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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT HISTOIRE, MéMOIRE ET ARCHéOLOGIE DU FRONT D’ORIENT EN MACéDOINE 1916-1918 Projet pédagogique et archéologique conjoint Lycée professionnel Jean Mermoz de Vire Lycée Jozip Broz Tito de Bitola MÉMOIRE POUR LA VIE ISBN : 978-2-9542034-16 Eric Allart, Pierre Bénabid, Emmanuel Leplumey, Pascale Lerest, Yann Thomas, Sophie Quévillon, Iljo Trajkovski.

Sur les traces des Poilus d’Orient Histoire, mémoire et archéologie du Front d’Orient en Macédoine 1916-1918

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Projet pédagogique et archéologique conjoint Lycée professionnel Jean Mermoz de Vire Lycée Jozip Broz Tito de Bitola

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Page 1: Sur les traces des Poilus d’Orient Histoire, mémoire et archéologie du Front d’Orient en Macédoine 1916-1918

Sur leS traceS deS PoiluS d’orient

Histoire, mémoire et arcHéologie du Front d’orient en macédoine

1916-1918

Projet pédagogique et archéologique conjoint Lycée professionnel Jean Mermoz de Vire

Lycée Jozip Broz Tito de Bitola

MéMoire pour la VieiSBN : 978-2-9542034-16

eric allart, Pierre Bénabid, emmanuel leplumey, Pascale lerest, Yann thomas, sophie Quévillon,

iljo trajkovski.

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SommairepréSeNTaTioN i [5]

leS MoYeNS MiS eN oeuVre ii [7]

1 - la MaCéDoiNe [10]

2- l’arMée FraNÇaiSe D’orieNT eN MaCéDoiNe [16]

3- MeGleNCi [22]

4- CaNiSTe [62]

5- CoNCluSioN [80]

BiBlioGrapHie iii [54]

Auteurs de la publication : eric allart, pierre Bénabid, emmanuel leplumey, pascale lerest, Yann Thomas, Sophie Quévillon, iljo Trajkovski.

avec l’aimable autorisation de rémy coeurdevey, «carnet de guerre du médecin militaire marcel Bolotte» pour la repodruction des photos des campements près de la route d’iven p.46.remerciment à la famille du soldat Valentin d’avoir autorisés à utiliser l’oeuvre de leur aïeul p. 55.

Credits photographiques :

collection de Yann thomas : p. 13, 14, double page front monastir, 42, double page la vie au front par l’image, 65 (309 ri), 74 (nieuport 24).collection de l’équipe enseignante : p. 23, 25, images double page complexe troglodyte 7, 28, 50, 52, 53, 55, 56, 58, double page corpus du matériel (...), 64, 65, 70, 71, 72, 75, 77.images google earth : p. 51, 78.nolwenn Zaour : conversion des plans en dessin vectoriel srtucture 7 p. 24 et double page complexe troglodyte et coupes des abris à chambre unique double page plan et profils(...).

Conception graphique : Bénédicte Dubois ([email protected])

MéMoire pour la VieiSBN : 978-2-9542034-16

dépot légal : 2012

Tous droit réservés pour tous pays.

il est strictement interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de repro-duire (notamment par potocopie ou numérisation) partiellement ou totalement

le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le com-muniquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

imprimé en France par Schuller Graphicwww.schuller-graphic.com

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i[Objectifs de la mission]

Dans le cadre de la coopération décentralisée initiée par la région Basse-Normandie avec le concours de l’académie de Caen, une équipe d’enseignants du lycée Mermoz de Vire, appuyés par deux scientifiques, ont eu l’initiative de développer un projet de prospection archéologique non intrusif, associant des lycéens français et macédoniens sur le thème de la première Guerre mondiale en Macédoine.

Ce travail a été prévu pour se dérouler en plusieurs phases. a chaque fois l’objectif était double : pédagogique et scientifique. antérieure aux phases de terrain, s’est déroulée une phase pédagogique de travail documentaire à partir de correspondance et de journaux intimes de poilus d’orient replacés dans leur contexte historique.

À eu lieu ensuite une phase de reconnaissance sur le terrain destinée à discriminer les sites potentiels et à nouer les contacts institutionnels et personnels nécessaires à la réalisation du projet. Cette phase réalisée du 20 au 25 mars 2009 devait répondre à des questions d’ordre administratif, de sécurité, de logistique et de pertinence scientifique.

enfin la dernière phase, initialement prévue en mai 2009, a concerné la mise en œuvre concrète de la phase de terrain en associant des lycéens des deux nations encadrés par leurs enseignants et l’équipe scientifique.

Cette dernière s’est déroulée du 25 avril au 2 mai 2010. ont participé à sa réalisation 15 élèves français, 15 élèves macédoniens, 4 professeurs français, 2 professeurs macédoniens, le commandant des sapeurs pompiers de Bitola et un interprète. une prospection pédestre de surface a été effectuée sur le territoire de la commune de Novaci sur les cotes 809 et 1050 ainsi que dans le hameau de Meglenci. il en a été de même dans le village de Caniste et sur le mont Kurbaba. Des relevés archéologiques du bâti ont concerné les ouvrages fortifiés de la cote 809 qui avaient été reconnus en avril 2009. une enquête orale bilingue complémentaire a été réalisée conjointement sur l’ensemble des sites visités dans le cadre de la thématique du Front d’orient.

[Finalités]

Nous souhaitions produire un rapport d’évaluation archéologique sur le Front d’orient en 1916-1918.Si quelques ouvrages macédoniens récents attestent l’intérêt de la recherche historique sur le Front d’orient1, la somme de publications savantes récentes sur ce thème reste très limitée. en France l‘ouvrage de référence de 1998 sur les poilus d’orient par pierre Miquel est à notre connaissance la seule synthèse récente existante sur la question avec le mémoire de thèse présenté par Francine Saint-ramond-roussane en 19972 sous la direction du doyen Guy pedroncini.

PréSentation

1/ aleksandar stojcev, dojran 1915-1918 (military operations dojran posi-tions - on the macedonian front 1915-1918. institute for national history, skopje. 2007.

gorgi tankovski -lilin & nikola minovski, Bitola and its vicinity during the balkan wars and the first world war 1912 - 1918. macedonian science society. Bitola. 2009

2/Francine saint - ra-mond - roussane, la cam-pagne d’orient 1915-1918 dradanelles - macédoine d’après les témoignage des combattants, des premiers départs vers les darda-nelles fin février 1915 à l’armistice bulgare du 29 septembre 1918. université Paris i - sorbonne.

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iileS moYenS miS en œuVre [Le montage financier]

il résulte d’un partenariat associant les entités administratives et culturelles suivantes :

- région Basse Normandie - Ministère de l’éducation Nationale. - Ministère de la Défense (direction du Patrimoine, de la mémoire et des archives). - Fédération Nationale andré Maginot. - association mémoire pour la Vie. - Municipalité de Vire - lycée professionnel Jean Mermoz - Familles des élèves.

le transport aérien a été effectué de roissy à Skopje via prague et par minibus une fois sur place. le logement des élèves virois a été assuré par les familles de leurs correspondants bitoliens. les enseignants et chercheurs bénéficiaient de l’hôtel au cœur de Bitola. les repas du matin et du soir étaient pris dans les familles, le midi sur le terrain sous la forme de casse-croûtes fournis par un traiteur de Bitola. enfin la sécurité était assurée par l’expertise de monsieur Kostadin popovski, partie prenante de la délimitation des zones sécurisées et accessibles pendant la phase préparatoire antérieure à l’expédition sur sites. Monsieur popovski était présent avec nous à Novaci sur les cotes 809 et 1050 ainsi que lors de la rencontre avec les habitants du hameau de Meglenci.

[Le cadre institutionnel]

pour l’education nationale. en 2008, Marilène Noël, inspectrice de lettres Histoire de l’académie de Caen a organisé la mise en relation d’un réseau d’établissements bas-normands pour travailler sur le thème de la mémoire dans le cadre de l’association type loi 1901 « Mémoire pour la Vie ». en répondant à un appel émis par le service de la Coopération décentralisée du Conseil régional de Basse-Normandie, plusieurs professeurs de lycées professionnels de l’académie ont soumis des projets qui avaient pour thème commun l’étude du premier conflit mondial en république de Macédoine. Madame Sabine Guichet-lebailly chargée de la Coopération décentralisée avec la Macédoine a été notre interlocuteur avec le Conseil régional de Basse-Normandie. la mise en place d’un partenariat entre le lycée professionnel Jean Mermoz et le Gymnasium Josip Broz Tito s’est formalisée en octobre 2009 par une rencontre entre monsieur Jacques Sesboüé, proviseur et monsieur Cyril pecalev principal. la coordination pédagogique et le suivi ont été assurés par monsieur iljo Trajkovski, professeur d’histoire au lycée Tito de Bitola et les enseignants du lycée Jean Mermoz. le détachement de Sophie Quévillon, ingénieure de recherche du Service régional de l’archéologie, (Direction régionale des affaires Culturelles de Basse- Normandie) a été soutenu par François Fichet de Clairfontaine, Conservateur régional de l’archéologie.

le projet d’étudier in situ les traces matérielles et mémorielles du conflit était à notre connaissance inédit. l’approche archéologique du premier conflit mondial en France (prilaux et alii) nous a incités à tester le potentiel local vis-à-vis des résultats produits pour le front occidental afin d’en dégager les similitudes et les spécificités. l’ensemble de ces démarches répondent localement à l’intérêt de la municipalité de Novaci pour documenter un futur projet d’itinéraire touristique et culturel. Conférence avec le maire lazare Kotevski. enfin la mémoire du premier conflit mondial, très vive en France à quelques années de la commémoration du centenaire, souffre toujours d’un déficit de reconnaissance concernant un théâtre d’opération extérieur aujourd’hui encore au cœur d’enjeux géopolitiques majeurs dans la construction de l’unification politique du territoire européen.

PRÉSENTATION

1000 km

100 km

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l’accès aux archives du Service Historique de la Défense au château de Vincennes nous a été grandement facilité par la disponibilité et la diligence de l’a/C philippe lafargues.

en Macédoine, aleksander Stojcev, directeur du Musée de l’armée de Macédoine, Historien spécialiste du Front d’orient nous a soutenu pendant toutes les étapes de préparation et de réalisation du projet. l’ambassade de France en Macédoine, en particulier Monsieur Johann uhres et Monsieur paul Souligoux, attaché de coopération pour l’enseignement du Français à l’ambassade de France à Skopje, ont suivi le projet depuis ses balbutiements et ont favorisé l’inscription de celui-ci dans un cadre réglementaire institutionnel complexe.

enfin rien n’aurait été possible au niveau logistique sans l’implication de l’alliance Française de Bitola et le travail de sa directrice, Marie Vatelot-Gémin, son mari Samuel Gémin et la lectrice de Français Coralie achard.les municipalités de Vire, Bitola, et Novaci ont contribué au financement et à la mise en œuvre opérationnelle du projet,

MIS EN OEUVRE

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

[Contexte et cadre géographique]

la république de Macédoine a proclamé son indépendance en 1991, lors de la désintégration de l’ancienne république fédérale socialiste de Yougoslavie.

en raison notamment d’un litige avec la Grèce portant sur son nom («macédoine») et sur son drapeau, sa reconnaissance internationale a été retardée jusqu’en 1993. À la suite d’un compromis avec la Grèce, le nom officiel de la Macédoine est devenu le suivant : la FYROM, c’est-à-dire «Former Yougoslavia republic of Macedonia». autrement dit en français : arYM, «ancienne république yougoslave de Macédoine» ou encore ex-république yougoslave de Macédoine.

l’arYM est admise à l’oNu (résolution 817/93) en avril 1993, sous le nom provisoire d’ «ancienne république Yougoslave de Macédoine». C’est encore le nom officiel de cet etat. Cependant, pour des raisons de clarté et lisibilité, les noms de Macédoine ou république de Macédoine seront utilisés pour parler, qualifier l’ex république Yougoslave de Macédoine dans cette publication. il ne s’agit en aucun cas d’alimenter une polémique qui l’oppose à son voisin grec ou encore de prendre parti en faveur d’un des protagonistes à propos de la justesse du nom retenu.

[Un pays de contrastes]

la Macédoine est un petit etat de 25 333 kilomètres carrés, soit un territoire à peine grand comme la Normandie. Ce pays, qui était une des anciennes régions de la Yougoslavie, est enclavé au cœur des Balkans comme le montre la carte ci-dessous. C’est aussi un état peu peuplé à l’échelle européenne car il compte un peu plus de deux millions d’habitants (2 066 718 habitants en 2010). il faut rappeler aussi que la Macédoine est une mosaïque d’identités culturelles et ethniques dans laquelle deux groupes ethniques dominent : les Slaves et les albanais.

la population macédonienne est urbaine à 59 % ce qui est en deçà de la moyenne française ou européenne. les contrastes sont nombreux entre des villes tumultueuses et des campagnes vides et des villages de montagne abandonnés. la dualité et les contrastes urbains existent aussi entre des centres-villes modernes qui se juxtaposent à cœurs historiques anciens où les traces de l’occupation ottomane dominent (souk, mosquée, caravansérail et vieilles maisons des XViiie et XiXe siècles).

[L’espace macédonien et ses principales grandes villes]

Skopje est la capitale et compte à elle seule, près du quart de la population macédonienne (550 000). par son poids démographique, elle domine largement les autres villes. Kumanovo, Bitola, prilep, Tetovo, Gostivar, ohrid constituent les autres grands pôles urbains de la région. Nos recherches se sont déroulées à proximité de Bitola, troisième plus grande

1la macédoine

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

pentes sont boisées et les plateaux sont constitués de prairies herbeuses destinées aux pâturages des ovins. en revanche, les plaines sont dévolues à la polyculture (céréales, légumineuses, tabac...). on remarque encore en 2010 les conséquences du passage d’une économie planifiée coopérative autogestionnaire au capitalisme. l’émergence d’un modèle de consommation de masse de type occidental est tempéré par un faible niveau de vie et des déficits infrastructurels. Ce contexte économique aboutit à la permanence d’archaïsmes dans les pratiques agricoles en parallèle avec des modes de production modernisés. la plaine de la pelagonia où s’est déroulée une partie de notre étude a connu de profonds changements dans son hydrographie depuis 1917. par exemple, les marais insalubres décrits par les acteurs de la première Guerre mondiale ont été drainés et mis en valeur par le régime socialiste après la Seconde Guerre mondiale. le climat y est très chaud l’été et très froid l’hiver avec un bref printemps d’une à deux semaines.

agglomération du pays avec près de 100 000 habitants.

[Un pays de plaines et de montagnes]

la Macédoine est pays très montagneux. les montagnes occupent près de la moitié du territoire.

Ce sont des espaces «vides» peu peuplés. le point culminant de Macédoine est le Golem Korab, haut de 2 753 m, situé à la frontière albanaise dans le nord-ouest du pays. De nombreux sommets pointent à plus de 2 000 m. le pélister, le sommet massif montagneux du Baba qui domine Bitola, s’élève à 2 601 m, le Kamajkalan est le deuxième sommet de ce secteur, son sommet culmine aussi à plus de 2 528 m.

Ce qui frappe en Macédoine ce sont les contrastes de relief. en l’absence de piémont, on passe d’un paysage de plaine à un escarpement abrupt sur moins d’un kilomètre. Ceci s’explique par le passé géologique et sismique. en effet, le pays est sur la zone de rencontre des plaques eurasienne et africaine. C’est donc un enchaînement de plaines et de massifs montagneux puisque le pays est entrecoupé de bassins d’effondrement et de blocs soulevés (horst). il résulte de cette situation géologique une activité sismique importante. les tremblements de terre sont fréquents dans ce pays. en 1963, un terrible tremblement de terre a détruit une grande partie de la capitale. les nombreux reliefs sont en grande partie boisés faisant ainsi de la Macédoine un pays très forestier. près d’un tiers des surfaces sont couvertes de forêts. les

Carte militaire empire austro-hongrois (1910)

L’espace macédonien et ses principales grandes villes

LA MACÉDOINE

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

[Bitola]

Connue sous le nom de Monastir lors de la période ottomane, la ville de Bitola est la ville la plus importante du sud-ouest de la Macédoine avec ses 100 000 habitants. elle était aussi durant la première Guerre mondiale l’une des plus importantes cités de cette partie des Balkans. Bitola est une cité très ancienne. À quelques kilomètres du centre de la ville actuelle se trouvent les vestiges d’Heraclea lyncestis, cité antique fondée par philippe ii de Macédoine. Heraclea s’est dévellopée en bordure de la via egnatia, voie de passage construite par les romains pour relier Dyrrachion à Byzance en prolongement de la via appia.

Bitola est une importante agglomération. elle s’est développée à 600 m d’altitude au pied du mont pélister en bordure de la plaine de la pélagonia. elle est traversée par le Dragor, torrent qui prend sa source dans le pélister et qui va se jeter dans la Cerna. le Dragor coupe en deux la ville Bitola est marqué par une « dualité » urbaine. un centre-ville moderne se trouve juxtaposé à un centre historique ancien où les traces de l’occupation ottomane dominent. l’ ambiance urbaine est à la fois méditerranéenne et orientale. Cette donnée prend tout son sens le soir venu. les rues du centre-ville s’animent jusque tard dans la nuit, tout Bilota parade et se retrouve le long du « Corso » pour profiter de la fraîcheur nocturne. par son architecture, sa culture, son atmosphère, la ville de Bitola est bien un carrefour entre l’orient et l’occident.

[Sources cartographiques] - l’empire austro Hongrois a publié en 1910 un relevé très complet de l’ensemble des Balkans au 1/ 200 000ème3. - Goggle earth. - le fond de carte yougoslave sur papier au 1/25 000ème de 1971 nous a été

Carte physique du nord-est de Bitola

3/ carte militaires de l’empire austro-hongrois - publiées ver 1910 échelle 1/200000 ème. section 39/45. université eötvos loränd - Budapest dépar-tement de cartographie et de géographie.

donné par iljo Trajkovski que nous tenons encore une fois à remercier ici. - les planches publiées dans les années 30 à partir des canevas de tir établis sur le terrain par l’armée française4.

l’identification des toponymes souvent modifiée par l’évolution des graphies est rendue également complexe par le fait que l’armée française renommait les lieux qu’elle avait investis, tant sur la ligne de front qu’à l’arrière, comme l’atteste Henri Frapié5 :

«(…) a quatre heures nous recevons des ordres pour la relève. nous allons remplacer la c.m.3 au dromadaire. en arrivant en orient, on a dû lever des cartes, et faute d’autres désignations, on a donné aux mouvements de terrain des noms d’officiers tués, ou encore des noms en rapport avec leur forme : la carapace, le turban, la locomotive, la roche isolée (…)»

4/collectif. la grande guerre Vécue-racontée-illustrée par les combat-tants. tome ii aristide Quillet éditeur. 1928

5/ Henri Frapié,«Jours d’orient».e. Baudinière. 1931

LA MACÉDOINE

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

2l’armée FranÇaiSe d’orient

en macédoine

les entités territoriales et les nations existantes en 1914 dans les Balkans sont très différentes de la structuration politique de l’europe actuelle. les conflits se déroulant sur le sol de la Macédoine contemporaine ne peuvent se comprendre que situés dans une perspective régionale plus large. À la fin de 1914 le front occidental s’est stabilisé dans le nord de la France au prix d’énormes pertes humaines chez tous les belligérants. Winston Churchill, premier lord de l’amirauté britannique, propose alors une offensive contre l’empire ottoman, allié de l’allemagne.

[Echec aux Dardanelles] le plan franco-britannique prévoit un débarquement dans le détroit des Dardanelles. l’objectif est de prendre istanbul et de rejoindre les alliés russes par la mer Noire. en avril 1915 l’opération tourne au désastre; les Turcs très combatifs et appuyés par l’artillerie allemande fabriquée par Krupp clouent les alliés sur les plages. en octobre ces derniers réembarquent en direction de Thessalonique pour porter secours aux armées serbes. Ce petit pays résiste dans un premier temps avec succès à la pression exercée par les autrichiens. Mais la coalition austro-germano-bulgare oblige les serbes à une retraite pénible en direction de la côte albanaise où les débris de leurs armées sont récupérés par la flotte française et évacués vers Corfou et Thessalonique.

[Diplomatie et renversements d’alliances ]

les alliés s’interrogent sur la mission de ce corps expéditionnaire basé en Grèce. les Britanniques préféreraient envoyer des troupes en egypte et en Mésopotamie, l’actuel irak, pour en contrôler les puits de pétrole. le président du Conseil français, aristide Briand soutient le maintien du Front d’orient contre l’avis du général en chef Joffre. Briand l’emporte et des troupes italiennes et russes viennent se joindre aux alliés déjà basés en Grèce. la Grèce est alors divisée entre son roi, Constantin ier, officiellement neutre mais beau-frère du kaiser Guillaume ii, et son premier ministre Venizélos, partisan des alliés. une atmosphère de suspicion et de tension existe entre l’armée grecque et les alliés installés sur son sol autour de Thessalonique. Ce n’est qu’en 1917 que le roi abdique en faveur de son fils et que la Grèce rejoint les alliés. la roumanie sort de sa neutralité le 28 août 1916 en faveur des alliés. Mais elle est vaincue par les austro-allemands au nord et les turco-bulgares au sud en janvier 1917. la perspective de couper en deux les empires centraux est désormais inaccessible. Dans les montagnes du sud de la Macédoine actuelle et du nord de la Grèce les troupes serbes et françaises du général Sarrail réussissent à stabiliser le front et à reprendre Monastir (Bitola) le 19 novembre 1916.

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

À la fin de la guerre des abris préfabriqués industriels atteignent la ligne de front et sont encore visibles aujourd’hui en réemploi dans les maisons de la région nord est de Bitola.

[L’offensive de septembre 1918 : une victoire oubliée]

en décembre 1917 le général Guillaumat remplace Sarrail et structure les armées alliées sous un commandement unique. il accumule le matériel destiné à une grande offensive destinée à percer le front. les armées allemandes commencent à retirer des troupes pour compenser les pertes du front occidental. le 18 juin 1918 le général Franchet d’esperey succède à Guillaumat et poursuit son plan : le 15 septembre 1918 l’assaut est donné sur les lignes bulgares et autrichiennes. la formation de cavalerie franco-serbe du général Jouinot-Gambetta perce les lignes bulgares et après avoir parcouru 70 km dans les montagnes, sans cartes ni artillerie, prend Skopje (uskub) le 29 septembre, dans ce qui est la dernière charge de cavalerie de l’armée française. l’ armistice est signé avec la Bulgarie ce même jour. le 30 octobre c’est au tour de l’empire ottoman de signer sa capitulation, le 3 novembre c’est l’autriche.

[Conclusion]

300 000 soldats français se sont battus sur «le Front d’orient». 50 000 sont morts, dans les Balkans mais aussi en Méditerranée, torpillés par les sous-marins allemands. Des liens d’amitié très forts ont été noués avec les alliés serbes. la révolution soviétique amène les conscrits français à rester mobilisés en roumanie contre la menace bolchevique jusqu’en mars 1919, 5 mois de plus que leurs camarades du front ouest. lorsqu’ils rentrent en France le mythe de Verdun occupe la première place dans les médias et les consciences et ils n’auront droit qu’à une infime parcelle de la reconnaissance nationale.

[La guerre en Macédoine]

les soldats alliés européens arrivant en Macédoine sont frappés par la grande pauvreté des habitants et les difficultés de la vie quotidienne. le climat continental provoque des hivers très rigoureux et des étés excessivement chauds. les infrastructures de transport sont insuffisantes et appartiennent encore au XiXème siècle. les soldats débarqués à Thessalonique doivent rejoindre le front à pied sur des chemins de montagne ou dans des vallées marécageuses insalubres. les maladies infectieuses font plus de victimes que les combats à une époque qui ignore les antibiotiques. 95% des hommes présents sont malades, 360 000 soldats souffrent de la dysenterie et du paludisme jusqu’en 1917. les problèmes de ravitaillement provoquent des cas de scorbut. les paysans français qui composent la majorité des régiments de métropole vont cultiver des légumes et travailler à assainir les marais des vallées. en France le président Clémenceau les surnomme avec mépris «les jardiniers de Salonique». Des troupes coloniales plus adaptées au climat vont rejoindre les unités de métropole : africains de l’ouest, Marocains, Tunisiens, algériens et annamites de l’indochine française.

[Des contrastes technologiques ]

la guerre en Macédoine est une guerre à la fois archaïque et moderne. C’est aussi une guerre d’infanterie et de cavaliers, les routes et le relief ne permettant pas l’usage des chars. Des tranchées et des bunkers troglodytes vont être aménagés dans les montagnes. Des efforts inhumains sont déployés pour acheminer de l’artillerie lourde sur les hauteurs.

novembre 1916 :

«aux pieds des montagnes où nous sommes coule la cerna, rivière dont il est journellement question dans les communiqués concernant les opérations dans les Balkans. les serbes progressent continuellement, au point que nous arrivons à ne plus pouvoir les suivre qu’avec retard. en effet, nous rencontrons les pires difficultés pour nous déplacer, faute de pistes convenables. des corvées de soldats serbes viennent cependant à notre secours en aménageant à flanc des côtes des pistes de fortune en lacets difficilement praticables. ils s’attèlent aussi à nos camions et caissons ; car, nos chevaux ne nous sont plus d’aucune utilité ; ils sont tellement éreintés et affaiblis qu’il faut les tirer eux-mêmes avec des cordes. tout cela prend beaucoup de temps, nous y passons nos nuits. au petit jour, après avoir pris position quelque part, nous nous apercevons alors que l’ennemi a tant reculé devant la poussée serbe qu’il se trouve hors de notre portée. il en est ainsi pendant plusieurs jours. nous n’arrivons pas à rejoindre l’infanterie.»7

les difficultés de communication condamnent souvent les blessés à mourir avant d’accéder aux soins. Mais les innovations technologiques telles que l’aviation, les zeppelins et les armes chimiques vont aussi être mises en œuvre.

L’ARMÉE FRANÇAISE D’ORIENT EN MACÉDOINE

7/ ernest albert sto-canne, 17ème et 242ème rac, «souvenirs de guerre et de vie militaire ».

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENTcarte du Front.monaStir, 1916 et 1918.

les troupes coloniales pendant la guerre 1914-1918. les armées françaises d’outre-mer. exposition coloniale de Paris 1931.

imprimerie nationale. Page 287 - 291.

[Front Monastir décembre 1916]

[Front Monastir septembre 1918]

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

À 20 km au nord-est de Bitola, le hameau de Meglenci appartient à la commune de Novaci. attesté en 1917, il présente en 2010 une quarantaine de maisons desservies par des chemins de terre. Dédié à l’élevage ovin, porcin et à la polyculture il est bordé sur sa limite sud par la cote 809, ce mamelon le dominant sur une centaine de mètres d’altitude. la cote 809 se prolonge au nord-est par la ligne de crête de la cote 1050. C’est au pied de ces deux éminences que les travaux de remblais et d’extraction minière à ciel ouvert de lignite ont profondément modifié le paysage depuis les années 1970 pour alimenter la centrale thermique NeK.

Ce sont des lignes de crêtes en bordure immédiate de la plaine de la pélagonia. C’est l’amorce du massif montagneux de l’achi Baba. Ces lignes de crêtes sont des affleurements rocheux de schistes métamorphiques recouverts par une mince couche de terre végétale. la végétation (herbe et épineux) convient à l’élevage extensif des moutons. Fin 1916 ces deux positions sont sur la ligne de front alliée, partagée entre français et italiens. le hameau était entre 1917 et 1918 dans le no man’s land, évacué de ses habitants.le pendage important de la cote 809 est marqué par des microreliefs correspondant à d’anciennes tranchées en voie de comblement terminal par colluvionnement naturel. les plus profondes n’excèdent pas un mètre de profondeur.

Photo de tranchée colluvionnée, cote 809

on ne remarque pas de traces de cratères d’impacts de tirs d’obus sur le versant exposé au nord, faisant face aux lignes bulgares.

3meglenci

[Les cotes 806 et 1050]

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

[Le complexe d’aménagements troglodytes à vocation militaire au sommet de la cote 809]

un réseau de caves, de boyaux, de galeries est aménagé dans la crête du massif avec pour caractéristique d’être ouverts pour leur accès au sud. C’est-à-dire sur le versant opposé à la ligne de front, fortifiés, comportant des embrasures et des meurtrières sur le versant nord exposé au feu ennemi. 7 aménagements ont été identifiés, 5 ont été relevés en plan, 1 en plan et en profil6. Des traces de marques d’outils (pics-pioches) sont observables sur les parois internes. l’usage d’explosif est attesté par plusieurs forages à la barre à mine dans la structure 7. on distingue deux types de structures. -Des chambres simples, moins de 2m de hauteur, avec une seule ouverture d’accès au sud. - la structure 7, de plan polylobé avec un couloir d’accès reliant différentes chambres, ouvertes sur les lignes ennemies par des embrasures et des chatières. Quatre chambres se distinguent.

[Plan ensemble complexe 7]

[La chambre B] Dotée d’une embrasure cimentée rectangulaire d’une ouverture de 0,58 m sur 0,50m elle présente un support bâti en béton avec une marche dans l’axe de l’embrasure. une plate forme horizontale d’1,95 m de long au niveau de cette embrasure semble être le support d’une arme collective ou un poste de tir individuel. le béton comporte des traces de peinture brune. Montage de photos le complexe troglodyte 7 poste de tir de la chambre B

[La chambre C]

C’est la pièce la plus haute de plafond, elle se prolonge au nord-est par un boyau donnant accès à une chatière ouvrant sur la plate forme sommitale de la cote 809. le boyau est partiellement comblé par un éboulis de cailloutis. on remarque, fiché dans sa paroi, les vestiges oxydés et tordus de ce qui semble être un système d’échelons métalliques. un dégagement ultérieur du comblement pourrait aisément confirmer cette hypothèse.

[La chambre D]

(la chambre d vu du sud)

elle se caractérise par son absence d’ouverture vers l’extérieur et ses parois presque verticales.

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C

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B D

point topo GPS

point topo GPS

éboulislimite de voûte

dalleciment

embrasure

éboulis chattière

MEGLENCI - 27 avril 2010cote 809Structure troglodyte 7

0 1 m

MEgLENCI

6/ relevés topogra-phiques sur papier millimétré à différentes échelles recalés par gPs sur système d’information géographique. travail effectué par sophie Quévillon, archéologue ingénieur d’étude détaché par le services régional de l’archéologie Basse normandie.

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point topo GPS

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éboulislimite de voûte

dalleciment

embrasure

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MEGLENCI - 27 avril 2010cote 809Structure troglodyte 7

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comPlexe troglodYte 7

a

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Embrasure de tir vue de l’extérieur.

Vue d’ensemble du support bâti en béton.

Vue intérieure.

Accès à la chambre A.

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

[La chambre E]

se caractérise par un éboulis important recouvrant son sol et deux ouvertures irrégulières vers l’extérieur (nord-ouest) dont les dimensions sont trop réduites pour y voir des accès pour le personnel.

(Chambre E vu de l’intérieure)

[Les aménagements à chambre unique]

une série de creusements à chambre unique de dimensions réduites et de forme quadrangulaire a été aménagée aux niveaux inférieurs de la structure 7. Toutes ont en commun leur accès au sud et l’absence d’embrasure ou d’ouverture en destination des lignes bulgares vers le nord.

{Plans et profils des aménagement à chambre unique]

[Hypothèses d’interprétation]

la structure 7 évoque un poste d’observation, voire de commandement de par sa position dominante et ses ouvertures vers la ligne de front. les autres structures excavées n’ayant pas livré de mobilier ou d’aménagement spécifique discriminant, nous proposons d’y reconnaître des abris collectifs pour quelques hommes ou bien des zones de dépôt protégées. la tradition locale recueillie auprès d’un résident de Meglenci rapporte que les soldats occupant les cotes 809 et 1050 cantonnaient dans la vallée et que les structures excavées n’étaient utilisées qu’en cas de bombardement aérien ou de tir d’artillerie. À cet effet, la cloche de l’église de Meglenci avait été démontée et remontée sur la crête de la cote 1050, distante de quelques centaines de mètres, pour donner l’alerte. on peut donc supposer en accordant crédit à ce témoignage qu’un cantonnement permanent existait en contre bas du versant sud de la colline des cotes 809 et 1050 et que des unités tournantes occupaient les positions fortifiées et les tranchées du sommet faisant face aux lignes bulgares.

[Les données historiques locales]

la chronologie des opérations militaires et des unités présentes dans ce secteur du front situe à la fin de l’année 1916 la stabilisation des lignes consécutives à la reprise de Monastir-Bitola par les troupes françaises le 19 novembre 1916 après la percée du front. les unités serbes, françaises et russes poursuivent les troupes bulgares et allemandes en retraite au nord-est de Bitola, dans les terrains marécageux des marais de la plaine du Vardar la résistance bulgare et allemande s’accroche dans des hameaux (Vlakar, Dobromir) reliés par des tranchées et profite également des premières pentes des cotes 809 et 1050 donnant un avantage tactique certain aux défenseurs. Du 20 novembre au 9 décembre 1916 plusieurs offensives contre les positions bulgares et allemandes aboutissent à un gain de quelques centaines de mètres au prix de lourdes pertes humaines. Cette guerre de position laissera les adversaires face à face jusqu’à l’offensive alliée victorieuse du 15 septembre 1918.

la chronologie des opérations militaires du 27 novembre au 9 décembre 1916 nous donne le détail des phases de déplacement d’unités dans la plaine du Vardar et la boucle de la Cerna7.

« (…)l’ennemi ayant enfin cédé sur tout le front, quelques patrouilles du 44ème régiment d’infanterie coloniale pénètrent dans negotin le 19 au soir. la poursuite commence en direction générale de Prilep.

20 novembre.

le 20, la 171ème division d’infanterie coloniale stationne. 56ème régiment d’infanterie coloniale, au sud de dobromir; 44ème régiment d’infanterie

7/ les troupes colo-niales pendant la guerre 1914-1918. les armées françaises d’outre-mer. exposition coloniale de Paris 1931. imprimerie nationale. Page 287 - 291.

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0 1m

Structure 1 - planCote 806

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Structure 2 - cote 806

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échelle bizarre...

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50° ouest

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Plan et ProFilS deS amenage-mentS à chamBre unique

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Structure 1 - planCote 806

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coloniale, Biijanik; 351ème régiment d’infanterie coloniale, à droite du 44ème

régiment d’infanterie coloniale, en liaison avec la division d’infanterie du Vardar, qui occupe la région sud de la cote 1050; 54ème régiment d’infanterie coloniale, en réserve d’armée à Jaratok.

21 novembre.

le 21 est marqué par un échec du 56ème régiment d’infanterie coloniale devant dobromir.

nous rappelons que monastir fut réoccupé le 1er novembre, après son évacuation par l’ennemi. en fin de journée, les régiments stationnent, 56ème régiment d’infanterie coloniale : un bataillon devant dobromir; un bataillon à novak, un bataillon au nord de ribarci.

44ème régiment d’infanterie coloniale : en ligne, au nord du chemin novak suhodol.

35ème régiment d’infanterie coloniale : à droite du 44ème régiment d’infanterie coloniale, au sud-ouest de Paralovo.

22 novembre. le 22, le 55ème régiment d’infanterie coloniale attaque encore sur dobromir,

en même temps que la division d’infanterie de la morava cherche à s’emparer de la cote 1050. échec complet sur tout le front.

25 novembre.

une nouvelle attaque générale de la iième armée serbe est prévue pour le 25, mais, seul, le 44ème régiment d’infanterie coloniale gagnera 600 mètres au nord de la suha. le 35ème régiment d’infanterie coloniale ne peut sortir de ses tranchées.

26 novembre.

le 26, le 54ème régiment d’infanterie coloniale (bataillon maignan) et le 2ème bis de zouaves8, détachés à la division d’infanterie morava, prennent pied après un dur combat sur la partie sud de la cote 1050. c’était là un gain très important pour la suite des opérations.

27 novembre.

l’attaque générale doit être reprise le 27 à 14 h30. le voïvode michitch se montre particulièrement pressant; l’infanterie devra progresser à tout prix. le 54ème régiment d’infanterie coloniale et le 2ème bis de zouaves continuent effectivement à progresser vers 1050. le 35ème régiment d’infanterie coloniale enlève et dépasse la première ligne bulgare. très fortement pris à partie par les organisations ennemies de dobromir que le 56ème régiment d’infanterie coloniale ne peut enlever et de 1050 (que la division d’infanterie du Vardar n’a pas attaquées), il doit céder une partie de son terrain, et son gain fut finalement limité à 1 kilomètre de profondeur. le 44ème régiment d’infanterie coloniale gagne 800 mètres environ.

ainsi, le beau succès de la 21ème brigade mixte coloniale était isolé, les serbes, en particulier, n’ayant pas progressé dans la partie montagneuse.

1er décembre.

le 1er décembre, le 2ème bis de zouaves et le 54ème régiment d’infanterie coloniale subissent les assauts répétés des chasseurs de la garde et du 45ème régiment d’infanterie allemand.

dans la nuit du 2 au 3, un regroupement et une nouvelle répartition des unités furent prescrites sur tout le front de la ier armée serbe, en vue d’une attaque par son aile droite. le groupement gérôme occupe le secteur de la cerna jusqu’à la meglenica. d’autre part, l’état-major de la 341, brigade d’infanterie coloniale (colonel Bordeaux) et le 3ème, régiment d’infanterie coloniale (lieutenant-colonel Pinchon), relevés du secteur de doïran, où ils avaient été laissés en septembre, rejoignirent leur division le 3 décembre à negotin.

9 décembre.

en prévision d’une nouvelle attaque fixée au 9, la 1ère division d’infanterie coloniale était divisée en deux groupements

groupement Fourcade (à l’ouest devant dobromir)33ème brigade d’infanterie coloniale (55ème et 56ème régiments d’infanterie

coloniale). groupement Bordeaux (à l’est devant les tranchées sud et sud-est de

Vlakar) 2lème brigade mixte coloniale (lieutenant-colonel ibos), 35ème et 44ème,

régiments d’infanterie coloniale; Brigade provisoire Bordeaux (3ème régiment d’infanterie coloniale et 2ème bis

de zouaves). le groupement Fourcade agira sur dobromir; le groupement Bordeaux

enlèvera les lignes bulgares à l’est de dobromir, jusqu’au sud-est de Vlaklar.

l’attaque sera menée :

au groupement Fourcade, par le 56ème régiment d’infanterie coloniale; au groupement Bordeaux, par le 44ème et le 3ème régiment d’infanterie

coloniale, appuyés par le 2ème bis de zouaves. les 35 ème régiments d’infanterie coloniale et 54 ème régiment d’infanterie

coloniale resteront en réserve. la tâche principale incombait au 3ème régiment d’infanterie coloniale, placé

à droite en liaison avec la brigade russe. le jour dit, à 15 heures, le 3ème régiment d’infanterie coloniale progresse

beaucoup, notamment sur sa droite, où il atteint les tranchées à l’est de Vlakar; mais le 3ème régiment russe, placé à sa droite, ne bouge pas et le succès de nos coloniaux reste inexploitable. le 3ème régiment d’infanterie coloniale se repliera légèrement avec de grosses pertes, soutenu par le 2ème bis de zouaves.

le 44ème régiment d’infanterie coloniale et le 56ème régiment d’infanterie coloniale, dont les missions sont subordonnées à celle du 3ème régiment

MEgLENCI

8/ Voir infra, (double page) extrait du journal de marche et d’opération du 2ème de bis de zouaves du 26 et 27 novembre 1916.

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« entre noël et le nouvel an, le froid s’accentua... sur ce pan de toit où nous étions cloués... nous étions livrés à tous les caprices du temps. il n’y avait pas de neige ; simplement du froid calme et sec. un matin, à l’heure du jus, nous ne trouvâmes plus rien dans le bidon... le jus s’était transformé en glaçon. a midi, nous ouvrîmes la gamelle. les fayots étaient pris dans la glace. ii fallut les frapper à la fourchette pour les détacher un à un. ii nous reste au moins le vin, pensions-nous... gelé comme le reste... c’était comme si on nous avait dit qu’on avait trouvé le soleil gelé au fond des cieux »

le témoignage d’a. Ducasse nous éclaire sur la perception d’un soldat français à propos de la façon dont les italiens ont ensuite investi et aménagé ce secteur du front :

« en août 1918, j’ai entendu rouspéter mes « bonhommes » du 227ème ri....: « au lieu du grand repos qu’on nous avait promis, « ils » nous ont fait baguenauder, une fois de plus en albanie, au secours des italiens. leur base de santi-Quaranta, ils n’ont qu’à se la garder tout seuls, les « macaronis »

ils tiennent la cote « mil cinquouanté », à l’est de monastir, à grands coups de « perforatore » -c’est à dire en creusant de bonnes sapes, comme faisaient les Bulgares -plutôt que de grenades. Pas une raison supplémentaire qu’on s’appuie, en plein été, une campagne supplémentaire et le col de Pisodéri, aller et retour ! »

en dépit de cette description d’un lieu fortifié, et donc a priori plus confortable qu’une marche vers l’albanie, la cote 1050 est l’objet de violents duels d’artillerie. G. de lacoste arrive sur le front de Monastir au début de 1917. les positions françaises sont alors fixées sur la rive sud de la vallée du Dragor. posté sur le lieu-dit « l’observatoire », ce témoin observe le paysage. Ce sommet, commande la ville de Monastir qu’il domine d’une hauteur de six cents mètres environ.

De l’observatoire il peut voir « Prilep dans le lointain, ainsi que les défilés légendaires de la Babouna ». Sur sa gauche, il voit le piton de la cote 1050 qui, «gris de fer, centre de combats opiniâtres et répétés, dresse sa tête couverte de fumerolles… provoquées par la chute continuelle des obus... on dirait un volcan qui couve ».

il faudra attendre le 16 septembre 1918 pour que la 11ème division coloniale (34ème, 35ème, 42ème et 44ème régiments coloniaux) appuyant l’avance serbe, gagne du terrain sur les deux rives de la Cerna, contraignant les défenseurs de la cote 1050 à se replier.

le sous-lieutenant robert laulant, stationné à Monastir, raconte l’offensive du 15 septembre 1918 alors qu’il commande une unité en mouvement en direction du nord-est. Décrivant le secteur du hameau d’orizari, dans la plaine, il a une vision distante des affrontements de la cote 1050 à 15 km à l’est de sa position. Son témoignage est cependant intéressant pour ses précisions sur les conditions du combat.

d’infanterie coloniale, constatent l’occupation des tranchées sud de Vlaklar et de dobromir et se replient sous le feu de l’ennemi.

l’inaction des russes avait fait perdre au 3ème régiment d’infanterie coloniale tout le bénéfice -de l’opération. dans son ensemble, la cote 1050, objectif principal de la 1ère armée serbe, restait aux mains de l’ennemi.

Fin de l’offensive de 1916. - l’offensive alliée était enrayée. la stabilisation allait suivre et le front ne devait être rompu que près de deux ans plus tard, en septembre 1918.

a partir du 16 décembre, la 17ème division d’infanterie coloniale releva à nouveau directement de l’armée française d’orient. elle organisait son secteur qui comprenait les deux sous-secteurs Bordeaux (pentes de 1050) et Fourcade (est de la crna).

l’arrivée, le 17 décembre, du général Venel, commandant la 22ème brigade d’infanterie coloniale modifiait encore l’ordre de bataille. le groupement Venel, qui comprenait la 21ème brigade mixte coloniale et le 2ème bis de zouaves, pris le secteur au nord-ouest de suhodol (P. c. Vranovci).

enfin, le 25 décembre, la 17ème division d’infanterie coloniale était relevée par le corps expéditionnaire italien (c. e. i.) et la 1ère brigade mixte coloniale se dirigeait, à partir du 29, sur la région de monastir, pour entrer dans la constitution de la 11ème division d’infanterie coloniale.

cette brigade avait beaucoup souffert depuis son arrivée sur le front d’orient. dans la seule période du 1er octobre au 20 novembre, ses pertes se montaient à :

35ème régiment d’infanterie coloniale : 13 officiers, 935 hommes. 44ème régiment d’infanterie coloniale : 31 officiers, 961 hommes. au total : 44

officiers et 1.896 hommes. nous signalerons enfin que la 21ème brigade mixte coloniale comprenait

deux bataillons de tirailleurs sénégalais, les 2ème et 3ème bataillons de tirailleurs sénégalais respectivement rattachés aux 44ème et 35ème régiments d’infanterie coloniale.

ces deux bataillons suivirent la brigade dans tous ses déplacements et participèrent aux divers combats, ou ils se conduisirent brillamment, notamment le 14 octobre, devant Kenali. ils devaient souffrir beaucoup du froid, dés que la saison se fit plus rigoureuse et à la fin de novembre, au moment du retrait de la 21ème brigade mixte coloniale de la. Boucle, les deux bataillons de tirailleurs sénégalais furent momentanément séparés de leurs régiments pour être dirigés sur salonique. »

il apparaît donc que c’est le Corps expéditionnaire italien qui relève sur cette position les unités coloniales françaises. la tradition orale des habitants de Meglenci confirme la limite entre les secteurs, puisque le souvenir nous a été relaté que la cote 1050 était tenue par des italiens, et que la crête de la cote 809 était un « quartier général » français d’après monsieur popovski, conseiller municipal de Novaci et commandant des sapeurs pompiers de Bitola.

le témoignage de louis Cadoux permet de comprendre les conditions extrêmes auxquelles sont soumises les troupes françaises occupant la cote 1050 à la fin de l’année 1916.

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENT

«(…)nous trouvons tout cela sommaire, vague et très « déjà entendu ». l’exposé est trop hâtif, à notre gré. il manque aussi de chaleur, de conviction. le colonel, que nous savons consciencieux et humain, dissimule-t-il ?

ou les grandes lignes du plan le fascinent-elles au point de le détacher de ce détail que nous représentons ici ?

Pas un mot de l’artillerie lourde... et les tanks, les fameux tanks ?... non, ce serait trop beau! il n’en aurait guère fallu pourtant sur ces quinze pauvres et uniques kilomètres de plaine du front d’orient. mais nous sommes les parents pauvres, en retard de deux ans comme matériel et un peu comme méthodes sur les armées d’occident. on est si loin, ici, de l’opinion publique!

on grogne, des plaisanteries macabres circulent. mais il faut partir. Bossant le dos sous le marmitage, le commandant du 3ème bataillon et moi nous nous hâtons vers les ruines du village d’orizari-le-grand, qui se dessinent à 2 kilomètres au nord. les officiers du 99ème bataillon sénégalais que nous allons relever nous font une sombre peinture de la vie du secteur; pas d’abris pour les sections, des tranchées élevées sur la terre craquelée avec les mottes de terre séchées. les Bulgares ont une artillerie au moins égale à la nôtre. dans la journée, la température monte bien jusqu’à 60°, 70° peut-être; de l’eau à un seul puits, soigneusement repéré par l’ennemi, et à une petite source en avant des tranchées de première ligne.

nourriture : singe9 et lentilles. toutefois le violent bombardement que nous avons essuyé n’a tué qu’un

sénégalais... Vraiment, être la plus vieille division de l’armée d’orient pour s’offrir une

attaque en plaine avec une insuffisance probable de moyens, après un stage en tranchées dans ce goût, au lieu de cette poursuite qu’on avait rêvée, quelle dérision !

au retour, nous trouvons au rendez-vous du pont du dragor, dans les faubourgs de monastir, les autres officiers rassemblés. Pas de camionnette pour nous ramener. elle arrive enfin cette camionnette, tard, si tard que nous aurons juste une demi-heure à Vélusina pour dîner, plier nos bagages, donner dans l’affolement des ordres multiples aux sections, au train de combat, préparer l’embarquement des sacs en camion et faire nos ultimes recommandations à nos sergents-majors. le mien, tout neuf à la compagnie, est un colonial victime d’un sérieux « coup de bambou ».

marche des plus pénibles sur cette large route de Florina à monastir, parcourue par des files de camions, de camionnettes, de convois d’artillerie, qui soulèvent des tourbillons de poussière.

a l’entrée de monastir, une pyramide de sacs ou les hommes, comme des fourmis sur un morceau de sucre, cherchent leur bien. a la sortie de la ville une telle colonne de poussière, soulevée par les unités qui me précèdent, que je perds le contact. derrière moi, obsédé par l’idée de placer tout mon monde avant le jour, la compagnie galope, pour échapper au pinceau de l’énorme projecteur bulgare.

il fait presque jour quand nous sommes enfin installés. les sénégalais profitent des brumes de l’aube pour gagner à travers la plaine le village d’orizari-le-Petit, à 2 kilomètres sur notre droite. nous assurerons avec eux la liaison à la vue durant le jour; et la nuit une demi-section fera la navette, sans cesse, faiblement garantie sur cette énorme distance contre une reconnaissance bulgare par un vague réseau barbelé.

la compagnie est fourbue; mais on nous assure quarante-huit heures au moins de repos avant l’attaque. d’ailleurs il se confirme que nous ne ferons rien avant que 1248 et 1050, les bastions bulgares qui commandent la plaine à droite et à gauche, ne soient tombés. ce retour à la logique nous rassure.

nous avons tout le temps pour étudier le terrain. devant nous, sur 30 kilomètres de profondeur, et 15 à 20 de large, la plaine de monastir unie, herbeuse, roussie, traversée du nord-ouest au sud-est par la cerna, marécageuse en hiver, complètement à sec en été. encadrant la plaine à l’est et à l’ouest, une suite de pitons cotant de 1300 à 1700 mètres s’arrêtent brusquement sur la vallée. a la hauteur de monastir, les deux bastions bulgares qui commandent la plaine : la cote 1248, à gauche, tout près de nous, réservée aux efforts de la 76ème d. i. (157ème, 227ème, 210ème r.i.) à l’est, à 15 kilomètres de nous environ, la cote 1050 qui tiendra en respect les italiens jusqu’à l’aboutissement du grand mouvement tournant des serbes et de la cavalerie française.

nos 1er et 2ème bataillons sont entassés dans le ravin d’austerlitz au pied de 1248, en liaison avec le 210ème qui, pendant quatre ou cinq jours avec toute la 76ème d. i., tente vainement d’enlever le redoutable morceau. dans ces rochers bruns, où nous ne distinguons rien, ni des lignes, ni des efforts de l’infanterie, les éclatements des obus et des torpilles nous aident à imaginer les positions. réduits au rôle cruel et passionnant de spectateurs, ne verrons-nous pas du moins, de tout prés, le visage de la victoire, forcée par nos camarades de la 76ème d. i.?

Hélas non ; cette victoire demeurera pour nous quelque chose d’imprécis et de mystérieux, car c’est à droite qu’elle se décidera, à près de 50 kilomètres de nous, sur le massif de dobropolje où la 122ème d. i. et la 17ème division coloniale sont chargées d’ouvrir la brèche. en prêtant l’oreille, nous percevons à peine le bruit de la canonnade. mais, dès que le crépuscule nous a tiré de la torpeur où nous plonge l’étouffante chaleur de la plaine, nous suivons les symboles de la lutte, pour nous intense et muette, qui se développe là-bas, vers l’est.

lueurs en éventail, des coups de départ précipités embrasant les ravins, éclatements piochant furieusement les sommets, trajectoires des fusées bleues ou rouges traduisant l’affolement de l’ennemi relancé et l’opiniâtreté de l’assaillant.

il n’y a pas de doute : de soir en soir, les signes visibles de la bataille s’éloignent vers le nord, en un mouvement tournant prenant pour pivot 1050, qui apparaît amplement débordé. une joie intense et grave nous saisit.

est-ce donc enfin la vraie victoire cette fois ? alors arrivent les confirmations officielles, qui du moins donnent des précisions

: les serbes, lancés dans la brèche ouverte par la 122ème d. i. et la 17ème division coloniale, ont atteint rozden, puis gradista, Verbecko et Polocko, sur le Vardar. le jour suivant, la cavalerie serbe à Kavadar, à plus de 50 kilomètres de son point de départ, et bien à l’est de Prilep.

« Haidé Prilep ! » a vécu. il n’y a plus de doute, c’est la poursuite, la poursuite fantastique, inouïe, qu’on n’osait plus rêver, et qui part à toute allure...

mais alors, que faisons-nous ici ? nos reconnaissances, peu poussées, signalent encore des Bulgares devant

nous, en dépit de cette situation périlleuse, puisque leur ligne de retraite par Prilep et Vélès est coupée. et 1248 tient toujours. Pourtant, signe évident de la prochaine retraite générale de l’ennemi, les pâturages desséchés flambent sur toutes les hauteurs, barbare et splendide spectacle.

le samedi 21 septembre, toute la plaine est en feu (…)»

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9/ le singe désigne les conserves de viande.

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le 21 septembre 1918, le général Jouinot-Gambetta, à la tête des 1er et 4ème escadrons de chasseurs d’afrique et d’un régiment de marche de Spahis marocains va, à travers les sentiers de montagne, déborder la retraite bulgare et dans un raid éclair aux allures épiques prendre prilep et Skopje, consommant la défaite des empires centraux en Macédoine.

l’épopée de Jouinot-Gambetta est restée dans l’histoire militaire comme la dernière charge de la cavalerie française.

[La vie quotidienne sur la ligne de front entre 1916 et 1918.]

la quantité de travail nécessaire pour entamer la roche laisse à penser que les ouvrages observés sur la cote 1050 sont l’œuvre des troupes italiennes qui y stationnent après l’offensive, le délai nécessaire à leur réalisation très élaborée, tant qu’à leur volume, ne pouvant pas se résumer à la période des combats de mouvement de novembre-décembre 1916. Des sources littéraires et journalistiques contemporaines permettent de saisir le quotidien des unités cantonnées à proximité de ces ouvrages. l’aménagement des abris et structures défensives de la ligne de front stabilisée en 1917 apparaît au détour de témoignages publiés après le conflit. en visite sur les lignes serbes le journaliste suisse a. reiss écrit le 18 juin 1917 :

« … il y avait bien déjà des tranchées mais, comparées aux tranchées actuelles, elles étaient bien peu sérieuses; un talus de terre surmonté d’un toit fait de branches d’arbres et de quelques mottes de terre, entre les deux un espace libre pour les observateurs qui ne prenaient pas trop de précautions pour se dissimuler.

c’étaient plutôt des abris momentanés. aujourd’hui c’est bien changé. on est dans une sorte de fossé, juste assez large pour permettre de circuler. il est bien souvent très profond et, pour voir ce qui se passe au dehors, il faut monter quelques marches taillées dans le rocher. le haut de la tranchée est formé par des pierres ou des sacs de sable entre lesquels on a ménagé des meurtrières pour y passer les fusils et pour observer ce que fait l’ennemi. des abris taillés dans le roc ou construits avec des troncs d’arbres, de la tôle, des pierres et de la terre, servent aux soldats qui ne sont pas de garde à se reposer et à dormir.

telles sont les tranchées où j’ai rencontré le commandant qui regrette la campagne de la matchva. nous sommes très près des Bulgares. en regardant par une des meurtrières, je vois devant moi dans l’herbe de la pente une sorte de ruban rouge-jaunâtre: la première ligne ennemie. derrière, un peu plus haut sur la montagne, un village presque entièrement détruit par le feu de l’artillerie.

les tranchées bulgares, en bandes presque ininterrompues, escaladent la montagne et s’enfoncent dans des rochers gris. les cimes d’une petite partie des montagnes sont visibles, lorsqu’on lève les yeux, mais l’horizon est cependant bien restreint. »

Si le lieu diffère, le contexte géographique nous permet d’envisager un parallèle. Dans son récit du 20 mai 1917, où l’auteur est confronté à un tir d’artillerie serbe sur les lignes bulgares, la mention du poste de commandement et d’observation serbe présente des similitudes avec les caractéristiques de la structure 7 :

«… il faut maintenant grimper la colline rocheuse dont la crête est sillonnée par les tranchées des deux adversaires. la position est tenue par le iXème régiment d’infanterie serbe, un fameux régiment commandé par un officier de grande valeur. en quelques minutes nous sommes au «gourbi» du commandant. celui-ci est tout joyeux de recevoir des hôtes si près de l’ennemi. son ordonnance nous sert le « slatko » (confiture) avec un verre d’eau, suivant

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1ère de couverture du récit de Jouinot gambetta

Photo Miroir de la guerre : « Armées de l’Entente sur le front macédonien - Sur les routes de Macédoine toutes les races d’hommes se rencontrent. Des tirailleurs sénégalais croisant un convoi anglais. »

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le rite serbe, et ensuite nous apporte du café. le commandant tire sa montre, une montre suisse comme celles de la plupart des officiers et soldats serbes, et la consulte: « a 14 heures 40, il y aura un bombardement concentré du point X... Voulez-vous le voir avec moi depuis mon observatoire, qui se trouve de 300 à 350 mètres de l’objet visé, me demande-t-il ? »

naturellement ma réponse est affirmative. on n’a pas tous les jours l’occasion d’assister à un bombardement intensif de si près.

nous quittons donc l’habitation presque luxueuse du chef du régiment - les soldats l’ont bâtie en pierre - et montons vers la crête. Bientôt un court « boyau» nous mène dans une espèce de trou taillé dans le roc. c’est l’observatoire. une partie du trou est couverte de troncs d’arbres, de pierres et de terre. c’est la «centrale téléphonique », où jour et nuit un soldat se tient accroupi avec son récepteur pour transmettre les communications des officiers observateurs. la paroi tournée vers l’ennemi est surmontée de cailloux assez distants pour qu’on puisse voir tout ce qui se passe devant. des branches d’arbustes servent à cacher le haut des têtes des observateurs, qui formeraient une fameuse cible pour les multiples mitrailleuses bulgares dissimulées à courte distance derrière les grandes roches qui couvrent la montagne.

devant nous, à peine 100 ou 150 mètres, nous avons les tranchées serbes: des méandres jaunâtres ou des trous noirs creusés dans le roc. Quelque 200 mètres plus loin le point X..., formidable redoute de l’ennemi sur laquelle va se déverser dans un instant la grêle des obus alliés. Pour le moment c’est le silence avant l’orage, coupé seulement, de temps en temps, par la détonation sèche d’un fusil ou d’une mitrailleuse : un guetteur qui a cru remarquer quelque chose d’insolite dans les lignes de l’adversaire.

tout à coup un hurlement sinistre se fait entendre au-dessus de nos têtes. c’est le premier projectile d’obusier qui est lancé. c’est le signal. les obus arrivent maintenant de tous les côtés. le vacarme est indescriptible. le sifflement de locomotive du projectile fendant l’air se mêle au fracas de l’éclatement des autres. la redoute bulgare paraît être un volcan, d’où jaillissent des colonnes de poussière et de fumée blanche, grise ou noire. les torpilles des canons de tranchées entrent aussi dans la danse. avec un bruit terrible elles soulèvent, en explosant, de gros blocs de pierre et lancent vers le ciel de hautes fontaines, à forme élégante, de fumée noire.

Pendant dix minutes, des centaines et des centaines d’obus s’abattent sur la position bulgare. elle est maintenant presque invisible, sous l’épais nuage de fumée qui la recouvre. les canons se taisent, mais les mitrailleuses ennemies crépitent, car les soldats du cobourg craignent une attaque d’infanterie ou une irruption de patrouilles dans leurs lignes. les balles passent avec un sifflement strident au-dessus de nos têtes pour se perdre ensuite dans le ravin sans avoir fait de mal.

la trêve n’est pas longue. un nouvel ouragan de fer et de feu s’abat sur les Bulgares. Vraiment je ne voudrais pas me trouver deux cents mètres plus loin, au point X... les gens qui y sont doivent passer un mauvais quart d’heure.

le bombardement est fini. le soleil, qui s’était caché, réapparaît. nous sortons de notre trou et écoutons les chansons de ces soldats qui ne peuvent pas se taire, même lorsqu’ils sont à quelques pas de la mort. »

la photographie, en particulier les cartes photos, et les clichés privés réalisés par les soldats, permet de compléter notre vision. les documents montrent des aménagements troglodytes et des cheminements où les parois sont parementées de pierres sèches. la nécessité de s’adapter à un terrain rocheux peu compatible avec le creusement de tranchées est signalée par les acteurs du conflit. pourtant l’observation sur le terrain de la cote 1050 permet de vérifier le travail impressionnant de taille de boyaux et de tranchées à même la roche.l’utilisation d’explosifs étant confirmée sur 809 par des traces de barre à mine, il parait vraisemblable de reconnaitre comme plausible l’extension de la méthode pour le creusement des tranchées de 1050. Cela n’exclut cependant pas le travail manuel, comme le confirme une carte postale de pionniers français, non localisée, posant avec masses et burins. l’usage de marteaux piqueurs est attesté sur le front occidental, les italiens utilisèrent aussi des « perforatores », l’expression étant utilisée par les troupes françaises à propos des unités italiennes, confirmant leur introduction dans les montagnes de Macédoine. l’examen de photos satellitaires offre encore un aperçu clair du tracé des tranchées tant allemandes que franco-italiennes inscrites dans la roche. leur visibilité s’estompe vers l’ouest dès que le tracé atteint la plaine marécageuse de la Cerna. les travaux intensifs de mise en valeur des sols marécageux au cours du XXème siècle ont probablement oblitéré la lecture de creusements qui étaient à l’origine peu profonds et instables comme le rapporte le témoignage du sous-lieutenant robert laulant ci-dessus cité.

Soldat du génie aux travail avec pics et blocs.

le cantonnement en plein air d’unités logées sous tentes semble cependant rester la norme en toutes saisons.

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la Vie au Front Par l’image

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7/cantonnement dans la boucle de la cerna. sans date.

8/sans lieu ni date.

1/Près de la route d’iven. mai 1917. «carnet du guerre de marcel Bolotte»

2/campement dans les plaines

3/sans lieu ni date.

4/sans lieu ni date.

5/soldat français (chasseurs). en arrière plan des ouvertures

d’abris troglodytes. lieu inconnu. novembre 1917.

6/enfants macédonniens posant sur une position d’artillerie fran-çaise. sans lieu ni date.

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le chanoine pradel écrit sur le soldat français de la cote 1050 que celui-ci

« couche dans la neige, sous la tente à la cote 1050, qu’il reste des semaines sans courrier, que le pain gèle dans ses musettes... et qu’il pleure son petit coin de rouergue, que ne peuplent pas de si grands souvenirs, que ne baigne pas une si fluide lumière... mais il est comme tout soldat français, qui «en a marre» de si beaux pays où la guerre se promène...»

les amplitudes thermiques diffèrent fortement de ce que les poilus ont vécu sur les théâtres d’opérations occidentaux. l’été la température dépasse les 45°, la plaine marécageuse de la Cerna, propice aux moustiques, favorise les maladies infectieuses telles que la dysenterie, la malaria et le paludisme. l’hiver, très rude, comporte d’abondantes chutes de neige et des baisses de température à 35° en dessous de zéro. il convient ici de rappeler également que les combats de décembre 1916 sont le fait de régiments coloniaux, (tirailleurs sénégalais), d’hommes souvent démunis dans l’expérience de la lutte contre le froid.

Dans son roman autobiographique « Jours d’orient »10 le français Henri Frapié fait parler un de ses camarades artilleur des conditions extrêmes de la retraite de 1915. un groupe de combattant protégé dans une sape, c’est ainsi qu’il désigne l’abri creusé dans la paroi d’une montagne où il est stationné, écoute le récit d’un ancien :

«oui, petit, il y a eu pire que la retraite de la marne, c’est la retraite de serbie, affirme Batayol, le cuisinier de la pièce.

il a le visage chafouin, noir, des petits yeux vifs et l’accent sonore et coloré du midi.

de son calot graisseux dépassent des mèches de cheveux grisonnants et rudes.

nous avons rejoint hier, en arrière des lignes, la c. m. 2 du 1 et nous avons retrouvé chambord, liard et Varlot.

dans une sape, sorte de vaste grotte, creusée à flanc de coteau nous sommes réunis avec les nouveaux de la pièce : le sergent mitre, un petit blond aux yeux gris et à la moustache rousse, Porion, un Bellevillois, beau brun crapuleux avec moustache et cheveux frisés, Biscoin, taciturne, aux mains tatouées.

une bougie fichée dans la paroi clignote dans l’épaisse suie, des pipes et des cigarettes.

assis ou étendus à terre, nous écoutons Batayol. dehors, dans la nuit bleuâtre, des coups de feu isolés, une rafale de

mitrailleuses, des éclatements éloignés ou plus proches, font tressauter le sol et bondir la flamme de la bougie.

-- Parfaitement, mon drôle, la retraite de serbie a été plus dure que celle de la marne. a ce moment-là, j’étais au 175, et on nous a rappelés des dardanelles, pour aller au secours des serbes, du côté de Kavadar, au-dessus des Portes de Fer.

Bien entendu, nous sommes arrivés trop tard, et il a fallu nous replier tout de suite parce que, dans les montagnes, l’artillerie, n’avait pas pu nous suivre.

avec cela une tempête de neige et 30° au-dessous. les mulets tombaient tout d’une pièce, foudroyés par le froid. nous reculions, de montagne en

montagne, bataillant jour et nuit. impossible de se coucher. la terre était glacée et tellement dure, le vent tellement violent, que nous ne pouvions pas enfoncer les piquets de tentes, et les Bulgares nous serraient de près.

Je ne vous parle pas du ravitaillement, il avait disparu. avec le chef, on a vécu deux jours avec une boîte de potage salé en poudre, que nous mangions sec, tel quel.

on suçait de la neige quand on avait soif.un soir, on a pu se reposer dans les ruines d’un village abandonné. en pleine

nuit, il a fallu partir, et quelques hommes, qui avaient enlevé leurs souliers, les ont retrouvés gelés, durs comme des cailloux, et ils ont dû continuer nu-pieds dans la neige.

eh bien, malgré cela, sans vivres, sans sommeil, sans rien, chaque fois qu’il

l’a fallu, on a arrêté les Bulgares ! - alors, et vos blessés ? -Ça, petit, c’était le plus triste et le plus dur pour nous. Quand un copain

était blessé ou qu’il avait les pieds gelés et qu’il ne pouvait plus suivre, on le portait à tour de rôle. mais à la fin, nous étions tellement fatigués, qu’il fallait bien le laisser !

alors, on grattait la neige avec ses mains, on étalait une toile de tente, et on le mettait dessus.

ceux qui avaient encore des vivres en donnaient, et on repartait... - et alors ? - il y en a quelques-uns qui ont été ramassés par les Bulgares, mais il y en

a beaucoup dont on n’a jamais plus entendu parler (…)»

le mauvais état des liaisons terrestres dû au relief et aux marécages s’ajoute aux difficultés du quotidien des poilus d’orient. Sous alimentation, carences alimentaires fragilisent encore des combattants malades, qui, à la différence de leurs compatriotes se battant en France connaissent moins de relèves et de jours de permission, le manque inquiétants d’effectifs poussant l’etat major à maintenir les hommes le plus longtemps possible sur les positions.

Nous avons tenté de repérer des aménagements extérieurs pouvant se rattacher aux importants travaux de jardinage auxquels se livraient les combattants, y compris en première ligne, pour compléter leur alimentation. l’etat-major encouragea les maraîchages pour des motifs d’ordre psychologique mais surtout sanitaire afin d’améliorer l’ordinaire et lutter contre les risques réels de carences alimentaires.

aucun élément distinct ou explicite de cette nature n’a été reconnu dans les secteurs explorés en 2010.

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10/ Henri Frapié. «Jor d’orient». 1931. réedité en 2004 dans l’anthologie «Balkans en feu à l’aube du XXème siècle. romans, nouvelles, reportages». 2004. éditions omnibus.

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[La cote 1050]

Théâtre d’affrontements très violents, la cote 1050 est aujourd’hui une pâture parcourue par les bergers et leurs troupeaux, surplombant à l’est le hameau de Meglenci. les contraintes de délai du projet ne prévoyaient pas de topographie des abris et tunnels creusés dans ses flancs. une prospection de surface a cependant été réalisée, le cheminement étant guidé par Kostadin popovski et petar Stavrev, journaliste de Bitola auteur d’expositions photographiques sur les vestiges de la première Guerre mondiale en Macédoine. un imposant réseau de tranchées taillées à même la roche y est encore visible.

Plan positions des lignes sur les cotes 809 et 1050 dans la grande guerre.

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Deux types de traces énigmatiques sont peut-être à mettre en relation avec cette activité :

Des cavités rondes peu profondes de moins de 50 cm de diamètre sur la cote 809.

Une série de petits forages (diamètre 2-3 cm) réguliers sur des blocs de la pente sud-ouest de la cote 1050.

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À la différence des ouvrages de la cote 809 voisine, ceux de la cote 1050 se caractérisent par leur étendue, leur densité et leur sophistication. Des chambres avec des murs de refend maçonnés, des escaliers taillés dans la roche. au contact du plafond et des parois nous avons reconnu des mortaises dans lesquelles étaient encore fichées des piquets en bois destinés à soutenir des câbles téléphoniques ou électriques.

Escalier taillé dans la roche

Dans l’une des chambres une fresque représente l’empreinte du profil d’un visage d’homme coiffé d’un casque antique, peut être à mettre en relation avec une unité du corps expéditionnaire italien qui occupa les lieux à partir du 25 décembre 1916

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Calque du profil antique casqué.Retournement en positif horizontal de l’inscription pariétale avec filtrage en noir et blanc pour en faciliter la lecture

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Cette fresque partiellement conservée, lisible en négatif sur l’une des parois d’un abri troglodyte de la cote 1050 a d’abord été gravée sur une surface rigide (planche ? tôle ?) puis imprimée sur du mortier frais. on distingue dans un cadre rectangulaire un grillage oblique en haut à gauche, un court texte rédigé en cursive ronde et le profil d’un visage casqué. le casque évoque les coiffures antiques romaines : couvre-joue, cimier, panache.

D’autres traces de cadres en ciment, dépourvus de décor et presque entièrement effondrés sont visible dans la même chambre troglodyte. la tradition orale des habitants de Meglenci rapporte que la salle où se trouve la fresque était une chapelle pendant la guerre.

la présence d’unités italiennes dans ce secteur peut aussi suggérer la représentation d’un insigne régimentaire encore à identifier. l’artisanat de tranchées et les graffiti de la première Guerre mondiale sur le front occidental ont fait l’objet d’études poussées et de publications par les archéologues français11.

a notre connaissance cette découverte est la première de cette catégorie pour le front d’orient. elle se distingue des inscriptions patriotiques ou provocatrices gravées sur des parois à l’air libre par les protagonistes du conflit, telle que celle présentée par «le Miroir» dans le numéro du 28 octobre 1917.

[Le hameau de Meglenci, une récupération systématique du matériel militaire]

Si l’extraction industrielle massive de lignite au sud immédiat de la cote 809 a bouleversé la topographie en éradiquant des villages et hameaux attestés en 1916-1918, la configuration du hameau de Meglenci semble figée dans le temps et présente le même aspect que celui dessiné par le soldat etienne andré Valentin13.

Dessin du soldat Valentin 1918

Meglenci aujourd’hui

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11/ Yves desfossés, alain Jacques, gilles Prilaux. «l’archéologie de la grande guerre». ed. ouest France inraP. 2008. nous pensons en particulier aux dessins réalisés par les trouoes du commonwealth dans l’hôpital souterrain d’arras aménagé dans une carrière.

12/ miroir n°205, 28 octobre 1917.

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13/ soldat au 343ème régiment d’artillerie lourde coloniale, Valentin débarque à salonique en mars 1918. il dessine les paysages, les gens, les soldats. il laisse un croquis de meglenci. une sélection de son oeuvre a été publiée dans le cadre d’un projet pédagogique en 2011 par le lycée professionnel Paul cornu sous la direction de Jen Paul Helbert avec l’aimable collaboboration des descendant d’étienne andré Valentin. «les carnets du soldats Valentin». Parcours illustré d’un poilu, de la marne au front d’orient.

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l’iconographie contemporaine du conflit permet de mesurer l’énorme quantité de fil barbelé militaire disponible récupérée par les populations. l’absence totale de tout élément de cette nature « in situ » confirme la systématisation de la démarche

Ce constat nous amène à voir sous un autre angle la question de la sécurité liée à la présence éventuelle de munitions sur la ligne de front et à constater que depuis bientôt un siècle les habitants ont parcouru ces lieux fréquentés et ont systématiquement éradiqué tout ce qui était susceptible d’être réemployé dans un contexte civil. le secteur de Meglenci où nous nous sommes rendus était neutralisé de tout risque, conformément aux garanties fournies par les autorités macédoniennes compétentes.

la prospection de surface réalisée sur la cote 1050 a permis de découvrir un manche en bois de grenade « citron » Foug et un obus de mortier tiré et non éclaté de type « Crapouillot ». Ce dernier, neutralisé, n’avait plus sa fusée ni ses ailettes.

torpilles aériennes transportées à dos d’homme décembre 1916

un groupe d’élèves accompagnés par un traducteur a pris contact avec les habitants de Meglenci qui ont accepté de montrer un certain nombre d’objets identifiés avec certitude comme provenant de l’époque du conflit.

le barbelé et les «queues de cochon» (piquets métalliques de torsion et de fixation) représentent quantitativement la trace la plus visible de récupération. les clôtures traditionnelles de petites parcelles (clos d’élevage, jardins) constituées de murets de pierres sèches complétées avec des ronces et des épineux sont ponctuellement remplacées par du barbelé militaire. il convient de noter que le barbelé contemporain civil n’existe pas sur le site.

Barbelés et queues de cochon en réemploi.

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14/ miroir, 3 décembre 1916.

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manche de grenade, abris sous roche cote 1050.

[Une habitante de Meglenci représentative des coutumes de réemploi]

Maria Nocesvka, âgée de 75 ans, est un exemple caractéristique des personnes âgées, vivant en semi autarcie dans sa petite exploitation agricole en utilisant une importante quantité de matériel militaire issu du premier conflit mondial. Barbelés pour l’enclos de son jardin, queues de cochon comme éléments architecturaux (renfort de cheminée, quadrillage de fenêtres). Des canons de fusils servent de piquets pour soutenir des plantations ou de cale pour clore une annexe agricole. une pelle-pioche Seurre modèle 1909, dont le manche a disparu, est encore en usage pour le jardinage. un bouthéon (à confirmer) sert à Maria à stocker le savon artisanal qu’elle produit elle-même. une douille de 155 mm fichée dans le sol fait fonction de billot pour fendre son petit bois. Des bidons aplanis couvrent ses bâtiments. Des grenades quadrillées non éclatées abondent dans les murets et talus qui enclosent les parcelles. Dans un autre contexte archéologique, Maria possède dans le bâtiment qui était autrefois son four à pain un dolium, scié et retourné, lui permettant de stocker le grain pour ses volailles. il s’agit d’un contenant en céramique tournée de grande taille que Maria Nocevska définit comme provenant de «gradiste» toponyme macédonien signifiant «où a existé une cité» que l’on peut identifier comme un site de vestiges antiques. elle fait partie d’un lot dont elle ignore l’origine précise mais sait que l’un des ses voisins, que nous n’avons pas pu visiter, en possède trois identiques.

le diamètre maximal au niveau de l’épaule est de 275 cm, la hauteur conservée de 64 cm. la circonférence la plus mince au niveau du col, sous la lèvre est de 130 cm. la lèvre triangulaire est épaisse de 6,5 cm.

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SUR LES TRACES DES POILUS D’ORIENTMEgLENCIcorPuS du matériel militaire cheZ maria noceSVka

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1/couverture en tôle de récupéra-tion. des bidons aplanis couvrent ses bâtiments.

2/dolia, sciée et retournée, lui permettant de stocker le grain pour ses volailles.

3/douille-Billot. une douille de 155 mm fichée dans le sol fait fonction de billot pour fendre son petit bois.

4/ Pelle-pioche seurre modèle 1909, dont le manche a disparu, est encore en usage pour le jardinage.

5/Poilus avec son paquetage.

6/canons de fusils servent de piquet pour soutenir des planta-tions ou de cale pour clore une annexe agricole.

7/grenade quadrillées non éclatées abondent dans les murets et talus qui enclosent les parcelles.

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4caniSte

le village semi-déserté de Caniste occupe le plateau irrégulier dominant à l’ouest à 600 m d’altitude le ravin où s’écoule la Cerna.

alimenté par les ruisseaux Caniska, Kruseviska et Kosovska il n’est desservi que par une seule petite route goudronnée.

les pâturages sont entrecoupés de petites parcelles agricoles où les agriculteurs locaux produisent des céréales, des oléagineux ou encore du tabac pour la production locale ou encore pour une autoconsommation. électrifié dans les années 70, il n’est plus raccordé au réseau depuis la dissolution de la Yougoslavie en 1992. restent visibles des pylônes inutiles, seules traces matérielles tangibles de la seconde moitié du XXème siècle. une école fonctionnait encore dans les années 1970.

Seules cinq à six maisons sont encore habitées toute l’année par des bergers et bouviers dont la moyenne d’âge tourne autour de 85 ans. le village comptait encore une centaine d’habitants permanents dans les années 1980.

il s’agit de maisons traditionnelles de la fin du XiXème siècle. De plan rectangulaire, la toiture à quatre pans est souvent complétée par un porche. elles sont jouxtées par des jardins clos de murets en pierres sèches. la moitié des maisons observées, abandonnées, tombe en ruines : toitures effondrées, envahies par la végétation, fenêtres et portes détruites. une cinquantaine de personnes vivant dans la vallée de la Cerna (Prilep) passe l’été et les fêtes dans leurs maisons familiales de Caniste. les motifs n’en sont pas que l’attachement au terroir. De petits jardins, les troupeaux et volailles garantissent une situation de quasi autarcie. la plupart des habitants saisonniers que nous avons eu l’occasion de rencontrer sont des personnes âgées, souvent dépourvues d’allocations de retraite, dans une situation de survie. Des batteries de voitures sont ponctuellement utilisées pour alimenter des radios et télévisions. un petit camion épicerie vient ravitailler le village toutes les quinzaines.

[Témoignage de Zoran Petrevski]

Monsieur Zoran petrevski a été notre principal interlocuteur à Caniste. Ce berger retraité d’une entreprise de prilep possède 200 moutons dont la production annuelle de 25 bidons de lait de 16 kg, conservés dans de la saumure, est convertie en fromage.

Ses parents habitaient Caniste avant la première Guerre mondiale. evacués par l’armée allemande ils ne retrouvèrent leur maison qu’en 1918.

Zoran petrevski possède des objets hérité de ses parents, abandonnés sur place par les troupes bulgares ou récupérés sur la ligne de front.

il est également au courant des tentatives de recherches françaises de la tombe de l’aviateur léopold Montoya.

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tôle métro sur four domestique

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Des caisses et des barils métalliques aplanis sont utilisés aussi comme éléments de couverture ou de porte. le réemploi par les autochtones de ce type de matériel laissé sur place par les soldats est attesté par e. Burnet qui se trouve à larissa en juin 1917, sur la nouvelle route qui assure le transport des soldats de Salonique à itéa.

CANISTE

Son témoignage sur cette question, développée infra, a confirmé l’intérêt de notre démarche combinant l’observation de terrain avec le dialogue direct proposé aux habitants. le village de Caniste, camp de repos bulgare, est pris par le 42ème colonial entre le 16 et le 20 septembre 1918. evacué par ses habitants entre 1915 et 1918, distant des lignes de front, il n’a pas été marqué par le conflit mais est littéralement jonché de vestiges mobiliers militaires réemployés par les habitants. Si le phénomène est le même que celui observé à Meglenci, il prend dans le cas de Caniste des formes étonnantes par sa permanence et son impact.

Fusée d’obus, casque stalhelm, cartouche de fusil lebel et douille d’obus. échelle graphique de 0,10 m.

[Le réemploi architectural]

les barbelés et queues de cochon sont employés tout comme à Meglenci, en appoint, remplaçant ponctuellement les ronces et épineux couvrant la partie supérieure des murets de pierres sèches des enclos. plusieurs bottes de barbelés sont visibles dans les jardins. Dans quelques cas il est utilisé pour grillager des fenêtres dans les bâtiments agricoles annexes, mais pas sur les habitations. un cas unique de cage grillagée (poulailler ?) vétuste et abandonné a été identifié dans l’angle d’un enclos. le format standard des tôles métro est peut-être à l’origine de leur utilisation préférentielle pour couvrir les aires de travail des fours domestiques en cloche équipant en annexe chaque habitation.

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«les bidons d’essence de l’armée d’ orient ont servi à tout dans ce pays. on en a fait des lanternes, des entonnoirs, des lampes, des seaux, des paniers à salade, des bouilloires, des cafetières turques, des cloisons, des murs, des maisons entières. mais ceci, on ne l’avait jamais vu : un paysan grec, à jambe de bois, ayant cassé sa jambe de bois, la raccommodait avec le fer blanc d’un bidon à essence».

Sont visibles cette surprenante cheminée-obus, constituée d’une douille enfilée à travers un casque stalhelm, ou encore comme ce lest d’une toiture en tôle, assuré par une ogive éclatée relativement bien conservée suspendue par du fil de fer.

«Cheminée obus»

ogive éclatée, utilisé comme lest.

Déterminer la fréquence et les modes de réutilisation comme outillage du matériel militaire a été plus complexe. plusieurs habitants interrogés par les élèves ont montré leur utilisation d’une baïonnette allemande de fusil Mauser 98 K comme couteau domestique. De nombreux casques Stalhelm comme protection pour des poteaux en bois. Des exemples similaires ont été photographiés par le journaliste petar Stavrev, exposés au centre culturel français de Bitola en novembre 2009, où des apiculteurs utilisent des casques adrian pour couvrir leurs ruches.

Deux objets intéressants mais dépourvus de tout récit ont été découverts dans les jardins de maisons abandonnées.

Une boîte (vide) pour trois masques à gaz allemands, originellement fixée sur une pièce d’artillerie pour en équiper les servants.

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Une boîte à vivres française modèle 1917.

il convient de différencier le matériel allemand ou bulgare, qui a pu être abandonné sur place au moment de la retraite de 1918 avec les objets français que sont les tôles métro.

elles attestent d’une stratégie de récupération active. en effet, ce matériel lourd et encombrant ne se trouvait que sur la ligne de font, ou à l’arrière des positions alliées, distantes au plus près d’une dizaine de kilomètres du village, sachant que les gorges de la Cerna devaient être franchies hors de toute route carrossable avec de fortes déclivités.

il est possible que ces réemplois aient été inspirés aux civils par l’état des positions de la ligne de front où les combattants eux-mêmes faisaient usage de tous les éléments qui leur étaient acheminés, quand ils ne pillaient pas tout simplement les habitats évacués.G. de lacoste décrit le poste de commandement de sa batterie d’artillerie installée dans le secteur de Monastir au début de l’année 1917 :

« c’est une légère cabane en planches, grossièrement bâtie, avec comme abri au fond dans la paroi de la falaise, un simple trou en forme de niche, rien de plus. le poste téléphonique distinct, est à quelques mètres. c’est aussi une pauvre masure, qui rappelle celles que habitent les chiffonniers dans la banlieue des villes françaises, matériaux les plus divers et les plus hétéroclites, planches, feuilles de tôle, portes dérobées aux maisons du village, fer blanc de bidons à essence, morceaux de caisses d’obus, sacs, bouts de carreaux, enfin branchages qui servent à camoufler le tout. dans cette batterie, au surplus, les abris sont les plus sommaires des niches dans la falaise, complétées sur le devant par des cabanes ».

Ne subsiste en ce début de XXième siècle que le matériel métallique. il ne doit pas faire oublier que lors des premières années suivant le conflit des denrées et

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éléments périssables ou consommables ont dû également être recherchés par les habitants. Monsieur Dano Stojanovski, berger à Caniste, nous a confié avoir encore «pêché à la grenade» dans sa jeunesse, au milieu du XXème siècle.

[Léopold Michel Montoya, ou la redécouverte d’un pilote disparu en 1918]

le 5 avril 1918, le brigadier pilote léopold Michel Montoya est porté disparu au sud ouest de Caniste, son chasseur Nieuport 24 immatriculé n°4047 ayant été abattu par l’as allemand Gerhard Fieseler15 derrière les lignes bulgares. Fieseler revendique sa victoire et les bulgares retrouvent l’épave.

Son livre de pilote nous donne le rapport suivant :

«5 avril 1918. Parti à 7h 35 pour la protection de l’ar 1872, attaqué par quatre avions ennemis, vu par l’avion de reconnaissance à 8h tombant en vrille. d’après les renseignements fournis par les observatoires d’artillerie serait tombé entre la cote 1050 et le rocher plat ».

Dans le rapport français concernant la disparition de Montoya il est affecté à l’escadrille 504. Cependant le bilan quotidien de l’activité aérienne sur le front indique qu’il participait à une mission d’escorte sur Nieuport dans l’escadrille 508.l’escadrille 508 était une escadrille exclusivement chargée de faire du réglage d’artillerie, elle disposait de biplaces (des ar 1 en 1918) et de chasseurs Nieuport pour les escorter. la 504 effectuait des reconnaissances aériennes et du réglage d’artillerie pour le 16ème corps d’armée britannique en orient, elle avait des ar, quelques Breguet 14, et des Nieuport pour l’escorte.

les deux escadrilles stationnaient sur le secteur de Monastir ; les archives localisent à «Batch»16 ou Bac, au sud-est de Bitola deux terrains pour les avions de cette unité.

[Le Nieuport 24]

Conçu par Gustave Delage, pour remplacer le modèle 17 dont il améliore un peu les performances, le Nieuport 24 sort des chaînes de production pour fournir les escadrilles en mai 1917. il est utilisé par les Français mais aussi les russes blancs et les anglais.

propulsé par un moteur rotatif rhône de 130 chevaux il est armé d’une mitrailleuse Vickers sur les modèles de l’armée française. Sa vitesse maximale est de 187 km/h et son plafond opérationnel d’environ 5000 mètres. C’est un petit avion, long de 5,88 m pour une envergure de 8, 18 m. petit appareil ne dépassant pas 544 kg (armement compris), ses performances en vol dépendent pour beaucoup du poids du pilote. il est utilisé à partir de 1917 comme chasseur d’escorte et comme avion d’entrainement.

15/ gerhard Fieseler né le 15 avril 1896 à glesch; décédé le 1er septembre 1987 à Kassel. un as allemand de la Première guerre mondiale affecté en mai 1917 à Prilep à la 25ème escadrille de chasseurs, il y remporte 19 victoires ce qui fait de lui le premier pilote du front d’orient. il fonde une entreprise d’aviation à son nom après la guerre. il construit des avions et des missiles V1 pour le iiième reich pendant la seconde guerre mondiale.

16/ orthographe française des cartes de 1918.

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[Une quête familiale de 90 ans]

l’épouse enceinte de Montoya, morte en couches, donne naissance à une petite audette17, qui se retrouve par conséquent orpheline de naissance et qui sera élevée par ses grands parents. le 21 avril 1920 le brigadier Montoya est déclaré mort pour la France par le tribunal de Bordeaux et la famille reçoit un faire part de décès par le truchement de la Croix rouge allemande. Dans l’entre deux guerres, la famille tente en vain de faire retrouver la sépulture de léopold. en 2004, le capitaine de gendarmerie Fief, dans le cadre de la mission proxima18, découvre lors d’une permission à Skopje la plaque matricule de Montoya chez un antiquaire, M. Vladimir Manolev. Se rendant à Caniste le capitaine Fief rencontre un berger de la région de Krusevica, témoin direct de la fin de Montoya alors qu’il était enfant. il explique que ce dernier avait atterri pour tenter de procéder à des réparations. Des soldats bulgares sont arrivés sur les lieux et ont ouvert le feu sur l’aéronef. C’est en essayant de décoller que l’avion de léopold s’est écrasé. le père de ce témoin a été réquisitionné par les soldats pour enterrer le défunt. De retour en France, le capitaine Fief retrouve le petit neveu du pilote, Christophe Montoya, et apprend de ce dernier que la fille de léopold est toujours vivante.

avec le soutien d’une association d’anciens combattants, la famille Montoya contacte le Ministère de la Défense et l’ambassade de France à Skopje, et cherche depuis à localiser et rapatrier le corps de léopold.

Nous avons eu vent de cette quête par arnaud Coutey chargé en 2009 des relations entre l’ambassade de France et les établissements d’enseignement francophones. (à revoir sur sa carte). plusieurs expéditions successives de Benoit Fief depuis notre prospection en avril 2010 ont permis d’affiner la zone de crash et l’emplacement probable de la sépulture, au sud de Caniste, au fond du canyon abrupt où serpente la Cerna. le site est inaccessible sans équipement spécifique et fera certainement l’objet de recherches ultérieures.

Le témoin du crash de Montoya. En arrière plan le canyon de la Cerna.

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Bien que son empennage ait été redessiné par rapport au modèle 17, il est peu maniable et surclassé par ses équivalents allemands. Sa dernière utilisation militaire en 1922 pendant le conflit gréco-turc, confirme sa réputation d’un appareil rapidement périmé. le destin tragique de léopold Montoya peut donc s’expliquer par les qualités intrinsèques de Fieseler, le rapport défavorable d’un contre quatre, mais aussi par le fait qu’il était surclassé avant même le début du combat aérien.

image de synthèse nieuport 24

Nieuport 24 survolant la boucle de la Cerna

17/ graphie correcte.

18/ cette mission de police de l’union européenne en macédoine, du 15 décembre 2003 à décembre 2005, succéda à la mission de maintien de la paix concordia. elle était composée de 200 policiers étrangers. elle avait pour objet d’aider le gouvernement macédonien à lutter contre le crime organisé et à structurer ses forces de police.

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montoya devant son nieuport

[À la recherche du site de crash de Léopold Michel Montoya]

la méthode de travail utilisée a été de combiner l’enquête orale auprès des habitants avec la prospection pédestre de surface. la traduction étant assurée par les élèves macédoniens, bilingues, et par le guide interprète Diego Villalaba.

lors de notre première visite préparatoire à Caniste en avril 2009, notre surprise fut grande de constater, en interrogeant monsieur Dano Stojanovski, berger rencontré sur le plateau entre le sud de Caniste et la boucle de la Cerna, que celui-ci connaissait le récit de l’histoire de l’aviateur Montoya.

lors de l’expédition d’avril 2010 Zoran petrevski a accepté de nous conduire après une heure de marche abrupte au sommet du Kurbaba, à l’est du village, pour nous montrer le pic percuté en 1918 par un avion français perdu dans le brouillard, ses deux pilotes carbonisés sur place n’ayant jamais été inhumés.

le témoin se souvient avoir joué enfant avec les débris dans les années 50. Cet appareil inconnu n’est pas celui de Montoya. il s’agit probablement d’un avion d’observation, ar ou Breguet 14. aucun élément n’était visible sur le site au moment de notre visite. Monsieur petrevski a confirmé que les grosses pièces métalliques avaient été récupérées par les habitants. Son père lui avait raconté que plusieurs tentatives avaient été faites par les troupes françaises pour parvenir au sommet du Kurbaba, repoussées par les bulgares.

Zoran Petrevski montre le crash du Kurbaba.

Dans l’état de nos connaissances la couverture végétale couvrant la base du pic rocheux où l’avion s’est écrasé ne doit pas contenir de vestiges importants en volume. une éventuelle prospection au détecteur de métal pourrait rapporter des petites pièces détachées de l’épave discriminantes pour en identifier le modèle. aucun problème de sécurité n’est ici à craindre : les observateurs n’étaient pas chargés de bombes et la mitrailleuse embarquée, après le crash et l’incendie, à supposer qu’elle n’ait pas été récupérée, ne présente plus le moindre risque fonctionnel depuis longtemps. une étape ultérieure de nos recherches devra consister à tenter de lister les avions français d’observation perdus sur le Kurbaba en 1918.

le bilan de cette recherche d’un pilote perdu, recoupant les expéditions menées conjointement par le capitaine Fieffe et ses camarades, démontre que, presque un siècle après les événements, la mémoire locale a conservé des récits détaillés. Deux destins tragiques, dans un cas une personne identifiée dont nous manque

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zone du crash

le point de crash et la sépulture, dans un autre cas la localisation précise d’un crash d’appareil d’observation inconnu encore à déterminer. Ces pistes sont encourageantes. elles attestent qu’il est possible de répondre conjointement aux attentes des familles des descendants des pilotes, de la recherche historique et de l’écriture d’une histoire commune aux différentes nations européennes s’étant affrontées sur le sol de la Macédoine, avec le concours de ses habitants.

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5concluSion

Mener à bien conjointement un projet pédagogique avec une exigence de production scientifique n’était pas une démarche allant de soi. Nos objectifs et nos moyens d’action sur le terrain, circonscrits à un nombre de sites limités pour une durée brève ont pourtant confirmé la richesse et le potentiel archéologique de la Macédoine. relativement épargnés par les grandes mutations urbaines et le développement des infrastructures, les sites ont conservé dans les paysages et dans la mémoire des habitants une somme considérable d’informations et de vestiges.les villages de montagne où nous sommes allés sont en déprise démographique, les habitants vieillissants, vecteurs de témoignage de deuxième ou troisième génération après les faits, ont jusqu’à présent été peu sollicités, à notre connaissance, par les historiens français. Ce lien ténu avec un passé commun est en voie de d’extinction. Mais nous avons eu la chance de bénéficier dans ce projet commun de l’investissement de nos partenaires et amis macédoniens, issus du monde éducatif et administratif local.

Ce travail pédagogique, destiné à sensibiliser les jeunes européens de deux pays lointains à l’existence d’un passé commun reste ouvert et ne présente qu’une première étape d’une expérience pluriannuelle.

Nous souhaiterions qu’il puisse d’articuler avec des projets parallèles, en particulier concernant la mémoire d’autres acteurs du conflit, britanniques, italiens, serbes, bulgares, allemands, autrichiens. À la veille de la commémoration du centenaire nous espérons par ce travail attirer l’attention sur la lacune mémorielle française touchant les combattants du front d’orient.

en effet il est facile de constater la marginalisation du front d’orient par comparaison avec les musées, lieux de mémoire, publications destinées tant aux spécialistes qu’au grand public relatives au front occidental.

À l’heure où la crise financière fragilise les liens entre les peuples, où l’idée européenne s’éloigne de nombreux citoyens, tout ce qui peut créer du lien par la connaissance et le partage de la culture, du patrimoine et de la mémoire nous semble devoir être encouragé.

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iiiBiBliograPhieEric ALLART. Méthodes. prospection et parcellaire : hypothèse et limites d’interprétation sur le futur tracé autoroutier Falaise Sées. in « archéologie et prospection en Basse-Normandie ». Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie- Tome XXXViii. 2006.

CASTELLAN, GEORGES, Histoire des Balkans XiVème-XXème siècles, édition augmentée, arthème- Fayard, 2008.

COLLECTiF. « les chemins de mémoire ». Ministère de la défense-SGa-DMpa. N° 172 p.13. Mai 2007.

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COLLECTiF. « Balkans en feu à l’aube du XXème siècle. romans, nouvelles, reportages ». ed. omnibus. 2004

COLLECTiF. « l’équipement du poilu. 1914-1918 ». Hors-série Gazette des uniformes n°24. 2008

Yves DESFOSSéS, Alain JACqUES, Gilles PRiLAUx. « l’archéologie de la grande guerre ». ed. ouest France iNrap. 2008.

Henri FRAPié. « Jours d’orient ». ed. Baudinière. 1931

Général JOUiNOT -GAMBETTA. « uskub ou la cavalerie d’afrique dans la victoire ». ed. Berger-levrault. 1920.

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Aleksandar STOJCEV, DoJraN 1915-1918 (military operations Dojran positions -on the macedonian front- 1915-1918. institute for national history, Skopje. 2007.

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Yann THOMAS. « le fantassin français ». 1914-1918. ed. orep. 2008.

Yann THOMAS. « De la mort à la mémoire ». ed. orep. 2008.

Roger VERCEL. « Capitaine Conan ». ed. albin Michel. 1934.

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[Contacts et partenaires institutionnels]

- En République de Macédoine :

• Kyril, principal du Gymnasium Josip Broz Tito.• Lazar Kotevski, maire de Novaci.• Kostadin Popovski, ancien commandant de la protection civile de Bitola et commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Bitola• Aleksander Stojcev, directeur du Musée de l’Armée de Macédoine à Skopje.• Mile Velchovski, sous-directeur de l’Institut d’Histoire et du Patrimoine de Skopje. archéologue.

- En France : • Sabine Guichet-Lebailly, Responsable Chargée de Mission à la Coopération Décentralisée et Droits de l’homme, Conseil régional de Basse-Normandie• Nadège Lécluse, Chargée de Mission à la Coopération Décentralisée et Droits de l’homme, Conseil régional de Basse-Normandie• Jean-Yves Cousin, Maire de Vire• Catherine Godbarge, Adjointe au maire en charge de la Culture et de la Communication• Catherine Tahan, Adjointe au Maire chargée des Affaires Sociales, ville de Vire• Jacques Derubay, Adjoint délégué à la vie associative, ville de Vire• Elodie Loup, Directrice de la Médiathèque de la ville de Vire• Jacques Sesboüé, Proviseur du lycée professionnel Jean Mermoz de Vire (2007-2010)• Alain Cognet, Proviseur du lycée professionnel Jean Mermoz de Vire• Marilène Noel, Inspectrice de l’éducation nationale. Coordinatrice des projets pédagogiques avec la Macédoine• Adjudant-chef Philippe Lafargue, service historique de la Défense, château de Vincennes• Sylvie Guitton, Professeur de Lettres-Histoire, lycée professionnel Jules Verne de Mondeville• Jean-Paul Helbert, Professeur de Lettres-Histoire, lycée professionnel Paul Cornu de lisieux• Nelly Valentin et Gérard Guillard, Association Génération Valentin• Commandant Benoît Fieffe• Madeleine Stocanne, Présidente de l’Association nationale pour le souvenir des Dardanelles et Fronts d’orient• Sébastien Daycard-Heid / Collectif Argos / Magazine Géo• Anne-Marie Tranié, Mémorial du front D’Orient • Laurent Porée, Association Balkan-Transit à Caen

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