Te retrouver, pour toujours

Du même auteur aux Éditions J’ai lu

Ne rien regretterN°  11343

Cette petite chose étrange qu’on appelle l’amourN°  11592

Molly

CANNON

Te retrouver, pour toujours

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Véronique Fourneaux

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Titre original FLIRTING WITH FOREVER

Éditeur originalForever

Hachette Book Group, New York By arrangement with Grand Central Publishing, New York

© Marty Tidwell, 2014

Pour la traduction française © Éditions J’ai lu, 2017

À Bill : Que les autres se partagent la lune. Nous connaîtrons toujours

le chemin de la Cité des Trésors.

Remerciements

La vie m’a fait des misères pendant l’écriture de cet ouvrage et je dois remercier une foule de gens qui m’ont aidée à traverser tout cela.

Tout d’abord Bill, mon mari, l’homme le plus généreux, le plus aimant que je connaisse. Ainsi que mes enfants et petits-enfants qui ont su éclai-rer ma vie et m’équilibrer.

Mes sœurs, Sherrionne et Patricia. Merci d’exis-ter. Vous êtes mes phares dans les pires tempêtes, et Dieu sait s’il y en a eu cette année. Et Maddie, ma rock star, ainsi que Moo et Dick que j’aime tant.

Ma fille Emily  : merci pour tout, les relectures, les petites fêtes qui m’aidaient à garder la tête sur les épaules et, surtout, cette force pour rester calme et raisonnable quand je m’arrache les cheveux.

J’ai aussi bénéficié d’autres soutiens  : NTRWA (North Texas Romance Writers of America), les Lit Girls, les Texas Tarts et le Harmy Board. Je n’y serais jamais arrivée sans eux.

Un merci tout spécial à Debra Dennis qui a patiemment répondu à toutes mes questions. Merci, CatMom.

Chris Keniston et Mabsie Bonnick  : les filles, nos fêtes ont bien six mois de retard.

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Kim Lionetti, mon super agent. Ta disponibilité quand je te cassais les pieds n’a pas de prix.

Tous les gens merveilleux de Grand Central Publishing, dont Megha Parekh, Jessica Bromberg, Diane Luger, Kallie Shimek et Kathleen Scheiner.

Et, finalement, ma fabuleuse éditrice, Michelle Bidelspach. Merci pour ta perspicacité et l’atten-tion que tu as, comme toujours, portée à mon histoire. Cette fois, tout particulièrement, je tiens à te remercier pour ta patience. Tu t’es surpassée.

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Un maillot de bain ? Inutile.Irène flottait dans sa piscine tandis que le chaud

soleil du Texas l’entraînait dans une léthargie des plus agréables. Yeux clos, elle écoutait pépier les oiseaux et gambader les écureuils dans l’herbe sèche. La paix régnait.

Il n’en fallait pas plus à son bonheur.Elle était à l’abri des regards dans sa maison per-

chée sur la colline, vaste demeure dont la façade surplombait la petite ville d’Everson. Quand elle était sur son porche, elle s’amusait parfois à regar-der aller et venir les voitures le long des rues. Ici, en revanche, entre la maison et les bois couvrant le haut de la colline, c’était son espace privé ; là où, à l’abri des regards, elle pouvait se laisser aller au farniente dans son propre univers.

Le grondement du moteur d’un petit avion per-turba le silence et sa tranquillité. Une main en écran au-dessus des yeux, elle le vit se rapprocher, et passer quasiment à la verticale. Non seulement elle ne fit pas mine de vouloir se couvrir, mais elle eut presque envie de se redresser pour  le saluer de  la main. La pudeur avait toujours été le cadet de ses soucis. Si un abruti de pilote avait

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décidé de s’offrir une séance de voltige aérienne, qu’il se rince l’œil gratis si ça pouvait lui faire plaisir. Bien décidée à ne pas laisser cet impor-tun gâcher une si belle journée, elle ne fit pas le moindre mouvement. Le coucou agita les ailes comme pour la saluer, puis vira de bord et se dirigea vers le petit aérodrome d’Everson.

En un éclair, elle comprit qui pilotait cet appa-reil aussi bruyant qu’intrusif. Théo Jacobson. Elle savait qu’il devait revenir à Everson, puisque son frère Jake l’attendait dans la semaine pour le mariage. Tout à fait lui, ça, d’opter pour un retour en fanfare et d’arriver tel un guerrier ailé se moquant d’elle depuis les airs.

Eh bien, qu’il me mate une bonne fois pour toutes, songea-t-elle crânement. Qu’il s’en colle plein les mirettes, de la femme dont il n’avait pas voulu toutes ces années auparavant. La femme à laquelle il n’avait plus jamais prêté attention. Il lui avait brisé le cœur et était parti sans se retourner. Un gros nuage cotonneux passa momentanément devant le soleil, et elle trempa la main dans l’eau bienfaisante mais, soudain, cette eau lui parut froide. Très froide. Elle se laissa glisser du mate-las pneumatique, sortit de la piscine, ramassa le peignoir qui l’attendait sur une chaise longue et l’enfila. Sur un dernier regard au ciel de nouveau bleu et dégagé, elle ouvrit une porte et rentra.

— Bienvenue au Rise-N-Shine Diner. Je m’appelle Nell et c’est moi qui vais vous servir aujourd’hui.

Installé dans un box du snack local, Théo leva les yeux vers la serveuse qui venait de se présenter à lui. Grande et élancée, elle avait rassemblé ses épais cheveux roux en une queue de cheval qui lui

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descendait dans le dos et arborait une expression aussi polie que réservée.

— Bonjour Nell, répondit-il en veillant à ajouter un sourire à son salut, afin de minimiser l’impact qu’avait dû avoir sur elle son look plus que négligé.

Il avait tout de l’homme des bois de retour en ville après une longue hibernation dans la mon-tagne et en était conscient. Ce n’était d’ailleurs pas très loin de la réalité. Sa barbe fournie et la masse de ses longs cheveux bruns emmêlés attes-taient la nature des mois qu’il venait de passer en Alaska, à guider des touristes dans les étendues les plus sauvages et inexplorées de l’État. Il avait appelé son frère Jake dès son atterrissage pour le prévenir de son arrivée, puis téléphoné au seul taxi d’Everson afin de gagner la localité. Comme il mourait de faim, il avait demandé à Bo Birdwell de le déposer devant le snack. Il irait rendre visite à Jake et Marla Jean après s’être restauré.

Son sourire dut avoir l’effet escompté car la serveuse le lui rendit.

— Avez-vous fait votre choix ?— Tout à fait. Je vais prendre le pain de viande

avec de la purée, et des haricots verts, répondit-il avant de jeter un rapide coup d’œil au menu et de la regarder : Je me laisserais bien aussi tenter par le gâteau aux pêches. Qu’en dites-vous ?

— Vous n’auriez pu mieux choisir. Ma mère cui-sine le meilleur pain de viande du monde et son gâteau aux pêches est l’un de mes desserts préférés.

— Alors ça me convient. J’ai si faim que je man-gerais un ours. Alors, vous êtes la fille de Bertie ?

D’un signe de tête, il désigna la propriétaire du Rise-N-Shine qui tenait bruyamment salon der-rière le comptoir.

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— Oui. Et d’ailleurs, je viens de lui suggérer d’ajouter de l’ours au menu.

Ils éclatèrent de rire comme le font des gens qui flirtent car, en réalité, cela n’avait rien de très drôle.

— Êtes-vous nouveau à Everson ? lui demanda-t-elle en souriant toujours.

Ravi de l’intérêt qu’il suscitait, il lui adressa un clin d’œil.

— En fait, je suis de passage. Je pense rester une semaine ou deux, puis je repartirai vers des contrées aussi lointaines qu’inconnues, répondit-il en désignant l’horizon par la fenêtre.

Elle tourna les yeux dans cette direction, puis se rapprocha de la table.

— Des contrées aussi lointaines qu’inconnues… Ça me semble bien aventureux, tout cela.

Il se pencha plus près lui aussi, comme pour partager un secret.

— Ça peut l’être, Nell. À propos, je m’appelle Théo Jacobson.

— Hé, attendez une minute. Jacobson ? Comme Jake Jacobson ? fit-elle en ouvrant de grands yeux.

— Exactement, rétorqua-t-il en lui décochant un immense sourire. Jake est mon frère aîné et je suis venu assister à son mariage.

Son carnet de commandes serré contre son cœur, Nell l’examina d’un œil plus attentif.

— Je me disais bien que vous me rappeliez quelqu’un. Enfin, en vous imaginant rasé et coiffé, bien sûr.

— Vous connaissez Jake ? l’interrogea-t-il, pas plus surpris que cela.

Everson était une toute petite ville.

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— Bien sûr, et Marla Jean aussi, répondit-elle en examinant une nouvelle fois sa masse de che-veux. Vous devriez faire une halte chez elle pour couper un peu tout ça.

Sa future belle-sœur tenait le salon de coiffure local.

— Seriez-vous en train de suggérer que je n’ai pas une apparence civilisée ? la questionna-t-il en se redressant dans son box, un sourire de défi sur les lèvres.

Elle haussa les sourcils, en mode franchement flirt à présent.

— Ce n’est pas forcément négatif, Théo Jacobson. Je me disais juste que ça vaudrait peut-être le détour de vous inviter à sortir un soir si je pouvais voir à quoi vous ressemblez sous toute cette… broussaille.

— Dites-moi, Nell, les femmes sont-elles toutes aussi culottées que vous, dans le coin ?

Elle se mit à rire.— On se calme, jeune homme, je ne vous ai

pas encore invité, n’est-ce pas ? Et je ferais mieux d’aller passer votre commande.

Sur un clin d’œil, elle se détourna et s’éloigna.Il la regarda s’en aller vers la cuisine, à l’avant

du restaurant, et admira la façon dont son uni-forme de serveuse moulait son petit derrière haut perché. Cette visite à Everson pourrait devenir plus amusante qu’il ne l’avait pensé.

Nell était jolie comme tout, et il ne rechignerait pas à consacrer un peu de temps à la connaître mieux tant qu’il était là. Surtout que, justement, il était venu pour prendre un peu de bon temps. Profiter du mariage, aider Jake dans certains tra-vaux… Bref, rien que du facile sans prise de tête.

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À ceci près que Jake avait déjà compliqué sa visite quand il lui avait exprimé son désir de le voir rester après le mariage. Il lui avait offert un emploi à plein temps et un lieu où se fixer près de sa famille. À sa grande surprise, il avait trouvé la proposition tentante. Depuis qu’il avait été démo-bilisé de la Navy, il n’était jamais resté très long-temps au même endroit. Malgré cette bougeotte, il n’avait pas opposé d’emblée un refus définitif à son frère. Il lui avait même promis d’y réfléchir. Toutefois, il y avait de grandes chances pour qu’il s’en aille après la cérémonie.

Raison pour laquelle, sur un coup de folie, il était passé en rase-mottes au-dessus de la maison d’Irène Cornwell. Car il n’avait pas la moindre intention de consacrer le peu de temps qu’il pas-serait à Everson à revenir sur la période de sa vie dont elle avait fait partie. Certaines choses doivent rester à leur place, surtout quand elles appartiennent au passé. Lors de sa dernière visite, elle l’avait ignoré du tout au tout et n’avait même pas fait preuve de la courtoisie élémentaire qu’elle aurait réservée à un inconnu. Il devait admettre que ça l’avait bien énervé. Façon polie de dire qu’elle l’avait carrément mis à cran, et qu’il était bien décidé à ne pas lui permettre de le refaire. Oh, ce n’était pas qu’il espérait la voir lui sauter dans les bras, non. Ça non plus, il ne le voulait pas. Mais un simple « Hello » ou même un signe de tête lui suffirait.

Cependant, il allait avoir un mal fou à oublier cette image d’elle flottant nue dans sa piscine. Dès qu’il l’avait vue, il avait ressenti comme une douleur physique assortie d’un désir qu’il croyait éteint depuis une éternité. Manifestement, son

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corps n’avait pas capté le message selon lequel elle appartenait désormais au domaine « Pas touche ».

— Eh bien, eh bien. Ne serait-ce pas le témoin du mariage ?

Une voix féminine frappa Théo mieux qu’un uppercut au foie alors qu’il passait la grille et pénétrait dans le jardin de l’Hazelnut Inn. Une voix qui avait longtemps hanté ses rêves. Une voix qu’il aurait reconnue n’importe où sur terre. Irène Cornwell. Il avait dû penser trop fort à elle tout à l’heure, pour qu’elle se matérialise ainsi face à lui. Et merde… Dame Irène Cornwell était à présent tout à fait vêtue. Dommage. Et elle lui parlait, en plus. Mission accomplie. Au moins pouvait-il biffer ce dernier point sur sa liste car, non seu-lement il avait eu droit à plus qu’un « Hello » ou qu’un signe de tête, mais elle l’avait gratifié d’une phrase entière. Seulement, et pour une raison qu’il ne s’expliqua pas, cela ne sonna pas comme une victoire. Il eut plutôt l’impression d’avoir oublié de boucler son parachute alors qu’il sautait de son avion. Il tombait en chute libre et attendait l’impact fatal aussi imminent qu’inéluctable. Il n’eut toutefois aucune intention de lui laisser voir à quel point elle l’avait déstabilisé, et afficha un sourire suffisant avant de répondre :

— Mais, ne serait-ce pas Irène Cornwell en per-sonne ? Comment ça va, Ree ?

Elle était installée devant une petite table dans le patio, un épais dossier ouvert devant elle, et avait repoussé une imposante paire de lunettes de soleil sur sa tête. En ce qu’il supposa être un effort tout personnel pour avoir l’air sérieux, elle avait rassemblé ses longs cheveux noirs en un chignon

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approximatif. Il s’accorda une minute, pas plus, pour la détailler. Elle était toujours la plus belle femme qu’il ait jamais vue, mais il allait garder cette opinion pour lui. Déjà, la voir de loin n’avait pas été facile mais, là, maintenant, il était assez proche pour la toucher. Bien sûr, il n’avait aucune intention de réfléchir à cette idée. Même avec des pincettes, il ne le ferait pas.

Le grand sourire qu’affichait Irène se fit un peu plus nerveux.

— Plus personne ne m’appelle Ree 1, Théodore. Et ça va, je te remercie.

Il rit et pensa qu’il était toujours aussi facile de la mettre à cran.

— Comme personne à part toi ne m’a jamais appelé Théodore. Et encore, tu ne le faisais que quand tu étais furieuse contre moi. J’espère bien que tu ne l’es plus, après tout ce temps.

— Ne sois pas ridicule, rétorqua-t-elle en agi-tant la main. Bien sûr que non.

— J’aime mieux ça, reprit-il en se laissant choir sur la chaise face à elle. Et j’aime surtout mieux qu’on soit là en train de bavarder. Parce que la dernière fois que je suis venu, tu as fait comme si je n’existais pas, conclut-il, mais en souriant toujours comme s’il était ravi de ces retrouvailles.

— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles, répondit-elle en redressant le menton, telle une reine devant son vassal, avant de changer de sujet  : Jake va être ravi que tu sois revenu pour son mariage.

Il décida de ne pas insister et consulta sa montre.

1. Irène se prononce Aïe-ri-ne en anglais, d’où le diminutif Ree, qui se prononce ri. (N.d.T.)

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— Oui. Je suis censé les retrouver tous les deux, lui et Marla Jean, ici à 16 heures.

— Ils sont déjà là, répondit-elle en désignant la porte de la tête. Ils discutent du menu avec Etta, mais ils ne devraient plus tarder maintenant. Il faut encore qu’on finisse de voir tous les détails de la cérémonie.

— « On » ?Il ne comprenait pas pourquoi, ou comment,

elle pouvait être impliquée dans ce mariage.Irène ferma le dossier posé sur la table et écarta

les mains dans un geste explicite.— Tu n’es pas au courant ? Je suis l’organisa-

trice de leur mariage.Il émit un rire aussi spontané qu’involontaire,

mais comme elle gardait son air sérieux, il reprit :— Toi ? Tu es organisatrice de mariages ? Et

depuis quand ?Il se rendit compte en le disant qu’il n’aurait

pas pris un autre ton pour l’accuser d’un crime ignoble.

— C’est assez récent, en fait. Ça m’est venu comme une révélation à l’ouverture de l’auberge, quand Etta a émis son intention d’accueillir des réceptions et des mariages. Il m’est apparu que planifier et organiser de tels événements serait tout à fait dans mes cordes, répondit-elle en croi-sant les jambes.

— Sérieusement ? Mais tu n’as pas besoin de cet argent, alors pourquoi ? Tu finissais par t’en-nuyer ? l’interrogea-t-il sans prendre la peine de dissimuler son scepticisme.

— Quelque chose comme ça, c’est vrai, rétorqua-t-elle en serrant une nouvelle fois les mâchoires,

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comme prête à engager les hostilités. Pourquoi trouves-tu cela aussi bizarre ?

— Pour rien. Inutile de te mettre sur la défen-sive, Ree. Oublie ce que je viens de dire, répondit-il en éludant d’un mouvement d’épaules.

Elle n’allait pas l’oublier de sitôt, il le comprit immédiatement.

— Je ne suis pas sur la défensive, mais tu sembles avoir une opinion bien arrêtée sur le sujet, et je meurs d’envie de l’entendre.

Le plus intelligent aurait été de se taire, il le savait, mais il se lança quand même :

— D’accord mais, surtout, ne le prends pas mal. Il me semble qu’un minimum de respect pour l’ins-titution du mariage en elle-même est nécessaire pour être une bonne organisatrice de mariages.

Le regard qu’elle lui lança fut très clair  : elle avait bien compris le sarcasme.

— Absolument. Le respect que j’éprouve pour l’institution du mariage a bien augmenté depuis l’époque où tu me connaissais, Théo. Par ailleurs, tu te souviens sans doute à quel point j’aime les belles soirées. Ce n’est pas si différent d’une récep-tion de mariage sur le plan de l’organisation.

Il allait s’enferrer davantage –  répondre par exemple que son estime pour le mariage avait dû croître et embellir une fois que lui-même était sorti du tableau  – quand il fut sauvé par le gong. Ou plutôt par la sortie de la maison de Jake et de Marla Jean. Ils discutaient des avantages et des inconvénients d’un repas formel ou d’un simple buffet.

— Je ne veux pas que les gens pensent que nous sommes près de nos sous, Jake, arguait Marla Jean.

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— Personne ne va nous prendre pour des radins, et un buffet serait bien moins stressant. D’une part, cela demande moins de personnel et d’autre part, les gens se servent exactement ce qu’ils ont envie de manger, repartit Jake. Voyons avec Irène.

Il n’avait pas terminé sa phrase que Marla Jean repérait Théo, courait vers lui et lui sautait dans les bras.

— Tu es là ! Jake, regarde qui nous arrive.Déjà debout, Théo la cueillit au vol en riant et

l’entraîna dans une pirouette.— Aaahhh… c’est comme ça que j’aime être

accueilli. Tu es sûre que tu épouses le bon Jacobson, Marla Jean ?

Jake les rejoignit alors qu’il la reposait sur ses pieds.

— Pas touche à ma future femme !Les deux frères s’étreignirent à leur tour.— Je suis si content qu’elle fasse enfin un

homme honnête de toi, Jake. Il serait temps ! s’écria Théo.

Il adorait son aîné car, lorsqu’il était très jeune, Jake avait été la seule personne sur laquelle il avait pu compter, la seule à lui apporter un soutien indéfectible. Le voir nager dans le bonheur avec Marla Jean était donc un pur régal pour lui.

— Tout va être parfait à présent que tu es là, lui confia Marla Jean.

— Tu sais bien qu’à partir du moment où Jake m’a demandé d’être son témoin, rien n’aurait pu m’empêcher de venir.

— Oui, mais avec toutes tes escales en route, on ne savait pas quand tu arriverais. J’ai été si contente quand Jake m’a appris que tu avais

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atterri ce matin. En revanche, j’ai eu du mal à le croire quand il m’a raconté que tu étais venu d’Alaska dans ton propre avion.

— Vraiment ? Tu es arrivé ce matin ? intervint Irène, toujours installée devant sa table. Il me semblait bien avoir aperçu ton coucou.

Théo afficha un immense sourire. Ainsi, elle avait compris qui faisait du rase-mottes au-dessus de sa maison.

— Jolie vue depuis là-haut.Elle rétorqua d’un ton rogue :— Jolie ? On dit qu’elle n’est pas loin d’être

spectaculaire.— Tu connais Théo, Irène ? s’étonna Marla

Jean.— En fait, lui et moi sommes de vieilles

connaissances, répondit Irène en se levant pour venir rejoindre le petit groupe.

— Ah, oui ? s’enquit à son tour Jake en regar-dant son frère. Pourquoi ne suis-je pas au cou-rant ?

De « vieilles connaissances »… Une expression fourre-tout par excellence, et un terme générique en tous points inadapté à ce qu’ils avaient été. Mais ce n’était ni l’heure ni le lieu pour amorcer une polémique et tenter de définir leur passé.

— Ça remonte à très loin, répondit-il à son frère. Tu te souviens de l’époque où j’ai commencé à travailler le soir après l’école au Piggly-Wiggly ? J’étais un petit manutentionnaire et Ree était chef d’équipe.

— Cette épicerie était à Derbyville, reprit Jake en les regardant tour à tour. Tu as vécu à Derbyville, Irène ? Ça non plus, je ne le savais pas.

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— J’y ai grandi, mais je rêvais d’en partir dès que possible. Sitôt le lycée terminé, je suis allée m’installer à Dallas, lui apprit-elle.

Yeux plissés, Jake parut percevoir une allusion.— Comme Théo, fit-il remarquer.— Oui, reconnut ce dernier. Mais c’est du passé

tout ça.— C’est bizarre que jamais, au cours de toutes

tes visites, tu n’aies mentionné que tu connaissais Irène, insista Jake, de plus en plus suspicieux.

Si seulement ils voulaient bien tous changer de sujet, rêva un instant Théo avant de jeter un coup d’œil à Ree, que l’échange ne semblait pas émouvoir plus que cela. Lui, en revanche, avait le sentiment d’osciller au bord d’un précipice et de faire ce qu’il pouvait pour remettre les pieds sur un terrain plus sûr.

— Le sujet n’est jamais venu sur le tapis et, franchement, nos chemins se sont rarement croi-sés depuis lors.

— Si tu arrêtais de faire ta fouine, Jake ? fit Marla Jean en lui donnant une petite tape sur le bras.

Théo adressa un sourire reconnaissant à sa future belle-sœur.

— Je suis d’accord avec Marla Jean, Jake. Nous avons tous quelques secrets enfouis, renchérit-il à l’adresse de son frère, mais en regardant Irène.

Elle croisa son regard, apparemment prête à réfuter tout ce qu’il pourrait ajouter. Puis elle se détourna sans prévenir et repartit vers la table qu’elle occupait peu avant. Là, elle empoigna son dossier et annonça :

— Dites, vous me pardonnerez d’interrompre votre voyage au pays des souvenirs, mais on ferait

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mieux d’aller au pavillon revoir toutes les étapes de la cérémonie. Il nous reste beaucoup à faire avant la nuit.

Sur ces paroles, elle emprunta sans attendre le chemin qui traversait le jardin.

— On arrive ! s’exclama Marla Jean en saisis-sant la main de Jake.

Tous deux la suivirent de bon cœur. Théo trouva leur enthousiasme aussi vivifiant que réconfortant. Il se promit de se concentrer sur leur bonheur pendant le temps de son séjour à Everson, et de tout faire pour éviter la femme qui lui avait brisé le cœur il y avait tant d’années.

Toutefois, l’image récente de son corps nu était imprimée au fer rouge dans son esprit, ce qui n’allait pas lui faciliter les choses.

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— Jake ne voulait pas qu’on lui organise un enterrement de vie de garçon mais Linc a insisté, expliquait Marla Jean. Même si Théo est le témoin de Jake, mon frère veut se charger de tout en tant qu’ami d’enfance du futur marié. Et il n’est pas question de refuser. Alors, il y aura un enterrement de vie de garçon. Seulement, j’ai prévenu  Jake  : s’il arrive en retard ne serait-ce que d’une minute à la cérémonie, il aura affaire à moi !

Irène hochait la tête et souriait patiemment alors que Marla Jean revenait encore et encore sur cette ultime possibilité de contretemps. Il ne restait plus que cinq jours avant le mariage, et tout était pratiquement prêt. Marla Jean avait seu-lement besoin d’une oreille compatissante pour écouter ses scénarios catastrophe de tout ce qui pourrait saboter son grand jour. Son frère aîné par exemple. Linc était marié, très heureux en ménage et bientôt papa, mais il ne manquerait pas de préparer un enterrement de vie de garçon inoubliable à son ami d’enfance.

— Théo y sera aussi. Tu sais qu’il veillera au grain, interjeta Irène pour la rassurer.

Apparemment, elle y parvint.

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— Tu as raison. Sans compter que Linc aurait aussi affaire à Dinah. Elle sait le faire marcher au pas, surtout depuis qu’elle est enceinte.

Irène se mit à rire et se concentra de nouveau sur sa liste. Cet événement promettait d’être simple et de bon goût, un vrai mariage d’amour. Bien sûr, il en allait ainsi pour la plupart des mariages, du moins le supposait-elle, mais il arrivait par-fois qu’avec les discussions et réglages de tous les détails, l’harmonie entre les deux futurs époux se brise. Selon Irène, beaucoup trop de ces unions se détérioreraient très vite après le fameux « Oui, je le veux ».

Elle se souvint de sa toute première incursion dans le monde merveilleux de l’organisation de mariages, la cérémonie et la réception qu’elle avait préparées pour Babeth Cross et Noah Nelson. Ces deux-là s’étaient mariés sur le tard, mais ce couple s’aimait tant qu’elle en avait presque eu les larmes aux yeux. Il n’y avait pas eu le moindre petit accroc, et tout s’était si bien passé que ce succès initial n’avait pas été loin de lui tourner la tête.

Elle avait donc abordé son deuxième contrat avec une confiance absolue en ses capacités. Grossière erreur. Celui-ci avait été un vrai cauche-mar, émaillé de discordes, récriminations, médi-sances et autres ergotages sur les moindres détails. Les demoiselles d’honneur refusant à la dernière minute d’enfiler leurs robes rose et pourpre, le père du marié déjà saoul avant le début de la céré-monie et, pour couronner le tout, l’orchestre ! Il avait très vite abandonné la liste des morceaux programmés pour se lancer dans ses propres com-positions de rock aussi avant-gardiste qu’inau-dible. Une fois la fête enfin terminée, elle s’était

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toutefois félicitée de sa prestation. Ce cauchemar lui avait beaucoup appris sur ses capacités, dont celle, entre autres, de savoir imposer sa volonté aux empêcheurs de tourner en rond. En définitive, cela avait tout de même été un très beau mariage. Plus important encore, les mariés avaient traversé cette épreuve sans s’agresser l’un l’autre. Il y avait de fortes probabilités que leur aventure soit aussi durable qu’heureuse.

Tout bien réfléchi, c’étaient les fiançailles de Jake et Marla Jean qui lui avaient d’abord inspiré cette vocation. Ils avaient été les premiers à lui deman-der d’organiser leur mariage, contrat qui lui avait permis d’en obtenir d’autres. Certes, elle n’en était encore qu’à ses débuts, mais elle avait vite décou-vert qu’elle prenait un plaisir fou à ce travail.

Le mariage de Marla Jean et Jake allait se passer à merveille. Les deux tourtereaux avaient décidé qu’ils auraient chacun un seul témoin. Pour Marla Jean, ce serait sa belle-sœur, la très enceinte Dinah, et Théo serait celui de Jake.

Théo. Le seul fait d’évoquer son prénom obli-geait Irène à se cramponner.

Elle tenta, sans succès, de se concentrer sur ce que lui disait Marla Jean. Le soir du grand dîner de la Saint-Valentin à l’Hazelnut Inn, quand elle avait réussi à persuader la jeune femme qu’elle organiserait son mariage comme personne, elle n’avait pas pensé que Théo, en qualité de frère du marié, serait forcément présent pour l’événement. Peut-être son subconscient avait-il eu envie de réa-liser son vieux rêve de le revoir et de reprendre leur relation.

Marla Jean réussit à capter son attention en battant joyeusement des mains.

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— Sais-tu que ma mère a enfin cessé de me prendre la tête parce que je veux porter mes bottes de cow-boy sous ma robe de mariée ?

Irène se reprocha derechef d’avoir laissé vaga-bonder son esprit alors que Marla Jean lui parlait de tout et de n’importe quoi, et sautait d’un sujet à l’autre sans rime ni raison.

— Ah, vraiment ? Qu’est-ce qui l’a poussée à changer d’avis ?

Bitsy, la mère de la jeune mariée, avait été d’un grand secours à sa fille durant les premiers pré-paratifs, mais qu’elle veuille porter des bottes de cow-boy ne passait pas. L’idée l’avait fait bondir et, depuis, elle ne manquait pas une occasion de sug-gérer à la future mariée d’opter pour des chaus-sures délicates et féminines sous cette splendide robe blanche. Irène avait connu ce genre d’escar-mouches sans conséquences dans chaque mariage dont elle s’était occupée, et ça l’étonnait encore que des broutilles puissent prendre de telles pro-portions. Aider à la négociation des différends fai-sait partie de ses attributions, et elle y réussissait généralement assez bien. Cette fois-ci cependant, et selon toute apparence, Marla Jean n’avait pas eu besoin de son intervention.

— Je lui ai expliqué que Jake voulait que je les porte, et quand j’ai commencé à lui raconter son fantasme de les enlever lui-même, ça l’a arrê-tée net. Elle a poussé un hurlement, m’a ordonné de me taire et a clos la conversation par un  : « D’accord, mets ces bottes ridicules ».

— Pauvre Bitsy, elle aura à jamais cette image dans la tête ! s’écria Irène en riant de bon cœur.

— Ça lui apprendra, rétorqua Marla Jean en riant aussi, ravie de cette petite victoire.

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Toutes deux étaient installées dans les tout nouveaux locaux de l’entreprise d’Irène dénom-mée Oui Je Le Veux, qui avait à présent sa propre adresse sur la Grand-Place d’Everson, Texas. Niché entre La Librairie des Trois Sœurs sur sa droite et l’Everson Daily, le quotidien régional, sur sa gauche, son espace occupait l’emplace-ment de ce qui avait naguère été un magasin de vêtements. Encore quelques étagères et vitrines dans lesquelles elle exposerait des décorations et autres fanfreluches pour mariages et tout serait prêt. Ses bureaux donneraient alors une impres-sion professionnelle.

En réalité, elle ne se sentait pas encore complè-tement au point. Elle avait jusqu’à présent navigué à vue et prétendu s’y connaître, aidée en cela par Internet et tous les manuels qu’elle avait pu trou-ver. Le mariage de Jake et de Marla Jean serait son troisième et, aujourd’hui, elles mettaient la touche finale au placement des tables autour de la piste de danse. À part quelques menus détails, tout était décidé. Elles avaient opté pour des tapis de table en toile de jute sur des nappes blanches. Au centre des tables, des rondelles de bûche mal équarries serviraient de support à des bougies emmaillotées dans de la toile de jute et un bocal en verre déborderait de fleurs blanches. Au lieu de louer de la vaisselle en porcelaine, ils avaient acquis un lot d’assiettes dépareillées dans une bro-cante qui seraient empilées devant le buffet. Bref, ce serait une réception originale, qui promettait d’être très amusante.

Marla Jean avait dès le départ souligné que c’était son deuxième mariage, et donc tenté de l’envisager sous un angle plus mature, plus

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responsable. Si Irène avait très bien compris et apprécié son désir de rester dans la discrétion, elle lui avait fait remarquer que ce mariage serait le premier de Jake et son dernier à elle, pour peu que le ciel fût de leur côté. Elle lui avait ensuite recommandé de cesser de se préoccuper de ce que pensaient les gens. « Si tes choix te rendent heu-reuse, qu’importe l’avis des autres », lui avait-elle affirmé. Marla Jean lui avait ensuite confié que ces paroles l’avaient confortée dans son choix de remettre son mariage entre ses mains.

Avant, les deux femmes se connaissaient, mais elles n’avaient jamais vraiment noué de liens d’amitié. Cette expérience partagée avait tissé un lien très fort entre elles, un lien qui perdu-rerait bien longtemps après la fin de la cérémo-nie. Irène s’en réjouissait car, même après toutes ces années, elle n’avait pas beaucoup d’amies à Everson. La plupart de ses concitoyens faisaient preuve de civilité, de politesse envers elle, mais quelques-uns ne faisaient pas mystère de ce qu’ils pensaient d’elle.

Ceux-là la considéraient comme une créature cupide et opportuniste parce qu’elle avait épousé un homme très riche et trois fois plus âgé qu’elle. Ils l’ignoraient bien sûr, mais ils avaient tort. Ce mariage n’avait peut-être pas été ordinaire, mais Sven et elle s’aimaient vraiment, et elle regrettait encore tous les jours son absence.

Elle se demandait parfois si ce manque de consi-dération n’avait pas, en quelque sorte, influé sur sa décision de devenir organisatrice de mariages. L’aspect financier ne comptait pas, elle avait tout ce qu’il fallait pour vivre. Mais dans des petites villes de la taille d’Everson, les mariages étaient

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toujours de grandes occasions, et ce travail allait constituer pour elle un moyen de s’insérer pleine-ment dans le cœur et l’âme de la vie provinciale.

— Je dois rejoindre Jake et Théo pour déjeuner, déclara Marla Jean en rassemblant ses affaires. Tu viens avec nous ?

— Merci, mais j’ai un autre rendez-vous dans un petit moment, répondit Irène en veillant à conserver une expression neutre alors que le simple prénom de Théo lui avait fait battre plus vite le cœur. Margot Douglas est certaine que Jim Murray ne va plus tarder à lui poser la grande question, et elle veut commencer les préparatifs de bonne heure. Quoique, je suis persuadée qu’elle a déjà prévu ses noces dans les moindres détails. Et depuis longtemps.

— Cela doit bien faire dix ans qu’ils se tournent autour, ces deux-là, non ?

— Oh, oui. Tu ne sais pas ce qu’elle a inventé, maintenant qu’il va lui demander sa main ? Elle ne va pas accepter tout de suite car Madame veut qu’il rampe un peu à ses pieds.

— Et elle commence déjà les préparatifs du mariage ?

— Bien sûr. Ne me demande surtout pas de t’expliquer les petits jeux des amoureux.

— Ne t’inquiète pas, je ne le ferai pas. Mais c’est dommage que tu ne puisses pas venir déjeuner avec nous. J’aimerais bien écouter des histoires datant du temps où vous vous connaissiez, Théo et toi. Imagine un peu, jusqu’à l’an dernier, je ne savais même pas que Jake avait un frère, et maintenant je découvre que tu le connais depuis toujours.

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— Tu sais, nous n’avons pas vraiment gardé le contact, je ne pourrais pas t’en raconter beaucoup plus. Et puis, il a toujours été très secret.

De toute façon, même si elle ne pouvait cesser de penser à Théo, cela ne signifiait pas qu’elle était prête à parler de lui. Et surtout pas avec Jake et Marla Jean.

— Vu.  Je me mêle de mes affaires. Mais je te préviens, le moulin à ragots va s’emballer si quelqu’un apprend que vous vous êtes connus par le passé.

— Bah, depuis l’instant même où je suis venue m’installer à Everson avec un mari trois fois plus âgé que moi, ma vie entière ne sert qu’à l’alimen-ter, ce moulin, alors un peu plus un peu moins… Je devrais survivre aux quelques jours où Théo sera présent ici pour le mariage.

— Oh, mais il va rester plus longtemps que quelques jours, repartit Marla Jean, malicieuse.

Incapable de déterminer si elle vivait un instant de panique ou de joie pure, Irène n’essaya pas de dissimuler sa surprise.

— Que veux-tu dire ? Pourquoi resterait-il à Everson après votre départ en voyage de noces ?

— C’est à cause de ce départ qu’il va rester, expliqua Marla Jean en sortant ses clefs de son sac. Comme il ne voulait pas interrompre ses chantiers en cours du jour au lendemain, Jake l’a convaincu d’y travailler pendant notre absence et, Dieu merci, Théo a accepté de lui rendre ce service. Sinon je ne suis pas certaine que Jake aurait pu partir deux semaines entières.

— Ça se tient, en effet, marmonna Irène.Théo allait donc séjourner quelque temps à

Everson. Bien. Elle gérerait. Évidemment, il lui

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faudrait blinder ses émotions, mais elle y parvien-drait.

— Ça se tient, tu l’as dit. Ensuite, nous avons tous les deux l’intention de le pousser à rester. Enfin, si on y arrive.

Une notion qui eut pour effet de réduire Irène au silence, un silence pour le moins inhabituel. Théo Jacobson s’installant définitivement ici ? Non, non, et non ! Cela changeait complètement la donne. Des années durant, elle avait rêvé d’une occasion de s’expliquer avec lui. C’était d’ailleurs pour cette raison que la perspective de sa pré-sence au mariage ne l’avait pas fait renoncer à ce contrat, car ce serait l’occasion idéale de pouvoir enfin cicatriser ses vieilles blessures. Cependant, la vie de Théo avait toujours été mouvementée. Toujours en route vers un ailleurs, une autre aventure. Une autre femme, présumait-elle. Ses déplacements incessants qui impliquaient son absence physique avaient aidé Irène à l’évacuer de ses pensées.

— Penses-tu qu’il va vraiment y réfléchir ? Enfin, qu’il va vraiment songer à s’établir ici ?  finit-elle par demander.

— Qui peut le dire ? éluda Marla Jean. Je sais seulement que cela ferait plaisir à Jake. Comme tu peux l’imaginer, ce qui fait plaisir à Jake me fait aussi plaisir.

— Ah. Ce doit être la malédiction du véritable amour.

— Il y a des chances, repartit Marla Jean en souriant. Et moi, je ferais mieux d’y aller si je ne veux pas être en retard.

— File. Je pense que tout est réglé de mon côté, mais on se fait une dernière vérification demain,

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répondit Irène en se levant pour la raccompagner jusqu’à la porte.

— Parfait. À demain !

Chez le tailleur avec son frère pour le dernier essayage de leurs costumes de pingouins, Théo attendait sur le canapé. Jake, grimpé à son tour sur le marchepied, se tenait droit pendant que M.  Smith s’assurait de la bonne tenue de son smoking.

— Tu sais, j’ai prévu plein de travail pour t’oc-cuper pendant qu’on sera partis, Théo.

— Génial, mais tu ferais bien de te méfier. Si tes clients s’habituent au travail de qualité, tu vas peut-être les retrouver en rébellion ouverte quand tu rentreras.

Le rire de Jake résonna dans l’atelier.— Cause toujours, bonhomme. J’espère plutôt

que je n’aurai pas à tout refaire derrière toi.— Je vous en prie, monsieur Jacobson, cessez

de gigoter ainsi ! s’insurgea M. Smith.Jake se remit au garde-à-vous en adressant une

grimace à son frère.— Désolé. Je suis si pressé de me marier que

ça me donne envie de danser la gigue.Théo rit à son tour.— Vous allez devoir l’absoudre, monsieur

Smith. Il est amoureux.Voir son frère aîné nager ainsi dans le bonheur

le comblait d’aise. Alors qu’il était encore lycéen, Jake avait découvert que son père vivait une double vie depuis des années. Il avait fondé  une autre famille dans la bourgade voisine de Derbyville, avec une femme avec qui il avait eu Théo. Leur père ayant trouvé la mort peu après, la révélation

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de sa duplicité avait détruit les deux familles, et Jake avait tout fait pour procurer à Théo le soutien psychologique et affectif dont il avait tant besoin. Théo en serait à jamais reconnaissant envers son demi-frère.

— Oh, grommela le tailleur, mes précédentes expériences avec M.  Jacobson m’ont appris qu’il trouve toujours de bonnes excuses pour me com-pliquer le travail. Cependant, je veux bien admettre que, cette fois, il a une bonne raison.

Il passa son mètre-ruban autour de son cou, se redressa, ajusta une dernière fois le vêtement sur les épaules de Jake et conclut :

— Ça y est. C’est terminé. Je tiens à vous expri-mer mes souhaits de bonheur les plus sincères pour vos noces à venir.

— Je vous remercie, monsieur Smith. Mais vous viendrez au mariage, n’est-ce pas ?

L’air sincèrement touché, le tailleur remonta ses lunettes sur son nez.

— C’est un honneur pour moi d’y être convié et, oui, bien sûr que je viendrai, répondit-il en se précipitant derrière son comptoir pour détacher un ticket et le tendre à Jake. Les smokings seront prêts demain après-midi.

— Ton premier travail de témoin, Théo, fit Jake en lui confiant le ticket.

Théo le rangea dans sa poche de jean et se posa une main sur le cœur.

— Je veillerai à ce que tu sois correctement habillé quand Marla Jean remontera la travée.

— C’est bien. J’aurai de la chance si je réus-sis seulement à lacer mes chaussures ce jour-là, plaisanta Jake en se rhabillant. Merci, monsieur

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Smith, on vous laisse tranquille à présent. Viens, Théo, allons retrouver Marla Jean pour déjeuner.

Déjà installée dans un box au Rise-N-Shine Diner quand Jake et Théo passèrent la porte, Marla Jean les héla. Théo prit place sur la banquette qui lui faisait face tandis que Jake se glissait à côté d’elle et lui donnait un baiser un peu trop appuyé dans un lieu public, de surcroît à cette heure de la jour-née. Théo écarquilla les yeux et s’éclaircit la gorge mais en vain. Les deux amoureux l’ignorèrent et continuèrent leur baiser sous les acclamations de tous les clients présents.

Quand Jake s’arrêta, il avait l’air d’un homme tout à fait satisfait de son sort, et signala d’un geste aux spectateurs qu’il était temps de remettre le nez dans leurs assiettes.

— Si je ne lui donne pas un vrai baiser dès que je la vois, ils me tarabustent jusqu’à ce que je le fasse. Alors, j’ai décidé de les coiffer au poteau, expliqua-t-il à son frère.

— Mon pauvre, tu parles d’une corvée, rétorqua celui-ci, faisant semblant de le plaindre.

Marla Jean se nicha contre Jake avec l’air d’une amoureuse éperdue et enchaîna :

— C’est terrible, tu sais, ce qu’on est obligés de faire pour contenter les gens de cette ville.

— Dire que la dernière fois que je suis parti d’ici, vous vous adressiez à peine la parole… répondit Théo en souriant. J’ai bien cru que j’allais devoir revenir vous enfermer dans la même pièce pour vous obliger à retrouver votre bon sens.

— Oh, j’aurais adoré, fit Marla Jean en don-nant un coup de coude à Jake. Ton frère fourmille d’idées géniales.

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— Ne l’encourage pas, tu veux ? repartit Jake en sortant une liste de sa poche pour la tendre à Théo  : J’ai mis sur le papier tous les chantiers que je voudrais que tu termines pendant notre absence.

— Rien d’insurmontable, à ce que je vois, com-menta le jeune homme après avoir parcouru la feuille des yeux. Dès votre départ, je commen-cerai à contacter tes clients et je me mettrai au travail.

— J’ai déjà prévenu la majorité d’entre eux, donc ils ne seront pas surpris par ton appel, affirma Jake.

— Bonjour tout le monde. Que voulez-vous boire ?

Théo leva les yeux de la liste et eut l’agréable surprise de voir Nell debout devant le box.

— Salut, Nell, commença Marla Jean. Je vou-drais un thé glacé sans sucre, s’il te plaît.

— Même chose pour moi, enchaîna Jake.— Et pour vous, monsieur le mystérieux aven-

turier ? reprit Nell en se tournant vers Théo.— Je constate que tu as déjà fait la connais-

sance de mon frère, dit Jake en souriant.— J’ai eu ce plaisir, répondit Nell. Et je dois

dire que vous êtes méconnaissable aujourd’hui, Théo.

— Merci, Nell, je prendrai aussi un thé glacé sans sucre, répondit-il, ravi de l’attention qu’elle lui portait.

— C’est comme si c’était fait. Je reviens ensuite prendre vos commandes pour le déjeuner.

— Joli brin de fille, commenta Théo en la regar-dant s’éloigner.

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— As-tu en prévision de briser quelques cœurs ? l’interrogea Jake en dépliant la serviette en papier qui entourait ses couverts.

— Pas spécialement, mais aucune loi n’interdit que je prenne un peu de bon temps pendant mon séjour à Everson, n’est-ce pas ?

— Garde seulement en mémoire que Marla Jean et moi devrons continuer à vivre ici long-temps après ton départ, frérot.

— Arrête de jouer les rabat-joies, Jake, le gour-manda gentiment Marla Jean. Nell est une grande fille. Et je suis bien certaine que plus d’une femme ici serait ravie de faire passer un bon moment à Théo.

— Merci, Marla Jean. Je constate avec plaisir qu’il y a ici au moins une personne ayant foi en ma noblesse de caractère.

— Ne nous emportons pas, repartit-elle en riant. Cela dit, je ne vois pas pourquoi Jake voudrait que tu travailles sans jamais prendre le temps de t’amuser pendant que tu es là.

— Même si je le voulais, je n’y arriverais pas ! se défendit Jake.

Théo reprit la liste qu’il avait en main :— Primo, peinture du nouveau garage de Lily

Porter. Deuzio, nouvelle bibliothèque pour Lee Wheeler. Tertio… hé, attends une minute, qu’est-ce que c’est que ça ? fit-il en tendant le papier à son frère, un doigt sur la troisième ligne.

Jake la lut et releva les yeux vers lui.— « OJLV bureau et char » ? C’est un travail

que je fais pour Oui Je Le Veux, la boîte d’Irène Cornwell, un échange de bons procédés. Elle nous prend moins cher pour le mariage et j’équipe son bureau de ce qui lui manque, étagères, vitrines

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et espace de rangement. Rien de bien compliqué. Comme vous vous connaissez déjà, ça devrait aller comme sur des roulettes.

Théo ne répondit rien et contempla la liste comme si elle était devenue hautement radioac-tive.

— Bonté divine, j’avais oublié cette histoire de char pour la parade du 4 Juillet, pépia Marla Jean. Ça va être amusant comme tout de le construire, et je parie qu’Irène va se déchaîner sur les déco-rations de mariage.

Théo n’avait pas la moindre idée de la façon dont on assemble un char mais une chose était sûre, il ne voulait pas en construire un pour Irène.

— Auras-tu un char pour le salon de coiffure ? préféra-t-il demander.

Marla Jean opina, enthousiaste.— Hooter et Dooley vont aider papa à en

construire un. Et comme nous serons à peine ren-trés de notre voyage de noces, Jake se contentera de décorer une de ses vieilles voitures pour son entreprise de rénovation. Il pourra saluer la foule depuis sa guimbarde. Oh, que ça va être drôle ! Tu n’auras qu’à monter avec lui, Théo. Ici, c’est toujours quelque chose, la parade du 4 Juillet.

Théo tourna la tête vers la fenêtre, par laquelle il put apercevoir l’enseigne Oui Je Le Veux de l’autre côté de la place. De grandes lettres blanches entou-rées de noir sur fond rose vif. En toute honnêteté, il avait cessé d’assimiler ce qu’on lui disait après s’être rendu compte qu’il allait devoir travailler avec Ree. Ça, ça n’avait pas fait partie du marché. Elle non plus, d’ailleurs, n’avait sûrement pas ima-giné que Jake chargerait son frère de ce travail car il était bien certain qu’elle n’aurait jamais accepté

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un tel échange. Mais peut-être n’avait-elle pas voulu faire d’histoires juste avant le mariage de Jake. Sans nul doute, elle allait attendre le départ en lune de miel des nouveaux mariés pour lui dire qu’elle se passerait de ses services.

— Prêts à passer commande ? s’enquit Nell, de retour devant la table.

— Et comment ! Je meurs de faim, s’écria Marla Jean. Pour moi, ce sera un double cheeseburger sans oignons et des frites de patates douces.

Son appétit légendaire, l’un de ses multiples charmes, fit sourire Jake.

— Je prendrai le steak de poulet frit, Nell.La seule pensée de devoir travailler pour Irène

lui ayant coupé l’appétit, Théo commanda la même chose que son frère. S’il ne terminait son plat, il pourrait toujours demander un doggie-bag pour Sadie. Furieux d’avoir laissé Irène lui gâcher sa journée, il lança tout à trac avant que Nell s’éloigne :

— Ça vous dirait de sortir ce soir, Nell ? Je ne suis pas encore retourné chez Lu-Lu depuis mon retour à Everson, et une petite soirée dehors me ferait le plus grand bien.

Nell plaça son crayon derrière son oreille, mit la main sur sa hanche et répondit en souriant :

— Vous faites de la télépathie, Théo ? Je comp-tais justement vous demander si vous n’auriez pas une petite envie de faire la fête ce soir mais vous m’avez prise de vitesse.

Il s’accorda une seconde de fatuité devant cet enthousiasme. Voilà ce qu’il lui fallait, prendre un peu de bon temps avec Nell. Avec n’importe qui, en fait, sauf Irène Cornwell.

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— Formidable. Dites-moi où et à quelle heure je passe vous prendre.

Elle lui écrivit son adresse sur une feuille de son carnet de commandes, la lui donna et repartit vers la cuisine.

Il la regarda s’en aller, puis refit face à Jake et Marla Jean.

— Dis-moi, Jake, si tu n’y vois pas d’inconvé-nient, il va falloir que j’emprunte une de tes voi-tures.

— Tu n’auras qu’à prendre Jasper. Les clefs sont à mon bureau. On passera les prendre après le déjeuner.

— Jasper ?— C’est la Jeep, précisa Marla Jean.Il se mit à rire.— Génial, alors. Parce qu’il semblerait que

Jasper et moi, ayons un rendez-vous torride ce soir.

11821CompositionFACOMPO

Achevé d’imprimer en Italiepar GRAFICA VENETA

le  28  mai 2017.

Dépôt légal mai  2017.EAN 9782290118504

OTP L21EPSN001453N001

ÉDITIONS J’AI LU87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris

Diffusion France et étranger  : Flammarion