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34 Découvert par les Anglais, l’archipel et ses traditions furent relatés dans les journaux de bord des différents explorateurs puis colportés dans le vaste monde. Jack London par exemple, se passionnera pour le surf, ce sport gracieux qui se popularisera en Californie et en Australie au tout début du XX ème siècle. Il faudra cependant les sixties et l’apogée de la domination culturelle américaine sur le Monde pour que le phénomène ne devienne global. Charlie don’t surf ! Le colonel Kilgore avait attaqué le village de Vin Drin Dop au son de « La Chevauchée des Walkyries » de Richard Wagner. Surf’s up BREF HISTORIQUE DE LA CULTURE SURF Récit : Laurent Bagnard, images : archives et DR. Au 15 e siècle, les natifs d’Hawaii (et de Polynésie) pratiquaient déjà cette activité étrange consistant à glisser sur les vagues debout sur une longue planche profilée…

Surf’s up - LAURENT BAGNARD – …lbagnard.com/.../uploads/2017/09/034-043-carlingue3.pdfroulettes… destinée à rider les trottoirs. Copie urbaine (et pâlotte) du surf, le skateboard

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Découvert par les Anglais, l’archipel et ses traditions furent relatés dans les journaux de bord des différents explorateurs puis colportés dans le vaste monde. Jack London par exemple, se passionnera pour le surf, ce sport gracieux qui se popularisera en Californie et en Australie au tout début du XXème siècle. Il faudra cependant les sixties et l’apogée de la domination culturelle américaine sur le Monde pour que le phénomène ne devienne global.

Charlie don’t surf !Le colonel Kilgore avait attaqué le village de Vin Drin Dop au son de «  La Chevauchée des Walkyries  » de Richard Wagner.

Surf’s up

bref historique de la culture surfRécit : Laurent Bagnard, images : archives et DR.

Au 15e siècle, les natifs d’Hawaii (et de Polynésie) pratiquaient déjà cette activité étrange consistant à glisser sur les vagues debout sur une longue planche profilée…

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Son escadrille d’hélicoptères avait surgi de l’horizon avec le soleil levant : la mort, ce matin-là, venait d’en haut, comme en attestait la bannière soulignant le blason de la division peint sur le nez de son appareil, la 1re de cavalerie aéroportée de la 9e armée. Le jour précédent, Kilgore avait eu pour mission de convoyer le capitaine Willard et ses hommes jusqu’à l’embouchure du fleuve Nang, aux mains des Viêt-Cong. Il avait sympathisé avec un autre Californien, le canonnier Lance Johnson, membre de l’équipe de Willard et champion notoire de ce sport alors en vogue sur la côte Ouest : le surf (nous sommes en 1968) ! Kilgore avait donc planifié l’attaque du village afin que Lance puisse profiter « du seul endroit de ce putain de pays où il y a des rouleaux de deux mètres et des tubes qui valent le coup  » tandis que ses Huey en découdraient avec les communistes et qu’au final il fasse arroser la jungle voisine au napalm, lui permettant d’inscrire au panthéon des punchlines «  Jaime l’odeur du napalm au petit matin ! Ça sent la victoire ! » et bien entendu : « Charlie don’t surf ! ». C’est vrai, Charlie ne cultivait pas l’art de glisser avec une planche profilée sur les langueurs océanes  : sous ce sobriquet, le Viêt-cong s’occupait à gagner une guerre que l’Amérique avait récupérée des Français, dont ni sa jeunesse, ni ses soldats ne voulaient vraiment. Ils n’avaient rien à défendre, hormis leurs vies mises à mal par un commandement brouillon, ainsi que les éléments culturels qu’ils avaient

amenés avec eux. La radio aux armées jouait les Stones et un colonel de cavalerie aéroportée, trimbalant la nostalgie des vagues de Californie recréait, malgré la guerre, l’engouement pour la glisse sous un déferlement de rockets et un bombardement de mortiers  : Américain en diable, le Surf symbole des 60’s californiennes s’imposait à coups de canon dans le film «  Apocalypse Now  », de Francis Ford Coppola.

To me my board ! (a moi mon surf !)En 1968, l’Amérique est engluée dans ce conflit en Asie du Sud-Est que le peuple ne comprend pas, tandis que la jeunesse du monde libre le réprouve et essaie de trouver des voies alternatives à l’existence rectiligne que lui tracent ses aînés : brève pour ceux qui sont incorporés, insipide pour ceux qui étudient. Les mentalités se libèrent, et cette génération montante aime le rock, prône l’amour libre, l’expérience psychédélique, les choppers effilés et les Combi VW aux couleurs vives – du moins jusqu’à l’été où mondialement, elle prend la rue d’assaut et se frite avec les forces de l’ordre tant à Washington qu’à Paris, Londres ou Mexico… mais c’est une autre histoire. A cette époque, sur la très lointaine planète Zenn-La, le bouillant Norrin Rad se morfond en pensant à toutes les gloires passées qui définirent son peuple, jadis explorateur et conquérant mais désormais quiet et sans idéal. Douillettement bercés par des siècles de bien-être, les habitants de Zenn-La ont perdu le goût de la découverte, du risque et du danger mais Norrin Rad, seul, rêve d’aventure au fil de jours qu’il vient à détester tant sa vie est exempte de surprises. Même la stupéfiante Shalla Bal, son aimée, ne parvient pas à le distraire de sa mélancolie… L’arrivée soudaine de Galactus, demi dieu dévoreur de planètes, va bouleverser tout Zenn-La. Affamée, la redoutable et gigantesque créature s’apprête à engloutir l’astre tout entier lorsque Norrin Rad s’envole à sa rencontre pour lui proposer d’épargner son monde  : en échange, il consacrera sa vie entière à explorer l’espace et repérer pour lui des planètes comestibles exemptes de civilisations.

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Touché à la fois par la courageuse démarche de ce petit être et par son discours humaniste, Galactus acquiesce et d’un éclair cosmique transforme Norrin Rad en son héraut : désormais métamorphosé en humanoïde argenté et investi lui aussi du pouvoir cosmique, il pourra voguer dans l’immensité de l’espace sans craindre pour son existence. Pour se véhiculer sur les océans du vide, il lui offre une long-board volante qui n’obéira qu’à sa pensée : c’est ainsi qu’est né le premier super héros humaniste, naïf, désintéressé, romantique –  bref un VRAI héros  – de l’écurie Marvel, le Surfer d’Argent, en mai 1968 (*). Vous apprécierez l’attention des auteurs d’imposer au goût du jour un combattant pour la paix et le bien-être de la race humaine en pleine guerre froide, au mois le plus chaud –  si j’ose dire  – de la période d’affrontements entre l’Etat et sa jeunesse dévoyée  : le Surfer amène avec lui un cool galactique empreint de mysticisme et de monacat. Il accepte d’être exilé sur Terre pour avoir désobéi à son maître qui voulait dévorer la planète bleue et cherche à comprendre

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Surfin’ birdLe titre est trop beau, la chanson finalement trop intemporelle pour ne pas servir d’intro à ce troisième chapitre, celui-ci vous l’aurez compris, musical. Nous sommes en 1963, des petits gars de Minneapolis, les Trashmen, introduisent des, hum, paroles sur un rythme frénétique –  principalement fait d’un seul accord martelé  – pour contribuer à «  élever  » le genre jusqu’alors majoritairement instrumental vers l’intemporalité, justement  ! La surf music, jusqu’alors sans paroles, aurait pris forme en 1958, si l’on en croit l’historique rock’n’roll, avec « Rumble », de Link Wray (qui s’y connaissait en bagarres, mais pas en surf, étant natif de Caroline du Nord). Une découverte soudaine de l’utilisation poussée du trémolo (accouplé à une noble saturation) donna à sa chanson une tonalité nouvelle, qui commença de fait à définir la vague « surf music » à venir. Dick Dale et ses Del Tones consacreront le genre en 1961 avec « Let’s Go Trippin », un instrumental mené par le jeu particulier de Dale, un mix de gammes rapides et de staccato du médiator jamais entendu jusqu’alors  ! Californien depuis l’adolescence, il était surfer et s’inspirait du bruit des vagues, du feeling de la glisse sur les rouleaux du Pacifique et traduisait cela en hymnes électriques. Leo Fender, toujours soucieux d’améliorer son matériel, s’alliera avec le King de la Surf Guitar pour développer son redoutable Fender Twin Reverb, diabolique ampli aux aigus tranchants et aux basses caverneuses, ainsi que l’affutage des guitares Stratocaster. Premier musicien à essayer de pousser le volume jusqu’à 11, Dale initia cette branche de la culture musicale populaire avec un deuxième titre qui nous est parvenu intact grâce à Tarantino et Pulp Fiction, « Misirlou  » (1962), une chanson traditionnelle orientale électrifiée par ses soins. Cette année vit l’apparition dans les bacs à disques celui des Garçons des Plages, les Beach Boys : « Surfin’ Safari », au premier titre éponyme.

les motivations de la race humaine, à la fois attachante et stupidement repoussante, violente et tendre… Space bum attachant, il pose à chaque épisode la question de la légitimité de la violence (tout en la pratiquant remarquablement), dénonce les abus du pouvoir (auxquels il se fait prendre parfois) et finalement nous (et se) convainc de la suprématie de l’amour (auquel il ne peut malheureusement goûter, Shalla Bal vivant à des années lumières de sa prison de vide !). Perdu dans un trip cosmique sans pilosité exubérante ni défonce psycho-tropique, en remarquable forme physique et ignorant totalement la peur, le Surfer est une autre émanation de cet état d’esprit californien 60’s !

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chemise hawaiienne obligatoirement à l’honneur !), son argot et sa musique… En 1963 sort « Wipeout » (**), des Surfaris – une chanson instrumentale qui poussera la vague jusqu’à nous via une bonne vingtaine d’utilisations cinématographiques, dont le férocement rock’n’roll «  Les Seigneurs  », de Philippe Kaufman). Cette même année, la chanson « Surf City » de Jan & Dean annonce la couleur : « 2 girls for every boy » (deux filles pour chaque garçon). A croire qu’à Huntington Beach (sud de L.A., dans le comté d’Orange), tout le monde roule en Ford 34 woodie, vit près de la plage, au bord de l’Highway 1 et lâche toute activité matérielle au son de « Surf ’s up ! » pour aller piquer une tête auprès de la plus grande jetée de Californie… 30 ans plus tard, les Ramones reprennent le titre, après avoir au début de leur carrière remis au goût du jour « Surfin’ Bird ».

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Ces cinq garçons dans le vent (qui avaient failli s’appeler « The Pendeltons  » du fait de leur penchant pour la marque de chemises à carreaux) formèrent le seul quintette qui put faire face à la British Invasion des Beatles  : mélodies sucrées, harmonies implacables, hymnes aux plages, aux vagues, aux nanas et aux grosses cylindrées (ah la magnifique « 409 » sur cet album, la déclinaison du catalogue Chevrolet en musique bubble-gum  !) –  la Californie devient grâce à eux la terre promise, avec son soleil, ses palmiers, son dresscode (la

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Au final, le surf n’est-il pas un élément culturel un tantinet subversif ? En tous cas c’est un sport dont les championnats du monde sont disputés chaque année à Huntington Beach, qui conserve son titre contre vent, marées et Santa Cruz (qui se réclamait elle aussi d’être la Ville du Surf ).

DogtownQuoiqu’il en soit, le soufflé « Surf Culture » est retombé avec la guerre du Viêt Nam et l’institutionnalisation de la violence. La culture pop californienne, heureusement vivace, avait sans médiatisation produit dans les quartiers de Los Angeles qui ne donnaient pas sur la mer un «  Sidewalk Surfboard  », une petite planche à roulettes… destinée à rider les trottoirs. Copie urbaine (et pâlotte) du surf, le skateboard prit son essor dans

les sixties – c’était alors un jouet en bois agréablement profilé avec des roues en métal  – il devint un outil culturel à part entière dès que furent inventées les roues en uréthane (1973). Vers 1975, Stacy Peralta, Jay Adams et Tony Alva créent les Z-Boys à Venice, Californie et établissent les codes du skateboard moderne en envahissant les piscines vides des quartiers huppés durant la canicule de ’76 dans un style commando qui fit date (***). Définitivement rock’n’roll, cet art de la rue s’appuie dès 1977 sur les solides accords… des Ramones, cités auparavant, puis du punk rock que ces New  Yorkais têtus ont inspiré sur la côte Ouest (NoFx, Bad Religion, Social Distortion, US Bombs…), mais aussi du rap, du reggae et du RnB. Le Surf, ami lecteur, est donc l’assimilation américaine d’un élément éminemment culturel hawaïen –  tant spirituel que récréatif – du fait de l’intégration de l’archipel dans la fédération au titre de 50e et dernier état. Profitant de la formidable machinerie promotionnelle des USA, il devint l’une des icônes des sixties en s’intégrant à la pop culture ambiante, bagnoles et musique comprises.Mais si l’on revient au tout début de l’article, on peut remarquer qu’il y est un tout petit peu question de Polynésie, et donc d’un lointain territoire français, dont la population autochtone aimait à glisser sur les vagues elle aussi… On est en droit de se demander quel en a été l’impact sur l’identité nationale  : les « zoos humains » mal détaillés dans les livres d’histoire (expositions coloniales de 1889 à 1937)… ou Brice de Nice ?

(*) En fait le Surfer fait une première apparition dans un épisode opposant les Fantastic Four (les 4 Fantastiques en français) à Galactus. Il est le fait du talentueux Jack Kirby. Ce dernier incite Stan Lee, le patron/gourou de Marvel à lui consacrer son propre comic book en ’68, avec l’excellent John Buscema aux pinceaux .(**) Wipe Out : Chute dans l’impact d’une vague (source : Lexique du surf ).(***) Voir « Les Seigneurs de Dogtown », écrit par Stacy Peralta et réalisé par Cathy Hardwicke.