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N° 240-241 JANVIER-FÉVRIER 2010 dépasser les frontières IN SITU Entretien avec Christine d’Argouges Valoriser les carrières, priorité des ressources humaines Les secouristes nature de la

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N° 240-241 JANVIER-FÉVRIER 2010

dépasser les frontières

IN SITUEntretien avec Christine d’Argouges

Valoriser les carrières,priorité des ressources humaines

Les secouristes

naturede la

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sommaireSOMMAIRE 3

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

IN SITU > Quand la science trouve son public, p. 34

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VIE DES LABOS > Le sens du contact, p. 6

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Le journal du CNRS 1 place Aristide-Briand92195 Meudon Cedex Téléphone : 01 45 07 53 75Télécopie : 01 45 07 56 68Mél. : [email protected] journal en ligne :www2.cnrs.fr/presse/journal/CNRS (siège)3 rue Michel-Ange75794 Paris Cedex 16

Directeurde la publication :Arnold MigusDirectricede la rédaction :Marie-Hélène BeauvaisDirecteur adjoint de la rédaction :Fabrice Impériali

Rédacteur en chef adjoint :Matthieu RavaudChefs de rubrique :Fabrice DemarthonCharline Zeitoun

Rédactrices :Isoline FontaineAnne LoutrelAssistante de la rédaction et fabrication :Laurence WinterOnt participé à ce numéro :Céline BévierreJean-Philippe BralyPatricia ChairopoulosCaroline DangléantChristian DebraisneSéverine DuparcqSebastián Escalón Mathieu GroussonJean-François HaïtMathieu HautemulleCamille LamotteMarie LescroartPierre MiraXavier MüllerVahé Ter MinassianGéraldine Véron

Secrétaire de rédaction :Anne-Solweig GremilletConception graphique :Céline HeinIconographe :Marie GandoisCouverture :C. Delhaye/CNRS Photothèque ; C. Lebedinsky/INRIAPhotogravure :Scoop CommunicationImpression :Imprimerie Didier Mary6 route de la Ferté-sous-Jouarre77440 Mary-sur-MarneISSN 0994-7647AIP 0001309Dépôt légal : à parutionPhotos CNRS disponibles à :[email protected]://phototheque.cnrs.fr/

La reproduction intégrale ou partielledes textes et des illustrations doit faire obligatoirement l’objet d’unedemande auprès de la rédaction.

VIE DES LABOS >L’organisation des corauxdémasquée, p. 8

VIE DES LABOS P. 6.> REPORTAGELe sens du contact> ACTUALITÉS P. 8Les derniers résultats de la recherche > MISSION P. 12Une grotte à immortaliser

INNOVATION P. 14 Un partenariat qui rouleEntretien avec Marc Duval-Destin

PAROLE D’EXPERT P. 16 La bande dessinée, un art à partEntretien avec Éric Dacheux

RENCONTRE AVEC P. 17.Passion doublePortrait de Georges Chapouthier

L’ENQUÊTE P. 18ANNÉE INTERNATIONALE DE LA BIODIVERSITÉ

Les secouristesde lanature

Menaces sur le vivant > 19 Amazonie : les chercheurs en première ligne > 22Réinventer l’agriculture > 28La vie cachée des villes > 29« Estimer la valeur de la nature » > 30

IN SITU P. 32Objectif :valorisation des carrièresEntretien avec Christine d’Argouges

HORIZON P. 37« Nous offrons aux laboratoiresdu temps et de l’argent »Entretien avec Izo Abram

GUIDE P. 38Le point sur les livres, les expos,les manifestations, les films, les conférences, les sites web…

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ÉCLATS4

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Ô LE SUCCÈSSCIENTIFIQUE

Des hominidés 200000 ans plus tôt en Europe

Le conseil d’administration du CNRS se renouvelle : douze membres ont eneffet été nommés le 1er novembre pararrêté ministériel. Parmi eux, on trouvequatre personnalités scientifiques :Anny Cazenave, membre de l’Académiedes sciences et directrice de rechercheCnes au Laboratoire d’études engéophysique et océanographiespatiales (Legos)1, Jean-PierreMachelon, doyen de la faculté de droitde l’université Paris-Descartes, MichelMaffesoli, sociologue et professeur àl’université Paris-Descartes, et JeanSalençon, président de l’Académie dessciences. Ont également été nomméesquatre personnalités représentativesdu monde du travail : Simone Cassette,directrice d’un laboratoire Thalesrecherche et technologie, MarthaHeitzmann, vice-présidente pour la

recherche et le développement d’Air-Liquide, Jacques Fossey, directeur derecherche au CNRS, et Robert Mahler,président d’Alstom France ; et enfin,quatre personnalités du secteuréconomique : Jean-Paul Herteman,président du directoire de Safran,Charles Kleiber, ancien secrétaire d’Étatà l’Éducation et à la Recherche dugouvernement suisse, Denis Ranque,président du Cercle de l’industrie etDominique Vernay, président du pôlede compétitivité System@tic Paris-région. Le conseil d’administration du CNRS s’est réuni pour la premièrefois dans sa nouvelle composition le 4 novembre dernier.

> Plus d’infos :www.cnrs.fr/ca/index.html

1. Unité CNRS / Université Toulouse-III / Cnes / IRD.

Ô L’ÉVÈNEMENT

Nominations au conseil d’administration du CNRS

MICHEL SPIRO NOMMÉ À LA TÊTE DU CONSEIL DU CERNDirecteur jusqu’à présent de l’Institutnational de physique nucléaire et dephysique des particules (IN2P3) du CNRS,Michel Spiro vient d’être élu à la présidencedu conseil du Cern, l’organisationeuropéenne pour la recherche nucléaire. « Je me sens très honoré, a-t-il réagi. Je serai le vingtième président du conseil del’organisation, avec la lourde tâche d’être

à la hauteur de mes illustres prédécesseurs et particulièrement de succéder au professeurAkesson qui a fait progresserl’organisation d’une manièretrès significative. Avec les premiers résultats du LHC, la période qui vient s’annonce

exaltante. Ce sont les découvertes qui serontfaites auprès du LHC qui façonneront le futurde la physique des particules dans le monde et donc du Cern et de son organisation. »

> www2.cnrs.fr/presse/communique/1752.htm

C’est le nombre de brevets déposés par le CNRS entre juillet 2008 et juin 2009, contre 284 sur lesdouze mois précédents 1. Déjà 44% de ces nouveaux brevets sont exploités, ce qui constitue un tauxtrès important. Au total, le CNRS devrait toucher autour de 56millions d’euros de redevance pour 2009.Autre performance à signaler : le CNRS fait partie des dix organismes publics de recherche quidéposent le plus de brevets aux États-Unis, une grande première pour un organisme européen.1. Source : La diffusion des découvertes du CNRS vers le monde industriel, tome III,www.cnrs.fr/dpi/une/decouvertes.htm

Une découverte archéologiqueexceptionnelle vient de repousser de 200000 ans laprésence attestée d’hominidés en Europe. Jusqu’àprésent, les traces les plus anciennes remontaient àentre 1,2 et 1,4 million d’années. Mais des objets fabriqués par l’humain,notamment des outils à deux faces tranchantes, découverts dans lacarrière de basalte de Lézignan-la-Cèbe, dans l’Hérault, ont été estimésà 1,57 million d’années par une équipe du Muséum national d’histoirenaturelle et du CNRS. Découvert en été 2008 grâce à un habitant de lacommune, ce site d’exception devrait permettre de mieux comprendrel’arrivée des premiers hominidés en Europe. > www2.cnrs.fr/presse/communique/1750.htm

DES ALLIANCES POUR LA RECHERCHEAprès l’Alliance des sciences de la vie et de la santé(Aviesan) signée en avril, et l’Alliance nationale decoordination de la recherche pour l’énergie (Ancre) lancéeen octobre, le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur vient d’annoncer la création de l’Alliance des sciences et des technologies du numérique (Allistene)1. Elle réunit l’Inria, le CNRS, le CEA, la Conférence des directeurs d’écoles et formationsd’ingénieurs (CDEFI), la Conférence des présidentsd’université (CPU) et l’Institut Télécom. Une quatrièmealliance autour de l’environnement et du climat estégalement en préparation. Les alliances qui s’inscriventdans le cadre de la réforme du système de recherche ont pour objectif de décloisonner les relations entre les acteurs, en développant la coordination et le partenariatet en les associant autour des grandes priorités émises par la stratégie nationale de recherche et d’innovation(SNRI) en 2009.

1. www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid50054/allistene-l-alliance-des-sciences-et-technologies-du-numerique.html

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Un des premiersoutils récoltés sur le site.

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5ÉDITO

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

éditoedito

La menace d’une crise d’extinction majeure plane sur la bio-

diversité. Il est donc urgent de se donner les moyens

d’agir pour répondre à cette perspective critique et sauver

ce qui représente sans doute le plus grand trésor sur

Terre. La complexité des questions posées appelle des

compétences variées et complémentaires ainsi qu’une approche

multidisciplinaire qui placent le CNRS et son potentiel de recher-

che au cœur de la question. L’Institut écologie et environnement (Inee)

en est, en particulier, le porteur central : sa production scientifique,

grâce à plus de 40 unités investies dans ce domaine, le situe en effet

au meilleur rang en France. Cette large communauté de chercheurs,

près d’un millier, participe ainsi très efficacement à tous les pro-

grammes sur ce thème, ceux de l’ANR, ceux de la Fondation pour

la recherche sur la biodiversité (FRB) ou encore ceux de l’Union euro-

péenne (Biodiversa, Alarm, Marine Genomics) et de consortiums

internationaux (International Soil Metagenomics Consortium…).

Pour relever ce défi majeur, les recherches de l’Inee sur la biodiversité

se concentrent sur différents fronts. D’abord sur les processus et

les mécanismes de la mise en place de la biodiversité. Ensuite sur

ses réponses aux changements environnementaux : les effets de ces

derniers sur le fonctionnement des écosystèmes est un point très

important, tout comme l’étude des capacités d’adaptation des êtres

vivants et des communautés aux variations de leur environne-

ment. Se pose aussi la question des relations complexes entre

l’homme, son environnement et ses ressources. Enfin, il devient

nécessaire de reconnaître, évaluer et comprendre la valeur et les ser-

vices que rend la biodiversité, comme l’évoque, ce mois-ci, l’enquête

du Journal du CNRS. L’objectif de nos recherches sur la biodiver-

sité est donc de produire des connaissances fondamentales sur

lesquelles peuvent s’ancrer des questionnements plus appliqués,

qui sont orientés par les demandes et les attentes de la société. La

connaissance de la dynamique de la biodiversité a, par exemple, une

application majeure : la modélisation de scénarios, afin d’explorer

la gamme des possibles pour le futur. C’est un élément important

pour l’élaboration des politiques publiques.

Dans cette démarche, l’Inee agit de concert avec les autres instituts

du CNRS et de nombreuses universités. Au-delà de ces partenai-

res naturels, l’Inee tisse des liens avec les autres acteurs nationaux

de la recherche comme le Muséum national d’histoire naturelle

(MNHN). La description de la biodiversité, actuelle et passée, est

largement réalisée dans les unités mixtes avec le MNHN. Le CNRS

se révèle aussi très actif dans l’exploration des communautés de

micro-organismes de milieux encore mal connus (sols, mers et

océans). Les interactions se font aussi sur des thématiques plus spé-

cifiques : avec l’Inra pour les agroenvironnements et la diversité des

ressources génétiques ; avec l’Ifremer pour le domaine marin et ses

ressources ; avec l’IRD et le Cirad pour l’outre-mer et l’Afrique.

D’autre part, il est important de souligner la relation privilégiée

développée avec la FRB, qui s’exprimera pleinement au cours de

l’année 2010, déclarée Année internationale de la biodiversité par

l’Onu. Enfin, l’Inee a aussi noué de nombreux liens hors de nos

frontières dans le cadre de groupements de recherche internatio-

naux comme le GDRI « Biodiversité et développement durable à

Madagascar », ou encore le GDRI « Biodiversité des maladies

infectieuses au Viêt Nam ».

La biodiversité n’est pas seulement l’une des grandes priorités du

nouveau contrat d’objectifs du CNRS avec l’État. Elle se place

désormais au niveau des grands enjeux de la planète.

La biodiversité, grand enjeu planétaire

Françoise GaillDirectrice scientifique, Institut écologie et environnement du CNRS.

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VIEDESLABOS Reportage6

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TRIBOLOGIE

Depuis 40 ans, le Laboratoire de tribologieet dynamique des systèmes1 combine lesavoir-faire de l’ingénieur et la recherchefondamentale pour étudier les interactionsentre les objets en mouvement.Aujourd’hui, il s’ouvre aux sciences de lavie, de l’homme et de la société.

Le langage est une peau : je frotte mon langagecontre l’autre. » Cette phrase extraite des Frag-ments d’un discours amoureux de Roland Barthes,en exergue d’une œuvre d’art où apparaissentmains et visage, interpelle d’emblée le visiteur.

Tout près, un tableau abstrait peint par un étudiantévoque l’usure de la matière. Un peu plus loin, une boîtecouverte de messages invite à découvrir le « troisièmecorps », celui qui se forme à l’interface de frottemententre deux pièces mécaniques, mais qui peut aussirésulter du contact de l’art et des idées.Frottement, usure, objets en mouvement, ici se situela raison d’être du Laboratoire de tribologie et dynamiquedes systèmes (LTDS), implanté au cœur du campus del’École centrale de Lyon, à Écully, une banlieue cossuede Lyon. Par nature, le labo est tourné vers les mondesde l’ingénierie et l’industrie. Pour preuve, sa forte inté-gration dans plusieurs pôles de compétitivité et dans leprojet Institut Carnot Ingénierie@Lyon. Mais la recher-che fondamentale y est aussi très forte, et se nourrit denombreuses collaborations internationales dont ElyutLab, un laboratoire international associé avec le Japon.« Pour résumer, on va de la nanoparticule à la turbined’avion. Le mot-clé pour nous, c’est multi-échelle, spatialeet temporelle », souligne Denis Mazuyer, directeur duLTDS. Un large spectre que balayent les trois équipesdu laboratoire.

TOUJOURS EN MOUVEMENT« Tribologie vient du grec tribein qui signifie frotter : c’estla science du frottement, de l’usure, de l’adhérence et de lalubrification », explique Sandrine Bec, responsable de lapremière équipe, baptisée « Tribologie, physicochimieet dynamique des interfaces ». L’usure et les frotte-ments? Des problèmes très quotidiens mais complexes,et sur lesquels « il ne faut pas avoir de préjugés. Dans unmoteur de voiture, on réduit au maximum les frottements

pour moins consommer. Par contre, lorsqu’on freine, il fautque ça frotte… mais pas que ça use ! ». La clé de la maîtrisede l’usure et des frottements? Une parfaite compré-hension des phénomènes qui se produisent entre les sur-faces en contact. C’est aussi vrai pour la lubrification.Vous pensez à de l’huile ou de la graisse ? Ces produitsne sont pas simples. « Les huiles contiennent de nom-breux additifs, antioxydants, anti-usure, modificateurs dufrottement... qui se combinent de manière complexe », expli-que la jeune femme. Comprendre l’action des additifsest l’une des spécialités du LTDS, qui a passé un accordavec Total. Comme plusieurs autres entreprises, legroupe pétrolier finance des thèses Cifre, des postdocset a embauché des doctorants du laboratoire. Il y trouvesurtout la possibilité de mesures extrêmement finesgrâce à un large éventail de matériel expérimental, dontune bonne partie est fabriquée maison et qui constitueun point fort du LTDS. Parmi les instruments les plusremarquables, on trouve un tribomètre ultraprécis danslequel l’échantillon est déplacé avec une précision audixième de nanomètre, qui permet de caractériser jusqu’àla monocouche moléculaire adsorbée 2 sur une surface ;un autre tribomètre sous atmosphère contrôlée qui per-met un vide poussé pour des applications spatiales ; ouencore des nano-indenteurs capables de tester la résis-tance à l’abrasion des vernis des peintures auto-mobiles en les rayant très finement.Mais il y a aussi d’imposants bancs d’essaiqui sont le domaine de l’équipe « Dynamique,fiabilité, durabilité ». C’est le royaume dela pièce en mouvement. Pourpreuve, d’imposantes machi-nes de fretting (testd’usure par frotte-ment), un bancd’essais de boî-tes de vitesses

220 personnes / 60 chercheurs et enseignants-chercheurs /36 ingénieurs, techniciens et administratifs / 95 doctorants dont 39 Cifre / 17 postdoctorants / 5 millions d’euros de projets dont 40 % en partenariat direct avec l’industrie / 100 articles publiés chaque année dans des revues scientifiques internationales

LE LABORATOIRE DE TRIBOLOGIE ET DYNAMIQUE DES SYSTEMES EN CHIFFRES

Grâce à cet appareil, on peutappliquer un vide poussé à des échantillons pour des applications spatiales, ou injecter des gaz pour étudierles effets de l’environnement sur le frottement.

Le sens du contact

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VIEDESLABOS 7

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

torturées par d’énormes contraintes mécaniques, oucelui d’un pantographe du TGV – la pièce qui faitcontact avec la caténaire pour transmettre l’électricitévers la motrice. Un peu plus loin, un outil original decaractérisation des turbines permet de faire le videpour s’affranchir de l’aérodynamique et n’étudier queles vibrations. « Sur les réacteurs d’avion, le constructeurveut gagner du poids, augmenter la fiabilité et limiter lamaintenance. Mais il y a une contrepartie : les piècesdeviennent plus souples et leur comportement mécaniquebeaucoup plus compliqué. C’est là où nous intervenons : nouspouvons prédire le comportement de structures complexes,bien qu’il soit parfois instable ou chaotique », expliqueFabrice Thouverez, responsable de l’équipe. Celle-ci

teste aussi sur un banc de nouvelles architec-tures de moteurs d’avions. Mais comme pourla turbine, pas de détail, secret industrieloblige... Le LTDS est en effet pôle externe derecherche de Safran (Snecma) pour la dyna-mique des systèmes. Et l’aéronautique repré-sente plus de 30 % des contrats industriels.

LA MÉCANIQUE DANS LA PEAUAvant de construire de nouveaux moteurs, ilfaut en façonner les pièces, ce qui pose d’au-tres problèmes lors de l’usinage. C’est là qu’in-tervient l’équipe « Mécanique des milieuxhétérogènes, géomatériaux et procédés de

fabrication ». « Lors de la coupe ou du soudage, la sur-face peut chauffer fortement et changer de nature, aveccomme conséquence, par exemple, des microfissures »,explique Jean-Michel Bergheau, responsable du secondsite du LTDS, basé à Saint-Étienne. Comprendre lesphénomènes durant l’usinage, en anticiper les effets,modéliser avec une forte compétence en simulationnumérique, est le point fort du site stéphanois. Plusinattendu au LTDS : une incursion dans le domainedu vivant. « Tout est parti il y a dix ans d’une demandede l’industrie cosmétique et de la dermatologie qui sou-haitait utiliser nos compétences en tribologie pour étudierla surface de la peau humaine », explique HassanZahouani, responsable de l’équipe « Mécanique desmilieux hétérogènes ». Résultat : une spécialisation en« mécanique de la peau », avec des applications sur levieillissement naturel et certaines maladies généti-ques (vieillissement accéléré). Au labo, on mesureavec précision l’élasticité et la résistance à la tractionde la peau, on tente de comprendre comment se com-portent les fibres d’élastine de l’épiderme au fil dutemps. Plus sensuel : on mesure la douceur de lapeau, un critère pourtant très subjectif. Et ce grâce àune sonde triboacoustique inspirée du vivant 3. Eneffet, passer la main sur la peau pour en éprouver ladouceur provoque une vibration que l’on peut mesu-rer. Le succès scientifique et médiatique a été au ren-dez-vous, avec à la clé les manifestations d’intérêts denouveaux industriels. « Il y a des applications dans le tex-tile que nous allons breveter. Et nous créons une start-upnommée Touchlogy. C’est aujourd’hui un domaine impor-tant pour le LTDS », souligne Roberto Vargiolu, ingé-nieur de la plateforme « Ingénierie du vivant ».

UNE SCIENCE TRÈS SOCIALEDepuis longtemps déjà, le LTDS sort en effet de ses fron-tières traditionnelles, celles de la mécanique et de l’in-génierie. Les œuvres d’art disséminées dans le labo-ratoire – un travail « art et sciences » avec les élèves deCentrale, précise Denis Mazuyer – et une forte impli-cation régionale dans la Fête de la science en témoignent.Mais aussi les problématiques de recherche qui, par laforce des choses, intègrent des critères de développe-ment durable. « Les additifs des huiles moteurs, soufrés etphosphorés, ou certains additifs utilisés pour le broyage desminéraux, ne respecteront bientôt plus les futures normesenvironnementales. Or, les industriels les utilisaient demanière plutôt empirique. Nous devons donc comprendreleur mode d’action pour réduireles quantités utilisées ou pourimaginer de nouveaux additifsnon nocifs avec des perfor-mances améliorées », souligneSandrine Bec. Concevoir dessystèmes durables fait partiedes priorités du laboratoirepour le futur. « Le triangle éco-nomie-culture-écologie est deplus en plus important pourl’ingénieur », résume Jean-Marie Georges, centralien etfondateur du laboratoire il ya 40 ans. Retraité, mais tou-jours chez lui dans les mursdu labo, jamais avare d’uncompliment pour tel ou tel« ingénieur remarquable » qui a permis au LTDS de pro-gresser, il a vu le laboratoire évoluer et prône son inté-gration toujours plus forte dans la société. C’est déjà lecas avec l’archéotribologie. Depuis plusieurs années, leLTDS aide les archéologues à analyser les traces sur lesoutils antiques afin de comprendre comment ils étaientfabriqués et utilisés. Mais Denis Mazuyer souhaitealler plus loin. « Si d’ici 4 à 8 ans, le LTDS sait se doterde compétences en sciences humaines et sociales, il pourraêtre reconnu comme un des laboratoires de référence pourl’apport de la mécanique, de la science des matériaux et dessurfaces dans le développement équilibré de nos sociétés. »

Jean-François Haït

Ô En savoir plus : http://ltds.ec-lyon.fr 1. Laboratoire CNRS / Centrale Lyon / Éc. nat. d’ing. de Saint-Étienne (Enise) / Éc. nat. sup. des mines de Saint-Étienne.2. Lors de l’adsorption, les molécules libres ou dissoutes d’unliquide ou d’un gaz se fixent à la surface d’un solide avec lequel ellessont en contact.3. Lire Le journal du CNRS n°215, décembre 2007,www2.cnrs.fr/presse/journal/3679.htm

CONTACTSÔ Sandrine Bec, [email protected]

Ô Denis Mazuyer, [email protected]

Ô Fabrice [email protected]

Ô Roberto [email protected]

Ô Hassan Zahouani [email protected]

La plateforme « Durabilité,fretting et fatigue » soumetdes pièces à de très nombreuxcycles de frottement pour simuler leur durée de vie et prédire l’usure et le risque de rupture.

Ce dispositif permetd’étudier la pressionexercée par lepantographe d’unTGV sur la caténaire,un contact qui ne doit jamais êtreinterrompu.

Jean-Marie Georges,fondateur du LTDS et Roberto Vargiolu,ingénieur, examinentl’usure des silex quiéquipent la premièremachine agricole del’humanité : le tribulum, quipermettait d’extraireles grains de blé.

Mesure de la douceur de la peau avec unesonde triboacoustique(brevet CNRS).

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VIEDESLABOS Actualités

MATÉRIAUX

L’organisation des coraux démasquée

Parce qu’il est extrêmementsolide, le corail rouge de Médi-terranée est utilisé depuis des

millénaires pour fabriquer demagnifiques bijoux. Des chercheursdu Centre interdisciplinaire denanosciences de Marseille (Cinam)1,en collaboration avec des équipesespagnoles et américaines, viennentde percer le secret de cette solidité 2.

« Le squelette du corail rouge est consti-tué de simples microcristaux de cal-cite un peu fragiles, explique DanielVielzeuf, du Cinam. C’est la façondont ils sont organisés qui permet decomprendre pourquoi ce matériau estsi résistant. »Après avoir fait passer à plusieurséchantillons de corail tout une bat-terie d’analyses au microscope, nos

scientifiques ont mis en évidenceune structure extrêmement hiérar-chisée à l’intérieur du squelette.« Les unités les plus petites, des cristauxde quelques nanomètres, s’organisenten un module plus grand d’environ200 nm, poursuit le chercheur. Àleur tour, ces modules se combinentpour former des fibres cristallines, quielles aussi se rassemblent en forme de

losange, etc. Et cela huit foisde suite. » En clair : un

module est composéde modules pluspetits, et constituelui-même un élé-ment d’un plusgros module. Etentre ceux-ci, se

trouve une finecouche de molécules

organiques qui donneau corail sa couleur rouge

et surtout qui empêche la moindrefracture de se propager. Bref, l’em-boîtement est parfait et confère aucorail sa robustesse.Et ce n’est pas tout. Cette organisa-tion modulaire, comme la qualifientles chercheurs, permet d’expliquerles différentes formes arborescentes

que prennent les colonies de corailrouge, des plus massives aux plusétalées. « De très légères différencesd’orientation peuvent apparaître entreles modules du squelette du corail,continue Daniel Vielzeuf. Répétéessur huit niveaux, elles expliquent pour-quoi chaque corail est unique. »Doté d’une structure aussi éton-nante, le corail rouge pourrait bienservir de modèle à la fabrication denanomatériaux, ces composants detaille nanométrique destinés à demultiples applications en médecine,en informatique ou en énergétique.En copiant cette organisation modu-laire, on pourrait ainsi créer de nou-veaux objets aux formes variées etaux propriétés inédites.

Pierre Mira

1. Unité CNRS/Universités Aix-Marseille-IIet -III.2. Travaux à paraître dans AmericanMineralogist.

CONTACTSCinam, Marseille

Ô Nicole Floquet [email protected]

Ô Daniel [email protected]

ILS L’ONT VU

Éruption recordLa source la plus brillante du ciel jamaisobservée en rayons gamma a été détectée cet automne grâce au télescope spatial Fermi.Lancé par la Nasa, il implique la collaborationd’organismes du monde entier dont l’IN2P3 1

et l’Insu 2 du CNRS, et le CEA-Irfu 3. Quant à l’objet détecté, c’est un blazar, de la constellation de Pégase, dont l’éruptionexceptionnelle vient de détrôner le pulsar Velaqui détenait l’ancien record. Cette détectiondevrait permettre d’en savoir plus sur lesblazars, galaxies très actives d’une luminositévariable, et dont l’un des jets de particulespointe dans notre direction.

1. Institut national de physique nucléaire et de physique desparticules.2. Institut national des sciences de l’Univers.3. Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers.

> En savoir plus : www2.cnrs.fr/presse/communique/1742.htm

BRÈVE

La langue des singesBoom, Krak, Hok, Hok-oo, Krak-oo, Wak-oo : voiciles six types de cris d’alarme émis par les singesafricains mâles de l’espèce « mone de Campbell »,comme l’ont montré des chercheurs du laboratoireÉthologie animale et humaine 1. Dans leur dernièreétude, ils montrent surtout que ces singescombinent leurs cris en de longues séquencesvocales. Ils délivrent ainsi des messages très préciscomme l’annonce de la chute d’un arbre, la présence d’un prédateur, si c’est un aigle ouun léopard, si ce dernier a été vu ou plutôt entendu, etc. Il s’agit de la forme la pluscomplexe de protosyntaxe découverte à ce jour chez une espèce animale. Cette étudeouvre donc le débat sur l’existence potentielle de précurseurs du langage humain dansla communication vocale animale. Réalisés en collaboration avec des chercheursécossais et ivoiriens 2, ces résultats viennent d’être publiés sur le site des Proceedingsof the National Academy of Sciences.1. Unité CNRS / Université Rennes-I.2. Des universités respectives de St Andrews et de Cocody-Abidjan.

> En savoir plus : www2.cnrs.fr/presse/communique/1743.htm

Dans le squelette du corail rouge, vu ci-dessous au microscopeélectronique à balayage, des cristaux de calcite orientés s'empilentpour former des pyramides.

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Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

SOCIÉTÉ

Leur portrait vient de paraître! Après une vaste enquête de deux ans, l’Institut national d’études démographiques (Ined) publie une étude sur l’identité individuelle dans l’Hexagone. Quelques résultats avec deux sociologues du CNRS, coauteurs de l’étude.

Quoi de neuf chez les Français?

F rançais, qui êtes-vous ? Pour répondre àcette question et tirer le portrait de notresociété, l’Ined a mené une enquête sur unéchantillon d’environ 10000 habitants de

France métropolitaine, de 2003 à 2005, en col-laboration avec l’Institut national de la statistiqueet des études économiques (Insee). Après analysedes questionnaires par une équipe d’une dizainede chercheurs, dont plusieurs sociologues duCNRS, les résultats sont parus il y a quelquessemaines sous forme d’un épais ouvrage inti-tulé En quête d’appartenances. Son intérêt ? Cetteenquête va bien au-delà des habituelles statisti-ques qui se contentent de répertorier les indivi-dus à travers des catégoriesclassiques qui collent à lapeau : marié, célibataire,provincial, Parisien, etc.« C’est la première enquêtequi prend en compte des don-nées subjectives comme le res-senti des personnes », insisteFlorence Maillochon, l’une des sociologuesauteurs de l’ouvrage. Les catégories ne sont doncpas seulement définies par les observateurs, ils’agit aussi de montrer comment les gens sedéfinissent eux-mêmes. Et comment ces identifi-cations peuvent évoluer au cours de leur vie. Aufinal, l’enquête permet de cerner les multiplescomposantes de l’identité individuelle sur denombreux registres : la relation au territoire, lafamille, l’appartenance à une classe sociale, laconjugalité, l’activité professionnelle, l’engage-ment politique et religieux, les langues parlées,mais aussi le handicap ou la maladie.Qu’en sort-il de neuf ? Les bouleversementssociaux du XXe siècle ont modifié en profondeurles références identitaires. Florence Maillochon,sociologue au Centre Maurice-Halbwachs 1, s’estpar exemple intéressée au couple. « Celui-ci par-ticipe désormais de manière beaucoup plus impor-tante, pour les jeunes, au sentiment de se sentiradulte », explique-t-elle. Alors qu’il y a quelquesdécennies, la situation professionnelle régnaiten maître dans ce registre. « Être ou non en cou-ple est aussi devenu une caractéristique identitaireindividuelle très puissante, alors qu’auparavant c’estsurtout la conformité sociale sur le fait d’être mariéou non qui comptait. » En revanche, ceux qui nesont pas en couple subissent une énorme pres-sion de la société : être à deux est considérécomme préférable, voire plus normal. « Malgré la

baisse de la pression religieuse notamment, notresociété reste donc bien plus normative qu’on ne lecroit », commente Florence Maillochon. Idempour les inégalités entre hommes et femmes quiont décidément la vie dure. Par exemple, être auchômage ou inactif divise par deux les chancesd’être en couple stable pour les hommes. Tandisque cela multiplie par 1,5 celles des femmes ! Enclair, un homme au chômage sera bien plus rare-ment en couple qu’une femme également inac-tive. « L’image traditionnelle de l’homme chargé derapporter de quoi faire vivre le couple perdure doncsérieusement… », commente la sociologue.Autre sujet de l’enquête, l’engagement politi-

que, associatif et religieux. « Depuis une trentained’années, on observe une augmentation du nombrede bénévoles dans les associations », commenteSandrine Nicourd, sociologue au laboratoire Pro-fessions, institutions, temporalités 2, égalementauteur de l’ouvrage de l’Ined. « Au contraire, lenombre de personnes engagées dans une structurepolitique ou religieuse a sensiblement baissé. Mêmesi l’intérêt pour ces domaines reste fort. » Explication :le besoin de s’engager et d’avoir une utilité socialeest le même qu’avant, mais ce sont les structu-res à l’organisation plus souple qui se taillentaujourd’hui la part du lion. Pourquoi ? « Les per-sonnes sondées évoquent le besoin d’un lien deconfiance avec la structure dans laquelle ils s’enga-

gent. Et ils le trouvent plus facilement dans les asso-ciations locales », explique la sociologue. La ten-dance est d’autant plus marquée chez les moinsde 40 ans. « Un clivage peu étonnant vu que leursaînés, eux, ont grandi dans un contexte de sociali-sation plus fort : avec le patronage, les sections syn-dicales, l’église et les partis politiques étaient très pré-sents dans la vie des gens. Ceux-ci s’engageaientdonc plus facilement dans des organes de massesauxquels les jeunes font maintenant peu confiance »,explique Sandrine Nicourd. Il y aurait encorebeaucoup à dire. La suite de ce passionnant por-trait de société se trouve en librairie.

Charline Zeitoun

Ô À lireEn quête d’appartenances , dirigé par France Guérin-Pace, OliviaSamuel et Isabelle Ville, les éditions de l’Ined, coll. « Les grandesenquêtes », août 2009, 224 p. – 25 €.Le raisonnement statistique en sociologie, Marion Selz et FlorenceMaillochon, éd. Puf, septembre 2009, 256 p. – 25 €.

1. Unité CNRS / EHESS / ENS.2. Unité CNRS / Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

CONTACTSÔ Florence MaillochonCentre Maurice-Halbwachs, [email protected]

Ô Sandrine NicourdProfessions, institutions, temporalités,[email protected]

Pour cette enquêtesur l’identitéindividuelle, environ10000 Français ont été interrogés.Une première :leur ressenti est prisen compte.

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Une végétation de type forêt claire, avec despalmiers, des micocouliers et desfiguiers : tel était l’environnement d’Ar-dipithecus ramidus, ce lointain parent de

l’Homo sapiens (l’homme moderne) qui vivait enÉthiopie il y a 4,4 millions d’années. C’est laconclusion d’une équipe française qui a étépubliée dans un numéro spécial de la revueScience consacré à Ardipithecus 1, auquel parti-cipaient pas moins de 47 scientifiques (paléon-tologues, paléoanthropologues, biochimistes,géologues, et paléobotanistes) du monde entier.L’objectif de ces experts ? Décrire la morpholo-gie et l’habitat de l’un des possibles premiersreprésentants de la lignée humaine. Quitte àcontredire le lien supposé entre locomotion etenvironnement.Les fossiles de cet hominidé ont été mis au jourdans la vallée de la rivière Awash. En langueAfar, ardi signifie « sol » ou « racine ». Ardipithecusramidus est donc « la racine des grands singes ter-restres ». Racine, car son âge le rapproche de laséparation entre la lignée des chimpanzés etcelle des humains, située approximativement ily a six millions d’années. Ardipithecus pourraitdonc bien avoir été l’un des pères des australo-pithèques, la famille d’hominidés qui a enfantéle genre Homo. Autrement dit, si Ardipithecus

n’a pas été notre grand-père, il en a été au moinsun cousin proche.Les premiers fossiles d’Ardipithecus ont étéextraits de leur gangue sédimentaire en 1994. Letemps notamment de récolter plus d’ossementset de développer des méthodes d’analyses végé-tales inédites, il aura donc fallu treize ans aux étu-des paléoanthropologiques et environnementa-les pour parler. Les résultats? Ardipithecus étaità la fois bipède et arboricole. S’il utilisait sesquatre membres pour se mouvoir dans les arbres,une fois au sol, il se tenait debout et évoluait aumilieu d’un environnement semi-boisé.« La rareté des pollens dans les sédiments a stimulénos travaux sur les fragments de bois fossilisé, les grai-nes et enfin sur ces petites particules de silice produitespar les plantes que l’on appelle phytolithes », décritDoris Barboni, qui a codirigé avec RaymondeBonnefille les travaux d’analyse végétale au Cen-tre européen de recherche et d’enseignementdes géosciences de l’environnement (Cerege) 2 àAix-en-Provence. Pour identifier les espèces àl’origine des phytolithes fossiles, les paléobota-

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Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

PALÉOANTHROPOLOGIE

Des chercheurs viennent de reconstituer l’environnement de l’un de nos lointains parents du genreArdipithecus : celui-ci aurait vécu dans un milieu forestier alors qu’il marchait déjà. Une découverte qui pourrait bouleverser les théories sur l’apparition de la bipédie.

Et pourtant ils vivaient dans la forêt

nistes ont collaboré avec des chercheurs du Cen-tre de bio-archéologie et d’écologie (CBAE) 3,dont Laurent Bremond, et de l’Université Paris-Ouest-La défense, à Nanterre, qui se sont rendusplusieurs fois depuis 1994 en Afrique pour pré-lever des échantillons dans différents types devégétation à fin de comparaison.L’identification de graines de Celtis (auquel appar-tient le micocoulier méditerranéen) ainsi que laprésence de bois de figuier et de palmier indi-quent un climat saisonnier. D’autre part, la pré-sence importante de graminées a été attestéepar les phytolithes et les pollens. Deux paysagesde type forêt claire –où le soleil atteint le sol– peu-vent correspondre à cet assemblage de végétation :soit les arbres étaient regroupés en bois percésde clairières herbeuses, soit l’herbe poussait aupied d’une forêt clairsemée. Quelle hypothèse pré-férer ? Les analyses ne le disent pas. En revanche, elles pointent l’abondance desarbres, estimée entre 40 et 65 % du couvert végé-tal, un chiffre qui va à rebours du lien supposéentre environnement et mode de locomotion.En effet, la théorie dominante veut que la bipé-die soit le fruit d’une adaptation à la transfor-mation d’un milieu boisé en une savane ouverte,la présence de hautes herbes obligeant les pri-mates à se redresser. Ardipithecus montre quela bipédie peut très bien s’épanouir dans un pay-sage semi-boisé. Mais alors quel aurait été lemoteur du redressement, point de départ de lalongue marche évolutive vers l’humain? À 4mil-lions d’années de distance, Ardipithecus vient derelancer le débat.

Xavier Müller

1. Science daté du 02 octobre 2009, n° 326, vol. 3959.2. Unité CNRS / IRD / Collège de France / Universités Aix-Marseille-I et -III.3. Unité CNRS / EPHE, Paris / Université Montpellier-II.

CONTACTSÔ Doris BarboniCentre européen de recherche en géologie et d’enseignement des géosciences de l’environnement, [email protected]

Ô Laurent BrémondCentre de bio-archéologie et d’écologie,[email protected]

VIEDESLABOS Actualités

Pour reconstituer la végétation de l’époque, des chercheurs ont étudié des phytolithes, particulesde silice produites par les plantes, particulièrementbien conservées.

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Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

L es arbres moléculaires ne ces-sent de donner de beaux fruits.Aussi appelées dendrimères

(du grec dendron, arbre, et meros,partie), ces macromolécules à laforme arborescente sont l’une desvoies d’avenir de la chimie. Car grâceà leurs multiples terminaisons, quipeuvent se compter par centaines,elles offrent un grand nombre desites chimiquement actifs. Les den-drimères font l’objet de recherches

variées dans les domaines des pucesà ADN, de la catalyse, de substancesmédicamenteuses. Une liste àlaquelle il faudra dorénavant ajouterle renforcement du système immu-nitaire et le traitement de l’inflam-mation, comme vient de le démon-trer une coopération entre deschimistes du CNRS et des immu-nologistes de l’Inserm, à Toulouse 1.La première découverte a eu lieulors d’une étude systématique de

l’action des dendrimères sur les cel-lules du sang in vitro. Dans leséprouvettes des chercheurs, des den-drimères possédant des atomes dephosphore à leurs terminaisons ontprovoqué la multiplication de cer-tains globules blancs appelés Natu-ral Killers ou NK. Défenseurs lesplus polyvalents de l’organisme,ceux-ci s’attaquent à toute celluleinfectée ou cancéreuse : « On a étésurpris de constater que des dendri-mères influençaient la population deglobules blancs, raconte Anne-MarieCaminade, du Laboratoire de chi-mie de coordination du CNRS,même si on savait déjà que des molé-cules phosphorées pouvaient amplifierun autre soldat de l’organisme, unesous-population particulière de lym-phocytes T. »Cette découverte pourrait un jourservir à lutter contre certains cancersde la moelle osseuse, tel le myé-lome multiple, en complément de lachimiothérapie. L’idée est de ren-forcer, grâce à des injections régu-lières de NK, le système immuni-taire affaibli par la chimiothérapie ;globules blancs qui seraient obte-nus à partir du sang du patient puismultipliés à l’aide des fameux den-

drimères. Si la piste thérapeutiqueest séduisante, il faudra franchircertains obstacles – par exemple lefait que les NK de certains patientsne répondent pas aux dendrimè-res – avant de pouvoir l’appliquer.C’est donc l’autre effet identifié parles chercheurs qui devrait trouver enpremier le chemin des hôpitaux :l’équipe a observé que des dendri-mères phosphatés ont égalementdes propriétés anti-inflammatoires.Ils pourraient donc soulager lespatients atteints de maladies inflam-matoires telles que la polyarthriterhumatoïde, qui s’attaque aux arti-culations et provoque douleurs etdéformations.

Xavier Müller

1. Cédric-Olivier Turrin et Anne-MarieCaminade au Laboratoire de chimie de coordination, et Rémy Poupot au Centrede physiopathologie de Toulouse-Purpan.Jean-Pierre Majoral a codirigé lesrecherches sur les dendrimères au LCC.

BIOLOGIE

Découverte d’un acteur de la fertilité masculine

C’est une simple protéine, appe-lée BRDT, qui dessine la tenuede combat adoptée par l’ADN

des spermatozoïdes pour affrontersa périlleuse course vers l’ovule. Ellevient d’être formellement identifiéepar une collaboration internationaleimpliquant plusieurs équipes duCNRS à Grenoble 1. Une découvertemajeure pour la compréhension desproblèmes de fertilité masculine.Dans un spermatozoïde, l’ADNoccupe jusqu’à dix fois moins deplace que dans les autres cellulesdu corps. Avantage : ainsi com-primé, il est peu sensible aux agres-sions thermiques et chimiques qu’ildoit affronter dans l’organisme de lafemme dans sa quête de l’ovule. Enoutre, l’ADN se trouvant dans lestêtes des spermatozoïdes, son com-pactage permet à sa monture de

posséder un aspect réduit et profiléqui facilite ses mouvements. Concrètement, ce tassement cor-respond à un changement d’habil-lage du matériel génétique lors de lafabrication des spermatozoïdes :l’ADN perd les grosses moléculesautour desquelles il est enroulé, leshistones, au profit de plus petites, lesprotamines. Et c’est bien la protéineBRDT qui est à l’origine de ce chan-gement de tenue. Elle entre en scène au cours de laspermatogénèse, juste avant le rem-placement des histones par les pro-tamines. Les histones ont alors déjàsubi une altération chimique appe-lée acétylation. C’est elle qui lancele signal du compactage. Les cher-cheurs ont démontré que BRDTreconnaissait certaines traces lais-sées par l’acétylation puis déclen-

chait une série de mécanismesmoléculaires – encore inconnus –qui aboutissaient au remplacementdes histones par les protamines. Présidant à un mécanisme de sur-vie des spermatozoïdes, BRDT pour-rait être un élément clé de la ferti-lité masculine. Saadi Khochbin, lechercheur CNRS de l’Institut Albert-Bonniot, à Grenoble, qui a dirigéles recherches, le confirme : « Selondes résultats préliminaires d’autresexpériences, des anomalies de struc-ture de BRDT touchent des patientsinfertiles. » Chez eux, une originegénétique s’est révélée la cause dudysfonctionnement de BRDT. MaisSaadi Khochbin n’exclut pas quedes agents externes viennent per-turber le fonctionnement de la protéine. Les cinquante dernièresannées ont été marquées d’une

baisse générale de la fertilité mas-culine dans les pays industrialisés :les hommes auraient perdu la moi-tié de leur stock de spermatozoïdes.Sur le banc des accusés : principa-lement des polluants incluant despesticides. Ces substances peuvent-elles dérégler BRDT et empêcher lecompactage de l’ADN ? De futuresrecherches vont explorer cette piste.

Xavier Müller1. Laboratoire européen de biologiemoléculaire (EMBL) à Heidelberg et àGrenoble, Institut de biologie structuraleJean-Pierre-Ebel (CEA / CNRS / UniversitéJoseph-Fournier) et Institut Albert-Bonniot(Inserm / Université Joseph-Fournierassocié au CNRS, au CHU Grenoble et àl’Établissement français du sang).

CHIMIE

Des arbustespour la santé

CONTACTÔ Saadi KhochbinInstitut Albert-Bonniot, [email protected]

CONTACTÔ Anne-Marie CaminadeLaboratoire de chimie et coordination,[email protected]

La forme arborescenterend ces moléculesextrêmement actives.En médecine, ellespourraient servir àrenforcer le systèmeimmunitaire.

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pilotée par internet, les ont enre-gistrées. Ce sont bel et bien des sylphes qui ont embrasé le ciel cettenuit-là.Découverts par hasard en 1989, lessylphes (ou sprites en anglais) sontd’immenses flashs de couleur rougequi se forment la nuit sur plusieursdizaines de kilomètres de hauteur,entre le sommet d’un orage et la

base de l’ionosphère à 90 kilo-mètres d’altitude. D’une duréede quelques millièmes de secon-des et donc invisibles à l’œil nu,ces lueurs, associées à certainstypes d’éclairs, dits positifs,entre les nuages et le sol, et à des

En septembre, sur le Pic-du-Midi,des chercheurs ont saisi l'imageinfrarouge de grands sylphes, dontcertains se développaient sur plusde 70 km de haut et 90 km de large.

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AÉROLOGIE

Immenses flashs sur l’Europe

Dans la nuit du 1er au 2 sep-tembre, alors qu’un gros oragevenu d’Espagne se déchaînait

sur le golfe du Lion, d’étrangeslueurs sont apparues dans le ciel.Serge Soula, physicien au Labora-toire d’aérologie 1 et ses collèguesde l’université de Catalogne, armésde leur caméra très sensible instal-lée à l’observatoire du Pic-du-Midi et

orages très étalés, seraient causéspar une brusque variation du champélectrique dans l’atmosphère au-dessus du nuage. Les particuleschargées qui s’y trouvent accélère-raient et entreraient alors en colli-sion avec des molécules présentesdans l’air, créant cette étrangelumière sépulcrale. Initialement, les scientifiques pen-saient que les conditions météoro-logiques nécessaires à la générationdu phénomène n’étaient réuniesque dans le centre des États-Unis.Mais des observations réalisées parune équipe danoise, égalementdepuis l’observatoire du Pic-du-Midi,ont démontré en 2000 que l’Eu-rope pouvait, elle aussi, être le siègede ces curieuses manifestations dela nature. Ce que confirment lesnouvelles observations, qui pour-

ront peut-être permettre de résoudrecertains mystères que recèlentencore les sylphes, comme leur rôledans la chimie atmosphérique.L’équipe de Serge Soula traque cesflashs sur le Vieux Continent depuis2006, dans le cadre du réseau euro-péen Eurosprite. Après avoir testédes stations mobiles, elle a décidé dese fixer cet été sur le site du Pic-du-Midi. Bonne pioche : certains dessylphes détectés ont illuminé le cielsur 70 kilomètres, une hauteur rarement observée.

Vahé Ter Minassian

1. Unité CNRS / Université Toulouse-III.

CONTACTÔ Serge SoulaLaboratoire d’aérologie, [email protected]

BIOINGÉNIERIE

Les virus, rois du détournement

Incapables de se reproduire seuls,les virus sont passés maîtres dansl’art de détourner à leurs propres

fins la machinerie des cellules qu’ilsinfectent. En étudiant le génome devirus s’attaquant à des cyanobactériesmarines, une équipe du laboratoireAdaptation et diversité en milieumarin 1, à Roscoff en Bretagne, encollaboration avec des scientifiquesisraéliens et américains, vient encored’illustrer cette capacité d’unemanière éclatante. Avec leurs tra-vaux parus dans la revue Nature, leschercheurs ont montré que non seulement ces virus, appelés cyano-phages, ont intégré dans leurgénome des gènes spécifiques descyanobactéries, mais que cette infor-mation génétique a été profondé-ment modifiée, ce qui l’aurait rendueplus efficace. Des chercheurs américains avaientdéjà observé, chez les cyanophages,des gènes associés à un groupementde molécules chargées de la photo-synthèse2, le photosystème II (PSII),similaire à celui des cyanobactéries

marines. « Cela permet aux virus,alors que leur bactérie hôte ne parvientplus à exprimer sa propre informa-tion génétique et commence donc àdéfaillir, de la forcer à maintenir uneactivité photosynthétique jusqu’auterme de leur cycle de reproduction »,précise Frédéric Partensky de la Sta-tion biologique de Roscoff. Et d’après les tout derniers travauxauxquels a participé ce chercheur,certains cyanophages de la familledes Myoviridae vont encore plusloin. Ils possèdent en effet septgènes codant pour un autre photo-système, le photosystème I (PSI).Avec la particularité qu’un de cesgènes résulte de la fusion de deuxgènes normalement associés à cecomplexe chez la cyanobactérie.« En conséquence, la protéine associéeà ce nouveau gène présente une impor-tante modification de structure parrapport à l’original, explique le bio-logiste. Cela reste encore à vérifierexplicitement, mais il est probable quecette modification force la cyanobactériehôte à produire de l’énergie non seule-

ment par photosynthèse, ce qu’elle faitnormalement, mais aussi en utilisantd’autres sources d’énergie, comme larespiration. »Les chercheurs sont enchantés parla découverte de ce remarquableexemple de bioingénierie naturelle.Pour lui-même. Mais aussi du fait deson potentiel d’applications. En effet,comme l’indique Frédéric Par-tensky : « Dans ce cas particulier, lanature nous montre comment, par lafusion de deux gènes, il est possible desimplifier le codage génétique d’un pho-tosystème. Ce qui indique des voiesintéressantes pour la synthèse de cya-nobactéries totalement artificielles. »De quoi détourner à notre profitl’inventivité des virus !

Mathieu Grousson

1. Unité CNRS / Université Paris-VI.2. Processus par lequel les plantes etcertaines bactéries synthétisent de la matièreorganique en exploitant la lumière du Soleil.

CONTACTÔ Frédéric PartenskyStation biologique de [email protected]

Samuel Guillemin, de l’Insa,prépare le scanner laserPhoton. L’appareil resteradans cette position pendant sept minutes durantlesquelles il enregistrera la position exacte de quelque 42 millions de points.

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mais aussi pour les traces de vie domestiques par-faitement conservées.Chaque matin, pendant une semaine, l’équipedescendra dans l’atmosphère humide et fraîchede la grotte après avoir enfilé des chaussons ennéoprène pour limiter les traces au sol. L’évolu-tion n’y sera pas de tout repos. « Certains passa-ges sont très étroits, or il faut avancer sans toucherles parois au risque d’effacer les dessins aux doigts etautres incisions réalisés par les anciens occupants »,avertit la coresponsable de la fouille. Et de recon-naître que « les conditions de travail sont physi-quement éprouvantes, mais sous terre les heures défi-lent comme des minutes et l’ambiance est si sereinequ’elle permet une concentration à toute épreuve ».C’est grâce à un partenariat avec la société Faro,spécialisée dans les systèmes de mesure 3D, quetous les détails de la grotte vont être numérisés.La société fournit la machine, le laser scannerPhoton, qui peut reconstituer des objets volu-mineux au millimètre près. Une précision suf-fisante pour enregistrer les dessins en relief desparois. La première étape de numérisation d’unegalerie consistera à disposer un peu partout despetites sphères qui serviront de points de réfé-rence. Une fois installé, l’appareil enregistrera laposition d’un nuage de points pendant sept minu-tes. Il sera ensuite déplacé pour un nouveau

relevé. Et ainsi de suite… Les sphèresde référence sont indispensables pourrelier entre eux les différents nuages depoints captés à chaque station du laserscanner.La modélisation tridimensionnelle per-mettra aux scientifiques de continuerl’étude de la grotte même si elle s’ef-fondre un jour, « car cette technique per-met d’agréger toutes les données sur unmême support », résume l’archéologue. Etpuisque ce site d’exception ne sera jamaisouvert aux visites, le grand public pourratout de même presque s’y promener… àtravers un écran.

Caroline Dangléant

Ô En ligne : le blog de la grotte des Frauxhttp://champslibres.hypotheses.org

1. Laboratoire CNRS / Université Montpellier-III /Ministère de la Culture et de la Communication / Inrap.2. Laboratoire CNRS / Université Toulouse-II.

Une grotte à immortaliser

raines obstrué depuis près de 3 000 ans. Il est àparier que les premiers chanceux ayant fouléces sols ont eu le sentiment de faire un sautdans le temps. « L’état de conservation de la grotteest exceptionnel, raconte Albane Burens. Un ébou-lement a bloqué tout échange avec l’extérieur et l’ar-gile des parois sur lesquelles des humains ont dessinéil y a plus de trois millénaires est toujours fraîche. Lescéramiques ne sont pas recouvertes de poussière, ona même le sentiment qu’en soufflant sur les foyers, desbraises vont rougir de nouveau! » Bien plus récenteque ses consœurs de Lascaux et Chauvet, lagrotte des Fraux est un témoignage unique del’âge du bronze en Europe, pour ses œuvresschématiques et abstraites gravées dans les parois

L es lampes frontales s’éteignent. Dans lenoir absolu, la numérisation peut com-mencer. Pendant sept minutes, sous lecontrôle attentif de Pierre Grussenmeyer,

spécialiste en modélisation à l’Institut nationalde sciences appliquées de Strasbourg, un appa-reil cyclopéen note l’emplacement exact de quel-que 42 millions de points. Nous sommes aucœur de la grotte des Fraux, dans le PérigordVert. Cette caverne ornée de l’âge du bronze(autour de 1 300 ans avant notre ère) va êtreentièrement reconstituée en trois dimensions.L’opération, démarrée fin 2008, se poursuivra lorsd’une mission organisée début février. Parmiles apprentis spéléologues, Albane Burens, dulaboratoire « Archéologie des sociétés méditer-ranéennes » de Lattes 1 et coresponsable de lafouille avec Laurent Carozza, du laboratoire Géo-graphie de l’environnement 2. Elle sera accom-pagnée d’un ingénieur chargé du fonctionne-ment du scanner et de trois spécialistes enmodélisation de l’équipe « Photogrammétrie etgéomatique » de l’Insa de Strasbourg. La missionest importante car ce site exceptionnel menacede s’effondrer. Un risque lié à la singulière his-toire de sa découverte.Un matin de 1989, Edmond Goineaud, agricul-teur du Périgord, a vu se vider le lac artificielqu’il avait creusé quelques années plus tôt. Lacause ? Une étroite ouverture au fond de lacuvette : le plafond d’une grotte venait de céder,donnant accès à un réseau de galeries souter-

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ARCHÉOLOGIE

CONTACTSÔ Albane BurensArchéologie des sociétés méditerranéennes,[email protected]

Ô Laurent CarozzaGéographie de l’environnement, [email protected]

Ô Pierre GrussenmeyerLaboratoire des sciences de l’image, del’informatique et de la télédétection, [email protected]

Mission VIEDESLABOS

Début février, des scientifiques vont poursuivre la numérisation 3Dde la grotte des Fraux, l’un des plus beaux sites de l’âge du bronzeen Europe. Un scanner dernier cri sera transporté sous terre pourmodéliser des vestiges et ornements pariétaux vieux de 3000 ans.

Reconstitution au millimètre près des parois de la « Galeriedes foyers ». Les textures des parois seront réalisées à partirde photos numériques.

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Grotte de Fraux : vue panoramique de la salle dite du pilier.

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Sur quelles thématiques PSA Peugeot Citröen et le CNRS collaborent-ils?Marc Duval-Destin: Nous effectuons des recher-ches avec une dizaine de laboratoires associés auCNRS pour diminuer les émissions polluantes,

réduire la consommationde carburant et améliorer lasécurité de nos véhicules.Concernant la préservationde l’environnement, cela setraduit par des travaux surdes techniques complexesde dépollution telle la cata-lyse par systèmes de NOx

1,sur les piles à combustible,l’adaptation des moteurs aux

biocarburants… Plusieurs équipes conduisentégalement des projets pour améliorer l’effica-cité de la combustion et la tenue mécanique desmatériaux utilisés, pour réduire les pertes d’éner-gie par frottement, sur l’aérodynamique… Enfin,dans l’optique de rendre nos véhicules toujoursplus sûrs, certains laboratoires développent desoutils de réalité virtuelle afin d’analyser les com-portements du conducteur, des systèmes per-mettant de corriger la trajectoire du véhiculetype ESP 2, l’aide à la conduite par traitementd’images extraites de caméras embarquées, deslogiciels de simulation de chocs, etc. Les thé-matiques sont nombreuses, passionnantes ettrès variées : il faudrait plusieurs heures pouren faire le tour !

Ces projets communs ont-ils débouché sur la commercialisation d’innovations?M.D-D.: Certains travaux issus de ce partenariatont abouti au développement d’applications trèsconcrètes qui équipent aujourd’hui nos voitu-res. Je pense notamment à des innovations nousayant permis de satisfaire à la norme Euro 5,entrée en vigueur en septembre 2009, qui fixede nouvelles limites maximales de rejets pol-luants pour les véhicules roulants. Notre colla-boration avec le CNRS a, par exemple, contribuéà la mise au point de moteurs Diesel adaptés àcette norme, à faire évoluer nos système de dépol-lution des gaz d’échappement et à rendre nosmoteurs compatibles avec les biocarburants depremière génération. Et parmi nos recherchescommunes menées sur les trois dernières années,certaines nous permettront très probablement de

développer des solutions pour être en règle avecla norme Euro 6 prévue pour 2014.

Quelles formes prennent les échanges entre les deux parties?M.D-D.: Nous lançons une vingtaine de nouveauxprojets de recherche avec des laboratoires cha-que année. La plupart prennent la forme de finan-cements de thèses, en majeure partie en parte-nariat avec le CNRS. Ainsi, à l’heure actuelle,une soixantaine d’études sont en cours. PourPSA, cela représente un budget engagé de prèsde deux millions d’euros, soit environ 500000 à700 000 euros annuels. Les relations entre leCNRS et PSA sont régies par un accord-cadre decollaboration qui vient d’être renouvelé pour unepériode de cinq ans. Il encadre notamment lesquestions de propriété intellectuelle : un pointtrès important dans l’optique de transférer certainsrésultats du laboratoire à la route. Ainsi, depuis2006, nous avons déposé pas moins de 18 bre-

vets ensemble ! Les domaines couverts vont desmembranes de piles à combustible en passant parla catalyse, les systèmes d’anticipation sur lesboîtes de vitesses, les suspensions antivibrations…

Comment sélectionnez-vous les laboratoiresavec lesquels vous travaillez?M.D-D.: Pour chacun de nos appels d’offres, leslaboratoires académiques susceptibles de répon-dre à notre demande sont mis en concurrence.Ils peuvent être Français (CNRS, CEA, univer-sités) ou d’autres pays européens. Nous sélec-tionnons ceux qui présentent les moyens et lesconnaissances les plus appropriés pour mener àbien des thèmes valorisables par PSA. À ce jour,nos travaux conduits avec des partenaires de larecherche publique en Europe représentent uninvestissement d’une dizaine de millions d’eu-ros, dont les trois quarts sur l’Hexagone.

PSA PEUGEOT CITROËN

Un partenariat qui roule

INNOVATION Entretien

Environnement, efficacité énergétique, sécurité… les travaux menés en commun par PSA Peugeot Citroën et le CNRS battent leur plein. Entretien avec Marc Duval-Destin, directeur de larecherche et de l’ingénierie avancée du constructeur automobile.

Le constructeur représente 5 % du marchéautomobile mondial et 13,8% du marchéeuropéen. Le groupe emploie plus de200000 collaborateurs à travers le monde dontplus de 18000 ingénieurs et techniciens répartisdans 4 centres d’études. En 2008, son chiffred’affaires a atteint 54,356 milliards d’euros.

PSA PEUGEOT CITROËN

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BRÈVE

Deux chercheurs du CNRS récompensésFin novembre, la fondation d’entreprise EADS a remis ses prix 2009. Deux directeurs derecherche du CNRS se sont vus distingués : Jean-Claude Laprie du Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes du CNRS est le lauréat du grand prix des sciences del’informatique ; Laurent Cohen, du Centre de recherche en mathématiques de la décision(CNRS / Université Paris-IX) a reçu pour sa part le prix des sciences de l’information.

> En savoir plus : www.fondation.eads.net/fr/laureat-prix-fondation-eads-2009

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

INNOVATION 15

ANALYSE SENSORIELLE

Les eaux ont le goût de leurs minéraux

L ’eau du robinet serait-elle insipide ?Certainement pas. Les distributeurs duprécieux liquide aimeraient même pou-

voir mieux caractériser son goût, pour ensuiteévaluer les préférences des consommateurs.Comment faire ? Un doctorant dijonnais,bénéficiant d’un contrat Cifre 1 associant leCNRS et la Lyonnaise des eaux, vient peut-être de trouver la solution. Dans le cadre desa thèse financée par le projet Sens’eau dupôle de compétitivité dijonnais Vitagora etréalisée sous la direction de Pascal Schlich,directeur de recherche au Centre européendes sciences du goût 2, Éric Teillet a déve-loppé une méthode inédite pour mesurerla perception du liquide livré à domicile. Ilassure que le goût de l’eau serait, avant tout,une affaire de teneurs en minéraux !Remplissez deux verres au robinet. L’un àÉpinal, l’autre à Dijon. Dégustez-les. Mêmedébarrassés des arômes emmagasinés aucontact des conduites ou du chlore utilisépour leur désinfection, une différence degoût apparaîtra. Mais laquelle exactement ?Et où ira la préférence des buveurs ? Pourrépondre à cette double question, Éric Teil-let a commencé par demander à un panel de389 personnes de classer, en fonction deleur ressemblance, une cinquantaine d’eauxminérales et de ville provenant de toutes lesrégions de France. Le jeune chercheur aainsi établi que non seulement les eaux fran-çaises pouvaient globalement être regrou-pées en trois familles de goûts – appeléespar lui « Volvic », « Evian » et « Contrex » –,mais que ces catégories correspondaient à desteneurs en minéraux plus ou moins fortes. Une fois cette échelle établie, Éric Teillet a ana-lysé les goûts des individus. Selon lui, 53 %des Français marqueraient une nette préfé-rence pour les eaux de minéralité moyennedu type « Evian » (de 200 à 800 mg/L) 3. Aucontraire, 19 % d’entre eux apprécieraient

aussi bien les faibles teneurs que les fortes.Ce qui ne serait pas le cas des 28 % de lapopulation inconditionnelle du genre « Vol-vic » : chez ces consommateurs peu friandsde minéraux, la qualité gustative des eauxbaisserait avec l’augmentation de la dose !« Ce travail n’a pas seulement un objectif aca-démique, explique Pascal Schlich. Éric Teilletpropose un procédé pour évaluer les goûts d’unepopulation en matière d’eau et montre qu’ilexiste des variations régionales et typologiques.Ce qui peut être très utile pour les compagnieslorsqu’elles doivent fixer la teneur en minérauxdes eaux qu’elles se proposent de distribuer. »Preuve de l’utilité de la méthode : la sociétéAgbar, sœur de la Lyonnaise des eaux ausein de Suez Environnement, vient d’y faireappel pour évaluer, suite à l’installation enbord de mer d’une usine de dessalement,l’impact des mélanges d’eaux sur les goûtsperçus par les habitants de Barcelone.

Vahé Ter Minassian

1. Les conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre) subventionnent les entreprises qui embauchent un doctorant pour collaborer avec un laboratoire public.2. Unité CNRS / Université de Bourgogne / Inra.3. La minéralité des eaux citées est la suivante : Volvic(121 mg/L), Evian (326 mg/L) et Contrex (2 039 mg/L)

CONTACTÔ Pascal SchlichCentre européen des sciences du goût,[email protected]

La réalité virtuellefait partie destravaux de pointemenés par le CNRSet le groupe PSAPeugeot Citroën.Dans cette salle, on simule le travailsur une chaîne demontage.

Que vous apportent ces partenariats?M.D-D.: Ces échanges sont indispensables carnous n’avons pas, en interne, les outils et lescompétences requises pour certaines thémati-ques parfois très pointues. Nous allons donc lestrouver auprès de la recherche publique fran-çaise et européenne dont le niveau est très élevé.Pour preuve, le recrutement au poste de directeurscientifique chez PSA se fait prioritairementparmi des candidats provenant du CNRS. Pourma part, je suis très sensible à l’intérêt de confron-ter la culture du CNRS avec nos modes de pen-sée. Et je garde un souvenir vif et agréable de monpassage au Centre de physique théorique deMarseille 3, lorsque je présentais ma thèse sur lamodélisation du système visuel humain !

Propos recueillis par Jean-Philippe Braly

1. Systèmes de réduction des émissions d’oxydes d’azotes.2. Electronic Stability Program. Équipement de sécurité activedestiné à améliorer le contrôle de la trajectoire d’un véhiculeautomobile en agissant sur le système de freinage et sur lecouple moteur.3. Centre CNRS / Universités Aix-Marseille-I et -II /Université de Toulon.

CONTACTÔ Marc Duval-DestinPSA Peugeot Citroë[email protected]

Des chercheurs ont mis au point une méthodenovatrice de perception du goût de l’eau.

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représentait 6,5 % du chiffre d’affaires de l’édition. La même année, 4 746 bandesdessinées sont publiées (dont 3 592 strictesnouveautés), soit une progression, par rapportà 2007, de 10,04 % 1. Une centaine de séries,tirées à plus de 50 000 exemplaires,dynamisent l’ensemble du marché. Ces quinzedernières années, la bande dessinée s’estbeaucoup renouvelée avec de nouveaux genrescomme la BD de reportage, le journal intime...Et l’ouverture vers d’autres horizons, le Japonnotamment, a aussi contribué à cette réussite.Les mangas ont fait fureur auprès des adolescents qui ont pu, grâce à ceux-ci, se démarquer des BD de leurs parents.

Pourtant, des voix discordantes parlent d’uneffondrement probable du secteur, voire de lamort prochaine de la BD…É.D. : Il y a toujours des dangers lorsqu’on veutvendre en grande quantité. Les éditeurspublient tous les styles, tous les genres et danstous les formats. Ils allongent certaines sériespour maintenir le lecteur en appétit, mais en stoppent d’autres avant la fin pour caused’impératifs économiques. Plus ils produisent,plus il y a de chances pour que certains titresne fonctionnent pas, et que la qualité desalbums en pâtisse. Cela a des répercussionssur le lecteur qui se lasse ou se sent perdu, et sur le travail des libraires qui n’arrivent plus à tout découvrir. Toutefois, la fin de la BDn’est pas d’actualité : la créativité et le renouvellement sont encore au rendez-vous,et le développement d’une énorme activitésecondaire ou dérivée (films, dessins animés,jeux vidéo, blogs...) en stimule plus que jamaisla consommation.

Propos recueillis par Géraldine Véron

Ô À lireLa bande dessinée : art reconnu, média méconnu, Éric Dacheuxen collaboration avec Jérôme Dutel et Sandrine Lepontois,Hermès n°54, CNRS Éditions, août 2009, 250 p.

1. Sources : Association des critiques et journalistes debande dessinée (ACBD).

Du 28 au 31 janvier, Angoulême accueille le 37e Festival international de la bande dessinée(BD). Chaque année, environ 200000 visiteurs se pressent pour rencontrer les grands auteurs et découvrir les œuvres présentées. Commentexpliquer cet attrait pour le neuvième art?Éric Dacheux : En France, l’attrait pour la BD a toujours été très fort. Mais il s’est accentuédans les années 1960, lorsqu’elle est devenueun mode d’expression reconnu, destiné autantaux enfants qu’aux adultes. Grâce aux magazines comme Hara Kiri, Pilote ou Le journal de Tintin, elle a pénétré toutes les couches de la société. Petit à petit, cettereconnaissance à la fois esthétique (reconnuecomme art à part entière), intellectuelle et culturelle lui a conféré sa légitimité.Aujourd’hui, la bande dessinée est présentepartout comme en témoignent la placeimportante qui lui est réservée dans les librairies et les bibliothèques, oul’utilisation qui en est faite par les associationsdans des domaines aussi variés que la lutteantinucléaire ou la prévention des abussexuels. Autres signes de cette évolution :l’entrée de la bande dessinée au musée du Louvre avec une exposition en 2009 ou encore l’accueil enthousiaste et unanimeréservé au film Persepolis, tiré des quatrealbums autobiographiques de Marjane Satrapi.

Tintin, Astérix, Gaston ou Spirou sont un peunotre madeleine de Proust. Ce succès de labande dessinée ne rime-t-il pas surtout avecsouvenir de jeunesse?É.D. : Derrière cet amour de la BD remonte,sans aucun doute, une part d’enfance. Mais lire

de la bande dessinée, c’est avant tout un plaisir.Elle est un objet de création qui pousse le lecteur à être lui-même inventif. Si l’histoireracontée met en images un mondesuffisamment présent, elle conserve des zonesd’ombres entre ses cases. Ainsi, le lecteur lit àson rythme et recrée les éléments manquants.Il reconstruit ainsi l’espace, le mouvement et letemps du récit. Il réinvente sa bande dessinée.C’est ce jeu entre l’histoire d’un autre et sa propre histoire qui est à l’origine du plaisir.

De la BD d’humour grand public à l’œuvreexigeante, la multiplication des genres fait-ellela force de cet art?É.D. : Comme pour le cinéma ou la littérature,offrir un large éventail de titres, une panopliede sensations et de niveaux d’exigences,permet de séduire le plus de gens possible.Des personnes qui n’avaient jamais lu de BD,ou qui avaient cessé d’en lire, s’y plongentavec plaisir. Elles commencent par s’intéresserà des ouvrages grand public tels que XIIIou Titeuf avant de se diriger vers des bandesdessinées dites d’auteurs, comme Persepolis.La bande dessinée est traversée par cettetension, qui touche tous les arts, entre une approche très élitiste et avant-gardistenécessaire pour renouveler le genre et uneapproche très industrielle et plus grand public.En créant des passerelles entre les deux, la bande dessinée a atteint sa pleine maturité.

Ce succès populaire se retrouve-t-il sur le planéconomique?É.D. : Oui. Le secteur ne s’est jamais aussi bienporté. En 2008, son chiffre d’affaires global

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Éric Dacheux, chercheur au laboratoire «Communication et politique»du CNRS, professeurdes universités en sciences de l’information et de la communication à l’université Blaise-Pascal

La bande dessinée,un art à part

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PAROLED’EXPERT16

CONTACTÔ Éric DacheuxCommunication et politique, [email protected]

«La BD est un objetde création qui poussele lecteur à être lui-même inventif.»

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Après mes journées au laboratoire, la philosophieoccupe le plus clair de mon temps libre.”

Entre biologie et philosophie,Georges Chapouthier n’a pasvoulu choisir. Neurobiologiste,directeur de recherche CNRS

au Centre émotion-remédiation etréalité virtuelle 1, spécialiste des liensentre anxiété et mémoire, l’hommeest aussi auteur d’essais sur l’ani-malité, le droit de l’animal, et l’éthi-que de nos relations à la nature. Paruchez Belin en 2009, l’un de ses der-niers ouvrages, Kant et le chimpanzé,traite de la continuité entre animal etêtre humain, et des racines « natu-relles » de concepts aussi évolués quel’art et la morale. Le débit est rapide,les idées fusent, précises : GeorgesChapouthier n’est pas homme à per-dre de temps. C’est qu’il a dû optimiser sonagenda pour mener de front ses deux carrières !« Après mes journées au laboratoire, la philosophieoccupe le plus clair de mon temps libre. Mais enfait, j’y pense continuellement, avoue-t-il. D’ail-leurs, je vois mal comment j’aurais pu avoir ce par-cours sans cette passion pour ces deux disciplines ! » Ce double attrait ne date pas d’hier. « Nous som-mes tous conditionnés par notre enfance », estime-t-il. La sienne fut marquée par une doubleinfluence. Son côté littéraire, un appétit pour leslivres qu’il dévore depuis son plus jeune âge, ille doit à son père, archéologue et professeur degrec à la Sorbonne, et à sa mère qui enseignaitles lettres classiques dans un lycée. Son intérêtpour les sciences est, lui, un avatar de « cetteappétence pour les animaux qui, pour des raisonsmystérieuses, touche certaines personnes ». Enfant,il se réjouissait de retrouver les animaux de laferme de son grand-père, en Charente, connais-sait par leur nom tous les chiens du village, pas-sait des heures avec les chats. « Cet amour des bêtesest à l’origine de ma volonté de comprendre leurcomportement », analyse-t-il rétrospectivement. En terminale, le jeune homme doit bien faire unchoix. Il opte pour les sciences. « J’aimais les

lettres, mais pas le latin », justifie-t-il. S’ensuitune classe préparatoire en biologie, puis l’Écolenormale supérieure. C’est avec son sujet dethèse de troisième cycle, sur l’apprentissage desvers plats, qu’il entame sa carrière d’explora-teur de la mémoire. Une exploration fructueuse.Dans les années 1980, avec Jean Rossier, aulaboratoire de physiologie nerveuse du CNRS,à Gif-sur-Yvette, il montre qu’à dose très faible,une molécule, la β-CCM, facilite l’apprentissagechez la souris, tandis qu’à dose plus forte, ellele perturbe et provoque l’anxiété. Ces travaux, quisuggèrent qu’anxiété et mémoire reposent surun même mécanisme, lui valent deux publica-tions, coup sur coup, dans la revue Nature. En1989, il rejoint le groupe de génétique du com-portement de Pierre Roubertoux à la faculté demédecine de Paris. Et c’est là qu’il met en évi-dence certains facteurs génétiques condition-nant la sensibilité à l’anxiété, en produisantdeux lignées de souris dont l’une est sensible, etl’autre est résistante à la β-CCM. Enfin, en1995, il intègre son unité actuelle, le laboratoirede Roland Jouvent, afin de poursuivre ses recher-ches sur l’action des molécules sur l’anxiété etla mémoire des rongeurs.

RENCONTREAVEC 17

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Beaucoup se seraient contentés decette carrière bien remplie de biolo-giste. Mais à peine l’avait-il entaméeque le littéraire en lui souffrait déjàd’être délaissé. Goût pour les étudesoblige (encore un coup du condi-tionnement familial), il entreprend,juste après sa nomination au CNRS,un cursus complet en philosophie,parallèlement à son activité de jeunechercheur. « Je me disais que mes futurstravaux de philosophe pourraient senourrir de mes recherches en biologie. »Ce spécialiste de la mémoire sou-tiendra donc une thèse de troisièmecycle en philosophie sur le conceptd’information. Plus tard, il exploreral’apparent paradoxe qu’il y a à expé-

rimenter sur les animaux, quand on est depuistoujours défenseur de leur cause, dans sa thèsed’État sur le respect de l’animal. Publié en 1990aux éditions Denoël sous le titre « Au bon vouloirde l’homme, l’animal », ce travail est devenu uneréférence en matière d’éthique et de droit del’animal.À deux ans de la retraite, Georges Chapouthiern’est pas prêt de se retirer du monde des idées.Côté sciences, il entame un nouveau chapitrede ses recherches pour étudier, sous la directiondu professeur Jouvent, les rapports entre anxiétéet mémoire chez l’être humain, sans oublier desprojets de livres sur le cerveau. Ensuite, il aime-rait se consacrer pleinement aux lettres, voire àla littérature. « J’aimerais m’essayer à la science-fiction », confie-t-il. Et, peut-être, se retirer à la cam-pagne, avec des compagnons à quatre pattes.

Marie Lescroart

1. Unité CNRS/APHP Pitié-Salpêtrière/Université Paris-VI.

GeorgesChapouthierNeurobiologiste

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L’ENQUÊTE18

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

En 2002, les gouvernements de la planète s’engageaient à mettre un terme àl'appauvrissement de la biodiversité d’ici à 2010. Nous y sommes, et l’objectif est loin d’êtreatteint. Il est temps d’agir de manière radicale. Une chose est sûre : les chercheurs du CNRSsont déjà au travail, un peu partout sur le globe, en Amazonie, en Afrique, sur les océans… ou même en pleine ville ! Et dans les labos, toutes les approches allant de la biologiemoléculaire à l’économie sont à l’étude pour mieux connaître les espèces et les sauver.Alors que débute l’Année internationale de la biodiversité décrétée par l’Onu, Le journal du CNRS donne un coup de projecteur sur ces missions sauvetages de la nature.

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Pour leur inventaire des espèces, les chercheurs du programme Amazonie,comme ici Jérôme Chave, vont directement récolter lesfeuilles dans certains arbres.

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Notre maison brûle. » La formule estrestée fameuse. Presque huit ansaprès le discours prononcé par Jacques Chirac au sommet de laTerre de Johannesbourg, l’incen-

die ne semble pas prêt de s’éteindre : actuelle-ment, sur la « liste rouge » de l’Union interna-tionale pour la conservation de la nature, 36 %des espèces animales et végétales sont menacées1

à plus ou moins long terme. Le taux d’extinctionactuel des espèces est 100 à 1 000 fois plusrapide que le taux naturel. On évoque donc unesixième crise d’extinction, qui ne serait pas, à ladifférence des cinq premières, causée par unévènement naturel comme un volcanisme impor-tant ou l’impact de météorites. Le responsable ?L’humain. « Il y a une concurrence pour l’espace »,explique l’écologue Robert Barbault, du labora-toire « Conservation des espèces, suivi et restau-ration des populations » 2. « Comme le castor oul’éléphant, l’homme transforme l’environnement…mais de façon décuplée en raison de ses techniques.Il scie la branche sur laquelle il est assis. » La destruction humaine de la biodiversité, com-mencée dès le Paléolithique, s’est accélérée aucours de la Révolution industrielle, puis dans laseconde moitié du XXe siècle, avec l’explosiondémographique, la surexploitation des ressour-ces, la construction de villes et d’autoroutes,l’accumulation de déchets, la pollution, l’intro-duction d’espèces invasives. Ou encore la défo-restation, qui vise à exploiter le bois ou à utili-ser les terres pour l’agriculture. Au niveaumondial, « il n’y a pas de tendance au ralentisse-ment de la déforestation », constate Jérôme Chave,directeur de rechercheCNRS au laboratoire« Évolution et diversitébiologique » 3. Le chan-gement climatique pour-

rait aussi nuire à la biodiversité, notamment enaggravant les sécheresses en forêt amazonienne.Un drame : cet écrin abrite 11 000 espèces d’ar-bres – contre 200 dans toute l’Europe… (lirep. 22).L’état des lieux est inquiétant : on compteaujourd’hui trente-quatre « points chauds » duglobe, zones caractérisées à la fois par leur grandnombre d’espèces et par une menace accruesur leur biodiversité. Parmi eux, figure le bassinméditerranéen. Sa mosaïque de paysages, de

reliefs et de climats favorise l’originalité et lavariété des espèces… dont les habitats sont frag-mentés par une forte pression démographiqueet urbaine sur les côtes. Conséquence : « Rien quesur le littoral marseillais, plus d’une dizaine d’espè-ces de plantes sont menacées », comptabilise ThierryTatoni, directeur de l’Institut méditerranéend’écologie et de paléoécologie (Imep) 4. Si la disparition des espèces est si inquiétantepour l’humain, c’est parce qu’elles forment unréseau, irrigué par leurs interactions de préda-tion, de parasitisme, de symbiose. En somme,de la biodiversité dépend la vitalité du tissuvivant. Exemple : quand les abeilles toussent, lapollinisation s’enraie, les fleurs s’enrhument.La biodiversité est nécessaire à l’équilibre deschaînes alimentaires, à l’épuration de l’eau etde l’air, à la régulation du climat. L’espècehumaine, elle, y trouve de quoi s’alimenter, sechauffer, s’habiller… et même se soigner : de40 à 70 % de nos médicaments en sont issus,alors que l’exploration des océans à des fins thé-rapeutiques débute à peine.

L’ENQUÊTE 19

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Buissons d’astragalede Marseille (sur lagauche de la photo),une plante protégéeau niveau national.

Un « point chaud » ou hot spot est une zone où lesespèces sont à la foistrès nombreuses et particulièrementmenacées.

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Polynesia- Micronesia

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Central Asia

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Wilderness AreasLes 34 « points chauds » de la biodiversitéFévrier 2005

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Forêts côtières d'Afrique occidentale

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Province floristique de Californie

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Polynésie-Micronésie

Nouvelle CalédonieCalédonieNouvelle CalédonieSud-Ouest

de l’Australie

Mélanésie orientale

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Montagnes d’Asie centrale

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Désert irano-anatolien

Indo-Indo-BirmanieBirmanieIndo-Birmanie

Himalaya

PhilippinesPhilippinesPhilippines

Wallacea Wallacea Wallacea

SundalandSundalandSundaland

Montagnes de la Chine occidentale

Ghats Occidentales et Sri Lankaet Sri Lanka

Ghâts occidentaux et Sri Lanka

Caucase

Corne d'Afriqued'Afrique Corne d’Afrique

Bassin MéditerranéenMéditerranéenBassin méditerranéen

Maputaland-Pondoland-Albany

Forêts côtières d'Afrique orientale

Madagascar & Iles de l’Océan indienl’Océan indien

Madagascar & îles de l’océan IndienBiome

Succulent Karoo

Région floristique du Cap

HOTSPOTS

Andes tropicales

Bois de pins et dechênes de Madrean

Région de Tumbes-Région de Tumbes-Chocó-MagdalenaChocó-MagdalenaRégion de Tumbes-Chocó-Magdalena

Forêt atlantique tropicale d'Amérique du Sud

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Forêts australes du Chili

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Menaces sur le vivant

MENACES SUR LE VIVANT > 19AMAZONIE : LES CHERCHEURS EN PREMIÈRE LIGNE > 22

RÉINVENTER L’AGRICULTURE > 28LA VIE CACHÉE DES VILLES > 29

« ESTIMER LA VALEUR DE LA NATURE » > 30

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LE TOP 10 DES NOUVELLES ESPÈCES DÉCRITES EN 2008

L’ENQUÊTE20

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

RÉPERTORIER LES ESPÈCESAlors comment sauver cette biodiversité? Toutd’abord en la connaissant mieux. Car si 1,8 mil-lion d’espèces animales et végétales ont déjàété décrites, des micro-organismes aux plusgrands mammifères, il resterait encore de 10 à100 millions d’espèces à découvrir ! Cette entre-prise de description aussi colossale qu’ardue

est aujourd’hui relancéeavec les techniques deséquençage d’ADN mas-sif et de biologie molé-culaire, et les missionsd’exploration qui se mul-tiplient sur la planètecomme Tara dont leCNRS est partenaire 5.Outre cet inventairemondial, il s’agit ausside comprendre les mena-ces à l’échelle locale. Etpour y arriver, de nom-breuses disciplines sontconvoquées. Prenons lecas des Grands Causses,au sud du Massif Cen-tral, où la forêt progressedepuis plusieurs décen-nies, au détriment desespaces ouverts et de la

biodiversité globale. « Longtemps, ce phénomènea été attribué à des changements dans les pratiquesd’élevage, car la baisse du nombre de troupeaux

élevés de manière itinérante, depuis les années 1960,a coïncidé avec une extension spectaculaire de la sur-face boisée, résume John Thompson, écologue auCentre d’écologie fonctionnelle et évolutive àMontpellier. Mais une coopération avec des géogra-phes nous a permis de montrer que c’est plutôtl’abandon du système de culture traditionnelle, à lafin du XIXe siècle, qui explique l’avancée de la forêt,près de cinquante ans plus tard. »

LE TEMPS DE L’ACTIONLes scientifiques qui s’appliquent à livrer desdonnées précises et validées sur la biodiversitéet les menaces, souhaiteraient des moyens aussiimportants que ceux alloués à la compréhen-sion du réchauffement climatique. Car les indi-cateurs manquent. Pour l’heure, Thierry Tatonine veut pourtant pas trop noircir le tableau. « Endehors des systèmes insulaires, nous ne sommes pasencore dans une phase de grande régression. Sur lepourtour méditerranéen, très peu d’espèces végéta-les ont disparu… mais beaucoup sont rares, rédui-tes, fragilisées. » Bref : « Il est encore temps d’agir. »Des initiatives locales ont déjà été prises pourla biodiversité. Comme la législation qui

Sur la liste des pointschauds, la région du Cerrado abriterait160 000 espècesanimales et végétales.

PHOBAETICUS CHANIBORNÉO, MALAISIE.

56,7 cm : ce phasme est l’insecte le pluslong du monde. « Parfois jugée dépassée à la fin du XXe siècle, la description de labiodiversité connaît aujourd’hui un regain »,note le taxinomiste Philippe Bouchet.

MICROBACTERIUM HATANONIS,DANS DU SPRAY.

Cette microbactérie,baptisée en l’honneurdu chercheur KazunoriHatano, vit dans unmilieu extrême, duspray pour cheveux.

OPISTHOSTOMA VERMICULUMMALAISIE.

Cet escargot ne serapas éteint avant d’êtredécrit, contrairement à d’autres organismes...Entre sa récolte et son étude, une espèce« attend » souvent de deux à quinze ans,dans un muséum.

HIPPOCAMPUS SATOMIAEBORNÉO, INDONÉSIE.

Long de 13,8 mm, hautde 11,5 mm, le pluspetit des hippocampesest l’une des 16 000nouvelles espècesdécrites chaque année.Faute d’indicateur,difficile de savoir si cenombre croît ou baisse.

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MATERPISCIS ATTENBOROUGHI AUSTRALIEET COFFEA CHARRIERIANACAMEROUN.

Un fossile vieux de380 millions d’années,portant encore sonembryon. Et un cafédu Cameroun...naturellement sanscaféine.

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Source : International Institute for Species Explorationwww.species.asu.edu/Top10

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L’ENQUÊTE 21

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

s’oppose à la déforestation au Brésil, cepen-dant « difficilement applicable en raison de l’éten-due du pays » selon Jérôme Chave. Ou encoreles réintroductions d’animaux, qui imposentpréalablement de saisir les raisons de leur dis-parition et de travailler avec les populations, etqui ne sont pas toutes couronnées de succès.Depuis l’ouverture du premier parc nationaldu monde, en 1872 à Yellowstone (États-Unis),la surface des espaces protégés augmente régu-lièrement. Mais reste insuffisante, et pas tou-jours facile à surveiller. « L’idée de sauvegarder desespaces est bonne, celle d’en interdire nécessaire-ment l’accès aux hommes est mauvaise », ajouteRobert Barbault. Car la protection de la biodi-versité doit aussi tenir compte des utilisationsde la nature par les populations locales, pour leursubsistance. Elle ne peut ignorer la dimensionsociale et de lutte contre la pauvreté, surtoutdans les pays du Sud. Robert Barbault, lui,défend donc le concept international de « réservede biosphère », à l’image des Cévennes. Unterritoire qui permet la coexistence des espècesà conserver et des populations, impliquées dansle projet.

Et au niveau global? Réflexions et sensibilisationsse succèdent. En 1992 est signée la Conventioninternationale sur la diversité biologique, dontla conservation est « une préoccupation communeà l’humanité ». En 2002, à Johannesbourg, lacommunauté internationale adopte un plan etentend obtenir « d’ici à 2010 (...) une réductionimportante du rythme actuel d’appauvrissementde la diversité biologique ». Le bilan – sans doutedécevant– doit donc être dressé en 2010, annéede la diversité biologique. Signe des temps, le prixNobel d’économie a été décerné à Elinor Ostrom,dont les réflexions portent sur la gestion desbiens d’accès libre, comme l’eau ou la biodiver-sité. Les lieux d’expertise se multiplient, telle laplateforme intergouvernementale IPBES en ges-tation, sur le modèle du Giec consacré au climat.« Associations, scientifiques et monde politique serapprochent, se félicite Robert Barbault. Cettedynamique modifie la prise de décision politique,même si cela ne va pas assez vite. » Aucun actemajeur n’a en effet suivi les paroles. Et le salutne viendra pas de l’innovation. « Pour le climatet la biodiversité, les solutions ne peuvent pas être uni-quement techniques », relève Jérôme Chave.

La nécessité de transformer la société se des-sine. Car la biodiversité pâtit du primat de l’éco-nomie sur l’écologie, comme l’illustre la coupede la forêt tropicale. Le développement durable,qui entend marier des intérêts (économique,écologique, social) contraires, suffira-t-il ? Enattendant, les scientifiques ont déjà pris position,en première ligne, pour de nombreuses mis-sions sauvetages.

Mathieu Hautemulle

1. Sous l’appellation « menacées », l’UICN regroupe lesespèces « en danger critique d’extinction », « en danger »ou « vulnérable », en fonction de critères comme la taille dela population ou son taux de déclin.2. Unité CNRS / MNHN / Université Paris-VI.3. Unité CNRS / Université Toulouse-III / Enfa.4. Unité CNRS / Universités Aix-Marseille-I et III /Université d’Avignon / IRD.5. Lire « Un tour du monde pour la vie marine », Le journal du CNRS n°234-235, juillet-août 2009, p. 24.

CONTACTSÔ Robert Barbault, [email protected]

Ô Jérôme Chave, [email protected]

Ô John Thompson [email protected]

Ô Thierry Tatoni [email protected]

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LEPTOTYPHLOPS CARLAEBARBADE.

Le plus petit serpent du monde. La découverte d’espèces (en majorité dans les zones tropicales) est un signepositif à l’heure où les mauvaises nouvellesconcernant la nature se multiplient.

TAHINA SPECTABILISMADAGASCAR.

Nouvelle espèce et nouveau genre, ce géant, voisin depalmiers d’Afghanistan,de Thaïlande, du Viêt Nam et deChine, pousse dans un « point chaud » de la biodiversité.

CHROMIS ABYSSUSÎLES PALAU.

Découverte à plus de 110 mètres de profondeur grâce à l’utilisation denouvelles techniquesde plongée, voici la première espèceenregistrée sur la nouvelle base de données en ligneZoobank.

SELENOCHLAMYS YSBRYDAPAYS DE GALLES.

Dans un contexted’échanges mondiaux,des espècess’introduisent ailleursque dans leur milieud’origine. Cettelimace, découvertedans un jardin,pourrait avoir voyagédans le pot d’uneplante.

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Contact : Philippe Bouchet, « Systématique, adaptation, évolution » (CNRS / Université Paris-VI / MNHN / IRD), Paris. [email protected]

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faire tomber une belle moisson d’insectes incon-nus ! Mais postés sur ce terrain fascinant, leschercheurs du CNRS se posent bien d’autresquestions fondamentales. Dont celle-ci, cru-ciale : pourquoi tant de diversité dans cette forêt? « Notre but, explique Jérôme Chave, chercheurdu laboratoire Évolution et diversité biologique 2

et habitué des Nouragues, est de comprendre pour-quoi autant d’espèces différentes coexistent locale-ment. » Alors que cela va exactement dans lesens contraire de la théorie darwinienne classi-que et de son impitoyable compétition entreespèces qui aboutit à la sélection des plus aptes.

Guyane française, base scientifiquedu CNRS, station des Nouragues,au cœur de la forêt amazonienne.Depuis plus de cinq ans, une cin-quantaine de chercheurs de nom-

breuses disciplines participent ici à l’ambitieuxprogramme Amazonie 1. Objectif : décryptercette forêt, la plus riche, la plus extravagante dumonde, qui recouvre quelques 4 millions dekilomètres carrés répartis sur neuf pays, soitprès de la moitié des forêts équatoriales. Unthéâtre où 1,5 à 1,8 millions d’espèces vivantess’étripent, s’associent, se parasitent ou s’ignorent

poliment, formant un indescriptible et bruyanttohu-bohu, auquel il faut ajouter les 20 millionsd’êtres humains qui habitent aussi ce vaste bas-sin. Cet écosystème baroque rassemble à luitout seul près de 10 % des espèces de notre pla-nète. Et ce alors que seulement 200 000 espè-ces locales (environ) ont déjà été décrites scien-tifiquement. En secouant assez fort un arbrepris au hasard, un entomologiste pourrait en

LE HASARD MÈNE LA DANSEEn effet, si la compétition était la seule force enœuvre, une poignée d’espèces aurait éliminétoutes les autres. Et ce n’est pas du tout ce queles chercheurs observent en pratique. Il leurfaut donc imaginer de nouvelles théories qu’ilsnourrissent de leurs précieuses observations deterrain. « Nous reconstruisons un cadre théoriqueet des modèles mathématiques qui reproduisent ladistribution et l’abondance des espèces », reprendJérôme Chave. Une théorie de la biodiversitése construit ainsi pas à pas. Son fondement?La théorie dite « neutraliste » de l’évolution.

Dans ce modèle, la com-pétition entre espècesn’a finalement qu’un fai-ble impact sur l’aspectde la forêt. Et la grandeforce gouvernant cetécosystème, c’est… lehasard. Selon AlainPavé, directeur du pro-

gramme Amazonie, ce fameux hasard est béné-fique et nécessaire car il mène à la multiplicationdes espèces : « La biodiversité est une assurancepour la vie. Si vous avez beaucoup de diversité,vous avez des organismes potentiellement adaptésà des environnements différents et une perturba-tion majeure n’aura pas de conséquences irrémédia-bles. Si la vie ne s’était pas vite diversifiée grâce auhasard, elle aurait très tôt disparu de la planète. » Le directeur du programme Amazonie poussela réflexion plus loin. Ces questionnements surl’évolution peuvent en effet déboucher sur desproblèmes plus concrets, liés à la protection dela forêt. « Connaître la dynamique naturelle deces écosystèmes devrait permettre de concevoir unaménagement des grands espaces amazoniens touten limitant l’impact de l’homme sur la biodiver-sité », affirme Alain Pavé. Le temps où l’Amazo-nie était un enfer vert inexpugnable est révolu.

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Amazonie : les chercheurs en première ligne

En Amazonie, la diversité des espècesest exceptionnelle. On y trouve par exemplele crapaud deLeschenault (1), les fourmis ditesAllomerusdecemarticulatus qui vivent toujours dans

la même plante (2), des papillons du genreHéliconius (3), des arbres tropicaux detype Pachira aquaticadont on voit ici la fleur (4), des combrétacées,plantes que l’on retrouvedans la pharmacopée

traditionnellelocale (5), la mygale de Leblond (6) qui doitson nom à sondécouvreur, desfourmis Atta (7)coupeuses de feuilleset, enfin, une fourmi dugenre Ponerinae àmandibules fermées (8).

Ce ballon gonflé à l’héliuma été utilisé pourtransporter un chercheur au-dessus de la canopée.

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Un des trois pylônes de 45 mètres de hauteur du système Copas. Une nacellese déplace le long des câbles qui les relient, permettant aux scientifiques deprendre de la hauteur pour étudier le sommet de la forêt.

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L’heure est à l’aménagement du territoire et audéveloppement durable, auxquels les chercheurspeuvent apporter leur expertise. « La mise souscloche de la forêt est techniquement impossible etsocialement peu correcte. » De nombreuses person-nes vivent en effet des ressources de la forêt etdu sous-sol. « En revanche, on peut très bien uti-liser les ressources de façon intelligente et raisonnéepour préserver l’essentiel tout en satisfaisant lesbesoins des populations. C’est là l’une des finalitésde nos recherches. »

PROTÉGER EN VALORISANTValoriser la biodiversité est peut-être le meil-leur moyen de la protéger, comme le sait bien lelaboratoire Écologie des forêts de Guyane 3. Seschercheurs sondent constamment la forêt poury trouver des molécules qui pourraient nousêtre utiles. Pour cela, ils ont une stratégie : labioinspiration. « Nousnous demandons d’abordquelle est la fonctiond’une molécule dansl’environnement, puisensuite, à quoi elle pour-rait nous servir », expli-que Didier Stien, chi-miste de ce labo. Unbel exemple de cetteapproche, qui trouvedes applications enpharmacologie, en cos-métique ou mêmedans le bâtiment,concerne le bois deconstruction. « Si cer-tains arbres résistentaussi bien à l’attaque destermites et des champignons, c’est parce qu’ils pro-duisent des molécules aux propriétés fongicides ouinsecticides. En appliquant ces produits sur desconstructions en bois, nous avons réussi à augmen-ter significativement leur résistance. » Voilà qui vaintéresser bien des charpentiers. Et ce n’est pastout : certaines molécules fongicides du boisempêchent tout aussi bien le développementdes champignons de la peau, les mycoses… etvoilà qui va intéresser les dermatologues ! Leschercheurs d’Ecofog ont par ailleurs créé, avecun industriel guyanais, une entreprise pourvaloriser certains produits de la forêt. Leur pre-mier projet : commercialiser les huiles essentiel-les extraites du bois d’une famille d’arbres tro-picaux : les lauracées. L’odeur puissante et épicéede ces huiles devrait notamment intéresser lesparfumeurs. Il existe une bonne centaine d’es-pèces au sein de cette famille, dont certainessont encore très mal connues. Les propriétésantifongiques, antibactériennes et insecticidesdes huiles essentielles qu’ils contiennent sontégalement en cours d’étude.

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L’amarante est unarbre que l’on trouveen Guyane. Son boisvire au violet après la coupe.

Ici, les scientifiquestentent d’identifier les espèces d’arbresdepuis le sol. >

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actuel, une déstabilisation de ce grand régulateurdu climat pourrait avoir de lourdes conséquen-ces. « Les forêts sont des puits de carbone car ellesabsorbent et stockent une partie du dioxyde de car-bone (CO2) de l’atmosphère. Sans elles, l’augmen-tation du taux de CO2 dans l’atmosphère serait

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Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Autres pistes explorées par les chercheurs, cel-les des remèdes traditionnels : ceux-ci peuventcontenir des composés actifs qui méritent d’êtretestés. Les chercheurs s’intéressent notammentà la leishmaniose, une affection tropicale quitouche environ 300 000 personnes par an dansle monde. L’arsenal pharmaceutique contre cettemaladie est très réduit et les recherches pour ledévelopper sont assez peu nombreuses. « Enpartenariat avec Géneviève Bourdy, ethnopharma-cologue à l’IRD, nous sommes en train de testercertaines molécules issues de trois plantes prove-nant de l’Amazonie péruvienne qui semblent être trèsactives contre cette maladie », explique DidierStien. Par ailleurs, les chercheurs d’Ecofog ana-lysent actuellement les recettes traditionnellesutilisées contre le paludisme qui tue plus d’unmillion de personnes par an.

APRÈS LA DÉFORESTATION, LE RÉCHAUFFEMENTOn le voit : la biodiversité amazonienne peutnous être très utile et pourrait être exploitéedurablement. Or elle est en grand danger. Si lamenace la plus immédiate est la déforestation,le réchauffement climatique pourrait venir luidonner le coup de grâce. Le processus est peut-être déjà en cours, comme l’a très récemmentmontré une équipe du CNRS et du Muséumnational d’histoire naturelle. Les scientifiques ontrecensé à 10 ans d’intervalle, en 1995 et en 2005,les espèces végétales de la forêt basse guyanaiseà proximité de la station des Nouragues. Leconstat est alarmant : 20% d’entre elles man-quaient à l’appel lors du second recensement. « Nous observons un appauvrissement du milieu toutà fait caractéristique d’une crise écologique », s’in-quiète Jean-François Ponge, du laboratoire« Mécanismes adaptatifs : des organismes auxcommunautés » 4. La cause possible de ce désas-tre : les sécheresses répétées qui ont fortementtouché l’Amazonie. « Le climat devient plus chao-tique, ponctué d’évènements très brusques qui fra-gilisent les communautés végétales. » La forêt ama-zonienne a connu par le passé de grandesperturbations et sa capacité de récupérationsemble importante. Néanmoins, dans le contexte

deux fois plus rapide »,rappelle Jérôme Chave.Mais lors des sécheres-ses intenses, ce rôle n’estplus assuré : la surmorta-lité des grands arbres,ajoutée à une croissanceralentie des jeunes plantspeut même transformerla forêt en région émet-trice de CO2. C’est ce quiest effectivement arrivé

en 2005, d’après les résultats obtenus par leréseau Rainfor 5, dont fait partie l’équipe deJérôme Chave, et qui tente d’évaluer la quantitéde carbone que la forêt amazonienne capture tousles ans 6. Est-ce un avant-goût du futur proche ?« Certains modèles prédisent pour la fin de ce

Pas facile de suivre des lémuriens perchés tout enhaut de leur forêt malgache. Les chercheurs du laboratoireÉvolution et diversité biologique(EDB)1 de Toulouse en saventquelque chose : lors de leurscampagnes d’observation, qui peuvent s’étendre sur plusieursmois, les scientifiques doivent

déployer des ruses de braconnierafin de connaître la densité et la distribution des populationsde ces animaux craintifs. Sansparler de la patience dont ilsdoivent s’armer pour la collectedes échantillons de fèces ou depoils contenant l’ADN de chaqueindividu.Leur but : mesurer la diversitégénétique des populations delémuriens. « Plus la variabilitégénétique d’une population estimportante, plus sa capacitéd’adaptation face auxchangements de sonenvironnement est grande »,

explique Brigitte Crouau-Roy,biologiste à l’EDB. Or, cette variabilité est menacée. Avec l’avancée de la déforestationet de l’agriculture, l’habitat des lémuriens est de plus en plusmorcelé, et certaines populationsse retrouvent enfermées dans d’étroits îlots de verdure.« La fragmentation et ladégradation de l’habitat est l’une des premières causes de disparition d’espèces dans le monde ». En effet, dans lesforêts très éparses, il y a unediminution des ressources et uneperte de connectivité entre les

Opération lémuriens à Madagascar

Expérience menée à la station des Nouragues, pourétudier les feuillesd’une Broméliacée,une plante qui formedes réservoirs d’eaude pluie et danslaquelle on trouve de véritablescommunautésaquatiques.

Dans l’inventairefabuleux del’Amazonie, on trouveégalement un petitmarsupial,l’opossum (1), l’iule –ou millepatte– dugenre Orthoporus (2), des sauterelles (3) et le lézard du genreAnolis (4).

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siècle, une disparition de la forêt amazonienne dueà des modifications majeures du cycle de l’eau danscette région », met en garde Jerôme Chave. Si untel phénomène se produisait dans un futur proche, les scénarios les plus pessimistes sur leréchauffement climatique se verraient réalisés.Les chercheurs ne se lasseront pas de le répé-ter : le combat pour la biodiversité est un com-bat que l’on ne peut pas perdre.

Sebastián Escalón

1. En savoir plus : www. guyane.cnrs.fr/projamazonie.html2. Unité CNRS / Université Paul-Sabatier / Enfa.3. Unité CNRS / Cirad / Engref / Inra / UniversitéAntilles-Guyane.4. Unité CNRS / MNHN.5. Amazon Forest Inventory Network.6. Lire « La forêt amazonienne sensible à la sécheresse »,Le journal du CNRS n°233, juin 2009.

groupes d’animaux qui entraînentun appauvrissement de leurdiversité génétique. Celui-ci lesrend encore plus vulnérables.Ces primates, bien que fortementchassés dans certaines régions,sont l’animal emblématique de laGrande Île. Ceci devraitcontribuer à leur protection et,par la même occasion, à celledes écosystèmes malgachesdans leur ensemble. Par ailleurs,les lémuriens constituent un bonindicateur de l’état de la

biodiversité, d’où l’importancedes recherches de EDB. « Nos travaux permettent de dresser l’état des lieux des populations de lémuriens à partir duquel nous pouvonsfaire des propositions aux autorités malgaches. Par exemple, nous suggérons la création de nouvelles réserves naturelles ou de corridorsbiologiques qui permettront la communication entre îlotsforestiers », conclut BrigitteCrouau-Roy. SE1. Laboratoire CNRS / Université Paul-Sabatier / Enfa.

Ô Brigitte Crouau-Roy, [email protected]

CONTACTSÔ Jerôme [email protected]

Ô Alain Pavé [email protected]

Ô Jean-François [email protected]

Ô Didier [email protected]

Ils abritent 30% de la biodiversité marine et nereprésentent pourtant que 0,2 % de la surfacedes océans : ce sont les récifs coralliens. Ces oasis de vie sont aussi riches que fragiles :plus de 20 % des récifs du monde ont été détruitsau cours de ces cinquante dernières années.Bien que pour certains spécialistes le déclin descoraux soit inéluctable, la partie n’est peut-êtrepas perdue. « Il ne faut pas sombrer dans lepessimisme. Ce serait oublier la capacitéd’adaptation des coraux et leur persistance surplusieurs millions d’années », affirme SergePlanes, directeur de recherche au Centre derecherches insulaires et observatoire del’environnement (Criobe).Le scientifique en sait quelque chose : le Criobeest l’un des principaux centres de recherchess’intéressant aux récifs de la Polynésiefrançaise, parmi les mieux conservésde la planète. « Nous réalisons untravail de veille en revenantrégulièrement sur les mêmes zonesafin d’observer l’abondance et ladiversité en coraux et poissons. Pourcertaines d’entre elles, nous avonsjusqu’à 25 ans de mesures », expliqueSerge Planes. Ce suivi méticuleux del’état des récifs polynésiens permettrad’en savoir plus sur l’éventuellel’adaptation des coraux face aux effetsdu changement climatique, notammentà l’augmentation de la température del’eau et à l’acidification des océans.« Nous essayons de comprendre lesmécanismes qui permettent lemaintien des communautéscoralliennes, comme les processus decompétition ou de symbiose, poursuit-il. Nous mesurons aussi l’influence deperturbations localisées comme la

pollution ou l’invasion de certaines espèces. »Des recherches nécessaires afin d’améliorer lespolitiques de protection des récifs. Le Criobe faitd’ailleurs partie du GDRI Biodiversité des récifscoralliens du CNRS qui regroupe 17 partenairesde 8 pays et dont l’objectif est de coordonner lesrecherches dans le domaine. Dont font aussipartie les sciences humaines : un juriste et unsocioanthropologue s’intéressent ainsi auxsociétés qui exploitent les ressources issues desrécifs. Ce pont permet également de faire passerle message scientifique vers la société civile, etinversement, transmettre les craintes etpréoccupations de celle-ci vers les chercheurset les politiques. SE

1. Unité CNRS / Université de Perpignan / EPHE.

Ô Serge Planes, [email protected]

Mobilisation pour les coraux

Les chercheurs évaluentla diversité génétique despopulations de lémuriensà Madagascar.

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Extraction de l’eau retenue par une planteafin d’y étudier la faune et les micro-organismes aquatiques qui y vivent.

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Les récifs coralliensabritent près d’untiers de la biodiversitémarine.

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En plein cœur de la Camargue, desspécialistes des maladies infectieusesparticipent à la chasse au sanglier.Mais ce n’est pas le gibier qui les attire :eux traquent les virus. Car l’arrivée de lafameuse souche de la grippe H1N1 n’estpas un évènement seulement pourl’espèce humaine, mais aussi pour labiodiversité. Le virus, probablement issudes élevages de porcs du Mexique,pourrait bel et bien venir se loger dansl’organisme de leurs cousins sauvages.François Renaud, directeur derecherches au laboratoire Génétique etévolution des maladies infectieuses(Gémi) 1, explique la portée de cesrecherches : « En Camargue, on trouvedes sangliers, des hommes et desoiseaux migrateurs. C’est tout un

écosystème dans lequel le virusva circuler. » Celui-ci pourraitmuter, se recombiner avecd’autres souches déjà présentes,ou encore, infecter d’autresorganismes comme les oiseaux. Les chercheurs ne veulent rien perdredes évolutions du H1N1. Ces travaux, qui viennent à peine de commencer,s’intègrent dans un cadre plus large :comprendre la relation entre les agentspathogènes et les écosystèmes. « Virus, bactéries, nématodes et autresresponsables de maladies infectieusesfont autant partie de la biodiversité queles éléphants ou les orchidées. Ilsprennent part à un équilibre écologique »,affirme François Renaud. Ainsi, il y a denombreux exemples où la déstabilisation

d’un écosystème, oubien l’érosion de labiodiversité a entraînél’émergence ou larecrudescence d’unemaladie infectieuse.Les épidémies de VIHou d’Ebola peuvents’expliquer par l’irruption de l’humaindans des écosystèmes auxquels il neparticipait pas.Mais la diminution de la biodiversité seprésente aussi dans l’agriculture etl’élevage, ce qui favorise l’émergence denouvelles maladies infectieuses (lire

C’est un projetpharaonique : planterune muraille d’arbres de 7000 kilomètres de longet 15 de large, entre Saint-Louis au Sénégal et Addis-Abeba en Éthiopie afin destopper l’avancée du désert.Baptisée grande murailleverte, cette forêt est aussiune opportunité pouraméliorer les conditions devie des populations duSahel. Sur le papier, le projetinitié par la Communautédes états Sahélosahariens

(Cen-Sad), et déjà en cours de réalisation, estenthousiasmant : constitué dans un premier

temps de quatre espèces d’arbres (dontdeux espèces d’acacias), ce couloir deforêt devrait peu à peu être investi parde nouvelles espèces animales etvégétales, et abriter à terme une richebiodiversité. Cette plantation devrait aussiapporter de nouvelles ressources aux habitants,bois, plantes médicinales, résine d’acacia aveclaquelle on produit de l’encens, tourisme… Deplus, en freinant l’avancée du sable, elle devraitaméliorer la qualité des sols et ainsi permettreaux habitants de faire un peu d’agriculture etreconstituer leurs pâturages. L’idée : freinerl’émigration écologique qui touche de plein fouetces régions. Mais quelle sera la réalité de cet immenseprojet? C’est ce que veulent savoir des chercheurs français et africains regroupés

autour d’un observatoire hommes-milieu. « Notre but est de collecter le maximumd’informations sur cette zone et d’analyser demanière très interdisciplinaire l’impact de cetteaction anthropique sur l’environnement et leshommes », explique l’anthropologue GillesBoëtsch, directeur du laboratoireEnvironnement, santé et sociétés (ESS) 1, lapremière unité mixte internationale franco-africaine. L’observatoire concentrera ses étudessur la vallée de Ferlo, au Sénégal, région habitéeessentiellement par des bergers peuls. Lavingtaine de chercheurs qui contribueront à ceprojet viendront de disciplines diverses :

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Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Une muraille verte contre le désertUn forage dans la région du Ferlo, au Sénégal, sur leparcours de la grandemuraille verte.

Le tracé de lagrande murailleverte.

Un sanglier au cœurde l’écosystèmecamarguais, danslequel le virus H1N1pourrait bien circuler.

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Quand la biodiversité se grippe

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L’ENQUÊTE 27

anthropologues, médecins,botanistes, biochimistes, écologueset modélisateurs tenteront dedonner une image aussi riche queprécise de l’évolution de cettevallée. « Les données que nousproduirons seront à la dispositiond’autres chercheurs et, bien sûr,des autorités locales. D’ailleurs,nous allons collaborer étroitement avec leministère de l’Environnement du Sénégal. » Les premiers arbres ont été plantés il y a quatreans. Ils ne sont pas encore bien hauts, maisd’après Gilles Boëtsch, d’ici quatre ou cinq ans, les premiers changements sociaux etenvironnementaux seront manifestes. SE

1. Unité CNRS / Université Cheikh Anta Diop de Dakar(Sénégal) / Université de Bamako (Mali) / Centre national dela recherche scientifique et technologique (Burkina Faso).

Ô Gilles Boëtsch, [email protected]

Après trois siècles d’exploration de la biodiversité, 1,8 million d’espèces ontdéjà été décrites et nommées.Impressionnant! Mais insuffisant. Au moins dixfois plus resteraient à découvrir et, au rythmedes extinctions, la plupart auront disparuavant. À moins que des techniques de biologiemoléculaire, venant au secours de l’approcheclassique, ne donnent un grand coupd’accélérateur à l’inventaire. Jusqu’à présent, les taxonomistes (spécialistesde la classification des êtres vivants)distinguaient les espèces par des critèresmorphologiques ou comportementaux, étayés,depuis peu, par des critères génétiques. Lancéen 2003 par des chercheurs canadiens, leprojet « code barre de la vie »1 est une nouvelleapproche : elle repose sur l’idée que lesespèces peuvent se distinguer uniquement parl’examen d’une ou deux séquences de leurADN. « Hormis l’exploration de la diversité duvivant, cela laisse entrevoir de multiplesapplications », estime Jérôme Chave, dulaboratoire Évolution etdiversité biologique2, quiétudie la faisabilité del’identification moléculairedes plantes tropicales. Lesgestionnaires d’espacesnaturels pourraient, parexemple, cartographier labiodiversité des espacesnaturels, pour déciderlesquels protéger enpriorité, sans avoir àconvoquer des spécialistesde tous les groupes d’êtresvivants qui s’y trouvent. Les douaniers lutteraientplus efficacement contre letrafic d’espèces.Autre approche récente, lamétagénomique consiste àétudier directement l’ADNd’une communautéd’organismes.Concrètement, il s’agit deprendre un petit échantillonde sol ou un petit volumed’eau de mer, par exemple,et d’aller « à la pêche auxgènes », sans chercher àindividualiser les êtresvivants se trouvant dansl’échantillon. Une techniqueprometteuse pour explorerla diversité génétique desmicro-organismes et, àtravers elle, découvrir denouveaux antibiotiques, desantifongiques et denouveaux traitements dedépollution. « De quoiparticiper à la préservation

de labiodiversitédes macro-organismes »,estime Pascal Simonet, chercheur auLaboratoire Ampère3 et spécialiste de lamétagénomique des sols. Or, comme il estimpossible de cultiver la plupart des cellulesbactériennes, cette approche moléculaireglobale est la plus pertinente pour lever le voilesur ce qui est peut-être la majorité invisible dela biodiversité de la planète. ML

1. www.barcodeoflife.org/2. Unité CNRS / Université Toulouse-III / École nationalede formation agronomique.3. Unité CNRS / École centrale de Lyon / Insa /Université Lyon-I.

Ô Pascal Simonet, [email protected]

L’inventaire s’accélère

p. 28). « Afin de produire des protéinesbon marché, les élevages modernesprivilégient les grandes batteriesd’animaux tous identiques. Mais ilsconstituent ainsi de gigantesquesréacteurs biologiques. La souche H1N1et la souche H5N1 de la grippe aviairesont de purs produits de processus desélection qui ont eu lieu dans lesélevages de porcs ou de volailles. Etlorsque la population de virus atteint unemasse critique, plus rien ne peut arrêtersa dissémination », explique FrançoisRenaud. Les maladies infectieuses, dontl’évolution est liée à la nôtre, sont bienparties pour faire encore un bon bout dechemin avec nous. SE

1. Unité CNRS / IRD.

Ô François Renaud, [email protected]

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Localisation etquantification desbactéries actives etinactives au seind'une communautémicrobienne.

Préparation d’un échantillon d’ADN d’une communauté d’organismes. On parle de métagénomique.

Plantation d’unacacia, une espècesélectionnée pour sa bonne adaptation et les ressources qu’elle procure auxvillageois, comme dela gomme arabique.

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L’agriculture est unedes grandes causes de

la déforestation, commeici dans l'État

amazonien du MatoGrosso.

L’ENQUÊTE28

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

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Née il y a dix millions d’années, l’agri-culture a permis un accroissementvertigineux de la population. Maiselle est peut-être, des activitéshumaines, la plus ravageuse de

biodiversité. Le diagnostic est pourtant diffé-rent selon les régions. Dans les pays du Sud,c’est la déforestation, pour gagner des terresarables, qui est en cause. Chaque année, 0,5 à 1%de la forêt amazonienne est ainsi détruite pourproduire du bétail, à destination des marchéseuropéen et asiatique ou, depuis peu, des biocar-burants. Dans les pays du Nord, où la défores-tation massive est ancienne, les dégâts de l’agri-culture sont plutôt liés à son intensification,c’est-à-dire à un plus grand investissementhumain et financier par unité de surface. Celle-ci a d’abord eu pour conséquence l’abandond’une agriculture traditionnelle dite extensive(élevage de plein-air ou même itinérant, culturesans produit chimique, etc.) qui garantissait lemaintien de la biodiversité. Il y a, par exemple,de moins en moins de mares en France du faitde l’abandon du pâturage. Or ces milieux héber-gent des espèces d’insectes et d’amphibiensdevenus rares. Pour compléter le tableau, sur lesterres qui restent vouées à l’agriculture, lesintrants – engrais et pesticides – sont massive-ment utilisés, tandis que les refuges de biodiver-sité, tels les haies, se font rares.

ÉVALUER L’IMPACT DE L’AGRICULTURE« En 20 ans, le nombre d’espèces d’oiseaux liées au milieu agricole traditionnel dans l’Hexagone a baissé de 20% ! C’estbeaucoup plus que dans les autres habi-tats », confirme DenisCouvet, directeur del’unité « Conservationdes espèces, restaura-tion et suivi des popu-lations » 1, et corres-pondant de l’académiede l’Agriculture. Unchiffre obtenu grâceau programme Stoc(Suivi temporel desoiseaux communs)effectué dans le cadre

du réseau Vigie Nature 2. « Nous développonsactuellement d’autres suivis pour identifier, à traversun dispositif de biovigilance, l’impact des différen-tes pratiques agricoles sur la biodiversité. »Et il y a urgence : dans 50ans, nous serons deuxmilliards de plus sur Terre. Si la tendance sepoursuit, la surface des terres agricoles auraaugmenté de 20 %, provoquant la disparitiond’un tiers des forêts tropicales, et le triplementde la quantité globale d’intrants utilisés ! « Poursortir de l’impasse, estime Denis Couvet, il faudrad’abord demander moins à l’agriculture, en rédui-sant la part carnée de notre alimentation. » Rap-pelons qu’il faut l’équivalent de 7 à 9 grammesde protéines végétales pour produire un grammede protéines animales…Le monde agricole devra aussi faire sa « révolu-tion ». « En agriculture, le modèle de modernitéconsiste, encore aujourd’hui, à rechercher la meil-leure variété et à étendre son élevage, sa culture à laplanète entière. Cela permet des économies d’échelle,mais a un coût exorbitant en biodiversité et en res-sources naturelles. Puisque l’eau se fait rare, queles sols s’épuisent, il faut passer à une agriculture éco-logiquement intensive. » Autrement dit, mieuxutiliser la biodiversité pour produire mieux, àmoindre coût environnemental.

ASSOCIER LES ESPÈCESIl s’agit, par exemple, d’exploiter les complé-mentarités entre plantes cultivées, à travers desassociations végétales ou des rotations de cultu-res, qui permettent de limiter l’action des rava-geurs… et donc l’utilisation d’intrants. En Chinepar exemple, l’alternance de plusieurs variétés

de riz dans une mêmeparcelle a limité la propa-gation d’un champignonravageur. Les quantitésde pesticides utilisées ontainsi pu être diminuées de moitié, pour un ren-dement accru de 20 % et un revenu des pay-sans multiplié par deux ! De même, on peutfavoriser la présence des « contrôleurs » de mala-dies ou de parasites. Il a été démontré, par exem-ple, qu’empêcher les chauves-souris et lesoiseaux, qui contrôlent les populations d’insec-tes, d’accéder aux vergers, double l’impact desravageurs. « Il ne s’agit pas d’abandonner les acquisde l’agriculture moderne, mais, au contraire, de larendre plus sophistiquée », reprend le chercheur.Mélanger les cultures, cela n’a rien de simple. Ilfaut trouver les bonnes associations, mais aussiles moyens de récolter, au même endroit, deuxplantes différentes qui, parfois, n’arrivent pas àmaturité à la même saison.La métabolomique, qui étudie des métabolites,substances chimiques produites par les orga-nismes vivants, pourrait apporter sa pierre àcette nouvelle agriculture. « Elle permet notam-ment d’étudier les molécules impliquées dans lesrelations entre un organisme et son environne-ment », détaille Gilles Comte, chercheur au labo-ratoire Écologie microbienne 3. Donc de mieuxcomprendre comment une espèce végétale peutéloigner un pathogène, ou encore d’apprécierfinement l’état physiologique d’une plante, pourlui apporter la quantité d’engrais dont elle abesoin et, ainsi, éviter d’en relarguer dans l’en-vironnement. Les agriculteurs de demain sui-

vront-ils ? Denis Couvet se veutoptimiste : « Si cela est compatibleavec leur activité, que ça la rend plusdurable voire socialement mieuxacceptée, pourquoi refuseraient-ils dechanger leurs pratiques? »

Marie Lescroart

1. Unité CNRS /MNHN.2. Vigie Nature est un dispositif de suivi de l’état de santé de la nature à travers les observations de groupes indicateurs de biodiversité (oiseaux, papillons, chauve-souris, et bientôt plantes et amphibiens),par des naturalistes volontaires. Il estcoordonné au niveau national par l’unité« Conservation des espèces, restauration et suivi des populations ».3. Unité CNRS / Inra / ENV Lyon /Université Lyon-I.

Réinventer l’agriculture

CONTACTSÔ Denis Couvet, [email protected]

Ô Gilles Comte, [email protected]

En France, il y aaujourd’hui 20 % en moins d’espècesd’oiseaux liées aumilieu agricole qu’ily a vingt ans.

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Quel est le point commun entre unpigeon, un renard, un faucon, ungoéland, un pissenlit, un saumonet une perruche à collier ? Vousdonnez votre langue au chat ? Et

bien ces espèces et beaucoup d’autres encorepartagent le même habitat : la ville ! Mais cettebiodiversité urbaine, aujourd’hui relativementriche, ne peut se résumer à une liste d’espècescomme le constatent les chercheurs du pro-gramme Ecorurb (impliquant plusieurs orga-nismes dont le CNRS) qui mènent une expé-rience novatrice et pluridisciplinaire à Rennes etAngers depuis 2003. « Géographes, climatolo-gues, écologues urbains, sociologues classent la bio-diversité des habitats urbains selon la densité dubâti, la climatologie et l’histoire du citadin dansson appréciation des espèces, expli-que Philippe Clergeau, écologueau laboratoire Conservation desespèces, suivi et restauration despopulations 1 et animateur duprogramme. Avec près de 8 % duterritoire français, le milieu urbainn’est plus marginal et doit s’inscriredans les préoccupations générales deconservation de la nature. Car enun siècle, il est devenu un écosys-tème à part entière avec une fauneet une flore adaptées à des tempéra-tures plus élevées, à des sols déstruc-turés et à une luminosité quasi per-manente. »

ADAPTATION AUX CONDITIONSMais comment étudie-t-on toutce petit monde, si fragile ? « Onrecense les espèces présentes dansles villes puis on les compare à cel-les qui vivent dans les campagnes »,explique Nathalie Machon, professeur d’écolo-gie dans le même laboratoire. Il est encore troptôt pour livrer des résultats définitifs. Mais deuxgrandes tendances se sont vite dessinées. Toutd’abord, les chercheurs ont noté que sous lapression des citadins, la ville se dote d’espacesverts de plus en plus naturels, offrant un espacede vie favorable à une foule d’espèces animaleset végétales. Deuxième tendance, ces dernièrescolonisent ce milieu en modifiant leur compor-tement et leur morphologie. Ainsi, le fauconcrécerelle qui, en campagne, chasse des campa-gnols en vol stationnaire, en ville mange plutôtdes moineaux qu’il capture en utilisant l’obser-vation depuis un perchoir. Les goélands et lesrenards se sont mis aux ordures ménagères, leshérissons aux croquettes pour chien.

Chez les plantes des villes, les chercheurs remar-quent des capacités reproductrices accrues, unebonne tolérance à des perturbations comme lepiétinement ou au taux d’azote élevé dans le soldu fait des gaz d’échappement des voitures oudes déjections canines.« Nous avons aussi analysé la composition des peu-plements animaux et végétaux selon la densité dutissu urbain le long des gradients d’urbanisation,ajoute Nathalie Machon. D’une manière géné-rale, le nombre d’espèces décroît au fur et à mesureque l’on pénètre dans la ville. » Les espèces volan-tes (oiseaux, papillons), qui peuvent s’affran-chir des obstacles, sont les plus nombreuses.Tandis que les mammifères terrestres et lesbatraciens ont plus de mal à atteindre ces zoneset à s’installer.

COUDE À COUDE POUR L’ESPACEUne fois parvenues au cœur des villes, ces espè-ces, sauvages, se frottent à d’autres, plus exoti-ques, échappées de leur cage ou libérées volon-tairement par leur maître comme la tortue deFloride ou la perruche à collier (20 000 à Lon-dres et 1100 à Paris). Ces espèces deviennent par-fois compétitrices ou prédatrices dans les espa-ces agricoles ou naturels de la campagneenvironnante qu’elles envahissent ensuite. Ainsi,les écureuils gris du Canada introduits en Angle-terre limitent désormais la population d’écu-reuils roux autochtones en ville comme en cam-pagne, et les myriophylles, plantes d’aquariumrejetées dans les étangs en France, modifientl’écosystème aquatique. « Pourtant, certaines espè-ces potentiellement invasives ou posant des problè-

mes sanitaires, écologiques ou économiques, sontbien accueillies par le citadin », note NathalieBlanc, directrice de recherche au Laboratoiredynamiques sociales et recomposition des espa-ces 2 et géographe urbaine. Comme l’écureuilde Sibérie, bien implanté dans les forêts de l’Es-sonne, et vecteur de la maladie de Lyme tou-chant l’humain. « Désormais, l’urgence pour les chercheurs, c’est deprévenir ces risques tout en maintenant la biodiver-sité au sein des villes, explique Philippe Clergeau.Par exemple, en donnant la possibilité aux espècesde cheminer dans l’espace construit, grâce à desbois, des haies, et des corridors écologiques entre lesdifférents parcs, et entre ces parcs et les forêts périur-baines. » Pour l’heure, leur efficacité, démon-trée en zone rurale, n’a pas encore été bien éta-

blie en zone urbaine, où les pressions humaineset le bâti jouent énormément sur la dispersiondes végétaux et des animaux. Mais pas moins de35 chercheurs planchent sur cette épineuse ques-tion via le programme de l’ANR sur les tramesvertes 3 qui a débuté cette année avec onze labo-ratoires, dont cinq impliquant le CNRS.

Camille Lamotte

1. Unité CNRS / MNHN / Université Paris-VI.2. Unité CNRS / Universités Paris-I, -VII, -VIII et -X.3. www.trameverteurbaine.com

CONTACTSÔ Nathalie Blanc, [email protected]

Ô Philippe Clergeau, [email protected]

Ô Nathalie Machon, [email protected]

L’ENQUÊTE 29

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

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La vie cachée des villes

Des corridorsécologiquespourraient permettrede préserver labiodiversité en milieuurbain.

De nombreusesespèces s’invitent en ville… comme le crépis de Nîmes.

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Le rapport auquel vousavez participé a étécommandé au Centred’analyse stratégique,

organisme rattaché au Premier ministre, suiteau Grenelle de l’environnement. Il propose dedonner une valeur économique à la biodiversité.Qu’est-ce qui justifie une telle approche,choquante de prime abord?Jean-Michel Salles : Attention, il n’est pas ques-tion de donner une valeur marchande à la naturedans l’idée de la vendre à qui que ce soit. Il s’agitd’estimer sa valeur économique : c’est-à-dire sacapacité à contribuer au bien-être des gens parcequ’elle est utile et rare. La démarche est de l’éva-luer pour éclairer les décisions publiques, commela construction d’une autoroute par exemple.Ces projets de constructions peuvent bien évi-demment occasionner la destruction d’espacesnaturels. D’un autre côté, les autoroutes pré-sentent des avantages, notamment celui de sau-ver des vies car elles sont statistiquement plussûres que les petites routes. Afin de savoir ce quia la plus grande valeur pour la société, il faut pou-voir comparer les avantages et inconvénientsde chaque option. Afin de tout ramener à unemême unité, on utilise une évaluation monétaire.C’est ça le calcul économique public. Cela peutparaître surprenant mais dans ce type de cal-cul, un mort évité sur la route est estimé à envi-ron 2,5 millions d’euros. D’autres enjeux envi-

L’ENQUÊTE30

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

décidé de l’écarter de notre travail parce que luifixer des valeurs de référence n’avait aucun sens :ce serait comme fixer le prix au mètre carré dela Joconde de Léonard de Vinci.

Et ensuite, comment avez-vous évalué cettebiodiversité dite générale? J.-M. S. : Nous avons pris en compte le fait quela nature nous rend de multiples services commestocker le carbone ou offrir des espaces récréa-tifs. Il existe déjà de nombreuses évaluationsde ces services dans les articles économiques

La TEEB (The Economy of Ecosystemand Biodiversity), initiative mondialedirigée par l’économiste indien PavanSukhdev, a décidé de faire un calculpour le monde entier. Elle vise en effetà obtenir une évaluation globale del’ensemble des services rendus par labiodiversité dans le monde ou, plutôt,

ce qui risque d’être perdu d’ici l’an2050 compte tenu de scénariosprédictifs sur les tendances futures.Cette gigantesque addition prendaussi bien en compte le travail depollinisation des abeilles (estimé à153 milliards d’euros par l’équipe deJean-Michel Salles), que le service

culturel apporté aux gens par lasimple existence de la forêtguyanaise. « Pour cela, il est demandépar questionnaire à un panel depersonnes si elles seraient parexemple prêtes à accorder telpourcentage de leurs impôts pourprotéger tel endroit, même s’ils

habitent à l’autre bout du monde »,explique l’économiste français. Lerésultat total? Près de 14000 milliardsde dollars. Cette approche, audacieuseet beaucoup plus risquée en terme de fiabilité selon Jean-Michel Salles,aura certainement pour premier effetde marquer les esprits. C.Z.

« Estimer la valeur de la nature »L’approche économique peut-elle aider à protéger la biodiversité? Le rapport français dirigé par BernardChevassus-au-Louis qui aborde cette question est sorti au printemps dernier. Vice-président du groupe detravail auteur du rapport, Jean-Michel Salles, chercheur CNRS au Laboratoire montpelliérain d’économiethéorique et appliquée (Lameta) 1, nous en explique les propositions.

Le travail de pollinisation desabeilles, victimesd’une hécatombemondiale à causedes pesticides, estévalué à153 milliards d’euros.Car sans elles, adieufleurs et fruits…

LA PLANÈTE QUI VALAIT 14000 MILLIARDS

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ronnementaux sont déjà intégrés dans le calculéconomique public, comme le bruit ou la qua-lité de l’air. L’idée est maintenant d’évaluer aussila biodiversité et les services liés aux écosystèmes.

Attribuer ainsi des valeurs monétaires à la viedes gens ou à la nature semble horrible…J.-M. S. : Ce qui semble horrible serait plutôt deprendre des décisions en se laissant unique-ment guider par des raisons démagogiques oucirconstancielles, comme la survenue d’un acci-dent de la route spécialement médiatique. Laconstruction d’un hôpital, d’une voie ferrée,etc., tous les projets vont de toute façon causerdirectement ou indirectement des dégradationsde l’environnement et parfois des décès. Maisl’absence de projet en causerait peut-être plusencore. Il faut donc pouvoir comparer. Et le cal-cul économique public permet d’aider les déci-deurs à le faire. Mais vous savez, on utilise déjàdes prix pour la nature, dans les procès en par-ticulier, afin de calculer une indemnisation ver-sée en réparation de dommages écologiques,comme après une marée noire ou le rejet de pro-duits toxiques.

Quelles sont les conclusions du rapport sur lafameuse valeur économique de la biodiversité?J.-M. S. : Notre mission était de proposer desvaleurs de référence pour des hectares d’éco-systèmes détruits ou dégradés. Pour cela, nousavons décidé de distinguer, d’une part, ce quenous avons appelé la biodiversité générale et,d’autre part, la biodiversité exceptionnelle ouremarquable. Cette dernière se distingue soitparce qu’elle abrite une espèce protégée, soitparce qu’elle fait l’objet d’un statut juridique deprotection pour d’autres raisons. Nous avons

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L’ENQUÊTE 31

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

depuis une trentained’années. Nous les avonscollectées de manièreaussi raisonnée que pos-sible et nous les avonsadditionnées par type deservice. Par exemple,pour la forêt, il s’agit dela quantité de bois pro-duite, la quantité de CO2 stockée, les autres pro-duits de cueillette (champignons, fruits…), etc.Chacun de ces postes a un prix, par exemple lavaleur de la tonne de CO2 stockée est évaluéeaujourd’hui à 32 euros 2. Au final, le rapport nepropose que deux estimations : la valeur éco-nomique des services rendus par un hectare deforêt ordinaire est d’environ 1000 euros par an,et elle est de l’ordre de 600 euros pour des prai-ries naturelles en bon état. Mais il s’agit devaleurs minimales, car le rapport précise quecertains services n’ont pas pu être évalués fautede données suffisamment fiables.

Comment prend-on ensuite ces chiffres encompte dans les décisions?J.-M. S. : La perte d’un hectare de forêt mature

risque d’être définitive à l’échelle humaine. Il fautdonc prendre en compte une estimation de cetteperte sur un temps très long. En économie, ilexiste une technique qui permet de transfor-mer les pertes futures en valeurs actuelles : c’estl’actualisation. Au final, nous avons déterminéque la valeur actualisée revenait à environ qua-rante fois la valeur annuelle. Pour les services ren-dus par un hectare de forêt, on obtient doncenviron 40000 euros. Or un hectare de forêtbanale vaut aujourd’hui 4000 à 5000 euros. Lefait d’intégrer les services rendus par la natureau calcul multiplie donc par dix la valeur à pren-dre en compte lorsqu’un projet de constructionpublic est envisagé.

Cela devrait donc avoir plutôt tendance à freinerles destructions de la biodiversité?J.-M. S. : On peut espérer que oui. Il est vraiqu’on ne peut pas répertorier et évaluer demanière exacte tout ce que représente la nature.Mais plutôt que de compter la nature pour zéro,comme c’est implicitement le cas aujourd’hui,il vaut souvent mieux en donner une évalua-tion, même partielle. Bien entendu, cette appro-che ne peut pas conduire à négliger les réglemen-tations existantes, pour les zones bénéficiant destatuts de protection notamment. Une telleremise en cause impliquerait une tout autreprocédure qu’un simple calcul de rentabilité.

Mais freiner les destructions n’est pas suffisantau regard de l’Évaluation des écosystèmes pourle millénaire (ou Millenium ecosystemassessment ), n’est-ce pas?J.-M. S. : En effet, ce programme internationalcommandé par l’Onu et effectué de 2001 à 2005,a conclu qu’il fallait stopper les pertes nettes debiodiversité à partir de 2010. Cela signifie doncque si on en détruit quelque part, il faut enrecréer ailleurs. D’ailleurs, l’obligation de com-penser les impacts sur les écosystèmes est ins-crite depuis 1976 dans la loi française. Mais ellen’a pas été appliquée de manière satisfaisantejusqu’ici et elle n’occasionnait en général quel’achat et la protection d’autres hectares de forêts,ailleurs. Cela ne fait que maintenir de l’existantet ne compense donc pas les pertes. Il faut allerplus loin et, par exemple, « re-naturer » des fri-ches industrielles ou agricoles. C’est ce que pro-pose de faire la CDC Biodiversité, société de

services, filiale de la Caisse des dépôts, lancée enfévrier 2008 3. Si cette démarche fonctionne,elle conduira à intégrer dans les faits le coût dela compensation dans l’évaluation des projets.Mais pour tout cela, il faudra sans doute créer uneautorité indépendante chargée de valider lesévaluations, afin d’éviter de laisser l’État, qui estparfois juge et partie dans ces affaires, en déci-der seul.

Propos recueillis par Charline Zeitoun

1. Laboratoire CNRS / Inra / Ensa Montpellier / UniversitéMontpellier-I.2. Selon le rapport du Centre d’analyse stratégique, chargéen 2008 de proposer une valeur tutélaire du carbone.3. Le CNRS est partenaire d’une de ses opérations de restauration, dans les Bouches-du-Rhône. Lire « Un écosystème reprend ses droits », Le Journal du CNRSn°237, octobre 2009, p. 35.

Déboisement près dePau, en 2008, avantconstruction d’uneautoroute qui a diviséélus et associations.Estimer la valeuréconomique de lanature pourrait aider à arbitrer ce type dedécision.

CONTACTÔ Jean-Michel SallesLameta, [email protected]

À LIRE> Écologie et biodiversité, des populations aux socioécosystèmes,Denis Couvet et Anne Teyssèdre,éd. Belin, mars 2010.

> Approche économique de labiodiversité et des services liés auxécosystèmes, contribution à la décisionpublique. Rapport du Centre d’analysestratégique, à télécharger sur :www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=980

EN LIGNEDossier sagasciences Biodiversité!www.cnrs.fr/biodiv

À VOIR> Un album photos à découvrir à la une de la photothèque du CNRS :http://phototheque.cnrs.frUne sélection de vidéos en une ducatalogue films : http://videotheque.cnrs.fr

> EfferveSciences / Comment préserverla biodiversité (2009, 29 minutes) de DidierDeleskiewicz, produit par CNRS Imageshttp://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=2060

Contact : Véronique Goret (Ventes), CNRS Images – vidéothèque Tél. : 0145075969 –[email protected]

POUR EN SAVOIR PLUS

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Plan deréaménagement du site de Cossure(Bouches-du-Rhône).Une filiale de la Caissedes dépôts « re-nature » cet ancienverger industriel afinde compenser despertes de biodiversité.

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pour les chercheurs. Pour ces derniers, le but estaussi d’aligner leur progression de carrière surcelle des enseignants-chercheurs.

La politique des ressources humaines a également instauré le suivi des chercheurs.Quels en sont les résultats?C. d’A. : Afin d’aider à résoudre les difficultésprofessionnelles rencontrées par certains cher-cheurs, nous effectuons depuis 2007 des suivispostévaluation. Ces évaluations ont été renduespar les sections du Comité national sous formed’avis de différentes sortes : « favorable », « dif-féré » (si l’on manque d’information), « réservé »et « alerte » (en cas d’inquiétude sur l’activitédu chercheur). Dans ces deux derniers cas, desacteurs des ressources humaines vont rencontrerle chercheur concerné et le directeur d’unité,éventuellement avec le directeur scientifiqueadjoint, un représentant de la section, etc., pourfaire le point sur la situation. On s’est ainsi renducompte que certains chercheurs avaient sim-plement besoin d’aide pour se repositionner surune nouvelle thématique scientifique ou encorene prenaient pas le temps de faire leur rapportd’activité. Ou que d’autres n’allaient pas voir lemédecin alors que leur état de santé le nécessi-tait. En tout, 4 % des chercheurs sont ainsi sui-

vis et un quart d’entre eux retrouvent un avisfavorable l’année suivante.

L’intervention des RH dans les carrières, àlaquelle les ITA sont habitués, est-elle bienperçue par les chercheurs?C. d’A. : Il y a encore quelques années à peine, lerôle des ressources humaines ne leur apparais-sait pas comme légitime. La gestion des cher-cheurs était considérée comme le domaineréservé des pairs. Pourtant, différents groupes detravail ont montré qu’il y avait une véritabledemande, notamment de la part des jeunes cher-cheurs, non seulement sur des questions de ges-tion scientifique mais aussi sur les autres aspectsde leur vie professionnelle. Cette démarche d’aiderenforce leur sentiment d’appartenance au CNRSet relève somme toute de l’accompagnementnormal que doit assurer un employeur.

Les primes sont aussi un outil pour valoriser les carrières. Avec leur salaire du mois de décembre, près de 420 chercheurs du CNRS ont reçu la Prime d’excellence scientifique(PES). Qui sont-ils?C. d’A. : Pour 2009, les bénéficiaires de cettePES, renouvelable pendant quatre ans, appar-tiennent à deux catégories. La première com-

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DIRECTION DES RESSOURCES HUMAINES

Christine d’Argouges, directrice des ressourceshumaines du CNRS, revient sur la politiqued’amélioration des carrières engagée depuis trois ans, une des priorités phares de l’année2010. Elle fait également le point sur quelquesautres chantiers.

Objectif : valorisationdes carrières

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La politique des ressources humaines du CNRSa mis l’accent sur la valorisation des carrièresde l’ensemble des personnels depuis trois ans.De quelle façon?Christine d’Argouges : Depuis mon arrivée entant que directrice des ressources humaines(DRH) en septembre 2006, la direction du CNRSm’a donné comme priorité forte d’utiliser toutesles marges de manœuvre possibles, nées desdéparts massifs à la retraite et de la mise enœuvre de la Lolf 1, afin d’améliorer les carrièresdes personnels. Nous avons ainsi très fortementaugmenté le nombre des promotions. Il y enaura cette année 50 % en plus pour les cher-cheurs par rapport à l’an dernier : 645 en 2010contre 431 en 2009. Les personnels ITA (Ingé-nieurs, techniciens et personnels administra-tifs) ont également bénéficié d’une forte aug-mentation du nombre de promotions ces troisdernières années, à laquelle s’est ajouté le fait deprononcer, dès 2009, les promotions au titre de2009 et 2010. Cela permet aux agents de béné-ficier plus rapidement des effets financiers de leurpromotion. Au final, un ITA sur huit aura euune bonne nouvelle pour sa carrière en 2009.

Pouvez-vous être plus précise?C. d’A. : L’augmentation de salaire liée à une pro-motion peut varier en moyenne de 500 à plus de3500 euros par an. Elle dépend de la situation indi-viduelle de chaque agent et ouvre surtout desperspectives de progression sur plusieurs années.

Qu’entendez-vous exactement par promotion?C. d’A. : Il s’agit des changements de corps (parexemple passer d’ingénieur d’études à ingénieurde recherche, ou de chargé de recherche à direc-teur de recherche) et des changements de grades(progression à l’intérieur d’un même corps). Autotal, entre 2005 et 2010, le nombre de chan-gements de corps pour les chercheurs et les ITAaura progressé de 75%. Pour les changements degrades, la ministre a fixé comme objectif dans son« plan carrière » un taux de 15 % par an. Il seraatteint au CNRS en 2011 pour les ITA et en 2013

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prend les lauréats d’une distinction scientifi-que de niveau national ou international, telsque les Médailles d’or du CNRS, les Prix Nobel,etc. quelle que soit la date d’attribution. Ils ontreçu entre 15 000 et 25 000 euros. Deuxièmecatégorie : des personnels qui ont apporté unecontribution exceptionnelle à la recherche. Pourl’instant, nous avons considéré que les médail-lés d’argent et les lauréats de prix identifiéscomme significatifs par leur institut, quelle quesoit la date d’attribution, ainsi que les médaillésde bronze de ces quatre dernières années, fai-saient d’office partie de cette catégorie dans lamesure où ils étaient toujours des personnelsCNRS. Enfin, à partir de 2010, la PES va êtreattribuée à une troisième catégorie, la plus nom-breuse, celle des chercheurs dont l’activité a étéjugée d’un niveau élevé par les instances d’éva-luation et qui s’engagent à effectuer un serviced’enseignement 2. La participation des cher-cheurs aux dispositifs de formation à – et par –la recherche, notamment dans le cadre des éco-les doctorales, pourra être considérée commerelevant des activités d’enseignement. Pour lesdeux dernières catégories, la PES peut varierentre 3 500 et 15 000 euros. Globalement, cettenouvelle prime devrait être versée à environ20 % des chercheurs en 2012.

Pourquoi ne pas récompenser des équipes aulieu d’un chercheur qui, en définitive, travaillerarement tout seul?C. d’A. : Le décret sur la PES indique qu’il s’agitd’une prime individuelle. Mais rien n’empêchel’établissement de mettre en place des mesuresd’accompagnement pour la prise en compteéventuelle du travail en équipe. Un groupe detravail, avec notamment des représentants duComité national, va engager une réflexion pourfaire des propositions. Celles-ci devront êtredébattues avec les partenaires sociaux et ladécision que prendra la direction du CNRS serasoumise à l’approbation du conseil d’adminis-tration.

Les conclusions du groupe de travail viendrontdonc en 2010. Mais vous avez préféré lancer laprime dès 2009. Pour quelle raison? C. d’A. : Cette première étape a d’ores et déjàpermis de récompenser un grand nombre dechercheurs que les prix prestigieux qu’ils ontreçus désignaient d’office comme lauréats indis-cutables de la PES. Pourquoi les faire attendreune année de plus alors que nous pouvions ver-ser cette prime fin 2009 ? D’autant que ne pasutiliser un budget implique toujours un risquede le perdre l’année suivante. Surtout, il fautcomprendre que ce versement s’inscrit dans lapolitique, bien plus large, d’amélioration descarrières et des salaires que nous avons déjàévoquée et qui va s’étaler sur plusieurs années.

Quelles sont vos autres grandes priorités pour 2010?C. d’A. : La feuille de route qui nous est fixée enapplication du contrat d’objectifs comporte plusde 40 actions ! Je ne les détaillerai évidemmentpas toutes. En lien avec la politique de progres-sion des carrières, nous cherchons par exempleà améliorer la transparence et la lisibilité desmodalités d’avancement parfois ressentiescomme opaques, en particulier en ce qui concerneles ITA et ce malgré la qualité avérée des dossierset des entretiens annuels. Parmi les pistes explo-rées, l’organisation d’un meilleur retour d’in-formation aux candidats des concours internes.Autre priorité, la formation des nouveaux direc-teurs d’unité désormais organisée en deux temps :une session nationale de stratégie et des modu-les régionaux plus pratiques. Plus généralement,l’accompagnement des agents (formation, mobi-lité…) constitue le cœur de nos préoccupationset du travail des équipes RH en région, dont jetiens à saluer l’engagement et la compétence.C’est d’ailleurs sur ce socle de compétencesrégionales que peut se renforcer le dialogue avecles universités (chaires CNRS / Enseignementsupérieur, délégation de gestion, etc.).

Et la diversité au CNRS?C. d’A. : Cette préoccupation ne date pas d’hiermais nous allons lui donner une impulsion nou-velle en 2010. En matière de handicap, la prio-rité affichée a notamment permis de recruterune cinquantaine d’ingénieurs et technicienspar an et un nombre croissant de chercheurs. Unnouveau protocole devrait intervenir en 2010.En ce qui concerne la parité, nous travaillonssur un plan d’actions en lien avec la Missionpour la place des femmes. Ce plan visera notam-ment à améliorer l’équilibre entre vie profes-sionnelle et vie personnelle.

Si vous deviez résumer votre ambition…C. d’A. : La politique des ressources humainespositionnée au centre de la stratégie du CNRS,ou dit autrement, attirer les talents et les mettreen situation de s’exprimer : telle est mon ambi-tion, au service de la créativité des chercheurs etdes laboratoires. Et ce n’est pas un petit défi !

Propos recueillis par la rédaction

1. Loi organique relative aux lois de finances. Elle vise à moderniser la gestion de l’État et s’applique à toutel’administration depuis 2006.2. Il s’agit d’un service d’enseignement correspondantannuellement à au moins 42 heures de cours ou 64 heuresde travaux dirigés ou des équivalents en termes d’activitésde formation continue ou à distance, de conception d’outils pédagogiques, d’encadrement d’étudiants dans les laboratoires, etc.

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CONTACTÔ Christine d’[email protected]

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BRÈVES

Une maison pourla communicationLa Maison des sciences de la communication du CNRS a étéinaugurée à Paris, fin novembre,en présence de Catherine Bréchignac,présidente du CNRS, Arnold Migus,directeur général du CNRS, et DominiqueWolton, directeur de l’Institut des sciences de la communication(ISCC) du CNRS, qui sera à la tête de ce nouveau lieu interdisciplinaire.Créée par l’ISCC, elle abriterarecherches, rencontres et échangesscientifiques à l’échelle régionale et internationale. Elle accueillera aussiun pôle édition regroupant un ensemblede publications éditées par CNRSÉditions et Inist Diffusion.La communication constitue un enjeuscientifique majeur, politique, cultureldans un monde ouvert où l’informationcircule de plus en plus. Les travauxseront consacrés aux questions liéesaux sciences de l’information, de lacommunication et aux relations entrescience et société. L’activité s’articuleranotamment autour de trois laboratoires :Communication et Politique ; Sciences et société de la connaissance ;Ingénierie de la connaissance.> http://www2.cnrs.fr/presse/communique/1726.htm

Attention, vous n’avez plus que quelques jours, jusqu’au 16 janvier,pour inscrire votre film à la 11e éditiondu Festival du film de chercheur de Nancy. Organisée par le CNRS et le PRES de l’université de Lorraine,cette manifestation se tiendra du 4 au 7 mai prochains. La compétitionest ouverte à des productions, réaliséesaprès le 1er janvier 2008, dont les auteurs sont des acteurs de la recherche publique ou privée. Ces films doivent illustrerune découverte et ses applications,un savoir-faire, les travaux d’unlaboratoire, une mission scientifique,une expérience, une observation… > Retrouvez le règlement complet et le dossier d’inscription en ligne :www.filmdechercheur.eu

Appel à films

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rogations sur les changements que connaît laplanète sont sur toutes les bouches : « Quel déve-loppement pour les énergies renouvelables? », « Lacrise économique est-elle une chance pour l’en-vironnement? » De ces ateliers ressort une grandeenvie d’entreprendre : « Cette crise nous a faitrepenser notre mode de vie. C’est ce qu’il nous fautpour protéger l’environnement avant qu’il ne soittrop tard », témoigne James, un étudiant britan-nique de 21 ans, après ce débat à la fois écono-mique, social et écologique. Car comme l’expliquePhilippe Garrigues 1, président du comité scien-tifique des Rencontres : « Nous choisissons les sujetsdes ateliers selon les demandes des jeunes, tout enprivilégiant des thèmes pluridisciplinaires avec deschercheurs de tous horizons. » Côté jeunes, sou-vent, le choix d’un atelier s’est fait selon une aspi-ration professionnelle. C’est le cas d’Hélène,19 ans, venue du Québec : « J’ai participé àl’échange sur les tempêtes microbiennes car je veux étu-dier la médecine. Et la grippe est au cœur de l’ac-tualité! » La nouveauté du cru 2009 était le Sciencedating du premier jour où les jeunes sont venusposer une batterie de questions à leurs aînés surleur métier. « Ce nouvel espace de discussion en trèspetit comité a permis de nouer une relation de proxi-mité dès le début », se félicite Philippe Garrigues.Cerise sur le gâteau du dernier jour, une confé-rence sur Darwin orchestrée par Pierre-HenriGouyon 2 en hommage au 150e anniversaire de lapublication de son livre fondateur de la théorie de

LES MYSTÈRES DE L’UNIVERSDans quelques années, les astronautes les plustéméraires planteront peut-être un drapeau surMars. En attendant, et à l’occasion de l’annéemondiale de l’Astronomie, c’est au Trocadéro àParis que le CNRS avait installé, du 21 octobre au1er novembre, sa base de lancement de l’exposi-tion « Les mystères de l’Univers ». Organiséeen partenariat avec le CEA, le Cnes, l’Esa et la mai-rie de Paris, elle aura séduit pas moins de48 000 visiteurs en douze jours ! Pour cette4e édition, une myriade de maquettes étaient aurendez-vous : celles des satellites Herschel etPlanck lancés en 2009 pour percer les secrets dela formation des étoiles et des galaxies,de CoRot qui va continuer à repérer lesexoplanètes jusqu’en 2013, de la sondeHuygens en mission sur Titan, la plusgrosse lune de Saturne, et du robotautonome Mars Science Laboratory quisera déposé sur la planète rouge en2011 pour étudier sa sédimentation.Les visiteurs de 7 à 77 ans ont pu appré-cier un programme haut en couleurqui regroupait des animations, 47 confé-rences et 16 projections de films docu-mentaires dont certains en 3D ! Lebilan? Une fréquentation doublée pourcette manifestation qui prouve que,quatre cents ans après l’utilisation de lalunette par Galilée et quarante ans aprèsle premier pas de l’homme sur la Lune,« Les mystères de l’Univers » restent devéritables moteurs de rêves.

LES 19e RENCONTRES CNRS JEUNES« SCIENCES ET CITOYENS »Quatre cent cinquante jeunes ainsi qu’une cen-taine de chercheurs s’étaient donné rendez-vousdu 6 au 8 novembre 2009 au Futuroscope dePoitiers pour les 19es rencontres CNRS Jeunes“Sciences et citoyens”. Dix débats scientifiquesd’actualité y ont mis les cerveaux en ébullition surfond de melting-pot convivial avec l’envie com-mune de refaire le monde. « Quel modèle de sociétéon veut? Quel monde on a? », lance Éric, 23 ans,étudiant et animateur d’un Club CNRS jeunes,lors du débat « Comment mesurer la richesse ? »Indissociables des réflexions sociétales, les inter-

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MANIFESTATIONS

Le CNRS est parti à la rencontre des petits et des grands grâce à trois rendez-vous : l’exposition «Les mystères de l’Univers», à Paris, les 19es rencontres CNRS Jeunes “Sciences et citoyens” à Poitiers, et la 2e édition du festival Cinémascience à Bordeaux. L’objectif? Partager la passion des sciences, vocation des chercheurs du CNRS depuis soixante-dix ans.

Quand la science trouve son public

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Affluence record lors de l’exposition « Les mystères del’Univers » qui s’est tenue du 21 octobre au 1er novembre au Trocadéro à Paris.

À Poitiers, 450 jeunes ont assisté à des débats,comme ici sur la mesure de la richesse.

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l’évolution des espèces. Vocations de chercheurssur le point d’éclore et engagement citoyen ont faitici bon ménage. « Qu’est-ce que la science peutapporter aux jeunes pour qu’ils deviennent de bonscitoyens? » est une question centrale pour Rajae,jeune marocaine, qui veut reproduire ce modèled’évènement dans son pays. Le maître mot deces journées ? La curiosité. Le résultat ? Un enri-chissement mutuel, facilité par une grande libertéde parole comme le suggère Dominique, 20 ans,à la sortie de l’atelier « Sexe, amour & Sciences »qui a fait salle comble : « J’ai choisi un débat pourlequel les jeunes avaient beaucoup de questions, maispas forcément que du point de vue biologique de la“ chose ”… » Parce qu’à 20 ans, il n’y a quandmême pas que la science qui compte dans la vie !

LA 2e ÉDITION DU FESTIVALCINÉMASCIENCEDu 1er au 6 décembre, le CNRS a déroulé le tapisrouge pour la seconde édition du festival inter-national de films Cinémascience à Bordeaux.En six jours, plus de 7000 spectateurs se sontpressés dans les salles obscures pour découvrirune quarantaine de films de fiction abordant unsujet de sciences. L’originalité de ce festival uni-que en Europe ? Après chaque projection, lepublic échange avec le réalisateur du film et des

chercheurs du CNRS spécialistes du thèmeabordé : plus de 60 scientifiques ont participé àce festival. Une occasion unique offerte aux spec-tateurs de lier plaisir du cinéma et connaissan-ces scientifiques dans une atmosphère ludiqueet accessible à tous. D’Astroboy ou Mr Nobodyen avant-première au Portrait de Dorian Gray enrétrospective, il y en a eu pour tous les goûts, desenfants aux cinéphiles avertis. Et pour pimenterle festival, à chaque journée son thème d’actua-lité : la lutte contre le sida avec l’Inserm, l’envi-ronnement et le climat avec Météo-France, les70 ans du CNRS, l’astronomie avec le Cnes et

même une « nuit des savants fous » ! Détente aurendez-vous, mais aussi suspens pour les réali-sateurs des 10 films inédits sélectionnés en com-pétition (et présent à Bordeaux) qui sont passésau crible des jurys jeunes, jeunes chercheurs et,bien sûr, le grand jury présidé cette année par leréalisateur James Huth 3 et composé des acteursBernard Blancan 4 et Nozha Khouadra 5, du musi-cien Reinhardt Wagner 6 et des chercheurs Domi-nique Wolton7, Jean-Luc Morel8 et Béatrice Picon-Vallin 9. La qualité des films présentés a misle grand jury devant un choix cornélien puisque

finalement deux grands prix2009, parrainés par lesvignobles André Lurton, ont été attribués. D’abordà Skin, film anglais d’Anthony Fabian, qui relatel’histoire vraie, en Afrique du Sud, de SandraLaing, née noire mais de parents blancs en pleinApartheid, et de son combat pour trouver saplace dans une société divisée et hostile à l’autrecouleur de peau. Le deuxième lauréat est DirtyMind, film belge de Pieter Van Hees, égalementplébiscité par le jury jeunes chercheurs parrainépar l’ANR, qui traite du syndrome frontal 10 au travers de l’expérience de Diego, un homme

timide qui, après un grave accident, se réveilledans la peau d’un cascadeur sans peur et sansreproche. Le prix du jury jeunes parrainé par leConseil régional d’Aquitaine est venu couron-ner Ashes from the sky, film espagnol de JoséAntonio Quiros, qui aborde les problèmes envi-ronnementaux sous un angle humoristique, etle prix du public parrainé par la Casden a saluéL’étranger en moi, film allemand d’Emily Atef surla dépression postnatale. Dans ce palmarès 2009,c’est donc bien l’esprit de Cinémascience qui seconfirme : partager des films où l’humain est

au cœur des sciences et la science dansle cœur des humains. Déjà nostalgi-ques? Rassurez-vous, Jean-Jacques Bei-neix l’a annoncé : « Je reste parrain à viedu festival Cinémascience et je vous y donnerendez-vous l’année prochaine et pour aumoins les cent années suivantes que lascience me permettra de vivre ! »

Isoline Fontaine

1. Directeur de l’Institut des sciencesmoléculaires (CNRS / Universités Bordeaux-I et -IV / ENSCP), Talence.2. Professeur au MNHN, laboratoire « Origine,structure et évolution de la biodiversité », Paris.3. Lucky Luke, Brice de Nice.4. Indigènes, No pasaran.5. Beur Blanc Rouge, Violence des échanges enmilieu tempéré.6. La dilettante, Mon petit doigt m’a dit.7. Directeur de l’ISCC du CNRS.8. Chercheur au Centre neurosciencesintégratives et cognitives (Unité CNRS /Universités Bordeaux-I et -II), Talence.9. Directrice de recherche de l’Atelier derecherche sur l’intermédialité et les arts duSpectacle (Unité CNRS / Université Paris-III /

ENS), Paris.10. Ensemble de troubles cognitifs et comportementauxapparaissant suite à une lésion du lobe frontal.

CONTACTSÔ Marie-Hélène [email protected]

Ô Jean-Louis [email protected]

Ô Émilie [email protected]

INSITU

À l’occasion de la Fête de la science à la Cité des sciences et de l’industrie à Paris, le CNRS a présenté deux expositions pendant trois jours :« Les mystères de l’Univers » et « Nature magnétique : des étoiles aux atomes », réalisée par l’Observatoire duMidi. Grâce aux animations, les visiteurs de tous âges ont découvert en continu l’énigme des boucles de Mars,les facettes du champ magnétique, et ont pu tester leurs connaissances en astronomie avec le quiz del’espace. Les plus jeunes ont pu construire leur propremaquette du satellite CoRoT envoyé à la découverte deplanètes extrasolaires.

I.F.

LE CNRS S’EXPOSE À LA CITÉ DES SCIENCES

Jean-Jacques Beineixest le parrain du festivalinternational de filmsCinémascience organisépar le CNRS à Bordeaux.Cette manifestationréunit petits et grandsautour du cinéma et de la science.

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Claudie Haigneré,présidente de la Cité dessciences et de l’industrie.

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COMPLEXITÉ DU VIVANT

Pour aborder la complexité du vivant, le CNRS a misé sur l’interdisciplinarité avec un grand programme de recherche.Bilan d’une success story.

L’envol d’une discipline

dems d’équipes de recherche dans des domainesdifférents (mathématiques et biologie, informa-tique et médecine) du CNRS ou d’autres orga-nismes.En tout, environ 220 chercheurs (pour 22 pro-jets sélectionnés) ont bénéficié de l’appui du Pir.L’investissement de départ – 475 000 euros – apermis le démarrage d’autres projets nationaux

et européens pour une somme globale d’environ45 millions d’euros 2. Et Jacques Demongeot desouligner que « comparé à de grosses structurescomme les pôles de compétitivité, le Pir a l’énormeavantage de cibler les moyens financiers sur unethématique précise. »En quatre ans, de nombreuses avancées théori-ques ont été réalisées. En particulier dans l’étudede la formation des tissus organiques et de l’em-bryon grâce à l’acquisition et à la modélisation dedonnées spatiales et temporelles. Ainsi, NadinePeyriéras, du laboratoire « Développement, évo-lution, plasticité du système nerveux » du CNRS,

se concentre sur l’embryon d’un organismemodèle, le poisson zébré, dans le cadre des pro-jets européens Embryomics et BioEmergences.À partir d’un embryon numérisé, les chercheurspeuvent mesurer nombre de paramètres des cel-lules embryonnaires (forme, mobilité, volume…)ou encore étudier les interactions moléculaireset génétiques au moment où ces cellules proli-fèrent et se déplacent. Études dont découlentdes bases de données d’images ouvertes à tousles scientifiques. La station de travail issue de cesprojets a été récemment labellisée par leGIS Ibisa 3.Autre grand axe de développement, les réseauxde neurones et leur rôle dans l’intégration ditesensori-motrice. On désigne ainsi la capacité desneurones à traduire les informations sensoriel-les en un acte moteur adapté. « Nous avons cher-ché à substituer l’absence de sensibilité au toucher,par exemple au niveau de la plante du pied chez lediabétique, précise Jacques Demongeot. En col-laboration avec des médecins, des neurophysiciens etdes informaticiens, nous avons modélisé les réseauxneuronaux impliqués dans la capture d’informa-tions de pression des tissus. Plusieurs brevets ont étédéposés en vue d’applications médicales, comme lacompensation, par stimulation électrique buccale, decette perte sensorielle. »On peut encore citer la constitution de vastesbases de données géniques et chromosomiques.Exemple : à partir de dizaines de milliers depatients de toute l’Europe, Olivier Cohen, méde-cin généticien et informaticien au TIMC-Imaget aujourd’hui directeur de la société HCForumdédiée au suivi des pathologies familiales, aregroupé les anomalies chromosomiques desmaladies orphelines. Objectif : les modéliserpour comprendre l’évolution de ces patholo-gies, véritables systèmes complexes où se jouentdes interactions anormales entre gènes ou entreprotéines. Sur le plan européen, le Pir aura égalementengendré d’efficaces partenariats interéquipesdans de gros projets tels que Morphex dédié àla croissance biologique des organismes.

Patricia Chairopoulos

1. Laboratoire CNRS / Université Grenoble-I / Institutnational polytechnique Grenoble / EPHE, Paris / ENV Lyon.2. Environ 15 millions d’euros de l’ANR (programmesBioSys et SysCom) et 30 millions d’euros issus de l’Union européenne, dont six pour les partenairesfrançais.3. Le GIS « Infrastructures en biologie, santé etagronomie » a, parmi ses fonctions, de coordonner la politique nationale de labellisation et de soutien auxplateformes et infrastructures en sciences du vivant.

CONTACTProgramme interdisciplinaire de recherche (Pir) « Complexité du vivant, de la cellule à l’homme »,Grenoble

Ô Jacques [email protected]

INSITU Programme

Image obtenue lors d’une expérimentation sur l’évolution d’un embryon du poisson zébré.

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Une journée sur le genreLe 8 mars prochain, à Paris, sur le campus Gérard-Mégie du CNRS, se tiendra une journéed’étude autour des recherches consacrées au genre. Elle permettra de comprendre ce quesont ces recherches, et leurs apports, mais aussi de découvrir en quoi elles intéressent deplus en plus de disciplines, certaines aussi éloignées que les neurosciences et l’histoire.

> Toutes les infos (programme complet, bulletin d’inscription, etc.) en ligne : www.cnrs.fr/mission-femmes

Pari gagné pour le programme interdisci-plinaire de recherche (Pir) « Complexitédu vivant, de la cellule à l’homme », lancéen 2004 et achevé en 2007. En témoigne

le bilan dressé le 15 juin dernier devant le conseilscientifique du CNRS : 151 publications scienti-fiques, 8 brevets déposés, un budget au centuplede l’investissement de départ et plus de1000 chercheurs désormais impliqués au niveaunational dans le groupement d’intérêt scientifi-que Réseau national des systèmes complexes(RNSC) ainsi que dans les deux instituts régio-naux, l’Institut rhône-alpin des systèmes com-plexes (Ixxi), situé à l’École normale supérieurede Lyon, et l’Institut des systèmes complexes deParis-Île de France (ISC-Pif). De quoi donnerun véritable coup d’envoi à cette jeune disciplinequ’est la « complexité du vivant ». Entendez lesrelations qui se tissent en permanence entre lesniveaux microscopique et macroscopique duvivant, depuis la cellule jusqu’à l’écosphère.« Notre programme a permis de faire une diago-nale du fou entre mathématiques et problèmes médi-caux », indique Jacques Demongeot, directeur dulaboratoire « Techniques de l’ingénierie médicaleet de la complexité – Informatique, mathémati-ques et applications, Grenoble » (TIMC-Imag) 1

et en charge du Pir. « Car pour comprendre ces sys-tèmes complexes, les réseaux de neurones par exem-ple, il faut acquérir de multiples données numériques,des images en 2D et 3D, afin de les reconstruire parla modélisation. »L’université Paris-VI, Évry, Grenoble, Lille, Lyon,Marseille, Montpellier, Rouen… Plus de huitpôles actifs travaillaient déjà sur les outils théo-riques et les applications au vivant de la com-plexité. D’où l’enjeu de la première année duPir : recenser et rassembler les forces scientifi-ques du domaine. Pour ce faire, des appels d’of-fres ont été lancés afin de sélectionner des tan-

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Le CNRS a mis en place des outils de coopération internationale. Pouvez-vous nous en dire plus?Izo Abram : Chaque année, 9 000 publicationsissues des laboratoires du CNRS, soit plus de30 %, sont cosignées avec des partenaireseuropéens. Cette collaboration transnationale estessentielle pour l’originalité et la qualité de larecherche. Le CNRS s’est donc engagé très tôtdans la promotion d’un réseau de compétenceset de ressources à l’échelle européenne endéveloppant des outils de collaboration que nousavons voulus progressifs et incitatifs. Il existeune palette de cinq outils 1 qui vont de la simpleconvention d’échanges de chercheurs, pour unepremière prise de contact, à la création d’uneunité mixte internationale, un engagement fortinscrit dans la durée analogue aux unités mixtesde recherche que nous avons avec les universitésfrançaises. Ces outils sont assortis chaque foisd’une aide financière et structurelle importante quifournit les moyens et le cadre nécessaires pourpermettre à une collaboration spontanée de mûriret fructifier. En 2009, nous avons eu quelque130 projets d’échanges, 93 Pics, 34 LEA, 4 Umi et51 GDRE avec des pays européens. Ces chiffres nereprésentent qu’une petite fraction des relationsspontanées que nouent nos chercheurs en Europe.Mais ces collaborations formalisées ont l’assurancede pouvoir se développer dans le temps grâce ausoutien durable apporté par le CNRS. Cette notionde durabilité est essentielle à la vitalité de larecherche et à la construction d’un marchécommun en Europe. Il ne faut pas oublier quel’avantage compétitif des États-Unis estprécisément l’existence, pour la recherche, d’unvaste marché intérieur.

Les instruments du 7e programme cadre de la Commission européenne, visant à construirel’Espace européen de la recherche (EER), attirentde nombreux chercheurs. Comment les outils du CNRS s’inscrivent-ils dans ce marchécommun de la recherche en Europe?I.A. : Le CNRS est le premier organisme en Europeen terme de participation dans les projets com-

munautaires qui, pour amorcer la constructionde l’EER, soutiennent une collaboration pendantun temps limité : trois ou quatre ans. Or lesoutils du CNRS et leur caractère progressif offrentl’assurance d’une continuité dans la recherche.La recherche fondamentale représente un effortsur le long terme, surtout lorsqu’il s’agit de trans-former des opportunités de partenariats en col-laborations suivies. Il faut du temps, des mois,des années, pour qu’une confiance s’installeentre deux partenaires, qu’émerge ensuite unprofil de compétences complémentaires quiouvrira la porte à de nouvelles voies de recherche.Du temps pour revenir en arrière, parfois, etexplorer d’autres pistes prometteuses.

Qui peut bénéficier de ces aides? Comment?Faut-il se prévaloir de partenaires ou de thématiques prioritaires?I.A. : Tout chercheur ou enseignant-cher-cheur d’un laboratoire affilié auCNRS qui veut amorcer ou ren-forcer une collaboration avec uncollègue à l’étranger, quelle quesoit la thématique ou le pays, peutsoumettre un projet qui sera évaluépar l’Institut du CNRS concernéavant d’être financé. Pour leséchanges de chercheurs aveccertains pays ainsi que pourles Pics, des appels à pro-positions sont lancés cha-que année. Pour lesautres outils, les cher-cheurs doivent pren-dre contact avec le

HORIZON 37

Le souhait d’Izo Abram, directeur des affaires européennes du CNRS, pour 2010? Que les laboratoires se saisissent encore davantage des outils de collaboration internationale. Conçus par l’organismepour évoluer au rythme de la recherche, ils suivent les besoinsnécessaires à la progression des partenariats engagés.

DIRECTION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

« Nous offrons aux laboratoires du temps et de l’argent »

directeur adjoint scientifique en charge de leurthématique à l’institut scientifique de rattache-ment. Celui-ci évaluera le projet quant à sa qua-lité et sa pertinence par rapport à la stratégiescientifique de l’institut et conseillera le porteursur la démarche à suivre. Dès que l’institut donneson feu vert, nous pouvons formaliser la colla-boration avec l’institution étrangère et veiller à sesbesoins, notamment dans le cadre de la protec-tion de la propriété intellectuelle.Propos recueillis par Séverine Lemaire-Duparcq

1. Il s’agit des conventions d’échanges de chercheurs, desprojets internationaux de coopérations scientifiques (Pics),des laboratoires européens/internationaux associés(LEA / LIA), des groupements de recherche européens ou internationaux (GDRE / GDRI) et des unités mixtesinternationales (Umi).

Ô En savoir plus : Le CNRS et l’Europe, octobre 2008, https://dri-dae.cnrs-dir.fr/IMG/pdf/CNRS_EUROPEfr_web.pdf

CONTACTÔ Izo AbramDirection des affaires européennes du [email protected]

« Plus de 30 % des publications du CNRSsont cosignées avec despartenaires européens. »

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GUIDE Livres38

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

À partir de son expérience de terrain dans le champ dela santé en Afrique, Laurent Vidal livre ici une réflexionsur la fabrique de l’anthropologie. Il montre comment unerecherche est imaginée, mise en place, conclue et, quelque soit son domaine d’application (sida, paludisme,tuberculose ou santé maternelle, rapports à la maladieet pratiques des soignants), pourquoi aujourd’hui l’an-thropologie doit considérer comme définitivement indis-sociables choix de recherche et regard sur l’autre.

Laurent Vidal, éd. La Découverte, coll.« Recherches / Terrains anthropologiques »,janvier 2010, 240 p. – 26 €

Pourquoi deux chercheurs encontact régulier avec les acteurs dela prévention sanitaire publient-ilsun ouvrage à tonalité critique sur cequi fut une magnifique idée ? Pour contribuer à la sauver ! La pré-vention est une vieille idée quiremonte au XVIIIe siècle et qui s’estgénéralisée depuis 1950 comme l’undes éléments résultant de ce quenous appelons « la mise en risque ».Supposer à tout-va qu’il y a risqueentraîne instantanément une pro-pension à anticiper l’avenir. Comme président du conseil scien-tifique de l’Institut national de pré-vention et d’éducation pour la santé(Inpes), je serais mal placé pournégliger le fait que la préventioncontribue de façon significative à lapoursuite des progrès de l’espérancede vie. Avec Patrick Peretti-Watel,

qui est l’un des spécialistes de lasociologie des risques, nous n’adhé-rons pas à certaines critiques facilesqui accusent la prévention de « por-ter atteinte aux libertés individuel-les », voire de « préparer un totali-tarisme insidieux ». Ce discoursmasque trop souvent les intérêts desproducteurs de tabac, de boissonsalcoolisées ou de l’industrie agroali-mentaire en général. Nous sommes,en revanche, légitimes pour pointerdes dysfonctionnements, des effetspervers potentiels de la préventionqui peuvent se retourner contre sonefficacité et, involontairement, aggra-ver les inégalités de santé.

Vous parlez de véritables maux.Qu’entendez-vous par ce terme fort?La prévention est soumise à de nom-breuses tensions contradictoires

qu’elle neparvient pas tou-jours à bien gérer. Par exem-ple, à force de noyer le public sousdes risques multiples, on peut finirpar le convaincre de l’inutilité de laprévention –comme ces fumeurs ouces gros buveurs qui se justifient eninvoquant les risques qu’ils encou-rent avec la pollution de l’environne-ment. Autre défectuosité : en ciblantles groupes les plus exposés à cer-tains risques (toxicomanes dans lecas du sida), on peut entretenir la discrimination à leur égard et, ducoup, les décourager d’agir. Un autreparadoxe : la prévention est censéereposer sur des individus responsa-bles et autonomes alors qu’il lui arrivede servir de tremplin aux normescontraignantes d’« entrepreneurs demorale ». Par exemple, il y a obligationde promouvoir l’abstinence sexuellepour bénéficier de l’aide américaineen matière de prévention du sidadans les pays du Sud. Sans parler desa récupération possible par le mar-keting d’intérêts particuliers : la men-tion « éviter de manger trop gras, tropsucré ou trop salé » qui accompa-gne les publicités de produits agro-alimentaires favorisant l’obésité estinterprétée par une partie du publiccomme un label de qualité !

Vous allez jusqu’à dire qu’il faut « réinventer » la

prévention. Est-ce possible?Certainement. Il faut en finir

avec une conception qui érigela prévention en une véritable

utopie, qui identifie le bonheur avecla maîtrise totale du risque sur sonpropre corps et qui se réfère à unmythe de la sécurité collective abso-lue. Lorsque les incertitudes sont telles que le risque ne peut mêmeplus être quantifié, le principe de pré-vention se transforme en son avatarextrême, le principe de précaution.Ce dernier nous entraîne dans unespirale vite incontrôlable de scéna-rios catastrophe comme dans lesdébats actuels sur l’épidémie degrippe H1N1. Il faut en revenir à uneconception moins techniciste, plusraisonnable et plus respectueuse del’éthique, qui reconnaisse que toutesles conduites humaines, même cel-les qui s’avèrent à risque pour lasanté, ont du sens pour les indivi-dus qui les pratiquent. Je pense quel’avenir de la prévention est sansdoute moins dans les injonctionsmédiatiques que dans l’humilitépatiente d’actions de proximité impli-quant les gens eux-mêmes dans unevéritable participation communau-taire. Voilà où se trouve le sauve-tage de la prévention.

Propos recueillis par A.L.

Jean-Paul Moatti est professeur d’économie à l’université Aix-Marseille-IIainsi que directeur de l’Institut fédératif de recherches Sciences humaines économiques et sociales de la santé (CNRS / Université Aix-Marseille / Inserm / IRD).

Jean-Paul MoattiLe principe de préventionLe culte de la santé et ses dérives

Faire de l’anthropologieSanté, science et développement

Patrick Peretti-Watel, Jean-Paul Moatti, éd. Seuil, coll. « La républiquedes idées », novembre 2009, 112 p. – 10,50 €

Revenant sur les excès récurrents qui annoncent de multiples apoca-lypses pour 2012, cet ouvrage original montre qu’il existe aujourd’hui desscénarios de fins du monde plausibles mais sur des échelles de tempstrès longues et difficilement prévisibles. L’ouvrage se termine par unpoint sur les évidences scientifiques actuellement disponibles et conclutphilosophiquement : « Maintenant que nous sommes bien au courant de

la menace des supervolcans, des comètes, des météorites géantes, des étoiles massives enfin de vie, devrions-nous traiter ces phénomènes comme de purs fléaux? » Réponse : « Ambi-tieux, avides, conquérants, ravageurs, nous constituons nous-mêmes un danger. »

Didier Jamet et Fabrice Mottez, éd. Belin, novembre 2009,240 p. – 19 €

2012Scénarios pour une fin du monde

3 questions à…

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GUIDE 39

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

Les minéraux reproduits ici en taille réelle proviennentde la collection créée sur commande de Napoléon à LaSorbonne, et devenue, de nos jours, l’une des plus bel-les au monde. Recueil de photographies exceptionnel-

les, aux légendes scientifiques et foisonnant d’anecdotes, cet ouvrage fait aussi l’historique d’au-tres collections de ce type. Il se termine par une analyse de l’art et la manière de rassembler lesminéraux, hier, aujourd’hui et demain.

Jean-Claude Boulliard, photographies d’Orso Martinelli, préface Stephen Smale,éd. Le Pommier, coll. « Beaux livres »,novembre 2009, 224 p. – 69 €

« L’homme a toujours aimé bâtir. Aujour-d’hui, nos nouvelles cathédrales sont cel-les de la science. » Partant des craintescontemporaines, montrant ce qu’a été lapensée à travers les siècles, distinguantla science de la technologie, examinant larévolution du vivant, analysant commentune époque se détermine par son rapport à la connaissance, dévoi-lant en quoi la recherche est devenue un sport collectif international,la présidente du CNRS met au jour les grands défis de notre société.Un plaidoyer.

Catherine Bréchignac, CNRS Éditions,novembre 2009, 64 p. – 5 €

Les années 1980 marquaient l’entrée des chercheurs dans lesprisons. Celles entre 1995 et 2004 privilégiaient le droit du détenuen prolongement d’un élan positif général. La loi du 24 novem-bre 2009, qui témoigne d’une société ne supportant pas les ris-

ques, semble quant à elle ramener laprison à une instance de répressionarchaïque où la délinquance seraitdésignée comme une maladie. Fami-liers de ce monde clos, un juriste, unsociologue, un architecte et unancien détenu croisent ici leursréflexions respectives pour expliquerl’oscillation dans laquelle balanceune ville où est implantée une pri-son : intégrer ce lieu –pourvoyeurd’emplois– tout en essayant de nepas le voir.

Martine Herzog-Evans (dir.), éd. Érès, coll. « Questionsactuelles de criminologie », novembre 2009, 136 p. – 15 €

La prison dans la ville

La volonté est au cœur de la réalité humaine. Mais,comment le cerveau assure-t-il sa mise en œuvre?Les recherches récentes nous montrent que l’acti-

vité cérébrale se déve-loppe à l’insu de l’auteurde l’action et anticipentl’expérience consciente :« la conscience d’êtrel’auteur d’une actionserait-elle une illusion? »Dans cet ouvrage désor-mais de référence et quis’inscrit dans la conti-nuité de ses travaux surla genèse de l’action,Marc Jeannerod déve-

loppe une nouvelle théorie en défendant, aucontraire, l’idée que le rôle du cerveau est d’assu-rer le lien entre le moment où une action est voulueet celui où le but a été atteint. Ceci par la mise en jeu,simultanément, de plusieurs sous-systèmes : celui quicontrôle la réalisation de l’action et celui qui engen-dre la partie conceptuelle. Un enchaînement inten-tion, sens de la responsabilité, sentiment de liberté.Et c’est bien par ce lien que l’auteur peut s’identifierlui-même comme cause de ses actions. La défi-cience pathologique de ces mécanismes dans ladémence et la psychose, qui peut aboutir à la pertede la conscience de soi et au déni de sa propre res-ponsabilité, corrobore cette hypothèse.

Le cerveau volontaireMarc Jeannerod, éd. Odile Jacob,octobre 2009, 304 p. – 25 €

Minéraux remarquables De la collectionUPMC – La Sorbonne

Bel exemple de pluridisciplinarité, ce collectif passe en revue les dif-férentes techniques d’imagerie utilisées pour étudier la parole dupoint de vue de sa production comme de sa perception (vidéo fibros-copie, palatographie dynamique, imagerie par résonance magnétique,magnétoencéphalographie…). Avantages, inconvénients, limites dechaque technique, principaux résultats acquis avec chacune d’entreelles, et perspectives d’évolution sont traités ici par des spécialistessoucieux de s’adresser à un public élargi comme à l’ensemble deceux qui abordent la parole professionnellement.

Alain Marchal et Christian Cavé (dir.), éd. Hermès sciences, coll.« Cognition et traitement de l’information », septembre 2009,304 p. – 99 €

N’ayons pas peurde la scienceRaison et déraison

L’imagerie médicale pour l’étude de la parole

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GUIDE Livres40

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

ÉTHOLOGIE APPLIQUÉEComportements animaux et humains,questions de sociétéAlain Boissy, Minh-Hà Pham-Delègue,Claude Baudoin (dir.), éd. Quae, coll.« Synthèses », octobre 2009, 264 p. – 35 €

DOMESTIQUES D’ICI ET D’AILLEURSin Travail, genre et sociétés n° 22, éd. LaDécouverte, novembre 2009, 256 p. – 25 €

TEOTL, DIEU EN IMAGES DANS LE MEXIQUE COLONIALPréface et traduction de CarmenBernand, éd. Puf, coll. « Sources »,novembre 2009, 136 p. – 29 €

LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS À PARISCatherine Agulhon et Xavier de Brito, éd. L’Harmattan, novembre 2009, 284 p.– 27 €

DICTATEURS EN SURSISUne voie démocratique pour le monde arabeMoncef Marzoufi, entretien avec VincentGeisser, Préface de Noël Mamère, éd. deL’Atelier, octobre 2009, 192 p. – 19,50 €

LE MONDE A-T-IL ÉTÉ CRÉÉ EN 7 JOURS?Pascal Picq, éd. Perrin, novembre 2009,240 p. – 19,50 €

LE NYAYA-SUTRA, Gautama AksapadaNYAYA-BHASYA, AksapadaPaksilasvaminL’art de conduire la pensée en IndeancienneÉdition, traduction et présentation deMichel Angot, éd. Les belles lettres, coll.« Indika », novembre 2009, 896 p. – 59 €

LE TEMPS ET L’ESPACE DANS LA CULTURE JAPONAISEKatô Shûichi, traduit du japonais etannoté par Christophe Sabouret, CNRSéditions, novembre 2009, 268 p. – 30 €

LES HEDGE FUNDSAnges ou démons de la finance?Michel Aglietta, Sabrina Khanniche,Sandra Rigot, éd. Perrin, janvier 2010– 17 €

À BRUNO MADERNA,VOL. 2Textes réunis sous la direction deGeneviève Mathon, Laurent Feneyrou,Giordano Ferrari, postface de PierreBoulez, éd. Basalte / Sacem,novembre 2009, 624 p. – 39 €

Retrouvez les publications de CNRS Éditionssur le site : www.cnrseditions.fr

AUTRES PARUTIONS

« L’humour exige de l’homme… qu’il se moque de lui-même pour qu’àl’idole renversée, démasquée, exorcisée, ne soit pas immédiatementsubstituée une autre idole. » V. Jankélévitch. Sociologue philosophe,Gérard Rabinovitch revient ici pour le bonheur de son lecteur sur l’hu-mour juif. À rebours des clichés qui réduisent souvent cet art de l’esprità une plainte doloriste cultivant l’autodérision, au fil d’histoires toujourssavoureuses fondées sur la réalité bien vivace de racines métaphysi-ques et sapientielles (liées à une partie de la Bible hébraïque), il mon-tre combien cet humour, qu’il soit ashkénaze, judéo-espagnol, judéo-arabe ou israélien peut décidément s’apparenter à un véritable objet d’art.

Gérard Rabinovitch, éd. Bréal, novembre 2009, 195 p. – 16 €

Un psychiatre spécialisédans les troubles anxieuxet phobiques et un psy-chothérapeute proposentici au quidam qui a peur

de rougir pour un oui ou un non un véritable guide– le premier– pour traiter d’un sujet peu abordéjusqu’ici par la médecine : l’éreutophobie –la peurde rougir– et les autres craintes liées au regardde l’autre (la peur de trembler, de transpirer, de gri-macer) en indiquant clairement, après un tour d’ho-rizon du problème, les différentes techniques etmédications qui rendront l’individu capable de dis-soudre le stress social pour retrouver le plaisir devivre dans le monde.

Dr Antoine Pelissolo et Stéphane Roy,éd. Odile Jacob, coll.« Guide pour s’aidersoi-même », novembre2009, 208 p. – 20 €

Un véritable champ de recherches s’organiseaujourd’hui autour de la question du paysage. Sciencessociales, histoire et théorie des arts et de la littérature,philosophie, écologie, géographie, agronomie célè-brent l’émergence d’une véritable culture du paysagecorrespondant à des formes d’expérience de l’espacejusqu’ici inédites (aujourd’hui, on parle de paysages sonore, tac-tile…). Ce bel ensemble de textesretrace l’évolution des représen-tations que nous suggéra uneforte coappartenance homme-paysage –en passant par le peuconnu John Brinckerhoff Jack-son qui, en 1984, pionnier en lamatière, proposait déjà uneapproche originale du paysage(l’hodologie) « par l’étude de l’im-pact des routes et des voyages ».

Jean-Marc Besse, éd. Actes Sud/ENSP,novembre 2009, 232 p. – 22 €

Le Goût du mondeExercices de paysage

Avec le même brio que dans son précédent ouvrage Storytelling, Christian Salmonanalyse ici le parcours atypique du top model Kate Moss et montre en quoi cette jeuneanglaise au look androgyne, aussi fine qu’une brindille, personnifie le nouveaumythe collectif du néolibéralisme où les idéaux-types des entreprises sont flexibi-lité, mobilité, adaptabilité, nomadisme et transformisme. Une révolution culturelle estlà, mise en image par le corps maigre de Kate Moss qui substitue à l’ordre esthéti-que ancien – est beau tout ce qui dure – un idéal nouveau – est beau tout ce quichange. Née dans les années 1990 et qui n’a fait que croître avec la crise actuelle, voici venue la société liquidedont parlait Zygmunt Bauman. La fin d’un monde et l’aube d’une ère nouvelle?

Christian Salmon, éd. La Découverte, coll. « Cahiers libres », janvier 2010,192 p. – 12 €

Kate Moss machine

Ne plus rougir et accepterle regard des autres

Comment ça va mal?L’humour juif, un art de l’esprit

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GUIDE 41

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

EXPOSITIONS

Pour être agréés, les copistes du Louvre doivent impérativementreproduire une toile de Maître en modifiant l’échelle. Il semble queMichel Paysant ait poussé à l’extrême cette règle en proposant desnanoréalisations, copies de sculptures du département des Anti-quités orientales et de plans de sites archéologiques du Proche-Orient. Pour cela, l’artiste contemporain a collaboré avec des scien-tifiques du Centre de recherche et de restauration des musées deFrance (CNRS / Ministère de la Culture et de la Communication), du

Laboratoire de spectrométrie physique(CNRS / Université de Grenoble-I), et enfinceux du Laboratoire de photonique et denanostructures (LPN) du CNRS qui ont pro-duit une trentaine d’œuvres de l’expositiongrâce à des procédés spécifiques à la nano

et à la microélectronique. En mettant en scène l’imperceptibleet l’invisible, «OnLab» interroge sur la représentation et l’ap-proche des œuvres anciennes et de leurs copies. Comme avecla mise en scène autour de l’une des plus petites sculptures duLouvre: le Sceau-cylindre d’Ibni-Sharrum, représenté pour l’oc-casion à cinq échelles différentes, allant de la maquette de4 mètres de long à la nanosculpture invisible à l’œil nu.

Michel Paysant : OnLABJusqu’au 1er mars 2010, musée du Louvre, Paris (Ier).Tél. : 0140205050 – www.louvre.fr

Une expo-atelier pédagogique et récréative réservée aux enfants de 3 à6 ans. Attention au départ : à l’intérieur d’un vaisseau spatial, Annunaki,compagnon invisible spécialement descendu du ciel, guide les bambinsde sa seule voix. Et c’est parti pour une découverte astronomique: la nuit,le jour, les planètes, leur révolution… Des dessins d’enfants aux imagesréelles, un parcours pour faire aimer l’espace aux tout-petits.

Jusqu’au 5 septembre 2010, Cap Sciences, Bordeaux (33).Tél. : 0556010707 – www.cap-sciences.net

Face à l’augmentation du nombre d’enfants obèses, les médias ne se lassent pas de diffuser des recom-mandations et autres messages sur le choix d’unebonne alimentation. Ici, place au ludique pour ingérerles règles à suivre afin d’être bien dans son assiette.Créée avec des musées scientifiques en Italie, enFinlande et en Belgique, l’exposition fournit des repè-res diététiques et nutri-tionnels de base. Desdispositifs multimédiasinterrogent les 9-14 anssur leur comportementvis-à-vis de la nourri-ture. Des tests et desjeux leur permettent detrouver leur équilibre etde donner un sens à cequ’ils mangent. À tra-vers le « goût desautres», ils découvrentque les habitudes diffè-rent selon les cultureset les civilisations. Enfin, un point est établi sur la crisealimentaire dans le monde. Les parents sont serviseux aussi et peuvent piocher quelques bons conseilspour leurs prochains menus. Et si bien manger estune question de santé, « Bon appétit… » met l’accentsur l’aspect convivial du repas, un moment de plaisirà partager à plusieurs.

À VOIR ÉGALEMENT

CUISINES ET SAVEURS DU MONDEJusqu’au 2 juin 2010, Agropolis Museum, Montpellier (34)Tél. : 04 67 04 75 00 – www.museum.agropolis.fr

Avec cette exposition, vous allez faire vivre à vospapilles un voyage à travers l’espace et le temps.Grâce aux échanges culturels et au progrès des tech-niques culinaires, de nouvelles saveurs apparaissentdans les assiettes. Les repas s’internationalisent ; ledépaysement y est souvent recherché. Une série d’ob-jets, de photos et des ateliers de dégustation illus-trent l’évolution des pratiques alimentaires du paléo-lithique à nos jours. La forêt tropicale africaine estmise en avant pour son potentiel culinaire original.L’exposition aborde également les conséquences decette nouvelle consommation de produits dits exoti-ques sur les équilibres écologiques et économiques:déforestation, filières commerciales plus ou moins«équitables», productivisme sans contrôle, etc.

Bon appétit, l’alimentation dans tous les sens

Astralala, Terre, Lune, Soleil

Du 2 février 2010 au 2 janvier 2011,Cité des sciences, Paris (XIXe).Tél. 0140 057000 –www.cite-sciences.fr

POST MORTEM, RITES FUNÉRAIRES À LUGDUNUM Jusqu’au 30 mai 2010, Musée gallo-romain de Lyon (69).Tél. : 047238 4930 – www.musee-gallo-romain.comRéalisée en partenariat avec l’Institut national derecherches archéologiques préventives (Inrap), cette exposition met au jour les rites funéraires du Ier siècle av. J-C. au IIIe siècle apr. J-C.dans la région lyonnaise. Les nombreusesnécropoles explorées, les épitaphes, la nature des objets associés aux défuntssont autant d’éléments qui ont permis de restituer les rites propres à la religionromaine et ont apporté une connaissanceplus large du monde gallo-romain.

ET AUSSI

Rubrique réalisée par Céline Bévierre

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Masque post mortem.

OBSERVEUR DU DESIGN 10 Jusqu’au 21 février 2010, Cité dessciences, Paris (XIXe). Tél. : 014005 7000 –www.cite-sciences.frJoindre l’utile au beau, telle est ladémarche des designers qui recherchenttoujours de meilleurs produits, espaces et services. Organisée par l’Agence pour lapromotion de la création industrielle (APCI),l’exposition se scinde en trois pôles :identité, technique et usage. Elle présentedes objets dans tous les aspects de la viequotidienne et permet ainsi une meilleurecompréhension des enjeux du design.

Tête de femme auxcheveux en bandeauxobtenue par microfabricationtridimensionnelle.

Copie nanométriquedes plans de lacitadelle dePersepolis parlithographieélectronique.

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GUIDE42

Le journal du CNRS n° 240-241 janvier-février 2010

La 7e édition de La semaine du son donnera lieu à des rencontres et des mani-festations dans plusieurs villes en France, en partenariat avec le palais de

la Découverte, le Forum des images, l’Ircam, laCité de l’architecture et du patrimoine, et la Mai-son des pratiques artistiques. Cette année, Ray-mond Murray Schafer, compositeur et pédagoguecanadien à l’origine du concept de « paysagesonore», parrainera l’évènement et animera desconférences. Autour de sujets tels que la santéauditive, l’audition au travail, la relation image-son,la création sonore ou encore l’expression musi-cale, des professionnels apporteront un éclai-rage sur les sons qui nous entourent.

MANIFESTATION

La semaine du son

Quelles sont les conséquences de la micropesanteur sur la vie humaine?Les effets réels et «imaginés» d’une vie en atmosphère artificielle seront évo-qués, à partir des fonds documentaires de la BNF, par Alain Berthoz, phy-siologiste au Collège de France, Georges Vigarello, philosophe à l’EHESS,et Antoine Spire, journaliste.

Le 12 janvier 2010 à 18h30, BNF, Paris (XIIIe) – www.bnf.fr

Le corps en micropesanteur

www.laplaneterevisitee.org

EN LIGNE

La planète revisitée

Les 14 et 15 janvier 2010, Unesco, Paris (VIIe). Inscriptiongratuite obligatoire – www.iap.fr/cospar-iya/index.html

COLLOQUE

Les polymères sont désormais des acteurs majeurs du secteur biomédical,et encore peu de gens le savent : à l’échelle nanométrique, ils peuvent participer à la conception de médicaments d’un nouveau type. Dans cefilm, les chercheurs Étienne Duguet et Sébastien Lecommandoux expli-quent notamment le processus de fabrication des nanovecteurs, des cap-sules en polymère qui, une fois injectées dans le corps humain, libèrent lemédicament à l’endroit voulu.

Réalisé par Céline Ferlita (2009, 15 min), produit par CNRS Images-Université Bordeaux-I, 35 € (usage institutionnel).Pour commander : http://videotheque.cnrs.fr – Tél. :0145075969.Renseignements : [email protected]

DVD

Histoire de polymères

En ligne à partir du 22 janvier, cette série de 10 épisodes a été réalisée dansle cadre du bicentenaire de la naissance de Darwin et de l’année de la bio-diversité. Ces films destinés au grand public abordent les points clés de lathéorie de l’évolution à partir d’un animal ou d’une plante en s’appuyant surles documents utilisés par les chercheurs: dessins naturalistes, photogra-phies, films, images de synthèse, images en microscopie…

Produit par CNRS Images en collaboration avec le Muséum nationald’histoire naturelle (2009, 10x6 min) – http://videotheque.cnrs.fr

FILMS EN LIGNE

Évolution, des clés pour comprendre

RENCONTRES

Du 20 janvier au 7 février2010, département des Hauts-de-Seine (92) –www.vallee-culture.fr

Chaque année, le Conseil généraldes Hauts-de-Seine organise cerendez-vous scientifique, soutenupar le CNRS, qui mobilise 35 lieuxculturels tels que des bibliothè-ques, des salles de spectacles,etc. Pour cette édition, l’accentsera mis sur l’eau en tant qu’en-jeu essentiel du XXIe siècle. Uneexposition retracera le déroule-ment de la crue de 1910 à Paris etprésentera les mesures de pré-vention mises en place pour faireface à ce type de catastrophe. Des conférences et des débats traite-ront les questions de l’approvisionnement en eau et son accessibilitéface à l’essor démographique. Le prix La science se livre récompen-sera des ouvrages de littérature scientifique et technique écrits pourle grand public.

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«Il reste 80 % de la biodiversité à inventorier. Et le tiers, le quart ou la moitiéaura disparu d’ici le milieu ou la fin du siècle », livre Philippe Bouchet professeur au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Il y a urgence.Ce site Internet, richement illustré et compréhensible, présente des expé-ditions organisées par le Muséum et l’organisation non-gouvernementalePro-Natura International pour progresser dans l’inventaire mondial desespèces. Mais il constitue surtout une invitation à la découverte de la bio-diversité et des enjeux de sa sauvegarde.

Littoral du Mozambique.

L’année mondiale de l’astronomie se termine. Pour finir en beauté, le Comitépour la recherche spatiale (Cospar) propose, en partenariat avec l’Unesco,un colloque ouvert au grand public. Au menu: de nombreuses conférencessur des thèmes aussi variés que la détection des trous noirs, la physiquesolaire ou encore l’exploration de Mars. L’Institut national des sciences del’Univers (Insu) du CNRS figure parmi les parrains de cet évènement.

Du 12 au 16 janvier 2010 à Paris, et du 18 au 24 janvier 2010 en région – www.lasemaineduson.org

La science se livre

La contribution de la recherchespatiale à l’astronomie

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Toutes griffes dehorsUn animal gigantesque et quelque peu énervé se baladerait-il sur les glaces de l’Antarctique? À voir ces imposants coups de griffes, on pourrait le croire! Heureusement, pour Emmanuel Le Meur, chercheur au Laboratoire de glaciologie et géophysiquede l’environnement (LGGE) 1, la bête n’existe pas. Les crevasses nimbées de lumière bleue sont des cassures provoquées par le déplacement du glacier de l’Astrolabe, sur lequel se tient le glaciologue. Facile d’accès car proche de la base Dumont d’Urville, il a été choisi par le chercheur et ses collègues du programme Dacota 2 pour être le siège de mesures radar. Leur objectif : cartographier le socle rocheux ainsi que les différentes couches de glace pour ensuite modéliser l’écoulement du glacier vers la mer et savoir si la vitesse de déplacement reste stable ou si elle augmente, comme certaines études semblent le montrer. Le cliché, pris d’un hélicoptère en janvier 2008, faisait partie des images sélectionnées pour le concours photosorganisé par le CNRS, l’Ipev et la Cité des sciences et de l’industrie dans le cadre de l’Année polaire internationale 3. F.D.1. Laboratoire CNRS / Université Grenoble-I.2. Dynamique des glaciers côtiers et rôle sur le bilan de masse global de l’Antarctique, zone atelier du glacier de l’Astrolabe, Terre Adélie. Programme soutenu par l’ANR et l’Ipev.3. www.institut-polaire.fr

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