6
46 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 5/Juin 2005. © Masson, 2005.Tous droits réservés. Psychiatrie Neurologie Gériatrie Pratique clinique Syndrome d’immobilisation : conséquences et stratégies préventives P. Pras, D. Bouaziz, P.-M.Tardieux, S. Bailleux Service de gérontologie clinique, Hôpital de Cimiez, CHU de Nice, 4, avenue Reine-Victoria, BP 1179, 06003 Nice Cedex 1. Correspondance : P. Pras, adresse ci-dessus. E-mail: [email protected] Résumé Nécessaire chaque jour pour permettre le repos vespéral, l’immobilisation au lit est une situa- tion physique des plus banales. Elle peut cependant entraîner des modifications physio- logiques et pathologiques exposant, à plus ou moins long terme, à la survenue de complica- tions, et cela d’autant plus qu’elle est prolon- gée et que le sujet est fragile et/ou polypatho- logique. L’alitement, faisant partie de toute prise en charge d’une pathologie aiguë ou chronique et invalidante, doit être considéré comme un événement pathogène. Que ce soit à l’hôpital, en institution ou à domi- cile, il est donc primordial : - d’en limiter les indications et la durée notam- ment chez la personne âgée fragile, - d’informer le patient et sa famille de ses effets nocifs. Si toutes les complications n’ont pas la même gravité, toutes peuvent entraîner une aug- mentation de la durée de prise en charge, un surcoût de celle-ci, une diminution de l’auto- nomie et de la qualité de vie. Presque toutes les complications peuvent être prévenues. Mots-clés Syndrome d’immobilisation, modifications physiologiques, complications, sujet âgé. Summary The bed rest: consequences and preventive strategy The bed rest is a common physical situation we know each day. It may however lead to physiological and pathological modifications involving some complications specially if the immobilization is extended, and if the patient is fragile and/or polypathological.The bed rest induced by an acute or a chronic invalidating disease is to be regarded as a pathogenic event. At the hospital, in institution or in residence, it’s very important to: - limit the indications and duration for fragile old patients, - inform the patient and his family of possible complications. Even if all complications have not the same seriousness and if all of them should be prevented, they may involve increase hospital duration, increase the cost, losses independence and quality of life. Key words Bed rest, physiological modifications, complications, old patient. Pras P, Bouaziz D,Tardieux PM, Bailleux S. NPG 2005 ; 5 (27) : 46-51.

Syndrome dâimmobilisation : conséquences et stratégies préventives

  • Upload
    s

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Syndrome dâimmobilisation : conséquences et stratégies préventives

46 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 5/Juin 2005. © Masson, 2005.Tous droits réservés.

Psychiatrie

Neurologie

Gériatrie

Pratique clinique

Syndrome d’immobilisation : conséquenceset stratégies préventives

P. Pras, D. Bouaziz, P.-M.Tardieux, S. BailleuxService de gérontologie clinique, Hôpital de Cimiez, CHU de Nice, 4, avenue Reine-Victoria, BP 1179, 06003 Nice Cedex 1.

Correspondance : P. Pras, adresse ci-dessus.E-mail: [email protected]

Résumé

Nécessaire chaque jour pour permettre le reposvespéral, l’immobilisation au lit est une situa-tion physique des plus banales. Elle peutcependant entraîner des modifications physio-logiques et pathologiques exposant, à plus oumoins long terme, à la survenue de complica-tions, et cela d’autant plus qu’elle est prolon-gée et que le sujet est fragile et/ou polypatho-logique. L’alitement, faisant partie de touteprise en charge d’une pathologie aiguë ouchronique et invalidante, doit être considérécomme un événement pathogène.Que ce soit à l’hôpital, en institution ou à domi-cile, il est donc primordial :- d’en limiter les indications et la durée notam-ment chez la personne âgée fragile,- d’informer le patient et sa famille de ses effetsnocifs.Si toutes les complications n’ont pas la mêmegravité, toutes peuvent entraîner une aug-mentation de la durée de prise en charge, unsurcoût de celle-ci, une diminution de l’auto-nomie et de la qualité de vie. Presque toutesles complications peuvent être prévenues.

Mots-clésSyndrome d’immobilisation, modificationsphysiologiques, complications, sujet âgé.

Summary

The bed rest: consequences andpreventive strategyThe bed rest is a common physical situationwe know each day. It may however lead tophysiological and pathological modificationsinvolving some complications specially if theimmobilization is extended, and if the patientis fragile and/or polypathological. The bed restinduced by an acute or a chronic invalidatingdisease is to be regarded as a pathogenicevent. At the hospital, in institution or inresidence, it’s very important to:- limit the indications and duration for fragileold patients,- inform the patient and his family of possiblecomplications.Even if all complications have not thesame seriousness and if all of them shouldbe prevented, they may involve increasehospital duration, increase the cost, lossesindependence and quality of life.

Key wordsBed rest, physiological modifications,complications, old patient.

Pras P, Bouaziz D, Tardieux PM, Bailleux S. NPG 2005 ; 5 (27) : 46-51.

Page 2: Syndrome dâimmobilisation : conséquences et stratégies préventives

47Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 5/Juin 2005. © Masson, 2005.Tous droits réservés.

Le syndrome d’immobilisationP. Pras et al.

Introduction

Certaines affections aiguës ou chroniques invalidantes entraî-nent une immobilité de fait. D’autres nécessitent pour leur gué-rison une immobilisation temporaire par alitement ; certaines,enfin, par leur symptomatologie, conduisent le patient à préfé-rer l’alitement à la station assise.Les conséquences physiologiques et pathologiques de la dimi-nution des mouvements contre la pesanteur et de l’immobilisa-tion sont connues de longue date (1, 2).En pratique médicale, le terme de « syndrome d’immobilisation »définit les conséquences pathologiques des situations d’alite-ment (de clinostatisme ou de décubitus prolongé).L’alitement peut être :- permanent (état grabataire) pratiquement toujours source decomplications sévères ;- incomplet, entrecoupé de brèves périodes de mise au fauteuil,voire de déplacement, mais pouvant être tout aussi responsablede complications.Les causes de l’immobilisation en pratique médicale courantesont nombreuses et variées :- certaines sont imposées par une pathologie aiguë nécessitantde façon impérative la suppression de tout transfert (mise aurepos d’un organe, par exemple) ou entraînant une perte plusou moins importante des capacités de transfert (invalidité tem-poraire par réduction de capacité fonctionnelle ou asthénie) ;- d’autres sont liées à une pathologie chronique invalidante :dans ce cas, la raison de l’immobilité peut être en rapport avecune incapacité fonctionnelle perturbant les capacités de trans-fert et la verticalisation, mais aussi avec un état douloureux ouun état dépressif, voire régressif.Les indications d’alitement strict sont peu nombreuses. Ellesrésultent d’une contre-indication formelle à la mobilisation souspeine d’aggraver la pathologie en cause ou d’en générer unenouvelle :- fracture récente non consolidée, non ostéosynthésée ;- thrombose veineuse profonde en début de traitement, avecrisque de migration embolique ;- décompensation cardiaque ou respiratoire aiguë ;- coronaropathie aiguë invalidante ;- hypotension importante.Les causes d’alitement habituellement observées sont plus nom-breuses :- douleur aiguë ou chronique invalidante ;- déficit neurologique (hémiplégie…) ;- syndrome fébrile ou état septicémique ;- pneumopathie aiguë avec hyperthermie importante ;- état dépressif, troubles cognitifs ;- syndrome de désadaptation psychomotrice post-chute, plusspécifiquement rencontré chez les personnes âgées ;- syndrome de perte globale d’autonomie, secondaire à des

séquelles de pathologies invalidantes (hémiplégie….) ou à despertes de capacités fonctionnelles dans un contexte de dénutri-tion avec sarcopénie extrême.La durée de l’alitement est fonction de l’évolution du ou des fac-teurs pathologiques en cause, des pratiques professionnelles,mais également du comportement et de la personnalité dupatient.

Conséquences de l’immobilisation prolongée

L’immobilisation prolongée en position horizontale et, à un degrémoindre, en position assise entraîne diverses modifications phy-siologiques.

Modifications circulatoiresDès les premiers jours du décubitus, sont observées des aug-mentations du débit cardiaque et de la pression artérielle. Puis,du fait de la stimulation des barorécepteurs, du système rénine-angiotensine et d’une diminution de la sécrétion d’ADH, sur-viennent une baisse de la fréquence cardiaque, une baisse de lapression artérielle, une diminution de la volémie et du débit car-diaque (3). Il en résulte un risque d’hypotension orthostatique.Sur le plan veineux, l’immobilisation ne semble pas induire destase veineuse. Par contre, les caractéristiques du réseau veineuxdes membres inférieurs de certains sujets, en particulier lessujets âgés (dilatation veineuse, défaillance valvulaire, varicosi-tés..) favorisent la stase veineuse.

Diminution des aptitudes physiquesLa capacité d’adaptation à l’effort (VO2 max) diminue rapide-ment et progressivement (de 25 % environ en 3 semaines). Cettediminution peut avoir des conséquences néfastes chez des per-sonnes à VO2 max antérieurement très abaissée (cardiopathie,insuffisance respiratoire, sédentarité) et entraîner la perte decapacité pour les activités de la vie quotidienne.

L’amyotrophie de non utilisationElle est d’autant plus sévère que l’immobilité est absolue et pro-longée. Elle survient plus rapidement et est plus importante aumembre inférieur (muscles quadriceps et fessiers) qu’aumembre supérieur. Les conséquences sur les capacités de trans-fert et sur les activités de la vie quotidienne sont d’autant plusgraves que l’état musculaire antérieur est déficient (sarcopénie).

L’enraidissement articulaireCet enraidissement articulaire par rétraction capsulo-ligamen-taire est de survenue rapide et constante, après quelques joursd’alitement.

Page 3: Syndrome dâimmobilisation : conséquences et stratégies préventives

48 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 5/Juin 2005. © Masson, 2005.Tous droits réservés.

Pratique clinique

La diminution de l’amplitude de l’articulation tibio-tarsienne esttrès rapide. En une semaine s’installe une limitation de la flexiondorsale de la cheville et, en quelques semaines, pourra survenirune déformation en équin, susceptible de compromettre grave-ment la marche. Les rétractions sont habituellement doulou-reuses, surtout lors de la mobilisation passive, tels que les soinsde nursing et de toilette.Les complications articulaires sont particulièrement fréquentesdans les affections neurologiques et orthopédiques (gonar-throses), mais peuvent survenir chez tout sujet en position inadé-quate. Certaines attitudes antalgiques sont source de rétractiontendineuse et de position vicieuse évoluant vers la triple flexion.

Modifications du métabolisme phosphocalciqueet osseuxL’immobilisation prolongée entraîne une hypercalciurie constantepar action sur le remodelage osseux et sur la réabsorption du cal-cium. Les conséquences en sont à plus ou moins long terme :- une fréquence accrue des lithiases avec pour corollaire une aug-mentation de l’incidence des infections urinaires ;- une déminéralisation osseuse de type ostéoporotique notam-ment sur l’os spongieux pouvant exposer plus tard au risqueultérieur de tassements vertébraux.

Complications de l’alitement

Toutes les complications observables comme étant en rapportavec un état de décubitus plus ou moins prolongé découlent desmodifications citées précédemment. Leur fréquence est bien évi-demment variable selon de nombreux paramètres :- pathologies responsables de l’alitement,- complications intercurrentes,- durée de l’alitement,- degré d’immobilité du patient,- qualité des soins médicaux, infirmiers et kinésithérapiques.Certaines complications sont de constatation constante, aprèsquelques jours d’alitement. Elles résultent des modificationsphysiologiques liées au décubitus : rétraction capsulo-ligamen-taire articulaire notamment de l’articulation tibio-tarsienne,fonte musculaire (sarcopénie d’immobilisation), baisse de la VO2max et donc des capacités d’adaptation à l’effort.D’autres, plus aléatoires, peuvent être considérées comme desaccidents de parcours facilités par la durée de l’alitement et parle contexte pathologique. Si l’alitement prolongé entraîne denombreuses modifications physiologiques et autres complica-tions, il faut aussi rappeler que toute réduction du temps passéen orthostatisme pourra entraîner les mêmes effets. C’estnotamment le cas de toutes les situations de confinement domi-ciliaire total et d’état semi-grabataire (lit-fauteuil).

Gravité des complications

La gravité des complications de l’alitement prolongé est variable.Les risques sont, bien entendu, plus importants chez le sujet âgéfragile. Certaines complications exposent à un risque direct demortalité dans des délais plus ou moins longs. D’autres aurontun retentissement fonctionnel, faisant courir le risque, à plus oumoins long terme, d’une perte d’autonomie, surtout chez despersonnes en situation de fragilisation.L’immobilisation prolongée en position horizontale aura deseffets délétères sur de nombreuses fonctions. Elle entraîne :- une inadéquation cardio-vasculaire à la position debout (hypo-tension orthostatique) ;- une diminution de l’aptitude physique (amyotrophie de non-utilisation) ;- une fuite urinaire de calcium et de phosphore (décalcificationet complications ostéo-articulaires) ;- des effets non spécifiques (diminution de la résistance auxagressions, complications urinaires et problèmes digestifs) ;- des conséquences psychologiques.

Nature des complications

Certaines complications exposent particulièrement à un risquede perte d’autonomie du fait de leur répercussion sur les capa-cités fonctionnelles. D’autres sont plutôt des pathologies inter-currentes.

Pertes d’autonomieElles concernent tous les types de limitation de mobilité. Leurgravité dépend de multiples facteurs :- la pathologie en cause dont dépendent la durée et le degré del’immobilisation,- les pathologies associées ou intercurrentes,- le comportement du patient (personnalité antérieure, troublescognitifs),- la prise en charge par le personnel soignant.En pratique hospitalière gériatrique, ce sont elles qui expliquentsouvent la grabatisation d’un sujet au décours d’une prise encharge en service de court séjour, motivant, de ce fait, le passageen unité de soin de suite et de réhabilitation (SSR).

La diminution des capacités d’adaptation à l’effort(VO2 max)Elle entraînera une dyspnée lors des efforts de toilette et detransfert et pourra retarder la ré-autonomisation. La perte d’au-tonomie qui en résulte peut compromettre le retour au domi-cile, ainsi que la reprise de validité (d’autant plus fréquemmentque le sujet est vulnérable et polypathologique).

Page 4: Syndrome dâimmobilisation : conséquences et stratégies préventives

49Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 5/Juin 2005. © Masson, 2005.Tous droits réservés.

Le syndrome d’immobilisationP. Pras et al.

La sarcopénie d’immobilisationElle se manifeste par une fonte musculaire prédominant auniveau des quadriceps et des fessiers. Elle est d’installation d’au-tant plus rapide et sévère que l’immobilité est importante et pro-longée, que les apports calorico-protidiques sont faibles et qu’ilexiste un état inflammatoire concomitant. Elle peut être miseen évidence par le palper des masses musculaires, le testing et,également, par l’évaluation des capacités de transfert.

Les rétractions articulairesElles sont d’installation plus ou moins rapide selon le degré d’im-mobilité et l’existence de pathologies articulaires associées,notamment arthrosiques. Leur retentissement fonctionnel jus-tifie leur recherche régulière par mobilisation activo-passive, enparticulier au niveau des tibio-tarsiennes et des genoux. Leurprésence peut être à l’origine de douleurs lors de la mobilisation,notamment lors des soins d’hygiène et de nursing.

Les troubles du contrôle posturalIls se caractérisent par une tendance à la rétropulsion en posi-tion verticale, ou même assise, associée à une appréhensionmajeure de la mise en position debout. Ils s’observent surtoutaprès un alitement prolongé et chez des sujets très âgés.

Les escarresUne pression prolongée de 30 mmHg est suffisante pour entraî-ner une baisse significative de la pression tissulaire en O2. Sasurvenue peut donc être très rapide, en quelques minutes, lorsd’une immobilisation stricte.Les régions anatomiques les plus exposées sont le sacrum et lestalons. Elles doivent donc être examinées bi-quotidiennement,surtout en cas d’immobilisation stricte. Il n’est pas rare que lestade de début (érythème) passe inaperçu et que l’escarre soitdiagnostiquée devant une phlyctène (stade 2), voire une nécrose(stade 3).De nombreux facteurs aggravants ont été identifiés : déshydra-tation extracellulaire, insuffisance cardiaque décompensée, étatd’hypoxie, artériopathie périphérique, dénutrition, prise de psy-chotropes sédatifs, etc.La gravité de l’escarre dépend de différents facteurs : profondeur,surinfection, dénutrition associée, douleur… Elle constitue tou-jours une complication sévère qui prolongera la durée de l’alite-ment, retardera ou même pourra compromettre la ré-autono-misation du patient, voire même sa survie par la survenue d’unesepticémie.

Les complications psychologiquesElles sont très fréquemment observées. L’anxiété et/ou l’étatdépressif en sont les manifestations les plus courantes avec, pourcorollaire habituel, l’anorexie, les troubles du sommeil, les

troubles du comportement, des plaintes diverses, etc.Elles peuvent aussi se caractériser par la survenue d’un compor-tement régressif, avec installation d’un état de dépendance pourles activités de toilette et de continence, non justifiée par les pos-sibilités réelles du patient, ou bien par un refus de se mobiliseravec appréhension majeure lors des transferts et rétropulsionlors de la verticalisation, identique aux états de régression psy-chomotrice observée après chute (3).Les circonstances de survenue, la ou les pathologies en causeainsi que la personnalité antérieure du sujet rendent compte dela variété des manifestations psychologiques et de leur éven-tuelle gravité.

Pathologies intercurrentes

Les complications thromboemboliquesSi l’immobilisation n’est pas en soi un facteur individuel dethrombose veineuse, le risque de celle-ci s’accroît cependant parla coexistence de facteurs associés tels que surcharge pondérale,varices des membres inférieurs, cardiopathie, antécédent récentd’intervention chirurgicale surtout orthopédique, prostatique etpelvienne, état inflammatoire cancéreux ou autre, déshydrata-tion, etc. (4).Les thromboses veineuses superficielles les plus fréquentes sontpeu emboligènes à la différence des thromboses veineuses pro-fondes et de celles de la veine cave.

Les troubles du transitLa diminution du péristaltisme intestinal liée à l’alitement, la dif-ficulté d’exonérer en position couchée, les apports alimentaires,la déficience habituelle de la sangle abdominale expliquent laplupart de ces complications.La constipation. - Sa fréquence peut être accrue par certainesmédications, notamment les psychotropes, ainsi que par ladéfaillance de l’environnement humain ou matériel. Elle est par-ticulièrement inconfortable et susceptible de décompenserl’équilibre psychologique de sujets anxieux.Le fécalome. - Il résulte d’une constipation opiniâtre. Son déve-loppement est insidieux et habituellement silencieux, se situantsoit au niveau colique (habituellement recto-sigmoïdien), soitau niveau rectal. Non évacué, il conduit à un tableau d’occlusionintestinale fonctionnelle (météorisme abdominal sans niveauxhydro-aériques). La symptomatologie peut s’enrichir de douleursabdominales ou pelvorectales, de diarrhée, ainsi que d’une incon-tinence urinaire par envies impérieuses, voire d’une rétentionaiguë d’urine.

Les troubles sphinctériensLes infections urinaires sont banales dans le contexte d’un alite-ment et des pathologies qui en sont responsables. Elles sont, de

Page 5: Syndrome dâimmobilisation : conséquences et stratégies préventives

50 Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 5/Juin 2005. © Masson, 2005.Tous droits réservés.

Pratique clinique

plus, favorisées par la pose éventuelle d’une sonde urinaire, parla coexistence d’une constipation et, chez l’homme, par un résiduvésical post-mictionnel dans le contexte d’une hypertrophieprostatique.Les rétentions urinaires sont favorisées par la constipation, unfécalome, une hypertrophie bénigne de la prostate, des traite-ments anticholinergiques. Elles peuvent survenir de façon pro-gressive et insidieuse sans douleurs. Le globe vésical peut alorspasser inaperçu, d’autant que la symptomatologie peut êtredominée par des mictions par regorgement. Dans d’autres cas,la survenue sera rapide, marquée par des douleurs pelviennesconduisant rapidement à la mise en évidence du globe vésical.Par ailleurs, la survenue d’une rétention urinaire aiguë peut, chezun sujet âgé aux fonctions cognitives altérées, entraîner un syn-drome confusionnel.L’incontinence urinaire est aussi particulièrement fréquente. Lescauses peuvent en être multiples : situationnelle en rapport avecla défaillance de l’entourage soignant (port de couches imposé),envies impérieuses par instabilité vésicale, miction par regorge-ment, défaillance de l’appareil sphinctérien, miction réflexe.L’incontinence anale est due, le plus souvent, à la défaillance del’appareil sphinctérien survenant surtout au décours d’alitementprolongé ou chez des patients dénutris ; elle peut être égalementsituationnelle, comme l’incontinence urinaire.

Les complications broncho-pulmonairesLa position couchée expose au risque :- d’encombrement bronchique surtout chez les patients bron-cho-emphysémateux ou obèses,- de pneumopathie de déglutition en rapport avec d’éventuelstroubles de déglutition déjà fréquents chez des patients âgés etasthéniques.

Prévention des complications de décubitus

La prévention des complications de décubitus doit être un objec-tif de tout médecin et de tout soignant (5, 6, 7). Elle nécessite :- l’évaluation de la personne alitée et la recherche de facteurs derisques de complications liées à son état physique et/ou psy-chologique ;- une prise en charge visant à la réduction de l’immobilité, d’oùla nécessité d’une équipe multidisciplinaire formée à celle-ci.

Evaluation de la personne alitée à la recherche defacteurs de risque de complications de décubitusL’interrogatoire et l’examen clinique permettront aisémentd’identifier d’éventuels facteurs de risque de complications dedécubitus, tels que antécédents de thrombophlébite desmembres inférieurs, varices, obésité, dénutrition, sarcopénie,…

S’il s’agit d’un patient âgé fragile, on pourra s’aider de l’évalua-tion gérontologique standardisée (EGS), basée sur la pratique degrilles validées ayant prouvé leur spécificité et leur sensibilité,et permettant une approche pluridimensionnelle.Grâce à l’EGS, pourront être évalués les troubles cognitifs et del’humeur, les troubles nutritionnels, les troubles du transfert etde l’équilibre, ainsi que l’autonomie pour les activités élémen-taires ou instrumentales de la vie quotidienne.Toutes ces données pourront être utiles pour identifier le degréde fragilité de la personne et pourront être, de ce fait, prédictivesd’éventuelles complications de l’alitement.L’évaluation de facteurs de risque d’escarres pourra bénéficier dela grille de Burden.

Dépistage d’éventuelles complications du décubitusIl devra se pratiquer dès le premier jour de l’alitement, puis quo-tidiennement, et nécessitera un examen clinique soigneux :recherche d’un érythème au niveau des zones d’appui, recherchede signes de phlébite.

Mesures préventivesLa meilleure mesure préventive des complications de décubitusest la réduction maximale de la durée de l’alitement. Nous avonsvu que les indications d’alitement strict étaient relativementlimitées. Si la priorité est habituellement donnée à la préventiondes escarres et des thromboses veineuses, celle des autres com-plications s’impose.

La prévention des escarresElle nécessite un matelas à insert (matelas cliniplot), une mobi-lisation régulière avec changements fréquents de position, lamise au fauteuil le plus rapidement possible.

La prévention des thromboses des membres inférieursElle repose sur des mesures physiques et médicamenteuses :- mesures physiques : le lever précoce et le plus prolongé pos-sible, en fonction de la tolérance, s’impose ; l’usage systématiquedes bas de contention est recommandé en raison de son rôle pré-ventif, surtout s’il existe un état variqueux des membres infé-rieurs ;- mesures médicamenteuses : chaque fois que l’alitement eststrict et que sont présents un ou plusieurs facteurs de risque, ilest nécessaire d’instaurer un traitement par une héparine de baspoids moléculaire (HBPM) durant 15 jours maximum, relayé sinécessaire par une anti-coagulation par anti-vitamine K, en l’ab-sence de contre-indications.

La prévention des troubles sphinctériensLorsque la continence est conservée, il est indispensable d’aiderle patient à satisfaire ses besoins (bassin, pistolet). Le port de

Page 6: Syndrome dâimmobilisation : conséquences et stratégies préventives

51Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie / Année 5/Juin 2005. © Masson, 2005.Tous droits réservés.

Le syndrome d’immobilisationP. Pras et al.

protection doit être réservé à des situations d’incontinence.Le sondage urinaire doit être proscrit, sauf en cas d’escarre dusiège en raison du risque accru d’infection urinaire qu’il pro-voque.Il faut lutter contre la constipation qui peut favoriser les enviesimpérieuses par instabilité vésicale. L’incontinence doit conduireà une évaluation des mécanismes qui la provoque et, si néces-saire, à une rééducation sphinctérienne.

La prévention de la diminutions des capacitésfonctionnellesLimiter le plus possible la durée de l’immobilisation stricte estun objectif prioritaire. Il faut quotidiennement apprécier les pos-sibilités de mobilisation du patient : évolution de la pathologie,évaluation du tonus du tronc, degré de fatigabilité, douleurs…Tant que l’immobilisation stricte est nécessaire, il faut impéra-tivement mobiliser le patient au lit :- retournements pour éviter les escarres,- mobilisation active et/ou passive des quatre membres,- kinésithérapie respiratoire,- apprentissage des auto-mobilisations chaque fois qu’elles sontpossibles (contractions statiques et mobilisations actives).Par ailleurs, il est indispensable d’organiser un « nursing » soi-gneux, centré sur l’installation correcte du patient (matelas anti-escarre), une mise en place d’aides aux changements de posi-tion (lits articulés, échelles de lit, potence...), des soins d’hygiènebi-quotidiens. Enfin, chaque fois que l’immobilisation est pro-longée, l’utilisation d’un lit de verticalisation est à conseiller.Dès que le décubitus n’est plus indiqué et que le lever est auto-risé, il faut favoriser la reprise de la déambulation. L’évaluationdes capacités de transfert (verticalisation, marche au bord dulit), de la stabilité et du risque de chute est indispensable pourjuger de l’intérêt de l’intervention d’un kinésithérapeute.La station au fauteuil est, bien souvent, le passage obligé avantla reprise de la marche. Il est de la responsabilité des soignantsde la réaliser. Sa durée doit être aussi prolongée que possible enfonction de la tolérance du patient. Celle-ci dépend grandementdu type de fauteuil qui doit être adapté à la morphologie de cedernier. Il est souhaitable que le tronc soit bien droit, les fessesau contact du dossier pour soulager les lombes. Il est préférableque les pieds reposent au sol, et non sur des cale-pieds, de façonà ne pas aggraver l’immobilité. Dès que possible, il faut préférerle fauteuil roulant de déplacement. Celui-ci a, en effet, l’avan-tage de positionner le patient de façon plus physiologique et luipermet de se déplacer ou d’être déplacé hors de sa chambre.Lorsque la reprise de la marche est difficile, il peut être utile deverticaliser artificiellement le patient à l’aide d’un verticalisa-teur (ou standing). Cet appareil de manipulation simple permetde renforcer le tonus musculaire du tronc et des membres por-teurs, d’améliorer les capacités d’adaptation hémodynamiques

à la station debout, de permettre de lutter contre les rétractionsarticulaires et d’améliorer le contrôle postural, notammentlorsque le patient présente une rétropulsion. Cette technique esthabituellement pratiquée en salle de rééducation, mais peutl’être aussi dans la chambre du patient. Elle peut permettre dansce cas d’intégrer les activités de la vie quotidienne (toilette,repas, lecture…), mais également la rééducation des membressupérieurs et l’ergothérapie. Dans les cas où le passage de laposition du décubitus dorsal à la position assise est impossible,l’utilisation d’une table de verticalisation est nécessaire en sallede masso-kinésithérapie.La lutte contre l’immobilisation doit être multidisciplinaire (aidessoignants, IDE, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, diététi-ciennes, psychologues). Mais l’entourage familial peut jouer éga-lement un rôle important dans la stimulation, l’aide à la mobili-sation, le soutien psychoaffectif du patient.

Conclusion

L’alitement et l’immobilisation sont la conséquence d’un grandnombre d’états pathologiques médicaux et chirurgicaux. Enconséquence, par l’immobilité induite, ils sont responsables defaçon constante, à un degré plus ou moins important, de com-plications.La fréquence et la gravité de ces complications contrastent avecle peu de travaux scientifiques consacrés à ce sujet.Véritable pathologie iatrogénique, l’immobilisation et son corol-laire l’immobilité doivent être combattues et prévenues. Unefaible durée d’immobilité ne met pas à l’abri d’une complication.Le sujet âgé polypathologique est particulièrement exposé à cerisque. Le médecin se doit d’avoir un rôle informatif précis etconcret auprès des personnels soignants, du patient et de lafamille de celui-ci. ■

Références

1.Astrand PO,Rodahl K.Manuel de physiologie de l’exercice musculaire.Paris :Masson, 1973.2. Levy B, Bailliart O, Martineaud JP. Immobilisation et décubitus prolongés :notion de physiologie. Revue du Praticien 1979; 29: 3737-46.3. Gaudet M, Mazoyer B, Tavernier-Vidal B, et al. Etude des réactions d’adap-tation posturale du sujet âgé chuteur et non chuteur.Revue de Gériatrie 1990;15: 5-9.4.Alikhanh R,Cohen AT.Risk factors for venous thromboembolism in hospita-lized patients with acute medical illness. Arch Intern Med 2004; 164: 963-8.5. Asher R,The danger of going to bed. Br Med J 1947; II: 967-8.6.Harper CM.Physiology and complications of bed rest. J Am Geriatr Soc 1988;36: 1047-54.7. Seynnes O,Tardieux PM,Guérin O,et al. Limitations fonctionnelles liées auxdéficits musculaires,évaluation et intervention.Année Gérontologique 2004.