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SYNTHESE DES RESULTATS Projet de recherche Observatoire Sociologique des Transitions AgroEcologiques Le projet ObS-TAE a étudié un ensemble de collectifs lauréats de l’appel à projets Casdar « Mobilisation collective pour l’agro-écologie » (2013), préfigurateur des groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE), dans diverses régions françaises, entre 2014 et 2017. L’existence de ce projet tient au souci de la DGPE, Direction du Ministère de l’agriculture porteuse de cet appel, d’inclure une étude chemin faisant pour prendre un certain recul sur les effets de cet instrument d’action publique. En proposant une étude centrée sur ce que sont et ce que produisent les dynamiques collectives innovantes de transition agroécologique générées par cet appel, ce projet a réuni 13 chercheurs et doctorants de l’Inra, et associé à son fonctionnement les 16 collectifs lauréats étudiés, dans le cadre de séminaires communs de présentation de travaux et de débats, constituant ainsi un prototype d’Observatoire Sociologique des Transitions Agroécologiques (Obs-TAE). Claire Lamine et Marc Barbier (Resp. Scientifiques) Chercheurs impliqués : Stéphanie Barral, André Blouet, Roberto Cittadini, Nathalie Couix, Catherine Darrot, Floriane Derbez, Marion Diaz, Camille Lacombe, Véronique Lucas, Martine Napoleone, Guillaume Ollivier, Jessica Thomas Septembre 2018

SYNTHESE DES RESULTATS - colloque.inra.fr · Ces différentes structures constituent 70% environ du portage des projets soumis. On note également une forte présence de l’élevage

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SYNTHESE DES RESULTATS

ProjetderechercheObservatoireSociologiquedesTransitionsAgroEcologiques

Le projet ObS-TAE a étudié un ensemble de collectifs lauréats de l’appel à projets Casdar «Mobilisationcollective pour l’agro-écologie» (2013), préfigurateur des groupements d'intérêt économique etenvironnemental(GIEE),dansdiversesrégionsfrançaises,entre2014et2017.L’existencedeceprojettientau souci de la DGPE, Direction du Ministère de l’agriculture porteuse de cet appel, d’inclure une étudecheminfaisantpourprendreuncertainreculsurleseffetsdecetinstrumentd’actionpublique.Enproposantuneétudecentréesurcequesontetcequeproduisentlesdynamiquescollectivesinnovantesdetransitionagroécologiquegénéréesparcetappel,ceprojetaréuni13chercheursetdoctorantsdel’Inra,etassociéàsonfonctionnementles16collectifslauréatsétudiés,danslecadredeséminairescommunsdeprésentationde travaux et de débats, constituant ainsi un prototype d’Observatoire Sociologique des TransitionsAgroécologiques(Obs-TAE).

ClaireLamineetMarcBarbier(Resp.Scientifiques)

Chercheursimpliqués:StéphanieBarral,AndréBlouet,RobertoCittadini,NathalieCouix,CatherineDarrot,FlorianeDerbez,Marion

Diaz,CamilleLacombe,VéroniqueLucas,MartineNapoleone,GuillaumeOllivier,JessicaThomas

Septembre2018

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Contexte et Objectifs

Depuisledébutdesannées2010,diversprogrammesetinitiativesauniveaunational(aveclesactionsduprojetagro-écologique pour la France) comme international (notamment par la FAO) mettent au premier plan l’agroécologiecommeparadigmepourimpulseruneécologisationprofondedel’agricultureenlienaveclesenjeuxglobaux:sécuritéalimentaire, limitation des gaz à effet de serre, perte de biodiversité, adaptation au changement climatique. Prisensemble, ces enjeux globaux questionnent les politiques de développement agricole et rural et convoquent unereconnexion entre agriculture, environnement alimentation et santé. Ces enjeux impliquent également de nouveauxliensentrelesacteursagricoles,lesdécideurspublics,lesentreprisesdeschaînesagro-alimentaires,lesconsommateursetlesparties-prenantesdelasociétécivile.En2013, après le lancementduprojet agro-écologiquepour la France, leministèrede l’agriculture a lancé l’appel àprojets «MobilisationCollective pour l’Agro-Ecologie» (MCAE), censé être préfigurateur desGIEE qui seront ensuiteofficiellementlancésaveclaLoid’avenirpourl’agriculture(LOAA)de2014.Silefinancementpublicparappelàprojetestdeplusenpluscourant,celui-ciporteuneactionassezinéditeenfinançantdescollectifsd’agriculteursdirectementen prise avec des démarches innovantes, et en ouvrant largement le champ de ces collectifs éligibles au-delà desorganisationshabituellementviséesparlesprogrammespublicsdesoutienaudéveloppementagricole.

L’appel à projet Casdar MCAE en chiffres

• 469 projets soumis • 103 projets retenus • 16 projets analysés finement par les chercheurs • Budget : 28 765 K€ et un transfert effectif après sélection de 6 705 K€. • Durée : 2014 - 2017

Dansuneperspectived’analysesociologique,leprogrammeMCAEoffreainsiunportefeuillededynamiquescollectivesquireprésenteunelargegammedesituations.Etudiercetappelàlafoiscommedispositifd’actionpubliqueparticuliers’inscrivantdansunesériepluslongued’actionspubliquesetcommecatalyseurdedynamiquesàcaractériser,estalorsapparucommeuneoccasionpertinentedecoupleruntravaild’étudeembarquéauplusprèsdescollectifsetdeceuxquilesaniment(ceprojet)etuntravailscientifiquesurlalonguedurée.

Démarche

Notreprojets’inscritaucroisementdelasociologiedel’actionpubliqueetdelasociologieenvironnementaleetrurale,et s’appuie sur les divers travaux conduits depuis une vingtaine d’années sur les processus de «verdissement» despolitiques agricoles, sur l’action publique par projet, sur les changements de pratiques en agriculture et plusparticulièrementsurlesprocessusd’apprentissageetlesdynamiquescollectivesetmulti-acteursquiaccompagnentceschangements, enfin, plus récemment, sur les processus d’institutionnalisation de l’agro-écologie en France et dansd’autrespays.

Niveaux d’investigation et de production de résultats Une caractérisation de l’ensemble des projets lauréats et soumis, via une analyse des corpus des textes soumis àl’appelàprojet.Cetravailapermisdedécrirelepaysagedesdynamiqueslocalesetdesdynamiquesdechangementetd’apprentissagemisesenavant.

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Des études sociologiques conduites par 13 chercheurs et doctorants en sciences sociales dans le cadre d’uneméthodologiecommuneco-conçuepourl’analysedesdynamiquesd’innovationde16projetslauréatschoisispourleuroriginalité. Ce suivi a consistéendesobservationsparticipantesdesprojets et enunensembled’entretiens avec lesmembres de ces collectifs et leurs partenaires. L’étude fine de ces 16 initiatives a permis d’analyser ce que«agroécologie»et«transitionagroécologique»signifientpourunediversitéd’acteursengagésdanscesprojets,etcequel’engagementdansceprogrammeMCAEaconduitàfaire-faireàcescollectifs.Une animation associant les porteurs de projets des collectifs étudiés (agriculteurs et animateurs), les chercheursengagésdanscetteopérationetlesresponsablesdecetappelàprojetauseinduMinistèreetdesDRAAFpourfonderune démarche participative de suivi et de réflexion in itinere. Quatre «séminaires ouverts» ont ainsi été organisésentremai2015etjanvier2017,quiontassociédesmembresdescollectifs(autotalunetrentained’acteursdifférents)ainsi qu’une quinzaine de membres de l’administration. Le colloque final du projet est un prolongement de cettedémarched’implicationdesacteurs.

Choix des 16 projets analysés finement Danslechoixdesprojetsétudiésparmil’ensembledes103projetslauréats,nousavonsviséunediversité(etnonpasune représentativité) en termes de type de porteurs, d’innovation, de systèmes de production, de démarched’accompagnement,etderégions.Nousassumonsdanscechoix,lasur-représentationdecollectifsissusdestructures«alternatives»,quidécouled’uneorientationdélibéréeversla«capture»desconfigurationsinéditesdanslepaysagede l’accompagnement des dynamiques collectives. Il est à noter que la majorité des collectifs étudiés ont ensuiteobtenuleur labellisationenGIEE,maispastous,cequi indiqueundécalagesubsistantetpeuévitableentre laréalitédesdynamiquescollectivesàl’œuvresurleterrain,etlesorientationsnormativesimposées.

Le paysage des projets soumis et lauréats de MCAE

Méthode Notreanalyse s’estappuyéesurunpremier travailqualitatifde traitementmanueldesprojets lauréatspour tirerdepremiersenseignementsetvérifierl’intérêtd’untraitementplusautomatisé.Unebasededonnéesrenseignantles469projetsincluantlestextespleinsdesprojetslauréatsaensuiteétéconstituée.L’analysetextuelledestextesdesprojets(traitementfréquentieldesoccurrences,desanalyseslexicalesetdesanalysesderéseauxdeco-occurrences)amobilisélesdescripteursexistantsdanslesrubriquesdel’appelàprojets,maisaussiproduitdenouveauxdescripteursissusd’untravaild’extractionterminologiqueetdurecoursàdescatégoriesapportéespardestypologies.

Résultats principaux Larépartitiondesprojetssoumiset lauréatsauniveaude l’ensembleduterritoiremétropolitainmontreuneffetnetd’implication différenciée des différentes régions dans le dispositif MCAE. Les chambres d’agriculture sont desstructures très présentes dans le portage des projets soumis (35%) suivies par les groupes de développement, lescoopérativeset lesorganisationsprofessionnelles.Cesdifférentesstructuresconstituent70%environduportagedesprojetssoumis.Onnoteégalementuneforteprésencedel’élevagedanslesprojets(prèsde50%desprojetssoumis).Les projets ont enmajorité unnombrede 3 à 7 partenaires, parmi lesquels figurent aupremier plan: les chambresd’agriculture,lesgroupesdedéveloppementetdesorganisationséconomiquesdefilièreagri-alimentaire.Austadedesprojets lauréats, les équilibres restent proches, avec une relative parité entre OPA classiques (Chambre et affiliés),Associations d’agriculteurs et organisations ‘alternatives’ (ADEAR, GAB, CEDAPA…), la répartition géographique des

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projets indiquent des engagements régionaux très différenciés. L’appel à projet «Mobilisation pour l’agroécologie»révèleunpaysagedudéveloppementagricoleetruralequi indiquelavariétédescouplagesentreagriculture,marchéagri-alimentaireetorganisationsporteusesd’enjeuxterritoriaux.

Analyse des structures porteuses dans les projets soumis

Nature des collectifs porteurs des projets soumis Prct.

Nature Ascendante des Projets Soumis Prct. Collectif informel intégré dans un collectif formel 32%

Co-construction par structure et collectif 43%

Collectif formel 28%

Projet de structure puis collectif 27% Collectif Informel 23%

Maîtrise d'ouvrage par un collectif 18%

Collectif formel pluriel 10%

Projet de structure réalisé par un collectif 8% Collectif informel pluriel 5%

Projet de structure sans collectif 3%

Absence de collectif 2%

NR 1%

L’analyse des titres des projets lauréats fait ressortir unevisualisation des associations principales de mots quimontre que le terme «système» occupe une placecentrale (avec ses satellites: performanceéconomiqueetenvironnementale; autonomie des systèmes d’élevage,agriculture biologique et de conservation des sols) et leterme «collectif» forme un réseau quelque peu à part.L’agroécologie est relativement peu présente dans lestitres des projets – elle l’est bien plus dans les textescomplets.Uneanalysefactorielledestermesdecestitres,résultant d’une classification hiérarchique conduit à 4classes:i)lespratiquesagroécologiquesetlaperformanceéconomique; ii) l’agriculture soucieuse del’environnementavecuneréférenceforteàlafertilitédessols;iii)lesprojetsdeméthanisation,devalorisationdelafilière bois et la gestion de l’espace et iv) l’élevage etl’autonomiefourragèreetprotéique.

Type de structure d'accompagnement des projets soumis

Prct.

Chambre d'Agriculture 35Groupes de développement 11CUMA 8CIVAM 5Coopérative et Organisme de producteurs 9Organisation de l'AB 9Organisation hybride type AMAP 8Entreprise privée 4Syndicat d'Appellation 3Bureau d'Etude et CER 3Collectivités territoriales 3Etablissement d'enseignement et Instituts 1Autres 1

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Analyse transversale des 16 cas étudiés

ListedescollectifssuivisCollectif Région Type Chercheurs Amap de Provence PACA Onvar / bio C. Lamine Civam PACA PACA Onvar / bio G. Ollivier Scara Rhône Alpes Bureau d’études F. Derbez ADDEAR 42 Rhône Alpes Onvar F. Derbez Fricato Languedoc Roussillon Agriculteurs + collectivité / bio M. Napoleone et R. Cittadini Salsa Midi-Pyrénées Agriculteurs C. Lacombe Adear 32 Midi-Pyrénées Onvar N. Couix CAVAC Pays de Loire Coopérative J. Thomas APAD Nord Pas de Calais Agriculteurs J. Thomas Assos Sols en Caux Normandie Agriculteurs M. Barbier Vallée de l'Oise Picardie Chambre d’Agriculture S. Barral Aladear 57 Lorraine Onvar A. Blouet CEDAPA Bretagne Agriculteurs C. Darrot et M. Diaz Terres et Bocages Bretagne Agriculteurs C. Darrot Cuma de Brutz (44) Pays de la Loire Cuma V. Lucas Cuma d’Elgarrekin (64) Aquitaine Cuma V. Lucas

Notreobjectifétaitdesuivreauplusprèslesdynamiquescollectivesmisesenmouvementparcesprojetssurlatotalitédeleurdurée,ennousappuyantsurunegrilled’analysecommune.

Principalesrubriquesdelagrilled’analysecommune• Description de l’émergence des collectifs (initiative, constitution, membres, changements) • Description de la construction du projet (définition des objectifs, des innovations conduites, des visions de l’agro-écologie mises en

avant) • Description des partenariats • Description de l’organisation (animation interne, modalité d’accompagnement et de suivi des changements de pratiques etc.) • Description de l’évolution au fil du déroulement du projet (réajustement des objectifs et actions, changements dans les partenaires )

Le groupe des chercheurs s’est réuni régulièrement pour conduire une analyse transversale en s’appuyant sur lesretours et les débats tenus dans les 4 séminaires communs avec les porteurs des projets retenus pour une analyseapprofondie.Cetravailaboutitàuneanalysetransversalesurtroisdimensionsessentielles.

• Lesensdespratiquesagroécologiquestelquelesgroupesleforgentdansl’action• Lesdynamiquesd’organisationetdecoordinationdescollectifsencontexte• Laproductionetlamiseencirculationdesconnaissancestiréesdel’expérience

1. Essence ou Sens multiples de l’agroécologie Lesensquedonnentlesacteursàleurspropresactivitésestunenjeufondamentalpourlesindividusetlesinstitutions.En effet, la construction du sens donné à l’action porte l’identité, la reconnaissance et la légitimité qui sont desressources pour leur projet. Or, le sens de l’agroécologie pose question, puisque la notion est investie demultiplesvisions, cette polysémie engendrant souvent du flou dans les discussions scientifiques, professionnelles etinstitutionnelles.L’analyse de contenu des projets déposésmontre que l’agroécologie est relativement peu présente comme cadreconceptuelexplicite.Dansdenombreuxcas, lespratiquesmisesenœuvresontqualifiées«d’agroécologiques»sansplusd’explicitation,etc’estsouventunautremodèletechniquequiestmisenavant:agriculturebiologique,durable,paysanneetdeconservationnotamment.

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Dans le cas des projets suivis, ces formulations d’objectifs attachés à l’agroécologie sont variées et peuvent êtrestructuréesenquatregrandsgroupesquidéfinissentaussidifférentesincarnationsdel’agroécologie:

- larecherched’autonomiedansuneperspectived’agriculturepaysanne,;- lagestiond’infrastructuresagroécologiques;- l’agriculturedeconservationdessolscommearchétypedel’agroécologie;- unediversitédechangementsdessystèmestechniquesetdere-conceptiondesactivitésagricoles.

IntitulésdecertainsdesprojetssuivisFaire progresser les techniques d’agriculture de conservation, créer des références régionales sur le semis direct (APAD 62) Mettre en place ou conforter des systèmes herbagers économes en intrants, mieux adapter le système d’exploitation à l’objectif de l’éleveur et à ses contraintes, et identifier des agriculteurs « point d’appui » pour d’autres agriculteurs souhaitant évoluer vers ces systèmes (Cedapa) Gérer la fertilité des sols dans des systèmes maraichers diversifiés (Civam PACA) Favoriser l’autonomie par l’échange entre groupes d’éleveurs et céréaliers (Scara)

Développer une approche agro-écologique systémique, unifiée et partagée des élevages pour engager une transition agro écologique des fermes ovin-lait du territoire du PNR des Grands Causses (Salsa)

Ainsi, peu d’acteurs parlent d’agroécologie spontanément, et notre analyse montre que les «modèles» agricoles«déjà-là» des collectifs (AB,agriculture paysanne, agriculture durable et/ou autonome, agriculture de conservationdes sols etc.) font davantage sens pour eux que l’agroécologie. Néanmoins, tous ont quelque chose à dire sur cemodèle, que cela soit pour lui opposer un autre modèle, le critiquer, ou au contraire le valoriser. L’analyse desentretiensetdeséchangescollectifsnouspermetd’identifierdeuxprincipalesmodalitéspar lesquelles lesgroupessesituent vis à vis d’une référence à l’agroécologie: d’une part, la convergence «naturelle» avec des modèles déjàlégitimés (comme l’AgricultureBiologique), etd’autrepart l’agroécologie commepointd’appuipourdesmodèles«intermédiaires»enrecherchedelégitimation.Cesdernierssontsouventplusprochesdel’agricultureconventionnelleetontunedimension«écologique»pluscontroversée(commel’agriculturedeconservationdessols)quedesmodèlesplusétablisetpluslégitimés.Ilestànoterquequelquescollectifsn’affichentpasexplicitementun«modèle»agricolederéférence.

Typesde«modèles»d’agriculture Modèles d’agriculture

écologisée fortement « légitimés »

Modèles « intermédiaires »

en recherche de légitimité

Pas de modèle affirmé

Collectifs concernés AB : AMAP, MAPS, CIVAM Agri durable : CEDAPA Paysanne : ADDEAR 42, ADEAR 32, Fricato

TCS, agriculture de conservation : APAD62, Sols en Caux, Cuma Brutz Autonomie : SALSA

AEVO, SCARA, Terre et bocage, Cuma Elgarrekin, CAVAC

Objectifs d’écologisation

Processuel : échanger sur les pratiques, accompagner les nouveaux entrants, apprentissages collectifs

Plus technique : adopter telle pratique, tel itinéraire technique, recomposer des itinéraires techniques avec un objectif de durabilité défini

Place du système agri-alimentaire, territoire, consommateurs

Forte (liée aux circuits courts et relocalisation alimentation)

Faible a priori mais pouvant déboucher sur des projets de territoire fondé sur l’apport des TCS

Variable (et plutôt filière que système alimentaire)

Type de partenariat + de consommateurs et d’acteurs de la société civile

+ d’enseignement agricole + filière

Acesmodalitéscorrespondentdesvisionsdifférentesdelatransitionetdoncdesobjectifsdifférentsdanslesprojets.Aunevisionplustechnique(adoptertellepratique,tel itinérairetechnique,recomposerdes itinérairestechniquesavecun objectif de durabilité défini)mettant souvent en avant la double performance environnementale et économiquedans ces derniers cas, s’oppose une vision plus processuelle (échanger sur les pratiques, accompagner les nouveauxentrants,apprentissagescollectifs).

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Cesdifférentesvisionsconvergenttoutefoissurlanotiond’autonomiequiestpeut-êtrefinalementlapluspartagée.Lescollectifsmettentplusoumoinsenavantleurarticulationaveclaquestionalimentaireetlesconsommateurs,etavecleterritoire, avec des partenariats qui sont assez différenciés. Cependant, presque tous les collectifs vont chercher endehorsdel’espaceagricole,autraversdecespartenariats,despointsd’appuipourconstruireleurlégitimité.

2. Les Dynamiques collectives dans les actions conduites Lescollectifsétudiésrassemblentde5-6agriculteursàunequarantaine,laplupartsesituantautourde15agriculteurs(échelleclassiquedesgroupesd’agriculteurs),avecdansdenombreuxprojets,lapoursuited’unedynamiquecollectiveantérieure.Ledegrédeparticipationdesagriculteursaumontageduprojetestvariable:danslesréseauxstructurés,disposantdesalariés,cesontplutôtlessalariésavecleoulesagriculteursleadersdanslagouvernancedecesréseauxquimontèrentleprojet(Civam,Adear).Danslesréseauxautourdel’agriculturedeconservation, lesagriculteurssontdavantage les initiateurs (ex. Apad, Sols en Caux). Enfin, dans certains cas de projets multi acteurs, la constructioncollectivedesproblèmesetduprojetaaussiassociédesnon-agriculteurs(exSalsa,Fricato,Amap).Danspresquetousles cas, lesagriculteurs soulignentqu’il s’agitbiende leurprojetetnonde celuidu technicienoude l’animateur. Leportagedel’animationestassurépardessalariésdéjàprésentsdanslesstructures(Chambresd’agricultureetCUMA),soitpardespersonnesrecrutéesgrâceauprojet(notammentdanslesréseaux«alternatifs»),couplantalorssouventdesfonctionsdeconseiltechniqueetd’animation,nonsansposerleshabituelsproblèmesdemobilitédecesprofils(ex.:Maps,Civam,Amap).L’implicationdesagriculteursesttrèsvariableavecun«noyaudur»dequelquesagriculteursetd’autresquisuiventlesactionsplus«àlacarte»etdemanièreplusirrégulière.Certainscollectifsontdesdifficultésàmaintenirlenoyauinitialdes agriculteurs mobilisésmais quelques uns à l’inverse tendent à s’élargir au fil du temps – notamment ceux quiincarnent des modèles techniques ou des voies d’évolution rendus particulièrement légitimes et attractifs dans lecontexteactuel (parexemple,agriculturedeconservation,ouencorechangementsdemodèlesproductifsenélevagelaitierdansuncontextedecriselaitière).

Acteursàl’initiativedesprojets Qui est l’initiateur du projet ?

un/des agriculteurs

un binôme accompagnant /agriculteur(s)

une structure d’accompagnement

Positionnement des collectifs

APAD62, Sols en Caux,

AMAP, MAPS, CIVAM Paca, AEVO, Cedapa, Cuma Elgarrekin, SALSA (trinome avec un chercheur)

CAVAC, Cuma Brutz, SCARA, Addear42, Fricato, Adear32, Terre et Bocage

Total (sur 16) 2 7 7

Lescollectifsdont lacompositionresterelativementstable sontceuxoù ilyaunecertainefixationdes frontièresducollectif, qu’elle soit juridique - cas des collectifs accompagnés par Scara qui sont des GIE (groupement d’intérêtéconomique)par la suite labellisésenGIEE -ouplus contractuelle (casde la charteétabliedansAEVO,quiposedesconditionsd’entréedans lecollectif),ouencoreautourdevaleurspartagéesdans ladurée.Lecritèrede laproximitégéographiqueinfluesurl’intensitédeséchangescollectifs(ellevademoinsd’unedizainedekmentreagriculteursdanscertainscollectifs,àplusde3hderoutedansd’autres…),maisiln’estpassurdéterminantcarlaconnexitédesmembresesttoutaussiimportante,àsavoirdesfaçonsd’êtrereliéspardesvaleurs,desmodesd’engagementconcretdanslesactivitésduprojetetlepartagedevisionsdel’avenir,enparticulierparrapportaumondeagricoleenvironnant.Les objets partagés dans les collectifs sont de nature diverse: le matériel, la technique; l’expérimentation; desressourcescommunes;desdémarchesetvaleurscommunes,etdéfinissentuncentrageplustechniqueoupluséthique

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desprojets(lequelimpacteaussiletypedeprofilmobilisépourl’accompagnementducollectif,plustechniqueouplusanimation)mêmes’ilspeuventsecombinerpourunmêmecollectif.Lescollectifssontattachésàconstruireunecohérenceinterneàleuractioncollective,toutentenantlesexigencesdumilieuprofessionneletéconomiqueassociédechaqueexploitationcommeautourdugroupe.Maintenirladynamiqueinterne et la dynamique partenariale engendrée est une difficulté forte. Celle-ci a été d’ailleurs augmentée parl’introduction du nouveau dispositif GIEE ou d’autres projets territoriaux: nouvelles opportunités, accumulation decontextes institutionnelsetmultiplicationdessollicitationsquiappellentuneplusgrandestructurationetdesbesoinsd’organisationetd’animationnouveaux. Les collectifsportéspardepetites structuresassociatives sontdès lorsplusfragiles,alorsqu’ilssontsouventdansdesexpérimentationscollectivesradicales.

3. Production et circulation des connaissances Malgréleurdiversité,lesactionsconduitescomportentune«base»communeàtous,oùlaproductionetlacirculationde connaissances occupent une place centrale. Les projets agencent des parcours individuels, ceux de chaqueagriculteur, et une démarche commune d’expérimentation fondée sur des dispositifs partagés de construction deconnaissancestirésdel’expérience.Laconduited’essaisestprésentedanslesréseauxliésàl’agriculturedeconservation,maispastoujoursdanslesautresprojets, certains revendiquant d’ailleurs explicitement, plutôt que l’expérimentation technique, des démarchesréflexives,de«partaged’expériences»etdeformalisationdecesdémarchesautournotammentdututorat(Amap)oudelaformationàl’accompagnement(Maps,Pétanielle,Amap,APAD62).Troistypesdesituationdeproductiondeconnaissancesontétéidentifiésdanslesprojetsétudiés,souventcombinées:

• L’élaborationderéférencessurlesperformancessocio-économiquesdespratiquesagroécologiques;• Laconduitededémonstrations-expérimentationsvisantunpublicd’autresagriculteursetladiffusiondessavoirs

tirésdel’expérience;• La capitalisation des expérimentations réalisées (ou des démarches d’accompagnement) et des connaissances

mobiliséessuivantdesdémarchesdeconstructionetdepartagedesacquis.

Les connaissancesvalorisées sontdifférentes,enéchoaux façonsdevoiret conduiredespratiquesagroécologiques,avec deux mouvements différenciés : un mouvement proche des défenseurs d’une agriculture paysanne et/ou del’agriculturebiologique,porteurd’unecritiquedesaconventionnalisation,quiviselavaluationdessavoirstraditionnels,locauxetprofessionnelsdesagriculteurs;unmouvementplusrécentportéparl’institutionnalisationdel’agroécologiemaisavecdes«racines»antérieures,quiconduitàdenouvellesacceptionsdel’Agroécologiequiintègrent,enplusdessavoirsprofessionnelsdesagriculteurs,toutunensembledesolutionstechnologiquesnécessitantparfoislacollectionet l’analyse d’un grand nombre de données pour piloter des systèmes agricoles complexes. Ces deux mouvementsviennent affirmer deux orientations de développement agricole et expriment une critique, parfois peu voilée, dusystèmeinstitutionneldeproductiondeconnaissancesetdeconseilagricole.Ilestimportantdenoterquedanscertainsdescollectifs,cesdeuxdynamiquesserejoignent,nonseulementdanscetypedecritiquemaisaussidansdeséchangessur les techniques, notamment de conduite de la fertilité des sols à partir de question sur les successions ou lespratiquesculturales.Laquestiondudevenirdesconnaissancestiréesdel’expérience(la«capitalisation»danslestermesemployésdansledispositif),estvécueparcertainscollectifscommeunparadoxeentrelefaitqu’ilsproduisentdesconnaissancesutilespoureux(leurpermettantd’échangeretdesecomparerentreeuxsurlabased’outilsconstruitslocalement)etvalidesensituation,etcetteexigencedecapitalisation«remontante»dontilsnevoientpasnécessairementlebénéficenilapertinence pour leur propre situation : «ce qu’on produit comme connaissances est valable localement, alors qu’on

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nous demande de produire des connaissances au niveau national». En outre, la capitalisation prévue aux niveauxrégionaletnationalporteprincipalementsur lesrésultatstechniquesalorsquecequiestproduitouexplorédans lescollectifs,cesontaussidesdémarches(quisontsocialementsituéestoutcommesontsituéslesrésultatstechniquesauplanàlafoispédo-climatique,économique,etsocial).C’estàpartirdelaprogressiondesgroupesdansletraitementduproblèmeoudel’ambitionchoisieavecleprojetqu’ilssouhaitentdevenireux-mêmesprescripteursdes connaissancesetdesrecommandationsdeconseilpertinentespouravancercollectivement.Nosétudesrévèlentnettementcetteinversiondurapportdeprescriptionetdeconseil.Ainsi,elles sont aussi des micro-observatoires des effets de recomposition des réseaux locaux de conseil sur la base del’expression de nouvelles attentes qui viennent des collectifs. Cette recomposition se traduit par le développementd’activités d’intermédiation portant autant sur des apports de ressources pour l’action que sur des méthodesd’accompagnement et de capacitation (au sens d’empowerment) des collectifs. Ceci pose la question de lapérennisation des ressources allouées à cette activité d’intermédiation, en particulier dans le cas des structuresassociatives.

Conclusions

LeprogrammeMCAEapparaîtcommeunlevierd’actionpubliqueinnovantsil’onconsidèrelesmodalitésplusstandardde distribution de l’aide publique en matière de développement agricole. Il assume de prendre en compte lamultifonctionnalitédel’agriculturepourledéveloppementdurableetchercheàorienterlessoutiensversdescollectifsenmesured’assurerunecohésionéconomiqueetsocialesurdesprojetsayantunimpactterritorialassumé.De ce point de vue, le dispositifMCAE fait écho à celui des Contrats Territoriaux d’Exploitation (CTE) en ciblant desdynamiques aujourd’hui qualifiées d’agroécologiques. Il agence en effet des stratégies allocatives et redistributives,avec un déplacement de l’échelle des exploitations vers celle des projets collectifs. D’autre part, il s’apparente à undispositifd’intelligencesocio-économiquepour leMinistère,ausensoù ledispositifMCAEet ledispositifGIEEqu’ila«embrayé»,formentunecapacitéàexplorer,construireetévaluerunréengagementdel’Etatdansledéveloppementagricolesuivantunmodèlemoinsnéo-corporatisteetplusdélégatif.Les projets lauréats apparaissent porteurs de dynamiques collectives évidemment hétérogènes dans leurs objectifscomme dans leur caractère plus ou moins ascendant. Les groupes inscrivent leur projet dans des référentiels deproductionetdéveloppementagricolequipeuventparaîtreparfoisassezstandards,maistoussedonnentlesmoyensd’expérimenter la reconnexion des objectifs et des pratiques de développement avec des logiques territoriales quiappellentsouventàuneredéfinitiondesmodesdeproduction.A l’analyse, tous ces groupes sont autant de nexus d’organisation pilotés par des structures variées. Ces nexus sontportéspardesprojetsquiagencentdescomposantestechniques,économiquesetterritorialesens’inscrivantdans le«produire autrement», mais qui sont aussi des expérimentations collectives assumées d’organisation dudéveloppementagricoleetd’unrapportcritiqueàlaproductiondesconnaissances.Les dynamiques collectives engagées que nous avons observées sur des collectifs plutôt atypiques par rapport audéveloppementagricole«ordinaire»,sontporteusesd’enseignements:

• surlaréalitédestransitionsagroécologiques,entermesdesensdonnéàl’actionparcesgroupes(etducoupdesvisionstrèsvariéesdel’agroécologie,sansquecelle-cisoittoujoursexplicitementaffichée;

• entermesdemodedeconduitedeprojetsitué,avecunevolontéà lafoisd’autonomieetd’inscriptiondansdesrelationsnombreusespourétayerlesprocessusàl’oeuvre,

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• en termes enfin de connaissances produites et surtout d’un besoin affirmé de faire valoir les savoirsexpérientiels et une valorisation du métier, avec un fort questionnement sur le rapport à l’appareil dedéveloppementetderecherche.

Defaçonglobale,etmêmesinotreétuden’avaitaucunevocationévaluative,nostravauxnouspoussentàtrouvercetinstrumentMCAEtrèspertinent;pertinentdanssonobjectifaumomentduprogramme«Produireautrement»dansun moment politique déjà daté, bien conduit en termes de création et suivi du dispositif et d’articulation avec leslabellisationsenGIEEparlasuite,maisavectoutdemêmebeaucoupdedifficultéspourlescollectifsdes’yinscrireetnotammentpourlaredditiondecomptesfinale(difficilepourlespetitesstructures).

Perspectives

Notre travail nous conduit aussi à souligner les enjeux d’une pérennisation d’une observation sociologique destransitions agroécologiques. Elle pourrait prendre la forme d’un dispositif articulant recherche et action, associantchercheurs,acteursdescollectifs,acteursinstitutionnelsetdesterritoiresdanslebutderendrevisiblesetintelligiblesleschangementsquelatransitionagroécologiqueappelle,afindenourrirlaréflexionautantquel’actionpubliqueetlespolitiquesouactionscollectivesterritoriales.Etabliretmaintenirunetellecapacitépermettrait:

• de se doter d’une capacité d’analyse sociologique, de comparaison, et de réflexion collective sur lesdynamiquescollectivesdetransitionagroécologique;

• d’animerunréseaudechercheursetd’acteursconcernésparcesenjeux,définissantensembledesquestionsde recherche-action partagées (par exemple autour de la redéfinition des modes de construction deconnaissances,deseffetsdescadragesinstitutionnels,deseffetsderecompositiondel’accompagnement);

• deconstituerenlienavecl’enseignementsupérieurettechnique,unsupportàdestravauxd’étudiantsetàlaconstructiondecontenuspédagogiques.

Nous pensons que cet objectif d’observation dans le temps long est d’autant plus d’actualité que la question de laréductiondespesticidesappellebiendes transformations. Ilnousparaitessentieldenepas confiner le rapportauxdynamiquesdetransformationdanslecadreétroitdelamesuredesbonnespratiques.Touteladimensionetlaportéedel’approchesystémiquequelesgroupesontd’ailleursclairementmiseenavantpourraitseperdre.Partant,disposerd’unespacedeproductiondeconnaissancessurcesdynamiquesdanslelongterme,associéàunconsortiumd’organisationssensiblesàl’idéequelarechercheetlesacteurspuissentproposeretcroiserleursregardsdefaçondistanciéeparrapportauxinstrumentsdetypeMCAEpuisGIEEetd’autres,nousparaitnécessaire.

Pour en savoir plus (https://colloque.inra.fr/mcae-obs/)

VoirlesiteduColloqueetnotammentl’onglet«Documentation»quilivredesressourcesenaccèslibre.Unouvrageestencoursd’éditionpourprésenterlestravauxetrésultatsdeceprojetObsTAE.