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AVANT-PR OPOS Les « meilleurs)} livres ayant tous un avant-propos, il est tout à fait indispensable que ce livre en ait un. Tout auteur a bien le droit de considérer que ses propres écrits sont les meilleurs. Permettez-moi de commencer le Meilleur en expliquant la raison qui m'a fait choisir ce titre . C'était ainsi. Pourquoi employer un titre pareil ? Alors qu'il affirme dans tous ses autres livres n'écrire jamais que la vérité ! Je vais m'en expliquer, bien sûr, mais soyez calme et con tinuez à lire. Tous mes livres sont vrais. C'est une affirmation que j'ai maintenue à travers les persécutions et les calom nies ininterrompues. Mais, tout au long des âges, des gens sains et sensés ont été persécutés, torturés et mêmes tués pour avoir dit ce qu'il en fut! Un très grand homme plein de sagesse faillit connaître le bûcher pour avoir osé affirmer que la terre tournait autour du soleil , et n'était pas - comme l'avaient enseigné les prêtres - le centre de la création autour duquel tour naient toutes les planètes. Le pauvre diable connut le

T. Lobsang Rampa - C'Etait Ainsi

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Fiction

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AVANT-PR OPOS

Les meilleurs)} livres ayant tous un avant-propos, il est tout fait indispensable que ce livre en ait un. Tout auteur a bien le droit de considrer que ses propres crits sont les meilleurs. Permettez-moi de commencer le Meilleur en expliquant la raison qui m'a fait choisir ce titre .C'tait ainsi. Pourquoi employer un titre pareil ? Alors qu'il affirme dans tous ses autres livres n'crire jamais que la vrit ! Je vais m'en expliquer, bien sr, mais soyez calme et con tinuez lire.Tous mes livres sont vrais. C'est une affirmation que j'ai maintenue travers les perscutions et les calom nies ininterrompues. Mais, tout au long des ges, desgens sains et senss ont t perscuts, torturs et mmes tus pour avoir dit ce qu'il en fut! Un trs grand homme plein de sagesse faillit connatre le bcher pour avoir os affirmer que la terre tournait autour du soleil , et n'tait pas - comme l'avaient enseign les prtres - le centre de la cration autour duquel tour naient toutes les plantes. Le pauvre diable connut lesupplice de la question , et ce ne fut qu'en abjurant sa thorie qu'il chappa au bcher.Ensuite, il y eut ceux qui se soulevrent par lvita-

7tion, cela un moment inopportun, en prsence de gens peu disposs accepter la chose. C'est ainsi qu'ils furent supprims de diffrentes faons, toutes specta culaires, pour avoir fait savoir qu'ils diffraient de la horde commune. Certains membres de la horde sont communs galement, et tout spcialement s'ils sont j ournalistes! Les pires parmi les humains - vous savez de qui je veux parler. Ils n'aiment que rabaisser tous les tres, et, ne pouvant tolrer que quiconque soit diffrent d'eux, ils crient la destruction ds qu'ils le rencon trent. Et au lieu de chercher prouver qu'une personne a raison , ils prouvent toujours le besoin d'essayer de dmontrer qu'elle a tort . La presse, tout particulire ment, adore dchaner la chasse aux sorcires et pers cuter quelqu'un par got de la nouvelle sensation . Ce qui manque tous ces pauvres gens de la presse, c'est l'intelligence qui leur permettrait de penser, qu'aprs tout, il pourrait bien y avoir du vrai dans telle ou telle chose ! Edward Davis, le flic le plus dur d'Amrique , crivait, en janvier 1975 dans True Maga zine: D'unefaon gnrale, les medias sont composs d'une bande d'crivains de fiction rats . Autrement dit , le journa lisme est plein d'espces de Picasso qui , pinceau enmain, brossent un portrait qui est cens tre le mien , mais que personne ne reconnat part son auteur, le gars au pinceau. M. Davis - c'est clair - n'apprcie pas les journalistes . Un point sur lequel nous nous rej oignons sansdoute, parce que tous deux nous avons de bonnes raisons de ne pas les aimer. Un j ournaliste m'a dit un jour : La vrit? Elle n'a jamais fait vendre.Qu'avons-nous faire de la vrit? Nous vendons de lasensation.

8Depuis la parution du Troisime il (1) - un livre vrai ! - d'tranges cratures ont fourmill et, trem pant leur plume dans le venin, m'ont attaqu dans leurs livres et leurs crits. Des gens s'intitulant experts ont dclar : ceci est faux, alors que d'autres affirmaient : cela est vrai. Il ne s'en est pas trouv deuxpour tre d'accord.Quant aux investigateurs , itinrants, ils ont inter view la ronde des gens qui ne m'avaient jamais ren contr, inventant de toutes pices des histoires sorties de leur imagination. Les investigateurs , eux aussi , ne m'avaient pas davantage rencontr. A l'afft de la sensation tout prix, les journalistes inventent des interviews qui n'ont jamais exist. C'est ainsi que dans une interview invente et arrange, on a fait dire Mme Rampa que le livre tait une fiction. Ce qu'elle n'a jamais dit. Nous rptons tous deux que tous mes livres sont l'rais.Mais que ce soit la presse , la radio ou les diteurs, personne jamais ne m'a permis de donner ma versionsur le sujet ! On ne m'a pas davantage offert d'apparatre la tlvision ou la radio afin de me permettrede dire la vrit! Comme beaucoup d'autres avant moi, j'ai t perscut, simplement pour tre diffrent dela maj orit. Ainsi donc, l'humanit dtruit ceux qui seraient susceptibles de l'aider grce leur savoir sp cial, ou leurs expriences particulires. Si nous tions autoriss le faire, nous pourrions , nous - les excep tionnels, les droutants -, repousser les frontires de la connaissance et faire avancer chez les humains la comprhension de l'homme.La presse me dcrit la fois comme tant petit etchevelu, gros et chauve, grand, petit, mince et gras. De

(1) Dans cette mme collection, A 11--.

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mme selon certains j ournaux dignes de foi , je serais un Anglais , un Russe, un Allemand qui aurait t envoy au Tibet par Hitler, ou un Indien, etc. Des jour naux dignes de foi ! Tout sauf la vrit - mais celle-ci est dans mes livres.On a dit sur moi tant de mensonges . Tant d'imagination malsaine s'est dploye contre moi, causant beaucoup de misre et de souffrances. Mais ici , dans ce livre, je dis la vrit. Je la dis telle qu'elle fut vraiment.

LIVRE 1

COMME IL EN FUT AU COMM ENCEM ENT

D'un air las , le vieil homme s'adossa contre un pilier, son dos rendu douloureux par les longues heures pas ses dans une position inconfortable. Lentement, d'un revers de main, il se frotta les yeux qui devenaient chassieux avec l'ge, et regarda autour de lui . Des papiers recouvraient toute la table. Des papiers pleins d'tranges symboles et de figures illisibles.A peine visibles, des gens se dplaaient devant lui , attendant ses ordres.Le vieil homme se leva lentement, cartant avec irritation les mains qui s'offraient l'aider. Pliant sous le poids des ans , il alla jusqu' la fentre et l'ouvrit.Frissonnant, il serra autour de sa maigre silhouette le vieux vtement qui l'enveloppait. Les coudes solidement appuys contre la maonnerie, il regarda autour de lui. Dou, pour son malheur, de la capacit voir deloin, alors que son travail aurait exig le contraire, il

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tait en mesure, maintenant, de voir jusqu'aux limites extrmes de la plaine de Lhassa.Pour Lhassa, c'tait une journe chaude. Les saules resplendissaient de beaut, couverts de leurs jeunespousses vert tendre. Les petits chatons coloraient d'innombrables raies jaunes l'arrire-plan vert et brun. Plus bas, une centaine de mtres environ, les couleurs se fondaient de faon plus harmonieuse avec lereflet de l'eau transparente qu'on apercevait travers les branches les plus basses.Le vieux matre astrologue se laissa aller rvasser, contemplant ce pays puissant dans lequel il vivait, etqu'il avait quitt si rarement, et seulement pour des questions urgentes. Non, non , se dit-il, ce n'est pas encore l'heure de penser CELA. Il est prfrable de jouir de la vue qui s'offre moi . Une grande activit rgnait dans le village de Sho , blotti au pied du Potala. Des brigands, pris alors qu'ilsdtroussaient les voyageurs dans les hauts dfils de lamontagne, avaient t amens au tribunal de justice du village. Des sentences, dj, avaient t prononces etdes hommes reconnus coupables de crimes ou autres offenses graves quittaient le tribunal, leurs chanes sonnant au rythme de leurs pas. Incapables maintenant de travailler en tranant leurs chanes, ils al laient errer de place en place en mendiant leur nour riture.D'un air triste et songeur, le vieil astrologue fixa du regard la grande cathdrale de Lhassa. Depuis si longtemps il avait rv d'y retourner pour renouer avec ses souvenirs d'enfance; pendant trop d'annes , ses devoirsofficiels ne lui avaient pas permis de consacrer le moindre temps son plaisir personnel. En soupirant, ils'apprtait quitter la fentre quand, soudain, ilregarda au loin et appela un serviteur en disant :

15 - Il me semble reconnatre ce garon qui longe leDodpal Linga . N'es t-ce pas le jeune Rampa? Le serviteur fit un signe de la tte .- Oui , Rvrend, c'est le jeune Rampa et le domestique Tzu. Le jeune garon dont vous prparez le futur dans cet horoscope.Un sourire amer s'baucha sur les lvres du vieilastrologue tandis qu'il regardait le tout petit garon et le domestique immense, haut de plus de deux mtres, natif de la province de Kham. Il les regarda avancer, le garonnet chevauchant un poney de petite taille et l'autre montant un cheval puissant. Et quand la montagne les cacha sa vue , il rej oignit la table couverte de papiers.- Ainsi donc, murmura-t-il, pendant plus desoixante ans , il connatra beaucoup d'preuves, de par l'influence dfavorable de... Sa voix se fit basse et monotone tandis qu'il brassait d'innombrables papiers , notant ici , effaant l. Ce vieilhomme tait le plus fameux astrologue du Tibet, un homme instruit de tous les mystres de cet art hautement respectable. L'astrologie, au Tibet, est trs diffrente de ce qu'elle est en Occident. Ici , Lhassa, la date de la conception est mise en corrlation avec cellede la naissance. Le chef astrologue prdisait le chemin de la vie des gens clbres et des membres importants de ces familles. Le gouvernement lui-mme tait conseill par les astrologues, comme le fut le Dala lama. Mais cela n'avait rien voir avec l'astrologie occi dentale qui semble s'tre prostitue la presse sensa tion .Devant de longues tables basses , les prtres astrolo gues taient assis, jambes croises, examinant des figu res , tablissant des relations entre elles . On dessinaitles graphiques des configurations clestes existant au temps de la conception, de la naissance, de la lecturede l'horoscope, qui tait connu trs en avance, et un graphique complet ainsi qu'une description annuelle taient prpars pour chaque anne de la vie du sujet. Le tout faisait alors l'objet d'un large rapport final .Fait la main, le papier tibtain se prsente sous la forme de feuilles paisses d'environ vingt centimtres de haut sur soixante-cinq centimtres de large. Le papier crire, en Occident, est plus long que large, alors qu'au Tibet c'est le contraire. Les pages des livres ne sont pas relies entre elles, mais maintenues en une pile par deux planches de bois . En Occident, avec un tel systme, les livres ne mettraient pas longtemps tre dtruits ; les feuilles en seraient perdues ou dchires. Au Tibet, le papier est sacr et fait l'objet de soins immenses . Gaspiller le papier constitue une offense grave, d'o le soin apport aux pages d'un livre. Quand un lama lisait, un jeune assistant se tenait toujours auprs de lui. La planche de bois recouvrant le livre tait tout d'abord retire puis place face contre sol, la gauche du lecteur. La page du dessus une fois lue, l'assistant l'enlevait avec respect pour la placer - tou jours face contre sol - sur la couverture de bois. La lecture acheve, les feuilles taient alors soigneuse ment arranges, et le livre attach par des liens.L'horoscope tai t prpar de cette faon. Chaque feuille crite tait mise de ct - pour scher -, cartacher le papier tait galement une faute grave. Puis,six mois plus tard, peut-tre, le temps n'ayant aucune importance, l'horoscope tait prt.Lentement, l'assistant - qui dans ce cas tait alors un jeune moine - soulevait la feuille avec un infini respect et la plaait face contre terre sur la prcdente.Le vieil astrologue souleva la dernire feuille ainsiexpose et murmura mcontent :Cette encre n'est pas bonne. Mme avant d'avoirvu la lumire, la couleur en est mauvaise. Cette page doit tre rcrite.Prenant son crayon de fusain, il nota rapidement uneindication.Ces crayons taient une invention remontant plusieurs milliers d'annes; le procd de fabricationn'avait subi aucune modification et s'tait poursuivi immuablement. Il existait, en fait, une lgende qui vou lait que le Tibet ait t, en un temps , la paroi d'une mer tincelante, et cette lgende tait taye par la dcou verte frquente de coquillages, de poissons fossiliss, et d'autres objets qui ne pouvaient provenir que d'une rgion plus chaude et proche de la mer. On avait trouv, enterrs, des produits ouvrs - outils, bij oux, ayant appartenu une race depuis longtemps tinte. Tous ces objets, ainsi que de l'or, existaient en abon dance sur les bords des rivires qui sillonnaient le pays.La fabrication de ces btonnets de fusain ncessitait plusieurs oprations . La premire consistait d'abord amasser une grande quantit d'argile ; puis les moines se mettaient en route pour cueillir, sur les saules , lespetits rameaux qui devaient tre gros comme un petitdoigt et longs d'environ trente centimtres. Cette cueillette tait alors apporte un service spcial du Potala. Tous ces rameaux y taient alors examins un par un avec soin et classs, les trs droits, c'est--dire les plusprcieux, taient pels et ensuite envelopps d'argile, chacun portant un sceau qui prouvait qu'il tait d'unequalit suprieure, rserve aux lamas de haut rang.Les btonnets de seconde classe, pour l'usage ordi naire, avaient un petit trou fait dans l'argile pour per mettre la vapeur de s'chapper au cours du processusde chauffage et viter ainsi que l'enveloppe d'argilen'clate.L'argile tait alors tendue sur des claies disposes dans une grande pice, cela pendant un mois ou plus afin de laisser vaporer l'humidit.Quatre ou cinq mois plus tard, l'argile tait transporte sur un feu - un feu qui servait galement cuire, chauffer l'eau -, et tait dpose sur la partie la plus rouge de ce feu. La temprature tait maintenue pen dant toute une journe, puis on laissait le feus'teindre. Sitt froides, les masses d'argile taient ouvertes, et les petits btonnets alors carboniss - devenus des fusains - taient prts pour le noble usage qu'est la propagation de la vraie connaissance.Les rameaux jugs impropres taient utiliss pour entretenir le feu destin scher l'argile enveloppantles btonnets de qualit suprieure. Ces feux taient faits de bouse de yak bien sche, et de n'importe quelbois mort trouv la ronde. Mais le bois n'tait jamais employ pour les feux s'il pouvait servir des fins plus nobles , car il tait un produit assez rare au Tibet.Ces crayons taient ceux dont se servent les artistespour les dessins au fusain, mais le Tibet avait galement besoin d'encre et, pour sa fabrication, on utilisait un autre bois envelopp galement dans de l'argilequ'on soumettait plus longtemps au feu, et des tempratures plus leves. Quand le feu, aprs plusieurs j ours, tait teint, et les masses d'argile retires dufoyer maintenant froid, on les ouvrait et on trouvait l'intrieur un rsidu noir qui tait du carbone presque pur. Ce carbone, aprs avoir t examin trs soigneusement, tait mis dans un morceau d'toffe trs grossire qu'on serrait extrmement fort par un nud, et onplaait cette toffe sur une pierre munie d'un petit creuset qui pouvait avoir cinq centimtres de profondeur. Des moines, de la classe domestique, battaientcette masse afin d'en faire sortir une poussire noiretrs fine. Cette poussire tait ensuite mlange de la gomme chauffe , extraite de certains arbres de la rgion , et le mlange brass longuement jusqu' ce qu'on obtienne une masse noirtre. Mise scher en pains, il ne restait plus - lorsqu'on dsirait de l'encre- qu' frotter ces pains dans un rcipient en pierre et ajouter un peu d'eau . L'encre obtenue ai nsi tait d'une couleur brun-roux.Les documents officiel s, de mme que les graphiques astrologiques de grande importance, n'taient jamaisrdigs avec cette encre usage commun . Pour une encre plus fine, on procdait ainsi : un morceau demarbre trs poli tait suspendu un angle d'environquarante-cinq degrs, sous lequel brlaient une douzaine de lampes en grsillant . Les mches en taient maintenues trs longues de faon obtenir une paisse fume noire. Cette fume, en frappant le marbre poli , se condensait en une masse noire. Quand l'paisseurtait juge suffisante, un jeune moine venait retirer lasubstance obtenue et replaait la plaque de marbre pour recommencer l'opration. Une rsine recueillie des arbres tait place dans un rcipient qu'on chauffait intensment, afin que la gomme arrive la consistance de l'eau . Il se formait sur la gomme en bullition un pais rsidu d'cume qu'on enlevait afin d'obtenirun liquide absolument clair, lgrement jauntre. Dansce liquide, on dposait une masse de noir de fume, et l'on brassait jusqu' obtention d'une pte presque dure. Cette mixture tait alors mise refroidir sur unepierre, o elle se solidifiait.Pour l'usage des lamas de haut rang - et les officiels -, le produit tait prsent sous forme de paralllpipdes, mais les moines infrieurs taient pleinement heureux d'avoir une encre sous n'importe quelle forme.

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La plume, bien sr, n'existait pas au Tibet. Pas de plumes d'acier, pas de stylos, mais des rameaux de saule finement dpouills , aux extrmits adoucies au point de devenir comme de petits poils. On mettait ensuite ces btonnets scher trs compltement, avec grand soin , afin qu'ils ne se dforment pas et ne se fendillent pas. Quand ils taient suffisamment secs , on les plaait pour les durcir sur une pierre chaude, ce qui leur donnait, tout la fois, rsistance et dure. L'cri ture tibtaine est, dire vrai, une criture au pinceau, car les caractres et les idogrammes sont traits de fa on proche de celle des caractres japonais ou chinois. Mais le vieil astrologue continuait maugrer sur la mauvaise qualit de l'encre d'une certaine page. Pour suivant sa lecture, il dcouvrit que ce qu'il lisait concer nait la. mort du sujet de l'horoscope. L'astrologie tib taine couvre tous les aspects d'une vie - de la nais sance la mort. Il parcourut avec attention ses prdic tions, contrlant , vrifiant, car il s'agissait l du membre d'une famille importante. Prdictions impor tantes non seulement cause de la famille, mais importantes en soi , vu la tche qui lui tait assigne.Le vieil homme s'appuya en arrire, ses os craquant de lassitude. Avec un frisson d'apprhension , il se souvint que sa propre mort n'tait maintenant plus trsloigne. C'tait sa dernire grande tche, que cette prparation d'un horoscope aussi dtaill, et tel qu'il n'en avait encore jamais fait.L'achvement de ce travail et sa lecture finiraient de l'puiser et hteraient sa fin. La mort ne l'effrayait pas,il savait qu'elle n'tait qu'une priode de transition ; mais transition ou non , c'tait cependant une priode de changement, et le vieil homme hassait le changement et le redoutait. Il lui faudrait quitter son bienaim Potala, laisser libre sa position trs convoite de

21 chef de l'astrologie du Tibet, quitter toutes choses qu'il connaissait et qui lui taient chres ; il lui faudrait par tir et, tout comme un novice arrivant dans une lamase rie, il devrait tout recommencer. Quand? Il le savait! O? Cela, il le savait aussi ! Mais c'tait dur de quitter les vieux amis , dur de changer de vie, car la mort n'existe pas et ce que nous appelons mort n'est qu'une transition d'une vie une autre.Il se prit penser au processus. Il se vit, comme il avait vu tant d'autres tres, mort , le corps jamaisimmobile, non plus une crature sensible, mais une masse de chair supporte par des os morts .Il se vit ainsi , dpouill de ses robes , et recroquevill, sa tte touchant ses genoux, et ses jambes replies enarrire. Il s'imagina charg sur le dos d'un poney, comme un ballot, et emmen dans les environs deLhassa o on le confierait aux soins des ordonnateursde la mort.Ceux-ci prendraient son corps et le placeraient sur un grand roc plat prpar cet effet. Son corps seraitouvert et les organes extraits. Le chef des ordonnateurs lancerait alors vers le ciel un appel sonore, et s'abattrait la troupe de vautours, habitus ces crmonies .Puis le chef prendrait son cur qu'il lancerait au vautour dominant, lequel l'avalerait sans sourciller,puis les autres vautours auraient droit aux reins, aux poumons et autres organes.Mains couvertes de sang, les ordonnateurs arracheraient la chair de dessus les os, la couperaient en lamelles et la jetteraient aux vautours assembls enune espce de congrgation solennelle - comme unerunion de viei llards .Une fois la chair arrache, les organes enlevs, les os seraient alors briss et pousss dans des trous creuss mme le roc, o on les rduirait en poudre. Cettepoudre serait mlange avec le sang et les autres scr tions du corps, et le mlange obtenu serait laiss sur le roc pour nourrir les oiseaux. En l'affaire de quelques heures, il n'y aurait plus trace de ce qui avait t un homme. Plus trace, non plus , de vautours. Ils s'en seraient alls ailleurs - attendant qu'on fasse de nou veau appel leurs services.Le vieil homme pensait tout cela, pensait aux choses qu'il avait vues en Inde o, chez les pauvres, lecorps tait jet dans la rivire avec un poids ou ense veli dans la terre; alors que les plus riches, ceux qui avaient les moye'ns d'acheter du bois, faisaient brler les corps et jetaient les cendres dans quelque rivire sacre, esprant ainsi que l'esprit de la personne seraitrappel au sein de la terre, notre mre.Le vieil homme se secoua violemment en murmurant :- Ce n'est pas le moment de penser ma tran sition. Que je finisse d'abord de prparer les notes sur la transition de ce petit garon !Mais ce ne devait pas tre , car il fut interrompu. Il murmurait des instructions concernant la page quidevait tre rcrite avec une encre meilleure quand luiparvint le bruit de pas rapides et celui d'une porte qu'on claquait. Le vieil homme leva les yeux, irrit, caril n'tait pas habitu des interruptions de cette sorte ;il tait anormal d'entendre du bruit dans le service d'astrologie. C'tait, en effet, une zone de calme, dequitude et de contemplation o le silence n'taitrompu que par le bruit du fusain grattant la surface rude du papier. Puis on entendit des bruits de voix : Je DOIS le voir. Je DOIS LE VOIR TOUT DE SU ITE. Le Dala-lama le demande. Des bruits de pas sur le sol et le bruissement d'unetoffe raide. Un lama du personnel du Dala-lama appa-rut serrant dans sa main droite un tui dont l'extr mit laissait paratre un papier crit de la main du Dala-lama lui-mme. Le lama s'avana, s'inclina devant le vieil astrologue en lui prsentant l'tui pour qu'il en retire la missive. L'ayant lue, le vieil homme eut une moue de consternation.- Mais, mais, grommela-t-il , comment puis-je aller maintenant? Je suis en plein milieu de mes calculs et de mes valuations. Si je m'arrte ce stade... Mais il comprit qu'il n'avait pas le choix et devait partir imm diatement. Avec un soupir de rsignation, il changea sa vieille robe pour une plus soigne, prit quelques graphi ques et quelques crayons et , se tournant vers un moine qui se tenait prs de lui , lui dit :- Prenez ceci, mon garon, et accompagnez-moi. Lentement, il sortit de la pice, dans le sillage dulama la robe d'or.Le lama modrait ses pas pour permettre au vieil homme de le suivre sans trop de fatigue. Ils traversrent d'interminables corridors, au long desquels moines et lamas arrtaient leurs activits et s'immobilisaient respectueusement en s'inclinant au passage du chef astrologue.Marchant touj ours, et montant d'un tage l'autre,ils atteignirent enfin l'tage suprieur o se tenaient les appartements du Dala-lama, le Treizime Dalalama, celui qui allait faire plus pour le Tibet qu'aucun autre Dala-lama.Les deux hommes rencontrrent trois jeunes moines se conduisant de faon apparemment dsordonne,patinant, les pieds envelopps d'toffe. Ils interrompirent leurs gambades et se mirent sur le ct pour laisser passer les deux hommes . Ces jeunes ne j ouaient pas, mais travaillaient tout le j our maintenir le polides sols - et cela chaque tage. Et leurs efforts ajou-taient la patine de l'ge un brillant prodigieux. Mais le sol tait, de ce fait, terriblement glissant. Le lama la robe d'or comprit le problme du vieil homme et le prit par le bras, conscient qu' cet ge, un membre cass signifierait pratiquement la mort de l'astrologue.Ils arrivrent bientt dans une grande pice ensoleille, o le Grand Treizime lui-mme, assis dans la position du lotus , regardait le panorama des montagnes de liHimalaya s'tendant devant lui, et , en fait, tout autourde la valle de Lhassa.Le vieil astrologue se prosterna devant le dieu-roi duTibet. Le Dala-lama fit signe aux serviteurs de s'loi gner et, trs vite, les deux hommes se retrouvrent l'un en face de l'autre, assis sur des coussins qui, au Tibet, tiennent lieu de chaises.Ils se connaissaient depuis longtemps. Le chef astrologue tait au courant des affaires de l'Etat, connaissait toutes les prdictions concernant le Tibet, tant l'auteur de la plupart d'entre elles.Le Grand Treizime avait un air grave, car le Tibet vivait des jours importants et pleins d'inquitude. La compagnie anglaise East India essayait de sortir de l'oret d'autres articles du pays , et divers agents et chefsmilitaires anglais caressaient l'ide d'envahir le Tibet;mais la menace de la Russie l'horizon empcha la ralisation d'un tel proj et. Il suffira de dire que , cestade , les Anglais causrent beaucoup d'agitation et beaucoup d'ennuis au Tibet, tout comme les communistes chinois devaient le faire dans les dernires annes . En ce qui concerne les Tibtains, ils n'avaientque faire des Anglais et des Chinois et demandaientsimplement qu'on les laisst en paix. Le Tibet, malheureusement, avait ce moment un autre problme plus srieux, celui de deux sectes de prtres - l'une connuesous le nom de Bonnets jaunes, l'autre, sous celui deBonnets rouges. Le Dala-lama tait le chef des Bon nets jaunes , et le Panchen-lama, celui des Bonnets rouges. Et les deux chefs n'prouvaient l'un pour l'autre aucune sympathie.Il en tait de mme, la vrit, entre les deux sectes. A ce moment, les supporters du Dala-lama avaient le dessus, mais il n'en avait pas toujours t ainsi . En un temps , le Panchen-lama - qui devait bientt tre contraint de quitter le Tibet - avait domin la situa tion , et le pays plong alors dans le chaos, jusqu'au moment o le Dala-lama avait pu revendiquer ses droits, aid par le fait que, du point de vue religieux, les Bonnets jaunes avaient ce qu'on pourrait appeler une saintet suprieure .Le Dala-lama, connu comme le Grand Treizime, posa plusieurs questions concernant le futur du Tibet .Cherchant dans ses papiers, le vieil astrologue sortit des cartes et des graphiques sur lesquels se penchrent les deux hommes pour les tudier.- Avant que soixante annes ne s'coulent, le Tibet n'existera plus en tant qu'entit libre. Le Chinois, l'ennemi hrditaire - avec une forme nouvelle de gouver nement politique - envahira le Tibet et supprimera l'ordre des prtres.A la mort du Grand Treizime, avait-on dit au Dalalama, un autre serait choisi pour pallier l'agression chinoise. On choisirait un enfant pour tre la rincarnation du Grand Treizime - cela sans tenir compte de la justesse de ce choix, car ce serait avant tout un choix politique ; celui qu'on appellerait le Quatorzime Dalaviendrait du territoire sous contrle chinois. Le Dala-lama tait trs attrist par le problme et essayait de trouver un moyen de sauver son pays bienaim. Mais , fit remarquer le vieil astrologue avec sagesse, s'il est possible d'agir sur l'horoscope d'unindividu, on ne connat pas de moyen de modifier de faon substantielle l'horoscope et la destine de tout un pays. Un pays est un ensemble d'individus trop dif frents , qu'on ne peut commander ou persuader de penser dans la mme ligne, au mme moment, et dans le mme dessein. Si le destin du Tibet tait connu, le destin des Saintes Ecritures - et de la divine connais sance - n'tait pas encore connu, mais on pensait pos sible de former un jeune homme, de lui donner un savoir spcial, des capacits exceptionnelles et de l'en voyer ensuite aux confins du Tibet afin qu'il puisse crire sur sa connaissance du Tibet. Aprs quelques changes avec l'astrologue, le Dala-lama dit :- Et ce jeune garon, le petit Rampa, avez-vous prpar son horoscope? J'aimerais que vous le lisiez lors d'une runion spciale chez les Rampa - dans deuxsemaines .L'astrologue eut comme un frmissement. Deux semaines ? Il n'aurait jamais termin. D'une voix chevrotante, il rpondit :- Oui , Votre Saintet , tout sera prt dans deux semaines . Mais ce garon va connatre une vie d'infortunes et de souffrances, dsavou par ses compatriotes. Sa route est seme d'em bches et d'obstacles de toutessortes par des forces du mal , dont une, en particulier,que jusqu' prsent je n'ai pas encore identifie, mais qui semble tre en liaison avec le journalisme.Le Dala-lama laissa chapper un soupir sonore puisdit :- Oublions cela pour l'instant, car ce qui est invitable ne peut tre modifi. Vous devrez travailler encore sur cet horoscope pendant les deux semaines venir, afin de vous assurer de ce que vous allez proclamer. Pour l'instant , j 'aimerais me dtendre des affaires de l' Etat en faisant une partie d'checs avec vous.La clochette d'argent rsonna et un lama en robe d'or entra. Le Dala lui ordonna d'apporter l'chiquier. Ce jeu tait trs populaire parmi les intellectuels de Lhassa - mais il ne se jouait pas de la mme faon qu'en Occident , o , en dbut de partie, le premier pion de chaque camp peut se dplacer de deux cases, alors qu'au Tibet ce n'est que d'une case. De mme , il n'existe pas, comme en Occident, de rgle qui veut qu'un pion ayant atteint la ligne du fond puisse devenir une tour, et le statut de mettre chec et mat son adversaire n'est pas reconnu. On estimait qu'il y avait tat d'quilibre quand le roi restait seul, sans un pion ou une autre pice sur l'chiquier.Les deux hommes jourent interminablement, l'aise dans le climat d'affection et de respect qui s'taittabli entre eux, tandis qu'au-dessus d'eux, sur le toitplat qui recouvrait les appartements du Dala-lama, les drapeaux de prire claquaient sous la brise des monta gnes. Plus bas , au long du corridor, les moulins prires dbitaient leurs interminables litanies . Sur lestoits plats brillaient les tombes dores des incarnations prcdentes du Dala-lama - car, selon la croyance tibtaine, chaque Dala-lama, quand il meurt,va en transition et revient sur terre dans le corps d'un petit garon. La transmigration est accepte comme unarticle de la religion et n'est l'objet d'aucun commentaire. Ainsi donc, sur le toit plat , douze corps gisaient dans douze tombes dores - chacune tant orne d'un toit compliqu, dcor de spirales, volutes et autresmotifs , destins loigner les mauvais esprits .Du toit, on pouvait voir le chatoyant btiment du collge de mdecine, sur la colline de Fer - le centrede la science mdicale tibtaine. Au-del s'tendaitLhassa, brillante sous le soleil son znith. Le ciel tait d'un rouge pourpre et, sur le sommet des montagnesencerclant Lhassa, on voyait s'lever la neige chasse par le vent.Mais le jour avanait et les ombres des montagnes grandissaient annonant aux deux hommes que l'heurede la prire approchait. A regret et en soupirant, ils abandonnrent leur jeu. Pour le Dala-lama, c'tait lemoment de se livrer ses dvotions et, pour le chef astrologue, celui de retourner ses calculs, s'il tenait respecter le dlai fix par le Dala-lama : tre prt dans deux semaines.De nouveau la clochette tinta, et de nouveau apparut le lama en robe dore, auquel le Dala-lama donnal'ordre d'escorter l'astrologue jusqu' ses quartiers, trois tages plus bas.Avec effort, le vieil astrologue se leva, se prosterna selon le rituel et quitta son chef spirituel.

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- Oh ! oh! dit la voix dans le crpuscule de cette agrable j ourne. Avez-vous entendu ce qu'on dit sur cette Dame Rampa? Elle a recommenc!On entendit des pas sur la route, le bruit de graviers roulant sous les pieds , puis un soupir :-:- Dame Rampa? Qu'a-t-elle fait, maintenant?La premire voix rpondit avec une allgresse mal dissimule . Pour un certain type de femme - peu importe sa classe sociale, sa nationalit -, si elle estporteuse de nouvelles, de prfrence mauvaises , elle aeu une bonne journe.La tante de mon beau-fils a entendu une trangehistoire . Comme vous savez, elle va pouser cet homme des douanes qui travaille la porte ouest. Il lui a dit que, depuis des mois, Dame Rampa a command toutes sortes de choses en Inde, et les caravaniers com mencent livrer les marchandises . Avez-vous entendu quelque chose ce sujet? - Ma foi, je sais qu'il va se passer quelque chose de spcial, trs bientt, dans leurs jardins ; mais vous devez vous souvenir que le grand Seigneur Rampa tait notre rgent quand le Dala-lama est all en Inde durant l'invasion anglaise qui a fait tant de mal. Je trouve tout fait naturel qu'une des premires dames de notre pays ait envie de commander certaines choses. Je ne vois pas ce qu'il y a de mal cela !L'informatrice prit sa respiration et lana :- Ah ! Mais vous ne savez pas tout , pas mme la moiti! J'ai entendu dire , par un des mes amis qui est au service d'un des moines du Kesar - il vient duPotala, vous savez -, qu'un horoscope trs complettait en prparation pour ce petit garon, vous savez le petit nabot qui a toujours des histoires et qui doit donner du fil retordre son pre. Je me demande si vous avez des informations ce sujet? Le seconde dame rflchit un instant puis rpondit :- Oui, mais vous devez vous souvenir que Paljor est mort rcemment - j'ai vu emporter son corps, je l'aivu de mes propres yeux. Les briseurs de corps l'ont emmen de la maison avec beaucoup de respect, et lesdeux prtres l'accompagnrent jusqu' la grille, maisj 'ai vu galement que, sitt les deux prtres disparus, on a laiss tomber ce pauvre petit corps sans aucunrespect sur le dos d'un poney, et on l'a emmen auRagyab afin que les ordonnateurs le mettent en pices et qu'il nourrisse les vautours. Ce fut ainsi!Non ! Non ! corrigea l'informatrice exaspre. Vousne comprenez pas ; vous ne pouvez pas avoir le sens de ces questions sociales ; avec la mort de l'an, ce petit garon, Lobsang, est maintenant l'hritier de tous les biens et de la fortune de la famille Lhalu. Vous savez qu'ils sont millionnaires. Ils ont de l'argent ici , en Inde, et mme en Chine . Je dirai qu'ils sont les gens les plus riches du pays. Et pourquoi ce jeune garon hrite rait-il de toute cette fortune? Pourquoi serait-il assur de vivre dans le luxe quand nous devons, nous , travail ler? Mon mari m'a dit que cela n'avait aucune impor tance, qu'un de ces jours les choses changeraient, que nous prendrions les rsidences des gens fortuns, et qu' leur tour ils travailleraient pour nous. Nous ver rons ce que nous verrons si nous vivons assez long temps. Que ce jour-l soit lou !Des pas trs lents venaient travers le crpuscule, et on discerna un visage et les tresses noires d'une femme tibtaine.- J'ai, sans le vouloir, entendu ce que vous disiez, dit la nouvelle arrive. Mais n'oubliez pas que ce jeunegaron, Lobsang Rampa, a devant lui une vie trs dure, parce qu'il est bien connu que tous les gens riches ontune vie trs dure.- Alors ! s'exclama l'informatrice, nous devrions tous avoir une vie facile. Nous sommes tous pauvres,n'est-ce pas ?Sur ce, elle ricana et gloussa comme une sorcire. Elle poursuivit :- J'ai entendu dire, moi aussi , qu'on prpare une grande affaire o le grand Seigneur Rampa annonceraque son fils Lobsang est son hritier. J'ai galemententendu dire que le jeune garon va tre envoy enInde pour y recevoir une formation, et le difficile sera qu'il ne tombe pas aux mains des Anglais, car ceux-ciessaient de prendre le contrle de notre pays. Vous lesavez? Et regardez quel mal ils ont fait. Mais riche ou pauvre, ce garon a devant lui une vie trs dure. Rappe lez-vous ce que je vous dis. Les voix s'teignirent tandis que les trois femmes s'en allaient au long de la route de Lingkor, passant devant le temple du Serpent, et suivant le Kalling Chu pour passer le pont Chara Sampa.A quelques mtres de l - le sujet de leur discussion-, un peti t garon, qui n'avait pas encore sept ans , tait trs agit. Plus ou moins endormi, il avait dessonges et des cauchemars ; il rvait des cerfs-volahts , et ce qui arriverait si l'on venait dcouvrir quec'tait lui qui faisait voler le cerf-volant qui tait alltomber sur des voyageurs , en affolant leurs poneys. L'un des cavaliers tait tomb et avait roul dans larivire. C'tait un homme trs important que ce cavalier - l'assistant d'un suprieur dans une des lamaseries. Le jeune garon s'agitait dans son sommeil en songeant la punition corporelle qu'il subirait si l'on venait dcouvrir qu'il tait le coupable.A Lhassa, les garons de grande famille taient levs trs svrement. N'taient-ils pas censs tre un exemple pour les autres , s'endurcir pour les luttes de lavie, avoir plus de rigueur pour eux-mmes que ceux denaissance infrieure - et montrer que, bien que fi ls de gens fortuns, ou de gens gouvernant le pays, ilstaient capables de supporter la souffrance et les privations? Et la discipline, pour un petit garon g de sept ans peine, tait plus dure que celle laquelle estsoumis n'importe quel enfant occidental .D'au del du pont parvenait le marmonnement des trois femmes qui venaient de s'arrter pour un dernier brin de causette avant de se sparer pour rej oindreleurs maisons . Ports par la brise, on entendit les mots Rampa , Yasodhara , puis un murmure de voix,un bruit de gravier cras, et, s'tant mutuellement souhait une bonne nuit, elles partirent chacune de leur ct.Dans la grande rsidence Lhalu, dont les grilles massives avaient si bien rsist aux assauts de l'infanterie britannique qu'elle avait d , pour pntrer, faire unebrche dans le mur de pierre, toute la famille dormait, l'exception des gardiens de la nuit , ceux qui veil lent et annoncent les heures et le temps pour que ceux quisont rests veills puissent suivre les progrs de la nuit. Adjacents la chapelle de la rsidence Lhalu, se trouvaient les quartiers des intendants. Les Tibtains de haut rang avaient un ou deux prtres en permanenceattachs la chapelle. La rsidence Rampa tait considre d'une importance ncessitant deux prtres. Tousles trois ans, ces prtres - moines du Potala - taient remplacs par d'autres afin de leur viter les corruptions de la vie domestique. Un des lamas - car ces moines taient en fait des lamas - n'tait arriv quercemment la maison . L'autre s'apprtait retournertrs bientt la discipline svre de la lamaserie, mais il s'agitait nerveusement, cherchant comment il pourrait prolonger son sj our, car pouvoir assister la crmonie de proclamation de l'horoscope tait la chance de sa vie , la chance qui permettrait tous de savoirquel genre d'homme deviendrait le jeune hritier.C'tait un jeune lama, venu la rsidence Lhalu chaudement recommand par son suprieur, et il s'tait rvl dcevant. Ses plaisirs n'taient pas compltement ecclsiastiques, car il accordait une attention dplace aux, jeunes filles plaisantes du personnel domestique. L'intendant , qui habitait prs de la chapel le, n'avait pas t sans le remarquer, il s'en taitplaint, et le pauvre jeune lama, tomb en disgrce,attendait son renvoi. Son remplaant n'avait pasencore t nomm, et le jeune homme se demandait donc comment il pourrait bien gagner du temps et avoir l'honneur de participer la crmonie et aux cl brations religieuses qui suivraient.Le malheureux intendant connaissait de grandes inquitudes et de gros soucis. Dame Rampa n'tait pas une personne facile vivre, dure parfois dans ses juge ments et prte condamner sans entendre les explica tions de celui qui se dbattait avec de relles difficul ts. Depuis trois mois , il avait command des masses de marchandises , qui n'avaient pas encore t livres. Chacun savait que ces commerants et ngociants indiens taient trs lents , mais Dame Rampa ne voulait rien savoir et accusait le pauvre intendant de torpiller la crmonie par son inefficacit.- Que puis-je faire ? se rptait-il en se tournant et se retournant sur sa couverture tendue sur le sol.Comment puis-je persuader les commerants de livrerles commandes temps ?Soudain, il s'endormi t, la bouche grande ouverte, laissant chapper des ronflements si sonores que legardien de nuit entra pour voir s'il n'tait pas l'agonie !Dame Rampa s'agitait, elle aussi, sans pouvoir trouver le sommeil, tourmente par son sens mondain et par celui des bons usages : l'intendant tait-il certaindes rgles de prsance? Les invitations sur papier faitmain avaient-elles bien t attaches par un ruban et places dans l'tui spcial, qu'un messager rapidemont sur son poney devait aller porter aux invits ? Les choses se devaient d'tre faites selon les usages, ilfallait aussi veiller ce que l'invitation un infrieurne parvienne pas avant celle destine un suprieur. Ces choses-l transpirent, et nombreux sont les gensravis de critiquer une htesse qui s'efforce de faire deson mieux pour le prestige de la famille. Dame Rampa ne pouvait trouver le repos.Dans une petite chambre toute proche, Yasodhara, la sur, se tracassait. Sa mre avait dcid de la robequ'elle porterait pour la clbration, et ce n'tait pas celle que Yasodhara aurait aim avoir. C'tait, aprstout, une occasion unique de pouvoir examiner de prsles garons et voir celui qui , plus tard, pourrait tre un poux convenable. Et pour cela, elle estimait qu'elle sedevait d'tre son avantage et aussi attrayante quepossible - robe seyante, cheveux bien brosss et enduits de beurre de yak, et les vtements bien poudrsavec le plus fin des jasmins. Mais sa mre tait commeles autres mres qui ne comprennent jamais les jeunes, car elles sont d'un autre ge, et ont oubli leur proprejeunesse! Elle continuait penser son apparence, sedisant qu'elle pourrait peut-tre ajouter un ruban par-ci, mettre une fleur par-l.Dans la nuit dj trs avance - l'aube s'apprtait natre -, il y eut un bruit soudain de trompes quiveilla toute la maisonne. Le jeune Rampa ouvrit un il, grogna, puis se retourna et se rendormit aussitt.En bas, prs de l'office de l'intendant, c'tait la relve des veilleurs de nuit. Les plus humbles, parmiles domestiques, se rveillrent au son des trompes destemples environnants et bondirent sur leurs pieds, enfilant la hte leurs vtements moiti glacs. Ils avaient, en effet, pour tche de raviver les feux quicouvaient durant la nuit, puis de polir les sols et de procder au nettoyage, pour que la famille trouve la maison dans un ordre parfait quand elle descendrait.Dans les curies qui abritaient plusieurs chevaux, etdans les btiments de la ferme o taient parqus lesyaks, les serviteurs s'affairaient ramasser le fumierde la nuit. Sch et mlang avec quelques parcelles de bois, il constituait le combustible du Tibet.En rechignant, les domestiques s'apprtaient faireface une nouvelle journe. Ils taient las , travaillant depuis plusieurs semaines la prparation de quantits fantastiques de nourriture, et ayant la protger contre les doigts agiles des petits enfants. Ils taient bout, et en avaient assez de toute cette histoire. Pourquoi, disaient-ils sans cesse entre eux, cette clbration ne se hte-t-elle pas de commencer et de finir, pour quenous puissions avoir enfin un peu de paix? Notre matresse a achev de perdre la tte, avec tous ces prparatifs. ))La matresse - Dame Rampa - avait en vrit ttrs occupe. Pendant des jours, elle avait importun les secrtaires de son mari, afin qu'ils tablissent laliste des gens les plus minents de Lhassa et des autres centres importants. De mme, elle avait demand quesoient invits les voyageurs influents, mais l encore, on se trouvait devant un problme de protocole: qui a priorit sur qui? Il ne fallait offenser personne. Latche tait lourde. C'tait une srieuse preuve pour les serviteurs, pour lesquels tout tait toujours remis en question - la liste tant modifie chaque jour.Les grands nettoyages duraient maintenant depuis plusieurs jours ; on avait frott au sable fin tout l'extrieur du btiment pour en faire luire la pierre, et des serviteurs robustes parcouraient la maison, les piedsenvelopps de chiffons, tranant de lourds blocs de pierre, eux-mmes envelopps de chiffons sur des sols dj luisants comme des miroirs.Dans les jardins , on travaillait enlever toutes les mauvaises herbes et mme les graviers qui n'taient pas de la couleur dsire. La matresse de maison exigeait des besognes dures. Le fils et hritier de la mai-son Lhalu , un garon qui pourrait tre prince, allait tre lanc dans la vie, et seuls les astrologues diraient ce qu'allait tre son existence, mais ils gardaient secret ce qu'ils s'apprtaient rvler.La dame de la maison, pouse d'un des hommes les plus puissants du pays, esprait trs fort que son fils pourrait quitter le Tibet pour tre duqu ailleurs ; elle esprait arriver persuader son mari de la laisser aller voir frquemment son fils dans le lieu o il ferait ses tudes. Elle esprait galement tre mme de voyager l'tranger, car on la surprenait souvent regarder des magazines de voyages, apports Lhassa par des comerants itinrants. Elle avait ses plans, ses rveset ses ambitions, mais leur ralisation tait soumise au verdict du chef astrologue, et chacun savait qu'il ne se laissait pas influencer par la position sociale de l'int resse.Le moment de l'vnement approchait. Les ngo ciants entraient par la grille ouest et se htaient vers la rsidence, sachant que Dame Rampa accueillerait tout ce qu'ils seraient mme de prsenter qui n'aurait pasencore t vu dans Lhassa, tout ce qui serait suscep tible d'emplir de jalousie, d'envie et d'admiration voi sins et rivaux mondains .Plus d'un ngociant chemina au long de la route de Lingkor passant derrire le Potala, prs du temple du Serpent, pour essayer de soutirer un peu d'argent la dame de la maison , en produisant devant elle des pro duits et choses exotiques qui lui permettraient de sur prendre et d'amuser ses invits. Ils venaient parfois en quipage tran par des yaks afin d'apporter toutes leurs marchandises la rsidence, pour les prsenter la dame de la maison, et les prix, bien sr, taient alors augments vu l'importance de l'occasion. La damen'osait pas marchander, de peur que les ngociantsn'bruitent la chose auprs des voisins. Dame Rampa ne pouvait pas courir un tel risque. Jour aprs jour, les convois allaient et venaient; jour aprs jour, les hommes chargs des tables recueillaient la manne laisse par les yaks et l'ajoutaient au tas qui grossissait rapidement. Il faudrait d'ail leurs une norme quantit de combustible pour la cuisson, le chauffage, et les feux de joie, car comment une fte serait-elle russie sans un bon feu de joie?Les jardins une fois dbarrasss des mauvaises herbes , les jardiniers s'occuprent des arbres, s'assu rant qu'ils ne portaient ni branches casses ni bran ches mortes qui donneraient une impression de jardin mal entretenu. Et il fallait viter l'incident dsastreux d'une branche morte tombant sur une dame de qualit et drangeant une coiffure qui avait demand des heures de prparation . Aussi les jardiniers taient-ils las de ces prparatifs, las de travailler, mais ils n'osaient rester inactifs, car Dame Rampa avait l'il partout ; si un jardinier souffrant du dos se reposait quelques instants, elle arrivait sur lui , folle de colre, lui reprochant de retarder les prparatifs.L'ordre de prsance fut enfin dcid et approuv par le Seigneur Rampa lui-mme qui posa personnelle ment son sceau sur chacune des invitations prpares par les moines-scribes. Le papier avait t fait spcialement pour l'occasion - pais et avec un bord rugueux. Ces invitations n'taient pas du format en usage dans les lamaseries, o le papier est plus large que long ; quand il s'agissait d'invitations importantes, elles taient sur un papier plus troit, environ deux fois pluslong que large. La raison en tait que l'invitation une fois accepte, le papier tait attach, ses extrmits, deux pices de bambou richement dcores leurs bouts, et l'invitation tait alors suspendue et devenaitun motif dcoratif, montrant l'importance de celui qui l'avait reue.Le Seigneur Rampa appartenait l'une des DixFamilles de Lhassa. Il tait en fait des CinqFamilles , et Dame Rampa appartenait l'une des Dix . S'il en avait t autrement, ils n'auraient pu tre maris. Vu le fait que chacun des deux avait unstatut social lev, deux sceaux devaient tre apposs sur les invitations, un pour Sa Seigneurie et un pourMadame, et comme ils taient la tte d'un immensedomaine, ils avaient un troisime sceau qui devait galement figurer sur le documen t. Chacun des sceaux tait d'une couleur diffrente, et Dame Rampa et sonintendant taient dans un tat proche de la panique l'ide que les messagers pourraient, par maladresse, briser ou endommager ces cachets fragiles.Des tuis message spciaux taient prpars. Ilsdevaient tre de mme longueur et de mme paisseur, et avaient une ouverture l'extrmit qui recevait lemessage . Puis, juste au-dessous de cette ouverture, unepice spciale tait fixe, portant les armoiries. Sous celles-ci, on trouvait de petites bandes d'un papier rugueux, sur lequel des prires taient imprimes et destines protger le messager charg de faire tenirces invi tations au destinataire qui , on l'esprait, serait en mesure de l'accepter.Les messagers taient soigneusement instruits de leur tche. Montant leurs chevaux, ils agitaient dansl'air leur tui message , comme s'il s'tait agi d'une lance, puis, sur un signal, ils chargeaient en avant et ,l'un aprs l'autre, s'approchaient du capitaine des gardes qui les instruisait. Le capitaine, feignant d'trele matre de la maison , ou son intendant, retirait gracieusement le message de l'tui qui tait tendu vers lui . Il s'inclinait alors respectueusement devant le messa-ger qui, aprs tout, reprsentait la famille . Le mes sager, ayant retourn le salut , lanait alors son cheval au galop pour retourner la rsidence .Une fois les messages et les invitations prpars, ils taient placs par ordre de prsance, et c'tait le mes sager le plus imposant qu'on chargeait de livrer le message le plus important.Les invitations dlivres , commenait alors pour l'intendant et les autres l'preuve pnible de l'attente. Combien d'invitations seraient acceptes? Avait-on prpar trop de nourriture, ou pas assez?Certains des invits seraient ravis de rester dans les jardins, surtout si leur statut social ne leur permettaitpas d'tre accepts dans la maison, mais les autres - gens importants - devraient entrer l'in trieur, et lesreprsentants du clerg auraient envie de voir la chapelle. Il fallait nettoyer les autels du vernis-laque qui les recouvrait, et des hommes se virent confier cettebesogne. Arms de chiffons, et l'aide de sablehumide, ils frottrent inlassablement afin de dbarrasser le bois de son vieux vernis et le faire apparatre brillant et comme neuf. Et on recouvrit alors les autels d'un vernis frais qui leur donna l'apparence brillante d'une eau tranquille par un j our ensoleill.Puis ce fut l'inspection des pauvres serviteurs, appe ls chacun leur tour devant la matresse de maison et l'intendant, afin d'examiner l'tat et la propret deleurs vtements. Si le nettoyage de ceux-ci tait jug ncessaire, on prparait de grands chaudrons d'eauchaude et on procdait au lessivage. Enfin , la tension ayant atteint son paroxysme, toutes les invitationsayant reu rponse, tous les serviteurs ayant subi l'inspection, et tous les vtements mis de ct pour lafte et ne devant pas tre ports avant ce jour, la rsidence absolument puise se reposa pour attendrel'aube d'un nouveau jour, o le Destin serait rvl. Le soleil, lentement, plongea derrire les montagnes l'ouest, envoyant dans l'air une myriade de petits points scintillants souffls depuis les hauts sommets ; laneige, couleur de sang, passa au bleu et ensuite au violet . Les choses s'estomprent, l'obscurit commena s'tendre et dans le ciel apparurent de minuscules petits points brillants qui taient les toiles.De mystrieux points lumineux apparaissaient dans les arbres de la rsidence. Un voyageur qui suivait par hasard la route de Lingkor ralentit sa marche, hsita, puis revint sur ses pas afin de voir de quoi il retournait. Des voix excites venaient des jardins, et le voyageur ne put rsister la tentation de comprendre par quoitait provoqu ce qui n'tait autre chose qu'une altercation . Silencieusement, il se hissa sur le mur de pierre et, s'appuyant sur la poitrine et les bras, ce qu'il vittait, en vrit, nouveau pour lui . C'tait la matresse de la maison , Dame Rampa, rondelette, petite, presquecarre, en fait. Deux grands serviteurs se tenaient sescts portant chacun une lampe beurre, dont ils essayaient de protger la flamme vacillante, afin qu'elle ne s'teigne pas - ce qui aurait dchan le courroux de Dame Rampa.D'un air maussade, les jardiniers se dplaaient parmi les arbres, fixant, sur les branches les plus basses , de petites lampes qui lanaient des tincelles.Dame Rampa tait indcise quant la place o fixer chaque lampe. Puis il y eut une soudaine agitation etune silhouette apparut, criant de rage :- Vous abmez mes arbres ! Mes arbres ! Je ne tolrerai pas cette sottise. Eteignez-moi ces lampes immdiatement! Seigneur Rampa tait particulirement fier de ses arbres, juste titre. Ses jardins taient clbres dans tout Lhassa.Avec un air condescendant, sa femme se tourna vers lui, disant :- Vous vous donnez vraiment en spectacle devantles domestiques, monsieur mon mari. Ne pensez-vous pas que je suis capable de m'occuper de ce problme?Cette maison est la mienne autant que la vtre. Je vous prie de ne pas me dranger.Le pauvre lord renifla comme un taureau - on imaginait presque le feu sortant de ses narines. Se dtour nant avec colre, il se hta de regagner la maison . La porte claqua avec une telle force que si elle et tmoins massive , elle se serait certainement brise sousle choc.- Le brle-parfum, Timon ... Etes-vous stupide ?Posez-le l-bas , n'importe o.Le pauvre Timon, l'un des hommes de service, se dbattait avec un lourd brasier encens, mais il y en avait encore plusieurs transporter. La nuit s'paissis sait de plus en plus et la dame de la maison n'tait passatisfaite. Puis un vent froid finit par se lever et la lune se montra, clairant la situation de sa lumire blafarde.L'homme qui piait la scne, perch sur le mur, se lai ssa tomber sur la route et, continuant son voyage,murmura pour lui-mme :- Eh bien , si c'est l le prix de la noblesse, je suis joliment heureux de n'tre qu'un commerant! Le bruit de ses pas se perdit dans l'obscurit, tandisque dans le jardin les lampes taient teintes l'une aprs l'autre. Les serviteurs et leur matresse se retirrent. Un oiseau de nuit, humant l'odeur inhabituelledgage par l'une des lampes dont la mche continuait se consumer, s'envola en poussant des cris de protestation .Puis la maison connut une agitation soudaine : le jeune garon avait disparu, l'hritier n'tait pas dansson lit. La panique avait gagn la maison. La mre pensait qu'il s'tait sauv, effray par la svrit de son pre. Le pre, de son ct, attribuait sa disparition aux colres de la mre qui l'avait harcel tout le j our, necessant de le rprimander d'bord pour s'tre sali,pour avoir dchir ses vtements, et ensuite pour ne pas tre l'heure aux repas.Les serviteurs, en procession, faisaient le tour des jardins, lampe la main, appelant le jeune matre,mais sans succs. On avait rveill Yasodhara pour lui demander si elle tait au courant des mouvements deson frre ; mais elle avait dit ne rien savoir et s'taitrendormie aussi tt.Les serviteurs inspectaient la route obscure, tandis que d'autres exploraient la maison de haut en bas ; finalement, Lobsang tait trouv dans une resserre, endormi sur un sac de grains, entour de deux chats , ettous trois ronflaient comme des bienheureux. Mais paspour longtemps ! Le pre se prcipita avec des cris branler les murs , suivi des domestiques portant deslampes dont la lumire vacillait. Le pauvre petit garonfut saisi violemment et arrach au sommeil. La mre se prcipita en criant : Assez ! Assez ! Faites attention de ne pas lui faireaucune marque en le frappant, car demain il sera lepoint de mire des regards de tout Lhassa. Envoyez-lesimplement au lit.Il reut une vigoureuse bourrade qui le fit tomber plat ventre. Un des serviteurs le releva et l'emporta.Quant aux chats, ils avaient disparu.Mais dans le grand Potala, l'tage des astrologues, l'activit se poursuivait. Le chef astrologue contrlaitses chiffres, ses graphiques et rptait ce qu'il allait dire, mettant au point son intonation. Autour de lui, leslamas astrologues plaaient soigneusement chacunedes feuilles dans l'ordre o elles devraient tre lues, car la moindre erreur et jet le dshonneur sur le collge des astrologues. La plaquette de bois recouvrit chacune des feuilles que l'on attacha avec un soin tout particulier.Le moine dsign comme assistant personnel du vieil astrologue brossait la robe du matre, s'assurant queles signes du zodiaque qui la dcoraient taient suffisamment brillants . Puis, comme son ge obligeait le vieil homme se servir de deux cannes , celles-ci furentexamines quant leur solidit , puis passes un moine qui travailla les polir jusqu' donner au boisl'aspect du cuivre bruni. De tous les temples des environs, les gongs rsonn rent, les trompes clatrent, puis ce fut le trottinement des moines se rendant leur premier service de nuit . Les astrologues, eux, en avaient t exempts, vu l'importance de la tche qui leur tait assigne.Les lampes s'teignirent finalement l'une aprs l'autre. Les seules lumires furent alors celles des cieux et de la lune, mais elles taient amplifies en se refltant sur les lacs et les rivires qui s'entrecroisent dansla plaine de Lhassa. De temps autre, une petite masse d'eau clapotait, argente, comme si quelque grospoisson s'tait prcipit la surface pour venir respirer.Tout tait silencieux, l'exception des grenouilles et des oiseaux de nuit , au loin. La lune trnait dans sasplendeur solitaire ; la lumire des toiles plit soudain, voile par des nuages venus de l'Inde. La nuit taitdescendue sur la terre, et toutes les cratures - sauf les nocturnes - taient endormies .3

La premire lueur apparut sur l'horizon, l'est. Der rire les grandes ranges de montagnes sombres, le ciel commena se faire lumineux.A l'tage suprieur des lamaseries, moines et lamas taient prts accueillir le jour nouveau. Le dernier tage - le toit - avait toujours une plate-forme spciale sur laquelle, reposant sur des appuis, se te naient les immenses trompes longues de quelque six mtres.La valle de Lhassa tait encore d'un noir d'encre. La lune depuis longtemps sitait couche et les toiles avaient pli. Mais la valle de Lhassa dormait, encore plonge dans l'obscurit de la nuit, et les lamaseries ainsi que les maisons d'habitation ne connatraient le j our qu'au moment o le soleil apparatrait au-dessus des sommets . et l de petits points lumineux s'allumaient. C'tait un lama, ou un cuisinier, ou un gardien de troupeau qui se prparait commencer sa journe. Ces petites lueurs ne faisaient qu'accentuer le noir veloutde la nuit, un noir tel qu'il tait impossible de distinguer le tronc d'un arbre.Derrire les montagnes, l'est, la lumire grandit. Ce fut d'abord comme l'clair d'une torche, puis une violente lueur rouge, immdiatement suivie d'une lumire absolument verte - caractristique des levers et descouchers de soleil. Bien vite, les rayons de lumire s'largirent et, en quelques minutes, les hauts pics s'illuminrent d'or, rvlant la neige ternelle des glaciers ;la valle de Lhassa recevait les premiers signes de la naissance d'un j our nouveau. Ds la premire appari-

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tion du soleil sur les crtes, les lamas soufflaient dans leurs trompes, faisant vibrer l'air de leur bruit. La val le prenait un certain temps pour ragir, car les gens taient tout aussi habitus ces sons que le sont les habitants des villes au ronflement des avions, ou autres bruits de la civilisation . De temps autre, toutefois, un oiseau de nuit endormi lanait un cri d'effroi, et, se cachant la tte sous l'aile, reprenait son sommeil interrompu. C'tait maintenant le moment des cratures diurnes. Les oiseaux s'veillaient avec des piaillements ensommeil ls , tout en secouant leurs ailes pour chasser l'engour dissement de la nuit, et la brise apportait, de temps autre, quelques plumes tombes de leurs ailes .Dans les eaux du KyI Chu , et au temple du Serpent, les poissons, aprs une nuit passe driver prs de lasurface, nageaient paresseusement, car les bouddhistes , respectant la vie, ne pchaient pas au Tibet.Au son des trompes, le vieil homme se retourna et, encore endormi, se mit sur son sant. De l'angle o ilreposait, il regarda le ciel , et, une pense le frappant soudain, il se leva. Ses vieux os craquaient chaque mouvement et ses muscles taient extrmement fatigus. Avec prudence, il alla jusqu' une fentre proche et regarda au-dehors - vers la cit de Lhassa qui ,maintenant, s'veillait. Au-dessous de lui , les petites lumires du village de Sh commenaient apparatre, l'une aprs l'autre, afin de permettre aux officiels,qu'attendait une rude journe, d'avoir tout le temps pour se prparer.Le vieil astrologue frissonna dans l'air frais de l'aubeet serra sa robe autour de lui . Sa pense se tourna, bien sr, vers la rsidence Lhalu qu'il ne pouvait voird'o il tait, car il regardait par-del le village de Shet la cit de Lhassa, alors que la rsidence tait

46l'autre bout du Potala, faisant face au mur dcor de figures sculptes, attraction des plerins.Le vieil homme s'tendit sur ses couvertures et, touten se reposant, songea aux vnements du jour. Celuici, pensait-il, serait un des sommets de sa carrire - peut-tre le point culminant. Dj il imaginait la morts'approchant de lui, sentait les fonctions de son corps se ralentir, et s'amenuiser le fil qui le retenait la vie.Mais il tait heureux de cette autre fonction accomplir dont l'honneur reviendrait au service de l'astrologue en chef du Tibet. Tout en mditant, la somnolence l'avait gagn et il s'veilla au bruit d'un lama faisant irruption dans sa chambre et s'exclamant :- Honorable astrologue, le jour s'est lev. Nousn'avons aucune minute perdre, car nous devons encore vrifier l'ordre dans lequel les points vont treprsents. Je vous aiderai vous lever, Honorable astrologue.En disant cela, il se baissa, passa son bras autour des paules du vieil homme et, gentiment, l'aida se mettre debout.La lumire augmentait maintenant avec rapidit et lesoleil envoyait sa lumire sur l'ouest de la valle; alors que celles des lamaseries et des maisons juste au-des sous des chanes taient encore plonges dans l'obscurit, les constructions situes sur le ct opposconnaissaient presque la lumire du jour.Le Potala s'veillait. C'tait l'agitation classique que crent les humains quand ils se mettent en action aucommencement de la journe, et attaquent la tche difficile qu'est celle de vivre. On entendait le tintement de petites clochettes d'argent et, de temps autre, le sonmtallique d'une trompette. Le vieil astrologue et ceuxqui l'entouraient n'avaient pas conscience du cliquetisdes moulins prires; ces moulins faisaient tellementpartie de leur existence quotidienne qu'ils avaient cess d'en percevoir le brui t, tout comme ils ne remarquaient plus les drapeaux de prire que faisait claquer la brise du matin venue des sommets du Potala. Ce n'est que de la cessation de ces bruits qu'ils auraient pu prendre conscience.Puis il y eut des pas presss le long des corridors, le son de lourdes portes qu'on ouvrait et le chant des psaumes accueillant la nouvelle journe. Mais le vieil astrologue ne pouvait s'intresser de telles choses , car il avait faire. Dans un moment, il prendrait son repas du matin - tsampa et th - et devrait assister au rituel de la prparation de la lecture qu'il allait don ner ce jour.A la rsidence Lhalu, les serviteurs taient rveills. Dame Rampa aussi . Et le Seigneur Rampa, aprs un petit djeuner rapide, tait parti cheval accompagn de sa suite pour gagner les bureaux du Gouvernement, dans le village de Sho. Il tait ravi, en vrit, de s'loi gner de sa femme, de son zle accablant l'approche des vnements auxquels ils avaient faire face. Il devait commencer sa journe de trs bonne heure vu qu'il lui faudrait revenir assez tt pour remplir ses devoirs d'hte.On tira du sommeil l'hritier qui rechigna s'veiller. Auj oud'hui tait son j our et, l'esprit confus, il se demanda comment ce pouvait bien tre son jour,quand sa mre projetait d'en faire un tel vnementmondain. S'il avait eu le choix, il aurait fui vers la rivire pour regarder le batelier traversant les gens avec son bac, et peut-tre, l'heure o les passagers taient peu nombreux, aurait-il russi le persuader de lui faire faire l'aller-retour sans payer - toujours avec l'excuse, bien sr, qu'il aiderait pousser ave la perche.Le petit garon tait affreusement malheureux de l'opration laquelle se livrait sur sa chevelure le servi teur impitoyable, l'enduisant de beurre de yak et en faisant une tresse curieusement tortille. Le beurre de yak tait amalgam la tresse jusqu' ce que celle-ci atteigne la rigidit d'un baguette de saule.Vers 10 heures, on entendit un bruit de sabots , et un. groupe d'hommes cheval entra dans la cour de la rsidence.Seigneur Rampa et sa suite taient revenus du village de Sho, car la famille devait se rendre la cathdrale de Lhassa pour remercier des mystres qui allaient lui tre rvls en ce jour, et aussi pour montrer aux prtres - touj ours enclins croire que les ttes noires taient irrligieuses - qu'eux, lesRampa, taient des ttes noires particulirement religieuses. Au Tibet, les moines ont la tte rase, alorsque les laques ont de longs cheveux, presque toujoursnoirs , ce qui explique pourquoi ils sont surnomms ttes noires .Les gens attendaient dans la cour, Dame Rampa dj sur son poney, de mme que sa fille Yasodhara. L'hritier fut saisi et hiss sans crmonie sur un poney aussi mal dispos que lui . On ouvrit les grilles et la famille se mit en route, Dame Rampa en tte . Ils chevauchrenten silence pendant environ trente minutes jusqu'au moment o ils atteignirent les petites maisons et lesboutiques entourant la cathdrale de Lhassa , dresse depuis des centaines d'annes pour permettre aux genspieux de venir faire leurs adorations. La pierre du soltait use et creuse par les pas des innombrables pleri ns. Des ranges de moulins prires se tenaient tout au long de l'entre et chaque personne, en passant,tournait la roue selon la coutume, et dclenchait un tintement l'effet presque hypnotique.T ,'i ntrieur de la cathdrale tait d'une lourdeur acca blante, avec l'odeur d'encens et le souvenir presque tangible de l'encens brl depuis treize ou quatorze cents ans. Des lourdes poutres du plafond semblaient s'lever des nuages d'encens, de fume bleutre ou par fois, grise et bruntre.Des dieux et desses taient reprsents sous forme de statues dores, statues de bois ou de porcelaine, et devant chacune taient dposes les offrandes des ple rins. Celles-ci taient parfois places derrire un gril lage mtallique pour les protger des plerins dont la piti tait moins forte que le dsir de prendre leur part de la richesse des dieux.D'normes chandelles brlaient, faisant des ombres vaci llantes travers le btiment faiblement clair. C'tait une pense apaisante, mme pour un garonnet de sept ans peine , de rflchir au fait que ces chan delles avaient t maintenues allumes, en les alimen tant, au cours de quatorze cents annes . Regardant autour de lui, yeux grands ouverts, il pensait : Que ce jour s'achve rapidement, et peut-tre alors pourrai-je aller dans quelque autre pays , loin de toute cette saintet. Il ignorait tout de ce que la vie lui rservait.Un gros chat passa, se promenant paresseusement, et vint se frotter contre les jambes du jeune hritier. Le petit se baissa pour caresser le chat qui ronronna avec ravissement. Ces chats taient les gardiens du temple,observateurs subtils de la nature humaine, capables de discerner au premier coup d'il les gens susceptibles de vol et ceux en lesquels on pouvait avoir confiance. De tels chats, normalement, n'approchaient jamais que leur propre gardien . II y eut pendant quelques instants un silence pesant parmi les spectateurs, et quelques uns des moines - amuss par le garonnet genoux caressant le gros chat - oublirent de chanter juste .Le charmant tableau fut bien vite gch par le Sei gneur Rampa qui, le visage fou de rage, saisit son fils par la peau du cou , le leva au-dessus du sol et le secoua comme une mnagre ferait d'un chiffon ; puis, l'ayant gratifi d'une vigoureuse claque sur l'oreille, le laissa retomber sur le sol. Se tournant vers Sa Seigneurie, le chat lui lana un long sifflement sonore, puis s'loigna avec dignit.Mais il tait temps pour la famille de regagner la rsidence, car les invits ne tarderaient pas arriver. Beaucoup, parmi ceux-ci , venaient trs tt, afin d'avoir ce qu'il y avait de mieux dans ce qui tait offert, et ce mieux signifiait la meilleure place dans le jardin. La famille sortit donc de la cathdrale et retrouva la rue. Levant les yeux, le jeune Rampa vit les drapeaux flot tant sur la route qui mne en Inde. Prendrai-je bien tt cette route pour quitter ce pays ? Je vais le savoir, je suppose, mais Dieu ! que j 'ai donc faim! Reprenant la route , la famille, une demi-heure plus tard , entrait dans la cour de la rsidence, o les accueillit l'intendant anxieux. Redoutant qu'ils ne soient retards, il se disait qu'il lui faudrait expliquer aux invits mcontents que leurs htes avaient t rete nus par quelque incident inattendu la cathdrale.Ils eurent le temps d'un repas rapide et , attir par des bruits soudains sur la route, le jeune hritier se prcipita la fentre. C'tait l'arrive des moines musi ciens, monts sur leurs poneys. De temps autre l'un des moines soufflait dans sa trompette ou sa clarinettepour en vrifier l'accord ; puis un autre frappait sr sontambour, vrifiant, lui aussi, si la peau en tait correctement tendue. Pntrant dans la cour, ils gagnrent les jardins par l'alle latrale et dposrent leurs instruments sur Je soL Cela fait, ils se htrent avecjoie vers la bire tibtaine. On en avait prvud'normes quantits pour mettre les moines d'humeur joviale, afin qu'ils produisent de la musique gaie, et non pas de ces ennuyeux morceaux classiques.Mais dj les premiers invits arrivaient en une vritable troupe serre. Comme si tout Lhassa avait pris la route de la rsidence. Il arriva un petit grouped'hommes cheval, tous puissamment arms comme l'arme d'invasion envoye par les Anglais ;mais ces hommes n'taient arms que parce que le crmonial et le protocole l'exigeaient. Les femmeschevauchaient entre des ranges d'hommes - o elles taient protges contre toute attaque imaginaire. Lesserviteurs arms portaient des lances et des piques gaiement dcores de drapeaux et de banderoles. Etde-ci de-l, quand un moine tait prsent , le drapeau deprire flottait, port par un assistant.Dans la cour elle-mme, aligns sur deux rangs, se tenaient les serviteurs, avec en tte l'intendant, d'unct, et, de l'autre, le prtre en chef de la chapelle. On se saluait abondamment, les saluts taient retourns ,et reprenaient au moment o les invits taient in troduits l'intrieur. Chacun d'eux tait aid mettre pied terre, tout comme si, pensait le jeune hritier, ils'agissait de mannequins ou de paralytiques. Leur cheval tait ensuite emmen et nourri. Puis, selon le statut social de la personne, on la laissait dans les jardins . oubien elle tait prie d'entrer dans la maison o elles'exclamait d'admiration sur ce qui s'offrait sa vue , et n'avait t plac l que pour impressionner les invits !La coutume, au Tibet, tait bien sr d'offrir desfichus et des charpes, ce qui crait une grande confusion l'arrive des invits qui dposaient leur prsent et en recevaient un leur tour. Ce qui donnait galement lieu des incidents gnants quand un serviteur distrait remettait un invit le cadeau qu'il venaitjuste de dposer. Il y avait alors des sourires embarras ss, on murmurait des excuses, et les choses taient trs vite arranges.Dame Rampa avait le visage carlate et transpirait abondamment. Le chef astrologue n'tait pas encore l, et elle tait terrifie. Il tait peut-tre mort, ou tombdans la rivire, ou avait t pitin par son cheval. Pas le moindre signe de lui alors que le but de cetterunion tait la lecture de l'avenir de l'hritier de Lhalu. Un serviteur fut envoy guetter depuis la ter rasse, et presque aussitt on le vit qui gesticulait, faisant des grands signes avec ses bras, et dansait d'excitation, car la cavalcade tait en vue.Dame Rampa, furieuse, ne comprenant pas ce qu'es sayait de lui dire le serviteur qui donnait l'impression d'tre ivre, en dpcha un second pour savoir de quoi ilretournait. Les deux domestiques revinrent et expliqurent que la cavalcade traversait en ce moment la plaine de Kyi Chu. Dame Rampa se hta de faire sortir tousles invits dans le jardin, leur conseillant de prendre leur place , car le Grand Astrologue arrivait. Les moinesmusiciens se saisirent de leurs instruments, faisant vi brer l'air de l'excitation qu'ils mettaient dans leur jeu. Les jardins de la rsidence Lhalu taient vastes et trs bien tenus. On y voyait toutes les espces d'arbres du Tibet, de l'Inde , et mme du Sikkim. Des buissons couverts de fleurs 'exotiques s'panouissaient en abon dance et ravissaient le regard. Mais les gens qui emplis saient cette heure les jardins n'taient pas l pour s'intresser l'horticulture, mais bien plutt la SEN SATION . Le Seigneur Rampa errait attrist, il tait si fier de ses jardins, se rongeant d'inquitude tout enessayant de sourire aimablement ces gens. Dame Rampa, elle, donnait l'impression de rapetisser en s'puisant courir d'un point l'autre, veillant ce que son mari n'ait pas l'air trop austre, cherchant voir ce que faisait le jeune hritier, ce que faisaient les serviteurs, et , en mme temps, guettant l'arrive de l'astrologue.Soudain, on entendit le pas des chevaux. L'intendant se hta vers la grille qui fut soigneusement refermederrire lui . Il resta la grille pour donner l'ordrequ'on l'ouvre l'arrive du cortge, ce qui aurait plus d'allure.Les invits qui avaient entendu les chevaux se diri geaient en file vers une grande pice qu'on avait, pour la circonstance, arrange en salle de rception . L, ilstrouvrent du th, des friandises venues de l'Inde, des gteaux trs sucrs et collants, qui certainement ralenti raient le bavardage chez ceux qui se dbattraient avec eux.Puis le son d'un gong puissant se rpercuta tout autour de la rsidence - un gong de plus d'un mtrecinquante de haut qui ne servait qu'aux occasions vraiment solennelles. Un serviteur de haut rang se tenait prs de lui , le frappant d'une faon particulire, qu'ilavait rpte pendant plusieurs jours, sur un plus petitgong.Le gong rsonna, la grille s'ouvrit toute grande, et dans la cour on vit entrer les jeunes moines , les lamaset le chef astrologue. C'tait un vieil homme de quatre vingts ans, de petite taille, et ravag par l'ge. Juste derrire lui chevauchaient deux lamas dont la seulecharge tait de s'assurer que le vieil homme ne tombe pas et ne soit pas pitin par le cheval. Les chevaux s'arrtrent, conscients que le voyage avait pris fin et qu'ils allaient tre nourris, et biennourris. Sautant de cheval, les deux assistants , avecsoin, soulevrent le vieil astrologue de sa monture. Sei gneur Rampa s'avana et ce fut le traditionnel change d'charpes, le traditionnel change de salutations. Puisle chef astrologue et Seigneur Rampa pntrrent dans la pic de rception o ils furent salus par l'assis tance .Il y eut quelques instants de trouble et de confusion,puis, ayant poliment got au th, le chef astrologue fit un signe aux deux lamas porteurs de ses notes et de sescartes. Le pui ssant gong rsonna une seconde fois. L'extrmit de la pice de rception fut ouverte toute grande, et le chef astrologue, suivi de ses assistants ,entra dans le jardin o avait t dresse une marquiseimmense - spcialement importe de l'Inde. Un des cts en fut ouvert pour permettre au plus grandnombre possible d'i nvits de voir et d'entendre ce qui allait se passer.Le chef astrologue et ses deux lamas s'approchrentde l'estrade, et quatre serviteurs apparurent portant des flambeaux, tmoignant que ces hommes reconnaissaient que, sous cette tente, se trouvaient les flammes de la connaissance.Quatre trompettes apparaissaient, sonnant une fanfare, pour attirer l'attention sur Seigneur et DameRampa , vu que leur fils , l'hritier de la rsidence Lhalu, tait - comme le disait un spectateur - la cause de toute 1' agitation . Les Rampa gravirent les marches lentement et se tinrent debout derrire les quatrechaises.D'une autre direction venaient , accompagns de leur suite, deux hommes extrmement gs, appartenant la lamaserie de l'Oracle d' Etat. D'aprs le chef astrologue, ces deux hommes de Nechung taient les astrologues les plus expriments du pays. Ils avaient collabor avec le vieil astrologue, revoyant les graphiques, les calcul s, et chaque feuille de l'horoscope contenait le sceau de ces hommes, sceau qui attestait leur approba tion.Le chef astrologue se leva et les autres occuprent leurs siges. Le silence se fit dans l'immense assemble sur laquelle l'astrologue posa son regard pendant quel ques instants . Sur un geste de lui , les deux lamas s'avanrent et se placrent ses cts . Celui sa droite tenait le livre compos des feuillets de l'horos cope, tandis que celui de gauche retirait avec soin la plaquette de bois qui les recouvrait. L'astrologue tait prt .Les gens tendirent l'oreille, car sa voix tait grle et haut perche et, pour ceux qui se tenaient l'arrire plan, elle se fondait dans le piaillement des oiseaux.Ses commentaires d'ouverture furent ceux, rituels, prononcs en de telles circonstances :- Dieux, dmons et hommes se comportent tous dela mme faon, aussi le futur peut tre prdit, mais il n'est pas immuable. Il peut, dans une certaine mesure,tre chang. Ainsi , nous ne pouvons donc prvoir que les probabilits, et ayant prvu le bien et le mal , nousdevons en vrit abandonner le reste ceux dont nous lisons l'horoscope.Il s'arrta, regarda autour de lui , et le lama retira lapremire feuille. Le vieil astrologue, ayant respir profondment, continua sa lecture :- Nous avons ici l'horoscope le plus remarquable que nous ayons jamais calcul. (Il se tourna vers ses collaborateurs en les saluant. Puis, s'claircissant la voix, il reprit :) C'est l l'horoscope d'un jeune garon de six ans. C'est l'horoscope le plus difficile, la vie la plus dure que nous ayons rencontrs.Mal l'aise, Seigneur et Dame Rampa s'agitrent sur leur chaise. Ce qu 'ils entendaient n'tait certes pas ce quoi ils s'attendaient. Mais ils appartenaient unecaste entrane ne pas laisser paratre ses sentiments. Derrire eux, la cause de tout ce trouble, le jeune hri-tier, Lobsang Rampa, se sentait sombre et mlanco lique. Tout ce gaspillage de temps. Combien pouvaient ils tre avoir travers la rivire? Que faisait le bate lier? Comment allaient les chats ? Il avait ' l'impression d'tre un mannequin empaill, tout en coutant les trois anciens, presque des fossiles, dcider ce qu'il aurait faire avec sa vie. Il estimait qu'il devrait lui aussi avoir son mot dire dans cette question. Les gens n'avaient cess de lui dire combien c'tait merveil leux d'tre l'hritier de telles richesses, et quel honneur il pourrait tre pour ses parents. Il savait, lui , qu'il voulait tre passeur ou s'occuper de chats ; mais certai nement pas travailler.L'astrologue poursuivait de sa voix monotone devant une assistance captive et compltement silencieuse :- Ce garon doit aller la lamaserie mdicale deChakpori. Il doit , avant d'y tre admis , faire pnitence, et une fois entr, il commencera comme le plus inf rieur des infrieurs et travaillera son ascension. Il devra apprendre tous les arts mdicaux du Tibet , et pendant un temps faire ce qui est difficile mentionner : travailler avec les ordonnateurs de la mort, afin qu'en dcoupant les cadavres il comprennela structure du corps humain. S'tant acquitt de cette tche, il retournera Chakpori et continuera tudier. On lui montrera les mystres les plus profonds denotre pays, de notre croyance et de la science.Le vieil homme tendit la main et un assistant lui passa rapidement un petit gobelet d'argent contenantun liquide qu'il avala. L'assistant prit le gobelet et le remplit, le tenant prt pour une autre demande.L'astrologue continua :- Viendra alors le temps o il ne lui sera plus possible de rester dans notre pays, et o il devra se rendre en Chine pour tudier la mdecine selon l'enseigne-ment occidental, car cette mdecine est enseigne dans une cole de Chungking. L , il changera de nom, afin qu'on ne sache pasque l'hritier de Lhalu a affaire avec les corps. Plus tard , il apprendra quelque chose qui , pour le moment,nous est incomprhensible - quelque chose qui n'est pas encore connu et convenablement invent. Pour noscerveaux dous d'exprience, il semble qu'il fera une certaine chose qui entranera le fait de voler dans lesairs - mais qui n'est pas la lvitation , accessible certains d'entre nous ici , Lhassa. Je ne peux tre clairquant ce point, car il est trs obscur pour nous trois. Le garon, qui alors sera un jeune homme, devra tra vailler lui-mme ce problme qui sera celui de voler dans les airs , par un certain moyen. Nos images fontapparatre quelque chose comme le cerf-volant qui luiest familier, mais ce cerf-volant particulier n'est pas attach au sol par des cordes et semble, au contraire, obir au contrle de ceux qu'il emporte.Dans l'assemble, les murmures s'levaient et on chuchotait beaucoup. L'tonnement tait son comble,car jamais encore on n'avait parl de telles choses. Avant de rompre le trouble qui s'tait tabli, l'astrologue, ayant bu un autre gobelet , se tourna vers ses feuilles d'horoscope :- Il connatra une immense souffrance, entrera en guerre contre les forces du mal , et souffrira pendantquelques annes comme peu de gens ont souffert - et ces souffrances auront pour but la purification, l'loignement de la sensualit, et la discipline qui permettra au cerveau d'acqurir le pouvoir d'endurer ce qu'il aura subir. Plus tard, il s'loignera aprs quelque importante explosion qui jettera notre pays, ou tout un monde, dans la confusion. Il voyagera travers unvaste continent - qu'il ne nous a pas t possibled'identifier - et la fin de ce voyage, il sera de nou veau incarcr injustement, et il souffrira au moins autant que lors de son premier emprisonnement. Puis, grce l'intervention d'inconnus, il sera finalement libr et chass de ce grand continent. Il parcourra plusieurs pays , rencontrera un grand nombre de gens et de cultures, et apprendra beaucoup de choses . Puis il se rendra ensui te en un certain pays o il sera mal accueilli, cause de ses diffrences. Les souffrances l'auront tellement chang qu'il aura perdu les caract ristiques de sa race. Et quand les humains se trouvent confronts quelqu'un de diffrent d'eux, ils en ont peur; et comme ils hassent celui dont ils ont peur, ils essaient de le dtruire.Le vieil homme semblait trs las. Ce que voyant, le premier assistant s'avana, murmura quelque chose l'astrologue et dit l'assistance :- Nous allons arrter un instant pour permettre au chef astrologue de se reposer un peu avant de donner la seconde partie de sa lecture. Concentrons-nous sur ce qui a t dit afin d'assimiler plus aisment ce qui suivra.Des rafrachissements furent apports au vieil homme qui observa l'assistance. Assis et regardant autour de lui, il songeait son enfance, au temps o il escaladait les hauts sommets, au cur de la nui t, pour admirer le spectacle des toiles. Que de temps il avait pass mditer sur ces toiles , et leur signification sur l'existence des tres! C'est alors qu'il avait dcid de la dcouvrir. Et sans doute parce que son destin tait d'y parvenir, il tait entr la lamaserie de l'Oracle d' Etat o l'on reconnut qu'il avait des capacits extraordi naires pour l'astrologie - une astrologie trs sup rieure ce qu'elle est en Occident, plus complte et aussi plus prcise, et atteignant une plus grande pro-fondeur. Le jeune homme appel devenir le chef astrologue de tout le Tibet fit de rapides progrs, ne cessant d'tudier. Il obtint les textes anciens de l'Inde, de la Chine, et rcrivit presque la science de l'astrologie au Tibet. Sa rputation augmentant en mme temps que ses capacits, les chefs de toutes les grandes famil les de Lhassa et d'autres vi lles faisaient appel lui . Bien vite on le chargea de faire des prdictions pour le gouvernement et pour le Grand Treizime lui-mme. Son honntet tait toujours totale. S'il ne savait pas , il l'avouait. Il avait prdit l'invasion anglaise et le dpart du Grand Treizime pour un autre pays, ainsi que son retour. Il avait prdit galement qu'il n'y aurait plus de rel Dala-lama quand le Treizime s'en serait all en tat de transition; il y en aurait un autre , mais choisi comme un expdient politique afin de tenter d'apaiser les ambitions territoriales de la Chine. Il avait fait la prdiction que , dans une soixantaine d'annes, ce serait la fin du Tibet, tel qu'on le connaissait ; un ordre nou veau serait tabli qui amnerait de grandes souf frances, mais qui pourrait peut-tre, bien appliqu, avoir pour effet de balayer un systme dpass et d'tre, aprs une centaine d'annes, bnfique pour le Tibet.Tout en buvant son th, l'astrologue s'intressait la manire dont les jeunes hommes regardaient les jeunes femmes , et il observait la faon coquette dontcelles-ci rpondaient leurs regards. Il songea ses longues annes de clibat - prs de quatre-vingts ans - et se rendit compte qu'il ignorait presque en quoi un homme diffrait d'une femme. Sa connaissance tait celle des toiles et de leur influence sur les hommes et les femmes. Regardant quelques jeunes personnes ave nantes , il se demanda si le