcça,laissetomber

BENallez,ldoitbienavoirdit1truc

AMELIAjustesalutgenre

BENdenouveauxpetitsjeuxenperspective?

AMELIAcquoice3edegré?

BENgpasenvieketutefassespiquerparlareinedesabeilles

AMELIAarrête

BENsérieux,tuveuxjusteêsapoteparceketusaispassilveutêlatienne?

AMELIAjouepaslespsyscesoir.jesuisstressée

BENahouaismissionmenottes2main?

AMELIAouais

BENtefaispaspécho,gentillefillequiaviréracaille

AMELIAgrave,merci.fautkejaille

1erOCTOBRE,7H18

BENdésolé,jevoulaispastechambrerhiersoird’êpoteavecDylan

AMELIApasdepb

BENgpasenviequ’ilt’arrivedumal.lmefaitflipper7meuf

AMELIAmoiaussi

BENçamerassure,faisgaffeàtoi

1erOCTOBRE,7H37

NUMÉROMASQUÉ

maisoùestdoncpassétonpetitpapa?

AMELIA

1erOCTOBRE

M.Woodhouse était encore en train d’étudier lemot deM.Zaritski. Ilm’avait forcée à l’apporteravecmoidanslebureauduproviseur,commesic’étaituneespècedereçudecolisindésirable.Àmoinsquecesoitlaprocédurehabituelle.Qu’est-cequej’ensavais?C’étaitlapremièrefoisqu’onm’envoyaitdanslebureaududirlo.J’étaisplutôtnerveused’êtrelà,maisaussiplutôtsoulagée.Nejamaisfaireunpetdetravers,c’esttropdepression,desfois.

Woodhouse,latêtedansunemain,lespaupièresbaissées,lisait.Lesvieux,c’étaitpasmontruc,maisilétaitmignon.Plusquelamoyennemême,avecseslunettesnoiresdesignetsescheveuxpoivreetseldécoiffés juste ce qu’il fallait pour lui donner le look downtown. Il dégageait aussi un truc, ce trucpuissantdumecsongeur.Çaauraitdûmeplaire.Çameplaisaitdanslesbouquins.Danslapoésieetlesphotosaussi.Mêmequej’aimaisbienl’idéed’unmecaveccestyle.Maisdanslavraievie,rien.

J’étaisàpeuprèslaseuleàquiilnefaisaitpasd’effet.LaplupartdesfillesàGraceHallbavaientdevantM.Woodhouse.Ilyavaitmêmedesparisencourssurlafilleavecquiilcoucheraitenpremier.Laquestion,c’étaitpassimaisquand.Dylanfiguraitsurla liste.Personnen’arrivaitàsavoiravecquiellecouchait,alorspourquoipasWoodhouse?Zadieaussiétaitcandidate,ets’ilyavaitquelqu’unquiavaitlescouillesdeconclurel’affaireavecWoodhouse,c’étaitbienelle.

J’avaismêmeentendubalancerlenomdeSylvia,cequimefaisaitdelapeinepourellevuquec’étaitfondéjustesurlenombredetypesqu’elles’étaittapés.J’avaisunpeudepeinepourWoodhouseaussi.C’étaitundésastreenpuissance,cetype.

«C’estvrai,cequiestécritici?»a-t-ildemandéenlevantenfinlesyeuxdupapier.Ilsetenaittoujourslatêtedanslamain.«Jenesaispas.Cemotvousétaitadressé.J’aipasviolévotreintimitéenlelisantouquoi.»Jemel’étaisjouéebeaucouppluspetiteconnequeprévu.J’étaiscenséem’entenirauxfaitsetendire

lemoinspossible.C’était laphase Ide l’opérationÉvite-la-punition-si-tu-te-fais-choperdesMagpies.Biensûr,cequ’ellesvoulaientvraiment,c’étaitquenousautreslesnovices,onn’aillepasbalancerquoiquecesoitsurellessionsefaisaitpincer.Jelesavais.Jen’étaispasdébile.Letrucleplusimportantpourelles,c’étaitquepersonnenedécouvrequiellesétaient.Onn’avaitmêmepasledroitd’enregistrerleursnomset leursnumérosdeportabledansnotrerépertoireaucasoùquelqu’unauraitessayéde lesidentifier à partir de leurs textos. Et puis, pour se désignermutuellement, elles disaientMaggie n° 1(Zadie),Maggien°2(Dylan)etainsidesuiteaulieud’utiliserleursprénoms.Çafaisaitunpeuparanotoutça,maisçamarchait.Jusque-làpersonnenesemblaitsavoirquiellesétaient.Évidemment, j’avaisdéjàenfreintunpoillesrèglesenenregistrantlenomdeDylandansmonrépertoire.Jenesavaismêmepastroppourquoi.JenedemandaispasnonplusàBend’employerlesnumérosdesMaggiespourparlerd’elles.Ilseseraitfoutudemoisinon.

« Il est écrit que tu as attaché le sac deM.Zaritski à sonbureau avec des scellés en plastique, aénoncéM.Woodhouse.C’estvrai,Amelia?

−Qu’est-cequiestvrai?»Répondsàtouteslesquestionsparunequestion.

Woodhousem’adévisagéeunbonmomentavantdepousserungrossoupirfatigué.«Écoute,Amelia,jesaisqu’onneseconnaîtpastrèsbientouslesdeux,etpourcause.J’aiétudiéton

dossieravanttonarrivée,ilestexemplaire:excellentsrésultats,deuxprix,premièreduclubdefrançais,quatrematièresrenforcées.Tun’asmêmejamaiséténotéeenretard.Etmaintenantça?Pourquoi?»

J’ai songéun instant à ce fameuxmatin deux semaines plus tôt oùSylviam’avait raconté pour IanGreeneetoùj’avaisreçucettepremièreinvitationdesMaggies.Cejour-làj’avaisétéenretard,c’estsûr.Will avait noté mon nom et tout. Mais quelqu’un dans le bureau devait avoir décidé de ne pas lementionnerdansmondossier.Sylviaavaitraison.Quandonestunélèvebrillantetbiensage,GraceHallfaitleménagederrièrevous.

«Est-ceque çaveut direque jevais bénéficier de la clémencepourpremière infraction ?» ai-jedemandé.

Jemesuisforcéeàsourire,maisjevoyaisbienquejenedonnaispasvraiment lechange.Jouerlacomédienemetransformeraitpasennanaquifaitdesconneriesetquiblagueaprèss’êtrefaitchoper.

«Etpuisj’aiuneinterrod’algèbredansdixminutes,j’aimeraisbiennepaslarater.Jepeuxyaller?−Non.Tunepeuxpasyaller,Amelia.Onnevapaspasser l’épongecommeça.Pasavantque tu

m’expliquescequisepasse.LemotdeM.Zaritskiexpliquequ’ils’estfaituneherniediscaleentirantsursonsac.Apparemment,iladéjàtroisdisquesdéplacés.

−Maisbiensûr»,ai-jerétorquéenlevantlesyeuxauciel.Quiétaitcettepersonnequis’exprimaitparmabouche?Zadiepeut-être?Ses«putain»encascade

étaient assez contagieux, et unepetite partie demoi avait envie de lui ressembler, oudumoins d’êtretraitéecommeelle.Lesprofs,l’administration,toutlemonderestaitàbonnedistancedeZadie,fermaitlesyeuxsursespetitsécarts,etpasparcequ’ilspensaientqu’elleétaitincapabledemalagir.Ilsavaientpeurd’elle.Personnen’avaitjamaispeurdemoi.

«Amelia,M.Zaritskin’estpeut-êtrepasunepersonnetrèsfacile»,aditM.Woodhouse.Iln’aimaitpasceprof.Ilavaitbeauessayerdenepaslemontrer,jelevoyaisbien.«Maisilresteunepersonne,donttuasattachélesacàunpieddesonbureau.Pourquoimaintenantet

pourquoilui?Jusqu’icitun’avaiseuqu’uneseuleévaluationdanssoncours,etelleétaitexcellente.»J’aihaussélesépaules.Lecoupdesscellésenplastique,c’étaituneidéedesMaggies,paslamienne.

C’étaitlapremièredestroisblaguesd’écolierquejedevaisfaireenguisedebizutageavantdedevenirofficiellementuneMaggie.J’avaistirémesmissionsd’unchapeaulorsdeladernièreréunion.Réunionsqui se tenaient deux fois par semaine et une fois le week-end, toujours à une heure et dans un lieudifférents. C’était coton d’inventer autant d’excuses à sortir à Sylvia et à ma mère concernantmesobligations,maisc’étaitaussiplutôtfund’avoirunsecret.Etpuiscesréunionsn’étaientpassimal,c’étaitpasexactementdesfêtes,maispresque.Engénéralquelqu’unapportaitunebouteilledevinetlesfillesétaienttoujoursfourréesdehorspourcloper.Parfoisunjointtournait,jen’avaisencorejamaistirédessuslesfoisoùilétaitarrivéjusqu’àmoi.Maisj’avaisfailli.Jen’étaistoujourspassûredevouloirdeveniruneMaggiepureetdure,celaditjusque-làjem’étaissurpriseàmerendreàtouteslesréunionsetà obéir aux ordres. D’une je craignais ce que Zadie ferait si j’arrêtais, de deux j’appréciais cetteoccasiondepasserplusdetempsavecDylan.

Enfaitelleetmoi,ondevenaitassezproches.Etj’aimaisbienl’idéed’avoiruneamiedistinctedeSylvia.Elleauraittrouvéçadébilequej’aimebienDylan,maiscen’étaitpasparcequ’elleétaitbelleoupopulaire.Dumoinscen’étaitpaslesseulesraisons.Peut-êtrequeçaenfaisaituntoutpetitpeupartie−etjen’enétaispasfière−,maisilyavaitaussijustequej’aimaisvraimentpasserdutempsavecelle.Elleavaitcetteespèced’énergiemystérieuse.C’étaitpeut-êtreparcequ’elleétaitactriceouquoi,maisdesfoistuparlaisavecelleetlasecondequisuivait,c’étaitcommesiellevenaitdedisparaîtredansje

nesaisquelmondeàelle.Elleréapparaissaittoujoursquandtucraignaisdel’avoirperduepourdebon.Ducoup,letempsquetupassaisavecelledevenait,jesaispas,précieux.

Enplus,Dylanetmoi,onavaitdespoints communs,pas tant auniveaudecequ’onaimaitquedenotre manière de l’aimer.Moi, j’étais obsédée par les bouquins et l’écriture. Dylan, elle, c’était leschiffres.C’étaitfranchementpasceàquoionseseraitattenduvucommeelleétaitmignonne,maisc’étaitunecrackenmaths.Etelleaimaitça.Chaquefoisquejemeplongeaisdansunroman,elleouvraitsespetitslivretsdeproblèmesmathématiquesetsesgrillesdesudokuniveauexpert.Danslegenregeek,onétaitâmessœurs,elleetmoi.Seulementsageekattitudepassaitbeaucoupplusinaperçuequelamienne.Jen’avaisencorejamaisrencontréquelqu’unquimeressemblaitdecettefaçon-là.Jevoulaisapprendreàla connaître davantage, ce qui aurait été impossible, j’en étais quasi sûre, si je me faisais virer desMagpiespouravoirdésobéiauxordres.

Sanscompterqu’attacher le sacd’unprofà sonbureau,c’étaitpasnonplus lamort, surtoutquandils’agissaitdemonprofdebio,M.Zaritski.C’étaitcenséêtreungénie,ducouplesparentsl’adoraient,maispournousc’étaitjusteungrossalopardaimablecommeuneportedeprison.Ilavaitgravel’airdedétesterlesélèves,etpuisilpassaitsontempsàgeindre:lamétéo,lepollen,sessinus,sesgenoux,lamauvaiseplacedeparkingqu’ilavaitmisquarante-cinqminutesàdégotter.Ildéblatéraitenbouclesurtouteslesmerdesquiluiarrivaient.Commesiquelqu’unallaitplaindreuntypequipassesesweek-endsà décrocher les panneaux qui annoncent des vide-greniers et qui essaie d’interdire les trottoirs auxpoussettes doubles. Si j’avais choisi M. Zaritski pour la mission du sac scellé, c’est parce qu’il leméritait.

La deuxième blague− badigeonner de vaseline une poignée de porte− était censée tomber sur unmembredel’admin.Quietquand,j’avaisdéjàunplan.MmePearlméritaitdeseretrouveraveclamaingluanteautantqueZaritskiméritaitdesefairescellersonsac.

La troisièmeet dernière épreuve en revanche… jen’étais pas sûred’être capabled’aller jusqu’aubout.J’étaiscenséetrouverunmecvraimentteubé−legenreàêtreblancdechezblancparcequ’ilpasseleplusclairde son temps tout seuldans sonappartà jouerà laXbox− et faire semblantvia Internetd’êtreunenanaquilekiffe.Lescénario,écritàl’avance,devaitsetermineravecmoiquilepersuadedem’envoyerpartextodesphotosdeluiàpoil.Jenesavaispascommentj’allaispouvoiryéchappersansqueZadiemedémontelatête,maisj’avaisl’impressiond’avoirbientropencommunaveccescachetsd’aspirinepourfaireuncouppareil.

Enmêmetemps,j’auraisjuréquejamaisjeneferaiscequejevenaisdefaireàZaritski.N’empêche,çaavaitététropsimple,tantauniveauconsciencequ’exécution.Jel’avaisvuallerauxtoilettesavecsesmotscroisés.Sapetitebaladedumatin,commeondisaitpour rire,chaque jourexactementà lamêmeheure, et toujours pendant au moins dix minutes. Ça s’était passé pendant le deuxième service dudéjeuner, les couloirs étaient donc déserts. Pourtant quelqu’un, quelque part, devait m’avoir vue.Iln’avaitpasfallulongtempsàZaritskipourmecollerl’affairesurledos.

Woodhouse,lesyeuxtoujoursrivéssurmoi,attendaitquejedisequelquechose.D’aprèslesMaggies,je n’étais censée passer à la phase II de l’opération Évite-la-punition-si-tu-te-fais-choper − chialercommeunehystérique−seulementsimelafermerserévélaitêtreunbidetotal.VucommentlessourcilsdeM.Woodhouseluiarrivaientà laracinedescheveux, laphaseIn’avaitpasl’aird’êtreunefrancheréussite.Maisj’étaisquasisûrequejeseraisincapabledejouerleshystériques.Jen’étaispasd’humeur,quoi.Pourtant,deuxsemainesplus tôt, j’aurais juréque j’auraischouinéàmeretrouverassisedans lebureaududirlo.

«Etpuisdetoutefaçon,qu’est-cequiprouvequec’estmoiquil’aifait?ai-jedemandé,imitantmamère.Vousn’avezpasbesoindepreuveoucegenredechoses?

− Laisse-moi te poser une question, Amelia, a répliqué Woodhouse en zieutant mon sac enbandoulière.Sijeregardelà-dedans,vais-jetrouverdesscellésenplastique?»

Pourquoine lesavais-jepasbalancés? Jem’étaisditqueçapourraitme resservir.Quelleabrutiefinie.Maviedecriminelleétaitsurlepointdesetermineravantmêmed’avoircommencé.

«Non»,ai-jeréponduenserrantplusfortmonsac.J’essayaisdedéterminercequej’allaisbienpouvoirfairequandilessayeraitdes’enemparer.«Écoute,Amelia,qu’importecequimesemblejuste,mais,auvudescirconstances,M.Zaritskin’est

pasprêtàlaisserpasserça.»Ilacalésonmentondanssonautremain.Ilavait l’aircertainquej’allaisluibalancertoutcequ’il

voulaitsavoir.Quecen’étaitqu’unequestiondetemps.« Nous allons devoir trouver un moyen pour que tu te fasses pardonner auprès de lui. Et ça

commenceraobligatoirementparlegranddéballage.»PhaseIII:hara-kiri,prendsl’entièreresponsabilitéetacceptelapunition.Etjamaisôgrandjamaistu

nementionneslenomdesMagpies.Sinon,nousavait-ondit,celanousvaudraitd’êtreexpulséesduclub,cequisemblaitimpliquerdesconséquencesbienpiresquedenesimplementplusenfairepartie.

«Bontrèsbien,jediraiàZaritskiquejesuisgenredésolée.−C’estundébut,acommentéM.Woodhousecommes’iln’avaitmêmepassaisiquej’endossaisla

responsabilité.Mais,Amelia,çaneteressemblepas.Tun’aspaseucetteidéetouteseule.Jelesais.»Jen’aimaispasletourqueprenaitcetteconversation.«Ahouais?−Ouais.Jenetedemandepasdetrahir jenesaisquellesconfidences.Jecomprendscombiencela

pourrait être difficile.Mais je veux que tu te demandes si les filles qui t’ont mise sur ce coup sontvraimenttesamies.Siellesontvraimentàcœurtesmeilleursintérêts.

−OK.»J’avaisfaitcourt,histoiredenepasconfirmersanslevouloirl’existencedesMaggies.Woodhousemedévisageaitsoudaincommeunpsy.Commesij’étaisauborddel’abîme.C’estçala

viequandonestbiensage.D’abordonnevouscroitpascapabledefairelamoindreconnerie,etaprès,quandonserendcomptequesi,onpensequevousfaitesunedépressionnerveuse.

«Écoute,jecomprendsquetupassesbeaucoupdetempsseule,quetamèredoitbeaucouptravailleretqu’iln’yaquevousdeux.Cesgroupeschoisissentdesgensquicherchentquelquechoseensachantqu’ilsserontplusfacilesàmanipuler.

−Jenechercheriendutout.»Etc’étaitvrai,saufque,jenesaispaspourquoi,j’avaisl’impressionquec’étaitungrosbobard.Woodhouseafroncélessourcils,hochélatêteetbaissélesyeux.«Trèsbien,Amelia»,a-t-ilfinipardire.Ilavaitpresquel’airtriste,genre.« Tu sais, j’ai enseigné dans de nombreux lycées, dans beaucoup d’endroits différents, et c’est

toujourslamêmechose.Leschancessontfaiblesquelesélèvesdisciplinéscommetoirestentdisciplinés.Etc’estvraimêmedansunétablissementcommeGraceHall.»

Maintenantjecommençaisàêtreénervée.Jen’avaispasbesoinqueWoodhouseessaiedes’insinuerdansmatête.J’avaisenviedeluidiredemefoutrelapaix,maislemoyenleplusrapidepourenfiniretévacuerleslieuxétaitd’acquiescer.

«Biensûr,ouais,j’imagine.»J’aihaussélesépaules.

«Enfinbref, jevoulaisjustedirequelesMagpiesn’étaientpaslabonneréponse.Certainesdecesfilles…»

Ilahésité.Ilalevélesmainscommes’ilcapitulait,puissonvisages’estradouci.«Cesont toutesdegentilles fillesprises individuellement.Laplupart,dumoins.Maisquandelles

sontensemble,leurjugementest…»Ils’estinterrompu,commepourchercherlemotjuste.«…brouillé.Jetiensàm’assurerquetuenprennesconscienceavantqu’ilnesoittroptard.»Woodhouseavaitjouéaucon.Aufinalilsavaittoutdel’existencedesMagpies.Onauraitmêmedit

qu’ilsavaitquiappartenaitaugroupe.Çasentaitlepiège.«Fautvraimentquejeretourneencoursmaintenant.Enfin,c’estvrai,non?Jepeuxm’excuserauprès

deM.Zaritski−jeferailacolle,lapunitionoujesaispasquoi−maisjenevoispascequejepeuxfaired’autre.

−D’accord,Amelia,tupeuxyaller.»Il avait l’air abattu. Je tenaisma sortie. Il fallait que jemebarre de là avant qu’il change d’avis.

Jemesuislevéed’unbond.« Je parlerai à Zaritski. Des excuses ne suffiront peut-être pas,mais ce sera certainement un bon

début.Pourcettefois,nousn’inscrironspascetincidentdanstondossier,maislaprochainefois,Amelia,ceserauneautrehistoire.

−Merci,monsieurWoodhouse,ai-jeditenmeruantverslaporte.− Et, Amelia, a-t-il lancé, je suis sérieux quand je te dis de faire attention. Parfois on n’arrive à

évaluerlavitessed’uncourantquelorsqu’onestsurlepointdebasculerdansunechuted’eau.»Après les cours, assise dans un box poisseux duRoma Pizza presque vide, j’attendais que Sylvia

revienneavecnosparts.J’étaisencoreunpeuexcitéeàcausedecettehistoireavecZaritski,surtoutaprèsm’êtretiréedubureaudeWoodhouse,missionaccomplieetpatincouffin.Toutescesannéespasséeslenezplongédanslesbouquinsm’avaientvraimentdonnéuneespèced’immunitégrace-hallienne.

L’arrivéed’untextoafaitvibrermonportableaumomentoùSylviaprenait lechemindenotreboxavec nos deux parts. Je l’ai sorti à toute vitesse demon sac, essayant de le lire avant qu’elle m’aitrejointe.Numéromasqué,autrementditc’étaitl’unedesMaggies.

Party@Maggie2.Lâchetapizza,plantelacatin.Onvatefairesauterlapastille.Zadie,j’avaismêmepasbesoindevoirlenuméro.C’étaitpaslapremièrefoisqu’elletraitaitSylvia

decatin.Merdealors,commentsavait-ellequej’étaisvierge?Minute,attendsunpeu,c’étaitimpossible.Elleensavaitrien.Ellevoulaitprobablementparlerdemapremièrefêtemixte.Ilfallaitquejemecalme.Ellenousavaitditqu’oniraitàunefêteMagpies-Wolf’sGateunefoisquenousautresnovices,onauraitréussi notre premièremission. EtMaggie 2, c’était Dylan. Une fête chezDylan, c’était pas un truc àlouper.J’aifourrémonportabledansmonsac.

«Pourquoiilfauttoujoursqu’ilslafassentbrûlante?arâléSylviaendéposantsurlatablelesdeuxassiettesenpapiergrassesavantdesecouerlesmains.Sûr,c’estlameilleurepizzaducoin,maistudis“pastropchaud”eteux,genre,ilstelafontultrachaude.»

Heureusement,ellen’avaitpaseul’airderemarquerquej’avaismatémontéléphone.Etmaintenantqu’elleétaitassise,elleétaitconcentréeàseservirdesesonglesbleupétantpourorganiser lespetitscarréscouvertsdefromagequ’elleleurdemandaittoujoursdeluicoupercommesielleavaittroisans.Derrièreelle,àtraverslesfleurspeintessurladevantureduRoma,j’observaislemagasinYogoMonster

etlecavistedel’autrecôtédelaSeptièmeAvenue.Jem’attendaisàvoirZadieentraindem’espionner,maisiln’yavaitqu’unpelotondemamansflanquéesdepoussettesetdegamins.

«AlorsjesaisbienquequandIanditqu’ilveuttraîneravecmoi,c’estpaspareilques’ildisaitqu’ilvoulait,genre,sortiravecmoiouquoi»,asoliloquéSylviaenreprenantpile làoùelles’étaitarrêtéequandelles’étaitlevéepourallernouscherchernosassiettes.

Elleaenfournéunenouvellebouchéeavantderegarderàsontoursielleavaitreçudesmessages.Vusonairdéçu,çadevaitpasêtrelecas.

« Seulement, une fois il m’avait dit qu’il ne donnait jamais plus d’un rencart aux meufs quifréquentaientsonbahut.Orvuqu’onenaeuunpaquet,çadoitbienvouloirdirequelquechose,non?»

J’aivitedétournélesyeuxdelafenêtreensentantsonregardpesersurmoi.«Euh,ouais.»Vu la tronche qu’elle tirait, je n’avais pas dûmemontrer assez enthousiaste. Et c’est vrai qu’Ian

Greene semblait grave accro.À l’évidence, ce côté extravagant de Sylvia qui faisait craquer tous lesmecsnes’étaitpasencoretransforméenpétagedeplombs.

«Enfinjeveuxdire,oui,carrément.Absolument.»Sonvisages’estunpeudétendu.«Tucroisvraiment?−Grave.Personnenedonneplusd’unefoisrencartàquelqu’undumêmelycéeàmoinsdepenserque

ça pourrait être une vraie relation, ai-je répondu, comme si toutesmes infos sur ce genre de sujet nevenaientpasenfaitdegRaCeFULLY.C’esttropmerdique.Surtoutpourquelqu’uncommeIan.Pourquoiilseprendraitlatête?Ilpourraitrencontrerdesmeufscarrémentn’importeoù.»

Sylvia a hoché la tête, l’air toujours un peu soucieuse. Et làmon téléphone a de nouveau vibré :encoreuntexto.J’aiessayédelelirediscret,maisSylviaavaitlesyeuxbraquéssurmoi.

Nesoispasenretard,disait-il.«C’estqui?TonsuperpoteBen?ademandéSylviaenlevantlesyeuxauciel.Crois-moi,cemeca

beaucouptropdetempslibrepourt’envoyertouscestextos.Disloserpourvoir.−J’ailetempsdeluirépondre.Est-cequejesuisuneloseusepourautant?»Sylviaahaussélesépaules:«C’estceluiquileditqui…»Jel’aifusilléeduregard.«Écoute,net’enprendspasàmoi,a-t-ellerepris.C’esttoiquiaschoisilecybersexe.»Jemourraisd’enviedeluifourrermonportablesouslenez.Deluidirequec’étaitelle,laloseuse,

pasmoi.Parcequemoi,j’avaisétéraccordéeauréseaudesMaggies,orlesMaggiesneraccordentpaslesloseuses.Saufque,biensûr,jenepouvaisrienluidire.Etjemesentaiscoupable.Jemesentaismêmecoupabledemevantermentalementd’apparteniràceclub.EtpuisSylvia,c’étaitSylvia.Elle,quandellesesentaitcoupable,elles’enprenaitàmoi.Elleétaitcommeça,pointbarre,d’ailleursçam’arappelécestextosdébilesausujetdemonpère:çadevaitêtreuneblagueàelle,j’enétaisquasisûre.

«Aufait,qu’est-cequiteprenddem’envoyerdestextossurmonpère?»ai-jedemandé.Abordercesujetmemettaitencorepluslarage.Çacraignaitgrave,cetteblague.«Commentt’aspucroireuneseulesecondequeceseraitdrôle?−Qu’est-cequeturacontes?»Elleessayaitdeselajouerinnocenteetelleétaitassezconvaincante.«Allez,Sylvia.Jesaisquec’esttoi.−Faisvoir.»Elleatendulamainpourprendremonportable.

«Parcequefranchement,jamaisjet’aienvoyédetextossurtonpère.»J’aiaussitôtlaissémontéléphoneretomberdansmonsac,puisj’aifaitcommesiçamecoûtaittrop

d’allerlerepêcher.Yavaitpasmoyenquejelalaissemettrelamaindessus.EtsiunautretextodeZadiearrivait?

«C’estpasdesconneries,j’aiinsisté.−C’estpascequej’aidit.−Ledernier,c’était:“Tonpèren’estpasceluiquetucrois.”−Etilvenaitdemonnuméro?−Non,c’étaitunnuméromasqué.−Maistuasquandmêmecruquec’étaitmoiquitel’avaisenvoyé?»Elleavaitl’airsupervexée.«Merci.−J’imaginequej’espéraisquec’étaittoi.»Cequiétaitplusvraiquecequejepensais.Hélas,cen’étaitdéfinitivementpasSylvia.Sûr.Parcequ’ellementaitcommeunpied.Siellen’avait

pasditlavérité,jel’auraissudirect.CetextoauraitpuvenirdeZadieoud’uneautreMaggie.Cen’étaitpasunsecretquejenevivaispasavecmonpère,parcontrelefaitquejenel’avaismêmepasrencontréuneseulefoisenétaitplutôtun.Sylviaétaitpresquelaseuleaucourant.

«Elleaditquoi,tamère?−Surquoi?−Ben,letexto,aréponduSylviaenmeregardantcommesijefaisaisexprèsdejouerlesdébiles.–Jeneluienaipasparlé.»Jemesentaisunpeucoupable.«Pourquoiça?»J’yavaispensé,évidemment,maisjevoulaisd’aborddécouvrirdequiilsvenaient.S’ilsavaientété

deSylvia,mamèreauraitsûrementvouluavoirjenesaisquellediscussionhumilianteavecsamère.Ets’ils n’avaient pas été de Sylvia, ma mère aurait appelé le lycée pour leur dire que quelqu’un meharcelait.IlneluiauraitpasfallulongtempspourfinirparparleràWoodhouseetilluiauraittoutbalancéausujetdesMaggies.

«Jen’airienditàmamèreparcequejecroyaisquec’étaittoi.−Ahouais,j’avaisoublié.Sympa.−Enfinbref, le textoque je viensde recevoir, c’étaitmoncoach. J’ai laissémes crampons sur le

terrain.Fautquej’aillelesrécupérer.»Elleaeul’airunpeublessée.«Maistureviens,hein?»J’airegardél’heuresurmonportable.«J’aiuncontrôledebiodemain.Alorsyapeudechances.−Oh,bon,d’accord.Maisavantquetut’enailles,est-cequetupourraisaumoins…aprèsj’arrête:

tu crois pas que je devrais rappeler Ian, par hasard ? Je veux dire, est-ce que je dois attendre qu’ilrépondeàmontexto?»

Dylan habitait dans la Deuxième Rue, à côté du parc, dans une maison en grès qui ressemblait

beaucoupàlanôtre,àpartquelapierreétaitblancheetpasrouge,etqu’ilyavaitdevantuneespècedesculpturemoitiéclassemoitiéflippanted’unarbustedontl’extrémitédesbranchesportaitdesmainsaulieu de feuilles. J’étais au bas desmarches du perron à la regarder quand la porte s’est violemment

ouverte.Dylan est apparue, pieds nus, vêtue d’une robe ample et de plusieurs colliers.Elle avait unecigaretteàlamain,quiluidonnaitunairbizarre.Onauraitditunaccessoiredethéâtre.

«Allez,viens,a-t-ellelancéenmefaisantsignedemonter.Tufaispartiedesinvitésd’honneur.»Quand jesuisparvenueausommetde l’escalier,elleaécrasésacigarettesur leperron,passéson

brassouslemienetm’aconduiteàl’intérieur.Sonsalonétaitpleinàcraquerdemeubles,debabiolesetdecorps :mecset filles empilés surdescanapset étaléspar terre.Lapièceétait aussi complètementenfumée.Shit,cigarettes.Presquetousavaientunebièreà lamain.J’avaisdûm’arrêtercarDylanm’adoucementtiréeendirectiondelacuisine.

«T’asjamaisvudebringue,ouquoi?»s’est-elleesclafféeensedirigeantverslefrigo,d’oùelleasortiunebièreblondedeBrooklyn.

Si,j’avaisdéjàétéàdesbringues:bringuespyjamas,bringuesciné,bringuesd’anniversaireetmêmebringuesgarçons-filles.Jamaisàunebringuecommeça.

Dylanadécapsulé labouteilled’uncoupsecetme l’a tenduecommes’il s’agissaitd’unchewing-gum. Je l’ai prise. Du moins je crois, vu que la bouteille était là, dans ma main. Elle était froide,visqueuseetpluslourdequecequej’auraiscru.J’aiserréfortlesdoigtspournepasqu’ellem’échappe.J’avaisdéjàbuduvinàNoël,etSylviaetmoi,ons’étaitenfiléunefoisunshotduwhiskydégueudesonpère.Maisjen’avaisencorejamaisbudebière,etcertainementpasuneàmoitouteseuleàunebringuebourréedegenscoolissimes.JecontemplaisfixementmabouteillequandZadieafait irruptiondans lacuisine.Elleavaitdéjàl’airbourrée,oupeut-êtrejusteplusvénèrequed’habitude.

«Eurk!s’est-elleexclaméeenmevoyant,unemainenvisièrecommesijeluifaisaismalauxyeux.Maparole,c’estCrazyEyes1.Merveilleux.

−Soissympa,Zadie,arépliquéDylansanssedonnerlapeinedelaregarder.Tuavaispromis.»Zadie a chopédeuxbièresdans le frigo, qu’elle a referméviolemmentd’uncoupdehanche.Àce

bruit,Dylans’esttendue,maisnes’estpasretournée.«Sympa?»agrognéZadiequimefusillaittoujoursduregard.J’aiavaléunegrandegorgéedebièreetj’aitâchéderefoulerlanausée.«Oui,sympa,arépétéDylan.Tuavaispromis.−Onn’ajamaisdit“sympa”,onadit“passalope”.»ZadieestvenueseposteràcôtédeDylan.Ellesepenchaitpourluimurmureràl’oreille,maisDylan

n’arrêtaitpasdereculerlatête.«EtvucequejepensevraimentdeCrazyEyesiciprésente,m’estavisquejesuisaimablecomme

jamais,putain.»CrazyEyes?Zadiemedétestaitàmort,maispourquoi?Onneseconnaissaitmêmepas.Pourtant,à

chaqueréuniondesMagpies, l’intensitédesonméprisdevenaitdeplusenplusévidente.Cen’estquelorsqueDylan,pourcompenser,s’étaitmiseàêtremégasympaquej’avaisdécidéderester.Ellem’avaitmêmeditquejeluirappelaiscommentelleétaitenseconde.C’étaitpeut-êtrejusteuneparoleenl’air,maisbon,çafaisaitquandmêmeplaisirdesedirequeDylanvoyaitnospointscommuns.

J’aiavaléunenouvellegorgéedebièreenretenantmarespiration,histoiredenepassentirlegoût.«Jenesuispasfranchementfandetaterreurentutu,tusais»,amarmonnéDylanencroisantlesbras.Elleavaitl’airagacéemaintenant.«Pourtantjem’enprendspasàelle.»Taterreurentutu…Celavoulait-ildirequej’étaissaCrazyEyes?Justement jemedemandaisqui

avaitbienpumechoisiràlabasepourrejoindrelesMaggies.ZadieétaittoujoursplantéeàcôtédeDylan.Elleatendulentementlebrasverselleetluiarepoussé

quelquesmèchesdecheveuxderrièrel’oreille.

«Nemetouchepas,aaboyéDylanenluigiflantlamain.−Onsecalme»,aditZadieavecunvilainsourire.Puisellealevélesmains−unebièredanschaque−avantdeglisserverslaporte.«Faisgaffe,CrazyEyes,ellemord.»Carterestapparuàcemoment-làsurleseuildelacuisine,l’airperduetagité.C’étaitunsoulagement

devoirunvisagefamilier,mais iln’amêmepaslancéunregarddansmadirectionavantqueZadie lecharge.

«Ah, te voilà ! » s’est-elle écriée en se pressant contre lui, hanches en avant, avant de coller sabouchesurlasienne.

Carter avait l’air dans les vapes quandZadie s’est écartée pour reprendre sa respiration. Elle l’achopéparlamainetl’aentraînébrusquementverslesalonennousadressantunsourirepar-dessussonépaule.

«Àplus,mesdames.»Aprèssondépart,Dylanacommentésansconviction:« Elle n’est pas aussi méchante qu’elle en a l’air. Il faut vraiment bien la connaître. C’est ma

meilleureamie.J’aisouventeul’impressionquec’étaitmaseuleamie.−Commentça?»J’aiunpeuri,mêmesiellen’avaitcarrémentpasl’airdeblaguer.«Desamis,t’enasunmillion.−Ilsneconnaissentpasmavraiepersonnalité,a-t-ellerépliqué,leregardsoudainvide.Pascomme

Zadiemeconnaît.−J’aimeraisbienlaconnaître,moi,tavraiepersonnalité.»Jemesuissentierougir,maisj’étaisquandmêmecontentedel’avoirdit.«Viens,m’a enjointDylan en passant son bras sous lemien. Je veux temontrer quelque chose à

l’étage.»On a traversé le salon enfumé rempli d’antiquités et on s’est dirigées vers l’escalier sombre et

grinçant.Samaison,quiressemblaittellementàlanôtredel’extérieur,n’auraitpaspuêtreplusdifférenteà l’intérieur.Étouffante et encombrée,mais d’unemanière pas complètement horrible.On aurait dit ledécord’unfilmadaptédeJaneAusten.J’aijetéunœilpar-dessusmonépauleenattaquantlamontéedesescaliers.J’aialorsaperçuIanGreeneinstallésuruncanapé.Maisquiétaitdoncassisàcôtédelui?Unefille,sûr.J’auraispujurerqu’ils’agissaitdeZadie.J’avaiscrureconnaîtresesbottinespointuesetsaminijupeplissée.Était-celamaindeIansursacuisse?Pourtantelleétaitàl’instantdanslacuisineavecCarter.Ellen’auraitpaspuchangerdepartenaireaussivite.Celadit,ilétaittroptardpourretournervérifier:Dylanmetiraithorsdevue.

«Viens,a-t-elleditd’untonmi-joueur,mi-gagnéparl’impatience.Dépêche-toi.»Quandjemesuisretournée,Ianétaitparti,ilavaitdisparu,toutcommelerestedusalon.«Est-cequetouslesmecsicisontauWolf’sGate?»ai-jedemandéunefoissurlepalier.J’essayaisdeparaîtredétachée.«Ouais.Laplupartsontsympas.Maiscertains,c’estdesvraisconnards.»Elleavaitl’airblasée.Ellem’adésignéuneporteaumilieuducouloir.«Onvalà-dedans.»On est entrées dans un cabinet meublé d’un gros bureau en acajou et d’un fauteuil en cuir très

solennel.Lesmursétaientcouvertsdelivresdugenrevieuxbouquinsreliésencuiravecdebelleslettresdorées etde finespagesgaufrées.Et c’était pas justedesbouquinsneufs auxquelsonavait donnéuneapparencedevieux.C’étaitvraimentdetrèsvieuxlivres.

«Waouh!»jemesuisexclaméeenm’approchant.Touslesclassiquesétaientlà:L’Odyssée,MobyDick,L’EnferdeDante.«Incroyable.−Personneneleslit,aexpliquéDylan,commesiellenevoulaitpasquejemefassedefaussesidées.

Monpèresecontentedelescollectionner.Yaaussidesoriginaux.»Elles’estemparéed’unlivreexposéseulsurunepetiteétagère.«Commecelui-là.»J’aiprislelivredemauvaisegrâce,craignantderenverserdessuscequirestaitdemabière.C’était

unepremièreéditiondeLesoleilselèveaussi.«Waouh!»ai-jerépété.Je me rendais bien compte du ton complètement débile de ma voix, mais j’arrivais pas à faire

autrement.Cebouquinétaitgraveimpressionnant.«Enfinbref,jemedisaisqueceseraitpeut-êtretontruc»,alâchéDylanenmereprenantleroman

desmainspourleremettreàsaplace.Elleétaitdevenuedistantetoutàcoup,cesourirechaleureuxquim’avaitguidéeenhautdesescaliers

avaitdisparu.J’avaisdûlavexer,maisquand,ça,jen’ensavaisfoutrerien.«Ilfautquej’yaille,là,a-t-elledéclaréensetournantprécipitammentverslaporte.Tupeuxrester

jeterunœilsituveux,moij’aiuntrucàfaire.Onseretrouveenbasdansquelquesminutes.»Etelleavaitdisparu.J’étaisplantéelà,seuledanssabibliothèque,unebièrequasivideàlamainet

unpaquetdequestionsdanslatête.Jen’avaisaucuneidéedecequivenaitdesepasseretencoremoinsdelamanièred’yremédier.PasfacilequandjenecomprenaisdéjàpasvraimentcequisepassaitentreDylanetmoi.

J’aienvoyéuntextoàBendèsmonretourchezmoi.

AMELIAjesuisalléeàmapremièreteufmixteaujourd’hui

BENctladébauche?

AMELIAassez

BENsexe,drogue

AMELIAassez

BENmspasprtoij’imagine

AMELIApasvraiment;msDylanétaitsupersympaacmoi

BENccool

AMELIA

etpuisd’1couplcferméeBENpascool.pourquoi?

AMELIAj’ensaisrien,jeteposelaquestion

BENqu’est-cequejconnaisenfilles?prmoi,vsêtestoutesdingues.cprçakejem’en

tiensauxmecsAMELIAtusersàrien

BEN:)

J’ai lâchémon téléphone, je me suis retournée dansmon lit et j’ai prisVers le phare. C’est pas

commesij’avaisbesoindelerelirepourécriremadissertd’anglais.Jeleconnaissaisquasiparcœur.VirginiaWoolf,c’étaitunpeumonhéroïne.Pasparcequ’elleétaitentréedansunfleuveavecdescaillouxdanslespoches−mêmesienmatièredesuicide,çaavaitfranchementdelagueule−,maisparcequ’elleavaituntalentdingueetqu’elleavaitétécellequ’ellevoulaitêtre,malgrélapressiondelasociétéquivoulaitqu’ellesoitautrement.

EllesesentaitbienpeudechoseauprèsdePaul!Lui,rayonnant,brûlantd’ardeur;elle,distante,narquoise;lui,enpartancepourl’aventure;elle,amarréeaurivage…

J’aireposéleromanetregardél’heure.Presquevingt-deuxheures.J’avaisreçuuntextodemamèreunpeuaprèsvingtheuresquimedisaitqu’ellerentreraitbientôtà lamaison,maisque jen’avaisqu’àmanger sans elle. J’avais commandé suffisamment de sushis pour qu’il lui en reste. Si je ne luicommandaispassondîner,elleiraitsecouchersansrienavaler.

Leelahn’étantpluslà,jemangeaissouventtouteseule,engénéraltroisouquatrefoisparsemaine:japonais,chinois,thaï.Jamaisindien.SinonlacuisinedeLeelahm’auraittropmanqué.Engénéral,c’étaitassezbon.Lesgensdesrestosàemporterconnaissaientmonadresseparcœuretdisaientdes trucsdugenre«Pourtoi,toutcequetuveux».

Jen’envoulaispasàmamèrededevoirtravailler.Elleavaitunboulotetelledevait lefairebien.Laplupartdu temps j’étaismême fièred’elle.Certes, jeme sentaisunpeu seuledes fois,mais çanevoulaitpasdirequeje«cherchaisquelquechose»,commeavaitditWoodhouse.Cettesituationm’allaittrèsbien.

Sanscompterqu’onavaitnosrendez-vousdînerduvendredisoir,quenil’unenil’autren’avionsledroitd’annuler,jamais.Onessayaitdebruncherensemblelesamedi,etledimanchesoir,pelotonnéessurlecanapé,onregardaitunfilm.Leweek-end,onfaisaitaussid’autrestrucsenfonctiondemesdevoirs,demonemploidutempsdehockeysurgazonetdelaquantitédeboulotdemamère.Etdemesréunionsde Maggies, maintenant. On allait au musée ou bien on se payait une manucure. Une fois, on avaitparticipé à une promenade dans Manhattan : la tournée des cupcakes. L’été, on passait toujours unesemaine quelque part à la plage : Fire Island,Block Island,Nantucket. Je savais qu’elle aurait passéencoreplusdetempsavecmoisielleavaitpu.

J’aientendulaported’entrées’ouvriraurez-de-chausséequelquesminutesplustard.Puismamèreétaitdansl’escalier,montantàpasdeloup,craignantprobablementdemeréveiller.Quandelleaenfinouvert laportedemachambreetpassé la têtedans l’entrebâillement, j’aivuses longscheveuxblondfoncérassemblésenunequeue-de-chevalbasse,etseslunettesenécailledetortue,cellesquejetrouvaisclassepourunemère.Elleavaitl’aircrevée,degrandscerness’étalaientsoussesyeuxbleus.Maiselleétaitquandmêmejolie.Mamèreétaittoujoursjolie.Pasdanslegenrechaudasse,çaauraitétéhumiliant.C’étaitjusteunemèrenormale,maisjolie.

J’aiagitélamain,latêtetoujourssurl’oreiller,histoirequ’ellevoiequej’étaisréveillée.«Oh,salut.»Elleasouri,l’airagréablementsurprise.«Jenet’aipasréveillée,aumoins?−Non.»Jemesuisredresséeetj’aiposémonlivresurlatabledenuit.«Jelisais.−Tunel’aspasdéjàlutrente-sixfois,Verslephare?»Elle était comme ça, ma mère. Elle aurait pu être bien plus souvent à la maison et remarquer

vachementmoinsdechoses.Cheznous,c’étaitpeut-êtrepaslapetitemaisondanslaprairieouquoi,maiscequ’onavait,çamarchait.

«Ouais,dixfois,genre.Maisonestcensésfaireunedissertdessusenanglais.Jejetaisjusteunœilpourmedécidersurunsujet.

− Ne devrais-tu pas être dans une autre classe en anglais ? Je sais qu’on s’était dit qu’une autrematièrerenforcée,çaferaittrop.Maiscen’estpasbonnonplusdes’ennuyer.»

Ellesemblaitsoucieuse.«Celycéenouscoûteunbras.Ilspourraientaumoinss’adapteràtesbesoins.−Maman,ilesttrèsbien,cecours,sérieux.Liv,c’estgenremaprofpréférée.»J’aihaussélesépaules.Mamèreétaitcommeça:ellepartaitsursesgrandschevauxpourdestrucs

quinecomptaientpastantqueça.C’estparcequ’ellesesentaitcoupabledenepasêtresouventlà.Çaladémangeait toujours d’intercéder en ma faveur, sur n’importe quel sujet. Y compris des trucs pourlesquelsjen’avaispasbesoind’aide.

«Enplus,j’aidesidéespourrendrecettedissertplusintéressante.−Tuprometsdemelediresiaufinalçanevapas?Encours,jeveuxdire,oudansn’importequel

autredomaine.»Alorsj’aipenséàmonpère.Àmonavis,lapersonnequiavaitécritcestextosdébilesnesavaitrienà

sonsujet,nisurmoi.Maisellem’avaitamenéeàmedemanderquietoùétaitréellementmonpère.C’étaitcenséêtreuntypequemamèreavaitrencontréunsoirilyaquinzeans.«Ungarçondansun

bar»,qu’elledisait,ungenredebonSamaritainquiétaitenroutepour l’Afriquequand leurscheminss’étaientcroisés.C’étaitgénialettoutdepenserquemonpèreétaitcettepersonne-là,saufqu’iln’avaitpasdutoutl’aird’untypeversquimamèreirait.Songenre,c’étaitplutôtSeth−supersympa,intelligent,coincé−,versionhétéro.D’ailleurs,c’esttoutlescénarioquinetenaitpasdebout.Mamèrenetraînaitpasdanslesbars,jamais.Ellenebuvaitpresquejamais.Jenesaispasquandj’avaisarrêtédecroireàcettehistoire.Progressivement,genre,avecletemps,etjusque-làjenem’étaisjamaisvraimentsouciéededécouvrirlavérité.Jemedisaisquesimonpèreavaitvalulecoupquejeleretrouve,ilseseraitmisàmarecherchedepuislongtemps.

Seulementilyavaiteulestextos.

J’avaisbeaunepasvouloirmeprendrelatêteavecça,ilsmetitillaient.Çametitillait.J’avaisenviede dire àmamère qu’elle n’avait plus besoin deme protéger, que je pourrais supporter de savoir lavérité au sujet demonpère.Mais envoyant sesyeux fatigués, cette façonqu’elle avait deme sourirecommesielleessayaitdemefaireressentirsonamourdetoutessesdents,jen’aipaspu.Jenepouvaispastoutdéballer.Jenevoulaispasqu’ellepensequ’ellenemesuffisaitpas.Etpuisjecraignaisaussiunpeuquesesaveuxmemettentlarage.Contreelle.

Sanscompterqu’ilyavaitd’autreschosesplusimportantesdontj’avaisbesoindeluiparler.J’avaisbesoindeconseils.Biensûr,jenepouvaispasracontern’importequelleconneriesurunclubsecret.ElleauraitfoncéàGraceHallenpleinmilieudelanuitetdémolilebahutbriqueparbrique.ElleauraitaussiréembauchéLeelahdirect.Et ça aurait été la fin desMagpies, et deDylan. J’allais devoir posermesquestionsparunchemindétourné.

«Est-cequetuappartenaisàunesororitéquandtuétaisàlafac?»luiai-jedemandé.Sororité,clubsecret.C’étaitunmoyensûrdeposerlaplupartdemesquestions.«Unesororité?»Elleasembléuninstantperplexe,puisquelquepeugênée.«Oui,j’aibienpeurqueoui.Pourmadéfense,àDuke,presquetoutlemondeétaitdansunesororité.

Onn’avaitpasl’impressiond’avoirtroplechoix.−C’étaitmarrant?Enfin,tuétaiscontented’yêtre?−Contente?»Elleaplissélefrontets’esttapotéleslèvresd’undoigt.«Jenecroispasquec’estletermequej’emploierais.J’aisurvécu,disonsleschosescommeça.»C’étaitfendardd’imaginermamèreàuntrucgenreréuniondeMaggies.Carsij’étaisunmodèlede

vertu,mamèreétaitunesainte.«Quelgenredemissionsdebizutagetudevaisfaire?»Unétrangeliensecretnousreliaitàprésent.«Attends,c’estquoitoutescesquestionssurlessororités,Amelia?»Ellem’aregardée,lesyeuxplissés.«Tun’auraispasl’intentiond’alleràlafacenavance,dis-moi?−Non,ai-jeréponduenmecreusantlatêteenquêted’uneexcuse.J’écrisunedissertsurlessororités

pourmoncourssurlacontroversemoraleauxÉtats-Unis.»Waouh,d’oùjel’avaissortie,celle-là?Jem’amélioraisgraveenbobards.«LacontroversemoraleauxÉtats-Unis?Tum’avaisdéjàparlédececoursavant?−Oui,tuétaislàquandjel’aichoisi.− Ah bon ? s’est-elle étonnée. Est-ce que tu vas aussi toujours à des cours normaux, maths par

exemple?»J’ailevélesyeuxauciel.«Arrête,maman.−Mafoi,sic’estpourunedissert,alorsjeterépondraifranchementqu’àmonavislessororitéssont

unemauvaisechose.C’estmêmeterrible,enfait.Souscouvertdesolidaritéféminine,ellesdonnentunsentimentd’inférioritéauxfilles.»

Aïe.Et elle n’en rajoutaitmêmepas pour essayer demedissuader de quoi que ce soit.C’était savéritableopinionobjective.Celadit,unclubsecret,c’estpasexactementlamêmechosequ’unesororité.Rienàvoir.Zéropointcommun.Lelycéeetlafac,c’estdeuxmondesàpart.

«Maisentrenous,situdevaisfinirdansunesororité,jenet’envoudraispas.»Elleaposéunemainsurmonfront.

«Tuessûrequeçava?Tuestoutepâle.−Çava,ai-jeréponduenmedégageant.Ettuavaisquelâgelapremièrefoisquetuessortieavecdes

garçons?−Alorslà…Quej’aieuenvieouquejel’aivraimentfait?Parcequej’aitoujourspassébeaucoup

plus de temps à penser aux garçons qu’à vraiment sortir avec eux. Comme tu le sais, les histoiresd’amour,çan’ajamaisétémonfort.

−Quandas-tucommencéàaimerlesgarçons?»Cesdernierstemps,jemedemandaissimonretardàl’allumagepouvaitêtred’originegénétique.«Avantquejerépondeàcettequestion,est-cequetusorsdéjàavecquelqu’un?Parcequ’ons’était

misesd’accordsurquinzeans,maisseulementaprèsqu’onenauraitdiscuté.Enfin,jenememettraipasencolère,promis.Tupourrastoujoursmedirelavérité,quoiqu’ilarrive.

−Jenesorsavecpersonne,maman,ai-jeréponduenveillantàbienlaregarderdanslesyeux.Jeteledirais,jetelejure.C’estjustedelarecherche,toujourspourlamêmedissert.

−Lamêmedissert?»Sessourcilssetouchaientpresque.Ilétaitnul,cemensonge.Yavaitmêmepasvraimentdelogique.«Ouais,c’estendeuxparties.»Elleavaittoujoursl’airsceptique.«Hum,hum.OK,voyons,jecroisquejedevaisavoirtreizeans,a-t-elleditenagitantlamaincomme

siçaauraitmêmepuêtreencoreavant.Difficiledeserappelerprécisément.Enrevanche,jesuissûreden’avoirjamaisembrassépersonneavantquinzeans,aumoins.Peut-êtremêmevingt.»

Ellem’adévisagéecommepours’assurerqu’ellesefaisaitbiencomprendre,puiselleasouri.Undestrucs géniaux chez ma mère, en tant que mère, c’était qu’elle savait toujours quand elle était un peuridicule.

«Ah,d’accord»,ai-jedit,mesentantsoudainunpoilseule.Treize ans, c’était plus jeune que quinze. De deux ans seulement, mais c’était des années qui

paraissaienténormes.Peut-êtrequej’avaisunproblème.Maisjenepouvaispasfranchementm’attendreàcequemamèremerassurealorsquejeneluiexpliquaismêmepasdequoionparlaitvraiment.

«Merci.C’esttoutcequej’avaisbesoindesavoir.»Elles’estpenchéepourm’enlacerenparlantdansmescheveux.« Je suisdésoléedenepas être rentrée à tempspour ledîner,Amelia. Jem’apprêtais àquitter le

bureauquandj’aiétécoincéeautéléphoneet…−Çava,maman.C’estpascommesituavaisenviederesterbosser,jelesaisbien.»Etc’estvraiquejelesavais,mêmesidesfoisc’étaitquandmêmechiant.Mamèreavaitleregard

embuéquandelles’estreculéepourmesourire.Quandelleétaitvraimentcrevée,ellechialaitpourunrien.Ellem’acaressélajoue.

«Tuesunefilleadorable,Amelia.»Ellem’aembrasséesur le frontpuiss’estsoulevéedu litets’estdirigéevers laporte.Elleyétait

presquequandjemesuisrenducomptequejen’avaisvraimentpasenviequ’elles’enaille.Ilfallaitquejeluiparledavantage.Ilfallaitquejeluiracontetout.

«Maman!»Elles’estretournéesurleseuil.«Quoi,machérie?−J’aiétéraccordéeauréseaupar…»Sonportables’estalorsmisàsonner,elleapalpélespochesdesonmanteaupourletrouver.Quand

elleestenfinparvenueàlesortir,l’identitédel’appelantaeul’airdel’exaspérer.

«Zut,désolée,m’a-t-elleditensedétournantpourrépondre.Allô,oui,uninstants’ilteplaît.»Ellem’aalorsregardée,lamaincouvrantlemicro.«VictorestàTokyo,etilal’airdepenserquelemondeentierpartagesonfuseauhoraire.Maisje

feraissansdoutemieuxderépondre.Çafaitquatrefoisqu’ilm’appelleaujourd’hui.Est-cequeçapeutattendre,Amelia?»

Jeregardaisfixementletéléphonedanssamainetsonexpressiondugenrejefaistoutcequejepeux.Si je luiavaisditque j’avaisbesoinqu’elle raccrochedirect,elle l’aurait fait. Je lesavais. Jesavaisaussiqu’elleferaitn’importequoipours’assurerquenilesMaggiesniDylannemefassentdumal.Etjesavaisquejepouvais luifaireconfiancepourtout.Maispeut-êtrequejen’étaissimplementpasprête,finalement.Pasencore.Pasavantquejecomprennecequ’ilyavaitàraconter.

«Çapeutattendre,ai-jerépondu.−Tuessûre?C’esttonmomentàtoi,pasleleur.−Jesais,maman.»Etc’étaittrèsimportantqu’elleaitditça.C’étaitcapital.«Jesuissûre.»

KATE

30AVRIL1998

Trois semaines, quatre jours et cinq heures. Voilà le temps qui s’est écoulé depuis la naissanced’Amelia.

J’ail’impressionqueleschosesdevraientêtreplusfaciles.Maisnon.Celadit,cesontlespremiersjoursquiontétélesplusrudes.Àl’hôpital, livréeàmoi-même,en

traind’essayerdecomprendrecommentallaiteraubeaumilieudelanuit.Rienquemeleverdulit,c’étaitdur.J’avaismalpartout.Etpuisilfallaitlasortirdesonpetitberceauenplastique.

Ellesipetite,simolle.Sesospareilsàdel’éponge.C’estunemauvaiseblaguequelanaturelesaitfaitssivulnérables.

AumoinslanounoupayéeparGretchenarriveaujourd’hui.Jeseraicontentedelavoir,mêmesima mère l’a embauchée uniquement pour pouvoir quitter vite fait la ville après avoir passé troispetitesnuitsàl’hôtelEssexHouse.Elleaquandmêmeeuleculotdeversersapetitelarmeenpartant,celadit.Unelarmededéception,sansaucundoute.

Ah,lesmères.J’ensuisuneàprésent.C’estça,leplusfou.Moi:mère.D’unevéritablepersonnevivanteenchairetenos.

À l’hôpital, les infirmières n’arrêtaient pas de me conseiller d’envoyer Amelia à la nurserie,histoirequejepuissemereposer.Ellespromettaientdemelaramenerpourquejelanourrisse.Jesaisqu’ellesinsistaientparcequej’étaisseule.Mavoisinedechambre,dontlemariétaitlààlongueurdejournéepourl’aider,n’yenvoyaitpassonbébé.

Alors jenel’avaispasfaitnonplus.Iln’estpasquestionqu’Ameliasoitdéfavoriséeparcequ’iln’yaquemoi.Pasencore.Jamais.

KATE

30JUIN1997

Aujourd’hui, il m’a convoquée dans son bureau pour me dire que monmémo sur la préclusionaccessoire était lemeilleur qui lui ait jamais été renduparun stagiaire.C’est unpeu comme si leprésidentsortaitduBureauovalepourvousdonnerunebourradedansledos.Çan’arrivejamais.

Jesaisdéjàque lemeilleurmoyend’oublierSethneserapasunautregarçon,ceserad’être lameilleurestagiairequeSlone,Thayeraitjamaisvue.

KATE

27NOVEMBRE

Kate se trouvait dans la cuisine, le doigt prêt à allumer la cafetière, quand on frappa à la porte.Ilfaisaitàpeinejour,toutjusteseptheurespasséesdequelquesminutes.Elleappuyasurleboutonetsedirigeaverslesfenêtres.Elleregardadehors:surleseuil,saplusprochevoisine,Kelsey,sautillaitd’unpiedsurl’autre,vêtued’uncollantdecourseàpied,d’unevestedesurvêtementNikejaunevifetd’unbonnetbienenfoncésursajoliecoupecourte.

Kelsey,femmeaufoyer,avaitdesjumeauxdesixansetunmaribrésilienàtomberparterre,quiluiétait manifestement aussi dévoué qu’elle l’était à ses enfants. L’image idéalisée de la maternité querenvoyaitKelseyavait toujoursdonnéàKateunsentimentd’incompétence.Cen’étaitpasunequestiond’attitude,maisdesérénité.Savoisinedésiraitêtremèreàpleintemps,etellel’était.Iln’yavaitpasdetiraillement,pasdecompromisbancaloùquelqu’unétaittoujoursperdant:Amelia,Kate,sontravail.

Lorsdessemainesquis’étaientécouléesdepuisquelesamisdeKateétaientrentréschezeux,Kelseyavaitétéunevéritablesamaritaine.Elleluiavaitapportédesplatsmijotés,faitlescoursesetlalessive,letoutsansqu’onluiaitriendemandéetsansattendrederemerciements.ElleavaitpresqueparudéçuequandKateluiavaitannoncéqu’elleallaitreprendreletravailetqu’ellen’auraitplusbesoindesonaide.

«Vousvousêtesenferméedehors?demandaKateenouvrantlaporte.−Non,non,toutvabien»,réponditKelseyavecungestedelamain.Ellecontinuaitdesautillersursesjambestoniques.«Jevoulaisjustesavoircomments’étaitpasséelareprisedutravail.−Ahoui,c’était…»Katehésita,soudainincapabledeserappelerquoiquecesoitdecepremierjouraubureau.Depuis qu’elle avait reçu ce message lui disant qu’Amelia n’avait pas sauté, tout avait été flou,

difficileàmémoriser.Lefaitqu’elleaitveillélamoitiédelanuitàlirelestextosd’Amelian’avaitpasaidé.ElleavaitcommencéparceuxquesafilleavaitéchangésavecSylvia,pensantqu’ilsétaientmoinssusceptiblesdelabouleverser.Elleétaitrestéestupéfaitedevantlacomplexitédesmenusdétailsdeleursconversations. Un bouton d’acné, le choix de chaussures malheureux d’une de leurs camarades, lefrôlementaccidentelavectelgarçondansuncouloir,lesdétailsdurêveétrangequel’uned’ellesavaitfait laveille :autantdesujetsdignesd’êtresanalysésà la loupedans le flotmanifestementcontinudemessagesquicirculaiententrelesdeuxfilles.Cestextosétaientsinombreuxqu’onavaitpeineàcroireque lesdeuxcopines se trouvaient jamaisdans lamêmepièce.Etpourtantelles l’avaientété,presquejusqu’àlatoutefin.

Barre-toi, je te couvre était le dernier texto que Sylvia avait envoyé à Amelia quand celle-ci setrouvaitdanslebureaudeM.Woodhouse.

SylviaavaitavouéàMolinaqu’elleavaitaidéAmeliaàs’éclipserdubureauduproviseurquelquesminutesavantsamort.Maisensuite,quandSylvias’étaitréfugiéedanslestoilettes,Ameliaavaitdisparu.Commetouslesautres,ellen’avaitaucuneidéedecequiauraitpupoussersonamieàmontersurletoit,niàensauter.

«Çava,Kate?»demandaKelsey.

Elleavaitarrêtédesautilleretdévisageaitsavoisined’unairinquiet.«Oui,désolée.Jesuisdanslalune,c’esttout.»Elles’ébroua.«J’étaisentraindefaireducafé.Vousvoulezvenirenprendreun?»Elleavaitlancécetteinvitationsuruncoupdetête,uncoupdetêteinhabituel.Malgrétoutel’aideque

Kelsey lui avait apportée récemment, elles n’avaient jamais pris un café seules ensemble.OrKate enavaitenvieàprésent.Elleavaitenviedes’asseoiraveccettefemmeetdefairecommesiellesétaientproches.

«Oh,oui,biensûr»,réponditsavoisine,l’airsurprise.Elleregardasamontre.«Mais ilne faudrapasque je traîne.Gabrielestavec lesgarçonset ilvadevoirpartirau travail

d’iciquelquesminutes.»Kateallachercher lecafé tandisqueKelseys’asseyait à la tablede lacuisine.Àson retour,Kate

déposa un mug devant chacune, sans cesser de se dire que c’était comme ça qu’on s’y prenait. Uneinvitation au pied levé, une conversation informelle. C’est ainsi que les gens sans conjoint ni enfantsurviventàleursolitudeabsolue.Peut-êtreétait-elleaussicenséeproposerdesmuffins,desbiscuits,etc.Ellen’avaitrien.EllesentaitqueKelseyladévisageait.

«Jesuisdésolée,jesaisquej’aiuncomportementétrange…−Non,non,pasdutout,s’empressadedireKelseysansgrandeconviction.C’estmoiquisuisvenue

frapperàvotreporteàseptheuresdumatin.»Katesourit,latêtebaisséesursatasse,ets’efforçadenepaspleurer.Kelseyétaittellementgentille,

tellementgénéreuse.C’était legenredefemmefaitepourêtremère,contrairementàKate,quiavaitététrop distraite par sa propre ambition. Si elle avait étémoins occupée, si elle avait fait plus attention,peut-êtreaurait-ellepuempêchercequiétaitarrivéàAmelia,quoiqu’ilsoitarrivé.

«Hierj’aireçuuntextoanonymedisantqu’Amelian’avaitpassauté.Çam’a,jenesaispas,ébranlée.−OhmonDieu!s’exclamaKelsey,unemainsurlabouche.C’estaffreux.Quipourraitbienfaireune

chosepareille?−Jenesaispas.Maisàmonaviscettepersonne,qu’importesonidentité,pourraitfortbiendirela

vérité.−Vraiment?Jecroyaisquelapolice…»Elles’interrompit.«Oh,jeneconnaispaslesdétails,biensûr.Seulementjenepensaispasqu’ilyavaitjamaiseude

doute.−Iln’yenavaitpas.»Katebutunegorgéedecafé.«D’aprèslapolice,dumoins.Maisl’inspecteurquis’estchargédel’enquêtenem’ajamaisinspiré

grandeconfiance.Ilavaitl’airtellementpressédepasseràuneaffaireplusexcitanteoujenesaisquoi.»Katedétestaitsontondéfensif,accusateur,désespéré.«Etpuisaufond,jen’aijamaiscruqu’Ameliaauraitpusesuicider.Etmaintenantaveccetexto.Hier

soir,j’aiaussitrouvédesmessagessuspectsdanssachambre.»Katehaussalesépaules.«Tout ça réuni… il semblerait qu’il ait pu se passer quelque chose dans la vie d’Amelia dont je

n’étaispasaucourant.Alorsquej’auraissûrementdûl’être.Quelquechosedemalsain.−Oh.»Kelsey,lesyeuxrivésàlatable,malàl’aise,s’agitasurlebanc.

«Écoutez,jenevousl’aipasditavantparcequeçamesemblaitinutile.Maisàprésent,jenesaispas.»

L’estomacdeKatesenoua.«Quoi?»Kelseypritunegrandeinspirationavantd’agrippersonmugàdeuxmains.«J’aivuAmeliaavecungarçonenvironunesemaineavantsamort.Ici,ilsentraientdanslamaison.−C’estvrai?»LesbattementsducœurdeKates’accélérèrent.«Ungarçon,ici?»Ils allaient dans lamaisonpour fricoter, à tous les coups.Certes il ne s’agissait pas forcément de

cela,mais jusqu’oùKate allait-elle s’aveugler ? Combien de temps allait-elle se bercer de l’illusionqu’avoirdesbonnesnotesetêtreunesportivetalentueusesignifiaitnepasavoirderelationssexuelles?Quelques semaines avant samort, Amelia lui avait demandé ouvertement quand elle avait commencéàs’intéresserauxgarçons.Kateavaitprispourargentcomptant l’excusede la« recherchescolaire».Cen’estpastantqu’elleyaitvraimentcruàl’époque,cettequestionl’avaittoutdemêmealertée.Maispeut-êtres’était-elleautoriséeàycroireparcequec’étaitplusfacileainsi.

«Siçasetrouve,c’étaitjusteunami.Jenesaispas»,ajoutaKelsey.Cependantilétaitévidentqu’ellen’ycroyaitpasuneseconde.Ellesetut,baissalesyeuxetpritune

nouvelleinspiration.«Jenelesaivusquesurlesmarchesduperronaumomentoùilssontentrés,puisdenouveauquand

ilssontsortis.− Amelia qui traîne après les cours dans notremaison vide avec un garçon, ça nem’évoque pas

franchementde l’amitié.J’aihontedemanaïveté.MaisAmeliaétaitunegaminesisage.J’aiprismesrêvespourdes…

−Cen’étaitpasaprèslescours,Kate.−Quoi?Quevoulez-vousdire?−C’étaitaumilieud’unejournéed’école,murmuraKelsey.Jesuisdésolée.Jeneveuxpasretourner

le couteaudans laplaie.Peut-êtreque çan’amêmeaucune importance,mais j’ai l’impressionque çapourraitenavoir.

−Aumilieudelajournée?»s’emportaKatemalgréelle.Ameliaquiséchaitlescours?Ellenel’auraitpascrudavantagequ’ellenecroyaitqu’Ameliaavait

trichésiKelseynel’avaitpasvudesespropresyeux.«Jesuisdésoléeden’avoirrienditavant…seulement…»Savoixchevrotait.Elleavaitl’airfolled’inquiétude.« Je ne voulais pas vous contrarier pour rien. Mais maintenant que vous dites qu’il se pourrait

qu’Amelian’aitpassauté.Etpuiscegarçondégageaitquelquechosedebizarre.Jenesaispas, ilm’amisemalàl’aise.

−Ilvousamisemalàl’aise?−Pastantluiquel’attituded’Ameliaaveclui.Elleétaitnerveuse,outriste,jenesaispastrop.Jene

les ai vus ensemble que quelques secondes, alors c’est difficile à dire. Mais elle n’avait pas uncomportementnaturel.

−VousavezvuAmeliasécherlescoursetentrerdansnotremaisonvideencompagnied’ungarçonquivousmettait,elleetvous,malàl’aise,etvousn’avezpascrubonm’enparler?

−Jem’étaisditquej’interrogeraisAmeliaàcesujetlaprochainefoisqu’elleviendraitfairedubaby-sitting.Que je l’encouragerais à vous enparler.Hélas, il n’y apas eudeprochaine fois. Je craignais

qu’envousledisantdirectementvouspuissiezavoirl’impressionquejeportaisunjugementsurlafaçondontvouséleviezvotrefille.Jesuisvraimentdésolée,Kate.»

Savoixsebrisa,puiselleécarquillalesyeux.«OhmonDieu,etsicegarçonavaitquelquechoseàvoiraveccequiestarrivéàAmelia?»QuandKatedescenditdelaligneFàBryantPark,ilyavaitdelabrumeetilfaisaitsombre,commesi

le soleil ne s’était jamais complètement levé. Alors qu’elle traversait en direction de la Quarante-deuxièmeRue, la brume semua en crachin.Quand elle posa le pied sur le trottoir,Kate entendit sontéléphonelaprévenirde l’arrivéed’untexto.Elles’arrêtasous lapluiepour le lire,sepréparantàunautremessageausujetd’Amelia.

Jeconnaistonpetitsecret.Etbientôt,toutlemondeleconnaîtra.

Sesmainstremblaientencorequandellearrivaautravailettrouvalecheminduserviceinformatique.

Defait,c’étaitlapremièrefoisqu’elles’yrendait.Quandelleavaitunproblèmed’ordinateur,c’étaitlestechniciensquivenaientàelle. Il se révélaque les fonctions informatiquescrucialesdeSlone,Thayerétaientconfinéesàunpetitbureaufortquelconqueaupremierétage,àcôtédelasalledereprographie.

Katefrappasurlaporteentrebâillée,personnenerépondit.Elleattenditencoreuneminuteavantderéitérersongeste,puisouvritcomplètementlebattant.Commeattendu,Duncanétaitlà,faceàlafenêtre,soncasqueBosesurlesoreilles,jouantsurunebatterieimaginairedansuntotalabandon.Katel’observaunmomentsansqu’illaremarque.Ellen’eutd’autrechoixqued’allerluitapersurl’épaule.

«Putain!s’écria-t-ilenselevantsibrusquementqu’ilsecognalescuissescontresonbureau.Aïe!−Oh,excusez-moi,soufflaKate.Jenevoulaispasvousfairepeur.− C’est bon, ça va, répliqua Duncan de son ton habituel aigu et crispé de mec défoncé. Juste,

recommencez jamais ça, genre, sérieux.Ça foutraitmon chi en l’air à vie.On n’a pas desmasses devisitesici.C’estpaspossiblededébarquercommeçaparsurprise.»

Ilfermalesyeuxetinspiraplusieursfoisprofondémentparlenez.Puisilfinitparlesouvriretexpiraàfond.Commeparmagie,ilétaitredevenulesurferrelaxmaxqueKateavaittoujoursconnu.Ellebranditsonportable.

«J’ai reçuunautre textocommeceluidontBeatricevousavaitdemandéderetrouver l’expéditeur.Vousnepouvezvraimentpasmedirequimelesenvoie?»

Duncans’emparadutéléphoneetregardalemessage.«Çacraintgrave,commenta-t-ilaprèsl’avoirlu.−Ouaismerci,jelevoisbien.C’estpourlapartiede-qui-ça-vientquej’espéraisvotreaide.−Ahouais,OK.»Ilappuyasurplusieursboutonsdutéléphoneetfronçalessourcils.«L’acheminementdutextos’estfaitvialesitedumêmeopérateurtéléphonique.−Alorsc’esttout?Vouscroyezquelapolicepourraitensavoirdavantage?»Ilhaussalesépaules.«Engénéral,j’essaiedenepastropmefrotterauxpoulets.Jesaispascequ’ilspeuventfaireentant

que flics. Mais l’opérateur téléphonique doit avoir gardé une trace de qui s’est connecté d’où pourenvoyercetexto,alorspeut-êtrequ’ilspeuventluilanceruneassignation.J’imaginequ’ilsaurontbesoind’unmobilevraisemblableoujesaispasquoi.Toutcequejepeuxdire,c’estquetechniquementparlant,justeavecceportable,ilspourrontrienfairedeplusquemoi.»

Ilrenditl’appareilàKate.«Désolé.−Merciquandmême.Est-cequevouscroyezquevouspourriezm’aiderpourd’autreschoses,comme

sortir tout lecontenudel’ordinateurportabledemafilleet imprimerlestextosquisetrouventsursontéléphone?

−Sansproblème»,réponditDuncanuntonplusbas.SeslèvresdessinèrentunemouetristequandKatedéposaletéléphoneetl’ordinateurd’Ameliaainsi

quelesdifférentesprisesetchargeurssursonbureau.«Maisvousêtessûrequevousvoulezvraimenttout,genresespagesFacebook,Twitterettout?Ce

seraitpeut-êtreplussimpledeconsultercertaineschosesenligne.»Facebook.Kates’étaitditquejamaiselleneserendraitsurlapaged’Amelia.Safilleyseraitencore

tellementvivante.Lesamisd’Amelia,elle le savaitdéjà, s’enétaient serviscommed’unmémorialdefortune, s’y rendant pour lui laisser des messages d’affection. La simple idée de les voir étaitparfaitementinsupportable.

«Jenecroispasqu’AmeliaavaituncompteTwitter.Ellenem’enajamaisparlé.−Vousêtessûre?LaplupartdeslycéenssontsurTwitteraumoinsdetempsentempsetilss’envoient

sansarrêtdestextos.EtpuisilyaFacebook.MaintenantlemailestàFacebookcequelaPosteétaitaumail. Je saispas si elle se seraitdonné lapeinedevousparlerdeTwitter.C’estcommeunesecondenaturepoureux.Genre,évidemmentqu’ilsl’ont.»

Kateledévisageait.C’était trop.Ilyavait tellementd’endroitsoùpouvaientsenicherdeshorreurssur la vie de sa fille. Elle songea de nouveau à ce texto qu’elle avait vu adressé à un certain Ben.«Quelle chance», avait commentéAmelia, sarcastique, sur le fait d’avoirKatepourmère.Lire cettephraseavaitététerrible,etçapouvaitdevenirencorebienpire.

«Etsioncoupaitlapoireendeux?demandasoudainDuncan,sauvantKatedesonsilencehébété.Je vais imprimer tous les documentsWordplus tout le reste du contenude son disque dur, et je vousdonnerai son historique de navigation. Pour ce qui est des autres comptes comme Facebook, je vousfilerailesmotsdepasse.Commeçavouspourrez,ben,jeterunpetitcoupd’œil,quoi.»

Ilposaunemainsurl’ordinateurd’Amelia.«ParcequevautmieuxpasquevousplongiezdanslesdétailsdelapageFacebookdevotregamine,

croyez-moi.Enfin,j’aivingt-quatreans,jesuisungarsassezcleanettout,maismesdaronsferaientuneattaques’ilsvoyaienttoutemapage.Pourpapaetmaman,fautfiltrer.Enfinquoi,quiauraitenviedevoirsongossefairedesbodyshots,genre?

−Desbodyshots?−Allez,quoi,vousêtespassivieille.»Duncanlevalesyeuxauciel.«C’estjustequ’yavaitpasFacebookàl’époqueoùvouspreniezdubontemps.−Ceseralongtoutça?»Duncanjetaunœilàl’horloge.«Deuxheuresmax.Jevousenverraiuntextoquandj’aurailatotale.»Katemontaitàsonbureauquandsonportablesemitàsonner.Numéromasqué.Elles’arrêtadansune

portiontranquilledecouloiràl’écartdel’ascenseuretrépondit,nauséeuse.«Allô?−InspecteurLewisThompsondelasoixante-dix-huitièmecirconscription.»

La voix avait le même accent prononcé de Brooklyn que Molina, mais semblait en revancheextrêmementprudenteetpolie.

«JeparlebienàmadameKateBaron?−Oui?−Onm’aconfiél’affairedevotrefilleet…−Qu’est-ilarrivéàl’inspecteurMolina?»Kate regretta aussitôt sa question. Ce n’est pas comme si elle avait souhaité son retour. Elle

s’accommoderaitparfaitementdecetinspecteurThompson.N’importequiplutôtquel’autre.«Ilnefaitpluspartiedenotreservice.−Ils’estfaitvirer?»SoupçonnerMolinad’incompétence,c’étaitunechose,maisavoirraisonàcepointauraitétépresque

terrifiant.«Départvolontaire.Ilatrouvéunboulotdanslasécuritéprivée.Ilafaitsondernierjourhier.−Oh,jevois.»Non,ellenevoyaitpas.Pasdutout.Ellel’avaiteuautéléphoneseulementlaveille.«Enrevanchenousavonslesrésultatsdel’analysegraphologique…−Attendez,vousenavezfaitune?−C’estàcausedecesrésultatsquej’aihéritédel’affaire.− Comment a-t-on pu procéder à une analyse sans même avoir un échantillon de l’écriture

d’Amelia?»Katesepréparaitdéjààentendrequece«pardon»écrit sur lemurétaitsanscontestedesa fille.

Maisc’étaitfini,elleneconsidéraitpluscommeallantdesoilaprobitédelapolice.«Onavaitunéchantillondel’écrituredevotrefille,enfin,apriori.Jel’aientrelesmains.C’estun

motadresséàuncertainJeremypourleremercierdel’avoirparrainée.Ilestsigné“Amelia”.Çavousditquelquechose?»

Jeremy,évidemment.Amelial’avaitremerciéparécritdeluiavoirrédigéunerecommandationpourparticiperauprogrammedejournalismeestivaldePrincetondestinéauxlycéens.Jeremyétaitunancienélève,etquandilavaitapprisqu’Ameliaenvoyaitsacandidature,illuiavaitgénéreusementproposédel’appuyer, sans même que Kate ait besoin de le demander. Apparemment il ne s’était pas contentéd’appelerlecommissairedivisionnaire,ilavaitfaitensortequecetteanalysegraphologiquesoitmenéeàbien.

« Si vous pensez qu’il y a une chance que ce message ne vienne pas de votre fille, poursuivitl’inspecteur, refaisons l’analyseavecunéchantillonquevousnousprocurerezvous. Jeveuxêtre sûràcentpourcentquenousnecommettonspasd’erreurcettefois-ci.

−Donc l’écriturecorrespond?demandaKate, sepréparant toujoursà lamauvaisenouvelle.C’estAmeliaquiaécrit“pardon”surcemur?

−Pouvez-vousd’abordrépondreàmaquestion,madame?insistal’inspecteur,sansimpatiencemaisavecfermeté.Cemessagevient-ilbiendevotrefille?

−Oui,toutàfait.−Alorsilsembleraitquelapersonnequiaécritsurcemur,quellequ’ellesoit,nesoitpasvotrefille.−L’écrituren’estpascelled’Amelia?−Rienàvoir.»KateseruadanssonbureaupourrécupérersesaffairesetinformerBeatricequ’elleseraitsortietout

lerestedelajournée.Elleavaitdonnérendez-vousàl’inspecteurThompsonàParkSlope,auDizzy’s,

uneheureplustard.Etelledevaitfaireunarrêtavantdes’yrendre.Elledescenditquatreàquatredeuxétages,puistournaauboutducouloirendirectiondugigantesque

bureaudeJeremy.Lorsqu’elles’arrêtabrutalementdevantsaporteouverte,illuitournaitledosdanssonfauteuil,sûrementafindedissimulerlefaitqu’illisaitlespagessportduNewYorkPost.

Katefrappa,ilsursauta.« Je voulais juste te remercier, expliqua-t-elle quand il se retourna.D’avoir parlé au commissaire

divisionnaire et d’avoir organisé l’analyse graphologique. C’est incroyable, que tu aies gardé cemessage.

−Ilétaitgentil,cemot.L’écriturecorrespondait-elle?»Katesecoualatête.«Non.−C’estvrai?»Jeremyavaitl’airabasourdi.«Waouh.−Jesais.Jenecroyaispasqu’Amelial’avaitécrit,maisenavoirlaconfirmation…Çaresteunchoc.

Bref,lapoliceaaussichargéquelqu’und’autredel’affaire.Jevaisdecepaslerencontrer.− Je suis content d’apprendre qu’ils prennent cette histoire au sérieux. Peut-être qu’à présent tu

pourrasobtenirdevraiesréponses.−J’espère.»Lesyeuxfixéssurlui,elleenvisageauninstantdeluiendireplus,maisellesavaitdéjàqu’ellen’en

feraitrien.«Enfinbref,mercipourtonaide.−Avecplaisir.Si jepeuxfairequoiquecesoitd’autre,n’hésitepas.Tucontinuerasàme tenirau

courant?Tumedirascequetudécouvres?−Biensûr,répondit-elleensetournantverslaporte.−Oh,unedernièrechose,lançaJeremy.Jesaisbienquecen’estpasaucentredetespréoccupations

en ce moment − et ça ne doit pas l’être −, mais je voulais te dire que j’avais retiré le dossierd’AssociatedàDaniel.Quandtureviendras,tuseraslaseuleassociéesurcetteaffaire.Iln’yapaslefeu.Vraiment.Entrelesassociésprincipauxetmoi,onsedébrouilleraenattendant tonretour.Seulementjedevaisagir.Danielaeuuncoupdebolaveccetteassignationet ilaécritunbonrapportpour lacourd’appel,etcelaseradumeilleureffetsursonCV,maistoi,tuasbossésixanssurcetteaffaire.C’estlatienne, et elle doit le rester. Je vous crève peut-être tous à la tâche, mais je crois en la loyauté.Çacompte.C’estlàunmessagequelesautresassociéssubalternesontbesoind’entendre.Àtonretour,jemeretireraiaussidudossier.»

Jeremy était l’associé principal dans presque toutes les affaires majeures de contentieux donts’occupait le cabinet.C’est lui qui avait apporté, directement ou indirectement, la plupart des clients,lesquelsrestaientdonclessiens,mêmes’ilnefaisaitaucunepartdutravail.C’étaitunequestionàlafoishonorifiqueetéconomique.

«Qu’est-cequetuveuxdire?−Jeveuxdirequec’esttonaffaire:lesfactures,lesprofits,leclient.»Ilavaitl’expressionenthousiastedeceluiquioffreuncadeauprécieux,uncadeauqu’ilacréédeses

propresmains.«Ceseracommesitulesavaisfaitvenirtoi-mêmeaucabinet.Victorestaussiàfondsurledossier.

D’ailleursilsemblaitravidemevoirpartir.»

Aufildesans,KateavaitentendudesrumeursselonlesquellesJeremy«donnaitdesaffaires»àdesassociés, affaires qui déterminaient ensuite leur avenir professionnel.Qu’un client gigantesque commeAssociatedMutualBanksoitconsidérécommelesienjoueraitexactementcerôle-làpourKate.C’étaitlegenre d’opportunité qui l’aurait réjouie avant la mort d’Amelia. Mais aujourd’hui ça lui donnaitvaguement lanausée.Cependantellenevoulaitpasdécevoir Jeremy. Ilessayaitde l’aiderde la seulemanièrequ’ilconnaissait:endonnantuncoupdepouceàsacarrière.

«Merci,dit-elle,parcequ’elleétaitcenséelefaireetparcequ’ellelepensait.Pourtoutcequetuasfait.»

LeDizzy’sétaitpresquevidequandKateentra.Ellebalayaduregardlesboxrougesvieillissantsetle

méli-mélodephotoséclectiques sur lesmurs, jusqu’à repérer enfinunhommemenud’une soixantained’années aux cheveux gris bouclés, assis tout au fond.Vêtu d’une veste de costume et d’une cravate,ildiscutaitavecunejolieserveusearborantunpiercingàlanarineetunbandanarougeautourdelatête.Ilajoutaquelquechoseetlaserveuse,latêterenverséeenarrière,partitd’ungrandrire.Katesedécidaenfin à se diriger vers sa table. Il était la seule personne non accompagnée. Même s’il n’avait pasfranchementlatêtedel’emploi,Kateseditqu’ildevaits’agirdel’inspecteurLewisThompson.

«InspecteurThompson?demanda-t-elled’unevoixhésitante,unefoisparvenueàsahauteur.−Vouspouvezm’appelerLew,commedansLewis.»Il tendit la main. De près il paraissait encore plus petit ; ses lunettes à fine monture métallique

abritaientdesyeuxbleusdélavés.«Asseyez-vous.−Désoléed’êtreenretard»,s’excusaKateens’efforçantdenepasselaisserabattreparl’apparence

decethomme.Seulementilétaitdifficiledeselereprésenterentraindepourchasserdesméchants,etencoreplusde

lesattraper.L’inspecteurfitsigneàlaserveusederrièreKate.«Voussavezcequevousvoulezmanger?Désolé,jen’aipaspuattendre.»Ildésignasonassiette:unfruit,uneomelettevégétarienneetunetartinedepaincompletgrillé.Même

son repas ne faisait pas flic.Cela dit,Molina, qui avait semblé être le flic par excellence, ne l’avaitmenéenullepart.

«Qu’est-cequejepeuxvousapporter,monchou?demandalaserveuseàLew,quiàsontourdésignaKate.

−Uncafé,çairatrèsbien,répondit-ellemalgrésafaim.−Vousêtessûre?demandaLewquandlaserveuseeutdisparu.Rienn’estplusimportantquedebien

senourrir.−À quel service appartenez-vous, déjà ? s’enquitKate, craignant qu’il ne réponde quelque chose

commepolicedelacirculation.Ilmesemblequevousmel’avezditautéléphone,maisjen’aipasretenu.− Soixante-dix-huitième circonscription, Homicides, répondit-il en mastiquant soigneusement une

bouchée.−Homicides?−Homicides,commedanscadavre,répondit-il,lisantdanslespenséesdeKate.Jen’aipasencorede

nouveauxindicesconcernantl’affairedevotrefille,miseàpartl’analysegraphologique.Jesuislàpourécouter, paspourparler.Alors expliquez-moidonccequivous fait croirequevotre fillene s’estpassuicidée.»

Toutenbuvantdeuxtassesdecafé,Kateparla.Elleluiracontaquelgenred’élèveetdefilleAmeliaavait été. Elle parla de ses doutes quant au fait qu’Amelia aurait triché. De ses doutes quant au faitqu’elles’étaitsuicidée.Cefaisant,ellenecessaitdeserépéterquecen’étaitpasjustesondéniqu’elleexprimait ainsi,quecen’étaitpas simplement le faitqu’ellenepouvaitpasvivreavec l’idéeque sonenfants’étaitdonnélamort.Pourtant,uneminusculepartd’elleredoutaitquesondénisoitprécisémentlaraison pour laquelle elle était assise là, en face de ce petit inspecteur. Malgré tout elle persistait,décrivantlemystérieuxgarçonqueKelseyavaitaperçuettouscespetitsmotsquidisaient«Jetehais».Elleracontaàl’inspecteurThompsonlestextosqu’elleavaitreçus,désormaisaunombredetrois.

«Quelestdonccesecretquecettepersonnepenseconnaître?− Je n’en ai aucune idée, répondit Kate, couvrant la petite voix en elle qui criaitÀ moins que !

Àmoinsque!Franchement,jen’ensaisrien.−Etvousn’avezaucuneidéedequipourraitenvoyercestextos?»Katesecoualatête.«J’aidemandéauserviceinformatiquedemoncabinetdevérifier.Lestextosproviennentdumême

sited’opérateurtéléphonique,maisc’esttoutcequ’onapumedire.Onvaaussimesortirtouslestextosetlesmailsdutéléphoneetdel’ordinateurportabled’Amelia.JenesuispassûrequeMolinaaitpassétoutçaenrevuelapremièrefois.»

EllerésistaàlatentationderévélerqueMolinaluiavaitcarrémentmenti,maislesous-entendrenepouvaitpasnuire.

«Ilm’aditqu’ill’avaitfait,maiscommeilneconnaissaitpaslemotdepassedesontéléphone,jenevoispascommentc’estpossible.Iln’apasvunonpluscespetitsmotsdanssachambre.

−Humm.Trèsbien,nousmettronsnoshommessurces textos.Cenesontpasdes flèches,mais ilsarriveront peut-être à obtenir des détails supplémentaires. On peut aussi lancer une assignation àl’opérateurtéléphonique.Malheureusement,engénéral,ilsnesontpastrèsvifsnonplus.Enrevanchej’aicompulséledossierdevotrefille.

−Et?−Ilestpeut-êtreunpeumince.−Peut-être?−Écoutez,ilexisteuntasdefaçonsd’êtreunbonflicquifaitdubonboulot.Ilyatoutunpanel.»Desesdeuxmains,ilsignifial’ampleurdelachose.«Maisdansuncascommecelui-ci,ons’attendraitàavoirplusd’interrogatoiresdetémoins,plusde

notes détaillées. Il y en a un peu des deux, probablement pas assez, et puis il y a aussi le rapportd’autopsie.»

Katenel’avaitjamaisvu.Ellen’avaitpasdemandéetonneluiavaitpasproposé.«Ehbien?− Pour commencer, il ne se trouvait pas dans le dossier de l’enquête, répondit-il. Je suis allé en

récupérerunecopieàManhattan,ortoutcequ’ilyavaitaubureaucentraldulégiste,c’étaitdesphotos.Jenesuispasunexpertenmatièred’analysedephotosd’autopsie,maisilyaaumoinsunechosequinesemblepascolleravecunechutevolontaire.»

Çayest,c’étaitcequeKatevoulait :unevraiepreuvequ’Amelianes’étaitpassuicidée.Pourtantellesentitsoudainlapaniquemonterenelle.

«Quevoulez-vousdire?− Il y avait des éraflures sur les avant-bras d’Amelia, très longues. Comme provoquées par des

ongles,peut-être.»Ils’interrompitenvoyantKatetressaillir.

«Vousêtessûrequevousavezenvied’entendreça?Vousn’avezpasforcémentbesoindeconnaîtretouslesdétails.

−J’aienviedesavoir,répliqua-t-elleens’efforçantderespirer.Illefaut.Continuez.−Lapositionducorps,aussi.Ellen’invalidepaslesuicidecommepourraitlefaire,parexemple,un

atterrissageloindubâtiment.Cependantellesoulèvedesquestions.Desquestionsauxquellesquelqu’unauraitdûapporterdesréponses.

−Peut-onappelerMolinapourluidemander?−Jel’aidéjàfait.»Lewrepositionnasoncouteauetsafourchettedefaçonàcequ’ilssoientparfaitementparallèlesde

partetd’autredel’assiette.«En cemoment il est apparemment injoignable : quelque part sur un bateaude pêche au large de

l’archipeldesKeys,enFloride.Ilnerentrerapasavantunesemaine.−Nem’aviez-vouspasditqu’ilallaitêtrevigile?»Cettefonctionlarenvoyaitplusàquelqu’unquiavaitétérétrogradéqu’àquelqu’unquiauraiteules

moyensdesepayerunegrandeexcursiondepêche.«Oui,mais pas payéhuit dollars de l’heure chezBestBuy informatiqueouquoi. Il travaille pour

CarmonIndustries,ilassurelasécuritéauseindel’entreprise.Ilsembauchentdesflics,desgarsduFBI,cegenredeprofil.D’aprèscequej’aientendu,c’estunboulotenorquandonaimeça.

−Toutcelan’est-ilpashorriblementcommode?Lerapportd’autopsiequimanqueàl’appel,Molinaquiquittelesforcesdepolicejustequandjecommenceàposerdesquestions.

−Lemomentestmalchoisi,j’enconviens.−Malchoisi?»Maintenant elle commençait à être agacée. Allait-il sérieusement se montrer aussi négligent que

Molina?«C’esttout?C’esttoutcequevousavezàdire,quec’estmalchoisi?»Lewavalaunedernièregorgéedecaféavantdehocherlatête.«Pourl’instant.−AlorsonvaresterplantéslààattendrequeMolinarentredevacances?»s’emporta-t-ellemalgré

elle.Ellesentitleregarddelaserveuseetd’unaidepesersurelle.Qu’importe.Elleenavaitassez.Elle

avaitdéjàétérepoussée,réduiteausilenceetmépriséeunepremièrefois.Onl’avaitforcéeàaccepterune chose à laquelle elle ne croyait pas. Il était hors de question qu’elle laisse cette situation sereproduire.

«Non»,réponditcalmementLew.Ilselevaetaplatitsoigneusementplusieursbilletsqu’ilglissasouslasalièreetlapoivrière.«Nousallonsrecommenceràzéro,revenirsurlespasdeMolina.Noustaillerunenouvellepistelà

oùceseranécessaire.Votrefilleestmorteetnousavonssurlemurprèsdel’endroitoùc’estarrivélemot “pardon” écrit par une main qui n’est pas la sienne. Nous avons des conclusions médicalesdiscutablesetunmessageanonymeaffirmantqu’ellenes’estpassuicidée.C’estplusquesuffisantpourrouvrirledossier,àmonavis.

−Oh.»Kateétaitàlafoissoulagéeetquelquepeueffrayéeàl’idéequ’ilsvenaientdefranchirunseuildont

elleignoraitjusqu’àl’existence.«D’accord,trèsbien.−Donc,nousavonsdesquestions,poursuivitLew.D’aprèsvous,quidétientlesréponses?

−Jenesaispas,réponditKated’unevoixbrisée.Vraiment,jenesaispas.−Biensûrquesi.»Illuifitsignedesortiraveclui.«Vousensavezbeaucoupplusquecequevouscroyez.»

C’étaitKatequiavaiteul’idéed’allerparlerenpremierlieuàSylvia.Molinal’avaitdéjàinterrogée,

maiselles’était toujoursditque l’adolescentedevaitensavoirdavantage.EtLewavait trouvéquecepointdedépartenvalaitunautre.

LamèredeSylvia,Julia,ouvritvivement laporte,vêtued’unpantaloncigarettebouffantauniveaudeshanches,d’undébardeurmoulantetdeballerinesrouges.C’était legenredetenuetypiquementpeuflatteusequeKaten’auraitjamaispusepermettre.PourtantsurJulial’effetétaitvéritablementcharmant.Ilestvraiquesabeauténaturelle,samincesilhouette toniqueet laformeexotiquedesonvisageneladesservaientpas.Avecsescheveuxnouésnégligemmentenqueue-de-cheval,ellesemblaitbeaucoupplusjeune qu’elle ne pouvait l’être en réalité au vu de l’âge de ses enfants. Son fils aîné était étudiant endeuxièmeannéeàStanford.

«Oh,bonjour»,lança-t-elle.Son léger accent néerlandais semblait plus prononcé que d’habitude. Elle avait l’air surprise,

perplexe,sonregardpassaitalternativementdeKateàLew.AvantqueKatepuisseexpliquerlaraisondeleurprésence,unpetitterrieraccourutàlaporte,vifcommel’éclair,enjappantcommeunforcené.

«Non,Beeper!»Juliaréprimandalepetitchienenlerepoussantgentimentd’unpiedsurleplancherciré.«Excusez-moi,jevaisjustesortirlechienàl’arrièredelamaison.»Elle revint quelques secondes plus tard, après avoir mis le terrier sur la terrasse attenante à la

cuisine.«Entrez,entrez,dit-elleenaccompagnantsaphrased’ungeste.Quellebellesurprise.»Elleavaitbeaus’efforcerd’avoir l’aircontentedevoirKate,de touteévidenceellene l’étaitpas.

Kateneluienvoulaitpas :Juliaétait lamèred’unefilledont lameilleureamievenaitdesesuicider.Ellevoulaitoublier,etnesouhaitaitaucunementpasserdutempsaveclamèredeladéfunte.

« Je te présente l’inspecteurThompson, ditKate. Ilm’aide à y voir clair dans ce qui est arrivé àAmelia.»

Juliatenditunemain,queLewserravigoureusement.Ilenimposaitunpeuplusàprésent,maisguèreplus.

«Raviedevousrencontrer,inspecteur,réponditJulia,mêmesiellesemblaitplutôttendue.Lefaitquelapolicereviennesurleterrainsignifie-t-ilqu’ilyaeudunouveau?

−Nouseffectuonsunsimplesuividesinterrogatoiresinitiaux.Afindevérifierquerienn’aétéoublié.−C’estunebonneidée.Personnellement,jen’aijamaiscruausuicide,ditJulia.−Pourquoiça?demandaLew.−Ameliaétaitcommeunefilleadoptivepourmoi,répondit-elled’unevoixferme.Elleavaittoujours

tellementlespiedssurterre,jenepouvaisqu’espérerquemespropresenfantssuiventsonexemple.»Cen’étaitpasfaciledel’entendreparlerd’Ameliadecettefaçon,commesielleavaiteuundroitsur

elle.Lepire,c’estqu’ellel’avait,vulenombred’heuresqu’Ameliaavaitpasséeschezeux,sanscompterqueJuliaétaitfemmeaufoyer.

«Appelez ça l’instinctmaternel.Certes, ce n’est pas très scientifique,mais ça n’en est pasmoinsjuste.

−Merci,ditKateavecunsentimentdesoulagementmêlédejalousie.Etmercidetoutel’affectionquetuportesàAmelia.Ici,pourelle,c’étaitsadeuxièmemaison.»

Julialadévisagea,lesyeuxdésormaisbrillants.Ellesemblauninstantsurlepointd’ajouterquelquechose,puisseravisa.

«Nousavonsuneoudeuxquestionsàposeràvotrefille,déclaraLewderrièreelles.Çaneserapaslong.

−Oh,jevois.»Elleparaissaitsurprise.Pourtantellepouvaitdifficilementcroirequ’ilsétaientuniquementvenuslui

parleràelle.«Euh,d’accord.Suivez-moi.»Ellelesguidaàpashésitantsauseindesamaisonengrès,joyeuxmélanged’équipementsàlapointe

delatechnologieetderésidusd’adolescence.Cedésordreavaitquelquechosedeplaisant,derassurant.«Asseyez-vous»,enjoignitJuliaunefoisqu’ilsfurentdanslesalon,unepiècelumineuseauplafond

haut,meubléedecanapésblancsrembourrés.Unbouquetdetulipesorangeornaitlalourdetablebasseenbois.«Ilfautjuste…JevaisallerchercherSylviaàl’étage,ajouta-t-elleenjetantunregardméfiantvers

les escaliers. Il faut que vous sachiez qu’elle n’est plus lamême depuis ce qui est arrivé à Amelia.Jecroisqu’ellesesentresponsable.C’estpeut-êtreenpartiepourçaquejenecroispasausuicide.Jeneveuxplusqu’ellesesentecoupable.»

LewetKaterestèrentassisensilencependantunmomentquileurparuttrèslong,àattendrequeJulia

redescende les escaliers. Lesmarches craquèrent enfin sous des pas lourds et, un instant après, Juliaapparut,lesourirecrispé.Sylviasetenaitderrièreelle,pâle,lestraitstirés,vêtued’unjeanmoulantetd’unT-shirtnoirinformesigrandqu’ilauraitfacilementpuservirderobe.Elleavaitnouésescheveuxnoirsenqueue-de-cheval,commesamère,maisd’unefaçonbienplusbrouillonne.Sylviaavaittoujourstellement accordé d’importance à son apparence que ça faisait partie de ce qui la définissait. Etmaintenantelleavaittoutsimplementl’airaffreuse.C’étaitdéchirant.

«Viens,machérie,lançaJuliad’unevoixmielleusequimontaitdanslesaigus.Assieds-toiicisurlecanapé.Kateetlepolicierontbesoindeteposerquelquesquestions.»

Julias’assitenpremierettapotalaplaceàcôtéd’elleavantderegardersafille.Sylvianebougeapas.«Arrêtedemeparlercommesij’étaisneuneu,maman.»JuliasouritàKate,àlafoisgênéeettriste,semblait-il,pourtouteslespersonnesimpliquées.«Sylvia,nousvoulons juste teposerquelquesquestionsausujetd’Amelia,ensuiteon te fichera la

paix, expliqua posément Lew. Mais il va falloir que tu te montres patiente car nous te poseronsprobablementdesquestionsauxquellestuasdéjàrépondu.

−OK,n’importe, allez-y, répondit-elle en levant lesyeuxau ciel.Enfin, j’ai pas le choixde toutefaçon,hein?

−Non,eneffet,réponditLew.Ameliaettoiétiezmeilleuresamies?−Ouais,soi-disantdepuislamaternelle,genre.−Ameliaétait-elledépriméeoucontrariéeparquelquechose?−Onestdesados.Onesttousdéprimés.»Katesourit.C’étaitlegenrederéponsequ’Ameliaauraitdonné.«Maisrienquisortedel’ordinaire?insistaLewsansprêterattentionàsonsarcasme.

−Elleétaitunpeuàvouloirsavoirquiétaitsonpèrecesdernierstemps,jecrois.Elleavaitreçudestextosbizarreslà-dessus.Untrucdugenre“Quiesttonpapa?”Jeconnaispaslesdétailsparcequ’ellearefusédemelesmontrer.Et jecroisqueçavenaitd’unnuméromasqué.Maisçal’apascontrariéedugenrejevaismefoutreenl’air.»

EllejetafurtivementunœilàKateavantdefixerlesol.«Parcontreelledisaitqu’ellenecroyaitplusàcequevousluiaviezracontéausujetdesonpère.

Elleparlaitdedécouvrirlavéritétouteseules’illefallait.»Des textos au sujet de son père ? Voilà qui expliquait les questions soudaines d’Amelia. Mais

pourquoineluienavait-ellepasparlé?Etquilesavaitenvoyés?«Sais-tusielleavaitavancédanssesrecherches?»demandaLew.Sylviasecoualatête.«Ellem’avaitditqu’ellesavaitoùsetrouvaientlesvieuxjournauxintimesdesamère,qu’elleallait

lesfeuilleter.−Etellel’afait?demandaKate,sepréparantaupire.−Jenesaispas.Ellen’enajamaisreparlé.Jevoulaisluiposerlaquestion,maisaprès,voussavez,

toutestarrivé.−Aurait-ilpuyavoirunerelationamoureuse?demandaLew.Ungarçon,peut-être?−Ungarçon,sûrementpas.−Mavoisine avuAmelia entrer cheznous aubeaumilieude la journée avecungarçonquelques

joursavantsamort,expliquaKate.Tunesaisrienlà-dessus?−C’étaitpeut-êtreceBen,là.»Sylviasemblaitsoudainnerveuse.«Leurhistoireétaitvraimentzarbi.EtpuisAmeliam’amentisurcecoup,alorsquisait?−Oui, j’ai vu quelques textos envoyés par un certainBen, commentaKate, son estomac se nouant

alorsqu’elleseremémoraitdenouveaucettephrase:quellechance.Ilestavecvousaulycée?−Non,ils’estinscritàcemêmetrucd’étéàPrincetonlà,Geekland.»Ellesemblaitdégoûtée,oupeut-êtrejalouse.Difficileàdire,avecelle.«Ilspassaientleurtempsàs’envoyerdestextosetAmeliafaisaittoujoursgenre“Ilestgay,ilhabiteà

Albany,ilestseul”.Saufqueleurtruc,là,çafoutaitlesjetons,jetrouve.»Lewprenaitdesnotes.«C’estAmeliaquiluiaécrit?−Ellem’aditqu’ilavaiteusonmailparquelqu’unàPrinceton.»Ellehaussalesépaules.«Commejedisais,toutça,c’étaitzarbi.Ilétaitmêmecenséveniricilejouroùelleestmorte.Vous

êtesaucourant,non?Amelias’étalaitjamaisdanslesdétailsquandils’agissaitdelui.Jecroisqu’elleétaitgênéeet,franchement,ellepouvaitl’être.

−Donctun’asaucuneidéedel’endroitoùnouspourrionstrouverBen,unnumérodetéléphone,unnomdefamille,uneadressemail?demandaLew.Peut-êtrelenomd’unlycée?»

Sylviasecoualatête.«Maisçadoitêtredanssontéléphone,ellepassaitsavieàluienvoyerdestextos.−Eneffet,confirmaKate.Jel’aivu.−OK, très bien.Y avait-il des désaccords, des problèmes avecqui que ce soit d’autre ? s’enquit

Lew.Peut-êtredesfillesavecquielleavaitunsouci?−Non.

−Sylvia,j’aitrouvétoutuntasdepetitsmotsdanssachambre,insistaKate,quinepouvaitsedéfairede l’impressionque la jeune fille leurcachaitdeschoses. Ilsdisaient tous“Je tehais”. Ils semblaientavoirétéécritspardifférentespersonnes.Sais-tudequoiilpourraits’agir?»

Sylviafitlamoueetsecoualatête.«Personnen’écritplusdemots,maintenant.Vousêtessûrequecen’étaitpasjusteàAmelia?Elle

bossaittoujourssurdesprojetsdingos.−C’estvrai.»Katesouritenpensantàl’époqueoù,àseptans,Ameliaavaitdécoupél’undesesdeuxexemplaires

deL’Arbregénéreuxafindefaireunmobileaveclesphrases.Cependantl’attitudeimpassibledeSylviavis-à-visdeces«Jetehais»semblaitétrange.Kateavait

étéchoquéeenapprenantleurexistence.Etelles’attendaitàcequeSylvialesoitaussi.Oudumoinsàuneplusgrandecuriosité.Saufsi,biensûr,ellesavaitdéjàtoutausujetdecesmots.

«Etcettelettred’informationdulycée?demandaLew.−Oui,quis’appellegRaCeFULLY,précisaKate.Tusaisquil’écrit,Sylvia?»Lajeunefille,lesyeuxrivéssursesmains,secouaitlatête.«Dequoiparle-t-elle,cettelettred’information?demandaJuliaqui,penchéesursafille,cherchait

sonregard.Pourquoias-tul’airinquiètetoutd’uncoup?−Jenesuispasinquiète,maman.− C’est un blog à potins, une lettre d’information ou je ne sais quoi, expliqua Kate. C’était…

Ilcontientdeschosesassezcrues.−Crues?s’exclamaJulia.Pourquoin’enai-jejamaisentenduparler?−Parcequec’estdébile,répliquaSylvia.Etçafaitquedeuxans,genre,queçatourne.»Kateregrettaitàprésentd’avoirévoquécesujet.Cen’étaitprobablementpassiimportantetellene

voulaitpasqueJuliarecherchegRaCeFULLYsurInternetetdécouvrecequiyavaitétéécritausujetdeSylvia.Ellenesouhaitaitçaàpersonne.

«QuialancécettehistoiredegRaCeFULLY?»demandaLew.Sylviahaussalesépaules.«Quelqu’undedébilequin’ariendemieuxàfaire.−Ameliaa-t-elleétéblesséepardeschosesquiyavaientétéécritessurelle?insistaLew.Certains

passagesétaienttrèspersonnels.−Attendezunpeu,intervintJulia.Jesuisdésoléedevousinterrompre,maisvousditesqu’unbeugà

potinsmesquinsquiparledesélèvesestaffichéquelquepartaulycée?−C’estunblog,maman.Pasunbeug.Çaselitsurunordi,s’agaçaSylvia.Etjenevoispaspourquoi

onparledeça.Amelias’étaitdésabonnée.Findeladiscussion.−Sylvia!grondaJulia.Jesaisquecen’estpasfacilepour toi,maispenseàcequepeut ressentir

Kate,bonsang!Elleessaiesimplementdes’assurerqu’ilsontbiencompriscequiestarrivéàAmelia.−Elleasautéd’untoit,rétorquaSylviaenarticulantàl’excès.Qu’est-cequ’ilyad’autreàsavoir?−Pourquoi,ditKateenessayantdenepas laisserSylvia lamettreàcran,car la jeune fille l’était

aussi,etKatelecomprenaitbien.Jeveuxsavoirpourquoi.Jeveuxsavoircequis’estpassédanslavied’Ameliapourqu’elleenarrivelà.Parcequejen’ycroispas.Jenecroispasqu’ellel’auraitfait.

− Et cette dissert à laquelle, d’après le lycée, elle aurait triché ? demanda Lew. Selonl’administration,c’estpourçaqu’elleauraitsauté.Elleétaitvexéed’avoirétéattrapée.Ameliat’a-t-elleparlédecettedissert,Sylvia?

−Pff…Ameliaétaitbientropintelligentepouravoirbesoindetricheràquoiquecesoit.Etsijamaiselleavaitdûtricher,çan’auraitcertainementpasétéàunedissertd’anglais.Elleauraitpul’enseigner,ce

cours.Cequilavexait,c’étaitqu’onl’accused’avoirtrichéettout.Maisellesavaitbienquec’étaitfaux.Lavéritéseraitsortieàunmomentdonné.

− Alors si ce n’étaient ni les garçons, ni la drogue, ni d’avoir été surprise à tricher, reprit Lew,pourquoidoncseserait-ellesuicidéeàtonavis?

−Parcequ’elleétaitdébile!»SylviacroisasesbrasosseuxsursongigantesqueT-shirt,sibienqu’ilseresserrasur laminuscule

silhouettecachéeàl’intérieur.Elleretournaverslesescaliers.«Etégoïste,etjeregrettedel’avoirconnue.»

gRaCeFULLY3OCTOBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com.SortezdulotSalutlesbouffons!Lesmecs,vousêtesvraimentcons.Larumeurcourtqu’unepoignéedesecondessesontfait

piéger en envoyant des photos de leur «matos » à diversesMaggies à l’essai qui faisaientsemblant d’être des admiratrices secrètes. Apparemment les photos desdits matos ont étéenvoyéespartextoàtouteslesmeufsdeleurclasse.Unpetitconseil,lesgars:sivousrecevezuntextod’unefillequiditqu’elleveutvoirvotremachin,C’ESTUNMYTHO!Aucunemeufn’aenviedevoirunephotodevotresaucisse.

OndiraitquenotrechèreetmalnomméeJessicaDEALERestsurlepointdesefairevirerpouravoir filé des cachetonsauxbeauxdésenchantésdeGraceHall.Trois lycéesprivés entroismois,Jessica?Tusais,tonnomdefamillemalheureuxn’apasàêtretadestinée.

La rumeur court que le beau-père blindé de fric (et creux du CV) d’une terminale−commentdire?−àlascolaritédouteuses’estlancédansunecampagnepourqu’elleintègrel’IvyLeague.Etquandjediscampagne,croyez-moi,yariendeplusravageurqu’unmembredu CA avec un bon gros chéquier et du réseau chez les racailles. La rumeur court qu’ilenvisagedemettresurécoutelebureaudesadmissionsoudepéterquelquesrotules,auchoix.

Toutel’équipedecrosses’estfaitéjecterdelaKale’sTavernleweek-enddernier,nonpasparce qu’ils étaient mineurs et défoncés mais parce que l’un de ces abrutis a PISSÉ PARTERRE!Hé,bandedecrétins,siquelqu’unestassezdébilepourvousservir,lemoinsquevouspuissiezfaire,c’estd’avoirlapolitessedelocaliserlepotdechambre.

AMELIA

5OCTOBRE,23H34

AMELIAyaencoreduzarbi

BENoh-oh,kécequicpassé?

AMELIAlatellementdeshautsetdesbas,lesttellementzarbikedesfoisgl’impressionqu’l

apasenvied’êmapoteBENdésolé,msvslesmeufs,vsêtestoutescinglées;t’asfinitesdevoirsprles

Maggies?AMELIAoui

BENmême…

AMELIAoui

BENjecroyais

AMELIAjesais,j’avaisditkejeleferaispas,mscpascommesij’avaiseulechoix

BENouais,cça

AMELIAnejugepas.Cmesquin

BENbref,letypesaitkect1arnaque?

AMELIA2main

BENoh,putain

AMELIAjesais,jecrains,à+jedoisyaller

5OCTOBRE,23H41

SYLVIAcquoiquimefait1+jolicul:monjeannoirJamesou7roberétrokegachetéedsle

WestVillage?AMELIAquestionpiège?

SYLVIAhaha

AMELIArétro

SYLVIAjelesavais!merci!!!xoxo

5OCTOBRE,23H47

DYLANjepensaisàtoi

AMELIAmoiaussi

DYLANdespenséespositives?

AMELIAcarrément

DYLANsuper,à2main

AMELIAciao

5OCTOBRE,23H52

CARTERhé,fallaitfairequoienbio?

AMELIAexos127-47+labo

CARTERfaitchier,cimer.Tuvasàlafête2Chloevendredi?

AMELIAjesaispas

CARTERviens,ceseracool

AMELIApeut-ê,à+

6OCTOBRE,1H02

NUMÉROMASQUÉtamèretement.Tuvaslalaissertefaireça?

Facebook6OCTOBRE

AmeliaBaronestprêteàs’extasier

CarterRosej’habiteau322Garfield,viensqdtuveuxSylviaGoldevsmefaitesgerbertousles2

AMELIA

6OCTOBRE

Installées au Tea Lounge sur la première table venue, Sylvia et moi, on faisait nos devoirs.Les baristas tatoués avaientmis à donf un groupe de rock indé qui passait à la radio, et le café étaitbondé:écrivains,étudiantsetmèresquipapotaientavecleurscopinessanss’occuperdeleursbraillards.LeTeaLounge était toujoursblindé, lesmeublesdépareillés tout droit sortis desvide-greniers étaientplutôtensaleétat,maisc’étaitquandmêmetop.Àchaquefoisqu’onpouvait,Sylviaetmoi,onvenaitlàaprèslescoursfairenosdevoirs.Ellesecommandaitunexpressoqu’ellearrivaitàpeineàavaler,moiunchaïlatte,etonfaisaitcommesionétaitàlafac.

« “Ce qu’on fait par amour s’accomplit toujours par-delà le bien et lemal”, a déclaméSylvia enlisantsonmanuel.

−Ahouais?ai-jedit,n’écoutantqued’uneoreille.C’estdesconneries.»Les yeux rivés sur mon ordinateur portable, je terminais ma dissert sur Vers le phare. Au début

j’avais été assez énervée par les sujets que Liv nous avait donnés. C’est pas que j’étais un génie demaladeouquoi,maisilsétaienttousfranchementtropsimples.Simpletsmême.Maisellem’avaitretenueàlafinducourspourmedirequejepouvaisécriresurcequejevoulaisetj’avaisfinipartrouveruneidéetropintéressante.JemedisaisqueLivaussiseraitépatée.Jevoulaisqu’ellelesoit.

Jel’aimaisbien,Liv,etpasjusteparcequ’elleétaitjeune,jolie,qu’elleportaitdesbijouxfantaisieetavaitun tatouagemystérieuxdontonapercevaitune fractionquandellese faisaitunequeue-de-cheval.C’étaitaussilaproflapluspassionnéequej’aiejamaiseue.Etpuiselleétaitaussiécrivain,commemoi.Ellem’avaitmêmemontrédeuxnouvellesqu’elleavaitpubliéesdansdepetitsmagazineslittéraires,etellesétaienttrèsbonnes.Enfin,c’étaitpasdigneduNewYorkermaisc’étaitpasmoitiémoinsbon.

Livm’encourageaitaussicommeunedinguedansmonprojetd’écrituredefiction.Elleinsistaitpourquej’enfassequelquechose,genresoumettrequelqueshistoiresàuneboursed’écriture.ParticiperàceprogrammeestivaldejournalismeàPrinceton,OK.Desarticlessurdessujetsprécis,c’étaitpaspareilque leshistoiresque j’inventais.Celles-ci, jen’étaispasprête à ceque lemonde lesdécortique, pasencore.

«QuiauraitcruquecebonvieuxNietzscheétaitsiromantique?»acommentéSylvia.Je sentais son regard peser sur moi, elle attendait que je m’intéresse à ce qu’elle disait. Ça ne

m’intéressaitpas.«Tunerisquespasdelesavoir,Amelia,maisquandonestamoureux,c’estexactementcommeça:

par-delàlebienetlemal.»Elleneplaisantaitqu’àmoitiéavecsongrandméloàlaShakespeare.Toutcequitouchaitauxmecs,

c’étaitcommeçapourelle:unehistoiredevieetdemort,dehautsetdebas,etuneoverdosedepotionmagique.

«Jesaisbienquej’aidéjàeudessentimentspourd’autresgars…»Elleétaitsupersérieusemaintenant.«…maisavec Ian, c’estdu solide.Audébut je l’aimaisbien justeparcequ’il étaitmignon,qu’il

avaitcepetitaccenttropcraquantettout−etaussiparcequejemedisaisqu’unjourjefiniraispeut-être

duchesse−, mais maintenant c’est genre, je sais pas, c’est une personne tellement incroyable. Il m’avraimentouvertlesyeux.»

Ellemedévisageaitcommesij’étaiscenséeavoirdesmillionsdequestionsàluiposerausujetdesonamoureux.J’enavaispas.Çaauraitétéplusfacilede trouverun trucàdiresiellenem’avaitpassortiplusoumoinsexactementlemêmediscoursàproposdetrois typesdifférents.Et le trucvraimentdingue,c’estqu’ellenementaitmêmepas.Elleycroyaitdurcommefer.C’étaitçaaussiquilarendaitsigéniale.Elleavaituncœurgigantesqueetincontrôlablequigobaittoutsursonpassage.C’étaitchouetted’êtreàcôté,surtoutquedesfoisjesentaisàpeinelesbattementsdumiensouslepoidsdemoncerveauhyperactif.

Etpuis,quisait,peut-êtreque,cettefois-ci,avecIanc’étaitenfindusolide.Peuprobable,maispascomplètementimpossible.

«Ohmerde,mesuis-jeexclaméeenregardantl’heure.Jesuisàlabourre.Jefaisdubaby-sittingpourKelseycetaprès-midi.»

Il neme restait que dixminutes pour sortir duTeaLounge et aller à la réunion desMagpies chezZadie,quihabitaitsuperloindanslaHuitièmeRue.Orjen’avaispasledroitd’êtreàlabourre.ZadieétaitcenséeavoirunegrossedéclarationànousfaireàtouteslestroisausujetdenotredernièremissionàaccompliravantdedevenirdesMaggiesenchairetenplumes.Cedont,enpassant,jen’étaistoujourspassûred’avoirenvie.Enrevanchej’étaissûred’êtreprêteàtoutpourresterpoteavecDylan.

« Tu ne m’écoutes même pas, hein ? » a demandé Sylvia en feuilletant distraitement son manueld’Introductionàlaphilosophie.

Elleabrusquementarrêtésongesteetm’alancéunregardsoupçonneux.« Et puis qu’est-ce qui t’arrive, à toi, en cemoment ? T’es jamais là, et quand t’es là, t’as l’air

complètement à la masse. Et c’est quoi ces statuts Facebook genre mauvaise poésie complètementallumée?“AmeliaBaronestprêteàs’extasier.”Tusaisquec’estmabêtenoire,lesgensquiessaientdeselajouerartistessurFacebook.Ondiraitquet’esamoureuseoujesaispas.»

J’aiaussitôtlevélesyeuxdemonécran.Çaavaitétéplusfortquemoi.«Putainmaisc’estça!a-t-ellehurléenclaquantsiviolemmentsonlivresurlatablequej’aicruque

lescénaristedépenailléderrièrenousallaitluiencollerune.–Tagueule,ai-jesifflé.Tuvasnousfairevirer.−J’hallucine,c’estqui?»Sylviaavaitlesourirejusqu’auxoreilles,lesyeuxenfeu.«AmeliaBaron, tu tombesenfin amoureused’unmecet tuneprendsmêmepas lapeinedeme le

dire?Jesuistameilleureamie.Tuasl’obligationmoraledemedirecegenredechoses.»Elleavaitl’airplusexcitéequefurieuse.«J’exigequetucommencesparledébutetquetumeracontesabsolumenttout.Peut-êtrequ’ensuiteje

tepardonnerai.Ilestvieux,c’estça?J’hallucine,ilestpaschauveaumoins?»EtvoilàpourquoiSylviarestaitmameilleureamie.Onauraitditqu’ellenesouhaitaitriendeplusque

demevoiramoureuse.Quatre-vingt-dixpourcentdutemps,elleseregardaitlenombril,mais,danslesdixpourcentrestants,c’étaitunesuperpote.

«Tevoilà,bébé!»alancéderrièrenousunevoixavecunaccentavantquejepuissedirequoiquecesoit.

Le visage de Sylvia s’est illuminé : Ian Greene se frayait un passage jusqu’à nous dans la merloqueteusedechaisesduTeaLounge.Ilportaitunjeanserré,unT-shirtnoirajusté,etavait relevésescheveuxcouleursableenunecrêtedéstructurée.Ilportaitégalementdesespècesdebasketseuropéennesbizarres,quiressemblaientàdespompesdebowling.L’ensembledonnaitunstyletrèsrockstaranglaise

quisefoutdetout,oulosertotal.Auchoix.SurIançarendaitbien.Ilétaitmignon,çacrevaitlesyeux,jelemataisdonc,m’attendantà ressentiràmon tourunpicotement.Rien. Jevoyaisbienqu’ilétait sexy,n’importequil’auraitvu.Maisçanemefaisaitaucuneffet.

Luietmoi,ons’étaitcroisésàuneautrefêtemixteleweek-endprécédent.Elles’étaitdérouléechezl’undesmecsetavaitétébienplusdingue:jen’étaispasrentréechezmoiavantdeuxheuresdumat’,heureàlaquelle,parchance,mamèredormaitprofondément.Ilyavaiteutoutuntasdedroguesbeaucoupplusdures,etlesgensfaisaientquasil’amourdanslescouloirs.Cettefois-cinonplusonnes’étaitpasadressélaparole,Ianetmoi.Àunmomentdonnéjel’avaisvuavecZadie,maisapriori ilessayaitdes’endébarrasser.Onn’avaitpasparlédelafêteaprèsnonplus.D’ailleurs,onn’avaitpasévoquédutoutnosaffiliationsrespectivesàdesclubs.Non,c’étaitunsecretqu’onavaittacitementconvenudegarderentrenousethorsdeportéedeSylvia.Ducoup, il y avait cette étrangeboulede tension. JedétestaissavoirquelquechosequeSylviaignoraitsursonmec.Çajouaitsûrementensafaveurquejesoislàpourgarderunœilsurlui,surtoutavecZadiequiluitournaitautour,maisj’avaisquandmêmel’impressiondelatrahir.TrahisonqueSylvia,j’enétaisquasisûre,nem’auraitjamaispardonnée.

Ianluiapasséunbrasautourducouenl’embrassant.Mêmecegestedésinvoltesemblaitcrispéchezlui.Quandilssesontdécollés,Sylvialuisouriaittellementqu’onauraitditqu’elleallaitprendrefeu.

«Jet’aicherchéepartout»,luia-t-ildit.Ilaadresséunsignedetêtevirilauscénaristegrincheuxinstalléàcôtédenous,luiapiquésachaise

libresansluidemanderl’autorisationets’estassisdessusàcalifourchon.«Jecroyaisqu’ondevaitallerauparcprendrequelquesphotoscetaprèm.»Sylviam’aadresséunsourirerayonnant.«Ilaimemeprendreenphoto,a-t-elleexpliquéavecfaussemodestie.C’estpasadorable,ça?»Elles’esttournéeversIan.«Jecroyaisquetuavaisentraînementd’avironjusqu’àquatreheures.Jecomptaist’envoyeruntexto

d’iciquelquesminutes.Ameliadoitpartirdetoutefaçon.−T’essûre?m’ademandéIanavecrespect.Jelacharriaisjuste.Jeveuxpasfairecapotervosplans.

Elleetmoi,onpeuts’organiserpoursevoirplustard.»Ilessayaitdememettredanssapoche.J’espéraispourSylviaquecen’étaitpasparcequ’ilcroyait

quej’avaisdéjàundossiersurlui.«Non,Sylviaaraison»,ai-jeréponduenjetantunœilàmamontre.Jemesuislevée,j’airassemblémesaffaires,puisj’aifaitsigneàIandeprendremaplace.«J’aiunrendez-vousàquatreheures.»Sylviaainclinélatêtesurlecôtéenmodeflirttandisqu’Iansecollaitàelle.Ellebalançaitd’avant

enarrièresajambecroiséeenéquilibresursongenou.Toutlerestedesoncorpsavaitl’airencoton.Ianaussiladévoraitdesyeux.Àlesvoir,jemesentaismieuxvis-à-visdeleurhistoire.Jen’avaisjamaisvuIanregarderZadieoun’importequelleautrefillecommeça.Sylviaallaits’entirer.Leuraffectionétaitcomplètementmutuelle.

«Bon,benàplus,alors»,ai-jelancé,mêmesinil’unnil’autrenem’écoutait.J’aiattenduencoreunesecondeavantdetournerlestalons.J’étaispresquearrivéeàlaportequand

Sylviaafiniparmelancer:«Hé,meilleurepote!»Jemesuisretournée,ilssetenaientparlamain.«Aufait,t’estoujourssurlegril,mapoule.Jesaisquet’asdespetitssecrets.Tuvasdevoircracher

lemorceau.»

En sortant duTeaLounge, j’ai remontéUnion endirectionde laSeptièmeAvenue.La températureavaitbaissépendantqu’onétait à l’intérieur, le soleil étaitdésormaiscachéparune lourdecouchedenuagescouleuracier.Levents’étaitlevé,aussi.C’étaitlapremièresemained’octobreetonavaitenfinvraimentl’impressiond’êtreenautomne.J’airemontélafermetureéclairdemonsweat-shirtetj’aimisma capuche.Quand j’ai bifurqué vers le sud dans la SeptièmeAvenue, le vent s’est encore renforcé,balayantlarue,j’aidoncrentrélesépaulesetmarchétêtebaissée,enespérantquelamergrouillantedelaSeptièmeAvenues’ouvreparmagie.

Quedalle.ÀParkSlopeaprèslescours,lestrottoirssonttoujoursbondésdetonnesdegaminsavecleurmèreetdetoutescesespècesdetypesécrivains/artistes−pastoutàfaitcool,pastoutàfaitSDF−quitraînenttoujoursdanslequartierpendantquelesautresvraisadultesbossent.

JesuispasséedevantlesupermarchéAce,oùlesgarsdeGraceHallfauchentdesbonbecs,etdevantLaBagelDelight,quisertdesbagelstoutchaudssortisdufour.PuisdevantPS321.Cetteécole,c’estlegagdelabagnoleduclown:quandyenaplus,yenaencore.Quandjevoyaislacourderécrébondée,jenecomprenaispascommentcebâtimentminusculepouvaitcontenirtouscesmômes.

QuandjesuispasséedevantPino’s, ilyavaitungroupedecollégiensdeGraceHallqui traînaientencoreàl’intérieuret,deuxruesplusloin,ilyenavaitencored’autresassissurunbancdevantleCocoaBar, un lieubien trop joli et bien trop calmepourqu’y entrent les élèves après les cours.En faceduCocoaBar,del’autrecôtédelarue,setrouvaitlelycéeJohnJay,maisàcetteheure-làlesflicsavaientramenélaplupartdesélèveschezeux.

Pendantladizainederuesqu’ilmerestaitàtraverser,j’aigardélatêtebaisséepourmeprotégerduvent.Danscecoin-là,j’avaispasàflipperdetombersurquelqu’uncommenotrevoisineKelseyousurJulia, lamère de Sylvia. Je les aimais bien toutes les deux. Elles étaient toujours sympas avecmoi.Letruc,c’estqu’ellesm’auraientposédesquestionsauxquellesjen’auraispaseuenviederépondre.

JepensaisàSylviaquicroyaitquej’étaisamoureuse.Jemedemandaiscequeçasignifiaitquej’aieunpeul’impressionquec’étaitvrai.

Letempsd’arriverdanslaHuitièmeRue,jetremblaiscommeunedingue.J’aivitetournéàgaucheen

direction de chez Zadie, espérant que le vent serait un peumoins violent si je changeais de cap. Aucontraire,çaaempiré.Lementonrentré,j’aicroiséfortlesbrassurmapoitrine.

J’avaisàpeinefaittroispasdanslaruequej’aiétépercutée,fort.Puisunemains’estposéesurmonbras.J’aibaissélesyeux:elleétaitlàquimetouchait.Unegrossemaind’homme.Merde,merde,merde,jevaismefaireagresser.Ouvioler.Ilfallaitbouger,courir,sebarrer.Hurler.

«Lâche-moi,espècedeconnard!»J’aibeugléleplusfortquejepouvaisenessayantdetordremonbraspourledégager.«Lâche-moi!−Amelia,c’estmoi!»Ilconnaissaitmonnom.Commentc’étaitpossible,putain?«Désolé,jesuisvraiment,vraimentdésolé.Jen’aipasréfléchi.Jenevoulaispastefairepeur.»J’aidenouveautiréviolemmentsurmonbras,maisl’hommenemetenaitmêmeplus.J’aireculéd’un

oudeuxmètresetlevélesyeux:M.Woodhousesetenaitlà,encollantdecourseàpied,basketsetK-way.Avecsonbonnetnoir,on l’auraitplutôt imaginésurunskateboard. Ilavait l’aircomplètementenpanique.

«Jesuisvraimentdésolé,Amelia.»Ilalevélesmains,scrutantletrottoirlesyeuxécarquillés.Àsontourilareculéd’unpas,sûrement

aucasoùquelqu’unauraitenvisagéd’appelerlesflics.

«Jet’aiappeléeplusieursfois.J’imaginequetunem’aspasentenduavectacapuche.Jen’auraispasdûtetouchercommeça.Jem’excusesincèrement.»

Moncœurbattaittellementvitequejelesentaisjusqu’auboutdemesdoigts.«Ouais,vousauriezpasdû,ai-jerépliquéenessayantdereprendremonsouffle.Jesuispassuperà

l’aiseaveclestypesquimechopentdanslarue.−Mafoi,jecroisquej’aienseignétroplongtempsdanslenordduConnecticut.Onoubliequ’enville

lesgenssontsurleursgardes.−Sij’étaisvous,jem’amuseraisnullepartàchoperdesfilles.−Trèsjuste»,a-t-ilditdansunsourire.Puisilabalayélarueduregardd’unairperplexe.«Tun’habitespasdanslecoin,si?»Ilcommençaitàmefoutreunpoilleschocottes.Ilavaitapprismondossierparcœurouquoi?Sans

compterquejen’étaispasraviequ’ilaitneserait-cequ’unevagueidéedel’endroitoùjemerendais.J’étaisdéjàassezstresséed’avoirprislerisqued’enregistrerlenumérodeDylandansmontéléphone.Fileruntuyauauproviseurconcernantlelieud’uneréunionMagpiesm’auraitsûrementcoûtéundoigt.

«Jevaisvoirmatante.Ellehabiteparlà.»Pourquoi n’avais-je pas dit « copine » ? Je n’avais même pas de tante. EtWoodhouse le savait

sûrementaussi.«Çadoitêtreagréabledepouvoirallerchezelleàpied»,a-t-ilcommenté.Jen’arrivaispasàdéterminersic’étaitunepiqueàcausedemonmensongeounon.Il s’est tu pendant un longmoment, c’était super bizarre. Il hochait légèrement la tête, comme s’il

réfléchissaitàcequ’ilvoulaitdire.Finalement,lesyeuxplissés,ilaobservélesoleilcouchant.«Ilvabientôtfairenuit.Soisprudenteenrentrantcheztoi.Onnepeutjamaisprévoirquandjenesais

quelimbécilevanoussauterdessus.»Ilasouripuisapointélementondansladirectionoùjemerendais.«EtdisàZadieetaurestedesfillesqu’ellesontintérêtàbiensetenir.»Zadieaouvertsèchementlagrandeporteenferavantmêmequejesonne.Jepriaispourqu’ellene

m’aitpasvuediscuteravecM.Woodhouse.« T’es à la bourre », a-t-elle aboyé en observant le trottoir par-dessus mon épaule comme pour

vérifierquejen’avaispasétésuivie.Surce,ellem’aattrapéeparlesweat-shirtetm’aentraînéeàl’intérieur.«Bordel,maisrestepasplantéelàcommeuneconne,putain.»J’ai d’abord cru qu’ellem’avait fait entrer dans son immeuble, pas dans son appart.À l’intérieur

c’étaitungigantesqueespaceouvertavecd’uncôtédesfenêtresdelahauteurdesmursetdel’autredesbriquesnues.Lesolressemblaitàuntrottoir,saufqu’ilétaitciré,etlepeudemobilierqu’ilyavaitétaitsuprabas,froidetmoderne.Àl’exceptiond’uneétagèrechargéedephotosetdedeuxvasesquiavaientl’airhorsdeprix, l’endroit ressemblaitdavantageàunmagasindemeublesqu’àunemaisonvraimenthabitéepardesgens.

«Ramène-toi,bonDieu.»Zadiem’afrôléeensedirigeantversdesescalierssuspendusenacier.«Toutlemondeestdéjàenbas.»Jel’aisuivieetmesuisretrouvéedansunsous-solaménagé.Devantmoiilyavaitunepetitepièce

avec des bibliothèques vides et plusieurs fauteuils de lecture, d’où partait un gigantesque couloir

recouvertd’unemoquetteauxmotifsmodernes:desbleus,desrougesetdesvertsformaientunespiralesurtoutelalongueur.

Zadieavaitditquetoutlemondeétaitdéjàlà,non?Etpourtantilrégnaituncalmesuperétrangeenbas.Iln’yavaitpasunbruit,d’ailleurs.Ets’iln’yavaitpersonned’autre?Etsicettehistoirederéunionn’avait étéqu’uncoup fourré?Zadiemedétestaitméchant. Jene savaispaspourquoi,mais j’enétaissûre.Etmaintenantjemeretrouvaispiégéedanssonsous-solcalfeutré,séparéedumondeoùpersonnenem’entendraitjamaiscrier.

«T’attendsquoi?a-t-elledemandéavecungestesecdelamain.−C’esttellementcalmeici.»Quelleconnejefaisais.«Euh,c’estparcequec’estinsonorisé,espècedecinglée»,arépliquéZadie,commesitoutlemonde

avaitchezsoidespiècespareilles.Ellemefusillaitduregard,aussi.« La salle télé de mon beau-père est en bas et il aime bien quand c’est calme. Bon, tu veux un

descriptifcompletdelabaraqueavantdebougertoncul?−Pourquoitumedétestesautant?»mesuis-jeentenduedemander.Unepartdemoiétaitcontentedel’avoirfait.L’autre,plusfutée,auraitvouluétranglerlapremière.«Explique-moicequejefaisetj’essaieraid’arrêter,jetejure»,ai-jeajouté.Ses yeux se sont réduits à deux fentes bleues alors qu’elle rapprochait son visage du mien. Ses

cheveuxsentaient laclope.Jevoyaisaussideprèssafameusemècheblanche.Complètement incolore,elleformaitunebandeparfaitementgéométrique.Onauraitditqu’ellel’avaitpasséeàlajavelavecunerègle.

«Tupeuxarrêterd’êtretoi?»a-t-ellemurmuré.Sonvisageétaitsuperprès,là.Tellementprèsqu’onauraitpus’embrasser.«Jeveuxdire,situpeux,ceseraitfantastique.Sinon,j’imaginequ’onvadevoirs’enteniràcequeje

tedéteste.»C’estalorsqueDylan,venueduboutdulongcouloir,asurgidanslapièce.«Tevoilà!»Elle a souri.Mon cœur s’est arrêté à l’idée qu’elle puisse s’adresser àmoi.Mais non, elle s’est

tournéeversZadie.« Les gens en ont marre d’attendre, Zad. Y a quelques filles qui ont dit à leurs parents qu’elles

seraientrentréesàcetteheure-là.−D’accord,a réponduZadiesansme lâcherdesyeux.J’arrive.Mais faisensortequeCrazyEyes

s’installetrèsloindemoi.Lapuanteurdesaperfectionmefoutlagerbe.»Surce,elleapivotéetatracélarouteàtraverslecouloir.Lesyeuxbaissés,j’aiesquisséunpaspour

la suivre. Je craignais dememettre à pleurer en regardantDylan. Je ne pouvais plus faire ça. Je nepouvaispassupportercettehainedémentiellejustepourtraîneravecDylan.

«Désoléed’êtreenretard,ai-jemarmonnéàDylanenpassantàcôtéd’elle.Jenevoulaispasfaireattendretoutlemonde.Jesuistombéesurquelqu’undanslarueet…

−Chuut»,a-t-ellemurmuréenportantundoigtàseslèvres.Elles’estpenchée,commepourvérifierqueZadieétaitbienpartie.« Pourquoi m’a-t-elle laissée entrer dans le club si elle me déteste autant ? ai-je demandé.

Franchement,jenecomprendspas.−Laisséeentrer?»amurmuréDylan.Elleavaitl’airperplexe.

«C’estellequit’achoisie.−Choisie?Qu’est-cequeturacontes?−Dylan!abeugléZadieduboutducouloir.Ramènetafraise,putain!»Dylanm’aregardéeensouriant−calmement,gentiment.«Onpourraitl’ignorer.»Sonsourires’estfaitmalicieux.«Maisjecroisqu’aujourd’huiellepourraitvraimenttuerquelqu’un.−Neprenonspaslerisque.»J’ai secoué la tête et parcourudesyeux le longcouloir quimedonnait l’impressiondemener tout

droitàlachaiseélectrique.Jen’enrevenaispasquecesoitZadiequim’aitraccordéeauréseau,maiscen’étaitpaslemomentd’essayerd’obtenirdesdétails.

«Jesuisquasisûrequejeserailapremièreàypasser»,ai-jeajouté.Dylanaeuunsourirejoueur.«Probablement.»Elleestrestéeimmobileunlongmomentàmesourire.Avecsapeaulisse,sespommettessaillanteset

sesépaissesbouclesauburn,Dylanétait lapersonne laplusparfaiteque j’aie jamaisvue.Admirable.Irréprochable.C’étaitdifficiledelaregarder,commesiellerisquait…commesijerisquais…devolerenéclatssijeposaistroplongtempslesyeuxsurelle.

Ellem’a souri unedernière fois avant de se retourner et de prendre lamêmedirectionqueZadie.Je l’observais qui s’éloignait, le souffle coupé.Mais à peine avait-elle fait quelques pas qu’elle estrevenueetaentremêlésolidementsesdoigtsauxmiens.

Alorsqu’ellem’entraînaitdanslelongcouloirsombre,jen’arrivaispasàquitterdesyeuxnosmainsenlacées.Des voixme parvenaient à présent.De la lumière filtrait, aussi, et je percevais au loin lesmouvementsdecorpsrassemblés.J’auraisvouluquececouloirneseterminejamais.J’auraisvouluquelesdoigtsdeDylanrestentmêlésauxmiens.J’auraisvouluqu’ellerestetoujoursprèsdemoi.

Dylans’estfigéeàlalimitedurectangledelumièrediffuséparlapiècedufondetquisereflétaitsurlamoquette.Ellem’a lâché lamain.Ellemetournait ledos, lesbras légèrementécartés,quandje l’aipercutée.

«Alors,lejeu,ai-jeentendudireZadie.−Qu’est-cequetuattends?»ai-jemurmuréàl’oreilledeDylan.Zadieallaitpéteruncâblequandellefiniraitparserendrecomptequejen’étaistoujourspasdansla

pièce.Dylan n’a pas répondu. Non, elle s’est retournée lentement. Son visage n’était qu’à quelques

centimètresdumien.Jesentaissonhaleinesurmapeau.Jesentais lesbattementsdemoncœur.J’étaissûrequeDylanlessentaitaussi.SeulenousparvenaitlavoixdeZadie,quis’éloignaitenvolutes.

«Etc’estpasunjeufaitpourlescoincéesducul,lescomplexéesoujenesaisquoi,disait-elle.Alorsparlezmaintenantoucassez-vous,bandedefeignasses.»

SoudainlabouchedeDylanétaitsurlamienne.Seslèvresétaientsimenues,sidouces,sidélicatesquandjemesuisenfinmiseàluirendresonbaiser.RienàvoiraveclasalinitérêchedecesauveteuràChathamquej’avaisembrassédeuxétésplustôt.

Alorsquenosbouchesétaientpresséesl’unecontrel’autre,Dylanaposésamainsurmajoue.Etàcet instant, j’en ai eu la certitude. Je ne voulais pas simplement être son amie. Je ne voulais passimplementluiressembler.Jevoulaisl’embrasser.

Etpuisbrusquement,une inspiration,une saccade, etDylanétaitpartie. Je restaisplantée là, seuledansl’obscurité,àlalimitedecepetitrectangledelumière.

Ilm’afalluunesecondepourreprendremonsouffle.Moncœurjouaitencoredudjembéquandjemesuisglisséedanslapièceoùtoutlemondeétaitrassemblé.Jegardaislesyeuxbaissés,espérantquemesjouesnesoientpasaussirougesquejelecraignais.J’aiappuyéledosdemesmainssurmeslèvresenprenantgardedenepaslesessuyer.Lesdoigtspresséscontremabouche,j’essayaisderetenircebaiser.

J’aijetéunœilalentourpourvoirsiquelqu’unm’observait.Maislesfilles−certainesaffaléessurles fauteuils en cuir genre fauteuils de cinéma, d’autres adossées aux murs ou assises par terre entailleur−avaienttouteslesyeuxrivéssurZadie,quisetrouvaitsurledevantdelapièce,avecderrièreelledumatérielélectroniqueauxlignesépuréesetungigantesqueécranplat.

JecherchaisDylandesyeuxenme laissant tombercontre lemur leplusproche. J’étais terrifiéeàl’idéequ’ellesoitpartie,qu’ellesesoitdébrouilléepours’éclipseretdisparaître.Maislorsquej’aidenouveau regardé Zadie, Dylan était là, assise à sa droite sur une chaise. Elle me dévisageait, sansvraimentfroncerlessourcils,sanssourirenonplus.Elleavaitplutôtl’airétonnée,peut-êtregênée.

Pourtant elle m’a embrassée, me suis-je répété en me rappelant combien cela m’avait sembléabsurdequandSylviaavaitdoutéqueçaaitétélecasavecIan.Non?Pourquoiest-elleétonnée?

«Onaunblog:Vold’oiseau,ils’appelle.»Elleavaitl’airfièred’elle.«C’estuneidéeàmoi.Bref,chacuneaunepageavecdesphotosd’elle.Lebutdujeu,c’estd’avoir

leplusdemondepossiblequi“like”vosphotos,vousvoyez.»Elleaparlépendantdesplombesdesphotosetdecommentfairepourqu’ilyaitunmaxdegensqui

vous«like».Jen’écoutaispasvraiment.Jenepensaisqu’àcebaiseretàsonincroyablejustesse.Unesecondeplustard,j’airessentiunedouleurdanslepied.Ilm’afalluunmomentpourmerendrecomptequeZadiem’écrasaitlesorteils.

«Putain,t’écoutes,masalope?−Euh,euh,ouais.»Lesmots sont sortis dema bouche en un gazouillis visqueux. Je sentais aussi le regard des autres

fillespesersurmoi.«J’écoute.»Zadieacroisélesbrasetaeuunsourireàfairepeur.Elles’étaitrapprochéeetellesepenchaitau-

dessusdemoi.«T’enes?»Fallait-ilencorequej’ensois?AprèscequivenaitdesepasseravecDylan,cen’étaitpeut-êtrepas

la peine. Je n’avais pas vraiment écouté, mais le peu que j’avais entendu sur ce jeu− blog, photos,inconnus−nemeplaisaitpas.Jen’avaisaucuneenvied’êtremêléeàça.

J’essayaisd’apercevoirDylanpar-dessusZadie,histoiredevoirsiellem’enverrait jenesaisquelsigne.Mais, penchée en avant, elle parlait à Bethany. Apparemment elle n’avait pas remarqué, et sefichaitroyalement,queZadiesoitentraindemegueulerdessus.Elleavaitcomplètementdisparu,encoreunefois.

Siellepouvaitselasserdemoiaussirapidement,commentpourrais-jeconserversonattentionquandjeneseraismêmeplusuneMaggie?Quandonneseverraitplustoutletempsauxréunionsetauxfêtes?Peut-êtrequ’elleferaitcommesiellenemeconnaissaitplus.Peut-êtrequ’elle leprendraitcommeuneespèce d’insulte que je ne sois pas restée dans le club pour elle. Peut-être qu’elle serait vénère. Siseulementellemeregardait,jesaurais.Jerepensaisànotrebaiser,àlafaçondontsamaindouceavaitenveloppémajoue.

«Alors?»Zadiem’atapotélajambeaveclepied.

«C’estquoitaréponse,CrazyEyes?T’esprêteàfairetesvaloches?»J’airegardéunedernièrefoisDylan.EllenediscutaitplusavecBethany.Lesyeuxrivésausol,elle

avaitl’airtristoune.Etsielledésiraitsecrètementquejem’enaille?Non,impossible.Çan’auraitpasétélogique.Ellevenaitjustedem’embrasser.Non?

«Jeveuxrester»,ai-jemiauléavantdemeraclerlagorge.JemesuisforcéeàsoutenirleregardmauvaisdeZadie.«Jejoue.»Ellem’alancéunlongregardhaineux,commepouressayerdemefairechangerd’avis.«Jereste,ai-jerépétéd’unevoixchevrotante.−Zadie,çasuffit!»afiniparcrierDylandel’autrecôtédelapièce.Elles’étaitlevée.Brascroisés,déhanchée,genreramène-toisitul’oses,commejamaisjenel’avais

vueavant.«Sérieux,fous-luilapaix,putain!»C’étaitlapremièrefoisquejel’entendaisparlercommeça:aveclarage,enjouantladure.Toutça

parcequ’ellemedéfendait.J’avaisl’impressionquemoncœurallaitexploser.Cebaiseravaitdusens,finalement.Maintenantj’enétaissûre.

Ensortant,vingtminutesplustard−aprèsl’exposédedeuxoutrois«détails»bientropvaguessur

cesoi-disant«jeu»−,onesttombéssurlebeau-pèredeZadiedanslacuisine.Ilétaitgrand,d’alluresportive, avec une grosse touffe de cheveux noirs. Il portait un costume européen tape-à-l’œil et uneénorme bague vulgaire. Il avait mis un paquet de fric dans ses fringues. Ça se voyait. Mais ça nel’empêchaitpasd’êtreun typesupraringard,contrairementauxautrespèresdansParkSlope,quipourcertainsétaientcools,maislaplupartBCBGetassezintellos.Paslegenrebeaufeuropéenpleinauxas,mêmepourceuxquivenaienteffectivementd’Europe.

Surlebar trônaitunebouteilledewhiskyouverteetàcôtéunverrepresquevide.Lebeau-pèredeZadiepianotaitd’unemainsursoniPhone.Del’autreiltenaitunBlackBerry.Ilyavaitunefemmedansun coin, plus âgée, avec des cheveux blond grisonnant rassemblés en un chignon souple et vêtue d’unpantalonnoirdélavésousuntablier.Ellefaisaitboufferlescoussinssurlecanapé.J’aicruuninstantquec’étaitlamèredeZadie,jusqu’àcequejeremarquequ’ellefaisaitbouffercescoussinscommesisavieendépendait.Nousaussi,onavaitunefemmedeménage−commelaplupartdesgensàParkSlope−,maiselle,elleressemblaitàunebonnetraditionnelle,voireàuneservantesouscontrat.

«Hé!alancélebeau-pèredeZadied’unevoixtonitruante.Regardez-moiça!VoilàlesMaggiesquis’envolentdeleurrepairesecret.»

Ilsouriaitd’unairunpeubourré,àlafoisvaguementcharmeuretunpoilvulgaire.«Oh,tagueule,Frank»,arétorquéZadied’untontaquinens’approchantnonchalammentdeluipour

luichipersonverre.Elleaavaléunegorgée,puisuneautre.«Hummm.T’ouvrestoujourslesbonnesbouteillesquandtucroisqu’yapersonneàlamaison.»Illuiaarrachéleverredesmainsquandelleaessayéd’yboireencore.«Tamèrevametuerenrentrantsiellesentquet’asbuduwhisky.Allez,présente-moidonctesamies

maintenant.»J’étais au premier rang. J’avais essayé de sortir de cettemaison le plus vite possible et à présent

j’étaispileentêtedegondole.Zadiealevélesyeuxaucielets’estpenchéeenavant,lescoudesenappuisurleplandetravailengranit.

«Beurk!s’est-elleexclaméeenluiprenantsoniPhonedesmainspourfairedéfilerlesécrans.C’estpasmespotes.

−Allons,allons.»Sonbeau-pèreluiapasséunbrasautourdesépaulespuiss’estadresséànous:«J’espèrequeZadies’estmontréeunebonnehôteavecvoustoutes.Encequimeconcerne,vousêtes

lesbienvenuescheznousquandvousvoulez.Çameplaîtbien,cettehistoiredeclub.J’étaisdansuntruccomme ça à l’époque. Il nem’est jamais rien arrivé demieux.Ces types sont toujoursmesmeilleursamis.Grâceauxclubs,lavieestmieuxorganisée,vousvoyez.

−Jenepensepasqu’onpuisseconsidérerungangcommeunclub,Frank.»Zadienousasouri.Elleselapétait.«FrankiciprésentagrandidumauvaiscôtédeBrooklyn.IlcroitqueletrucdeSkullandBones,la

sociétésecrètedeYale,c’estdebuterdesgens.»Frankluialancéunregardnoiretaaussitôtreprissonsouriredécontracté.Ilahaussélesépaules.«Peut-êtrebien,a-t-ildit.Maisuneconfraternité,c’estuneconfraternité.Etj’aiaussiétéflic,tute

rappelles?Enmatièredeclub,c’estlefindufin,tupeuxmecroire.−Ahouic’estvrai,çaparaît tellement incroyablequequelqu’unpuisse te laisserporterunflingue

quejel’oubliepresquetoujours.»Zadieafaitungesteendirectiondelaporte.«Enfinbref,ellesallaients’enaller.−Parfait, tuvaspouvoirbûcher sur cesdissertationsde fac, commeça.Parceque j’ai enfinparié

avecceconnarddeTeddy:sit’esadmisedansdeuxfacsdel’IvyLeague,cetasdemerdemedevracinqmilledollars.

−Etilestpourquicefricsijesuisadmise?−Tupeuxbienlefoutreauxchiottes,j’enairienàcarrer.Jeveuxjustepouvoirdireàcevantardde

mesdeuxd’allersefaireenculer,passez-moil’expression.−Oyez,gentesdames!adéclaméZadieavecungestethéâtraldelamain.Unpèrequipariesurvotre

admissionàlafac.VoilàcequevousrécoltezquandvotremèreépouseuntypequivientdumauvaiscôtédeBrooklyn.

−Ouais,exactement,alâchésonbeau-pèreenbalançantparterrequelquescoussinsretapésdefrais,avant de s’asseoir sur le canapé et d’allonger ses jambes sur la tablebasse chicos.Vous récoltezdestonnesdebléetduputaindebontemps.»

KATE

27NOVEMBRE

Kate etLewétaient assis chez elle sur le canapédevant les deuxboîtes désormais ouvertes qu’uncoursieravaitlivréespeuaprèsleurretourdechezSylvia.Chacuneétaitremplieàrasborddepagesetdepagesdedocuments.Duncanlesavaitattachéesavecdesélastiques−parpaquetsépaisdecinqousixcentimètres−etnommées:«Mails,textos,docsWord».

«Ilyenatellement,murmuraKatetandisqueLewsortaitlemotqueDuncanavaitjointauxcolis.−Etondiraitquecen’estpasfini,enplus : ilaétabli iciunelistedemotsdepasse−Facebook,

Twitter. Apparemment elle participait aussi à un blog. Il faudra qu’on y jette un œil. Difficile dedéterminerquelestlemoyendecommunicationprivilégiédecesmômes.Gchat,Facebook,textos:danschaquelycéec’estdifférent,voussavez.»

Àsoixanteansetquelques,Lewsemblaitbeaucoupplusau faitdesmoyensdecommunicationdesadolescents que Kate. Elle comprenait tout juste l’intérêt de Twitter et savait encoremoins commentsuivrequiquecesoitavec.

«Doncvousavezdéjàétéconfrontéàcegenredepasséélectroniquedansdesaffairesprécédentes?−Dansdesaffaires,non.»Ilsouritetsecoualatête.« Mais j’ai six petits-enfants. Ils arrivent à m’attirer sur Facebook plus d’une fois par jour en

m’envoyantdesphotos,desmessagesettoutuntasdetrucs.−Sixpetits-enfants? répétadoucementKateenessayantdenepas se laisseralleràpenserà tous

ceuxqu’ellen’auraitjamais.−Etencore,iln’yaquelamoitiédenosgaminsquiontdémarréleurproprefamille,queDieume

vienneenaidequandilss’yseronttousmis»,déclara-t-ild’untonfaussementagacé.Ildésignalesboîtes.«Àmonavis,ilfaudraitdiviserpourmieuxrégner.−Est-cequevouspouvezregardersescomptesFacebooketTwitteretceblog?demandaKate.Ilya

unordinateuràl’étage,dansmonbureau.»Lewdésignad’unsignedetêtelespilesdepages.«Çavaaller,vous,avectoutça?−Non,réponditKateenprenantunegrandeinspiration,probablementpas.»UnefoisqueLeweutdisparuausommetdel’escalier,Katesortit lapremièrepiledepapiers : les

documents Word d’Amelia. C’était ce qui semblait le moins susceptible de la faire sombrer dansl’hystérie,mêmesielle savaitque lesvrais ragots,c’est-à-dire toutcequi seraitutile, se trouveraientvraisemblablement dans les textos. Seulement elle n’était pas encore prête à y plonger tête baissée.Heureusement,àpartlesnumérosdegRaCeFULLYqu’elleavaitdéjàlus,iln’yavaitdanslesdocumentsWordquedestravauxpourlelycéeoudeshistoiresqu’Ameliaavaitécrites.Kateavaitpresqueterminéde feuilleter ladernièrepartiede lapilequandelle arrivaàunedissertation intituléeVers le phare :

amitiéetféminisme,parAmeliaBaron.C’étaitcellequesafilleétaitcenséeavoirplagiée.Saufqueletitreneressemblaitpasàceluidudevoirquiétaittombéducahierd’Amelia.

Kate descendit le document à la cuisine et ouvrit le tiroir où elle avait jeté tous ces petits motshaineuxquandAdeles’étaitprésentéeàsaporte.Elleyavaitaussiglisséladissertationd’Amelia.Ellel’ensortitetregardalapagedetitre:LesReprésentationsdutemps:Verslephare,parAmeliaBaron.Strictementrienàvoir.

Elle se tournavers la table, où elle plaça les deuxdissertations côte à côte.Elle les parcourut endiagonale.Àpremièrevue,cesdeuxdevoirsn’avaientrienencommun.PourquoiAmeliaaurait-elleeudeux dissertations différentes sur exactement lemême roman ?Kate les scruta, caressant les titres dudoigt.C’était lapreuvequ’Amelian’avaitpas triché.Elleenétaitcertaine,mêmesiellenesavaitpascommentl’expliquer.

Ellelaissalesdissertationssurlatableetremontadanslesalonaurez-de-chaussée,oùétaientrestéeslespilesdedocumentsquisemblaienttoujoursaussidémesurées.Ellesortitd’abordlesmails;unPost-itcollédessusdisait : « Jen’ai impriméque lesquatrederniersmois.Sivous envoulezplus, dites-le-moi.»Touscesmessagesenquatremois.

Le premier avait été envoyé parGeorgeMcDonnell. Tu vas à la fête 2Chloe ceweek-end ? J’aientendudirekequelqu’unapporteraitdel’E.Del’E?Commedansecstasy?GeorgeMcDonnellétait-illemystérieuxgarçonavecquiAmeliaétaitentréedanslamaison?Kateenétaitencoreàdigérertoutecettehistoirederelationssexuellesetvoilàquemaintenantilyavaitaussideladrogueenjeu?

Elle sépara en deux la pile demails en priant pour queDuncan ait pensé à inclure lesmessagesenvoyés par Amelia. Oui, environ aux trois quarts du paquet, il y avait un marque-page et un mot :«Messagesenvoyés».Katelesparcourutàtouteallurejusqu’àtrouverlaréponsedesafille.

Del’E?Qu’est-cequit’arrivetoutd’uncoup,tunjunkyouquoi?avaitécritAmelia.Cpascoolmonfrère.Detoutefaçonjepeuxpasyaller.Gentraînementtôtledimanchematin.

Katefermalesyeuxetpressalapagecontresoncœur.Merci,monDieu.Peut-êtreavait-elleraisonsur certains points après tout. Elle regarda le mail suivant, envoyé à son entraîneur de hockey,MmeBing:Est-cequelestaged’entraînementauraencorelieuauxvacancesdeprintempscetteannée?

Peut-êtrequetoutn’étaitpasmensongesetmauvaisessurprises.Cependant,unedizainedepagesplusloin,elletombasurunmailquil’arrêtanet.

Jesuisdésolé,Amelia.C’étaitdéplacé.Est-cequ’onpourraitenparler?S’ilteplaît.PhillipQu’importequiétaitcePhillip,quelquechoses’étaitpasséentreAmeliaetlui.Unesortededispute.

Kateregardal’adressemail:p_woodhouse@gracehall.edu.PhillipWoodhouse, le proviseur deGraceHall ?Kate jeta un rapide coup d’œil aumessage puis

reportasonattentionsurl’adresse.QuefabriquaitPhillipWoodhouseàenvoyerdesmailsàAmeliasurcegenredeton:Jesuisdésolé.C’étaitdéplacé?Depuisquandunproviseurs’excusait-ilauprèsd’unélève?Etqu’est-cequiavaitétédéplacé,aujuste?

EllesursautaenentendantLewdanslesescaliers.Elleseretourna,ilétaitlivide.«Qu’ya-t-il?»demanda-t-elle.D’abordcemaildeWoodhouseetmaintenantcetteexpressionhorriblesurlevisagedupolicier:elle

étaitaccablée.Sesmainstremblaientsouslapousséed’adrénaline.«Qu’avez-voustrouvé?»

Elles’attendaitàcequeLewsedéride,maisilsecontentades’arrêterunpeuàl’écartetd’agripperledossierd’unfauteuil.

«Jecroisquevousdevriezmontervoirparvous-même,finit-ilparrépondre.−Comment…non.Pourquoi?Àl’étage?»Leregardtournéversl’escalier,ellesesentaitnauséeuse.«Dites-moijustecequevousaveztrouvé.QuelquechosesursoncompteFacebook?»Ilsecoualatête.«Commejedisais,ilfautquevousveniezvoir.»Kateavaitletournis,sesyeuxfaisaientleyo-yoenparcourantlesmailssursesgenoux.«Maisj’aitrouvéuneautredissertation,finit-ellepardirepourgagnerdutemps.Deuxdissertations

différentespourlemêmesujet.Celuioùonditqu’elleatriché.−Ah,ditLew,guèrecaptivé.Çademandevérification.−Etj’aiaussitrouvéça.»Elleselevaetluitenditlemail.Ilyjetaunœil.«QuiestPhillipWoodhouse?demanda-t-il.Pourrait-ils’agirdenotremystérieuxpetitami?−C’estleproviseurdeGraceHall.»Ilfronçalessourcils,puisparcourutdenouveaulemessage.«Ne paniquons pas tout de suite.Nous allons suivre cette piste, voir de quoi il s’agit. Il pourrait

yavoiruneexplicationlogique.Iln’yariendeparticulièrementinconvenant.»Kateledévisageaensilencejusqu’àcequ’illèvelesyeux.Ilhochalatête.«D’accord,dit-il,vousavezraison,çademandeunéclaircissement.»Àl’étage,danssonpetitbureau,Kates’installadanslefauteuilfaceàl’écrand’ordinateurenveille.«Allez-y»,dit-elleenfaisantsigneàLewd’allumer.Elleavaitlanausée.«Qu’onenfinisse.»Lew déplaça la souris jusqu’à ce que l’écran reprenne vie. Et là apparut Amelia avec pour tout

vêtementuneculotteroseendentelleetunsoutien-gorgepigeonnantassorti.Elleétaitappuyéedansuneposesuggestivesurlefauteuildebureaudesachambre,l’arrière-traindirigéversl’objectif.

«MonDieu!»s’exclamaKateensecachantlesyeuxd’unemain.Elle songea un instant à regarder de nouveau afin de s’assurer de ce qu’elle avait vu. Mais

impossible.Cettefillesexyquijouaitlavampdevantl’appareilétaitbeletbienAmelia.Aucundoutelà-dessus.Kates’ébroua,tentantainsid’évacuercetteimagedesonesprit.

«Éteignezça!Jevousenprie,éteignez!»Lewsepenchaetéteignitl’écran.«Qu’est-cequec’étaitqueça?criaKate.−Leblogauquelelleparticipait»,répondit-ild’untonabattu.Ilsemblaitmortifié.«Ameliaapriscettephotoet l’aensuitepostée làoùn’importequipouvait lavoir?!hurla-t-elle

commesic’étaitLewquiavaitordonnéàAmeliadelefaire.−Pasn’importequi,répondit-ildoucement.Ilfallaitconnaîtrelepseudonymedevotrefillepourla

trouver.»Kateallaitvomir,là,surleclavier.Safilleétaituneprostituéesecrèteouquoi?Uneexhibitionniste?

Queluiétait-ildoncpasséparlatêtepourprendredesphotosd’elleàmoitiénue,etpireencoredelespostersurInternet?C’étaitlegenredechoseque…Non,personnen’auraitfaitcegenredechose.

«Combiendegensontvuça?Vouspouvezlesavoir?»Carcen’étaitpeut-êtrepasaussiterriblequ’illeparaissait.Dix,quinze:voilàlesnombresquilui

venaiententête.Ceneseraitpasgénial,maisrienàvoiravecunboulotd’escortgirl.Peut-êtreétait-ceaussisimplementceàquois’adonnaientlesadosd’aujourd’hui:sevoirmutuellementensous-vêtements.Peut-êtreétaient-celesnouvellesrelationssexuellessansrisque:sedéshabillersurlatoilepournepasavoiràlefairedanslavraievie.Enfinça,ellen’ycroyaitpastrop.Iln’yavaitriendesaindanscettephotoquiétaitdésormaisgravéedanssamémoire.

«Ilyamilledeuxcentquatre-vingt-huitvues.−Pardon?»Kateavaitoubliédequoiilsétaiententraindeparler.«Vousm’avezdemandécombiendepersonnesavaientvuça, réponditLewàcontrecœur.C’est le

nombredepersonnesquiont“liké”saphoto.Certainesontécritdescommentaires.−Plusdemillepersonnesontvucesphotos?demandaKate,lesyeuxtellementécarquillésqu’ilsla

brûlaient.−Cetruc−qu’importecequec’était−n’impliquaitpasseulementAmelia,expliquaLew,ignorantla

question, probablementparceque la réponse était qu’il y en avait encoredavantage. Il y aplusd’unevingtainedefillesdanscegroupe.

−Cegroupe?− Vol d’oiseau. Apparemment elles avaient mis en place une espèce de système de classement,

presquecommeunjeu.−Unjeu?Avecdesphotospareilles?OhmonDieu,c’estàvomir.»SoudainKates’emporta.«Ilfautqu’ontrouvecesfilles.Ilfautqu’ondiseàleursparentsexactementcequ’ellesfont.Çaneva

pasdutout.Cen’étaitpasuneidéed’Amelia.Quelqu’unl’yapoussée.−Onestd’accord,maisj’imaginequetouslesnomslà-dessussontdespseudonymes.Avez-vousun

genred’annuairescolaireouquelquechoseavecquoionpourraitcomparerlesphotospourobtenirlesvraisnomsdecesfilles?

−Ilexisteunlivretd’accueilaveclaphotodetouslesélèves.IlestsurInternet.»TandisqueKateallaitdanssachambrecherchersonordinateurportableafindecomparerlesphotos,

ellen’arrêtaitpasderetournerdanssatêtelapossibilitéqu’Ameliasesoitvraimentsuicidée,aprèstout.Sielles’étaitretrouvéemêléeàuntrucpareil,àposeràmoitiénue,laculpabilitéetlagêneavaientpeut-êtreététellesqu’ellen’avaitplussupportédevivreavec.

QuandKaterevintdanssonbureau,Lewétaitautéléphone.«Ouais,d’accord,murmura-t-ilensemassantlefront.J’arriveleplusvitepossible.»Ilraccrocha,lamâchoireserrée.«Qu’ya-t-il?»demandaKate.Elle s’était préparée à ce qu’il reçoive un appel lui signifiant d’abandonner cette affaire, que son

tempsseraitmieuxemployéailleurs.Maispasmaintenant.Pasaprèsavoirvucesphotos.Lewprituneprofondeinspiration,lamaintoujourssurlefront.

«Sivousmedonnezl’adressedusiteetlemotdepassepouraccéderàcelivretd’accueil,jepourraifaire lecomparatifmoi-mêmecesoir,dit-il.Detoutefaçonilseraitsansdoutepréférablequevousnevoyiezpaslerestedecesphotos.

−Oùallez-vous?−Chezmoi.Cetété,mafemmeaeuuneattaque»,répondit-ildoucement.

Ilsecoualatête,lesyeuxrivésausol.QuandilregardadenouveauKate,ilavaitlesyeuxembués.«Quandelleestdansunmauvaisjour,jesuisleseulqu’elleaccepted’écouter.Lamoitiédutemps,je

nesuismêmepassûrqu’ellesachequijesuis,maisellem’écoutequandmême.C’estsoninfirmièreàdomicilequivientdem’appeler.Apparemment,aujourd’huic’étaitvraimentuntrèsmauvaisjour.»

Kate plissa les yeux. Elle aurait aimé être le genre de personne qui fait passer la victime d’uneattaqueavant sapropreangoisse.Hélas, toutcequ’elleavait enviede faire, c’étaitde s’agripperà lajambedepantalondeLewetdelesupplierderester,denepaslaquitteravantqu’ellesachetoutesleshorreursqu’ilrestaitàdécouvrirausujetd’Amelia.

«D’accord,parvint-elleàarticuler.Enfin jeveuxdire,oui,biensûr.Savez-vousparhasardquandvousserezderetour?

−Àlapremièreheuredemainmatin.»Ils’arrêtadevantellesurleseuildelaporteetlaregardadroitdanslesyeux.Sonvisages’adoucit

alors, comme jamais Kate ne l’avait vu auparavant. Elle s’imaginait que c’était la manière dontilregardaitsesproprespetits-enfants:delafermetéenrobéedechaleur.Çaluidonnaitenviedepleurer.

«Essayezdenepasvousinquiéter.Nousallonsréussiràcomprendrecequiluiestarrivé.»AprèsledépartdeLew,KaterésistaàlatentationderetournervoirleblogVold’oiseau.Cenefut

pasdifficile.Jamaisellen’auraitpusupporterderevoircesphotos.Aulieudecela,elleretournaàsesboîtes.Ilfallaitqu’ellefinissedeparcourirlesmailsd’Amelia.

Elle voulait voir en particulier s’il y en avait d’autres deWoodhouse. Un seul message de ce genrepouvaitavoiruneexplicationinnocente.Peut-être.Maispasplusieurs.

Letempsqu’ellepasseenrevuel’ensembledesmails,lesoleils’étaitcouché.Lesalonétaitplongédansl’obscurité,àl’exceptionducercledelumièrepâleprojetéparlelampadaireàcôtéducanapé.Ellediffusait un halo flou sur la table basse oùKate avait déposé tous lesmails envoyés parWoodhousequ’elleavaittrouvés.

Dix-septautotal.Elle les avait disposés sur la table, telle une espèced’affreuse courtepointe enpatchwork et, bras

croisés, elle les contemplait fixement. La plupart étaient lapidaires, une phrase ou deux, demandant àAmeliadevenir levoir,deréfléchiràcequ’ilavaitditouderéfléchiràcequ’ellefaisait.Maisdansl’und’eux,ilsemblaitpresquelamenacer.Penseàtonavenir,Amelia.Çapourraittecoûtercher.

Amelia n’avait répondu que deux fois, parmail, et avec presque aussi peu demots :D’accord etQuelleheure.

Sepouvait-ilqu’ilyaiteuquelquechoseentreAmeliaetWoodhouse:uneliaison,duharcèlementsexuel,quelquechose?Katel’avaitrencontrélejourdelamortd’Amelia.Illuisemblaitavoireutouteuneconversationaveclui,pourtantilneluienrestaitpaslemoindresouvenir.Ilavaitégalementassistéaux funérailles. Ça, elle s’en rappelait, mais toute cette journée s’était déroulée dans une sorte debrouillard.Elle ferma lesyeuxet essayade se représenterWoodhouse. Il était jeune,non?Séduisant,même?Dansunflash,ellevitdeslunettestrendyetunecoupedecheveuxsavammentdécoiffée.Siellesereprésentaitlabonnepersonne.Unechoseétaitsûre,Woodhouseavaituncurriculumimpressionnant:uneboursed’excellenceFulbrightetunmasterdepolitiquepubliqueetd’éducationàHarvard,qu’ilavaitobtenuàpeuprèsàl’époqueoùelleavaitpassésondiplômededroit.ElleserappelaitavoirconsultésabiographiedanslecommuniquéqueGraceHallavaitenvoyéauxparentsquandilétaitdevenuproviseur.Celadit,rienn’empêchaituntypeavecunsuperCVd’êtreaussipédophile.

C’estalorsqu’onfrappauncoupàlaporte,puistroisplusforts.Impatients,presqueagressifs.Katese leva du canapé et, les bras serrés sur la poitrine comme pour se protéger, elle se dirigea à tâtons

jusqu’àl’entrée.Ellen’allumapaslalumière.Ellen’étaitpasencoreprêteàannoncerqu’elleétaitchezelle.

Boum!Boum!Boum!Lescoupsretentirentdenouveaualorsqu’elleétaitpresquearrivée.L’estomac noué, elle regarda par l’œil-de-bœuf. Seth se tenait sur le seuil, bras croisés,mâchoire

serrée.Quandelleouvrit, ilavait lamain levée,commes’il s’apprêtaità recommencerà tambouriner.Ilparutuninstantsoulagé,puisfurieux.

«Non.Tun’aspas ledroit,pasencemoment, tempêta-t-il en s’engouffrantdans lapièce.Tusaiscombiendefoisjet’aiappeléeaujourd’hui?

−Non,j’ai…−Douze fois, aboya-t-il. Je t’ai laissé douzemessages.Mais est-ce que tu prends la peine deme

rappeler?Non,biensûrquenon.J’aidûdemanderàThomasdequitterleboulotàdix-huitheurestrentepourqu’ilaillechezlanounoudefaçonàcequejepuisseveniricim’assurerquetuallaisbien.Tusaisàquel point c’est tôt, dix-huit heures trente, chez McCann Erikson ? C’est comme prendre une demi-journée. En résumé, Thomas m’en veut à mort d’entamer son image de bourreau de travail et, parextension, il t’en veut àmort à toi aussi.Alors, quelle peut bien être ton excuse pour ne pasm’avoirrappelé?»

Iljetaunœilausalon.«Etqu’est-cequetufabriquesdanslenoir?Jet’aidéjàditqueçaallaittedéprimer.Ilexistedes

étudesqui…»IlsetutenvoyantlevisagedeKatesedécomposer.Unesecondeplustard,ellesanglotait.«Ohnon,dit-ilens’avançantpourl’étreindre.D’accord,d’accord.Tupeuxresterdanslenoirsitu

en as envie,ma puce. Et que Thomas aille se faire foutre. Lola est aussi sa fille. Une fois n’est pascoutume, il peut bien descendre de sa tour d’ivoire pour aller la chercher. Allez viens, c’est d’unremontantdonttuasbesoin.»

Vingtminutesplustard,verredevinàlamain−etSethmisaucourantdetout−,ilscontemplaientlespagesquirecouvraientlatablebasse.

«ÇafaitunpoilLolita,commenta-t-il.Quevas-tufaire?»Katesecoualatête.«Découvrirpourquoiillesaenvoyés,jesuppose.−Tuessûrequeçacompte?−Commentça?Biensûrqueçacompte.−Écoute,Kate,tusaisquejet’aime,hein?»Elle le fusilla du regard, sachant qu’il s’apprêtait à dire quelque chose qu’elle n’avait pas envie

d’entendre.«Jecrois,oui.−Ettusaisquej’aimaisAmelia.»Ellehochalatête.«Jecomprendsquetuveuillessavoirquelamortd’Amelian’étaitpasunsuicide,dit-il.Maissitule

saisdéjà,quelbesoinas-tudeleprouver?Etàqui?»CependantKatevoyaitbienqueSethétaittoujourspersuadéqu’Amelias’étaitsuicidée.Qu’ilpensait

que toute cette recherche faisait seulement partie du travail de deuil. Nécessaire, peut-être, mais endéfinitivevaine.

«C’étaitmafille.Laseulequej’auraijamaiset…−Écoute,jesaiscequeçareprésente,surtoutmaintenantquej’aiLola.Mais…

−Tupensesquejedevraislaissertomber.Quesiquelqu’unatuéAmelia,jedevraislelaissers’entirer?»

Sethsecoualatêted’unairgrave.Ilavaitmisunesourdineàsonrépondanthabituel.«Cequejedis,c’estquetoi,tudevraistelaissert’entirer,murmura-t-il.Riendetoutçanepourra

ressusciterAmelia et ça risquede te fairepéterun câble. Imagineque tu apprennesquelque chosedeterriblementflippantsursoncompteetceluidecefameuxWoodhouse,maisquin’arienàvoiraveclacausedesamort?Alorsquoi?Jedissimplementqu’Ameliaaussivoudraitquetuprennessoindetoi.Moi,jeleveux.»

Ilavaitraison,biensûr,quandilparlaitdedécouvrirdeschoseshorribles.Elleavaitdéjàapprisdeschoses dont elle aurait voulu pouvoir purger samémoire. Sonportable vibra alors sur la table basse,faisantunbruitsourdcontrelebois.Ilsleregardèrentpuiss’observèrentmutuellement.Katenebougeapas.

Sansqu’elleleluidemande,Sethselevapourallervoir.«Cen’estquelamessagerie»,dit-ilenluitendantl’appareil.C’étaitDaniel.«Jevoulaisjustem’assurerquetunet’enfaisaispasausujetdecetteaffaireAssociated»,disaitsa

voixenregistrée.Ilessayaitd’avoirl’airjoyeux.C’étaitraté.Ilnesemblaitpastantfâchéquecrispé.«Jelevoyaisvenir depuis longtemps. Jen’arriverai jamais à conquérir Jeremy.C’est pour çaque jevaispartirchezMeyers,Jenkinsdansquelquessemaines.Etpuisilsm’ontfaituneoffredinguedepartenariatàpartségales.Alors toutvabien,crois-moi.Enattendant, jevais fairedugolfenÉcosse, incroyable,non?Çafaitdeuxansque jen’aipasprisdevacances.Enfinbref,onseverrabienundecesquatre.Prendssoindetoi,Kate,etfélicitations.Tulemérites.»

Kategardaletéléphonepressécontresonoreilleencoreuneminuteaprèslafindumessage.Danielparti pour un autre cabinet, après toutes ces années à se frayer un chemin à coups de griffes jusqu’ausommetdeSlone,Thayer?Sortide savie, justecommeça?Elleétait soulagée,maispas seulement.Déstabilisée.Tulemérites.C’étaitcettepartiedumessagequ’ellen’aimaitpas.Iln’étaitpasdugenreàpenserquequiconqueàpartluiméritaitquoiquecesoit.

«C’étaitqui?demandaSethsansselaisserbernerparlecoupdutéléphonecolléàl’oreille.Jeremyveutquetuviennesluienleverunchewing-gumcolléàsespompes?»

Illevalesmainsenl’airetlesagita.«Oh,Kate!Aide-moi!Aide-moi!Jenepeuxpastouchermessemellesavecmesblanchesmains.−Tuasfini?»Sethavalaunegorgéedevinetsoupira.«Jecrois.−C’étaitDaniel,detoutefaçon,pasJeremy.−Ahmisère.Encoremieux.QuelexploitCaptainCorporateCrusader1a-t-ilréaliséaujourd’hui?Ila

piétinédesvieillesdamespourattraperunsacdebillets?Àmoinsqu’iln’aitbalancédeschiotsà labailledansl’espoird’êtrepromuavocatprincipalàjenesaisquelprocès.

−Jecroyaisquetuavaisfini?»Sethhaussalesépaules.«Ilnel’apasvolé.Tusais,quandjel’aicroisél’andernieràunesoiréed’anciensétudiants,ilm’a

ditqu’ilenvisageaitunrecourscollectifenjusticepourempêcherHumanRightsWatchdesolliciterdesdonsdanssonquartier.

−Jesuissûrequ’ilplaisantait.»Sethhaussaunsourcil.

«Toutseul,alors.Tusais,j’aientendudesrumeursselonlesquellessonex-femme,Gail,adûsefairehospitaliseraprèsleurdivorce.

−Tuinventes,là.− Peut-être, mais franchement. Daniel est un profiteur, y a pas à tortiller. Tu le sais mieux que

personne.Ilprenddeslibertésavectoidepuisqueluiettoi…−Est-cequetupourraiséviterdemelerappeler,s’ilteplaît?−Désolé»,ditSeth,l’airpenaud.LeportabledeKateseremitàvibrerdanssamain.«Cen’estpasDanielquiterappelle,quandmême?−Ce n’est pas lamessagerie, c’est un texto, répondit-elle en ayant à peine regardé son téléphone.

Tupeuxlelire,s’ilteplaît?»Elletenditl’appareilàSeth.Illeluiarrachadesmainsetregardal’écrancommes’ilallaitmettreun

termeunebonnefoispourtoutesàcesbêtises.Maisàlalecturedumessage,ilsedécomposa.«Lis-le-moi.−Kate,jenecroispas…Iln’yaquedeuxmots.Quisaitce…−Seth,s’ilteplaît.»Ilinspiraets’agitadanssonfauteuil,commepourgagnerdutemps.«D’accord,d’accord,trèsbien»,murmura-t-ilenlevantletéléphonedevantsesyeux.Ilpritencoreunecourteinspirationsonore.«“Salepute”.»

gRaCeFULLY10OCTOBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com.SortezdulotTenez-vousbien,ilyadel’eaudanslegazchezlesmecsduclubd’échecs…OK,OK, qui a envie d’entendre parler de ces types complètement perchés, hein ?Mais

attendez,çavautledétour.Apparemment,unecertainejeunefemmedel’équipe,connuepourson style agressif en matière de, hum, stratégie (d’accord, c’est Ainsley Brown), s’estrappliquéeenretardàsapartied’échecsàHoraceMannsamedidernierparcequ’elleétaitoccupée dans les toilettes avec un certain adversaire de sexe masculin originaire du lycéeStuyvesant. La rumeur court que l’adversaire en question ne voyait absolument aucuneobjectionàbazarderlapartieenéchangedeservicesrendus.

Lesmembresdupersonneldedirectiondulycéeaffirmentquel’étauseresserreautourdusalauddecleptomanequiapiquédeuxdesnouveauxiPadsdubahut.C’estsoitundecesgrosbouseuxdeWolf ’sGate,soitleprofdechimie,M.Hale,quiasacarteauxJoueursAnonymes.Auquel cas, j’espère bien qu’ils vont le virer, dans l’idéal avant qu’il corrige ma dernièreinterro.

QuantauxMaggies,ellesrefontdesleurs.Cettefois-ciilyadesphotosetunblogdanslecoup.J’aipaslesdétails,maisjepariequec’estdelaballe.

Ondiraitaussiqu’IanGreeneetDylanCrosbyonttouslesdeuxl’œilbaladeur.Onsavaitbien,pauvreSylvia,quetesheuresétaientcomptées.EtilsembleraitqueDylanaitENFINdesvuessurquelqu’un.Àsuivre.

Àplus,lesgens.Avecunenouvellefournéedescoopsàvouscouperlesouffle.

AMELIA

13OCTOBRE,20H47

DYLANtlibre2main

AMELIAsûr,quelleheure?

DYLANaprèslescours

AMELIAtuveuxfairequoi?

DYLANsortir,oparcpeut-ê,1ciné

AMELIAcomme1rencard

DYLANouais,j’imagine

AMELIAcoolà+

13OCTOBRE,21H03

BENquoi2neuf?

AMELIAnadaettoiçava?

BENbien,t’asparléàtamère?

AMELIApasencore,j’hésite

BENpourquoi?

AMELIAtul’avaisditàtesparentsdirect?

BENquasi

AMELIAetilsl’ontbienpris?

BENmondarons’enestremis+vitekemareum

AMELIAmamèreleprendraitbien,mscqdmêmebizarre;genre1saleconversationsurle

sexeBENouais,mstutesentirasmieuxaprès,crois-moi

AMELIApeut-ê,fautkejailleà+xo

13OCTOBRE21H11

SYLVIAt’asvulederniergracefully?

AMELIApasencore,pourquoi?

SYLVIAjeviens2lelire,cécritqu’Ianal’œilbaladeur,bordel!!!

AMELIAya100%demythosdscetorchon…

SYLVIAj’espèreket’asraison

Facebook14OCTOBRE

AmeliaBaron«Ilsappartenaientàcetuniversirréelmaispénétrantettroublantqu’estlemondevuparlesyeuxdel’amour.»VirginiaWoolf,Verslephare

SylviaGoldeoh,yenamarredesréférenceslittérairesquiselapètentGeorgeMcDonnellouais,sérieuxftgCholeFrankelmoigtrouvéçaadorable,Amelia.j’adorecelivre

AMELIA

14OCTOBRE

Jemesuisréveilléeaveclesoleildanslesyeux.Ilétaitbasdansleciel,justeau-dessusdesmaisonsdel’autrecôtédelarue.J’aiplissélesyeuxetmelessuisprotégésd’unemainpourregardermonréveilsurlatabledenuit.Déjàpresquedix-septheures,orjedevaisfairedubaby-sittingpourKelseyàdix-huitheurestrente.LecinéavecDylan,c’étaitmort.Maisjem’enfichaisunpeu.Enfin,dansl’hypothèseoùDylannefaisaitpasexprèsd’éviterdesortirenpublicavecmoi.

«T’asvraimentlutouscesbouquins?»m’a-t-elledemandé.J’ai roulédansmon lit, elle était à l’autreboutdemachambre,occupéeà regarder tous les livres

entasséssurlesétagères.Endébardeuretculotte,elleavaitnouégrossièrementsescheveuxsursanuqueetquelquesbouclesfollesluiencadraientlevisage.Onauraitdituneprincesse.

«Parcequ’onsecroiraitdansunebibliothèqueici.»Ilyavaitdanssavoixunmélanged’admirationetdetrouille.«Jen’aijamaisvuautantdebouquinschezquelqu’un.−Etlabibliothèquecheztoi,alors?−Monpèrecollectionneleslivres.Ilneleslitpasvraiment.Çapourraitaussibienêtre,disons,des

assiettescommémorativesoudesarmes.Toi,tulesaslus,non?»J’aitoisélesétagèresencombrées.C’étaiteffectivementunpoilflippantmaintenantquejelesvoyais

aveclesyeuxdeDylan.Enmêmetemps,lavoirsetrimballerdesgrillesdesudokuceinturenoirecommeundoudou,c’étaitpasfranchementnormalnonplus.

«Pas tous, ai-jementi.Ce serait un trucdedingue.Enplusy en aquidoivent être àmamère, jecrois.»

Cemensongem’arendueunpeutriste.AprèstoutcetempspasséàjouerauchatetàlasourisetàfairesemblantpourpouvoirintégrerlesMagpiesetresterprochedeDylan,çaauraitétéchouetted’êtremoi-mêmeàcentpourcentquandj’étaisentêteàtêteavecelle.Seulementj’avaiscommel’impressionqu’elleétaittoujourssurlepointdemeglisserentrelesdoigtsetjenesavaispasaveclaquelledemesmanieselleavaitdumal.Etpuisçan’aidaitpasnonplusqu’elleflippegravequelesgensdécouvrentlepotauxroses.Àcroirequeçaauraitétépirequelamort.Jen’avaispasenviedegueulernotreamoursurtouslestoitsdeBrooklynnid’alleràlagayprideouquoi,dumoinspasencore.Maisjem’enfichaispasmalquequelqu’unledécouvre.Laseulechosequicomptait,c’étaitDylan.L’uniquefoisoùjeluiavaisdemandésinotrerelationlagênait,ças’étaitmalpassé.

«Non»,avait-elleronchonné.Onétaitdansmachambre,commed’hab.«C’est juste que j’ai pas envie que les gens au bahut sachent quoi que ce soit surmavie privée,

OK?»Vieprivée.Cesmotsétaientsortisdesabouchecommes’ils’agissaitd’untruccapitalqu’elleavait

l’habitudededissimuler.Jem’étaisalorsdemandécombiendemecsavaientgardésessecretsavantmoi.Siçasetrouve,ilauraittrèsbienpuyavoiraussidesnanas.C’étaitlàunequestionquejemeretenaisdeposerdepuisdessemaines.J’avaispeurdelaréponse.N’importecomment,ilyauraitdesinconvénients.

Celadit,jeneperdaispasespoirqu’ellechanged’avissurlecôtésecretdenotrerelation.Certes,jenesavaispassij’étaisamoureused’elle,maisentoutcasjenepensaisqu’àelle.Quandonétaitensemble,j’avais l’impressiond’êtrereliéeàuntrucplus importantetmieuxquemoi-même.Etça,pourmoi,çaressemblaitàl’amour.

J’avais enviequ’elle reste, de commander àmanger et de faire comme si on était unvieuxcouplemarié. J’auraismêmepu téléphoneràKelseypour luidireque j’étaismalade. Jene le faisais jamais.C’étaitirresponsable,maispourDylanj’auraisfaitexception.Pourtantjesavaisdéjàqu’elleneresteraitjamais,detoutefaçon.Ellenepassaitjamaisplusdedeuxheureschezmoiaprèslescours.Ensuiteelledisaittoujoursqu’ilfallaitqu’ellerentrechezelledîner,fairesesdevoirs,parcequesamèrevoulaitluiparler.C’étaitpeut-êtrevrai,toutça.Maisj’avaistoujoursl’impressionquec’étaitdesexcuses.

Dylanétaitencoreplantéedevantmesétagères.«C’estpasgraves’ilssonttousàtoiouquoi»,a-t-elledit.Mythoner,çan’ajamaisétémonfort.«Jetrouveçacoolquet’aimeslire.»Elleareculéetestvenues’asseoiràcôtédemoisurleborddulit.«Jecroisquelesgenssereprésententdeschosesdansleurtêtequandilslisent.Ilss’imaginenttout

unmonde.Pourmoi,cenesontquedesmotssurunepage,c’esttout.−Sérieux,tunetereprésentesrien?C’estsuperzarbi.»Dylanafaitunemouedépitée.Zarbi.Pourquoil’avais-jeformulécommeça?Commesielleavaitun

problème.«Enfinjeveuxdire:c’estcool.»Troptard.«Ouais,tuparles,troppas.Maisjenesuispascommetoi,Amelia.Jenesuiscommepersonne.»Elle s’est brusquement levée du lit et a attrapé son jean. Elle l’a enfilé en se tortillant, le visage

complètementfermé.Unefoisqu’elleavaitleregardailleurscommeça,jesavaisquenotrerendez-vousétaitterminé.

«Fautquej’yaille.L’épisodeoùmamèreaunrôleimportantpasseàlatélécesoir.Elleainvitédesamispourleregarder.Ilfautquejel’aideàsepréparer.»

Onauraitditunrobot.«Biensûr,pasdeproblème.»Jemesuisredresséeetj’aienfilémachemiseàmontour.Soudain,lesvoilàquirevenaientdansma

bouche, qui poussaient de toutes leurs forces contre mes lèvres. Ces questions qui n’avaient pas debonnesréponses.Maiscettefois-ci,jenesuispasarrivéeàlesretenir.

«Est-cequejesuislapremièrefilleavecquitusors?−Qu’est-cequeçachange?»Aumoinsmaquestionn’avaitpasl’airdelafaireflipper.J’auraiscruqu’elleseseraitdirectjetée

surlaporte.«Jesorsavectoi,maintenant,non?»Elleaenfilésaveste, ramassésonsacpuisadéfaitd’ungeste levaguechignonquimaintenaitses

cheveux.Ellem’avaitexpliquéunefoisquesamèredétestaitquandelleavaitlescheveuxattachés.Soi-disantçaluifaisaitunemâchoiretropcarrée.

«C’estsûr,çan’apasd’importance.Maisc’estvraialors,tusorsvraimentavecmoi?»J’avaisenviedevomir.C’étaituneerreurd’essayerdel’ameneràmeparlerdecegenredechoses.

J’auraisdûmecontenterdecequ’ellemedonnait.Maisjen’arrivaispasàlaboucler.

«Parcequedesfoisj’ail’impressionquet’aspasenvie.»Elle a souri, alors, et son visage s’est de nouveau illuminé. Elle est revenue sur ses pas et s’est

laisséetombersur le litàcôtédemoi.Lahanchecolléecontremajambe,elleadégagéunemèchedecheveuxdemonvisageetmel’aglisséederrièrel’oreille.

«Jet’aimebien,Amelia.Maisj’aienviequecequisepasseentrenous,cesoitpournous,paspourprouverjenesaisquoiàtoutGraceHallouauxMaggies.Çaneregardepersonned’autrequenous.»

Ellen’avaitpasréponduàmaquestion,certes.Maisexprimersessentimentsdecettefaçon,c’étaitromantique.Commesic’étaitnouscontrelemonde.J’étaisvraimentconned’embrouillercequ’onavaitdebien.Pourquoiavais-jetellementbesoinquelesgenssoientaucourantdenotrerelation?Parcequej’étaisà lamasse,voilàpourquoi.J’étaispas foutuede laisser leschosesse faire.Voilàcequiarrivequandonpasseautantdetempsseule.Ondevientunvraicrampontoutchtarbé.

J’aihochélatête.«Désolée,c’estjuste…−T’inquiète.Jecomprends.»Elleasouriensepenchantpourm’embrasser.«T’esunpeuenchien.Laplupartdutemps,c’estsupermignon.»Dylann’étaitpaspartiedepuisplusdedixminutesquandj’aientenduunbruitbizarreenbas.J’étais

entraindefinirmesexosdebioàmonbureau.Jemesuisfigée,auxaguets.Jedevaisentendredesvoix.J’étais conne de ne pas avoir allumé de lampe en bas, vu qu’il faisait déjà presque nuit dehors. Etmaintenant j’étaiscoincéedansmapiauledansunebaraquequis’assombrissaitàvued’œil.Erreurdebleue.Legenred’erreurquejenefaisaispasd’habitudevuquej’étaisunevraieprodelavieensolo.

J’ai retenumonsouffleet tendu l’oreille, cherchantàcapter ce fameuxbruit.Pendantune seconde,rien.J’allaispousserunsoupirdesoulagementquandçaarecommencé.Unpetit tap,tap,puisuncoupplussourd.Commesiquelqu’unsecognaitpartoutdanslenoirparcequ’ilneconnaissaitpasleslieux.Merdealors,yavaitvraimentquelqu’unchezmoi,sérieux?

J’aichopémonportableetcomposéle911sansappuyersur«Appel».Ets’ilserévélaitquec’étaitrien du tout, ce bruit− ce dont j’étais persuadée− et quemamère découvrait que j’avais appelé lesflics ? Elle serait complètement en panique de voir que j’avais paniqué. Et après, la culpabilité etl’inquiétude de me savoir seule à la maison la boufferaient. D’une façon ou d’une autre, je meretrouverais avec Leelah collée aux basques. Or, Leelah, ça voudrait dire la fin desMaggies. Et deDylan.

Ledoigtensuspensau-dessusdelatouche«Appel»,jemesuisdirigéesansbruitverslaporte.J’aisortilatêteetregardéenbasdesescaliers.Ilfaisaitsombre,àpartuneminusculelueurenprovenancedurez-de-chaussée.Quelqu’undevaitavoiralluméunelumièredanslacuisine,unepetite,au-dessusdelacuisinièrepeut-être,oudanslestoilettes.Ilyavaitunechancequecesoitmoiquil’ailaisséeallumée,oupeut-êtremamèreavantdepartirauboulot.Maisçam’auraitétonnée.

Jenepouvaispasresterplantéelààattendredevoirs’ilyavaitquelqu’unenbasquiguettaitlabonneoccase pour, je sais pas,me trucider ou quoi.Mieux valait que je descende vérifier. Si jeme faisaispiégerdansmachambre, il n’y aurait pasmoyendeme tirer. J’ai attaqué ladescentede l’escalier enlaissant traînermamain sur lemur. J’avais toujours le doigt sur «Appel ». J’entendais les placardss’ouvriretsefermeràprésent.Destiroirscoulisser.C’estsûr,ilyavaitquelqu’unquicherchaitquelquechose.Quelqu’unquinesavaitpasoùchercher.

Jenepouvaispasrisquerd’attendrepluslongtempspourappelerlessecours.Unefoisquejeverraisquic’était−etqu’onmeverrait−,ilseraitbeaucouptroptard.J’étaisaumilieudeladeuxièmevoléede

marches, celles qui descendaient à la cuisine, quand j’ai appuyé sur « Appel ». Et là, j’ai cessé derespirer.

«Policesecours,quelestvotreproblème?»ademandéunestandardiste.Letruc,c’estquelapersonneenbasdanslacuisineallaitm’entendresijerépondais.«Allô?Policesecours,s’agit-ild’uneurgence?−Oui,ai-jefiniparmurmurer.Ilyaunintruschezmoiet…»Ducoindel’œil,j’aivuquelqu’un,là,enbasdesmarches.«Ohmerde!»J’aifaitvolte-faceetjesuisremontéeàl’arrache.Letéléphonem’aéchappéetestalléatterrirhors

demaportée.«Amelia!MonDieu,maisqu’est-cequetufais?»J’étaisdéjàenhautdesescaliersquandjemesuisenfinrenducomptequec’étaitlavoixdemamère.

Jemesuisretournée,ellesetenaitenbasdesmarches,l’airenpanique,monportableàlamain.Ellesel’estcolléàl’oreille.

«Allô?Oui,non,a-t-elleréponduàlastandardiste,quidevaitavoircruquejemefaisaispasseràtabac.C’étaitmafille.Ellem’aprispourunintrus.Oui.Non.Biensûr,nequittezpas.»

Elleabrandiletéléphone,l’aircomplètementpaumée.«Elleveutteparler,s’assurerquetuvasbien.Est-cequeçava,Amelia?»Il m’a fallu une grande force de persuasion pour arriver à convaincre la standardiste de police

secoursquej’allaiseffectivementbienetquec’étaitvraimentmamèreàquiellevenaitdeparler.«Pourquoitunem’aspasditqueturentraisàlamaison,maman?!ai-jehurléunefoisletéléphone

raccroché.Tupeuxpastepointercommeçadixplombesavantl’heurehabituelle!»EntrecettehistoireavecZadie,cestextosflippantsausujetdemonpèreettout,j’étaissurlesnerfs

cesdernierstemps.«Jesuisvraimentdésolée,Amelia.Jenevoulaispastefairepeur,arépondumamèreenmeposant

unemaindans ledos. J’auraisdû t’envoyerun texto, tuas raison. J’étais tellementexcitéeà l’idéedem’échapperduboulotplustôt.Jevoulaistefaireunesurprise.

−Missionaccomplie.»Je faisais ma salope, c’était plus fort que moi. Ma vie entière me semblait tellement au-delà du

ridicule tout à coup. Je veux dire, je passais ma vie à la maison. Oui, c’était moi qui avais pris ladécisionqueLeelahnevienneplus,etalors?Avoirlechoixentreêtretraitéecommeunbébéouvivreencelluled’isolement,c’étaitinjuste.J’auraiscertainementeuuncomportementplusnormalavecDylansimamèreavaitétédavantageprésente.Peut-êtremêmequejeluiauraisparlédeDylan,desMaggiesettout,cequiauraitétécoolparcequej’avaisvraimentenviedemettrequelqu’unaucourant.Mamèreabloquéunmomentsursespompes,puissurleplafond.Lesyeuxfermés,elleasecouélatête.

«Tuasraison,Amelia.Jenedevraisjamaistefairedesurprisequandtuesseuleàlamaison.Jenesaispasquoidire.Jen’avaispasréfléchi.»

Elleavaitl’airtellementcrevée.Complètementlessivée.Soudainmagorgeacommencéàseserrer.Jouraprèsjourjefaisaiscommesiçan’avaitaucuneimportancequ’ellenesoitpaslà.Etlaplupartdutempsc’étaitvrai.Maispaslà.

«Çava,maman,laissetomber,ai-jeditpournoussimplifierleschoses.−Écoute,pourrait-onaumoinsessayerdesauverlasoirée?»Elleasourimalgrésonairtoujourstriste.

«Hé, on pourrait se faire une soirée vendredi unmardi, non ?On pourraitmême allermanger unhibachichezGinza.C’esttonplatpréféré.

−D’accord.»Ellemefaisaitdelapeine.Etpuisleprogrammeavaitl’airsympa.Sanscompterquejetenaispeut-

êtremachance.Peut-êtreque jepourraisenfin luiparlerpendant ledîner :deDylan,desMaggies,etmêmedestextosausujetdemonpère.Toutça.

«Ouais,Ginza,ceseraitcool.−Super, s’est exclaméemamèreenmepassantunbrasautourdesépaules, et en serrant trop fort.

Allons-ymaintenant,jemeursdefaim.»J’avais la tête qui tournait en allant chercher mon manteau. Tout ça tombait super bien, en fait.

Jedétestaiscacherdestrucsàmamère.Çaallaitmesoulagerdepouvoirenfintoutdéballer.Etsidesoncôtéellemecachaituneoudeuxchoses−genresurmonpère−,çapourraitaussiêtrel’occasionpourelledevidersonsac.Cesdernierstemps,j’avaismêmecommencéàmedemanders’ilyavaitunechancepourqu’oncleSeth soitmondaron.Lui etmamère− je sais, c’est dingue− étaient sortis ensemble àl’époquedemanaissance.Ets’ilyavaitunfacteurgénétiquedansmonamourpourDylanetmonretardàl’allumagedececôté-là,benSethaussiavaitétécommeça.Çaauraitétélogique.D’ailleursl’idéemeplaisaitbien.Sethétaitdrôle,intéressantetsupraintelligent.J’auraisgravekiffédel’avoircommepère.Etj’auraisgagnéunepetitedemi-sœurenbonus.

C’estalorsqu’onafrappéàlaporte.«Quiest-ce?ademandémamère.−Jenesaispas»,ai-jerépondu,craignantunpeuquecesoitDylan.Parlerd’elleàmamèreseraitunechose,maisjen’étaispasprêteàcequ’ellesserencontrent.«Oh,bonsoir,alancémamèredesavoixj’essaie-d’être-un-être-sociable.Commentçava?»Elleaouvert laporteengrand,Kelsey se tenait sur le seuildansune jolie robecocktail rouge, le

visageauxcouleursdel’arc-en-ciel.«Bonsoir,a-t-ellerépondu,perplexe.Amelia, jecroyaisquetuvenaisgarderlesgarçonscesoir?

Est-cequejemesuisemmêlélespinceaux?»Le lendemain, j’ai reçu un texto d’Heather pendant les cours. Photog.Chez toi ds 1 heure. J’avais

complètementzappéquej’avaisacceptédeparticiperaujeudébiledeZadie.«C’étaitqui?»ademandéSylviaenessayantdezieuterlemessagepar-dessusmonépaule.Assisesdanslacourdulycée,onmangeaitleYogoMonsterqu’ons’étaitachetéenguisededéjeuner

surlaSeptièmeAvenue.Ilfaisaitbeauet,avecnoslunettesdesoleiletnosvesteslégères,onessayaitdefairecommes’il faisaitencoreassezchaudpours’enfilerunyaourtcongelédehors. J’ai laissé tombermonportabledansmonsac,histoirequ’ellenepuissepaslireletexto.

«Mamère.− En plein milieu de sa journée de boulot ? s’est exclamée Sylvia, les yeux ronds comme des

soucoupes.Apaise-toi,ômoncœur.Àcetrain-là,ellevaêtreéluemeilleuremèredel’année.−Arrête,Sylvia.Jesuispasd’humeur.»Lesujetdemamèreétait sensibledepuisqu’onavait raté l’occasiondeseparler laveille.Quand

j’étais rentrée du baby-sitting, elle écrasait dans son lit, les lunettes encore sur le nez, unNew YorkMagazinecollédanslesmains.Jen’avaispaseulecœurdelaréveiller.

Etpuis,aprèsunenuitdesommeil,j’avaisdécidélematinquejen’étaispasencoreprêteàluiparlerdeDylan,finalement.Jeleferais.Justepasmaintenant.J’adoraismamère,onétaitsuperproches,mais

rienquedepenserà la foisoùellem’avaitexpliquéd’oùvenaient lesbébés,çamefoutaitencore leschocottes.Elleavaiteubeaufairedesonmieuxpourrendrelaconversationdésinvolteetnormale,c’étaitrestésacrémentcradingue.Orlàc’étaitmoiquiavaisdesrelationssexuelles.Mêmesijemettaisdecôtélapartiesexe,ils’agissaitquandmêmedemoiavecunefille.Peut-êtrequeçaauraitdûêtrepareilquesijeluiavaisannoncéquejesortaisavecunmec,maisçamesemblaitvachementpluscompliqué.

Sylviaahaussélesépaules.«Laissetomber,j’essayaisjustedet’aider.»J’aijetéunœildanslacour.«Ilestoù,Ian,aujourd’hui?»Jen’avaisplusenviedeluiparler,orIan,c’étaittoujoursladiversiongarantie.«Maisoui,oùestIan?agrommeléSylvia.C’estunetrès,trèsbonnequestion.Questiondontjen’ai

personnellementpaslaréponseparcequececonnardnem’apasfaitsignedetoutelajournée.−Ceconnard?»SylvianeparlaitjamaisdeIancommeça.Mêmepaspoursemarrer.«Ysepassequoi,là?−Allô?Jet’aienvoyéuntextoàcesujet.Tulismêmeplusmesmessagesmaintenant?−Ahoui,c’estvrai,cetrucdansgRaCeFULLY?Allez,Sylvia.Tuvasquandmêmepascroirecette

daube?Toutestmythoné.−Pastout.Yaeuuntasdetrucssurmoilà-dedansquiàmongranddésespoirétaientcarrémentvrais.−N’importe,j’ycroispas.Ianestraidedinguedetoi.»Etc’estvraiquejen’ycroyaispas.J’avaisvuIanàunpaquetdefêtesorganiséesparlesMaggies.

Ilavaiteudixmilleoccasionsdelatromper,surtoutavecZadie,quisependaitencoreàluichaquefoisqu’elle lepouvait.Mais jusqu’àpreuveducontraire, iln’avaitpas réponduà l’offre. Jene l’avaisvurépondre à l’offre de personne. Sylvia a baissé le nez sur son yaourt nature à 0%mélangé avec desmorceauxdecookiesChipsAhoy!etyaplongérageusementsacuiller.Elleasecouélatête.

«Ilestpasmalauxabonnésabsentsencemoment,ilmesorttoutuntasd’excusesàlacon,genresonpèrequiauneexpodedernièreminutedansunegalerie,oulerendez-vouschezlemédecindugamindesasœur.Samèrequiluidégotteunentretienavecjenesaisquelagentartistique.Enfinquoi,est-cequeçaexisteseulement,unagentartistique?

−Sioui,Ianseraitbiendugenreàenavoirun.»Sylviaalevélesyeuxauciel,puissonregardestpartidanslevague.J’observaissonvisagequise

délitaitlentement.Sylviavénère,c’étaitpasbon.Sylviatriste,c’étaitlacata.Elledevenaittoujourstouteratatinée,commeunballondégonflé.

«Jesaiscequeçafaitd’êtretrompée»,a-t-ellemurmuré.Ellem’aregardée,lesyeuxembués.«Çafaitça.Etfranchement,çapue.−Peut-êtrequ’ilajustebesoind’airoujesaispas.»MaisSylviaavait raison.Engénéral,surcegenrede truc,elleavaitduflair.J’ai repenséàZadie.

Avecunemeufpareille,cen’étaitpeut-êtrequ’unequestiondetemps.«D’air,c’estça,s’est-elleesclaffée,amère.Poursetrouverunenouvellemeuf.−C’estpascequejevoulaisdire.−C’estsympad’essayerdemeremonterlemoral,Amelia.Mais–leprendspasmal−genre,sérieux,

qu’est-cequet’ensais?T’asembrasséunseulgarsdanstoutetavie.Etencore,jesuispassûrequ’unsauveteurbourré,çacompte.»

Ellem’adévisagéeunmoment.J’attendaisqu’ellesesouviennedenotreconversationauTeaLounge,celleausujetdelaliaisonqu’elleavaitreniflée.Maisc’étaitcommesiellen’avaitjamaiseulieu.J’étaisàlafoissoulagéeetdéçuequeSylvianel’aitjamaisremisesurletapis.

«C’estunpeu rudede recevoirdes conseils amoureuxde lapartdequelqu’unqui l’a jamais été.EnvoyerdestextosàjenesaisqueltypechelouàAlbany,çacomptepas.

−Benn’estpaschelou»,ai-jerépliquésanstropdeconviction.Ilavaitunpeuchangécesdernierstemps.Audébut,ilm’avaitvachementsoutenueausujetdeDylan

et tout,maisensuite,d’uncoup, ilavaitcommencéàporterdes jugementsbizarres. Il s’étaitmisàmeparler comme si c’étaitmon grand frère ou quoi, àme dire que je devaismeméfier deDylan parcequ’unemeufcommeça,onpouvaitpascompterdessus.Commes’illaconnaissait!Jecommençaisàmedirequ’ilétaitunpoiljalouxoupeut-êtrejustequ’ilenavaitmarredem’entendreparlerd’elle.

« Je t’aime, alors je vais te le dire comme je le pense, a lancé Sylvia. Ben est grave chelou.N’importequeltypequiveutjusteparlertoutletempsavecunemeufestchelou.

−Benestgay,Sylvia.Je te l’aidéjàditgenreunmilliondefois.Et jesuissapote.Jenesaispaspourquoiturefusesdemecroire.

−C’estça,oui.Commesi tudevaisgober toutcequeraconteun typeque t’as jamaisvu.Siçasetrouve, il estmêmepasgay.Etmêmesi toutcequ’il t’a racontéestvrai,quelqu’unquipasseplusdetempsdevantsonordiqu’avecdesvraisgensestzarbi,pointbarre.

−Laissetomber.»J’aihaussélesépaules.Peut-êtrequ’elleavaitraison.Peut-êtrequejedevraiscalmerlejeuavecBen

pendant un temps. C’était déjà suffisamment compliqué de jongler entre Sylvia et Dylan sans en plusavoiràm’inquiéterdecequiluiarrivaitàlui.J’avaisaussibeaucouphésitéàparlerdeDylanàSylvia.C’étaittropdepressiondegarderçasecretenplusdesMagpies.Jepensaispasnonplusqu’elleseraittantenpaniquequeçad’apprendrequejesortaisavecunefille.Elleseraitsurlecul,obligé.Mêmemoi,jel’étaisencore,alors.Desfoisjen’étaismêmepasencoresûreàcentpourcentquec’étaitvrai.Ilyavaitdeschancesqu’ellesoitvénèrequejeneluiaiepasparlédeDylanplustôt−celadit,c’étaitpascommesij’avaisvraimentpu,vuquejecherchaisencoremoi-mêmeàcomprendre−,entoutcasc’estsûrqu’elleallaitavoirgravepluslesboulespourlecoupdesMaggies.

Etsijemetrompais?Etsiçaluifaisaitquelquechosequejesorteavecunefille?Jeveuxdire,ons’étaitretrouvéesàpoilensemblegenredescentainesdefois.Onavaitdormidanslemêmelitpresqueaussi souvent. C’est elle qui m’avait montré comment mettre un tampon. Elle qui m’avait expliqué− schémas à l’appui− ce qui se passait quand un gars vous limait.On avait partagé tous nos secretsjusqu’àprésent.Etsirienn’étaitplusjamaispareilaprèsmesaveux?

«MademoiselleGolde?»a lancéquelqu’undepuis l’autreboutdelacouravantquejepuissemerésoudreàtoutdéballersurDylan.

Ona levé la tête :c’était lasinistreDrLipton, laconseillèrescolaire.Avecsapeaublancheetsarobenoireàcolmontant,onauraitditunvampire,commed’habitude.

«Nousavionsrendez-vous,mademoiselleGolde.−Oh,formerdable,s’estexclaméeSylviasuffisammentfortpourqueleDrLiptonpuissel’entendre.−Ils’estpasséquelquechose?»ai-jedemandé.Sylviaavaiteudesproblèmesàlafindelatroisième.Samèrel’avaitsurprisedeuxfoisàsetrancher

lesveines.C’était pas aussi graveque ça en avait l’air, dumoinsd’aprèsSylvia.Mais samère avaitcomplètementpétélesplombs.Ellel’avaitenvoyéegenrechezdixpsysdifférentsenmêmetempsetavaitfaitensortequeleDrLiptonluicolleaucul24/24.Cetteannée,Sylviaallaittrèsbien.Dumoinsc’estcequejecroyais.

«Ils’estrienpassé.Mamèrefaitsapute.Commed’hab.−Sylvia,sérieux.T’essûrequeçava?»Je culpabilisais un peu d’être passée complètement à côté de l’épisode du charcutage la première

fois.Yavaitpasmoyenquejelaisseçasereproduire.«Jeveuxdire,aveccettehistoireàproposdeIanettout.−Maisouiçava,bonDieu.Lesgens,desfois,asoupiréSylviaavantdesedirigernonchalamment

versleDrLipton.Àmonavis,unemeufquiasignéunbailavecungarssoi-disantgay,elledevraitsefaireunpeuplusdebilepourelleetunpeumoinspourmoi.»

C’étaittoppourmoiqueleDrLiptonaitrappliqué,sinonjen’avaisaucuneidéedecommentj’aurais

puplanterSylviaà tempspour retournerchezmoiaccueillir le«photog».J’avais toujours l’intentiond’esquivercejeuàlacon,maisjen’avaispastrouvélemoyendelefairesansvexerDylan.Orj’étaistellementbienavecellequejenevoulaispastoutfoutreenl’air.

J’ai réintégré lebâtimentenmême tempsque la fouled’élèvesqui rentraientde lapause-déjeuner,puisj’aifaitunvirageàquatre-vingt-dixsurladroitepourrejoindrelaportelatéraledel’autrecôtédel’atrium.LesMaggiesm’avaientapprisquelemeilleurmoyenpoursefairelamalle,c’étaitlesescaliersde secours. De ce côté-là, il n’y avait aucun bureau administratif, aucune salle de classe. Jem’étaisbarréeenpleinmilieudelajournéeparcettevoie-làaumoinscinqfoisdéjà:zéroproblème.Ilfallaitfairegauche,gauche,franchirdeuxportesquiouvraientsurl’escalieretensuite…

«Oh,bonjour»,s’estexclaméeLivenfermantd’uncoupsecsonordinateurportable.Elleétaitpenchéedessus,assisedanslesescaliers.Vula tronchequ’elle tirait,onauraitditqueje

l’avaispriselamaindanslesacentraindematerdupornosurInternet.Moiaussi,jemesentaispriseenflag. J’aimême songéune seconde à rebrousser chemin,mais c’était trop tard.Et à part sécher, je nevoyaispascequej’auraispufaired’autrequiauraitjustifiémaprésencedanscetescalier.

«Bonjour,ai-jerépondusansperdreespoirqu’unebonneexcusetombeduciel.−Alorscommeçaonesttouteslesdeuxpriseslamaindanslesac,hein?»,a-t-elledéclaré,lisant

dansmespensées.Elle était jolie, comme d’habitude, avec son chemisier vaporeux et son énorme collier fantaisie à

grossesperles.«JesuiscenséeêtreàunCA,ettum’assurprisecachéeiciàécrireunehistoire.−Çaparledequoi?»Discuterdecequ’écrivaitLivétaitunemeilleureoptionqued’expliquercequejetrafiquaislà.«Çaparledequoiquoi?»C’étaitellemaintenantquiavaituncomportementbizarre.«Ben,euh,votrehistoire?−Oh,tusais,ungarçon,unefille,s’ensuitunetragédie.C’estencoursd’élaboration,a-t-ellerépondu

ensouriant.D’ailleursenparlantd’histoires,Amelia,jesuiscontented’êtretombéesurtoi.Ilfautquejetedisequelquechose.

−Quoi?−Tu as l’air nerveuse.Ne t’inquiète pas, ce n’est rien de grave, c’est… j’ai fini par soumettre ta

nouvelleàcetteboursed’écriture.−Quoi?»Jeluiavaisditquejen’avaispasenviedem’inscrire.Qu’est-cequec’étaitquecetteprof?«Jesais,j’aiprislerisquedenepast’écouter,etdepuisjemesenscoupable.»Elleasecouélatête.

« Tu es une conteuse extrêmement douée, je voulais te soutenir. Mais ce n’est pas parce quej’aimeraisbienpersonnellementobteniruneboursed’écriturequec’estlamêmechosepourtoi.J’étaistellement engluée dansmes propres frustrations de ne pas voirmon travail publié que j’ai…Bref, cen’étaitpasàmoideprendrecettedécisionàtaplace,jesuisdésolée.C’esttoutcequejepeuxdire.»

Lesyeux rivés surmeschaussures, j’avaisunpeu la rageet jeme sentaisbizarrementmiseànue,quand soudain jeme suis rendu compte que je ne voyais pas les choses du bon côté de la lorgnette.L’initiativedeLivétaitagaçante,maisjepouvaispeut-êtretournersonmalaisevis-à-visdecettebourseàmonavantagepourfranchircetteporteetarriveràtempschezmoi.

«Bon,c’estpasgrave,ai-jedit.Maisenfait il fautvraimentquej’yaille.J’aiun,euh,unrendez-vouschezledentiste.Mamèreaoubliédem’écrireunmot,alors…

−Oh»,a-t-ellemurmuré.Jen’auraispassudiresiellemecroyait.Enfaitj’auraisplutôtditquenon.«Ledentiste,hein?−J’aiunecarie.»Ellealentementhochélatêteensemordantlalèvreinférieure.«Alorsonvadirequ’onestquittespourl’instant,a-t-ellesouri.Vachezledentiste,jenedirairiensi

tuprometsdemepardonnerd’avoirenvoyétanouvelle.Etaussidenedireàpersonnequej’aifaitsauterunCApourtravaillersurunehistoire.

−Marchéconclu»,ai-jeréponduenouvrantlaporte.Quandjemesuisretournéeverselle,jemesentaisbien,ensécurité.Dorlotée.«Merci,Liv.»

J’aitraversélacourlatéraleetmesuiséloignéedubahutencourantsansmeretourner.Ensuitej’ai

descendu à fond Prospect ParcWest en direction de la Première Rue, persuadée que d’unmoment àl’autreMmePearloujenesaisquiallaitaboyermonnom.Parvenueaucoindelarue,j’airegardépar-dessus mon épaule histoire de m’assurer que personne ne m’observait. Quand je me suis retournée,quelquechosem’aviolemmentpercutélefrontetm’aenvoyéevalserenarrière.

«Aïe!−Oh,c’estdemafaute,afaitquelqu’un.Çava,beauté?»J’ailevélesyeux,descymbalesdanslatête.« Je suis vraiment trop con, a dit Ian Greene. Je n’aurais pas dû envoyer un texto en marchant.

Vraimentdésolé.−Çava»,ai-jedit,mêmesij’avaisunmaldechienàl’œil.J’avaisdûmecognercontresonépauleoujesaispas.«T’inquiète.D’ailleursjesuisunpeuàlabourre,alors…»J’aicommencéàlecontournerenessayantdemedirigeravecl’œilquimerestait.«Oui,bon,jecroisquec’estpeut-êtrebienpourmoiquet’esàlabourre.»Ilabrandisonappareilphotod’unairgêné.«Fautcroirequeçafaitpartiedemesmissionsdebizutage.»Ilahaussélesépaules,penaud.«Pourêtrefranc,toutecettehistoirem’afaitregretterdem’êtremouillédansceclubàlacon.Peut-

êtrequeSylviaavaitraison.Ilssontcomplètementjetés.»Lefaitqu’Iansoitunsuperphotographen’étaitàl’évidencepaslaraisonpourlaquelleZadiel’avait

envoyémitrailler.ElleessayaitdefoutrelamerdeentreSylviaetmoi.Ou,quisait,entreSylviaetIan.

«Ouais,cestrucsdeclubdérapentunpeudesfois»,ai-jerépondu.J’avaisl’airgênée,nerveuseetcoupable.TaireàSylviacequejetrafiquaisaveclesMagpies,c’était

unechose,maisdelààcequecessecrets incluentIan?Celadit, jeneculpabilisaispasencoreassezpourannulertoutlebazar.Jem’inquiétaistoujoursdavantagepourDylanetmoi.

«Est-cequetusaisaumoinsquelgenredephotosçadoitêtre?Ellesnenousontriendit,ai-jefait.−Ben,pourenrajouterunecouchedanslegenremystèreàdeuxballes,ilsm’ontenvoyéiciavecune

enveloppescelléequicontiendraitapparemmentlesinstructionsconcernantcettepetiteséancedepose.Jenesuispascensél’ouvriravantquetoietmoi,onsoitàl’intérieur.

−Sérieux?−J’enaipeur.»Maintenant ça devenait officiellement débile. Et plus je laisserais faire, plus je glisserais dans le

piègedeZadie.Maisest-cequej’avaislechoix?ÀtouslescoupsZadiepariaitquej’allaisannulerlaséance.C’étaitsûrementlàtoutl’intérêtdelachose.ÇaluidonneraitenfinunebonneraisondemevirerdesMagpiesetdem’éloignerdeDylan.J’aiprisunegrandeinspiration:

«OK,bonbenj’imaginequ’ondevraitallerchezmoi,alors.Avantquequelqu’unnousrepèreplantéslà.»

Ian a souri. Lui aussi avait l’air soulagé de s’arracher. Il a tendu un bras et incliné la tête, grandseigneur.

«Aprèsvous,madame.»Unefoischezmoi,j’ailaissétombermessacssurlecanapédusalon.«T’asqu’àm’attendrelà,ai-jelancé.Jefilejustelà-hautmechanger.»Jemedisaisquejedevaisaumoinsfaireuneffortpouravoirl’airpotable.Dylanallaitlesvoir,ces

photos.«Onmatepasnotrefeuillederouteavant?−Ahoui,c’estvrai.Àtoil’honneur.»Iladéchirél’enveloppe.«JetteunœilaublogVold’oiseau,a-t-illu.Prendslemêmegenredephotos.»Ilm’aregardée,lefrontplissé.«Unechasseautrésor.Charmant.T’asunordi?»Jel’aiconduitdansmachambre,beaucoupplusenbordelquedansmessouvenirs.J’espéraisquece

n’étaitpasaussicradinguequandDylanétaitpassée laveille.J’aienjambéun tasdefringues,mesuisassiseàmonordietmesuismiseàpasserenrevuelesinnombrablesrésultatsdelarecherche«blogVold’oiseau ». J’ai fini par cliquer sur une adresse et une photo d’Heather s’est ouverte à côté du nomd’HoneyBaxter.C’étaitunesimplephotodesonvisage. Ilyavaitunpetitparagrapheen légende,quidonnait sa ville natale (New York), son âge (soi-disant dix-huit ans) et une phrase au sujet de ses«passions»(lechocolat)etdeses«aversions»(lesloseurs).

J’aiensuitecliquésur saphoto,quim’aconduiteversplusieursautres.Dans lapremière,Heather,soutifpush-upendentelleetculotteassortie,se tenaitpliéeendeux, jambesécartées.Danslasuivanteellesepenchaitenavant,lesmainssurlesnichons,etdansuneautreelleavaitundoigtdanslabouche.Ilyenavaitdouzeautotal,toutesplusoumoinsdumêmegenre:porno.

«Merdealors.−Tul’asdit,c’estdelamerde»,alâchéIan,lesyeuxécarquillés.

Unefoisderetoursurlapaged’accueildublog,j’aivuqu’ilyavaitunepagedephotospourchaquemembredesMagpies,engrosdumêmetonneau.Toutesavaientété«likées»pardescentaines,voiredesmilliersdegens.C’étaitZadiequiavaitleplusde«likes».J’aicliquésurunedesesphotosetplusieursautressontapparuesàl’écran.Ellesétaientparticulièrementflatteuses,ilfallaitbienluireconnaîtreça.En noir et blanc, avec un éclairage clair-obscur très théâtral, elles étaient presque artistiques. Zadieapparaissaitentièrementnuedanschacune,couverteuniquementparsesmains,uneécharpe,uneombre.

«C’estquoil’intérêt?»ademandéIan.Au moins, il n’avait pas semblé particulièrement intéressé par les photos de Zadie. J’ai pris ça

commeunsigne,etmêmeunepreuve,qu’ilnes’étaitrienpasséentreeux.« Jen’en ai aucune idée, ai-je répondu. Jene savaispasqu’elles faisaient…des trucs commeça,

quoi.−Qu’est-cequ’ellesvonttefaire?−Commentça?−Quandtudirasnon?»Sonfronts’estplisséencoredavantage.«Parcequetupeuxquandmêmepassérieusementenvisagerdeparticiperàcetteconnerie.−Non.Enfin,jecroispas.−Tunecroispas?J’auraispenséqueçat’auraitmisemalàl’aise,cegenredetrucs.Vutasituation,

jeveuxdire.−Masituation?−C’estjustequet’es…»Ilsemblaitgêné.«Jesaispas,pluspudiquequecesnanas.Trèsfranchement,c’estuncomplimentdemapart.»Sylvia avait été raconter à IanGreene que j’étais vierge.Oh là là, c’était pire qu’humiliant. Sans

compterquecen’étaitmêmeplusd’actualité.Jemesuisdétournéeetj’aireportémonattentionsurl’écrand’ordinateur.J’airetenumonsouffleen

cliquantsur leprofildeDylan.Elleétaitmagnifiquesurcesphotos,évidemment.Mais ilyavaitautrechosequilesfaisaitsortirdulot.Unetristessequilesrendaitàlafoisdifficilesàregarderetimpossiblesàquitterdesyeux.Ellen’avaitpasplusenviedejouerlejeuquemoi.C’étaitZadiequil’yavaitobligée.

«Turetournesencours?»ademandéIan.Ilrassemblaitsesaffaires.«Perso,j’aipasencoretrouvécommentrentrerincognito.Tupourraispeut-êtrem’aider.»Commeilsedirigeaitverslaporteavecsonénormeappareildanslesmains,j’aisentiquequelque

chose était en train dem’échapper.Coincée du cul, Crazy Eyes, coincée du cul. Même si Zadie nem’éjectaitpasdesMagpies−etc’étaitungrandsi−,Dylanrisquaitdesesentirjugéesijenepostaispasmesphotosàmontour.Etsiellenevoulaitplussortiravecmoiàcausedeça?

«Attends»,ai-jelancéalorsqu’ilétaitpresqueàlaporte.Ils’estarrêtésansmeregarder.«Jeveuxlefaire.»Ils’estlentementretourné.« T’as pas besoin de ces filles, Amelia, a-t-il murmuré, l’air déçu. Sylvia a raison. C’est une

montagnedeconneries,cesclubs.»J’aihaussélesépaules.«C’estpaspourellesquejelefais.−EtSylvia,alors?Jesuispassûrqu’ellekiffequejevoiesameilleurepoteenpetiteculotte.

−Hum,ouais.»Jeréfléchissais.Évidemment,ilavaitraison.«Enpluselletesoupçonnedéjàdelatromper.Tulesais,non?−Oui,a-t-ilréponduenhochantlatêtesansmequitterdesyeux.Jelesais.»Pas:Yapasmoyen!ouC’estcomplètementdébile!Juste:Jelesais.Ilauraitaussibienpumedire

avecqui il couchait.Mais cen’était pasZadie.Ledésintérêt qu’il avaitmontrépour sesphotosm’enavaitconvaincue,àmoinsqu’ilnes’ysoitpasintéresséparcequ’ill’avaitdéjàvuecommeçaenvrai.Pourtantildevaitavoirmeilleurgoûtqueça,obligé.Zadieétaittellementprévisible.

Nonmaispourquoiavais-jeétéluidireça?Çacraignaitdéjàassezquejesachequ’ilfaisaitpartiedesWolf’sGate,etmaintenantjesavaisuntrucàsonsujet−enfinpeut-être−quejen’avaisvraimentpas envie de savoir. J’étais tellement persuadée qu’il ne trompait pasSylvia que çam’avait paru uneremarqueparfaitementinoffensive.Jem’étaisditqueluietmoi,onseseraitmarrésunboncoupdevantlastupiditédeSylvia.Pointbarre.Jamaisdelaviejen’auraiscruque,engros,ilallaitmeleconfirmer.

Raisondepluspourmettre leholààcesconneriesdephotos.Saufqueplus lesminutespassaient,plusj’avaisl’impressionquec’étaitimpossible.Aucunedesraisonsquijustifiaientmonpassageàl’acten’avaitchangé.

«Sylvias’enfoutraquetuaiespriscesphotos»,ai-jedit.Record dumensonge battu. Bien sûr que non elle ne s’en foutrait pas. Je pariais juste sur le fait

qu’elleneledécouvriraitjamais.«Jesuisgay,Ian.Lesmecs,çam’intéressemêmepas.»Gay.J’avaisunpeuletournis.C’étaitlapremièrefoisquejeledisaishautetfortàquelqu’un.Même

Dylanetmoi:onfaisaitcequ’onfaisait,maisonn’enparlaitpas.Pascommeça.«Oh.»Ilalégèrementbasculélatêteenarrière,puisaeuunpetitsouriregêné.«D’accord.Enfin,cool.C’estsuperpourtoi.»Etvoilà,c’étaitpublic.Jel’avaisditàquelqu’un−IanGreene,rienqueça−etlemonden’avaitpas

voléenéclats.Matêten’avaitpasexploséet Iann’avaitpasdisparudansunnuagedefumée.Dingue.J’avaisl’impressiondepouvoirvoler.

«Sylvianelesaitpasencore,alorsneluidisrien,s’ilteplaît.»Quisait,peut-êtrequ’ellesefoutraiteffectivementdecesphotosquandellesauraitquejesuisgay.

C’étaitpossible.«J’ail’intentiondeluiannoncermoi-mêmequandj’auraitrouvélebonmoment.−Oui.Oui,biensûr.−S’ilteplaît,Ian,ilfautquejefassecesphotos.»JemesuisefforcéedechasserSylvialeplusloinpossibledemonesprit.Carnonseulementjefaisais

cetrucavecsonpetitcopain,maisjedemandaisaussiàcedernierdeluimentir.Celadit,sinosrôlesavaientétéinversés,ellem’auraitprobablementfaitlemêmecoup.Elleétaitprêteàtoutpourgarderlemecqu’ellekiffait.Certeslasituationn’enétaitpaspluslégitime,maisdefaitellemesemblaitunpeumoinsabusée.

«Etc’estimpossiblesanstonaide.»Ilaprisunegrandeinspiration,expiré,lesjouesgonflées,puisasecouélatête,lesyeuxrivéssurla

moquette.Manifestement,mêmeIanleDonJuanavaitdeslimitesqu’iln’avaitpastrèsenviedefranchir.«D’accord,a-t-ilfinipardire,passuperemballé.Maistumerevaudrasça.»

AMELIA

18OCTOBRE,12H02

AMELIAsalut!bienoubien?!

BENtuveuxtelajouercommeça?…

AMELIAtvnr.gfaitquoi?

BENrien

AMELIAtumefaislecoupdumur2silence?

BENécoute,toccupée.Jecomprends.t’as1meufmaintenant.msçafaitjamaisplaisird’ê

jetésurleborddelarouteAMELIAt’asraison,désolée.Jevoulaispasteblesser.reamis?

BENOK.amisprlavie

18OCTOBRE,12H16

AMELIAgoublié2tedemander.etcetype2l’équipe2footalors?

BENmerci2poserlaquestion.enfaitila1copineà«l’internat»

AMELIApasencoresortiduplacard?

BENgrave;tul’asditàSylvia?

AMELIAjeluiaiditkilfallaitkonparle,msaprèslm’aplantéeprIan

BENtul’asditàtamère?

AMELIApasencore;lestrentréesupertard,commed’hab

BEN

fautketuledisesàqq1,tutesentirasmieuxaprèsAMELIAqdest-cekonsevoit?jecroyaisketuvenaisàNYC?fautvraimentvraimentkejete

voie!fautkonserencontre!6nonjevaisfinirparmedemandersitufaisexprès2m’éviter;)BENjpense,tuserasla1reaucourant,xoxo

AMELIAxoxoxo

KATE

19JUILLET1997

Quandjemesuisréveilléecematin,j’étaisarrivéeàmeconvaincrequetoutçan’étaitqu’unrêve.Quejel’avaisinventé.Parcequ’iln’yavaitpasmoyenquej’aiepufaireuntrucpareil.Pasmoi.

Maissi,c’étaitmoi.Cemoiquejedéteste.Alorsjemesuisfaitporterpâleauboulotetj’aipasséla journéeau lit. Jene retourneraipeut-être jamais travailler. Ilspeuventbienme faireune faussepropositiond’embaucheoupasdepropositiondutout.Jen’enaiplusrienàfaire.

Jemérited’êtreauchômageàvie.

22JUILLET1997

À:KateBaronDe:DanielMooreObjet:?

T’espasséeoù?T’asratéunesupersoiréedestagiaireshiersoir,etpourtanttusaisàquelpointjelesméprise.VisiteprivéedelaBoursedeNewYorkaprèssafermeture.C’étaitdu lourd.EnsuitedînerchezCipriani. Je te ledis,Kate, c’étaitLAsoiréeànepaslouper.Porte-toimieux.D

KATE

28NOVEMBRE

Àtraverslesfenêtresdesonsalon,Kateregardalesoleilselever,enveloppantlemonded’ungrismorne,puisd’unrosesourd.Elleavaitveillé toute lanuit.Elleétait restéepelotonnéesursoncanapélongtempsaprèsledépartdeSeth,àcontemplersonportableenfoncédanslecoussindufauteuil,làoùellel’avaitlancéaprèsqueSethluiavaitlucederniertextomonstrueux.

L’aubevenue,elleavaitparcourupresquelatotalitédesdossiersqueDuncanluiavaitenvoyés,àpartles textos d’Amelia, dont elle avait repoussé la lecture jusqu’au bout. Elle avait prévu de s’y attelerquand elle s’y sentirait prête. Jusqu’aumoment où elle s’était enfin rendu compte qu’elle ne le seraitjamais.

Ellevoulaitlireenprioritélesmessagesqu’Ameliaavaitreçusausujetdesonpère.Lefaitqu’ellesaient toutes lesdeuxreçudes textosàproposdespartenairessexuelsdeKatenesemblaitpasêtreunecoïncidence.Hélas,retrouvercesfameuxmessagesserévélaplusfacileàdirequ’àfaire.Lesrubriques«Inconnu»et«Numéromasqué»étaientinterminables.Ellepassavingtminutesàépluchercespagesavantdefinirpartrouvercequ’ellecherchait.

Tamamanétaitunebriseusedefoyer.Tonpapaestunepute.Mon Dieu. Sylvia n’avait rien dit qui aurait pu la préparer à découvrir de telles horreurs. Kate

s’imaginaitsansmalcequ’Ameliaavaitdûressentirenlerecevant.Delahonte,assurément.Unehonteoùellen’avaitmêmepasdepart.

Kate poursuivit son travail en essayant de se débarrasser de l’horrible brûlure qui lui perforaitl’estomac. Il y avait un salmigondis de textos sans intérêt, de rappels du lycée, de messages banalsenvoyéspardesamisennumérosmasqués. Ilyavaitaussid’étranges référencesàMaggie,engénéralsuivies d’un numéro, pourtant il n’y avait aucune Maggie dans le répertoire d’Amelia. Kate ne serappelaitpasavoirjamaisentenduAmeliaenmentionnerunenonplus.Àforcedeliretouscesmessagesdépourvus de signification, elle commençait à avoir la vue trouble.Certes, elle avait à peine fait unebrèchedanslestextosanonymes,maiselleavaitbesoind’unepause.

Ellepassaalors auxéchangesavecBen. Il y enavait aussibeaucoup, elle se retrouvadoncvite àpiocherauhasard,de-cide-là:elleenlisaitcertains,ensurvolaitd’autres,ensautaitplusieursd’affilée.Cettefaçononnepeutmoinsméthodiquedeprocéderrisquaitdeluifaireraterdesinformations.Peut-êtrequ’unepetitepartied’ellevoulaitqu’ilensoitainsi.Elleredoutaittoujoursdetoutsavoir,dumoinsd’unseulcoup.Etpuiscesmessagesétaienttellementinnombrablesqu’illuiauraitfalludesjoursentierspourleslireunparunsansexception:ellen’avaitd’autrechoixquedefaireuntri.

Aumoinslestextosques’étaientéchangésAmeliaetBenétaienttendres,chaleureuxetencourageants.En les lisant,Kateneput s’empêcherde tomberunpeu amoureusede ceBen, qu’importequi il était.LamanièreétrangedontAmeliaavaitfaitsaconnaissancesemblaitbeaucoupmoinsimporterquelefaitqu’il se soitmontré un ami véritablement bon avec elle.Même comparé à Sylvia.Car les deux fillesavaientbeaumanifestement s’adorer, c’étaitSylviaqui tenait lehautdupavé.Onauraitditqu’Amelia

avaitpartagédavantagedesecretsavecBen,surtoutausujetdecegarçonnomméDylanqu’Amelia,peut-être,aimaitbien.C’étaitaussiunsoulagementdevoircommentAmeliaparlaitdeDylan:nerveuse,unpeugênée,grisée.Jeune.Pasdutoutcommejenesaisquelletraînéequifaitl’articledesesattributssurlatoile.

Kate délaissa les textos deBen pour lire quelques-uns de ceux qu’Amelia avait échangés avec ceDylan, en s’efforçant de suivre la piste sinueuse de la vie de sa fille. Aucun d’eux, bien sûr, n’étaitformulé aussi clairement que Kate l’aurait espéré. D’ailleurs ils n’étaient même pas écrits en touteslettres.PasmêmelesnombreusesréférencesàMaggien°1,Maggien°2,etc.,dontlestextosdeDylanétaient truffés. Il s’agissait de noms de code, Kate l’avait compris sans toutefois savoir à qui ils seréféraientnipourquoiilsétaientemployés.Cedontelleétaitsûre,c’estqu’ilyavaiteuquelquechosederomantiqueentreDylanetAmelia,sérieuxoupas,cen’étaitpasclair.Touslesdeuxavaientprévudesevoiraumoinsunefoisenpleinmilieud’unejournéedecours,autrementditilpouvaits’agirdugarçonque Kelsey avait aperçu. C’était possible : voilà tout ce que Kate pouvait affirmer avec certitude.Évidemment,pluselleplongeaitdanslaviedesafille,plusellesedisaitquetoutétaitpossible.

«Jen’aipasenviequ’onsefocaliselà-dessus»,expliquaKateentendantsonportableàLewquand

ilarrivaenfinchezelledeuxheuresplus tard.«Maispourriez-vousajouterce textoàceuxdontvotreéquipechercheà identifier l’expéditeur?Lesmessagessemblentgagnerenagressivité.Etpuis j’enaiaussi trouvéunqu’Amelia a reçuau sujetde sonpère.Ce serait biende savoirqui a envoyécelui-làaussi.»

LewétudialeportabledeKateenhochantlentementlatête.Là,danssonsalon,auxcôtésd’unLewdouchédefrais,Kateserenditbrusquementcomptequ’elledevaitavoirl’airvraimentminée:épuisée,paslavée,toujoursdanslesmêmesvêtements.Ellenes’étaitmêmepasencorebrossélesdents.

« Jedemanderai au service informatiqued’y jeter unœil, réponditLew. J’enprofiterai aussi pourvoiroùilsensontdansleurboulotsurlestextosprécédents.Ilsavancentsacrémentpluslentementqueceque jevoudrais.Enmême temps,notre service informatiquesecomposeen toutetpour toutd’un typeavec un vieuxPCqui bosse pour toutes les circonscriptions deBrooklyn. Je vais essayer d’accélérerl’assignationdel’opérateurtéléphonique.»

Ilpritunegrandeinspiration.«Maintenant,vulateneurdecenouveaumessage,jecroisqu’ilesttempsquevousm’expliquiezqui

estlepèred’Amelia.»Lew,avecsessixpetits-enfantsetsafemmemaladedontils’occupaitsiattentivement,étaitvraiment

quelqu’un de bien. Il n’avait probablement jamais couché avec la mauvaise personne. Il n’auraitcertainement jamaismentiàsespropresenfants.Elle ledévisageaunmoment,ensedemandantsiellepourraitréussiràéchapperpluslongtempsàsonvilainpetitsecret.Maisellesavaitdéjàquelaréponseétaitnon.Etqueçaauraitdûêtrenondepuislongtempsdéjà.

«D’accord»,finit-ellepardireenselaissanttombersurlecanapé,lesyeuxrivéssursesmains.Seth était la seule autre personne à connaître la vérité. Kate avait toujours su qu’elle allait

probablementdevoirfinirparladireàLew,maisçanerendaitpaslachoseplusaiséepourautant.« Il s’appelle DanielMoore, parvint-elle enfin à articuler. On était à la fac de droit ensemble et

iltravaille−ouplutôttravaillait−dansmoncabinet.Cen’estpasquelqu’undetrèssympathique.−Est-ilaucourantpourAmelia?−Non.»Elleparlaitd’unevoixtendue,hautperchée.Celled’unementeuse.«Enfinsi.IlestaucourantpourAmelia,maisilignorequec’étaitsafille.

−Ilnes’enestjamaisdouté?− Si, sûrement. Mais il ne m’a rien demandé. Pour tout dire, j’aurais menti s’il m’avait posé la

question.»Ellen’arrivaitmêmepasàregarderLewdanslesyeux.«Nousavionsrompunotreespècedeliaisonavantmêmequejedécouvrequej’étaisenceinte.Daniel

alongtempsgardésesdistancesaprèslanaissanced’Amelia.Ilcraignaitpeut-êtrequejechanged’avisetquejememetteàexigerdeschosesdelui.

−Etvousn’avezjamaisparlédeluiàAmelia?»Katesecoualatête.«Jesaiscequevousdevezpenser.MaisDanieln’estpasunbon…nousn’étions…Cen’estpasle

genred’hommequej’auraisvoulucommepèrepourAmelia.Alorsj’imaginequej’aisimplementfaitensortequ’ilnelesoitpas.Jenesuispasfièredemoi,maisnousn’avonsjamaiseudevéritablerelation.C’était une histoire de sexe entre deux personnes qui ne s’appréciaient même pas vraiment. Nous nepouvionspasavoirunbébéensemble.Pourtantjelavoulais,mafille.Etjen’avaispasenviequeDanielessaiedeme convaincred’avorter, choseque, le connaissant, il n’aurait pasmanquéde faire.Ensuiteils’estmariéquelquesannéesaprèslanaissanced’Amelia,etçan’auraitpasétéjustedeleluirévéleràce moment-là. Il est divorcé à présent, mais je ne peux franchement pas lui dire la vérité au sujetd’Ameliamaintenantqu’elleestmorte.

− Bon, nous pouvons laisser ce sujet de côté pour lemoment, j’imagine.Mais si on commence àsoupçonnerqu’Ameliaétaitencontactaveclui,nousallonsdevoirluiparler.

−OhmonDieu,vousnepensezpas…»Lewsecoualatête.«Jepensequ’ilestbeaucoupplusprobablequelamortd’Ameliasoitliéeàça.»Ilbranditundossierrouge.«J’aicomparélesphotosdesfillesdugroupeVold’oiseauaveccellesdulivretd’accueil.»Ilouvritlachemiseetensortitunesimplefeuille.Dessusfiguraituntableauimpeccable:lenomdes

filles,leuradresseetlenomdeleursparents.«CesonttoutesdesélèvesdeGraceHall,enmajoritédesterminales.Ellessontvingt-deuxautotal.−Exactementlemêmenombrequelesmessagesdehaine,commentaKate.Jecroisqu’ilestpossible

qu’AmeliaemploieletermeMaggiedanssestextospourfaireréférenceàtoutescesfilles.Cenom,suividetoutuntasdenumérosdifférents,revientsanscesse.

−Possible.Entoutcas,jecroisqu’ilesttempsqu’oninterrogelelycée.»DanslefraisvestibuleenpierresdeGraceHallsetrouvaitungardienassisàungrosbureauenbois

devantunordinateur.Âgé,ilavaitlapaupièretombante.L’écrandonnaitàsonvisagejouffluetflasqueuneteintebleutée.Onlisait«WillFinkle»sursonbadge.

«Jepeuxvousaider?demanda-t-ilparesseusement,lesyeuxrivéssurl’ordinateur.−Nousvoudrionsvoirleproviseur.»Lewluimontralestementsacarte,gestequi,pourlapremièrefoisdepuisqueKatel’avaitrencontré,

lefitressembleràunvraipolicier.«C’estausujetdel’élèvequiestmorteiciilyaquelquessemaines.−Sansblague»,répliquasèchementlegardien,commes’ils’étaitlasséd’attendrequequelqu’unse

pointepourposerdesquestionsàcesujet.IlcroisaleregarddeKate.Illareconnut,elleenétaitsûre.Maisçaneluiposaitaucunproblèmede

fairecommesiderienn’était.

«Fautd’abordquejevoievospapiersd’identité.»KateallapêchersonpermisdeconduiredanssonsactandisqueLewprésentaitsacarte.Legardien

yjetaunœilentapantlaborieusementlesinformationssursonordinateur.«Signezici»,lança-t-ilquandileutenfinterminé,désignantunepetitefenêtreélectroniqueprévueà

ceteffet.Deuxsecondesplustard,uneimprimanteminiaturecrachaitdeuxpassvisiteurs.« C’est sacrément à la pointe au niveau sécurité pour un lycée, commenta Lew en montrant

l’ordinateurd’unsignedetête.−Quandonadel’argentàplussavoirqu’enfaire,ontrouvelemoyendel’utiliser.−C’estnouveau?−Peut-êtretroissemainespourl’ordinateur…lasemainedernièreilsontajoutéça.»Ildésignaderrièreluiunboîtierdestinéàpasserlescartesmagnétiques.«Voussavezcombienyadegaminsquioublientcesfichuescartes?Chaquematinjedoismelever

demachaisecinquanteousoixantefoispourouvrircettesatanéeporte.−Pourquoicesmesures?−Àvousdemeledire.C’estvousquiêteslàausujetd’uneélèvemorte.»Commeilssedirigeaientverslebureauprincipal,l’odeurfloralecapiteuseduhalld’entréedonnala

nausée à Kate. Deux majestueux escaliers en bois s’élevaient en courbe devant une jolie commode−d’apparenceancienne,sansêtreprécieuse−surmontéed’unénormebouquetdefleurs.Au-dessusétaitaccrochéuntableauquiauraitfortbienpuêtreunoriginaldePicasso.Unegigantesquephotoennoiretblancd’unedanseusevoluptueuseen tenue légèreassisedansune logecrasseuseoccupait lemurd’enface.

LewetKatesetenaientcôteàcôtedevantcettephoto,lisantlecartel:«DianeArbus,comédienneburlesquedanssaloge,AtlanticCity,NJ,1963.DondelafamilleGreene».C’étaitnouveau.CertesKaten’était pas venue très souvent au lycée,mais elle se serait souvenue d’une photo pareille.D’un côté,l’emplacement audacieux réservé à cette œuvre ultraréaliste concordait à merveille avec la fibreprogressistedeGraceHall,del’autreilsemblaittotalementdéplacé.Surtoutdanscescirconstances.

«Pensez-vousquecerenforcementdelasécuritésignifiequelquechose?»demandaKate.Lewfronçalessourcils.«Difficileàdire.»Ilcontemplaittoujourslaphoto.Luinonplusnelavoyaitpasd’unbonœil.«Ondiraitqu’ilscachentquelquechose,ajouta-t-il.Peut-êtresimplementleurmauvaiseconscience.−MadameBaron!»lançaalorsquelqu’unauboutducouloir.Unevoixstridente.Ilsseretournèrent :unefemmed’unecinquantained’annéesparcourait lecouloird’unpasvif ;ses

cheveuxgrisonnantsétaientrelevés,etelleportaituntailleurajustéentweed.MmePearl.SiKaten’étaitpas capable de visualiser Woodhouse très clairement, en revanche Mme Pearl lui avait laissé uneimpressionindélébile.Etpasparticulièrementflatteuse.

«Sinousavionssuquevousalliezvenir,nousaurionsenvoyéquelqu’unvousaccueillir,lança-t-elleenregardantostensiblementKateavantdetendreunemainridéeàLew.MadamePearl,laCPEdeGraceHall.

−InspecteurLewThompson»,dit-ilenluiserrantvigoureusementlamain.MmePearl les dévisagea encore unmoment, comme si elle attendait une explication quant à cette

visitesurprise.Aucunenevenait,etelleeutunsourirecrispé.

«J’aibienpeurqueM.Woodhousenesoitmêmepas là. Ilassisteàuneconférencesur lesécolesindépendantesàBoston.Ilseraderetourdemain.Sivouslesouhaitez, jepeuxprendreunrendez-vousafinquevouspuissiezrevenir…

−Çanepeutpasattendre»,coupaKateencherchantàs’emparerdelachemisequetenaitLew.Il la lui céda de mauvaise grâce. Il avait clairement stipulé que c’était lui qui devait mener la

discussion.MaisenrevoyantMmePearl,Kate,soudainhorsd’elle,neputsecontenir.Elleluitenditlachemise.

«Pardon,dequois’agit-il?demandaMmePearlenjetantunrapidecoupd’œilaudossiersanss’enemparer.

–C’estunelistedesfillesquisetrouvaientdansjenesaisquelclubavecAmelia»,expliquaKateenrapprochantlachemisedelaCPEaupointdepresqueluienenfonceruncoindanslesternum.

Savoixvibraitdecolère.D’ailleurs,cen’estquemaintenantqu’elleprenaitconscienced’envouloiràcepointàl’administrationdulycée.Qu’avaient-ilsfaitpourempêchercesgaminesdeseréunirenuneespècedecercleporno?Ilsnepouvaientguèrealléguerunmanquedemoyens.

«Ellesontpostédesphotosd’ellesàmoitiénuessurunblog.»Mme Pearl recula d’un pas, levant lesmains devant sa poitrine, oùKate s’étaitmise à planter la

chemise.«Ladécouverted’unetelleinformationasansnuldouteétébouleversante,réponditlaCPEd’unton

doucereux,maisvousimaginezbienqueGraceHalln’estpasenmesuredecontrôler−nimatériellementnilégalement−cequefontlesenfantsendehorsdel’enceintedulycée.

−Endehorsdel’enceintedulycée?EllesfontçasurInternet,aboyaKate.Çanesepassenullepartenparticulier.EtjecroisaussiquecesfillesharcelaientAmelia.J’aitrouvédesmessageshaineuxdanssachambre,etjeviensseulementdecommencerletridesestextos.Dieuseulsaitcequejevaisencoredécouvrir.Leharcèlementestsansnuldoutecontraireaurèglement,peuimporteoùilalieu.»

Kateavaitconsciencequel’emploidecetermetransformaitinstantanémentcetteconversationenunsujetbrûlant.Maiselleétait contente.Ellevoulaitqu’on l’écoute.Etcette fois-ci, elleallait tout fairepour.

«Harcelée?répétaMmePearl,unpeusurpriseettrèssceptique.C’estlàuneallégationextrêmementgrave,madameBaron.J’imaginequevousavezdespreuves?

−Ameliaestmorte,rétorquaKate.Çamesemblepasmalcommepreuve.−Inspecteur.»MmePearlbattitdespaupièresenreportantsonattentionsurLew,commesiellecherchaitlavoixde

laraison.«Jecroyaisquelapoliceavaitconcluausuicidedanslecasdelamortd’Amelia.D’ailleurs,nous

sommesentraind’organiserunegrandeopérationdesensibilisationausuicideensonhonneurquiauralieudansunesemaine.Lebutseradecollecterdesfondspouruncentred’appeld’urgencenational.Êtes-vousmaintenantentraindemedirequ’ellenes’estpassuicidée?

−Desquestionsseposent,réponditLew.Desquestionssubstantielles.−Uneopérationdesensibilisationausuicide?s’insurgeaKate.J’avaisdemandéàunreprésentantde

parentsd’attendre.»MmePearlfronçalessourcils.«Mafoi,jenesuispasaucourant,entoutcasl’opérationestprévuepourvendrediprochain.Sivous

avezd’autresquestions,jevoussuggèredeprendrecontactavecl’associationparents-profs.Quantàcesoi-disant harcèlement, j’ai bien peur que vous deviez attendre le retour de M. Woodhouse pour endiscuter.»

Kate s’apprêtait à la rabrouervertementquand lamaindeLews’abattit sur sonbras, interrompantaussitôtsongeste.

« Parfait, dit-il àMmePearl.Nous pouvons attendre.Dans l’intervalle, nous aimerions égalementnousentreteniraveclaprofesseured’anglaisd’Amelia.»

MmePearlcroisa lesbrasetplissa lesyeuxcommepourévaluercequi luiencoûteraitderefuserégalementcetterequête.

«Çanedevraitpasposerdeproblème,finit-ellepardire.Sielleestdisponible.»

Dixminutesplus tard, leurs troispairesdepiedsrésonnaientbruyammentdans lecouloirenpierre

tandisqueMmePearllesconduisaitversunepetitesalled’attentejouxtantlebureaudeLiv.«Attendezici,intima-t-elleendésignantlesquelquesmeubles:deuxfauteuilsàaccoudoirsetdeux

guéridons.Livdevraitbientôtsortir.Maintenant,sijenepeuxriend’autrepourvous,ilfautvraimentquejeretournetravailler.»

Ellesedirigeaverssonbureausansattendreleurréponse.«Enfaitilyaautrechose,MmePearl»,lançaLew.Ellefitvolte-faceenappuisuruntalon,leslèvrespincées.«Oui,inspecteur.−Lenouveausystèmedesécuritéàl’entrée,est-ceenréactionàlamortd’Amelia?−Pasenréaction,inspecteur,non»,répondit-ellefroidement.Ellevoyaitparfaitementoùilvoulaitenvenir.«Maisvousimaginezbienquelamortd’unenfant,mêmequandils’agitd’unsuicide,rappelleàtous

les parents la vulnérabilité de leur progéniture. Quant à savoir si le lien de cause à effet est plusimportant que ça, il faudra poser la question vous-même aux membres du conseil d’établissement,inspecteur.C’esteuxquisesontoccupésdecesnouvellesmesuresdesécurité.

−Jeseraisravideleurenparler.Ilmefautjusteleursnoms.»MmePearlrevintsursespasets’emparad’unebrochuredulycéeausommetd’unepileposéesurune

tablebassenonloindelà.EllelatenditàLew.« Leurs noms sont juste là, au dos, dit-elle.On pourra vous fournir leurs numéros de téléphone à

l’accueil.Maintenant,sivousavezd’autresquestions,jevoussuggèredelesadresseràM.Woodhouse.Etdeprendrerendez-vous.»

CommeMmePearls’éloignaitd’unpasénergique,Lews’assit,ouvritlabrochuresursesgenouxetsortit son tableaudesmembresdeVold’oiseau. Il suivaitdudoigt la listedesnoms tandisquesa têteeffectuaitunmouvementdeva-et-vient.Ils’arrêtaàpeuprèsaumilieuetlevalesyeux.

«Qu’ya-t-il?demandaKate.−C’estunedesfilles,ZadieGoodwin−Lewluitenditlaliste−,regardezlenomdefamilledeson

père,ouplutôtdesonbeau-père,jesuppose.»Kates’emparadelafeuilleetparcourutlesnoms.Zadie.Ameliaenavait-elleparlé?Avait-elleluce

nomdanssestextos?Ellenepensaitpas,etpourtantellel’avaitdéjàentenduquelquepart.Ellefinitparletrouverenfindeliste:ZadieGoodwin.Père:FrankS.Carmon.

«C’estlenomdelaboîteoùMolinaestpartitravailler,non?demandaKate.Pensez-vousqueFrankCarmonsoitlamêmepersonne?CarmonIndustries?

−J’ensuissûr.−Vousêtessérieux?

−FrankCarmonestunancienflic.Ils’étaittailléuneréputation,etpasfranchementbonne.Bref,ilaraccrochéilyaplusdedixanspourlancerCarmonIndustries.

− Pensez-vous qu’il s’agisse d’une coïncidence que ce soit justement là où Molina soit partitravailler?

−Non,répondit-ilencroisantsonregard.Jenepensepas.»Katereportasonattentionsurlebasdutableau,oùellecherchalenomdelamèredeZadie:Adele

Goodwin.«OhmonDieu»,murmura-t-elle.C’étaitlàqu’elleavaitentendulenomdeZadie.« Sa mère est venue chez moi. C’est elle qui fait le forcing pour organiser cette opération de

sensibilisation.»Ilyeutalorsuncliquetissuivid’unbipetlaportedel’aileouestdulycées’ouvrit.Unejoliefemme,

proche de la trentaine, aux traits délicats et aux longs cheveux blonds très raides passa la tête parl’ouverture.Elleportaitdegrandesbottesencuiretunerobecourtetrèsannées60.Elles’appuyacontrelebattantafindelemaintenirouvert,cartemagnétiqueenmain.

«MadameBaron?demanda-t-elleavecunsourirehésitant.−Oui.»Kateselevad’unbond,commesiellevenaitàsontourd’êtresurpriseàtricher.«Liv.»Lajeunefemmetenditsamainlibre.«Jesuisvraimentdésoléedevousavoirfaitattendre.Nousnesommestoujourspashabituésàtoutes

cesportesfermées.−Cen’estpasgrave.Jevousprésentel’inspecteurLewThompson.Ilm’aideàenquêtersurlamort

d’Amelia.−Oh, je ne savaispasque lapolice était denouveau impliquée, répondit-elle, prise audépourvu.

MmePearlnem’enavaitpasparlé.−Çanevousdérangepas?demandaKatesanssavoircequ’elleferaitencasderéponsenégative.

Voyez-vousuneobjectionàcequeLewnousaccompagne?− Oh non, bien sûr que non, répondit Liv, gênée, tandis qu’elle tendait la main à Lew. J’étais

simplementsurprise,c’esttout.Enchantée,inspecteur.Venezparici,jevousprie.»LebureaudeLivétaituncouloir justeassezlargepourcontenirunbureau,uneseulechaiseétroite

destinéeauxvisiteursetquatrerayonnagesdelivres.Deuxétagèresdémontéesétaientappuyéescontreunmur.Uneautreétaitgarniedephotosencadrées,disposéesavecsoinlégèrementenquinconce,selonunschémaplaisant.Livsetrouvaitdanslaplupartd’entreelles−enrandonnée,envélo,envoyage−avecdesamis,dontpeut-êtredespetitscopains,deshommesjeunesarborantdesrouflaquettesciseléesetungoûtprononcépourlemotifécossais.

«Jesais.C’esttrop,commentaLivendésignantlescadres.Lesgaminssemoquentdemoi.Ilssonttoujourslààmedirequej’essaiedemecomportercommeeux.»

Ellehaussalesépaulesenregardantlesphotos.«C’estpeut-êtrevrai.Onnepeutpass’empêcherd’êtresoi.»LaraisonpourlaquelleAmeliaaimaittantLivétaitdéjàévidente.«Non,confirmaKate.Onnepeutpas.−Etdésoléedenepasavoirdequoivousfaireasseoir.»ElleadressaunsigneàLewqui,fautedechaise,s’étaitadosséaumur.

«Lesbureauxsontattribuésenfonctiondel’ancienneté.Ceplacardvousmontredoncquejesuislàdepuisquatreans,etqu’iln’yapasbeaucoupdeturn-overparmilesenseignantsàGraceHall.

−Non,c’esttrèsbien,larassuraKate.Mercid’avoiracceptédenousrecevoir.−Sijepeuxfairequoiquecesoit,ditLiv.Ameliacomptaitparmilesélèvespréférésdemacarrière:

créative,drôleetterriblementperspicace.C’étaitparfoisdurdelasuivre.»Elle eut un petit rire puis secoua la tête et fronça les sourcils, comme si elle venait juste de se

rappelerqu’Ameliaétaitmorte.Quandellerelevalatête,elleavaitleslarmesauxyeux.«Désolée.»Elleessuyaseslarmes.«Jesuissûrequevousn’êtespasvenuslàpourmevoircraquer.»Etc’étaitvrai.Livn’avaitpas ledroitdepleurer.Pasquandelleétait si jeune,si jolieetvouéeà

avoir un jour toute une tripotée de bébés. Pas quand la seule et unique enfant queKate serait jamaissusceptibled’avoirétaitmorte.SousleregardpesantdeKate,Livreniflaitbruyammentetsetamponnaitles yeux à l’aide d’unmouchoir. Kate ferma la bouche, de peur qu’une remarquemalheureuse ne luiéchappe.Quelquechosecomme:Sivousn’aviezpasdénoncémafillepourtricherie,riendetoutçaneserait arrivé. Elle n’y croyait pas vraiment, du moins pas totalement, mais quand même, ça l’auraitsoulagéedeledire.

« Peut-être pourrions-nous commencer par cette dissertation qu’Amelia a été accusée d’avoirplagiée»,suggéraLew.

Ilouvritsachemiserouge,d’oùilsortitlesdeuxdissertationsqueKateavaittrouvées.«L’unedecesdissertations,cellequiportevosannotations,étaitdanslesacd’Amelia.L’autre,dans

sonordinateur.»Ildéposa lesdeuxdevoirscôteàcôte sur lebureau.Liv les feuilleta, l’airconcentrée.Quandelle

relevaenfinlatête,elleavaitlesyeuxécarquillés.« Celle qui porte mes commentaires est celle que m’a rendue Amelia, c’est celle dont certaines

partiesontétécopiées»,dit-elled’unevoixprécipitéeetlégèrementangoissée.On aurait dit qu’elle avait été jusqu’à présent persuadée d’avoir raison, mais qu’elle paniquait

désormaisàl’idéequecenesoitpaslecas.«Etjetiensàêtreclaire,ilnes’agissaitpaslàdesimpleparaphraseoud’uneseulephraserecopiée.

Jamais jen’auraisdénoncéuneélèvecommeAmeliapourunechosepareille.LamajeurepartiedesadissertationavaitétépompéedirectementdansuntraitéuniversitairesurVirginiaWoolf.Jen’avaispaslechoix.

−Etcetteautredissertation?demandaLew.Vousnel’avezjamaisvue?−Non,affirma-t-ellevivementenlaparcourantdesyeux.Àmongrandregret.Çam’al’aird’êtreun

travaildequalité.Enfin,jenepeuxpasdéterminersic’estduplagiatd’unsimplecoupd’œil:ilexistedesmilliersdesourcessurVirginiaWoolf.Entoutcasc’estundevoirquimeparaîtoriginaletcréatif,c’estexactementlegenredechosequ’Ameliaauraitécrit.

−Avez-vousvudevosyeuxAmeliavousremettrecettepremièredissertation?demandaKate.Est-ilpossiblequ’ilyaiteujenesaisquelcafouillage?

−ÀGraceHall, les élèves rendent tous leurs travauxpar Internet. Ils se serventd’unemessagerieélectroniquesécurisée,alorsjenevoispascommentilauraitpuyavoiruneerreur.

−Etensuitevouslesimprimez?demandaLew.−Oui,enfin,c’estl’élèvequim’assistequilesouvreetmelesimprime.Encemomentonnousoblige

àvérifier,maismoi, je lespasseau logiciel antiplagiat seulementaprès les avoir lues surpapier,paracquitdeconscience.Jamaisjen’auraispenséquecelogicielmesignaleraitvraimentquelquechose.Et

pourquoiAmelian’aurait-ellepassimplementditqu’ilnes’agissaitpasdesadissertation?Ellearefusédem’expliquerquoiquecesoitquandje luiaidemandédescomptessur lespartiesplagiées.Croyez-moi,jeluiaidemandémillefois.Jel’aipresquesuppliée.

−J’ignorepourquoiAmelianes’estpasexpliquée,commentaLew,celadit, ilmesemblequenousdevrionsaumoinsparleràvotreassistant.

−Oh,d’accord,répondit-elle,l’airnerveuse.Elles’appelleBethany…enfait,avantdevousdonnerson nom de famille,me permettez-vous simplement d’en parler d’abord àDelia,Mme Pearl ? En cemoment à Grace Hall, les restrictions concernant la divulgation d’informations sur les élèves sonttellementstrictesetlessanctionstellementdraconiennesquandondérogeàlarègle.

−Encemoment?s’étonnaLew.−Disonssimplementqu’ilsontréaffirmérécemmentàplusieursreprisescequid’aprèseuxatoujours

été leurpolitiqueenmatièredeconfidentialitévis-à-visdesélèves.Bref, jenepeuxpasfairequelquechosequirisquedemecoûtermaplace.Mêmesijemeplainsdemonbureauetdecertainesrèglesdulycée,jenesuispasencoreprêteàdeveniruneromancièrecrève-la-faim.

−Pasdeproblème.»LewluitenditsacartetoutenglissantàKatelalistedeVold’oiseau,ledoigtsurlenomdeBethany

Kane.«Vouspouvezme joindreà cenuméroune foisquevousaurezdiscuté avecMmePearl.Pourdes

raisonsévidentes,ilfaudrafairevite.»BethanyKanefaisaitpartiedugroupeVold’oiseau.Elleavaitéchangéladissertationd’Ameliasur

Internet,puisavaitimprimélanouvellequ’elleavaitdonnéeàLiv.Vold’oiseauavaitmontécecouppourfairecroirequ’Ameliaavaittriché.Celaimportait-ilencoredesavoircequis’étaitpassélà-hautsurcetoit?Mêmes’ils’avéraitqu’Ameliaavaitsautédesonproprechef−bienqueKatenecroietoujourspasà cette théorie−, elle savait désormais que sa fille avait été harcelée àmort. La seule chose qu’elleignorait encore, c’était pourquoi. Pourquoi ces filles avaient-elles autant détesté Amelia, et ce sisoudainement?

«Oui,réponditLivenexaminantlacarte.Biensûr,jeluiparleraidèsquepossible.−Puis-jevousdemanderautrechose?»Kateparlaitd’unevoixrauqueetrâpeuse.«Biensûr.−Nousavonstrouvéplusieursmotsdansletiroirdubureaud’Ameliaquidisaienttous“Jetehais”.

Écritsparvingt-deuxpersonnesdifférentes.»Ellen’avaitpasenviederévélerlasuite,maisillefallait,ellelesavait.«Et il sembleraitqu’Ameliaétaitmêléeàungroupede fillesquipostaientdesphotos suggestives

d’ellessurInternet.−Desphotossuggestives?»LivsemblaitaussihorrifiéequeKate,cequiétaitàlafoisinquiétantetréconfortant.«Amelia?J’aivraimentdumalàlecroire.Enfin,ilyauntasd’élèvesàGraceHallquin’ontpasla

têtetoutàfaitbienvisséesurlesépaules,maisAmelian’ajamaisfaitpartiedulot.− Donc vous n’avez aucune idée de ce dont il s’agissait ? insista Kate. Le groupe sur Internet

s’appelaitVol d’oiseau. Il semblerait qu’elles avaient des réunions après les cours, des choses de cegenre.Commesiellesappartenaientàuneespècedeclub.»

Liv croisa les bras et baissa les yeux. Le regard fixé sur son bureau, elle secouait la tête. Kates’attendaitàcequ’elleluidisequ’ellen’étaitaucourantderien.

Aulieudecela,Livrépondit,commeenproieàlasouffrance:

«Jesuisdésolée,maisjenepeuxpas.−Vousnepouvezpas?s’exclamaLewd’untonagacéqueKateneluiavaitencorejamaisentendu.–Commejel’aidéjàdit,GraceHallrestreintbeaucoup…−Attendezunpeu,coupaKate,quisentaitsonsang-froidluiéchapper.Ameliaestmorte,cemachin

−peuimportecequec’est−pourraitêtreenlien,etvous,vousmeditesquevoussavezquelquechosemaisquevousnepouvezpasenparler?

− Je suisdésolée, jeperdraismonemploi,murmuraLiv,manifestementdenouveausur lepointdepleurer.Maisvousposezlesbonnesquestions.Jepeuxaumoinsvousdireça.Vousdevriezcontinueràles poser. Allez parler à Phillip Woodhouse. Je sais qu’il voudrait… Enfin, il accepterait de vousrépondre.Ilyatoutecettehistoireentrelui,leconseild’établissementetlesavocats.»

Ellesecoualatêteetbaissalesyeux.«Jesuisdésolée,maisj’enaidéjàditplusquecequej’auraisdû.−MonDieu!»KatedévisageaitLivavecdesyeuxronds.«Etvousêtessérieuse,enplus.»Lewluiposadenouveaulamainsurl’avant-bras.C’étaitunordre.Etmêmesiçaneluiplaisaitpas,

ellesavaitqu’ilavaitraison.SefâcheravecLivnelesmèneraitnullepart.« Nous comprenons, dit Lew. Notre but n’est pas de faire virer qui que ce soit. Nous nous

entretiendronsavecl’administration,maisnousreviendronsensuitevousposerd’autresquestions.−Oui,biensûr.»Elleavaitl’aird’avoirlecœurbrisé.«Jevoudraisvraimentvousaider,jevousassure.−Etceblogàpotinsdulycée,comments’appelait-ildéjà,gracequelquechose?−Oui,gRaCeFULLY.»Livlevalesyeuxaucieletsecoualatête.«Fortheureusementils’estarrêté,dumoinspourlemoment.−Pourquoil’administrationnel’a-t-ellepasinterditplustôt?s’enquitLew.− Ils n’ont jamais réussi à savoir qui se cachait derrière. Ils ont essayé de trouver d’où les posts

étaientenvoyés,maislapersonneenquestiondevaitbienbrouillerlespistes.J’avaisentendudirequ’ilsavaientembauchéunexpertensécuritéinformatiquepourlesaider.Celadit,maintenantqueleblogneposteplus,j’ignoreoùçaenestexactement.»

LeportabledeLivchoisitcemoment-làpourémettreunesonneriequiressemblaitàcelled’untexto.Elles’enempara,lutlemessageetpoussaunsoupird’exaspération.

« Bon sang, je suis vraiment désolée de devoir faire çamais apparemment il y a une réunion dudépartementd’anglaisquim’étaitcomplètementsortiedelatête.Ya-t-ilquoiquecesoitd’autrequejepuissefairepourvousavantdefiler?Iln’yauraaucunproblèmenonpluspourvousrevoirsicelapeutvousêtreutile.»

Ellerassemblaitsesaffaires:unbloc-notes,sontéléphone.«Ameliavousa-t-ellejamaisparléd’ungarçonprénomméDylan?»demandaKate.Voilàquisemblaitêtreunequestionsansrisque,unequestionqu’elledevaitavoirledroit−en tant

quemère−deposer.«Apparemmentilsepourraitqu’Ameliaetluisevoyaient.»Livsefigea,sonregardpassantdeKateàLewpuisdenouveauàKate.Ellesemblaitmalàl’aise.«J’avaiseffectivemententendudirequ’AmeliasortaitavecDylan.Cen’estpasellequimel’adit,

alors je ne suis pas entièrement certaine que ce soit vrai ni même que le verbe sortir soit le terme

approprié.Fréquenter conviendraitpeut-êtremieux, répondit-elledoucement.MaisDylanCrosbyn’estpasungarçon,madameBaron.C’estunefille.»

AMELIA

19OCTOBRE,21H52

DYLANquoi2neuf?

AMELIApasgdchose,ettoi?

DYLANvnr

AMELIApourquoi?

DYLANsaispas

AMELIAetsionfaisait1trucsympa2main?

DYLANsympa,çasonnebien,t’asdesID?

AMELIAn’importequoiactoiçameva

DYLAN:)à2main

AMELIAokà+xo

19OCTOBRE,21H59

SYLVIAc1desMaggies

AMELIAquiça?

SYLVIAlameufkilimeIan

AMELIApasmoyen

SYLVIAouais,ya1decpétassesdeMaggiequijouelagluaclui

AMELIAqui?

SYLVIAjesaispas,msjevaistrouver

19OCTOBRE,22H05

CHLOErésoichezmoi,vendredi9

19OCTOBRE,22H12

AMELIAqdckejetevois???situcontinuesàm’esquiV,jevaiscommenceràcroireket1

serialkilleroujesaispasBENsuper,merci

AMELIAjeplaisante,enfinpresque.msallez,dis,tuviensqd?

BENpeut-êjeudi.jtravaille

AMELIAyes!gpasbesoindebloquertesappelsalors;)

19OCTOBRE,22H25

ENTRAÎNEURBINGrectificatif:départdubussamediprlematch7H30;PAS8H30,nesoyezpasen

retard

19OCTOBRE,22H32

DYLANdesfoisjehais7endroit.Onsefaitlamalle?

AMELIAj’ensuis,onpartqd?

Facebook20OCTOBRE

AmeliaBaron

«Jepensaisqu’ilestbiendésagréabled’êtreenferméau-dehors;puisjepensaisqu’il est pirepeut-êtred’êtreenfermédedans.»VirginiaWoolf,UneChambre àsoi

SylviaGolde leprendspasmal, je te ledis leplusgentimentdumonde,maistucommencesgraveàavoirl’airchelouGeorgeMcDonnellcommences???CarterRoselâchel’affaire,man

AMELIA

20OCTOBRE

« “Une connaissance n’est jamais ni vraie ni fausse, seulement plus ou moins utile en termes debiologie et d’évolution. Tous les credos dogmatiques sont des approximations : ces approximationsforment de l’humus où poussent demeilleures approximations”, a lu Sylvia dans sonmanuel de philoavecuneemphasethéâtrale.Aucasoùtutedemanderaisquiaditça…

−Jemeledemandepas»,ai-jerétorquésansleverlesyeux.Onavaituneheurede trou,qu’onpassait installéesdans leCDIderniercri flambantneufdu lycée

doté demurs vitrés, dematériel informatique de pointe et de quelques touches vieille école : lampesanciennes,vitrauxetpupitresenboisrestaurés.IlavaitétébaptiséleCDIRose,enhommageàlafamilleRose(Carter,BennettetColecompris)quiavaitfinancélesrénovations.Lesyeuxrivéssurmesdevoirsdebio,j’avaisdumalàmeconcentrer,mêmequandSylvianeparlaitpas.

J’étaiscensée retrouverDylanaprès lescours.Ellem’avaitditqu’elleavaitun trucàm’annoncer.Aprèssontextodelaveillecommequoionallaitsefairelamalleensemble,j’étaissûreetcertainequeçaallaitêtreuntruccool.Peut-êtremêmequ’elleétaitprêteàcequ’onsevoieaugrandjour.

«ErnstMach,c’estluiquiasortiça,apoursuiviSylvia,parceque,commed’hab,elles’enfichaitquejeveuille l’écouterounon.Et tuveuxsavoircequemoi jedis?Jedis :Vatefairefoutre,Ernst.C’estmêmepasanglais,situveuxmonavis.EtpuisErnst,c’estquoicenom,detoutefaçon?Ondiraitqu’ilmanqueunevoyelle,genre,oujesaispasquoi.

−Aussi,pourquoit’esalléechoisircecours,“Introàlaphilosophie”?»J’ai levé les yeux. J’étais en rogne. Des fois elle faisait des trucs tellement cons, et puis elle

n’assumaitjamaisrien.« Tout le monde sait que c’est l’un des cours les plus durs du lycée. Personne ne t’a obligée à

t’inscrire.−J’aimebienreleverdesdéfis,a-t-ellerépliquéd’unairpenaud.T’espaslaseuleducoinàavoirde

lacuriositéintellectuelle,tusais.»Jel’aiobservéeenplissantlespaupières.«Ohattends,jemerappellemaintenant.BrianPorterestdanscecours,non?»Sylvias’estagitéesur sachaise.Brianétait lemecaprèsquielleavaitcouru leprintempsdernier

pendant les inscriptions.C’étaitsafixettepré-Ian.Elleavait finipar l’avoir,mais ils’étaitdébarrasséd’elleaumilieudel’été:laroutine,quoi.

«Lepire,c’estqu’ilagenrechangédecoursdès ledeuxième jour,a-t-elle finipar reconnaîtreensecouantlatête.

−Toiaussi,tuauraispuchanger,tusais.−PourqueBriansachequesij’yétais,c’étaituniquementpourlui?Arrête,ilmerestequandmême

unpeudefierté.−J’espèrepourtoiqueIannevapass’inscrireaucoursdelittératurecomparéeouquoilesemestre

prochain.Celui-là,c’estvraimentlamort,àcequ’ilparaît.−Laissetomber,jem’enfousdecequ’ilfait,detoutefaçon.»

Elleessayaitdejouerlesdures,maisalorsqu’ellebalayaitduregardleCDIbondé,sonvisagedevinttouttremblotant.

«Tulisvraimentpasmestextos,hein?Allô,jecroisqu’ilmetrompe.−Ahouic’estvrai.J’avaisoublié.»Cesujetdeconversationnemeplaisaitpasdutout.Depuisqu’Ianm’avaitgrossomodoavouéqu’illa

trompait bel et bien, j’avais essayé d’éviter de discuter de leur relation.Mais s’ils ne cassaient pasrapidement,j’allaisdevoirdirelavéritéàSylvia.Orjen’avaisvraiment,maisalorsvraimentpasenviedelefaire.

«Laissetomber,alors,c’estunabrutifini.−Tuvois,même toi, tunedisplusque je suisdingue.Toi aussi, t’as l’impressionqu’ilmijoteun

truc.»L’airtriste,elles’estremiseàparcourirdesyeuxleCDI,sansdouteenquêtedeIan.«Laissetomber,lesmecsçacraint»,a-t-ellefait.Il fallaitque jechangedesujetavantqu’ellepèteuncâble.Etpuis jevoulais luiparlerdeDylan,

surtoutmaintenantqu’Ianétaitaucourant.Iln’yauraitjamaisdebonmoment.«Jesorsavecquelqu’un,ai-jelâchéalorsqueSylviaregardaittoujoursdanstouslessens.Enfin,je

crois.Bref,t’avaiseuunebonneintuition.−Merdealors,jelesavais!»Elles’estamuséeàmedonnerdespetitscoups.«Depuiscombiendetemps?C’estqui?Tudoistoutmeraconter.J’hallucine,jesuistropexcitée!»Sylviaarrivaitencoreàmemettresurlecul,parfois.Jenepensaispasquej’auraisétécapablede

détournersonattentiondeIan,pasmêmeuneseconde.«Jecroisqueçafaitgenre,deuxsemainesàpeuprès.−Deuxsemaines!»Ladocumentaliste a émisunchut sonoredepuis lebureaudes retours.Sylvia a fait ungeste agacé

danssadirection.«Jecroyaisquetumediraisunjouroudeux.Deuxsemainesettunem’enaspasparlé?Ohattends,

s’ilteplaît,s’ilteplaît,s’ilteplaîtnemedispasquetusorsavecBenleflippant.−JenesorspasavecBen.Etiln’estpasflippant.−Pasgay, trèsflippant.Maisc’estpasgrave,passons.J’aipasenviedeparlerdeceBenàlacon

maintenant,detoutefaçon.Moi,j’aienviedeparlerdececanonquiaenfinmisAmeliaBarondanssonpieu.C’estqui?Carter,GeorgeMcDonnell?Jetejurequeçafaitdesannéesquecesmecs-làcrèventd’enviedesoulevertajupe.»

J’aiprisunegrandeinspirationetregardéSylvia.Çayest.J’étaissurlepointdedireàmameilleureamiequejesortaisavecunefille.

«J’auraissûrementdûteledireplustôt»,ai-jecommencé.Çaallaitbiensepasser.Sylviaallaitleprendretranquille.Jelesavais.Illefallait.«Nonpasqueçachangequelquechoseentrenousouquoi,mais…−Putain!»s’estbrusquementécriéSylviaenrentrantlatête.Elles’estpenchéeuninstantpourregarderdiscrètementderrièremoiavantdes’aplatirdenouveau.«C’estpasIanlà-bas?Avecunemeuf?−Dequoituparles?»ai-jedemandéenmeretournant.Etlàj’aivuIanàl’autreboutduCDI,àcôtédesouvragesderéférenceetdel’énormeglobeenbois.

Ilétaitavecunefille,quis’esthélasbaisséederrièreuntrucavantquejepuissedistinguerquic’était.«C’estpasSusanDolan?asiffléSylvia.J’hallucine,c’estunevraietepu.»

Jenel’avaisvuequ’uneseuleseconde,maisilauraittrèsbienpus’agirdeSusanDolan.EtsiIanladraguaittranquilleÉmiledevanttoutlemonde,c’étaitpasbon.Susanétaitunevraiemarie-couche-toi-là.Égoïstement, j’étais soulagée qu’il ne s’agisse pas de Zadie. Au moins Susan Dolan n’était pas uneMaggie.LesecretquejepartageaisavecIann’avaitrienàvoiraveclefaitqu’ilsesoitmaquéavecelle.

«Jesuisgay,Sylvia»,ai-jepersévéré,malgrélascènesurpriseavecIan.Parce que c’était vrai, et qu’il était temps de tout déballer, sans exception.Et que j’avais soudain

l’impressionquec’étaitmaintenantoujamais.Sylviaétaittoujoursàfondentraind’essayerdelorgnerdiscrétosderrièremoi.Onauraitditqu’elle

n’avaitrienentendudemadéclaration.Etpuistoutàcoupelleabraquélesyeuxsurmoi.«Attends,tuviensdedirequoi,là?−Jecroisquejesuispeut-êtregay.−Maisnonvoyons,répliqua-t-elled’untondédaigneuxenretournantàsonespionnage.Onpeutpas

êtrepeut-êtregay.»Jem’étaisimaginéSylviasurprise,triste,voireunpeuflippée.Maisjamaisjen’auraispenséqu’elle

nemecroiraitpas.«Jevoulaispasdirepeut-être.Jevoulaisdire,jelesais.Jesaisquejesuisgay.»Sylviaapousséunsoupirthéâtral.«OK,tusaisquelesgaysfontl’amour,pasvrai?Êtregay,c’estpasgenreunefaçondétournéede

faireabstinenceparceque…Oh,j’hallucine!»Elles’estdenouveauaplatie.«Illuiapasmisunemainaucul,là?Jepeuxpasvoirça.Vas-y,toi.Vas-y.Retourne-toietregarde.»J’essayaisdenepasm’énerver.QueIansetapel’afficheavecuneautremeuf−etsurtoutunemeuf

commeSusanDolan−, c’était du lourd.Mais après la bombeque jevenaisde lancer ? Jeveuxdire,quelquesminutesd’attentionsurmoietmonhistoirepersonnelle,çaauraitétésympa.Enmêmetemps,j’avaisaussidelapeinepourSylvia.Sefairejetercommeça,devanttoutlemonde,c’étaitmoche.

J’ai fait tombermon crayon par terre histoire d’avoir un prétexte pourme retourner et espionner.Alors que je cherchais à tâtons, je n’ai pas vu tout de suite Ian. Il a fini par se relever de derrièrel’étagèreoùilétaittapi.Unesecondeplustard,SusanDolanaémergéàcôtédelui.Jesuisrestéelàuninstantàlesregardersesourireens’amusantàsepercuterl’épaule.Ohlà,çapuait.Grave.

«C’estçaquetucherches?»ademandéquelqu’un.Àcôtédemamain se trouvaient des chaussures d’hommemarron à lacets très fashion. Jeme suis

penchéeenarrière:M.Woodhousebrandissaitmoncrayon.«Oui,merci,ai-jeréponduentendantlebraspourlerécupérer.−Ouais,c’estça,merci,aditSylviaenchassantWoodhoused’ungeste.Maisonestunpeuentrain

d’essayerdetravailler,là,vousvoyez?»Elle n’aimait pasWoodhouse parce qu’il n’arrêtait pas de la menacer de lui coller une mise en

probation. Ilétait superstrict sur les résultatsscolaires.Aubahut,engros, soiton ledétestait, soitonvoulaitcoucheravec.Yavaitpasvraimentd’entre-deux.WoodhouseadévisagéSylviauninstantcommes’ilfaisaitdesonmieuxpournepasladétesterenretour.Ducoup,jenesaispaspourquoi,jel’enaimaisunpeuplus.

«Est-cequetupourraspasserdansmonbureauaujourd’huiaprèslescours,Amelia?a-t-ildemandéensetournantversmoi.Ilyaquelquechosedontilfaudraitqu’ondiscute.

−Quoi?Pourquoi?»J’avaisl’airbeaucouptropnerveuse.Cesjours-ci,jen’avaisvraimentpaslaconsciencetranquille.«Enfin,parcequej’aihockeyaprèslescours.

−J’enaidéjàparléàMmeBing,a-t-ilrépliqué.Çaneserapaslong.»Puisils’esttournéversSylvia.« Et, mademoiselle Golde, je suis content de vous voir travailler. J’ai reçu un appel de votre

professeurd’espagnolaujourd’hui.Jenesaispasoùvousaviezlatêtecesdernièressemaines,maisilesttempsdelareplongerdansvotretravailscolaire.Vousnepouvezpasvouspermettreunenouvellemiseenprobation.»

Sylvial’ignorait,occupéeàgriffonnerdanssoncahier.«Pasdeproblème,monsieurleproviseur,a-t-ellefinipardire,toujourssansleverlatête.− Excellent, mademoiselle Golde, a-t-il répondu, l’air complètement déprimé. Tout simplement

excellent.Bon,Amelia,àtoutàl’heure.»Tandisqu’ils’éloignait,Sylviaaagitélamaincommesielleessayaitdeledégagerphysiquementde

salignedemire.Puiselles’estmiseàregarderpartoutdansleCDI.MaisIanetSusanDolanétaientdéjàpartis.

«Super,merci,monsieurDucon.»J’aireçuuntextodeDylanenpleincoursdebiorenforcé.Cheztoi,pendantl’heuredetrou?Onn’auraitpasbeaucoupdetemps:vingtminutessanscompterletrajet,cequirendaitlachoseassez

risquée.Maisaussiassezexcitante.Jesuissortiedubahutcommeunebombedèslafinducoursdebio.Entournantauderniercoinde

rue,j’aivuDylanassisedevantchezmoisurleperron.Ellesoutenaitd’unemainsonvisageetregardaitdel’autrecôté,commepouressayerdeseprotégerduvent.Ilcaillaitunpeu,malgrélesoleilautomnalflamboyantquiincendiaitsescheveux.

Quelquesmaisonsnousséparaientencorequandelleaenfintournélatêteversmoi.Ungrandsourirea illuminé son visage.À la voirme regarder comme ça, j’ai su qu’elle ressentait pourmoi ce que jeressentaispourelle.J’enétaisenfincertaine.Etpuisilyavaitautrechosedontj’étaiscertaine.Cen’étaitpas juste que Dylan me plaisait. Ce n’était pas une simple passade. J’étais amoureuse d’elle.Complètement,totalement,raidedingue.

D’un côté, c’était plutôt un soulagement. Parce qu’il n’y avait pasmoyen de faire demi-tour, plusmaintenant.Laprudence,c’étaitfini.EtonauraitditquepourDylan,quis’étaitmontréesibizarreetsilunatique pendant super longtemps, quelque chose avait changé aussi. Je le voyais à sa façon de meregarder.Jeluiaisouriàmontourenaccélérantlepas.

«Entre»,luiai-jedit.Jeluiaiprislamainetj’aimontélesescaliersencourant.Jen’avaisqu’uneenvie,l’embrasser,là,

danslarue.Lehic,c’estquedeuxnanasquisegalochentsurletrottoirenpleinejournéedecours,c’étaitpasuntrucquipasseraitinaperçu.C’étaitpeut-êtremêmeuntrucquelesgenssesentiraientobligésderapporteràmamère.

«Ilfautquejetedisequelquechose»,ai-jeajouté.Onétaitencoredansl’entrée,laporteàpeinerefermée,quandDylans’estmiseàm’embrassertouten

m’épluchant comme un oignon. Dans cette précipitation de mains, de peau, de bouches, j’avaisl’impression que lesmots que jem’apprêtais à prononcer, ceux qui comptaient, avaient déjà été dits.Dylansavaitcequejeressentais.EtjesavaiscequeressentaitDylan.

Ensuiteonestrestéesallongéesnuesdanslecanapédusalon,lesjambesemmêlées.«J’adorequetamèrenesoitjamaislà»,adéclaréDylanensepelotonnantcontremoi,latêteposée

surmapoitrine.

Elleafaitcourirundoigtlelongdemonbras.«Çadoitêtregéniald’êtretranquillecommeçachezsoi.−Parfois.Mais j’aimebienpasserdutempsavecmamère.Çaseraitcoolsielleétaitunpetitpeu

plussouventlà.»Jemerappelaiscommentj’avaisétéénervéelejouroùjel’avaisréveilléesupertôtenexigeantde

savoirquiétaitmonpère.J’avaisencorereçuuntextolaveilleausoiretd’uncoupj’avaiseusuperlesboules, tellement que ça m’était égal de blesser ma mère. J’étais même allée pêcher tous ses vieuxjournauxintimesausous-sol,histoirededécouvrird’oùjevenais.

J’avaisd’ailleurscommencéàenparcourircertains−deuxtroispagespar-ci,deuxtroispagespar-là−,maisjen’étaispasarrivéeassezloin.J’avaisluquelquespassagesdatantdel’époqueoùmamèreavaitdécouvertqu’elleétaitenceinteetdejusteaprèsmanaissance.Çanedisaitpasquiétaitmonpère.Engros,j’avaisjusteeudelapeinepourelleenleslisant.Elleavaitétésiseule,elleavaiteusipeuràcemoment-là.Jeneluienvoulaispasnonplusdenepasavoirétédesmassesemballéeparmoibébé,maisçanevoulaitpasdirequej’avaisenvied’enliredestartineslà-dessus.Enplus, jeculpabilisais.Mamèren’étaitpaslààliremestrucsperso,elle,dumoinspasàmaconnaissance.

Etsielleavaiteuuneraisondemeprotégerdemonpère?Ellem’aimait.Elleenauraitétécapable.Elleauraitétécapabledemelaisserluienvouloiràmortsiç’avaitétéleprixàpayerpourmasécurité.Etpuiselleétaittoutcequej’avais−toutcequej’avaisjamaiseu−etjel’aimais.Jen’avaispasenviede découvrir quelque chose qui changerait ça. Je pouvais vivre toutema vie avec un trou à la placequ’étaitcenséoccupermonpèretantquemamèreétaitlàpourleremplir.

«Mamère,elle,elleesttoujourslà,afaitDylan.Unvraiboulet.»Jel’avaisrencontréeunefois,sinonjenesavaispasgrand-chosed’elleàpartquec’étaituneactrice

qui avait cruun jourqu’elle serait la nouvelleMarilynMonroe− c’est sûr elle était glamour, commeDylan−,maisquiavaitdûsecontenterd’unepoignéed’apparitionsponctuellesdanslesépisodesdelasérieNewYork,unitéspéciale.ElleétaitlourdeavecDylan,aussi:ellelapoussaitàêtreactricealorsqueDylandétestaitça,ellevoulaitqu’ellesecoiffecommecioucommeça,elleétaitsansarrêtàluidiredeperdredupoidsalorsqu’elleétaitdéjàmaigreàfairepeur.Commesisafilleavaitétéunepoupéeàhabilleretnonpasunevraiepersonne.Çan’avaitpasl’airdegênerDylan,pourtantilyavaitunpaquetde trucs qu’elleme racontait au sujet de samère quime foutaient la chair de poule.Du coup j’étaiscontente d’avoir la mère que j’avais − même si elle n’était pas dans les parages aussi souvent quej’auraisvoulu.

«Jecroyaisquevousétiezsuperprochesavectamère,ai-jerépliqué.−On l’est.Onestmeilleuresamies, elleetmoi, a-t-elle réponducommesi elle récitaitune leçon.

Elle,Zadieetmonpère,cesontlesseulsàconnaîtremavraiepersonnalité.»J’essayaisdenepasmevexerdenepasfairepartiedelasélection.Jenelaconnaissaispasdepuissi

longtempsqueça.«Bref,jesuiscontentequetamèrenesoitpaslà.Commeça,onaunendroitpourêtretranquilles.−Moiaussi,ai-jedit,vibranted’émotion.Tusais,j’aifailliparlerdenousàSylviaaujourd’hui.−Failli?»Elleavaitl’airétonnéeetunpoilnerveuse.«T’inquiète,j’aiseulementracontéquej’aimaisbienunefille,j’aipasprécisélaquelle.−Maisc’estçaleplusimportant.»Ellem’aadresséunsouriretaquin,sesyeuxbleuspétillaient.Je me suis remise à respirer, me rendant compte seulement alors que j’avais retenu mon souffle.

J’avaiseupeurqu’ellem’enveuilleàmortd’avoirraconténeserait-cequeçaàSylvia.

«C’est toi leplus important, aucundoute là-dessus, ai-je répliqué en souriant àmon tour.Leplusdrôle,c’estqu’ellenem’apascrue,detoutefaçon.Ellepensequecetrucd’êtregay,c’estparcequejesuisunpeupaumée.»

Dylans’estrallongéeetacontempléleplafond.«Etc’estlecas?a-t-elledemandé.−Non,ai-jerépondu,regrettantqu’ellenemeregardepas.Etpourtoi?−Jenefaispasconfianceauxgens»,a-t-ellerétorqué,commesiçarépondaitàmaquestion.Ellenesemblaitpasconsidérerçamalensoi,c’étaitunsimplefaitdontjedevaisavoirconscience.«Toutcequ’ilsveulent,c’estvouscolleruneétiquette,vousmettredansunecase.Etaprèsonn’est

plusqueça,pourtoujours.»J’avais l’impressionqu’elleneparlaitpasuniquementdenotre relation.Onauraitditqu’elleavait

essayétoutesaviedesemerlesgensquil’étiquetaient.«Personneàpartmoinedécidequijesuis»,ai-jedéclaré.Etputain,qu’est-cequejelepensais!Jem’impressionnaismoi-même,tiens.J’aitournélatêtevers

Dylandans l’espoir qu’elleme regarde à son tour, fière demoi.Mais elle avait les yeux scotchés auplafond.

«Jem’enfousdecequepensentlesautres.Yaquetoiquicomptes.»Dylanalongtempsgardélesilence,silongtempsquejecommençaisàavoirdumalàrespirer.Ellea

finiparsetournerversmoi.«OK»,a-t-ellemurmuré.Elle semblait davantage essayer d’être d’accord avec moi qu’elle ne l’était effectivement. Enfin,

c’étaitundébut.«Moic’estpareil,a-t-elleajouté.−Jepeuxteposeruneautrequestion?»Jesavaisquec’étaitrisqué,maisilfallaitquejesache.Surtoutmaintenant.«Est-cequetoietZadievousêtesdéjà…sortiesensemble?−Zadie?Turigoles!»Elleaéclatéderire.«C’estvraimentcrade.Onestcommedessœurs.Onseconnaîtdepuisqu’onacinqans.Zadieestla

seulepersonneàpartmesparentsquisaittoutdemoi.Etpuisellem’atoujourssoutenue,surtoutquandj’avaisvraimentbesoindequelqu’un,etdesfoisj’ail’impressionquec’esttoutletemps.

−Oh.C’estcool.»Jen’étaispasaussisoulagéequejel’avaisespéré.J’avaisenviedeluidemandercequ’ellevoulait

direparavoirbesoindequelqu’untoutletemps.Uneamitiécommeça,jecomprenaisplusoumoinsàcausedecellequej’avaisavecSylvia.Saufquej’avaisl’impressionqueDylanparlaitd’autrechose.

«Etdetoutefaçon,Zadie,elleaimelesmecs.Elleetmoi,onestjustemeilleurespotes,d’accord?Ellefaitgaffeàmoi,c’esttout.

−D’accord»,ai-jerépondudansunsourire.Parcequemêmesijenelacroyaistoujourspascomplètement,j’enavaisvraimentenvie.«Super.»On s’est serrées dans les bras, j’ai fermé les yeux et j’ai respiré le parfum sucré de ses cheveux

indomptables.Etlà,lasaleidéeàlaquellej’avaisessayédenepaspenserpendantplusieursjoursm’atraversél’esprit.

«Berk!−Quoi?

−Jeviensjustedemerappelerquecesfameusesphotosdemoisontcenséesêtrepostéessurceblogàlacondemain»,ai-jeexpliqué.

J’avais eu de sérieux remords depuis que j’avais demandé à Ian de prendre ces photos. Or simaintenantj’avaisDylan−pourdebon−,qu’est-cequej’avaisencorebesoindesMaggies?

«Çamefaitpassauterdejoiequedesvieuxgrasdubiderépugnantsavecdesmainstoutesmoitessoientlàenslibardàlikermesphotos.

−Miam,arigoléDylan.Ditcommeça,çafaitvraimentenvie.− Jeplaisantepas,ai-je rétorqué,maismoiaussi, je riais,cequi faisait rouler la têtedeDylande

droiteàgauchesurmapoitrine.Çatemetpasmalàl’aisequ’ellessoientsurleNet?»D’oùj’étais,jevoyaissonprofil:sonsourires’effaçait.«Peut-êtrebien,a-t-elleréponduenhaussantlesépaules.Maisbon,presquetoutmemetmalàl’aise.−QuandilyadesphotosdesoiàmoitiénuesurInternet,c’estplutôtnormald’êtremalàl’aise.»Dylannedisaitrien.Sesphotosétaientdéjàpostées.Jel’avaisprobablementinsultée.«Enfinbref,ai-jelancédansunpiteuxeffortpourchangerdesujet,sansvraimentyparvenir.Jevais

direàZadiequejen’aiplusenviedejouer.Quej’aichangéd’avis.− Mais elle va t’éjecter desMagpies », a répliqué Dylan en se redressant brusquement pour me

regarder.Elleavaitlespupillesdilatées,leregardaffolé.«Enfin,c’estsûr,ellelefera.−Pourmoi,iln’yaquetoiquicomptesdanslesMagpies.»Dylans’estrallongéeets’estabîméedansunsilenceencorepluslongqueleprécédent.Franchement

c’étaitnul.J’avaisespéréqu’ellediseun trucdugenre :«Ouais,ons’enbranledeZadie,onn’apasbesoin d’elle ! »Mais non. Elle n’avait rien dit. On était encore couchées sur le canapé, nos corpsenlacés,quandj’aientendulaported’entrées’ouvrir.

«Ohmerde,ai-jemurmuré.C’estmamère.»Onétaittouteslesdeuxàpoil.Toutesnosfringuesétaientenvracdansl’entrée.ParlerdeDylanàma

mère,d’accord,maisdelààcequ’elletombesurnouscommeça…J’aiattrapéleplaidsurledessusducanapéet l’ai jetésurDylan.Ensuitej’aicroisélesbrassurmesseinset jemesuispenchéeenavant,espérantainsicacherleplusdechairpossible.J’aifermétrèsfortlesyeux,commeunegamine,j’auraisvouludisparaître.

«Tiens,tiens,tiens»,alancéquelqu’un.Cen’étaitpaslavoixdemamère.«N’est-cepasromantique?»J’aiouvert lesyeux :Zadieétaitplantéedansmonsalon.D’unemainelle tenaitnosvêtements,de

l’autreellebrandissaitsoniPhone.Ellenousfilmait.«Commentt’esrentrée?!ai-jehurlé.T’aspasledroitdevenircommeçachezmoi!−Laporten’étaitpasferméeàclef»,a-t-elle lâchéd’untonsuffisantensedéplaçantcommepour

trouverlameilleureprisedevue.Dylanaremontéleplaidpoursecouvrirlapoitrineetadétournélatête.«Vousdeviezvraimentêtrepresséesparcequejecroisquelaporten’étaitmêmepasfermée.»J’auraisvouluallerluiarrachermesfringuesdesmains,maisjen’avaispasenviequ’ellemefilmeen

traindemebaladeràpoil.«T’esquoiaujuste,uneespècedechiendechasse?Commenttusavaisqu’onétaitlà?!T’aspasle

droitd’êtreici!C’estchezmoi.−Unchiendechasse?Voilàquiestunpeudur,tunecroispas?»

Elleaeuunsourirenarquois.«Mais si tu veux tout savoir, en effet je vous ai suivies.Et ensuite j’ai attendu dehors, attendu et

attendu,pendantdesplombes.»Elleaécartéuninstantletéléphone,lesyeuxrivéssurDylan,quirefusaitdelaregarder.«Fautbienvousreconnaîtreça.Vousêtesendurantes.Maisbon,j’imaginequepourlesmeufsc’est

différent.»J’attendaisqueDylanluigueuledessus.Qu’elleredeviennecettefillequej’avaisvuedanslesous-

soldeZadiequelquesjoursavant.Maisellerestaitprostrée,àsedissoudredanslecanapé.«Casse-toi!ai-jehurléencoreplusfort.Barre-toidechezmoi,putain!»Zadieapousséunsoupird’ennuienbraquantdenouveaul’objectifsurmoi.«Voussavez,çavapasrendreunsuperfilm,àmoinsquevousfassiezquelquechose…d’intéressant,

quoi.»Elles’estrapprochéejusqu’àcequel’appareilnesoitplusqu’àunmètredemonvisage.«Deuxmeufsàmoitiéàpoil,çafaitpasdeuxmillionsdevisiteurssurYouTube.C’estdugravedéjà-

vu.Ilnousfautdel’action.Pourquoipasunbisou?Ouquelqu’unpourraitpeut-êtrepeloterunnibardouquoi?»

Et là,quelquechoseenmoia lâché. J’aibondiducanapéet jemesuis ruée sur leshabitsqu’elletenaitsouslebras.Ellelesaaussitôtlaisséstomberens’écartantvivementdefaçonàcequ’elleetsontéléphone restent à bonne distance de sécurité. Elle n’a pas arrêté de filmer pour autant, tandis quej’allaispêchermesvêtementsparterreetquej’enfilaisT-shirtetjean.Unefoishabillée,j’aifaitvolte-faceetj’aicollémonvisagecontrelesien.

«Casse-toidechezmoiouj’appellelapolice.−Commec’estmignon.Tudéfendssonhonneur.»Puiselleasecouélatêted’unairdéçu.«Tss, tss, CrazyEyes, je croyais que tu étais censée avoir unQI surpuissant. Est-ce que tu crois

vraimentqueDylanenaquelquechoseàfoutredetoi?Tucroisquetucomptespourelle?Tulaconnaismêmepas.Tun’esrien.Etd’icidemain,tuserasoubliée,commelavieilleputedégueuequetues.

−Situneparspas…»Lespoingsserrés,mesonglesmerentraientdanslapaume.«…c’estmoiquivaistefairesortir.−Ohh,trèsgouineça.»Zadieasifflépuiss’estpenchéepourmeplantersonappareildanslafigure.«C’estçatontruc?Tuporteslaculotte?J’aimebien.C’estsexy.−Espècedesalope…−Arrêtez!»asoudainhurléDylandel’autrecôtédelapièce.Jeme suis retournée : entièrement habillée, elle enfilait ses bottines.Elle semblait sur le point de

pleurer.«S’ilvousplaît,arrêtez.−Qu’est-cequetufais,Dylan?ai-jecouiné,pareilleàunegamineenpanique.Oùtuvas?Tun’as

pasbesoindepartir.Zadies’enva,ettoutdesuite.−Ohqueoui,monchou»,aditZadieavecunsourireméchant.Dylansedirigeaitdéjàverslaporteentraînantdespieds.«Jepars.Ettapetitecopinevientavecmoi.»

Jesuisretournéeaulycéejenesaistropcomment.JevoulaisretrouverDylanavantqu’elleoubliecequ’onpartageait. Je neme rappelais pas être partie de chezmoi, pourtant quand jeme suis ressaisie,j’étaisaucoursdeLiv.Deboutfaceàlaclasse,laprofparlait.Jevoyaisseslèvresbouger,maislesmotsétaienttoutembrouillésetlointains.

Je ne me suis rendu compte qu’elle m’adressait la parole que lorsque j’ai vu tout le monde medévisager.

«Amelia?Jesaisquetoi,tulaconnais,laréponseàcettequestion,disaitLiv.Pourrais-tuéclairertescamarades?»

Enmetournantverslesondesavoix,matêtem’asemblécommerempliedesablemouillé.Commesiellerisquaitdesedétacherdemoncorpsetdetomber,inerte.

«Amelia?Çava?»Livavaitl’airinquiète.«Tun’aspasbonnemine.»Mesyeuxsontenfinparvenusàsefixersurelle.Cefaisant, ilssesontremplisdelarmes.Livétait

toujoursentraindemeregarderquandlaclocheasonnéetquetouslesélèvessesontagitésenmêmetemps,lasalledevenantunprécipitédecouleurs,dechairetdebruits.Jesuisrestéefigée.Impossibledebouger.

Jemerepassaislefilmdansmatête:Dylanquisortaitdechezmoilepaslourd,commeunzombie.Ellenes’étaitmêmepasretournéepourmedireaurevoir.Etpuisilyavaiteul’expressiondeZadie:elleétaitrayonnante,cettesalope.Touts’étaitpasséexactementcommeellel’avaitprévu.

«Tuasbesoind’alleràl’infirmerie,Amelia?»Lasalleétaitvide,Livsetrouvaitàprésentdevantmonbureau.Elleavaitl’airenpanique.«Tuesblanchecommeunlinge.Jepeuxt’yaccompagner.»J’aiessayédesecouerlatête,maisonauraitditqu’elleétaitbloquée.«D’accord,aditLiv,pastrèsconvaincue.Maisilyaquelquechosequinevapas.Jelevoisbien.

Est-cequetuveuxenparler?»Est-cequejevoulaisenparler?Est-cequej’avaisenviededireàmagentilleprofd’anglaisquela

premièrefillequej’avaisjamaisaiméevenaitdemelacérerlapoitrinepourm’arracherlecœur?«J’aimesrègles,c’esttout,ai-jerépondu.J’aidescrampes.−Oh.»Ellesemblaitgênéed’avoirinsistépourobtenirdesdétails.«Est-cequetuestoujoursd’accordpourpasseraubureaudeM.Woodhouse?Ilm’ademandédet’y

envoyeraprèslecours.Maissitunetesenspasassezbien…−Non,çava.»Parcequec’étaitunechoseàfaire,unendroitoùaller.Unedirectionàprendre.Etpeut-êtrequ’une

minusculepartdemoiespéraitqueWoodhouseferaitquelquechosepourfairedisparaîtreZadie.«Jepeuxyaller.»AssisedanslebureaudeWoodhouse,j’attendaisqu’ilraccrocheletéléphone.Jevoyaismesjambes

sur le siègedu fauteuil, jevoyais lesaccoudoirs sousmesmains.Pourtant jene les sentaispas. Jenesentaisrien.

«Désolé»,a-t-ilditaprèsavoirraccroché.Ilasecouélatête.«Lesanciensélèvessontparfoisinsistants.Évited’êtrecommeeuxplustard.C’est…enfinbref,ça

m’étonneraitquetusoisjamaiscommeça.»

Jel’aidévisagé.Jenepouvaismêmepasfairesemblantd’autrechose.«Çava,Amelia?»Faisquelquechose,ai-jehurléensilence.Vire-ladulycée.Fais-laarrêter.«J’aimalàlatête.C’estlamigraine.−Ah,d’accord,bonalorsjenevaispasteretenirlongtemps.»Ils’estemparéd’uneenveloppesursonbureauetmel’atendue.J’aifixélepapier.«C’estpourtoi,s’est-ilempresséd’ajouter.Ouvre.»J’aicontempléencoreunmomentl’enveloppeavantdefinirpartendrelebras.Toutsedéroulaitau

ralenti.Jesentaislepoidsdel’enveloppedansmesmains,jevoyaisWoodhousemeregardercommes’ilvenaitdem’offriruncadeau.J’étaispersuadéequ’ellecontenaitunephoto20×25surpapierglacédeDylanetmoienlacées.

«Vas-y,jesaisdéjàcequ’ilyaàl’intérieur.Ilsm’onttéléphoné»,aexpliquéWoodhouse.Ilavaitl’airtoutexcitéàprésent.«Ouvre.»Lesdoigtsempotésetgourds,j’aiessayédeladéchirer.Ellenecontenaitquedusimplepapier,rien

debrillantcommeunephoto.J’aiinspiréunpeud’airtoutensortantunelettrequim’étaitadresséeauxbonssoinsdulycée.Mesyeuxsonttombéssurledeuxièmeparagraphe:«Cetteboursecouvriratouslesfrais de la conférence, et un extrait de votre récitAujourd’hui, Je suis sera publié dans l’anthologieéditéeàcetteoccasion.»

«Liv culpabilised’avoir envoyé ton récitmalgré tesobjections, aditWoodhouse.Commeellenevoulaitpasquetutesentesobligéed’accepter,elleadécidédenepasêtreprésente.

−Oh.»Les yeux baissés, j’essayais de digérer le fait que j’avais gagné une bourse à laquelle je n’avais

mêmepaspostulé.Celadit,étantdonnélegigantesquetasdemerdequelerestedemavieétaitdevenu,cetteinformation

mefaisaitunpeuplaisir.Pastrèsplaisir,maisj’avaismoinsl’impressiond’êtremorte,peut-être.C’étaitunbonrappelqu’ilyavaiteuunmoiavantquej’entendeparlerdesMaggiesoudeDylan.

«Tudevrais fêterça,adéclaréWoodhouse.Tues lapremière lauréateduMittlebranchqueGraceHallaitjamaiseue.C’estunepreuvedetontalent,Amelia,vraiment.»

Puis,las,ilaprisuneprofondeinspiration.«Toutefois,l’attributiondecetteboursedépenddemarecommandation,Amelia.Orpourl’écrireen

toute bonne conscience, j’ai besoin de savoir que tu as quitté ce club. Que tu n’es plus uneMaggie.Jevaiségalementavoirbesoinquetumelivreslenomdesautresfillesquisontmembres.J’aifermélesyeuxsurbeaucoupdechoses,Amelia.Tuasquittél’enceintescolairesansautorisationaumoinscinqfoisdurant les trois dernières semaines. Je ne peux écrire cette recommandation que si tu m’aides, etmaintenant.

−Vousmefaiteschanter?−Amelia,tusaisbienquecen’estpascequejeveuxdire.»Ilafroncélessourcils.«Maiscesfillesvont fairedumalàquelqu’un.Je lesais.Peut-êtrepasà toi,pasencore,maisça

finirapararriver.Tedemanderde fairecequiestbienn’estpasduchantage.Si jepeuxobtenir leursnomsgrâceàtoi,jepourraipeut-êtrelesprotégerd’elles-mêmes.

−Etquesepassera-t-ilquandellesdécouvrirontquec’estmoiquilesaidénoncées,hein,quoi?»Nonpasquej’avaisl’intentiondelâcherquoiquecesoit,surtoutpasmaintenantqueZadieavaitcette

vidéodeDylanetmoientrelesmains.

«Ellesnelesaurontpas,Amelia.Jetelepromets.−Maisbiensûr.»Jemesuislevée.«Jepeuxyaller?−Oui,Amelia,tupeuxyaller.»Ilavaitl’airplusquedéçu.Presquetriste.«Maispenseàcequejet’aidit.Cesfillesnevalentpaslapeinederisquertonavenir.»

gRaCeFULLY5SEPTEMBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com.SortezdulotSalutlesgens,AlorscommeçaDylanCrosbyestbeletbienamoureuse.C’estlebruitquicourt.Dequi,

ça,c’estuneautrequestion.Jesaisquenousespérionstousqu’ils’agissedeM.Woodhouse.Voyez-vous, je me dis qu’il mérite une poupée nubile et sexy. Mais ce n’est pas Phillip,apparemment.

Quelquesterminales−lesmembresdeDevonkill,d’aprèsmessources−ontétérécupéréshiersoirpar leursparentsaupostede la78e. Il sembleraitqu’ilsaientpris leperrond’unemaisonpouruneboîtedenuit,pasdebol,c’étaitdanslemauvaisquartier.Allez,lesgars,toutlemondesaitqu’onfaitpaslateufàMontgomeryPlace.Cepetitquartier,c’estunpeuleplusjoliducoin.JohnTurturron’estpasdugenreàblairerlessquattersdemarches.

Heureusementpourcesimbéciles,l’undeleurspèresestconseillermunicipal.Enmoinsdetempsqu’ilnefautpourdireblanchis,ilsonttousétérelâchés.Parmieux,unemeufs’estvuprivéedelafêtequidevaitavoirlieuauStandardHotelpourcélébrersesdix-septans.Maisbon,t’inquiètechérie,j’aientendudirequeleportdudiadèmeétaitinterditlà-bas.

Ilresteencorequelquesmoisavantlesrésultatsdescandidaturesanticipéesàl’université,mais Zadie Goodwin semble très confiante concernant ses chances d’obtenir une réponsefavorableavanttoutlemonde.Unepartdemoiauraittendanceàpenserquec’estparcequeson beauf a graissé quelques grosses pattes. Après, je ne sais pas, peut-être qu’elle les agraisséeselle-même,àgenoux.

KATE

23JUILLET1997

C’est le troisième jour d’affilée que jeme fais porter pâle. Jeme suis promise que ce serait ledernier.J’yretourneraidemain.Ceseraitidiotdefoutreenl’airtoutemaviejusteparcequej’enaimerdéunepartie.

Hier soir, j’ai décidé d’aller noyermon chagrin seule dans un bar. J’ai bu beaucoup de bière.J’aimemêmepasça.

Maisc’étaitcequeRowanbuvait.EtvousvoulezsavoirquiestRowan?C’estlegarçoncarrémentcraquantavecquij’aifiniparparlertoutelanuitdesapassionpourl’enseignementetdelamiennepouraider lesgensen tantqu’avocate,cequim’arappeléquec’étaitpourcetteraisonque j’étaisalléeen facdedroit :aider lesgens.Jevoulaisêtreavocatede l’assistance judiciaireouaider lessans-abri.Au lieudeça jemesuis retrouvéedans l’arènede lacourseauxprofitsentrepreneurialechezSlone,Thayer.

J’enveuxàGretchen.Lepire,c’estquejem’intègreparfaitement.Onm’adore, là-bas.Jeluienveuxpourçaaussi.

Rowannepourrait jamaiss’y intégrer, lui.Ilestdrôle, intelligent, iladesprincipes,unegrossebarbebroussailleuseet lesyeux lespluschaleureuxque j’aie jamaisvus.J’avais l’impressionde leconnaîtredepuistoujours,etceavantmêmelabièrenumérotrois,momentoùj’aicommencéàdevenirsérieusementsaoule.

Etletempsqu’illâchesabombe−ilallaitpartirenAfriqueconstruiredesécoles,apprendreàlireàdesvillagesentiersetsûrementpurifiertoutleréseaud’eaupendantsontempslibre−,j’étaisdéjàcomplètementdinguedelui.

Nousnoussommeséchangénosadressesmail.Maisfranchement, troisans?Unenuit?Jenousdonnedeuxconversationsparmail.

Le seul choixvéritablementbonque j’aie faitaétédenepascoucheravec lui.Aumoinsçanecomptepasvraimentcommeunnouveléchecamoureux.Celadit, lebaiserétaitextraordinaire.J’enavaisbesoin.J’étaispresqueconvaincuequejeneseraisplusjamaiscapabled’embrasserunhomme,dumoinssansavoirl’impressiond’êtreunepute.

KATE

SLONE,THAYER

24JUILLET1997

Jeremy:Toutvabien?Kate:Çava.Jeremy:Tuessûre?Tut’esabsentéetroisjours.Kate:C’étaitlagrippe.Çava.Jeremy:Jepeuxte trouveruneexcuse.Tun’espasobligéed’allerà laréunion.J’aitonmémo.Kate:Non,jeserailà.Çava.Vraiment.

SLONE,THAYER

25JUILLET1997

Daniel:Tuvienscesoir?Kate:Non.Daniel:Pourquoi?Tusaisquetufaisl’exactopposédecequetuescenséefaireentantquestagiaire.ÀsavoirZÉROboulotetlafêtenon-stopàleursfrais.Kate:Tuesaucourantquelesdiscussionssurl’intranetsontsurveillées?Daniel : Slone, Thayer sait aussi bien que moi comment ça fonctionne. Viens.C’est un pique-nique au parc préparé par un traiteur en l’honneur duPhilharmonique.Champagneàvolonté.Onestaussitoutungroupeàvouloirsortiraprès.Kate:D’accord,jeviendrai.Daniel:Sérieux?Kate:Sérieux.

KATE

15JUILLET1997,4H18

À:KateBaronDe:rowan627@aol.comObjet:Désolé!

Katie!Jeviensjustedevoirtonmail !Jesaisquetumel’asenvoyéilyaàpeuprès deux semaines. Et je suis super content que tu l’aies fait. Comment s’estpassétonété?J’aiénormémentpenséàtoidepuismonarrivéeici.J’aivraimentsenti passer un courant entre nous, Katie. C’était pas des paroles en l’air. Etj’espèrequetonmessagesignifiequetuasressentilamêmechose.

Çadoitprobablementsemblerdinguecequejedis.C’estçaleproblèmeaveclesmails.Rienpourm’empêcherdeblablater…

Bref… Le Ghana, c’est cool. Bizarre, flippant, magnifique. Et le bonus, c’estqu’apparemment ils aiment bienm’écouter jouer de la guitare. J’aimerais que tusois làpourpartagercesmomentsavecmoi.Jesaisqu’onneseconnaîtmêmepas.Maisjelepensemalgrétout.

Bref, envoie-moi des nouvelles desStates et surtout de toi. Tu as réfléchi à tonidée de laisser tomber ton boulot de capitaliste… ? Si tu le fais, on a toujoursbesoindebras ici.J’auraiaccèsà Internetdurant lesdeuxou troissemainesquiviennent,maisensuite jeserai injoignablependantsixmois.Jesais.Sixmois.Sixmoisetonnes’estvusquegenresixheures.

Maisenmêmetemps,cequiestécritfinitengénéralpararriver.

Onatousdesphares.Deslumièresquinousguidentjusquecheznous.

Peace,Rowan

KATE

28NOVEMBRE

Unefille.Ameliaétaitamoureused’unefille.AprèsqueLewavaitdéposéKatechezelle,elles’étaitassisedanslecanapédesonsalonsansquittersonmanteau,enserépétantenbouclecesmots.Mafilleétaitamoureused’unefille.Mafilleétaitamoureused’unefille.Sonintérêtpourlesgarçonsn’avaitpaseuunefloraisontardive,ilétaitmortàlaracine.

Katen’étaitpascontrariéeparlefaitqu’Ameliaétaithomosexuelle,enrevancheelleétaitblesséeetbouleverséeden’enavoireuaucuneidée.Paslamoindre.Jesuissûrequetuavaiscetteintuitionaufonddetoi,luiauraientditsesamiss’ilsavaientsu.Carlesmères,paronnesaitquellemagiecosmique,sontcenséessavoirtoutesleschosesimportantesquiconcernentleursenfants.Kateavaitcraintdepuisledépartd’êtredépourvuedecetinstinctmaternel,maiselleavaittoujourscruquesaproximitéauthentiqueavec Amelia compenserait n’importe quel manque. Comme elle s’était fourvoyée ! C’était évidentmaintenant.

Soudaintouscespetits«Jetehais»prenaientunesignificationencoreplussinistre.Était-cecelaquiposait problème aux filles deVol d’oiseau, qu’Amelia soit gay ?Cela paraissait inconcevable qu’unebande d’adolescentes habitant dans un quartier aussi progressiste que Park Slope considèrel’homosexualité comme un péché aussi grave. En revanche peut-être une liaison entre deux de leursmembrespouvait-elleêtreàl’originedeleurhostilité.CarDylanfiguraitsurlalisteelleaussi.LewavaitpointésonnomquandilsavaientquittélebureaudeLiv.Deretourchezelle,elleavaiteubesoindetoutsonsang-froidpournepasseruersursonordinateuretcliquersurlesphotosVold’oiseaudeDylan.Voirlapetiteamiedesafilleposeràmoitiénuedevantl’objectifétait,Katelesavait,plusqu’ellenepouvaitensupporter.

Aulieudecela,ellesortitsonportabledesonsacetenvoyauntextoàSeth.Ameliaétaitgay.Moinsd’uneminuteplustard,iltéléphonait.Commeelles’yétaitattendue.«Commentça,elleétaitgay?furentlespremiersmotsqu’ilprononça.−Jeviensdedécouvrirqu’elleavaitunepetiteamie.−Hum.»Ilyeutunlongsilence,KateattendaitqueSethajoutâtquelquechose.«Hum?C’esttout?aboya-t-elle.C’esttoutcequetutrouvesàdire?Enfinquoi,tuétaisaucourant?−Commentaurais-jepuêtreaucourant?sedéfenditSeth.Cen’estpascommesionémettait jene

saisquellefréquencesecrètequeseulsleshomospeuventpercevoir.−Certes,maistun’aspasfranchementl’airsurpris.»Ilpoussaunsoupirsonore.«Jemedisaisqu’Ameliaétaitpeut-êtreentraindecomprendrecertaineschoses.Enfinquoi,uneado

magnifiquesansungarçonenvue?Forcément,çam’amislapuceàl’oreille.Maisjesuissûrqueriendetoutçanet’avaitéchappénonplus.»

Saufquesi,çaluiavaitcomplètement,totalementéchappé.«Pourquoinemel’a-t-ellepasdit?demandaKated’unfiletdevoixrauque.Nousétionsproches.

Pourquoin’a-t-ellepaspenséqu’ellepouvaitseconfieràmoi?−Écoute,mesparentssontdesgensadorables.Ilsm’aimentsansconditionsetnousaussi,nousavons

toujoursétéproches.Jesavaisquelefaitd’avoirdessentimentspourdesgarçonsn’ychangeraitjamaisrien.Etpourtantregardecommeilm’afalludutempspourl’avouer,mêmeàmoi-même.C’estmoiquin’étaispasprêt.Pointfinal.Çan’avaitrienàvoiravecmesparents.

−Alorspourquoiest-cequejemesensaussimal?−Écoute,Lolan’aquecinqans etpourtantmêmemoi, je saisqu’êtreparent, c’est affreuxquatre-

vingt-quinzepourcentdutemps.Autantquejesache,cesontlescinqpourcentrestantsquiempêchentlarace humaine de s’éteindre.Quatre pour cent de terreur aveuglante, un pour cent de perfection. C’estcommeunshootd’héroïne.Tugoûtesuneseulefoisàlaviedececôté-làett’esaccro.

−Ouais,super.Tunem’aidespasfranchementàmesentirmieux.− Tu étais une bonnemère,Kate, dit Seth, recouvrant son sérieux. Tu aimaisAmelia et elle te le

rendaitbien.Tuasfaitdumieuxquetupouvais.Tut’escassélecul.Lafinsejouesuruncoupdedé.Toutcequ’onpeutfaire,c’estrendregrâceàDieupourchaqueminutequipassesansquetoutcebordelsetermineeneaudeboudin.

−Etquandc’estlecas?−Ontrouveunbonamiavecuneépaulelargesurlaquelleonpeutpleurer.Jepeuxvenirtoutdesuite

situveux.Tunedevraispeut-êtrepasresterseule.−Non,non,réponditKate,quin’avaitpasenviedesesentirobligéedejouercellequiavaitretrouvé

lemoral.Merci,maisjecroisquejevaisallerprendreunbain.−Excellente idée, déclaraSeth,même si cen’était que lemilieude lamatinée.Par contrepasde

musiquelarmoyante,pasdebougies,nirien,d’accord?J’aipasenviequetumetteslefeuàlabaraquepar-dessuslemarché.

−Zéroflamme,bandeoriginalepunchy.C’estnoté.»CommeKatemontaitlesescalierspourallerdanslasalledebains,sontéléphonefixeretentit.Elle

redescendit pour répondre, simplementparcequ’elle sedisait qu’il pouvait s’agirdeLew. Il avait dûretournerà sonbureaupourmettreà jour ledossier.Cette fois-ci, ilvoulaitque l’enquête soitcarrée.Mais lenumérode l’appelantn’étaitpas lesien.C’étaitunnumérodeportabledeNewYork917queKatenereconnaissaitpas.

«Allô?»Elleavaitlavoixrauque,commesiellevenaitdeseréveiller,depleurer,oulesdeux.«MadameBaron?hésitasoninterlocuteur.Est-cequej’appelleaumauvaismoment?−Çadépend,quiêtes-vous?−Oh,vousavezraison,ceseraitplusfacilesijemeprésentais.»Ilsemblaitnerveux.«PhillipWoodhouseàl’appareil,leproviseurdeGraceHall.Jesuisdésolédenepasavoirétélà

lorsdevotrepassage.JesuisàuneconférenceréservéeauxécolesprivéesàBoston.−Oui,c’estcequeMmePearlnousaexpliqué.Vousvousamusezbien?»Elle avait conscience de son ton de salope sarcastique, mais, entre les e-mails déplacés de

WoodhouseetsonrôledanslecamouflagedececlubécœurantdontAmeliaavaitfaitpartie,iln’avaitpasdroitàlapolitesse.Ilauraitdûs’estimerheureuxqueKatenesemettepasàluihurlerdessus.

«Hum,mafoi,non,pasvraiment,répliqua-t-il,perplexe.Bref,jevoulaism’assurerquevousaviezobtenutoutcedontvousaviezbesoin.

− Euh, voyons voir,ma fille faisait partie de je ne sais quel club àGraceHall qui l’a poussée àprendredesphotosd’elleàmoitiénueetàlespostersurlatoile.Cemêmegroupeafiniparseretournercontre elle et lui envoyer desmessages de haine. Apparemment, GraceHall était au courant de tout,pourtantjen’arriveàtrouverpersonnequiacceptedemedirequoiquecesoit,etceàcausedemesuresmisesenplaceparlelycée.Votrelycée,monsieurWoodhouse.»

Savoixsemitàtremblerenmontantdanslesaigus.«Alorsnon,jen’aipasobtenutoutcedontj’avaisbesoin.Maisvousdevezdéjàlesavoir.Vousavez

bientravaillé,monsieurWoodhouse,toutlemondeseserrelescoudes.»Ilyeutunlongsilence,puislebruitd’uneexpiration.«Jecomprendsvotrefrustration,madameBaron,mais…−Mafrustration?s’écriaKate.Mafilleestmorte,monsieurWoodhouse.Vousenavezconscience,

non?Croyez-moi,cen’estpasdelafrustrationqu’onressentquandsonseuletuniqueenfantsefaittuer.−Tuer?−Oui, tuer.ParcequeAmelian’apas sauté.Nous− lapoliceetmoi, soitditenpassant− savons

qu’elle ne l’a pas fait.Maintenant, il ne reste plus qu’à découvrir lequel de vos élèves− ou de vosenseignants−l’apoussée.

−Mafoi,c’est…J’ignoraisqu’ilyavaitdunouveau.»Sa tristesse, ses regretsouson inquiétude,n’importe,nesemblaientpas feints.Oupeut-êtreétait-il

simplementbonacteur.« Je regrette que ça ne change rien à ce dont je peux ou non parler avec vous. En dépit demon

sentimentpersonnel,jenepeuxrienvousdireausujetdeceblognidequoiquecesoitenlienaveclui.Moncontratmel’interdit.Maisjepeuxvousassurerquejesuisextrêmementennuyéparcetétatdefait.

–Etmoidonc!»Kate hurla si fort qu’elle en eut la gorge irritée. Il fallait qu’elle se calme. Il fallait qu’elle se

ressaisisseafind’obteniraumoinsquelquesréponsesàsesquestions.«J’imagineenrevanchequevotrecontratnevousinterditpasd’avoiruneliaisonavecuneélève?−Uneliaison?J’aibienpeurdenepasvoussuivre.−J’aivulesmailsquevousavezenvoyésàAmelia,monsieurWoodhouse.Tous.Jenesaispasce

quevousaviezentêteaumomentoùvousl’avezfait,maisjesuisaucourant.Etsivousnemeditespascequejeveuxsavoirausujetdecegroupedefilles,jerendraicesmessagespublicsenlesprésentantcommelapreuvequevousvouslivriezàduharcèlementsexuel.

−Duharcèlement?»Ilsemblaitestomaqué.«Maisdequoiparlez-vous? Jen’ai jamaisharceléAmelia. Je lui aipeut-êtreunpeu tropmis la

pressionverslafinetjeleregrette,maisj’essayaisdel’aider.−C’estcommeçaquelesgenscommevousappellentça,maintenant?Unesorted’accompagnement

individualiséaprès les cours,dont les filles commeAmeliabénéficiaientmaisnedevaient surtoutpasparler?»

Kate n’était même pas sûre de croire à ce qu’elle avançait, mais elle s’en fichait. Elle comptaitemployertouteslesmunitionsdontelledisposaitpourobtenirlesréponsesqu’ellesouhaitait.

« Madame Baron, vous avez tous les droits d’être bouleversée, mais je n’ai fait aucune avancedéplacéeàAmelia.»

Àl’entendre,onauraitditqu’ilavaitlecœurbrisé.

«C’était uneélèveprometteuse,uneélèveextraordinaireque j’essayaisdemaintenirdans ledroitchemin. Je préférerais que vous ne sortiez pasmesmails de leur contexte. Je suis sûr que vous avezraison quant à lamanière dont ils seraient interprétés si vous les diffusiez. Je vous promets que noussommesdumêmebord.Siseulementvouspouviezpatienter.Jechercheàobtenir…

−J’enaiassezdepatienter,monsieurWoodhouse,rétorquaKatecalmement.Vousavezvingt-quatreheurespourtoutmedireàproposdececlubquefréquentaitAmelia,sinonjeferaisuivrevosmailsàtouslesparentsdeGraceHall sans exception.Et si çanemarchepas, j’engagerai despoursuites au civil.Voireaupénal.Jesuisassociéedansuntrèsgrandcabinetd’avocatsauxrevenussubstantielsetj’aipleindetempsdevantmoi.Cen’estdoncpasunemenace,monsieurWoodhouse,c’estunepromesse.»

Elle raccrocha avant qu’il puisse répliquer quoi que ce soit et contempla, haletante, le combinéqu’elleavaitenmain.Jamaisellen’avaitmenacéquelqu’uncommeçadetoutesavie.Jamais,enaucuncas, elle ne s’était ainsi servie de son poste chezSlone,Thayer comme levier.Et puis en réalité ellen’avaitpasdevéritablepreuvequeWoodhouseavaitharceléAmelia.Cesmailsavaientbeausuggérerquelque chose, ils n’étaient pas déplacés en soi. Sans compter que Kate n’avait trouvé d’allusion àWoodhousenullepartailleursdanslestextosqu’elleavaitcompulsés,pasmêmedanslesconversationsd’AmeliaavecBen.LewavaitégalementvérifiélepassédeWoodhouse:immaculé.

Évidemment, cela ne prouvait pas qu’il n’avait rien fait cette fois-ci. Et il restait à Kate encorebeaucoupd’autres textosàpasseren revue.Ellen’avaitmêmepas lu tousceuxques’étaientéchangésAmeliaetBen.Maismalgrétout,elleavaitdesdoutes.Ilneluirestaitplusqu’àespérerqueWoodhousechanged’avisavantqu’elleseretrouvedansl’obligationdemettresamenaceàexécution.

Elleavaitencoreletéléphonefixeàlamainquandsonportablesonna.CedoitêtreLew,songea-t-elle en fonçant décrocher. C’était Jeremy. Il n’appelait sur son portable qu’en cas d’urgenceprofessionnelle.

«Toutvabien?demanda-t-ellesansdirebonjour.−Oui,oui,absolument.»Ilessayaitd’affichersagaietéhabituelle,pourtantondécelaitunetensiondanssavoix.«C’estVictor?pressaKate.Inutiledemeprotéger.Jepeuxfaireface.»Nonqu’ellecomptait retourneraubureauventreà terrepourdonneruncoupdemain.L’époqueoù

ellecompromettaitAmeliapoursontravailétaitrévolue.«Ilseplaintquejenesoispasdisponible?Jenepeuxpasdirequeçamesurprenne.Tuauraispeut-

êtrevraimentdûconfiercetteaffaireàDaniel.Franchement,jecroisque…−Nonjen’auraispasdû,répliqua-t-ild’untonneutre.Etdetoutefaçon,jenet’appellepasausujet

d’Associated.J’aidécouvertquelquechose,quelquechosedepersonnel.−Personnelparrapportàqui?−Ànous.−Qu’est-cequetuveuxdirepar…»Tandisquecesmotsfranchissaientseslèvres,unebrèches’ouvritaucreuxdesonventre.«Oh.»Elle avait refoulé si loin ce souvenir que parfois il cessait d’exister. Presque. Jeremy et elle n’en

avaientcertainement jamaisreparlé,etdesannéesdurantcelaavaitsuffiàeffacercequis’étaitpassé.Jusqu’àprésent.

«Lemomentesttrèsmalchoisi,jem’enrendsbiencompte»,ditJeremyd’unevoixinhabituellementtroublée.Trèsperturbante.«Seulementjene…jecroisqu’ilfautquetusaches.

−Quejesachequoi?»Elleavaitlanausée.

«Jecroisqu’ondevraitseparlerdevivevoix.Onpourraitpeut-êtreseretrouverquelquepartdanstonquartierversdix-huitheurespourboireunverre.

− Jeremy, je préférerais vraiment que tu me le dises maintenant. Je ne suis pas sûre de pouvoirsupporterd’attendred’apprendreencored’autresmauvaisesnouvelles.

−Jesais,Kate,jesuisdésolé,maisjecroissincèrementquec’estlemieuxàfaire.»Savoixétait sombre,presqueméconnaissable.C’est surtoutcelaquiempêchaKatedeparlementer

davantage.«D’accord.Rendez-vousàlaThistleTavernàdix-huitheures.−Parfait.Àtoutàl’heure.Et,Kate:jesuisdésolé.−Pourquoi?−Pourtout.»L’après-midi était bien entamé au retour deLew : il était quinze heures passées quandKate et lui

grimpèrentlesmarchesquimenaientauperrondeDylan.«Vous êtes sûre que ça va aller une fois à l’intérieur ? demanda Lew en s’arrêtant aumilieu de

l’escalier.Parcequeplusonvas’approcherdesgensimpliquésdanscequiestarrivéàAmelia,plusilsvontchercheràseprotéger.Etpersonneneveilleraàvousépargner.»

Kates’efforçadegarderuneexpressionimpassible.«Jesais,répondit-elle.Çavaaller.Promis.»Évidemment, la vraie réponse était non. Non, ça n’irait pas. Ça n’allait pas. Car elle avait déjà

parcouru tous les textosquesa filleetDylanavaientéchangés.Elle savaitqu’Ameliaavait aimécettefilleetqu’elleavaitétéprêteàtoutpourlagarder.CetteDylanluiavaitbrisélecœurethélas,leséclatsqueKateavaitrassemblésneluiavaientpasrévélépourquoi.

LewdévisageaKated’unairsévère,s’attendantàcequ’ellecraque.Iln’enfutrien,ilpoussadoncunsoupirexaspéréetsetournapoursonner.

Unefemmeséduisanteauxpommetteshautesetauxlongscheveuxauburnouvrit.QuoiqueplusâgéequeKate,laquarantainebiensonnée,elleétaitd’unegrandebeautéetparticulièrementbienconservée.Sonvisageluidisaitquelquechose,maisellen’arrivaitpasàlaremettre.

«Jepeuxvousaider?»demanda-t-elleavecungrandsourirefigé.Lewsortitlestementsacarte,cequinefitqu’accentuerlaraideurdelafemme.«Jesuisl’inspecteurLewThompson,etjevousprésenteKateBaron.Nousaimerionsposerdeuxou

trois questions à votre fille au sujet de l’élève qui estmorte àGraceHall il y a quelques semaines.AmeliaBaron?Kateestsamère.

−OhmonDieu»,s’exclama-t-elleavecungrandsoupirthéâtral.Puiselleagrippafermementlesdeuxavant-brasdeKateetl’attiraverselle.«Quellehorribletragédie.Iln’yapasdemots,vraiment.Entrez,entrez.JesuisCeleste,lamèrede

Dylan.»Àl’intérieur,lamaisonengrèsétaitsaturéedeboiseriessombrespolies,demeublesvictorienstrès

ornementés et de lourds brocarts. Tous les détails d’origine étaient intacts, y compris les portesescamotables, les vitraux et le plafond en étain. Il y avait également une pléthore de bibelots − unecollection de tabatières exposée dans une vitrine, des petits vases, de vieux tableaux lourdementencadrés−quicouvraientlamoindresurfacedisponible.Letoutétaitdisposéavecgoût,maislevolumeétaitécrasant.

Ilssetenaienttoujoursdansl’entrée,sourcedeclaustrophobieavecsonporte-manteausurchargéetsagrandearmoireàglace.PourtantCeleste−quiavaitlâchélesbrasdeKateaussibrusquementqu’elleles

avaitsaisis−nesemblaitpasavoirl’intentiondelesinviteràrentrer.«VousdisiezdoncquevousétiezvenusparleràDylanausujetd’Amelia?»Elleavaitunevoixétrange.Pastantunaccentqu’unedictionsurfaite.«Quellefilleexquise,jedoisdire.Êtresiintelligenteetsibelleàlafois.Etaveccesyeuxuniques?

Toutsimplementextraordinaire.Vraiment.Jeluiaiditqu’elleauraitdûêtreactrice.Lacaméral’auraitadorée.J’ensaisquelquechose, jesuismoi-mêmeactrice,expliqua-t-elleavecunemodestiesurjouée.Vousm’avezpeut-êtrevuedansNewYork,unitéspéciale.J’apparaisrégulièrementdanslasérie.Jejoueuneavocate.

−Jeneregardepasbeaucouplatélé,réponditKateenessayantdedigérerlefaitquecetteinconnueparledesafillecommesiellesavaientétébonnescopines.

–Oh,jevois,cen’estpasbanal»,commentaCeleste.OnauraitditqueKatevenaitdeconfessersonappartenanceàquelquesecteétrange.Celesteseforçadenouveauàsourire.«Alorsj’imaginequevousnerisquezpasdem’avoirvue.−Comment connaissiez-vousma fille ? demandaKate en se préparant à entendre qu’Amelia avait

partagélesdétailsdesonéveilsexuelaveclamèredesapetitecopine.–C’étaituneamiedeDylan,évidemment.C’estpourçaquevousêteslà,non?Maisjenediraispas

quejelaconnaissais.»Elleagitaunemain.«Jenel’aivuequ’unefois.− Nous pensons que votre fille pourrait détenir des informations utiles par rapport à la mort

d’Amelia.»Lewessayaitderamenerlaconversationàlaraisondeleurvenue.Celesteseposaunemainsurla

nuque.«Jecroyais…Jen’avaispascomprisqu’ilyavaituneenquêteàmener.−Ilyatoujoursdesfaitsquiattendentconfirmation»,expliquaLewsanstropsemouiller.Il se montrait prudent, peut-être parce qu’il soupçonnait Dylan d’être plus impliquée dans ce qui

s’étaitpasséqu’ilnel’avaitlaisséentendre,mêmeàKate.«Votrefilleest-elleàlamaison,madame?Jevousprometsqueceneserapaslong.»Celestelesregardaalternativement,commepourévaluersiunrefusdesapartétaitenvisageable.«Biensûr,finit-elleparrépondreavecunnouveausourirefeint.Jevaislachercher.»Elleredescenditlesescaliersuneminuteplustard,Dylansurlestalons.C’étaitunefillemagnifique,

avecunechevelurerousseauxbouclesindomptablespareilleàcelledesamère,etlegenredevisageauxtraits ciselésqui est engénéral l’apanagedes adultes.Ondevinait sa silhouette élancée sous son jeandéchiréàlagarçonneetsonT-shirtblanctoutsimple.C’étaitdoncelle:lafillequiavaitbrisélecœurd’Amelia.Quit’adonnéledroit?songeaKate.Alorsquetunelaméritaiscertainementpas.Elleétaitcontented’avoirpromisàLewdesetaire.Ellen’osaitpasimaginercequ’elleauraitpudire.

«Bonjour,Dylan,jesuisl’inspecteurLewThompson.»IlsetournaensuiteversCelesteendésignantlesalonpleincommeunœuf.«Çavousennuieraitqu’ons’assoie?−Jevousenprie,réponditCelesteavecungrandgestedubras.Faitescommechezvous.»Dylanlessuivitentraînantdespiedsets’assittoutedroiteàcôtédesamère,lesfessessurleborddu

canapérigide.Ellen’avaitcroiséleregarddepersonne,toutsoncorpstrahissaitdelaréticence.Peut-êtreétait-ellenerveuse,maisilsemblaitàKatequ’ilyavaitautrechose.

«Dylan,certainesdesquestionsquejevaisdevoirteposerrisquentd’êtresensibles»,déclaraLew.Ilaffichaituneattitudelégère,commes’ils’adressaitàunefillebeaucoupplusjeune.«Veux-tud’abordprendreuneminutepourmettretamèreaucourantdecegroupeVold’oiseau?»Kateguettaitl’amoncellementdenuagesd’inquiétudesurlevisagedeCeleste.Aulieudecela,cette

dernièreaffichaunsouriredétendu:«Oh,nevousinquiétezpas.Mafilleetmoin’avonsaucunsecretl’unepourl’autre,inspecteur.−Entantqueparents,c’estcequenousaimerionstouscroire,répliquaLewdoucement.Maisdans

cettesituationprécise…−Jesuisaucourantpourlesphotos,sic’estdecelaqu’ils’agit.−Vousétiezaucourant?»s’exclamaKate,incrédule.Celesteauraitdûeninformerlelycée,lesautresparents,quelqu’un.Pourlebiendesautresfilles,si

cen’estceluidelasienne.Quelgenredemèreétait-elle?« Jenedirais pasque je suis contentequeDylan ait participé,mais je ne crois pas auxvertusde

l’espionnage.Ellealedroitdefairesespropreschoix,cequicomprendledroitd’enfairedemauvais.»Dylanappuyaalorslatêtecontrel’épauledesamère,quiluienveloppalevisaged’unbras.Cegeste

aurait pu être l’expression charmante d’une affectionmère-enfant s’il n’avait pas été enfantin au pointd’enêtredéconcertant.OnauraitditqueCeleste,enfaisantcourirsesdoigtsdanslescheveuxdesafille,apaisaitlechagrind’uneenfantdedeuxans.

«Danscecas,venons-endirectementaufait,ditLew,impassible.TufaisdoncpartiedecegroupeVold’oiseau,Dylan?»

Celle-ciregardasamère,quid’unhochementdetêteluisignifiaderépondre.«Ouais,lâcha-t-elled’unairhébété.LesMagpies,c’estsonnom.»Magpies.Maggien°1,Maggien°2.C’étaitbeletbienlespseudonymesdesfillesquisetrouvaient

danslegroupeVold’oiseau.«C’estungenredeclub?»demandaLew.Dylanhochalatête.Lesyeuxrivésausol,elletiraitsesmanchessursesmainsavantdelesrelâcher

d’uncoupsecetderecommencercegestesansfin.«Unclubsecret»,expliqua-t-ellesansleverlesyeux.Àprésentelleentremêlaitsesdoigts,lesséparait,lesentremêlait…«Avecdesinvitationssecrètes,desrèglessecrètesetdessecretssecrets.−ÀGraceHall,lesclubsontunlongpassé,quiremontemêmebienavantl’époqueoùj’yétaisélève,

intervintCelested’untondoucereux.J’avaisécopédeGraceHallàperpétuité,toutcommeDylan.Etenfait au départ cette idée de clubs est tout à fait charmante. Vous savez… la camaraderie, la sororité.Ils avaient été abolis à cause d’un incident qui s’était produit juste avant mon entrée au lycée. Unetragédie,incontestablement,maisunetragédieisolée.C’étaitdommagepourtouslesélèvesquiontsuivi,moicompris,qu’ilsmettentenplaceuneinterdictionaussistricte.»

KatevitlevisagedeLewsetendresensiblement.Celesteluiportaitsurlesnerfs.C’étaitpeut-êtrelavanité de cette femme ou le fait qu’elle oublie complètement ce qui avait été en jeu pour ces filles.Difficilededéterminercequiledérangeaitleplus.Ilyavaittellementd’options.

«EtAmeliaaaussifaitpartiedececlubdesMagpie?demandaLewens’efforçantdereportersonattentionsurDylan.

−Pendantunpetitmoment.−Suffisammentlongtempspourpostersesphotos.»Dylanhaussalesépaules.«J’imagine.

−Etquelétaitlebutdecesphotos?−C’étaitunjeu,répondit-elled’unevoixmécanique.Cellequiobtientleplusde“likes”agagné.−Unjeu?»s’exclamaKate,quin’encroyaitpassesoreilles.Ellenepouvaitsimplementplusgarderlesilence.«Maisenfin,lesfilles,qu’est-cequevouspouviezbien…»Elles’interrompit:montersursesgrandschevauxnerendraitcertainementpasDylanplusloquace.

Cela vexerait également sa mère, qui avait déjà clairement signifié qu’elle trouvait tout cela fortdivertissant.

«Quiaeul’idéedecejeu?»demandaLew.Dylanagrippalecanapédepartetd’autredesescuissespuissemitàpianoterunrythmerapideet

presqueenjoué,encompletdécalageaveclaconversationsinistrequ’ilsavaient.Ellefinitparsecouerlatêtepuishaussalesépaules.«Jenem’enrappelleplus.»Ellementait,c’étaitévident,ellecouvraitquelqu’un.«Quesepassait-ilsiquelqu’unrefusaitdejouer?−Jenesaispas»,marmonnaDylan,lesyeuxrivéssurseschaussures.Soudainsesdoigtssefigèrent.«Personnen’ajamaisditnon.−PasmêmeAmelia?»demandaLew.Dylansecoualatêteets’agita,malàl’aise,surlecanapé.«Ameliaettoiétiezproches,non?»demandaKate.Ellen’auraitpasdûl’interrogersurleurrelation.C’étaitàLewdelefaire.Ilss’étaientmisd’accord.

MaisdevoirDylanassiselà,avectouteslesréponses,c’étaitinsoutenable.Dylan regarda samère, comme si elle essayait de lui communiquer quelque chose avec les yeux.

Celesteluipressalamain.«DylanetAmeliaétaienteneffetdesamies trèsproches,sic’est làvotrequestion,Kate, répondit

calmementCeleste.−C’étaitplusqu’uneamitié»,répliquaKate,quis’efforçaitaucalmeelleaussi.Celesteagitalamainavecunegrandiloquencethéâtrale.«Cesontdesadolescentes.Ceschosesentreellessontéphémèreset les lignessontbeaucoupplus

flouesqu’ànotreépoque.N’est-cepasvotreavis?»CelesteattendaitqueKatehochelatête.Ellen’enfitrien.«Personnellement, jenepensepasque les adolescents comprennent lanaturede leurs relations la

moitiédutemps,etencoremoinspourquoiellescessent»,ajoutaCeleste.Unemiseengardeétaitdésormaislisibledanssesyeux.Ellen’aimaitpaslatournurequeprenaitla

conversation,etelleétaitprêteàlarepousser,durements’illefallait.«J’ailulestextosd’Amelia,rétorquaKateens’obligeantàresterassise,mêmesiellen’avaitqu’une

envie : bondir surDylan et la secouer jusqu’à ce qu’elle avoue ce que ces filles avaient fait subir àAmeliaetpourquoi.Franchement,ilnesemblaitpasyavoirdeflou.AmeliaétaitamoureusedeDylan.»

Celesteeutunsourirefigéetcroisalesbras.« Peut-être devrions-nous fairemarche arrière un instant, dit-elle.Quelle est au juste la raison de

votrevenueiciaujourd’hui,aprèstoutescessemaines?Onnousaexpliquéqu’Ameliaavaittrichéetquecelal’avaitpousséeausuicide.Suicideimpulsif:c’étaitletermeemployé.Onnousamêmedonnédesinstructionssurlessignesàsurveillercheznospropresenfants.

−Quivousaditça?demandaKate.

−Àlaréunionpourlesparentsaulycée.−Laréunion?−Justeaprèsqu’Amelia…justeaprès.Lesparentsavaientdesquestions.Ilsvoulaientcomprendre.

Lapsychologuescolaireétaitlà,ainsiqu’unexpertextérieur,jecrois.»EllesetournaversDylan,quis’étaitenfoncéeplusprofondémentdanslecanapéets’étaitremiseà

pianoter,encoreplusvitecettefois.«Jesuisdésoléemaismafillea…Cegenredesituationpeutêtreunesourcedestresspourelle.»ElleregardasuccessivementLewetKate,agacéedecequelesinformationsqu’elleleuravaitlivrées

jusque-làneleursuffisentpas.«Sivousvouleztoutsavoir,Dylanaparfoisdumalàgérerlessituationssociales.»Ellepressalamaindesafille.« C’est une maladie extrêmement bénigne, extrêmement. Franchement, cette discussion serait

stressante pour n’importe qui, à mon avis. Néanmoins il va falloir que vous mettiez un terme à vosquestionssur-le-champ.»

Unemaladie?Ilyavaitcesticsavecsesmains,lafaçondontellen’avaitjamaiscroiséleurregard,l’impression qu’elle était ailleurs. Kate ne savait pas trop à quelle maladie Celeste faisait allusion,cependantunedifficultéàgérerlesrelationssocialesauraitpuexpliquerpourquoiAmeliaavaittrouvélecomportementdeDylandéroutant.

«Ameliaétait-elleaucourant?demandaKateàDylan.Pourtamaladie?− GraceHall ne le saitmême pas, s’empressa de répondreCeleste à la place de sa fille. Seules

quelquespersonnesdeconfiancetriéessurlevoletdansnotrefamilleetparminosamissontaucourant.NousavonstoujoursrefuséqueDylansoitinutilementétiquetée.

−Zadielesait,intervintDylancommeunrobot.Zadiesaittout.»Lafaçondontellevenaitdes’exprimerdonnalachairdepouleàKate.«Commejeledisais,nousestimonsquel’étatdeDylanestuneaffairefamilialeprivée.»Celeste se leva brusquement. Il était clair qu’en disant privée elle voulait dire secrète. Il était

égalementclairqu’elleregrettaitdel’avoirévoquée.« Nous avons essayé de vous être aussi utiles que possible. Je vous demande de respecter notre

intimité en nementionnant l’état deDylan à personne àGraceHall. Les demandes d’inscription à lafacultéapprochent.Nousn’avonsaucuneenviedebrouillerlescartes.

−Oui,évidemment»,murmuraKate.Elle dévisageait toujours Dylan. Elle n’arrivait pas à détacher les yeux de cette fille. Elle s’était

tellementconvaincuequec’étaitDylanlatraîtresse.Ordésormaisilluiétaitdifficiledenepasavoirdelapeinepourelleaussi.Ellenesavaitpascequec’étaitpourDylandefonctionneravecceslimites,etencoremoinscequec’étaitpourelledefairecommesi−àlademandedesamère−ellesn’existaientpas.Kateavait ressenti lepoids terribledes secretsdesapropre fille. Ilsavaient suffià luibriser lecœur.

«Maintenant,siçanevousdérangepas,lançaCelesteendésignantlaporte.−Unedernièrechose,répliquaLewenselevant.Dylan,onademandéàAmeliadequitterleclub,

n’est-cepas?»Ilsortitl’undespetits«Jetehais»desapochearrièreetleposasurlatable.Dylanhochalatêteen

regardantlemorceaudepapiersansesquisserlemoindregestepours’enemparer.«Pourquoia-t-elleétévirée?»Ilyeutunlongsilence.Ilremplissaitlapièce,pesaitsurlescarreauxdesfenêtres.

«Parcequ’ellem’aimaitbien,etquemoiaussi»,finit-elleparmurmurer,lesyeuxtoujoursrivéssurlemessage.

ElleregardaKate,lesyeuxemplisdelarmes.«Maisc’estàcausedevousqueZadieainvitéAmeliadansleclub.»Ilsmarchèrent en silencependantquelquespâtésdemaisons après êtrepartis de chezDylan.Kate

étaitsonnée.Sanscompterqu’elleavaitencoreplusdequestionsàprésent.CelesteavaitchasséDylanavantqu’ilspuissentluidemanderdeleurexpliquercommentdiableKatepouvaitêtrelaraisonquiavaitpoussélesMagpiesàinviterAmeliaàlesrejoindre.

«Avantquej’yaille»,ditLewenarrivantdevantchezKate.Ilavaitlesmainsenfoncéesdanslespoches,lesyeuxrivésausol.«Ilvafalloirquevousmeracontiez.−Vousraconterquoi?−CequeDylanvoulaitdirequandelleadéclaréqueZadieavaitapprochéAmeliaàcausedevous,

expliqua-t-ilcalmement,l’airsérieux.−Jen’enaifranchementaucuneidée.»Elleavaitbeaun’avoirrienàcacher,ellesesentaitcoupable.Elleavaitconsciencedel’impression

quepouvaitdonnersasituation.ÀlaplacedeLew,elleaussiseseraitposédesquestions.«Jen’aijamaisvucettefilledemavie.Jenesaismêmepasàquoielleressemble.−Enrevanchevousavezrencontrésamère.Elleestvenuechezvous,non?−Pourmedemander,aunomdel’associationparents-profs,l’autorisationd’organisercetteactionde

sensibilisationausuicideenl’honneurd’Amelia.J’aiexpressémentrefusé,cedontilsontmanifestementdécidé de ne pas tenir compte, puisqu’ils vont le faire quand même. En revanche j’ai effectivementmentionnéqu’ilyavaiteudunouveau.»

Kateplaquaunemainsursonestomacvide.MonDieu,pourquoiavait-elleconfiéquoiquecesoitàAdele?

«Maisçanepeutpasavoirderapport.AmeliaaétéinvitéechezlesMagpiesplusieursmoisavantquejerencontresamère.

−Alorsc’estautrechose,ditLew.MaisDylannementaitpassurcecoup-là.Ç’auraitétébientroptiréparlescheveux,sanscompterquec’étaitinutile.»

Lesyeuxrivésausol,Katesecreusaitlatête.«Je…Jenesaispasdequoiilpourraits’agir.»Lewlaregardadroitdanslesyeuxpendantuneminute,puishochalatête,commes’ilenétaitvenuà

quelqueconclusion.«Alorsilfaudrasimplementqu’ondemandeàZadie,dit-ilencommençantàs’éloigner.Maisdemain.

Vousavezbesoind’unepause.−Pasdutout.Jepourrais…−Biensûrquesi.Etnevousfatiguezpasàargumenter.J’aicinqmômes,vousvoussouvenez?Alors

quandjedisnon,c’estnon.»ToutsoncorpsétaitendoloriquandKates’assit lourdementdanssonfauteuildebureauet tendit le

braspourallumerlalampe.Cefaisant,elleremarquaunephotod’Ameliaàl’âgedeseptansposéesurl’étagère.Lorsdel’unedeleursnombreusesexcursionsàConeyIsland,dresséesurlapointedespieds,ellesetenaitàlalisièredesvagues.Lesbrastendus,elleembrassaitl’air.Ç’avaittoujoursétésaphotopréféréedesafille.Pourelle,c’était lapreuvequ’ellesmenaientunevieheureuseensemble.Qu’elles

constituaientunefamilleavecleurproprepasséetleursproprestraditions.Unefamilleminuscule,certes,mais qui fonctionnait. Kate avait commis beaucoup d’erreurs dans sa vie, trop, même. Elle n’avaitcertainementpasétéunemèreparfaite,maiselleavaitconstruitquelquechosequicomptaitpoursafille.

«Pourquoi fallait-il que tu choisisses cette fille-là,Amelia ? » s’entendit-elle demander tout haut.Lepire,c’étaitàquelpointlechoixd’Amelialuiétaitfamilier,sisemblableàtantdessiens.«Elleestmagnifique,d’accord.Maiselleesttellement,jenesaispas,perturbée.Cen’estpassafaute:regardesamère.Maisn’avais-tupassaisilasituation?Çam’étonnedetoi.»

Depuislamortd’Amelia,c’étaitquelquechosequeKatenes’étaitencorejamaisautorisé,parlertouthautàsafilledécédée.Cettesimplepenséel’avaittoujoursdérangée.Bizarrement,àprésent,c’étaitunréconfort.Peut-êtreétait-ceparcequ’elleétaitdéjàcomplètementdétruite.

«Qu’importe qui a rompu et pourquoi, elle était chanceuse de t’avoir.N’importe qui l’aurait été.J’espèrequetulesais.»

Elle se tut alors, contemplant de nouveau la photo. Elle n’attendait pas de réponse, dumoins pasexactement.

«Etpuistuauraispum’enparler.Lefaitquetul’aimesn’auraitjamaisdiminuél’amourquej’avaispourtoi.»

Ellefixaittoujourslaphotodesyeuxquandletéléphonesonna.«Portablepapa»disaitl’écran.Sonpèrequil’appelait?Siçaavaitétésamère,elleauraitcertainementlaissésedéclencherlerépondeur.Maissonpèrenetéléphonaitjamais,etencoremoinsavecsonportabledontilneseservaitpresquepas.

«Papa,qu’est-cequinevapas?»demanda-t-elle.Si ses parents étaient raisonnablement en forme, ils n’étaient plus franchement tout jeunes. Seul un

bruitdeparasitesfitéchoàsaquestion.Ellesedemandauninstantsisonpèren’avaitpascomposésonnuméroparerreur.

«Papa,tueslà?−Oh, oui, finit-il par répondre en se raclant la gorge. J’ai étémomentanément distrait, toutesmes

excuses.Jemebaladeauborddulacetj’auraispujureravoirvuàl’instantuneélénieàcimierblanc.C’estévidemmentimpossiblepuisquec’estunoiseaud’AmériqueduSud,mais…»

Savoixvibraitd’émerveillementenfantin.Kateentenditaussisarespirations’accélérer,commes’ilmarchaitplusvite.

«Attends,jevaisrevenirsurmespaspourvérifier.Jetepriedem’excuseruninstant.−Papa?lançaKate,mêmes’ilsemblaitavoirdenouveauécartéletéléphonedesonoreille.Papa?−Ohoui,désolé»,dit-ilenseconcentrantenfinsursaconversation.Iln’yavaitplustraced’ébahissementdanssavoix.«J’aidûavoirunevision.J’aibienpeurquel’observationdesoiseauxsoitunpasse-tempsdejeune

homme,contrairementàcequ’auraitpulaissercroirelamoyenned’âgedesparticipantsàcettecroisièreauxGalapagosd’oùjereviens.»

Ilseraclalagorge.«Entoutcas,tamèrem’ademandédet’appelerpourprendredetesnouvelles.−Mamant’ademandédem’appeler?»Katelesoupçonnaitd’avoirinventécemensongedefaçonàconserverunedistanceémotionnelle.«J’aidumalàlecroire.−Lavéritéestsouventdureàcroire.Etpourtantsi,ellem’ademandédem’assurerquetuallaisbien.

Elle semble perturbée par la dernière conversation que vous avez eue. Je ne lui ai pas demandé deprécisions.Tusaisbienquejen’aimepasmemêlerdecequinemeregardepas.Maisjeluiaipromisd’appeler.Çava,Kate?

−Non», répondit-elle, résistantà la tentationde luidirecequ’ilvoulaitentendresanspourautantêtretrèsenclineàs’épancher.

Ellesavaitqu’iln’avaitpasvraimentenviedeconnaîtrelesdétails,detoutefaçon.«Jenesuispassûrequeçaaille.−Oui,enfin,murmura-t-il.J’imaginequ’ilyadeschosesquines’arrangentjamais.»C’était la toute première fois qu’il la laissait libre d’avoir des sentiments négatifs. Elle était

persuadéed’avoirmalentendu.«Non,eneffet,chevrotaKate.−Tusais,tamèreadebonnesintentions.»Il avait adopté un ton plus sec. Il marchait en territoire émotionnel inconnu et son malaise était

manifeste.«Ellenesaitpastoujourscomment…Tutesouviensdelapremièrefoisqu’onestvenusàNewYork

pourvoirAmeliajusteaprèssanaissance?Sais-tuquetamèreapleurépendanttoutletrajetduretourjusqu’àl’aéroporttellementellesefaisaitdusoucipourtoi?

−Jenepensepasquec’estpourçaque…−Si.Ellenepleurepassouvent,cen’estpaslegenredetamère.Maiscejour-là…»Ilpritunegrandeinspiration.«Alors,çavaaller?Est-cequejepeuxdireçaàtamère?»Sonpèreétaitbeaucoupdechoses,maiscen’étaitpasunmenteur.Katen’étaitpascomplètementsûre

decroireàcettehistoiredeGretchen tenailléepar l’inquiétudematernelle, toutefoiscetépisodedataittellementqueçanecomptaitpeut-êtremêmeplus.

«Pourêtrefranche,jenesaispassiçavaaller,papa.»Leslarmesluimontèrentauxyeux.Latristesseetleregretl’assaillaientsoudaindetoutesparts.«Maistupeux…Tudevraisdireàmamanqueçaira.»Ellen’auraitpascruque laThistleTavernseraitaussipleineàdix-huitheuresunsoirdesemaine.

Celadit,c’étaitlapremièrefoisqu’elleenfranchissaitleseuil.Cen’étaitqu’undecesnombreuxlieuxpouradultesduquartierauxquelselleavaittoujoursvouluserendresansjamaisenavoirletemps.

L’intérieurne ladéçutpas :desboiseries sombres,ducuivremat, la carte écrite à la craie surungrand tableau au-dessus du bar, et des serveurs qui− avec leur florilège de tatouages et leurs barbeshirsutes− semblaient tout droit sortis d’un film indépendant. Elle vit Jeremy assis au petit comptoirbondé, dos à la porte. Lesmains serrées autour d’un verre de bière, il discutait avec le barman auxrouflaquettesproéminentescommes’ilsétaientdeuxvieuxcopainsdefac,seglissantsanseffort,fidèleàlui-même,danslapeaud’uninconnu.

«Salut»,lesinterrompitKate.Jeremyseretournaetluiadressaunsourirelumineux.Ildescenditd’unbonddesontabouret,qu’illui

offrit galamment. Elle l’accepta par pure politesse. Le barman paraissait déçu, pas tant d’avoir étéinterrompu que de l’avoir été parKate.Comme s’il avait eu de plus grandes ambitions concernant lapersonnequeJeremyattendait.Kateregardasesvêtements:unvieuxpull,unjeanetdessabotsbientropconfortablesqu’elleréservaitd’ordinaireauweek-end.Elleavaittirésescheveuxenarrièreetneportaitpasdemaquillage.Quelqu’uncommeJeremyméritaiteffectivementmieux,maiscen’étaitpascommes’ils’agissaitd’unrendez-vousamoureux.Etencemoment,onnepouvaitpasluiendemanderplus.

«Qu’est-cequejevoussers?demandalebarmandemauvaisegrâce.−Unverredevinblanc.»Ellen’avaitpasenviedeboire,maisbon.

«Jevaisvousapporterlacarte.−Ohinutile.Choisissez.−Vapourlepluscher,alors»,repartitlebarmanenadressantunclind’œilàJeremy.Le tabouret à côté de Kate se libéra, Jeremy s’y installa pendant que le barman la servait.

Ilsattendirentsondépartpourcommenceràdiscuter.«Tun’espasalléaubureauaujourd’hui?demandaKateendésignantsonjeanetsachemisetrendy

décontractéeàcolboutonné.–J’aifinitôt.»Ilsecoualatêteetbutunelonguegorgéedebière.«J’avaisbesoind’air.Detempspourréfléchir.−Àproposdequoi?−Oh,detasdechoses.»Leregardplongédanssonverre,ilsepréparaitàfaireunedéclaration.«Écoute,jesaisqueçavientunpeutard,maisjevoulaism’excuser,Kate,decequiétaitarrivéentre

nous,tusais,àl’époque.C’étaittotalementdéplacédemapartd’avoircegenrederelationavectoi.»Kateeutuneboufféedecolère.Ellen’arrivaitpasàcroirequeJeremyfaisaitçamaintenant.«Tuplaisantes.»Jeremysemblaitperplexe.«Commentça?−Tum’asfaitvenir iciaumilieude la tornadeque je traversepourmedireque turegrettaiscette

seuleetuniquenuit−ouplutôtcetteseuleetuniqueheure−quenousavonspasséeensembleilyaplusdedixans?»

Ilsemblaitblessé.Ilpensaitsincèrementqu’ilétaittoujoursenpremièrelignedespenséesdesgens.« Je voulais juste m’assurer que tu savais que j’en prenais l’entière responsabilité. Surtout

maintenant,j’ail’impressionque…c’estimportantpourmoiquetusachesquecen’étaitpastafaute.−Mafaute?»Katepartitd’unrireunpeufou.Enmêmetemps,lasituationétaitfolle.«Trèsbien,jelesais.Jepeuxyallermaintenant?»Jeremyfronçalessourcils,puissortitunboutdepapierpliédelapochedesachemise.Illetendità

Kate.Ellenelepritpas.«Qu’est-cequec’est?− C’était sur le site inside-the-law.com ce matin, expliqua-t-il comme Kate s’en saisissait à

contrecœur.J’aichargéquelqu’und’essayerdetrouverleresponsable,maisc’estplusfacileàdirequ’àfaire.»

Katelut:«JeremyFirthdeSlone,Thayer:d’abordilramone,ensuiteilpistonne.»Ellefermalesyeuxsansenliredavantage.

«Tonnomn’estpasmentionné,poursuivitJeremy.Parchance,àpart lemien,aucunnel’est.Etdenombreusesinformationssontfausses.Ilyatoutuntasdeconneriesselonlesquellesj’auraisbaisédansdessallesdeconférenceetdansdesascenseursetqueçaauraitdurédesannées.Seulement,jecroisqu’ily a suffisamment de choses là-dedans pour que les gens puissent deviner que certains détails teconcernent.

−OhmonDieu,s’exclamaKate,leslarmesauxyeux.EtVera?− Elle ne l’a pas lu, répondit-il en secouant la tête. Du moins pas encore. Quelqu’un finira

probablementparleluidire,enrevanchequiseporteravolontairepourservirdemessager,jen’ensais

rien.»IlregardaKateavantdereplongerlesyeuxdanssabière.« Jeme sens tellement…commença-t-elle avantde se couvrir labouched’unemain.PauvreVera.

Ellevamedétester.−Cen’estpassongenre.Ellemedétesteramoi,c’estsûr,maispastoi»,murmura-t-il.Puisilpritunegrandeinspiration.«Ilfautégalementquetusachesquecepostmentionneaussid’autresfemmes.Lesdétailsontbeau

êtrefaux,ilyabeletbieneud’autresfemmes.J’auraisaimépouvoirdirelecontraire.−J’étaisaucourant.»KateavaithontedecetaveuetenvoulaitàJeremyd’avoirpenséqu’elleavaitétéasseznaïvepour

croirequ’elleavaitétélaseule.«Mêmeàl’époque,j’étaisaucourant.»Defait,àl’époqueoùilsavaientcouchéensemble,savoirqueJeremyavaitcouché–couchait−avec

d’autresassociéesdesexefémininluiavaitunpeuallégélaconscience.Bizarrement,elles’étaitsentiemoinsresponsable.

« Je ne suis pas fier de la personne que j’étais, déclara Jeremy.Mais j’ai changé depuis. Ça faitlongtempsquej’aichangé.J’aiétécentpourcentfidèleàVeraaucoursdesdixdernièresannées.Jenel’aipastoujoursété,maisjesuisunbonmari,maintenant.»

Kateledévisagea,soncorpssebalançantimperceptiblementsouslescoupsdeboutoirdesoncœur.Qu’attendait-il d’elle ? Une absolution ? Elle n’en avait pas à donner. Elle avait des soucis plusimportantsquelaconsciencemalmenéedeJeremy.Ilfallaitqu’ellesortedecebar,qu’elles’éloignedecethomme.

«Ilfautquej’yaille,parvint-elleàarticulerenselaissantglisserdutabouret.−Attends,oùvas-tu?demanda-t-ilensautantàterre.Ilyaautrechosedontilfautqu’onparle,Kate.−Non,pasdutout,rétorqua-t-elleenlefrôlantsurlechemindelasortie.Etjenesuispasencolère,

Jeremy,nibouleversée,niriendecequetupourraiscroire.Seulement,jeneveuxplusjamaisparlerdetoutça,jamais.»

Elle essaya de respirer en s’éloignant à toutes jambes de laThistleTavern pour rentrer chez elle,

mais lasensationdebrûluredanssespoumonsnefitque la rapprocherdavantageduborddes larmes.Ellejetauncoupd’œilpar-dessussonépauleafindes’assurerqueJeremynelasuivaitpas.Quandelleseretourna,letrottoirsebrouilla.Secouéedesanglots,elleparcourutlaSeptièmeAvenuebondée,unemainplaquéesursonvisagegrimaçant,leslarmesdégoulinantsursesjouestandisqu’elleesquivaitlespassantsquiladévisageaient.Sontéléphonevibraalorsdanssapoche.Jeremyluiavaitenvoyéuntextoaulieudelasuivre.Évidemment.Jesuisdésolé,reviens.Il fautquetucomprennes, s’attendait-elleàlire.Peuimportelesmots,detoutefaçon.Ellenevoulaitplusluiparler,dumoinspourlemoment.

Elleallapêchersonportabledanssapocheetregardalemessage:Qu’est-cequ’ilvatedonnercettefois-ci,salepute?

AMELIA

21OCTOBRE,20H56

BENdesnouvelles?

AMELIAzéro

BENpatience,lvarevenir

AMELIAt’ycroismêmepas

BENlestconnesilrevientpas

AMELIAmerci

BENcsincère

AMELIAjesais,fautkejaille,suispasd’humeuràparler

BENokà+

21OCTOBRE,21H18

SYLVIAquoi2neuf,mapoule?

AMELIArien

SYLVIAt’avaisl’airgraveàlamasseaulycée

AMELIAgmesrègles

SYLVIApasdebol;gsuiviSusanDolanaujourd’hui

AMELIAcpasvrai…

SYLVIA

t’saisquoi,lachète1putaindegrosSACderéglisserougeaprèslescoursetlselestapeTOUSenrentrantchezlAMELIAdégueu

SYLVIAldoitlesgerberaprèscettesaleasperge

AMELIAfautkejaille;mesenspasbien

SYLVIAok,à+,prendsduspasfon,1trucdslegenre

22OCTOBRE,2H01

NUMÉROMASQUÉsalope

22OCTOBRE,2H02

NUMÉROMASQUÉpute

22OCTOBRE,2H03

NUMÉROMASQUÉcatin

22OCTOBRE,2H04

NUMÉROMASQUÉgouine

22OCTOBRE,2H05

NUMÉROMASQUÉsalopesalopesalopesalope

22OCTOBRE,2H10

NUMÉROMASQUÉcrèvesalopecrève

22OCTOBRE,2H11

NUMÉROMASQUÉvieillepute

22OCTOBRE,2H12

NUMÉROMASQUÉsacàmerde

22OCTOBRE,2H13

NUMÉROMASQUÉcatin

22OCTOBRE,2H14

NUMÉROMASQUÉbroute-minou

22OCTOBRE,2H15

NUMÉROMASQUÉpétasse,pétasse,pétasse

22OCTOBRE,2H20

NUMÉROMASQUÉpédale

22OCTOBRE,2H21

NUMÉROMASQUÉgouinassesalopepétasse

22OCTOBRE,2H22

NUMÉROMASQUÉgoudou

22OCTOBRE,2H23

NUMÉROMASQUÉhomo,homo,homo,homicide

22OCTOBRE,2H24

NUMÉROMASQUÉpouffiasse

22OCTOBRE,2H25

NUMÉROMASQUÉsaletraînéedemerde

22OCTOBRE,2H30

NUMÉROMASQUÉj’espèreketuvascreversalope

22OCTOBRE,2H31

NUMÉROMASQUÉsuceusedechatte

22OCTOBRE,2H32

NUMÉROMASQUÉt’esuneputeespècedemytho

22OCTOBRE,2H33

NUMÉROMASQUÉon

22OCTOBRE,2H34

NUMÉROMASQUÉsait

22OCTOBRE,2H35

NUMÉROMASQUÉoù

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NUMÉROMASQUÉtu

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NUMÉROMASQUÉhabites

22OCTOBRE,2H38

NUMÉROMASQUÉon

22OCTOBRE,2H39

NUMÉROMASQUÉva

22OCTOBRE,2H40

NUMÉROMASQUÉvenir

22OCTOBRE,2H41

NUMÉROMASQUÉte

22OCTOBRE,2H42

NUMÉROMASQUÉtrouver

Facebook22OCTOBRE

AmeliaBaron« Les yeux des autres sont nos prisons, leurs pensées notre cage. » VirginiaWoolf,Lundioumardi

CarterRosetropdépriméelameufAinsleyBrownjetrouveçamagnifiqueCarterRosecpeut-êketoiaussittropdéprimée

AMELIA

22OCTOBRE

Les textos ont commencé à arriver enpleinenuit.À chacun était jointe unephotodemoi en sous-vêtements.Jelesaitouslus,tous,etj’airegardétouteslesphotos.Jen’auraisprobablementpasdû,maisje n’ai pas pu m’en empêcher. C’était comme si je n’arrivais pas à croire que ça arrivait vraiment.Jesupprimaischaquemessageaussitôtaprès l’avoirvu.Meforcerà lesregarderunefois,c’étaitbiensuffisant.Après,ilfallaitqu’ilsdisparaissent.

Letoutdernierétaitdifférentdesautres.IlparlaitdeSylvia.SitunousbalancesàWoodhouseouàn’importequi,Sylviavacasquer.Cetteputeseremettrajamaisdelarépuqu’onvaluifaire.

C’étaitpascon.Parcequemêmesijemerésignaisàendurerl’humiliationdesMagpies,jesavaisqueSylvia,elle,n’ysurvivrait jamais.Si sa liaisonàmaréebasseavec Ianne l’avaitpas rejetéevers lesobjets tranchants, le harcèlement des Magpies le ferait, lui. Or c’était la seule personne à êtrecomplètementinnocentedanstoutça.

Quandjesuisalléeaulycéelelendemainmatinaprèslestextos,j’aivuDylandansl’entrée.Ellen’a

mêmepasvoulumeregarderetestvitepartiedansladirectionopposéequandjemesuisavancéeverselle.Çan’auraitpasétésigravesijen’avaispascomptélesminutesquimeséparaientdumomentoùjepourraisluipardonner.Maisallezdoncpardonneràquelqu’unquinecherchepasàs’excuser.

Etpuisiln’yavaitpasqueDylanquim’ignorait.TouteslesMaggiesmurmuraientetgloussaientenveillantbienàcequejesachequ’ellesparlaientdemoichaquefoisquejepassaisàcôtéd’elles.Aprèsledéjeuner,quelqu’unavaitécritsurmoncasierlemotgouinasseaurougeàlèvres.Dumoinsjecroyaisque ça en était jusqu’à ce que j’essaie de l’effacer en espérant que personne dans le couloir bondén’auraitremarquécequiétaitécrit.Cen’estqu’aprèsm’enêtreétalépartoutsurlamainetsurmoncasierquejemesuisrenducomptequec’étaitduvernisàongles,etpasdurougeàlèvres.

Quandjesuisretournéeàmoncasieraprèslefrançais,ilavaitétévidé:bouquins,cahiers,matosdehockey,toutavaitdisparu.Àlaplaceilyavaitvingt-deuxpetitsmessagesquidisaienttous«jetehais»− unpour chaqueMaggie− et six criquetsvivants.Unede cesbestiolesm’a sautédessus, jeme suisplaquéunemainsurlabouchepouressayerdenepascrier.J’airetrouvémeslivresetmescahiersdansunepoubellepasloin.Parcontrelamoitiédel’entraînementétaitdéjàpasséquandj’aifiniparretrouvermonmatosdehockey.Ilétaitétalésurunbancdugymnase,aveclecontenud’unepoubelledeservietteshygiéniquesversédessus.

Cettenuit-là,lestextosontrecommencé,arrivantparà-coups,commelaveille,saufquecettefois-ci

ilsétaientsuffisammentespacéspourquejepiquedunezentrechaqueetquejesoisréveilléeensursautquelquesminutesplustard.Commelaveille,cen’étaientquedesinsultes,desmenacesouquoi,avecunephoto jointe.Ledernier, arrivé à3h53, était deZadie, aucundoute. Il y avait la vidéoqu’elle avaittournéequandellenousavaitsurprises,Dylanetmoi.J’avaisl’airtellementvénèrelà-dessusquec’étaitplutôtflippant,mêmepourmoi.

ZadieavaitréussiàmaintenirlevisagedeDylanhorschampdanschaqueplan.Elleavaitprotégésameilleureamie.Lavidéonemontraitquelesjambesetletorsed’unefillenue,sansqu’onsachelaquelle.JemerendaiscompteàprésentqueZadieavaitattendusonheurepoursonnerlafindenotrerelation.Ellesavait depuis le début queDylan passerait la porte dès qu’elle en donnerait enfin l’ordre.Moi aussi,j’auraisdûlesavoir.Moiaussi,jevivaisunedecesamitiésàlavieàlamort.Sylviamepoussaitàfairedes trucs que j’aurais jamais faits sinon. Avec elle ça n’allait pas très loin, mais je comprenais leprocessus.EtvucommentDylanparlaitdeZadie,leuramitiéétaitd’unetoutautrecatégorie.J’auraisdûsavoirdepuisledébutquejenepourraisjamaisrivaliser.

Quand j’ai enfin descendu les escaliers le lendemain matin, ma mère était tout habillée, sac sur

l’épaule,BlackBerryenmain.«Salut,toi»,a-t-ellelancéencourantpartoutdanslacuisinepourrassemblersesaffaires.Elle avait l’air stressée. Je l’ai observée un instant en silence. Je voulais lui expliquer ce qui se

passait. J’en avais besoin. Mais par où commencer ? Les Maggies, Dylan, Zadie qui nous avaitsurprises?C’était trop.Etpuispersonnenecommenceàparlerculavecsamèredesonpleingré.Engénéral on évite. Je suis donc restéeplantée là à essayer devoir comment je pourrais lui raconter neserait-cequ’unepartiedelasituation.Plusfacileàdirequ’àfairevul’embrouillaminidelachose.

J’airegardémamèreattraperunebananesurleplandetravailetfourrersesdossiersdanssonsac,puissesclefs.

«Cesoirjevaisvraimentrentrertrèstard.Jesuisdésolée.Jesaisquec’estridicule,maisceserabientôt fini. Et je me disais qu’on pourrait peut-être partir quelque part pour le grand week-end deThanksgiving.Dansunendroit comme lesBermudesparexemple, a-t-elleproposéen sedépêchantdevenirm’embrasseretdemeserrerfortdanssesbras.

–Quoi?»Autondemavoixonsentaitclairementquej’étaisvénère.Commentpouvait-ellenepasremarquer

qu’ilyavaitvraimentuntrucquiclochait?«T’essérieuse?»Toutemaviejem’étaisditquecen’étaitpasgravesimamèren’étaitpastoujoursàlamaison,parce

quesij’avaisvraimentbesoind’elle,ellelesaurait.Etelleseraitlà.Orlàj’avaisvraimentbesoind’elleetellen’avaitrienremarqué,nada.

«Bon,cen’estpasfranchementle“Super,maman!”quej’espéraismaisonpourrapeut-êtreenparlerceweek-end.»

Elleallaitpartird’unesecondeàl’autre.«Maman,tunepourraispasm’écouterlà,justeuneminute?»Mamèreaprisunegrandeinspirationpuisaexpiré.«Oui,Amelia,jepeuxt’écouter,uneminute.Jesuistoujourslàpourt’écouter.−JeveuxpasserleprochainsemestreàParis.»Paris,c’étaituneidéedeBen.Jen’avaispasencoreréfléchiàtouslesdétails,maisengrosleplan,

c’étaitdequitter le lycéependantunsemestre.Àmonretourenautomne,Zadie,Heather,Racheletunpaquet des autresMaggies auraient déjà passé leur diplôme.PasDylan : il lui resterait encore un an.Jenel’avaispaspréciséquandj’enavaisdiscutéavecBen.Jenetenaispasàcequ’ils’imaginequejepensaisencoreàelle.Mêmesic’étaitlecas.

Une part de moi souhaitait vraiment aller à Paris, ça me paraissait une solution valable à mesproblèmes. L’autre espérait que si je commençais à dire que je voulais partir à l’étranger pendant unsemestre,mamèrepourrait,jesaispas,pigerqu’ilyavaitvraimentuntrucquinetournaitpasrond.

Simamères’yopposait−cequimeparaissaithautementprobable−,leplanB,c’étaitdedirequejevoulaischangerdelycée.Jen’avaispasenviedequitterGraceHall.Liv,Sylviaetmonéquipedehockeymemanqueraient.Maiss’illefallait,jeleferais.

«Paris?»Mamèremeregardaitcommesij’étaisfolle.Etpuiselleavaitl’airstressée.Elleflippaitd’êtreàla

bourreauboulot,çasevoyaittrop.Çaaussij’étaisprêteàletourneràmonavantages’illefallait.Elledisaitouiàuntasdetrucsquandelleétaitenretardautaf.

«Pendanttoutunsemestre?EtParisestsiloin.−Jevoispascequeçachange»,ai-jeaboyé.Demande-moicequinevapas.Vas-y.«T’esjamaislà,detoutefaçon.−Amelia,jet’enprie,cen’estpasjuste,s’estlamentémamère.Etpuisunsemestreàl’étranger,ça

sefaitàlafac,pasaulycée.−Ceseraitéducatif.»Jemesuisbiengardéedepréciserqueceneseraitmêmepasorganiséparl’intermédiairedeGrace

Hall.Çan’auraitpasjouéenmafaveur.«Amelia,j’aimeraisvraimentpouvoirfairesautermaréunionpourrestericietendiscuteravectoi.

Maisfranchementc’estimpossible.S’ilteplaît,pourrait-onenparlerpluslonguementcesoir,quandjerentreraiàlamaison?»

J’aiessayéderavaler les larmesquibouillonnaientdansmagorge.Pourquoinemedemandait-ellepascequin’allaitpas?

«Tun’asqu’àdireoui,maman!»ai-jehurlé.Parcequepeut-êtrequeça,çafonctionnerait.«C’estsuperfacile,écoute:oui.Tropsimple.»Elleaclignéplusieursfoisdesyeux,avecl’airàlafoisblesséeetunpeuchoquée.«Allons,Amelia, a-t-ellemurmuré. Je ne dis pas forcément non. Tu sais bien que j’écouterai tes

arguments.Jelefaistoujours.»Ellesedirigeaitverslaported’entréeàprésent.« Seulement je ne peux pas le faire dans la seconde. Quand j’en saurai davantage au sujet de ce

programme,peut-êtreque jeverrai leschosesdifféremment.Cequi signifiequenousavonsbesoindetempspourenparler.

−Illeurfautuneréponseaujourd’hui,maman.»Parvenueàlaporte,elles’estretournée.«S’illeurfautuneréponseaujourd’hui,alorslaréponseestnon.−Ouais,super,ai-jemarmonné.Çam’aidevachement.»Elleaprisuneprofondeinspirationetcontempléleplafond.«Çava,Amelia?a-t-elledemandé,lamainsurlapoignéedeporte.Jesuisstresséeàcausedemon

travailetceseraitbienquejepuisseyaller.Maisjepeuxrestersituenasbesoin.Tulesais,n’est-cepas?»

Enfait jen’étaisplussûredesavoirquoiquecesoit.Deuxsecondesavant j’étais là,supervénèreparcequemamèrenemedemandaitpascequin’allaitpas,etmaintenantqu’ellelefaisaitj’avaisenviedenerienluidire.Qu’aurait-ellebienpufaire?Rien.Toutcequ’elleentreprendraitneferaitqu’empirerleschoses.Ça,j’enétaissûre.Jen’avaisqu’uneenvie:pleurer.Seule.

« Non, laisse tomber, ça va, ai-je répondu. C’est juste que les cours sont vraiment chiants en cemoment.»

Mamèrearetraversélapièceetm’aenlacée.Ellem’aserréesifortqu’onauraitditqu’elleessayaitdemebroyer.Ouc’étaitpeut-êtrelafaçondontjem’accrochaisàelle.

Elleafiniparmerelâcherets’estdirigéeverslaporte.Elles’estretournéeenl’ouvrant:«Toutvas’arranger,jetelepromets.Ças’arrangetoujours.»Quandj’aifrappéàlaporte,leDrLiptonétaitassisedansunfauteuildansuncoindesonbureau.Elle

lisaitundossierouvertsursesgenoux.Lesoleilquientraitàflotsparlafenêtrederrièreelledonnaitàsapeaul’illusiondelatransparence.Elleasursautéenm’entendantfrapper.Moiaussi,ducoup.

«Désolée»,ai-jelâché.Je regrettais déjà ma démarche. C’était la toute première fois que j’allais voir une psychologue

scolaire.Ilfallaitquejeparleàquelqu’un,àunepersonnequigarderaitpourellemesconfidences.«Jevoulaisjuste,euh…Vousvoulezquejerevienneplustard?−Non,non.»Pourtantellemeregardaitcommesij’étaisuneinconnuevenueluiquémanderunboutdesandwich.«Entre.Assieds-toi.»Elleafermésondossier,qu’elleadéposédélicatementsurlatableàcôtéd’elle.«Qu’est-cequejepeuxfairepourtoi?a-t-elledemandéentendantlebrasverssoncarnetderendez-

vousderrièreelle.Nousn’avionspasprévudeséance,si?»Elleaparcourulapagedudoigt.«Amy,c’estça?−Amelia.Non,jen’avaispasrendez-vous.Ilfautquej’enprenneun?»Aucundoute,çaavaitétéuneerreur.«Jepourraisrevenir.»LeDrLiptonm’a longuementdévisagée,complètement immobile,onauraitditunesortede lézard.

Jem’attendaisàvoird’unesecondeàl’autresalanguejaillirdesaboucheetsecollersurmajoue.«Mafoi, tues làmaintenant,a-t-ellefiniparrépondre.Et tum’as l’airprofondémentagitée,çase

voit.−Est-cequecedontonparleiciresteconfidentiel?ai-jedemandé,toujourssurleseuildelaporte.− Oui, a-t-elle répondu, désormais curieuse. En effet. Entre donc m’expliquer ce qui t’amène,

Amelia.»J’aifiniparentrerdanssonbureauentraînantdespieds.Ilétaitjoli,lumineux,avecdescanapésqui

paraissaient confort. Trop confort. Comme si à la seconde où on posait les fesses dessus on risquaitd’êtreaspirédansjenesaisquelvortexrétrécisseurdecerveau.

«Fermelaporteavantdet’asseoir.»J’aiobéi,mêmesi jedétestaisl’idéed’êtreenferméedanscettepièce.J’aifiniparmeforceràme

poser.J’aicroisélesmainssurmesgenoux,c’étaitdevraisglaçons.«Alors,quesepasse-t-il?»J’aigardéunmomentlesilence,jusqu’àcequelemalaisedeviennesipalpablequejecommenceàen

avoirlanausée.«Quelqu’unaplusoumoinscasséavecmoi,jecrois.−Plusoumoins?−Ben,elleestpartie,etmaintenantellenemeparleplus.−Lerejetesttoujoursdifficile»,aréponduposémentleDrLipton.Ellen’avaitpascilléquandj’avaisditelleetpasil.Ç’avaitétéunpetittest.«Ouais»,ai-jefait.

Alorsquejeladévisageais,j’aisentilefonddemagorgecommenceràmebrûler.Jen’avaisaucuneenviedememettreàpleurerici.Quisaitcequipeutsepasserquandonpleure?

«Sais-tupourquoielleamisfinàvotrerelation?»J’aisecouélatête,ravalantlagrosseboulecoincéeaufonddemagorge.«Sameilleureamiemedéteste,ai-jeréussiàarticuler.Maisjenesaismêmepassic’estàcausede

ça.C’estcompliqué.−Lesrelationsamoureuseslesontsouvent.Etl’incertituden’aidejamais.Ellelaissetropdeplaceà

la…rumination.Tuvoiscequejeveuxdire?»J’aihaussélesépaules.«Jecrois.−Lesquestionsouvertesentraventleprocessusdeguérison.»Leprocessusdeguérison.Cetteexpressionlaissaitvraimentpenserquec’étaitfiniavecDylan.Qu’il

fallaitpeut-êtrejustequejepasseàautrechose.«Etmaintenantilyauntasd’autresfillesquimecherchentaussi.−C’estenlienaveccetterelation?»J’airéfléchiuneminuteàlaquestion.ÇapuaitvraimentqueDylannemedéfendepas.Qu’ellesoit

sortie de chezmoi alors que je criais son nom.Qu’elle n’ait pas essayé deme contacter depuis. Parcontreellenem’avaitenvoyéaucundecestextos,j’enétaispresquecertaine.Ellen’avaitpastaguémoncasiernidéposéuntasd’insectesdedans.Pasmoyen.C’étaitZadie laresponsable.Et jesavaismieuxquepersonnequ’iln’étaitpasjustedeconsidérerquelqu’uncommeresponsabledesactesdesameilleureamie.

«Oui et non.Certaines des personnes quime cherchent sont ses amies, je crois. Elles font toutespartied’unclub.

−Ah,unclub.Laisse-moideviner,lesMagpies?−Ouais,j’enaifaitpartieunmoment.»C’étaitunsoulagementd’enfinledireàquelqu’un.«C’estlàl’objectifprincipalduclub:fairesesentirmalcellesquin’enfontpaspartieetmenaceren

permanence lesmembresdeperdre leur statut spécial.Cettedynamiqueprésente toujoursdemultiplesdangers.Jenesuispassurprised’apprendrequeleschosesontdenouveaumaltourné.»

J’aisecouélatête,lesyeuxbaignésdelarmes.«Maiscequ’ellesfont…c’esttellementpirequecequej’auraisjamaisimaginé.−Leharcèlementest interditpar lecodedeconduitede l’établissement, tusais.Sicequefontces

filles atteint ce niveau-là et qu’elles s’y livrent dans l’enceinte du lycée, elles risquent l’exclusion.D’ailleurs,jemeverraisobligéed’enréférerauproviseur.»

Je pensais auxphotos, aux textos et àma tenuede hockey couverte de déchets imprégnés de sang.Jepensaisauxmessesbassesetauxcriquets.Àlafaçondontlemotgouinesurgissaitdanstouslescoins.Maisest-cequejevoulaisqu’ellessoienttoutesviréesdulycéesi«toutes»devaitinclureDylan?EtSylvia,alors?Commentsurvivrait-elleàcequ’ellesluiinfligeraient?

JeregardaisleDrLipton,lecœuràdeuxcentsàl’heure.«Maisvousaviezditquetoutrestaitconfidentiel.»Elleaplissélesyeux.«Çalereste,a-t-elleconfirmé,undoigtlevé.Àconditionquepersonnenesoitendanger.»Ellem’a lancéunregard lourd.Danger.Elleavaitpeurque jemesuicideou jenesaisquoi.Cette

idéenem’avaitjamaistraversél’esprit.

«Jenevaispasmesuicider,sic’estcequevousvoulezdire.Jenepourraistoutsimplement…c’estlegenredetrucquejeneferaijamais.Maissiçachange,jevoustiendraiaucourant,sansfaute.

−Tuenasparléàtesparents?−J’aijustemamère»,ai-jeprécisé.C’étaitunréflexe.«Maisnon,jeneluienaipasparlé.»Jedétestaism’être transforméeenun telclichéde l’adolescence.Sixsemainesplus tôt, j’auraispu

jurerquej’auraistoutracontéàmamèresanshésiter.Etdepuisledébut.Maisilyasixsemaines,mavieétaitnettementmoinscompliquée.

«Tudevraisluienparler,m’aconseilléleDrLipton.Tamèret’aime.Elleestlàpourt’aider.−C’estbiençadontj’aipeur.Quemamèreembrouilleencoreplusleschosesenessayantdem’aider.− Tu devrais au minimum te confier à quelqu’un. La honte et l’aliénation sont le terreau des

oppresseurs. Il fautque tu tendes lamainaumoinsversuneamie,que tu lui racontescequi sepasse.Ilfautquetusoisentouréeetsoutenue.Tupensesquec’estpossible?»

J’aihochélatête,mêmesic’étaitunesolutionquejeredoutaisplusquetout.Sylviaétaitévidemmentcetteamieverslaquellej’auraisdûmediriger,orelleallaitêtregravevénèrequandelledécouvriraitlavéritésurlesMaggies.Sanscompterquej’étaissupergênée.Voilàprécisémentlaraisonpourlaquelleàlabaseelle–etmoi−ons’étaitditquelesclubs,çapuait.Leurseulbutétaitdefairedelaviedesgensunenfer.

«Ensuitejeveuxquetuécrivesunelettreouunmailàcettefille,avectouteslesquestionsquetuasenviedeluiposer,apoursuivileDrLipton.Toutcequetuveuxsavoirsurcequis’estpassé.Toutcequeturedoutesdesavoir.Maisattention,nel’envoiepas.Jeveuxquecesoittoiquiimagineslesréponses.

−Quejelesimagine?»Çam’avaitl’airtellementdébile.«Oui, imagine-les.Ne l’envoie surtoutpas.Cetexerciceapourbutde tedonner lecontrôlede la

situationetdetessentiments.Jecroisquetuterendrascomptequetuasdéjàtouteslesréponsesdonttuasbesoin.

−D’accord,ai-jerépondu,mêmesicettepropositionmeparaissaittoujoursabsurde.−Marchéconclu?»Ellemedévisageaitdansl’attented’uneréponse.«Euhoui,d’accord.Biensûr.−Bon,parfait.»Elleestalléeouvrirlaportedesonbureau.«Alors prends rendez-vous pour revenirme voir la semaine prochaine. Je veux un compte rendu.

Àcemoment-là,onpourrareparlerdufaitdeteconfieràtamère.»Quandj’aifinipardénicherSylviaàlapause-déjeuner,elleétaitdanslacouravecIan.Ilsdiscutaient

assis à une table, leurs genoux se touchaient. Quelques jours plus tôt, ils avaient failli casser. Ils nel’avaientpasfait,maisçan’avaittoujourspasl’airroseentreeux.Iann’arrêtaitpasderegarderautourdeluietdesepencherenarrière,commes’ilcherchaitunepoched’airouunendroitoùsecacher.

PauvreSylvia.Soncœurétaitdenouveausurlepointdesebriser.Pourtantunefractiondemoiétaitcontente:elleallaitbientôtavoirbesoindemoiautantquej’avaisbesoind’elle.SylviacœurbriséétaitbeaucoupplusgénéreusequeSylviaamoureuse.Cecidit,àcemomentprécis,elleétaittellementàfondsurIanqu’ilafalluquejemeplantejusteàcôtéd’ellepourqu’ellemeremarque.

«Oh,salut»,a-t-ellelancéenlevantenfinlesyeux.

Elleavaitl’aird’avoirlesboulesquejelesinterrompe.«Quoideneuf?»Ianavaitl’airauxangesdemevoirdébarquer.«Tiens,a-t-ilditenselevantd’unbond.Prendsmachaise.Fautquej’yailledetoutefaçon.−Quet’aillesoù?luiademandéSylvia.Onn’amêmepasparlédeceweek-end.Etleconcert?−Ahoui,auLivingRoom.»Ils’estmassélefrontd’unemainetaaspiréunpeud’airentresesdents.«Justement. Il se trouveque jevaispaspouvoiryaller, finalement.Maisvas-y, toi,éclate-toi,ma

puce.Onpourrasevoirplustarddansleweek-end.»Monestomacs’estserréquand j’aivuSylviasedécomposer.Lerécitdemesemmerdementsallait

devoir attendre. Il fallait que je l’aide à sauver cette conversation. Il fallait qu’elle aille au bout deschoses,pourlemeilleuroupourlepire.Defait,j’espéraisunpeulepire,qu’ellemetteencorepluslapression à Ian et qu’il finissepar laplaquerunebonne foispour toutes.Parceque cesdemi-mesures,c’étaitcommeregarderunécureuilàmoitiéécraséessayerdesetraînerloindumilieudelaroute.

«Non,tudevraisrester,Ian,ai-jeditenreculant.Jevoulaisjustedirebonjour.Àplus,Sylvia.»J’aifaitvolte-faceavantqueIanpuissem’arrêteretj’airetraversélacouràtoutevitesse.Quandje

me suis retournée, ils étaient toujours là ensemble, sans se parler. Ian frappait le sol de sa basketeuropéenneultramode.Sylvial’observait,elleattendait.

Tout le reste de la journée s’est déroulé sans incident : rienn’avait été pris dansmon casier, rien

n’avaitétéécritdessus.J’avaisdumalàycroire.Jen’avaismêmepasreçud’autrestextos.Letempsquejerentrechezmoicesoir-làetquej’envoieparmailàLivlaversiondéfinitivedemadissertsurVirginiaWoolf, j’étaispresquedétendue. JemedisaisqueZadie s’était lasséede fairedemavieunenfer surterre.

Jevenaisjustederéussiràm’endormirlorsquelepremiertextoestarrivé.Quandmontéléphonem’aavertidecepremiermessage−sacàmerde−,j’aiflippémarace.Jemesuisassisedansmonlit,lecœurenpanique,lesyeuxrivéssurmonportable.Çaavaitétémalindeleurpartdeseretenirtoutelajournée.Croirequec’étaitterminérendaitçatellementpirequandçarecommençait.

Après ce premier texto, lesmessages sont tombés− encore et encore et encore. De plus en pluspuants, et toujours accompagnés de la même photo, une que je n’avais jamais vue. Moi en traind’embrasser Dylan. Sauf qu’on ne voyait pas que c’était Dylan. Seulement que c’était moi−définitivementmoi,définitivemententraind’embrasserunefille.

«Onpourraitpasfairepéterlepremiercours?»ai-jedemandéàSylviaquandjel’airetrouvéeau

coindelaruelelendemainmatin.Onétaitencoreàquatrepâtésdemaisonsdulycée.Suffisammentloinpourpouvoirs’extirperduflot

sansquepersonneneposedequestions.«Onpourraitallerseprendreunmuffin,ouquoi.−AmeliaBaronvient-ellesérieusementdesuggérerqu’onsèchelescours?»Sylviaabattudespaupières,appuyéunemainsursapoitrineetfaitminedes’étouffer.«Etlaprochaineétape,c’estquoi?Unesoiréepoledance?−Jeplaisantepas,Sylvia.C’estjuste…»Jemesuisretournéeverslelycée.«Jevaispasyarriver,là.Enplus,jerateraiqueledessin.Çacomptepascommeunesèche.

−Moi,jevaisraterl’espagnol,maisvuquej’entravepasunmotdecequiseditdansceputaindecours,jenepensepasqueçacomptecommeunesèchenonplus.»

Elleapassésonbrassouslemien.«Dis-moi,c’estpasunestratégiepourteretrouverseuleavecmoietessayerdemesauter,hein?»Ellealevélesyeuxaucieltandisqu’onfaisaitdiscrètementdemi-tourdanslarueendirectiondela

SeptièmeAvenue.«Vuquet’eslesbienneettout.−Sérieux,tumecroistoujourspas?»ai-jedemandéàmi-chemin.Aprèsquejeluiavaisannoncéquej’étaisgay,Sylviam’avaitenvoyéplusieurs«J’hallucine!!»par

textos,maisj’avaisévitédem’étalersurlesujet.C’étaitpasdifficile.Elleétait tellementobsédéeparIanqu’ellen’arrêtaitpasd’oublierdemequestionnerquandonseretrouvaitensemble.

«Jecroisquetoi,t’ycrois»,a-t-elleréponduenvérifiantd’uncoupd’œilpar-dessussonépaulequepersonnenenoussuivait.

Il y avait des chasseurs d’absentéistes dans le quartier, mais ils avaient tendance à être un peuracistes. Ils n’iraient probablement pas ennuyer deux jeunes filles blanches dont les parents risquaientd’avoirpluslesboulesqu’onaitembêtéleursgossesqued’apprendrequ’ilsavaientséchélescours.

«C’estpasparcequet’arrivespasàavoiruncomportementnormalaveclesmecsquetunelesaimespas.T’espeut-êtrepasgay,justechelou.

−Super,merci.»Sansseconcerter,ons’estdirigéesverslemêmeendroit, leConnecticutMuffin,enfacedel’école

élémentairePS321.Onallaitlà-baschaquefoisqueceuxdupublicavaientcoursetnousnon.Onaimaitbiens’yinstalleretobservertouscesgaminsdeprimairequigrouillaientdanscettefourmilière.Ilyavaitquelquechosedesympadanscettepagaillegigantesque.Comparéàça,lafoliematinaledansnotrebahut,c’étaitdupipidechat.

«Alors,c’enestoùavecIan?»ai-jedemandéunefoisqu’onaétéassisessurdehautstabouretsfaceàlafenêtre,avecchacunenotremuffin−citronpavotpourmoi,myrtillespourSylvia.

J’allaisenveniràDylanetauxMaggies,maisilfallaitd’abordquejem’échauffe.«Jesaispas.»Sylviaahaussélesépaules.«J’aifiniparadmettrequeSusanDolanavaitunpetitcopain.Jel’aivuel’embrasser,elleavaitl’air

superaccro.Ianditquetoutvabienentrenous,maisilsecomportequandmêmebizarre.Ilyaquelqu’und’autre−pasSusan,maisquelqu’un.»

Jenedoutaisplusqu’elleaitraison.«T’asuneidéedequi?− Jecommenceàmedirequeçan’amêmepasd’importance,a-t-elle réponduavecunhaussement

d’épaulesavantdesetournerversmoi.Ettoi,alors?jouersoi-disantpourl’autrecamp,c’estvachementplusintéressantqueIan.»

J’ai retenuun instantma respiration. Je tenaismachance. Il fallait que jedéballe tout, absolumenttout. J’avaisbesoind’unallié, comme l’avait dit leDrLipton,orSylvia étaitmameilleureoption, laseule, en fait. Elle allaitm’en vouloir quand elle saurait pour lesMaggies etmesmensonges, obligé.Laseulefaçondesavoiràquelpoint,c’étaitdeluiraconter.

«J’aifaituneconnerie,ai-jeenfinlâché.Tuvasm’envouloir.−Jem’enfichesit’esvraimenthomo,tusais.Çamefaitjustemoinsdeconcurrence.»

J’aiéclatéderire,fort.Unvrairire.SeuleSylviaétaitcapabledemefairemarrerdansunmomentpareil.Carelleseuleétaitcapabledeconsidérerlefaitquej’aimelesfillescommeunechancepourelled’avoir plus demecs.Onpouvait lui reprocher des tas de choses,mais certainement pas de juger lesgens.Çaallaitbiensepasser.Toutallaitbiensepasser.J’aiencoreprisuneprofondeinspirationetjemesuis affaissée surmon tabouret, appuyée contre le comptoir étroit qui courait le long de la vitrine duConnecticutMuffin.Laseulefaçondeprocéder,c’étaitdesedébarrasserdupireenpremier.

«J’aiétéraccordéeauréseauparunclub.−Quoi?»Ellem’aregardéeenclignantdesyeux.«J’aiétéraccordée.−Quoi?»a-t-ellerépété,plusfortcettefois-ci.Elleavaitlesyeuxécarquilléscommejamais.«Quelclub?−LesMaggies.−Nomde…Ettum’asriendit?a-t-ellelâché,plusabasourdiequ’énervée.Jepariequepersonnene

leurajamaisditnon.LesMaggies,ellesontdûavoirgravelesboules.Fautquetumeracontestout.»J’aiprisuneprofondeinspiration,lesyeuxfixéssurmonmuffinàmoitiéentamé.«Jeneleuraipasditnon.»LevisagedeSylvias’estfigéuninstantpuiss’estchiffonnéderage.«TuasrejointlesMagpies,toi?Quand?»J’aiinspiréàfond.«Audébutdel’année,ai-jemurmuré.−Tumens !a-t-ellehurléendescendantd’unbonddeson tabouret.Yapasmoyenque tuaiesété

dansunclubpendanttoutcetempssansjamaism’enparler!»Jesentaisqueletypederrièrelecomptoirétaitentraindenousregarder,etdesedemanders’ilfallait

nousvirerounon.«Etnotrepactealors?Tuasdécidédelezappercomplètement?»Elleavaitraison.J’étaisunevraieconnasse.«Jenesaispascequis’estpassé.»C’étaitplusquenazecommeexcuse,maispourunefoisc’étaitlapurevérité.«Ellesm’ontinvitéeàlesrejoindreetjecrois…enfintuastoujoursunmecetpuismamèren’est

jamaislà…oujesaispas.Desfoisj’ail’impressionden’avoirpersonne.−Oh,jet’enprie,a-t-ellerétorqué,glaciale.Épargne-moiteslarmesdecrocodile.»Jel’airegardée:elleavaittoujourslevisagedur,maissesyeuxs’étaientremplisdelarmes.«Jesuisdésolée,Sylvia.»Elleavaitraison,cequej’avaisfaitavaitétécomplètementégoïste,déloyal,mesquin.«Etjesaisbienqu’êtredésoléeçanesuffitpas,maisjenesaispasquoidired’autre.»Sa mâchoire faisait des va-et-vient, et on aurait dit qu’à chaque aller-retour un peu de sa colère

s’échappait.Elleafiniparseplaquerunemainsurlevisage,secouvrantàmoitiélabouche.«Putainmaisqu’est-cequejesuisconne,a-t-ellelâchéd’unevoixlégèrementétouffée.Etmoiquime

sentaiscoupabledepasserautantdetempsavecIanalorsquependantcetemps-làtusortaisavectoutestesnouvellespotessecrètes.Fautbienlereconnaître,Baron,t’esunesacréebonnementeuse.»

Elleavaitraison.J’avaisracontétellementdemensonges.Leuraccumulationm’étouffait.«C’estarrivéunpeucommeçaetaprèsjenesavaispluscommentm’ensortir»,ai-jeexpliqué.

J’aijetéuncoupd’œilverselle,ellemefusillaittoujoursduregard.Aumoinsellen’étaitpaspartiecommeunefurie,c’étaitdéjàça.

«Et après je suis aussi, genre, tombée amoureuse de quelqu’un dans le club et j’avais peur de laperdre si je sortais.Tu sais ce que c’est d’agir à causedequelqu’unque tu aimesbien.Cen’est pastoujourstrèsréfléchi.

−C’estquoi,ça,unsystèmededéfenseinverséspécialgayencasdepanique?a-t-elleaboyé.Situmensàtameilleureamieetquetuesunevraieconne,c’estparcequetuesgay?»

Ditcommeça,çaavaiteneffetl’airvraimentdébile.J’aibaissélatêteethaussélesépaules.«Jefaisunpaquetdetrucsnuls,Amelia.Peut-êtrequedesfoisjenepensequ’àmoi,quejesuisun

peutapineuseetquejefaisdesmauvaischoixdemecs.Maisjen’aijamais,jamaismenti,pasàtoi.»Et c’était vrai. Sylvia était toujours franche, même quand il aurait été plus facile pour nous deux

qu’ellenelesoitpas.J’avaisépuisémesexcuses.Jemesuis tournéeverselle.Elleregardaitpar lafenêtreàprésent,on

lisaitsursonvisageunpeumoinsdecolère,beaucoupplusdepeine.Jerestaislààdévisagercettefillequiavaitétémameilleureamiependantprèsdedixans,quim’avaitaidéeàsupporterlesmoqueriesduCM2, unemère parfois aux abonnés absents, une cheville cassée en plein été, des coupes de cheveuxratées et des pulls hideux.Cette amie qui nem’avait jamais au grand jamais jugée ni demandé d’êtrequelqu’und’autrequemoi. Jenepouvaisquemedétester.Comment tout cela avait-il pudevenir plusimportantqued’êtrehonnêteavecelle?

«Jesuisdésolée,Sylvia.Jesuisvraiment,vraimentdésolée.»Àcemoment-là, jemesuisattendueàcequ’ellem’envoiebouler.Àcequ’ellemedisequ’ellene

voulaitplusjamaismeparler.Maisellesecontentaitdecontinueràregarderparlafenêtre.Finalement,elleapousséunsoupirvexéetestremontéesursontabouret.

«OK,vas-y,crachelemorceau,a-t-ellelancétoujourssansmeregarder.Parcequemaintenantc’estmoiquiteledis,tumedoislemoindredétailtripleXdégueu.Déjà,c’estqui?»

J’étaistellementsoulagéequej’aifaillimemettreàpleurer.« Dylan Crosby, ai-je répondu en priant pour que rien de ce que je dirais à présent ne ferait de

nouveauseretournerSylviacontremoi.–Sérieux?»Elleatournéaussiseclatêteversmoi.«Jecroyaisqu’ellecouchaitavecWoodhouse.»J’aisecouélatête.«Jesuisquasisûrequ’ellenecouchaitqu’avecmoi.−Putain,jel’avaispasvuevenircelle-là.Elleestsexy,jetel’accorde.Quitteàcequetumepréfères

uneautremeuf,jesuiscontentequ’aumoinsellesoitjolie.MaislesMaggies?»Undoigtplantédanslagorge,elleamiméunhaut-le-cœur.«Enfinsérieux,jepeuxplusêtretonamiesitutetransformesenunedecessalopesdécérébrées.−T’inquiète,ellesm’ontdéjàéjectée.EtDylanm’aplaquéeaussi.−Aïe,lessalopes.»Elleavaitl’airdégoûtéepourmoi.«Qu’est-cequis’estpassé?−Jesaispastrop.ZadiemedétesteetelleauneespècederelationpossessivebizarreavecDylan.−Ooh,Zadie,merdealors!Elleaussi,elleestgay?−Non.Cequirendtoutecettesituationencoreplusbizarre.−Cettemeufestcomplètementbarje,a-t-ellesoupiré.Tudevraisgardertesdistancesavecelle.

−Ilestbeaucouptroptardpourça.Bref,hiersoirj’aidécidéquej’allaisenvoyerunmailàDylan.J’espéraisquetupourraism’aider.»

J’avaisbienentenduqueleDrLiptonm’avaitrecommandédenepasl’envoyer.Maisilallaitfalloirquejepasseoutresurcecoup-là.Cen’étaitpascommesij’avaisinventécequis’étaitpasséentreDylanetmoi.Et j’avaisbesoinqu’ellem’expliquecommentellepouvait tout foutreen l’aircommeça.Sanscompterqu’elleattendaitpeut-êtresimplementquejelafassechangerd’avis.

«Unmail?Euh,t’essûrequec’estunesibonneidée?Moi,çam’al’aird’êtreunplansacrémentmerdique.SiDylanrefusedeteparler,c’estparcequ’ellen’enapasenvie.Dumoinspasassez.Crois-enmonexpérience,mieuxvautécouterlesgensquandilstedisentcegenredetruc.»

Commesiellen’avaitpasenvoyé littéralementdescentainesdemailspareilsaprèsavoirsubidesrejets bien pires. Je l’ai longuement dévisagée, attendant qu’elle percute. Elle a fini par hausser lesépaules.

«OK, j’avoue, a-t-elle admis en levant lesmains. Je viendrai chez toi après les cours, on pourral’écrireensemble.Maisc’estpasparcequej’aienvoyétoutuntasdemailsdanscegenrequeçaveutdirequ’ilyenaquiontmarché.Dumoinspascommej’auraisvoulu.

−Bah,ai-jerépliquéensouriant.Fautunepremièrefoisàtout.»

gRaCeFULLY24OCTOBRE

Parcequ’ilya176définitionsdumotlosersururbandictionary.com.SortezdulotNoustenonsenfinlapreuvequeDylanCrosbyn’estpasunefanasecrètedeJésus!Etnous

l’avonsapprisdelabouchedel’hommeenquestion,quiditqu’ilssesontfaitlatotalefaçonAnimal Kingdom dans Prospect Park. C’était son idée à elle. Il − d’accord, GeorgeMcDonnell−m’ademandédenepasdiffusersonnom,maisilmériteseslauriers.Enfinbref,toutçanemeparaîtpastrèsvirginal.Qu’importeoùDylanaforniqué,cen’étaitpeut-êtrepasdanscescontrées,maisentoutcaspasdedoute,ellel’afaitquelquepart.

Bon,est-cequequelqu’unpourraitm’expliquerpourquoiundesclubscherchedespouxàune pauvre petite seconde qui compte parmi les meilleures élèves ? On dirait une de cesconneries de filmsapocalyptiques ringards.C’est quoi le problème?Allez,mesdames, cettefillenepeutpasêtreaussivilaine.

EtpetitmessageàcettepauvrepetitesecondequiREFUSEdevoirlavéritéenface:ilabeauavoir un joli accent, lesmensonges qui sortent de sa bouchen’en sont pas vrais pourautant.Allez,quoi,unpeudedignité,s’ilteplaît.Çacommenceàêtredouloureuxàregarder.

D’ailleurs,enparlantdedignité−oudemanquede−,ondiraitqueBethanyKanehonoresapromessedebaiseravectoutel’équipedefoot.Ilneluiresteplusquetroismecs,dontdeuxquipourraientêtregay.Soismignonneaveceux,Beth.

Àplus,lesgens.

KATE

SLONE,THAYER

22AOÛT1997

Daniel:Cesoir?C’estnotredernièresoiréeentantquestagiaires…Kate:PaspossibleDaniel:Pourquoi?Kate:Pasd’humeurDaniel:J’aidumalàlecroireKate:VatefairefoutreDaniel:Madameestronchon

28AOÛT1997,22H25

À:rowan627@aol.comDe:KateBaronRe:Désolé!

Est-ce que j’ai raté ma fenêtre de tir ? Es-tu déjà parti dans les étenduessauvagesprivéesd’accèsàInternet?J’espèrequetoutvatoujoursbienpourtoi.Jevoulaisjustetedirequetun’avaisrienimaginé.Moiaussijel’airessenti.Peut-êtrequ’ilest facilede rendre leschosesplus importantesqu’ellesne lesontunefoisqu’ellessontdéjàterminées.Oupeut-êtrepas.

Entoutcasj’aimel’idéeduphare.Unpeudelumière,çanemeferaitvraimentpasdemalencemoment.

Xo,Katie

2SEPTEMBRE1997,2H19

À:KateBaronDe:rowan627@aol.comRe:Désolé!

Tunem’aspas ratédu tout !C’est génial d’avoir de tesnouvelles. Jepeuxpast’écrirecesoir, il ya leKobine :c’estungros festival local…Je t’enécriraiplusdemaindansl’après-midi.

peace,Rowan

AMELIA

23OCTOBRE,18H32

AMELIAtuvienstjr2main,hein?

BENjecrois

AMELIAilFAUTkejetevoie.cvraimentl’horreurencemoment;unbonpoteceseraitpas2

refusBENctjrl’horreur?

AMELIAouais,msçavas’arranger:Sylviam’aideàécrireàDylan

BENécrirequoi?

AMELIA1mailquiposedesquestions

BENgenrepourquoic1salope?

AMELIAarrête,soispasméchant

BENméchant?clquitetraitecomme2lamerde.lafrontièreestfloueentrepassionet

paillassonAMELIAd’accord,d’accord,gdfrère.Oùest-cekonseretrouve2main?

BENoùtuveux,mscommejedisaisfaudrakejeteconfirme

AMELIAtuviendrasàGraceHall?jepourraispeutêtemontrercertainespersonnesàlafin

descours.promets-moiketuviendras;meplantepascommeabsolumentttlemondeBENjeferai2monmieux

23OCTOBRE,18H42

SYLVIA

désolée,suisàlabourre,encheminprlamissionlettred’amourlesbienneAMELIAtulekiffescemot,hein

SYLVIAcvrai,lelesttellementpratiqueprlesallitérationsérotiques:lèvres,vulve,clito

AMELIAtumedégoûtes

SYLVIAmissionaccompliealors;j’arrivettdesuite

KATE

29NOVEMBRE

IlfaisaitencoresombrequandKatedescenditlesescaliersàlarecherchedesontéléphone,àmoinsdecinqheuresdumatin.Elleavaitreçuunnouveautexto,envoyéparDuncandanslanuit:

EnfinpistéGracefully,gfaillisécher,jecomprendspourquoilelycéeyestpasarrivé;l’adressec891HoytàBrooklyn.Chez1meufdunomdeLivBritton.Sivsallezluiparler,dites-luikiyaunprodel’informatiqueàManhattanquiluitiresonchapeau.Etsilestmignonne,soyezcool,filez-luimon06.

Liv?L’enseignantedévouéesoi-disanttrèsattachéeàAmelia,quil’avaitencouragéeàécrireetquiavaitjugéimpensablequ’ellesesuicide,étaitl’auteurdetoutesceschoseshorriblessurtouscesélèves,cesenfants.Ellen’avaitpasépargnéAmelianonplus.Maisqu’est-cequ’elleavaitdanslecrâne?Elleétaitcenséeêtrel’unedespersonnesenquiilspouvaientavoirconfiance.

Etpourtantc’étaitunementeuse.UnementeusequiavaitaccuséAmeliadetricher.KateallaitfaireensortequeLivsoitvirée,voirepoursuivieenjustice:diffamation,abusd’autorité.

N’importe. D’une manière ou d’une autre, tout le monde allait savoir ce qu’elle avait fait. Kateyveillerait.

IlétaitprévuqueLewpasselaprendreunpeuavanthuitheures,maissielleattendaitdavantagepourenfinseconfronteràWoodhouseetàLiv,elleallaitfinirparperforerlesoldesonsalon.Peuavantseptheurestrente,soncœurfitunbond:onfrappaitàlaporte.EllepriapourquecesoitLewquiarriveenavance.

«Salut»,ditKelseyquandKateouvritlaporteàlavolée.Elle avait l’air fatiguée et négligée dans son survêtement baggy. Ses cheveux blonds courts

rebiquaientàl’arrièrecommesiellevenaitjustedesortirdulit.Ellebranditlelivretd’accueilqueKateluiavaitdonné.

«Jel’aitrouvé.−C’estvrai?»Kate lui avait demandéde chercher le garçonqu’elle avait vu entrer chez elle avecAmelia,mais,

sansretourdesapart,elleavaitfiniparabandonnerl’idéedeleretrouver.«Désoléed’avoirétésilongue,ditKelseyenouvrantd’uncoupseclelivretàlapageoùelleavait

glisséundoigt.Maisiln’estpasdanslelivretannueletj’avaisratélespagesdesnouveauxélèvesàlafin.Quandj’airecommencéàlefeuilletercematin,jelesairemarquéespourlapremièrefois.»

Elledésignal’unedesphotos.Katelutlalégende.«IanGreene»,murmura-t-elle.Elleavaitdéjàvucenomdanscertainstextosd’Amelia.C’étaitlefuturex-petitamideSylvia.«C’estlui,affirmaKelsey.Aucundoutepossible.»

OK,maisneparlezàPERSONNEavantmonarrivée,avaitécritLewenréponseautextodeKateluiexpliquantqu’ellenepouvaitplusattendrechezelleetqu’elleavaitl’intentiondeserendreàGraceHallet de le retrouver là-bas. Elle ne répondit pas à l’avertissement deLew.Elle ne voulait pas faire depromessesqu’ellenepourraitpastenir.

Elleseditquesedirigerlentementverslelycéeétaitunboncompromis.QuandelleseretrouvaenfindansProspectParkWest,ilyavaitdéjàunarrivagerégulierd’élèves.Ilscriaient,juraient,chahutaient,riaient. La vue de tous ces corps écrasés les uns contre les autres était insupportable : oppressante,presque terrifiante. Kate n’arrivait pas à croire qu’Amelia ne s’était jamais plainte. Alors qu’ellepoursuivaitsoncheminauseindecettemasse,elleredoutaitàtoutinstantledéclenchementd’uneémeutesanglante.Elleneparvintàrespirerlibrementqu’unefoisàproximitédesmarchesquimontaientjusqu’àl’entréedulycée,ens’écartantd’unbonddelaruée.

Là,surleborddutrottoir,aspirantgoulûmentl’airfrais,Katel’aperçut:IanGreene.Ellelereconnutaussitôt grâce à la photo du livret d’accueil. Séduisant, sûr de lui, il avançait nonchalamment vers lelycée,lebraspasséautourdesépaulesd’unejolieblonde.Àvoirsonsouriredécontracté,sadémarcheassurée,onauraitditqu’iln’avaitpasunsouciaumonde.

CetteattitudeemplitKated’uneragesoudaine−incontrôlable,dévorante,aveugle.Quelqu’undevaitPAYERpourcequiétaitarrivéàAmelia:Liv,Woodhouse,Dylan,lesMagpies.IanGreene.

Ellereplongeaprécipitammentdanslafoule.AmeliaétaitgayetIanGreeneavaiteuuneliaisonavecsameilleureamie.Pourquoidiables’étaient-ilsretrouvésensembledansunemaisonvideaubeaumilieude la journée ?Àmoins que lui ait ignoré qu’elle était gay. Peut-être que lorsqu’il l’avait découvert,ils’étaitmisencolèrecontreelle.Peut-êtrequelafoisd’aprèsilétaitrestésourdàsonrefus.

Peut-être,peut-être,songeaitKateensefrayantunpassagedanslamasseafindeseretrouverjustederrièrelui.Ellesentaitleregarddesélèvespesersurelle.Ellelesentendaitsedemanderàvoixhautecequ’ellefaisaità leurcouperlaroute,àmarcheraumilieud’eux.Quiétaitcettefemmeflippante, là,touteseule?s’interrogeaient-ils.Avantqu’unmembredupersonnelneluiposelaquestion,Katetapotal’épauledeIan.

«Excuse-moi,dit-elle.TuesbienIanGreene?»Ilseretournaavecuneexpressiond’unetelledésinvoltureetd’unetellesérénitéqu’onauraitcruune

célébritéhabituéeàêtreaccostéepardesinconnus.«Oui,c’estmoi»,répondit-ilavecunauthentiqueaccentbritannique.Puisilplissalesyeuxcommes’ilessayaitderemettreKate.«Excusez-moi,est-cequ’onseconnaît?−Jesuislamèred’AmeliaBaron»,répondit-elleenespérantlevoirciller.Ilnecillapas.«Est-cequejepeuxteparleruninstant?− Oh, dit-il, l’air enfin un peu nerveux, même si c’était encore loin d’être suffisant, selon Kate.

Désolé,jepeuxpasarriverenretardencours.−Ouaisetonauneinterrodechimie,intervintlafille,accompagnantsesproposd’ungestegrossier.

Alorspeut-êtreuneautrefois,OK?»Kateserralesdentspours’empêcherd’attraperledoigtdecettefille.« S’il te plaît, Ian, dit-elle plus calmement, changeant de tactique dans l’espoir de l’avoir sur le

terraindelasympathie.Çaneprendraqu’uneminute,jetelepromets.−Ouais, sauf qu’uneminute c’est trop long, et… repartit la fille avant de se taire brusquement en

voyantIanluiadresserunregardsévère,manifestementestomaquéparsonimpolitesse.Désolée,fit-elle,obéissante.

−Onseretrouveenclasse,Susan,lacongédia-t-il.DisàM.Halequej’aiétéretenuunmoment.»UnefoisSusanpartie,ildemanda:«Qu’est-cequejepeuxfairepourvous,madameBaron?»Ilenfonçasesmainstoutaufonddesespoches.Cegesteenfantincontrastaitavecsonapparencetrèsmature.Commes’ilessayaitexprèsdeserendre

plusvulnérable.«Qu’est-cequetoietAmeliafaisiezcheznousenpleinmilieud’unejournéedecours?−Aumilieud’unejournéedecours?»Ils’efforçaitdejouerl’innocent.Cen’étaitpasconvaincantlemoinsdumonde.«ChezAmelia?−Mavoisinevousavus.Jeveuxjustesavoircequis’estpassé.Pourquoivousétiezensembletous

lesdeux.−Cequis’estpassé?»Ilavaitlesyeuxécarquillésàprésent.«Vousnevoulezpasdire,genre…−Jenepensepasquevousfaisiezl’amour.Maisjenecomprendspascequevousfaisiezensemble

cheznousaubeaumilieudelajournée.»Ladrogue, évidemment, lui avait traversé l’esprit.Presque tout semblait possible àprésent.Et Ian

avaitsansnuldouteleprofilsophistiquédeceluiqu’onimagineimpliquédansDieusaitquoi.«Qu’importecequec’est,poursuivit-elle,jenelediraiàpersonne.Jeveuxjuste…J’aibesoinde

savoircequiestarrivéàmafille.J’aibesoindesavoircequ’ellefaisait.»Ianfermalesyeuxuneseconde,puisregardapar-dessusl’épauledeKate,hésitant.Ilfinitparbaisser

lesyeuxetsemitàfrapperlesold’unpied.«C’estmonclubquim’avaitcollécetteépreuve,pareilpourAmeliaaveclesien.Pourêtrefranc,je

nevoulaispaslefaire.C’estellequiainsisté.−Tunevoulaispasfairequoi?»Kateavaitlecœurbattant.«Prendrecesphotos,répondit-ild’untondésormaisplusdésinvolte.−Cellesquiontétépostéessurceblog?»Malgrétoussesefforts,ellenepouvaits’empêcherdesereprésentersachèrepetitefilleentrainde

se déshabiller et de lever son cul pour ce tombeur de lycéennes pédant et chevelu.Qu’est-ce que çachangeaitquesafillesoitgaysiluinel’étaitpas?

«C’esttoiquiaspriscesphotosd’Amelia?»La nonchalance impudente de Ian rappelait àKate tous les garçons qui l’avaient traitée comme si

c’étaiteuxquidécidaientdesavaleur.Tous leshommesàquielleavait laissécroirequec’étaitvrai.L’idéequ’elleauraitvoulubienmieuxpourAmelial’obnubilait.

«Maiscommejeledisais,yavaitriendeglauque.»IansouritsansserendrecomptedelafureurquidevaitavoirsubmergélevisagedeKate.Carellela

sentaitdésormais,quisortaitpartouslespores.«Jetrouved’ailleursquelesprisessonttrèsjolies.Enmêmetempslecontraireauraitétésurprenant.

Ameliaétaittellementbiengaulée.Iln’yavaitcertainementpasbesoind’êtreunefillepours’enrendrecompte.»

Il fallutuneminuteàKateavantderéaliserqu’ellevenaitde legifler.Fort,etplusd’unefois. Ilyavait l’expression abasourdie de Ian, lamarque rouge vif sur sa joue et samain à elle qui la lançait.À peine eut-elle relié tous ces éléments qu’elle n’eut qu’une seule envie : recommencer. Elle voulait

continuer à le frapper jusqu’à cequ’unepart d’elle se sentemieux.Et elle l’aurait peut-être fait si legardien,unevraiebarrique,nes’étaitpasprécipitépourluiretenirlebras.

«Ehlà,madame!lança-t-il,stupéfait.Maisqu’est-cequevousavezdanslesang?»«Elleagifléunélève,expliquaMmePearlàLew.Sansavoirétéprovoquée,etdevantunebonne

dizainedetémoins.»Dans le bureau du proviseur, Mme Pearl, qui trônait derrière la gigantesque table en acajou,

dévisageaitLewetKateassissurleschaisesdestinéesauxvisiteurs.Kate,affaisséedanslasienne,avaitl’impressiond’êtreunelycéennebougonneauxcôtésdeLewdanslerôledupèredéçumaisprotecteur.Lescoudesposéssurlesgenoux,ilétaitpenchéenavantdansuneattitudeàlafoisconcentréeetpensive.

« Oui, j’entends bien, répondit-il calmement. Et il aurait certainement mieux valu que cela ne seproduisepas.Celadit,jesuissûrqueKateneverraabsolumentaucuninconvénientàs’excuserauprèsdeIan,et…

−S’excuser?sifflaMmePearl.Vousplaisantez,inspecteur.ElleaagresséIanGreene.Unmineur,quiplusest.Si jenem’abuse, il s’agit làd’undélit etvous,vousêtesofficierdepolice. Jemedemandepourquoivousnel’avezpasencorearrêtée.»

Lewhochalonguementlatête,lesyeuxrivésausol.«Trèsjuste,finit-ilpardire,commes’ilétaittoutdisposéàluipasserlesmenottes.Évidemment,cela

impliqueraitunprocès.Etlorsd’unprocès,MmeBaronmettraitnaturellementenavantcommemoyendedéfensel’argumentdelacapacitémentalediminuée.»

Ilsecoualatêtecommes’ilpassaitenrevuelesconséquences.«Orvoussavezcequecelasignifierait.»MmePearllevalesyeuxauciel.«Non,inspecteurThompson,jel’ignore.»Elletapatroisfoissoncrayonsurlebureau.«Maiséclairez-moidonc,jevousenprie.−MmeBaroniciprésentedevraitexposertoutcequ’ellesaitausujetdecesclubssecrets,ycompris

cesphotosdefillesàmoitiénues.»Ils’interrompitetmimalemouvementd’unengrenage.« Ensuite son avocat devrait expliquer comment Amelia et M. Greene ont séché les cours pour

effectuerleurpetiteséancedeshooting.Jepensequelesparentsdecegarçonpréféreraientqu’aucundeces événements ne soit rendu public. Peut-êtremême se diront-ils que leur enfantméritait cette gifle.Cedontjesuissûràcentpourcent,c’estquelesparentsdeGraceHalln’ontaucuneenviequelelycéeauquel ils ont versé tant d’argent passe de la réputation de tapis rouge pour l’Ivy League à celled’autorouteduporno.»

Lewmarquaunepause,puisregardaMmePearldroitdanslesyeux.«Oh,etilyauraaussilesjournalistes.Unétablissementcommecelui-ci,unscandalesexuelcomme

celui-là?LePostnevaplussesentir.»Katel’auraitserrédanssesbrassiellenel’avaitpassimanifestementdéçu.«Trèsbien.»MmePearltapotaencoretroisfoissonbureauavantdeselever.«Maiselledoitquitter l’écolesur-le-champ.Avantdefairedavantagededégâts.Et jamaisellene

devrayremettrelespieds.−Jedoisd’abordvoirM.Woodhouse»,lançaKate,gagnéeparlapanique.

Ellepoussait lebouchonunpeu loin, elle le savait.Maisellenepouvait toutdemêmepasquitterGraceHallsanslerencontrer.Ilfallaitqu’elleleregardedanslesyeuxpoursavoirs’ildisaitlavérité.EtilluifallaitdesréponsesdelapartdeLiv,maintenant.

«Quandjeluiaiparléautéléphone, ilm’aditquejepouvaispasserquandjevoulais.IlyaaussiautrechosedontjedoisdiscuteravecLiv.»

MmePearllaissaéchapperunriredégoûté.«Vousvoulezrire,j’espère?−Non,pasdutout,murmuraKate.Jesaisquej’aimalagi,maiscelanefaitpasdisparaîtretoutesles

questionsquejemeposeausujetd’Amelia.−Enrevanchepeut-êtreceladevrait-ilvousfairedisparaître,madameBaron.Jeveuxbiensupposer

quevotrecomportementscandaleuxestlerésultatdecequevousavezenduré,maisvousavezdépasséleslimitesdemabonnevolonté.»

Kateregardaautourd’elle.«M.Woodhouseest-ilseulementlà?»Ilauraitvraisemblablementétédanssonbureausiçaavaitétélecas.«Non,n’est-cepas?Est-iljamaislà?»MmePearls’adressaàLew.«InspecteurThompson,jenelerépéteraipas:cettefemmedoitquitterl’enceintedel’établissement

sur-le-champ.»LewposasamainsurlecoudedeKateetlasoulevadesachaise.«Venez,dit-il.Allonsprendreunpeul’air.− Non ! hurla-t-elle en se dégageant violemment. Je ne partirai pas avant qu’on m’ait donné des

réponses!−Regardez-moi»,enjoignitLew.Penchésurelle,ilplongeasonregarddanslesien.Legrondementeffrayantdesavoixlasurprit.«Levez-vousetpassezcetteporte.Maintenant.»Katedévalalesescaliersdevantluietparcourutaupasdechargelamoitiédelarueavantdefaire

volte-face.«Alorsc’esttout!hurla-t-elle.Vousleslaissezs’entirer!Commeça,paf!»Lews’arrêtafaceàelleetpoussaunlongsoupirfatigué.Ilcroisalesbras,ilavaituneexpressionà

mi-cheminentrelacontrariétéetlapitié.« Je n’ai même pas eu l’occasion de vous dire que c’est Liv qui écrit le blog gRaCeFULLY,

poursuivitKate.Duncanafinipar lapister.Uneenseignanteaécrit toutesceschoseshorriblessur lesenfantsàquiellefaitcours.ElleaécritdeschosessurAmelia.C’estunementeuse.Ellenousamentiennousregardantdroitdanslesyeux.Elleapeut-êtrementiaussiausujetdeladissertationd’Amelia.

−Voilàcertainementquelquechosedontelledevrarépondre.−Bien,alorsest-cequ’onpeutretournerluiparler?»Katefitunpasendirectiondulycée.Lewluiposaunemainsurlebras.«Non,pasvous.Vous avez fait suffisammentdedégâts.Avecunpeude chance, lesparentsde ce

garçonn’appellerontpaslapolice.S’ilslefont,jenepourraipasempêchervotrearrestation.−Mais…− Non. Je vais retourner parler à cette enseignante. Je la questionnerai au sujet du blog et de la

dissertationd’Amelia.Maisvous,vousrentrezchezvous.Reposez-vous.Essayezdevousremettre lesidéesenplace.Jepasseraivousteniraucourantdecequej’aidécouvertunefoisquej’auraiterminé.»

Àpeineavait-ilfaitunpasendirectiondulycéequ’ils’arrêta.Ilsortitdesapocheunboutdepapierqu’iltenditàKate.

«J’aifaillioublier.Onvadevoirattendreuneréponsedel’assignationdelacompagnietéléphoniqueconcernant les textos anonymes qu’Amelia et vous avez reçus, mais notre informaticien a trouvé uneadressepourBen.IlnevitpasàAlbany.»

Katelutl’adresse:968CinquièmeAvenue,6C.«Lefaitquecegaminsoitducoinetqu’ilsesoitdonnélapeinedementirsurl’endroitoùilhabitait

leplacedenouveaupasloindematêtedeliste.»Kate n’arrivait pas à détacher les yeux de cette adresse. Pourquoi un garçon deManhattan irait-il

mentirendisanthabiteràAlbany?Aucunedes raisonsqui luivenaientspontanémentà l’espritn’étaitrassurante.

«Votreliste?demanda-t-elledansunmurmure.−Degensquivontresterenlicejusqu’àcequ’ilspuissentprouverleurinnocence:Dylan,Zadie,le

reste desMagpies, voireWoodhouse et la prof d’anglais. Tous figurent encore surma liste.Mais ungaminquiamentisursarésidence−sursonidentité−etquiaensuiteditàAmeliajusteavantsamortqu’ilétaitsusceptibledeprendrelaroutepourallerlavoir?Voilàungaminquiasansaucundoutedesexplicationsàdonner.Jen’aieusonadressequecematin.Jedevraisbientôtobtenirdesdétailssurlapersonnequihabitelà.Cetteadressevousdit-ellequelquechose?

−Non,réponditKateàregret.Allons-nousluiparler?−Moi,jevaisyaller,oui.Etnefaitesriendestupidecettefois-ci.S’enprendreàungossedeGrace

Hall, c’est une chose.Mais nous n’avons pas lamoindre idée de qui peut être ceBen, ni de ce qu’ilpourraitessayerdecouvrir.Laculpabilitépeutrendren’importequidangereux.»

Quand Kate arriva enfin chez elle, un livreur chargé d’un grand carton montait péniblement les

marches.Ellesigna lebonde réceptionet s’emparaducolisd’ungestehésitant,commesiunebombeavaitpus’ynicher.EllenepourraitplussupporteraucunarrivagesupplémentairededocumentsdelapartdeDuncan.Elleavait eu sadose, sanscompterqu’il lui restait encoredespilesde textosetquelquesmailsàparcourir.Unefoisàl’intérieur,ellelutl’étiquettesurledessus.

Destinataire:KateBaronExpéditeur:PhillipWoodhousePersonneletconfidentielKatetraînalecartonpesantjusqu’àlatabledelacuisineetlecontemplaencoreunmoment.Quand

ellesedécidaàl’ouvrir,elleydécouvritdespilesdedocumentsphotocopiés,quelques-unsmanuscrits,d’autrestapés.IlyavaitaussiunmotdelapartdeWoodhouse.

Ci-jointlesminutesdesréunionsduconseild’établissementetlesrapportsdelavisited’Ameliachez la psychologue scolaire. Je suis désolé de ne pas m’être manifesté plus tôt. J’avaisl’impressiond’avoirlesmainsliées.Cetteexcusemesembledésormaisdéplorable.J’aiacceptéce poste parce queGraceHall était censém’aider à ouvrir une charter school1 dans le Bronx.Jemerendscompteaujourd’huiqu’ils’agissaitpeut-êtrelàaussid’unleurre.Jesuisdésolédenepasavoirpufaire−denepasavoirfait−davantagepouraiderAmelia.Lemondeestplussombresanselle.

Uneheureplus tard,Kateensavaitplusqu’ellenevoulaitausujetdesclubsdeGraceHalletdeseffortsquiavaientétéfournis−oupas−pourlesinterdire.Elleavaitapprisdeschosesenparticulierausujet desMagpies, dont lesmembres étaient appelés lesMaggies, exactement comme dans les textosd’Amelia,etcommeKatel’avaitsupposé.AprèslarésurgencedesMagpiesetdesautresclubsunanetdemi auparavant, le conseil d’établissement – après avoir consulté un avocat embauché par AdeleGoodwin− avait donnéà l’administrationdes instructions strictes afinqu’elle ferme lesyeux sur leurexistence.Seloncetavocat fortcommodément jamaisprésentenpersonne−Kateenétaitvitevenueàsoupçonnerqu’ils’agissaitd’Adeleelle-même−,l’ignoranceseraitlameilleuredéfensedulycéeencasde responsabilité future. La théorie que soutenait Adele était la suivante : puisque Grace Hall seraitimpuissantàempêcher lesactivitésdesclubsendehorsducampus, laseulealternativeviablepour lelycéeseraitdesedistancerlepluspossibledecelles-ci.

D’après les minutes, certains membres du conseil d’établissement − dont Woodhouse, le plusvéhément−s’yétaientfortementopposés.Woodhouseétaitalléjusqu’àdirequ’ilétaitprêtàrisquerdespoursuites judiciaires à son encontre si cela pouvait lui permettre d’interdire ces clubs.Àunmomentdonné,ilavaitqualifiélesMaggiesde«potentiellementplusdestructricesquen’importequelledrogue,et certainement plus pernicieuses ». Il avait évoqué les dangers du bizutage et les risques de lapersécution,letoutcamouflésousunvoiledemystère.Ilavaitmêmemenacédedémissionner.

Cependant, au cours d’une série de réunions qui s’étaient éternisées pendant tout le printempsprécédent,Adeleavaiteulesautresmembresduconseilàl’usure.Sonapprochelaplusefficaceavaitétéde retourner les propos de Woodhouse contre lui. Si les clubs étaient à ce point potentiellementdangereux,raisonnaitAdele,GraceHallrisquaitd’êtretenuresponsableden’importequelstortsqu’ilscommettraient.Seulement le lycée et son administrationnepouvaient être tenus responsablesque s’ilsconnaissaientl’existencedecesclubs.Leseffortsagressifsconsentispouréradiquerlesclubsducampus−menacerd’exclusion temporaireencasdeparticipation,considérercommeuneviolationducodedeconduite le refus de dénoncer des camarades membres ; mesures en faveur desquelles Woodhousecontinuait à militer – constitueraient de fait, avertissait Adele, une admission implicite de laresponsabilitédulycéeetdoncdesonimputabilité.

Alors que le conseil d’établissement était rentré dans le rang à contrecœur, Woodhouse avait denouveaumenacédedémissionner si onne luipermettait pasd’agir contre les clubs.La seule réactionmentionnéedanslecompterenduétaitcelled’Adele.Etceluioucellequiavaiteuenchargelaprisedenotesavaitveilléàretranscrirelemoindremot:

Vousdevriezpeut-être jeterunœil àvotre contrat,Phillip. Ilme semblequevousvous rendrezcompte que vous n’avez nul besoin de démissionner. Nous pouvons vous renvoyer pour avoiradoptéuneconduitecontraireauxvœuxdececonseild’établissement.Vousperdriezvotreemploietvosavantagesetvousdevriezrembourservosfraisdedéplacement.Sansparlerdesdommagesetintérêtsquenousserionsendroitdepercevoir.Nousenavonsfixélemontantdansvotrecontrat.Vousdevriezvérifier,maisilmesemblequelasommeaaumoinssixchiffres.Çafaitbeaucoupd’argentpourprouverquel’onaraison,surtoutsurunsujetàproposduquel−unefoisquevousserezrenvoyé−vousnepourrezdetoutefaçonjamaisrienprouver.

Lesminutesnecontenaientaucundétailsurl’expressionduvisaged’Adele,évidemment.MaisKateayant rencontré cette femme, elle se l’imaginait très bien : belle et venimeuse à la fois. Les notes nementionnaient pas non plus Zadie ni aucun autre élève en particulier. Cela dit, c’était inutile. Il étaitmanifestequ’Adelen’avaitpasagidanslemeilleurintérêtdulycée.Elleavaitagidansceluid’uneenfantqu’ellen’arrivaitpasàcontrôler.

LesdernièresminutesqueconsultaKateétaientcellesdelaréunionquiavaitimmédiatementsuivilamort d’Amelia, lors de laquelle le conseil avait décidé demettre en place ces fameusesmesures desécurité.«Woodhouseestimequ’ilesttroptôtpourconfirmerlesuicide»,pouvait-onlire.AprèsquoiAdele avait demandé à ce que la réunion devienne confidentielle. Quand les minutes reprenaient, ladiscussionétaitpasséeàunautresujet.D’aprèslesnotes,Woodhousen’avaitplusditunmot.

Kateavaitencorelesyeuxrivéssurlesfeuilletsquandonfrappaàsaporte.Lewsetenaitsurleseuil.«VousavezparléàLiv?»demandaKateenouvrantvivementlaporte.Lew,l’airsombre,acquiesçad’unsignedetête.«Ellem’aditqu’ellepensaitqueçapourraitlarapprocherdesgamins,qu’ellen’avaitpasl’intention

deblesserquiquecesoit.−C’esttout?C’estçasonexplication?−Nemeregardezpascommeça,riposta-t-ilensecouantlatête.Cen’estpasmonexcuse.−Maissiellesavaittoutça,ellesavaitaussicequefaisaientlesMaggies.Elleauraitpulesarrêter.

Commenta-t-ellepunerienfaire?C’estellelaresponsable.−Vousavez raison.Etelle le sait.Çanesuffitpas,maiselledevravivreavecça le restantde sa

vie.»

Facebook23OCTOBRE

AmeliaBaron«Elle sesentait très jeune ;etenmême temps incroyablementâgée.»VirginiaWoolf,MrsDalloway

AMELIA

23OCTOBRE

«Salut,maman!ai-jelancéentraversantlacuisinecommeuneflèchepouratteindrelaporte.–Holà!»s’est-elleécriéeenlevantlesyeuxduNewYorkTimesdéployédevantellesurleplande

travaildelacuisine.Elleportaituntailleuretavaittirésescheveuxenarrièredansunecoiffurestricte.Grosseréunionou

tribunal:c’étaitlesseulesoccasionsoùelles’habillaitaussiclasse.«Ilyalefeuaulac?−Non,ai-jerépondu,essoufflée,alorsquejefaisaisdemi-tourpourattraperunepomme.Fautqueje

retrouveSylvia,c’esttout.»Jeluiaipasséunbrasautourdesépaulesetl’aiserréeuninstantcontremoi.«Eh,attendsunpeu,Amelia.»Elleavaitl’airsoupçonneuse.« Je croyais que tu voulais qu’on parle de ce semestre à Paris. Jeme suis pris un peu de temps.

Parlons-enmaintenant.Tantquejesuislà.»Ilm’afalluunesecondepouressayerdemerappeleràquoiellefaisaitallusion.Etpuisd’uncoup

j’aipercuté: leplanà lacondeBen,genreonquitte le lycéeetonvaseplanquerenEurope.J’avaispresqueoublié.

«C’estbon,ai-jeréponduenmedirigeantverslaporte.C’estpasgrave.−Amelia,neréagispascommeça.Onpeutvraimentendiscuter.»Elleavaitl’airinquiètemaintenant.«L’idéedetesavoirpartiependantsilongtempsnemeréjouitpas,maisjesuisfranchementprêteà

t’écouter l’espritouvert.Hier j’étaispressée,mais j’aientenduàquelpointc’était importantpour toi.S’ilteplaît,nemerejettepas.»

Et c’est vrai qu’elle avait l’air super sérieuse, comme si elle avait passé presque toute la nuit ày réfléchir. J’ai eu de la peine pour elle.Mamère s’inquiétait toujours pour lesmauvais trucs. Et cen’étaitmêmepasdesafaute.J’auraisputoutluiraconter.J’auraisdû,probablement,commeleDrLiptonmel’avaitconseillé.Enfin,çanecomptaitplusvraimentmaintenant.J’avaisunbonpressentiment.Toutecetteaffaireallaitbienseterminer.

«Çan’aplusd’importance,maman.Jet’assure,ai-jeditenlaregardantdroitdanslesyeux.Çamevadenepasyaller.Mieuxqueçad’ailleurs:jeveuxresterici.

−Tuenessûre?−Oui,maman,parfaitement.Àcentpourcent.−D’accord»,a-t-elleréponduenmeserranttrèsfort.Ellen’avaittoujourspasl’airdemecroire.«Tantquetuenessûre.»J’avaislapêcheenmedirigeantversl’angledelarueoùj’avaisrendez-vousavecSylvia.Mamère

etmoiétionsenfinretournéesdansledroitchemin,etj’avaismêmeréussisansl’aidedepersonneàjeter

auxoubliettestoutecettehistoiredec’est-qui-ton-papa.Aprèsavoirdécidéquejen’avaispasenviedepoursuivrelalecturedesjournauxintimesdemamère,j’avaisrésoludeneplusmesoucierdesavoirquiétait vraimentmon père. Je ne l’avais jamais connu.Quelle différence cela ferait-il de le connaître àprésent ? Le fait que j’avais arrêté de recevoir des textos sur lui avait aidé. J’avaismême craché lemorceau à Sylvia sur Dylan et sur les Magpies, et elle m’avait pardonné. Plus de secrets, plus desentimentdeculpabilité.Etpuisilfaisaitungrandsoleiletpresquechaud:onseseraitcruaudébutduprintempsetpasà la finde l’automne.Toutça semblaitdebonaugure.Commesi tout allaitpeut-êtres’arranger. Comme si monmail à Dylan était même susceptible de faire revenir la situation à quandc’étaitgénial.

Peut-être que j’aurais pu réfléchirmoi-même aux réponses ou je sais pas quoi, commeme l’avaitconseillé le Dr Lipton.Mais il était bien plus fiable d’aller droit à la source. C’était pas comme sij’essayaisdereconquérirDylannirien.Enfin,siçaarrivait,ceseraitcool,super,enfingénialquoi.MaisilfaudraitqueDylanm’expliqueunpaquetdetrucsavant.

Ça, je ne l’avais pasdit àSylvia, ni àBen. Je leur avais dit que je neme remettrais jamais avecDylan, quoi qu’il arrive. Parce que c’était ce qu’ils voulaient entendre.D’ailleurs Sylviam’avait faitjurer que cen’était pas ceque je cherchais avantmêmedem’aider à écrire cemail.Ellem’avait ditqu’ellen’avaitpasl’intentionderesterlààmeregardermeridiculiserpourunemeufquimeméritaittroppas.Ellen’avaitpasarrêtéderépéterça−queDylann’étaitpasassezbienpourmoi−quandonbossaitsurlemail.Elleavaitdûledireunecentainedefois.Commeuneespècedeformulemagique.Jesavaisqu’elle essayait dem’aider,mais c’était un poil énervant.Grave énervant, en fait, surtout de sa part.Aprèstout,aufildesans,elleavaitlaisségenreunmilliondemecslatraitercommedelamerde.

Celadit, ça avait valu lapeinede supporter son rabâchageparceque lemail qu’elle avait écrit àDylanétaittop.Ellesavaitvraimentcommentallerdroitaubutsansavoirl’aircomplètementdésespéré.C’était pas tout rose non plus. Y avait même des trucs un peu durs, du coup je m’étais vaguementdemandésielleauraitjamaisétéaussirudeavecn’importelequeldesmecsdesavie.Maisellem’avaitconvaincuequelemieletlevinaigre,c’étaitlabonnerecette.Montrerqu’onnevapaslaisserquiquecesoitnousmanquerde respect, çanous rendplusdésirable.Dumoinsc’étaitvrai avec lesmecs, selonSylvia.C’étaitpeut-êtredifférentaveclesfilles,maiselleendoutait.

Après son départ, j’avais glissé des trucs plus tendres dans lemail.Genre queDylan avait été lapremièrepersonnedontj’avaisétéamoureuse,etqu’elleresteraitàjamaiscettepersonne.Justeavantdecliquersur«Envoyer»,j’avaisajoutéuneligne,toutàlafin:Jecroisquejepeuxpardonnertoutcequiestarrivédemoche.Toutcequejeveuxc’estqu’onseremetteensemble.

Sylvian’auraitpasaimécettepartie-là.Bennonplus.Ilsauraientditqueçamedonnaitl’airaccroetdésespérée.Peut-êtrequejel’étaisunpeu.Dylanm’avaitdéjàditqu’elletrouvaitçamignon.Etlavérité,c’estqu’ellememanquait.Orcemailétaitprobablementmadernièrechancederenverser lasituation.Jenepouvaispasrisquerdenepasdireabsolumenttoutcequejeressentais.Lesdoigtscroisés,j’avaisappuyésur«Envoyer».

«T’asreçuuneréponse?ademandéSylviaquandons’estretrouvéesàl’angledelarue.−J’ensaisrien.Enfin,pasquandjesuispartieentoutcas.−Allez,vérifieencore.»Elleavaitl’airaussiàcranquemoi.J’aisortimoniPhoneaumomentoùonbifurquaitdansProspect

ParkWest, traînantdespiedsdans l’embouteillagedinguedu flotd’élèves. J’ai regardéautourdemoiavantdeconsultermesmails.Jen’avaispasenviequeDylanmevoiecomplètementobsédée.Mêmemoi,j’avaisplusdefiertéqueça.Maboîtederéceptionétaitvide,àpartunnouveaumessagedeBen.

«Rien.»Jenepensais pasvraiment queDylanme répondrait à cette heure-là, quand tout lemonde était en

routepourlelycée.Maisj’auraisbienaimé.Sylviaetmoi,onacontinuéàmarcherensilence,moilesyeux rivés sur mon portable, elle les yeux rivés sur ses bottines pointues, jusqu’à ce que GeorgeMcDonnellnousdoubleencourantetassèneunegrosseclaquesurleculdeSylvia.

«Connard!»luia-t-ellelancé,maisellesouriaitunpeuquandelles’esttournéeversmoi.Sa relation avec Ian n’était peut-être pas complètement terminée, pourtant elle envisageait déjà de

nouvellesoptions.«Peut-êtrequ’ellenel’apasencorereçu,a-t-ellesuggéré,pasfranchementconvaincue.Etsiellene

te répond pas, alors c’est une salope, ce qui, regardons les choses en face, ne serait pas le scoop del’année.Enfinquoi,c’estlameilleureamiedeZadie.»

Ellehaussaitlessourcilsdansuneexpressionpleined’espoir.Elleessayaitdemeremonterlemoral.«Sûr,carrément»,ai-jerépondualorsqu’onmontaitlesmarches.Parcequ’iln’yavaitaucunintérêtà

luidirequeçanemarchaitpas.Alorsqu’on franchissait lesportesdubahut aumilieude la cohue, j’ai remarquéCarter etGeorge

devantnousquinoustoisaient.Ensuitej’aivud’autrestypesdenotreclasse−Kylin,MattS.,Raoul−nousmateraussi.Etplus je regardaisautourdemoienavançant,plus j’avais l’impressionque tout lemondeavaitlesyeuxbraquéssurnous.Ousurmoi.Enfait,onauraitditquec’étaitmoiqu’ilszieutaient.Ils étaient aussi là àmurmurer et à hocher la tête− comme lesMaggies avant. Sauf que lesMaggiess’étaientdébrouilléespourquejesachebienqu’ellesdisaientdessalestrucssurmoi, tandisquelàonaurait dit qu’ils étaient gênés,mais que c’était plus fort qu’eux.Et plus je regardais alentour, plus ilsétaientnombreux,àmedévisager,àmurmurer.

«Pourquoitoutlemondemeregarde?»ai-jedemandéàSylviaenm’appuyantcontrelemurdelarotonde,àcôtédelaphotoflippantedelastrip-teaseuse.

C’étaitpasl’endroitidéal.«Commentça?»J’aiobservéSylviabalayerdesyeuxlesalentours.Elleavucequej’avaisvu,maiselleaessayéde

nepaslemontrer.«Personneneteregarde.»Biensûrquesi,etellelesavait.J’aisentimagorgeseserrerencroisantleregardd’unélèveaprès

l’autre : ilsgloussaient,avaientdespetitssourires. Ilyenacertainsque jeconnaissais.D’autresnon.Ceuxquejeconnaissaisessayaientdefairediscret,maisjevoyaisquandmêmeleriredansleursyeux.

«Déclarationd’amourfoudemeufsàGrace!»abeugléquelqu’undanslafoule.Ilyaeuquelquescrisd’encouragement.Quelqu’unarenchéri:«Ouais,mec!−Poste-lasurYouTube,man!−Chuuuut!»asiffléMmePearl.Elleétaitapparuesouslarotondecommeunfantôme.Elledressaitunlongdoigtgrisdevantsonlong

visagegris.«Baissezd’unton!Vousêtesàl’intérieur,etnoussommesdansunlycée.Unpeuderespect.Etces

téléphonesdoiventêtreéteintsetrangés,sansquoijevouslesconfisqueraidemanièrepermanente!−Pearlyquipiquelesportables»,amaugrééquelqu’un.Ils’estensuiviunevaguedecrisetdegloussements.Sylviaouvraitdesyeuxrondscommedessoucoupes.Yavaitpasàchier.Elleaussi,ellelevoyait,

sûr. On était donc là, pressées contre le mur, alors que les élèves ignoraient les braillements de

MmePearlconcernant leursportablesetcontinuaientàse les fairepasserenfaisantdéfiler l’écrandudoigtàmesurequ’ilslisaient.Detempsàautre,ilslevaientlesyeux.Droitsurmoi.

ToutàcoupSylviam’aattrapéeparlebras.«Viens,sortonsd’ici,a-t-ellelancéenmetirantàtraverslafoule,repoussantlesgensdevantnous.

Barrez-vousdemonchemin,bandedegroscons!»J’avais l’impression d’avoir des pieds énormes qui pesaient une tonne. Je trébuchais tandis que

Sylviame traînait au bout du hall en direction des bureaux principaux du lycée.Àmi-chemin, elle abifurquéetestentréecommeunefuriedansl’infirmerie.L’infirmière,MmeAppleman,asursautéàsonbureau,oùellefeuilletaitlecataloguedessoldesdeMacy’s.Elleaportéunemainàsonépauleosseuse.

«Quesepasse-t-il?»Elleavaitl’airterrifiéeàl’idéedepeut-êtredevoirfairefaceàunevéritableurgencemédicale.«Elle a desvertiges et elle a ses règles, a expliquéSylvia.Elle a besoinde s’asseoir là unpetit

moment.»Elles’estensuitetournéeversmoi.«Restelà.Jerevienstoutdesuite.»Tandis que Sylvia filait par la porte, l’infirmièreAppleman s’est penchée encore plus en arrière,

agrippantlereborddesonbureaucommesiellecraignaitquejepuisseavoirlevirusEbola.«Tuessûrequecesonttesmenstruations?»a-t-elledemandé.Dansl’entrée,legrondementdesélèvess’estompaitcommeilssedirigeaientversleurpremiercours.

JesavaiscequeSylviaétaitalléefaire:voirdesespropresyeuxcequ’ilsétaienttousentraindematersur leur téléphone. Elle avait pigé la même chose que moi : un texto bombe avait explosé. Ça meconcernait.LesMaggiesavaientfinalementmisleurmenaceàexécution:ellesavaientenvoyéàtoutlemondeunephotodemoiàmoitiéàpoil.Lepire,c’estquejen’avaismêmepasparléàSylviadecesphotos:j’avaistrophonte.Etmaintenanttoutlemondeallaitêtreaucourant.

D’uncoupjemesuissentiemalpourdebon:tournis,boufféesdechaleur.J’avaislesmainsmoites,despicotementsauvisage.Jemesuis laissée tomber lourdementsur le litd’examenencuirsuperdur,dontj’aichiffonnélepapierdeprotection.

«Tuas enviedevomir ? apiaulé l’infirmière.S’il teplaît, essaied’aller jusqu’aux toilettes si tuvomis.»

J’aisecouéla tête, lesyeuxrivéssur laporte.Sylviamettaitdesplombes.Jenesavaispascequec’était,mais ça devait vraiment craindre.À tel point qu’elle ne voulaitmêmepas revenirme le dire.J’auraispuregardermoi-même.Montéléphoneétaitdansmonsac.J’avaissûrementreçuletextoaussi.Maisj’avaisbesoinqueSylviamedonneuneversioncensurée.Jerestaisplantéelààattendre,lesyeuxrivéssurlaporte.

Quandelles’estenfinouverte,Sylviaestentréeentraînantdespieds.Ellenepouvaitmêmepasmeregarder.

«Alors?j’aidemandé.−Si tu te sensmieux,aaboyé l’infirmièrebrusquementénervée,vouspouvezaller toutes lesdeux

discuterdanslecouloir.Cettepièceestréservéeauxélèvesquisontvraimentmalades.»On l’a ignorée et on ne s’est pas lâchées des yeux, jusqu’à ce queSylvia se détourne et se laisse

tomberàcôtédemoisurlelitraide.Elleaprisuneprofondeinspirationpuisaposésesavant-brassursesgenouxenfixantlesol.

«TonmailàDylan,quelqu’unl’aenvoyéàtoutlemonde,a-t-ellemurmuré.Enentier.»

Après que l’infirmièreAppleman a fini par nous jeter, Sylvia a parcouru d’unœil nerveux le halldésert,inspectantlepérimètre.

«Qu’ilsaillenttoussefairefoutre,a-t-ellelâché.Detoutefaçontusaisquoi,letempsqu’ilyaitunautregRaCeFULLYquisorte,ilsauronttousoublié.»

Je dévisageais Sylvia qui continuait à balayer le hall du regard. Jamais je ne l’avais vue aussinerveuse.Ellesavaitaussibienquemoiquepersonnenerisquaitd’oublieruntrucpareildesitôt.

Çaauraitdéjàétégênantsimonmailparlaitd’unmecousitoutlemondesavaitdéjàquej’étaisgay.Maislà,êtretrahieparmonpropremaildemeufaccro?LesélèvesdeGraceHallallaientpouvoirs’enrepaîtrependantdesannées.J’avaisenviedemourir.J’avaisenviequemoncœurs’arrêtedebattre.J’aifermélesyeuxenespérantyarriverparlaforcedelavolonté.

«Çavaaller»,ai-jeditàSylviaauboutd’unmoment.C’étaitunmensonge,évidemment.Maisj’avaisenviequ’elles’enaille.J’avaisbesoind’êtreseule.«Tudevraisallerencours.Tuvastechoperuneexclusiontemporairesit’esdenouveauenretard.−Hé!VousvouscroyezauClubMed?nousacriéWillauboutducouloir.Magnez-vousd’alleren

cours,sinonc’estlebureaudeMmePearl.Àvousdechoisir.»JemesuisretrouvéesanstransitiondanslaclassedeLiv,quiparlaitduBruitetlafureur.Jeneme

rappelais même pas avoir quitté le hall. Et pourtant j’étais là, et Liv était là, en train de parler duprochainbouquinqu’onallait lire.Elledisait quelquechose au sujetde la structurenarrative.Le trucbizarre,c’étaitsafaçond’enparlercommesic’étaitsuperimportant,etpasjusteunénièmeromanàlacon.

HeatheretBethanyétaientaussidanslaclassedeLiv,ellesétaientassisesàl’autreboutdelasalle,àcôtédesfenêtres.J’aisentilepoidsdeleurregardpendanttoutletempsoùLivparlait.Etpendanttoutcetemps,j’aipriépourdisparaître.

J’avaisécritquej’aimaisDylan.Quej’avaisenviequ’ellem’aime.Detouteévidence,cen’étaitpaslecas.Etmaintenantlemondeentierétaitaucourant.

IlfallaitquejemebarredeGraceHall.Quejem’enfuiepournejamaisrevenir.Ben. Peut-être qu’il pourraitm’aider. En faisant quoi, je ne savaismême pas.Mais il était censé

venir.Ilavaitpromisd’essayer,aumoins.Sij’arrivaisàleconvaincredevenirmaintenant,ilm’aideraitàoublier tousceuxdeGraceHall. Il avait ledonde relativiser les situationspourries.Elles restaienttristes−maistristesdrôles,pastristestragiques.

J’ai alors remarquéque les autres se levaient pour partir.Le cours devait être terminé. Je n’avaismêmepas relevéqueLiv s’était arrêtéedeparler. Je suis restée assisehistoired’envoyervite fait untextoàBenetdevoirs’ilpouvaitdescendrebientôtàBrooklyn.

Quandj’ailevélesyeux,HeatheretBethanyétaientauniveaudematable.Brasdessus,brasdessous,ellessontpasséestranquillementdevantmoi,articulantsilencieusementlemotgouineenmarchantd’unpaslégerverslaporte.Jesuisrestéeplantéelààlesdévisager.

J’avaisl’impressiond’avoirglisséhorsdemoncorps.Commesijemetenaisàcôtédemoi-même,entrain de secouer la tête.Comment étais-je devenue cette personne ?Cette personne au centre de cetteputain de tempête de ragots demerde ? Parce qu’il y avait eu cette autre personne, une personne quin’auraitjamaisintégréunclubnipoursuiviunefillequin’avaitpasenvied’êtreattrapée.Quineseseraitjamaislaisséridiculiser.

tàNYC?ai-jetextéàBen.Jesuisrestéelà,sansrespirer,àattendrequelui,monissuedesecours,meréponde.

BENsuisàTimesSquare!!ctropdelaballeputain!!j’♥NYC!!!

AMELIAtupeuxarriverqdàBrooklyn?

BENsaispas.yadeschanceskejepuissepas.Tusaiskej’enaienvie,ms…

AMELIASTP.fautketuviennes.

Je lui ai écrit l’adresse deGraceHall. J’ai ajouté que je comprendrais s’il ne pouvait pas venir.

Mêmesi j’avaissuperenviequ’ilsoit là, jenevoulaispasqu’ilculpabilisedepasserunbonmomentavecsonpère.Riendetoutçan’étaitsafautenisonproblème.C’étaitpasceluideSylvianonplus,mêmesij’avaisespérédetoutesmesforcesqu’elleaussipourraitpeut-êtremesauver.

C’étaitmoiquiavaisétéassezstupidepour intégrer lesMagpies.C’étaitmoiquiavaisajouté touscestrucsdansmonmail,alorsmêmequeSylviam’avaitditquec’étaitunetrèsmaisalorstrèsmauvaiseidée.Alorsmêmeque,aufonddemoi,jesavaisqu’elleavaitraison.Etpourtant,aufonddemoi,pileaumême endroit, je priais encore pour qu’il y ait je ne sais quelle explicationmagique qui fasse que ladiffusiondecemailnesoitpaslafautedeDylan.

«Amelia?»alancéLiv.J’aisecouélatêteetlevélesyeux.J’étaistellementàcôtédelaplaquequej’étaislà,enpleinesalle

declasse,avecmonportablevisiblecommelenezaumilieudelafigure.QueLivpasseoutreàcequej’envoievitefaituntexto,c’étaitunechose,maisj’auraisdûrangermontéléphone.Jen’avaispasenviequ’ellecroiequejeprofitaisd’elleparcequ’onétaitgenrecopinesoujesaispas.

«Désolée,ai-jeditenfourrantmonportabledansmonsac.C’étaitjusteunmessagedemamère.Ellemedemandaitdeluirépondretoutdesuite.»

Livasecouélatête.«Ilnes’agitpasdetontéléphone.»Elleavait l’airunpeumaladequandelle s’estassisesur lachaiseen facedemoi.L’espaced’une

seconde,j’aicrevéd’enviedetoutluiraconter.«J’aibienpeurqu’ilnes’agissedetadissertationsurVerslephare.−Jesaisquecesurquoij’aiécritn’étaitpasexactementcedontnousavionsparlé»,ai-jerépondu.Jemesentaisunpeumieuxàparlerdemadissert.ÇadonnaitàDylan,autexto−tout,quoi−unairde

rêvefarfelu.«Maisjepensaisqueçapasseraittantquejelefaisaisbien,vousvoyez.»Livaplissélefront.«Cen’estpaslesujetdetadissertationquiposeproblème.−Ellen’étaitpasbonne?»Iln’yavaitpasmoyenqu’ellepuissedireuntrucpareil.«Si,Amelia.Cen’estpaslesoucinonplus.»Elleaprisuneprofondeinspiration,toutechevrotante.«Cen’étaitpastadissertation.C’estçaleproblème.−Qu’est-cequevousracontez?

−Jel’aisoumiseàunlogicielconçupourdétecterladuplicationdesœuvrespubliées.TouslesprofsdeGraceHalllefont.C’estobligatoiredepuiscetteannée.Bref,denombreuxpassagesontétésoulignés.Ladissertationquetum’asrendue,Amelia,c’étaitduplagiat.

−Non,absolumentpas!»Moncœurbattaitàtoutevitesse.«C’estmoiquiaiécritcettedissertation!»Livafroncélessourcils,l’airtriste.Pourmoi.«Çaneteressemblepas,Amelia.Jelesais,a-t-elleajoutéenmeregardantcommesiellevoulaitque

jemeconfesse.Situm’expliquescequis’estpassé,jesuissûrequ’onpourrasedébrouiller.Maisilfautquetucommencesparmedirequelquechose.»

L’espaced’uneseconde,j’aicruquej’étaispeut-êtreentraindedevenirdingue.Quej’avaispeut-êtrepiqué des bouts de la dissert de quelqu’un d’autre sans me rappeler l’avoir fait. Et d’un coup j’aipercuté:lesMaggies.Évidemmentquec’étaitlesMaggies.Bethanyétaitl’assistantedeLiv.Elleavaitdûsedébrouillerpouréchangermadissert.

MaiscommentdireçaàLiv?Ellesavaientmenacé−Zadieavaitmenacé−detorturerSylvia,deluipourrirlaviesijelesbalançais.Jesavaisd’expérienceàquelpointlatorturedesMaggiespouvaitêtredouloureuse.Sylvian’ysurvivraitjamais.Oraprèstoutcequ’elleavaitfait−surtoutcombienelleavaitétélàpourmoi,malgrélacopinemerdiquequej’avaisété−,jenepouvaispaslajetersouslesrouesdubus.Ilallaitsimplementfalloirquej’encaisse.Quejelaissecroireaumondequej’étaisunetricheuse.

«Jeveuxlesvoir,ai-jedit.Lespartiesquej’aicopiées.−D’accord,Amelia»,amurmuréLivenselevantpourallercherchermadissertation.Elleestrevenueavecplusieurspagesagrafées.Monnométaitécritdessusmais,àpartça,cen’était

pas mon devoir. Pas même le titre. J’ai feuilleté scrupuleusement les pages. Des passages étaientsurlignéscommeparunlogiciel,etlavéritablesourceétaittapéeenmarge.

Çanesuffisaitpasd’envoyeràtoutlebahutpartextomeslettresd’amourpersonnelles?Zadieavaiteubesoindefaireçaaussi?J’avaisl’impressionquequelqu’unavaitcreuséuntroubiennetaucentredemoncorps.Commes’iln’yavaitdésormaisaumilieudemoiqu’unespacevide.Etpourtant,par jenesaisquelmiracle,jetenaistoujoursdebout.

« Amelia, s’il te plaît, dis-moi ce qui se passe, a supplié Liv. Si tu ne peux pas me fournird’explication,jevaisdevoirréférerdecetteviolationducodedeconduiteàM.Woodhouse.Jen’aipasenviede le faire,crois-moi.Mais jevaisperdremontravailsi jene le faispas.Si tum’expliques, jepourraipeut-être trouverunmoyendenous sortir toutes lesdeuxdecemauvaispas.Cen’estpas toi,Amelia.Jelesais.Amelia,regarde-moi.»

Jemesuiscontentéedesecouerlatête,lesyeuxbaissés.Voilà.LesMaggiesavaientfinipargagner.Zadieavaitvoulumepourrir lavie,elleavait réussi.Maintenant ilnemerestaitplusqu’àaccepter ladéfaite.Àmecoucherparterredanslasalledeclasseetàattendrequ’ellesemportentmoncorpssansvie.

AMELIA

24OCTOBRE,12H02

AMELIAstpdis-moiketuarrives

BENças’annoncemal,msj’essaieencore

AMELIAstp,stp,gbesoin2toi

BENj’essaie…

AMELIActt?tuessaies?jetediskegbesoin2toiicietctt?cquoilepb?tumens

maintenantaussi?BENquoijemens?gditkej’essaierais,cttcekegdit.Jepeuxpasenvoyermonpèrese

fairefoutreAMELIAdésolée,t’asraison;clamerde,là

BENqu’est-cequisepasse?

AMELIAlesMaggiesonttrafiquémadissertd’anglais;onm’accused’avoirtriché

BENcommentellesontpulatrafiquer?

AMELIAj’ensaisrien

BENquellebandedesalesputes,j’aimeraispouvoirêlàprt’aider

AMELIAgpasenvieketut’engueulesactonpère

BENtucomptes+kemonpèrequisevnr1peu,tucomptes+kepresquett

AMELIAmerci:)j’enavaisbesoin

Facebook24OCTOBRE

AmeliaBaron«Seul, condamné, abandonné, commesont seuls ceuxqui s’apprêtent àmourir,il yavait làune formededélectation,unadmirable isolement,une libertéqueneconnaîtrontjamaislesenchaînés.»VirginiaWoolf,MrsDalloway

GeorgeMcDonnelldisProzacpourvoir?

KATE

19OCTOBRE1997,3H56

À:KateBaronDe:rowan627@aol.comObjet:Dernieressai…

SalutKatie,Jemesuisditquej’allais lancerunderniercriavantdem’enfoncerdansl’arrière-pays…J’espèrequetuvasbien.Et t’inquiètepas, jenevaispasmemettreàteharcelercommeundinguesitunemerépondspas.Jecomprends,parfaitement.Joue-la-toi cool et prends soin de toi. Et si jamais tu atterris de ce côté-là duglobe,fais-moisigne.

Jegarderail’œilouvert,etlalumièreallumée.

peace,Rowan

20OCTOBRE1997,9H15

À:rowan627@aol.comDe:KateBaronRe:Dernieressai…

Rowan,Je suis désoléedenepasavoir donnédenouvelles.Merci dem’avoir écrit. J’aiadorédiscuteravectoietterencontrer.Maisilestarrivéquelquechosedansmavie. Quelque chose d’inattendu. Bref, ça a changé la donne de mon côté. J’aibesoin de prendre un peu de temps et de me concentrer uniquement sur moipendantunmoment.

Je te souhaite le meilleur. Tu es un grand esprit. J’ai de la chance d’avoir eul’opportunitédeteconnaître.

Xo,Katie

KATE

29NOVEMBRE

Kate s’assit sur un banc humide dans un parc en face du 968 de la Cinquième Avenue. Il faisaitsombre, ilétaitvingtheurespassées.Cen’étaitpeut-êtrepas l’endroit leplusrecommandépourresterseule,là,enbordureduparc,lanuit,maiselleétaitàl’abridesregardsetjouissaitd’unebonnevuesurl’entréedel’immeuble.Elleétaittoujoursincertainequantàsesintentions,mêmesiellesavait,depuislemomentoùLewétaitpartienluiintimantderesterchezelle,qu’elleallaittrèscertainementledécevoirànouveau.

Quelquesminutesplus tard, elle traversait la rue, etungrandportier élégant l’invitaitd’ungesteàentrerdanslehall,luifaisantcroireunesecondequ’elleallaitpeut-êtrepouvoirmonterdirectementsansavoiràs’expliqueràpersonne.L’espoirfutdecourtedurée.

«Quelappartement?s’enquitleportierenfaisantsouplementeffectueràKateunarcdecerclepourqu’elles’arrêtetandisqu’ilsedirigeaitversletéléphone.

–Oh.»Ellesentitlaculpabilitésedessinersursonvisage.«6C?»Leportierlatoisaendécrochantletéléphoneetcomposaunnuméro.«Nom?−Pardon?−Votrenom.»L’hommearticulaexagérémentcemot.Onauraitditqu’ilenvisageaitdéjàde la réexpédierdans la

rue.Peut-êtreaurait-ceétépréférable.Carquelétait sonplan,au juste,unefoisqu’elleseraitmontée?

ExigerdevoirceBen?Queferait-ellequandonluidiraitqu’iln’yavaitpasdeBenàcetteadresse?Çan’avait aucune importance de toute façon.Dès l’instant où le portier aurait joint le résident du 6C etapprisquecelui-cin’avaitaucuneidéedequielleétait,ellen’iraitnullepartailleursquechezelle.

«KateBaron.»Elleluiadressaungrandsourire.«C’estmonnom,KateBaron.»Leportierneparutpasconvaincuparsatoutenouvelleassurance.Sanslaquitterdesyeux,ilannonça

sonarrivéeàlapersonnequiavaitdécrochéletéléphone.«D’accord,répondit-ilenbaissantlesyeux.Oui,oui,jecomprends.»Kate retint son souffle, s’attendant à subir l’humiliation d’être refoulée. En même temps, d’une

certainemanière,çaauraitaussiétéunsoulagement.L’interventiondudestinpourlasauverd’elle-même.Aulieudecela,l’hommedésignalefondduhalld’entrée.

«Prenezledernierascenseur.»LecœurdeKatebattait lachamadequandlesportesdoréesdelacabines’ouvrirentsuruncouloir

luxueux.Ellesortit,accueillieparunbuffetcirésurmontéd’unénormemiroirencadrédefeuillesd’or.

Kate aperçut son reflet.Elle avait le teint gris, les traits tirés, les cheveux ternes.Depuis combiendetempsétait-elledansunétatdedécrépitudeaussimanifeste?Depuislamortd’Amelia?Avant?

Sonchagrin luiavaitpeut-êtreaussidévoré lecerveaucarc’étaitmal,cequ’elle faisait, se rendrechezceBen.Elleavaitjadisétéquelqu’underaisonnable.Aufond,ellel’étaittoujours.Ellesavaitquelefaitquecetappartementsoitd’unebeautéexceptionnellen’empêchaitpaslapossibilitéqu’ilabriteunpsychopathe. Elle avait besoin de Lew. Elle n’avait rien à faire là. Absolument rien. C’était nocif etinutile.

Elle fit volte-face et appuya sur le bouton «Descente ». Par chance, les portes de l’ascenseur serouvrirentaussitôt.Elles’apprêtaitàmonterquandelleentenditledéclicdelaserrurederrièreelle.

«Kate?lançaunevoixféminine.Oùvas-tu?»Kateseretourna:Verase tenaitauboutdugigantesquecouloir, l’airenformeetmuscléedansson

débardeuretsonpantalondeyoga,seslongscheveuxnoirsnouésencatogan.Piedsnus,ellesedirigeaàpas feutrés vers Kate. Sa bellemâchoire puissante était inclinée sur le côté, ses grands yeuxmarronétrécisparl’inquiétude.

Vera.Jeremy.Leurnouvelappartement.CeluioùKaten’étaitencorejamaisvenue.Lestextosavaientétéenvoyésparl’undesfilsdeJeremy.Ameliaauraitfacilementpurencontrerl’un

d’euxquelquepart.LemondedesétablissementsscolairesprivésdeManhattanetdeBrooklynn’étaitpassigrand.Ilsauraientmêmepusecroiseraupique-niqueorganiséparlecabinetl’annéeprécédente.Maispourquoil’undesfilsdeJeremyaurait-ilmentisursonidentité?

«Çava,machérie?»demandaVeraavecdouceur.ElleétaitjusteenfacedeKateàprésent,lamainposéesursonavant-bras.Katehochatropfortettroplongtempslatête.ElleneserappelaitmêmepasqueJeremyluiaitjamais

mentionnéquel’undesesfilsétaitgay,maispeut-êtrenetenait-ilpasàenparler.Oubien,commeKate,nelesavait-ilpas.

«Pourêtrefranche,tun’aspastrèsbonnemine,ditVeraenconduisantKateversleurappartement.Entret’asseoir.Jevaistechercherunverred’eau.»

Ellepoussalaporteetellespénétrèrentdanslevastesalon.Unegigantesquebaievitréesurplombaitl’obscuritéduparcet,auloin,leslumièresduquartierdel’UpperWestSide.Àuneextrémitétrônaitunecheminée qui faisait la séparation avec une immense salle àmanger, et à l’autre un pianomajestueux.Entrelesdeux,ilyavaitsuffisammentd’espacepourjoueraubasketetàpeuprèslamoitiédesmeublesnécessairespourleremplirenconséquence.

« Viens, allons nous asseoir dans la cuisine, dit Vera. C’est plus confortable. Ici c’est encore enchantier.»

«J’avaisoubliéquevousaviezdéménagé»,ditKateens’asseyantsurl’undestabouretsplacésle

longdugigantesqueîlotcentralengranitdelacuisineXXL.EllenesavaitpassiellepouvaitsepermettredeparleràVera.Ellenesavaitpassicelle-ciavaitlu

insidethelaw,ni,sic’étaitlecas,sielleavaitfaitlelienavecKate.« Tu sais, moi aussi, parfois, j’aimerais oublier qu’on a déménagé, répondit Vera. Sans vouloir

paraître ingrate, parfois le grand est tout simplement trop grand. Jeremy ! cria-t-elle, lementon levé,avantd’adresserunsourireàKate.Ilestallésechanger.Ilvarevenirdansuninstant.

−Oh,jesuisdésoléedevousavoirdérangés»,s’excusaKated’unfiletdevoix.Illuiétaitdifficiled’articulerenayantlagorgeaussiserrée.«Jesaisqu’ilsefaittard.

−Jet’enprie,répliquaVeraenagitantunemain.Vul’heuretardiveàlaquelleJeremyvousfaittousbosser,çaluifaitdubiend’êtredérangédetempsentemps.

−Mercipourleverred’eau»,ditKatedansl’espoirdedétournerlaconversationdeJeremy.Elle avait envie de quitter cet appartement sur-le-champ,mais elle ne parvenait pas à formuler le

moindrecommencementd’excusepourexpliquersaprésence,etencoremoinspourexpliquerpourquoielledevaitsubitements’enaller.

«J’avaisunpeulatêtequitournait.−Çanem’étonnepas.QuandJeremym’aapprisquetuavaisdéjàreprisletravail…»Verafitminedesecoudreleslèvres.«Ohnon,désolée,jeferaismieuxdememêlerdecequimeregarde.Lesgarçonsmedisenttoujours

quejesuisunemèrepoulequituelesgensàcoupsdebec.Alorsjevaisessayerderesterbouchecousue.Faisjusteattentiondenepastesurmener.Etceconseilvientd’unefemmequiacouruunsemi-marathonsixsemainesaprèsavoiraccouchéetprésentéunemotionencourd’appellelendemain.Ladistractionestlemeilleurremède.Jecomprendscebesoin.»

Elles’interrompit,l’airtriste.«Seulement,ilyadeschosesqu’onnepeutpasdistancer,peuimportelavitesseàlaquelleonbouge

lesjambes.»Jeremyapparutalorssurleseuil.Ilétaitpâle.Arrête,avaitenviedeluicrierKate.Tuasunetêtede

coupable.«JemesuisinscriteàuncoursdusoirdeyogaBikram,annonçaVera.Çairasijevouslaissetousles

deux?»Katesetendituninstant,maisJeremys’empressaderemplircesilencegêné.« Oui, vas-y, vas-y, répondit-il en l’embrassant. Kate a juste besoin de ma signature sur un

document.»Verasemblaacceptercetteexcuse,bienqueKatesoitarrivéechezeuxsans rien.Elle lui tapota la

mainensedirigeantverslaporte:«Prendssoindetoi.Etessaied’yallerdoucement.Letravailnevapass’envoler.»UnefoisVerapartie,Jeremyretournadanslesalon.Ilseservitunpetitverreaubarquilongeaitle

muràcôtédelacuisineouverte.Duwhiskyouduscotch,quelquechosed’ambré.IlenproposaàKate,quidéclinad’ungeste.Ilselaissatomberlourdementdanslecanapéensetenantlatêted’unemain.Puispritplusieursinspirationssonores.

«Ellen’esttoujourspasaucourant?demandaKate.− Je n’en étais pas complètement sûr jusqu’à maintenant, répondit-il en secouant la tête. Elle se

comportaitdemanièreunpeubizarrecesderniers temps,dumoinsc’estceque jecroyais.J’aidûmefairedesfilms.Àmoinsqu’ellen’aitl’intentiondereveniravecunflingue.»

Kateledévisagea,lesyeuxécarquillés.«Jeplaisante,ditJeremy.−C’esthilarant»,rétorqua-t-elleplatement.Ilhaussalesépaules.«Tupourraist’asseoir,s’ilteplaît?Tumerendsnerveux.»Kate s’installa sur le rebordd’uneénormeottomanecoupléed’une tablebasse sansêtre sûrequ’il

s’agissaitd’unsiège.«Jenesavaismêmepasquec’étaitcheztoi,dit-elle.−Commentça?»

Jeremyéclusasonverre,qu’ilposaauboutducanapé.«Tuasfrappéànotreporteparhasard?−Jesuisvenueici,àcetappartement,exprès.Seulementj’ignoraisquiyhabitait.»Elle cherchait encore à trouver une explication à cette situation. Si l’un des fils de Jeremy avait

prétenduêtreBen,celasignifiaitqu’ilpouvaitégalement−dumoinsenthéorie−avoirquelquechoseàvoiraveccequiétaitarrivéàAmeliasurcetoit.Commentallait-elleannonceràJeremyquel’undesesfilsétaitBensansavoirl’airdel’accuserd’avoirblessé,voiretuésafille?D’autantqu’ellen’ycroyaitpas vraiment. Selon elle, c’était lesMaggies les responsables.Mais il n’en restait pasmoins, commel’avaitditLew,queBen−quiqu’ilsoit−avaitmenti.Elleavaitbesoindesavoirpourquoi.

« Je ne comprends rien à ce que tu racontes, Kate, s’agaça Jeremy, l’air exténué. Pourrais-tusimplementm’expliquercequisepasse?

−IlyavaitungarçonavecquiAmeliaétaitcopine,commença-t-elleprudemment.Soi-disantunautrecandidatàcefameuxprogrammed’étéàPrinceton.Leuramitiéconsistaitsurtoutàs’envoyerdestextosetdesmails,cegenredechoses.Ilsétaientmanifestementproches.Nousavonsessayédelepister.»

Elles’empressadeclarifiersapensée.«Non pas parce qu’il est susceptible d’avoirmal agi,mais parce qu’il est susceptible de savoir

quelquechose.IlaracontéàAmeliaqu’ilvivaitàAlbanyetqu’ils’appelaitBen,maislapolicearéussiàtrouverl’originedestextos.»

Elles’interrompit,inspira.«Ilhabiteici,Jeremy,danscetappartement.L’undetesfilsadûenvoyercesmessagesàAmelia.»Jeremyferma lesyeuxet laissa retombersa tête,cette fois-cidanssesdeuxmains. Il restaun long

moment immobile dans cette position. Puis il se mit à secouer la tête de gauche à droite. Allait-ilvraimentcontester?Nierqueçapuisseêtrel’undesesfils?Peut-êtreavait-ilmalcompris.Malgrélesprécautionsqu’elleavaitprises,peut-êtrecroyait-ilqu’elleaccusaitundeses filsd’avoircommisuneatrocité.

« Jeremy, jenesuispasen traindedirequ’il a faitquoiquece soitdemal.Benétaitunbonamid’Amelia.Untrèsbon…

−Cen’étaitpasundesgarçons»,murmura-t-il.Illevadesyeuxembués.«C’étaitmoi.−Quoi?aboyaKateenselevantd’unbond.Qu’est-cequeturacontes?−J’écrivaisàAmelia.Ben,c’étaitmoi,Kate.−Non.»Ellesecoualatête.C’étaitimpossible.Ilexistaituntasd’explicationsàuntasdechoses,maisiln’y

enavaitqu’uneàlacorrespondancefallacieuseentreunadulteetunejeunefille.«Non.»EllesongeaalorsàlafoisoùelleetAmeliaétaienttombéessurJeremyunsamediaubureau,peude

temps auparavant.À la façon dont il avait semblé captivé par sa fille, la dévisageant si intensément,s’émerveillantdelavoiraussimûre.Katen’yavaitpasaccordéd’importancesurlemoment,sedisantqu’ilessayaitjustedemontrerqu’ils’intéressait,engénéral.Àprésent,cesouvenirluidonnaitlanausée.

«Jen’auraispasdûluimentir»,poursuivitJeremyencoreuntonplusbas.Lesyeuxbaissés,ilsecouaitlatête.« J’ai eu tort. Seulement…Quand j’ai écrit cette recommandation pour Princeton, j’ai passémon

tempsàpenseràAmeliaetàlapersonneformidablequ’elleétaitdevenue.Jevoulaisavoirunechanced’apprendreàlaconnaître,aumoinsunpetitpeu,etjemesuisditquejepourraispeut-êtrelefairesans

queçanecoûte rienàpersonne. J’avaisdéjàsonadressemailgrâceà la recommandationque j’avaisécrite.Toutcequej’avaisàfaire,c’étaitdecréeruneboîtemailaveclenomd’ungamin,meprendreunabonnement téléphonique avec le préfixe d’Albany,m’inventer une petite histoire et le tour était joué.C’étaitpeut-êtreégoïste,maisjen’aipaspum’enempêcher.

−Tun’aspasput’enempêcher?!»LavoixdeKatechevrotait.Elleavaitlesjouesenfeu.Elleseretenaitàtouteforced’enveniràcette

ignobleetinévitableconclusion.Envain.Sonesprits’yétaitdéjàprécipité.«C’étaitmafille,Jeremy.C’étaituneenfant.−Attendsunpeu,Kate.»Livide,ilavaitunregardaffolé.«Tunepensespasque…ilyauneexpli…−Non.Toncharmeneteserad’aucuneutilitépourtesortirdelà.Jenetelaisseraipasfaire.C’est

comme ça que tu arrives à rester un si bonmari en ce moment ? cria-t-elle, le doigt pointé sur lui.Tuenvoiesdestextosàdesadolescentesaulieudecoucheravecdesadultes?Oulestextosnesont-ilsqu’undébut?Avais-turéellementl’intentiondevoirAmelia?

−Kate,voyons,c’estridi…−Qu’est-cequetuluiasfait,espècedesalopard?!hurla-t-elleenseprécipitantsurlui.−Fait?Tuesfolleouquoi?!J’essayaisdel’aider!»Ilseprotégealevisagedesmains.«Detoutefaçonjenel’aijamaisvue.Enfin…Je,j’aipenséàlavoir,àluidirelavérité.Maisje

savais que ce n’était pas à moi de prendre cette décision, alors à la place je suis devenu son ami.Pourquoiluiai-jeracontéquej’étaisgayàtonavis?Jevoulaisêtresûrqu’iln’yaitaucuneambiguïté.Mêmesifinalementçan’auraiteuaucuneimportanceaprèsDylanettout.J’étaisjustecontentd’êtrelàpourelle,avectoutescesconneriesquisepassaientaveclesMagpies.

−OhmonDieu.Tusavais.»Ellecrutqu’elleallaitvomir.«Putaintu…Ellet’aracontécequecesfillesluifaisaientettun’asrienempêché?Tuauraispuen

parleràquelqu’un.Tuauraispufairequelquechose.−À t’entendre,ondiraitquec’était simplecommebonjour.Toutauraitétédévoilé,Kate.De toute

évidence,tun’avaispasenviedeçanonplus.Sinontuneteseraispasdonnétantdemalpourcacherlavérité.»

Désormais Jeremy aussi semblait en colère. La vérité, c’était la deuxième fois qu’il employait ceterme.Katen’étaitpassûredevouloirsavoircequecelasignifiait.

«Bref,j’aieffectivementpenséàtoutteraconterquandlasituationacommencéàdéraperaveccesfilles.Maisavantquejepuisselefaire,onauraitditqu’Ameliaavaitréussiàs’ensortirtouteseule.Ellem’aditqu’elleallaitbien.Etensuite,brusquement,ledernierjour…»

Ilbaissalesyeux.«Maintenant,aveccequiestarrivé…Kate,tunepeuxpassavoiràquelpointjeregretteden’avoir

rienfait.−Es-tuallévoirAmeliacejour-là?»demanda-t-elle,sepréparantaupire.Jeremy avait tellementmenti. Il aurait pu y avoir encore d’autres révélations. Il aurait pu y avoir

quelquechosed’encoreplushorriblequecequ’ellepouvaitimaginer.«Danstestextos,tudisaisquetuallaisyaller.−Non,Kate,pourladeuxièmefois.»

Il n’y avait plus de colère dans sa voix, juste de la résignation. Il savait exactement de quoi ellel’accusait,etsemblaitcomplètementabattu.

« J’aipassé la journéeentière aubureauavec trois associés.Tupeuxvérifier si tuveux.De toutefaçonjecroyaisquetulesavaislus,sestextos.Àlafin,j’aiditquejeneviendraispas.

−Jenelesaipasencoretousparcourus!−Papa?»lançaalorsunevoixdepuisleseuil.L’undesfilsdeJeremysetenaitlà,l’airgamin,séduisant,apeuré.«Çava?»Jeremyselevad’unbondetsourit,siviteetdemanièresiconvaincantequeKateeneutlachairde

poule.«Ouais,ouais,Andrew.Çava.Onaunproblèmeavecunprocès,c’esttout,pasdequois’inquiéter.

Retournefairetesdevoirs.Onvabaisserd’unton.−OK,réponditAndrew,sceptique,laissantsonregardseposeruninstantsurKateavantderetourner

verslaporteentraînantdespieds.Àplus.−Ouais,ouais,Drew.Àplus.»Aprèssondépart,KateetJeremy,immobiles,restèrentunlongmomentsilencieux.Katenes’étaitpas

rendu compte que les enfants étaient à la maison.Même si elle mourait encore d’envie de crier surJeremy,ellenepouvaitpasinfligerçaàsesfils.L’avenirprocheleurréservaitdéjàtellementdechagrin.UnefoisqueVeraentendraitparlerdespostssurinsidethelaw.com,cequitôtoutardnemanqueraitpasd’arriver,iln’yauraitpasmoyenqu’elleresteavecJeremy.Cen’étaitpaslegenredefemmeàprendreunetrahisonà la légère.Detoutefaçonilexistaitd’autresmoyensdesavoirsiJeremydisait lavérité.Appelercesfameuxassociés,vérifierauprèsdesasecrétaire.Mieuxencore,KatepourraitenvoyerLew.Maisilyavaitunechosequ’elleavaitbeletbienbesoindesavoir.

«Cacherlavéritéàquelsujet?»demanda-t-elle.Cequ’avaitinsinuéJeremylatravaillaitencore.«Quoi?»Ilsemblaitàlafoismeurtrietperplexe.«Tuasditquejem’étaisdonnébeaucoupdemalpour“cacherlavérité”.Lavéritéàquelsujet?−Voyons,Kate.Jesavais,répondit-ilauboutd’unmoment.Çafaitdesannéesquejelesais.− Que tu sais quoi ? aboya-t-ellemalgré ses efforts pour ne pas s’emporter. Que c’était une fille

confiante,qu’elle…−Quec’étaitmachair,dit-ilenlaregardantdroitdanslesyeux.Jesavaisqu’Ameliaétaitmafille.−Tafille?s’étranglaKate.Amelian’étaitpastafille,Jeremy.−Lesdatesconcordentparfaitement»,répliqua-t-ilcommesielleessayaitjustedegagnerdutemps.Commentosait-ilrevendiquerAmeliatelunénièmetrophée?«Tuplaisantes,j’espère?»Ellen’avaitaucuneenvied’avoircetteconversationaveclui.Ellesavaitcequ’ellesavait,nonobstant

lesillusionsdeJeremy.«Nousavonscouchéensembleunefois,Jeremy.Uneseulefois.Et tun’étaispas leseulàcoucher

avecplusd’unepersonne.Crois-moi,Amelian’étaitpastafille.Jesaisquiétaitsonpère,etcen’étaitpastoi.»

MaisJeremysecouaitlatête.Iln’avaitpasl’aird’écouterunmotdecequ’elledisait.«Dèsquej’aiapprisquetuétaisenceinte,jemesuisposélaquestion,évidemment.Maisquandles

yeuxd’Ameliabébéontchangédecouleur,làj’enaieulacertitude.−Arrête,Jeremy.»

Elleparlaitd’un filetdevoixaigu.Elle savaitcequ’elle savait, alorspourquoicommençait-elleàpaniquer?

«Jesuissérieuse.−Voyons,Kate.»Le regard clair de Jeremy était dépourvu de culpabilité. Sa voix était d’un calme olympien. Il se

trompait peut-être, mais en tout cas il y croyait dur comme fer. Il passa une main dans ses cheveuxargentéseninclinantlatêteversKate,commepouressayerdeprouverquelquechose.

« Regarde-moi. Tu ne vas quand même pas me dire que tu n’as pas fait le rapprochement. Mescheveux,sesyeux.»

Ses cheveux?Depuisqu’elle le connaissait, il avait toujours eu les cheveuxgris. Il avait presquequaranteansquandilss’étaientrencontrés,c’étaitjeunepouravoirlescheveuxentièrementgris,maispasimpossible.

«Jenesaispascequetucroissavoir,Jeremy»,soufflaKate.Elleauraitdûpartir,toutdesuite,avantqu’ilajoutequoiquecesoit.«Maistutetrompes.−Jen’aisuquej’étaisatteintdusyndromedeWaardenburgquelorsquemescheveuxsesontmisà

grisonnerpendantmapremièreannéedefac.MaisavecAmelia,sesyeux,tuasdûlesavoirdèsqu’ilsontchangédecouleur.»

Ilavaitraisonsurcepoint.LesyndromedeWaardenburgavaitétédiagnostiquéchezAmeliaquandelleavaitdixmois,dèsquesesyeux,touslesdeuxbleu-gris,étaientdevenusl’unbleu,l’autrenoisette.C’étaitunemaladiegénétiquedontKaten’étaitpasporteuse.Elleavaitpasséletest.Elleavaittoujourssupposé queDaniel devait l’être et que samaladie avait simplement emprunté l’une desmyriades deformes moins visibles du syndrome. Ils n’en avaient jamais parlé. Cela aurait impliqué de discuterd’Amelia.

Elle avait les paumes moites, ses mains tremblaient. Jeremy avait le même trouble, et alors ?Ilpouvaits’agird’unecoïncidence.C’étaitimpossibleautrement.Elleavaitfaitl’amouravecDanieldesdizainesdefois,seulementuneavecJeremy.

Non.Jeremyn’avaitpasledroitd’essayerderéécrirel’histoire.Çan’avaitpasétéfacile,maisKateavaitfiniparaccepterqueDanielsoitlepèred’Amelia.C’étaitl’unedeschosesquidéfinissaientsavie.AmeliaavaitétéconçueavecunhommequeKaten’avaitjamaisbeaucoupestiméentantquepersonne,c’est pourquoi elle avait épargné à Amelia de faire sa connaissance. Et puis leurs rapports sexuelsavaient été agressifs et brutaux. La manière dont Amelia avait été conçue était l’opposé de l’amour.Çaavaitéténobledesapartd’épargneràsafilledesavoirça,deconnaîtreunpèrequin’arrivaitpasàlachevilledelapersonnequ’elleétaitdevenue.

SiKateavaitcouchéavecDaniel,c’étaituniquementdansunetentativepeujudicieused’étoufferlaculpabilitéqu’elleressentaitàcausedel’aventured’unenuitqu’elleavaiteueavecJeremy,avecquielleavaitcouché…pourquoi?Aprèstoutescesannées,ellenesavaittoujourspasvraiment.PouroubliersaruptureavecSeth?Parcequ’ellesesentaitseule?Parcequ’elleavaitétésubjuguéeparsoncharme?Parcequel’espacedequelquesheuresilluiavaitdonnél’impressiond’êtreunique?Cequiétaitsûrentoutcas,c’estqu’àcemoment-làellen’avaitpaseulesidéesclaires,commeleprouvaitlefaitque−enplus de toutes ses autres décisions inconsidérées − elle s’était montrée tout sauf draconienne dansl’utilisation de son diaphragme durant cette période. Elle avait pris d’autres précautions, bien sûr,précautionsdontn’importequelélèvedecinquièmequiécouted’uneoreillesoncoursdebioauraitsudirequ’ellesétaientloind’êtreinfaillibles.

«J’aifaitbeaucoupd’erreurs,Kate,ditJeremy.Maisjetejurequej’essayaisd’aiderAmelia.Ilfautmecroire.Jepensaisquejepouvaisêtresonami,mêmesiellen’auraitjamaispusavoirquej’étaissonpère.Maintenantjeregrettedenepasleluiavoirrévélé.

−Non»,lançaKateens’éloignant.Ellecontinuaàreculerjusqu’àsecognercontrelemur.«Arrête.Jerefuse.Ilfautquetu…»Ellesecoualatête.«Jedoisyaller.»Elleregardaàdroite,àgauche.Maisoùétaitdoncpasséelaported’entrée?C’étaitcommesielle

s’étaitenfoncéedansunlabyrintheinextricable.Pendanttoutescesannées,elleavaitététellementsûredel’identitédupèred’Ameliaetdelaraisonpourlaquelleelleavaitmentiàsonsujet.ElleavaitprotégéAmelia.Oràprésentelleavaitl’impressionquelaseulepersonnequesesmensongesavaientcouverteétaitJeremy.Et,biensûr,elle-même.

«Kate,ilfautqu’onenparle.−Non.Jamais.Ilfautqueje…jenepeuxpasêtreici.−Danielestaucourantpournousdeux,Kate.Ilm’aappeléunpeuplustôtdel’aéroportpourmedire

qu’ilallaitenÉcosseetpoursevanterd’avoirfilécetuyauàinsidethelaw.Ilétaittellementbourréquejecomprenaisàpeinecequ’ildisait,maisj’aibiensaisiquequelqu’unluiavaitenvoyéunmailànotresujet.Ilmesemblequ’ilm’aditquec’était ilyadeuxmois.Jenesaispasplusquetoidequiilpeuts’agir.Apparemment,lefaitquejetedonnel’affaireAssociatedMutualBank−quiétaitdéjàlatienne,évidemment−afiniparfairepéteruncâbleàDanieletilatoutdéballé.Personnellement,jepensequelefaitqu’ilvienned’accepterunposted’associéprincipalchezMeyer,Jenkinsl’aaussiencouragé.»

Ilsecoualatête,dégoûté.«Danielm’aaussiracontépourtoietlui,Kate.Jel’ignoraiscomplètement.Etjedoisdirequejeme

suissentitrèscon.»Ilavaitd’ailleursleculotdesemblerblessé.«J’ensuisravie,murmuraKateavantdes’élancerenpriantpourquecesoitbienlasortie.Ilétait

grandtempsqu’untructefassetesentirtrèscon.−Attends,Kate. Il fautqu’ondécidedecequ’onvafaire.Et ilyaautrechoseque tudoissavoir.

C’estàproposd’Amelia.−Jeneveuxriensavoird’autre,rétorquaKateenaccélérantlepasdanslecouloir,lecœurbattant,

leslarmesauxyeux.Laisse-moitranquille.−Kate!lançaJeremyunedernièrefoistandisqu’ellepassaitprécipitammentlaporte.Ilfautencore

qu’onparle.J’aiautrechoseàtedire.C’estimportant.C’estausujetd’uneautrefilledeGraceHall!»

AMELIA

24OCTOBRE,13H47

AMELIAtoù?stp.medispasketutdéfilé

BENdésolé.Jesuisunvrainaze.msjevaispaspouvoirvenir

AMELIAsérieux?

BENmonpèreestdstssesétats.sijeparsilvametuer.msm’enveuxpas,ok.parceke

jet’aimeAMELIAcpasgrave.jecomprends.cpastonpb.Jet’aimeaussi

BENgvraimentl’impressiond’ê1blaireau.promets-moikeçavaaller

AMELIAjetelepromets.Çaira

BENnelaissepasctaréest’écraser.ttropgéniale.etpuistum’astjrmoi

AMELIAxoxo

24OCTOBRE,13H49

SYLVIAtoù?

AMELIAdslebureau2Woodhouse

SYLVIApourquoi?

AMELIAtricherie

SYLVIAquiatriché?

AMELIAmoisoi-disant

SYLVIA

j’hallucine!OK,çasuffitlesconneries.bougepas.Jevienstechercher

AMELIA

24OCTOBRE

J’aisursautéetfourrémonportabledansmonsacquandWoodhouseaouvertlaportedesonbureau.«Jevaisfairecommesijen’avaisrienvu»,a-t-ilditencontournantlatable.Ilportaitundossierdontil tapotaitl’arrêtecontrelapaumedesamaincommes’ils’agissaitd’une

règleaveclaquelleilavaitl’intentiondemetapersurlesdoigts.Maisnon,il l’ajetéaucentredesonbureaupropreetvide.Puisils’estassisetacroisélesbras.Ilavaitl’aird’avoirgravelesnerfs.Jenel’avaisencorejamaisvucommeça.

«Alors,Amelia?−Alors?−Livetmoi sommesd’avisqu’ildoity avoiruneexplication logique,voire excusable, auplagiat

présentdanstadissertation»,a-t-ilcommencéd’untongenreon-est-potes-ceci-reste-entre-nous,quiétaitplusqu’agaçant.

Parcequesionavaitvraimentétépotes,j’auraispasétélàtoutcourt.«EtjecroisquecetteexplicationaunrapportaveclesMagpies.Toutcedontj’aibesoin,c’estquetu

mediseslavérité,Amelia.Ensuiteonpourradémêlercetteaffaireensemble.−C’estça.Çaal’airsuperfacile.»Woodhouse a pris une expression inquiète, genre un peu déçu : l’indexposé sur les lèvres, ilm’a

dévisagéependantdesplombes.«Amelia,jenedispasquec’estfacile.Sedéfendren’estjamaisfacile.Maisjepeuxfaireensorte

quetusoisprotégée.Tuasmaparole.Seulementc’esttoiquidoiscommencer,Amelia.Ilfautquetumeracontescequis’estpassé.

−Jen’aipastrichépourmadissert.C’esttoutcequejesais.−Tul’asrendueparmail.»LevisagedeM.Woodhouses’estcomplètementplisséquandils’estmassélefront.«Livl’asoumiseelle-mêmeaulogicieldeplagiat.»Évidemment, c’était oublier un peu viteBethany et le fait que c’était elle qui ouvrait lesmails en

premier, avant de faire avec ce qui lui passait par sa putain de tête, y compris échanger les dissertsjointes.Maisc’étaitpascommesijepouvaisdireçaàWoodhousepourlancerlaconversation.ÀtouslescoupsçaauraitcomptécommetrahirlesMaggies.Etc’estSylviaquiauraittrinqué.

J’aihaussélesépaules.«Jenesaispasquoivousdire,alors.»J’avais une voix toute barge, j’arrivais pas à faire autrement. Tout ça était tellement injuste,

complètementridicule.«Jen’aipastriché,etcen’estpasmadissertation.Jen’airiend’autreàdire.Alors,jepeuxyaller?−Non,Amelia,tunepeuxpasyaller.Ilnes’agitpasdevaselinesurunepoignéedeporte.Leplagiat

n’estpaslegenredechosequ’onpeutlaisserpasser,peuimportel’atoutmajeurquetuconstituespourlacommunautédeGraceHall.C’estuneviolationducodedeconduitedulycée,Amelia.Nouspourrionsperdrenotrehabilitationsilesgensvenaientàsavoirquenousn’avonspasprislesmesuresappropriées.

Sansparlerdesréactionspotentiellesdesautresélèves.Ilyadéjàeudenombreusesplaintescetteannéeconcernantl’indulgencedisciplinaireaccordéeauxélèvesdoués.

−Auxélèvesdoués?Àvousentendreondiraitunemaladie.−Cen’estpasuneblague,Amelia!»ahurléWoodhouse,quim’agravefoutulesjetons.Ilétaittoutrougeaussi.Jenel’avaisjamaisvucommeça.«Nousrisquonsdedevoirterenvoyersitunepeuxpasexpliquercequis’estpassé.C’estgraveàce

point-là.Allez,laisse-moit’aider!»J’aiprisuneprofondeinspirationetj’aifermélesyeux.Jesuisrestéedanscettepositioncommesile

secretdumoyendem’ensortirpouvaitêtreécritàl’intérieurdemespaupières.«Jenepeuxpas.»Woodhouseabruyammentinspiré.«Jepeuxtelaisserquelquesjourspouryréfléchir,Amelia.Maisenattendant,jen’aid’autrechoix

quedet’excluretemporairementàcompterdemaintenant.Cen’estpasnégociable.Tamèreestdéjàenroutepourvenirtechercher.

−Sérieux?Vousavezappelémamèreàsonboulotpourvenirici?Maintenant?»Jenepensaisqu’àunechose:autailleurqu’elleavaitmis.Elleallaitsûrrateruntrucimportantsi

elledevaitvenirmechercher.Ducoupjemesuissentiecoupableetvraiment,vraimentvénère.«Vouspouvezpasjustem’exclureàlafindelajournée?−Non,Amelia,onnepeutpas.Ettudevraisgarderentête,pendantqueturéfléchisàcequetuveux

faire, qu’une exclusion scolaire n’est pas le genre de chose sur laquelle les facultés de l’Ivy Leaguefermerontlesyeux.Mêmesic’étaitpendanttaseconde.»

Celasemblaitdavantagelecontrarierquemoi.«Taboursepourraitmêmet’êtreretirée.Jenesaispas.−Super.»J’avais l’impression que j’allais me mettre à pleurer tout d’un coup. Zadie m’avait d’abord pris

Dylan,etmaintenantelleallaitaussimeprendremonavenir.«Amelia,jevaistedonnerunedernièrechance.Ya-t-ilquoiquecesoitquetuvoudraisdire?−Cen’estpasmadissertation!»ai-jebeugléleplusfortquejepouvais,avecmavoixàlaconqui

craquait.Woodhousen’amêmepascillé.Non,ilenafaitdestonnespourmontrerqu’illisaitmonnomsurla

premièrepage.«Tonnomestécritdessus,Amelia,a-t-ilmurmuré.Situnemedisriendeplus,c’esttoutcequej’ai

àmemettresousladent.»Je détestais cette façon qu’il avait de me regarder, comme si j’étais the grosse déception.

Unimposteur.Unementeuse.Commes’ilyavaitquelquechosedontmoi,j’auraisdûavoirhonte.Maisjen’allaispasavoirhonte.Jen’avaisrienfaitdemal,etjen’allaispasculpabiliserparcequejen’avaispasenvied’êtrelabalancedulycéeouquoi.Detoutefaçon,lavraieraisonpourlaquellejenepouvaisrien lâcher, c’était Sylvia.Dénoncer lesMaggies, ça aurait été le pied total, jusqu’à ce qu’elles s’enprennentàelle.Sanscompterqu’avecSylviaellesauraientdes tonnesdemunitionsàdispositionpourl’humilierenpublic.Mêmesielleadorait jouer lesdures, jamaisellen’ysurvivrait.Aprèscequi luiétaitarrivél’andernier,desfoisj’avaispeurqu’ellenesurvivepastoutcourt.

HorsdequestiondedénoncerlesMaggiesetderisquerd’enfairesubirlesconséquencesàSylvia.Je ne pouvais pas. Ce n’était pas mon boulot de toute façon. Si le lycée voulait se débarrasser desMaggies, il pouvait le faire. Apparemment,Woodhouse connaissait déjà l’identité d’un grand nombre

d’entre elles. Pourquoi avait-il besoin demoi ? Je l’ai dévisagé en espérant lui forer un trou dans levisage,maistoutcequefaisaientmesyeux,c’étaitpisserdeslarmes.

Lemauvaispressentimentquiavaitenflédansmonventren’aidaitpasnonplus.Malgrémeseffortspour l’écraser, il était là àme grignoter les tripes. La vérité, voilà ce que c’était. Car ce n’était passimplementSylviaquejeprotégeais.C’étaitDylanaussi.Aufonddemoi,jesavaispeut-êtremêmequeWoodhouseveillerait à cequ’iln’arrive rienàSylvia si jedénonçais lesMaggies.En revanche jenepouvaispasavoirunetellecertitudeconcernantDylan.

Celadit,étais-jevraimentprêteàmefairerenvoyerpourelle?CommeSylvian’arrêtaitpasdemelerappeler, Dylan ne se comportait pas comme quelqu’un qui se souciait de moi. Comment pouvais-jeprétendrelecontraire?Parcequec’étaitunefille?Parcequejel’aimais?

Aimer.Toutàcoupcemotsonnaitbizarre.Commesijeleprononçaismal.Non,jen’allaispasfaireça.Jen’allaispasêtrepitoyableàcepoint.J’étaisunebonneélève.J’avais

travaillédurtoutemavie.Jen’allaispastoutplanterpouravoirunechancedemeremettreavecDylan.«Jecroissavoircequis’estpassé»,ai-jefiniparadmettred’unetoutepetitevoix,enregardantmes

mains.Jepouvaisyarriver.Jelepouvais.Hélas,onafrappéàlaporteavantquejepuisseajouterquoiquecesoit.«Entrez»,alancéWoodhouse,stressé.Ilsavaitquej’avaisétéàdeuxdoigtsdetoutdéballer.MmePearlapassélatêtedansl’embrasuredelaporte.«DésoléedevousdérangermonsieurWoodhouse,a-t-elleditenluiléchanttellementleculquej’en

aieumalàlabouchepourelle.Maisjeviensd’avoirunappel:j’aibienpeurqu’ilyaitunproblèmeàlacantinequinécessitevotreintervention.

−Vousnepouvezpasvousenoccuper?»Ilm’adésignée.Ilavaitpeurquejechanged’avis,etiln’avaitpastort.J’étaisàpeinelancée.«Nevoyez-vouspasquejesuisenpleinentretienavecuneélève?− Jenevousauraispas interrompusiçan’avaitpasétévraimentsérieux,s’estagacéeMmePearl.

Uneélèveavuunrat,énorme.Etmaintenantilsembleraitqu’onn’arriveplusàlelocaliser.−Qu’est-cequevousvoulezquejefasse?Quejeparteenchasse?Delia,j’ailàuneconversation

extrêmementimportante.»Jen’avaisjamaisvupersonnes’adresserainsiàMmePearl.Commesielleétaitgraverelou.C’était

assezgénial.«Appelezdoncl’agentd’entretien.− Malheureusement, l’élève en question refuse de bouger tant qu’elle ne vous aura pas parlé en

personne, a-t-elle répliqué encore plus vertement. Je vous assure que nous avons tout essayé.Franchement,j’ignorepourquoi,maiselletientabsolumentàvousparlerprécisémentàvous.»

Woodhouseafermélesyeux.«D’accord,a-t-ilfiniparrépondre.Jerevienstoutdesuite,Amelia.Tuasprislabonnedécision.Ne

bougepas.»Dès que la porte s’est refermée derrière eux, mon portable m’a avertie de l’arrivée d’un texto.

J’espérais que ce soit Benme disant qu’il allait pouvoir venir à Brooklyn, finalement. Je fantasmaistoujoursdemefairelamallepourlevoir.Toutensortantmontéléphone,jeregardaisautourdemoi,enquêted’unmoyendem’éclipser.LetextovenaitdeSylvia,pasdeBen.

Barre-toi.Jetecouvre.

KATE

30NOVEMBRE

«Jesuisdésolée»,répétaKate.ElleetLewsetrouvaientdanslaHuitièmeRue,surlaportiondetrottoirimmaculéedevantchezles

Carmon.«Ilfallaitquej’yaille,c’esttout.Jesaisquecen’estpasunebonneexcuse,maisilfallaitquejevoie

quiétaitceBen.−Humm.»Ilnelaregardaitpas.Iln’avaitpasposélesyeuxsurelledepuisqu’elleluiavaitrévéléqu’elleétait

alléechezBenetqu’elleavaitdécouvertJeremy.«Vousl’avezdéjàdit.−Aufinal,c’étaitunebonnechose,non?»tentaKate.Siellepeinaitàseconcentrersursesexcuses,ellen’avaitpasdemalàsemblerconvaincantecar,

pourdenombreusesraisons,elleétaitencoretoutechambouléeetrongéeparlaculpabilité.«Aumoins,maintenant,onsaitqueBenn’étaitpasimpliqué.−Humm»,fitLew,l’airpassablementindifférent.Elle était contented’avoir souligné lourdement à quel point elle avait été chambouléed’apprendre

queJeremyétaitlepèred’Amelia.Ellesoupçonnaitquec’étaitlàl’uniqueraisonpourlaquelleLewnes’enprenaitpasplusviolemmentàelle.

«Nousavonsdemandéàl’opérateurtéléphoniquedenousexpédieruneréponseànotreassignation.»Iljetaunœilàsonpetitcalepin.«Lestextosquivousontétéenvoyésausujetdupèred’Ameliaprovenaientd’untéléphoneenregistré

souslenomdeDanielMoore.−MonDieu»,murmuraKate.Si Daniel avait été suffisamment en colère pour donner un tuyau à insidethelaw− geste dont on

pouvait facilement retrouver l’auteur−, envoyer quelques textos anonymes àKate n’avait dû lui poseraucun problème. Cela dit, l’idée qu’il ait pu écrire des choses aussi haineuses lui glaçait le sang.Çaallaitbienau-delàd’essayerd’humilierpubliquementJeremy.C’étaitmenaçant.

«Parcontre,pourquoiirait-ilécrirequ’Amelian’apassauté?− Il ne l’a pas écrit. Les deux premiers textos que vous avez reçus à propos d’Amelia venaient

d’ailleurs. J’attends un appel à ce sujet. En revanche, les messages qu’avait reçus Amelia sur sonpère…»

Lewdésignad’unmouvementdetêtelamaison.«…ceux-làvenaienttousd’ici.−C’estZadieGoodwinquilesaenvoyés?− J’imagine, répondit-il enobservant lebâtiment.Celadit,notre seulecertitude,c’estquec’estun

ordinateurdecettemaisonquiaassuréleurroutage.Etilyaiciplusd’unhabitant.»IlseretournaversKateetlaregardaenfacepourlapremièrefois.

«Ilyaautrechosequevousdevriezsavoir.Notreinformaticienadécouvertd’autrestextosdansleportabled’Amelia.Destextoseffacés.Mafoi,àcôté,cesmotssurcespetitsboutsdepapier,c’étaitdelaroupiedesansonnet.

−Qu’est-cequ’ilsdisaient?»Katefitvolte-face.«Jeveuxlesvoir.»Lewsecoualatête.«C’estlegenredechosequ’aucunparentnedevraitjamaisvoir.»Ilssonnèrent,attendirent.Kate,lesyeuxplissés,observaitlafaçadedeverrepolietd’acierdel’usine

reconvertie.Lesoleil,àprésenthautdansleciel,sereflétaitsurlesgigantesquesfenêtresdubâtiment.«C’estsûrquecen’estqu’uneseulemaison?demandaLew.−Jecroisqueoui.»Pourtantelleétaitd’unetaillevraimentimpressionnante,mêmecomparéeauxplusgrandesbâtissesen

grèsdeParkSlope.«Iln’yaqu’unesonnette.»Lewdutfaireretentircelle-ciencoretroisfoisavantquequelqu’unn’entrouvrelaporteetjetteunœil

dehors.Dansl’interstice,Kateentraperçutunefemmepetiteàl’allureprudenteetpernicieuse.Lewbaissalatêtedefaçonàcroisersonregard.«NoussommesvenusvoirZadieGoodwinetsesparents.−Uninstant,jevaisvoir»,répondit-elleavecunfortaccenteuropéen.Sonœilvisibles’étrécit,puis

elleclaqualaporte.Celle-ciserouvritunesecondeplustard.Untypegigantesquevêtud’uncostumegrisetrosetape-à-

l’œil et d’une chemise à poignets mousquetaire apparut. Ses boutons de manchette en argent brillantavaient la forme de dés et il portait à lamain droite une bague sertie d’une pierre rouge voyante. Sabeauté trop coiffée et tropbronzée sentait à plein nez la fortune confortable dépourvuedu raffinementcenséallerdepair.Mêmesesdentsétaienttropparfaitesettropblanches:onauraitditqu’ilcompensaitunpassédemauvaisehygiènedentaire.

«Salut, lacompagnie, lança-t-il avecun sourireàmi-cheminentre ravidevousvoir et allezvousfairefoutre.FrankCarmon,etvousêtes?

− Inspecteur Thompson, et voici Kate Baron, répondit Lew. Nous aimerions poser à votre fillequelquesquestionsausujetd’AmeliaBaron.Ameliaestmorted’unechutedutoitdeGraceHall.C’étaitlafilledeKate.»

Carmonfronçalessourcilspuissecoualatête.«Quellehonte,cettehistoire.Toutesmescondoléances,madame,dit-ilàKateavantdeseretourner

versLew.Dequoiavez-vousdoncbesoindecauseravecmaZadie?»MaZadie. Comme s’il s’agissait d’une fillette de deux ans ou d’une petite poupée de porcelaine.

C’étaittroublant.« Les filles appartenaient toutes les deux à une espèce de club, expliqua Lew l’air de rien.Nous

essayons juste de récolter des informations concernant l’état d’esprit d’Amelia à partir de toutes lessourcespossibles.»

Carmonregardapar-dessusleurstêtesensepassantlalanguesurlesdents.Puisilfinitparjeterunœil derrière lui en direction de la femme qui leur avait ouvert la porte et qui rôdait désormais dansl’ombre.

«AllezchercherZadie,intima-t-il.Dites-luiquec’estimportant.»

Illeurouvritalorsetlesguidajusqu’àunevastepièceouvertefaisantofficedesalon-salleàmanger-cuisine,quelesbaiesvitréesinondaientdesoleil.Carmons’emparad’unpetitverreposésurunplandetravailengranit,parailleursvide.

«Jevoussersunverre?demanda-t-il.− Non merci, répondit Lew. Vous avez fait partie de la Soixante-dix-huitième, non ? Là, dans le

quartier?»Carmons’esclaffaenbalayantd’invisiblespeluchessursonpantalon.«Ouais,pendantàpeuprèscinqminutesilyaunmilliond’années.Avantquejemedisequ’ilyavait

desmoyensplussimplesdegagnersaviequedesefairetrouerlapeau.−Apparemment,vousaviezraison,repartitLewendésignantlamaison.Jenesaispassic’estplus

simple,entoutcasçapaiemieux,manifestement.−Jusqu’ici,toutvabien.»Carmonfitunclind’œil,butunegorgée.«IlyabeaucoupdevoshommesquiviennentdelaSoixante-dix-huitième?»s’enquitLew.Carmonledévisagealonguement,puissourit.«Certains.−Ycomprisl’inspecteurMolina?−Çafaitunbailquejenemesuispasoccupédurecrutement,réponditCarmond’untondoucereux.

J’aidesgensquis’enchargentàmaplacemaintenant.−Molinaétaitl’inspecteuràquionavaitassignél’affaireAmeliaBaron.Ilsembleraitqu’ilait−au

minimum−prisquelquesraccourcispourdéclarerqu’ils’agissaitd’unsuicide.Etquelques joursplustardilpartaittravaillerpourvous,ditLew,optantpourl’approchedirecte,lesdeuxpiedsdansleplat.Çameparaîtêtreunesacréegrossecoïncidence,vousnetrouvezpas?Étantdonnéquevotrebelle-filleetAmeliasemblaientseboufferlenezassezviolemmentdanscefameuxclub.»

Carmonhochalatêtecommes’ilréfléchissaitàcetteinformation.« Je ne peux rien vous dire là-dessus. Je nememêle pas des petites histoires de lycéenne dema

belle-fille. Mais si vous désirez parler à Molina, inspecteur, je suis sûr que je peux le joindre partéléphone.Immédiatementsivousvoulez.Enfin,ensupposantqu’iltravaillebeletbienpourmoi.»

C’est alors que Zadie entra bruyamment dans le salon, ne s’arrêtant qu’après s’être installéelourdementsuruntabouretdel’îlotcentraldelacuisine.

«T’saisquoi,jefaisaismesdevoirs»,maugréa-t-elle.Elleportaitunejuped’écolièreécossaisepaspluslargequ’uneceinture,toutuntasdepiercingsaux

oreillesetunanneaudanslenez.Ças’accordaitparfaitementaveclemaquillagenoirappuyédesesyeuxetsescheveuxnoirsenbataillebarréssurlecôtéd’unegrossemècheblanche,pareilleàlarayured’unemouffette.Katen’arrivaitpasàdétacherlesyeuxdecettemèche.

«Cen’estpasparcequetonpoteditquejeseraiprobablementadmisequeçaveutdirequeColumbiam’accepteraàcoupsûr.Jeneseraiadmisequequandjeseraivraimentdedans.

− Columbia, commenta Lew. Impressionnant. C’est sûr qu’une admission là-bas n’est pas un trucqu’onaenviedecompromettre.

−Nem’enparlezpas,renchéritCarmonensecouantlatêteavecuneincrédulitéforcée.Heureusementpourelle,ellen’apasmesgènes.Viens,maZadie.»

Illuifitsigned’approcherpuistapotalaplaceàcôtédeluisurlecanapé.«Cesbravesgensontjustebesoindeteposerquelquesquestionsausujetdecettefilledetonlycée,

cellequiestmorte.»

Zadie leva lesyeuxauciel,puisapprochad’unpas lourdetse laissa tomberàcôtédeCarmonenpoussantungrossoupir.

« Juste une chose, avant que ma Zadie réponde à vos questions, lança Carmon, feignant lanonchalance.Ellen’apasbesoind’unavocat,n’est-cepas?C’estpurementinformatif?

−Ellen’estpasenétatd’arrestation,sic’estlàvotrequestion»,éludaostensiblementLew.Ilnefaisaitaucunepromesse,cequin’échappapasàCarmon,quiledévisagealonguement.«Ellen’arienàvoiraveccequiestarrivéàcettefille.Alorsvouspouvezdemandertoutcequevous

voulezlà-dessus.Maisonarrêteranetsions’approchedequoiquecesoitsusceptibledeluifaireraterColumbia.Elleabossétropdur,etj’aiclaquétropdefric…»

La porte d’entrée s’ouvrit. Des voix retentirent dans le couloir : l’une nette et saccadée, l’autreindistincte et contrite, probablement celle de la gouvernante. Puis il y eut un bruit de talons hautscliquetantbruyammentsurlesolenbéton.

«Oh»,serécriaAdele.Son jolivisage sedécomposaquandelledébouchadans lapièce.Elle se ressaisit cependant avec

élégance,affichantunsouriredétenducommeellesedirigeaitdroit surKate,vêtued’une robe trapèzenoire tendanceetdecréoles, sescheveux rassemblésenunchignonsoupleabsolumentparfait.Elle sepenchaenavantetappuyafortsajouecontrecelledeKateenembrassantlevideàcôtédesonoreille.

« Quelle belle surprise, Kate. Mais vous n’auriez pas dû faire tout ce chemin simplement pourdiscuterdesaffairesdel’associationparents-profs.Jesaisàquelpointvousêtesoccupée.

−Nousnesommespaslàpourça»,répliquaKateensepréparantàcequeLewl’empêchedeparler.Iln’enfitrien.«Noussommeslààcausedecequis’estpasséentreAmeliaetlesMagpies.−LesMagpies?»Adelepinçaseslèvrescarminetregardasonmari,quihaussalesépaulesetbutunegorgéed’alcool.«Jenesuispassûrede…− J’ai lu les minutes des réunions du conseil d’établissement, expliqua Kate en espérant que les

choses se dérouleraient mieux si elle évitait à Adele de se ridiculiser en leur mentant effrontément.Je sais queWoodhouse a essayé de se débarrasser des clubs et que le conseil d’établissement l’en aempêché.»

Adele laissa lourdement tomber son sac àmain sur l’undes tabourets de la cuisine puis se tournalentement.Brascroisés,elles’adossaauplandetravail.

«Alorsvousdevezaussisavoirqueleconseilœuvraituniquementdanslemeilleurintérêtdulycée»,répliqua-t-elleposément.

Kateessayaitdenepass’échauffer,envain.«Lelycéeavaitl’obligation…− Le lycée ne peut pas contrôler ce que font les élèves en dehors de l’enceinte scolaire », coupa

calmementAdele.Sielleétaitsurladéfensive,ellelecachaitdemaindemaître.« Ce genre de surveillance constitue une impossibilité tant pratique que légale, en particulier à

l’époquedusmartphone.LaresponsabilitéducontrôledesagissementsdesélèvesendehorsducampusetsurInternetdoitincomberauxfamilles.»

Son discours était bien rodé, comme si elle s’était attendue à ce que Kate et Lew viennent luidemanderdescomptes.C’étaitprobablementlecas,etcedepuisletoutpremiersoiroùelleavaitfrappéàlaportedeKate.

KatesetournaalorsversZadie,dansl’espoirquecelle-cifûtmoinspréparée.

«Est-cequec’étaitparcequ’elleétaitgay?C’estpourçaquetul’asfait?−Zadie,nerépondspas,aboyaAdele.−Pourquoi? J’enai envie, lui rétorquaviolemment sa filleavantde tourner lestement la têtevers

Kate. Je n’allais pas laisser Amelia transformer Dylan en gouinasse juste parce que c’était ce quemadamevoulait.»

L’adolescentesemblaitessayerdecontinueràjouerlesdures,maiselleavaitlesjouesempourpréesetsavoixchevrotait.

«Amelia pensait que coucher avecDylan la rendait plus importante quemoi.Mais le sexe, c’estfacile.AvecDylan,c’estpresquerien.Croyez-moi,elleestprêteàcoucheravecn’importequitantqu’iln’estpasdulycée.Etsijesaistoutça,c’estparcequejesuissameilleurepotedepuisqu’onadouzeans,putain. Ça, ça compte. Pas ce… je sais pas quoi… qu’elle a vécu avec Amelia pendant genre deuxsemaines.»

Son regard trahissait pourtant que ce n’était pas aussi simple. Elle essayait de le cacher − entravaillantlaposturedesoncou,samoueméprisante−maisilyavaitquelquechosededésespérédanssoncomportement,commesiDylanétaittoutcequ’elleavaitjamaiseu.

«Zadie,nousavonsbesoindesavoircequis’estpassésurce toit,expliquacalmementLew.Ilesttempsdedirelavérité,toutelavérité.

−JerefusedelaisserZadies’engagerdansunediscussionquirisquedel’incriminer,intervintAdeleen levant une main tandis qu’elle s’interposait physiquement entre sa fille et Lew. Si vous souhaitezl’interroger plus longuement, cela se fera au commissariat, en présencede notre avocat.Mais je vousassurequequoiqu’ilsesoitpassésurcetoit,c’étaitunaccident.

−Unaccident?»Zadiefusillaitsamèreduregard.«Tufaiscommesij’yétais.Commesimoi,j’avaisfaitquelquechose.−Cequi est sûr, c’estquequelqu’undanscettemaisona faitquelquechoseàAmelia,ditLewen

sortant de sa poche deux sorties d’imprimante qu’il jeta sur la table basse. Elle s’est fait harceler,bombarder de textos qui concernaient sa relation avecDylan et l’identité de son père.Des textos quivenaientdecettemaison.»

Zadies’avançapours’emparerdespages.«Qu’est-cequejem’enfousdesonpère?»Siellefaisaitsemblantden’avoirjamaisvucesmessages,elles’yprenaitextrêmementbien.« Nous espérions que tu pourrais nous l’expliquer, dit Lew. Car nous avons la certitude que ces

messagesvenaientd’ici,decettemaison.−Jen’aipas…Bordeldemerde,maman,qu’est-cequet’asaveccettefille?»Lesyeuxécarquillés,elles’étaittournéeversAdele.«Tum’avaisditquetuavaiseutouteunehistoireavecsamèreàlafac,quetuvoulaisteracheter.»ElledésignaKated’ungestedupouce.«C’estpourçaquetuvoulaisquejeraccordeAmelia.Maistun’esmêmepasalléeàlafacavecelle,

maman,hein?−Zadie!»Adelearrachalesfeuillesdesmainsdesafille.Elle lespliaendeux,puis tâchavisiblementdese

ressaisir.Cenefutpasaussiréussiquelapremièrefois.«Tais-toi,machérie,jet’enprie.»KateobservaitZadie,dontlevisagefuttraverséparunevaguededouleuravantquelacolèrenelui

monte aux yeux. Pourquoi diable Adele avait-elle demandé à Zadie d’inviter Amelia à rejoindre les

Maggies?Sonregardseportasurlafameusemècheblanche,mèchequiauraitpuêtredueàbeaucoupdechoses,ycomprisausyndromedeWaardenburg.

Et puis elle avait des yeux aussi inhabituels qu’exquis. Kate se rappelait désormais les proposqu’Adele avait tenus quand elle était venue chez elle. C’est un trait de famille ? Deux couleursdifférentes comme ça ? Pourquoi Adele n’avait-elle pas demandé s’il s’agissait du syndrome deWaardenburg ? Pourquoi n’avait-elle pas mentionné que sa fille l’avait aussi ? Slone, Thayer…Jeconnaisencoredesavocatsquiytravaillent.C’étaittropd’informationsd’uncoupàanalyser.

«Donc,Zadie,cequis’estpasséentre toietAmeliasurce toitétaitunaccident,commel’adit tamère?»

Lewsemblaitessayerd’attiserdélibérémentlesflammes.«VousvousêtesdisputéesàproposdeDylanpeut-être.Çaadérapé?−Arrêtez!Arrêtezdeluiparler!hurlaAdele.Jesaisquevousn’avezpasdemandatd’arrêt.Vous

nousl’auriezmontrésic’étaitlecas.− Non, madame, nous n’en avons pas, confirma Lew. Nous essayons simplement d’obtenir des

réponsesàquelquesquestions.Vousaveztoutàfaitledroitdenepascoopérer.Évidemment,engénérallesinnocentsn’ontpasbesoindesecacherderrièreunavocat.

− Les innocents, ricana Adele. Vous et moi savons pertinemment qu’il s’agit là d’un concept trèsrelatif,inspecteur.Jecroisquemafilleseraittoutdemêmemieuxlotiesinousprenionslerisquedefaireappelàunavocat.

−Lerisque?aboyaZadie.Maisputain,maman!Pourquoituparlesdemoicommed’unecriminelle?Jen’aipas…

−Zadie»,sifflaAdele.Onauraitditqu’elles’effritait.Unemèchedesescheveuxsavammenttirésenarrières’étaitdétachée

et,avecelle,lerestedesapersonnesemblaitsedésintégrer.Elleagitaundoigtdevantlevisagedesafille.

« Je ne plaisante pas. Pour une fois dans ta vie, pourrais-tu ne pas rendre les choses encore plusdifficiles!»

Zadieeutunmouvementderecul.Sabouchesecrispaàdeuxreprises,commesielleallaitfondreenlarmes,pourtantsonvisageredevintvitedepierre.

«Allons,Adele,calme-toi,ditFrankCarmonens’extrayantenfindeson fauteuilpourdescendreàcontrecœurdansl’arène.Inutiledes’affoler.

−S’affoler!hurlaAdeleenagitantdésormais ledoigtdevantFrank.C’estfouqu’unemèreveuilleprotégersonenfantd’elle-même?

−C’estça,parcequet’essaiesdemesauver,s’esclaffaZadie,maisdeslarmesavaientfaitcoulersonmaquillagenoir.Tut’enfousdemoi.Tut’intéressesqu’àtoi.

−Zadie,cen’estpasunjeu,répliquasamère,plusdoucementàprésent.Situdisunmotdetravers,turisquesdepasserlerestantdetavieenprison.

−Euh,oui,àmoins,évidemment,quejen’aieabsolumentrienfait,putain!»Elledévisageauninstantsamère,puissoudainellecomprit.Ellepartitd’unrirefou,hystérique.«BonDieu,maman.Tupensesvraimentquejel’aipoussée?−Non,réponditAdele,mêmes’ilétaitclairquesi.Cen’estpascequeje…− Bordel demerde, tu le penses. Tu penses sérieusement que j’ai tué Amelia. Que j’ai assassiné

quelqu’un.»EllesetournaversKate.

« C’est elle qui n’arrêtait pas de déblatérer sur Amelia. C’était une obsession. “C’est la fille del’amie que j’ai perdue de vue depuis longtemps”, bla bla bla, putain. Elle m’a même demandé dechercher oùvous travailliez pour pouvoir reprendre contact avecvous.Tout ça, c’était des conneries,manifestement. Elle ne vous connaîtmême pas. T’es une sacrée putain dementeuse,maman.Qui sait,c’estpeut-êtretoiquiaspousséAmelia.

− Bon, intervint de nouveau Frank en allant reposer son verre sur le plan de travail. Je crois quetoutescesdamesontbesoindesoufflerunboncoup.

−Jeneprendraispassonparti,sij’étaistoi,Frank,ditZadie.Tusaisbienquelaseulepersonnequiaitjamaisvraimentcomptépourelle,c’estlui.»

Elledésignalesphotosencadréessurlabibliothèque.«Quandelleenestàsontroisièmeverredemerlotetquet’espaslà,elleditqu’ellearienàfoutre

avecuntypedeBayRidgequijoueaumafioso.Elleadoretonfric.Maistoi,Frank?Jen’ensuispassisûre.Pasvrai,maman?»

Kate, les yeux rivés sur les cadres photo disposés sur l’étagère désignée par Zadie, traversaitlentementlapiècedansleurdirection.

Adeles’étaittournéeversFrank,lequeldescendaitunerasaded’alcool.«Frank,implora-t-elle,tusaisbienquec’estfaux.»Labouchecrispée,Frankhochalatête.«Maisoui,Adele.»Ilseresservitunwhisky.«Situledis.»Alors qu’elle se rapprochait subrepticement des photos, Kate remarqua une bannière familière en

arrière-plan de l’une d’elles, et reconnut également la pose scolaire de la vingtaine d’adultesphotographiés.Mêmedeloin,ellesavaitqu’elleavaitdéjàvuceclichéquelquepart.

«Frank,jeneplaisantepas.»Adeleavaitl’airdanstoussesétats.«TunepeuxpasécouterZadie.Ellementtoutletemps.Tulesaisbien,voyons.»Kate se trouvait devant l’étagère à présent, se préparant à ce que quelqu’un l’arrête avant qu’elle

puissemettrelamainsurlaphoto.Personnen’enfitrien.Ilsétaienttoustropconcentréslesunssurlesautres.

«JenesaispascequiestarrivéàAmeliasurcetoit»,ditZadieàLew.Elleparlaitd’unevoixdouceetgraveàprésent,presqueméconnaissable.«Maisjepeuxprouverquejen’étaispaslà-haut.»Kates’emparadelaphotosurl’étagère,faisantcourirsamainsurleverreavantdesuivredudoigtle

lourdcadreenargent.C’étaitlaphotod’unecérémoniederemisedeprixpourlesactesd’utilitépubliqueorganiséeparuneassociationdubarreau,etqui remontaitàdix-septansenarrière. Jeremy,aucentre,serraitlamaind’Adeleenacceptantuneplaque.

Kateavaitdéjàvucettephotodesmilliersdefois,poséesuruneétagèrederrièrelatêtedeJeremy,danssonbureau.Jusqu’àcejour,pourtant,ellen’avaitjamaisprêtéattentionàlafemmequiluiremettaitlarécompense.

«J’étaisiciquandAmeliaestmorte,finitpardéclarerZadie.−Enpleinmilieud’unejournéedecours?»s’étonnaLew.Kateseretourna,laphototoujoursentrelesmains.ElleregardaitAdele,laquelledévisageaittoujours

Zadie.Adele,unemainplaquéesurlabouche,avaitl’airpourlapremièrefoispluspeinéequefurieuse.

« Et je n’étais pas seule, ajouta Zadie avec un haussement d’épaules. Vous pouvez lui poser laquestionsiçavouschante.J’imaginequ’ilpourraitmentir.Ceseraitbienlegenredeconnardàfaireça.

−Quelestsonnom?demandaLew.−IanGreene.−Vouspouvezconsulterlesvidéosdesécuritésivousvoulezconfirmation.Ellessonttoutesdatéeset

l’heureestinscritedessus»,expliquaCarmonàLew.MaisZadiedisaitlavérité.Kateenavaitdéjàlacertitude.«QuantàMolina,c’estàellequevousdevriezposerlaquestion.»Carmondésignasafemmed’unsignedetête.« La dernière fois que j’ai consulté le détail de nos communications téléphoniques, elle trouvait

encoreuneraisondeluiparlertouslesjours.−Sescheveux»,parvintenfinàarticulerKate.ElledésignalamècheblanchedeZadie.«C’estlesyndromedeWaardenburg,n’est-cepas?»Adeleseretournalentement.Sonregardseportad’abordsurlaphotoquetenaitKate,puissurKate

elle-même.Elleavaitleslarmesauxyeux.«Vousêtesunebonnementeuse,ilfautbienlereconnaître,dit-elled’unevoixtremblotante.Jesuis

allée chez vous parce que Molina m’avait parlé du texto que vous aviez reçu au sujet d’Amelia.Jevoulaisvoirparmoi-mêmecequevousaviezl’intentiondefaire.J’aifaillivouscroirequandvousm’avezréponduqu’iln’yavaitpersonneatteintdusyndromedeWaardenburgdansvotrefamille,mêmesivousetmoisavonspertinemmentquec’estimpossible.Jeremydoitadorerlafaçondontvousleprotégez.C’esttrèsconvaincant.

−Sijevousaidonnécetteréponse,c’estparcequec’estlavérité.Lafamilled’Amelia,c’estmoi,orjen’aipaslesyndromedeWaardenburg.»

AdelesecoualatêtecommesielleétaitpersuadéequeKateétaitencoreentraindecouvrirJeremy.«J’imaginequec’estpourçaqu’ilvousagardéeàsescôtéspendanttoutescesannées.Demoi,ilne

voulaitpasentendreparler.Ilavaitpeurquejeluidemandedescomptes.Leplusdrôle,c’estquemoiaussij’auraisgardésonsecrets’ilavaitfaitquelquechosepourteniréloignéesonautreenfantillégitimedemafille.»

Ellesecoualatêteets’essuyalesyeux.«IlparlaitdequitterVerapourmoi,voussavez.Etill’auraitfaitsivousn’aviezpasdébarqué.C’est

maintenantquej’enprendsconscience.Àl’époque,ilm’avaitditqu’ilavaitdécidéqu’ildevaitarrêterdetromperVera.Maisenréalitéils’agissaitdevous.Jen’avaisaucuneidéequ’ilyavaitunautreenfantjusqu’àcequejevoieAmeliaàGraceHallcetautomne,quandelles’étaitportéevolontairepouraiderauHarvestFestival.J’avaisremarquésesyeux,maisjamaisjen’auraisfaitlelienavecJeremysiJuliaGolden’avaitpasétédireàquelpointc’étaitextraordinairequ’Ameliasoitsigénialevuqu’elleétaitélevéeparunemèrecélibataire−uneavocate−avecunemploidutempscomplètementfou.»

Adele,désormaisauborddeslarmes,regardaitfixementsespoingsserrés.« Ilm’asuffid’unseulcoupde téléphonepourdécouvrirqueJeremyetvousaviezeuune liaison.

Cen’estpasunsecretdesmieuxgardés.Jen’allaispaslaisserJeremys’entirercommeçaaprèsm’avoirmentipendanttoutescesannées.Ilm’avaitfaitcroirequej’étaislafemmedesavie.Quenotrerelationavaitvraimentcomptépourlui.IlauraitaumoinspuavoirladécencedelaisserAmeliahorsdeGraceHalletloindemoi.»

Kate avait beau s’efforcer de respirer, elle avait l’impression que quelqu’un s’était assis sur sapoitrine. Elle était encore plus responsable de tout ce qui était arrivé àAmelia que ce qu’elle aurait

jamaispuimaginer.«Alorsc’estvousquiavezenvoyéunmailàDanielMoore?−Nousfaisonstouslesdeuxpartieducomitéd’éthiquedubarreau.CelafaitdesannéesqueDanielse

plaint àmoide Jeremy. Il cherchait unmoyende lui rendre lamonnaiede sapièce.Évidemment, il aattendudesmoisavantd’enfinsedécideràagir.Jepensaisqu’ilneleferaitjamais.

−EtdoncvousavezentraînéAmelialà-dedans?− Il était temps que quelqu’un mette Jeremy face à ses responsabilités. Or il m’avait clairement

signifié ilya longtempsqu’ilmeleferaitpayersi jeparlais.Il joueaugolfavecmonavocatgénéral.Ilauraitpudétruiremacarrièreavantmêmelepremiertee.»

Ellehaussalesépaules.«Danieln’auraitjamaisrienfaitàAmelia.Etdemoncôté,jen’auraisjamaispuimaginer…»ElledésignaZadie,quilafusilladuregard.«…quelasituationavecAmeliaet leclub,avecDylan,déraperaitàcepoint-là.Commentdiable

aurais-jepuleprévoir?»AssisdanslavoituredeLew,ilsnepipaientmot.KateétaitsortiedechezlesCarmonengardantla

photoàlamain.Ellenelaquittaitpasdesyeux.«Çavaaller?demandaLewaprèsqu’ilsfurentrestésainsipendantaumoinscinqminutes.−Jen’arrêtepasdemedirequelasituationnepeutplusempirer,maiselleempiretoujours.»Ellesecoualatête.«Sij’avaisétéfrancheavecAmeliasurl’identitédesonpère,dumoinsdeceluiquejecroyaisêtre

sonpère,peut-êtrequeriendetoutcelaneseraitarrivé.Ellepourraitêtreencoreenvie.»CefutautourdeLewdesecouerlatête.«Çan’auraitabsolumentrienchangé.−Vousn’ensavezrien.−Peut-êtrequenon,murmura-t-ilavantderegarderKatedroitdanslesyeux.Maisvous,vousavez

besoindelesavoir.»C’estalorsque leportabledeLewsemitàsonner. Il réponditet,aprèsquelques«oui»cassants,

raccrocha.Ilregardafixementlevolantpendantuneminute,suivantdudoigtl’extérieurducercle.«Quiétait-ce?− Nous avons une adresse concernant les premiers textos qui vous ont été envoyés au sujet

d’Amelia»,répondit-ilendémarrantlavoiture.Julian’avaitpasl’airraviedelesvoir.Elleouvritlaporteetesquissaunemouequineressemblait

mêmepasdeloinàunsourire.«Sylvianesesentpasbien,expliqua-t-elle.Jenesuispassûrequ’elleseraenétatderecevoirdela

visite.− J’ai bien peur,madame, qu’il ne s’agisse pas d’une discussion optionnelle, répliqua Lew. Je le

regrette.»JulialedévisagealonguementpuisdévisageaKateencorepluslongtemps.«Bon,danscecas,entrez.»Elledétournalatêteets’effaçaàcontrecœur.«Ilfautquej’aillevoirsielleestréveillée.»Maisàpeineavaient-ilsposéunpieddanslamaisonqu’ilsvirentSylvia,telunspectregris,surle

seuildelacuisine.

«Oh,tueslà»,ditnerveusementJulia.Elleallaluipasserunbrasautourdesépaulespuis,lesyeuxfermés,luidéposaunbaiserausommet

ducrâne.«Kateet l’inspecteuront encorequelquesquestionsà teposer.Si tune t’en senspascapable,ma

chérie,cen’estpasgrave.»EllesetournaensuiteversLew:ellesemblaitsoudainavoirprisconsciencedequelquechose.«D’ailleurs,qu’entendez-vousaujustepar“cen’estpasunediscussionoptionnelle”?−Votrefilleaomisdementionnerquelquesfaitsconcernantlescirconstancesdelamortd’Amelia,

réponditLewd’untonneutre.Ilfaudraitqu’ellenousenfassepartmaintenant.Kateaattendulongtempspoursavoircequiétaitarrivéàsafille.Ilesttempsàprésent,Sylvia,qu’ellelesache.»

Julia,réfléchissant,regardasuccessivementLew,Kateetsafille.Ellefinitparhocherlatête.« Sylvia n’a rien à cacher.Nous aimionsAmelia comme si elle faisait partie de la famille.Nous

aussi,nousvoulonssavoircequiluiestarrivé.−Tusavaisqu’AmeliafaisaitpartiedesMagpies,n’est-cepas,Sylvia?»demandaLew.Sontonn’étaitpasprécisémentagressif,maisjamaisKatenel’avaitentenduaussivirulent.Sylviacontemplaunmomentsesmains.Quandellelevalatête,elleavaitleslarmesauxyeux.«Vous savez ce qu’elles lui ont fait ? piaula-t-elle. J’avais peur : je croyais qu’ellesme feraient

pareilsijevousparlaisd’elles.Cegenredetruc…peuimportesic’estvraiounon,lesgensn’oublientpas.

−Crois-tuquec’estl’unedesMaggiesquil’apousséedutoit?»demandaKate.Elleavaitlecœurbattant.Oui,disoui.Dis-nousquetuasvucequiestarrivé.Sylviasecoualatête.«Commejevousl’aidéjàdit,àmonavisc’estceBenquil’afait.Vousl’aveztrouvé,d’ailleurs?

IlétaitcensérendrevisiteàAmeliacejour-là.−NousavonstrouvéBen,murmuraLew.Cen’estpaslui.−Oh.»Sylviaserrasesbrasmincesautourd’elle.«Laisseztomberalors.−Cesclubs,intervintJulia,brascroisés,ensecouantlatête.Jevaisappeleraujourd’huiàcesujet.

Onpaie des dizaines demilliers dedollars pour envoyer nos enfants àGraceHall, et voilà ce qu’onobtient:SaMajestédesmouches?

−Jesuisd’accordavecvous,madame,vousdevriezcontacterl’école.C’estcequedevraientfairetouslesparents.»

Lew inspira profondément, comme soulagé que la partie la plus difficile soit terminée. Kate sedemandaits’ilétaitsincèreous’ilessayaitsimplementd’amenerSylviaàsedétendre.

«EtDylanalors?s’enquit-il.Ya-t-iluneraisonpourlaquelletunenousenaspasparléavant?»Kate observait Sylvia, s’attendant à voir sur son visage de la perplexité, de l’inquiétude, quelque

chose.Maiselleavaitjustel’airépuisée.«Amelianem’aparlédeDylanqu’unefoisquec’étaitterminé,répondit-ellefinalement.Jeluiaidit

que cette fille n’en valait pas la peine. Mais Amelia, ça la rendait malade, elle était complètementobsédéeparl’idéedeseremettreavecDylan.Ellerefusaitdem’écouter.

−“Çalarendaitmalade?”s’étonnaKate.−Barjo,sedésolaSylvia.−Ettunet’espasditquetudevraispeut-êtreenparleràquelqu’un?Àunadulte,parexemple?»

aboyaKate.

C’étaitsorticommeuneaccusation.Ellen’avaitpaspus’enempêcher.EtsiAmelias’étaitvraimentsuicidée?Carpourlapremièrefois,celasemblaitsoudainpossible.

«Peut-êtrequ’elleavaitbesoind’aide.− Kate, tu es injuste, rétorqua aussitôt Julia. Je refuse de te laisser accuser mon enfant de tes

négligences.Cen’étaitpassonboulotd’êtrelamèred’Amelia.C’étaitletien.»Katefermalesyeuxets’efforçaderetenirseslarmes.CarJuliaavaitraison,évidemment.Kateétait

laseulequiavaitvraimentmanquéàsesdevoirsenversAmelia.«Jecroisqu’Ameliaétaitdansceclubparcequ’ellesesentaitseule.»LavoixdeSylviasebrisa,lajeunefilleavait leslarmesauxyeux.Julialuiposalesmainssurses

épaulesafind’essayerdelacalmer,maisSylviasedégagea.«Elleavaitbesoind’unefamille.Peut-êtrequesivousaviezétéplusprésenteaulieudepassertout

votretempsàvotrefoutuboulot,elleseraittoujoursenvie.−D’accord,d’accord,s’interposaLew.Reculonsd’uncran.Nousessayonsjustederemplirquelques

blancs.JecroisquetuensaisplusquecequetunedissurcequiestarrivéàAmelia.Jecroisquetuétaislà.

−Quoi?»Juliaouvraitdesyeuxronds.«Sylvia,dequoiparlent-ils?−Non. Je l’ai aidée à s’échapperdubureaudeWoodhouse,mais ensuite, quand je suis sortiedes

toilettes,elleavaitdisparu.Jenesaispasoùelleestallée.»Lew hocha la tête, observant son calepin sans rien écrire jusqu’à ce que le poids de son silence

devienneinsupportable.«Jenesaisriend’autre,vraiment»,ajoutaSylvia,cédantàlapression.Sesyeuxluisaient,elleparlaitd’unevoixéraillée.«Jevousjure.−Saufquemoi,jepenselecontraire.»LewsortitunefeuilledesapochearrièreetlatenditàJulia.«Jecroisquetuensaisbeaucoupplusquecequetunousdis.»Juliaregardalepapier,perplexe.«Jenecomprendspas.Qu’est-cequec’est?− C’est un rapport retraçant l’origine de quelques textos anonymes que Sylvia a envoyés à Kate,

expliquaLew.Cestextosdisaientqu’Amelian’avaitpassauté.N’est-cepas,Sylvia?»Leslarmesroulaientsurlesjouesdel’adolescenteàprésent.Elleessayadeparler,maisaucunsonne

sortit.Puiselles’affaissasurunechaisedelacuisineetsepritlatêtedanslesmainsensanglotant.Juliaallas’agenouilleràsescôtés.

«Qu’importe ce qui s’est passé, nous trouverons une solution, dit-elle en lui frictionnant les bras.Maisilfautquetuleurracontes,machérie.Ilfautquetuleurexpliquespourquoituasécritça.»

Sylviafinitparreniflerbruyammentetrelevalatête.Sesyeuxmarronétaientrougisethumides,sesjouesencoremouillées.

«Après lamort d’Amelia, jeme suismise à passer à côté de chez vous parfois après les cours.Jerestaisdel’autrecôtédelaruepourquevousnemevoyiezpas»,expliquaSylviaàKate.

Elleétaitrecroquevilléeàprésent.«Unefois,c’étaitgenre lafind’après-midietvousétiez làenpeignoirsur leseuildevotreporte.

Vousrestiezplantéelààregarderdanslevide.Vousétiezpeut-êtresortieprendrele journaloujesais

pas,maisensuiteonauraitditquevousaviezoubliécequevousétiezentraindefaire.Vousétiezfigée.Etc’étaitcarrément…»

Ellefixaitunpointimaginairesurlesol,commesielleyrevoyaitlascènesedérouler.«…horrible.Genrebienpirequequandvouspleuriezàl’enterrement,etc’étaitdéjàpasrien.»Ellesecoualatêteetpoussaunsoupirchevrotant.«Jemesuisditquepeut-êtrequesivouspensiezqu’ellen’avaitpassauté…sivouspensiezquece

n’étaitpasvotrefaute…peut-êtrequevousvoussentiriezmieux.−Donctuasfaitsemblantdesavoir,ditJulia,l’airsoulagée.PourqueKatesesentemieux.−Non,réponditSylvia,sesyeuxhumidesrivéssurceuxdeKate.Amelian’apassauté.Jelesais.»

Facebook24OCTOBRE

AmeliaBaron«Un roulementde tambour fantomatiquebattait implacablement lamesurede lavie […] et l’avertissait, elle dont la journée avait passé si vite en une suite depetites tâches insignifiantes, que tout était aussi éphémère qu’un arc-en-ciel. »VirginiaWoolf,Verslephare

CarterRoseyatropd’infos,làSylviaGoldetagueule,Carter,espèced’abruti

AMELIA

24OCTOBRE

Quand j’ai passé la tête en dehors du bureau deWoodhouse, j’ai vuSylvia sur le seuil du bureauvoisin,celuideMmePearl,àquielleempêchaitdevoirlecouloiretmafuite.

« Tout ce que je dis, c’est que ça me met un peu mal à l’aise que Grace Hall ne propose pasd’alternativeàlathéoriedel’évolution.»

Sylviaparlaitfort,enemployantsonfameuxtonsupérieur.Elleagitaitl’indexenl’air.«Oùestledialogueintellectuelsionneprésentequ’unseulpointdevue?− C’est pour ça que vous avez dû quitter votre cours de biologie et venir immédiatement ici ? a

demandéMmePearl.− Il se trouve que je prends mes opinions religieuses très au sérieux », a rétorqué Sylvia, l’air

consternée.J’ai alors remarquésamaindans sondos.Elleme faisait signeenagitant lesdoigtsdedégager le

plancher.J’aifranchilaporte,pliéeendeux.«Jesuisdésolée,mademoiselleGolde,lanotedeservicespécifiantquevousétiezévangélisteadû

m’échapper,arépliquéMmePearld’untonsarcastique.Etmoiquiaicrupendanttoutcetempsquevousétiezjuive.

− Je suis juive et évangéliste, a répliqué Sylvia tandis que je m’avançais dans le hall et passaisdevant la porte deMmePearl sur la pointe des pieds.Vous avez également quelque chose contre lesmariagesinterreligieux?»

Ledosplaquécontrelemur,jepriaispourqueSylviasemagneavantquequelqu’unmerepèrelààtraînerdanscecouloirenpleinmilieud’uneheuredecours.

«Bon,çasuffitmaintenant,mademoiselleGolde.Vousallezretournerenclasseet…−Trèsbien,j’allaispartirdetoutefaçon.Maiscen’estpasfini.Jerefused’êtremarginaliséeàcause

demescroyances.»Quandelleaenfinfoncémerejoindreauboutducouloir,elleavaitlabanane.Çam’afaitsourire.Et

pourtantj’auraisjuréàcetinstantqueplusjamaisjenesourirais.«Viens,a-t-ellelancéenm’attrapantparlamainetenm’entraînantàsasuite.−Jenepeuxpaspartir,ai-jemurmuré.Woodhousevarevenir.S’ilnemetrouvepas,ilvaêtresuper

vénère.»Sylviam’adévisagée.«Etalors?Qu’ilsevénère.Tun’asrienfaitdemal.−Ilspeuventmerenvoyerdulycée.−Allô?C’est toi lavictimeici.Woodhouseferamarchearrièreàlasecondeoùtuluiexpliqueras

queZadieetsespotesteharcelaientparcequetuesgay.C’estlavérité,aprèstout.»Elle n’avait pas tort, sauf que son argument ne prenait pas en compte le fait que lesMaggies s’en

prendraientàelle.«Viens,a-t-ellerépétéenmetirantdenouveauparlebras.Onatouteslesdeuxbesoindesemarrer

unpeu,j’aiunplan.»

Lepremierarrêtaétél’auditoriumdeGraceHall,tellementchicettellementgigantesquequ’ilétait

utiliséàlafoisparlecollègeetparlelycée.Avecsessiègesconforttoutrécemmentrembourrésetsascèneenacajouciré,ilétaitplusbeauqu’ungrandnombredesallesdespectacledeBroadway.

«Sij’avaissuquecettesallerestaitouvertecommeçatoutletemps,acommentéSylvia,frappantledossier des sièges de lamain gauche tout en se frayant un chemin jusqu’à la travée centrale, j’auraiscarrémentfaitl’amoursurscène.

−Berk,Sylvia,t’escrado.−Oh, je t’enprie,a-t-ellerépliquéenapprochantdelascène, t’amusesplusàessayerdejouerles

saintes-nitouchesavecmoi.Toietmoi,onsaitbienquec’estdesconneries.»Jel’aisuivie,maispluslentement.Lafilleobéissanteenmoin’aimaittoujourspassetrouverdansun

lieuoùellen’étaitpascenséeêtre.Oronn’avaitcertainementpasledroitd’allerdansl’auditoriumsanssurveillance.Sicetendroit restaitaussibeau, ilyavaituneraison.Sylviaacourumontersur lascènesombre,oùelleestalléeseplanteraucentre,dans l’obscurité.La lueurquediffusaientquelquesrareslumièresluidonnaitunairflippant,maisflippantjoli.

«Qu’est-cequ’onfoutlà,Sylvia?»ai-jelancédepuislapremièrerangéedesièges.J’avais essayé de ne pas avoir l’air nerveuse− autrement Sylvia n’aurait fait que prolonger notre

séjourici−,hélas,çan’avaitpasfranchementmarché.«Nouspartonsfairelatournéedequelques-unsdenosmeilleursmoments,gentedemoiselle,a-t-elle

répondu avecunmauvais accent anglais et unegestuelle théâtrale. Je dirais quenous avons toutes lesdeux besoin de nous remémorer notre haut degré de fabulosité. Ceci, my fair lady, est votre premierarrêt.»

Jesouriaistoutensecouantlatête.Sylviaétaitdingue,maisparfoisdelameilleurefaçonpossible.C’étaitaussiuneamiegéniale.Malgrétoutcequej’avaisfait,touslesmensongesquej’avaisracontés,elleétaitlà.Pileaumomentoùj’avaisleplusbesoind’elle.

«Commentça?Qu’est-cequel’auditoriumaaffaireavecmoi?−Montezaucentredelascène,madame,a-t-ellelancéens’adressantàmoitelunMonsieurLoyal.Et

jevousmontrerai.»J’aimontélesmarches,gênée,alorsmêmequ’iln’yavaitpasâmequivivedanslepublic.«D’accord»,ai-jeréponduunefoisàsescôtéssousl’éclairagefantomatique.Jecontemplaistouscessiègesvides.«Jepensequetuasdûmeconfondreavecquelqu’und’autreparcequefranchementçanemerappelle

riendutout.−Attends,a-t-elle répliquéenplaçant sesmains sur lehautdemonbrasetenobservantune foule

imaginairepar-dessusmonépaule.C’esticiquej’aidécidéqu’ilfaudraitqueturestesmameilleureamiepourtoujours.CE1,classedeMmeRitter,spectacleduPresidents’Day1.Tuflippais taracedemontersurscène,mêmesituallaisteretrouveravectouslesautresetquetoutcequetuavaisàfaire,c’étaitdelevertapancartequiportaitlalettreG.Maisc’estpasçal’important.Letruc,c’estquetuascarrémentdûallervomiravant.Tudoisbient’enrappeler,quandmême.

−Ahouais»,ai-jeacquiescé,vaguementnauséeuserienqued’yrepenser.J’avaisbeauavoirpresquecomplètementrefoulécetépisode,j’avaiscetteimagenettedeMmeRitter

quimefilaitdesKleenexenmedemandantsij’avaisl’habitudedevomirquandj’étaisstressée.«Maintenantjemesouviens.Merci,ouais,c’étaitgénialcommeépoque.−Pourmoicemomentaétévraimentmarquéd’unepierreblanche.−Moientraindegerber,c’esttongrosmomentfondateur?C’esttroppitoyable.»

À la vue de tous ces sièges vides, je commençais à me sentir creuse. Les effets de la pousséed’adrénalineprovoquéeparmafuitedubureaudeWoodhousecommençaientàs’estomper.Qu’importequandlapetiteexcursiondeSylviaseterminerait,tout−leplagiat,lesMaggies,Dylan,monmailquimemettaitlahonte−seraitencorelààm’attendre.

«D’ailleurs,êtresurscènemeterrorisetoujoursautant.Mêmelàmaintenantçamefaitstresser,alorsqu’iln’yapasunchatdanslepublic.

−C’étaitpastonvomissement,débilos.»Sylviaacroisélesbrasetlevélesyeuxauciel.«C’estcequetuasfaitaprès.−C’est-à-dire?−Tuesrevenuedestoilettesavecgenreuneliassedemouchoirsetuneexpressiontiréetoutdroitde

TrueGrit,genre,ett’esmontéedirectsurscèneavecnous.Pasungémissement,pasuntremblement,rien.T’étaismonhéroïne,jetejure.

−Merci,Sylvia.Cetépisodecontinuedemefairesentirunpeunazequandmême,maismerci.»Et là je me suis souvenue d’autre chose à propos de cette journée. Une fois sur scène, j’avais

recommencé à flancher, en fait. Je m’étais retournée vers Mme Ritter et, voyant qu’elle m’ignorait,j’avaischerchéuneissuedel’autrecôtédelascène.Àcemoment-là, j’avaisvumamères’engouffrerparlesporteslatérales,quinzeminutesàlabourre,commed’hab,l’airtoutepaniquée,claquée,perdue.Maiselleétaitlàetquandelleavaitfiniparmerepérer−dernierrang,côtégauche,mongrosGserrécontre lapoitrine−,elleavaiteusa fameuseexpression.Commesi j’étais lachose laplus incroyablequ’elleaitjamaisvue.C’étaitcettefaçonqu’elleavaiteuedemeregarderquim’avaitvraimentpermisderesterdeboutsurscène.

J’étaisencoreperduedansmessouvenirsquandunbruitaretentiaufonddel’auditorium:onouvraitlesportes.

«Merde, viens, a lancé Sylvia en m’attrapant par la main pour me faire descendre. Direction lacantine.»

Lacantineétaitvide,àl’exceptiondedeuxagentsd’entretienquipassaientlaserpillière.«Vousn’avezpasledroitd’êtreici,aaboyél’und’euxsansmêmeleverlatête.−Onfaitdesrecherchespourunefichedelecture,aexpliquéSylviaenlecongédiantd’ungestedela

main.C’esticiquetuasditàWhitmanPriced’allersefairefoutre.Tut’enrappelles,pasvrai?»Làaussiilm’afalluunesecondepourquecetévénementmerevienne,maisilm’estrevenu.Quandon

étaitensixième,Whitmanétaitgenre lemeneurd’unebandedegarçonsquis’enprenaientà toutes lesfilles.Ilmontraitdudoigt leschevilles tropgrossesdel’une, lepoireauhideuxsurlecoud’uneautre.Ilnoustraitaitdebaleines,desquelettesoudequasimodos.Évidemment,Whitmanétaitlui-mêmeplutôtgrassouilletetsonvisageétaitunevraiecalculette,maistoutlemondeavaittroppeurdeluipourleluifaire remarquer. Heureusement, il avait déménagé en quatrième, quand ses parents avaient divorcé.Çafaisaitdesannéesquejen’avaispaspenséàlui.

Maintenantquec’étaitlecas,jemerappelaiseffectivementlejouroùilétaitvenuàlatableoùj’étaisassiseavecSylviaetquelquesautresfillescommenouspastrèspopulaires.Ils’étaitplantéàunboutetavaitcommencéànousdonneràchacuneunenoteenfonctiondesionétaitmignonneoupas.D’aprèslui,laplupartne l’étaientpas.Après ilnousavait expliquécequiprécisémentdansnotreapparencenousavaitvaluunesalenote.Ilessayaitdenousaider,qu’ilavaitdit.Letempsqu’ilfasseletourdelatableetqu’il arrive àmoi, deuxdes filles pleuraient et cinqou sixmecs s’étaient rappliquéspour assister auspectacle.

«Ettoi,avait-ilditenmedésignant,tuasunetêtedecheval.Elleestgenretoutallongéeettouteplateetellefaitgenretroisfoislataillenormale.»

Jen’avaisjamaisétédustyleàtenirtêteauxgens.Maiscejour-là,avecWhitmanquinousdégommaitcommelesboîtesdeconserved’unchamboule-tout,j’avaispétéuncâble.

«Ettoi,t’esobèse,Whitman,avais-jerépliqué.Alorsvatefaireenculer.»C’étaitlapremièrefoisquejedisaisungrosmotàvoixhaute.Etcelui-là,n’enparlonspas.J’avais

l’impressionquemaboucheallaitprendrefeu.«Oooh,cassé!s’étaitexclaméundesgarçons.−Putain,Whitman,ellet’arembarrégrave»,avaitlancéunautre.EtWhitmanavaiteu l’air tellementenrogneque j’avaiscruun instantqu’ilallaitm’enmettreune.

Mais il s’était contenté de faire volte-face et de disparaître dans la foule. Il avait remis ses attaquesquelques joursplus tard.Pas le lendemain, celadit.Le lendemain, il était resté tout seul, bien loin, àl’autreboutdelacantine.

«Viens,aditSylviaensedirigeantverslaporte.Fautqu’onsebarred’ici.Jecroisqu’yaunagentquiestalléappelerquelqu’un.»

Ons’estbaladéescommeçaàtraverslelycée,enchaînantfeintes,esquivesetslalomspouréviterles

profs et le personnel administratif.Sylviam’a entraînée là oùune fois j’avais remporté la foire de lascienceavecmonprojetsurlemagnétismeetlesplantes;etàl’endroitoù,enquatrième,ChrisMellonm’avaitditqu’ilm’aimaitbien.Ons’estaussiarrêtéesaupremierétage,làoùj’avaisditàSylvia−encinquième−qu’unjourjeseraisécrivain,peuimporteàquelpointceseraitdur.

Aucunedecesétapesn’avaitlepouvoirdechangerquoiquecesoit.EllesnepouvaientpasrendreDylanamoureusedemoi,nirétablirmonexcellentedissertationsurVerslephareàlaplacedecellequiétaitdurecopiage.AucundecessouvenirsnesupprimaitleschoseshorriblesqueZadieavaientfaitesnin’effaçaitmahontedesavoirquetoutlemondeavaitlumonmail.

Enrevanche,cepériplemerappelaitquemavienesecantonnaitpasàceseulmoment.Àcetteseulefille.Àcetteseulesériedemotssurdupapier.Ilmerappelaitquej’avaistraverséd’autreschosesavant−génialesetterribles,drôlesethorribles−etquej’avaissurvécu.

Onétaitderetourdanslecouloirquandlasonneriearetenti.Onaplongédansunplacardàbalais

pournouscacherpendantl’interclasse,presséescontrelemuràcôtéduseauetdelaserpillière.Onestrestéeslepluslongtempspossibleenapnée,histoiredenepasétoufferdansl’odeurdejavel.

«Merci,ai-jeditàSylviaquandlesilenceestretombédanslecouloiretqu’ons’apprêtaitàsortir.J’enavaisbesoin.

−Onn’apasencorefini.C’estmontour,maintenant.»Merde.J’auraisdûréfléchirauxétapesdupéripledeSylvia.Parcequ’iln’yavaitabsolumentrienqui

mevenaitàl’esprit.Çaavaitétéquoi,sesmomentsàmarquerd’unepierreblanche?«T’inquiète,a-t-elledit,lisantdansmespensées.T’esdispensée.J’aidéjàréfléchiauxendroitsoù

aller.»Aprèsêtresortiesduplacard,onafaithaltedansunesalledeclassevidedel’ailenorddubâtiment,

puisauCDIetdanslacour,visitantleslieuxdeshautsfaitsdeSylvia−quiavaienttraitpourlaplupart(non,tous)auxmecs−,prisesdefourirechaquefoisqu’onesquivaitlesprofsetlepersonnel.Onavaitl’impressiond’êtreretombéesenenfance,bienauchauddansnotremondeimaginaire.

Maisà laquatrièmeétape, leschosesontcommencéà tournerauvinaigre.Tous lesendroitsoùons’arrêtaitn’avaientpasseulementtraitàunmec.C’étaitlàoùunmecavaitcasséavecSylvia.Audébut,

çan’avaitpasl’airdel’affecteretpuisd’uncouponauraitditqu’elleavaitatteintlepointdebascule:décomposée,ellefaisaitunetêtededixpiedsdelong.

«Yenaaucunquiteméritait,ai-jeditalorsqu’onsedirigeaitverslaportecoupe-feu.T’esmieuxsanseux.

−Jesais.C’estpourçaquejem’obligeàm’enrappeler.»Je ne la croyais pas. C’était comme si cette lumière extraordinaire qu’elle avait en elle avait été

soufflée.«Oùonvamaintenant?»ai-jedemandéencheminversl’escalier,dansl’espoirqu’onmetteviteun

termeàsapetitemarchefunèbre.« Sur le toit, a-t-elle répondu avec un sourire triste, en traînant des pieds.Réjouis-toi.Ce sera la

dernièreétapedusentierdeslarmesdeSylviaGolde.»Jemesuisarrêtée.C’étaitexactementcequejeredoutais.Elleétaitvraimentbouleversée,mêmesi

ellefaisaitgenrequ’ellel’étaittroppas.«Allez,Sylvia.Qu’est-cequ’ilsontdanslecrâne,cesmecs,detoutefaçon?»Je réfléchissais à deux cents à l’heure, en quête d’un endroit où je pourrais peut-être l’amener.

Unendroitoùelleavaitfaituntrucremarquable.Hélasc’étaitleblack-outtotal,mêmesiSylviadevaitbienavoir faitdes trucscools.Avoir eudesgrandsmoments impressionnants.Saufque, sérieusement,aucunnemevenaitàl’esprit.

«Tuesmégacréativeetgravedouée.T’esuneputaind’icônedelamode.Unjourtudeviendrasunestylisteincroyable,jelesais.CeseragenreSteveMcQueenettoiensembleàlafashionweek.

−C’estAlexanderMcQueen, rétorqua-t-elle, lesyeux levésauciel.Et ilestmort.SteveMcQueenaussi.

−Bon,trèsbien,DonnaKaran,alors.−DonnaKaran?Sérieux?Elleseraitmorte,ceseraitpareil.−Allez,Sylvia.−Jesais,jesais,tuessaiesdemeremonterlemoral.Maistusais,t’asl’airassezdésespérée,enfait,

a-t-ellecommentéenmontantlourdementlesmarchessansseretournerversmoi.Etc’estpasgrave,a-t-elleajoutéavecunhaussementd’épaules.Jesaisqui jesuis.Jel’accepte.Pasbesoind’essayerdemeprotéger.Viens,maintenant.»

Quandonestenfinarrivéesenhaut,Sylviaapoussélaported’accèsautoitetonestsortiescôtésud

dubâtiment.«Ilsontpaschopéunebandedegaminsquifumaientlàunefois?»Jecontemplaislacimedesarbresalentour.Au-dessus,lecielétaitd’unbleuvifsansnuagesetmême

s’il faisait un peu froid, c’était agréable de sentir le soleil de l’après-midi.Au loin, vers le nord, onapercevaittoutjustel’EmpireStateBuildingquipointaitentrelesimmeubles.

«Jecroyaisqu’ilsavaientferméàclefaprèsça.−C’estcequ’ilsontfait,maislesmaçonsquibossentsurl’annexedubâtimentdemusiqueontrouvert

pourpouvoirprendreleurdéjeunerici.»Ellearegardéautourd’elleavecunsourireaigre-doux.«Tusais,Ianetmoi,onafaitl’amouriciunefois.−Sérieux?»LestrucsdinguesquefaisaitSylviamelaissaienttoujourssurlecul.Elleahochélatête,puisabaissélesyeuxets’estmordulalèvrecommepours’empêcherdepleurer.

Ils’étaitpasséquelquechose.Quelquechosedemoche.

«Sylvia,qu’est…»On a entendu quelqu’un monter les marches puis un cliquetis de clefs a résonné dans la cage

d’escalier.«Merde,amurmuréSylviaenmefaisantsignedelasuivre.Viens.»Onestalléesseréfugierdiscrétosdansunrecoinexiguàl’autreboutdutoit,oùons’estaccroupies.

Une minute plus tard, Liv apparaissait. On s’est regardées et en cœur on a articulé sans bruit«j’hallucine»alorsqu’ellesortaitsonportablepourappelerquelqu’un.

«Bonjour,oui,LivBrittonàl’appareil.Oh,merci.Jesuisvraimentravie.Venantdevous,c’estunénorme compliment. Mais je crois que je vais devoir retirer le manuscrit. La situation est devenuecomplexedansmonlycée,et…»

Elles’esttueunmoment,soninterlocuteurdevaitparler.Elleserongeaitunongle.« Oui, je m’étais effectivement dit que je changerais tous les noms. Mais même dans ce cas, je

pense…»Nouvellepause,elleahochélatête.«Oui,j’ensuisbienconsciente.D’accord,oui,jevaisyréfléchir.Mercidem’avoiraccordéunpeu

devotretemps.Jevoustiendraiaucourant.»Ellea raccrochéet regardé fixement sonportablependantuneminute.Aprèsavoirprisunegrande

inspirationetexpirébruyamment,elleestretournéeverslesmarches.Onestrestéesaccroupiesjusqu’àcequ’onentende laporte se refermer surelle.Heureusement, elleétaitpartiedepuis longtempsquandmonportablem’asignalél’arrivéed’untexto.

BENtum’enveuxpas,hein?jesais,jecrains…

AMELIAcpasgrave,vraiment

BENtsûre?

AMELIAcarrément

BENçavaaller?

AMELIAoui.sûr.amuse-toibien.xoxox,onseverraqdmêmebientôt!jeferaittpour;)

«C’étaitqui?ademandéSylvia.−Ben,ilestenville,ai-jerépondu,sachantd’avancecommentelleallaitréagir.− Tu comptes pas sérieusement le rencontrer, hein ? Parce que si tu veux voir ce taré, il faudra

d’abordmepassersurlecorps.»Elles’estalorsdirigéeversleborddutoit,dontlepourtourétaitceintd’unmuretétrangementbas.

Rienquedelavoirsiprèsdecerebordflippant,çamedonnaitlevertige.Ellemetournaitledos.«Tupeuxreculer?Tumefouslesjetons.Etsitutrébuchais?»

Elleareculéd’unmicrodemi-pas,çanem’apasdutoutrassurée.« Ianm’a larguée. Ilm’a amenée ici il y a uneheurepour le faire. Il pensait peut-être que la vue

amortiraitlechoc.»Merde.Certes,çadevaitarrivertôtoutard,maisc’étaitquandmêmemoche.«Çava?Enfin,jesuissûrequec’étaitunsalecoup.Cemecestunvraiblaireau.»Sylviaainclinélatêtedefaçonàprésentersonvisageausoleil.Danscettelumière,elleavaitl’air

encoreplustriste.Lapauvre.Sijel’avaisvuveniràdeskilomètres,elleavaitbiendûlevoiraussi.Maisj’avaisquandmêmegravelesboulespourelle.Etj’auraistellementvoulutrouverlesmotsqu’ilfallait,untrucvraimentgénial,danslegenredecequ’ellem’avaitditàproposdeDylan.Malheureusement,toutcequimevenaitàl’espritsonnaitcreuxetrance,déjàrienquedansmatête.

«Tuveuxsavoircequ’ilm’adit?−Qu’est-cequ’ons’enfoutdecequepensecetrouducul!»MaisSylvianes’enfoutaitpas.Elleavaitbesoinquejesache.« Ilm’adit que je ne l’attirais pas sexuellement.Et quand je lui ai fait, genre : “Qu’est-ceque tu

racontes?Onfait l’amour tout le temps.” Ilm’afait :“Ouais,c’estvrai,maisengrossi je le faisais,c’étaitjusteparcequej’avaisdelapeinepourtoi.”»

Quandelles’esttournéeversmoi,ellechialaitàtorrents.Jesuisalléelaserrerdansmesbras.«C’estdesparolesenl’air,l’ai-jeconsoléeenenfouissantmatêtedanssoncou.Tulesaisbien,pas

vrai?Tuesmagnifique.»Elleasecouélatête,reniflé.«Jenesuisplusaussijoliequ’avant.Jelesais.−N’importequoi,Sylvia.Qu’est-cequeturacontes?»Lepire,c’estqu’elleavaitplusoumoinsraison.Elleavaitétéunegaminebelleàtomber,genreplus

mignonnetumeures.Legenredegaminequifaisaits’arrêter lesgensdanslarueet les laissaitbouchebéedans les restaurants.C’étaitpasquemaintenantelleétaitmocheouquoi.Maiselleétaitbeaucoupplusquelconque.

«Jenesuispascommetoi,a-t-ellemurmurétandisquejelaserraisencoreplusfort.Êtrejolie,c’esttoutcequej’ai.»

Jemesuisreculéepourlaregarderdanslesyeux.«Sylvia,c’estfaux.»Etsoudain,toutcequiétaitextraordinairechezellem’estrevenuaugalop.«Tuesdrôle,fidèle,encourageante,franche,etj’aimeraisavoirneserait-cequ’unquartdelapassion

quetuas.Tuesmameilleureamie,Sylvia,etjenesaispascequejeferais…»Sonportable l’aavertiede l’arrivéed’untexto.Jepriaispourqu’ilnesoitpasdeIan.Mêmesi la

situationétaitmoche,çaauraitétéencorepires’ilseremettaitavecellepourfinirparcasserdenouveauplustard,cequin’auraitpasmanquédesepasser.Vulafaçondésespéréedontelleestalléepêchersontéléphone,j’aicomprisqu’untextodeIanétaitexactementcequ’elleespérait.

«C’estquiça?s’est-elleétonnéeenregardantl’écran.Numéromasqué…»Elleaouvertlemessaged’unepichenette,savoixs’estéteinteprogressivement.«C’estquoi?ai-jedemandé.−Jesaispas…unephoto.Lemessagedit“regardedanslaglace”.»Elleatapotédenouveaul’écran.M’aregardéed’unairperplexe.« C’est toi. Qu’est-ce que tu fous en sous-vêtements ? C’était un truc coquin que tu faisais avec

Dylan?»Elleavaitl’airsuperexcitée.

«Jesuisplutôtimpressionnée,Baron.T’asplusdeculotquecequej’auraiscru.»Ellem’atendusontéléphone.C’étaitbienmoientraindejouerlachaudasse.Danslapriseoùj’étais

alléeleplusloin,jambesécartées,penchéeversl’objectif.Larevoirmefaisaithorreur.C’étaittellementhumiliant.Jeluiairenduleportable.

«Berk,dégueu.C’estunelonguehistoire.Maiscrois-moi,yavaitvraimentriend’excitant.−Regardedanslaglace,amarmonnéSylviaenreportantsonattentionsursonportable.Ondiraitune

espèced’indice.»Elleaagrandilaphotoàl’aidededeuxdoigts.«PutaindeDieu…»Elleestdevenuelivide.Quandellealevélatête,elleavaitunregardcomplètementdément.«PutaindebordeldeDieu!−Quoi?»Jemesuispenchéepourvoiràmontour.Maiselleagitaitsonportableenl’aircommeunedingue.«Sylvia,calme-toi!Qu’est-cequ’ilya?−Espècedesalope!a-t-ellehurléensejetantbrusquementsurmoiavecsonregardfou.−C’estquilasalope?Qu’est-cequeturacontes,Sylvia?!−Toi!»Ellebeuglaitcommeunebêtesauvage.Jen’avaisjamaisentenduunêtrehumaincriercommeça.«C’esttoi,lasalope!»Elleafiniparmefourrersonportablesouslenez.Là,surlaphoto,danslerefletagrandidumiroir,

onvoyaitIanGreene.«Sylvia,non.Cen’estpascequ’ondirait»,ai-jelancé,lecœurbattant.J’aireculéd’unpas,commesiçaavaitpufaireremonterletempsàunmomentoùellen’avaitjamais

vulaphoto.«Ahnon?!»Levisagetoutrouge,toutmarbré,ellebrandissaitsontéléphonecommesielleavaitl’intentiondeme

gifleravec.«Parcequecequ’ondirait,c’estquec’étaittoi,laMaggiequibaisaitavecmoncopain!−C’estZadiequiamontétoutecetteaffaire.Allez,réfléchis,Sylvia.−Tul’asbaiséparcequec’estcequelesMaggiest’ontdemandédefaire!−Non,Sylvia,non.»J’avaistellementreculéquemesjambesétaientpresséescontrelemuret.«Jen’aipascouchéavecIan.Ilnes’eststrictementrienpasséentrenous.−Àpartça,putain!»Elle m’a collé son téléphone sous le nez plus violemment encore et j’ai tâché d’esquiver en me

penchantenarrière.«Desputainsdephotosàpoil !Est-ceque t’aimesseulement lesfilles?Ouc’était justeunmytho

pourpouvoirtetapermoncopain!»Elle a levé un bras etm’a asséné un grand coup de portable sur la clavicule. J’ai grimacé enme

cambrant : ma poitrine me lançait là où Sylvia avait frappé. C’était trop. Beaucoup trop. Elles nes’arrêteraient jamais.Ellesneme laisseraient jamaisenpaix. J’ai tentédem’éloignerdeSylviaavantqu’elleessaiedem’atteindredenouveau.

Etpuisd’uncoup,onauraitditquequelquechosesemettaitàcéderderrièremoi.J’aimislesmainsenarrièrepouramortirlechoccontrelemur,mepréparantàladouleurquejeressentiraisquandmondosracleraitlebéton.Maisiln’yarieneu,pasdedouleur.Justelagravité.Jecontinuaisàtomber,tomber.

Etlàj’aivulatêtedeSylvia.J’aivudanssesyeuxlachosehorriblequis’étaitdéjàpassée.Qu’onétaitimpuissantesàarrêter.

«Non!a-t-ellehurléenessayantdemerattraper.OhmonDieu,Amelia!»Etj’aiessayé.J’aiessayédel’attrapermoiaussi.J’aiessayédetoutesmesforcesdem’accrocher.

Facebook24OCTOBRE

AmeliaBaron«Jesuisenracinée,maisjem’écoule.»VirginiaWoolf,LesVagues

Épilogue

7MARS

« La température se réchauffe », dit Kate en s’accroupissant sur une bande de gazon froideimpeccablement tondue.Malgréunedouceur inhabituellepourundébutdemoisdemars,onsupportaitencore lemanteau. Cela dit, à peineKate avait-elle prononcé cesmots que le vent se renforça et latraversadepartenpart.«D’accord,elleseréchauffepeut-êtrejusteuntoutpetitpeu,maissituétaislà,tutediraisprobablementquec’estuntempsd’été.C’étaittouttoi,ça,dedemanderàporterdesmanchescourtes dès que la neige avait fondu. “Je n’aurai pas froid,maman.” »Kate sourit enpensant aupetitvisagerondd’Ameliaquiproférait toutescespromessesdefillette.Sifervente,siconfiante.«Leplusdrôle,c’estquejeprenaistoujourstonmanteauenmedisantquetuchangeraisd’avisquandtusentiraislefroid. Mais tu n’as jamais changé d’avis. Pas une seule fois. Si parfaitement têtue. Si parfaitementparfaite.»Kate fondit en larmes tandis que savoix s’évanouissait. Parfois, elle se jurait denepaspleurer en

allantrendrevisiteàAmeliaaucimetière.D’autresfois,elleserésignaitsimplementàcetteidée.Dansuncascommedansl’autre,ellepleuraitàtouslescoups.Cependant, petit à petit, laborieusement, la part la plus sombre de son chagrin avait commencé à

s’alléger ou peut-être à changer, ne lui laissant qu’un sentiment demanque.Kate commençaitmême àaccepterqu’elleauraitbeauessayerdésespérémentdes’accrocherauxmoindresdétailsrelatifsàsafille,ellenepourraitpasempêcherleureffacementprogressif.Ellenepouvaitquefaireledeuildeleurperte.Durantlesquelquesmoisquiavaientsuivilamortd’Amelia,elleavaitdéjàoubliécertaineschoses.

Elleneserappelaitplussonodeur,mêmesiellecontinuaitàenchercherunefragranceenfouiedanslesoreillers.Ellenese rappelaitpasnonpluscegestequ’elle faisaitquandelleavaitenviedemettreuntermeàuneconversation:était-cedeuxclaquementsdedoigtspuislepouceorientéverslebas,outroisclaquements de doigts puis l’index pointé ?Oubliés, également, l’âge auquel elle avait enfin appris àfaire du vélo, la dent qu’elle avait perdue en premier et combien d’argent Kate lui avait glissé sousl’oreiller.Cedontellesesouvenait,enrevanche,étaitfigédansunecristallisationparfaite.Ellesentaittoujours

lepoidsdelatêted’Ameliaquireposaitdanslecreuxdesoncoutandisqu’ellesdormaienttoutesdroitesdans le fauteuil à bascule, à sa naissance. Elle se rappelait le cri de joie qu’elle avait poussé quandAmeliaavaitprononcésonpremiermot–chien−etqu’elleavaitcriési fortqu’Ameliaavaitaussitôtfondu en larmes. Elle se rappelait la fois où elle l’avait envoyée au jardin d’enfants sans couche. Etl’expressionhorrifiéequ’avaiteueAmeliaàl’âgedehuitansquandKateavaitessayédeluiexpliquerlesrelationssexuelles,unmatin,surlechemindel’école.Elleserappelaitdudouxetrarebonheurdescâlins que lui faisait Amelia adolescente. Et ce qu’elle avait ressenti en la voyant pleurer à chaudeslarmesàcemêmeâge,deslarmesd’adulte,oupresque.Finalement, elle se souvenait de tout ce dont elle avait besoin. Tout ce qui avait jamais vraiment

compté.Etsurtoutàquelpointelleavaitaimésafille.Etàquelpointelleavaitessayé.Lereste− lesdéfauts,leserreurs,leschosesqu’elleauraitfaitesdifféremment−,elles’efforçaitdel’oublier.CarSeth

avait raison. Une bonne part de ce qui était arrivé semblait à présent avoir été le fruit d’un hasard,heureuxoumalheureux.« J’ai vu Julia aujourd’hui, annonça-t-elle. Sylvia aimerait venir ici te dire à quel point elle est

désolée.Jeluiairéponduqueçanemeposaitpasdeproblème.J’espèrequej’airaisondecroiresesexplicationsàproposdecequis’estpassésurcetoit.Decroirequ’ils’agissaitd’unaccident.Jecroisqueoui.J’ignoretoujourscequecomptefairelapolice.MêmesiSylviaditlavéritémaintenant,elleamentisurtellementdepointsetpendantsilongtemps.»Ellerepritsonsouffleenfaisantcourirsamainsur l’herbe bien entretenue. « Zadie a fini par partir, dans une espèce d’internat pour adolescentesperturbées,aufinfondduConnecticut.Samèreaquittéleconseild’établissementetpuisaussilesclubssont interdits pour debon, dumoins autant qu’on sache.Çane suffit pas, rienne suffira jamais.Maisenfin,c’estundébut.»ElleauraitvoulupouvoirannonceràAmeliaqueDylanavaitécritendisantqu’elle l’avaitvraiment

aimée, après tout.Hélas, ellen’avait eu aucunenouvelledeDylan,pasun seulmot.Elle resserra sonmanteauet,depuislesommetdelacollineoùAmeliaétaitenterrée,survoladuregardlasuccessiondemamelons du cimetière de Green-Wood, une vilaine rangée d’épiceries portoricaines délabrées, et legigantesqueHomeDepotàl’horizondelabaiedeNewYork.« J’ai le sentiment de te devoir une excuse, de te la devoir depuis longtemps. J’aurais dû tout te

raconteràproposdetonpèredèsledébut»,reprit-elle.Çafaisaitunmomentqu’elleavaitprévudefairecediscours,pourtantelleavaitencoredumalàprononcercesmots.«Tuavaisledroitdesavoircequejesavais,mêmesijemetrompaissurcequejecroyaisêtrelavérité.IlserévèlequetonpèreestJeremyFirth.Oui,oui,ceJeremy.Nousn’avonsfaitl’amourqu’uneseulefois,ilétaitmarié,nousn’aurionspasdû. J’étais perdue, seule, ça s’est passé, un point c’est tout. Mais ça a conduit à quelque chose deformidable:toi.»Elle secoua la tête et entortillaquelquesbrinsd’herbe.Elle songeaalors àPhillip. Jusque-là il n’y

avaiteuqu’uncaféetquelquesmails.Avecsescheveuxcourtspoivreetsel,sespetitesridesautourdesyeux et son visage rasé de près, il n’avait rien de commun avec Rowan. Et pourtant il lui rappelaittellementcegarçonpassionnéqu’elleavaitconnusibrièvement,ilyasilongtemps.EllesedemandaitsiAmeliaauraitapprouvéounon,maisforceétaitdecroirequeoui.Gretchenavaiteuraisonaumoinssurcepoint:AmeliaauraitvouluqueKatesoitheureuse.«Ilyavaitbienungarçondanscebar…Jen’aipasmentilà-dessus,poursuivitKate.Peut-êtrequetu

lesaisdéjà.Peut-êtrequetuaslutousmesvieuxjournauxintimes,jenelesauraijamaisaveccertitude.Jecroisquedepuisledébutj’auraissimplementaiméqu’ilsoittonpère.Pasmêmelui,d’ailleurs−jeleconnaissaisàpeine,tucomprends−,maisl’idéedelui.Etaufildesans,tuasfiniparincarnercetteidéedans ce qu’elle avait demeilleur. Je crois Phillip quand il déclare que tu étais unique en ton genre.Ilvoyait en toiceque j’ai toujoursvu,et c’estcedont j’aibesoinmaintenant.Êtreavecdesgensquisaventquelemondeestplussombresanstoi.»Elleprituneinspirationprofonde,chevrotante,ets’efforçadenepaspleurer.«JevoudraisaussiquetusachesquemêmesiJeremyaétéuneerreurpourmoi,ajouta-t-elled’une

voixbriséequisenoyadanslevent,toi,tun’enasjamaisétéune,Amelia.Tuétaislameilleurechosequimesoitjamaisarrivée.Tuleserastoujours.»Ilétaittroptardpourchangerquoiquecesoit.Troptardpourfairedeschoixdifférents.Pourêtreune

meilleuremère.Katenepouvaitqu’êtrelamèrequ’elleétait,lamèred’Amelia:laconservatricedesonsouvenir,lagardiennedesessecrets,l’adoratricedesoncœur.Etça,elleleseraittoujours.

Remerciements

J’exprimemaplusprofondegratitudeàmonagentetsuper-hérospersonnel,MarlyRusoff,ledéfenseurlepluscompatissantetleplusdévouédontpeutrêverunauteur.Jenepourraijamaisassezteremercierdem’avoirsoutenuetoutaulongdesnombreusesitérationsdecelivre,ainsiquedecellesdesmanuscritsqui l’ontprécédé.ÀMichaelRadulescu,pour toute tonaideet ta légèretéôcombienappréciable,etàJulieMosow,éditricepassionnée,admirablepartenairedecréationetamieformidable.Àmonextraordinaireéditrice,ClaireWachtel, taperspicacité incomparableapermisnonseulement

d’améliorerce roman,maisaussidem’améliorermoien tantqu’écrivain.Travailler avec toi aétéunhonneur. Merci à Jonathan Burnham de m’avoir donné cette incroyable opportunité. Merci aussi àElizabeth Perrella et à toute l’équipe des services marketing et vente d’HarperCollins pour votreenthousiasmeetletravaildetitanquevousavezfournipourmoi.ÀMeganCrane,mercid’avoirdirigéparl’exemple,d’avoirtoujoursétépartantepourlireuneénième

version,dem’avoirdit lavéritéquandc’étaitnécessaire,etdem’avoirmentiquandj’enavaisbesoin.Plus importantencore,mercipour tonamitiésanspareille.Si tun’avaispasété làau fildesanspourdiscuter avec moi de l’écriture et de la vie, ce voyage parfois éreintant se serait achevé il y a fortlongtemps.MerciàVictoriaCookpoursonexcellenttravaildemotivationdestroupesetpouravoirtantdefois

sauvélasituation.ÀElenaEvangelo,poursachaleuretsonoptimismeinfini,etàCaraCraganpoursafoi.Merci àmes fidèles lecteurs et précieux amis dont les commentaires et les encouragements ont été

inestimables:CindyBuzzeo,HeatherFrattone,NicoleKearetTaraPometti.À tous ceux d’entre vous, très nombreux, qui m’ont donné au cours des dix ans qui viennent de

s’écouler desmots d’encouragement si généreux−Catherine etDavidBohigian, la familleCragan, lafamilleCrane,JeremyCreelan,JoeetNaomiDaniels,LarryetSuzyDaniels,CharmaineDeGrate,DaveetJoannieFischer,DavidKear,MerrieKoehlert,HallieLevin,BrianetLauraMayer,DianeMehta,BrianMcCreight, la famille Metzger, Jason Miller, Sarah Moore, Frank Pometti, Jon Reinish, la familleThomatos, lesmembres demon cercle d’écrivains très talentueux deParkSlope et tous ceux que j’aioubliés−,merciàvousd’avoircruenmoi,surtoutdanscesmomentsoùjenecroyaisplusenmoi-même.Merci aussi àmes parents,mes beaux-parents etma famille ainsi qu’aux Prentice−Martin, Clare,

Becky,MikeetSteve−,quej’aidésormais l’immensechancedepouvoirégalementcompterparmilesmiens.Àmonmari,Tony,celivreestvraimentautantletienquelemien.Sanstoi, jamaisjen’auraiseule

courage d’écrire un seul mot, et j’aurais encore moins pu espérer en voir le bout. Merci pour tagénérositéettafranchise,tapatienceettaconfiance.Mercidemefairerire,demepousseràpenseretdeme donner l’impression d’être comprise. Je ne pourrais pas demander mari ni meilleur ami plusincroyables.Etàmespropresfillesparfaitementparfaites.Merci,Harper,pourtaformidableempathie,tescâlins

remarquablesetpourm’avoirditquetuétaisfièredemoilesjoursoùj’avaisl’impressionquepersonnenel’était.Merci,Emerson,d’êtrerestéeàcôtédel’imprimanteàcompterlespages,dem’avoirconfiéquetuvoudraisêtreuneartisteunjour,etpourtonincroyablesourire,capabled’éclairerjusqu’aujourle

plus sombre. Sachez que peu importe l’âge que vous aurez, peu importe où vous irez ou qui vousdeviendrez, je vous aimerai toujours dans votre intégralité, sans réserve. Et vos secrets, quels qu’ilssoient,serontavecmoitoujoursbiengardés.

1.SEC:SecurityandExchangeCommission.L’équivalentdel’AutoritédesmarchésfinanciersenFrance.(N.d.T.)

▲Retourautexte

2.Défilédontlesparticipantssontdéguiséssurlethèmedel’océan.

▲Retourautexte

3. Sorte d’épicerie associative qui privilégie les produits biologiques et locaux, où seuls les membres de l’association (qui gèrentégalementlemagasin)peuventvenirfaireleurscourses.(N.d.T.)

▲Retourautexte

1.Légendeurbaine(ouréalité?):pendantcetypedefêtes,lesfilless’appliquenttoutesunrougeàlèvresdecouleurdifférenteetfontdesfellationsauxgarçons,quifinissentlasoiréeavecunpénisauxcouleursdel’arc-en-ciel.(N.d.T.)

▲Retourautexte

1.Surnomd’unpersonnaged’un romandePiperKerman,Orange Is theNewBlack:MyYear inaWomen’sPrison. Ce romand’inspirationautobiographiqueaétéadaptéensérietéléviséeauxÉtats-Unisen2013.(N.d.T.)

▲Retourautexte

1.Référence àunpersonnagede super-hérosqui apparaît dans trois bandesdessinées crééesparGaryMartin.Unhomme,SteveRichards, décide de jouer au super-héros afin de passer un contrat de vente avec une entreprise de jouets pour commercialiser desfigurinesdeCaptainCrusader.(N.d.T.)

▲Retourautexte

1.Écoleprivéelaïqueàfinancementspublicetprivéjouissantd’unetrèsgrandelibertépédagogiqueetéducative.(N.d.T.)

▲Retourautexte

1.Jourfériéletroisièmelundidefévrier,ensouvenirdesprésidentsLincolnetWashington.(N.d.T.)

▲Retourautexte