Tayeb Chouiref - Aspects spirituels du jeûne du mois de Ramadan

8/8/2019 Tayeb Chouiref - Aspects spirituels du jene du mois de Ramadan

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Aspects spirituels du jene du mois de RamadanDaprs lIy de Ghazl

Par Tayeb Chouiref*

Pourquoi sinterroger sur les aspects spirituels du jene ? Que faut-il entendre par spirituelsagissant dune pratique consistant en une simple abstention de nourriture, de boisson etde relation sexuelle, du lever du soleil son coucher ?

Du fait de la simplicit apparente du jene, ses aspects spirituels risquent de passer au secondplan, voire dtre compltement occults. Cest la raison pour laquelle Ab Hmid al-Ghazl(m. 1111) dcide de consacrer la majeure partie de son expos sur le jene aux aspectsspirituels de cette pratique, laquelle est, on le sait, un des cinq piliers de lIslam.

Cet expos constitue le cinquime des quarante chapitres de limmense uvre matresse deGhazl : Iy ulm al-Dn, La Revivification des sciences de la religion. Comme cestsouvent le cas dans lIy, Ghazl emprunte beaucoup dlments quil dveloppe etenrichit considrablement Ab Tlib al-Makk (m. 996) dans son Qt al-Qulb1 (LaNourriture des curs).

Ghazl a choisi dintituler ce chapitre Kitb asrr al-awm : Le Livre des aspects spirituelsdu jene2. Il est compos dune introduction et de trois sections :

- Les obligations (wjibt) et les actions extrieures recommandes (sunan hira) lors du

jene. Les circonstances qui linvalident.

- Les aspects spirituels du jene et ses conditions intrieures.

- Les jenes surrogatoires (taawwu f l-iym).

Un des fondements que lon retrouve dans toutes les analyses de Ghazl est lexistence denombreux degrs de profondeur dans la foi et dans tout acte dadoration. Ces diffrents degrspeuvent se regrouper en trois catgories fondamentales, et concernant le jene, Ghazlexpose les distinctions suivantes : Sache quil existe trois types de jene : Le jene ducommun (awm al-umm), le jene de llite (awm al-khu) et le jene de llite de llite

(awm khu al-khu). Le jene du commun est caractris par labstention de se livrer auxdsirs du ventre et du sexe. [En plus de cela], le jene de llite consiste prserver du pchloue, la vue, la langue, les mains, les pieds et tous les organes daction (jawri). [Outre toutcela], le jene de llite de llite consiste pour le cur sabstenir des proccupationsmondaines et de toutes penses vaines, de manire tre entirement tourn vers Dieu leTrs-Haut...

Ainsi, pour les matres verss dans la science des curs (arbb al-qulb), se faire du souci,pendant le jene, pour la nourriture avec laquelle on rompra le jene est une faute grave carcette attitude indique un manque de confiance dans la faveur de Dieu, et une faiblesse dans la

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Ed. Dr dir, Beyrouth, 1306 h., vol. II, p. 113-114.2 Il existe une excellente traduction de ce texte ralise par Maurice Gloton et parue sous le titre : Les Secrets dujene en Islam, d. Albouraq, 2001.


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certitude concernant la subsistance (rizq) quIl octroie. Telle est lexcellence des prophtes,des vridiques (iddqn) et des rapprochs (muqarrabn). Il serait superflu den parlerlonguement car, en ralit, ce qui importe ici cest leffort de ralisation par la pratique. Ceteffort consiste tourner son aspiration intrieure vers Dieu et prendre du recul face tout cequi nest pas Lui. Il sagit donc de raliser le sens du verset : Dis : Allah, puis laisse-les

leurs vains discours

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Le titre de ce chapitre, par son emploi du mot asrr (terme dont le sens premier signifiesecrets), met demble laccent sur ce qui chappe invitablement une pratiquesuperficielle du jene. A ce sujet, un des hadiths dont la porte est fondamentale pour Ghazlest le suivant : Combien de jeneurs ne reoivent de leur jene que la faim et la soif ! 5

Ce hadith montre bien que lobservance des conditions extrieures du jene, bien quencessaire, est loin dtre suffisante pour en faire un acte ayant une vritable portespirituelle. Ds lintroduction, le premier lment que Ghazl souligne est la place quoccupele jene dans la foi : comparant deux hadiths, il en arrive la conclusion que le jeneconstitue le quart de la foi. Ces deux hadiths sont les suivants :

Le jene est la moiti de la patience. 6 et La patience est la moiti de la foi. 7

Ds lors, Ghazl entreprend dexpliciter comment le jene peut nourrir la foi et en tre unlment indispensable. Il y a, selon lui, deux raisons cela : Premirement, le jene est dunepart abandon et abstention et dautre part il est purement intrieur et ne se manifeste pas parune action extrieure, comme cest le cas des mouvements de la prire ou des actes rituels duplerinage par exemple.

En ce sens, le jene est un acte dadoration qui, en principe, ne laisse rien transparatre de lui-mme : il pousse ainsi labsence dostentation et la sincrit. La seconde raison est lie aufait que le jene ferme les accs de Satan au cur de lhomme. Ghazl souligne que cesaccs sont les dsirs concupiscents (chahawt) lesquels se renforcent par la nourriture et laboisson. Il cite ce propos ce hadith : En vrit, Satan circule dans le corps du fils dAdamcomme circule le sang : ds lors, amoindrissez son flot par la faim. 8

Pour Ghazl, cest parce que lhomme donne la primaut au corps au dtriment de lesprit,quil devient la proie des forces diaboliques. Le bon quilibre consistera alors dompterles nergies corporelles par le jene afin que lesprit retrouve la place premire qui doit tre lasienne. Toutefois, cela nest ralisable que si le jene est accompli avec le comportement etles attitudes intrieures qui conviennent. Quels sont ce comportement et ces attitudes ?

Puisque, comme nous lavons vu, lon ne saurait dire que peu de choses du jene de llite dellite, et quil ne concerne que les plus proches de Dieu, Ghazl va dvelopper son expossur le jene de llite, et les attitudes qui le concernent. Ce jene, qui est celui des vertueux(lin), comporte six attitudes essentielles :

- Prserver le regard de tout ce qui est blmable et rprouv, et de tout ce qui proccupe lecur et le distrait du souvenir de Dieu (dhikr Allah). De fait, le regard est une porte

3Coran : 7, 91.

4Iy, I, p. 235. trad. fr. : p. 129-130.

5Rapport par Ab Hurayra, cit par Ibn Mjah.

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Rapport par Ab Hurayra, cit par Tirmidh.7Rapport par Ibn Masd, cit par Ab Nuaym.

8Rapport par Safiyya, cit par Bukhr et Muslim.


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privilgie menant au cur et cela est valable pour le bien comme pour le mal. A ce sujet,Ghazl cite ce hadith : Le regard concupiscent est une des flches empoisonnes du diable.

A celui qui prserve son regard parce quil Le craint, Dieu accorde une foi dont il gotera ladouceur dans son cur. 9

- Retenir sa langue du bavardage, du mensonge, de la calomnie, des propos indcents, desinsultes, de la dispute et de la polmique. Les mfaits de la langue auxquels Ghazl consacreun chapitre entier de lIy10 sont particulirement mal venus de la part dun jeneur. Cestpourquoi il cite ce hadith : En vrit, le jene est une protection. Quand lun de vous jene,quil ne tienne pas de propos indcents et quil ne vocifre pas. Et si quelquun lagresse oubien linjurie, quil rponde : je jene, je jene ! 11

- Ne pas couter ce qui est rprouv car ce quil est interdit de dire, il est aussi interdit delcouter. Ghazl appuie alors son propos par ce verset : Ceux qui coutent attentivement lemensonge sont des mangeurs impnitents de biens illgitimes. 12

- Prserver tous les autres organes de tout pch, et ne manger que des aliments licites

- Se matriser lors de la rupture du jene le soir venu et manger sans excs. Ghazl considreque la modration (taqll) est un aspect important du jene.

- Ainsi, il ne faut pas manger jusqu tre rassasi. Ghazl cite une sagesse (laquelle driveelle-mme dun hadith cit par Tirmidh) : Il nest pas de rcipient plus dtest par Dieuquun ventre rempli. Il ajoute mme : Quiconque met entre son cur et sa poitrine unsac plein de nourriture restera voil aux ralits spirituelles.

- Il faut ressentir, aprs la rupture du jene, crainte et espoir dans le cur devant lincertitudede savoir su Dieu agrera ou non ce jene. Comme souvent, Ghazl cite des dires des salaf13(premires gnrations de lIslam) pour souligner que la spiritualit quil souhaite transmettrea ses racines dans leurs pratiques : Un homme dit al-Anaf ibn Qays : Tu es bien vieux etle jene taffaiblit ! Celui-ci rpondit : Je me dispose laccomplir en vue dun longvoyage ! Et faire preuve de patience dans lobissance due Dieu mest plus facile que dedevoir supporter Son chtiment.

Ghazl termine son chapitre par une rflexion sur la valeur dun jene qui ne serait quuneabstention que nourriture, de boisson et de relation sexuelle, en ngligeant toutes les attitudesquil a voques : Sache que les docteurs de la Loi extrieure ( fuqah al-zhir) tablissentles conditions extrieures lgales. Ils se basent alors sur des arguments moins profonds queceux que nous venons de prsenter pour tablir les modalits intrieures du jene, en

particulier lorsque nous avons expos les mfaits de la mdisance et des pchs de ce genre.Ainsi, les docteurs de la Loi extrieure ne traitent que de ce qui est la porte de limmensemajorit des gens parmi lesquels se trouvent un bon nombre de ngligents adonns ce bas-monde et subjugu par lui. Pour leur part, les savants spirituels (ulam al-khira)comprennent par validit du jene son acception par Dieu (al-qabl), cette acceptationtant lobjectif spirituel du jeneur.

9Rapport par udhayfa, cit par kim.

10Ch. 24. Il en existe en traduction franaise : Les Dgts des mots, d. Iqra.

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Rapport par Ab Hurayra, cit par Bukhr et Muslim.12Coran : 5, 42.

13Il en fait, bien sr, un usage trs diffrent des salafis actuels qui prtendent aussi avoir pour modles les salaf.


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Ces savants comprennent que lobjectif spirituel (al-maqd) du jene est de se caractriserpar certains Attributs de Dieu, tel que celui de amadiyya ou de Soutien universel etindpendant, et de se rapprocher de la nature de lange en rompant avec les dsirs corporelsdans la mesure du possible. [...] De fait, lorsque lhomme devient esclave des dsirs corporels,son comportement devient animal et il rejoint la masse des btes. Mais en domptant ses

dsirs, il peut slever au degr le plus haut des tres exalts et atteindre ainsi lexcellence desanges. 14

La conclusion par laquelle Ghazl termine cet expos est une ouverture vers le sens profonddes actes dadoration. Comme il le souligne plusieurs reprises, Ghazl a pleinementconscience que parmi ses lecteurs potentiels, une bonne partie nest pas prte accepter lideque la profondeur de lIslam leur chappe, et que pour remdier cela, il faille suivre etraliser un cheminement spirituel.

Cependant, il tient mettre le lecteur face ses responsabilits et conclut donc sur le rappeldun des fondements les plus importants de toute dmarche spirituelle : Il apparatclairement que toute uvre dadoration (ibda) a un aspect extrieur et un sens intrieur, unecorce (qichr) et un noyau (lubb). Lcorce comporte des enveloppes [plus ou moinsrapproches du noyau]. Chacune de ses enveloppes est constitue de diffrents degrs(tabaqt). Tu as donc le choix maintenant de ten tenir lcorce en ngligeant le noyau ou detlancer vers lAssemble des matres dous dintelligence pntrante (arbb al-albb). 15

* Initialement paru sur le site Oumma.com

14Iy, I, p. 237. trad. fr. : 137-138.

15 Iy, I, p.237. trad. fr. : p. 142.

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