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41 SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA STATISTIQUE en Communauté française de Belgique Jacques BAIR et Gentiane HASBROECK Université de Liège REPERES - IREM. N° 48 - juillet 2002 1. Pourquoi faut-il enseigner la statistique ? A l’origine 1 , la statistique s’occupait essen- tiellement de dénombrement et de recensement de biens et de personnes. Ainsi, il y a plus de quatre mille ans, les Chinois utilisaient des tables de statistique agricole. La Bible cite plu- sieurs opérations de ce genre… Les Egyp- tiens, les Grecs, les Romains connurent, de temps à autre, des enquêtes semblables. 2 Cette pré- occupation première du dénombrement des per- sonnes d’un pays a d’ailleurs donné naissan- ce au terme « statistique », puisque ce dernier provient des mots latins « status » et « statis- ticus » qui signifient respectivement « Etat » et « relatif à l’Etat ». De nos jours, tous les domaines des sciences expérimentales et humaines font appel à la théorie statistique ; les domaines d’applica- tion sont très nombreux et variés : l’actua- riat, l’agriculture, l’anthropologie, l’archéo- logie, l’audit, la biologie, la chimie, la climatologie, la dentisterie, le droit, l’écologie, l’économie, l’économétrie, l’éducation, l’épi- démiologie, les finances, la génétique, la géo- 1 Le lecteur intéressé par des renseignements de nature his- torique pourra consulter, par exemple, le livre Histoire de la statistique, par Droesbeke J.J. et Tassi P., Presses Univer- sitaires de France, Collection « Que sais-je ? », n° 2527, Paris, 1990, ou encore la brochure Des statistiques à la pensée sta- tistique, de l’IREM de Montpellier, 2001. 2 Vessereau A. : La statistique, Presses Universitaires de Fran- ce, Collection Que Sais-je ?, n° 281, Paris, 1947. 3 Robert P. : Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire Le Robert, Paris, 1996, p. 2142.

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SUR L’ENSEIGNEMENT DE LA STATISTIQUE

en Communauté française de Belgique

Jacques BAIR et Gentiane HASBROECKUniversité de Liège

REPERES - IREM. N° 48 - juillet 2002

1. Pourquoi faut-il enseigner la statistique ?

A l’origine1, la statistique s’occupait essen-tiellement de dénombrement et de recensementde biens et de personnes. Ainsi, il y a plus dequatre mille ans, les Chinois utilisaient destables de statistique agricole. La Bible cite plu-sieurs opérations de ce genre… Les Egyp-tiens, les Grecs, les Romains connurent, de tempsà autre, des enquêtes semblables.2 Cette pré-occupation première du dénombrement des per-sonnes d’un pays a d’ailleurs donné naissan-ce au terme « statistique », puisque ce dernierprovient des mots latins « status » et « statis-

ticus » qui signifient respectivement « Etat »et « relatif à l’Etat ».

De nos jours, tous les domaines des sciencesexpérimentales et humaines font appel à lathéorie statistique ; les domaines d’applica-tion sont très nombreux et variés : l’actua-riat, l’agriculture, l’anthropologie, l’archéo-logie, l’audit, la biologie, la chimie, laclimatologie, la dentisterie, le droit, l’écologie,l’économie, l’économétrie, l’éducation, l’épi-démiologie, les finances, la génétique, la géo-

1 Le lecteur intéressé par des renseignements de nature his-torique pourra consulter, par exemple, le livre Histoire de lastatistique, par Droesbeke J.J. et Tassi P., Presses Univer-sitaires de France, Collection « Que sais-je ? », n° 2527, Paris,1990, ou encore la brochure Des statistiques à la pensée sta-tistique, de l’IREM de Montpellier, 2001.

2 Vessereau A. : La statistique, Presses Universitaires de Fran-ce, Collection Que Sais-je ?, n° 281, Paris, 1947.

3 Robert P. : Le Nouveau Petit Robert, dictionnaire Le Robert,Paris, 1996, p. 2142.

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graphie, la géologie, l’histoire, l’hydrologie,l’industrie, l’ingénierie, les jeux, la linguis-tique, la littérature, le management, le mar-keting, la médecine, la météorologie, l’oph-talmologie, la pharmacologie, la physique, laplanification, la politologie, la psychologie,la sociologie, les sondages, la taxonomie, la théo-logie, la zoologie. 4 Signalons de plus que larecherche fondamentale dans de nombreusessciences, y compris en mathématiques pures,exploite de plus en plus des méthodes statis-tiques et des modèles stochastiques parfoissophistiqués : par exemple, le recours auxordinateurs permet aujourd’hui d’effectuer, pardes méthodes d’analyse numérique et parsimulation, des calculs très complexes qui nepouvaient pas être traités autrefois.

Au vu des nombreuses applications dela statistique, il n’est pas étonnant de consta-ter que cette discipline acquiert une place deplus en plus importante dans toutes les for-mations.

En plus de l’aspect utilitaire, il existeune autre raison majeure qui justifie l’intro-duction de la statistique dans les programmesscolaires : c’est son côté formatif. En effet, d’unepart, la statistique descriptive, enseignéedans une première approche, apprend à résu-mer et analyser des données ; elle permetd’étudier des situations concrètes, par exemplepour déceler des caractéristiques de certainesdonnées, repérer des valeurs aberrantes ou enco-re critiquer des analyses réalisées de façon peuscientifique ; dès lors, son enseignement, s’ilest bien mené, conduit naturellement versune modélisation de phénomènes réels et,surtout, permet à l’étudiant d’acquérir un

esprit de synthèse, d’analyse et de critique.D’autre part, la statistique inférentielle, quis’appuie sur la connaissance de la statistiquedescriptive et le calcul des probabilités, exploi-te les modèles stochastiques pour décrire laréalité observée sur des échantillons d’une mêmepopulation et, même, proposer des prévisions ;la confrontation des modèles théoriques avecle monde réel, ainsi que l’interprétation desrésultats obtenus sont évidemment d’uneimportance capitale.

Ainsi, l’enseignement de la statistiquene vise pas seulement l’apprentissage de for-mules ou de graphiques ; il a d’autres buts :la statistique n’est pas simplement unensemble de techniques, c’est une dispositiond’esprit, une manière d’appréhender les don-nées, qui reconnaît notamment l’existence del’incertitude et de la variabilité de l’informationet de la collecte des données. Elle permet deprendre des décisions dans une situationd’incertitude. 5

On pourrait comparer, dans une certai-ne mesure, les enseignements de la géométriehypothético-déductive (comprenant les clas-siques « livres d’Euclide ») et de la statis-tique. En effet, ces deux disciplines admettentdes applications concrètes dans le monde réel,par exemple, la construction d’édifices et lamesure des distances exploitent des proprié-tés de géométrie euclidienne, alors que l’ana-lyse de données nombreuses et complexesfait appel à des techniques statistiques. Mais,bien plus intéressante d’un point de vue didac-tique est la constatation que la géométrie etla statistique jouent assurément un rôle de toutepremière importance dans la formation intel-

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4 Droesbeke J.J. : Eléments de statistiques, Editions del’Université de Bruxelles – Editions Ellipses, Bruxelles –Paris, 1992, p. 8.

5 Rapport Cockcroft : Mathematical counts. Report of the com-mittee of inquiring into the teaching of mathematics in schools,Londres, Her Majesty’s Stationnary Office, 1982, p. 234.

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lectuelle d’un individu. Ces deux disciplinesapparaissent même fort complémentaires,car elles conduisent à des approches diffé-rentes de la réalité. La géométrie, qui se basesur un mode de fonctionnement déterminis-te où tout est logique et certain, forme au rai-sonnement déductif et à la logique ; par contre,la statistique propose une description proba-biliste de la réalité et dès lors, selon J.C.Girard, a pour objectifs l’apprentissage du rai-sonnement inductif, la sensibilisation duconcept de variabilité des résultats dans la répé-tition d’une même expérience et l’initiation àla modélisation, à partir d’une série d’obser-vations, d’une loi générale possible. 6

Selon R. Gras, les probabilités et les sta-tistiques remplissent des fonctions essentiellesde trois ordres : socio-culturel, épistémolo-gique et didactique.

Les fonctions socio-culturelles contri-buent à privilégier l’individu social, le citoyen :mise à distance critique des informationsrecueillies et/ou traitées, autonomie plus gran-de vis-à-vis de ces traitements, résistanceobjective à l’égard des jeux de hasard, prépa-ration à la vie professionnelle.

Les fonctions épistémologiques per-mettent de mettre l’accent sur la différenceentre le mode de raisonnement déterministe etle mode non déterministe, entre le raisonne-ment déductif (convergent) et le raisonnementinductif (divergent). Elles conduisent à privilégierune démarche structurante, clarifiante (coderl’information, passer d’un critère à une typo-logie, discriminer des critères, …) à la réduc-tion raisonnée de l’information par une maî-

trise de données numériques abondantes et sur-tout à privilégier le développement de l’attitudeet de la démarche scientifiques.

Sur le plan didactique, un enseigne-ment des probabilités et des statistiques nondogmatique se nourrit de situations favorablesà l’enjeu, au défi, à la conjecture, aux chan-gements de registres et de cadres, aux relationsinter-conceptuelles et interdisciplinaires, à lamathématisation (modélisation, formalisa-tion). 7

2. L’enseignement de la statistique dansles différents cycles d’études

Contrairement à la situation enregistréedans plusieurs pays tels que l’Angleterre, leCanada et les Etats-Unis d’Amérique 8, lastatistique n’est pas officiellement enseignéedans l’enseignement primaire de la Commu-nauté française de Belgique 9.

Son apprentissage commence dès la secon-de année du secondaire ; il s’agit en réalité d’unchapitre particulier des cours de mathématiques,au même titre que l’algèbre, la géométrie, latrigonométrie et l’analyse, et que la Com-mission commune de Pilotage de l’enseigne-

6 Girard J.C. : Pourquoi faire des statistiques ? dans Aidespour l’Enseignement de la Statistique, brochure de la Com-mission Inter-IREM « Stat-Proba », 1997, pp. 1-2.

7 Gras R. : Quelques principes majeurs pour l’élaboration d’unprogramme mathématiques dans le second cycle, Bulletin del’A.P.M.E.P., n° 429, 2000, pp. 522-527.

8 Pereira-Mendoza L. : Comparaison des programmesd’enseignement de la statistique aux jeunes enfants auRoyaume-Uni, au Canada et aux Etats-Unis d’Amérique,dans Etudes sur l’enseignement des mathématiques, volu-me 7, L’enseignement de la Statistique, Editions Unesco, 1994;pp. 61-68.

9 Il s’agit du nom officiel donné, au niveau politique belge, àl’ensemble composé de la Wallonie et de la région bruxel-loise ; ses compétences sont essentiellement culturelles.

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ment obligatoire en Communauté françaiseappelle traitement des données. 10 Un chapitrede statistique est prévu dans tous les coursde mathématiques figurant dans tous les pro-grammes qui prévoient 2, 4 ou 6 périodeshebdomadaires de mathématiques des huma-nités générales et technologiques. Il est àsignaler que l’enseignement de la statistiquedans l’enseignement secondaire s’inscritnotamment dans le cadre de la formationmathématique du citoyen : comme chaqueindividu reçoit des media de nombreuses don-nées numériques et graphiques, il est impé-ratif qu’il soit capable de comprendre, d’inter-préter et de critiquer ces informations.

L’introduction de la statistique dans lesprogrammes de mathématiques du secon-daire est relativement récente puisque l’aspectutilitaire et pratique des mathématiques étaitnettement moins pris en compte par le passé :un enseignement de la statistique est appa-ru pour la première fois officiellement dansles programmes de la Communauté françai-se en 1980.

Au niveau post-secondaire, des cours destatistique existent dans pratiquement toutesles formations supérieures. Par exemple, à l’Uni-versité de Liège sont organisés des cours destatistique dans toutes les huit Facultés(d’Economie, de Gestion et de Sciences Sociales,de Droit, de Médecine, de Médecine vétérinaire,de Philosophie et Lettres, de Psychologie etSciences de l’Education, de Sciences, deSciences Appliquées). Le plus souvent, cescours prévoient trois volets : la statistiquedescriptive, le calcul des probabilités, la sta-tistique inférentielle ; ils sont généralementadaptés au public concerné, orientés vers les

applications spécifiques de la discipline : parexemple, les cours en économie insistentnotamment sur les indices économiques etles séries temporelles, ceux de médecine surles courbes de survie, ceux de sciences socialessur les variables qualitatives, etc.

Il n’existe encore que trop peu de liens entreles enseignements secondaire et supérieur. Alorsque naguère les filières classiques « latin-math », « latin-grec », « économie », … assu-raient une certaine continuité entre les deuxenseignements, les nombreuses réformes dusecondaire ont fait sauter les repères. D’unepart, les professeurs du secondaire ne peuventplus préparer spécifiquement leurs élèves ;d’autre part, les professeurs du supérieur setrouvent devant un public de plus en plushétérogène.

Enfin, signalons que certaines universi-tés francophones possèdent un institut inter-facultaire de statistique et proposent desenseignements spécialisés de troisième cycleen statistique.

3. Qui enseigne la statistique ?

Il paraît indiscutable que le minimumque l’on puisse raisonnablement attendre desprofesseurs est évidemment une bonne for-mation dans le domaine statistique lui-même. Mais il faut y ajouter aussi, saufpeut-être pour les études de mathématiquespures, une bonne connaissance du domai-ne d’application dans le cadre duquel leursétudiants seront appelés à utiliser l’outilinformatique. 11

10 Ministère de la Communauté française : Compétences ter-minales et savoirs requis en Mathématiques.

11 Dagnelie P. : L’enseignement de la statistique et ses

tendances, dans le Mémorial Adolphe Quetelet 1796-1874, Mémorial publié à l’occasion du 100ème anniver-saire de sa mort, Académie Royale de Belgique, Bruxelles,1974, pp. 58-77.

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A la lumière de cet avis éclairé, quelle estactuellement la situation des professeurs destatistique en Communauté française de Bel-gique ?

Les futurs instituteurs ne reçoivent aucu-ne formation spécifique à la statistique,mais ils ne devront pas l’enseigner ulté-rieurement.

Dans l’enseignement secondaire, la for-mation en statistique est essentiellement assu-rée par les professeurs de mathématiques,puisque la statistique constitue un cha-pitre particulier des programmes de mathé-matiques. Il est à noter que le régent 12 enmathématiques, qui assure essentiellementl’apprentissage de base en mathématiques,et donc en statistique, dans les trois premièresannées du secondaire, pourrait n’avoir reçuaucun cours spécifique de statistique durantses trois années de régendat ; la réforme dudépartement pédagogique des Hautes Ecoles,initiée en 2001 (par un décret datant du22/12/2000), remédie à cette lacune et impo-se une cinquantaine d’heures de formationannuelle en statistique et probabilités. Lefutur licencié en mathématiques, qui pren-dra en charge la formation mathématiqueet statistique pendant les trois dernièresannées du secondaire, a généralement reçuun petit cours de statistique durant lesdeux années de candidature en sciencesmathématiques ; au surplus, s’il a choisi uneorientation adéquate de mathématiquesappliquées, il a suivi des cours de statistiquethéoriques plus poussés, avec éventuellementdes applications concrètes, durant les deux

années de licence ; enfin, certaines univer-sités prévoient un module de statistiquedans les programmes de l’agrégation del’enseignement secondaire supérieur. Par-tant, le jeune licencié en mathématiquessemble armé pour enseigner les élémentsde statistique prévus au sein des pro-grammes de mathématiques du secondai-re.

Il convient toutefois de remarquer que leschapitres de statistique ne sont certainementpas ceux sur lesquels les professeurs de mathé-matiques insistent le plus. Plusieurs argumentspeuvent être avancés pour expliquer cettesituation. Tout d’abord, l’introduction de la sta-tistique dans les programmes de mathéma-tiques est assez récente et est venue s’ajou-ter aux matières, plus traditionnelles, enseignéesdepuis longtemps, à savoir la géométrie,l’algèbre, la trigonométrie et l’analyse ; commeles programmes de mathématiques sont de plusen plus chargés, alors que le nombre d’heuresqui leur est octroyé diminue sans cesse, le pro-fesseur est dans l’impossibilité matérielle decouvrir tout le programme dans le temps quilui est imparti et doit donc effectuer des choix :très souvent, il consacre moins de temps à lastatistique, parce qu’il a moins l’habitude del’enseigner que les autres chapitres, maisaussi parce qu’il s’y sent moins à l’aise. Ilfaut en effet savoir que le corps professoral enmathématiques dans le secondaire est rela-tivement âgé 13 la plupart des professeurs enactivité ayant plus de 50 ans ; c’est dire queces professeurs n’ont pas reçu des cours de sta-tistique avant leur entrée à l’Université où lescours de statistiques étaient , il y a quelquesdécennies, nettement moins poussés qu’ilsne le sont aujourd’hui et leur bagage théorique12 En Belgique, le régent est un professeur habilité à ensei-

gner dans les classes du niveau du Collège en France ; il estformé, théoriquement en trois années après le secondaire,dans une Haute Ecole (ne dépendant pas d’une Université).Par contre, le licencié enseigne en principe au niveau du Lycéeet est formé en quatre années à l’Université.

13 Comité de l’AMULG : En l’an 2000, nos enfants auront-ils encore des professeurs de mathématiques ? Mathéma-tique et Pédagogie, 77, 1990, pp. 71-78.

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est dès lors fort limité, ce qui ne leur permetpas de voir l’utilité de la statistique ni ses liensavec les probabilités et les autres chapitres descours de mathématiques. A cela, il convientd’ajouter que les enseignants ont du mal às’accommoder du manque d’exactitude et del’incertitude de la statistique. L’aléatoirecontredit leur idée des mathématiques. Lesfaits statistiques ne sont pas « absolus », ils n’ontde signification que relativement à des situa-tions d’application extramathématique, ilsexigent une interprétation subjective et une esti-mation pertinente de la part de l’observa-teur. 14 De plus, certains professeurs se conten-tent souvent de présenter les techniques dela statistique comme ils le font pour les autreschapitres de mathématiques, c’est-à-dire sou-vent de façon certes rigoureuse, mais abs-traite et sans beaucoup d’illustrations concrètes,car ils n’ont généralement aucune expérien-ce de traitement complet de données réelles.Or, si l’on veut enseigner les concepts, méthodeset diagrammes de la stochastique comme destechniques mathématiques pour construireune théorie cohérente, on perd très rapide-ment de vue le caractère aléatoire et la natu-re spécifique des probabilités. La stochastiquedégénère en une collection de règles et derecettes sans explication. Aussi, pour en com-muniquer l’esprit et éviter la stérilité, faut-ill’enseigner dans un contexte plus large desituations signifiantes qui donnent lieu à desraisonnements, des interprétations et des déci-sions statistiques. 15 De la sorte, les ensei-gnants se trouvent face à deux sentimentscontradictoires dont l’opposition engendreune certaine réticence vis-à-vis de l’ensei-gnement de la statistique. Si cette matière se

réduit à son contenu mathématique de concepts,méthodes et diagrammes, la plupart (encoreque certains puissent même trouver cela accep-table) la jugent dérisoire du point de vuemathématique et indigne d’un enseignementmathématique. Si au contraire la stochas-tique est envisagée en liaison étroite avec dessituations qui sont indéterminées en raison dela présence d’éléments aléatoires, lesquels sontindispensables à la formation de la penséestochastique, la plupart des enseignants crai-gnent de ne pas être à la hauteur des exi-gences pédagogiques de l’enseignement desprobabilités et de la statistique. Ils se sententsouvent mal à l’aise et insuffisamment préparés,en particulier quand on attend d’eux qu’ils orga-nisent et mènent à bien de petits projets sta-tistiques et qu’ils abordent les applications

extramathématiques. 16 Pour ces motifs, lamatière de statistique prévue au programmed’une année est souvent repoussée à l’annéesuivante, ce qui ne semble guère préjudi-ciable en première analyse puisque, en vertudu principe de l’enseignement en spirale, lecontenu global d’une notion n’est pas épuiséen une fois, mais est enseigné et affiné par plu-sieurs passages successifs au cours des dif-férentes années d’études, ce qui signifie concrè-tement que le court chapitre de statistique nonvu une année pourra l’être l’année suivante.

En conclusion, au niveau de l’enseignementsecondaire, et malgré la bonne volonté évi-dente de certains, je me permets d’être inquietquant à la qualification réelle de tous ceux quidoivent parler de statistique. 17

En ce qui concerne les enseignants destatistique dans le supérieur, la situa-tion est moins claire. Il y a certes des14 Steinbring H. : L’interaction de la pratique pédagogique

et des conceptions théoriques, dans Etudes sur l’enseigne-ment des mathématiques, volume 7, L’enseignement de laStatistique, Editions Unesco, 1994; p. 220.

15 Steinbring H. : op. cit., p. 221.

16 Steinbring H. : op. cit., p. 225.

17 Dagnelie P. : op. cit., p. 73.

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professeurs qui sont des statisticiens pro-fessionnels, c’est-à-dire des personnes, leplus souvent des mathématiciens de for-mation, qui ont suivi une spécialisationthéorique poussée en statistique au coursd’études spécifiques de troisième cycleuniversitaire et qui possèdent une gran-de expérience pratique du traitement dedonnées réelles. Malheureusement, ces cassont assez rares, parce que la Belgique pos-sède très peu de docteurs en statistiqueet que ces personnes, ayant reçu une for-mation très exigeante, sont le plus sou-vent fort réclamées pour leurs compé-tences et leur savoir-faire dans le mondedu travail : le secteur public a besoin denombreux statisticiens de haut niveaudans les administrations, mais aussi et sur-tout à l’Institut National de Statistique(I.N.S., en abrégé) qui dispose d’une struc-ture administrative solide, d’un personneltrès nombreux et de moyens en informa-tique considérables 18, tandis que le secteurprivé, principalement des firmes multi-nationales de pharmacie et de bio-statis-tique implantées en Belgique, recrutefacilement tout bon statisticien. C’estpourquoi, les Écoles supérieures et lesUniversités font souvent appel à des non-statisticiens professionnels pour assurerleurs cours de base en statistique. Cettesituation n’est pas neuve et s’est déjàrencontrée ailleurs qu’en Belgique, commel’a écrit M. Frechet : Il arrive assez sou-vent que dans un institut spécialisé (dansla Psychologie expérimentale, l’Économiepolitique, etc.), on sente le besoin d’initierles étudiants à la Statistique. Et alors, ilarrive généralement qu’on confie cet ensei-gnement à l’un des membres de cet insti-

tut. Il y a là une façon de procéder qui peutréussir et qui a l’avantage de la simplici-té. Mais souvent, ce professeur improvisése contentera de se mettre rapidement aucourant des règles statistiques qui sontles plus utiles pour sa spécialité et il se bor-nera à les enseigner et à les faire pratiquer.Il en résultera (...) que le professeur et sesélèves croient à la certitude de ces règles,soient incapables d’en saisir les limitationset soient encore plus incapables de traiterun cas nouveau par ces règles. 19

4. Les compétences et objectifs visés par les cours de statistique

D’après un document officiel de la Com-munauté française 20, la formation mathé-matique dans le secondaire se veut utile pourchaque élève en visant un triple objectif :

• apprendre à bien gérer la vie quotidiennede citoyen,

• accéder à un emploi et l’exercer,

• aborder des études supérieures.

La statistique rencontre parfaitementces trois points. En effet, tout citoyen contem-porain est véritablement inondé d’infor-mations statistiques par les media ; de plus,l’homme moderne est souvent amené àgérer le risque : il doit dès lors se familia-riser avec cette notion délicate et pouvoirmesurer le risque avant de prendre unedécision en connaissance de cause : tout

18 Knoops E. : L’information et la statistique au service despouvoirs publics en Belgique, dans le Mémorial AdolpheQuetelet 1796-1874, Bruxelles, 1974, p. 35

19 Frechet M. : Les mathématiques et le concret, PressesUniversitaires de France, Paris, 1955, p. 282.

20 Communauté française de Belgique, op. cit.

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cela s’apprend dans un cours de statistiqueet de probabilités. Par ailleurs, la plupartdes professions intellectuelles recourentsouvent ou occasionnellement à des obser-vations statistiques, tandis que la plupartdes sciences, humaines ou non, exploitentde plus en plus des résultats et méthodesstatistiques, ces dernières étant dès lorsprésentées dans presque toutes les étudessupérieures. Dès lors, la statistique et les pro-babilités devraient donner la possibilité derelier les mathématiques scolaires aux inté-rêts des élèves, de promouvoir la formule duprojet dans l’enseignement des mathématiques,d’intégrer d’autres matières scolaires, d’éta-blir des applications intéressantes, deconstruire des modèles simples, d’étayer lesactivités concrètes des élèves, d’effectuer dessimulations statistiques à l’aide de l’ordinateur,et ainsi de suite. En dehors de ces motiva-tions, on peut affirmer que « le calcul mathé-matique qu’exige la statistique dans le pre-mier cycle du secondaire n’est pas trèsdifficile ». 21

Par ailleurs, la statistique constitue assu-rément une matière idéale pour développer lescompétences transversales que devrait déve-lopper chez les élèves du secondaire la formationmathématique.

Il s’agit des points suivants 22 :

• s’approprier une situation : rechercher lesinformations adéquates pour étudier un phé-nomène et les présenter sous différentesformes ;

• traiter, argumenter, raisonner : notam-ment traduire des informations du langage cou-

rant en un tableau de nombres ou des gra-phiques ;

• communiquer : par exemple, présenter desinformations numériques sous formes d’his-togrammes ou autres figures ;

• généraliser, structurer, synthétiser : cesdeux derniers points constituent précisémentle but de toute étude descriptive de donnéesstatistiques.

Au surplus, la statistique favorise lesétudes interdisciplinaires. C’est assurémentle chapitre des mathématiques qui admet leplus d’applications concrètes dans des domainesfort variés.

Une commission de la Communauté fran-çaise a précisé les diverses compétences ter-minales que doivent viser les divers chapitresdes cours de mathématiques dispensés dansles humanités générales et technologiques 23.Alors que ces compétences sont généralementvariables selon les profils d’étude, à savoir lesmathématiques de base (ou les cours «faibles»comprenant deux périodes hebdomadaires),les mathématiques générales (ou programmes«moyens» avec quatre périodes par semaine)et les mathématiques pour scientifiques (ouprogrammes «forts» à six périodes hebdoma-daires), il convient de remarquer que les com-pétences sont quasiment les mêmes pour cestrois profils en ce qui concerne le chapitre dutraitement des données. Il s’agit des points sui-vants :

• Savoir, connaître, définir : étude descripti-ve des séries statistiques univariées à l’aidedes paramètres de position classiques (moyen-ne arithmétique, mode, médiane), des para-

21 Steinbring H. : op. cit. , p. 219.

22 Communauté françaide de Belgique, op. cit. 23 Communauté françaide de Belgique, op. cit.

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mètres de dispersion (écart-type et variance),ainsi que des séries bivariées avec la métho-de des moindres carrés et la notion de coeffi-cient de corrélation, les propriétés de base desprobabilités simples et conditionnelles, leséléments d’analyse combinatoire (sauf pourles mathématiques de base) et les conditionsd’application des lois probabilistes, à savoirla loi normale (pour les trois options), la loibinomiale (sauf pour les mathématiques de base)et la loi de Poisson (uniquement pour lesmathématiques pour scientifiques) ;

• calculer les notions introduites dans le pointprécédent, avec, en plus, la manipulation cor-recte des pourcentages ;

• appliquer, analyser, résoudre des pro-blèmes ;

• représenter , modéliser les séries statis-tiques univariées et bivariées ;

• démontrer quelques propriétés d’analyse com-binatoire (sauf pour les mathématiques de base),plus la formule du binôme de Newton (exclu-sivement pour les mathématiques pour scien-tifiques) ;

• résumer, organiser les savoirs, synthéti-ser, généraliser : notamment relier les notionsde probabilité et de fréquence, ainsi qu’exa-miner la pertinence d’une analyse statistiqueet de ses conclusions.

Si ces compétences sont certainementtrès pertinentes, on peut se demander si,actuellement, elles sont bien atteintes pourles élèves sortant de l’enseignement secon-daire. Pour le savoir, nous avons mené unevaste enquête auprès d’étudiants entrant àl’Université : ses résultats seront résumésci-après.

Quant à l’enseignement supérieur, à partpeut-être dans les études universitaires demathématiques où le côté formatif est pris enconsidération et où on cherche à établir les liensentre les théories statistiques, le calcul des pro-babilités et d’autres chapitres des mathéma-tiques (comme l’analyse avec la théorie de lamesure, par exemple), la statistique est sou-vent dispensée avec un objectif purement uti-litaire : les cours de statistique se veulentavant tout pragmatiques et insistent princi-palement sur des techniques souvent exploi-tées dans les applications de la discipline.

5. Les programmes

Les programmes officiels ont beaucoup évo-lué ces derniers temps, notamment en ce quiconcerne les chapitres de statistique et deprobabilités qui ont été introduits pour lapremière fois et de manière très timide en 1980.A l’heure actuelle, les programmes se pré-sentent comme il est indiqué dans les enca-drés qui suivent 24.

Tout récemment, de nouveaux programmesofficiels viennent d’être élaborés25 : ils seronttout à fait d’application à partir de 2002-2003. En ce qui concerne les chapitres de sta-tistique et de probabilités, les seules modifi-

24 Il s’agit d’un extrait des programmes officiels de la Com-munauté française de Belgique : programmes 7/5767 du 20mai 1997 et 7/5858 du 10 juin 1999 . Nous n’avons repris,en guise d’exemple, que les programmes dans les sectionscomportant un programme « fort » en mathématiques, les pro-grammes des autres sections étant fort semblables, avec lesmême compétences visées.

25 Programmes d’études du cours de Mathématiques, Ensei-gnement secondaire général et technique de transition, docu-ments n° 39/2000/240 et 40/2000/240, Ministère de la Com-munauté française de Belgique.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

En 3ème année :

Compétences à atteindre

1. Maîtriser le vocabulaire et les procédures de calcul nécessaire à l’élaboration de diffé-rents diagrammes et à la détermination des valeurs centrales.

2. Interpréter les valeurs centrales en fonction de la situation traitée.

3. Choisir la représentation la plus adéquate pour situation traitée.

4. Effectuer un dénombrement en utilisant un diagramme en arbre.

Tableau recensé, ordonné groupéEffectifs, fréquencesEffectifs cumulés, fréquences cumulées

Représentations graphiques

Mode, moyenne, médiane, quartiles

Organisation de dénombrement

On favorisera l’usage des calculatrices et desordinateurs. Dans un tableau groupé, onpourra se limiter à des classes de mêmeamplitude afin que dans l’histogramme, leshauteurs des rectangles soient proportion-nelles aux effectifs

On analysera des diagrammes en bâtonnets,des diagrammes circulaires, des histo-grammes. On en construira quelques-uns.On examinera les effets visuels induits : — lors du remplacement d’un diagrammeen bâtonnet par un diagramme figuratif à 2ou 3 dimensions— par le choix de l’origine des unités

Les significations de ces différentes valeurscentrales seront dégagées des situations trai-tées.On pourra se contenter de déterminer gra-phiquement la médiane et les quartiles d’untableau groupé à l’aide du polygone des effec-tifs cumulés.

Des exemples seront traités à l’aide de dia-grammes cartésiens ou en arbre. Ces moyenscommodes de visualisation permettent dedégager la règle de la somme et celle du pro-duit.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

En 4ème année :

Compétences à atteindre

1. Interpréter des tableaux statistiques en terme de probabilité.

2. Préciser la portée des valeurs centrales à la lumière des paramètres de disper-sion.

3. Préciser l’effet d’un changement d’origine, d’unité sur la moyenne et l’écart type.

Fréquence et probabilité

Paramètres de dispersion : étendue, écart interquartile, écart moyen quadratique ou variance, écart type.

Effet d’un changement d’origine, d’unité sur la moyenne, l’écart type

A partir d’exemples, on renforcera lesconnaissances acquises durant les 3 premièresannées. L’examen de tableaux statistiquesconduira à approcher empiriquement laprobabilité.

On montrera que les paramètres de dis-persion relativisent les paramètres de posi-tion. On insistera sur la mise en pratiqueet l’interprétation plutôt que sur la démarchethéorique.

Les formules peuvent être écrites en utilisantle signe de sommation S. Néanmoins, la mani-pulation de ce symbole dans les transfor-mations de formules n’est pas un objectif duprogramme.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

En 5ème année : cours à 6 périodes et à 4 périodes

Compétences à atteindre

1. Utiliser des tableaux statistiques, des diagrammes en arbre ou des partitions pour cal-culer des probabilités.

2. Reconnaître et utiliser l’indépendance d’événements.

3. Utiliser une calculatrice graphique ou un tableur pour déterminer une droite de régres-sion et le coefficient de corrélation correspondant.

4. Déterminer la pertinence des interprétations faites au vu d’un coefficient de corrélation.

Probabilité : définition, loi de la somme, loi du produit, probabilités conditionnelles, événements indépendants

Usage des moyens modernes de calcul : représentation de séries statistiques à 2 variables (nuage de points), point moyen du nuage.

Ajustement linéaire (affine) d’unnuage statistique : — par considérations graphiques— par la méthode des moindres carrés

La notion de probabilité introduite en 4èmeannée à partir des fréquences sera précisée enmontrant la tendance qu’ont celles-ci à sestabiliser lorsque le nombre d’expériences estgrand. On rencontrera des dénombrementset situations probabilistes conduisant à l’uti-lisation de partitions ou de diagrammes enarbre

L’étude théorique des dénombrements aumoyen des arrangements, combinaisons, per-mutations, ne figure pas au programme de5ème. Le but est de rencontrer des situationsà caractère aléatoire et de les traiter au moyendu calcul des probabilités.

Les résultats seront admis. Ils seront commentésen liaison avec la minimalisation de la sommedes carrés des écarts verticaux. On évaluerala pertinence de l’ajustement linéaire en cal-culant un coefficient de corrélation.

Les exercices seront traités dans un contexteet résolus en utilisant les fonctions statis-tiques d’une calculatrice ou d’un logiciel.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

En 6ème année : cours à 6 périodes

Compétences à atteindre

1. Identifier un groupement d’objets en terme d’arrangement, permutation, combinaison.2. Démontrer et appliquer les formules permettant de calculer une permutation, un arran-

gement, une combinaison.3. Démontrer et appliquer la formule de symétrie et la formule de Pascal.4. Ecrire les premières lignes du triangle de Pascal et les interpréter dans différents

contextes.5. Démontrer et utiliser la formule du binôme de Newton.6. Préciser la signification des termes : variable aléatoire, loi de probabilité, espérance mathé-

matique, variance et écart type d’une variable aléatoire.7. Résoudre des problèmes de probabilité en utilisant des dénombrements, une table, une

calculatrice ou un logiciel.8. Reconnaître des conditions d’application des lois de probabilité.9. Utiliser le calcul des probabilités pour comprendre la portée, analyser, critiquer des infor-

mations chiffrées.

Analyse combinatoire : arrangements et permutations, combinaisons.

Triangle de Pascal et binôme de Newton

Probabilités : notion de variable aléatoire, espérance mathématique, variance et écart type.Loi binomiale.

Au départ d’exemples de dénombrements ou de situa-tions probabilistes étudiées dans les années précé-dentes, on identifiera des situations de référence :arrangements avec et sans répétitions, permutationset combinaisons simples. On établira les formulescorrespondantes.Le recours aux arbres, aux diagrammes reste un outilde résolution ; il peut éclairer le choix d’une formule,voire s’y substituer

On établira les formules issues du triangle de Pascal :formule de symétrie, formule de Pascal. On démontrerala formule du binôme de Newton.

Les notions fondamentales seront dégagées au départd’expériences aléatoires discrètes ou, éventuellement,continues.On calculera l’espérance mathématique, la varianceet l’écart type dans le cas d’une loi binomiale.A partir de la loi binomiale, on rencontrera quelquesexemples suffisamment diversifiés conduisant à uneapproche de la loi normale et de la loi de Poisson. Ondégagera à cette occasion quelques conditions d’appli-cations de ces lois.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

cations par rapport aux programmes décritsci-dessus consistent en un autre étalement decet enseignement : la matière qui était vue en3ème et 4ème années sera désormais dis-pensée en 4ème année seulement ; de même,les matières qui étaient prévues dans lesdeux dernières années du secondaires seronttoutes données uniquement lors de la der-nière année. De la sorte, la statistique et lesprobabilités ne seront plus enseignées quesur deux années, et il n’y en aura plus dansle cycle inférieur26. Au surplus, cet apprentissagese fera de façon discontinue, puisqu’il ne seraplus prévu lors de l’avant-dernière année dusecondaire. Ainsi, le principe de l’enseignementen spirale, pourtant préconisé dans les direc-tives ministérielles, semble remis en cause pourcette partie de la matière !

6. Une enquête auprès d’étudiants

Afin de mieux appréhender la situationactuelle de l’enseignement de la statistique enCommunauté française de Belgique, plusieursmembres de l’IREM de Liège-Luxembourgont interrogé 657 étudiants qui venaientd’entrer dans l’enseignement post-secondai-re à l’Université de Liège, dans les facultés deMédecine et de Sciences Economiques, deGestion et de Sciences Sociales, ainsi qu’à laHEC (Haute Ecole de Commerce) de Liège 27. Il y avait 290 (44 %) de garçons et 367 (66 %)de filles, avec une moyenne d’âge de 18.4 ±0.88ans. Près de la moitié des étudiants (précisément,

49.4 %) étaient issus de l’enseignement offi-ciel, tandis que les autres provenaient duréseau libre 28.

Durant leur dernière année dans le secon-daire, le programme de mathématiques com-prenait 2 ou 3 périodes hebdomadaires29 pourseulement 3 % des étudiants interrogés, 4 ou5 périodes pour 37 %, et au moins 6 périodespour 60 %, avec même au moins 8 périodespour 14 %.

Parmi les étudiants sondés, 12 % décla-rent n’avoir jamais reçu des leçons en statis-tique durant leur scolarité. En ce qui concer-ne ceux qui ont reçu un enseignement destatistique, deux tiers (67 %) d’entre eux n’enont fait que pendant une année, 30 % pendant2 ans, 2 % pendant 3 ans et seulement 1 % pen-dant 4 années. Notre hypothèse selon laquel-le les programmes officiels ne sont pas toujoursrespectés en ce qui concerne la statistiqueest ainsi confirmée !

Environ 30 % des étudiants affirmentavoir peu ou pas d’intérêt pour les cours destatistique, 62 % les apprécient modérémentet 8 % énormément. Interrogés sur l’impor-tance que leur professeur de mathématiquessemblait, à leurs yeux, accorder à la statistiqueet aux probabilités, 37 % des étudiants répon-dent par «très faible ou nulle», 48 % par«modérée» et 15 % par «très grande», ce quiconfirme évidemment les résultats antérieurs.

26 L’équivalent du Collège en France.

27 Les résultats de cette enquête sont davantage détaillésdans la note «Statistical Literacy in Secondary Schools of theFrench Community of Belgium», rédigée par A. Albert en col-laboration avec J. Bair et G. Haesbroeck, parue dans le bul-letin B-Stat News, n° 23, September 2001, pp. 8-11, de la Socié-té Belge de Statistique.

28 En Communauté française de Belgique, le réseau librecomprend essentiellement les écoles catholiques. Les réseauxofficiel et libre sont pratiquement d’égale importance, desorte que notre échantillon était, de ce point de vue, fort repré-sentatif de la population estudiantine francophone belge.

29 Il s’agit de périodes de 50 minutes. Il est à noter que lesétudiants questionnés s’étaient inscrits dans des sections uni-versitaires où les mathématiques sont bien présentes : lesélèves du secondaire ayant opté pour un programme faibleen mathématiques choisissent souvent des études plus lit-téraires.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

Nous avions résumé la matière en sta-tistique et probabilités couverte par les pro-grammes officiels dans le secondaire par 20notions, à savoir la moyenne arithmétique(N1), la médiane (N2), le mode (N3), les quar-tiles (N4), l’histogramme (N5), le diagrammeen bâtons (N6), le diagramme cumulatif (N7),le tableau des fréquences (N8), la variance (N9),l’écart-type (N10), l’intervalle inter-quartile(N11), l’étendue (N12), la corrélation (N13),la droite de régression (N14), la probabilité d’unévénement (N15), l’analyse combinatoire(N16), la probabilité conditionnelle (N17), laloi binomiale (N18), la loi de Poisson (N19) etla loi normale (N20). A propos de chacun deces 20 notions, les étudiants devaient estimers’ils croyaient, oui ou non, pouvoir la définirsans trop de difficultés.

La distribution des scores (sur 20) des étu-diants possède notamment les caractéris-tiques suivantes :

moyenne arithmétique = 7.44,

écart-type = 4.19,

skewness = 0.59,

mode = 4,

médiane = 7,

intervalle inter-quartile = 6.

Par ailleurs, 80 % des étudiants pen-sent maîtriser les notions N1 et N16 ;seules 5 notions, à savoir N1, N2, N6, N15et N16, semblent être assimilées par plusde 60 % des élèves ; par contre, 8 notions,à savoir N4, N11, N12, N13, N14, N17,N19 et N20, sont inconnues par plus de80 % des personnes interrogées.

Nous avons constaté que les scores moyensdes étudiants ne sont pas corrélés avec le

sexe, l’âge ou le réseau fréquenté ; par contre,ils sont corrélés assez significativement avecdifférentes variables considérées :

• le programme de mathématiques choisi

dans le secondaire : 6.5 4.4, 6.8 3.8, 7.7

4.2 et 8.7 4.5 selon que le programmede mathématiques de la dernière année com-prenait respectivement 2-3, 4-5, 6-7 et aumoins 8 périodes par semaine ;

• le nombre d’années du secondaire pendantlesquelles des cours de statistique et de pro-babilités ont été dispensés : 7.0 ± 3.7, 9.5 ± 4.4,11.7 ± 3.1 et 13.3 ± 5.3 pour respectivement1 an, 2 ans, 3 ans et 4 ans ;

• l’avis sur les cours de statistique et de pro-babilités : 5.3 ± 3.1, 7.5 ± 4.0, 8.0 ± 3.9 et 10.7± 4.4 selon que l’étudiant n’apprécie pas dutout, apprécie un peu, modérément ou beau-coup cette matière ;

• l’importance (apparente pour l’élève)accordée par le professeur aux chapitres destatistique et de probabilités : 5.1 ± 4.2, 6.7± 3.6, 8.2 ± 4.1 et 9.8 ± 4.3 selon que le pro-fesseur semble accorder une importance trèsfaible, faible, moyenne ou énorme ;

• l’utilisation par le professeur d’un supportécrit pour enseigner la statistique : 8.2 ± 4.2contre 7.3 ± 4.0 ;

• le fait que l’étudiant trouve les chapitresde statistique et de probabilités plus facilesque les autres parties du cours de mathéma-tiques : 9.0 ± 4.2 contre 7.4 ± 4.0.

Signalons enfin que, parmi les élèvesinterrogés, 30 % seulement affirment avoir uti-lisé la statistique dans un autre cours que celui

±± ±±

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

de mathématiques, surtout en géographie,en biologie et en économie.

7. En guise de conclusion

Malgré les résultats peu encourageantsde notre enquête ainsi que la dernière réfor-me des programmes belges en ce qui concer-ne la statistique et les probabilités, nous pen-sons que, tôt ou tard, cet enseignement sedéveloppera davantage et plus harmonieu-sement, ne serait-ce qu’en raison des besoinsréels en statistique rencontrés dans la pratique,de l’aspect formatif de cette discipline d’un pointde vue intellectuel , de l’utilisation de plus enplus répandue dans les classes de l’outil infor-matique et de ce qui se passe dans les paysvoisins où l’enseignement de la statistiqueest souvent plus poussé que dans notre région(voir, par exemple 30 , 31 et 32 ).

Dans cette perspective, il nous semblejudicieux d’indiquer, pêle-même mais demanière non exhaustive et probablement sub-jective, quelques pistes qui pourraient être sui-vies pour garantir une meilleure formation enstatistique de nos élèves.

• La notion d’aléatoire est très délicate etdifficile à bien saisir par les élèves qui sontplus entraînés, dans leur formation scolaireet spécialement lors de leurs cours de mathé-

matiques, à considérer des situations pure-ment déterministes. C’est pourquoi, il noussemble important d’initier au plus tôt lesjeunes enfants aux notions de hasard, de pro-babilités et de risque ; cela doit se faire pro-gressivement par référence à de multiplesexemples issus du vécu de l’élève ; on pourraégalement exploiter les ordinateurs poursimuler des expériences.

• Préciser de manière rigoureuse le voca-bulaire utilisé en statistique : par exemple, nepas donner des définitions vagues et impré-cises, insister sur la distinction entre lesvariables continues ou discrètes, …

• Insister sur la notion d’échelle dans les gra-phiques et montrer, sur des exemples concrets,que des graphiques peuvent induire en erreur.

• Mettre en évidence les avantages et incon-vénients des différents paramètres statis-tiques introduits, tout en signalant qu’il en exis-te d’autres. Par exemple, il ne suffit pas dedonner la formule permettant le calcul de lamoyenne arithmétique, mais il convient de mon-trer sur des exemples que ce paramètre estpeu robuste, que d’autres moyennes (harmo-nique, géométrique, …) peuvent s’avérer pluspertinentes, …

• Présenter les diagrammes en « tiges etfeuilles », ainsi que les boîtes à moustache deTuckey33, car ces outils sont peu sophistiquéset permettent une étude fine et critique, appe-lée analyse exploratoire des données.

• Insister sur les liens entre les fréquencesstatistiques et la notion de probabilité. Parexemple, il serait intéressant de prouver

30 Etudes sur l’enseignement des mathématiques, volume7, L’enseignement de la Statistique, Editions Unesco, 1994.

31 Enseigner les probabilités au lycée, ouvertures statis-tiques, enjeux épistémologiques, questions didactiques et idéesd’activités, Commission inter-IREM Statistique et probabili-tés.

32 L’enseignement des probabilités au collège et au lycée :exemples européens et propositions, IREM de Lorraine,2001.

33 Tuckey J. : Exploratory Data Analysis, Addison Wesley,Reading, MA 1977.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

l’inégalité de Tchebycheff pour introduire cer-tains aspects de la statistique inférentielle. Ilne nous paraît pas utile, dans un premiertemps, d’avancer trop loin dans la théoriedes probabilités sans en voir l’exploitationdans la théorie statistique de l’échantillonnage ;par exemple, pourquoi présenter la loi normalede manière intuitive (car on ne dispose pas desoutils mathématiques nécessaires à une étuderigoureuse) sans évoquer le problème de l’esti-mation d’un paramètre d’une population àpartir de résultats sur des échantillons ?

• Dans une première approche, la théoriede l’ajustement (linéaire) des séries doublespourrait rester intuitif (par exemple, en secontentant de la droite de Meyer). Il noussemble peu opportun de présenter « froidement »l’équation de la droite des moindres carrés sansaucune démonstration théorique, alors que cettedernière peut être établie de façon vraimentélémentaire (en ne recourant qu’à des opérationsarithmétiques sur des nombres réels) ; si,toutefois, cette matière subsiste au programme,il faudrait à tout le moins montrer sur desexemples concrets le manque de robustesse decet ajustement.

• Rendre avant tout les cours de statis-tiques vivants et très proches des élèves,grâce à l’examen de nombreux exemplesconcrets rencontrés dans la vie quotidienne.Ainsi, à l’instar de Swift 34, on peut préconi-ser l’utilisation en classe de coupures de pres-se, à la fois comme mode d’initiation à l’inter-prétation quotidienne des statistiques et poury puiser des problèmes conduisant à une inves-tigation statistique plus approfondie. Le recoursà des méthodes exploratoires d’examen et

d’analyse des données statistiques nous per-mettra peut-être d’apprendre à tous les futursadultes à jouer pleinement leur rôle dans le pro-cessus de décision individuelle et collective. Apartir de documents récoltés dans la presse,proposer aux élèves des travaux personnelssur l’application de la matière enseignée.

• Prévoir davantage de modules consacrésà la didactique spécifique de la statistique dansla formation des futurs enseignants (dans lesprogrammes du régendat et de l’agrégation del’enseignement secondaire supérieur). Dansle même ordre d’idées, organiser régulièrement,en formation continuée, des recyclages en sta-tistique pour professeurs en activité : parexemple, des séances consacrées à une intro-duction à l’AED (analyse exploratoire desdonnées) ou à l’exploitation des moyensmodernes de calculs au service de la statis-tique s’avéreraient utiles pour de nombreuxprofesseurs actuellement en fonction.

• Pour que l’enseignement de la statistiqueet des probabilités soit fructueux, il est abso-lument nécessaire d’y consacrer le temps suf-fisant et de le débuter très tôt de manière àce que toutes les notions puissent être assi-milées en profondeur. Dès lors, il convien-drait soit d’augmenter le nombre d’heures demathématiques, soit d’alléger le programmeactuel en réduisant certaines matières clas-siques.

34 Swift J. : The vitality of statistics, dans Proceedings of theFourth International Congress on Mathematical Education,par Zweng M. et al., Boston, Birkhauser, 1983.

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SUR L’ENSEIGNEMENTDE LA STATISTIQUE

Remerciements

Nous tenons à remercier sincèrement lesmembres du Groupe de Recherches « Statis-tiques & Probabilités » de l’Irem de Liège –Luxembourg, sans l’aide et l’appui desquelsce texte n’existerait pas. En particulier, nousadressons un tout grand merci à A. Albert, A.Coolen, J.C. Delagardelle, J.J. Haesbroeck, R.Marquet et M. Solhosse qui nous ont encou-ragés par leurs suggestions et avis pertinents. Nos collègues A. Albert, L. Esch et J. Navezont accepté de présenter notre enquête à leursétudiants. A. Albert et P. Dagnelie nous ontfait part de leur grande expérience pour mieuxrédiger notre questionnaire. A. Albert et L. Sei-

del nous ont très efficacement secondés dansle dépouillement des formulaires.

Coordonnées des auteurs :

BAIR J. : Université de Liège, Faculté d’Eco-nomie, de Gestion et des Sciences Sociales, 7Boulevard du Rectorat, Bât. B31, 4000 Liège(Belgique) ; Tél. (+) 32 4 366 30 18 ; E-mail :[email protected].

HAESBROECK G. : Université de Liège,Faculté des Sciences, Institut de Mathéma-tique, Grande Traverse, Bât. B37, 4000 Liège(Belgique) ; Tél. (+) 32 4 366 95 94 ; E-mail :[email protected].