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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2008) 32, 611—613 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Syndrome occlusif et hémorragique révélant un hématome duodénal intramural iatrogène Anticoagulant induced intramural duodenal hematoma presenting as duodenal obstruction S. Sirvain a,, T. Crepeau b , J.-F. Garrido a , N. Watteau c , B. Niang b , O. Hallé a a Service de médecine interne-2, centre hospitalier d’Alès, 811, avenue du Docteur-Jean-Goubert, B.P. 139, 30100 Alès cedex, France b Service d’hépato-gastroentérologie, centre hospitalier d’Alès, 811, avenue du Docteur-Jean-Goubert, B.P. 139, 30100 Alès cedex, France c Service de radiologie, centre hospitalier d’Alès, 811, avenue du Docteur-Jean-Goubert, B.P.139, 30100 Alès cedex, France Disponible sur Internet le 20 mai 2008 Résumé Un hématome intramural du duodénum a été décrit pour la première fois dans un article du Lancet en 1838. Quatre-vingt-dix pour cent des cas sont causés par des traumatismes abdominaux, typiquement des accidents de la voie publique impliquant des deux roues. Les hématomes intramuraux du duodénum sont aussi une complication rare du traitement anticoa- gulant. Ils apparaissent chez des patients avec une anticoagulation excessive ou ayant d’autres facteurs de risques de saignements. Les caractéristiques scannographiques sont constituées par un épaississement circonférentiel de la paroi, une hyperdensité intramurale, une sténose de la lumière digestive et une occlusion intestinale. Le diagnostic précoce est important car la majorité des patients peuvent être traités médicalement avec de bons résultats. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary An intramural hematoma of the duodenum was first reported in an article in the Lancet in 1838. At least, 90% of cases are caused by blunt abdominal trauma, typically accidents involving bicycles or motor vehicles. Intramural duodenal hematoma is a rare complication of anticoagulant therapy. It occurs in patients who receive excessive anticoagulation with warfarin or who have some other risk factor for bleeding. CT characteristics include circumferential wall thickening, intramural hyperdensity, luminal narrowing, and intestinal obstruction. Early diagnosis is crucial because most patients are treated nonoperatively with a good outcome. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Sirvain). 0399-8320/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2008.02.005

Syndrome occlusif et hémorragique révélant un hématome duodénal intramural iatrogène

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Page 1: Syndrome occlusif et hémorragique révélant un hématome duodénal intramural iatrogène

Gastroentérologie Clinique et Biologique (2008) 32, 611—613

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

CAS CLINIQUE

Syndrome occlusif et hémorragique révélant unhématome duodénal intramural iatrogèneAnticoagulant induced intramural duodenalhematoma presenting as duodenal obstruction

S. Sirvaina,∗, T. Crepeaub, J.-F. Garridoa, N. Watteauc,B. Niangb, O. Halléa

a Service de médecine interne-2, centre hospitalier d’Alès, 811, avenue du Docteur-Jean-Goubert,B.P. 139, 30100 Alès cedex, Franceb Service d’hépato-gastroentérologie, centre hospitalier d’Alès, 811, avenue du Docteur-Jean-Goubert,B.P. 139, 30100 Alès cedex, Francec Service de radiologie, centre hospitalier d’Alès, 811, avenue du Docteur-Jean-Goubert,B.P.139, 30100 Alès cedex, France

Disponible sur Internet le 20 mai 2008

Résumé Un hématome intramural du duodénum a été décrit pour la première fois dans unarticle du Lancet en 1838. Quatre-vingt-dix pour cent des cas sont causés par des traumatismesabdominaux, typiquement des accidents de la voie publique impliquant des deux roues. Leshématomes intramuraux du duodénum sont aussi une complication rare du traitement anticoa-gulant. Ils apparaissent chez des patients avec une anticoagulation excessive ou ayant d’autresfacteurs de risques de saignements. Les caractéristiques scannographiques sont constituées parun épaississement circonférentiel de la paroi, une hyperdensité intramurale, une sténose dela lumière digestive et une occlusion intestinale. Le diagnostic précoce est important car lamajorité des patients peuvent être traités médicalement avec de bons résultats.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary An intramural hematoma of the duodenum was first reported in an article in the

Lancet in 1838. At least, 90% of cases are caused by blunt abdominal trauma, typically accidentsinvolving bicycles or motor vehicles. Intramural duodenal hematoma is a rare complication ofanticoagulant therapy. It occurs in patients who receive excessive antor who have some other risk factor for bleeding. CT characteristiwall thickening, intramural hyperdensity, luminal narrowing, and indiagnosis is crucial because most patients are treated nonoperativel© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Sirvain).

0399-8320/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits rdoi:10.1016/j.gcb.2008.02.005

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6 S. Sirvain et al.

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ne patiente de 77 ans était hospitalisée en août 2006 pourrise en charge d’ulcérations de jambe. Parmi les nombreuxntécédents, il existait notamment un diabète et une fibril-ation auriculaire chronique non traitée. L’examen cliniquetait pauvre, exception faite d’un important éléphantia-is des deux membres inférieurs compliqué d’ulcérationsnflammatoires dans un contexte d’obésité morbide.

La notion de prise chronique d’Isoméride® et le contexteardiaque incitaient à réaliser une échocardiographie.elle-ci mettait en évidence une dilatation modérée de

’oreillette gauche et une hypertension artérielle pulmo-aire estimée à 70—75 mm de mercure. Ces constatationst la présence d’une fibrillation auriculaire justifiaient’instauration d’un traitement anticoagulant par anti-itamine K.

Dix jours plus tard, un tableau occlusif haut avec douleurspigastriques et vomissements itératifs s’installait en 48 à2 heures. Le scanner abdominopelvien mettait en évidencene importante stase gastrique en amont d’un deuxièmeuodénum, siège d’un épaississement pariétal réduisant laumière (Fig. 1). Le bilan biologique montrait notammentn INR à 5,97. Le syndrome occlusif cédait rapidement,aissant place à un syndrome hémorragique, avec héma-émèse, méléna et hémoglobinémie à 6 g/dl. L’endoscopiesogastroduodénale montrait une œsophagite par reflux

astro-œsophagien ne rendant pas compte du tableau cli-ique. Il existait des traces de sang noir dans l’estomac etu sang frais dans le bulbe et le duodénum, mais sans lésionisible. Le traitement anticoagulant était interrompu et desransfusions de culots globulaires étaient réalisées. Au scan-er abdominopelvien de contrôle réalisé au seizième jour, la

aroi duodénale avait quasiment repris son aspect normalFig. 2), ce qui confortait le diagnostic d’hématome intra-ural duodénal secondaire au surdosage en antivitamines. L’évolution ultérieure était favorable avec la disparition

igure 1 Coupe tomodensitométrique passant par leeuxième duodénum. Réduction de la lumière duodénale liéel’hématome intrapariétal (63 UH). Stase gastrique d’amont.T scan showing luminal narrowing in the second portion ofhe duodenum by a duodenal hematoma.

rsg[lcdesslcaTohgtdsiéetdsmcl

ntrapariétale.T scan showing reduction of the luminal narrowing in theecond portion of the duodenum.

u syndrome hémorragique et la reprise d’une alimentationormale et d’un transit régulier.

iscussion

ne utilisation de plus en plus large des anticoagulants,uprès d’une population dont l’espérance de vie s’allonge,fait naître une iatrogénèse importante. En France, envi-

on 1 % de la population est traitée au long cours par AVK,oit 600 000 patients. L’incidence annuelle des hémorra-ies majeures varie de 1,2 à 7 pour 100 patients année1]. Une enquête récente de pharmacovigilance estime quees accidents hémorragiques des AVK représentent 17 189auses d’hospitalisation en 2002, soit la première cause’hospitalisation pour effets secondaires médicamenteuxn France [2]. Ces accidents hémorragiques intéressent laphère digestive dans 27,5 % des cas et surviennent une foisur deux dans les 15 premiers jours de traitement. Uneésion préexistante est découverte dans plus de la moitié desas : ulcère, polype, diverticules, malformation vasculaire,névrisme des artères digestives, varices œsophagiennes. . .

outefois, on ne trouve que très rarement une lésionrganique sous-jacente lorsqu’il s’agit d’une infiltrationématique se développant au sein de la paroi de l’intestinrêle. Les hématomes intramuraux spontanés (non trauma-iques) du tube digestif touchent par ordre de fréquenceécroissante, le jéjunum, l’iléon, le duodénum (D2 et D3urtout), puis plus rarement le côlon et l’œsophage [3]. Leurncidence chez les patients sous traitement anticoagulant até estimée à 1/2500 [4]. Jones et al. [5] soulignaient déjàn 1971 que les hématomes intramuraux touchent préféren-iellement le duodénum. Anatomiquement, la susceptibilité

u duodénum à être le siège d’un hématome intramural’explique probablement par sa richesse vasculaire sous-uqueuse [6]. De plus, le duodénum ne possède pas de

ouche séreuse circonférentielle complète ce qui empêchea contention d’une hémorragie intramurale et l’hématome

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Syndrome occlusif et hémorragique révélant un hématome d

peut donc aisément s’étendre circonférentiellement et lon-gitudinalement, parfois de manière très importante [7].

L’apparition de douleurs abdominales et d’un syndromeocclusif et/ou hémorragique chez un patient recevant desantivitamines K, et ce d’autant qu’il y a surdosage, doitfaire envisager le diagnostic. Dans notre observation, nousrapportons la succession d’une symptomatologie occlu-sive puis hémorragique. D’un point de vue endoscopique,l’aspect évocateur est celui d’une gastroduodénite érythé-mateuse, avec parfois des lésions purpuriques. Au niveau del’hématome, les plis duodénaux sont épaissis, œdématiésparfois violacés. L’endoscopie permet aussi d’éliminer unesténose intrinsèque bénigne ou maligne et une autre causede saignement [7].

D’un point de vue scannographique, un épaississementcirconférentiel pariétal, une sténose de la lumière, voireune obstruction du tractus intestinal sont évocateurs [3].Une compression des voies biliaires et/ou pancréatiquespeut être à l’origine d’un tableau d’ictère et/ou de pan-créatite avec ou sans dilatation canalaire [8].

Il est habituel de proposer un traitement médical parvitamine K, PPSB, aspiration gastrique, rééquilibrationhydroélectrolytique, transfusions et alimentation parenté-rale. Cependant, le doute diagnostique, voire la survenuede complications (récidive hémorragique, infarctus du grêle,perforation, volvulus de l’anse alourdie par l’hématome. . .)peuvent imposer un geste chirurgical [5,7—9].

En conclusion, bien que l’hématome intramural intestinalsoit une complication rare d’un traitement anticoagu-lant, il doit être évoqué dans les diagnostics différentiels« d’abdomen aigu ». Pour Abbas et al. [3], l’associationd’un tableau d’occlusion, d’un surdosage en anticoagulants

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énal intramural iatrogène 613

t d’un épaississement circonférentiel du tractus diges-if est caractéristique d’un hématome intramural spontanée l’intestin. Le scanner abdominopelvien tient une placessentielle dans le diagnostic. Une prise en charge médicaleymptomatique constitue le traitement de choix.

éférences

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3] Abbas MA, Collins JM, Olden KW. Spontaneous intramuralsmall-bowel hematoma: imaging findings and outcome. Am JRoentgenol 2002;179:1389—94.

4] Bettler S, Montani S, Bachmann F. Incidence of intramuraldigestive system hematoma in anticoagulation. Epidemiologicstudy and clinical aspects of 59 cases observed in Switzerland(1970—1975). Schweiz Med Wochenschr 1983;113:630—6.

5] Jones WR, Hardin WJ, Davis JT, Hardy JD. Intramural hematomaof the duodenum: a review of the literature and case report.Ann Surg 1971;173:534—44.

6] Guzman C, Bousvaros A, Buonomo C, Nurko S. Intraduode-nal hematoma complicating intestinal biopsy: case reports andreview of the literature. Am J Gastroenterol 1998;93:2547—50.

7] Fingerhut A, Eugene C, Pourcher J, Pelletier JM, Ronat R. Leshématomes intramuraux du duodenum. Gastroenterol Clin Biol1980;4:144—8.

8] Abbas MA, Collins JM, Olden KW, Kelly KA. Spontaneous intramu-

ral small-bowel hematoma: clinical presentation and long-termoutcome. Arch Surg 2002;137:306—10.

9] Polat C, Dervisoglu A, Guven H, Kaya E, Malazgirt Z, Danaci M, etal. Anticoagulant-induced intramural intestinal hematoma. AmJ Emerg Med 2003;21:208—11.