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S O M M A I R E

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Notes et documents

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Chroniques et bibliographie*

Paraskevas K O N O R I vs. ( i i , y vetiilani h; n, 7in,

Comptes rendus

(X . de t LA M . İPŞİRI I et M . D . AI -1

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V . Ñ Í U T A F T C H 1 tkifÇS. B F L D K L A M I dique (L. B A Z I N ) , p. 2 9 2 : Tarih İncelemeleri Dergisi ( B . S.

M i . Osmanlı Impaı ( B . S A I N T - L A U R E N T ) , p . 2 9 3 : R. S C H W A B , The Oriental ı

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Emel ESİN

« E R E N »

L E S DERVÏS H É T É R O D O X E S T U R C S D ' A S I E

C E N T R A L E E T L E P E I N T R E S U R N O M M É

« S I Y À H - K A L A M »

Il semble que les sectes hétérodoxes turques, dont sont issus les ordres de dervis, apparurent très tôt, dans ce même I I e / V I I I e siècle où le Suit orthodoxe, Sakïk 'ul-Azdï de Balh (mort en H . 174/790) prêchait sa foi chez les Turcs bouddhistes du nord du Tohâr i s t ân 1 . Les deux tendances devaient aboutir, à des degrés différents, à un syncrétisme fusionnant les préceptes de l'Islam avec les réminiscences des cultures anciennes. On pourrait même parler, en ce que concerne les Turcs de l'Asie Centrale, de divers aspects d'une même culture pré-islamique. Car, les religions diverses existantes s'étaient influencées mutuellement, arrivant à des interprétations semblables de l'univers et de l ' humani té 2 . Cette interprétation était de tendance moniste, presque panthéiste, comme le résume un texte turc bouddhique qui voit une seule essence dans les diverses manifestations de l'existence (Bir tôzliig bolmïs). Le culte est-asiatique et universaliste du ciel, des astres, de la terre et des ancêtres s'était apparemment mélangé peu à peu aux doctrines diverses d'autres confessions (le bouddhisme, le manichéisme, la religion des mages, le nestorianisme, etc.), le tout dans une contexture astrologique.

Les Sùfï orthodoxes du Tohâristân, introduisirent dans la pensée turque leurs commentaires des doctrines du Prophète de l'Islam, tel

1 Çakik : SulamI, Tabakàt'us-Sûjiyya (Leiden, 1960), 55-58. Mission chez les Turcs, sources: E . Esin, A History of pre-Islamic and early Islamic Turkish culture (Istanbul, 1980), 165-66.

2 Sources: Esin, History, 136-46. Citation : G . Kara-P. Zieme, Fragmente tantrischer Werke in uigurischer Vbersetzung (Berlin. 1976), ligne 430.

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que le concept du fakr3, défini par Sakîk comme un dénuement qui implique non seulement la renonciation aux biens matériels, mais aussi l 'éradication de toute manifestation du monde dans le coeur du Sùfï. Le point de départ des sectes hétérodoxes fut aussi un commentaire des préceptes du Prophète, mais prit vite l'aspect d'une dévotion particulière pour le Calife ' A l i et ses descendants.

I . D E HÀRITH B. S U R A Y D J E T D E S S E C T E S HÉTÉRODOXES D ' A S I E C E N T R A L E J U S Q U ' AUX P R E M I E R S DERV1S T U R C S

Un contact des sectes hétérodoxes de l'Asie Centrale avec les Turcs a pu se produire au moment de la révolte des «faibles» (da 'if, opprimés), réunis autour du drapeau du Prophète par l'arabe Hàrith b. Suraydj4, en H . 117-28/735-45. Cette révolte était dirigée contre l'alliance tacite des Omayyades avec les princes locaux pour l'exploitation de l'Asie Centrale. Hàrith, vaincu, se réfugia dans les régions détenues par les Turcs non-musulmans du Tohàristân et de Transoxiane. Il y propagea l'Islam, mais aussi, probablement, la haine des Omayyades. Cependant l'indignation contre ceux-ci prit un autre aspect après le martyre de Zayd b. 'Alï b. Husayn b. 'Alî (l 'Imam Zayn 'ul- 'Àbidîn), en 122/ 740 à Kûfa, et de celui de son fils Yahya, en Asie Centrale même. Ce dernier événement eut lieu en Djûzdjàn (Gûzgân, au sud de Balh) en 125/743. Le corps décapité de Yahya (la tête ayant été envoyée à Damas) fut crucifié sur les remparts d 'Anbàr, capitale de Djûzdjàn, par le gouverneur Nasr b. Sayyâr. Les Iraniens et les Turcs (Halluh, Karluk ou Halac5 , ils étaient nombreux dans cette province qui, jusqu' en 119/737, dépendait des Yabgus turcs de Tohàristân) furent témoins du martyre de T'Alide. I l se trouvait aussi, dans la province, nombre de Sï'ï. L'indignation a pu alors se transformer en un attachement dont l'ardeur devait parfois aller jusqu'au culte de cette branche des 'Alides. I l est à remarquer que le fils de Hàrith b. Suraydj fut parmi les premiers à s'allier aux Sï'ï dans la lutte contre les gouverneurs des

3 Sulamï, 59. 4 V. Tabarï, Tàrih-uRusul wa'l-mulûk (Leiden, 1879-81), index, Hàrith b. Suraidj;

id., II , 1667-88, 1698-1716, 1770-74, 1820. 5 V. Minorsky, Hudùd'ulalam (London, 1937), 11 1. Tabarï, I I , 1949, 1960, 1963,

1974-75; I I I , 484, 1963. Id., index, Hasan b. Muhammad. Ibn Rusta, Al-A'làk 'un-nafisa (Leiden, 1892), 302. Pour un résumé de l'histoire de ces régions : v. E . Esin, «Tabarï's report on the warfare with the Tiirgiç», Central Asiatic journal, (Wiesbaden, 1973), XVII/2-4.

L E S DERVIS H É T É R O D O X E S T U R C S 9

Omayyades. I l s'était joint au mouvement d 'Abû Müslim, qui en 128-129/745-46 commença sous une forme sï'ï-'alide. Les partisans d 'Abü Müslim avaient inhumé le corps crucifié de Yahya b. Zayd. Mais, ce prosélytisme finit par aboutir à l'accession au califat des 'Abbasides. Cependant les Sï'ï d'Asie Centrale continuaient leurs efforts. Le drapeau hissé sur la lance d"Alï rassemblait les foules réunies au signal des feux allumés. Enfin, Hasan b. Muhammad, un petit-fils de Zayd, devait en 250/846 fonder au Tabaristàn (au sud de la Mer Caspienne) un État qui devint un centre « 'Alawî», selon le terme déjà en usage. C'est de là que devait s'étendre l'influence des 'Alides vers le nord, le long de la côte est de la Caspienne, au Djurdjàn et vers le Dihistân, alors contrée des O ğ u z 6 . La révolte des 'Alawî contre les Sàmànî en 308/920 partit du Djurdjàn et son chef, Layla b. Nu 'màn le Daylamï, était secondé par son page, le Turc Bars. Les Turcs7 étaient nombreux au Tabaristàn et au Daylam. Le souvenir de l'État 'alide semble évoqué par la généalogie attribuée à Hàdjî Bektas Velî, dit issu de la lignée de Zayn 'u l - 'Abidîn 8 .

Le mouvement d 'Abü Müs l im 9 semble avoir vite atteint un certain degré d'hétérodoxie à travers le rôle de Messie et ddmâm qu'on attribuait à celui-ci. Ishàk 'ut-Turk (le Turc) qui n'était pas turc, mais qui propagea la secte d 'Abü Müslim parmi les Turcs, se disait un descendant de Yahya b. Zayd. Originaire de Transoxiane, il se réfugia auprès des Turcs de cette région pour échapper aux poursuites du Califat. I l prêchait aux Turcs «le secret des Muslimiyya», l'attente de la réapparition de Zoroastre comme rédempteur. I l était illettré, mais disait avoir des pouvoirs surnaturels, les djinns lui étant soumis. Le représentant célèbre des Muslimiyya, Abu Hàsim Hakïm (ou b. Hakïm) 'ul-Mukanna', originaire de Merv, avait dû aussi s'échapper en Trans­oxiane, lors d'une bataille où les Muslimiyya furent vaincus. On prétendait qu'il avait alors perdu un oeil, ce pourquoi i l se cachait sous un «visage (masque) d 'or». Mukanna' disait que nul ne pourrait supporter son éclat sans perdre connaissance, car i l était la dernière

6 Sources : v. E . Esin, «Şûlîler», Islam tedkikleri Enstitüsü dergisi (Istanbul, 1980). 7 V. Ibn 'ul-Athîr, Al-Kàmil jït-Tàrih (Beyrut, 1387) V I I I , 123-24, 131. Muhammad

b. Hasan b. Isfandiyâr, Tabaristàn (London, 1905), index, noms cités. 8 A. Gölpınarh, Velâyet-nâme (Istanbul, 1958), 1-2. 9 Şahristânî, Bayàn ul-adyàn (Téhéran, 1342), 57-60. Ibn'un-Nadïm, Kitàb'ul-fihrist

(Le Caire, éd. non datée), 497. Ibn-u Hallikân, Wafayaful-a'yàn (Bulak, 1299), I I I , 264.

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incarnation de la Divinité, à la suite des prophètes bibliques, de Jésus, de Muhammad et d 'Abü Muslim. Ses fidèles prosternés l'ayant supplié de leur révéler son visage, i l aurait disposé un système de miroirs pour faire refléter sur lui une auréole de lumière solaire. Mais il avait aussi pris la précaution de faire servir aux fidèles (dont des femmes) des coupes de breuvage empoisonné qu'ils devaient boire au moment où i l ôtait son masque. S'agissait-il d'un usage inspiré par le calice de la messe chrétienne, ou de Yand10, la cérémonie du serment chez les Turcs? (Dans la version turque des rites de la coupe, le seigneur distribuait les coupes à ses vassaux qui les buvaient en jurant fidélité sur la lame dégainée.) C'est sous la forme de Yand que la cérémonie des coupes, contenant parfois de l'eau salée au lieu de vin, devait continuer chez certains dervis turcs.

Les Turcs 1 1 étaient nombreux dans la congrégation de Mukanna', sa garde turque étant sous les ordes de Kol Er Tigin. Le prince du Buhârâ, alors régnant, descendant «du roi turc» pré-islamique, avait aussi accédé à la secte de Mukanna'. I l fut tué par les soldats du Califat au cours d'une cérémonie des coupes dans son palais ancestral de Varahsa. Mukanna' devait même faire dévaster la Transoxiane par «le roi (malik) du Turkestan». Poursuivi par les armées du Califat, Mukanna' s'était retiré dans la région de Kes, au sommet d'une montage où s'élevait le château dont le nom turco-sogdien Indj-kent est cité par Kâsgarï. C'est là qu'il mourut, avec une suite féminine de fidèles, quand la forteresse fut sur le point de succomber. I l célébra alors, une dernière fois, la cérémonie des coupes, à nouveau empoisonnées. Aussitôt que les femmes qui les avaient bues s'affaissèrent, Mukanna' tua l'échanson complice et se précipita dans un brasier allumé. I l assura, semble-t-il, par cette apothéose, la continuité du souvenir de la secte d 'Abü Muslim dont l'épopée survécut, parmi les Turcs orientaux et occidentaux, jusqu'au X e / X V I e siècle.

Raff b. Layth b. Naşr b. Sayyâr, le petit-fils de ce Naşr qui en 1 0 And : E . Esin, Türk kosmolojisi(Istanbul, 1979), 55-71. Cf. A. Gölpınarlı, «Futuvvet,

İslam-Türk illerindeki teşkilât», İktisad Fakültesi mecmuası, XI/1-4 (istanbul, 1950). 1 1 Narşahi, Târih-i Buhara, éd. Schefer (Paris, 1892), 9, 60. L'ancêtre, le Buhàrhudàt

Bîdün, est désigné par Tabarî, I I , 169-70, comme Malik'ut-Turk. Istahrï, Al-Masâlik wa'l-mamâlik (Le Caire, 1961), 161, compte aussi les Buhàrhudàts parmi les princes turcs. Şahristânî, 59-60. W. Barthold, Turkestan down to the Mongol invasion (London, 1928), 199-201. Kâşğarî (Mahmüd), A'd-Dıvân-u lugät'it-Turk, éd. Atalay (Ankara, 1941-43), index, «İnç-kend». Turkestan oriental tardif: v. E . Blochet, «La Conquête des Etats nestoriens d'Asie Centrale par les Shi'ites», Revue de l'Orient chrétien, 25 (Paris, 1925-28), 37. Ottomans : I. Mélikoff, Abu Muslim Khoräsäni (Paris, 1962). V. aussi note 9 supra.

L E S DERVİŞ H É T É R O D O X E S T U R C S 11

125/743 avait combattu Yahya b. Zayd, dirigea en 191/806 une insurrection qui prit vite un caractère sî'î (la révolte avait été d'abord motivée par la rancoeur de Ràff, accusé d'adultère et f lagellé)1 2 . Râff s'établit à Samarkand et fit appel, d'après Ya'kübî, «aux gens de Sas (Taskend), Farğâna, Hodjanda, Usrüsana, Şağaniyân, Buhârâ, Hvarizm, Hut ta l» . «Les armées du Seigneur de Sas et ses Turcs», et celles des «Turcs Harluhiyya (Karluk)», (et même) des Tokuzğuzz et du Tibet, vinrent à Samarkand, à l'appel de Ràff. Selon Barthold, ces Tokuzğuzz seraient les Oğuz du Sïr-daryà, dont dérivèrent les Seldju-kides. Mais i l est à remarquer que Ya'kübî donne ailleurs le titre de Hâkàn au monarque Tokuzğuzz, ce qui impliquerait, à cette époque, les Uyğurs. Ya'kübî mentionne aussi que le Yabğu des Karluk, autre allié turc, avait en 164/780 accepté l'Islam. Un autre prince turc, 'Udjayf b. 'Anbasa, adhéra d'abord au mouvement de Ràff, mais se récusa en 192/807. La révolte fut réprimée en 194/809 et les armées turques non-islamiques se retirèrent de Samarkand.

Semblablement à la secte Muslimiyya, celle des «Vêtus de b l a n c » 1 3

(Bayd 'uth-thawb d'après Makdisî; Mubayyadï, selon Sam'anï, Sapïd-djàmagàn chez Hvarizmï) voyaient, d'après ce dernier auteur, un Messie en Yahya b. Zayd. Sam'ànï ajoute qu'ils arboraient un drapeau blanc, en opposition à celui noir des 'Abbasides. Les «Vêtus de blanc» étaient nombreux, selon Makdisî, «dans les campagnes de Hayàtila» (du pays des Ephtalites), une dénomination que Makdisî étend à toute la Transoxiane. Le «Hayàt i la» comprenait les provinces suivantes: Buhârâ, Usrüsana, Nasaf, Kes, Farğâna, Ispîdjâb, Sâs, Ilâk. Des popula­tions turques musulmanes vivaient dans toutes ces régions et étaient gouvernées par des dynasties turques1 4 à Üzkend (Farğâna), à Ispîdjâb (Sayram en turc), au Sâs (Taskend en turc). Les capitales de ces provinces furent les premiers centres de culture turque islamique. LTlâk (l'Ahan-garàn ou Angren moderne) coulait, selon Ibn Hawkal ( I V e / X e siècle), «au pays des Turcs» et la vallée voisine (Circik) portait un nom que

1 2 Tabarî, I I I , 707-708, 712-13, 718, 727, 729, 732, 773-77. Ya'kübî, Târih (Beyrut, 1379), I I , 397-98; 435-36. Barthold, Turkestan, 199-201.

1 3 Makdisî, Ahsan ut-takâsim fima'rifat'il-akalim, (Leiden, 1906), 261-62, 323. Sam'ànï, Al-Ansâb (Haydarabad, 1962-82), «Mubayyadï», Muhammad b. Ahmad Hvarizmï (H. 366-87/976-97), Mafâtih'ul-'ulûm, éd. G . van Vloten (Leiden, 1895), cité par Minorsky, 356.

1 1 Sources: Esin, History..., index, Sayram, Taşkend, Üzkend. Barthold, Turkestan, 156,163 (Sayram). V. aussi Ibn Hawkal, La Configuration de la Terre, trad. Kraemers-Wiet (Paris, 1964), 487 (Ilak). Minorsky, 357.

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certains lisent comme Turk, d'autres comme Parak. (Minorsky attire l'attention sur la multiplicité de noms turcs au I V e / X e siècle dans cette région). A u V e / X I e siècle, K â s g a r ï 1 5 nommait l'Ilâk actuel «le Fleuve de Banâkath» et le décrivait comme le fleuve par excellence des Oğuz, leurs villes et campements s'alignant sur ses rives.

Makdisï voyait dans la secte des «Vêtus de blanc du Hayâtila», des dualistes (zindik). D'après une h y p o t h è s e 1 6 , ces dualistes pour­raient avoir été en relation avec les Uyğurs et Oğuz manichéens du Turkestan oriental. Une telle possibilité serait renforcée par l'existence de la population Oğuz à l'Ilâk, d'autant plus que les prêtres manichéens étaient appelés en turc aussi «vêtus de blanc» (ürüng tonlug). Hâs, le frère de l'Afsïn Haydar b. Kâvûs, prince d'Usrùsana, un des centres des «Vêtus de blanc», avait été accusé en 226/840 d'être membre de cette secte. La dynastie des Afsïn turcs d 'Usrusâna, descendants de « H r a h r a » (Kara-Kara?), était originaire de «Ykânkent» , un centre manichéen turc au V I I I e s i èc le 1 8 . Mais l'iconographie des peintures du palais d 'Usrùsana ne révèle rien de manichéen. Par ailleurs, les recherches archéologiques effectuées le long des villes du fleuve Ahan-g a r â n 1 9 , où se trouvaient l'alignement des villes Oğuz, montrent des restes de monuments funéraires en forme de tente à coupole turque, mais contenant des ossuaires. Ce mode local de sépulture était couram­ment adopté par les Turcs des régions sud-ouest de l'Asie Centrale. Une statue de type funé ra i r e 2 0 turc (sïn/sin), également de cette région, représente un personnage imberbe, mais porteur de moustaches rappelant la description des Turcs, vénérant le Calife 'Alï, au I V e / X e

siècle.

La description des Turcs «'Alawî »/'Alevî vient d 'Abù Du la f 2 1 , un voyageur du I V e / X e siècle dont la véracité fut quelque peu mise en doute.

1 5 Kâşgari. fol. 4 L 1 6 H. Ecsédy, «Uigurs and Tibetans in Pei-t'ing», Acta Or. Acad. Scien. Hungaricae,

XVII (Budapest, 1964). G . Clauson, A Dictionary of pre-Thirteenth eentury Turkish, (Oxford, 1972), v. Ürüng.

1 7 V. note 13 sup. et Tabarï, I I , 1311. 1 8 Sources: E . Esin, «The Cultural background of the Afşin Haydar of Uşrüsana».

Akten des VII. Kongress fur Islam Wiss., Ahh. d. Akad. d. Wiss. (Göttingen, 1976). 128, 143.

1 9 V. note 14 sup. et Esin, His tory..., 137-38, pl. L X I V / a . Ossuaires : M. E . Masson, Axengeran (Taşkend, 1953), figs. 20-22. Sin : Clauson, s.v.

2 0 Masson, fig. 16. V. aussi note 21 infra. 2 1 Yâkût, Mu'djam'ul-buldân (Beyrut. 1376). I I I . 441-42. Z. V. Togan. ihn Fadlàns

Reischerieht (Leipzig, 1939), X X I V .

L E S DERVÎS H É T É R O D O X E S T U R C S 13

I l se trouve maintenant partiellement réhabilité par les études linguisti­ques. Abu Dulaf, qui fut envoyé vers la Chine en 331/942 par les Sâmânï, traversa divers pays turcs pour arriver, avant d'atteindre le Tibet, à la contrée des Bağrac. Ces Turcs, vêtus de feutres, imberbes, mais pourvus de moustaches, bons cavaliers et guerriers, étaient gouver­nés par une dynastie 'alide issue d'un fils de Yahya b. Zayd. Ils conservaient un Coran illuminé où se trouvaient aussi des élégies sur le martyre de Zayd b. 'Alï. Ils voyaient en Zayd le roi des Arabes et en 'Alï une incarnation de la Divinité. Ils priaient les paumes ouvertes, invoquant le ciel d'où 'Alï était descendu et où i l était retourné. Ainsi, peut-être, 'Alï se trouvait confondu avec Tengri, le dieu céleste turc.

Certains22 virent dans le nom Bağrac un dérivé du titre «Buğra» de la dynastie qui se nommait elle-même «Hâkânï Türk» (les Kara-hanides des historiens modernes) et conclurent que ceux-ci auraient pu avoir été manichéens et par la suite musulmans de confession sï'ï. A l'appui de cette dernière supposition on invoque aussi une affiliation, de nature miraculeuse, de la dynastie à 'Alï et à ses descendants dans les «Tedhkïr » (Mémorial) d'ailleurs très tardifs du Turkestan oriental. Mais certains ont aussi remarqué que le Hâkânï Satuk Buğra Han, qui adhéra le premier à l'Islam au début du I V e / X e siècle, avait aidé les Sâmânï à réprimer f 'Alawï Laylâ b. Nu 'mân , en 308/920. La connaissance plus poussée des textes des Hakânïs et de l'architecture de l 'époque montre aussi que, quoique révérant les 'Alides et élevant pour eux des monuments funéraires, les Hakânïs étaient des Sunnïs. On peut ajouter que Kâsğar était, avant l'Islam, surtout un centre bouddhique et que la littérature des Hakânïs reflète presque uniquement des réminiscences du Burkan (Buddha).

II . L E S P R E M I E R S ABDÄL E T DER VIS T U R C S

Le terme abdâl23 qui devait par la suite s'étendre aux ordres hétérodoxes, se présente encore avec une signification orthodoxe dans

2 2 Togan, Ihn Taiffi/î.XIV-XXILénumère la littérature en question, citant J . Marquart, dans Sitzungher. d. Preussischen Akad. d. Wiss., (1912), 494. V. aussi Blochet, 44 et M. F . Grenard, «La Légende de Satok Bughra Khan et Lhistoire», Journal Asiatique, (Paris. Janv. Févr. 1900). Évocations bouddhiques : V. Yûsuf Hâşş Hädjib, Kutudgu-hilig, éd. Arat (Istanbul. 1947). couplets 3563, 4336-40. Les monuments : Esin, History..., 190 et pl. cxv.

2 3 Yûsuf, c. 3563.

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Kutadğu-bilig, l'allégorie versifiée, composée en turc, en 460/1067, à Käsgar, par Yûsuf Haşş Hâdjib. Toutefois, l'influence du milieu, islamisé seulement depuis un siècle et demi, se fait naturellement sentir dans l'œuvre de Yûsuf. On peut citer, en relation avec notre sujet, la foi accordée à l'astrologie — péché majeur en I s l a m 2 4 — et les concepts cosmologiques. Les thèmes pré-islamique turcs 2 5 , influencés par les cultures de la Chine et de l'Inde sont bien reconnaissables. Ainsi Ananta-Sesa, le serpent cosmique, symbole du temps infini, de même que Kâla-cakra, la roue à la fois charismatique et meurtrière, à aspects anthropo­morphe et zoomorphe (cheval) du firmament, semblent avoir pris les noms turcs d'Evren, le dragon dont les contorsions feraient tourner la roue de l'Ecliptique et du cheval d'Ödhlek (la personnification du temps). Le vocabulaire des textes turcs bouddhiques et manichéens se retrouve aussi dans Kutadğu-bilig. La dichotomie universelle, reflétée dans le microcosme de l'être humain et exprimée par les termes et-öz (ego charnel) et köngül-tözi (essence de l'âme), dont le siège (littéralement l'œil : köngül-közi) est situé dans la poitrine, en sont des exemples. Les religieux pré-islamiques, le kam (shaman) et Veren ou er (le saint tantrique héroique, équivalent du sanscrit vira), se sont plus ou moins adaptés à la nouvelle religion. Le monde surnaturel persiste aussi. Tels sont le yek (démon), cause de péchés et de maladies, pouvant être exorcisé. Le cïvï(selon Clauson, corruption de daeva) de l'encyclopédiste contemporain Kâsgarï, un esprit qui nuitamment défend son territoire contre ses pareils, assurant ainsi la victoire du prince local, ressemble au kut charismatique. Le terme yd, qui indiquait le vent et les esprits aériens, élémentaux et autres, parfois sous forme de dragon (yd-biike), était pour Kâsgarï le pendant du djinn invisible arabe. Le yd est aussi maléfique et sujet d'exorcisme. Le concept de peri, rare avant l'Islam

2 4 Mehmed 'Ärif, Binbir Hadith-i şerif şerhi (Le Caire, 1319), Hadïth 28, 49, 798. 2 5 J . Dowson, A Classical dictionary of Hindu mythology (London, 1960), «Ananta».

V. aussi Atharva-veda, trad. P. Griffith (Varanasi, 1963C), hymne 53. Cf. Yüsuf, es. 110, 638, 1202, 1388, 1502 84. 1805, 4361-62, 4716, 4863, 5029, 5136, 5631, 5691, et «Evren» et «Ödlek», dans l'index de R. Arat-K. Eraslan-O. Sertkaya-N. Yüce, avec ces mêmes mots, cités par Clauson, dans Dictionary et dans l'index et les lignes 246 et 1112 de G . Kara-P. Zieme, Ein Uigurisches Totenbuch, (Wiesbaden, 1979). Er, eren : R. Arat, Eski Türk şiiri, ms 10, ligne 250; ms 15, ligne 45; ms 18, ligne 59. Cf. H. Zimmer, Myths and symbols in Indian art and civilization (New York, 1962), 576 (vira). Descriptions des yek : F . W . K . Müller, «Uigurica I-V», Sprachliche Ergebnisse d. Deutschen Turfan Forschung (Leipzig, 1972), 265-81 (Uigurica IV). Illustrations: v. note 71 inf. V. aussi Kâşğarî, Yil , Yil-büke et Kara-Zieme, Uigurisches Totenbuch, index, Yiil .

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(rencontré dans un texte manichéen sous la forme periken), est cité par Yûsuf, en relation avec Süleyman (le Salomon coranique, qui commande aux djinns, aux bêtes et aux oiseaux). Cela explique, peut-être, la transposition de la kinnari (oiseau à tête de femme) uyğure à l'art des Hàkânï, et la légende des Oğuz sur la femme-oiseau Perrï, mère du cyclope Depegöz, lui-même possesseur d'un œil frontal, comme les yeks26.

Comme les moines bouddhistes, ses congénères, l 'ermite2 7 musulman de Kutadğu-bilig, Odğurmîs, vit dans un ungiir (grotte) de montagne. Son bien unique (en plus d'un bâton et d'un vêtement «en laine de mouton» , bure ou peau) est une écuelle, qui rappelle aussi le pafir (pâtra) des textes bouddhiques turcs.

Mais l'auteur de l'allégorie est également instruit des commentaires que firent au I I e - I I I e / V I I I e - I X e siècles les Şûfis du Tohàristàn sur les biographies du Prophète. Le terme abdàl est expliqué par Yûsuf dans un sens conforme au fakr de Sakïk de Balh, comme étant celui qui a donné comme prix (badal) le monde pour l'au-delà. Certains détails sur Odgurmïs évoquent le passage dTbn Sa 'd 2 8 où le Prophète décrit «le serviteur de Dieu» qui doit vivre dans la condition du plus humble des serviteurs. Odğurmîs se nourrit d'orge et s'habille de laine rude, comme le sa "tr et le burd galiz du Prophète.

Aux V I - V I I e / X I I - X I I I e siècles, avec les invasions successives des Kara-Hitay et des Mongols, dont les maîtres culturels étaient souvent des Turcs (Uyğurs et autres) orientaux, bouddhistes (ou nestoriens)29, les influences du bouddhisme devaient augmenter. Le début de cette péné­tration s'observe même aux confins occidentaux du Turkestan, où fut composé le Divân-i Hikmet (recueil de poèmes, préceptes de sagesse mystique), l'œuvre versifiée d'Ahmed Yesevï (mort autour de 555/1160). L'authenticité de certains poèmes (Hikmet) fut à juste titre contestée et on a même pu établir les auteurs postérieurs. Mais on a remarqué.

2 6 Sources: Esin, History..., notes V/105-107, VI/44-45, pl. C l / a (art Hâkânide). Kinnari uyğure : A. Grûnwedel, Altbuddhistische Kultstaetten in chinesisch Turkestan (Berlin, 1912), fig. 30. Süleyman, dans les annales de derviş : Gölpınarlı, «Futuvvet», 322.

2 7 Yüsuf, couplets 4766-68, 5681. Patır : Clauson, s. v. V. aussi notes 3,23 sup. 2 8 Ibn Sa'd, A 't- TabakàCul-kubrâ (Beyrouth, 1386), I , 401, 458. Cf. Yûsuf, couplets

4765-67. 2 9 Kara-Hitays : O. Franke, Die Geschichte des Chinesischen Reiches (Berlin, 1925),

IV. 84-85 et K . A . Wittvogel-Fêng Chia Sheng-K. Menges, «Liao», Transactions of the American Philosophical society, X X V (1964), 670-71 et note 301. Uygurs : Barthold, Turkestan, 387-91 et id., Histoire des Turcs d'Asie Centrale (Paris, 1945), 100-103.

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simultanément que les disciples n'avaient fait qu'imiter leur maître. On a ainsi essayé de reconstituer le milieu culturel de Yesevï.

Le fond turc du mysticisme de Yesev ï 3 0 se manifeste, comme on l'a souvent noté, par des ressemblances avec les costumes locaux (comme la pelisse et le bonnet en peau de mouton noir) et les rites des kams (shaman), dans la liturgie rappellant les sons des tambours, le sema (les danses mystiques) et par le symbolisme de la coupe, semblable à celui de Vand pré-islamique. La coupe est offerte par l'initiateur qui, dans un des Hikmet, prend l'aspect de Satuk Buğra Han, le premier monarque hakànï, qui adhéra à l'Islam. Yesevï était contemporain des Hàkânï du Turkestan occidental et le premier monument élevé en son honneur était de l 'époque de cette dynastie.

Les apports d'autres religions pré-islamiques locales apparaissent dans l'évocation du Pîr-i Muğân (le Mage vénérable) comme initiateur. Le bouddhisme, ou la coutume des Uyğurs (en ce qui concerne les enfants), a pu inspirer le rite de raser le crâne des dervïs. Parmi d'autres souvenirs possibles du bouddhisme31, on peut citer les coutumes en rapport avec la méditation, le contrôle de la respiration — que l'on croit être une tradition léguée aux ordres dérivés par Yesevï —, certaines métaphores et formes littéraires concernant l'initiation et les austérités, comme la retraite dans un endroit sombre. Yesevï relie cette habitude à Ibrâhïm b. Adham, le saint de Balh, lui-même originaire d'un centre bouddhiste32 . La cellule souterraine où Yesevï se retira à l'âge où le Prophète mourut (63 ans) semble avoir été récemment découverte. Introduite en Turquie par le dervïs Yesevï que paraît avoir été Baba Ilyâs, la retraite dans l'obscurité se perpétua chez les Halvetïs. Enfin, le terme er/eren donné au saint héroique semble consacré dans les Hikmets.

Les apports du mysticisme du Proche-Orient33 se manifestent nom-

3 0 Sources: Esin, History..., 196-98. Le costume: F . Köprülü, Türk edebiyatında ilk mutasavmflar (istanbul, 1918), 42. And: v. note 10 sup. Satuk : Z. V. Togan, «Yesevtliğe dâir», Köprülü Armağanı (istanbul, 1953), 527.

3 1 Sources: Esin, History, 117, 195-98. Contrôle du souffle chez les Uygurs : Kara-Zieme, Uigurisches Totenbueh, lignes 309-17.

3 2 Ahmed Yesevi, Divân-ı Hikmet, ma copie manuscrite, Hikmet V I I , couplet 8 : Edhem bolub yir astığa kirdim, munal Retraite souterraine: Esin, History, 2021-202, pl. C X V I / a . Citation du «Halvet-nâme» de Baba Ilyâs: E . Esin, «Merkez Efendi ile Şah Sultan», Türkiyat Mecmuası, X I X (istanbul, 1980), 71-72 (Küçirek bir karanğu hâne bulgü).

3 3 Hidr: SulamI, 15. Futuwwa : Gölpınarlı, «Futuvvet», 1-11. Id. Şiilik (ist. 1979), 165. Mère et proches de Nâşiruddîn Lidînillah : Ibn'ul-Athlr, X I I , 623. Mukanna', and,

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breux, comme l'évocation de l'immortel Hidr, qui aussi octroie la coupe d'extase. À ce propos, on pourrait penser, comme Gölpınarlı, que les symboles de la coupe et de la ceinture, auxquels le Calife Naşir Lidînillah (575-622/1179-1225) devait donner un sens islamique et hiér­archique, sous le nom de Futuwwa, auraient des origines sassanides. Sans nier cette possiblilité, ou d'autres, on doit se souvenir aussi que les rites de la coupe remontent, pour les sectes hétérodoxes, à Mukanna' et que celles de la coupe, en conjonction avec le ceinturon, a un passé est-asiatique turc très ancien. Par ailleurs, ces symboles {and et kur) continuaient à être connus de Kâsğarî, un Turc de l'entourage des 'Abbasî, comme les prétoriens au service de Nàsir Lidïnillàh et comme sa mère, l'esclave turque Zumurrud.

I I I . L E S DER VIS HÉTÉRODOXES

L'ère de floraison des dervïs hétérodoxes, du moins l 'époque où l'on dispose de plus de documents sur eux, furent les V I - V I P / X I I - X I I P siècles, avec semble-t-il un flux de courants culturels venant de l'Asie septentrionale et orientale. Cette floraison fut peut-être causée par l'unification, sous les Mongols, de la Chine du nord et du Turkestan oriental, qui devait rester principalement bouddhiste jusqu'au X V e siècle, avec les régions islamiques du Turkestan occidental, du Horâsàn et du Proche-Orient. Temür Küregen (Tîmür, dans la forme persane) et ses fils aussi devaient finalement réunir les deux Turkestan, dans l'Islam, mais sans effacer entièrement les apports hétérodoxes.

On doit aussi citer, comme facteurs de syncrétisme, les courants idéologiques dont furent porteurs les baksïs/ba/jsïs34, plus tard islamisés, mais qui furent d'abord des kams ou des prêtres bouddhiques (ceux-ci experts en historiographie, architecture et iconographie canoniques), invités par les princes mongols régnants en pays islamiques. Les ba/jsïs bouddhiques, turcs et autres, introduisirent dans la culture turque-islamique de nouveaux apports de l'Asie orientale et septentrionale,

kur : v. notes 10,30 sup. et E . Esin, « Kur-kursak», Central Asiatie journal, XXIV/3-4 (Wies., 1980).

3 4 E . Esin, «The Turkish bakşı and the painter Muhammad Siyâh-kalam», Aeta Orientalia, X X X I I (Copenhaguen, 1970). Id., «Bakhshı», B. Gray, The Arts of the book in Central Asia (London, 1979). K. Jahn, Rashid al-Din's History of India (The Hague, 1965), 31-32, 75, 144, 147.

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en les transposant parfois, de façon à élaborer un nouveau syncrétisme. Ce processus est apparent dans VHistoire de l'Inde et du Bouddha dicté à Rasïduddïn, en 705/1305, par le bahsi Kâmalasrï. Brahma et le Bouddha Sâkyamuni étant présentés en prophètes monothéistes, leurs suites, l'iconographie évoquée et le milieu cosmique prennent, simultané­ment, des noms musulmans. Les concepts ainsi présentés furent facile­ment assimilés par le monde islamique. Les temples des bahsis et, plus tard, les bahsis islamisés devaient aussi contribuer à propager l'iconographie bouddhique. On peut essayer de donner quelques exemples.

1. L'espace et l'homme cosmiques, les symboles, les rites

R a s ï d u d d ï n 3 5 identifiait, comme Bïrûnï avant lui , le mont Kâf (le Caucase) avec le sommet d'or bouddhique Meru, entouré de sept mers et chaînes de montagnes, autour duquel tournaient les astres. Meru était le séjour des sages et des dieux où se trouvait, gardé par les dragons, le joyau fabuleux Cintâmani. Ce thème avait souvent été évoqué dans la littérature et l'art des Uyğurs bouddhistes36. Un poème du dervis hétérodoxe, probablement Kalandar (mais porteur de cornes en feutre, comme les kams), Baba Barak (mort en 707/1307), donne de Kâf, séjour des initiés, une description proche du Meru, avec sept mers, entourées de chaînes de montagnes et un joyau b r i l l an t 3 7 .

Le joyau dans son aspect d'amulette de jade {kas en turc), avec le symbolisme céleste que lui attribuent les Chinois et les Turcs, peut être comparé avec le tas, la pierre souvent semi-précieuse portée comme collier et emblème de pureté par les dervis Kalandar-Salmànïs.

Le Mont Meru, dans sa fonction d'axis-mundi, avait surtout été représenté dans les grottes-temples situées autour de l'ancienne capitale des Uyğurs, Koco, appelée plus tard Kara-Hodja. I l est à remarquer que les ruines de K o c o 3 8 avaient des liens particuliers avec les Kalandars

3 5 Kâf et Lokâloka : E . Sachau, Alberunis India (Delhi, 1964), i, 249. Meru : S. Beal, A Catena of Buddhist scriptures (Taipei, 1970), 44-45, 74-82.

3 6 J . R. Hamilton, Le Conte bouddhique du bon et du mauvais prince, en version ouighoure (Paris, 1971), fol. X X I X . Meru dans la peinture uygure : Grünwedel, Alt­buddhistische..., fıg. 604.

3 7 A. Gölpınarh, Yunus Emre ve Tasavvuf (ist., 1961), 264. C A S . Williams, An Encyclopaedia of Chinese symbolism (N. Y . , 1960), jade, Stone. Kâşğarî, index, Kaş. Annales des Kaİandar-Salmanîs : ms Or. 80, British Library, fols. 5, 141.

3 8 A. Grünwedel, Alt Kutscha (Berlin, 1900), 68. Id., «Berichte über archaeologi-schen Arbeiten, in Idikut-shahri», Abhandl. d. Bayerischen Akad. d. Wiss., X X I V / 2

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qui, comme certains ordres de la Futuwwa, comptaient dans leur généa­logie spirituelle les Sept-dormeurs coraniques. Koco était vu par eux comme la ville mécréante d'où les Sept-dormeurs s'étaient échappés, d'où son nom de Dâkiyânus-sahri (Ville de Décius, qui aurait pérsécuté les Sept-dormeurs). Grùnwedel attribue cette légende à une composition répétée dans les grottes-temples de Koco, celle de la parabole bouddhique de la «Maison en flammes», symbole du monde, duquel le Bouddha invitait ses enfants spirituels à s'échapper. Les enfants avaient été représentés au nombre de sept, avec les traits que leur donne l'art uyğur, le crâne rasé, à l'exception du toupet. Les dervis Kalandars se seraient reconnus dans ces traits et auraient considéré l'un des temples comme le tombeau des «Yiti Kalandar» (Les Sept Kalandars), un site islamique révéré. En tout état de cause, ils avaient adopté comme monastère d'anciens temples bouddhiques, ce qui suffit à expliquer l'existence de divers symboles bouddhiques dans la tradition des Kalan­dars. Ils avaient ajouté à la grotte Yi t i Kalandar une effigie du chien des Sept-dormeurs. Dans l'une des grottes-temple, autour de Koco (Bezeklik 2 5 ) 3 9 , on voyait, sur deux murs opposés, le Mont Meru, comme axe du macrocosme, composé des étages superposés des enfers, du niveau terrestre et de l'édifice céleste, d'un côté, et le buste de l'homme cosmique de l'autre. Celui-ci était auréolé du triangle, qui posée sur la base, devenait emblème de l'aspect terrestre du Bouddha cosmique. D'ailleurs, le bhâvacakra {togmak tïlganï en turc), la roue des cinq formes de naissances, était à la base du triangle. Le buste même de l'homme cosmique était en forme de triangle renversé, inscrit de pictogrammes astraux. Le triangle renversé était vu comme signe de la flamme purificatoire et de l'existence spirituelle du Bouddha cosmique. L'homme cosmique de la grotte 25 n'a cependant pas Yuşnişa des Bouddhas. I l porte la coiffure à bords (relevés) des dignitaires d'Asie

(München, 1905), 69-70, 159. A. Stein, Serindia (Oxford, 1921), 614 (Yiti Kalandar) et 618. «Maison en feu«: W. E . Soothill, Saddharma Pundarika (London, 1975), 89-90. Enfants Uyğurs : v. note 31 sup.

V. E . Esin., «The Cosmic man in Turkish texts and iconography«, Comm. à la XXVIL™ p e r m i m Altaistic Conférence, Bonn, 1984, sous presse. Notre pl. IV : v. E . Esin, «Muhammad Siyâh-kalam and the Inner-Asian Turkish tradition», Islamic Art, I, 1981 (N. Y . , 1983), fig. 345. Chapeau-couronne du Bouddha: J. Marshall. The Buddhist art of Gandhara (Cambridge, 1960), pl. 39. Kıdhılığ-börk turc, tàdj de derviş, zavrakça: E^ Esin, «Bedük-börk», Communications to the IXth Perm: Int. Altaistic Conf. (Napoli, 1970), pis. IB, I I I , VII , VII I . Gölpınarh, Velâyet-nâme, 114, 429. Evliyâ Çelebi, Seyâhat-name (Ist., 1938), IX , 273-74. 'Aşım, Burhàn-i Kàli' (Ist., 1287), Zavrakça. V. aussi notes 45, 47inf. '

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Centrale. Une telle coiffure avait aussi été représentée sur une peinture du V I I e siècle du Bouddha cosmique (pl. IV/3). La coiffure de la grotte 25 est ornée de la roue à cercles concentriques de la Loi (nomlug tilgen en turc), dans le style de l'art uygur, avec une croix au centre (le cercle avec une croix, indiquant les directions cardinales, était aussi, selon le symbolisme uygur, le mandala du Bouddha cosmique solaire Vairocana). Le cercle extérieur de la roue de la Loi se composait de douze rayons et disques, correspondant aux naissances successives du Bouddha. L'insigne de la conjonction du croissant et du disque solaire (kiin-ay, en t u r c ) 4 0 , ornant également la coiffure, était celui du sidi (siddhi: le sage accompli). L'homme cosmique de la grotte 25 pourrait être un bodhisattva ou un sidi, émanant des Bouddhas cosmiques révérés des Uygurs 4 1 , tels le Bouddha solaire Vairocana, ou le rédempteur de l'univers Maitreya, ou Lusanta / (Locanâ), dont les membres corres­pondaient aux sphères des éléments constitutifs de l'univers et à des lettres-syllabes symboliques. Le mudrà de l'homme cosmique, dans la grotte 25, ressemble à Yuttanja.

Sous ces aspects divers, l'homme cosmique des Uygurs bouddhistes évoque par ses attributs certains concepts des dervis hé t é rodoxes 4 1 . Djamâluddîn Sâvî, que l'on dit avoir été le fondateur des dervis Kalan-dars, voyait en Adam un être composé de tous les éléments de l'univers, dont la terre, en couleurs diverses, au nombre de celles des races humaines. Or, Rasïduddïn avait identifié Sâkyamani avec Adam, en tant que représentant de l 'humanité. Celui-ci ayant atteint la sagesse parfaite (radjul'ulkàmil) devenait halïfa (représentant des vertus divines). Cette remarque était relative au Mont Budh de Ceylan, où l'on pouvait voir les traces de leurs pas, de même que celles de l'immortel Hidr. Adam-Bouddha se trouvait donc être le premier d'une lignée d'hommes cosmiques et monarques universels du monde spirituel. Adam était doublé, ou suivi, de Hidr et d'autres (les Prophètes, dont Sulayman et le Calife 'Alî, les saints et dervis musulmans).

4 0 Kara-Zieme, Uigurisches Totenbuch, ligne 89-92, 694, 1194. Müller, «Uigurica II», 57. Ç. Tekin, Maytrisimit (Ankara, 1976), fols. 32-33. W. Bang-A. von Gabain, «Türkische Turfan Texte, V», Sprach. Ergeh, d. Deutschen Turfan Forschung, I I , ligne A/1, 15. L . D. Saunders, Mudrä, (N. Y . , 1960), 41-42. Kün-ay : E . Esin, «Kün-ay», Vil. Türk Tàrîh Kongresi Bildirileri (Ankara, 1972).

4 1 T. Yazici, Manàktb-i Cemâleddin-i Sâvi (Istanbul, 1972), 104-105. Jahn, Rashid al-Din, 31 (version arabe). Mont Budh: v. Jabarï, I, 81 et Ibn Batûta, A'r-Rihta, éd. Defrémery-Sanguinetti (Paris, 1858), IV, 181-82. Cf. Annales Salmânï, fol. 5 v. Sulayman : v. note 26 sup.

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On remarque d'autres similitudes42 entre les attributs de l'homme cosmique uygur et ceux des dervis, à commencer par la cakra (caki'r, tilgen, filgan, en turc uygur), dans ses aspects de mandala circulaire, de roue, d'emblème solaire et de lotus épanoui. Selon les dervis Kalandar-Salmânïs, le cercle (teğirmi) était l 'emblème du «juste» (şâlih) et la roue (cark) en pierre servant à aiguiser la lame avec laquelle s'effec­tuait la tonsure était l 'âme même de cet instrument qui marquait le crâne du symbole solaire, signe de la décapitation de l'ego animal du disciple (comme le sacrifice simulé du corps charnel, et-öz, du Tantrisme uygur). Pour d'autres dervis, la meule (qui transforme l'épi en nourriture spirituelle) se substituait à la roue. La roue de la Loi à douze sections, représentant les naissances successives du Bouddha, était assez semblable au cercle à douze sections, symbole des douze Imàms qui surmontait le «tâdj» (couronne: coiffure) des seyhs Kalandars (pl. IV/7). Celui des Abdâ l sé ta i t à cinq sections. Le kün-ay (soleil et croissant), emblème du sage turc tantrique et le mandala-mkok, cités dans un texte uygur, paraissent de même analogues au croissant et au soleil du monde spirituel qui selon Nadjmuddïn Kubrâ (fondateur des Kubrevï, mort en 1220), illuminait le miroir de l 'âme en méditation. Le geste semblable à un mudrà (en turc, tamga : sceau) par lequel le seyh, pendant l'initiation, allumait de la flamme de sa bougie celle du disciple, faisait aussi partie du cycle des symboles lumineux. Les dervis Salmânï-Kalandars se reconnaissaient par des gestes secrets (mühr : sceau).

Le triangle (renversé), emblème bouddhique du feu purificatoire (et mandala rouge du feu, chez les Uygurs) 4 3 , prenait une signification quelque peu analogue chez les dervis Kalandar-Salmanïs. Le mutlrallath (triangle) représentait la lame bifide, instrument de purification par la tonsure. La forme bifide (kos-bicak, ou catal) ayant été donnée par les Turcs à l'épée à double tranchants Dhu'l-fikar d"Alî, le mutlrallath en devenait un symbole. On reproduisait le mutlrallath, avec les deux

4 2 V. note 39 sup. Et-öz: Kara-Zieme, Uigurisches Totenhuch, lignes 1379-80. Cf. Salmânï, fols. 17 v., 70, 144, 144 v. Yazıcı, X I I . A. Gölpınarlı, Alevi-Bektaşi nefesleri (ist., 1963), 326. Tâdj des Kalandars : A. Gölpınarlı, «Kalenderiyye», Türk Ansiklopedisi (Ank., 1973), 57 (notre p l IV/7). Celui des Abdâls : Evliya, I X , 360 (v. notre pl. II/b : Bibliothèque Nationale, Arabe 6075, fol. 13 v.). Miroir: Kara-Zieme, Fragmente, ligne 1310. Nadjmuddïn Kubrâ, Fawaih 'ul-Djamâl wa Fawâtih'ul-Djalàl, éd. F . Meier (Wies., 1957), 24, 26, 31, 64. Tamğa : Clauson, s.v. Mühr (signe ésotérique de la main) : Salmânï. fols. 68 v.-69.

4 3 Kara-Zieme, Fragmente, ligne G/7. Salmânï, fols. 18 v., 141 v.

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index, en un geste ésotérique semblable au concept du mudràAA

bouddhique (en turc tanığa). Le muthallath était aussi nommé mihrab (niche de prière).

Le terme de mihrab, prêté à la lame de fer, ainsi que l'existence des armes symboliques des dervis turcs ÇAsïkïs, Haydarïs, Kalandar-Salmânîs et autres), rappellent le culte du fer et le serment {and) que leurs ancêtres prononçaient sur l'épée. Mais le thème plutôt lié à la tradition des maîtres bouddhiques tantriques qui, dit un texte uyğur, seuls connais­saient l'art de la fabrication des épées (magiques) en «fer excellent {ayâskanda)». Ces armes que l'exorciste uyğur maniait dans une auréole de flammes «semblable à un incendie», tout en maintenant le tamğa des deux poings réunis, étaient la lance, l'épée, la couronne, le vajra, le cakra, le poignard et le fouet «en fer flamboyant» {söngü, kilic, tàj, ver, ekr, bögde, ootluğ ternir berke). On retrouve chez les Salmânïs le cakra et l'épée déjà mentionnés, de même que la couronne4 5 qui paraît être vue, dans ce contexte, comme un emblème des Bouddhas semblable au cakra.

L ' é t e n d a r d 4 6 vajraketu des Bouddhas, dont la hampe recourbée était, chez les Uyğurs, ornée d'une tête de dragon, semble avoir survécu chez certains groupes d 'Abdâl, dans la forme recourbée à tête de dragon de l'emblème cögen et de la lance, surmontée d'un arc à dragons, dit être symbole de l'univers. La lance des seyljs Kalandar-Salmânîs portait, en guise de tuğ (étendard à queue de yak ou de cheval), la chevelure du dervis qui, coupée comme celle du Bouddha, symbolisait la décapitation de l'ego animal.

La couronne des dervis Kalandars et d'autres, une coiffure à bords qu'on pouvait relever (appelé alors zavrakca : petit bâteau : pl . IV/6), ou abaisser en calice de fleur (pl. IV/7), était le kïdhïlïg-bôrk t u r c 4 7 ,

4 4 V. note 43. E . Esin, «L'Arme à décor zoomorphe du guerrier turc», Protokoll-band d. XII. Tagung der Perm. Int. Altaistic Conf. (Berlin, 1974). Ayâskanda; Kara-Zieme, Uig. Totenbuch, ligne 896. Armes magiques : Bang-Gabain, lignes A/90-98. Cf. Salmânî, fol. 141 v. Kâşifi, Raşahât-u 'Ayn'il-hayàt, mon ms, trad. turque, datée H. 993, fol. 320. And et épée : Kâşğari, I, 361-62.

4 5 V. note 39 sup. 4 6 Vajraketu uyğur: E . Esin, «Tös and Monçuk», Central Asiatic journal, XVI/1

(Wies., 1972), 32-33, pl. VII/b. Çöğen : Kâşğari, s.v. Çöğen ottoman : v. note 73 inf. Arc à dragons ottoman, symbole de l'univers : no 548, Etnografya Müzesi, Ankara (inscription, sur l'arc, hissé sur l'étendard). Chevelure du Bouddha : K. Jahn, Die Indiengeschichte des Rashidal-din (Wien, 1980), 75. Tuğ des derviş: Salmânî, fols. 18 v., 141 v.

4 7 V. note 39.

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hérité des nomades anciens de Haute Asie. I l fut dépeint, en Asie Centrale (pl. IV/2,3) pré-islamique, comme coiffure des dieux, et après l'Islam, comme celle des archanges et des dervis. La coiffure attribuée à Sams de Tabrîz (pl. IV/6) en est l'exemple. Selon une tradition bouddhique, apparemment suivie par les dervis Kalandar-Salmànïs, la chevelure et la couronne du Bouddha (chez les dervis, celles d'Adam) se trouvaient au ciel.

Le respect manifesté par les Kalandar-Salmànïs envers le figuier48

(le ficus religiosa du Bouddha, bodi söğüt en turc), était expliqué par la charité de cet arbre qui avait couvert de ses feuilles la nudité d'Adam.

Le rite de nouer la ceinture {sadd) du disciple, dit aussi dérivé d'Adam, semblerait en relation avec des précédents turcs, le kurA9 (ceinturon, porteur d'armes) (pl. IV/ la ) étant le signe du rang de héros {er, eren, terme étendu aussi au dervis). La ceinture exprimait aussi une servitude envers un supérieur. La signification martiale de la ceinture est révélée, dans la chronique des Kalandar-Salmànïs, par des passages où «l 'ange», ou le djinn de la planète Mars, président à la cérémonie du lien noué.

D'autres passages de cette chronique décrivent les relations des ordres de dervis avec des groupes professionnels, attestés chez les Turcs depuis le V e / X I e siècle {kutus des ws-artisans et autres)50 . Les fondateurs des groupes (personnages historiques ou imaginaires) et les noms de ceux qui lièrent leurs ceintures sont longuement énumérés. On sait, par ailleurs que, comme les moines tantriques uyğurs, les Kalandars et autres dervis avaient des prédilections pour certaines matières, telle la pierre et l'argile dite substance d'Adam (certains dormaient avec une brique sous la tête). Spécialistes des travaux de l'argile, les dervis d'Asie Centrale étaient aussi, souvent, menuisiers, ou tanneurs (à nou­veau, comme les moines tantriques).

Bien que le fondateur anachorète des Kalandars se fût nourri d'herbes, la communauté, les yol-kartas réunis par un yol-ata (frères et père dans « la voie »), s'établissait autour du kazan, le chaudron où l'on cuisait le helva (plat de farine, beurre et m i e l ) 5 1 . Les suf'ras (sac de provisions,

4 8 V. Drevneturskiy slovar (Leningrad. 1969), Bodi. Cf. Salmânî, fol. 47 v. 4 9 V. Esin, «Kur-kurşak». E r : v. note 25 sup. Cf. Salmânî, fols. 11,13,13 v. 5 0 Kutu, us : v. Clauson. Esin, «Bakşı», 92-94. Cf. Salmânî, 56 v. - 65. Yazıcı, 56-57.

Gölpınarlı, «Kalenderiyye». Djâmî, Nafahàt 'ul-uns, trad. turque, Lâmi'î (Ist. 1289), 381. Navâyï, Nasàyim 'ul-muhabba, éd. K. Eraslan (Ist., 1979), 393.

5 1 Helvâ : Yazıcı, 47, 48. Salmânî, fols. 45 v., 53, 68. Şofra : v. Agâh b. Şâlih Islambolî, Esrar-ı tàc ve kemer, ms. de la Bibliothèque Koyunoğlu, à Konya, daté de H. 1318.

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en cuir) noués autour du cou lors de l'initiation s'alignaient autour du yol-ata. Chacun offrait une bouchée à son voisin. Suivaient les «Hui t rondes» (Sekiz-devràn) et les danses extatiques, aux sons de divers instruments de musique et des cloches, celles-ci attachées parfois aux genoux des Kalandars. Le bâton à cliquetis (cliquetis provoqué par des anneaux métalliques) du moine errant bouddhique (khakhara), appelé carpara par les dervis (pl. IV/17), faisait partie de l'orchestre. Le rythme de ces danses nous a été gardé par le refrain (lon-pay-lonp) d'un poème de Baba Barak. Le fait que la coupe ne contenait pas toujours de l'eau salée est révélé par le terme daskara (lieu ou les 'Adjam — les non-Arabes — buvaient du vin et chantaient), donné au lieu de réunion de la Futuwwa. Le poème du Kalandar et barde turc oriental, Haydar Tilbe (l'Extatique), décrit la liqueur (peut-être mystique) qui, comme dans les cérémonies de Vand, était octroyée par un supérieur :

«Le sage ermite intronisé

M'a enivré par une seule goutte. (Ma substance) de terre obscure devint une coupe Il daigna me dire : Lève-toi ! Voici le jour de manifestation du Turc dans l'univers.

Chante, selon la tradition turque, Joue, au mode juste, le kopuz (instrument à cordes)»!

2. Les subdivisions

La répartition, à un plan cosmique, du panthéon bouddhique d'Asie Centrale semble également trouver des analogies dans celle des subdivi­sions des ordres de dervis hétérodoxes turcs. Selon un texte bouddhique t u r c 5 2 , autour d'un Bouddha, vu comme axe universel, rayonnaient dans les huit directions (quatre cardinales, quatre intermédiaires) des

Instrument de musique kullatayn: Salmânï, fol. 46. Autres: Vahïdï, Manâktbt Hvace-i Cihän, ms T. 9504 de l'Üniversite Kütübhänesi, Istanbul, fols. 18 v., 19 v., 21, 44, 52-53. Khakhara : W. E . Soothill - L . Hodous, A Dictionary of Chinese Buddhism (Taipei, 1968), s.v. Forme uygure : A. von Le Coq, Chotscho (Berlin, 1913), pl. 40/a. Notre pl. IV/16: Çarpara, Islambolï. Baba Barak : Gölpinarh, Yünus Emre ve tasavvuf, 264. Daskara : Gölpinarh, «Futuvvet», 223. Tilbe : R. Arat, «Zu einer Schriftmusterhandschrift», Ural-Altaische Jahrbücher, X X X I I I / 3 - 4 (1961), vers 6-11.

5 2 Bouddhisme: W. Radloff, Tiçastvustik, (Osnabrück, 1970). E r : v.n. 31 sup. Cf. Djâmï, 41-42. Gölpinarh, Yünus Emre Divâni, 18, 20, 139.

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alignements hiérarchiques d'êtres surnaturels et de figures religieuses : divinités astrales, indiennes, tantriques et autres, dragons, êtres com­posites, les gardiens des directions cardinales (en turc, közetici : voyants) et leurs suites de er (héros, terme aussi employé pour les moines et dervis) ; les porteurs d'étendards (orungut), les démons (yek), les religieux et les nonnes. Une répartition assez semblable se trouve aussi chez les dervis. Uabdâl, considéré comme Kutb (Pôle) de son époque, est entouré de deux adjoints, puis de quatre avtàd (mot arabe : pieux), placés aux direc­tions cardinales. Ceux-ci sont aidés par des gözci (mot turc ottoman : autre forme de közetici), au nombre de sept, de quarante, puis de trois cents, et de leurs serviteurs démoniaques (div, mot persan, équivalent de daeva et de démon, chez Rasïduddïn). L'épithète abdàl, connu des Turcs au X I e siècle, semble s'être dédoublé, déjà à cette époque, en Kalandar5 3 . Les Kalandars cultivaient, comme l'Abdâl turc du X I e

siècle, le concept de fak r (dénuement matériel et abstraction du monde). Semblables aux Malàmï, ils cachaient leur sainteté, de crainte d'attirer l'attention de la foule, et négligeaient même, du fait de l'extase, les prières surérogatoires (sunna). En ce qui concerne les Turcs d'Asie Centrale, un saint de type Kalandar-Abdàl apparaît , aux V P - V I I e / X I I e - X I I I e siècles, dans la personne de Kutbuddîn Haydar 5 4 (mort en 618/1221), fondateur de l'ordre Haydarı. I l a été décrit par Nizàmuddîn Awliyà de Delhi (636-735/1238-1325), par Navàyï et d'autres, sous des traits saisissants. Ce «Turc» (selon Nizàmuddîn), «fils d'un roi du Turkestan et disciple de Yesevï» (d'après Navàyï), enclin aux mortifi­cations extrêmes, avait été envoyé par son maître au Horàsàn (où i l avait quitté le Turkestan, au moment de l'invasion mongole). I l était considéré Kutb (Pôle de l'univers spirituel). I l était, disait-on, «un rind qui ne se souciait ni de l'incrédulité, ni de l'Islam, ni du monde» (l'épithète rind indiquait aussi, à l'origine, un saint qui, pour échapper à l'adulation, cachait sa vertu et feignait le péché). La tombe de Kutbuddîn Haydar se trouvant à Zàva, près de Nîsàpùr, ce lieu prit le nom de Turbat 'ul-Haydarï. Les Haydarı, sinon Haydar lui-même, portaient des colliers et des bracelets de fer aux bras et aux jambes

_ 5 3 Abdàl: v. ns. 23, 27 sup. Kalandar: Gölpınarh, «Kalenderiyye»; Djâmï, 20: 'Aşım, II , 308.

5 4 Navàyï, no 612. Kh. A. Nizami, Religion andpolitics in India, in the I3th century, (Aligarh, 1961), 286. Gölpınarh, «Kalenderiyye», 158. Id., «Haydarîler», Türk Ansiklope-<fei'(Ank., 1970), 104. 'Aşım, Rind. Vahïdï, fols. 42 v. - 43. Peinture du ms 211, Musée de Srinagar.

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et un anneau à l'urètre (en signe de chasteté). Les couteaux et lames des Haydarı sont aussi mentionnés par Vahidi en 929/1522. Les colliers, les bracelets, la ceinture en fer, les pendants d'oreille en feutre, ainsi que le crâne rasé (à l'exception d'un toupet), étaient le symbole de l'assujetissement de l'ego animal à ' A l i . Haydar et ses disciples auraient cependant gardé la moustache. Une peinture de manuscrit du Cachemire montre Sams de Tabrïz sous un aspect proche des Haydarî, mais aussi des dervis Djâmï qui portaient la moustache et les cheveux longs.

Un autre groupe d'Abdâl, appelés diversement Kalandar5 5 , Kalandar-Salmânï, Rind, 'Ussak (les Extatiques par l'amour de Dieu), 'Uryân (les Nus), Djavâlika (les Vêtus de bourre), Isïk (Lumière) semblent s'être formés au X I e siècle. L'un des fondateurs, Djamâluddïn Sâvï, aurait vécu entre 382-463/992-1070 et un de leurs maîtres, Baba Tâhir 'Uryân, mourut en 401/1010. Sâvï, dans son zèle de dépouillement, s'était entièrement dénudé, comme Adam, la tête étant tonsurée, le visage rasé, les cils et sourcils épilés. I l devint «brillant comme le soleil». I l se nourrissait d'herbes et se couvrait de feuillages. Le figuier qui, selon les Kalandars, aurait couvert la nudité d'Adam, était peut-être en relation avec cette épisode. Sâvï et ses disciples, vivant dans les cimetières et apparaissant dans un état de nudité en milieu islamique, furent hués. Ils se vêtirent alors d'abord de capes faites de cheveux humains de diverses races (en signe de l'universalité humaine), puis de pagnes et d'écharpes. C'est probablement l'état où ils se trouvaient au début du X I I I e siècle, quand ils se propagèrent d'un bout à l'autre de l'Asie. Un texte daté 683/128456, mais qui se réfère à l'année 611/1214, décrit la propagation des Kalandar «des frontières du Türkistan, d'Almalïk (Turkestan du nord), de Besbalïk (pays uyğur), de la Transo-xiane, du Horasan, de l 'Träk, de l 'Adharbäydjän, de ROm (Anatolie), de Säm, jusqu' en Égypte et au Mağrib». Ces Kalandars cependant n'étaient pas, disait-on, ceux d'autrefois, mais des imposteurs qui se déguisant sous un nom vénéré se livraient à l'ivresse, aux stupéfiants et aux vices. Leur secte rappelait celle des «bouddhistes (but-parast),

5 5 Yazıcı, X I I , X V I I , 32, 35, 47, 50, 60-62, 70, 74, 76, 86. Salmânï, fols. 2, 47 v., 50, 80. Gölpınarİı, «Kalenderiyye», 159. Işık : Peçevï, Târih (Ist. 1283), I, 120. Abdäl : Evliya, X, 273-74, 791 (Salmâni-Süleymânî). Tanıkları ile tarama sözlüğü, I (Türk Dil Kurumu, 1963), s. v. Turkestan : D. Ross, Mirza Haider Dughlat's Tärikh-i Rashidi (London, 1895), 10, 15, 63.

5 6 O. Turan, «Selçuk Türkiyesi dîn târihine dâir bir kaynak», Koprulu Armağanı (ist. 1953), 532, 556, 560-61. Cf. Djämi, 20.

L E S DERVİŞ H É T É R O D O X E S T U R C S 27

des adorateurs du feu, des Zindïk (Dualistes)» et n'était la protection des Mongols, on ne les aurait pas tolérés en terre d'Islam. Cependant, certains étaient bien vus dans des milieux mystiques qui pénétraient au-delà des apparences et attribuaient les écarts à l'extase.

A u V I I P / X I I F siècle, les dervis hétérodoxes turcs étaient nombreux en Inde, quelques uns étant venus à la suite des sultans turcs de Delhi et dans leur entourage57. Le dervis, dit mulhad (hérétique, ne croyant pas au jugement dernier), Nùr Turk avait une réputation de grande austérité et de sainteté. I l refusait les dons de sa compatriote, la Reine Ràdiya et avait été, en 634/1236, à la tête d'un mouvement insurrectionnel de schismatiques, composé surtout de l'Ismà 'iliyya. Nùr Turk semble représenté sur une peinture de manuscrit indien des X V I e -X V I I e siècles, avec les cheveux longs et la tonsure des Kalandars, portant la cape chevelue attribuée à cet ordre, sous le nom Hadrat-i Nùr ' A l i Kalandar (pl. I l /a) . Le Haydarî nommé «Sultâni dervis» était un favori de Tugri'l, gouverneur du Bengale jusqu'en 680/1281. Tugrïl avait, par estime, fait changer les bracelets de fer du dervis en bracelets d'or. Un autre, Seyyid Abù Bakr Tûsï Haydarî Kalandarï, appelé «le Faucon blanc», commandait la garde de dervis Kalandars, réputés impies et violents, dont s'entourait Arkalï Hàn en 689/1290.

Les contacts des dervis du Turkestan avec non seulement l'Inde, mais aussi avec le «Hi tày» (terme désignant alors la Chine et les pays turcs non-islamisés) et Màcïn (la Chine proprement dite), expliquerait un passage de Rasîduddïn où les ascètes indiens sont décrits «vêtus comme des Su f ï s» 5 8 . I l pensait probablement aux dervis Kalandars qui, à la cour des Ilhàns de Perse, s'entremêlaient aux kams (shamans) et bahsïs bouddhiques (des Uygurs, des Chinois, des Indiens, des Tibé­tains) 5 9 . Le nom de baltsi était même étendu à tous, car ils avaient

' 7 Nizami, 286-97. Notre pl. Il/b : peinture indienne, X V I e siècle, dans ma collection. ' 8 Jahn, Indiengeschichte, 75. Derviş étrangers : Navâyï, Keşliğ Ata, Zahhâd Han

(Hitay). Kâşifi, 203 (Baba Mâçîn); id. 32İv. (Inde). Signification de Hitay : Ross, index, s.v. et Uighuristan.

5 9 Jahn, Rashid al-Din, X X X I I I . B. Spuler, Iran Mogolları, trad. C . Köprülü (Ank., •957), 200-225. Bakşıs uyğurs : Esin, «Bakşı», 91-93. Nos pis. I/a,b : Grûnwedel, «Berichte», I, 168-71. Pis. III/a,b : Esin, «Bakşı», pl. V/6. Tibétains: A. Grûnwedel, Obzof sohraniya Lamaiskago kul'ta (Osnabrück, 1970), fıg. 25. Taoistes : Williams, « Eight ımmortals», no 8. Derviş : v. notes 37, 38, 47, 50, 51, 53, 59, 76. Ossements : Evliya, X , 247. Makrïzï, Al-Mâwa'iz wa'l 'i'tibâr bi dlıikr il-hitat (Le Caire, H. 1270), I I , 342 (Kalanders). Kâşifi, fol. 321. (Kalandar). Navâyi, 234 (Muhiy, disciple de Baba Süngü). Gölpınarh, «Kalenderiyye», 160.

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beaucoup de traits communs. En particulier, les Kalandars étaient fort semblables aux ùaÇiA tantriques uygurs (pis. I/a,b) et tibétains, de même qu'aux ermites taoïstes. Les baksïs étaient tous vêtus de pagnes et d'écharpes. Comme les moines tantriques uygurs (pl. I/b), dont ils avaient adopté les temples (à Koco, capitale uygure), les Kalandars s'ornaient de colliers et de bracelets, quelquefois en os (os humains chez les bouddhistes tantriques, tibias d'animaux sacrifiés, chez les Kalandars), s'asseyaient sur, ou s'habillaient de peaux de félidés, (pl. I/a). Les baksïs tantriques uygurs (pl. I/b), comme les Kalandars, dan­saient en état d'extase.

Cependant, dans les pays arabes, les Kalandars étaient parfois obligés de laisser pousser leur barbe et de cacher la tonsure «solaire», sous la coiffure-couronne, à fleur solaire rayonnante, (Àftâbï), dont les plus appréciés étaient distribués par un Imâm du Horâsân. Dans les pays plus froids, les Kalandars adoptaient le kepenek (ample manteau en feutre lourd) des bergers turcs (lubàda, en arabe, namad en persan) (pl. I l l / a ) . Tel était d'ailleurs le costume des kams, au moment où ils n'étaient pas occupés par leurs fonctions. Les kepenek et chapeaux des Kalandars étaient parfois ornés de franges, comme les vêtements de cérémonie des kams. (pl. I l l / b ) .

Quelques informations sur les Kalandar-Abdâls du pays uygur reflè­tent les événements des V I I I e - I X e / X I V e - X V e siècles. Le cingizhanide Tugluk Temùr (748-64/1347-63) s'était converti à l'Islam, de même que les gens d'Aksu, sa capitale60 . Mais le pays uygur était, en 822/1419, surtout bouddhiste et on y faisait encore des monastères et des statues. I l s'y trouvait aussi des musulmans et des ordres de dervïs, comme en témoigne le nom de Sùfi Ata, près de Kara-hoca (le Koco des Uygurs bouddhistes). Un Sayyid ('Alïde), venu de Tirmidh, y avait établi un langar (ancre, monastère de dervis).

Les détails de l'existence des Kalandar-Abdâls en pays uygur provien­nent de la biographie du cingizhanide Dost Muhammad (866-73/1462-68) qui, sous le nom de Sams-Abdâl (l'Abdâl-Soleil), s'était affilié à leur ordre. I l était dans un état constant d'ivresse et avait été déclaré renégat, ayant épousé une femme de son père.

Les grottes-temples bouddhiques, où les Kalandars du pays uygur avaient établi leurs couvents, dont celui des «Yiti Kalandar», nom par

6 0 Ross, 10, 15, 63, 88-90. Abrû (Hâfiz), extrait du Zubdal 'ut-tawârih, par K. M. Maitra (N. Y . , 1970), 13-14. Cf. Blochet, 44.

L E S DERl IS H E T E R O D O X E S T U R C S 29

lequel les Kalandars se trouvaient identifiés avec les Sept-dormeurs, ont été déjà décrits.

Les Kalandars semblent avoir voué un attachement spécial aux Sept-dormeurs, car ils avaient aussi un monastère de ce nom à Taraz, dans le Turkestan nord-occidental (un Sayh Abü'l Hasan ... Tarazï est men­tionné dans la chronique des dervis Kalandar-Salmànïs, comme étant l'auteur d'un récit abrégé de l'ascension du Prophète). Un dignitaire mogol (duğlat) s'était affilié au monastère des Kalandars de Taraz, prenant le nom dCUstur (Chameau) ou Astar-Abdàl. I l est cité comme patron des guerriers dans la chronique des Kalandar-Salmànïs. Le monastère de Taraz portait aussi le nom de Memleket Ata (Père du pays).

La grotte bouddhique où les Kalandars du pays uygur s'étaient établis était une grotte tantrique, d'où peut-être les parallélismes entre les baksïs tantriques et les Kalandars (au moins parmi les Uygurs). L'existence du langar 'alavï, également près de Koco, de même que les nombreuses évocations des Imâms 'alides (particulièrement Dja 'far 'uş-Şâdik) dans les Tedhkïrs (Mémorial des saints), écrits au Turkestan oriental un siècle plus tard, donnent une indication sur le type d'Islam pratiqué par les Kalandars uygurs. Ils pouvaient avoir eu des sympathies pour les 'Alides, comme certains Kalandars d'autres régions et comme leur congénère Malik B a k s ï 6 1 .

A l 'époque des dynasties issues de Temùr, les Kalandars turcs devin­rent nombreux au Horâsân. A partir de 1369-80, l'annexion progressive par les fils de Temùr du Turkestan nord-occidental et oriental avait réveillé leur intérêt pour ces contrées appelées Hitay, du fait que les Cingizhanides régnants étaient vassaux de la branche ainée qui régnait en Chine. («l 'Uyguristàn» était de ce nombre). Ces pays avaient de plus l'attrait d'être en contact avec la Chine dont l'art était très admiré. Ce fut la période ou Uluğ-Beg étudia l'astronomie uygure6 2 et où les, manuscrits turcs furent rédigés en caractères uyğurs, avec des illustrations inspirées parfois de l'iconographie bouddhique. Navàyï, fils d'un baksï uygur de Heràt, protégeait ses compatriotes, de même que les Kalandars. Il ne put cependant sauver de la colère du Sultan Husayn Baykara son neveu, le Kalandar Haydar. Celui-ci, vêtu seulement d'une peau de

6 1 V. note 71. Ulug Beg : L . Bazin, Les Calendriers turcs anciens et médiévaux (Lille, 1974), 601.

Inspiration iconographique: note 70 inf. Haydar: H. T. Hofman. Turkish Literatüre (Utrecht, 1969), V, 261-62.

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tigre, rassemblait les foules de Herat dans son monastère et se proclamait monarque. Ce poète lunatique (pseudonyme : Şabühî) fut exécuté en 905/1499.

C'est du Horasan qu' étaient arrivés au Cachemire, en 892/1486, les dervis Kubrevï, affiliés à Nadjmuddïn Kubrà, mort en 617/1220, et dont le symbolisme solaire a déjà été m e n t i o n n é 6 3 . Ils faisaient partie d'une ambassade envoyée du Horàsàn par le Sultan Husayn. Sont mentionnés Ismà 'ïl Baba (titre de dervis turc) et ses successeurs, dont Baba 'Alï Nadjdjâr (le menuisier), ainsi qu'un certain Sams-i 'Irâkï. Ils s'établirent dans un grand monastère bouddhique abandonné et on leur attribua des pouvoirs ésotériques. Mais c'est surtout Sams-i Tràkï qui se trouvait accusé de propager une hérésie, dite samsi, ou sammâsi, caractérisée par un culte du soleil, allié à la vénération des Imâms descendants d"Alï. Cette secte devait être bannie en 953/1546.

3. La soumission de «l'âme animale» {rùh i-hayvànî)

Selon le taoïsme et le bouddhisme tantrique turc, comme d'après la littérature des Şü f i s 6 4 , le sage héroique {eren), qui avait su sacrifier les instincts attribués à la nature animale, pouvait soumettre les autres créatures, considérées bestiales (les bêtes, comme les démons et les êtres humains dévérgondés). Les bêtes et les démons pouvaient alors prendre l'aspect d'emblèmes, de véhicules, ou d'auxiliaires dans la lutte contre le mal. Ainsi, le dragon, véhicule ailé des sages taoïstes et des moines bouddhiques, converti par le Bouddha, continuait son existence dans les récits des dervis Kalandar-Salmànïs sous l'aspect du véhicule d'Adam dans son vol vers le Mont Budh de Ceylan6 5 . Le félidé, symbole bouddhiste et taoiste du courage du guerrier et du saint, prenait chez les bouddhistes turcs la forme de Y arslanlig-örüng (le trône aux lions) des bouddhas, des rois-gardiens, châtieurs de démons, ou celle

6 3 Ross, 436-37.Hasan Kahvyhâm, Târih-iKaşmir (Srinagar, 1954), I, 304, 348, 430-32; II , 211-12, 220-23, 241, 254-55. V. aussi note 42 sup.

6 4 Réincarnation bestiale : S. Çağatay, Altun-yaruk'lan iki parça (Ank. 1945), VI , 15-20. Apparition bestiale: Kâşifi, fols. 152-162; Salmânî, fol. 11. Dragon: Grûnwedel, Alt-bouddhistische..., index, Drache; Salmânî, fol. 48.

6 5 Taoistes : E . T . C . Werner, A Dictionary of Chinese Mythoiogy (N. Y . , 1961), 60-62. Uygurs :Drevneturskiyslovaf, Arslanlığ; Grûnwedel, «Berichte... », fig. 161. Dharmapâla : Le Coq, Chotscho, pl. 32. Derviş : Djalâluddîn Rûmî, Mathnavi, éd. Nicholson (Leiden, 1944), VI , vers 2126-90. Gölpınarh, Yûnus Emre ve tasavvuf, 18-22, 264. V. aussi note 64 sup.

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de la peau de tigre, vêtement ou tapis des baksï tantriques (pl. I/a). A l'instar de Manjusrï, le dervis ayant maîtrisé les passions animales chevauchait le lion, brandissant, en guise de fouet, un serpent (l'arme des dharmapâla dans l'art des Uygur). Comme dans le cas du baksï tantrique uyğur, le vêtement, ou le trône du seyh était la peau de tigre.

L'exorcisme se présentait également en Haute Asie sous des formes analogues, avant comme après l'Islam. I l pouvait se faire par l'ascendant moral du sage, ou par la bataille, telle celle menée, avec des armes magiques, par les kams turcs ou autres66 , ou par le moine tantrique uyğur, contre les démons. C'est ainsi que Mardâvïc, prince du Tabaristân (mort en 324/934), qui se comparait au Sulaymân coranique, inclus commes monarque universel dans la lignée de la Futuwwa, gouvernait les Turcs à son service, considérés comme des i//7wu-artisans, en les mena­çant de violence. Le poète de Kuladgu-bilig, par contre, attribue le pou­voir de Sulaymân sur les péris et oiseaux à l'ascendant naturel du juste. L'exorcisme des dervis pouvait aussi prendre divers aspects. La flagella­tion avait été pratiquée par Baba Mâcïn, un disciple de la secte des Yese-vïs, apparemment venu de Chine. Une fois son démon expulsé, Baba Mâcïn devint un des successeurs de Yesevï. Le seyh Ilyâs, dervis 'Âsikï turc de Nür (Buhara), sermonnait les djinns nuitamment. I l était contem­porain du Hvâdja-i Ahrâr, Nâsiruddïn 'Ubaydullâh de Taşkent (H . 806/ 95/1403-89). D'autres seyhs exerçaient le pouvoir de leur regard {nazar) pour «emprisonner» {habs: soumettre) les djinns.

Les saints pré-islamiques — comme ceux de la période islamique67

~de Haute Asie, commandaient aussi aux éléments, éjectant souvent du feu. Les kams turcs disposaient de la pierre Yad (le bézoard), qui causait la pluie et le vent.

Avant de quitter les dervis, en tant que monarques universels, et leur cour d'êtres surnaturels, on peut ajouter quelques observations sur l'iconographie concernant celle-ci dans les peintures de manuscrits. Ce thème est paradoxal en Islam, car le Prophète avait condamné l'iconisme jusque sur son lit de m o r t 6 8 . I l semble que la peinture religieuse

6 " A. inan, Târihde ve bugün Şamanism (Ank., 1954), 103. Exorcisme: ms illustré de Yen-hui (1280-1368), no 61.606, Cleveland Museum of Art (Chine, époque mongole). Exorcisme uyğur : Bang-Gabain, ms A, lignes 88-97. Mardâvïç : Ibn 'ul-Athïr, année 321. Sulaymân : v. note 26 sup. Baba Mâçin : Köprülü, 33, 40-41, 139. 'Âşıkîs : Navâyî, no 708; Kâşifi, fols. 152-62, 320.

6 7 V. note 66 sup. Navâyî, no 644 (Baba Hâdjï Şeyh). G . Doerfer, Türkische und mongolische Elemente in neupersischen (Wies., 1963), I, no 159 (Djadamîşî).

6 8 Aniconisme islamique : Ibn Sa'd, 11,241. Époque mongole : Wassâf, Târih (Tehran, 1346), 302-303. Peintures de manuscrits : v. B. Gray, The World-history of Rashid al-Din (London, 1978), pl. I.

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3 2 E M E L E S I N

figurative ne fut introduite dans les manuscrits islamiques qu'à l 'époque mongole, peut-être en relation avec Rasîduddïn. Celui-ci avait inclus, en 711-12/1310-12, dans son histoire monumentale illustrée, celle des prophètes judéo-chrétiens et musulmans. L'iconographie des sujets judéo-chrétiens était déjà élaborée par l'art chrétien, mais celle en rapport avec l'Islam n'avait apparemment pas de précédents. On remarque, dans une des premières versions de l'Histoire de Rasîduddïn, que les pro­phètes furent représentés dans l'aspect des 'ulamà (théologiens) de l'école de peinture abbaside de Bagdad d'époque selcukide, mais avec les cheveux longs, comme les dignitaires turco-mongols69. Les anges sont dans cet ouvrage d'un style byzantin.

Les influences de l'art bouddhiste des U y ğ u r s 7 0 se remarquent dans l'angélologie d'Ahmad Mûsâ, un peintre de la cour de l'Ilhan Abü Sa'ïd (716-36/1316-35), peut-être un bahsï, et dans l'angélologie et la démonologie d 'Abü Malik Bahsi de Herât, auteur du Mi'râdj-nâme en turc uyğur, daté de 840/1436. Celui-ci serait peut-être ce Malik Muham-mad Bahsï, qui, en tant qu'ambassadeur d'Ulug-Beg, se joignit aux envoyés des dynasties issues de Temür qui visitèrent, en 822/1419, le pays uyğur et la Chine. Ils y admirèrent les effigies des bodhisattvas et des démons ainsi que les danseurs, déguisés en démons, porteurs de masques.

On peut essayer de résumer ainsi les traits du canon bouddhique et des textes et art des Uyğurs, transposés à l'angélologie islamique : visage en pleine lune; yeux étirés en «feuille de lotus» et d'une obliquité est-asiatique, expression méditative; anges aux chignons avec boucles doubles ou triples au vertex (le cüda bouddhique) ; archanges à couronnes ornées de bourgeons de lotus (hualïg-psak en turc, le bourgeon de lotus étant un emblème du cœur du bodhisattva); vêtements et ceintures (flottantes) princiers turcs.

Les liens entre le couronne des bodhisattvas et celle des archanges de l'iconographie islamique, très semblable au tàdj (couronne) des dervïs, ont été mentionnés.

Le démon uyğur, le yek11, représenté dans les textes et dans l'art

6 9 Dawlatşâh-i Samarkand!, Tadlıkirat'uş-şu'arâ (Tehran, 1337), 202. 7 0 V. E . Esin, «The Relationship between the iconography in Müslim Uyğur manus-

criptsand Buddhist Uyğur eschatology», G . Jarring- S. Resen, Altaistie Studios (Stokholm, 1985). Cüda : Soothill-Hodous, 130/a, 253/a. V. aussi note 47 sup.

7 1 V. notes 25, 27, 64, 70 sup. Illustrations de démons uyğurs: Le Coq, Chotscho, fig. 3; Grûnwedel, Altbuddhislische..., fig. 629 (notre pl. VIII/a) . Époque Timuride :

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comme un être géant anthropomorphe, mais poilu et à masque mon­strueux, aux yeux dilatés, cornu, à crocs, ou avec une tête zoomorphe (pl. VIII/a) , porteurs de draperies indiennes et de bracelets aux poignets et aux chevilles, est également reconnaissable dans l'eschatologie de Malik Bahsï. Dans son œuvre, comme dans les textes et l'art uygur, les damnés ainsi que leurs gardiens et châtieurs prennent des aspects démoniaques. Dans les milieux turcs d'Asie Centrale, au I X e / X V e siècle, selon les opinions attribuées à Nâsiruddïn 'Ubaydullah (Hvàdja-i Ahràr : 806-95/ 1403-89) et à son maître Sa 'duddïn de Kâsgar, comme à 'Alï Sïr Navâyï (845-906/1441-1500) (par Hvandamïr) , les djinns apparaissaient sous des traits zoomorphes (dragons, serpents, bovidés, caprins), ou comme des êtres humains de taille géante. Ils se trouvaient partout, la cour du roi des djinns et des péris étant située au ciel. Les djinns, enclins aux querelles, à la beuverie, aux plaisirs de la table, exprimaient parfois leur bestialité avec une verve impudente dans des conversations en turc. Cette image évoque aussi la dualité des esprits célestes (yil) et des démons terrestres, gloutons et batailleurs (yek, cïv'i) des Turcs pré-islamiques.

IV. M I J H A M M A D S I Y Â H - K A L A M 7 2

Les œuvres (dessins et peintures) attribuées à l'artiste, identifié dans des textes tardifs sous le nom de Muhammad, et les épithètes Ustâd Siyàh-kalam (maître-dessinateur), se trouvent éparpillées dans des al­bums préparés pour des princes turco-mongols d'Asie Centrale et de Perse des V I I e - X c / X I I I e - X V I e siècles. La vigueur exceptionnelle de ces œuvres et leurs sujets, différents de ceux des autres peintures collées dans ces albums, ont attiré l'attention des historiens de la culture et de l'art de l'Asie Centrale depuis plus de trois décades. On a pu finalement se mettre plus ou moins d'accord sur deux points : Siyàh-kalam, quoique travaillant dans des ateliers de culture islamique, devait être originaire de l'Asie Orientale, probablement un Uyğur, comme plusieurs autres peintres dont les compositions pictoriales ou calligraphiques signées se trouvent dans ces mêmes albums. Cette opinion est basée sur le style

kâşifi, fols. 152-62. Sa'duddïn de Kâşğar : ibid.. fols. 112-16, 206v.-211. Hvandamïr, Tàrih-u Habib 'us-sivar (Tehran. 13737. III , 685.

V. Esin, «Muhammad Siyâh-qalam and the Inner-Asian Turkish Tradition», Islamic Arts I (New York, 1983), 90-105, ills. 19, 21, 47, 49, 53. 61, 180, 208, 210, 211, 244, 245, 249, 250, 256, 263, 264, 266, 267, 277, 278, 289, 292, 293, 297, 306, 310, 311, 3 ' 2 . 313, 317, 342-49, 352, 353, 361, 380, 441-43, 456, 466, 467, 477.

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34 E M E L E S I N L E S DERVIŞ H É T É R O D O X E S T U R C S 3 5

de Siyàh-kalam, proche de l'art uygur, la qualité du papier de quelques-unes de ses peintures et l'iconographie qui, souvent, dépeint les régions nordiques et orientales du Turkestan, qu'on appelait Hitày (Cathay) aux V I I I e - I X e / X I V e - X V e siècles, du fait qu'elles étaient gouvernées par des dynasties cingizhanides dépendantes de la branche ainée en Chine.

En ce qui concerne le style, on peut mentionner certains traits qui, caractéristiques de la peinture uygure, étaient en général absents de l'art islamique du Turkestan. Tels sont le dessin vigoureux, éliminant les détails et délinéant énergiquement les formes; l'emploi du clair-obscur pour faire ressortir les volumes; l 'interprétation expressioniste, allant jusqu'à la caricature.

Cependant, alors que ce style de dessin reste invariable, deux tendan­ces opposées se voient dans la palette de Siyah-kalam qui dans un grand nombre de cas est plutôt sobre, mais dans d'autres, éclatante de brillantes couleurs et d'enluminures. En fait, l'art uygur connaissait ces deux genres, l 'un pouvant être observé sur les surfaces mécaniquement colorées des xylographies; l'autre dans les peintures murales et les peintures de manuscrits, où des glacis superposés arrivaient à donner des effects chromatiques opalescents, rehaussés de solutions d'or et d'argent. Cette dernière méthode avait été imitée par les peintures de manuscrits islamiques, telles celles du Mi'ràdj-nàma de Malik Bahsï, lui-même un Uygur.

Un groupe de peintures attribuées à Siyàh-kalam constitue une indication convaincante d'une origine est-asiatique. I l s'agit de rouleaux découpés, parfois au niveau du front des figures, en morceaux, collés dans les albums et des peintures sur gros papier mat, enduit apparemment de craie ou d'apprêt, à la manière uygure et chinoise. Ce papier est très différent des feuilles lisses, polies et parfois vernies, sur lesquelles tra­vaillaient les peintres islamiques. I l est aussi à noter que ce gros papier est souvent assez abimé, ce qui pourrait suggérer qu'il s'agissait de modèles plus anciens, employés par l'artiste selon l'usage en cours dans le milieu où i l se trouvait.

Cependant, l'iconographie atteste souvent la familiarité non seulement avec les normes de l'art uygur, mais aussi avec les régions du Turkestan sous les Cingishanides. On voit des personnages trappus, de type mongolique, aux visages imberbes, portant des coiffures à bords, comme étaient décrits et dépeints les Turco-Mongols des V I I I e - I X 7 X I V e - X V e

siècles, en contraste avec les musulmans barbus et enturbannés. Les personnages de Siyàh-kalem (pl. Vi l / a ) sont aussi, parfois, ceints du

kur (le ceinturon turc, orné de plaques métalliques avec des pendants servant à suspendre de petits objets (pl. IV/a) qui n'était plus en usage, au I X e / X V e siècle, dans les régions occidentales de l'Asie Centrale.

Les peintures où l'on voit la faune, les cavaliers des arkuns (petits chevaux poilus, croisés de sang sauvage), si différents des grands argamaks (croisés de chevaux arabes), tenant au poing le songkur (le faucon blanc du Lac Baykal), évoquent aussi les textes décrivant le monde turco-mongol des V I I e - I X e / X I V e - X V e siècles.

La connaissance de l'astrologie et de la mythologie, à la fois turques et proche-orientales, se manifeste nettement dans les peintures de Siyàh-kalam représentant des dragons cosmiques. On distingue dans le ventre du dragon nuageux, à tête d'éléphant, qui serait Evren, le reptile de la roue de l'Écliptique, les personnifications humaines et zoomorphes du Zodiaque et du calendrier sino-turc (pl. IX/b) . Des masques humains monstrueux qui semblent souffler, rappellent le concept turc du yil, vent et esprit céleste, parfois essence des éléments, mais aussi dragon (yil-büke). Yil-bùke est peint sous la forme d'un dragon à sept têtes dans une autre œuvre.

Les figures qui, sur l'autre peinture du dragon, semblent diriger le monstre avec des lances, rappellent par leurs lourdes proportions et leurs coiffures en forme de calice les divinité uygures. Ces normes de figures allégoriques étaient encore en vigueur et de telles coiffures étaient portées au Turkestan oriental au I X / X V e siècle, comme on le constate sur les figures d'un plateau de K à s g a r 7 3 .

L'identification de Siyàh-kalam proposée, à la lumière des sources écrites, par le Prof. Z. V. Togan 7 4 , est la seule acceptable, car elle tient compte à la fois des particularités de l'artiste, de son style magistral, de ses thèmes inaccoutumés et de sa familiarité avec le monde uygur. Ustàd Muhammad Siyàh-kalam doit avoir été mentionné avec des épithètes différentes dans diverses chroniques. Le poète d'origine uygure 'Alï Sir Navàyî et l'historien Hvandamïr le désignent sous le nom de Ustàd Hàdjï Muhammad Nakkàs (Le Maître-peintre Hadjï Muhammad) (m. en 911/1507), le qualifiant de «faiseur d'images étranges». I l avait été inscrit, après 875/1470, parmi les «clercs turcs» (nuvaysandagân-i Turk), sous le nom Hadjï Muhammad Bahsï (maître) Uygur.

7 3 Le plateau en cuivre, incrusté d'argent, X I V e - X V e siècles, Kàsgar, Coll. Belinko : Oçet Arxeologiçeskoy Komissiy (St Pétersbeurg, 1898), fig. 157.

Z. V. Togan, On the Istanbul miniatures (Ist., 1963), 5.

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36 E M E L E S I N

L'étude de l'iconographie de Siyah-kalam m'a conduit à l'opinion qu'un groupe des œuvres attribuées à lui , celui ici commenté, pourrait être l'illustration de chroniques d'ordres de dervis d'Asie Centrale, dont particulièrement les Kalandars7 5 . L'étude plus poussée des textes, com­parés aux peintures, m'a même mené à un certain degré d'identification thématique. Le matériel volumineux, par exemple la pierre tombale avec la coiffure des Kalandars (pl. IV/7), réuni par Gölpınarlı, de même que d'autres sources ottomanes, ont facilité ma recherche. On peut citer entre autre les représentations d'un Abdâl (pl. I l /b) (terme comprenant aussi les Kalandars, et d'un Seyyid Mehmed Djalâlï (subdivision ottomane des Kalandars)7 6 . Tous ces groupes 'alevïs avaient fusionné au sein de l'ordre des Baktasïs et étaient, au X V I e siècle, attachés à un Imâm du Horâsân qui leur octroyait les coiffures-couronnes en feutre à ornement de lotus solaire (Vahïdï, Afitâbï kiçé).

Les peintures de S iyâh-ka lam 7 7 représentant des gens peu vêtus, au crâne rasé ou tonsuré (pl. I/c, II/c, V/a, Vl /b) , habillés de capes ressem­blant à une chevelure (pl. II/c. Cf. pl, s. II/a,b), ou de peaux de félidés (pl. Vl /b) , ou faisant le signe ésotérique des deux pouces réunis (pl. Vl /b) , ne peuvent être, à la lumière des sources énumérées, que des Kalandars, ou des Kalandar-Salmânïs.

Le couple de tonsurés et rasés — l'un un musicien africain ou indien, l'autre de peau blanche — que l'on trouve dans une peinture (pl. I / c ) 7 8

semblent illustrer l'existence de Kalandars de races diverses. Les source mentionnent en effet des dervis «au visage sombre» (siyâhi). Le terme désigne les Indiens, ou décrit un négroïde, tel Zengï Ata de Taşkent (mort en 656/1258), un arrière petit-fils d'Arslan Baba, maître de Yesevï et l'un

7 5 Esin, «Bakşı». Id., «Bakhshi». V. aussi note 72 supra. 7 6 V. note 55 sup. Peçevï, I, 120. Evliya. IX . 184; X, 94-100. V. les peintures à

inscriptions turques. Album Arabe 6075. Bibliothèque Nationale, Paris (Şeyh Mehmed Djelâlï et Abdâl, notre pl. Il/b), aux fols. 13 v., 14. V. aussi la peinture ottomane (un janissaire y figure), du ms falmama H. 1486 de Topkapi, F . Çağman-Z. Tanındı. İslam minyatürleri (ist.. 1976). pl. 60 et Ricaut. The Presem state of the Ottoman Empire (London, 1968), derviş. Àfitâb (soleil, lotus) : 'Aşım. s.v.

7 7 Nos illustrations des peintures attribuées à Siyâh-kalam, ou dans son style, proviennent de la Bibliothèque du Musée de Topkapi. Les pis. I/c, II/c. III /c ,d; Vl /a , V I L VIII b proviennent des folios 37v., 129v.. 35. 29. 65, 29v„ 37 de Y Album H. 2153. Nos pis. V a.b sont extraits des folios 83, 52 de Y Album H. 2160.

7 8 Hindû; Siyâhi Djivân : Kâşifi, fol. 321 v. Zengï: Navâyï. no 641: Kâşifi, fols. 13v.-15; V . A . Şişkin, «Mazarı v Zangi Ata», V. V. Bar toi'd. Turkestanskie dru:'va (Taşkent, 1927), 166, note 1 (date de décès). Nos pis. III /b ,c: v. note 77 sup. Pl. IV/5 : turban da şeyh Mevlevi. Islambolï.

L E S DERVIS H É T É R O D O X E S T U R C S 37

des successeurs de celui-ci. Zengï, coiffé d'un chapeau avec turban de seyh (cf. pl. IV/b) semble apparaître sur cette peinture (pl. III /c) avec 'Anber Ana (ou Bibi), une princesse, fille de Barak Han, qui avait épousé successivement deux seyhs (Hakïm Ata et Zengï Ata). Le couple Zengï- 'Anber menait paître les bœufs des gens de Taskent, un thème aussi évoqué autour d'une figure féminine par notre artiste mais avec un personnage non-négroïde (pl. I l l / d ) .

Un nègre et un homme roux, également peints ensemble79, ne sont pas des Kalandars. car le roux est chevelu et tous les deux sont barbus. Ce sont bien des dervis, reconnaissables à leurs pendentifs (pierre ou cloche), leurs bracelets et leurs bâtons à cliquetis d'anneaux métalliques (pl. IV/18,19). Le roux pourrait être rattaché à un ordre chevelu, tels les Djâmïs, ou aux Kïzïlbas qui se teignaient au henné.

L'une des compositions circulaires anonymes d'un album de Topkapi, dans le style de S iyâh-ka lam 8 0 , représentant les Sept-dormeurs avec leur chien (pl. V/a), montre un groupe de gens tonsurés, ou coiffés de la coiffure surmontée du disque solaire (Cf. pl. IV/7), qui semblent bien bien être les « Yi t i Kalandar », les Sept Kalandars, identifiés avec les Sept-dormeurs de la grotte uygure (il s'y trouvait aussi une effigie de chien).

Une autre peinture81 semble illustrer la présentation de feuillages (le figuier sacré ?) ou d'une herbe (celle dont se nourrissaient les Kalandars ?), par un personnage rasé, évidemment un Kalandar, à un seyh (à turban) barbu, peut-être d'un autre ordre.

Une phase de l ' in i t i a t ion 8 2 , où le seyh, ayant remis au disciple le sufra (sac de cuir où était contenue la nourriture rituelle), allumait de sa bougie celle qu'il remettait au disciple, paraît représentée sur une œuvre attribuée à Siyâh-kalam (pl. Vl/a) . Les kurs (ceinturons turcs), ornés de plaques métalliques, portés seulement dans les régions du nord et de l'est du Turkestan au I X e / X V e siècle, se remarquent sur les deux personnages.

Une roue, ornée du double-lotus à huit pétales, forme le sujet central d'une peinture (pl. V / b ) 8 3 . Elle semble tourner en éjectant des brins (de

7 7 V. fol. 128, Alb. H. 2153, Topkapi et notes 37, 50-54 sup. 8 0 V. notes 38, 42, 77 sup. " fol. 10, Alb. H. 2160 de Topkapi. V. notes 48. 55 sup. " V. notes 42, 49, 51, 77 sup.

Pl. V b : v. note 77 sup. Episode : Navâyï. no 708. Meule : v. note 42 sup. Col de dignitaire, chez les Kôk-Turks des V I e - V I I e siècles : v. N. Ser-Odjav. art. dans Studia Arehaeobgiea. 14 (Ulan Baatar, 1960), fig. 3. Kapaniçe : W. Radlofï. Versuch dites Horterbuehes der Tûrk-Dialecte (s'Gravenhage. 1960).

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paille?), maniée par deux personnages dont celui au visage sombre porte le col brodé, un attribut de dignité chez certains Turcs. Cet ensemble rappelle l'épisode des chroniques de Navâyï concernant la meule à blé, considérée comme l'emblème du pouvoir éducateur des maîtres, en relation avec Seyh Ilyâs de l'ordre turc des 'Âsïkïs de Buhärä. La tâche difficile de tourner cette meule, briguée par des disciples princiers, fut l'exploit du seyh, également célèbre, 'Ubaydullâh de Taskent (Hvadja-i Ahràr : H . 806-95/1403-89). I l pourrait s'agir de l'individu que l'on aperçoit à gauche de la roue et qui semble réussir à la tourner avec dextérité.

La cérémonie du festin, où se déroulaient les rites de la coupe et des danses — en agitant un mouchoir, à la manière uygure — paraît aussi avoir été illustrée (pl. V I I ) 8 4 . On y voit également ce qui semble être le symbole de la maîtrise de la bête par le sage : un homme, peu vêtu, dont la cape flotte au vent, monte un ch'i-lin fabuleux de type chinois. La femme accroupie, au premier plan, semble commenter cet événement extraordinaire, avec la main gauche levée, en un miihr (geste ésotérique) ressemblant au vitarkamudrä (signe de prédication).

Quelques scènes évoquent peut-être certains événements que nous avons déjà mentionnés, tel celui de l'exorcisme, par flagellation d'un démon, de Baba Mâçîn (pl. VII I /c ) , ou celui de la lapidation des coupables par les dervis85. I l semble que nous retrouvions aussi Baba Hasan Türk, un contemporain de Sahruh Mirzâ (779-380/1377-1427), qui dans un état d'extase errant entièrement nu, par une nuit glaciale d'hiver, dans les rues de Herât, avait voulu se réchauffer au feu d'un bain public. Le gardien l'ayant frappé, l'extatique assomma celui-ci et le lapida. L'étonnement de celui qui, le premier, trouva j le gardien lapidé mort, semble représenté sur une des peintures. A la vue des représentations des menuisiers et des transporteurs de mottes de terre ou de pierres, on se souvient des r/erviT-menuisiers d'Abû'l Hasan Nadjdjär de Kunduz (Badahsàn) et des terrassiers de Djamâl de Nûkàn (près de Tus, au H o r à s à n ) 8 6 .

Les similitudes entre les activités de ceux en qui nous avons cru reconnaître des dervis et celles des monstres composites, à traits

8 4 Pl. VII : v. note 77 sup. Miihr, danses, bête maîtrisée : v. notes 42, 50, 62-63. Mouchoir: Grünwedel, Altbuddhistische..., fig. 521. Mudrâ : Saunders, 66-68.

8 5 Episodes: v. note 64 sup. et Navâyï, no 704. Illustrations: Islamic Art, I, 1981 (N. Y . , 1983), fig. 295 (pl. VIII /c) et fol. 105 de l'Alb. H. 2153 de Topkapi.

8 6 Navâyï, nos 425, 652. Cf. fols. 89, 141, Alb. 2153 de Topkapi.

zoomorphes, représentés par Siyàh-kalam par exemple comme des menuisiers ou en musiciens, nous a conduit à reconnaître dans les monstres, les djinns des chroniques, devenus comme les dervis, serviteurs des seyljs81. L'emblème de leur servitude est d'ailleurs montré par des bracelets et des chaînes (pl. V l I I / b ) aux chevilles, semblables à ceux des dervis. Les monstres sont représentés, en général, avec des traits hérités de l'art uygur bouddhique (pl. Vl I I / a ) , par la peinture eschatologique uygure islamique. Ils s'agit d'êtres antropomorphes, géants et velus, à tête humaine ou zoomorphe, et possédant des cornes, des crocs et des yeux écarquillés. La forme de leurs cornes rappelle les djinns bovidés ou caprins qui conversaient, au I X e / X V c siècle, avec les gens de Herât. Mis à part ces signes de servitude, les monstres de Siyàh-kalam mènent une vie que la littérature uygure, comme la chronique des dervis, qualifiait de bestiale88, vie qui consistait à s'entrebattre, à festoyer et à dévorer des victimes déchiquetées, tel un cheval dans une peinture de Siyàh-kalam.

L'aspect àuyil (esprit aérien, parfois dragon) de la mythologie turque est évoqué, en plus des représentations d'Evren et de Yil-biike89, dans les traits de certains monstres en qui nous pensons voir des djinns. Ils ont des queues se terminant en tête de dragon. Un dragon se trouve attaché avec une corde par deux djinns (pl. V l I I / b ) dont l'un a le même masque que l'un des vents (yd) de la peinture d'Evren. Ce yd, comme nous croyons pouvoir l'appeler, tient en main des tibias de cheval.

Une autre catégorie de peintures montrent des djinns géants, dérobant un cheval ou un homme. Cette dernière peinture se trouverait en rapport avec l'épisode conté parNavàyî dans lequel i l est question d'un musulman qui avait tué le fils du roi des djinns, métamorphosé alors en serpent. Le coupable avait été enlevé par un djinn géant au séjour céleste du roi des djinns. Portés par des djinns géants, les palanquins du monarque des djinns, et de son épouse (?), ainsi que ceux de leur progéniture et suite, semblent représentés sur quatre mor­ceaux de ce qui a dû faire partie d'un rouleau. La figure ailée aux seins nus coiffée du chapeau en calice et portant un parasol, qui

8 7 V. notes 54, 64-66, 71. Cf. notre pl. X/b (v. note 77) et fols. 88v., 112, 141 de ''Alb. H. 2153, Topkapi.

8 8 V. notes 64, 71 sup. Cf. fol. 40, Alb. H. 2153, Topkapi. 8 9 V. notes 25, 72 sup. Episode :Hvandamïr, 685. C f fols. 34 v., 37, 38, 48, 62, 129,

164, 165, Alb. H. 2153 de Topkapi. Tengri-kiz : Kara-Zieme, Fragmente..., index, s.v. e t Le Coq, Chotscho, pl. 47/f. Processions bouddhiques : J . M. de Groot, The Religious System of China (Taipei, 1964), VI, 986-87; Abrû, 40-42.

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ressemble à une tengri-kïz (apsara) uygure, pourrait être une péri. Le souvenir de Suleymân, maître des péris et des djinns et de la reine de Saba a pu être présent dans l'esprit de l'artiste. Mais, il se confondait peut-être avec celui des processions bouddhiques du X e / X V e siècle, où l 'on transportait sur des chars mobiles les effigies de dieux, de dragons et de démons enchaînés. Ces processions avaient été décrites dans le récit de voyage de l'ambassade envoyée en 822/1419 en Chine par les dynasties issues de l 'Amïr Temùr Kùregen.

A travers cette œuvre, comme à travers celles précédemnent citées, la personnalité de Muhammad Siyàh-kalam prend donc sa place dans le milieu de culture complexe de l'Asie Centrale des V I I I e - I X e / X I V e - X V e

siècles, où se développèrent les ordres des dervis turcs hétérodoxes et les légendes sur leur entourage surnaturel.

E. E.

Liste des illustrations

I/a — Baksi. Peinture uygure du temple bouddhique tantrique 9 de Kurutka (Grünwedel, «Berichte. . .» , I , 168-71).

I/b — Baksi. Peinture uygure du temple bouddhique tantrique 9 de Kurutka (Grünwedel, «Berichte. . .» , I , 168-71).

I/c — Peinture attribuée à Siyâh-Kalam (fol. 37v. de l'album H. 2153 du musée de Topkapi).

Il /a — Nür ' A l i Kalandar. Fragment d'une peinture de manuscrit indien islamique (collection privée).

H/b — Jeune abdâl (fol. 13v. de l'album arabe 6075 de la Bibliothèque Nationale).

II/c — Peinture attribuée à Siyâh-Kalam (fol. 129v de l'album H . 2153 de Topkapi).

Hl/a — Costume de Kalender et de shaman, musée d'ethnographie de Leningrad (dessins d'E. Esin).

I l l / b — Costume de Kalender et de shaman, musée d'ethnographie de Leningrad (dessins d'E. Esin).

III/c — Peintures attribuées à Siyâh-Kalam (fols. 35 et 29 de l'album H . 2153 de Topkapi).

IV. — Tableau comparatif : costumes turcs, iconographie d'Asie centrale et costumes de dervis (d'après E. Esin, «Muhammad Siyâh-qalam and the Inner-Asian Turkish tradition», fig. 345).

V/a — Peintures attribuées à Siyâh-Kalam (fols. 83 et 52 de l'album H. 2160 de Topkapi).

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V/b — Peintures attribuées à Siyâh-Kalam (fols. 83 et 52 de l'album H . 2160 de Topkapi).

Vl/a — Peintures attribuées à Siyâh-Kalam (fols. 65 et 38v de l'album H . 2153 de Topkapi).

Vl/b — Peintures attribuées à Siyâh-Kalam (fols. 65 et 38v de 1 album H . 2153 de Topkapi).

VIL ^Peinture atribuée à Siyâh-Kalam (fol. 29v de l'album H . 2153 de Topkapi).

VlII /a — Peinture uygure du temple Murtuk 3 (Grùnwedel, Altbuddhistische Kultstaetten, fig. 629).

VlII /b — Peinture attribuée à Siyâh-Kalam (fol. 105 de l'album H . 2153 de Topkapi).

VIII/c—Peinture dans le style de Siyâh-Kalam (D'après Islamic Art I, 1981-New York, 1983, fig. 295).

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Planche II Planche I I I

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