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Marseille : Tapie, le populisme et la presse Par Jea n KEH AY AN Journaliste et essayiste et Christian POITEVIN ancien Directeur Général Adjoint du Provençal et Adjoint à la culture de Marseille (1989-1995) L ’actualité et les dér ives du personnel politique marseillais sont souvent indéchiffrables pour les Français. Tant de crimes de sang et d’affaires ont des sources historiques qui ont amplifié les analyses des manuels de sciences politiques. Hormis la période de gestion municipale par Robert Vigouroux avec des exclus socialistes, des dissidents communistes, deux libertaires et les apports de la société civile, la gestion de la citée phocéenne a toujours été partisane, peu soucieuse des bes oins à long terme de la population. Qui sait que la voie de contournement de la ville a été décidée en 1936, des crédits alloués et qu’elle n’existe pas encore ? En 1938 un incendie a ravagé les Nouvelles Galeries, un grand magasin situé en pleine Ca nebière, à trois cents mètres des e aux du port. Les pompiers de l’époque n’avaient pas de lances assez puissantes, le sinistre fit 73  victimes. A tel point qu’Edouard Daladier , le président du Conseil devait  s’interroger : « Mais qui commande ici ? N’y a-t-il donc personne pour faire régner l’ordre dans cette ville ? » La question se pose à nouveau de façon aiguë. A l’heure du pastis, les b rèves de comptoir plébiscitent l’idée d’un homme fort capable de remettre les choses en ordre sur le plan de la sécurité et de la lutte contre la délinquance. Une représentation virile en quelque sorte,  dont Gaston Defferre fut l’archétype et que personne n’ose remettre en cause. Le mandat de Jean-Claude Gaudin se termine dans un climat d’usure et de luttes de clans pour la succession, sans l’émergence d’une relève crédible. A tel point que nombre d’obse rvateurs voient le maire sortant briguer un nouveau mandat ! Dès son arrivée à la tête de l’Etat le PS a mis, sans l’avouer, la ville sous tutelle, à la grande satisfaction de tous. Pour autant rien n’est encore palpable dans le quotidien des Marseillais malgré l’incessant ballet des ministres qui ne peuvent ni ne veulent impulser une concertation démocratique, seule susceptible d’appo rter un élan aux forces vives de la ville. La mémoire collective a oublié le putsch réalisé dans les années 30 par Carbone et Spiri to, les hommes liges du grand banditisme appelés avec leurs nervis à faire main basse sur la ville. Au cinéma, Borsalino a immortalisé cette période noire qui préparait la collaboration. Ces quelques ingrédients rappellent qu’en période de crise sociale paroxystique où l’impuissance se mêle à la gabegie des élus, où les promoteurs font la loi et les syndicats n’ont de cesse de marquer leurs territoires clientélistes, le terreau est bien labouré pour l’avènement du populisme. Voilà une sénatrice qui réclame l’armée pour lutter contre le trafic de stupéfiants et des conseils municipaux où l’on s’envoie à la figure, en un jeu de ping-pong, les affaires des deux camps. On sait depuis la Libération que celui qui c ontrôle le journal quotidien dominant de la ville a déjà un pied sur les marches de la mairie, et désormais de la Métropole. Et qui mieux que Bernard Tapie en a fait l’expérience, lui qui, patron de l’OM, avait à la tête du Provençal un directeur de la rédaction chargé de magnifier ses actions de prédateur de Wonder et de biens d’autres entreprises ? Dès lors ses photos quittèrent vite les pages spo rtives pour s’immiscer partout. Ne l’a-t-on pas vu aux commandes d’un Airbus lorsque l’actualité s’y prêtait ? N’a-t-on pas vu l’intelligentsia médiatique et politique étaler sur une page pleine des vœux d’anniversaire pour le Sauveur qui allait faire des miracles pour la région PACA comme il en avait réalisés pour l’Olympique de Marseille ? Notre engagement antitotalitaire de l’époque nous lança e n 1993 dans une bataille sans concession contre le symbole de tout ce que nous détestions dans la vie politique : le cynisme, le mensonge, la lisière de la compromission avec les grands voyous, le mépris pour les intellectuels et la culture. Une partie des élites choisirent leur camp, sensibles aux bienfaits à court terme d’un ralliement. Le premier ce rcle a pris quelques années, mais des hommes sont toujours là pour monter dans le fourgon qui s’annonce. A tel point que devant la déferlante médiatique, nous décidâmes d’une candidature de témoignage aux législatives à Gardanne contre Bernard Tapie, créature d’un Mitterrand déclinant, fasciné par le culot politique à toute épreuve de l’homme qui m’avoua, à la suite d’un débat télévisé, qu’il « aurait fait un malheur dans un ticket avec Le Pen ». Ce même Le Pen dont il utilisa le service d’ordre pour nous mettre au pas à coups de matraque en plein marché dominical de la cité minière ! Aujourd’hui l’homme qui a une revanche à prendre, grâce aussi à l’argent des Français, se rapproche du groupe Hersant, propriétaire d’un empire de presse aux abois financiers. La bonne aubaine que la perspective de contrôler un Sud malade, avec des journaux dont les rédactions sont à bout de nerfs à cause des ventes et des reventes. A nouveau le Sauveur pourrait apparaître comme légitime auprès de journalistes qui appellent un vrai patron de leurs vœux et auprès d’une opinion publique fatiguée, prête à se jeter dans ses bras. Le combat antipopuliste doit continuer e t se renforcer .

Tapie Non Merci

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7/30/2019 Tapie Non Merci

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