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du 31/10 au 6/11/2013 - N° 1453 - RéAlités - 11 REPORTAGE Actuel A u pied d’une colline, le poste de la garde nationale est une cible facile en plein champ de tir. Et alors qu’il est exposé, en face, aucune visibilité, les arbres cachant tout ombre mouvante. L’intérieur est tout simplement chao- tique ; vieux bâtiment mal entretenu, humidité et moisissures sur les murs et pas d’équipements sanitaires dignes de ce nom. Ici, on contracte facilement une maladie infectieuse ou respiratoire même si on a échappé à une balle. L’eau leur parvient dans des citernes et les jours de neige, ils sont livrés à eux-mêmes. Nous prenons une route étroite arpentant la montagne. Elle ne laisse passer qu’une seule voiture à la fois, entourée de forêts Sur les pas de nos anges gardiens Reportage aux frontières La Tunisie ne cesse de compter ses morts dans les rangs des forces de l’ordre. Banalisées, voi- re justifiées, au lendemain de la Révolution, les attaques à leur encontre, nourries par la colère populaire, cèdent la place à des agressions cri- minelles et planifiées. Aujourd’hui, elles font partie d’un plan terroriste visant à mettre le pays à genoux. Mais quelles sont les raisons d’une pareille vul- nérabilité ? Le système sécuritaire a été presque sans faille durant des décennies, le ter- rorisme a été pour le Tunisie, jusqu’à il y a peu, une matière médiatique rare. Et pourtant des drames se multiplient: comman- dos égorgés, agents tués, embuscades, attaques terroristes (…) rythment aujourd’hui notre vie. Il y a deux semaines, le drame de Goubellat faisait la Une de l’actualité, quelques jours à peine, le massacre de Sidi Ali Ben Aoun, venait attirer l’attention et nourrissait l’indigna- tion des Tunisiens. Plusieurs postes frontaliers ont également été attaqués, des morts et des blessés sont tom- bés. Pis encore, le même poste peut être assailli plus d’une fois en l’espace de quelques jours comme cela a été le cas pour celui de Milla, poste frontalier à Ghardimaou, sans que des mesures spéciales ne semblent avoir été prises. Reportage. La patrouille exposée aux tirs

Sur les pas de nos anges gardiens

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Page 1: Sur les pas de nos anges gardiens

du 31/10 au 6/11/2013 - N° 1453 - RéAlités - 11

REPORTAGE Actuel

Au pied d’une colline, le poste dela garde nationale est une ciblefacile en plein champ de tir. Et

alors qu’il est exposé, en face, aucunevisibilité, les arbres cachant tout ombremouvante.

L’intérieur est tout simplement chao-tique  ; vieux bâtiment mal entretenu,humidité et moisissures sur les murs etpas d’équipements sanitaires dignes de cenom. Ici, on contracte facilement unemaladie infectieuse ou respiratoire même

si on a échappé à une balle. L’eau leurparvient dans des citernes et les jours deneige, ils sont livrés à eux-mêmes. Nous prenons une route étroite arpentantla montagne. Elle ne laisse passer qu’uneseule voiture à la fois, entourée de forêts

Sur les pas

de nos anges gardiens

Reportage aux frontières

La Tunisie ne cesse de compter ses morts dans

les rangs des forces de l’ordre. Banalisées, voi-

re justifiées, au lendemain de la Révolution, les

attaques à leur encontre, nourries par la colère

populaire, cèdent la place à des agressions cri-

minelles et planifiées. Aujourd’hui, elles font

partie d’un plan terroriste visant à mettre le

pays à genoux.

Mais quelles sont les raisons d’une pareille vul-

nérabilité ? Le système sécuritaire a été

presque sans faille durant des décennies, le ter-

rorisme a été pour le Tunisie, jusqu’à il y a peu,

une matière médiatique rare.

Et pourtant des drames se multiplient: comman-

dos égorgés, agents tués, embuscades,

attaques terroristes (…) rythment aujourd’hui

notre vie. Il y a deux semaines, le drame de

Goubellat faisait la Une de l’actualité, quelques

jours à peine, le massacre de Sidi Ali Ben Aoun,

venait attirer l’attention et nourrissait l’indigna-

tion des Tunisiens.

Plusieurs postes frontaliers ont également été

attaqués, des morts et des blessés sont tom-

bés. Pis encore, le même poste peut être

assailli plus d’une fois en l’espace de quelques

jours comme cela a été le cas pour celui de

Milla, poste frontalier à Ghardimaou, sans que

des mesures spéciales ne semblent avoir été

prises.

Reportage.

La patrouille exposée aux tirs

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Actuel

➥ touffues, bordées par des falaises, jus-qu’au dernier point des frontières : le pos-te frontalier de Milla qui est à quelquesmètres de l’Algérie. Tous les passagersportent des gilets pare-balles, les mon-tagnes étant dorénavant peuplées de ter-roristes. Pourtant, dans les passages où iln’y est pas plus facile que d’organiserune embuscade, aucune disposition n’aété prise, ne serait-ce que d’abattrequelques arbres pour une meilleure visi-bilité et un passage facilité. On arrive au poste frontalier de la Gardenationale «Milla». Attaqué deux fois déjàdepuis peu, rien hormis l’impact de ballessur les murs, ne laisse voir cela. La sécu-rité n’y a pas été renforcée. Les grillagesl’entourant sont éventrés, il va de soiqu’ils ne sont pas électrifiés, les agentssur place sont peu nombreux, le bâtiment,d’une hauteur moyenne alors qu’en faceles collines abondantes et dominantes lesurplombent, aucun aménagement parti-culier pour protéger ses différents côtés,les uns donnant sur l’Algérie, d’où estvenue la première attaque, les autres surla montagne, depuis laquelle on leur a tirédessus la seconde fois. L’adjudantHaithem Ayari, âgé de 26 ans et présent lesoir de l’attaque, témoigne. «Nous

sommes allés comme d’habitude à nos

postes, en garde à vue, nous nous sommes

défendus comme on le pouvait avec les

équipements dont on dispose. Cela aurait

pu finir par un vol d’armes ou par des

morts, mais nous avons pu y faire face».

Moncef Jouini, membre de l’Union natio-nale des syndicats de la sécurité tunisien-ne insiste, quant à lui, sur l’iniquité sala-riale entre les agents de la Garde nationa-le et l’armée, les premiers étant sous-payés, pourtant exposés au même dangerque leurs collègues soldats… Un agent

s’avance et nous dit “vous savez, ils sont

probablement en train de nous guetter en

ce moment même  ! ils nous voient sans

qu’on puisse le faire”

Ainsi, seuls le courage et la bonne forma-tion avaient permis aux agents de laGarde nationale de protéger leurs vies etleurs armes lors des deux attaques, niconditions favorables, ni équipement per-formants, ni aviation, ni même motiva-tion salariale, ne leur sont offerts… Àquelques kilomètres de leur poste, celuides agents algériens s’étend sur une gran-de distance et regroupe 80 agents.À une période où les terroristes ont éludomicile dans nos montagnes, les équipe-ments et l’aménagement sont tout aussiimportants que la formation. Le regrou-pement d’unités qui sont éparpillées enpetit nombre et donc vulnérables s’impo-se. En attendant, les agents de sécurité dedifférents corps attendent la décisionpolitique, qui, au début tardait à tomberen pleine attaque, mais qui tarde toujours

à tomber aujourd’hui dans la préventiond’agression. «Il faut réviser les salaires et

les conditions dans lesquelles ils tra-

vaillent et revoir la partition des unités

sur les frontières» conclut M. SahbiJouini, porte paroles de l’UNSST. Avant de quitter le poste, les agents de lagarde nous interpellent, «malgré tout,

nous serons là, à protéger notre patrie et

notre peuple, à nous sacrifier pour eux.

Nous serons un rempart contre le terro-

risme et tout danger.»

Leurs voix se sont élevées en chœur,déchirant le silence des forêts, scandantl’hymne national, spontanément, volon-tairement… «Vive la patrie  !» finissent-ils par crier

Failles techniquesL’affaissement du système sécuritaire acommencé au lendemain de laRévolution. Un vide sécuritaire a eu lieu,limogeages de cadres, dissolution d’uni-tés spécialisées dans la sécurité de l’État.À nos frontières, la Révolution libyennefaisait rage, les armes circulaient entre lesdeux pays et des cellules terroristes ontpu s’introduire dans notre pays et s’y ins-taller. C’est seulement un an après,qu’elles furent découvertes, en attendant,elles ont eu tout le temps requis pour ins-taller le réseau logistique et élaborer desplans d’attaque. Quant aux mines quiexplosent de temps à autre et qui susci-tent l’étonnement de la population qui estsurprise qu’on ne les détecte pas à temps,elles sont fabriquées à l’ammonitrate etposées dans des flacons en plastique.Elles ne sont donc pas détectables avecles détecteurs fabriqués pour les détona-teurs chimiques et non pour les matières

Les frontières algériennes, d'où a été menée la première attaque contre le poste de Milla

Colline d'où a été menée la deuxième attaque

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REPORTAGE Actuel

qu’utilisent les terroristes. Les chienssont entrainés à sentir la poudre et laTNT, les mines sont alors fabriquées avecdes matières que ni le matériel ni leschiens ne peuvent découvrir. En outre,elles sont enterrées à 10 et 15 cm sous lesol et sont bien camouflées. Notons également l’apport de la contre-bande qui constitue les deux facettesd’une seule pièce avec le terrorisme etvont de pair. Il existe un contrat moralimpossible à rompre entre les deux. Lescontrebandiers fournissent la logistique,les vivres et les munitions en échange dela protection des terroristes. Cette colla-boration s’étend aujourd’hui chez nousde Tabarka à Gafsa et sans un plan de lut-te contre la contrebande, il est difficile devaincre le terrorisme. Le vide existant sur les côtes, n’est égale-ment pas à négliger. Il facilite l’arrivée deterroristes et d’armes tout comme, il apermis l’immigration clandestine de mil-liers de personnes. Pour finir, on ne peut nier que le manquede volonté et de décision politiques, a étéfatal et qu’il est responsable de la propa-gation et de l’installation de cellules ter-

roristes. Le phénomène aurait dû êtrestoppé dès les premiers discours de haineprononcés et qui sont par ailleurs restésimpunis.

Cadre juridique et socialLes agents de la sécurité nationale ne sontpas couverts par une réelle protectionjuridique. Ainsi, leurs blessures ou mêmeassassinats, n’entrent pas dans les acci-dents de travail. Ils y sont même excluspar un texte de loi, sauf pour les forces desécurité intérieure. Ils n’ont alors pasdroit à des compensations. En cas de décès, la famille obtient 500 ou600 dinars comme prime d’enterrementet 12000 comme compensation. En casde fracture handicapante, l’agent part à laretraite anticipée non causée par un acci-dent de travail. Le salaire d’un agent desécurité nationale célibataire est automa-tiquement suspendu à sa mort. Si l’agentest marié, mais n’a pas d’enfant, sa veuveperçoit 60 à 70% du salaire, le pourcenta-ge est de 70 à 80% pour les pères, seule-ment on parle ici du brut et non du net. Siun agent de sécurité jouit d’un habitatsocial, sa famille se retrouve sans loge-

ment à son décès. La prime de risque queles autorités disent avoir augmentée de100 dinars ne l’a été que de 54. Les agents aux postes frontaliers ne jouis-sent ni de primes de spécialités ni deprimes frontalières. Leur seul avantageest de 10 dinars supplémentaires tous lesmois en contrepartie de 5 ans passéesretranchés. Alors qu’il faut de toute urgence activerla loi antiterroriste, tout en réformant cequi toucherait aux Droits de l’Homme,aucune décision politique ne vient dansce sens. Aucune loi ne protège l’agentparticipant à des opérations antiterroristeset à titre d’exemple, ceux qui ont partici-pé à la descente de Douar Hicher ayantcausé la mort de l’épouse d’un présuméterroriste, sont actuellement poursuivispour meurtre. L’Administration a présenté au gouverne-ment un programme contenant dix pointsse rapportant aux volets juridique, logis-tique et concernant l’équipement, elleattend toujours une réponse. En attendant,les hommes tombent dans notre pays…

Hajer Ajroudi

Grillage éventré du poste de Milla