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1 Chaplin, entre guerres et paix (1914-1940) Dans le cadre du centième anniversaire du personnage de Charlot, le Musée de l’Elysée présente une exposition consacrée au caractère politique de l’œuvre de Charles Chaplin : depuis la création et la découverte de son personnage dans un climat de guerre en 1914 jusqu’à son film Le Dictateur en 1940. Figure mythique du XX e siècle, Charles Spencer Chaplin (Londres, 1889 – Vevey, 1977) est tout autant associé à la naissance du cinéma, à la pantomime qu’à la tragicomédie. Le mythe auquel il se rattache a rendu inséparables le personnage qu’il incarne à l’écran et l’homme dont la vie a souvent inspiré l’œuvre. Au-delà de l’image du vagabond mélancolique, Chaplin est aussi un citoyen du monde aux prises avec les réalités sociales et politiques de son temps. Charles Chaplin doit-il continuer à faire du cinéma ou rejoindre les tranchées ? La polémique sur le non-engagement de l’acteur britannique aux côtés des siens éclate dès 1915. Alors au début de sa gloire, Chaplin est déjà confronté aux critiques. Vingt-cinq ans plus tard, ce sera à son tour de questionner les convictions morales et politiques à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. En 1914, l’Amérique découvre ce jeune comédien de music-hall sur les écrans des cinématographes dans les films burlesques de la Keystone Film Company. En quelques mois, Chaplin devient l’une de leurs vedettes. Se démarquant par sa défroque, son style et ses mimiques, son personnage plaît au public. La Première Guerre mondiale retarde à 1915 la diffusion de ses courts-métrages sur le vieux continent, mais Charlot y est tout aussi populaire, auprès des civils comme des « poilus ». Chaplin ne quitte pas sa terre d’accueil et continue d’entretenir le moral des troupes par son humour. Il rallie néanmoins l’effort de guerre en 1918 en participant à la troisième campagne américaine de vente de Bons de la Liberté et produit un court-métrage de propagande à la demande du gouvernement. Cette même année, il tourne Charlot soldat, un Charlot héroïque qui réussit à capturer le Kaiser, alliant situations comiques et réalisme des tranchées. Sorti quelques semaines avant l’armistice, le film connaît un véritable succès. La conscience politique de Chaplin s’aiguise encore pendant l’entre-deux-guerres, de même que ses préoccupations pour l’économie. La montée du fascisme au début des années 1930 l’inquiète. C’est un cinéma engagé qu’il met en œuvre en tournant Le Dictateur en 1939-1940. Chaplin brosse une caricature de la dictature où se mêlent ironie et tragédie. Charlot, l’opprimé de la société, se retrouve sous les traits du barbier juif. Pour son premier film entièrement parlant, le cinéaste ose dire tout haut ce que beaucoup préfèrent taire. Il conclut par un message émouvant de paix au nom de la démocratie qui résonne aujourd’hui encore par sa dimension universelle et atemporelle. L’ensemble des photographies et des documents présenté dans l’exposition provient des Archives Chaplin, propriété de Roy Export Company Establishment, déposées depuis 2011 au Musée de l’Elysée et aux Archives municipales de Montreux. La majorité des photographies sont anonymes, leurs auteurs étant les caméramans des studios ou des photographes de plateau commissionnés pour l’occasion. Cette sélection est complétée par des extraits de films, des affiches, ainsi que par des photographies de la Première Guerre mondiale et des années 1930 issues de la collection du Musée de l'Elysée qui témoignent du contexte historique. Sauf indication contraire, toutes les œuvres sont des tirages d’époque au gélatino-bromure d’argent. Les tirages numériques sont des impressions jet d’encre sur papier Canson Baryta Photographique. Entrée REZ DE CHAUSSÉE Suite des expositions 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Textes et notices « L’humour nous permet de voir, à travers ce qui paraît rationnel, l’irrationnel. Il renforce aussi notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit. » Charlie Chaplin, 1964 de l’exposition Chaplin, entre guerres et paix (1914-1940)

Textes et notices de l’exposition Chaplin, entre … Chaplin, entre guerres et paix (1914-1940) Dans le cadre du centième anniversaire du personnage de Charlot, le Musée de l’Elysée

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1Chaplin, entre guerres et paix (1914-1940)

Dans le cadre du centième anniversaire du personnage de Charlot, le Musée de l’Elysée présente une exposition consacrée au caractère politique de l’œuvre de Charles Chaplin : depuis la création et la découverte de son personnage dans un climat de guerre en 1914 jusqu’à son film Le Dictateur en 1940.

Figure mythique du XXe siècle, Charles Spencer Chaplin (Londres, 1889 – Vevey, 1977) est tout autant associé à la naissance du cinéma, à la pantomime qu’à la tragicomédie. Le mythe auquel il se rattache a rendu inséparables le personnage qu’il incarne à l’écran et l’homme dont la vie a souvent inspiré l’œuvre. Au-delà de l’image du vagabond mélancolique, Chaplin est aussi un citoyen du monde aux prises avec les réalités sociales et politiques de son temps.

Charles Chaplin doit-il continuer à faire du cinéma ou rejoindre les tranchées ? La polémique sur le non-engagement de l’acteur britannique aux côtés des siens éclate dès 1915. Alors au début de sa gloire, Chaplin est déjà confronté aux critiques. Vingt-cinq ans plus tard, ce sera à son tour de questionner les convictions morales et politiques à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.

En 1914, l’Amérique découvre ce jeune comédien de music-hall sur les écrans des cinématographes dans les films burlesques de la Keystone Film Company. En quelques mois, Chaplin devient l’une de leurs vedettes. Se démarquant par sa défroque, son style et ses mimiques, son personnage plaît au public. La Première Guerre mondiale retarde à 1915 la diffusion de ses courts-métrages sur le vieux continent, mais Charlot y est tout aussi populaire, auprès des civils comme des « poilus ».

Chaplin ne quitte pas sa terre d’accueil et continue d’entretenir le moral des troupes par son humour. Il rallie néanmoins l’effort de guerre en 1918 en participant à la troisième campagne

américaine de vente de Bons de la Liberté et produit un court-métrage de propagande à la demande du gouvernement. Cette même année, il tourne Charlot soldat, un Charlot héroïque qui réussit à capturer le Kaiser, alliant situations comiques et réalisme des tranchées. Sorti quelques semaines avant l’armistice, le film connaît un véritable succès.

La conscience politique de Chaplin s’aiguise encore pendant l’entre-deux-guerres, de même que ses préoccupations pour l’économie. La montée du fascisme au début des années 1930 l’inquiète. C’est un cinéma engagé qu’il met en œuvre en tournant Le Dictateur en 1939-1940. Chaplin brosse une caricature de la dictature où se mêlent ironie et tragédie. Charlot, l’opprimé de la société, se retrouve sous les traits du barbier juif. Pour son premier film entièrement parlant, le cinéaste ose dire tout haut ce que beaucoup préfèrent taire. Il conclut par un message émouvant de paix au nom de la démocratie qui résonne aujourd’hui encore par sa dimension universelle et atemporelle.

L’ensemble des photographies et des documents présenté dans l’exposition provient des Archives Chaplin, propriété de Roy Export Company Establishment, déposées depuis 2011 au Musée de l’Elysée et aux Archives municipales de Montreux. La majorité des photographies sont anonymes, leurs auteurs étant les caméramans des studios ou des photographes de plateau commissionnés pour l’occasion.Cette sélection est complétée par des extraits de films, des affiches, ainsi que par des photographies de la Première Guerre mondiale et des années 1930 issues de la collection du Musée de l'Elysée qui témoignent du contexte historique.

Sauf indication contraire, toutes les œuvres sont des tirages d’époque au gélatino-bromure d’argent. Les tirages numériques sont des impressions jet d’encre sur papier Canson Baryta Photographique.

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Textes et notices

« L’humour nous permet de voir, à travers ce qui paraîtrationnel, l’irrationnel. Il renforce aussi notre instinct de survie et sauvegarde notre santé d’esprit. »Charlie Chaplin, 1964

de l’exposition Chaplin, entre guerres et paix (1914-1940)

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2La naissance d’une star

Le 28 juin 1914, l’archiduc austro-hongrois François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo par un jeune nationaliste serbe. Cet événement déclenche la Première Guerre mondiale. Une semaine plus tôt, le 20 juin, sort sur les écrans américains Charlot et le mannequin (Mabel’s Married Life), le vingtième film avec Charles Chaplin de la Keystone Film Company. Le jeune acteur s’était fait débaucher en 1913 de la troupe de music-hall anglaise Karno, en tournée aux Etats-Unis, pour jouer dans ses films burlesques. Affaires de flirts ou de rivalités étaient prétextes à un humour rudimentaire, enchaînant sur un rythme trépidant coups de pied aux fesses et courses-poursuites, typiques du style « slapstick » de la Keystone, très apprécié des classes ouvrières. Le ressort comique tournait bien souvent la haute société, l’autorité et les valeurs morales en dérision pour leur plus grand plaisir.

Chaplin incarne différents rôles au cours des 36 courts-métrages tournés en 1914, alternant entre le gentleman irrévérencieux et l’ivrogne étourdi, à la fois courtois et coquin. Alors qu’il revêt le costume dépareillé du pseudo-vagabond qui fera sa célébrité pour son deuxième film, ce « premier Charlot » est versatile et immoral. Par son langage corporel et ses mimiques, plus subtiles que la gestuelle exagérée des autres acteurs, Chaplin s’impose à l’écran. En accédant au scénario et à la mise en scène, il travaille son propre concept de la comédie avec des intrigues plus élaborées et ironiques. Il conquiert ainsi le public avec son personnage, symbole de l’immigré démuni mais débrouillard, en lutte permanente et faisant face à toutes sortes d’obstacles.

Si ces premiers films tournés au début de l’année 1914 sont distribués en Angleterre dès juin, ils ne seront diffusés en France qu’à partir de février 1915 en raison de la guerre. Les aventures de Charlot n’en connaissent pas moins un franc succès. La chaplinmania s’annonce, avec diffusion de portraits signés, de cartes postales, de poupées et autres produits à l’effigie de Charlot. Le nom même de

Charlot, inventé par Jacques Haïk, le distributeur officiel des films de la Keystone en France, est breveté afin de dissuader les imitateurs du vagabond qui commencent à proliférer.

En un an, Chaplin devient une véritable star de cinéma, parmi les plus riches de son temps. Lui qui avait grandi dans la pauvreté des faubourgs de Londres voit son talent gratifié de cachets exponentiels, passant de 175 dollars par semaine en 1914 à 1 million de dollars par an en 1917, par la maison de distribution First National. Chaplin construit alors ses propres studios à Los Angeles, se garantissant ainsi la mainmise sur l’ensemble du processus créatif. Il reçoit la visite d’acteurs, de célébrités, d’officiers militaires même, et parfait l’image de son personnage, le rendant plus sympathique qu’à ses débuts.

Traduction des planches Keystone :

Pour gagner sa vie (Making a living), sorti le 2 février 1914Vers 1930-1940Planche originale de l’album KeystonePhotogrammes au gélatino-bromure d’argent par Hubert D. Waley

Pour gagner sa vie Chaplin donne l’impression de s’orienter vers une carrière de rôles de scélérat ponctués d’acrobaties. Mais par moments, il réussit à glisser une pose ou un geste joyeux, donnant un aperçu de la direction qu’il prendra, comme par exemple au n° 12. Les scènes montrées ici ne représentent qu’une partie du film. 10. Lehrmann (sic) exerce le métier de journaliste, on l’envoie à la pêche aux sensa-tions 11. et il a la chance d’arriver le premier pour interviewer un automobiliste qui vient d’avoir un accident. 12. Mais Chaplin est aussi son rival sur le plan professionnel 13-14. et dans la cohue il parvient à lui chiper ses notes et ses photogra-phies. 15. Poursuivi par Lehrmann (sic) 16-18. il se réfugie dans une maison modeste, où il réussit à enfermer Lehrmann (sic) dans la chambre et à s’échapper.

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Le Maillet de Charlot (The Fatal Mallet), sorti le 1er juin 1914Vers 1930-1940Planche originale de l’album KeystonePhotogrammes au gélatino-bromure d’argent par Hubert D. Waley

Le Maillet de Charlot Ressorti en 1920 sous le titre « The Piledriver », Mack Sennett apparaît devant la caméra. L’épisode (n° 14) dans lequel Chaplin assomme Swain de toutes ses forces et Swain a simplement l’impression que son chapeau est mal ajusté fait penser au célèbre épisode de la matraque entre le voyou et le policier dans « Easy Street » (1916). 1. La cour que fait Chaplin à Mabel Normand 2. est pertur-bée par un coup de pied de son rival (Mack Sennett). 3. Croyant que le coup venait de Mabel, c’est sur elle que Chaplin riposte. 4-6. Elle se réfugie donc sous l’aile de Sennett, mais Chaplin interrompt leur idylle en leur jetant une brique. 7. Sennett la lui renvoie. 8-9. Chaplin en vient aux mains avec Sennett et épate Mabel en l’assommant tout net.

Charlot est content de lui (Kid Auto Races at Venice, Cal.), sorti le 7 février 1914Vers 1930-1940Planche originale de l’album KeystonePhotogrammes au gélatino-bromure d’argent par Hubert D. Waley

Charlot est content de lui Ressorti en 1920, largement étoffé par des cartons apocryphes dactylographiés. Le film ne faisait qu’une demi-bobine ; sa durée devait être de 8 ou 9 minutes. La scène se déroule à Venice, une station balnéaire populaire près de Los Angeles. Sans intrigue à proprement parler, il s’agit d’une simple variation sur le thème du type qui cherche toujours à se placer devant la caméra lors d’événements publics. Assistant à cet événement, un étrange individu découvrit que des prises de vues étaient réalisées et il devint impossible de l’éloigner de la caméra. Le premier carton (à partir d’une authentique copie Keystone) 2. Le point de départ 3. Chaplin commence par bloquer la vue des spectateurs 4. puis se place devant la caméra 5. qui est en train de filmer pour les actualités et prend la pose. 6. Les protestations pour le faire partir 7. n’aboutissent qu’à une pose différente. 8.

8. Il part déambuler en plein 9-12. milieu de la piste, mais revient vite vers la caméra. La persua-sion ayant échoué, le caméraman recourt à la force. 13-15. Mais Chaplin ramasse son chapeau et revient se planter face à la caméra en prenant des poses encore plus provocantes 16. et en plus gros plan.

Traduction de l’article tiré de l’Illustrated London News :

« A hospital-ceiling as a screen for moving pictures », The Illustrated London NewsSamedi 10 août 1918Illustration de S. BreggCollection du Musée de l’Elysée

Le plafond d’un hôpital sert d’écran : un cinéma destiné aux soldats blessés d’une base française. Les hôpitaux de certaines bases américaines en France ont trouvé une nouvelle manière d’employer le cinématographe. Afin de divertir les blessés incapables de s’asseoir ou de se déplacer, des films sont projetés sur le plafond au-dessus de leur lit grâce à des projecteurs portables. Ils peuvent ainsi profiter des plaisan-teries de Charlie Chaplin et d’autres héros et héroïnes de films, à l’instar de leurs camarades plus chanceux qui peuvent se rendre dans des salles de cinéma conventionnelles. N’importe qui ayant passé de longues et pénibles heures cloué au lit, à regarder marcher les mouches au plafond, peut facilement comprendre à quel point cette ingénieuse invention est une béné-diction pour les patients !

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3Chaplin ou Charlot au front ?

« Certains journaux me reprochèrent de ne pas faire la guerre. D’autres prirent ma défense, proclamant que mes comédies étaient plus utiles que ma présence sous les drapeaux. » Charlie Chaplin, 1964

Charlie Chaplin a 25 ans lorsque éclate la Première Guerre mondiale. Citoyen britannique vivant aux Etats-Unis, il est vivement critiqué pour son absence du front – n’ayant rejoint ni ses compatriotes ni l’armée américaine entrée en guerre au printemps 1917. Bien que réformé a priori pour des raisons de santé (une trop grande maigreur), les critiques ne cesseront pas, et marqueront durablement l’homme, taxé de déserteur.

Les caricaturistes s’en donnent à cœur joie et spéculent sur une possible confrontation de Charlot et du Kaiser. Chaplin reçoit cependant le soutien de nombreux journalistes et personnalités, tel le dessinateur français Cami. Inconditionnel de Charlot, celui-ci le met à l’honneur dans le numéro spécial du journal La Baïonnette du 22 mars 1917. « Charlot correspondant de guerre » raconte comment il vainc le Kaiser en lui assénant un coup de maillet fatal, à l’image de l’un de ses films de la Keystone, Le Maillet de Charlot (The Fatal Mallet, 1914), ou encore The Bond (1918) de la First National. Dès 1915, la célébrité du personnage est telle que des parodies de ses films circulent, des comédiens opportunistes ou des enfants revêtent le costume du vagabond et s’ingénuent à imiter sa démarche pour le plus grand plaisir de leur audience.

Les films de Charlot connaissent un large succès auprès des soldats, qui le découvrent en permission, comme l’écrivain suisse Blaise Cendrars, ou lors de soirées de projection organisées sur les campements du front. Alités, les blessés peuvent suivre ses aventures grâce à de savants dispositifs de projection sur une toile tendue au plafond. Sa notoriété aura même un impact sur la mode militaire : pour ne pas subvertir la dignité des troupes de Sa Majesté, le port de la moustache en brosse « à la Chaplin » est officiellement interdit par un arrêté du British War Department du 4 août 1917.

Malgré ce vif succès auprès des « poilus » et des « sammies », la clameur publique ne faiblit pas : Chaplin multiplie alors les réponses, aussi diverses que ses talents. Il compose notamment une marche en 1916, The Peace Patrol, en écho à une chanson écrite pour sa défense, When the Moon Shines Bright on Charlie Chaplin. Peu après, il s’engage dans une campagne pour solliciter l’effort de guerre et met sa caméra au service de ses convictions avec The Bond et Charlot soldat.

Traductions des documents en vitrines :

« Charlie Chaplin Vogue », extrait du quotidien anglais Western Morning NewsMardi 14 septembre 1915Photographie de Newspaper Illustrations, Ltd.Page originale d’un album de coupures de presse Archives Chaplin, Archives municipales de Montreux

La mode Charlie ChaplinL’on trouve partout des imitateurs de Charlie Chaplin. Le petit bonhomme sur la photo a été aperçu la semaine passée dans un lieu de villégiature du sud du pays de Galles. Il a présenté un spectacle muet, à la grande joie des soldats blessés parmi les spectateurs.

« Christmas in the hospitals - Charlie Chaplin amuses the wounded », extrait de l'hebdomadaire anglais The Sphere1915

Illustration anonymePage originale d’un album de coupures de presse Archives Chaplin, Archives municipales de Montreux

Noël dans les hôpitaux – Charlie Chaplin divertit les blessés. Nous pouvons maintenant montrer quelques représentations de Charlie Chaplin aux lecteurs de « The Sphere » qui ne connaissent pas encore ce nom ou ce personnage. Charlie Chaplin, qu’on se le dise, est un acteur de cinéma mondialement connu dont le chapeau melon et la canne sont célèbres partout où des projections sont organisées. Vous ne l’avez peut-être jamais rencontré, mais vous êtes des millions à l’avoir vu s’agiter sur grand écran. Tous

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les membres de l’armée britannique le connaissent et l’apprécient. Les aumôniers des régiments organisent des divertissements derrière les lignes, où Charlie Chaplin est la plus grande attraction. La photo montre le soldat J. Gallaher des « Coldstream Guards » (soldats britanniques) peignant le portrait de Chaplin sur une assiette.

« Interesting war "operations" from all quarters », extrait du Daily GraphicJanvier 1916Page originale d’un album de coupures de presse Archives Chaplin, Archives municipales de Montreux

D’intéressantes « opérations » de guerre dans tous les quartiers. 1. L’une des longues et sinueuses tranchées de communication utilisées par nos troupes sur la péninsule de Gallipoli et menant du rivage à la ligne de tir. 2. Noël avec nos forces sur le front de Salonique : l’on découpe la dinde dans une cantine d’officiers. 3. Vin destiné aux soldats français que l’on a transporté par voie ferroviaire dans d’énormes tonneaux puis que l’on décante dans des barils. 4. Un « talent local » amuse les troupes sur un navire de guerre. Charlie Chaplin est manifeste-ment très populaire dans la marine.

« Charlie Chaplin Character Cartoons », extrait du Los Angeles Sunday TimesDimanche 20 janvier 1918Illustrations de GalePage originale d’un album de coupures de presse Archives Chaplin, Archives municipales de Montreux

Bande dessinée représentant le personnage de Charlie Chaplin. Par Gale. « Quelle serait la séquence à suivre ? ». Séquence montrant Charlie Chaplin interviewé par Mme Kingsley – Par la suite, il m’a dit savoir que j’essayais de le dessiner et m’a même aidée en faisant quelques mimiques ! 1. D’abord, il réfléchit à toute la scène en tenant compte de toute l’équipe – 2. – Ensuite, il s’assied devant les caméras et les laisse faire à leur manière – 3. – Comme ça ! Oups !! – Puis il se relève et leur montre comment faire – (dans un de ses films, il joue tous les rôles). Grâce à lui, nous gardons les pieds sur terre. Durant cette période tumultueuse, Charlie est l’un de nos meilleurs petits ancrages dans la réalité.

Extrait de Punch, or the London Charivari28 juillet 1915Illustration de Frank ReynoldsPage originale d’un album de coupures de presse Archives Chaplin, Archives municipales de Montreux

Une vieille dame myope (et fervente recruteuse) : « Regardez-moi ce garçon. Deux mois dans l’armée feraient de lui un homme ! »

4Charlot soldat (Shoulder Arms), 1918

Après Une vie de chien (A Dog’s Life, 1918), qui mêle comique, satire de la vie sociale et romantisme, Chaplin cherche l’inspiration pour son second film à livrer à la First National. Il avait émis l’idée fin 1917 de réaliser une comédie sur la guerre. Malgré les mises en garde de ses proches, réticents à tourner en dérision une période si troublée, sa décision est prise : Charlot déposera sa canne pour brandir la baïonnette au service de la patrie.

Le tournage est long et fastidieux. Après un mois de filmage montrant un Charlot père de famille et mari abusé qui reçoit son ordre de mobilisation avec soulagement et une visite médicale atypique, il coupe ces scènes pour se concentrer sur Charlot en « doughboy ». Sur le front français, Charlot connaît toutes les privations de la vie des tranchées : la solitude, les rationnements, les inondations, les poux et autres vermines. Mais il fait preuve de courage et d’héroïsme : se faisant passer pour un officier allemand, il délivre ses amis et capture le Kaiser. Quand soudain il se réveille : tout cela n’était qu’un rêve !

Tant la maladresse que l’ingéniosité de Charlot donnent lieu à des gags hilarants. Mais au comique s’ajoute une note émotionnelle. Charlot soldat rend compte du souci constant de

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Chaplin pour la véracité de son cinéma. Les scènes de tranchées impressionnent par leur réalisme. Ayant vu les Actualités filmées de la guerre, portant moins sur les combats que sur les conditions éprouvantes dans ces boyaux de communication, il restitue au mieux la vie quotidienne (la boue, la distribution du courrier, l’attente, les tirs intempestifs). Les photographies anonymes issues des collections du Musée attestent aussi de la grande similitude entre la réalité historique et l’art de Chaplin. Lorsqu’il réédite Charlot soldat pour sa compilation The Chaplin Revue en 1959, il fait d’ailleurs précéder son film d’une sélection d’images d’archives, provenant de l’Imperial War Museum de Londres, pour témoigner de sa fidélité à l’Histoire.

Cependant, en 1918, Chaplin est insatisfait de son travail et envisage de jeter les bobines du film. Douglas Fairbanks, acteur et ami fidèle, ayant tant ri lors d’une projection privée, l’en dissuade. A sa sortie le 20 octobre 1918, à trois semaines de l’armistice, Charlot soldat connaît en effet un grand succès, notamment auprès de ceux qui avaient enduré l’effroyable réalité du conflit, et se place parmi les films les plus populaires de la période de la Grande Guerre jusqu’aux années 1930.

5Chaplin en campagne

Dans une volonté de contribuer à l’effort de guerre malgré son absence du front, Charlie Chaplin participe à la troisième campagne des « Liberty Bonds » (Bons de la Liberté), une vente d’obligations mise en place par le gouvernement américain pour lever les fonds nécessaires au financement de la guerre. Pour assurer un large retentissement auprès de la population, le gouvernement avait également sollicité la présence des acteurs hollywoodiens les plus en vogue à l’époque, Mary Pickford, Douglas Fairbanks et Marie Dressler, pour le lancement officiel de cette campagne de souscription nationale à Washington le 1er avril 1918. A leurs côtés, Chaplin prononce un discours enthousiaste malgré sa peur de parler en public. A New York, devant une foule déchaînée de 35'000 personnes, il se fit encore plus éloquent :

Ce début de tournée s’avéra triomphal, avec plus de 2 millions de dollars de bons vendus à New York. Toujours à la demande du gouvernement, Chaplin interrompt le tournage de Charlot soldat (Shoulder Arms, 1918), commencé à son retour de campagne, pour réaliser un petit film de propagande, The Bond. En janvier 1918, il avait déjà tourné quelques scènes d’un film pour le « British War Loan » – équivalent britannique des « Liberty Bonds » – avec le comédien écossais Harry Lauder, alors en visite aux Studios Chaplin. Ce court-métrage, destiné à encourager les spectateurs à contribuer aux soins des soldats britanniques blessés, resta cependant inachevé et ne fut jamais diffusé.Tourné en un temps record et réalisé aux frais de Chaplin, The Bond fut distribué gratuitement dans tous les cinémas des Etats-Unis à l’automne 1918. Dans un décor simplifié à l’extrême – tant pour des raisons esthétiques que par souci d’économies – The Bond fait l’apologie des liens (« bonds » en anglais) de l’amitié, de l’amour, du mariage et, du « plus important de tous : le lien de la Liberté » (« the Liberty Bonds »). Entouré de son demi-frère Sydney (le Kaiser) et de sa fidèle actrice Edna Purviance, Charlot enjoint au peuple américain d’accomplir son devoir patriotique en donnant de l’argent à Oncle Sam qui, à son tour, finance l’industrie qui fournira les armes à ses soldats, surnommés les « sammies » ou « doughboys ».

Photographies de la campagne des Bons de la Liberté à New York et Washington publiées dans le New York Times14 avril 1918Tirage numérique

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« Vous qui êtes ici, je veux que vous oubliez les pourcentages de ce troisième Bon de la Liberté. Il en va de la vie humaine et personne ne devrait se soucier du taux d’intérêt que les bons vont lui rapporter […]. Il faut de l’argent […] pour aider la grande armée et la grande flotte de l’Oncle Sam. En ce moment même, les Allemands ont l’avantage […]. Il faut faire traverser nos gars pour que ce vieux diable de Kaiser fiche le camp de France ! »Charlie Chaplin, 1918

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Douglas Fairbanks utilisant « Charlie » Chaplin pour encourager les dons destinés au Liberty Loan (Emprunt de la Liberté) devant l’édifice de la Sous-Trésorerie. Wall Street regarde avec approbation. La foule est tournée vers l’ouest, avec Broadway et l’Old Trinity Church au loin.Mary Pickford, entourée des membres du Congrès, avec Champ Clark, président de la Chambre des représentants, tenant un discours sur les marches du Capitole des Etats-Unis durant le lancement de la campagne du troisième Liberty Loan à Washington. A sa droite, « Charlie » Chaplin

6Le Dictateur : un cinéma engagé

Au début des années 1930, Charles Chaplin témoigne de la crise mondiale dans des articles qui racontent son voyage en Europe et en Asie et s’inquiète de l’émergence du nationalisme et des premiers signes de la montée du fascisme en Italie et en Allemagne. L’idée de faire une fiction sur Adolf Hitler se dessine dans son esprit. Faisant de nouveau face à des mises en garde du milieu cinématographique soucieux de continuer à exporter des films hollywoodiens en Allemagne, Chaplin affirme sa conscience de citoyen en se lançant dans la réalisation du film le plus engagé de sa carrière, Le Dictateur.

Avec la même rigueur qu’en 1918, il s’inspire de la réalité pour s’attaquer à Hitler et sa démence. En septembre 1939, après un an d’écriture du scénario, Chaplin et son équipe visionnent bon nombre d’Actualités filmées. Le film de la cinéaste allemande Leni Riefenstahl, Le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens, 1935) aurait aussi servi de référence avant le tournage. Chaplin étudie ainsi avec soin le comportement d’Hitler, sa gestuelle, ses mimiques, sa diction. Il s’inspire de ses discours devant la foule, de ses rencontres politiques, de sa propension au jeu d’acteur, de son goût pour la démesure et l’image de soi. Chaplin trouve le parfait compromis pour son premier film parlant, en jouant à la fois le rôle du dictateur Hynkel, personnage s’exprimant dans un borborygme guttural aux sonorités allemandes, et celui du barbier juif, nettement plus silencieux – et bien

plus proche, à cet égard, de Charlot, que la pantomime muette avait rendu universel.

Le parlant implique de nouvelles méthodes de travail, dont un scénario complet, l’insonorisation des studios et des caméras. Muni d’un script d’environ 300 pages, Chaplin tourne 145'000 mètres de pellicule en 168 jours – finalement réduits à 3543. Filmé principalement dans les Studios Chaplin, il compte quelques scènes d’extérieur et des effets spéciaux réalisés au moyen de modèles réduits. Avec ses 559 jours de production, Le Dictateur est le plus cher de tous les films de Chaplin tournés jusqu’alors (1,4 millions de dollars), mais également celui qui rapporta le plus de bénéfices, bien qu’interdit dans la majorité des pays européens à sa sortie.

7Le Dictateur : une comédie dramatique

L’élément comique par excellence du Dictateur repose sur l’indubitable ressemblance physique entre Charlot et Hitler, ou, comme le premier carton du film le détourne avec subtilité, entre le barbier juif et Hynkel. Nés la même année, à quatre jours d’intervalle, Adolf Hitler et Charles Chaplin, par le biais de son personnage Charlot, partagent certaines similitudes – à commencer par leurs petites moustaches qui ont été à maintes reprises la cible des caricaturistes dès les années 1930. Dans le film, personne ne semble prêter attention à cette analogie physique, si ce n’est le commandant tomainien Schultz. C’est pourtant grâce à elle que le barbier juif sera confondu avec le dictateur, offrant ainsi au film son célèbre dénouement.

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« Toute ressemblance entre le dictateur Hynkel et le barbier juif est purement fortuite. »

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La dimension humoristique du Dictateur ne réside pas dans ce seul « calembour pileux » comme le désignait le critique de cinéma français André Bazin en 1945 ; le choix des noms des personnages relève également d’une attention comique toute particulière de la part de Chaplin. Hynkel, Napaloni, Garbitsch ou encore Herring : tous participent, avec finesse, à tourner en dérision les politiciens alors en place. Dans un registre plus burlesque, des scènes comme celles d’Hannah assommant la milice allemande à coups de poêle, ou les chutes multiples et autres inventions défectueuses, contribuent à insérer Le Dictateur dans la plus pure tradition du comique chaplinesque. La rivalité entre les deux dictateurs est dépeinte avec beaucoup d’humour dans des combats de plats nationaux, où choucroute et spaghetti deviennent les armes d’Hynkel et de Napaloni.

Une scène clé du film, celle de la mappemonde, remaniée à plusieurs reprises par Chaplin lors de l’écriture du scénario et pendant le tournage, témoigne du travail minutieux et acharné à l’origine du Dictateur.

Malgré le comique, rien n’est véritablement léger dans le propos du film. Aussi, c’est en mélangeant le rire à la satire et à la réalité historique que Chaplin aboutit au film le plus emblématique de son engagement politique. A un moment où l’on découvre que le septième art peut être un redoutable instrument de propagande, Chaplin s’attelle non seulement à étudier les armes de ses ennemis, mais à les retourner contre eux.

8La persécution des Juifs

Le Dictateur, c’est l’histoire de deux mondes : le palais où règne le dictateur et le ghetto où lutte le barbier pour survivre.Suite à un accident d’avion lors de la Grande Guerre au cours duquel il sauve l’officier Schultz, le barbier juif passe vingt ans à l’hôpital. Amnésique, il revient dans son salon de coiffure sans savoir que la Tomainie est maintenant dirigée par un dictateur. Le coiffeur ne cesse alors de subir les sévices des miliciens, auxquels il s’efforce de réchapper avec l’aide de la jeune orpheline Hannah (Paulette Goddard), dont il tombe amoureux. Stéréotype du petit commerçant juif, le barbier permet au cinéaste de dénoncer les exactions commises par les forces fascistes. Avec Le Dictateur, Chaplin affronte le délicat sujet des persécutions des populations juives européennes sous les régimes totalitaires.

A partir de 1933, la répression menée contre les Juifs s’aggrave en Allemagne. Violemment agressés, leurs boutiques sont boycottées, leurs biens pillés et saccagés. La conquête des pays occupés conduit à la création systématique de « ghettos », quartiers où sont parqués les communautés juives des territoires soumis. Les photographies de John Phillips témoignent de cette réalité en Autriche.

De nombreuses célébrités juives fuient l’Allemagne nazie dès 1933 pour trouver refuge aux Etats-Unis. Parmi eux, plusieurs amis de Chaplin, dont Einstein et Thomas Mann. Sydney Chaplin, son demi-frère, quitte également la vie troublée en France où il vivait avec son épouse. Impliqué dans la production du Dictateur, il a laissé un précieux témoignage du tournage en 16 mm couleur.

Par ailleurs, la réalité du génocide perpétré par les nazis deux ans après le film de Chaplin donne une portée annonciatrice aux propos

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« Si j’avais connu les réelles horreurs des camps de concentration allemands, je n’aurais pu réaliser Le Dictateur ; je n’aurais pas pu tourner en dérision la folie homicide des nazis. »Charles Chaplin, 1964

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tenus par Garbitsch (Henry Daniell), ministre de la propagande d’Hynkel : « [...] Nous tuerons les Juifs, exterminerons les bruns, et notre rêve se réalisera : une pure race aryenne. »

Le personnage du barbier contribuera également à exacerber la rumeur qui courait depuis les années 1920 sur la prétendue judéité de Chaplin. Soucieux de ne pas nourrir le jeu antisémite de ses détracteurs, Chaplin choisira de ne pas confirmer ou démentir publiquement cette allégation, sans hésiter lors de la sortie du film à rétorquer, dans un entretien pour le magazine américain Collier’s le 16 mars 1940 : « Je ne suis pas juif. Je n’ai pas une goutte de sang juif. Je n’ai jamais protesté lorsqu’on disait que j’étais juif, car j’aurais été fier de l’être. »

9Un appel aux hommes, un message de paix

Bien que Chaplin ait annoncé en septembre 1937 qu’il ne revêtirait plus les fripes de Charlot, il n’hésite pas à incarner un petit barbier juif à la dégaine similaire. Confondu dans un dernier quiproquo avec le dictateur Hynkel, il va adresser au monde un ultime message de paix. Plutôt silencieux dans le reste du film, le barbier plaide, dans un appel émouvant, pour « un monde meilleur, où les hommes domineront leur cupidité, leur haine et leur brutalité ». En clamant à voix haute son espoir, la figure du barbier se mêle à celle de son créateur. La prise de parole marque cette fois-ci la véritable « mort » de Charlot, le vagabond muet.

Pour Chaplin, l’écriture de la scène finale s’est révélée complexe, hésitant entre plusieurs scénarios, du happy end à la conclusion ouverte, de l’allocution prononcée à la tribune au message retransmis par radio. Alors que le tournage se termine à la fin mars 1940, Chaplin continue de travailler sur le texte de son grand discours entre avril et juin. Finalement, le plaidoyer est tourné le 2 octobre 1940.

La sortie du film, le 15 octobre 1940, suscite beaucoup de critiques, dont une grande partie porte sur le discours final. Ses détracteurs l’accusent de relayer un propos pris trop à la

légère, ou trop moralisateur – voire propagandiste. Pour certains, il relève d’un sentimentalisme crédule ; pour d’autres, d’une idéologie communiste. Le Dictateur renforce d’ailleurs l’hostilité de l’Amérique conservatrice envers Chaplin, ce qui le poussera à l’exil en 1952.

La presse réserva cependant un accueil très favorable au film, saluant l’audace du cinéaste dans un milieu hollywoodien qui avait jusqu’ici soigneusement évité de réaliser des œuvres ouvertement anti-nazies. En Angleterre, où le film est présenté le 16 décembre 1940, la réception publique est elle aussi enthousiaste. Censuré en France et en Italie, il n’y est diffusé qu’en 1945 et 1946. Il faut attendre 1958 pour qu’il soit autorisé en Allemagne de l’Ouest, et 1980 pour sa première diffusion à la télévision est-allemande. Hitler aurait visionné le film lors d’une séance privée, les autorités du régime s’étant procuré une copie pour la section cinématographique du ministère nazi de la culture. Rapportant cette anecdote dans son autobiographie, Chaplin ajoute : « J’aurais donné n’importe quoi pour savoir ce qu’il en a pensé ».

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16 avril // Naissance de Charles Spencer Chaplin à Londres

Début de Chaplin au music-hall avec la compagnie Fred Karno

Chaplin signe un contrat d’un an avec la Key�one Film Company à Los Angeles et joue dans 36 courts-métrages avec ce�e compagnie

Sous contrat avec la société Essanay Film Manufa�uring Company, Chaplin réalise 14 films, dont Charlot boxeur (The Champion, 1915) et

Charlot vagabond (The Tramp, 1915).

Contrat avec la Mutual Film Corporation : Chaplin écrit, produit et joue dans 12 courts-métrages dont Charlot patine (The Rink, 1916)

et L’Emigrant (The Immigrant, 1917)

O�obre // Chaplin fait con�ruire ses propres �udios de cinéma à Los Angeles

Mariage avec Mildred Harris

Contrat avec la Fir� National : Chaplin écrit, produit, réalise et joue dans 9 films, dont Charlot Soldat (Shoulder Arms, 1918) et Le Kid (The Kid, 1921)

Voyage de Chaplin en Europe (Londres, Paris et Berlin)

Avec la société de di�ribution qu’il a cofondée, United Arti�s, Chaplin produit 7 longs-métrages : La Ruée vers l’or (The Gold Rush, 1925),

Le Cirque (The Circus, 1928), Les Lumières de la ville (City Lights, 1931), Les Temps modernes (Modern Times, 1936), Le Di�ateur (The Great Di�ator,

1940), Monsieur Verdoux (1947) et Les Feux de la rampe (Limelight, 1952)

Mariage avec Lita Grey. Naissance de deux fils

Décoré de la Légion d’honneur. Voyage en Europe et en Asie pour promouvoir la sortie de son film Les Lumières de la ville (City Lights, 1931)

Sortie du film Les Temps modernes (Modern Times)

Mariage avec Paule�e Goddard

O�obre // Sortie du film Le Di�ateur (The Great Di�ator)

Mariage avec Oona O’Neill, avec qui il aura huit enfants

Vi�ime du maccarthysme, il e� assigné à comparaître devant le Comité des a�ivités anti-américaines. Sortie du film Monsieur Verdoux

Annulation du visa américain de Chaplin alors qu’il se rend en Angleterre pour la première des Feux de la rampe.

Exil en Suisse avec femme et enfants

Lauréat du prix du Conseil mondial de la paix

Les deux derniers films de Chaplin, Un Roi à New York (A King in New York, 1957) par l’A�ica Archway et La Comtesse de

Hong-Kong (A Countess from Hong Kong, 1967) par Universal Pi�ures, sont écrits et mis en scène par lui mais réalisés et produits en Angleterre

Parution de My Autobiography, traduit en plus de 25 languesLauréat de plusieurs récompenses, dont l’Oscar d’honneur à Hollywood : c’e� la première fois que Chaplin retourne aux Etats-Unis depuis 20 ans

25 décembre // Décès de Chaplin à Corsier-sur-Vevey, à l’âge de 88 ans

20 avril // Naissance d’Adolf Hitler à Braunau am Inn, Autriche-Hongrie

Début de la Première Guerre mondiale

Avril // Entrée en guerre des Etats-Unis

11 novembre // Fin de la Première Guerre mondiale : la nouvelle République allemande signe l’armi�ice de Rethondes

O�obre // Benito Mussolini, futur Duce, accède à la tête du gouvernement italien après « la marche sur Rome »

30 janvier // Adolf Hitler e� nommé chancelier du Reich. Le Führer était à la tête du parti nazi (national-sociali�e allemand des travailleurs) depuis 1921

Septembre // Congrès de Nuremberg dit du « Triomphe de la volonté » : réunion annuelle du parti national-sociali�e allemand entre 1923 et 1938

Mise en place des « lois de Nuremberg » par le parti nazi : adoption de trois textes qui viennent concrétiser la politique antisémite du Troisième Reich

Mars // Anschluss : l’Allemagne annexe l’AutricheJuin // La France signe l’armi�ice

Décembre // Entrée en guerre des Etats-Unis

Décision et mise en place de la « solution finale »

30 avril // Suicide d’Adolf Hitler et Eva Braun à Berlin8 mai // La capitulation allemande signe la fin de la Seconde Guerre mondiale

En pleine « guerre froide », le sénateur Joseph McCarthy entame une véritable « chasse aux sorcières » envers les personnes su�e�ées de soutenir l’idéologie communi�e