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Textes – articles septembre/octobre 2010 -- « Racisme, une passion d’en haut », par Jacques Rancière -- « La civilisation imposture », par Philippe Grasset -- « La Turquie s’éloigne de l’Occident, comme le reste du monde », par Semih Idiz -- « Foreclosuregate : pour y voir plus clair… », par Vincent Benard -- « Origines proches de la psychologie de notre finitude », par Philippe Grasset -- « Pic pétrolier : l’AIE connaît les faits depuis 1998 », par Colin Campbell -- « Juillet 2010 : La mer baltique recouverte d’un tapis d’algues vertes de la taille de l’Allemagne », par Tony Paterson « Racisme, une passion d’en haut », Rancière Je voudrais proposer quelques réflexions autour

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Textes – articles

septembre/octobre 2010

-- « Racisme, une passion d’en haut », par Jacques Rancière-- « La civilisation imposture », par Philippe Grasset-- « La Turquie s’éloigne de l’Occident, comme le reste du monde », par Semih Idiz-- « Foreclosuregate : pour y voir plus clair… », par Vincent Benard-- « Origines proches de la psychologie de notre finitude », par Philippe Grasset-- « Pic pétrolier : l’AIE connaît les faits depuis 1998 », par Colin Campbell-- « Juillet 2010 : La mer baltique recouverte d’un tapis d’algues vertes de la taille de l’Allemagne », par Tony Paterson

« Racisme, une passion d’en haut », par Jacques Rancière

Je voudrais proposer quelques réflexions autour de la notion de «d'Etat » mise à l'ordre du jour de  notre réunion. Ces réflexions s'opposent à une interprétation très répandue des mesures récemment prises par notre gouvernement, depuis la loi sur le voile jusqu'aux expulsions de roms. Cette interprétation y voit une attitude opportuniste visant à exploiter les thèmes racistes et xénophobes à des fins électoralistes. Cette prétendue critique reconduit ainsi la présupposition qui fait du racisme une passion populaire, la réaction apeurée et

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irrationnelle de couches rétrogrades de la population, incapables de s'adapter au nouveau monde mobile et cosmopolite. L'Etat est accusé de manquer à son principe en se montrant complaisant à l'égard de ces populations. Mais il est par là conforté dans sa position de représentant de la rationalité face à l'irrationalité populaire.

Or cette disposition du jeu, adoptée par la critique «de gauche», est exactement la même au nom de laquelle la droite a mis en œuvre depuis une vingtaine d'années un certain nombre de lois et de décrets racistes. Toutes ces mesures ont été prises au nom de la même argumentation: il y a des problèmes de délinquances et nuisances diverses causés par les immigrés et les clandestins qui risquent de déclencher du racisme si on n'y met pas bon ordre. Il faut donc soumettre ces délinquances et nuisances à l'universalité de la loi pour qu'elles ne créent pas des troubles racistes.

C'est un jeu qui se joue, à gauche comme à droite, depuis les lois Pasqua-Méhaignerie de 1993. Il consiste à opposer aux passions populaires la logique universaliste de l'Etat rationnel, c'est-à-dire à donner aux politiques racistes d'Etat un brevet d'antiracisme. Il serait temps de prendre l'argument à l'envers et de marquer la solidarité entre la «rationalité» étatique qui commande ces mesures et cet autre –cet adversaire complice–  commode qu'elle se donne comme repoussoir, la passion populaire. En fait, ce n'est pas le gouvernement qui agit sous la pression du racisme populaire et en réaction aux passions dites populistes de l'extrême-droite. C'est la raison d'Etat qui entretient cet autre à qui il confie la gestion imaginaire de sa législation réelle.

J'avais proposé, il y a une quinzaine d'années, le terme de racisme froid pour désigner ce processus. Le racisme auquel nous avons aujourd'hui affaire est un racisme à froid, une construction intellectuelle. C'est d'abord une création de l'Etat. On a discuté ici sur les rapports entre Etat de droit et Etat policier. Mais c'est la nature même de l'Etat que d'être un Etat policier, une institution qui fixe et contrôle les identités, les places et les déplacements, une institution en lutte permanente contre tout excédent au décompte des identités qu'il opère, c'est-à-dire aussi contre cet excès sur les logiques identitaires que constitue l'action des sujets politiques. Ce travail est rendu plus insistant par l'ordre économique mondial. Nos Etats sont de moins en moins capables de contrecarrer les effets destructeurs de la libre circulation des capitaux pour les communautés dont ils ont la charge. Ils en sont d'autant moins capables qu'ils n'en ont aucunement le désir. Ils se rabattent alors sur ce qui est en leur pouvoir, la circulation des personnes. Ils prennent comme objet spécifique le contrôle de cette autre circulation et comme objectif la

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sécurité des nationaux menacés par ces migrants, c'est-à-dire plus précisément la production et la gestion du sentiment d'insécurité. C'est ce travail qui devient de plus en plus leur raison d'être et le moyen de leur légitimation.

De là un usage de la loi qui remplit deux fonctions essentiellesfonction idéologique qui est de donner constamment figure au sujet qui menace la sécurité; et une fonction pratique qui est de réaménager continuellement la frontière entre le dedans et le dehors, de créer constamment des identités flottantes, susceptibles de faire tomber dehors ceux qui étaient dedans. Légiférer sur l'immigration, cela a d'abord voulu dire créer une catégorie de sous-Français, faire tomber dans la catégorie flottante d'immigrés des gens qui étaient nés sur sol français de parents nés français. Légiférer sur l'immigration clandestine, cela a voulu dire faire tomber dans la catégorie des clandestins des «immigrés»légaux. C'est encore la même logique qui a commandé l'usage récent de la notion de «Français d'origine étrangère». Et c'est cette même logique qui vise aujourd'hui les roms, en créant, contre le principe même de libre circulation dans l'espace européen, une catégorie d'Européens qui nesont pas vraiment Européens, de même qu'il y a des Français qui nepas vraiment Français. Pour créer ces identités en suspens l'Etat ne s'embarrasse pas de contradictions comme on l'a vu par ses mesures concernant les «immigrés». D'un côté, il crée des lois discriminatoires et des formes de stigmatisation  fondées sur l'idée de l'universalité citoyenne et de l'égalité devant la loi. Sont alors sanctionnés et/ou stigmatisés ceux dont les pratiques s'opposent à l'égalité et à l'universalité citoyenne. Mais d'un autre côté, il crée au sein de cette citoyenneté semblable pour tous des discriminations comme celle qui distingue les Français «d'origine étrangère». Donc d'un côté tous les Français sont pareils et gare à ceux qui ne le sont pas, de l'autre tous ne sont pas pareils et gare à ceux qui l'oublient !

Le racisme d'aujourd'hui est donc d'abord une logique étatique et non une passion populaire. Et cette logique d'Etat est soutenue au premier chef non par on ne sait quels groupes sociaux arriérés mais par une bonne partie de l'élite intellectuelle. Les dernières campagnes racistes ne sont pas du tout le fait de l'extrême-droite dite «populiste». Elles ont été conduites par une intelligentsia qui se revendique comme intelligentsia de gauche, républicaine et laïque. La discrimination n'est plus fondée sur des arguments sur les races supérieures et inférieures. Elle s'argumente au nom de la lutte contre le «communautarisme», de l'universalité de la loi et de l'égalité de tous les citoyens au regard de la loi et de l'égalité des sexes. Là encore, on ne s'embarrasse pas trop de contradictions; ces arguments sont le fait de gens qui font par ailleurs assez peu de cas de

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l'égalité et du féminisme. De fait, l'argumentation a surtout pour effet de créer l'amalgame requis pour identifier l'indésirable: ainsi l'amalgame entre migrant, immigré, arriéré, islamiste, machiste et terroriste. Le recours à l'universalité est en fait opéré au profit de son contraire: l'établissement d'un pouvoir étatique discrétionnaire de décider qui appartient ou n'appartient pas à la classe de ceux qui ont le droit d'être ici, le pouvoir, en bref, de conférer et de supprimer des identités. Ce pouvoir a son corrélat: le pouvoir d'obliger les individus à être à tout moment identifiables, à se tenir dans un espace de visibilité intégrale au regard de l'Etat. Il vaut la peine, de ce point de vue, de revenir sur la solution trouvée par le gouvernement au problème juridique posé par l'interdiction de la burqa. C'était, on l'a vu, difficile de faire une loi visant spécifiquement quelques centaines de personnes d'une religion déterminée. Le gouvernement a trouvé la solution: une loiinterdiction en général de couvrir son visage dans l'espace public, une loi qui vise en même temps la femme porteuse du voile intégral et le manifestant porteur d'un masque ou d'un foulard. Le foulard devient ainsi l'emblème commun du musulman arriéré et de l'agitateur terroriste. Cette solution-là, adoptée, comme pas mal de mesures sur l'immigration, avec la bienveillante abstention de la «gauche», c'est la pensée «républicaine» qui en a donné la formule. Qu'on se souvienne des diatribes furieuses de novembre 2005 contre ces jeunes masqués et encapuchonnés qui agissaient nuitamment. Qu'on se souvienne aussi du point de départ de l'affaire Redeker, le professeur de philosophie menacé par une «fatwa» islamique. Le point de départ de la furieuse diatribe antimusulmane de Robert Redeker était... l'interdiction du string à Paris-Plage. Dans cette interdiction édictée par la mairie de Paris, il décelait une mesure de complaisance envers l'islamisme, envers une religion dont le potentiel de haine et de violence était déjà manifesté dans l'interdiction d'être nu en public. Les beaux discours sur la laïcité et l'universalité républicaine se ramènent en définitive à ce principe qu'il convient d'être entièrement visible dans l'espace public, qu'il soit pavé ou plage.

Je conclus: beaucoup d'énergie a été dépensée contre une certaine figure du racisme –celle qu'a incarnée le Front National– et une certaine idée de ce racisme comme expression des «petits blancs» représentant les couches arriérées de la société. Une bonne part de  cette énergie a été récupérée pour construire la légitimité d'une nouvelle forme de racisme: racisme d'Etat et racisme intellectuel «de gauche». Il serait peut-être temps de réorienter la pensée et le combat contre une théorie et une pratique de stigmatisation, de précarisation et d'exclusion qui constituent aujourd'hui un racisme d'en-haut: une logique d'Etat et une passion de l'intelligentsia.  

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Jacques Rancièrehttp://www.mediapart.fr/node/92825

« La civilisation imposture », par Philippe Grasset

[Texte mis en ligne sur le site Dedefensa le 10 juillet 2002]

Nous développons l'hypothèse d'une explication générale satisfaisant en l'éclairant l'impression que nous ressentons tous, plus ou moins confusément, de façons parfois très différentes, voire opposées, de vivre une période exceptionnelle de rupture. A nouveau, nous insistons sur ce phénomène, sans précédent parce que son origine est mécanique et due à nos capacités technologiques, ce phénomène où il nous est donné de vivre ce temps de rupture et, en même temps, de nous observer en train de vivre ce temps de rupture. C'est à la fois une circonstance troublante et, pour qui réalise cette circonstance et entend l'utiliser à son profit, l'occasion d'une exceptionnelle lucidité. Nous avons les moyens, par la distance que nous pouvons prendre avec les événements, de vivre ces événements, d'être touchés par leur apparence, mais aussitôt de nous en dégager et, distance prise, de distinguer aussitôt les tendances fondamentales et nécessairement souterraines dissimulées derrière l'apparence des choses, derrière « l'écume des jours ». On voit par ailleurs (notre rubrique de defensa par exemple, et bien d'autres choses) que nous estimons nous trouver dans une période marquée par des excès extraordinaire. Le plus considérable est, selon nous, le conformisme auquel s'est accoutumé l'essentiel de la population humaine. La force de la complicité (ah, nous insistons sur ce terme) établie entre le citoyen et le mensonge virtualiste qu'on lui présente comme explication de son temps est à couper le souffle. Mais reprenons vite notre souffle. Si nous savons y faire, cette extraordinaire supercherie doit nous donner des ailes en fait d'audace dans l'examen d'hypothèses enrichissantes pour expliquer cette fabuleuse et mystérieuse confusion qu'on nous présente comme le meilleur des mondes déjà accompli. Si nous savons y faire, nous pouvons utiliser à notre profit les structures de liberté que le système se contraint lui-même à respecter, parce que de cette liberté dépendent aussi les bénéfices dont il se nourrit. (Liberté de commercer, d'être informé sur le commerce, de faire circuler l'information qui entretient impérativement le conformisme général, tout cela nécessite de laisser subsister ces structures de liberté. Internet est

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le plus bel exemple du phénomène, structure de liberté pour faire circuler le commerce et l'information favorable au système et qui aboutit également, et surtout, à permettre la circulation de l'information anti-système dans une mesure qui était inespérée il y a 5 ans.)

Donc, — audace et liberté, et audace fortement liée à la liberté, audace parce que liberté, voilà les antidotes dont il faut faire usage. La question que nous nous posons aujourd'hui concerne une hypothèse sur notre civilisation. Au contraire de ce qu'on en fait d'habitude (civilisation triomphante, civilisation en déclin, débat entre les deux, etc), nous avançons l'hypothèse que nous nous trouvons dans une civilisation caractérisée dans sa substance même (et non seulement par ce qu'elle produit) par l'imposture. Cette explication est nécessairement imprécise mais il n'existe pas de dérivé qualificatif du mot “imposture” (il est impossible d'en inventer un : “imposteuse” serait trop laid) qui résumerait mieux notre pensée. Alors, nous offrons simplement comme expression fabriquée l'expression “civilisation-imposture”, se rapprochant le mieux possible de ce que nous voulons dire.

L'hypothèse que nous émettons est bien que notre civilisation usurpe le terme de civilisation, et même, pire encore, qu'elle ne devrait plus être là, à sa place de civilisation triomphante. A part le fondement intellectuel qu'on peut lui trouver, cette hypothèse a-t-elle quelque cohérence historique? C'est là où nous voulons en venir, et nous développerons pour cela la substance de l'argumentation étayant notre hypothèse. C'est là où nous nous tournons vers Arnold Toynbee.

La théorie cyclique des civilisations confrontée à l'affirmation d'un sens progressiste de l'histoire

Arnold Toynbee, cet historien des civilisations, d'origine anglo-saxonne, publie en 1949-51 (versions anglaise et française) un ouvrage (civilisation à l'épreuve) rassemblant conférences et essais, tout cela écrit ou récrit avec l'actualisation qui convient à l'époque de l'immédiat après-guerre (période 1945-47). L'intérêt de l'ouvrage est de cerner l'appréciation contemporaine de Toynbee de la position et du développement de la civilisation occidentale. A partir de là, nous élargirons notre appréciation et en viendrons à notre hypothèse.

Il y a dans ce Toynbee qui écrit en 1945-47 une convergence intéressante. D'une part il y a une vision historique extrêmement large, embrassant l'histoire des hommes et des civilisations de la façon la plus générale ; d'autre part, l'observation plus spécifique de sa période contemporaine, qui est caractérisée par l'installation par le pan-

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expansionnisme américaniste de son empire sur le monde. Dans l'essai intitulé L'Islam, l'Occident et l'avenir, Toynbee observe la situation contemporaine générale du point de vue des rapports de l'Islam et de l'Occident. Il y observe ce qu'il qualifie de «mouvement civilisation occidentale ne vise à rien moins qu'à l'incorporation de toute l'humanité en une grande société unique, et au contrôle de tout ce que, sur terre, sur mer et dans l'air, l'humanité peut exploiter grâce à la technique occidentale moderne ». On voit la similitude remarquable entre l'interprétation du mouvement de « la civilisation occidentaleaprès la guerre de 1945, pour les années 1945-49, et l'interprétation qu'une école historique classique pourrait avancer des événements en cours aujourd'hui. Quelques lignes après la citation ci-dessus, Toynbee poursuit : «rencontre contemporaine entre l'Islam et l'Occident n'est pas seulement plus active et plus intime qu'en aucune autre période de leur contact dans le passé : elle est également remarquable du fait qu'elle ne constitue qu'un incident dans une entreprise de l'homme occidental pour “occidentaliser” le monde — entreprise qui comptera peut-être comme la plus considérable, et presque certainement comme le fait le plus intéressant de l'histoire, même pour une génération qui aura vécu les deux guerres mondiales. » Cette appréciation sonne plus triomphante qu'en d'autres occasions où Toynbee examine le même phénomène à la lumière plus générale du phénomène de l'histoire des civilisations.

Aujourd'hui, elle pourrait être reprise pour leur compte, pour interpréter nos événements contemporains, disons par les sympathisants d'une école triomphaliste, en général constituée d'historiens anglo-saxons néo-colonialistes (on y ajoutera quelques philosophes d'origine plus exotiques, tel l'excellent Premier ministre italien Silvio Berlusconi). Ces triomphalistes néo-colonialistes voient dans cette période post-9/11, au-delà des avatars de l'affrontement avec les terroristes, si l'on veut au-delà du Choc des civilisations de Huntington, quelque chose comme une phase décisive de ce qu'esquissait Toynbee il y a un gros demi-siècle.

Mais Toynbee offre d'autres points de vue moins optimistes, moins triomphants, sur la situation de notre civilisation occidentale. C'est sa position la plus intéressante et la plus enrichissante, celle où il est pleinement historien des civilisations. D'abord, il remet constamment la civilisation occidentale à sa place, dans la relativité de l'histoire des civilisations, hors du regard déformé d'un contemporain occidental dont « l'horizon historique s'est largement étendu, à la fois dans les deux dimensions de l'espace et du temps », et dont la vision historique «rapidement réduite au champ étroit de ce qu'un cheval voit entre ses oeillères, ou de ce qu'un commandant de sous-marin aperçoit dans son

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périscope ». Ensuite, c'est l'essentiel, il aborde l'appréciation de notre civilisation du point de vue de ce qu'on pourrait nommer de l'expression néologistique de “continuité civilisationnelle”, qui pourrait résumer son appréciation du phénomènes des civilisations, sa thèse si l'on veut. L'historien des civilisations Toynbee observe que l'histoire de l'humanité organisée, avec son partage entre ces mouvements nommés “civilisations”, se déroule au long d'une vingtaine de ces civilisations, et nous constituons effectivement la vingtième. Sa vision des rapports entre ces civilisations est du type cyclique ou s'en rapprochant, avec des rapports qu'il juge établis entre les civilisations. Par exemple, ayant rappelé les rapports entre la civilisation gréco-romaine et la civilisation chrétienne qui lui succède tout en lui rempruntant beaucoup, Toynbee écrit que dans «une douzaine d'autres cas, on peut observer la même relation entre une civilisation déclinante et une civilisation ascendante. En Extrême-Orient, par exemple, l'Empire des Ts'in et des Han joue le rôle de l'Empire romain tandis que celui de l'Église catholique est assumé par l'école Mahayana du bouddhisme. » Toynbee note aussitôt le reproche fait par la pensée occidentale, ou « juive et zoroastriennecette conception cyclique. Elle réduit l'histoire à « un récit fait par un idiot et ne signifiant rien » remarque-t-il, paraphrasant Shakespeare. Au contraire, la conception judéo-zoroastrienne voit dans l'histoire « l'exécution progressive et conduite de main de maître ... d'un plan divin ... »

Faut-il trancher entre l'une et l'autre ? Toynbee tend à suggérer des compromis (« Après tout, pour qu'un véhicule avance sur la route que son conducteur a choisi, il faut qu'il soit porté par des roues qui tournent en décrivant des cercles et encore des cercles »), suggérant en cela une conception cyclique de l'histoire en spirale (chaque passage à un même point vertical se fait dans un plan horizontal supérieur). C'est finalement la thèse que nous recommande Toynbee, en acceptant l'idée d'un sens général de progrès mais qui se constituerait au travers d'expériences accumulées d'affirmations et de chutes successives de civilisations, correspondant effectivement au schéma cyclique. Notons enfin ceci qui vaut aujourd'hui, qui n'existait pas aussi fortement en 1945-47: le sentiment contemporain très fort que le sens progressiste de l'histoire (« l'exécution progressive ... d'un plan divin ») lié à notre civilisation et contredisant la théorie cyclique est une notion fortement critiquée et plus assimilée à une illusion idéaliste qu'à une loi historique.

L'acquisition d'une puissance technologique assez grande pour interrompre le cycle des civilisations

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Allons à un autre point que Toynbee met en évidence dans ces analyses, qui concerne particulièrement notre civilisation occidentale. Il parle de « ce récent et énorme accroissement du pouvoir de l'homme occidental sur la nature, — le stupéfiant progrès de son “savoir-faire technique” — et c'est justement cela qui avait donné à nos pères l'illusoire imagination d'une histoire terminée pour eux ». Cette puissance nouvelle a imposé l'unification du monde et permis à l'homme occidental de prendre sur le reste, quel qu'il soit et quelle que soit sa valeur civilisationnelle, un avantage déterminant. Cette puissance constitue un avantage mécanique fonctionnant comme un verrou et donnant l'avantage décisif dans les rapports de forces, quelque chose que les lois de la physique et autres des mêmes domaines du fonctionnement du monde interdisent de pouvoir changer.

Ce fait a bouleversé la marche cyclique par laquelle Toynbee définit les rapports des civilisations, et par laquelle il mesure la possibilité pour l'humanité de progresser au travers cette succession de civilisations. « Pourquoi la civilisation ne peut-elle continuer à avancer, tout en trébuchant, d'échec en échec, sur le chemin pénible et dégradant, mais qui n'est tout de même pas complètement celui du suicide, et qu'elle n'a cessé de suivre pendant les quelques premiers milliers d'années de son existence? La réponse se trouve dans les récentes inventions techniques de la bourgeoisie moderne occidentale. » Voilà le point fondamental de Toynbee: notre puissance technicienne, transmutée aujourd'hui en une affirmation soi-disant civilisatrice passant par la technologie, révolutionne l'évolution des civilisations et bouleverse leur succession.

On ne sait pas précisément le jugement que porte Toynbee sur ce fait. S'en réjouit-il? S'en effraie-t-il? A certaines occasions c'est l'un, à d'autres c'est l'autre. Surtout, il ne le développe pas vraiment, c'est-à-dire dans toutes ses implications. Il insiste ici et là sur la responsabilité particulière de la civilisation occidentale, ce qui est une évidence à la lumière de ce qu'il nous expose, mais il ne prononce ni diagnostic, ni jugement définitif; surtout, il passe sous silence cette possibilité d'un jugement ou d'un diagnostic. En d'autres termes, on le sent gêné ou prudent, comme s'il estimait devoir respecter quelque chose qui ressemblerait à une consigne ou simplement ne pas être en position de pouvoir spéculer trop précisément. Et lorsqu'il évoque, a contrario dirons-nous, une hypothèse défavorable à notre civilisation, il se récrie (sans avoir explicité de façon satisfaisante l'hypothèse favorable). « De plus, quand nous étudions en détail les histoires de ces civilisations défuntes ou moribondes, et quand nous les comparons entre elles, nous trouvons l'indication de quelque chose qui ressemble à une forme récurrente dans le processus de leurs dislocations, de leurs déclins, de leurs chutes. [...] Cette forme de déclin

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et de chute est-elle gardée en réserve pour nous, comme une sentence à laquelle aucune civilisation ne peut échapper? Dans l'opinion de l'auteur, la réponse est absolument négative. » ... Voire.

Les ambiguïtés de Toynbee dans son soutien à la civilisation occidentale

Si nous disons que nous sommes mal à l'aise avec de telles affirmations de Toynbee, c'est qu'à d'autres occasions et, disons, par des biais qui prennent le problème différemment, c'est-à-dire sans l'évoquer précisément mais en y aboutissant tout de même, sa réflexion est différente. Alors, il laisse à penser et il laisse penser que son soutien au développement de la civilisation occidentale ressemble à celui de Tocqueville pour la démocratie (Sainte Beuve : « Tocqueville m'a tout l'air de s'attacher à la démocratie comme Pascal à la Croix : en enrageant. ... pour la vérité et la plénitude de conviction cela donne à penser.

Autre exemple, encore. Retrouvant ses réflexions sur les rapports de l'Occident et de l'Islam, Toynbee note une succession de constatations: que l'une des plus grandes vertus de l'Islam est d'avoir écarté toutes les haines entre races (le racisme quand il est suprématisme); que «triomphe des peuples de langue anglaise peut rétrospectivement apparaître comme une bénédiction pour l'humanité; mais, en ce qui concerne ce dangereux préjugé de race, on ne peut guère contester que ce triomphe ait été néfaste. Les nations de langue anglaise qui se sont établies outremer dans le Nouveau Monde n'ont pas, en général, fait office de “bons mélangeurs”. La plupart du temps, elles ont balayé, chassé les primitifs qui les précédaient; et là où elles ont permis à une population primitive de survivre, comme en Afrique du Sud, ou bien importé du “matériel humain” primitif, comme en Amérique du Nord.En outre, là où on ne pratiquait pas l'extermination ou la ségrégation, on pratiquait l'exclusion ... [...] A cet égard, le triomphe des peuples de langue anglaise a donc soulevé pour l'humanité une “question raciale”, ce qui n'aurait guère été le cas, tout au moins sous une forme aussi aiguë, et dans une aire aussi vaste, si les Français, par exemple, au lieu des Anglais, étaient sortis victorieux de la lutte pour la possession de l'Inde et de l'Amérique du Nord au XVIIIe siècle. Au point où en sont les choses, les champions de l'intolérance raciale sont dans leur phase ascendante, et si leur attitude à l'égard de la question raciale devait prévaloir, cela pourrait finalement provoquer une catastrophe générale.

Alors qu'ailleurs il fait l'apologie d'une civilisation technicienne et technologique dont on sait que, dès cette époque, elle est complètement anglo-saxonne, voilà que Toynbee met en garde, dans ce texte, contre le

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“racisme” des Anglo-Saxons qui pourrait conduire à «générale ». (On comprend combien cette idée pourrait être acceptée et exploitée aujourd'hui.) Cette sorte de propos nous semble justifier la réticence qu'on manifeste à propos de certains enthousiasmes de Toynbee pour sa civilisation contemporaine, qui nous semble alors plutôt du convenu (se rappeler que ces textes furent dits, sous forme de conférences, devant des auditoires anglo-saxons, que Toynbee lui-même est Anglais). Au contraire, les diverses remarques de lui qu'on rapporte ici nous paraissent susceptibles de constituer un dossier intéressant, et particulièrement intéressant aujourd'hui, s'il s'agit d'avancer une appréciation sur la situation de notre civilisation dans une époque si propice à être interprétée comme un temps de rupture.

Résumons les arguments que nous donne Toynbee :

• Son idée d'une approche en partie cyclique de l'évolution des civilisations nous paraît très intéressante. Elle implique qu'on ne peut envisager l'évolution des civilisations indépendamment les unes des autres, qu'il existe une certaine continuité de l'ordre du spirituel autant que de l'accidentel ; que toute civilisation, c'est l'essentiel, a une sorte de responsabilité par rapport à l'histoire, y compris dans son décadentisme, dans sa façon d'être décadente ...

• Sa deuxième idée concernant notre civilisation est que, la disposition d'une telle puissance technique et technologique utilisable dans tous les recoins et dans une géographie terrestre totalement maîtrisée et contrôlée impose à notre “civilisation” (les guillemets deviennent nécessaires, par prudence) une ligne de développement même si ce développement s'avère vicié et qu'elle interdit tout développement d'une civilisation alternative et/ou successible.

• Une autre idée, implicite et qui nous semble renforcée de nombreux arguments aujourd'hui, voire du simple constat de bon sens, est ce constat, justement, que l'hypertrophie technologique de notre civilisation s'est accompagnée d'une atrophie des comportements et des valeurs intellectuelles et spirituelles de civilisation, que ce soit du domaine de la pensée, de la croyance, de la culture au sens le plus large. Toynbee nous le suggère, après tout, lorsqu'il dit ce qu'il dit des Anglo-Saxons, qui mènent cette civilisation, de leur racisme qui conduit éventuellement aux pires catastrophes par opposition aux musulmans et (c'est plus notable et intéressant) par opposition aux Français.

Notre puissance technique dissimule une décadence en une perversion du déséquilibre et une fuite en avant technologique

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Ainsi pouvons-nous en venir à la spéculation que nous entendions proposer à propos de notre temps de rupture et d'incertitude du sens. Nous avons déjà noté à plus d'une reprise combien il nous paraissait assez vain de faire le diagnostic des maux de notre civilisation, tant celui-ci avait été fait, et fort bien fait, dans les années de l'entre-deux-guerre, avant la polarisation idéologique de l'immédiat avant-guerre (avant 1939), c'est-à-dire dans les années entre 1919 et 1934.

Notre hypothèse serait alors double, et fondée sur cette idée de la civilisation qui bascule lorsque l'équilibre entre ses capacités techniques et ses vertus spirituelles et intellectuelles se rompt au profit d'une des deux composantes, ce déséquilibre s'accentuant à la vitesse du développement des capacités technologiques dans notre cas et démentant les espérances des esprits rationnels qui espéraient voir en même temps les esprits s'élever, et, au contraire, ces esprits s'abaissant au fur et à mesure qu'ils sont gagnés par l'ivresse de la puissance mécanique.

Il s'agit bien d'une première rupture, dont la guerre de 14-18 fut la marque la plus terrible. Cette rupture permet une perversion générale, y compris du processus de décadence. Alors que la décadence est une chute, notre puissance technique et technologique permet de dissimuler cette chute et plus encore, de la transformer en une évolution accélérée, une fuite en avant avec toutes les apparences de la puissance, protégés par cette puissance technologique qui empêche les lois naturelles de l'histoire des civilisations de jouer. A côté de cela, et comme on l'a souvent mis en évidence dans nos analyses, une architecture puissante d'information et de communication bâtie grâce au puissant apport de ces mêmes technologies où nous excellons permet d'offrir une interprétation flatteuse, rassurante, voire exaltante, de cette évolution; elle permet même, dans les cas extrêmes dont notre temps est l'exemple, d'offrir une reconstruction ordonnée et crédible de la réalité en une autre réalité (phénomène du virtualisme, devenu, selon notre appréciation, une véritable idéologie en soi).

Une seconde rupture est celle dont nous proposons le constat et l'interprétation pour notre temps précisément, celle qui survient dans notre temps historique, particulièrement précisée depuis le 11 septembre 2001. Les événements figurés par le virtualisme sont d'une telle puissance que même l'architecture d'information et de communication ne suffit plus. Ce à quoi l'on assiste aujourd'hui est à la fois à l'affirmation totale de la nécessité de l'emploi du virtualisme, et à la mise en évidence parallèle des limites de cette méthode. Ce constat est visible dans l'appel

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à une “guerre contre le terrorisme” perpétuelle par Washington, artifice de préservation de sa puissance, et la mise en évidence, à mesure, de l'impossibilité d'imposer cette affirmation virtualiste au reste du monde; et, par conséquent, l'éloignement de facto du reste du monde des thèses américaines et de la représentation qui en est faite.

Nous nous trouvons dans une situation inédite dans l'histoire. La valeur de notre civilisation, sa “vertu civilisationnelle” n'est plus laissée aux lois de l'histoire et à l'habituel processus historique de déclin et de décadence, mais à notre propre appréciation. Cette situation est d'autre part contestée par une partie de plus en plus importante des élites et de l'opinion au sein même de ce qui est nommé “civilisation occidentale”. D'où un débat d'une effrayante puissance et d'une vigueur incroyable, entre ceux, au sein de notre “civilisation”, qui affirment que notre civilisation avec le développement qu'elle impose à tous est plus que jamais l'avenir du monde et qu'il faut la développer sans restrictionsceux qui pensent, plus ou moins confusément, que notre civilisation a trahi son contrat avec l'histoire, qu'elle a perdu son sens de la responsabilité historique à cause de l'ivresse de sa puissance, et par conséquent qui contestent de plus en plus précisément l'orientation qu'elle a prise.

Cette situation inédite remet en cause l'idée même de “civilisation occidentale”, et cela est effectivement rendu possible, paradoxalement, par la puissance de cette civilisation et son maintien usurpé comme référence du développement humain. L'idée de Toynbee d'une civilisation remplaçant l'autre, d'une chaîne de civilisation, idée finalement contredite par la puissance de la civilisation occidentale qui impose son maintien en position dominante qu'on pourrait juger comme une imposture, pourrait laisser place à l'idée d'un schisme à l'intérieur de cette civilisation. Certains pourraient objecter que c'est ce qui s'est déjà passé avec la Réforme mais il nous semble que la description que nous faisons de l'état de notre “civilisation”, qui est incontestablement fille du schisme, montre que le schisme a tourné à l'imposture. Notre civilisation étant devenue aujourd'hui, par la force de sa technique, la civilisation universelle (d'où les bruits de “la fin de l'Histoire” type Fukuyama et renvoyant au XIXe siècle), la mise en cause de cette civilisation ne peut plus venir que de l'intérieur, et du cœur même de cette civilisation. C'est pourquoi l'on devra prêter attention à deux faits : en quoi la tension des rapports entre l'Amérique et l'Europe ne porte pas sur des notions effectivement schismatiques (de l'Europe par rapport à l'Amérique)quoi la retrouvaille de la nécessité de retrouver des références transcendantes chez ceux-là même qui mettent en question notre civilisation ne réconcilie pas deux pôles perçus pendant des siècles

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comme ennemis : le besoin de justice (tempo progressiste) et la nécessité des traditions (tempo conservateur, voire réactionnaire).

Philippe Grassethttp://www.dedefensa.org/article-la_civilisation-

imposture_rubrique_analyse_de_defensa_volume_17_n20_du_10_juillet_2002_27_07_2002.html

« La Turquie s’éloigne de l’Occident, comme le reste du monde », par Semih Idiz

[Texte publié dans le Hurriyet Daily, mis en ligne sur le site Contre Info le 1er juin 2010]

La Turquie et toutes les nations émergentes, rendues confiantes par leurs succès économiques, s’émancipent d’une tutelle occidentale moralisatrice de plus en plus mal supportée, écrit l’éditorialiste Semih Idiz, dans le quotidien turc Hurriyet. « Cette attitude à l’égard de l’Occident n’est à l’évidence pas spécifique aux Turcs. De la Russie à l’Inde, de la Chine à l’Afrique on assiste à une réaction croissante et forte contre l’Occident. Certains parlent d’un retour de bâton « post-colonial. », constate-t-il, --- Ce texte, écrit avant l’assaut israélien, qui met en perspective l’initiative de la Turquie et du Brésil dans le dossier iranien, souligne tout en le déplorant l’aveuglement apparent de l’occident sur les forces à l’œuvre. La séquence à laquelle nous venons d’assister illustre la distance croissante entre le monde qui nait et la façon dont il continue d’être perçu à l’ouest. Lorsque la Turquie, jusqu’alors fermement arrimée à l’OTAN, et le Brésil, peu suspect de complaisance islamique, offrent une solution avec l’appui de la Russie à une crise diplomatique qui risque en permanence de dégénérer en conflit ouvert, l’Ouest, loin de se réjouir de voir le dossier avancer, n’a montré qu’embarras et méfiance. Comment ne pas voir dans cette réaction une forme du mépris arrogant à l’égard de nations considérées comme de second rang, non habilitées à traiter des affaires du monde ? Le dessin de Plantu publié à l’occasion - que nous percevons comme profondément insultant - l’illustrait on ne peut plus crûment, avec ses chefs d’Etats caricaturés en trois singes, l’un dément, l’autre aveugle et le dernier sourd. Ce qui nous échappe, tant il est difficile de se défaire des réflexes de dominants, d’entamer un dialogue constructif et respectueux entre égaux, c’est que vu d’Istanbul, de

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Brasilia et d’ailleurs, l’occident n’est plus la condition sine qua non de la solution mais une partie du problème. Ce qui pour nous relève de l’exigence indiscutable - au nom d’une morale irréprochable, comme de bien entendu - est perçu comme l’alibi déguisant une volonté de puissance appartenant à un passé révolu, ou au mieux, pour les plus indulgents dont fait partie Semih Idiz, une rigidité contre productive. L’assaut sur la flottille turque, dans ce contexte, apporte une nouvelle pièce à un acte d’accusation déjà lourd. Israël, qui se vit comme un fortin occidental fiché au cœur d’un monde « barbaresqueparoxysme tous les maux de l’ancienne domination coloniale, et résume la détestable injustice d’un ordre tout aussi ancien, qui refuse - ou est incapable - de se réformer. Les innombrables dénégations quant au rôle central du conflit israélo-palestinien n’y peuvent mais. Car si les voix ne manquent pas pour proposer une analyse en termes «l’aspect d’un différent avec un Islam forcément rétrograde et extrémiste, à l’échelle de la scène mondiale les querelles bibliques et leurs prolongations contemporaines relèvent au plus d’étranges et lointaines traditions exotiques. Mais reste un problème, bien réel lui, qui menace la paix et la stabilité du monde, et face auquel l’occident continue de pratiquer un deux poids deux mesures non seulement injustifiable mais d’abord et avant tout dangereux, frisant l’irresponsabilité. Comment s’étonner, dès lors, que d’aucuns tentent de contourner les blocages - et les blocus - nouent des liens et prennent des initiatives, dans une superbe indifférence à nos critères ?

Le best-seller de Fareed Zakaria titré « Le monde post-américain et l’essor du reste du monde. » est une lecture fascinante, un livre prémonitoire. La question de l’Iran s’inscrit parfaitement dans cette perspective. Le problème va bien au delà des actuelles ambitions nucléaires de Téhéran. Cette affaire est en train de se transformer en une impasse qui dessine une nouvelle division du monde.

Cette division peut être caractérisée ainsi : « L’Occident et le Reste du monde, » pour reprendre l’expression de Zakaria. Le développement de pays comme l’Inde, la Chine, le Brésil et la Russie - en d’autres termes « le Reste » - dessine un nouveau paysage mondial qui ne répond pas aux vœux de l’Occident.

La Turquie, qui connait également une croissance rapide, montre des tendances plus en plus marquées en direction du « Reste« l’Occident ». Ceci est interprété comme par certains en Europe et aux États-Unis comme une « islamisation de la politique étrangère turquemais cette évolution pointe vers quelque chose de bien plus significatif.

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L’émergence de ce nouvel ordre mondial ne constitue bien évidemment pas une surprise. Il était prévu par ceux qui sont suffisamment compétents pour en déceler les signes avant-coureurs. Nombre d’historiens occidentaux, d’économistes, et des chercheurs en sciences humaines ont décrit ce processus depuis un certain temps.

Quelques noms viennent immédiatement à l’esprit, notamment ceux de Walter Laqueur (« Les derniers jours de l’Europe : une épitaphe pour le vieux continent »), Joseph E. Stiglitz (« La Grande DésillusionZakaria, mentionné ci-dessus.

Même un Timothy Garton Ash, apparemment optimiste dans «Libre : l’Amérique, l’Europe et le futur inattendu de l’occidentqui se adviendra si le lien de transatlantique n’est pas renforcé dans toutes ses dimensions, ce qui est bien sûr plus facile à dire qu’à faire, comme l’admet l’auteur.

Dans le même temps, l’anti-occidentalisme en général et particulièrement l’anti-américanisme deviennent de plus en plus palpable chez les Turcs. Rester partisan de l’orientation occidentale de la Turquie dans ce climat devient un défi pour une élite minoritaire. Mais l’éloignement de la Turquie des États-Unis et de l’Europe n’est pas quelque chose qui inquiète les Turcs dans leur majorité.

Cette attitude à l’égard de l’Occident n’est à l’évidence pas spécifique aux Turcs. De la Russie à l’Inde, de la Chine à l’Afrique on assiste à une réaction croissante et forte contre l’Occident. Certains parlent d’un retour de bâton « post-colonial. »

Roberto Fao, un doctorant à l’Université d’Harvard qui a écrit pour le Financial Times, a travaillé à la Banque Mondiale et été consultant pour des projets gouvernementaux, propose des vues intéressantes sur la question.

Dans une tribune publiée par EUobserver.com le 25 mai, M.que les Européens doivent aujourd’hui « se demander pourquoi ils provoquent si peu de respect dans le monde. » Il cite Kishore Mahbubani, le doyen de la Lee Kwan Yew School of International Affairs de Singapour, qui soutient que l’Europe ne comprend pas à «devient peu pertinente pour le reste du monde. »

M. Fao rappelle également que Richard Haas, le président du Council on Foreign Relations, a déclaré publiquement « adieu à l’Europe en tant que

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puissance de haut rang. » M Fao ne croit cependant pas que l’on puisse négliger cette situation, en n’y voyant qu’une simple «part des non-européens.

« Au contraire », écrit-il, « j’y discerne une vérité plus dérangeante. Les pays du monde entier ne supportent plus depuis longtemps l’ingérence et les leçons de morale de l’occident, et ont acquis assez de confiance pour parler haut face à une Europe dont l’influence mondiale n’est plus considérée comme assurée ».

Dans son livre, Zakaria parle de la même « confiance » que des nations ont gagnée face aux États-Unis, avec quelques raisons pour ce faire.

« Les plus grandes tours, les plus grands barrages, les films à succès, et les téléphones mobiles les plus sophistiqués sont tous réalisés désormais à l’extérieur de l’Europe et les États-Unis », note-t-il, en ajoutant que « les pays qui manquaient par le passé de confiance politique et de fierté nationale les acquièrent. »

A la suite du monde bipolaire, le monde unipolaire semble lui aussi en train de s’effondrer, donnant naissance à un monde multipolaire où les possibilités de « l’Occident » sont en déclin, tandis que celles du « Reste » augmentent progressivement.

De fait, si l’Iran doit bien sûr être empêché d’obtenir une arme nucléaire - tout comme Israël et tous les autres devraient être obligés de mettre fin à leurs programmes et d’abandonner leurs stocks d’armes nucléaires existants - l’enjeu va bien au-delà.

Il s’agit d’un nouvel ordre qui va exiger des réponses très différentes à ce que nous connaissons aujourd’hui, si l’on veut que les problèmes brulants ne mènent pas à des affrontements dont personne ne sortira gagnant au bout du compte.

Semih Idizhttp://contreinfo.info/article.php3?id_article=3057

« Foreclosuregate : pour y voir plus clair dans un gigantesque scandale financier », par Vincent Benard

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[Texte publié sur le site ObjectifEco le 8 octobre 2010]

Le Scandale du Foreclosuregate (le terme a été utilisé par le présentateur vedette Larry Kudlow, de la chaine CNBC) a fait une entrée récente remarquablement rapide dans la presse grand public américaine, et le terme de "foreclosure" connaît sur Twitter une popularité inhabituelle. La presse française commence à évoquer ce rebondissement dans la crise financière, mais reste pour le moment assez superficielle. Après plusieurs articles visant à commenter en direct les différents développements de cette affaire, il m'a paru utile d'en faire une synthèse, pour tenter de vous donner un aperçu général de la situation. Potentiellement, sauf extraordinaire porte de sortie législative peu concevable, il s'agit du plus grand scandale financier de l'histoire, rien de moins, de par ses conséquences, reléguant l'affaire Maddoff ou les péripéties de "notre" Jérôme Kerviel au rang de simples faits divers.

Au départ, la titrisation du crédit, fille du modèle américain du crédit

Pour des raisons historiques, et contrairement à ce qui se passe en Europe, plus de 70% des crédits immobiliers américains étaient aux USA refinancés par une technique dite de titrisation des créances. Sur ces 70%, plus de la moitié étaient titrisés par deux entreprises à statut spécial garanties par l'état, Fannie Mae et Freddie Mac (42% des crédits refinancés à elles deux en 2007), et 29% par des banques privées.

Cette technique consiste à créer un fonds obligataire, appelé MBS pour "Mortgage Backed Security", qui va racheter les créances émises par les banques. Les emprunteurs vont donc reverser à ce fonds leurs mensualités, généralement par l'intermédiaire d'une banque mandataire du fonds, ou "loan servicer".

Le fonds obligataire va quant à lui, pour pouvoir racheter les crédits en question, lever des fonds sur les marchés financiers, en émettant des obligations. Ces titres, appelés "CDO", lui coûtent un certain taux d'intérêt, que le fonds paie grâce aux intérêts versés par les emprunteurs. La différence entre le taux perçu et le taux payé aux investisseurs - "spread" - devait servir à rémunérer tous les intermédiaires de la chaîne et à s'assurer contre le risque de défaut de paiement de certains emprunteurs.

On sait ce qu'il est advenu de l'équation financière paiement des emprunteurs ont très largement excédé le niveau de

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couverture du risque estimé. Mauvaise estimation du risque, failliteque de très "habituel" dans la vie des affaires.

Mais ce dont il est question ici n'est pas l'équation économique mais la situation juridique de ces trusts.

En cas de défaut de paiement, ce qui aurait dû se passer

D'une façon générale, lorsqu'un emprunt est contracté, le contractant signe un contrat valant "reconnaissance de dette". La banque détient alors une créance sur l'emprunteur. Dans le modèle ci dessus, elle préfère revendre cette créance moyennant une petite marge à un fonds MBS : le fonds MBS devient le propriétaire de la créance. La créance (en anglais, "note") est assortie d'une hypothèque ("lien") sur la maison qui sert de garantie ("collateral") au prêteur.

Le MBS n'est en général pas une société à part entière (nous y reviendrons) mais un "Trust" créé par une banque ou un pool de banques spécialement pour racheter des créances immobilières. Le MBS détient donc une créance, une hypothèque sur une maison servant de garantie à la créance, et délègue à une banque dénommée "loan servicer" le soin de recouvrer les mensualités, où, si le prêt tourne mal, de faire lever l'hypothèque sur la maison, ce qui signifie expulser le propriétaire défaillant et revendre sa maison au plus offrant pour tenter de récupérer une partie aussi élevée que possible de la créance non honorée.

Dans environ 45 états sur 50, la loi prévoit que le transfert de créance soit dûment enregistré devant l'équivalent américain des notairespour but d'éviter qu'une banque réclame par erreur une expulsion sur une maison pour un prêt dont elle ne serait pas créancière ou dont elle ne détiendrait pas l'hypothèque.

Deux cas de figure se déclarent alors :

Dans 23 états, l'expulsion doit être notifiée par un jugemandataire du trust doit donc lui présenter, entre autres, les preuves du défaut de paiement (en général, pas de problème), et celles de la détention effective de la créance et de l'hypothèque sur la maison en collatéral.

Dans les 27 autres états, la banque peut faire procéder à l'expulsion sur simple présentation d'un dossier de défaut à un officier de police, et l'affaire n'est examinée par le juge que si l'expulsé fait appel de

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l'expulsion, qui lui est en général notifiée quelques jours à l'avance.

Dans les deux cas, la banque mandataire doit faire la preuve devant le juge qu'elle détient bien la créance et l'hypothèque. Sans quoi, le juge risque de décréter qu'il ne peut pas autoriser la banque requérante à procéder à l'expulsion et à la revente de la maison, car il ne peut être certain que le produit de la vente aille à la bonne personne.

Premier couac pour les banques : le système de transfert électronique de créances MERS invalidé par les juges

Dans leur quête effrénée d'argent facile, Fannie Mae, Freddie Mac et de nombreuses banques privées ont estimé qu'en période de boom immobilier, faire enregistrer physiquement chaque transaction hypothécaire par des notaires coûterait trop cher. Il est vrai qu'elles ont fait ce constat en 1997, quand la titrisation "avancée" commençait tout juste et quand les écarts entre taux fédéraux et prêts individuels laissaient moins de marge de manœuvre.

Ils ont donc créés une sorte de groupement interbancaire, le MERS, Mortgage Electronic Registration System, qui a enregistré par voie électronique les transactions sur les propriétés hypothéquées en lieu et place des MBS ou de leurs "loan servicers". La procédure a permis aux banques d'économiser 1 Milliard de $ en 2007 sur les frais de gestion. Les banques estimaient que l'enregistrement au MERS des transactions rendaient inutile l'enregistrement notarié traditionnel. Grave erreur

Lorsque les procédures de faillite ont commencé à affluer, le MERS a prétendu se charger du suivi des faillites. Double problèmed'abord, le MERS n'est pas propriétaire des créances ni "loan servicer" mais seulement intermédiaire d'enregistrement. Plusieurs cours ont estimé que cela ne lui donne pas le droit de représenter les MBS lors d'une saisie. D'autre part, de nombreux états ont estimé qu'en matière d'enregistrement de la propriété, l'application des textes devait être rigoureuse, et que de simples enregistrement électroniques, insuffisamment sécurisés de surcroît, ne pouvaient déterminer avec certitude si le requérant de la saisie était bien la bonne personne qui devait encaisser le montant de la vente de la maison... Depuis, plusieurs rapports d'analyses ont exposé les insuffisances du système MERS, et les jugements interdisant au MERS de se présenter comme mandataire d'un trust ou d'une banque se sont multipliés.

Plus amusant, si j'ose dire, il semblerait que les effectifs du MERS se composent de... zéro salariés, les employés du MERS étant tous prêtés

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par les banques utilisatrices du système. Conséquence inattendue de ce choix de fonctionnement, dans certains états, cette caractéristique rend le MERS juridiquement incapable de représenter les intérêts de qui que ce soit, une entité juridique devant toujours être représentée par une personne physique en bout de chaîne.

Deuxième couac : le scandale des "robo-signers" et des faux actes notariés antidatés

Les grands scandales commencent souvent par de petits incidents jugés de prime abord sans importance.

Le système MERS était tellement déficient que lors d'une affaire apparemment banale de saisie à Jacksonville, en Floride, deux banques se sont présentées comme requérantes dans une saisie. Plus ennuyeux, le vrai propriétaire de l'hypothèque n'était aucune des deux banques mais notre vieille connaissance Fannie Mae.

Encore plus ennuyeux, les deux banques présentaient toutes deux des attestations sur l'honneur comme quoi elles certifiaient avoir vérifié la validité de leur dossier, et joignaient toutes deux des pièces apparemment notariées prouvant que la créance leur avait été transmise en bonne et due forme.

Les différentes enquêtes consécutives à ce bug ont permis de mettre au jour une pratique connue des initiés mais cachée au grand publicfirmes d'avocats qui représentaient les banques mandataires des MBS lors des audiences utilisent souvent... Des documents antidatés fabriqués par une firme spécialisée, LPS, "Lender Processing Services", une société de services informatiques et juridiques spécialisée dans, comme son nom l'indique, les services de gestion administrative aux emprunteurs. LPS, quasiment inconnue du grand public, réalise tout de même 4 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Une filiale de LPS, DOCX, publiait en toute simplicité un catalogue de prix pour documents "reconstitués" à partir des enregistrement électroniques.

Le circuit est le suivant : une des banques clientes de LPS enregistre un défaut de paiement, charge LPS de monter un dossier, LPS transmet ce dossier à un "foreclosure mill", littéralement un "moulin à faillites", une firme juridique ayant un accord de partenariat avec LPS. Le "Foreclosure Mill", localisé dans l'état où la faillite est mise en jugement, prend le dossier, le signe "les yeux fermés" et va le défendre devant la cour. Vous noterez au passage l'incroyable nombre d'intermédiaires qui parasitent le système...

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Certains employés de "Foreclosure mills" ou certains salariés de services internes de grandes banques mandataires de prêts ont reconnu sous serment signer en série plusieurs milliers de dossiers fabriqués de la sorte chaque semaine, en consacrant moins d'une minute par dossier, ce qui ne leur permet pas, évidemment de vérifier la bonne tenue des pièces présentées. Les firmes employant ces "Robo-Signers" sont aujourd'hui pour la plupart objet d'instructions judiciaires, voire, pour certains, de poursuites.

Cette façon de faire pose de multiples problèmes, que nous allons découvrir au fur et à mesure. Commençons ici par les plus triviauxd'abord, dans tous les pays du monde, présenter des pièces assimilables à des faux en écriture publiques rend les magistrats peu compréhensifs.

D'autre part, aux USA, comme dans la plupart des pays civilisés, la faillite personnelle est une chose sérieuse, et la plupart des états sont dotés de législation veillant à ce que les requérants dans une affaire de liquidation d'hypothèque respectent strictement certaines procéduresprévenance des familles expulsables, vérification très stricte de la validité de tous les documents présentés à la cour, et certification exacte sur l'honneur de la validité des créances présentées. Le non respect de ces prérequis de bon sens peut, au mieux, conduire certains juges à renvoyer la procédure à plus tard, au pire, dans certains états, à contraindre la banque à abandonner les poursuites, ce qui équivaut à un "bailout" judiciaire pour l'emprunteur en défaut. Il semble toutefois que ce dernier cas de figure soit assez rare.

Toujours est-il qu'une affaire de fraude documentaire devant des tribunaux n'est pas de la petite bière, et que des géants du crédit qui trempent dans le système LPS tels que Bank Of America, GMAC, et quelques autres, ont décidé un moratoire sur les expulsions dans les 23 états où celles ci sont soumises a priori au regard d'un tribunal, et que dans certains des 27 autres (dont la Californie et le Texas), les avocats généraux ont également demandé un moratoire.

Troisième couac : Le transfert rétroactif des créances est sinon impossible, du moins très problématique

Reprenons un peu le cours d'une créance hypothécaire. Nous avons vu que dans la plupart des cas, la banque qui avait ouvert le crédit n'avait pas transmis physiquement la créance au MBS, mais uniquement un enregistrement MERS. On pourrait donc imaginer que la banque originatrice du crédit détienne toujours cette créance. C'est parfois vrai,

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mais parfois, certaines banques ont purement et simplement détruit cette paperasse jugée inutile (la créance a été vendue, après tout...), d'autres ont fait faillite, etc... Mais il est vrai qu'un certain nombre de banques ont conservé les notes. Pourraient elles se substituer aux MBS et à leurs "loan servicers" pour se déclarer comme ayant-droit dans une procédure d'expulsion ? Non, car elles ont effectivement vendu la créance, leurs livres de comptes l'attestent, et ont été payées pour ces créances. Quand bien même elles la stockent physiquement, elles n'en sont aucunement les propriétaires légitimes.

Pourraient elles transmettre la créance physique aux MBS maintenant que la faillite se déclare ?

La manipulation est là encore impossible. Pour comprendre pourquoi, il faut se plonger dans le droit des MBS.

Le premier frein a la transmission tardive des créances est de nature fiscale : les MBS sont, nous l'avons vu, juridiquement, des trusts, et plus précisément une forme de trust créée en 1987, les REMIC, qui ont pour objet unique de regrouper des pools de crédits et de les titriser.

Ces trusts bénéficient d'un avantage fiscal sans lequel ils n'auraient aucune raison d'être : ils échappent à la double taxation des dividendes. En effet, sans cet avantage, les mensualités perçues seraient taxées une première fois, avant que les épargnants ayant investi dans les obligations émises par ces trusts ne soient rémunérés, ce qui réduirait grandement le rendement servi.

Mais pour bénéficier de cet avantage, les REMICs doivent respecter quelques obligations légales : le législateur veut évidemment éviter que l'avantage fiscal ne profite à tout le monde.

Aussi a-t-il mis comme conditions que :

- Le pool de prêts constituant la MBS soit constitué une fois pour toute au lancement de la MBS. Pas question, une fois que la MBS a émis ses obligations, de lui rajouter de nouveaux prêts. - Les emprunts intégrés dans la MBS doivent avoir moins de 90 jours au lancement de la MBS.

En cas de non respect de ces deux clauses, un MBS opérant sous le statut de REMIC peut se voir déclassé de ce statut et redressé de toutes les taxes dont il a été exempté depuis son lancement, ce qui, évidemment, ramènerait sa valeur, déjà fortement écornée par la crise, à presque rien.

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Naturellement, le lecteur habitué à la façon de gérer les affaires à la française se dira que tout ceci n'est pas grave, et qu'une petite loi d'amnistie fiscale suffirait à résoudre le problème. Mais aux USA, l'amnistie fiscale ne semble pas faire partie du champ des possibles, légalement parlant. En outre, si tant est qu'une "opportunité législative" existerait pour une telle décision, une telle faveur aux banques déjà haïes et considérées -à juste titre, comme nous pouvons le voir- comme des entités responsables de la crise, sauvées par le contribuable, et sans doute coupables de fraudes devant le tribunaux, serait absolument suicidaire électoralement parlant pour l'administration Obama.

Le second frein à la transmission en retard des créances hypothécaires en déshérence est que, justement, ces créances sont en déshérenceMBS a émis des obligations au départ des prêts, et à ce moment, aucun prêt présent dans la MBS n'était en faillite. Contractuellement vis à vis des épargnants qui ont acheté les CDO émises par les MBS (ce flux continu d'abréviations barbares...), ceux ci ont acheté des obligations émises par des pools d'emprunts sains, notés en fonction de leurs caractéristiques "investment grade" par les agences de notation. Si la MBS doit prendre en pension les créances dont elle avait affirmé détenir les droits au moment où elles étaient saines, avec plusieurs années de retard, au moment où elles ne valent plus grand chose, alors elles admettent avoir menti sur le contenu de la MBS au moment du lancement.

Là encore, en France, une petite loi de régularisation réduirait ce genre de péripétie au rang d'entrefilet en page intérieure des Echos ou de la Tribune. Mais aux USA, ce genre de manipulation a posteriori, pour les mêmes raisons que précédemment, sont moins envisageables.

Perte fiscale, fausse déclaration au moment de l'émission des bonsfois ci, les acheteurs de CDO (parmi lesquels des fonds de pension, des assureurs, et... depuis le Bailout, la FED !) n'ont pas perdu de l'argent uniquement à cause d'un mauvais jugement sur la valeur du produit acheté -dans ce cas, ils n'ont que leurs yeux pour pleurerde négligences graves des banques ayant packagé et certifié lesdites CDO. Les investisseurs de MBS, déjà échaudés par la perte de valeur de leurs investissements, comptent bien se saisir de ces irrégularités manifestes pour obtenir des dommages et intérêts. Ainsi, par exemple, la banque régionale allemande de Bade-Wurtemberg assigne Goldman Sachs en dommages et intérêts pour "mensonge" ayant provoqué 37 millions de pertes.

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A ce stade, quels charges pèsent sur les acteurs du scandalede produire des documents fiables, faux en écriture, négligence fiscale, et fausse déclaration sur les droits détenus par les MBS. Voilà de quoi nourrir de bien beaux procès en perspective.

Et bien, si vous croyez avoir tout vu, désolé, cher lecteur, mais le coup de grâce arrive seulement maintenant.

Les cadavres sortent des placards : et si tout ceci n'est que le résultat d'une fraude originelle bien plus grave ?

Mais évidemment, la question qui vient immédiatement à l'esprit de tout lecteur est : "Pourquoi" ? Pourquoi des banques a priori sérieuses (du moins y auraient elle intérêt), des firmes d'avocats qui risquent au mieux leur licence, au pire de très lourdes condamnation, et d'autres intermédiaires, pourquoi toutes ces entreprises ont elle pris de tels risques avec l'orthodoxie légale dans la gestion des avoirs hypothécaires ?

Les analystes indépendants Yves Smith et Karl Denninger, depuis plusieurs mois à la pointe de l'évolution des scandales hypothécaires, avancent, preuves croissantes à l'appui, que si les banques originatrices n'ont pas transmis les reconnaissances de dette signées par les emprunteurs en bonne et due forme, ce n'est pas "par paresse", ou parce que "cela coûtait trop cher", ou encore parce que "le MERS était jugé suffisant", ou tout autre excuse de second ordre.

La vraie raison de la conservation de ces créances dans leurs placards serait que, selon eux, la transmission physique des documents aurait montré aux auditeurs de MBS, aux autorités de marché, et autres régulateurs se donnant la peine de faire leur travail, qu'un pourcentage non négligeables de prêts garnissant les MBS étaient purement frauduleux : fausses déclarations de revenus des emprunteurs, et d'une façon générale, non respect des chartes de qualité internes des banques, pourtant déjà fort laxistes du fait de l'application de lois telles que le Community Reinvestment Act. Autrement dit, il aurait sauté aux yeux des observateurs que les CDO composées officiellement d'un certain pourcentage de prêts "prime", "subprime", et autres sous-classifications, étaient en fait surchargés en emprunts de très basse qualité, "loans"... Et que de fait, jamais les tranches dites "sénior" des obligations émises par les MBS n'auraient pu obtenir la sacro-sainte note AAA des agences telles que S&P, Fitch ou Moodys.

Et là, on quitte le domaine de la négligence, de l'économie de bout de

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chandelle, de "l'erreur", fut elle énorme, pour celui de la fraude la plus éhontée, qui pourrait valoir aux institutions jugées coupables de ces manquements des dommages et intérêts stratosphériques, dans le cadre de class actions à grand retentissement.

Les accusations de Smith ou Denninger ne sont pas lancées au hasard. D'abord parce que ces deux analystes connaissent très bien le droit de la finance et connaissent le sens du mot diffamation -quand bien même le second se montre volontiers grossier sur son blog...-, ensuite parce que des faits rapportés par la presse sont venus conforter leur dires.

Ainsi, l'assureur de produits financiers AMBAC porte plainte contre Bank Of America parce que CountryWide, devenue sa filiale, aurait ainsi triché sur... 97% des dossiers de prêts apportés à diverses MBSgénéralement, un audit réalisé par une firme indépendante entre 2006 et 2007 sur plus de 900 000 prêts titrisés (!) a montré que 28% ne respectaient pas les chartes internes des banques émettrices, qui pourtant garantissaient le respect de ces standards pour les prêts qu'ils revendaient aux MBS. A l'époque, la nouvelle avait suscité l'indifférence. Aujourd'hui, évidemment, ces audits donnent du poids à la thèse de la non-transmission volontaire des dossiers de créances physiques aux MBS pour cause de fraude flagrante : pour les courtiers en prêts et les agences bancaires qui octroyaient les prêts, l'important était de toucher une commission et donc de multiplier les affaires...

Et là, aucun "sauvetage législatif" des fautifs ne peut être ne serait-ce que conceptuellement envisagé : les investisseurs floués - ou les émetteurs de CDS - risquent de se jeter comme des pitbulls sur la jugulaire des banques qui ont packagé les MBS pour tenter de récupérer leur argent.

A noter que certains articles évoquent une autre possibilitéprêts aient été revendus plusieurs fois !! Mais cette affirmation que certains journalistes auraient recueillie de "vétérans de Wall Street" n'a pas encore été corroborée de source fiable. On peut espérer que de telles escroqueries sont marginales et ne concernent que des dérapages individuels, mais après tout ce qui précède, plus grand chose ne pourrait nous étonner.

Conséquences économiques

Il est encore beaucoup trop tôt pour avoir une vue détaillée de toutes les conséquences économiques de ce marasme judiciaire, qualifié déjà de "foreclosuregate" ou de "mortgage meltdown" par divers organes de presse. Essayons, avec le risque d'en surestimer certaines et d'en sous-

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estimer d'autres, de faire le tour de la question.

Bien sûr, les entreprises impliquées, comme GMAC ou LPS, affirment que ce sont de simples issues techniques qui devraient vite être résolues. Mais la somme des révélations récentes ôte toute crédibilité à cette affirmation.

Déjà, des procureurs généraux de certains états se penchent sur les fausses attestations sur l'honneur des détenteurs (réels ou virtuels...) de créances hypothécaires : dans l'Iowa, JP Morgan, GMAC ou Bank Of America pourraient écoper de 40 000$ par infraction. En Ohio, 25 000$. Il s'agit des seules amendes, snas compter des dommages versés pour le préjudice subi par les familles expulsées irrégulièrement, ou les acheteurs de maisons saisies dont le titre de propriété se révèlerait incertain voire invalide. Pour le seul état de l'Ohio (l'état de Cleveland), où jusqu'à 450 000 faillites irrégulières pourraient avoir été conduites, cela représenterait potentiellement jusqu'à 11 milliards de $ d'amendes... Hors dommage. On imagine le résultat financier de telles actions en Floride ou en Californie !

Mais comme si cela ne suffisait pas, là n'est même pas l'essentiel. Le problème fiscal des REMICS, et surtout les procès d'investisseurs de MBS floués, pourraient coûter bien plus encore. Des épargnants individuels, mais surtout des assureurs, des hedge funds, des petites banques régionales non impliquées dans le scandale des prêts pourris, et surtout des fonds de pension, détiennent ces MBS. Tant que la perte de valeur des MBS était liée à une chute du marché immobilier, ces investisseurs n'avaient que leurs yeux pour pleurer. Mais si une partie des pertes est imputable à un comportement frauduleux des banques qui ont monté puis vendu les montages financiers des MBS, tout change !

En tout état de cause, Janet Tavakoli, une des expertes les plus respectées du monde de la finance et des produits dérivés aux USA, estime dans les colonnes du Washington Post que les conséquences du "foreclosuregate" pourraient largement excéder les 700 milliards de dollars du premier plan de sauvetage TARP et que ce sont les class actions intentées par les porteurs de CDO qui seront le coup le plus dur à digérer pour les banques.

Le marché des MBS représenterait encore (hors titres mis hors circuit par les rachats de la FED) une valeur de 2,8 milliers de milliards de dollars d'obligations de type CDO en circulation. Or, les incertitudes juridiques qui pèsent sur la résolution des défauts de paiement sont aujourd'hui à leur paroxysme.

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Si les régles comptables étaient appliquées dans toute leur sévérité (mark to market), la valeur de ces CDO dans les bilans des institutions financières devrait à nouveau être dégradée, et tendre à nouveau dangereusement vers zéro. Or c'est une situation de panique autour de ces mêmes CDO qui est à l'origine des événements de septembre 2008 (Fannie, Freddie, AIG, Lehman, etc...). Cependant, il semblerait que malgré la fin annoncée fin 2009 du gel de la règle de "mark to market", le report immédiat des pertes dans les comptes ne soit pas la priorité des grandes banques. Quand on est allé jusqu'à présenter de fausses pièces à des tribunaux, ce n'est plus le non respect d'une petite norme comptable de rien du tout qui peut effrayer un dirigeant de grande banque, tout de même...

Pire encore : l'incitation au "défaut stratégique" des emprunteurs en difficulté est fortement augmentée par la situation actuelle. Pourquoi payer vos mensualités s'il existe une possibilité que l'organisme qui perçoit ces mensualités n'ait pas plus de titre valable sur votre créance que sur votre maison ? Nombre d'analystes ne croient pas que la situation puisse se solder par une vague d'annulation pure et simple de dettes pour les propriétaires de maisons. Par contre, il n'est pas impossible que les magistrats, pour trancher dans les conflits entre emprunteurs défaillants et banques prises en flagrant délit de légèreté, obligent les deux parties à renégocier de nouveaux prêts avec un principal fortement amputé, correspondant à des niveaux de dette plus soutenables pour les ménages, ce qui serait bon pour eux, d'ailleurs.

Nombre d'institutions financières, dont peut être certaines très grandes, seraient gravement touchées. Et faute d'avoir adopté un mode de résolution des faillites bancaires soutenable, et préféré le sauvetage des grands intérêts par les contribuables, le gouvernement américain devra gérer une situation explosive : une opinion remontée contre les "bailouts", des élections perdues et peut être plus de majorité au congrès, des grandes banques en faillite, et une assurance des dépots (FDIC) déjà dans le rouge. Brr...

Le foreclosuregate a le potentiel pour être le coup de grâce qui enverra par le fond le système financier américain actuel. Provoquant une nouvelle phase de crise économique, avec une fois de plus de sérieuses répercussions au niveau mondial.

Vers un nouveau Bailout législatif ?

Face à cette situation, certains espèrent un nouveau sauvetage de l'état,

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cette fois ci par voie législative. Et un début de déni de justice a failli se produire, seulement arrêté de justesse hier après midi, au stade de la signature d'une loi votée par le congrès en avril dans l'indifférence générale et sur le bureau du président.

Les banques ont compris depuis les premiers jugements anti-Mers, en 2009, que le système risquait de leur exploser à la figure. Elles ont donc "manoeuvré" pour que la chambre vote, en avril de cette année, quand le foreclosure-gate était encore inconnu du grand public, une loi fédérale numérotée HR-3808 contraignant les tribunaux à accepter les actes notariés électroniques, y compris en provenance d'autres états. Naturellement, comme par hasard, tous les enregistrements du MERS seraient redevenus valides. Et hop, plus de problème de détention de créance invalide ! Certes, la loi n'aurait sans doute pas été rétroactive et n'aurait pas empêché les poursuites pour procédures frauduleuses conduites avant sa promulgation, mais tout de même. Le sénat a voté la loi en urgence dans les tous derniers jours de septembre.

Mardi dernier, Jennifer Brunner, secrétaire d'état de l'état de l'Ohio, lançait un appel sur internet invitant tous les américains à téléphoner au président Obama pour qu'il ne signe pas cette loi. Elle indique que comme tout le monde, elle avait sous estimé la portée de la loi HR-3808 en avril, mais que l'empressement inhabituel du sénat à voter la loi fin septembre, alors qu'elle était en train d'enquêter sur les faillites frauduleuses, avait déclenché une alerte. Une telle loi, selon elle, marquerait le début de la fin de la sécurité juridique de la propriété aux USA. Cette analyse était partagée par les inévitables Yves Smith et Karl Denninger.

Son appel semble avoir eu du succès, puisque hier (jeudi 7) en milieu de journée, le président a fait savoir qu'il ne signerait pas la loi, et la procédure de renvoi utilisée équivaudrait à un véto. Obama n'est pas suicidaire : il sait qu'à exactement un mois des élections de Mid Term qui s'annoncent déjà difficiles, un "coup de pouce" législatif favorable aux banques coupables de fraudes avérées, haïes de la population et remettant en cause les fondements juridiques de la propriété aux USA, lui aurait valu un véritable désastre électoral.

Reste à savoir si après les élections, la loi rejetée par la porte pourra revenir par la fenêtre. Cela parait toutefois peu probable, vu les proportions prises par l'affaire et l'impossibilité de promulguer un tel texte en catimini.

Le présentateur vedette de CNBS, Larry Kudlow, lors de sa première

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couverture du scandale, se demandait si une législation d'exception pourraît être votée pour résoudre avec le moins de casse possible le problème : le sort réservé à la loi HR-3808 montre que même si cela était juridiquement envisageable, cela sera politiquement très difficile à soutenir.

D'un point de vue plus général, une loi d'exception pour tenter de sauver des banques qui ont enfreint toutes les règles possibles et imaginables, financières et éthiques, ne doit pas advenir. Assez de "hasard moral", d'incitations à recommencer la grande orgie d'argent facile dès que la crise sera terminée. Du point de vue du législateur, l'efficacité économique immédiate supposée de l'action publique ne doit jamais être une priorité supérieure au maintien de l'honnêteté dans le système.

Conclusion

Le doute n'est plus permis : le foreclosuregate ne sera pas qu'une péripétie technique. Sera-ce l'étincelle qui provoquera la grande rechute récessionniste qu'hélas, je prévois depuis longtemps ? Ou les rafistolages du système financés par les contribuables réussiront ils une fois de plus à donner une illusion de viabilité au système financier américain et mondial actuel ?

Il est trop tôt pour le dire, et il ne faut jamais sous estimer la capacité de nos élites à prolonger la survie du patient. Mais une affaire de l'ampleur du Foreclosuregate montre que le cancer de la mauvaise dette et de la corruption du capitalisme financier par un législateur plus épris d'ingénierie sociale que de justice, a largement métastasé dans toutesstrates de la première économie du monde, et sans doute au delà. Aucun traitement conventionnel à base de déficits publics, de plans de sauvetages et de planche à billets, ne résoudrait à la racine les maux nés de la cogestion de l'économie par les financiers et les politiciens.

Vincent Benard

http://www.objectifeco.com/economie/economie-politique/article/vincent-benard-foreclosuregate-iv-synthese-pour-y-voir-plus-clair-dans-un-gigantesque-scandale

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« Origines proches de la psychologie de notre finitude »,par Philippe Grasset

[Texte mis en ligne sur le site Dedefensa le 27 septembre 2010]

On se référera d’abord à deux événements, qui constituent une introduction d’actualité au problème que nous voulons traiter. Il s’agit d’abord d’un débat sur la croissance, ensuite d’avertissements sur des perspectives alarmantes et immédiates de pénurie alimentaires suite aux événements catastrophiques de cet été (incendies en Russie, inondation au Pakistan). Ces deux événements illustrent deux facettes de l’accélération de notre crise, qui introduisent une perspective historique et une analyse psychologique des “origines proches” de cette situation, – ce que nous nommons la situation de la perception de “notre finitude” en tant que système et civilisation.

• Le premier événement est une conférence tenue à Lyon sous l’égide de Libération (France) et de The Independent (Royaume-Uni). Le quotidien britannique rapporte, ce 25 septembre 2010, les grands thèmes et affrontements qui ont caractérisé cette conférence, entre une vision localiste et une vision globaliste des moyens de “sortir” des conditions de crise systémique qui caractérisent la situation… Les deux vues, dont on comprend évidemment les arguments, sont toutes deux caractérisées par la nécessité d’une action rigoureuse contre les dégradations accélérées en cours.

• Le second événement est un rapport de l’ONU sur les suites à craindre des catastrophes de l’été, illustrées déjà par des “émeutes de la faim” au Mozambique (13 morts). Dans cette analyse, les catastrophes sont évidemment citées comme cause directe, mais les causes aggravantes, qui constituent en réalité le mécanisme infernal qui transformeraient une difficulté à laquelle on pourrait faire face en une éventuelle situation pressante de pénurie alimentaire, sont évidemment à chercher dans la pathologie (pas d’autres mots) qu’est le mécanisme spéculatif du système, – le système qui vient justement d’être renfloué des effets de la catastrophe financière (15 septembre 2008) dont il est lui-même la cause, – imbroglio fondamentalement déstructurant et de caractère maléfique que l’on connaît bien […].

Notre commentaire

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C’est un bon symbole que la réunion d’urgence sur la possible pénurie alimentaire se tienne à Rome. Cela rappelle effectivement le “Club de Rome”, créé en 1968 et qui rendit en 1972 un rapport fameux sur la “décroissance”, objet du débat lyonnais constituant l’autre nouvelle présentée en introduction. Mais nous voulons nous détacher de la sphère économique, résolument, pour présenter d’abord la perspective “historique proche” de la situation actuelle, – qui rend compte d’un sentiment urgent de la perception de notre finitude, de la finitude catastrophique et eschatologique du système.

Notre souci en cette circonstance est d’offrir une autre “perspective historique proche” de la crise que celle à laquelle l'on se réfère en général (nous-mêmes, d’ailleurs) ; les deux sont valables mais concernent deux domaines différents et la seconde, celle que nous développons ici, est rarement documentée, sinon même mentionnée. En général, on offre l’effondrement de l’URSS comme borne d'ouverture de la période actuelle, laquelle est marquée dans tous les cas et d'une façon inattendue par rapport aux origines par la réalisation en cours désormais, très puissante et très rapide, de la finitude de notre système. Nous voudrions donner une autre perspective, qui n’est pas antagoniste mais complémentaire (les deux s’additionnant), et qui, de notre point de vue, déclenche spécifiquement et précisément le processus psychologique qui nous amène à la situation présente, où la prise de conscience de la crise de notre finitude est très rapide… La prise de conscience actuelle, en dehors des processus officiels chaotiques vis-à-vis de la crise de l’environnement qui ne montrent que l'impuissance des directions politiques, est très rapide, justement parce que la préparation psychologique a été intense quoique souterraine depuis 1973. Comme on voit, 1973 c’est presque 1972 et le Club de Rome ; mais la chose, si elle a une proximité significative, est psychologiquement très différente, en ampleur et en contenu.

Nous nous rappelons cette anecdote professionnelle comme un fait marquant, – information et symbole à la fois, – marquant l’ouverture de cette perspective historique. Il s’agissait d’un reportage photographique de United Press International d’avril 1973 montrant des unités du Marine Corps s’entraînant, dans le désert du Mojave, aux USA, aux conditions de “la guerre dans le désert”. Les manœuvres étaient explicitement décrite comme entraînant ces troupes à la possibilité d’une intervention armée, non pas dans un cadre politique et stratégique pur, mais dans un cadre stratégique élargie où des considérations économiques de notre système jouaient un rôle majeur. Il s’agissait de l’hypothèse d’une intervention au Moyen-Orient pour protéger ou investir des champs pétroliers menacés d’une façon ou l’autre, y compris par un embargo

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institué par les producteurs de pétrole, pour assurer la protection et la sauvegarde des économies occidentales basées sur la consommation de pétrole. C’était l’époque ou l’OPEP, avec les deux grands acteurs qu’étaient l’Iran du Shah et l’Arabie Saoudite, – l’un, force contestatrice réclamant l’augmentation du prix du pétrole, l’autre, force conservatrice habituellement opposée à cette tendance mais cette fois beaucoup plus nuancée, – laissait envisager effectivement la possibilité d’un embargo pétrolier, avec le facteur politique supplémentaire de forcer les USA à intervenir plus en faveur des Arabes dans le conflit latent entre Israël et les pays arabes.

Effectivement, les événements se précipitèrent, avec des manipulations diverses, dont celles de Kissinger aux USA favorisant en sous-main en embargo qu’il dénonçait officiellement (cela permettait aux USA de renforcer leurs liens avec l’Arabie et l’Iran à la fois, et leur approvisionnement en pétrole par le fait d’une part, à forcer les Européens à s’aligner sur les USA dans une position commune sur l’énergie que les USA dicteraient, d’autre part). Début octobre 1973 eut lieu “la guerre d’Octobre”, entre l’Egypte et la Syrie d’une part, Israël d’autre part. Les USA y tinrent un rôle ambigu et le bruit courut que Kissinger avait encouragé l’Egypte à attaquer pour débloquer la situation politique dans la région. Là-dessus, l’OPEP institua un embargo pétrolier pour renforcer la partie arabe, – ce qui permit à Kissinger de développer sa tactique de pression sur Israël, avec comme conséquence les accords, après la guerre, avec l’Egypte et la Syrie, puis, selon cette dynamique, l’initiative Sadate de 1977 et le traité de paix Israël-Egypte de 1979.

Cette crise-là d’octobre 1973, avec d’ailleurs une culmination dramatique le 25 octobre 1973 et la mise en alerte globale des forces armées US à la suite de l’annonce de la possibilité d’une intervention russe pour éviter l’anéantissement de la IIIème Armée égyptienne par Israël malgré le cessez-le-feu de l’ONU, cette crise s’avéra complètement différente de ce qui avait précédé. Contrairement aux précédents conflits israélo-arabes, c’était une crise globale avec une dimension systémique à cause de l’embargo qui menaçait le fonctionnement de l’économie mondiale (même en 1956 avec l’affaire de Suez, le cas de l’embargo contre la France et le Royaume-Uni constitua un aspect complémentaire et limité du cas politique). Pour la première fois une crise aux dimensions globale n’était pas limitée aux seules deux superpuissances.

Ainsi pouvait-on juger qu’il s’agissait d’une époque novelle, et on le perçut immédiatement, dans notre vie courante. L’embargo eut des conséquences immédiates, quotidiennes, avec les “dimanches sans voiture” en Europe, des programmes d’économie d’énergie lancés, des

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changements d’heure été-hiver, etc. Pour la première fois, une crise mondiale n’était pas perçue en termes d’anéantissement réciproque (guerre nucléaire stratégique) qui, à cause de son extrémisme prospectif, semblait assez irréelle et abstraite même si son poids sur la psychologie était énorme. Notre souvenir des événements est bien qu’il s’agit d’un immense événement de déstabilisation ; pour la première fois, l’on sentit que les deux superpuissances et le diktat de la dissuasion nucléaire ne suffisaient plus à maintenir le contrôle de la situation internationale, à nous maintenir dans les bornes de la raison contrainte mais toujours arrogante, elle-même dans les bornes du système du technologisme et de l’apparat du système de la communication… En termes (beaucoup plus fortement qu’en termes stratégiques), la guerre de haute intensité dont la référence est la dimension mondiale était redevenue possible, et, avec elle, la déstabilisation d’une situation jusqu’alors contrôlée que la perspective impliquait. La perspective concernait bien la mise en cause de notre système général.

Ce qui suivit, selon ce point de vue de la séquence, fut effectivement une déstabilisation politique immédiate, et dans divers domaines, comme si cette déstabilisation concernait la marche générale des événements et non la seule question du Moyen-Orient et du pétrole. C’était le fait général de la “déstabilisation” qui nous frappait. Les troubles furent considérables dans de nombreux domaines et de nombreuses régions. Il y eut une offensive de déstabilisation en Europe d’un terrorisme provocateur, manipulée massivement à partir de cette époque par les USA avec le relais des “réseaux Gladio” et l’utilisation manipulatrice des groupes d’extrême gauche (jusqu’au paroxysme de l’affaire Moro en Italie en 1978, de la vague de terrorisme des “tueurs du Brabant” en Belgique en 1983-1985, – autant de manipulations déstabilisatrices). La situation aux USA fut également chaotique, avec le Watergate et la “crise de régime” aboutissant à la démission de Nixon (1974), la catastrophe vietnamienne (1975), la crise de la CIA (1975), jusqu’à une seconde crise pétrolière avec la chute du Shah (1978) et l’affaire des “otages de Téhéran” (1979-1980). Il y eut des événements locaux participant de cette même dynamique (la “révolution des oeillets” au Portugal, en 1974). Un activisme extérieur soviétique à partir de 1975, jusqu’à la guerre en Afghanistan (1980), parachève ce tableau de la déstabilisation commencée en 1973. La présidence Reagan ne fut nullement ce renouveau qu’on aurait pu penser stabilisateur que nous décrit la narrative officielle. Au niveau intérieur, cette administration conduisit l’intégration de l’ultralibéralisme extrême par la dérégulation et la privatisation, libérant des forces économiques et financières dévastatrices qui mirent en place le cadre des crises actuelles. D’une façon plus générale, la psychologie “décliniste” (symbolisée par le livre

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de Paul Kennedy – Naissance et Déclin des Grandes Puissancesdomina la période aux USA.

Un autre signe capital du changement intervenu en 1973 fut sans aucun doute la “banalisation” du conflit nucléaire, ce qui impliquait l’échec psychologique de la dissuasion. A partir de 1980-81, des mouvements anti-nucléaires très puissants, d’abord aux USA, puis en Europe de l’Ouest et même en Europe de l’Est, crédibilisaient la perception de la possibilité d’une guerre nucléaire livrée comme une guerre conventionnelle. Ce n’était plus la “terreur nucléaire”, c’est-à-dire une sensation d’impuissance théorique face à la possibilité d’un conflit nucléaire perçu comme la fin de l’espèce mais contenu par l'arrangement de la dissuasion, mais l’angoisse activiste devant la possibilité bien réelle d’un conflit nucléaire engendrant des dégâts évidemment colossaux. La terreur religieuse et eschatologique, mais théorique, de l’“impensable” avait été remplacée par l’angoisse de la possibilité du conflit. Même Reagan fut sensible à cela, qui montra de la sympathie pour les mouvements anti-nucléaires et suivit une attitude très ambiguë dans ce domaine, qui fit une bonne part de son entente avec Gorbatchev.

Effectivement, en novembre 1983, on se retrouva proche d’un conflit nucléaire, non pas à la suite d’une crise spécifique mais à cause d’un enchaînement psychologique lié à des événements “collatéraux” (destruction du Boeing 747 de la Korean Air Lines le 31 août 1983, déploiement des premiers missiles balistiques US Pershingde croisière Glicoms en novembre 1983 en Allemagne et au Royaume-Uni). Cet épisode extraordinairement déstabilisant, loin de marquer l’antagonisme Est-Ouest comme le fait penser la narrativeclassique, prépara au contraire le climat nouveau qui s’installa à partir de 1985, avec l’idée qu’il fallait à tout prix tenter de reprendre le contrôle de l’antagonisme nucléaire, éventuellement par des accords USA-URSS. (On aurait effectivement l’accord sur l’élimination des armes nucléaires de théâtre entre les USA et l’URSS en décembre 1987.)

…Enfin, bien entendu, il y eut le destin de l’URSS avec Gorbatchev, l’aventure épique que tout le monde connaît, galopant à partir de mars 1985 et l’arrivée à la tête du PC de l’URSS de Gorbatchev, jusqu’à l’effondrement de l’URSS. Selon le point de vue de cette autre interprétation historique que nous proposons, on placerait plutôt cet événement dans le contexte de la déstabilisation constante depuis 1973, notamment et essentiellement de la psychologie, plutôt que dans la logique linéaire et manichéenne de la Guerre froide depuis l’origine. Là, également, des événements impossibles et “impensables” dans les années de la “première Guerre froide” (1948-1962) et durant la “détente” comme

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on la concevait à partir de la bipolarité nucléaire, se poursuivirent à un rythme extraordinaire dans l’empire soviétique, jusqu’à son effondrement.

Les deux événements de 1989

D’une façon assez révélatrice, toujours selon cette démarche de l’analyse, la résurgence de la possibilité de la guerre dans ces années-là ne conduisit nullement à la seule peur de la guerre, une crainte d’une nouvelle Guerre mondiale si vous voulez, mais à une “peur” nouvelle qui serait plutôt définie comme une angoisse générale concernant le système lui-même, sa viabilité et sa pertinence et, d’une façon générale, le destin même de cette civilisation née selon notre approche du “déchaînement de la matière” et correspondant à l’“idéal de puissance” identifié par Guglielmo Ferrero. L’effet de ces événements s’avéra plus grand dans le domaine psychologique que dans le domaine stratégique (géopolitique), comme on devrait commencer à s’en apercevoir. Deux événements contradictoires, la même année 1989, marquent cette différence et la dualité de perception qui affecta notre jugement, tandis que le facteur psychologique évoluait de son côté selon deux orientations différentes.

• En avril 1989 se tint au Brésil un sommet mondial, avec la présence des chefs d’Etat et de gouvernement, sur la crise de l’environnement et la crise climatique. Ce sommet fut une réussite, marquant une très forte prise de conscience de la gravité de la crise, avec le sentiment d’une situation générale en cours de déstabilisation, et même de déstructuration. Même les dirigeants anglo-saxons (Thatcher et Bush-père) partageaient haut et fort cette crainte, avec une Thatcher qui se montra particulièrement alarmiste. On aura un écho de ce “climat” général dans deux textes que nous publiâmes à l’époque (automne 1988), et qu’on retrouve sur ce site, mis en ligne le 5 mars 2004. On voit que même le Pentagone était sensible à ce problème de la déstabilisation générale due aux conditions potentiellement eschatologiques de la crise de l’environnement, avec notamment la doctrine Deterrence.

• …Mais Dicriminate Deterrence et le reste firent long feu, et aussi l’esprit de cette période, le courant psychologique qu’on identifie ici. La chute du Mur, le 9 novembre 1989, changea tout cela. La psychologie manichéenne et engendrée par le système, type-Guerre froide, profita de ce formidable événement pour reprendre sa place (la première, sinon l’exclusive), en renversant complètement la proposition précédente et en le proclamant dans une formidable offensive réflexe du système de la communication sur l’air des lampions, – “On-a-ga-gné”, “la Fin de

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l’Histoire”, le triomphe du capitalisme bientôt transformé en hyperlibéralisme-turbo. Tout ce qui était fondamentalement la cause de cette crise générale de déstabilisation/déstructuration entretenant les alarmes depuis 1973 pour culminer à l’automne 1988-printemps 1989, devint brusquement la recette sublime d’un monde meilleur où le capitalisme vertueux l’avait emporté sur le communisme maléfique.

C’est évidemment ce deuxième courant psychologique qui assura son empire sur la période qui suivit, les années de la décade 1990. Son imposture se manifesta avec la guerre du Golfe ou le triomphe des armes capitalistes, le saccage de l’URSS devenue Russie par le même capitalisme, le triomphalisme de l’“hyperpuissance” US à partir de 1995, etc. Dans cette séquence, l’attaque du 11 septembre 2001 ne pouvait apparaître effectivement que comme le prétexte, éventuellement arrangé aux petits oignons, d’une poussée ultime, globalisée et universelle, de la doctrine de “l’idéal de puissance”, via le Pentagone et la déstructuration engendrée par sa “guerre sans fin”, avec l’hyperlibéralisme dans ses bagages, à installer dans les espaces extérieurs ainsi domptés… Comme l’on sait, les événements ne s’accordèrent pas au scénario. Le reflux commença en 2004, pour prendre une toute nouvelle direction en 2006, puis avec la crise de septembre 2008 et tout ce qui suit jusqu’à nous.

Ainsi peut-on observer que ce qui revient aujourd’hui, au pas de charge, c’est cette psychologie étouffée au cours de l’année 1989, notamment avec les événements mentionnés en tête de ce texte après les grandes catastrophes climatiques de l’été 2010. La force de la dynamique et la prise de conscience de la dimension eschatologique des événements s’affirment à une très grande vitesse, désormais aussi rapide que les effets de la crise générale de l’environnement infiniment plus rapide que prévu. La cause de cette puissance se trouve dans la description que nous avons faite, avec l’observation que le courant psychologique qui la nourrit a une solide ascendance en prenant de plus en plus le pas sur le courant psychologique de l’affrontement manichéen, idéologique et politique, d’antagonismes en général produits par le virtualisme qu’enfante le système de la communication du système général. Il s’agit par conséquent d’un affrontement psychologique titanesque, correspondant parfaitement à la perception que nous en avons nous-mêmes, mais dont l'issue nous paraît désormais réglée, notamment parce que la crise de l'environnement (la crise climatique) est un événement catastrophique et eschatologique que rien n'arrête et qui progresse à une vitesse absolument stupéfiante, démentant toutes les prévisions.

(Voir notre F&C du 20 septembre 2010 : «Nous vivons des temps exceptionnels parce que la division ne se fait plus, aujourd’hui, ni entre

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droite et gauche, ni entre capitalistes et anticapitalistes, ni entre Nord et Sud, ni entre américanisme et le reste, – mais de plus en plus entre ceux qui ont l’intuition et donc la conviction de la venue de cette crise de système et de civilisation, et ceux qui n’y prennent pas garde, ou l’ignorent, ou la refusent, ou la réfutent, par fatigue de la psychologie, par impuissance, par inattention, par autisme volontaire, par crainte ou par scepticisme, par référence à des “valeurs” idéologiques semblant comme autant de bouées de sauvetage.»)

En d’autres termes, nous pensons qu’il n’y a pas à s’étonner du tournant qui est train de se produire dans la conscience de la crise, qui est la conscience de notre finitude en tant que civilisation, et la conscience d’une civilisation irrémédiablement pervertie par le système auquel elle s’est offerte après l’avoir enfanté. Ce rappel “psycho-historique” nous enseigne que la psychologie qui est en train de s’installer vient de loin, qu’elle a été l’objet d’une dissimulation (“cover-up”) pendant deux décennies. Une “réalité“ chasse l’autre, avec la vertu inestimable, pour celle qui s’installe, d’être une référence à la vérité de notre situation.

Philippe Grassethttp://www.dedefensa.org/article-

origines_proches_de_la_psychologie_de_notre_finitude_27_09_2010.html

« Pic pétrolier : l’AIE connaît les faits depuis 1998 », par Colin Campbell

[Texte mis en ligne sur le site Contre Info le 14 novembre 2009]

La révélation par le Guardian des dissensions croissantes que provoquent à l’intérieur de l’agence la surévaluation des réserves pétrolières et la dissimulation de la proximité du pic pétrolier a retenu l’attention d’un lecteur très informé, en la personne de Colin Campbell, un expert du secteur, qui fût avec le français Jean Laherrère, l’un des premiers à prendre conscience de la réalité du pic. Dans une adresse au Guardian, Campbell retrace les étapes des travaux qui l’ont amené à ses conclusions, et il indique que dès 1998, il avait été contacté par une équipe de l’AIE et leur avait communiqué les données issues de l’industrie pétrolière dont il disposait, bien plus fiables que les chiffres

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publiés par les gouvernements. Cette même année, l’AIE mentionnait dans son rapport annuel une source d’approvisionnement nommée de manière fort sibylline pétrole « non conventionnel, non identifiéreprésentant pas moins de 20% de la consommation mondiale en 2020. Il s’agissait en fait d’un message codé, nous dit Campbell, indiquant pour qui savait lire, que cette ressource inconnue et encore à découvrir risquait fort de ne jamais se matérialiser. Devant les vagues provoquées par cette information, pourtant passée presqu’inaperçue, l’AIE a fait marche arrière dès l’année suivante, en choisissant de renommer cette source d’approvisionnement fantôme en pétrole « conventionnel non-OPEP », sans fournir la moindre justification.

Adresse à l’attention du rédacteur en chef du Guardian, novembre 2009

Cher Monsieur,

J’ai été très impressionné de voir l’importance que vous avez accordé dans votre numéro du 10 Novembre au traitement du rôle de l’Agence Internationale de l’Energie dans l’évaluation du niveau d’épuisement des réserves pétrolières. C’est l’un des plus importants problèmes auxquels est confronté le monde contemporain, étant donné l’actuelle dépendance énergétique à un pétrole bon marché.Je peux vous fournir quelques informations supplémentaires sur le sujet, provenant de ma propre expérience. J’ai d’abord pris connaissance de la question en 1969 à Chicago, lorsque je faisais partie d’une équipe chargée de procéder à une étude mondiale pour Amoco (qui fait désormais partie de BP). Plus tard, alors que je dirigeais la compagnie Fina en Norvège, j’ai demandé à l’entreprise de mener une recherche sur le sujet, en collaboration avec les autorités norvégiennes. Nous avons alors utilisé les données publiques sur les réserves, car je n’avais pas réalisé à quel point elles étaient peu fiables.

Les résultats ont été publiés sous le titre « The Golden Century of Oil, 1950-2050 » (Kluwer Academic). Ce document a suscité l’intérêt de Petroconsultants, une société basée à Genève, qui maintenait pour les compagnies pétrolières internationales une base de données fiable sur les activités du secteur dans le monde entier, incluant également la taille des découvertes et les statistiques de forage. Cette société m’a demandé de refaire l’étude, mais cette fois en utilisant leur base de données décrivant la quasi-totalité des champs pétroliers dans le monde. J’ai été rejoint dans ce projet par Jean Laherrère, ancien directeur de l’exploration de la compagnie pétrolière française TOTAL, qui avait mis au point diverses techniques d’analyse. Les résultats de l’étude ont été vendus à raison de

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50 000 dollars l’exemplaire, mais elle a ensuite été retirée de la circulation sous la pression d’une société pétrolière américaine qu’il vaut mieux ne pas nommer. Cependant, Petroconsultants a ensuite co-édité un ouvrage que j’ai écrit, « The Coming Oil Crisis » (Multi-Science), qui en résumait les résultats, et elle a également donné son accord pour que Laherrère et moi-même écrivions un article pour le journal Scientific American : The End of Cheap Pétrole (Mars 1998).

L’AIE a acheté ce livre et m’a contacté, envoyant un analyste qui a passé une semaine à étudier les données. Il était évident que l’équipe au sein de l’AIE qui travaillait sur ce sujet était entièrement convaincue et en saisissait toute l’importance. Ils ont ensuite rédigé un rapport pour les ministres du G8, réunis à Moscou (International Energy Agency, 1998, World Energy Prospects to 2020, Report to G8 Energy Ministers, www.iea.org/g8/world/oilsup.htm, 31 Mars). Le texte était assez insipide, mais il contenait un tableau très important, indiquant que la demande de pétrole devrait dépasser l’offre en 2010, en l’absence d’une source identifiée comme [pétrole] non-conventionnel non identifié, dont la production augmentait jusqu’à atteindre 20% des besoins mondiaux d’ici à 2020. Ayant réussi à passer le test des ministres du G8, l’équipe de l’AIE a ensuite été en mesure de l’inclure dans l’édition 1998 du Wold Energy Outlook (WEO).

En fait, ce « non-conventionnel non-identifié » était un message codé indiquant l’apparition d’une pénurie. Je l’ai expliqué à un journaliste qui a pris contact avec une personne à l’AIE qui s’est réjouie que cet important message codé soit révélé. Mais lorsque son ouvrage a été publié (Fleming, D., 1999, Le prochain choc pétrolier ? Prospect April), l’AIE a évidemment eu de sérieux problèmes avec ses commanditaires au sein des gouvernements de l’OCDE, et dans l’édition suivante du WEO, le « non-conventionnel non-identifié » s’est transformé en «non-OPEP », sans plus de commentaire ni d’explication.

La fonction première de l’AIE consistait à surveiller les stocks stratégiques de l’OCDE, qui étaient perçus comme un moyen de défense contre toute exigence excessive de l’OPEP. L’AIE estimait donc que son rôle était de protéger les intérêts des consommateurs, et elle avait toutes les raisons de minimiser toute référence à un épuisement des réserves et aux limites que la nature impose, car cela aurait eu pour effet indirect de renforcer le pouvoir de l’OPEP.

La société Petroconsultants a ensuite été acquise par IHS aux États-Unis, et la relation particulière qu’elle entretenait avec les compagnies pétrolières internationales a disparu, de telle sorte que la qualité de sa

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base de données s’est détériorée. Par ailleurs, cette société peut également subir la pression des intérêts commerciaux et des principaux pays de l’OPEP.

Il vaut la peine de s’attarder brièvement sur les publications des réserves pétrolières déclarées. Il n’y a pas de difficulté technique particulière dans l’évaluation de la taille d’un champ pétrolier au début de son existence, bien qu’il persiste naturellement une certaine plage d’incertitude. La publication des chiffres de ces réserves subit cependant deux distorsions importantes.

Premièrement, les compagnies pétrolières sont soumises à des règles strictes par la bourse de New York, qui sont conçues pour empêcher une exagération frauduleuse des réserves. De ce fait, il était logique que les compagnies fassent état du minimum nécessaire pour des raisons financières, puis revoient à la hausse leurs estimations au fil du temps, donnant une image réconfortante, mais trompeuse, d’une croissance régulière.

Deuxièmement, les pays de l’OPEP se sont retrouvés en compétition pour les quotas dans les années 1980, lorsque les cours étaient bas. Les contingents de production étaient basés sur les réserves déclarées, ce qui a incité le Koweït à les augmenter de 50% du jour au lendemain en 1985, bien que rien n’ait changé dans la situation de ses champs pétroliers. Il pourrait en fait avoir commencé alors à publier le total découvert, et non pas les réserves restantes. Les autres pays de l’OPEP ont ensuite réagi en procédant à des hausses injustifiées afin de protéger leur quota. Imaginer que les nouvelles découvertes d’Abou Dhabi puissent correspondre exactement à sa production et laissent inchangé le niveau de réserve est évidemment absurde.

Malgré ces difficultés, il est possible de produire une évaluation raisonnable de la situation de départ à partir des données historiques de Petroconsultants, qui sont fiables. Le graphique [ci-dessus] indique quelle est mon estimation à l’heure actuelle.

Pour résumer, le pétrole conventionnel classique a atteint un sommet en 2005. Le déficit a été comblé par un pétrole coûteux, provenant principalement de gisements en eau profonde et de l’exploitation des sables bitumineux canadiens, ce qui a provoqué une hausse des cours. Cette tendance a été identifiée par des négociants avisés qui ont commencé à acheter des contrats sur le marché à terme, tandis que l’industrie pétrolière a maintenu des niveaux élevés de stock, puis les a regardés s’apprécier, sans avoir le moindre effort à fournir. La hausse

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des prix a également dirigé un flot de pétrodollars vers le Moyen-Orient, où il coûte environ 10 dollars pour produire un baril. Ces excédents de revenus ont ensuite été partiellement redirigés vers les établissements financiers occidentaux, contribuant ainsi à l’instabilité. La flambée des prix a atteint des niveaux extrêmes à la mi-2008, à près de 150 dollars le baril, ce qui a incité les négociants à commencer à vendre à découvert sur le marché à terme, et pour l’industrie pétrolière, à commencer à vider ses stocks avant qu’ils ne perdent de la valeur. Ces prix élevés ont dans le même temps déclenché une récession économique qui a freiné la demande, provoquant une chute des prix qui sont retournés aux niveaux de 2005 avant de remonter à environ 70 dollars aujourd’hui.

Il est plus difficile d’évaluer les pétroles non conventionnels, qui incluent les sables bitumineux et le pétrole lourd, le pétrole en eau profonde, celui des régions polaires et les liquides à base de gaz naturel, mais le graphe ci-dessus suggère que le pic dans toutes les catégories a été atteint en 2008. Le débat fait rage quant à la date du pic toutes ressources confondues, mais il rate le point fondamental qui est la perspective d’un long déclin après ce pic.

Étant donné le rôle central du pétrole dans l’économie moderne, le pic de production s’annonce comme un tournant d’ampleur historique. Il semble que les banques aient prêté plus que ce qu’elles n’avaient en dépôt, convaincues que la croissance économique de demain représentait une garantie pour la dette d’aujourd’hui, sans comprendre que la croissance a été alimentée par l’énergie fournie par un pétrole bon marché. Les gouvernements impriment aujourd’hui encore plus d’argent, en vertu des principes keynésiens, dans l’espoir de rétablir la prospérité passée, et le succès pourrait être de courte durée. Mais cela pourrait stimuler la demande de pétrole qui dépasserait bientôt à nouveau les limites de l’offre, conduisant à un nouveau choc sur les cours, entrainant une dépression économique pouvant être pire encore. De fait, les 28 milliards de barils extraits chaque année sont utilisés par une population mondiale de 6,7 milliards de personnes, mais en 2050 l’offre sera tombée à un niveau capable d’approvisionner moins de la moitié de ce chiffre, avec le mode de vie actuel.

On peut faire beaucoup pour réduire le gaspillage et développer les énergies renouvelables. Le charbon et l’énergie nucléaire peuvent également faciliter la transition même si, eux aussi, sont sujets à l’épuisement. Les défis sont si grands qu’il est clair que les gouvernements doivent agir de toute urgence pour se préparer à ce qui se profile. Dans le même temps, se posent les défis du changement climatique qui sont dans une certaine mesure liés à l’approvisionnement

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pétrolier.

Il est possible que nous assistions aujourd’hui à une forme de réveil, et les gouvernements de l’OCDE pourraient alors avoir besoin d’une justification au nom de laquelle seraient introduites de nouvelles politiques nationales. Ce qui, à son tour, pourrait permettre à l’AIE de proposer une évaluation plus réaliste de la véritable situation. Les médias ont aussi un rôle important à jouer en alertant l’opinion publique sur ce qui se déroule. Cela souligne la valeur de l’article que vous avez publié, et cela doit être porté à votre crédit.

Colin Campbellhttp://contreinfo.info/article.php3?id_article=2888

« Juillet 2010 : La mer baltique recouverte d’un tapis d’algues vertes de la taille de l’Allemagne », par Tony Paterson

[Texte publié dans The Independent le 23 juillet 2010 et mis en ligne sur le site Contre Info le 1er octobre]

Les températures record, les engrais agricoles et un manque de vent ont donné naissance cet été à un gigantesque tapis d’algues qui a recouvert 377 000 km2 en mer Baltique. Depuis les années 1960, les zones maritimes mortes se multiplient sur le littoral des pays développés, en raison de l’apport excessif de fertilisants qui ruissellent des terres agricoles et se déversent en mer. Cet apport en nutriment provoque de plus en fréquemment l’apparition d’immenses tapis d’algues, pour certaines toxiques. Ensuite, lorsqu’elles se décomposnt, les bactéries actives dans ce processus consomment l’oxygène dissout dans l’eau, ce qui provoque la disparition de la vie marine. On recense aujourd’hui 400 zones mortes dans les océans, la plupart sur les littoraux des pays développés.

Les températures record de cet été, les engrais agricoles et un manque de vent ont donné naissance à un gigantesque tapis d’algues nauséabondes qui recouvre de larges étendues de la mer Baltique, menaçant à la fois la vie marine et le tourisme balnéaire, avertissent les

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scientifiques.

Une zone de 377 000 km2 d’algues de couleur bleu-vert, d’une superficie de la taille de l’Allemagne, a été détectée par les caméras satellites. Ce tapis d’algue s’étend de la Finlande à la côte sud de la Suède et entoure l’île danoise de Bornholm.

Les scientifiques de la section allemande du Fonds mondial pour la nature à Hambourg ont mis en garde contre les effets néfastes de cette algue. « Ces énormes tapis d’algues affectent le plus l’environnement maritime », déclare Jochen Lamp, un porte-parole du WWF. «végétaux et favorisent la propagation des zones mortes, privées d’oxygène, au fond des mers. »

Ces algues vertes, qui dégagent souvent une odeur d’œufs pourris, peuvent également nuire à l’homme, car elles contiennent une cyanobactérie qui peut entraîner des éruptions cutanées ou d’autres réactions allergiques, et produit des poisons qui endommagent le foie. Les médecins avertissent que l’eau potable contaminée par ces algues peut causer de graves diarrhées.

L’expansion actuelle des algues dans la mer Baltique est la plus importante observée depuis 2005. Elle a été favorisée par des températures diurnes allant jusqu’à 38°C, des vents légers et une absence de vagues qui contribuent normalement à morceler ces tapis d’algues.

Les scientifiques considèrent que l’une des principales causes du développement des algues tient à l’usage excessif d’engrais sur les terres agricoles, qui rejettent ensuite par ruissellement de grandes quantités de phosphore et d’azote dans les fleuves de la mer Baltique. Ils estiment qu’avec des conditions climatiques favorables une recrudescence de ces algues est inévitable. « La sur-fertilisation est le plus grand problème environnemental de la mer Baltique ; elle est responsable de la propagation des zones mortes sur le fond marin, » déclare M.

Le WWF critique les pays riverain de la Baltique, qui se sont accordés sur des objectifs ambitieux pour réduire la sur-fertilisation, tout en encourageant les agriculteurs à utiliser plus d’engrais.

En Allemagne, où plusieurs plages de la Baltique ont été fermées en 2001 en raison des algues, les garde-côtes ont averti les vacanciers de s’abstenir de bains si l’eau de mer est contaminée.

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Tony Patersonhttp://contreinfo.info/article.php3?id_article=3073