Textes spirituels d’Ibn Taymiyya. Nouvelle série: II. Ventouses et amour de l’argent

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  • 8/4/2019 Textes spirituels dIbn Taymiyya. Nouvelle srie: II. Ventouses et amour de largent

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    Textes spirituels dIbn Taymiyya. Nouvelle srie

    II. Ventouses et amour de largentSe souiller de sang en ventousant un patient et aimer largent

    premire vue, lun ne semble pas beaucoup plus islamiquementcorrect que lautre. Pour Ibn Taymiyya, mieux vaut cependant avoirun mtier que dpendre des autres et mendier. Le Prophte lui-mmeeut dailleurs recours ce genre de traitement et donna son d auventouseur. Subvenir ses besoins est une obligation et y renoncer par

    scrupule religieux, sous prtexte que lemploi envisag ne serait pastout fait all, est mcomprendre lIslam. La justice exige de tou-jours sacquitter de ses obligations, ft-ce par des moyens suspects, encas de besoin ou de ncessit. De deux biens on choisira le meilleur etde deux maux on vitera le pire. Largent peut donc galement treaim, non pour lui-mme mais pour ce quil permet daccomplir, dansla religion comme dans le sicle.

    Pour difficiles quils soient, les textes runis ici permettent uneapproche passionnante du bon sens modr et tolrant, souple etutilitaire de leur auteur ainsi que de lthique islamique du travail etdes affaires, avec des implications directes en matire dhumanisme etde politique. Dommage que Max Weber nait pas pu les lire !

    TRADUCTION1

    A. Mtiers vils et mendicit

    [Ibn Taymiyya] Dieu lui fasse misricorde ! fut interrog propos des honoraires du ventouseur: sont-ils prohibs(arm) ? Ce quil prpare manger de sa main est-il souill(najisa) ? Le Prophte Dieu prie sur lui et lui donne lapaix ! a-t-il donn son salaire au ventouseur ? Quest-ilrapport comme prohibition ce sujet ? Est-il mentionn dansle adth, propos du Prophte Dieu prie sur lui et lui donnela paix ! , quil a dit : La gurison de ma communaut [setrouvera] en trois choses : un verset du Livre de Dieu, ou unecuillere de miel, ou une coupelle de ventouseur ? Commentdonc ceci serait-il interdit alors que cest ici prsent comme unmoyen de se soigner et quil y a vu une gurison ? [191]

    Dieu la louange ! rpondit-il.Quand il ne sy trouve pas de souillure, la main du [ventou-

    seur] est comme le reste des mains des Musulmans. La salir desang ne lui est pas nuisible quand on la lave, de mme que lasalir dexcrments au moment o on se nettoie le postrieur(istinj) ne lui est pas nuisible quand on la lave par aprs.

    Dans les deux as, il est tabli propos dIbn Abbs quila dit : Le Messager de Dieu Dieu prie sur lui et lui donne lapaix ! se fit ventouser et donna son salaire au ventouseur2. Si ctait interdit (sut), il ne le lui aurait pas donn. Dans lesdeux as, on rapporte aussi propos dAnas3 que, interrogau sujet des gains du ventouseur, il dit : Le Messager de Dieu Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! se fit ventouser. Abayba le ventousa et il ordonna de lui donner deux mesures() de nourriture. Il parla ses matres et ils rendirent son sort

    1. IBN TAYMIYYA,MF, d. IBN QSIM, t. XXX, p. 190-194 (A);t. XXIX, p. 279-280 (B).

    2. Voir AL-BUKHR, a, ibb (Boulaq, t. VII, p. 124; trad.HOUDAS, Traditions, t. IV, p. 65 corriger saigner par ven-touser ); MUSLIM, a, Salm (Constantinople, t. VII, p. 22; trad.SIDDIQI,a, t. III, p. 1200, n 5474).

    3. Anas b. Mlik, Abamza (m. 91/709 ou 93/711), Compagnon etserviteur du Prophte, transmetteur de nombreuses traditions; voirA. J. WENSINCK - J. ROBSON,EI2, art.Anas b. Mlik.

    plus lger4. Cela ne fait aucun doute, quand le ventouseurventouse, il a droit aux honoraires de sa pose de ventouses. [Ilen va ainsi] selon la grande majorit (jamhr) des ulmasquand bien mme il y a ce sujet [quelque] dire [canonique de]faible [valeur] sy opposant.

    Ventouseur louvrage5

    Le Prophte Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! auto-risa quon dpense les [gains du ventouseur] en aliments pour

    4. Voir AL-BUKHR, a, ibb (Boulaq, t. VII, p. 125; trad.HOUDAS, Traditions, t. IV, p. 66); MUSLIM, a, Salm (Constan-tinople, t. V, p. 39; trad. SIDDIQI,a, t. III, p. 827, n 3830). Selonal-Nawaw, Nfi Ab ayba tait un esclave des Ban Baya.Lallgement de son sort obtenu par le Prophte consista en une dimi-nution de la part de ses gains quil tait tenu de verser ses matres.

    5. Dtail dune miniature desMaqmtdAb Muammad al-Qsimal-arr de Bara (m. 516/1122), MS. de Saint-Ptersbourg, Institutdtudes orientales, C-23 (Irak, vers 1240); voir Y. A. PTROSYAN(d.), De Bagdad Ispahan, Lugano, Fondation ARCH - Paris, Paris-Muses - Milan, Electa, 1994, p. 127. Les traits noirs ont t ajoutspar un iconoclaste.

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    ses chameaux porteurs deau (ni) et quon en nourrisse sesesclaves. Ainsi [lit-on] dans le adth dIbn Muayyia1 queson pre demanda au Messager de Dieu Dieu prie sur lui etlui donne la paix ! la permission de [profiter du] revenu(kharj) [quil tirait] de [son] ventouseur. [Le Prophte] lui enrefusa la permission. [Muayyia] ne cessa pas de la demander,jusqu ce que [le Prophte] dise : Nourris-en tes esclaves !Dpenses-en le prix en aliments pour tes chameaux porteursdeau ! [Ce adth] est rapport par Ab tim2, par Ibnibbn3 dans son a et par dautres4.

    La plupart des ulmas ont argument partir de l que [leshonoraires dun ventouseur] ne sont pas prohiber mais seule-ment de nature dtestable pour lhomme libre, par souci de tenircelui-ci loin de toute souillure (tanzhan). Sils taient prohibs,ont-ils dit, [le Prophte] naurait pas ordonn [Muayyia]den nourrir ses esclaves. Ils sont en effet traiter comme despersonnes asservies (mutaabbid)[192] et il serait impossible quele Prophte Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! permettequon nourrisse ses esclaves avec quelque chose de prohib.

    Il est aussi des [ulmas] qui ont dit que [ces honoraires] sontau contraire prohiber, du fait que Muslim rapporte dans son

    a, daprs Rfi, fils de Khadj5

    Dieu soit satisfait deuxdeux ! , que le Messager de Dieu Dieu prie sur lui et luidonne la paix ! a dit : Les gains du ventouseur sont dgo-tants (khabth), le prix dun chien est dgotant, largent gagnpar la prostitue est dgotant6. [On lit] aussi dans les deuxas, propos dIbn Ab Juayfa7, quil a dit : Je vis monpre acheter un [esclave] ventouseur. Il lui ordonna dapporterses ventouses et de les briser. Je linterrogeai ce sujet et il medit : Le Messager de Dieu Dieu prie sur lui et lui donne lapaix ! a interdit [de profiter] du prix du sang8. Que [leProphte] ait appel dgotants les [gains du ventouseur],ont dit ces [ulmas], implique ncessairement de les prohiber

    1. Ibn Muayyia : muan ? F. Il sagit du fils de Muayyia b.Masd al-Anr; sur celui-ci, voir IBN AL-ATHR, Usd, t. IV, p. 234.

    2. Muammad b. Idrs b. al-Mundhir al-anal, Abtim al-Rz(m. 277/890), traditionniste; voir Kh. D. AL-ZIRIKL, Alm, t. VI,p. 27.

    3. Ab Bakr Muammad b. ibbn al-Tamm, traditionnisteshfiite (m. Bust, 354/965); voir J. W. FCK,EI2, art.Ibn ibbn.

    4. Voir notamment IBN ANBAL, Musnad (Boulaq, t. V, p. 436);MLIK, Muwaa, Istidhn (d. et trad. dI. SAYAD, revue parF. CHAABAN, 2 vols., Beyrouth, Dar el Fiker, 1993, t. II, p. 1216-1217,n 1823 traduction partiellement errone, tout comme celledA. BEWLEY,Al-Muwaa, 54.10.28, sur www.sunnipath.com/library/Hadith/H0001P0054.aspx). Selon Ibn anbal (Musnad, t. V, p. 436),le ventouseur en question tait le mme Abayba dj nomm plushaut, un jeune esclave (ghulm) de Muayyia dont les talents deventouseur rapportaient beaucoup (kasb kathr) ce dernier. Dolinsistance de Muayyia pouvoir encore profiter de ses gainslorsque le Prophte le lui interdit.

    5. Rfi b. Khadj al-Anr (m. 74/693), Compagnon; voir IBN AL-ATHR, Usd, t. II, p. 151.

    6. Voir MUSLIM, a, Buy (Constantinople, t. V, p. 35; trad.SIDDIQI,a, t. III, p. 825, n 3806).

    7. Awn, fils dAb Juayfa Wahb b. Abd Allh (m. 72/691), quitait encore enfant la mort du Prophte; sur Ab Juayfa, voir IBNAL-ATHR, Usd, t. V, p. 157.

    8. Voir en fait AL-BUKHR, a,Buy (Boulaq, t. III, p. 84; trad.HOUDAS, Traditions, t. II, p. 55), et IBN ANBAL, Musnad (Boulaq,t. IV, p. 308).

    comme sont prohibs largent gagn par la prostitue et ladouce gratification du devin9.

    Ce quoi les premiers [ulmas] rtorqurent quil est aussitabli propos du [Prophte] quil a dit : Celui qui mange deces deux plantes dgotantes, quil ne sapproche pas de notremosque10 ! Il les a appeles dgotantes du fait du carac-tre dgotant de leur odeur et sans quelles soient prohibes.[Le Prophte] a aussi dit : Quaucun dentre vous ne prie entrain de repousser les deux choses les plus dgotantes11 ! , savoir [le besoin d]uriner et de dfquer. Quil ait appel cela dgotant est d ce que cela entrane comme souillurepour lindividu, non pas au fait quil sagirait [de choses]prohibes.

    [Que le ventouseur a droit ses honoraires est donc] prouvpar le fait que [le Prophte] donna son salaire son ventouseuret quil permit [Muayyia] den nourrir ses esclaves et sesbtes. Largent gagn par la prostitue et la douce gratificationdu devin, par contre, ils ny ont pas droit et on nen nourrira niun esclave ni une bte.

    En tout tat de cause, la situation de ce dont on a besoin nestpas comme la situation de ce dont on peut se passer, ainsi que

    les Anciens (salaf) lont dit : Un gain en lequel il y a quelquechose de vil vaut mieux que demander laumne aux gens. Voil pourquoi, quand les ulmas controversrent sur [la ques-tion de] lobtention dun salaire pour lenseignement du Coran,etc., [193] il y eut ce propos trois choses qui furent dites dans lerite de limm Amad [b. anbal] et dautres, dont la plus justeest que cest admis pour qui en a besoin. Il vaut mieux[recevoir] un salaire pour un enseignement que [dpendre] deslargesses dun sultan, et il vaut mieux [dpendre] des largessesdun sultan que des dons de ses frres.

    Les fondements de la Loi (shara) sont tous btis sur cefondement : pour les choses interdites comme pour les chosesordonnes, on fait une distinction entre qui est dans le besoin et

    les autres. Voil pourquoi les choses prohibes sont admises encas de ncessit (arra), surtout quand on pressent que, seravisant12, la personne se mettra demander laumne auxgens. Or demander laumne est encore plus intensment pro-hib ! Voil pourquoi les ulmas ont dit quil faut sacquitter de[ses] obligations mme si on ny arrive que par des moyensincertains (shubha).

    Ainsi Ablib [al-Makk] et Abmid [al-Ghazl] ont-ilsmentionn quun homme avait interrog limm Amad [b.

    9. Voir AL-BUKHR, a, Buy (Boulaq, t. III, p. 84); MUSLIM,a, Buy (Constantinople, t. V, p. 35) : Le Messager de Dieu

    Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! a interdit le prix du chien,largent gagn par la prostitue et la douce gratification du devin. 10. Voir AL-BUKHR, a, Adhn (Boulaq, t. I, p. 170; trad.

    HOUDAS, Traditions, t. I, p. 283); MUSLIM, a, Masjid (Constan-tinople, t. II, p. 80; trad. SIDDIQI,a, t. I, p. 279, n1145). Les deuxplantes en question sont les oignons et les poireaux. Lordre vaut aussipour qui mange de lail.

    11. Voir MUSLIM, a, Masjid (Constantinople, t. II, p. 79; trad.SIDDIQI,a, t. I, p. 279, n1139); IBN ANBAL,Musnad(Boulaq, t.VI, p. 73).

    12. Cest--dire en renonant loccupation qui lui permettrait desubvenir ses besoins mais est de licit controverse. En somme,quand il nest point dautre alternative que la mendicit, il ny a plusdargent sale.

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    anbal] en lui disant : Jai un fils qui est mort, qui avait unedette et qui, par ailleurs, diverses sommes dargent taientdues quil me rpugne de rcuprer. Limm Amad lui dit : Laisseras-tu la responsabilit de ton fils [ainsi] engage ? Cest--dire: payer une dette est une obligation et laisser l sesincertitudes afin de sacquitter dune obligation est ce qui[nous] est ordonn1. Voil pourquoi il y a accord des ulmassur le fait de fournir une dotation (razaqa) aux gouvernants(kim)2 et leurs pareils en cas de besoin, alors quils contro-versrent sur [la ncessit d]une telle dotation en labsence debesoin. Le fondement de ceci se trouve dans le Livre de Dieu,l o Il dit propos du tuteur de lorphelin : Celui qui estriche, quil sabstienne de toucher aux [biens de lorphelin] ;celui qui est pauvre, quil en mange raisonnablement3 !

    Tel est ce quon dira de semblables [questions]. Ldifice dela Loi repose en effet sur [ceci] : la poursuite des chosesprsentant un intrt et les amener leur perfection (tal al-mali wa takmlu-h), la neutralisation des facteurs decorruption et les faire diminuer (tal al-mafsid wa-taqllu-h). tre scrupuleux (wara), cest donner la prpondrance aumeilleur de deux biens en laissant schapper le moindre des

    deux, et repousser le pire de deux maux quand bien mme lemoindre des deux se produit.

    1. Le scrupule (wara) precrit par la Loi, cest avoir des scrupulesvis--vis de ce dont on redoute lissue, savoir[512] ce dont on sait lecaractre prohib et ce propos du caractre prohib de quoi on estdans le doute et quil nest pas plus corrompu de dlaisser que de faire.Un exemple [], cest comme quelquun qui sabstient, par scrupule,de prendre une chose [de licit] incertaine (shubha) alors quil en abesoin et prend sa place quelque chose de manifestement prohib, ouqui dlaisse une chose obligatoire quil est [pourtant] plus corrompude dlaisser que de faire avec une [autre de licit] incertaine. Ainsi enva-t-il de quelquun dont le pre, ou lui-mme, ont des dettes pourlesquelles il est poursuivi, qui ne peut les rembourser quavec de

    largent au sujet de la [licit duquel] il y a incertitude, qui renonce parscrupule cet [argent] et laisse sa responsabilit, ou la responsabilitde son pre, [ainsi] engages.

    Du scrupule participe par ailleurs la prudence [conduisant ] faireune chose du caractre obligatoire de laquelle on doute, mais de cepoint de vue [ cest--dire en se demandant si quelque chose dencoreplus obligatoire ne devrait pas tre jug prioritaire].

    Le scrupule parfait consiste pour lhomme prendre en compte tout la fois le meilleur de deux biens et le pire de deux maux. On le sait,ldifice de la Loi (shara) repose sur [ceci] : la poursuite des chosesprsentant un intrt et les amener leur perfection (tal al-maliwa takmlu-h), la neutralisation des facteurs de corruption et les fairediminuer (tal al-mafsid wa-taqllu-h). loppos, quelquun quine pse pas ce quune action ou son dlaissement comportent commeintrt eu gard la Loi ou comme facteur de corruption eu gard la

    Loi renonce ses obligations, accomplit des choses prohibes, et con-sidre cela comme du scrupule ! Ainsi [en va-t-il de] celui qui renonceaujihdavec des mirs injustes et considre cela comme du scrupule;ou de celui qui renonce la prire du vendredi et la prire collectivederrire des imms en qui il y a de linnovation ou de la perversit etconsidre cela comme du scrupule; ou qui sinterdit daccepter letmoignage dun homme vridique et de tirer son savoir dun savantdu fait de ce quil y a en eux comme innovation cache et considrecomme du scrupule son refus dentendre des vrits que, pour lui, ilserait [pourtant] obligatoire dentendre (IBN TAYMIYYA, MF, t. X,p. 511-512).

    2. Lexpression rizq al-kim est imprcise et peut-tre sagit-ilplutt de prvoir des honoraires pour les juges.

    3. Coran, al-Nis - IV, 6.

    Ventouseur louvrage4Il y a de nombreux adths concernant la pose de ventouses.

    Dans les deux as, [il est rapport] propos du Prophte Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! [194] quil a dit : Lagurison de ma communaut [se trouvera] en trois choses : unepotion de miel, lextraction du sang par une ventouse ou unecautrisation au feu. Je naime pas me faire cautriser5. Sesoigner au moyen de ventouses est permis, en vertu de la Sunnaabondamment atteste [du Prophte] et de laccord des ulmas.

    B. Lobligation de rembourser ses dettes

    Linjustice est de deux espces, ainsi que je lai affirmailleurs: ngliger un droit [qui devrait tre honor] et trans-gresser une limite. Dlaisser quelque chose dobligatoire estune injustice tout comme faire quelque chose de prohib est

    4. Dtail dune miniature des Maqmt dal-arr, MS. de Paris,Bibliothque nationale de France, Arabe 5847 (Irak, 1237); voir A.DJEBBAR, LAge dor des sciences arabes, Arles, Actes Sud - Paris,Institut du monde arabe, 2005, p. 140.

    5. Voir AL-BUKHR, a, ibb (Boulaq, t. VII, p. 122-123; trad.HOUDAS, Traditions, t. IV, p. 62-63); MUSLIM, a, Salm (Cons-tantinople, t. VII, p. 22; trad. SIDDIQI,a, t. III, p. 1200, n 5474).

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    une injustice. Le Prophte Dieu prie sur lui et lui donne lapaix a dit [dans un adth] sur lequel il y a accord [destransmetteurs] : Le dlai (mal) [que saccorde] le riche est delinjustice1. Il [nous] a ainsi informs quun tel dlai cest--dire reporter plus tard le remboursement [dune dette] estde linjustice. Comment [en ira-t-il donc, a fortiori], dun non-remboursement ? [279]

    Jai affirm ailleurs que sacquitter dune obligation est plusimportant que dlaisser quelque chose de prohib, et que lesactes dobissance impliquant lexistence dune chose (wujd)sont plus importants que les actes dobissance impliquantlinexistence dune chose (adam). Le genre des injustices pardlaissement de droits quil serait ncessaire dhonorer est doncplus grave que le genre des injustices par transgression deslimites.

    Jai aussi affirm que le scrupule (wara) prescrit par la Loiconsiste sacquitter de ce qui est obligatoire et dlaisser cequi est prohib. Il ne consiste pas seulement dlaisser ce quiest prohib. Semblablement, la crainte de Dieu (taqw) estun nom [dsignant la fois] le fait de sacquitter de [ses]obligations et de dlaisser les choses prohibes. Ainsi Dieu a-t-

    Il rendu claire sa dfinition en disant : La pit ne consistepas tourner vos visages vers le Levant et le Couchant. Mais lapit, cest celui qui croit en Dieu, au Jour dernier, aux anges,au Livre et aux Prophtes, donne de son bien, quelque amourquil en ait, aux proches, aux orphelins, aux misreux, auxenfants du chemin, aux mendiants et pour laffranchissementdes nuques, accomplit la prire et donne laumne; ce sont ceuxqui remplissent leurs pactes une fois quils les ont conclus, etprennent patience dans la souffrance, ladversit et au momentdu malheur : ceux-l sont ceux qui sont vridiques, ce sont euxles craignants-Dieu2.

    Beaucoup de gens se trompent partir dici : ils regardent cequil y a dans une action, ou dans de largent, comme aspect

    dtestable rendant obligatoire de les dlaisser et ils ne regardentpas ce qui sy trouve [par ailleurs] comme affaire rendantobligatoire daccomplir [cette action, ou de toucher cet argent].Un exemple de ceci, cest ce propos de quoi Amad [b.anbal] fut interrog, concernant un homme qui, [ sa mort],avait laiss de largent au sujet [de la licit] duquel il y avaitune incertitude (shubha) et qui avait par ailleurs une dette. [Pour rembourser la dette de mon pre], mabstiendrai-je, parscrupule, de [toucher ] cet argent [de licit] incertaine ? demanda lhritier [Ibn anbal]. Et Amad de lui dire : Laisseras-tu la responsabilit de ton pre [ainsi] engage ? Ab lib [al-Makk] et Ab3 mid [al-Ghazl] ont men-tionn cette [histoire].

    Ceci est la source de la jurisprudence (ayn al-fiqh). Rem-bourser une dette est obligatoire, or [le recouvrement de] ce quoi le crancier a droit dpend de [ce que devient] le legs [dupre] : soit lhritier ne rembourse pas la dette [de son predfunt], soit [le crancier] se voit rembours sur ce legs. Il nest

    1. Voir notamment AL-BUKHR, a, awlt (Boulaq, t. III,p. 94; trad. HOUDAS, Traditions, t. II, p. 73); MUSLIM, a, Buy(Constantinople, t. V, p. 34; trad. SIDDIQI, a, t. III, p. 823,n 3796).

    2. Coran, al-Baqara - II, 177.3. ab : ibn F

    donc pas permis de laisser se perdre ce legs [de licit] incer-taine dont dpend [le remboursement de] ce quoi le cranciera droit. Il nest pas permis non plus de faire du tort au dfunt enlaissant sa responsabilit engage. En renonant au legs onferait tort au dfunt et on ferait tort layant droit. Il sagiraitde deux injustices avres par dlaissement de deux obliga-tions, alors quen acceptant largent [de licit] incertaine [280] ilse peut [seulement] quon fasse par l injustement tort quelquun. Amad [b. anbal] dit donc lhritier : Dgagela responsabilit de ton pre ! [Accepter] cet argent [delicit] incertaine vaut en effet mieux que laisser la [responsa-bilit du pre] engage en y renonant. Agir ainsi est obliga-toire pour lhritier. [Cest pour lui] une obligation personnelle(wujb ayn) si personne ne peut le remplacer ce propos, ou4[cest] une obligation collective (wujb kifya), ou [cest]srement prfrable, et [ce lest] plus que ne le serait le fait delaisser l [ce legs de licit] incertaine, tant donn ce que celacomporte comme intrt prpondrant (malaa rjia).

    Ainsi des obligations simposent-elles lensemble descratures, quil sagisse de dpenses personnelles, de [dpensesdes] proches, de rembourser leurs dettes, etc. Si [les gens]

    dlaissent ces [obligations], ils sont injustes, dune injusticeavre, tandis que sils sen acquittent, [ft-ce] par des moyensincertains (bi-shubha), leur injustice nest pas avre. Commentdonc le Musulman se ferait-il scrupule de [ne pas commettre]une injustice ventuelle [tout] en commettant une injusticeavre ?

    Voil pourquoi Sad b. al-Musayyab5 a dit : Il nest rien debon en quelquun qui naime pas largent. Par celui-ci on adoreen effet son Seigneur, on rend ce qui vous a t confi, onprotge sa personne et on est mme de se passer des cra-tures. Dans les Sunan6, il est rapport propos du Prophte Dieu prie sur lui et lui donne la paix ! quil a dit : Il y a troisindividus qui ont droit ce que Dieu les aide : lhomme qui

    cote en cherchant tre dcent, lesclave qui pargne avec lavolont de se racheter, lendett qui veut rembourser. Dans ceadth a t mentionn ce dont le croyant a besoin : une viesexuelle dcente, affranchir sa nuque, dgager sa responsabilit.[Le Prophte nous] a informs que ces obligations participentde ladoration de Dieu. Rembourser ses dettes, protger sapersonne, tre mme de se passer des gens ne saccomplitquavec de largent; or [disposer de] ce qui est tel que quelquechose dobligatoire ne saccomplit que grce cela est [par l-mme] obligatoire. En quelquun qui naime pas sacquitterdune pareille obligation, tellement importante que la religionne tient debout que grce elle, il ny a donc rien de bon. Voil[des choses dites de manire] sommaire, et [qui mriteraient] denombreuses prcisions. Et Dieu est plus savant !

    Yahya M. MICHOT (Hartford, Raman 1430 - Septembre 2009)

    4. aw : wa F5. Sad b. al-Musayyab b. azn al-Makhzm, Suivant, un des sept

    juristes de Mdine, marchand dhuile de son tat (m. 94/713); voirKh. D. AL-ZIRIKL,Alm, t. III, p. 102.

    6. Voir notamment AL-TIRMIDH, Sunan, Fail al-jihd(d. A. R.M. UTHMN, t. III, p. 103, n 1706); AL-NAS, Sunan, Nik (d.Dr al-Kutub al-Ilmiyya, t. VI, p. 61); IBN ANBAL,Musnad(Boulaq,t. II, p. 251). Plutt que lendett qui veut rembourser ce adthmentionne gnralement celui qui mne le jihd sur le chemin deDieu .